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Texte 9

« La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,

Un rond de danse et de douceur,

Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,

Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu

C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,

Roseaux du vent, sourires parfumés,

Ailes couvrant le monde de lumière,

Bateaux chargés du ciel et de la mer,

Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d'une couvée d'aurores

Qui gît toujours sur la paille des astres,

Comme le jour dépend de l'innocence

Le monde entier dépend de tes yeux purs

Et tout mon sang coule dans leurs regards. »

Paul ELUARD, La Courbe de tes yeux, Capitale de la douleur, (1926)


Ce poème, intitulé « La courbe de tes yeux », est l’avant dernier texte du premier recueil de
Paul Eluard, « Capitale de la douleur », publié en 1926. Paul Eluard fut une des figures les
plus célèbres du surréalisme. Ce mouvement (cinématographique, pictural et littéraire),
fondé par André Breton dans les années 1920, développe en profondeur des thèmes comme
le rêve, l’imaginaire et l’inconscient.

Le poète exprime ici un amour fou pour sa femme, Gala. Il publia ce texte après une crise
personnelle existentielle, crise qui entraîna son voyage-fuite en 1924.

Composé de 3 strophes de 5 vers, sa structure mélange des alexandrins, des décasyllabes et


des octosyllabes.

Nous nous demanderons ici en quoi cet éloge de la femme aimée constitue un véritable
hymne à l’amour.

Plan :

Premier mouvement : Une renaissance par le regard bienfaisant et protecteur de la femme


aimée

Deuxième mouvement : Enumération des vertus de ce regard.

Troisième mouvement : Une dépendance fusionnelle.

1) Premier mouvement : Une renaissance par le regard bienfaisant et


protecteur de la femme aimée

« La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,

Un rond de danse et de douceur,

Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,


Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu

C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu. »

« La courbe de tes yeux » : le regard est mis en relief dès les premiers mots. Il s’agira de l’axe
central du poème.

« la courbe », « le tour », « un rond de danse », « auréole » : champ lexical du cercle : ce


regard semble encercler le poète, qui semble captivé et hypnotisé.

« Sûr » ( l’adjectif) « berceau » (métaphore) : renforcement du sentiment de protection : ces


yeux dessinent donc comme un cercle magique qui semble avoir le pouvoir de protéger le
poète.

« Auréole » : connotation religieuse et sacrée. Les yeux de Gala sont sacrés pour le poète. A
travers eux, Gala est elle-même sacrée.

« Auréole du temps » image qui évoque l’idée de naissance ( le poète parle donc ici , en ce
qui le concerne, de « Renaissance »)

« Rond » : allusion probable à l’œuf : symbole d’une vie qui éclot.

L’expression « un rond de danse et de douceur » évoque le charme, une harmonie visuelle et


gestuelle.

« Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu …. C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu» :
La vie du poète semble dépendre de ce regard féminin. Tout commence avec elle et rien
n’existe en dehors d’elle, un peu comme s’il était né avec elle : la femme est pour lui source
de vie, c'est à travers son regard qu'il prend conscience de son existence et qu’il renaît.

Il y a dans ce premier mouvement de nombreuses images maternelles et protectrices :


l’auteur célèbre la femme et son pouvoir bénéfique, ses yeux sont un refuge mais aussi un
principe de vie.
2) Deuxième mouvement : énumération des vertus de ce regard

« Feuilles de jour et mousse de rosée,

Roseaux du vent, sourires parfumés,

Ailes couvrant le monde de lumière,

Bateaux chargés du ciel et de la mer,

Chasseurs des bruits et sources des couleurs, »

« feuille de jour » / « mousses de rosée » « Ailes couvrant le monde de lumières » :


métaphores naturelles qui semblent évoquer un monde originel, pur et innocent : nous avons
l’impression que l’ amour de Gala est purificateur.

« sourires parfumés », : synesthésie (procédé poétique qui permet de mettre en relief une
image en faisant appel à d'autres sens ) : qui augmente l’impression de profusion des
sensations.

« feuille », « mousse », « rosée » « roseaux » « vent », « mer » : champ lexical de la nature


pour décrire le regard de la femme : ses yeux lui ouvrent le monde.

« Aile couvrant le monde » : métaphore qui évoque de nouveau la douceur et la protection ,


la femme est avec le poète comme une mère protectrice avec ses petits.

Ces « ailes » couvrent le monde de « lumière » image angélique : il y a ici une sacralisation
de l’amour.

« Bateaux chargés du ciel et de la terre » : Métaphore qui montre combien la femme est pour
le poète une médiatrice au travers laquelle il découvre le monde et en prend possession.

« lumière », « ciel » : la femme est ici divinisée, elle atteint une dimension cosmique. Elle
semble être un être solaire par qui le monde advient.
La deuxième strophe, entièrement faite de groupes nominaux, est constituée d’une seule
longue phrase. Les coupes sont multipliées, et l’absence de verbe est compensée par une
accumulation d’idées fugitives. Il s’agit d’une accumulation de métaphores mélioratives,
souvent empruntées à la nature, qui subliment la femme dans un l’élan lyrique qu cœur
d’un foisonnement de vie intense. A travers son regard, la femme offre au poète l’accès au
monde et provoque une forme de renaissance, de retour à un monde purifié et libéré.

3) Troisième mouvement : Une dépendance fusionnelle.

« Parfums éclos d'une couvée d'aurores

Qui gît toujours sur la paille des astres,

Comme le jour dépend de l'innocence

Le monde entier dépend de tes yeux purs

Et tout mon sang coule dans leurs regards. »

« Parfums éclos d'une couvée d'aurores …. Qui gît toujours sur la paille des astres » : On
peut lire ces vers comme une métaphore filée( une suite de métaphores sur un même thème).
de la naissance du monde par le regard de la femme aimée. Ses yeux sont comme une matrice
qui donne vie à tout.

« sur la paille des astres » renvoie à la naissance du Christ, image qui évoque le motif de la
naissance avec une connotation religieuse.

« couvée », « éclos », « paille ». métaphore filée de la couvée : on retrouve la circularité de


façon allusive. Ceci exprime l’harmonie, l’unité, la bienfaisance.
« Le monde entier dépend de tes yeux purs ». La femme est une créature céleste par qui le
monde advient :

« tes yeux purs » : l’image de la femme maternelle et nourricière, pure et innocente, est ici
ravivée.

« dépend de » expression répétée dans deux vers qui se suivent, ceci exprime la dépendance
de l’homme à la femme, qui a un ascendant total sur lui. Le poète conçoit l’amour comme
fusionnel. Le couple n’est pas à ses yeux la coopération de deux personnes, mais leur fusion
en un être unique.

« Et tout mon sang coule dans leurs regards » : le « sang », métonymie de la vie ou symbole
de l’énergie lui est insufflé par le regard amoureux, qui lui transmet son énergie vitale. Si
Gala le protège par son amour, il lui offre ce qu’il a de plus précieux : son sang.

Nous avons ici un amour qui prend une forme fusionnelle. Le poète se trouve dans une
totale dépendance et n’aspire qu’à la fusion avec l’être aimée.

Conclusion

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