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Explication linéaire 2, BAUDELAIRE, « 

La géante ».

Introduction :

L’une des questions qui revient fréquemment, à la lecture de poèmes, est celle des relations
particulières entre le poète et la Muse. Baudelaire décide de donner sa vision personnelle en
fournissant une nouvelle image de la Muse. Ce que justifie le titre de son poème « La géante » extrait
de la section « Spleen et Idéal », des Fleurs du Mal. Le poème se décompose en trois mouvements :
le premier, à travers l’espace du premier quatrain, établit sur un mode nostalgique, les regrets du
poète de n’avoir pu vivre le temps idyllique où la Nature offrait l’occasion de vivre avec des géantes.
Le second mouvement, à l’intérieur du second quatrain, évoque la nostalgie de n’avoir pu vivre ses
premières expériences sensuelles avec un tel être ; le dernier mouvement, comprenant les deux
tercets, engage véritablement le sujet de l’expérience de possession physique ; la possession
physique se double d’une expérience poétique. Dès lors nous sommes en droit de nous demander :
en quoi ce sonnet, fondé sur les regrets d’une impossible possession physique, illustre-t-il les
errements de l’inspiration poétique ? Dans un premier temps nous envisagerons en quoi le premier
quatrain porte un regard nostalgique sur une Nature perdue. Nous envisagerons ensuite la
dimension inaboutie des premières expériences physiques. Enfin, nous analyserons en quoi les
tercets, point d’aboutissement attendu du poème, signalent leur originalité en aboutissant à une
impasse physique et poétique.

Premier mouvement :

Le poète remonte aux âges idylliques de l’humanité dès l’ouverture du poème : la Nature est l’alliée
privilégiée des hommes et, à ce titre, fournit un matériau poétique particulier. Ce que ne manque pas
de faire observer BAUDELAIRE qui associe la « verve puissante « de la Nature à sa capacité à
engendrer des « ‘enfants monstrueux » : autrement dit, la verve, c’est l’énergie, celle qui permet
d’engendrer, de concevoir, des êtres vivants ou de produire des poèmes. Ce qui revient à affirmer
que la Nature est considérée comme le réservoir privilégié des thèmes d’inspiration du poète, et que
cette Nature engendre plus particulièrement ce qui relève du monstrueux, la catégorie que semble
privilégier le poète. Etrange ! et pourtant cette idée est exprimée de manière apaisée, semble-t-il,
sans excès de langage, avec une belle fluidité, grâce à un enjambement grâcieux, ma foi, porté par le
verbe à l’imparfait « concevait » qui assure la transition entre les deux vers et permet d’imaginer la
Nature en action, à relever ici la force de suggestion portée par le verbe lui-même et sa valeur
durative qui répond à la verve et son qualificatif »puissante » , pour porter l’enjambement et bien sûr
des « enfants monstrueux ». Cette subordonnée portée par le marqueur temporel « du temps que »
introduit dès le vers 3 la principale et sa première salve de regrets : la force du regret s’incarne dans
le plus que parfait du subjonctif, moment magique pour plonger le lecteur dans les mystères du
mode subjonctif et dans ceux de la Nature : l’effet de surprise est total, le groupe prépositionnel qui
suit le groupe verbal « j’eusse aimé vivre » produit un choc auditif et visuel « auprès d’une jeune
géante ». Le lecteur reste interloqué. Baudelaire s’en amuse et il poursuit avec la comparative :
« comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux » = le poète nous introduit à l’intérieur de sa
psyché, de ses phantasmes : le lecteur a bien compris, le phantasme le plus fou est bien d’éprouver
une passion physique avec une jeune géante et le poète n’a aucune retenu, il nous l’avoue ! à quelle
fin, sinon pour tordre le cou à ses virtuels lecteurs, bien confits de morale et de bons sentiments.
Baudelaire rompt ici avec une vision traditionnelle de la Muse, en joue …la puissance de création du
poète a pour finalité de faire surgir des figures monstrueuses, celle que chacun porte en lui, et que
traditionnellement se garde bien de conserver dans sa mémoire, BAUDELAIRE décide de nous en
faire part.

Deuxième mouvement :

Quelles relations le poète va – t-il établir avec cette géante ? sans nul doute il n’est pas question de
se conformer à des relations ordinaires. Mais BAUDELAIRE avance prudemment, sur le mode du
regret : le premier vers établit sagement une correspondance entre le corps et l’âme : bien sûr le
lecteur , un peu sceptique , peut s’interroger sur le sens que le poète peut réserver au verbe « fleurir
« ; il suffit de songer aux vertus de ce verbe , posé sous la forme substantive en titre du recueil(Fleurs
du Mal) ; et puis , le titre premier du recueil n’était -il pas Les Lesbiennes : aussi l’analogie entre
corps et âme conduit à douter de l’innocence du terme : le poète semble privilégier des Femmes aux
mœurs autres…. Les seules susceptibles de lui fournir matière à inspiration. C’est ce sens qui semble
prévaloir dans le second vers : la géante s’adonne à de « terribles jeux ». L’adjectif « terrible »
renvoie bien au sentiment d’horreur que va éprouver l’homme de goût qui ne pourra que
s’émouvoir, voire s’effrayer de telles pratiques. On imagine la réaction « ce sont (bien) des artistes,
pour vivre ainsi ! ». L’assonance en [i]résonne de toute sa puissance terrifiante : cri d’effroi face à une
telle alliance d’êtres humains …le poète tente de scruter les abîmes de l’âme de cette figure
féminine. Ce que justifie la subordonnée indirecte »si son cœur couve une sombre flamme aux
humides brouillards » : l’alliance du feu et de l’eau, réunie en cette femme suggère l’identité trouble
de cette géante et questionne sur les qualités particulières que recherche le poète, auprès d’une
femme. L’adjectif « sombre » insiste sur les aspects étranges qui semblent être les thématiques
retenues, en priorité par le poète ; en soi, plus c’est étrange, plus c’est sombre, plus cela m’attire …
bizarre ! soit c’est ainsi, soit c’est pour créer un choc…à voir… le lecteur ne peut malgré tout que
rester séduit devant l’alliance des termes réunis à l’intérieur des deux groupes nominaux , « sombre
flamme » et « humides brouillards » , la position antéposée de l’adjectif accentue l’efficacité
poétique des regroupements. L mouvement envisage ainsi une relation avec un être particulier,
proche de la figure monstrueuse, telle annoncée dès le deuxième vers du poème.

Troisième mouvement :

L’évocation devient plus sensuelle : le lecteur assiste, malgré lui, à une scène de possession
physique : les verbes employés à l’initiale des vers 9/10/13 miment la progression de la scène. Ce à
quoi nous convie le poète est d’une terrible efficacité visuelle : pour ce faire le poète emploie toutes
les possibilités offertes par la langue : il use de groupes prépositionnels « à loisir » , auquel vient
répondre quelques vers plus bas l’adverbe « nonchalamment » ; les marqueurs temporels rendent
plus précis la scène dans le Temps : l’adverbe »parfois » est renforcé par le groupe prépositionnel
« en été »lui-même explicité à travers la subordonnée conjonctive « quand les soleils malsains la font
s’étendre à travers la campagne ». Cette femme semble se donner, se livrer aux plaisirs du poète :
quelle femme sinon s’offrirait ainsi en pleine Nature ? le lecteur a été averti : les soleils n’ont-ils pas
été qualifiés de « malsains » ? ne s’est-elle pas offert « à loisir », exhibant ses « magnifiques »
formes ? le poète rit d’avance de la réaction outrée de son lecteur : aussi n’hésite -il pas à fournir une
description de ses genoux : « énormes » ! ce qui relève du difforme semble prendre place à
l’intérieur de la forme (du poème).l’assonance en [o], en sourdine , à l’intérieur des termes
« formes » et « énormes » créent bel et bien un choc auditif et visuel :le poète nous invite à
reconsidérer les critères de l’Idéal féminin , et conséquemment , ceux du Beau en Poésie.la touffeur
de l’air , l’emprisonnement du poète et du lecteur à l’intérieur de cette scène est audible à travers
l’assonance [an] , perceptible à travers les termes « ramper/campagne/nonchalamment » ;
l’atmosphère est parasitée par la présence de cet être particulier , aux pouvoirs , aux charmes
étonnants, «  à l’ombre « des « seins » de laquelle il s’endort. C’est peu dire si l’on considère les
termes de la comparative qui clôturent le poème : le poète se considère tel « un hameau au pied
d’une montagne /un hameau paisible ». Le lecteur se dit que le poète a trouvé le cadre idéal de
l’inspiration, la Géante semble se conduite telle une Muse.

Conclusion :

La géante semble être un ersatz de la Muse idéale ! en effet nous venons de lire et expliquer le
poème rédigé à la suite de cette relation.

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