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Analyse linéaire du texte n°1 :

« Mes forêts sont de longues traînées de temps… »


Hélène Dorion, Mes Forêts, 2021

 Introduction :

Le début du XXIe siècle est marqué par une nouvelle littérature influencée par
les nouvelles technologies et hantée par le « je », et à des textes, inspirés du
nouveau modèle de société et imprégnés des expériences dramatiques de notre
époque.

Le texte soumis à notre analyse est le premier poème du recueil de la poétesse,


c’est une sorte d’introduction.
Ce poème se compose de quatre strophes asymétriques, et évoque une nature
riche et fertile se présentant comme le miroir qui reflète le for intérieur de la
poétesse à la fois paisible et violent.
Alors que révèle la place du poème liminaire dans ce recueil ?
Nous procèderons à une analyse linéaire de ce poème strophe par strophe :

 Développement :

I-La première strophe : Les forêts, révélatrices d’un intérieur contradictoire :

Le premier vers s’ouvre sur le déterminant possessif « mes ». Il met en avant une
relation intime entre la nature et la conscience de la poétesse. Alors, la forêt est
intériorisée : elle devient un paysage intérieur et intime.
Dans ce sens, grâce à la poésie d’Hélène Dorion, les forêts constituent la voie d’entrée
à l’intime et la voix de l’humain.

Ensuite, les métaphores « longues traînées de temps » et « des aiguilles » sont


révélatrices. Les aiguilles de ce vers renvoient aux aiguilles de l’horloge qui fait
référence à ce temps qui nous dévore et qui passe sans jamais s’arrêter.
Les 5 premiers vers suggèrent une sensation difficilement explicable : il y a une
violence souligné par la comparaison du vers 5 « comme une histoire d’orage ». Des
verbes d’action caractérisent ces forêts qui s’animent au fil des vers : « percent »,
« déchirent », « tombent », « glissent », « se pose ». Ces verbes renvoient aux failles
de cette nature. La nature, est le miroir de l’état d’âme de la poétesse, qui semble
saccagée
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Les 5 vers suivants sont au contraire plus doux :
L’« heure bleue » évoque les couleurs d’une aube ou d’un crépuscule, un hors temps
où le passé et présent se rejoignent. En effet, l’expression « un rayon vif de souvenirs »
rappelle à la fois un lever du soleil et des réminiscences.

Quant à l’absence de ponctuation, elle donne lieu à une ambiguïté grammaticale qui
permet de mêler les sensations : la vue liée au rayon, le toucher et l’odorat liés à
l’humus.

II-La deuxième strophe : Les forêts, creuset d’une temporalité riche :

Le premier vers contient deux métaphores : la première est celle du « grenier », qui
suggère un espace intérieur et intime où vivent les souvenirs. La deuxième est celle des
« fantômes » qui désignent, avec nostalgie, les êtres chers disparus.
La forêt invite donc à une exploration intérieure, à une plongée dans le passé.

Dans ce parcours intérieur, les arbres sont des repères structurants, essentiels, comme
le suggère leur verticalité mise en relief par la métaphore avec les mâts des bateaux :
« elles sont les mâts ».
Les forêts sont puissantes, au point qu’elles permettent à l’Homme de s’échapper par
l’imagination et la Poésie. C’est ce que révèle l’oxymore « de voyages immobiles ».

En outre, ces forêts sont vivantes et riches : elles produisent des « fruits » au sens
propre comme au sens figuré.

Les deux derniers vers de cette strophe révèlent le cycle de la vie, à l’instar des
saisons : du présent, à « une saison déjà passée », à l’avenir « qui s’en retourne vers
demain ». Si le premier vers du poème suggérait un temps linéaire (« mes forêts sont
de longues traînées de temps » ), le temps devient ici cyclique, le passé se réincarnant
dans le futur.

III-La troisième strophe : Les forêts, une union des contraintes fécondes :

Dans un effet de decrescendo , les strophes s’amenuisent.


La poétesse suggère la force incontestable procurée par les forêts verticales, par
l’image « mes espoirs debout »
À ce propos, la lumière suscitée par l’expression « feu de brindilles » confirme l’idée
de l’espoir tout en la nuançant : il s’agit d’un feu de brindilles, donc un feu fragile.
Aussi, les forêts participent à l’éclosion poétique : elles ont un pouvoir créateur,
comme le suggère le rejet « et de mots » qui donne l’impression que les mots
surgissent de tous les côtés de cette forêt. Mais, ce qu’on peut dire, est que la poésie

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de Dorion est aussi fragile que ses espoirs comme le souligne la fragilité de ce « feu
de brindilles ».

Les forêts condensent des éléments opposés : le « feu» et « la pluie » , « ombre » et


« reflet » , « craquer » et « figé ». Ces oppositions créent un mouvement complexe au
sein de cette nature comme dans son for intérieur : entre bruit et silence.

VI- La quatrième strophe : Les forêts, dans les mots et en image :

Pour la première fois et dans une forme de consécration, l’anaphore « mes forêts »
occupe seule un vers.
La dernière tentative de définition passe par une métaphore originale. « Mes forêts /
sont des nuits très hautes » laisse une impression mystérieuse.
La grandeur que ressent Hélène Dorion est soulignée par l’adverbe intensif « très » et
qui renvoie à la grandeur de ces « forêts ». Ça peut donner une illusion aux « étoiles »
de la première strophe, situées dans le ciel très haut comme ses espoirs. Si, au début
du poème, elles sont tombées sur terre, elles sont rehaussées vers les cieux dans la
dernière strophe.

Enfin, la taille et la disposition même des strophes font penser à un arbre. Le lecteur
est, pour ainsi dire, invité à lire ce poème comme un arbre.

 Conclusion :

Ce premier poème est programmatique dans la mesure où ses premiers mots


constituent le titre du recueil. Quatre autres poèmes commençant de la même façon
ponctueront le recueil, à l’instar des intermèdes entre les actes d’une pièce de théâtre.
Ce poème place le lecteur face à un univers intime fondamentalement ambivalent : il
est fait de souvenirs et d’espoirs, de paix et de violence, de mouvement et
d’immobilité, de bruit et de silence, de feu et de pluie.

Le dernier poème du recueil, « Mes forets sont de longues tiges d’histoire », fait écho
à ce premier poème.

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