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Colette, Sido et Les Vrilles de la vigne

Les violettes, dans « Le Dernier feu »


Lecture linéaire 2
Pages 154 - 155

Et les violettes elles-mêmes, écloses par magie dans l’herbe, cette nuit, les reconnais-
tu ? Tu te penches, et comme moi tu t’étonnes ; – ne sont-elles pas, ce printemps-ci, plus
bleues ? Non, non, tu te trompes, l’an dernier je les ai vues moins obscures, d’un mauve
azuré, ne te souviens-tu pas ? … Tu protestes, tu hoches la tête avec ton rire grave, le vert de
l’herbe neuve décolore l’eau mordorée de ton regard… Plus mauves… non, plus bleues…
Cesse cette taquinerie ! Porte plutôt à tes narines le parfum invariable de ces violettes
changeantes et regarde, en respirant le philtre qui abolit les années, regarde comme moi
ressusciter et grandir devant toi les printemps de ton enfance ! …
Plus mauves… non, plus bleues… Je revois des prés, des bois profonds que la
première poussée des bourgeons embrume d’un vert insaisissable, – des ruisseaux froids,
des sources perdues, bues par le sable aussitôt que nées, des primevères de Pâques, des
jeannettes jaunes au cœur safrané, et des violettes, des violettes, des violettes… Je revois
une enfant silencieuse que le printemps enchantait déjà d’un bonheur sauvage, d’une triste et
mystérieuse joie… Une enfant prisonnière, le jour, dans une école, et qui échangeait des
jouets, des images, contre les premiers bouquets de violettes des bois, noués d’un fil de coton
rouge, rapportés par les petites bergères des fermes environnantes… Violettes à courte tige,
violettes blanches et violettes bleues, et violettes d’un blanc bleu veiné de nacre mauve –
violettes de coucou anémiques et larges, qui haussent sur de longues tiges leurs pâles
corolles inodores… Violettes de février, fleuries sous la neige, déchiquetées, roussies de
gel, laideronnes, pauvresses parfumées… Ô violettes de mon enfance ! Vous montez
devant moi, toutes, vous treillagez le ciel laiteux d’avril, et la palpitation de vos petits
visages innombrables m’enivre…

Introduction :
« Moi, c'est mon corps qui pense. Il est plus intelligent que mon cerveau. Il
ressent plus finement, plus complètement que mon cerveau. Toute ma peau a une âme. »
affirme Colette dans son œuvre La Retraite sentimentale en 1907. Et effectivement, sa
connaissance et sa compréhension du monde telles qu’elles sont évoquées dans ses œuvres
passent souvent chez Colette par la perception sensorielle, par le corps donc, au point qu’on a
souvent évoqué le sensualisme de Colette.
C’est également le cas dans Les Vrilles de la vigne qui est un recueil de textes très
disparate, paru en 1908. Après avoir évoqué, dans le texte liminaire, un rossignol qui chante
pour se libérer des attaches d'une « vigne amère », où l’on devine symboliquement une
allusion à son premier mari, Willy, Colette dédie discrètement les trois textes suivants à
Missy, son amante Mathilde de Morny, auprès de laquelle elle s’émancipe. Le troisième
de ces textes, intitulé « Le dernier feu », évoque la fin de l’hiver annoncée par l’ultime
flambée dans la cheminée. Le printemps arrive, et la narratrice se laisse aller à une rêverie
sur le renouveau de la nature qui lui rappelle le jardin de son enfance. C’est également un
chant d'amour heureux et sensuel dédié à Missy, même s'il est empreint de nostalgie pour
le paradis perdu de l’enfance. Comme dans les trois textes précédents du recueil, un « je »
s’adresse à un « tu » avec lequel il est en symbiose, un « tu » qui reste mystérieux, empruntant
beaucoup à Missy, comme le révèlent la dédicace « à M… » et l’accord au féminin à la fin de
« Nuit blanche ».
Cette ode aux violettes est également une allusion à Sappho, poétesse grecque
présentée comme la 10ème Muse par Platon qui attribue ainsi une 10ème fille à Zeus et
Mnémosyne. Sur l’île de Lesbos, où vivait Sappho, on aurait planté des violettes qui sont
devenues ainsi la fleur symbolique des amours lesbiennes. Au début du XXème siècle,
l’évocation des violettes peut être également un lien et une allusion poétique à Renée Vivien
(1877 – 1909) surnommée « la muse des Violettes », poétesse contemporaine de Colette, qui
vécut une relation ambiguë avec Violet Shillito, figure féminine clé de son œuvre poétique, et
qui traduisit les strophes de Sappho.
Notre texte est situé au début de « Le dernier feu », et vient clore une énumération de
plantes fleuries (les lilas puis le tamaris) que Colette suggère à Missy d’observer, de respirer,
d’admirer au tout début du printemps…
Enjeu de l’analyse / problématique :

Il serait dès lors pertinent de nous demander comment Colette


célèbre à la fois l’amour, la nature et les souvenirs d’enfance dans ce texte.
Mouvements du texte :
I. Lignes 1 à 8 : 1er paragraphe : un dialogue amoureux reconstitué, avec un «
tu » complice
A. lignes 1 à 6 : la symbolique amoureuse des violettes.
B. lignes 6 à 8 : le pouvoir évocateur de l’enfance propre au parfum de ces
fleurs.
II. Lignes 9 à 21 : 2e paragraphe : réminiscences de l'enfance suscitées par les
violettes
A. Des paysages naturels mystérieux et fleuris
B. Une enfant solitaire
C. Ode aux violettes de son enfance.

I. Lignes 1 à 8 : 1er paragraphe : un dialogue amoureux


reconstitué, avec un « tu » complice

A. lignes 1 à 6 : la symbolique amoureuse des violettes.


La 1ère phrase met en valeur d’emblée « les violettes », par une tournure
emphatique, avec la place de la fleur en fonction COD en début de phrase, repris par le
pronom « les » dans « les reconnais-tu ? », l’usage de la conjonction de coordination « et », et
l’insistance avec le pronom personnel « elles-mêmes » en forme appuyée. L’autrice attire
l’attention de Missy, et du lecteur, sur « les violettes » comme objet de son texte et de son
émerveillement.
Cette fleur n'est sans doute pas choisie au hasard, la violette évoquée par Sappho
faisait partie des signes employées par les lesbiennes pour se distinguer. Évoquer les violettes,
c'est dire de manière allusive que le « tu » auquel la narratrice s'adresse est une femme.
Pour autant, le texte n’évoque pas explicitement ces amours saphiques, que Colette assume
dans la vie mais sur lesquelles elle est discrète, seulement allusive, dans son œuvre littéraire.
Il s'agit plutôt de célébrer ces fleurs qui annoncent la fin de l'hiver : elles sont écloses «
par magie » et la narratrice s'en émerveille.
Le participe passé « écloses » et le complément circonstanciel de lieu « dans l’herbe »
donnent une dimension réaliste à l’évocation des fleurs, mais cette impression est vite
nuancée par les compléments circonstanciels de moyen et de temps : la naissance des violettes
se fait « par magie », « cette nuit ». Colette poétise le réel en enchantant le prosaïque par
le registre merveilleux.
Ces violettes sont immédiatement associées à l’expression du souvenir par la
comparaison :
 entre le passé assez récent « l’an dernier » ligne 3, et le présent : « ce
printemps-ci » ligne 2,
 et entre les nuances de couleur qui distinguent ce passé et ce présent, avec
les comparatifs « plus bleues » ligne 2 et « moins obscures » ligne 3.
Le champ lexical de la mémoire souligne l’effort à accomplir pour réactiver le
souvenir : « les reconnais-tu ? » ligne 2, « ne te souviens-tu pas ? », et les phrases
interrogatives sollicitent cet effort auprès du « tu » qu’est Missy.
En créant un climat d’intimité, Colette permet l’irruption d’un lyrisme qui se fait
volontiers dialogique en s’adressant à l’être aimé par ce tutoiement. Un dialogue est
retranscrit, comme le soulignent le tiret ligne 2 et une série d’interrogations directes qui
suggèrent l’échange, mais sans incise, sans guillemets, comme si les voix se mêlaient dans
un jeu de questions et de réponses complices, rappelant les moments partagés et le temps
qui s'est écoulé : « ne te souviens-tu pas ? ». La ponctuation affective est présente, le
sentiment est perceptible, à travers la surenchère des points de suspension lignes 4, 5 et
8. Enfin, le lyrisme délicat de l’autrice est souligné par la focalisation interne. La
narratrice observe et décrit Missy au présent d’énonciation, et l’attention portée aux
moindres détails trahit le sentiment amoureux : « tu te penches » ligne 2, « tu hoches la tête »
ligne 4, « le vert de l’herbe neuve décolore l’eau mordorée de ton regard » ligne 5. Cette
dernière expression souligne, par divers procédés, la prose poétique (La prose poétique
convoque à la fois la poésie et la prose. Il s’agit de reprendre des caractéristiques formelles de
la poésie pour les appliquer dans un texte en prose. Le style est ainsi particulièrement
travaillé, puisqu’il doit par les sonorités, les images, les procédés stylistiques, la syntaxe,
donner au texte une valeur esthétique, avant tout autre objectif (narration, argumentation,
information…) .qui met en valeur l’éloge dans la description de Missy et le regard amoureux
de la narratrice : les vers blancs (hexasyllabe et alexandrin), la métaphore « l’eau
mordorée de ton regard », l’assonance en [o] et l’allitération en [r] qui révèlent la
musicalité du texte.
Ce paragraphe souligne ainsi le lien fort entre les deux femmes, le lien amoureux, la
complicité. Ici, la forte présence des 1ere et 2ème personnes du singulier qui s’entre-mêlent
et la comparaison « comme moi » ligne 3 révèlent cette complicité, cette intimité.
Et bien vite, cette complicité s’exprime à travers le jeu amoureux, la fausse dispute,
une querelle presque enfantine, comme le montrent le champ lexical du désaccord : la
double négation « Non, non » ligne 3 , « tu te trompes » ligne 3, « Tu protestes » ligne 4, « tu
hoches la tête » ligne 4, et la tonalité légère de la scène, le rire dans la dispute : l’oxymore
« avec ton rire grave » ligne 4 et « cette taquinerie » ligne 6, et « plus mauves...non, plus
bleues... » ligne 5 qui rappelle les chamailleries de l’enfance.

Avec les impératifs, « Cesse cette taquinerie/ Porte plutôt à tes narines... », Colette
met un terme à ce jeu de conflit complice sur les couleurs des fleurs pour se centrer sur leur
parfum, et convier Missy à la contemplation, la célébration des souvenirs d’enfance et des
fleurs.

B. lignes 6 à 8 : le pouvoir évocateur de l’enfance propre à


ces fleurs.
C’est justement cette formule enfantine, incantatoire, « plus mauves...non, plus
bleues... » lignes 5 et 9 qui va rappeler l’enfance à la mémoire de la narratrice, et faire
émerger un passé lointain. Le registre merveilleux permet encore une fois d’enchanter le
réel, le souvenir, le passé à travers le lexique de la magie, et l’évocation des pouvoirs
attribués au parfum des violettes. : « philtre », « abolit les années », « ressusciter ».
Le champ lexical de l’odorat s’impose alors : « narines, parfum, respirant », et se
mêle au vocabulaire de la vue : « regarde » est répété ligne 7, injonction qui invite à la
contemplation du monde. « Regarde, en respirant » crée une synesthésie qui mêle odorat et
vue. Le parfum des fleurs fait ainsi naître le souvenir, une vision des « printemps de ton
enfance !... ».
L’antithèse entre « invariable » et « changeantes » révèle que les couleurs peuvent
changer dans le souvenir de la fleur, le parfum lui perdure à chaque printemps. C’est ce
parfum invariable qui a le pouvoir de faire surgir la vision du passé.
L’emploi des pronoms personnels « comme moi / devant toi » lignes 7 et 8 souligne le
partage de cette expérience de mémoire olfactive emplie d’émotion, ce que souligne la phrase
exclamative et les points de suspension ligne 8.

*** L’expression « les printemps de ton enfance » trouvera un écho dans la suite
du texte à travers tout un champ lexical : « la première poussée des bourgeons » ligne 10,
« des primevères de Pâques » ligne 11, « « le printemps » ligne 13, « les premiers
bouquets de violettes des bois » ligne 15, « le ciel laiteux d’avril » ligne 21. Ce sont donc
tous les souvenirs liés à cette saison qui reviennent à la mémoire de la narratrice sous forme
de réminiscences des paysages de son enfance, d’elle-même, et de ses premiers bouquets
de violettes…

II. Lignes 9 à 21 : 2e paragraphe : réminiscences de l'enfance


suscitées par les violettes

Le retour de la formule « plus mauves… non, plus bleues… » suivie de points de


suspension marque le passage à la rêverie. Le « tu » disparaît pour laisser place à un
soliloque rythmé par l'anaphore du verbe au présent « je revois » ligne 9 et 12. Le parfum
de violettes déclenche des visions qui déplacent le lecteur dans le temps et dans l'espace.

A. Des paysages naturels mystérieux et fleuris


Cette rêverie permet à Colette de déployer une longue description lyrique et poétique de ses
souvenirs d’enfance, caractérisés par l’image de l’éclosion et de la renaissance (l’enfance, le
printemps, les fleurs…« première poussée, bourgeon » »).
Une énumération d’éléments « bois, ruisseaux, sources... » est associée à une nature
mystérieuse, secrète, peu accessible par les adjectifs qualificatifs ou le verbe qui les
accompagnent : « profonds », « embrume », « insaisissable », « perdues ». Presque chaque
élément est caractérisé, qualifié par un adjectif au moins, ou une relative, un participe, un
complément du nom, ce qui crée un rythme dans la phrase descriptive ample qui se
déploie…
Colette, qui était musicienne, fait entendre de nombreuses sonorités en écho grâce
aux :
 allitérations en p, en b qui miment l'éclosion de la nature et des assonances
en [ou], [oi] et [on] : « Je revois des prés, des bois profonds que la première
poussée des bourgeons embrume d’un vert insaisissable »,
 jeu d'écho sonore qui continue avec d'autres voyelles - « perdues », « bues »
- et à l'initiale dans des groupes nominaux « des primevères de Pâques, des
jeannettes jaunes ».
 une allitération en {s] qui crée une harmoine imitative qui permet d’entendre
l’eau : « des ruisseaux froids, des sources perdues, bues par le sable aussitôt
que nées »
Ces effets de rime participent à une prose poétique dans laquelle apparaissent aussi d’autres
caractéristiques de l'écriture de Colette :
 personnification des éléments naturels avec les sources « bues aussitôt que
nées » qui manifestent le panthéisme dans sa perception du monde,
 appel aux cinq sens et ici au toucher avec le « ruisseau froid »,
 métaphores « cœur safrané »,
 prolifération des mots avec l'énumération finale « et des violettes, des violettes,
des violettes... », sans aucun qualificatif, comme si elles se suffisaient à elles-
mêmes.
B. Une enfant solitaire
Après le paysage, le deuxième « Je revois » se porte sur l’enfant elle-même. Ici elle
parle d’elle à la troisième personne, elle semble s’observer par cet effet de distanciation.
Colette évoque une enfant silencieuse, ce qui peut suggérer un rapport un peu difficile avec
les autres, enfant derrière laquelle elle se cache sûrement, comme l'indique l'adverbe de temps
« déjà » : elle sait qui est devenue cette enfant. Les termes « enchantait, bonheur, joie »
renvoient à des sentiments très positifs mais l'oxymore « triste et mystérieuse joie » révèle des
sentiments contrastés, il ne s'agit pas à tout prix d'embellir l'enfance. Cette période engendre
plutôt une nostalgie douce-amère. L'école, par opposition à la nature, aux sources et
sous-bois est évoquée comme un lieu d'enfermement plutôt que comme lieu
d'émancipation, la narratrice enviant la vie plus libre des « petites bergères des fermes
environnantes ».

C. Ode aux violettes de son enfance.


Vient ensuite une longue incantation, avec le nom « violettes » répété sept fois et
complété de toutes sortes d'expansions du nom.
D'un point de vue musical, la phrase enfle et s'amplifie, ici et là se cachent des
mètres blancs qui croissent au fur et à mesure. « Violettes blanches et violettes bleues »
(alexandrin) sonne comme une comptine, jouant sur la symétrie des « blanches » et des
« bleues ». La description se fait toujours plus précise, leur teinte devient « blanc bleu veiné
de nacre mauve ». Alors que Colette comparait dans « Jour gris » les coquillages aux fleurs
(page 152), ici elle convoque la nacre pour décrire la violette.
Se servant de l'autre nom donné aux violettes, les « coucous bleus » (les coucous sont
des primevères), Colette leur attribue des épithètes de sens contradictoires, « anémiques et
larges » et là encore la fleur est personnifiée : « qui haussent sur de longues tiges » La
dernière évocation se fait encore plus pathétique, puisqu'il est question des « violettes de
février, fleuries sous la neige » : leur sort est peu enviable comme l'indique la liste d'adjectifs
qui suit : « déchiquetées, roussies de gel, laideronnes, pauvresses parfumées » : la
description devient nettement oxymorique. Une apostrophe suivie d'un point d'exclamation
clôt cette description.
Ce tableau rappelle une toile impressionniste, « les nymphéas » ou « les champs de
coquelicots » de Monet par exemple. La technique descriptive de Colette s’apparente à la
peinture impressionniste propre à susciter une impression de spontanéité. Colette se fait
peintre du réel, réel dépourvu de la brutalité du réalisme. Elle créé une prose poétique
marquée par l’exigence de concision et de brièveté. Son écriture, qui procède par petites
touches, aboutit à une poétisation du réel. Caractère pictural de la description, les
tableaux qui résultent de ce travail sur la langue offrent une palette de couleurs vives ou
de pastels plus délicats. La multiplication des couleurs, par petites touches dans ce texte,
souligne l’écriture impressionniste de Colette : « mauve azuré » ligne 3, « un vert
insaisissable » ligne 10, « des violettes » ligne 12, « jaune au cœur safrané » ligne 11-12,
« rouge » ligne 15, « blanches et violettes bleues » lignes 16-17, « blanc bleu veiné de
nacre mauve » ligne 17…
La dernière phrase du texte s'adresse aux violettes pour les célébrer, dans une ode
lyrique: « ô fleurs de mon enfance, vous montez ». l’interjection « Ô » et l’exclamative
renforcent le lyrisme du passage. « Vous montez devant moi » métaphore qui souligne la
force de cette vision qui s’impose. La vision devient presque onirique ici avec l’impression
que les fleurs montent et s’entrecroisent dans le ciel :« vous treillagez le ciel laiteux
d’avril ». La personnification des violettes est démultipliée - « vos petits visages » et rappelle
la technique impressionniste qui procède par « d'innombrables » touches de peinture.

Conclusion :

Sensuelle, cette description des violettes permet à la fois à Colette de déclarer son
amour à M…, mais aussi de s'immerger à nouveau dans son enfance, dont le souvenir est
fortement lié à la nature. Cet extrait de « Dernier feu » est particulièrement caractéristique de
l’écriture impressionniste de Colette, du sensualisme et de la prose poétique qui permettent de
célébrer le monde avec lyrisme. Le texte est autobiographique et mêle plusieurs temps : le
présent avec M… près du dernier feu avant l’arrivée du printemps, les souvenirs communs et
assez récents entre les deux femmes au printemps précédent, puis les souvenirs lointains de
l’enfance.
C’est par le parfum des violettes que le souvenir est ravivé, la mémoire olfactive fait
ressurgir l’enfance. Cette fonction des sens dans l’émergence des réminiscences (= mémoire
involontaire : la réminiscence provoquée par la madeleine ne vient pas d'un effort conscient à
se remémorer) a également été évoquée par Marcel Proust dans son œuvre romanesque Du
Côté de chez Swann (1913), le 1er tome de A la recherche du temps perdu. Dans ce texte, c’est
davantage le goût qui crée la vision du passé.
« Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût c'était celui du petit morceau de
madeleine que le dimanche matin, à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant
l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait
après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne
m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu
depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de
Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés
si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes – et celle
aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot
– s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de
rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres,
après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus
persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se
rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur
gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.

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