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Parfum Exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,


Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne


Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,


Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,


Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

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Parfum exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,


Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne


Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,


Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,


Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.
Analyse
Comment Baudelaire établit-il dans ce poème une correspondance entre la femme
aimée et un paysage idéal?
Comment se manifeste l’idéal baudelairien dans ce poème?

1ère étape: le moment d’intimité partagé avec la femme aimée (v. 1-2)
“Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur de ton sein chaleureux”

A. Description des circonstances de ce moment: champ lexical du temps, notations


sensorielles: tactiles, olfactive. Moment intermédiaire: soir, automne: entre le jour
et la nuit, l’été et l’hiver: moment d’équilibre, tempéré, apaisement entre les extrêmes
B. Référence à la femme par synecdoque: le sein, connotation sensuelle, intime,
symbole de féminité et de maternité ; relation intime du poète à la femme aimée:
pronoms “je “ et déterminant possessif “ton”
Echo “chaud”/ “chaleureux”: 1ère correspondance établie entre la femme et le
moment.
Les coupes créent un rythme croissant: vers 1: 1syllabe/5 syllabes/6 syllabes, puis
une phrase sur un vers entier: l’évocation prend de l’ampleur.

Ce moment d’intimité partagée avec la femme aimée sert de point de départ au


développement d’une vision imaginaire.

2ème étape: la description d’une île imaginaire et idéale/ La construction d’un


paysage idéal
“Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne


Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.”

A. De la réalité à l’imagination
Paradoxe: c’est “les yeux fermés” (v. 1) que le poète “voit” (v. 3). Le mot “voit” prend
un autre sens: “j’imagine”, “je rêve”: on passe de la réalité à l’imagination.
Chaque vers de ce passage vient ajouter un détail sur le paysage idéal imaginé: la
vision “se déroule”, se complète par évocations et petites touches, et souvent par
synecdoque: le poète nomme la partie pour suggérer le tout et fait ainsi appel à
l’imagination du lecteur. Ainsi, les “rivages” suggèrent une plage. Au vers 5, l’image
se précise: il s’agit d’une île. L’allitération en “d” du vers 3 renforce l’impression de
déroulement et suggère l’image de la vague, d’autant qu’elle est doublée
d’allitérations en “r”.
B. L’idéalisation
Les rivages sont qualifiés d’”heureux”, ce qui constitue une hypallage (figure de style
qui consiste à attribuer à certains mots d’une phrase ce qui convient à d’autres). On
retrouve la même figure avec “l’île paresseuse” au vers 5: ce sont les habitants qui
sont heureux et paresseux, et non l’île ou ses rivages. L’impression produite est celle
d’un état d’esprit heureux et paresseux qui s’étend au lieu lui-même.
L’île et ses arbres “singuliers” suggèrent l’exotisme, l’ailleurs, l’opposition avec “ici”,
c’est-à-dire l’univers parisien. Le lieu décrit est aussi un lieu maritime.
La récurrence du son “eu”, à la rime, mais aussi à l’hémistiche (v. 4: les feux) crée
une atmosphère de langueur.
Tout est idéalisé dans ce paysage baigné d’une lumière pourtant tamisée, comme
l’indique l’adjectif “monotone” qui rime avec “automne” et atténue l’éblouissement.
Dans la deuxième strophe, on observe le même procédé d’expansion progressive de
la vision par petites touches, par ajouts successifs d’éléments évocateurs. La
description de l’île se précise.
L’enjambement de la phrase commencée sur le vers 5 sur le vers 6 met en valeur le
verbe “donne” qui se retrouve à la rime et souligne l’idée d’une nature généreuse.
Le reste de la strophe repose sur deux parallélismes successifs qui renforcent
encore l’équilibre du rythme et l’harmonie de la vision: “des arbres singuliers et des
fruits savoureux” est un parallélisme d’autant plus sensible que les deux adjectifs
comportent 3 syllabes et commencent par un s. Le second parallélisme est fondé sur
les précisions données par les deux propositions relatives introduites par “dont”
concernant les hommes puis les femmes.
Idéalisation: vocabulaire systématiquement mélioratif (savoureux, mince, vigoureux,
franchise). Concernant les habitants, hommes et femmes, la strophe suggère
implicitement l’opposition à la réalité: une réalité où les hommes seraient
corpulents ou chétifs et femmes hypocrites. Menace latente du réel où le poète se
sent si mal, et duquel il s’échappe grâce aux sens et à l’imagination.

3ème étape: le renouvellement de la vision idéale


Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,


Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

Après les deux premiers quatrains qui constituaient une seule longue phrase, on
passe, à la volte (9ème vers d’un sonnet, qui constitue la charnière entre quatrains et
tercets) à la deuxième longue phrase du poème, qui renouvelle la vision avec la
répétition de “je vois” (le vers 9 fait écho au vers 2). Ce système d’écho entre la
première et la deuxième phrase du poème est renforcé par la deuxième occurrence
du déterminant possessif “ton odeur” (v. 9), qui reprend à la fois “ton sein” et les
éléments olfactifs du vers 2: “je respire l’odeur”. La synesthésie “je respire”/ “je vois”
est renouvelée. Le participe passé “guidé” suggère un voyage des sens et de
l’esprit1. La femme réduite à son odeur et à son sein, donc à sa dimension purement
sensuelle, inspire le poète. Elle est en quelque sorte la muse, mais seulement par les
sensations qu’elle procure.
A nouveau, le poète développe la vision d’un paysage idéal, exotique, maritime et
idéalisé (“charmants”). Le motif du parfum traverse la troisième puis la quatrième
strophe. C’est le fil conducteur du poème, comme l’indique le titre. Les allitérations en
l puis en m restituent l’impression de la circulation du parfum dans l’air.
Le poème s’achève sur une nouvelle synesthésie: le parfum se mêle au chant. De
plus, on est passé du corps (“je respire l’odeur de ton sein”, v. 3) à l’âme. Le poète
s’est élevé jusqu’à un idéal d’abord sensoriel, puis spirituel, le temps de ce moment
d’intimité partagé. Aux correspondances verticales (entre les sens) s’ajoute une
correspondance verticale (entre le corps et l’âme, entre la réalité et l’idéal, entre le
monde sensible et le monde intelligible)

1 Cf dernier vers du poème “Correspondances”: “qui chantent les transports de l’esprit et des sens”

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