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ISBN : 978-2-36075-749-7
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Chiffres et nombres
Zéro
Un(e)
Deux
Trois
Quatre
Cinq
Six
Sept
Huit
Neuf
Dix
Onze
Douze
Treize
Quatorze
Dix-huit
Dix-neuf
Vingt
Vingt et un
Vingt-deux
Trente
Trente et un
Trente-six
Quarante
Quarante et un
Quatre-vingt-dix
Cent
Cent sept
Deux cents
Quatre cents
Mille
Mille et une
Onze mille
Animaux
Un voyage initiatique
Religions
Armées et batailles
Médecines
Fortunes
Repas
Vêtements
Jeux
Musiques
Fleurs
Bibliographie
Index alphabétique
Du même auteur
CHIFFRES ET NOMBRES
DES LOCUTIONS
LAISSÉES POUR COMPTE
Pour la bien distinguer de l’aïeule paternelle, on l’appelait « grand-mère
Kiki », de ce diminutif un peu ridicule, hypocoristique du patronyme
qu’elle avait reçu de son Polonais de mari. La grand-mère Kiki était de ces
petites vieilles discrètes, taciturnes, qui ne parlent que pour s’émouvoir,
s’indigner ou s’émerveiller, une sorte de Mamette à la Daudet. Chaque fois
qu’elle rencontrait son vieil ami d’enfance, petit monsieur vieille France,
elle nous redisait, tout heureuse, combien il était élégant : « Toujours tiré à
quatre épingles ! Toujours mis sur son trente et un ! » et l’on avait droit aux
louanges de sa situation financière, fruit du labeur de toute une vie, d’une
probité et d’une économie à toute épreuve. « Pas comme ces touche-à-tout
et ces bons à rien qui font leur travail à la six-quatre-deux, à qui il manque
toujours dix-neuf sous pour faire un franc, qui voudraient pouvoir ajouter
des queues aux zéros mais qui ne savent que brûler la chandelle par les
deux bouts ! »
L’épargne était son cheval de bataille, non pour thésauriser, mais pour
gâter, malgré de chiches revenus, sa ribambelle de petits-enfants, aux
étrennes ou aux anniversaires, et, quand nous louions la beauté des cadeaux
qu’elle nous offrait, elle se rengorgeait pour lancer, triomphante : « Hum !
Ça peut ! Ça ne coûte pas que trois francs six sous ! » Elle savait aussi nous
blâmer, mon presque jumeau et moi, pour nos bêtises et nos frasques («
Toujours à faire les quatre cents coups ! »), notre coupable complicité («
Les deux font la paire ! »), notre épisodique désœuvrement (« Vous ne
savez donc pas quoi faire de vos dix doigts ! »), la faiblesse des parents («
Ils font leurs quatre volontés ! »).
Merveilleuse petite grand-mère ! Tu chiffrais tes exclamations comme
tu chiffrais ton linge : c’était, pour toi, une manière d’orner la vie.
Énumérant tes fiertés et tes griefs, tu racontais en comptant et tu comptais
en racontant, comme si tu avais connu, inconsciemment, l’étymologie
commune des deux verbes : le latin computare.
On ne sait plus parler comme cela : ces belles locutions imagées
disparaissent de notre langage comme autant de fleurs d’un jardin que l’on
n’entretient plus. Au-delà de nos pensées, pourtant, elles parlent aussi de
notre humeur et de nos intentions ! « Trois francs six sous » nous suggère à
la fois beaucoup plus et beaucoup moins que soixante-six sous. Dans « Être
tiré à quatre épingles », « Faire les quatre volontés d’untel » ou « Se saigner
aux quatre veines », quatre n’est pas égal à deux fois deux mais à la
plénitude du chic dans un cas, à la totalité des caprices, dans l’autre, à la
somme des sacrifices dans le troisième. Ces métaphores nous parlent aussi
d’un temps où les chandelles étaient produit de luxe à consumer avec
modération, où couper la poire en deux évoquait un savoureux partage, bien
plus convivial que le mercantile fifty-fifty.
Innombrables sont, dans notre langue, les expressions qui comptent
d’un point de vue littéral sans pour autant conter numériquement parlant. Le
symbole y est plus signifiant que la numération, et c’est là leur charme
infini. Quelle étrange mais prodigieuse arithmétique, en effet, qui fait
s’équivaloir quatre et trente-six, trente-six et quatre cents !
Osons donc réemployer ces formules, sans compter ; grâce à elles, dans
un monde où les cerveaux tendent à n’être plus que des calculatrices, la
poésie des chiffres peut encore parfois battre en brèche la froide rationalité
des nombres.
ZÉRO
Le recours au mot zéro connaît depuis quelques années une faveur
croissante dans le parler quotidien, une surenchère proportionnellement
inverse à sa signification : facilité de langage, « zéro » se substitue de plus
en plus souvent à des expressions telles que « pas le (ou la) moindre… », «
on ne saurait parler de… », « l’absence de… », des adjectifs comme «
aucun(e) » ou « nul(le) » ou des prépositions comme, tout simplement, «
sans ». Il s’agit là d’une tolérance langagière puisque, d’un strict point de
vue grammatical, « zéro » est un nom. Ainsi entendons-nous dire à tout
bout de champ que « le risque zéro n’existe pas » ou que tel ministre entend
faire preuve de « tolérance zéro ». La publicité a fait ses choux gras de ce
zéro abusif : on nous rabâche à longueur de « spots » télévisuels que tel
produit alimentaire contient « zéro OGM » ou « zéro sucres ajoutés »,
qu’avec telle voiture il y a « zéro émission de CO2 », que telle compagnie
d’assurances se caractérise par « zéro blabla, zéro tracas », etc. Comme le «
zéro faute ! » que l’écolier annonce victorieusement à ses parents après une
dictée réussie, acceptons d’un sourire cet emploi familier de « zéro »
comme adjectif numéral : tout compte fait, il mérite mieux qu’un zéro
pointé.
1. Un zéro en chiffre
Zéro, me direz-vous, n’est ni un nombre, ni un chiffre, mais un simple
symbole numéral. Certes, mais zéro et chiffre partagent la même étymologie
: à l’instar des mathématiques, ces mots nous viennent des pays arabes, du
mot sifr, lui-même traduit du sanskrit sunya, désignant, dès le VIe siècle, un
petit cercle symbolisant le vide. Sifr signifiait du même coup le symbole
qui, dans la numération en colonnes, indiquait l’absence d’unité. Par
l’intermédiaire du latin médiéval cifra, sifr s’est retrouvé en français des
e e
XIII et XIV siècles sous les formes cifre, cyfre et cyffre, ancêtres lexicaux de
notre chiffre.
Transcrit phonétiquement, ce même sifr a donné zefiro en italien,
finalement devenu, par contraction, zéro (l’actuel italien zefiro, « zéphyr »,
ne signifie lui-même que du vent). Le français l’emprunta dès la fin du XVe
siècle en lui ajoutant l’accent aigu. En tant que symbole d’une grandeur
nulle, zéro se substitua alors à chiffre, qui prit son sens actuel.
C’est donc sans doute pour la redondance que zéro et chiffre se
retrouvent dans l’ancienne locution un zéro en chiffre, qui, au XVIe siècle,
s’appliquait à une personne véritablement nulle, à moins que chiffre n’y ait
le sens de « signe », ce rond de vacuité étant considérablement plus
insignifiant que le mot de quatre lettres auquel il correspond. On trouve,
dans le Dictionnaire de l’Académie françoise de 1776, cette explication : «
On dit proverbialement et figurément d’un homme qui n’a aucune autorité,
aucun crédit, que c’est un 0, un zéro en chiffre. »
2. Le degré zéro…
… de la tragédie (critique d’un film),… des États-Unis d’Europe
(critique d’une Europe que le couple franco-allemand n’entendrait
construire que sur la fiscalité),… de l’image (critiques de vidéographies
montrant un certain couple présidentiel français),… de la critique (critique
de la critique),… de la politique,… du syndicalisme,… de la cuisine,… du
journalisme,… de l’intelligence, et même, excusez du peu,… de
l’herméneutique ! Ces quelques exemples glanés dans l’actualité montrent
le succès remporté par cette récente locution pour dire l’inanité, la nullité. À
l’origine ? Un terme de linguistique repris par Roland Barthes (1915-1980)
dans le titre d’un célèbre essai, Le Degré zéro de l’écriture (Le Seuil, 1953),
où le critique et sémiologue français livre ses réflexions sur les rapports de
la société, du langage et de la littérature, affirmant que « l’écriture […]
absorbe désormais toute l’identité littéraire d’un ouvrage ». Il conclut son
analyse par ces mots : « La multiplication des écritures institue une
Littérature nouvelle dans la mesure où celle-ci n’invente son langage que
pour être un projet : la Littérature devient l’Utopie du langage. » Sans entrer
dans des détails techniques, précisons qu’en linguistique le degré zéro
indique l’absence d’un trait formel ou sémantique : il ne relève évidemment
d’aucun jugement moral ni ne revêt la valeur péjorative ou totalement
dépréciative que l’usage populaire prête à la locution.
* La cherté des bougies est d’ailleurs à l’origine d’une autre locution : le jeu
n’en vaut pas la chandelle. Quand autrefois des soirées ludiques étaient
organisées chez les gens modestes, quelques pièces étaient demandées à
chacun pour participer aux frais d’éclairage. Le joueur malchanceux
pouvait ne pas avoir gagné assez d’argent pour payer sa part de chandelle.
« AGRIPPINE
Arrêtez, Néron ! j’ai deux mots à vous dire.
Britannicus est mort : je reconnais les coups ;
Je connais l’assassin.
NÉRON
Et qui, madame ?
AGRIPPINE
Vous. »
19. (Ne pas) avoir les deux pieds dans le même sabot
Les militaires sont rompus à ces exercices, qu’ils exécutent quand ils
sont de revue ou à l’occasion de prises d’armes. La présentation de l’arme
comme son repos s’effectuent bien en deux temps, le fusil étant amené au
niveau de la ceinture, puis à celui de l’épaule et, pour le repos, vice versa.
Quid des trois mouvements ? Ne faut-il y voir qu’une redondance visant à
renforcer l’idée de rapidité déjà contenue dans les deux temps ? S’agirait-il
plutôt du nombre de gestes nécessaires pour exécuter l’ordre ?
Dans le chapitre « Maniement de l’arme », le Règlement concernant
l’exercice et les manœuvres de l’infanterie publié en 1809 précise bien le
nombre de temps et de mouvements liés à l’exécution de chaque
commandement : un temps et deux mouvements pour les uns, un temps et
trois mouvements pour les autres, jamais cependant deux temps et trois
mouvements. L’expression serait-elle donc d’abord une moquerie du
langage employé par l’homme des casernes ? Pour certains, elle serait
plutôt liée au vocabulaire de l’escrime. En tout cas, elle s’applique
aujourd’hui à une action très rapide, réalisée en un rien de temps, à l’image
des ordres militaires dont l’exécution ne souffre ni délai ni approximation.
Un pioupiou se fourvoie-t-il dans l’une des étapes qu’il lui faut revenir au
temps précédent sous l’œil noir de son adjudant courroucé. C’est là
l’origine probable de l’exclamation au temps pour moi ! par laquelle le
distrait ou le maladroit reconnaît son erreur.
« Le rédacteur : Et le sous-chef ?
Le vérificateur : Pour celui-là, c’est la cinquième roue du carosse
(sic).
Le commis d’ordre : Il ne fait rien, et s’imagine tout faire.
Le rédacteur : C’est presqu’un (sic)chef de bureau. »
« Il semble que, comme les yeux ont été conçus pour l’astronomie,
les oreilles l’ont été pour les mouvements harmoniques, et que ces
deux sciences, l’astronomie et la musique, sont sœurs, comme
disent les Pythagoriciens. » (Platon, La République, VII, 530d*.)
* Esnault (1965) nous rappelle, par exemple, que 28-4 était « la pointure
militaire la plus courante », d’où l’expression vingt-huit-quatre désignant
un « soulier ». Alors, de 28-4 à 30-1…
TRENTE-SIX
84. Voir trente-six chandelles
La locution évoque images de bandes dessinées et séquences de dessins
animés où des guirlandes de chandelles tourbillonnantes entourent la tête du
personnage qui vient de recevoir un choc violent « sur la tronche » ou « en
pleine poire », à condition que la B.D. ou le film soit français, car, dans
d’autres pays, on voit plutôt des étoiles (cf. l’anglais to see stars et l’italien
vedere le stelle). Pour les plus vieux, elle remémore les « 36 chandelles » de
Jean Nohain, émission de variétés diffusée sur l’unique chaîne de l’ORTF
de 1953 à 1959.
Les chandelles de notre expression sont ces points lumineux (Littré
parle de « lueurs phosphorescentes ») qui éblouissent, juste avant la perte
de connaissance, celui qui est sonné, assommé (étymologiquement « mis en
sommeil »), bref, groggy ou carrément K.-O. (knocked out), pour reprendre
deux anglicismes en usage chez les boxeurs.
Le Dictionnaire de l’Académie françoise (édition de 1694) propose
cette définition : « On dit, d’un homme qui a eu un grand éblouissement
d’yeux causé par un coup, un heurt, une cheute, qu’il a veu des chandelles,
mille chandelles. » Ainsi, dans L’Intrigue des filous (1648), comédie de
Claude de L’Estoile (1602-1652) : « Ha ! Dieu ! quel coup de poing ! je voy
mille chandelles. Au voleur ! » Dans le Roman comique (1651-1657) de
Paul Scarron, le nombre est centuplé : « […] l’hôtesse reçut un coup de
poing dans son petit œil qui lui fit voir cent mille chandelles (c’est un
nombre certain pour un incertain) et la mit hors de combat ».
e
La locution ne semble pas intégrer le nombre trente-six avant le XVIII
siècle. Elle apparaît ainsi sous la plume de Camille Desmoulins dans son
journal Le Vieux Cordelier (1793-1794) : « J’avoue que ce soufflet m’a fait
voir trente-six chandelles, et que je me frotte encore les yeux. » (Grand
Discours justificatif de Camille Desmoulins aux Jacobins.) Il est vrai que
dans le langage familier trente-six symbolise souvent, par le biais d’une
synecdoque, un grand nombre (faire trente-six ou trente-six mille choses à
la fois, il n’y a pas trente-six possibilités, être au trente-sixième dessous,
etc.). Somme des quatre premiers pairs et des quatre premiers impairs (mais
aussi somme des cubes des trois premiers nombres), trente-six fut baptisé «
grand quaternaire » par les pythagoriciens.
Ces chansons enfantines nous rappellent que l’alouette des champs est
appréciée pour sa chair*. D’ailleurs, quand elle est grasse et bonne à
manger, on l’appelle « mauviette », le pâté d’alouettes, spécialité de
Pithiviers, étant aussi nommé « pâté de mauviettes ».
La chasse aux alouettes est aujourd’hui strictement réglementée,
notamment celle qui, dans le Sud-Ouest, se pratique du 1er au 30 octobre à
l’aide de filets horizontaux appelés « pantes ». Autrefois, on utilisait aussi
un piège constitué d’un pieu en buis fiché dans le sol et surmonté d’un objet
en bois, généralement en forme de chapeau de gendarme, incrusté de petits
morceaux de miroir. Grâce à un système de bobine et de pivot, l’engin
tournait sur lui-même et attirait les alouettes. Ce leurre fut tout
naturellement baptisé « miroir aux alouettes ». Son usage est aujourd’hui
prohibé mais son nom désigne toujours, au figuré, ce par quoi on est attiré,
séduit et trompé : une ruse, un traquenard bien plus subtil, en somme, qu’un
banal attrape-nigauds. Ainsi de toute publicité mensongère vantant de
pseudo-merveilles, des loteries frauduleuses, des arnaques commerciales,
touristiques, médicales, sociales, politiques, bref, tout les marchés de dupes
où l’on s’est laissé « pigeonner » par ce qui se révèle n’être que poudre de
perlimpinpin, orviétan, mystification ou autre abus de confiance.
On trouve, en allemand, un autre « miroir aux oiseaux », précisément,
un « miroir aux chouettes », littéralement Eulenspiegel, de Eulen, «
chouettes » et Spiegel, « miroir » : c’est le patronyme du héros
humoristique et malicieux de maintes, légendes germaniques, dont le
prénom est Till, avec toutefois de nombreuses variantes orthographiques.
Les facéties de Till Eulenspiegel furent regroupées en un roman dont la
traduction française donna successivement Till Ulespiègle et Till l’Espiègle,
à l’origine de notre adjectif « espiègle » et du nom commun « espièglerie ».
* Estimée des gourmets, elle se retrouve dans plusieurs recettes culinaires
dont les « alouettes rôties », phase ultime de tout un long processus : après
avoir chassé le gibier, il faut le plumer, lui écorcher la tête, le flamber, le
barder de lard, l’embrocher, le faire rôtir, le saupoudrer de mie de pain et de
sel, l’accommoder d’une sauce et… le manger ; d’où l’expression attendre
que les alouettes tombent toutes rôties dans la bouche (ou le bec)
caractérisant celui qui, partisan du moindre effort, attend que tout arrive
sans rien faire.
Ce coup de pied de l’âne n’est que suggéré par La Fontaine mais bien
explicité par Phèdre : « Comme il voyait que le fauve pouvait être
impunément outragé, l’âne lui frappa la tête à coups de pieds. »
L’expression prit très rapidement son sens figuré : le coup de pied de
l’âne est le coup bas, l’insulte, toute action hostile que le lâche fait à celui
dont il n’a plus à redouter la puissance. Les exemples sont légion dans le
domaine politique. Dans son Dictionnaire de la conversation et de la
lecture (1853), le journaliste français William Duckett (1805-1873) illustre
l’expression en accusant certains pamphlétaires : « Napoléon, attaqué après
sa chute par tant de lâches folliculaires, la France en butte en 1815 et même
depuis aux insolences de puissances du dernier ordre, ont bien aussi reçu le
coup de pied de l’âne. »
Bien que le coup de pied de l’âne soit, sans conteste, une vraie…
vacherie, on ne doit pourtant pas le confondre avec le coup de pied en
vache, méchanceté qui se caractérise, au figuré, par sa traîtrise ; il s’agit, au
sens propre, du coup de pied de côté que lance parfois le ruminant, comme,
d’ailleurs, les chevaux ou les boxeurs, ainsi que le précise Théophile
Gautier : « La jument ruait d’une seule jambe, lançant de côté ce que les
maîtres de chausson et de boxe appellent le coup de pied en vache, coup
extrêmement perfide et dangereux. » (Cité par Larousse dans son Grand
dictionnaire universel.)
* Livre I, fable XXI : Leo senex, aper, taurus et asinus (Le Vieux Lion, le
sanglier, le taureau et l’âne).
Dans sa chanson Les Bigotes (1963), Jacques Brel fait une acerbe
description des grenouilles de bénitier, sans jamais citer l’expression. Son
titre en est pourtant l’exact équivalent. À force de se signer en trempant
leurs doigts dans la vasque d’eau rituelle, les bigotes se changeraient-elles
en batraciens toujours prêts à plonger dans leur mare ? C’est du moins
l’image suscitée, à laquelle s’ajoutent les connotations du verbe grenouiller,
« se prêter à des intrigues douteuses, des commérages, des cancans ». On
pense au culte fantaisiste de sainte Caquette ; on pense aussi aux célèbres
vers de Jacques Prévert : « Ceux qui croient, Ceux qui croient croire Ceux
qui croa-croa » (Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France
in Paroles, 1949), où le croassement des corbeaux prêtres n’est pas très
éloigné du coassement de nos grenouilles bigotes.
Une expression synonyme emprunte aussi à la zoologie : punaises de
sacristie, car nos dévotes dames sont aussi, par les méchantes langues,
assimilées à ces hétéroptères aplatis qui pouvaient pulluler dans les annexes
ecclésiales au milieu des habits sacerdotaux et des registres paroissiaux (un
cafard désignait aussi autrefois un dévot).
Grenouilles de bénitier, punaises de sacristie, bigotes et bigots, culs-
bénits, calotins et bondieusards appartiennent à ce lexique satirique qui est
du pain bénit pour tous les anticléricaux.
* La grive est recherchée pour sa chair délicate. Furetière (1690) nous dit
d’ailleurs que l’oiseau « est bon à manger à la saison des vendanges, parce
qu’il s’enyvre de raisins ». Si la grive se fait rare, on se contente alors de
merles, beaucoup moins savoureux, d’où le proverbe, faute de grives, on
mange des merles qui veut dire, au figuré, « si l’on n’obtient pas ce que l’on
désire, on doit se satisfaire de ce que l’on a ».
158. Faire le pied de grue
« Mais tous les jours gruer soubz l’asseurance, / Que cette fiebure aura
sa guérison […] » (Maurice Scève, Délie, XCIX, 1544).
Ce verbe gruer, « attendre », fut-il dérivé du nom de l’oiseau ? Toujours
est-il que l’on trouve aussi au XVIe siècle, avec ce même sens, faire de la
grue, notamment chez Bonaventure Des Périers : « Madame, votre
prisonnier, Il fait encor là de la grue […] » (À la reine de Navarre in
Épigrammes, 1544) et faire la jambe de grue : « Mais avez-vous proposé de
faire icy longtemps la jambe de grue ? » (Odet de Tournebeuf, Les Contens,
acte I, scène III, 1584, in Ancien théâtre françois.) L’expression est
e
remplacée au XVII par faire le pied de grue*. La grue se tient souvent
immobile sur une seule patte, ce qui explique que l’expression soit devenue
un équivalent populaire d’« attendre ». C’est aussi parce que les dames de
petite vertu attendent le client en « faisant le trottoir » que le mot « grue » a
désigné une prostituée dès le XVe siècle.
Cette méthode semble aussi ancestrale que radicale. Elle est à l’origine
de l’expression coup du lapin qui désigne d’abord, par comparaison, le
coup souvent mortel porté sur la nuque (les vertèbres cervicales) d’un
individu, puis, au figuré, tout acte de traîtrise. Le coup du lapin a connu une
nouvelle vie au XXe siècle par le biais des affections traumatiques liées aux
accidents de la route quand, à la suite d’un choc par l’arrière, la tête du
conducteur ou d’un passager, en l’absence d’appuie-tête, est violemment
projetée vers l’avant puis vers l’arrière.
Ce coup du lapin-là n’a rien à voir avec celui que mentionnait Henri
Rochefort dans son journal La Lanterne : « Je vieillis. J’ai au point de vue
politique ce que les femmes appellent si spirituellement “le coup du lapin”.
» (Numéro 43 du 20 mars 1869.)
Ce même sens est attesté chez Delvau (1866) qui précise que c’est un
coup très féroce « que la nature vous donne vers la cinquantième année, à
l’époque de l’âge critique. »
Recevoir le coup du lapin, c’est, toujours pour Delvau, « vieillir
subitement du soir au lendemain. Se réveiller avec des rides et des cheveux
blancs. » Ce même Delvau nomme aussi coup du lapin celui qui « consiste
à saisir son adversaire, d’une main par les testicules, de l’autre par la gorge
et à tirer dans les deux sens ».
Virmaître (1894) enfin donne cette autre définition : « Achever son
adversaire, lui donner le coup suprême. Le bourreau donne le coup du lapin
au condamné à mort (argot des voleurs). »
Tel était, dans l’argot du peuple, l’un des nombreux sens de lapin. Ces
passagers particuliers, empruntant à l’origine le trajet Paris-Versailles
(Esnault précise que cet emploi de lapin est attesté en 1793), payaient
moins cher, voire voyageaient gratuitement. Du lexique des messageries, le
terme est passé à celui des chemins de fer pour qualifier une personne
voyageant sans billet (1885) ainsi qu’à celui de la prostitution où l’on disait
d’un client qui partait sans payer après avoir bénéficié des faveurs d’une
fille : il lui a posé un lapin. Selon Arnold Mortier (Les Soirées parisiennes,
1882), « Guerre aux lapins ! » était la devise que Blanche d’Antigny (1842-
1874), actrice et demi-mondaine, inscrivait sur son papier à lettres.
Virmaître (1894) nous en dit plus : « Poser un lapin : promettre cinq louis à
une fille, ne pas lui donner […] » et aussi, « Faire attendre quelqu’un dans
la rue par dix degrés de froid (argot des filles). » L’expression poser un
lapin s’est vite généralisée pour signifier toute absence volontaire à un
rendez-vous. Elle s’est peut-être forgée sous l’influence de l’argotique faire
poser, « mystifier », « faire attendre » (chez Lorédan Larchey, 1861 et
Delvau, 1866).
Tel est le projet du page dans Tyr et Sidon (acte IV, scène X), tragi-
comédie que Jean de Schélandre (1584-1635) écrivit en 1608, projet
érotique puisque danser le branle* du loup est une manière déguisée de dire
« faire l’amour ». Ce branle du loup se nommait aussi, de façon plus
imagée, le branle de un dedans et deux dehors : « Je croy que tu ne te ferois
point prier de danser le branle de un dedans et deux dehors. » (Odet de
Tournebeuf, Les Contens, acte III, scène IV, 1584, in Ancien théâtre
françois.)
Ces locutions ne laissent guère de doute sur la métaphore sexuelle
assimilant le loup au membre viril, métaphore peut-être suggérée par
l’interprétation équivoque que l’on a pu faire d’un autre proverbe existant
au moins depuis le XIVe siècle : Quand on parle du loup, on en voit la
queue. Dire d’une jeune fille qu’elle a vu le loup, c’est donc prétendre
qu’elle n’est plus vierge, ce que Le Roux (1735) exprime de façon aussi
délicate que savoureuse : « […] lorsqu’on parle d’une fille, cette manière de
parler signifie avoir de l’expérience en amour, avoir eu des galanteries &
des intrigues dans lesquelles l’honneur a reçu quelque échec ». Ce même Le
Roux nous précise qu’avoir vu le loup s’emploie « pour avoir de
l’expérience […] et se dit d’une personne qui a voyagé, vu du pays ou été à
la guerre […] ».
* Si Lyncée avait une vue perçante, Argos était, lui, doté de cent yeux, ce
qui a donné notre « argus ».
* Adonis est issu d’une racine hébraïque, Adonî, « mon seigneur », dont la
forme emphatique, Adonaï, est, dans le judaïsme, l’un des noms du Dieu de
la Bible, à l’instar de Yahvé et Elohim.
« Ô, la belle simphonie !
Qu’elle est douce, qu’elle a d’appas !
Meslons y la mélodie
Des chiens, des chats,
Et des rossignols d’Arcadie.
Caou, caou, caou.
Houpf, houpf, houpf.
Miaou, miaou, miaou.
Oua, oua, oua.
Hin han, hin han, hin han.
O, le joli concert, et la belle harmonie. »
(Molière-Charpentier, Ouverture de la comtesse d’Escarbagnas in
Le Mariage forcé, 1672.)
* Il jouait le même rôle sur les places où s’exécutaient les peines capitales
et que l’on appelait, pour cette raison, « places de grève » (du gaulois
graua, « sable, gravier »).
* Delvau, dans son Dictionnaire de la langue verte (1866), nous précise que
bacchanal (nom masculin) fut synonyme de « tapage, vacarme fait le plus
souvent dans les cabarets ».
*Si l’on sait que Jules César fut bien « préteur », c’est-à-dire magistrat
judiciaire, rien n’indique toutefois qu’il fût « prêteur » au sens où il aurait
accepté de prêter ce qu’il possédait ; voir infra.
Molière nous dit à peu près la même chose dans son Tartuffe :
248. Eurêka !
er
L’histoire nous est rapportée au I siècle av. J.-C. par l’architecte et
ingénieur militaire Vitruve (Marcus Vitruvius Pollio) au livre IX, chapitre I,
de son traité De Architectura. Hiéron II le Jeune, roi de Syracuse de 265 à
215 av. J.-C., avait quelque doute sur l’honnêteté de l’orfèvre qui lui avait
confectionné sa couronne. Il aurait alors demandé à son parent Archimède
(Arkimêdês, en grec), le célèbre physicien et mathématicien, de vérifier si
cette couronne était bien en or massif. Archimède fut d’abord embarrassé.
Le royal ornement était en effet bien trop tarabiscoté pour que le volume en
soit calculé, mesure indispensable puisque, comparée à la masse, elle
permettait de déterminer la composition de la couronne : or pur ou mélange.
La légende nous dit que le savant grec eut la révélation alors qu’il se
trouvait au bain public, révélation qui devait conduire à l’énoncé du fameux
principe baptisé « poussée d’Archimède » : « Tout corps plongé dans un
liquide subit, de la part de celui-ci, une poussée exercée du bas vers le haut
et égale, en intensité, au poids du volume de liquide déplacé » : comparer la
masse d’or déplaçant le même volume d’eau que la couronne devenait un
jeu d’enfant ! La joie d’Archimède fut grande puisque, selon Vitruve, il
sortit nu dans la rue où il se mit à courir en criant « Eurêka ! Eurêka ! »,
c’est-à-dire : « J’ai trouvé ! J’ai trouvé ! »
L’anecdote est-elle digne de foi ? On peut en douter mais la paternité de
la découverte n’est pas contestable : elle est attribuée, comme bien d’autres
trouvailles scientifiques, au génial Archimède. Au même titre que le
théorème de Pythagore, celui de Thalès, la loi d’Ohm, le volume de la
sphère où la formule d’Einstein, le principe d’Archimède a fait cogiter plus
d’une génération d’écoliers. Quant à l’exclamation Eurêka, qu’elle ait ou
non été lancée par le savant, elle est devenue le symbole de l’idée soudaine,
aussi ingénieuse que fortuite, celle qui illumine l’esprit après un plus ou
moins long pétrissage de matière grise, elle est le cri du génie victorieux.
Héra
Junon Épouse de Zeus, déesse du Mariage
Poséidon
Neptune Mers et Océans
Artémis
Diane
Lune et Chasse
Arès
Mars
Guerre
Aphrodite Vénus Amour et Fécondité
Hermès
Mercure Attributions multiples (voir supra,
Une pensée hermétique)
Athéna
Minerve Guerre, Raison
Héphaïstos
Vulcain Feu, Métaux
Hestia
Vesta
Foyer
* Selon une autre légende, l’invention de l’aulos, flûte à deux tuyaux, serait
due à un autre Satyre célèbre, Marsyas.
** Syrinx désigne aussi, par analogie, le larynx inférieur des oiseaux, grâce
auquel ils émettent leurs vocalises.
siècle parmi ceux qui se targuaient d’écrire dans une langue élégante et
poétique. Le Génie de la langue française ou dictionnaire du langage choisi
de Goyer-Linguet (1846) donne « Errant sur les rivages du Styx » et «
Chère ombre sur les rives du Styx » et « Ombre privée de la sépulture,
errante sur les rives du Styx » comme exemples de langage raffiné. Ces
rivages sont nécessairement « mystérieux sombres, ténébreux », puisqu’ils
mènent au « royaume des morts ».
Sur ce ténébreux rivage, donc, erraient pendant cent ans les ombres de
ceux qui n’avaient pas, sur Terre, reçu de sépulture. À l’issue de ce siècle
d’abandon, les pauvres âmes étaient enfin autorisées à passer dans la barque
de Caron pour aller aux Enfers. Cette croyance antique en une errance des
morts a donné… naissance au mythe d’Antigone ; la fille d’Œdipe et de
Jocaste ne peut admettre en effet que les honneurs funéraires soient refusés
à son frère Polynice, tué par Étéocle devant les murs de Thèbes : « Créon
n’a-t-il pas décrété les honneurs de la sépulture pour l’un de nos frères, en
les refusant indignement à l’autre ? » (Sophocle, Antigone, 21-22,
traduction de Leconte de Lisle.)
Le Styx ou « rivière de la Haine » faisait partie, avec l’Achéron, le
Cocyte, le Phlégéton et le Léthé, du complexe réseau hydrographique
arrosant le domaine d’Hadès.
* Dans une autre version, Tantale est puni en étant attaché sous un énorme
rocher qui menace, en permanence, de s’écraser.
e
* Le premier à s’aventurer plus loin fut, au V siècle, Hannon, navigateur
phénicien : il longea les côtes africaines jusqu’au fond du golfe de Guinée.
EXHORTATION À L’EXEMPLARITÉ OU
ICONOLÂTRIE ?
Avec les martyres des évêques Ignace d’Antioche, livré aux fauves en
107 sous le règne de l’empereur Trajan, et Polycarpe, livré aux flammes en
155 sous Marc Aurèle, commença le culte des saints et de leurs reliques.
Rassemblés comme autant de biens précieux, les restes de leur corps furent,
pour l’un emmenés à Antioche, pour l’autre conservés à Smyrne. Toutes les
Églises reçurent le compte rendu de leur martyre et les chrétiens prirent
l’habitude de se réunir là où leurs reliques avaient été déposées. Leur vie, à
l’imitation de celle du Christ, fut donnée en exemple et chacun fut à son
tour exhorté à imiter leurs vertus et à perpétuer leur souvenir. Ainsi
s’instaura la communion des saints.
À une époque où le rituel officiel de la sanctification n’existait pas
encore (il ne sera institué qu’au Xe siècle par le pape Jean XV), la ferveur du
peuple suffisait pour qu’un chrétien martyr fût sanctifié, sa sainteté n’étant
qu’occasionnellement confirmée par la hiérarchie ecclésiastique. Certains
Pères de l’Église refusèrent d’ailleurs de reconnaître le pouvoir
d’intercession des saints entre Dieu et les hommes. La croyance populaire
imposa pourtant sa force au dogme théologique et le culte des saints ne
cessa de s’amplifier pour atteindre une manière d’apogée à la fin du Moyen
Âge, chaque siècle béatifiant des centaines de nouveaux glorieux, promis à
une plus ou moins certaine canonisation.
La plupart de ces édifiantes vies de saints trouvèrent une sorte de
légitimation, à défaut d’authentification historique, dans des ouvrages,
souvent des apologies, écrits par des religieux, réguliers ou séculiers. La
plus célèbre de ces hagiographies est la Légende dorée (Legenda aurea) de
Jacques de Voragine (Iacopo da Varazze – v. 1230-1298) dominicain
archevêque de Gênes. Le titre latin de legenda doit y être pris au sens
étymologique de « ce qui doit être lu ». Le merveilleux y tient une place
essentielle. Des artistes peintres, sculpteurs et maîtres verriers, parmi les
plus grands, donneront visage, vêture, attitudes et attributs à tous ces élus,
non sans une certaine ingénuité. Il faudra attendre le XVIIe siècle pour que
les ouvrages hagiographiques se fassent plus critiques, avec notamment les
Acta sanctorum du jésuite belge Jean Bolland et de ses continuateurs
regroupés sous le nom de bollandistes.
La ferveur populaire, fondée sur des récits et des images, naïfs mais
prégnants, continuera pourtant de prévaloir et de glorifier ce que l’on a
appelé l’« Église triomphante ». Les innombrables dictons et proverbes
faisant allusion aux saints, en général ou associés au calendrier, sont autant
d’illustrations de ce culte dont les dérives folkloriques sont d’ailleurs
confirmées par les parodies qu’elles ont fait naître.
13 février (N.C.)
Plusieurs Béatrice ont été canonisées. La nôtre, dont la fête est fixée au
13 février, est Béatrice (Beatrix) d’Ornacieux qui prit le nom du village
dauphinois où elle naquit, en Isère, près de La Côte-Saint-André. Sa
vocation religieuse fut précoce puisque à l’âge de treize ans elle entra à la
chartreuse de Notre-Dame de Parménie, en Isère. Dans la Drôme, près de
Romans, elle fonda le monastère d’Eymeux. Elle y mourut le 25 novembre
1303, dans le plus total dénuement, après avoir connu de nombreuses
expériences mystiques alternant extases et persécutions démoniaques. Elle
fut béatifiée en 1869.
Six semaines mouillées : s’il pleut à la Sainte-Béatrice, il pleuvra donc
jusqu’au 27 mars, soit quarante-deux jours, plus que le Déluge en somme et
c’est sans doute mieux ainsi puisque la pluie de cette période est bénéfique
aux récoltes, comme nous le disent deux autres proverbes : « Pluie de
février emplit les greniers » ou encore, « Pluie de février vaut un fumier. »
Sainte Béatrice doit donc en être remerciée, elle dont le nom vient du latin
beatus, « bienheureuse, bénie » et dont la fête tombe, n’en déplaise aux
superstitieux, un 13 février, nombre fatidique depuis l’épisode biblique de
la Cène et de ses treize convives, précédant la trahison de Judas et la mort
de Jésus.
25 juillet
Son nom grec, Khristophoros, nous dit qu’il a porté le Christ. Racontée
par Jacques de Voragine (v. 1228-1298), comme celle de 179 autres martyrs
chrétiens, dans la Légende dorée, la vie du géant saint Christophe comporte
le célèbre épisode à l’origine de sa conversion. Portant un petit enfant pour
lui faire traverser une rivière, Christophe, malgré sa taille et sa corpulence,
faillit périr tant le poids qu’il avait sur les épaules était devenu considérable.
Il déclara avoir eu l’impression de porter le monde sur ses épaules. L’enfant
lui dit alors : « Tu n’as pas eu seulement tout le monde sur toi, mais tu as
porté sur les épaules celui qui a créé le monde : car je suis le Christ ton
roi… »
L’épisode qui appartient à la Tradition mais n’apparaît pas dans les
Évangiles explique que le saint soit devenu le protecteur de tous ceux qui
voyagent (voir 379, Si tu as vu saint Christophe, tu ne crains aucune
catastrophe). Saint Christophe mourut en martyr vers 250. Il est fêté le 25
juillet, jour qui, s’il est fortement pluvieux, peut avoir des conséquences
évidemment désastreuses pour les récoltes. Ne dit-on pas aussi qu’ « à la
Sainte-Christine (donc la veille), les blés perdent leurs racines » ? Cette
crainte d’une pluie violente et destructrice le jour de sa fête explique sans
doute que l’on invoque parfois saint Christophe contre les orages et la grêle.
9 octobre
Denis fait partie, avec Clair (de Beauvaisis), Juste (de Beauvais),
Nicaise (de Reims) et quelques autres, des saints « céphalophores », c’est-à-
dire des martyrs qui, décapités, ont porté leur tête entre leurs mains.
Il fut, au IIIe siècle, le premier évêque de Paris. Venu d’Italie avec six
autres missionnaires pour évangéliser la Gaule, saint Denis effectua de
nombreuses conversions dans la région de Lutèce, future Paris. Il s’y fixa
avec deux compagnons : le prêtre Rustique et le diacre Éleuthère. En ce
temps-là, l’empereur romain Dèce avait entrepris une systématique
persécution des chrétiens. À l’endroit qui deviendra Montmartre, c’est-à-
dire, « Mont des martyrs » (en latin Mons Martyrum), les trois
missionnaires furent arrêtés et décapités vers 250. Denis alors se releva, prit
sa tête entre ses mains et marcha jusqu’à Catolacus où il s’effondra. Son
corps fut jeté dans la Seine. Des chrétiens le repêchèrent et l’inhumèrent à
Catolacus, près du lieu où, quelque deux cents ans plus tard, sainte
Geneviève, patronne de Paris, fera édifier une église. Les reliques de saint
Denis y seront déposées vers 630. Catolacus sera rebaptisé Saint-Denis et
l’église deviendra la basilique où sont inhumés les rois de France.
Par un curieux hasard, un département, la Seine-Saint-Denis, associe
désormais le nom de l’évêque martyr à celui du fleuve où son corps fut jeté.
Il est non moins étrange que le 9 octobre, s’il est pluvieux, annonce des
débordements de ce même fleuve. Un autre dicton prédit d’ailleurs cette
abondance des eaux : « S’il pleut le jour de Saint-Denis, tout l’hiver aurez
de la pluie. » En ce qui concerne la Seine, pluies torrentielles et crues
hivernales subséquentes se sont vérifiées à maintes reprises. Certaines ont
détruit des ponts, submergé des villages et des quartiers de la capitale, noyé
des Parisiens. Il serait intéressant de vérifier si, ces années-là, il plut à la
Saint-Denis.
Peut-on au moins, s’il fait beau le 9 octobre, espérer un hiver plus
clément ? Pas si sûr ! Car voici ce que dit un troisième proverbe : « Beau
temps à la Saint-Denis, hiver pourri ! » Les prédictions sont contradictoires
: saint Denis aurait-il donc perdu la tête ?
22 juillet
8 juin
On dit aussi, « à moins que saint Barnabé ne lui coupe (l’herbe sous) le
pied » ou « ne lui donne un coup de pied » ou « ne vienne l’arrêter » ou «
ne vienne lui couper le nez » ou « n’arrête le robinet ».
Ce dicton, célèbre entre tous et de caractère universel, les Frères
Jacques en ont donné une version argotique :
« Quand il pleut le jour de la Saint-Médard
Pendant quarante jours faut prendre son riflard. »
29 août
Il est vrai qu’une petite pluie le 29 août, fête de sainte Sabine, quelques
jours après l’écrasante canicule, est une véritable bénédiction, tant pour les
hommes que pour les animaux et les plantes.
Sabine, native de Vindena, prit le nom de la province dont elle était
originaire, Sabina, ancienne région italienne (aujourd’hui en Ombrie),
connue pour les jeunes filles que les Romains de Romulus firent enlever au
cours d’un fameux épisode mythologique immortalisé par les tableaux de
Cortona, Poussin et David.
La légende de sainte Sabine ou Savine nous est rapportée dans un texte
anonyme du VIe siècle : la Passio Serapiae et Sabinae. Sabine aurait été
convertie au christianisme par Serapia, son esclave venue de Syrie.
Dénoncée et exécutée sous le règne de l’empereur Hadrien, entre 117 et
138, Serapia fut ensevelie par Sabine elle-même qui, à son tour, fut
martyrisée. Les restes de sainte Sabine furent transportés à Rome. Le prêtre
Pierre d’Illyrie lui fit élever une basilique sur la colline de l’Aventin entre
422 et 432.
Il existe toutefois d’autres « vies de sainte Sabine » dont celle relatée
par Jacques de Voragine dans sa Légende dorée. Savine, sœur de Savinien,
y appartient à une noble famille de Samos. Partie à la recherche de son frère
à Troyes, Savine arrive dans la cité des Tricasses pour apprendre qu’il vient
d’être atrocement martyrisé. Alors, Savine défaille et meurt. Cela se passe
au IIIe siècle, sous le règne de l’empereur Aurélien. Quatre siècles plus tard,
en mémoire de la sainte, l’évêque de Troyes fit élever un oratoire autour
duquel s’édifia le village de Sainte-Savine.
Sabine de Vindena ? Sabine de Samos ? À laquelle devons-nous parfois
la grâce divine d’une pluie bienfaisante au plus fort de l’été ?
23 mars
Parmi les fléaux les plus redoutés, le gel, si souvent cité dans les dictons
populaires, tient la première place. Les gelées d’hiver sont moins à craindre
que celles de printemps ou d’automne puisque alors, la végétation est au
repos mais encore faut-il que la baisse des températures demeure limitée.
Ce dicton nous parle de deux dates entre lesquelles il peut geler de plus en
plus durement, à pierre fendre : le 24 décembre, jour de la Sainte-Adèle et
le 22 janvier, jour de la Saint-Vincent.
Adèle (v. 675-735) était la fille de Dagobert II d’Austrasie donc
l’arrière-petite-fille de Dagobert Ier, roi des Francs. Disciple de saint
Boniface, l’apôtre de Germanie, elle fonda le monastère de Pfalzel, près de
Trèves (Trier) et en fut la première abbesse. Elle y éduqua son petit-fils,
futur saint Grégoire d’Utrecht. Le nom « Adèle » vient du germanique Adel,
« noblesse ».
L’Église reconnaît plusieurs saint Vincent. Celui dont la fête tombe le
22 janvier est saint Vincent de Saragosse qui mourut torturé par Dacien,
proconsul d’Espagne, sous le règne de Dioclétien (284-305). D’Espagne,
vers 543, Childebert Ier ramena à Paris une croix d’or et la tunique de saint
Vincent. Pour les honorer, il fit construire une abbaye nommée Sainte-
Croix-Saint-Vincent, devenue par la suite Saint-Germain-des-Prés. Saint
Vincent a été élu patron des vignerons, sans doute à la suite d’un jeu de
mots sur la première syllabe de son nom, « vin- », nom qui est issu du latin
vincere, « vaincre ». Saint Vincent est cité dans plusieurs dictons
météorologiques, le jour de sa fête se situant à une période cruciale de
l’hiver où le froid peut battre en retraite, permettant à la vigne de bientôt
redémarrer sa croissance, si le gel n’en a pas détruit les bourgeons dormants
: ne dit-on pas aussi qu’« à la Saint-Vincent, la sève monte dans les
sarments » ou « à la Saint-Vincent, clair et beau, autant de vin que d’eau »
ou encore « à la Saint-Vincent, claire journée vous annonce bonne année »
ou enfin « à la Saint-Vincent cesse la pluie et vient le vent » ?
21 janvier
Sainte Agnès est fêtée le 21 janvier, à une période où l’on peut observer
un tournant de l’hiver. En effet, le froid peut alors soit déposer les armes,
soit reprendre de plus belle. Ce possible changement de temps est confirmé
par les proverbes relatifs au lendemain, 22 janvier, jour de la Saint-Vincent
(voir supra) et à la veille, 20 janvier, jour de la Saint-Sébastien où, dit-on, «
l’hiver reprend ou se casse les dents ». Un peu plus tard, le 25 janvier, jour
de la conversion de saint Paul, on prétend aussi que « l’hiver se rompt le col
». Le dicton de la Sainte-Agnès nous indique toutefois qu’à cette étape de
janvier l’hiver est, hélas, plus souvent victorieux que vaincu.
e
Sainte Agnès, vierge et martyre sous Dioclétien, au tout début du IV
siècle, est parfois associée à saint Pancrace qui subit le martyre à la même
époque et au même âge (voir 344, Sont bien nommés les saints de glace
Mamert, Gervais et Pancrace). Son panégyrique a été écrit par plusieurs
auteurs dont Jacques de Voragine (Légende dorée) et saint Ambroise,
évêque de Milan (De Virginibus). Dès l’âge de dix ans, Agnès se consacra
au Christ. Deux ans plus tard, ayant repoussé les avances d’un jeune
homme, fils du préfet de Rome, elle fut enfermée dans un lieu de
prostitution qui, miraculeusement, devint lieu de prière. Condamnée à être
brûlée vive, le feu l’épargna mais fit périr le peuple qui assistait au
châtiment. Alors, le préfet de Rome ordonna qu’on lui tranche la gorge.
Sainte Agnès, dont le nom est issu du grec hagnos, « chaste, pur », est
la protectrice des vierges. Elle est aussi la patronne des fiancées et des
jardiniers, la virginité étant symbolisée par le « jardin clos » du Cantique
des cantiques. Une tradition s’est instaurée le jour de la Sainte-Agnès : le
pape bénit les agneaux dont la laine sert à confectionner le manteau
(pallium) des archevêques. En effet, une autre étymologie rapproche le nom
d’Agnès du latin agnus, « agneau », car la sainte, douce comme un agneau,
a aussi offert sa vie à l’image de l’agneau de Dieu.
Notons que c’est le jour de la Sainte-Agnès que Louis XVI fut décapité,
le 21 janvier 1793 à 10 h 20. Un hiver progressa-t-il ce jour-là ?
7 février
4 octobre
29 janvier (N.C.)
e
Gildas est né en Écosse (Dumbarton) à la fin du V siècle et mort en
Bretagne (île de Houat) en 570. Surnommé sapiens (« le Sage »), il prêcha
le christianisme en Irlande et dans le nord de l’Angleterre avant de se retirer
en Bretagne dans une caverne de l’île de Houat. Il s’installa ensuite sur la
presqu’île de Rhuys où, transformant un château légué par le comte
Guérech, il fonda le monastère de Rhuys, aujourd’hui Saint-Gildas-de-
Rhuys. Le nom de saint Gildas est bien représenté en Bretagne puisqu’on
trouve, outre Saint-Gildas-de-Rhuys et Saint-Gildas-des-Bois en Loire-
Atlantique, une île Saint-Gildas dans les Côtes-d’Armor.
Saint Gildas est fêté le 29 janvier, en plein cœur de l’hiver. Si l’hiver ne
s’est pas « cassé les dents » le 20 janvier à la Saint-Sébatien, le 22 janvier à
la Saint-Vincent (voir 343) ou « rompu le col » le 25 à la conversion de
saint Paul (voir 341), il est probable que, selon les régions, la Saint-Gildas
soit en effet glaciale.
3 mars (N.C.)
27 février
25 juillet (N.C.)
Ce dicton, vraisemblablement auvergnat, fait référence à Jacques, fils de
Zébédée qui fut, avec son frère Jean, l’un des premiers disciples de Jésus.
On l’appela Jacques le Majeur pour éviter la confusion avec Jacques, fils
d’Alphée, dit le Juste ou le Mineur (fêté le 3 mai N.C.), qui fit aussi partie
des douze apôtres et que Matthieu identifie au frère de Jésus (XIII, 55).
Selon les Actes des Apôtres (XII, 2), saint Jacques le Majeur aurait été mis
à mort par Hérode Agrippa Ier à Jérusalem en 44. À la fin du VIIe siècle, la
Tradition fit de saint Jacques l’apôtre évangélisateur de l’Espagne. En effet,
son corps aurait miraculeusement voyagé de Jérusalem jusqu’en Galice. Les
restes du saint y auraient été découverts dans un champ, l’emplacement du
sépulcre ayant été indiqué par une étoile. Dès lors, des pèlerins vinrent
adorer les reliques à campus stellae (« champ de l’étoile »), le nom du lieu
se transformant progressivement en Compostela (Compostelle). La
cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle y fut érigée au XIIe siècle et
devint la destination d’un des plus importants pèlerinages de la chrétienté,
après Jérusalem et Rome.
Saint Jacques est invoqué comme faiseur de beau temps. Si l’on en croit
le dicton, il vaut mieux que l’invocation ne s’exauce pas le 25 juillet, jour
où l’on célèbre sa fête, ainsi que celle de saint Christophe.
15 janvier
Saint Maur est né à Rome vers 512. Son père, sénateur romain, le confia
à saint Benoît de Nursie. Il en devint le très fidèle disciple et suivit son
enseignement à l’abbaye de Subiaco puis à celle du Mont-Cassin. Vers 542,
il introduisit en Gaule la règle de son maître. On lui attribue la fondation de
l’abbaye de Glanfeuil sur la rive droite de la Loire, entre Angers et Saumur,
abbaye qui aurait donc été le premier monastère bénédictin de France. Saint
Maur y aurait accompli plusieurs miracles dont la guérison d’un enfant
boiteux, ce qui fit du saint le patron des estropiés. Il meurt le 15 janvier
583, à l’âge de 72 ans.
En 868, fuyant les envahisseurs vikings, les moines de Glanfeuil se
seraient refugiés à l’abbaye Saint-Pierre-du-Fossé, y emportant les reliques
de saint Maur et y établissant son culte. L’abbaye fut plus tard rebaptisée
Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne). Cette épithète « des fossés » (« du
fossé » ne faisait allusion qu’au relief pentu de la région) a suffi pour que
saint Maur devienne le patron des fossoyeurs. Il est aussi celui des
chaudronniers et des charbonniers, travailleurs dont la noirceur du visage et
des mains a été rapprochée de l’étymologie de « Maur », le latin Maurus, «
habitant noir de la Mauritanie ».
On célèbre donc saint Maur le 15 janvier, jour où un froid rigoureux est
de bon augure puisqu’il annonce un hiver court dont la moitié serait déjà
écoulée. La prédiction sera éventuellement renforcée neuf jours plus tard, à
la Saint-Sulpice car, comme on le dit dans le Rouergue et ailleurs, « s’il
gèle à la Saint-Sulpice, le printemps sera propice ».
25 janvier
19 octobre (N.C.)
Saint René, martyr, est fêté le 19 octobre. Le dicton qu’on lui associe,
sans doute lorrain, rappelle celui du 4 octobre (voir 333) qui prétend qu’« à
la Saint-François vient le premier froid ».
René Goupil (1608-1642) fit des études de chirurgie avant d’être novice
chez les Jésuites de Paris en 1639. Sa surdité l’ayant empêché de devenir
membre à part entière de la compagnie de Jésus, il décida d’assister les
missionnaires au Canada puis de suivre le père Isaac Jogues chez les
Hurons en 1642. Les deux hommes furent capturés cette même année et
torturés par les indiens iroquois. René Goupil fut tué d’un coup de
tomahawk porté à la tête. Isaac Jogues, après avoir été mutilé et réduit en
esclavage par les Indiens, réussit à s’échapper et à regagner la France. Au
cours d’une nouvelle mission chez les Iroquois, en 1646, il fut à son tour
tué d’un coup de tomahawk, scalpé et décapité. Le 29 juin 1930, Pie XI les
canonisa en même temps que six autres martyrs canadiens.
En 1951, sur la proposition du révérend Francis Przybylski, aumônier
de l’hôpital Saint-Francis de Milwaukee (Wisconsin), saint René Goupil est
devenu le patron des anesthésistes.
22 janvier
22 juin
28 août
24 août
L’apôtre Barthélemy (ou Bart(h)olomé) est assimilé à Nathanaël,
compagnon de Philippe, dont l’Évangile de Jean nous rapporte sa rencontre
avec Jésus en Galilée : « Jésus regarde Nathanaël qui venait à lui et il dit à
son propos : “Voici un véritable Israélite en qui il n’est point d’artifice.” »
(Jean, 1, 47.) L’apôtre Nathanaël/Barthélemy aurait évangélisé l’Inde puis
l’Arménie. Selon la Légende dorée de Jacques de Voragine, c’est en
Arménie qu’il aurait été écorché vif puis crucifié à la fin du Ier siècle. En
France, les guerres de Religion (1559-1598) ont indissociablement lié le
nom de saint Barthélemy au massacre de 3 000 protestants perpétré à Paris
à l’instigation de Catherine de Médicis. Ce sombre épisode de l’histoire eut
lieu en effet dans la nuit du 23 au 24 août 1572, date correspondant à la fête
de saint Barthélemy.
À la fin du premier chapitre de l’Évangile de Jean, Jésus s’adresse à
Philippe et Nathanaël en ces termes : « En vérité, en vérité, je vous le dis,
vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-
dessus du Fils de l’homme. » Jacques de Voragine nous dit aussi de
Barthélemy que « les anges voyagent avec lui ». Est-ce l’idée de ce ciel
d’ange(s) qui est repris dans le dicton du 24 août ? Toujours est-il qu’un
beau temps ce jour-là, où l’on peut aussi craindre de désastreux orages, est
promesse de bonnes récoltes. En revanche, « Pluie de Saint-Barthélemy, de
la vigne est l’ennemie ».
31 mars
Isdegerde (ou Jazdegerde) Ier fut roi des Perses de 399 à 420. Sous son
règne et sa protection, le christianisme put s’étendre dans son royaume mais
en 420, l’évêque Abdaas ayant eu l’imprudence de brûler un temple perse et
l’impudence de ne pas vouloir le reconstruire, Isdegerde décida de
persécuter les chrétiens, persécution qui fut poursuivie par ses successeurs.
C’est dans ce contexte que le jeune diacre Benjamin fut arrêté pour avoir
prêché le christianisme et torturé pour avoir refusé de renier sa foi. Il subit
l’horrible supplice des roseaux enfoncés sous les ongles et mourut empalé
en 424.
Saint Benjamin est célébré le 31 mars, jour où, selon le dicton, le
printemps doit s’installer pour de bon. Il faut remarquer que ce bon présage
est en harmonie avec l’étymologie même du nom Benjamin, de l’hébreu
Binyâmîn, « fils (bin) de la droite (yâmîn) », c’est-à-dire « Fils du bonheur
», la droite étant, dans la croyance des anciens, le côté favorable (bon
augure) alors que la gauche était le côté du mauvais augure (cf. le latin
sinistra qui a donné « senestre », main gauche, mais aussi « sinistre »).
11 août (N.C.)
Née dans une famille noble d’Assise (Assisi) en 1194, Chiara (Claire)
Offreduccio di Favarone aurait éloigné les Sarrasins de sa ville grâce à ses
prières. Elle rencontre saint François d’Assise en 1212 et souhaite partager
son idéal de pauvreté. Elle décide alors, contre la volonté de sa famille, de
se retirer du monde et, suivant l’exemple de saint François, fonde l’ordre
des Pauvres Dames ou Clarisses, dont la règle, particulièrement austère, est
approuvée en 1228 par le pape Grégoire IX et confirmée par Innocent IV en
1253. Claire meurt le 11 août de cette même année. Elle sera canonisée
deux ans plus tard. Ses restes seront déposés dans la chapelle San Giorgio
de la basilique Sainte-Claire d’Assise dont la construction débuta en 1260.
En 1958, elle est déclarée patronne de la télévision par le pape Pie XII,
après avoir été celle des brodeuses, doreuses, repasseuses, lavandières,
blanchisseuses et des maîtres verriers. Elle est aussi la sainte patronne des
aveugles et des ophtalmologistes, sans doute en raison de l’étymologie de
son nom, du latin clarus, clara, « clair, brillant, éclatant ».
Précisons que, jusqu’en 1970, sainte Claire a été fêtée le 12 août. Le
tonnerre, présage d’un bel automne vaut aussi, curieusement, pour février :
« Février qui gèle et tonne annonce un bel automne. »
8 août (N.C.)
18 mai (N.C.)
27 juin (N.C.)
Voilà un dicton qui constate plutôt qu’il ne prédit. Une semaine après le
début de l’été, une douce chaleur est en effet souvent de mise.
Le prénom Fernand est une contraction de Ferdinand. Il s’agit en
l’occurrence de Ferdinand, cinquième évêque de Cajazzo (Caiazzo) dans la
province italienne de Caserte (Campanie). Il vécut au XIIIe siècle. On le
connaît sous le nom de Ferdinand d’Aragon car on a cru pouvoir le
rattacher à la dynastie aragonaise qui régna sur la Sicile à partir de 1282.
D’autres Ferdinand sont honorés par l’Église :
Ferdinand de Ayala, ermite de Saint-Augustin, martyr au Japon en 1617,
fêté le 1er juin, Ferdinand de Portugal (1402-1433), fêté le 5 juin, fils du roi
Jean Ier et frère de Henri le Navigateur, mort à Arzille, près de Fez (Maroc),
emprisonné par les Maures qu’il avait voulu chasser de son pays et enfin,
Ferdinand III (v. 1199-1252), fils d’Alphonse IX et de Bérangère
(Berenguela) de Castille, roi de Castille et de León. Entre 1236 et 1248, il
agrandit son royaume jusqu’à l’Estrémadure en chassant les Maures de
Cordoue, Murcie, Jaén, Cadix et Séville. Il est le fondateur de l’université
de Salamanque (1218). On lui doit aussi la construction de la cathédrale de
Burgos dont il posa la première pierre en 1221. Pour avoir chassé les «
infidèles » de l’Espagne méridionale, Ferdinand III fut canonisé en 1671. Il
est fêté le 30 mai.
28 mars
Clovis Ier, roi des Francs, partagea son royaume entre ses quatre fils :
Théodoric, Clodomir, Childebert et Clotaire ; ce dernier régna de 558 à 561
sous le nom de Clotaire Ier et entreprit de recomposer le royaume de son
père. De nouveau, à la mort de Clotaire Ier et selon la coutume franque, le
royaume fut partagé entre les héritiers : l’un deux, Gontran, reçut le
royaume de Bourgogne. Il y mena d’abord une vie de débauche mais, après
avoir commis bien des péchés dont la répudiation de sa femme et le meurtre
de son médecin, il se repentit et mena une vie de charité et de générosité
chrétiennes. Il vint en aide aux pauvres, fit bâtir plusieurs églises et fut
enterré dans l’une d’elles, la basilique de Saint-Marcel-lès-Chalon, près de
Chalon-sur-Saône où, dès 584, fut fondé un monastère. À sa mort en 592,
Gontran fut sanctifié par ses évêques. Saint Grégoire de Tours lui attribue
plusieurs miracles.
L’hirondelle de saint Gontran arrivant le 28 mars semble avoir du retard
sur celle qui annonce le printemps, quand bien même, selon Aristote*, elle
ne suffit pas à le faire. Le dicton de la Saint-Gontran fait écho à un autre qui
a plutôt cours en Picardie : « À la Saint-Gontran, si la température est belle,
arrivent les premières hirondelles. » Si l’on replace les deux dictons dans le
contexte du calendrier julien, leur prévision se trouve avancée au 18 mars,
ce qui concorde évidemment mieux avec la proche venue du printemps.
12 avril
Élu en 337, Jules Ier fut le 35e pape. Pendant les quinze années de son
pontificat, il défendit le mystère de la sainte Trinité contre les thèses
ariennes qui niaient la nature divine du Christ. C’est aussi contre les ariens
qu’il soutint Athanase, évêque d’Alexandrie, patriarche et docteur de
l’Église. Par le synode de Rome qu’il convoqua en 340, l’arianisme fut
condamné et grâce au concile de Sardique (aujourd’hui Sofia) qui se tint en
343, Jules Ier parvint à réintégrer définitivement Athanase dans son
épiscopat. On lui doit aussi d’avoir établi la primauté de l’Église catholique
romaine sur toutes les autres Églises et d’avoir affermi l’autorité du pape.
Jules Ier mourut le 12 avril 352. Il fut sanctifié par la vox populi.
Le dicton de la Saint-Jules est à rapprocher de celui de la veille où l’on
fête saint Stanislas, évêque de Cracovie au XIe siècle : S’il gèle à la Saint-
Stanislas, on aura deux jours de glace.
10 août
27 juillet
Encore un dicton qui fait part, non d’une prédiction, mais d’une
observation apparemment des plus banales : il fait beau le 27 juillet. Il ne
saurait toutefois s’agir d’une vérité absolue tant il y eut de 27 juillet
orageux et pluvieux.
822. Abderrhaman II accède au califat de Cordoue dans une Espagne
musulmane où le pays d’Al Andalus (Andalousie) fait figure de royaume
arabe indépendant, prospère, favorisant les sciences et les arts mais d’où le
christianisme est banni. Aurèle et sa femme Nathalie y habitent. Chrétiens,
ils doivent vivre leur foi dans le silence et le secret. Il en est de même de
Félix, frère d’Aurèle et de sa femme Liliosa. Tous quatre sont cependant
arrêtés et décapités le 27 juillet 852. Six ans plus tard, les reliques de sainte
Nathalie et de saint Aurèle sont ramenées de Cordoue à Paris, déposées
dans une chapelle de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés mais vendues en 861
par les moines de l’abbaye.
Le 27 juillet, on célèbre aussi les Sept Dormants, nom donné à sept
officiers chrétiens qui, pour échapper aux persécutions de l’empereur Dèce
(entre 249 et 251), se seraient réfugiés dans une caverne près d’Éphèse et
s’y seraient endormis. L’empereur ordonna qu’ils soient emmurés pendant
leur sommeil mais en 418, sous le règne de Théodose II, la grotte ayant été
ouverte par un maçon, les sept officiers se seraient réveillés après un
sommeil de… cent soixante huit ans. Le dicton lié aux Sept Dormants
confirme celui de la sainte Nathalie : « Pour leur fête, souvent les Sept
Dormants redressent le temps. »
28 février
17 janvier
Plusieurs variantes existent pour ce dicton :
19 juillet (N.C.)
Onze saints ont porté le nom Arsène, issu du grec arsên, « mâle, viril ».
Celui qui, en Occident, est fêté le 19 juillet et en Orient, le 8 mai, est
Arsène le Grand ou Arsène de Scété. Né à Rome en 354, il fut l’un des
premiers « pères du désert », c’est-à-dire un ermite (appelé abba, mot
syriaque signifiant « père ») ayant vécu dans l’un des déserts égyptiens au
e
IV siècle, pratiquant l’hesychasme (du grec hesychia, « calme, paix
25 novembre
Voilà sans doute l’adage le plus respecté des jardiniers car il énonce une
vérité universellement admise : la période de fin novembre est favorable
aux plantations. Le dicton était, semble-t-il, plus précis à l’origine que ce
qu’on lui fait dire aujourd’hui, l’expression « tout bois » faisant plutôt
référence au bouturage des arbres et arbustes, en particulier des fruitiers. On
trouve aussi la variante « À la Sainte-Catherine, tout arbre prend racine »,
qui généralise l’opportunité d’effectuer des plantations en tous genres.
Attention toutefois à ne pas vous tromper de sainte Catherine car elles
sont deux à figurer au calendrier : sainte Catherine de Sienne (1347-1380),
fêtée le 29 avril depuis 1972, vierge et docteur de l’Église à qui l’on doit
notamment le retour de la résidence papale d’Avignon à Rome, et celle
concernée par le dicton, sainte Catherine d’Alexandrie, célébrée le 25
novembre depuis toujours, celle dont Jeanne d’Arc, si l’on en croit la
Tradition, entendit la voix à Domrémy en même temps que celles de sainte
Marguerite et de l’archange saint Michel. Sainte Catherine, d’origine noble,
déclarant s’être donnée au Christ, aurait refusé d’épouser Maximin II Daia,
gouverneur d’Égypte et de Syrie au tout début du IVe siècle. Ayant aussi
tenu tête aux philosophes païens, elle fut suppliciée et décapitée à
Alexandrie sous le règne de l’empereur Maxence (306-312). La légende
nous dit que des anges auraient transporté son corps jusqu’au mont proche
du Sinaï et qui, depuis, porte son nom. Le monastère Sainte-Catherine du
Sinaï y fut construit par l’empereur Justinien Ier entre 527 et 565.
24 juillet
6 mars
23 mai
Trois jours plus tard (10 février), selon un autre dicton, « Bise et grand
vent à la Saint-Amand font mal au froment », ce qui suppose que les
semailles de printemps soient déjà terminées.
Le prénom Eugénie est issu du grec eugenês, « de bonne naissance ».
Cinq Eugénie sont reconnues par l’Église. Celle qui est fêtée le 7 février est
la bienheureuse Eugénie Smet (1825-1871), fondatrice en 1856 de l’Institut
des auxiliatrices des âmes du Purgatoire, lié à une dévotion particulièrement
fervente au XIXe siècle visant à expier et souffrir ici-bas pour atténuer les
souffrances dans l’au-delà. Eugénie Smet fut béatifiée par Pie XII en 1957.
Sainte Eugénie (Smet) n’est mentionnée au calendrier liturgique romain le 7
février que depuis 1972, en remplacement de saint Romuald, reporté au 19
juin. Est-ce à dire que le dicton du 7 février n’est apparu qu’alors ? Non,
mais il devait correspondre à une autre sainte Eugénie dont la fête était,
jusqu’en 1970, célébrée le 15 novembre. Les semailles qui devaient alors
être terminées étaient évidemment celles, tardives, de blé, celles pour
lesquelles Victor Hugo glorifiait « le geste auguste du semeur* ».
* Dans Saisons des semailles. Le soir, poème des Chansons des rues et des
bois.
Saint Henri fut fêté le 15 juillet jusqu’en 1971, puis, le 13 juillet, une
différence de deux jours qui peut modifier la pertinence du précepte :
planter son céleri. En effet, sur la plupart des calendriers de jardinage, du
moins pour les régions méridionales de notre pays, la plantation du céleri
(comme des choux, des concombres, des laitues, des poireaux, etc.) est
conseillée dans la deuxième quinzaine de juillet. Les concepteurs du
calendrier liturgique consécutif à Vatican II ont-ils seulement pris en
compte la gravité de ces conséquences horticoles ?
Saint Henri II, né en Bavière en 973 et mort près de Göttingen en 1024,
fut roi de Germanie et dernier empereur saxon du Saint Empire romain
germanique. Protecteur de l’Église, il s’impliqua dans la réforme du clergé.
Il épousa en 998 Cunégonde de Luxembourg. En 1007, il fonda, dans sa
Bavière natale, l’évêché souverain de Bamberg. Après la mort de son
époux, Cunégonde se retira chez les bénédictines de Kaufungen (Hesse)
dans le monastère qu’elle avait fondé. Elle y mourut en 1033 ou 1039. Leur
piété ayant été remarquable et leur mariage considéré comme non
consommé, les deux souverains furent canonisés, Henri en 1146 et
Cunégonde en 1200. Ils sont tous deux inhumés dans la cathédrale de
Bamberg.
10 septembre (N.C.)
29 juillet
L’Évangile de Jean nous parle de Lazare que Jésus ressuscite d’entre les
morts (XI, 38-44). L’action se passe à Béthanie, village proche de
Jérusalem. Les sœurs de Lazare sont Marie, que la Tradition assimile à
Marie-Madeleine, et Marthe. Dans l’Évangile de Luc (X, 38-42), Jésus est
reçu dans la maison de Marthe et Marie qui deviennent ses disciples. Après
l’ascension du Christ, lors de persécutions contre les chrétiens, Lazare,
Marthe et Marie furent jetés dans une barque avec plusieurs autres
compagnons et abandonnés sur la mer. La légende raconte que
l’embarcation vogua jusqu’aux côtes de la Provincia Romana (future
Provence) et aborda à Massalia (Marseille). Marthe fit en Provence
plusieurs miracles, notamment à Avignon et Tarascon (qu’elle délivra de la
terrible tarasque). C’est précisément à Tarascon que naquit, au XIIe siècle, le
culte de sainte Marthe, des reliques considérées comme les siennes ayant
été mises au jour dans l’église qu’elle y aurait fondée.
Sainte Marthe est devenue la protectrice des femmes au foyer, des
serveurs, des cuisiniers et des diététiciens, ce qui est parfaitement approprié
au dicton du 29 juillet : il nous rappelle que les prunes, alors arrivées à
maturité, permettent de faire de bonnes tartes.
4 janvier (N.C.)
7 septembre
Saint Cloud, fêté localement le même jour que sainte Reine, est associé
à un dicton, si l’on ose dire, de la même farine : « À la Saint-Cloud, sème
ton blé, Car ce jour vaut du fumier. » Cette période de septembre a donné
lieu à plusieurs préceptes liés aux semailles (voir 366, Tu peux semer sans
crainte quand arrive la Saint-Hyacinthe et 367, À la Sainte-Inès, travaille
sans cesse).
Le nom de sainte Reine est lié à une petite ville de Côte-d’Or où les
historiens ont également situé la célèbre reddition de Vercingétorix devant
Jules César. Trois cent quatre ans après la bataille d’Alésia, le même lieu fut
le siège d’un autre événement dramatique : une jeune orpheline chrétienne
prénommée Reine, refusant de renier sa foi et de répondre aux avances d’un
officier romain du nom d’Olibrius, y fut décapitée en 252. Dès le Ve siècle,
le culte de cette vierge martyre se développa dans ce village qui allait
prendre le nom d’Alise-Sainte-Reine et une basilique mérovingienne fut
érigée au-dessus de son tombeau, à l’endroit même où, dit-on, Vercingétorix
se rendit à César. Le culte de sainte Reine se développa tant en France qu’à
Osnabrück en Allemagne où l’on prétend avoir retrouvé des reliques de la
sainte.
21 juillet
tortures les plus atroces. Il mourut éviscéré alors que ses intestins étaient
enroulés sur un cabestan. On a invoqué saint Elme pour guérir les maux de
ventre et aider aux accouchements mais il est surtout connu pour être le
patron des marins. Une légende nous raconte que, pendant un prêche,
l’orage ayant éclaté, la foudre tomba tout autour de lui sans jamais le
frapper. Le nom du feu Saint-Elme est ainsi justifié.
[…]
Ainsi Jésus s’adresse-t-il à l’un des deux larrons crucifiés à ses côtés.
Pourtant, de par ses méfaits passés, le « Bon Larron », malgré son repentir
(reconnu, comme premier saint par l’Église sous le nom de Dismas), aurait
pu voir se fermer devant lui les portes de l’éternelle béatitude et s’ouvrir
celles de l’Enfer mais le Dieu du Nouveau Testament n’est pas vengeur et le
Christ, son représentant sur Terre, est miséricordieux : il pardonne et ne
condamne pas (quid cependant du mauvais larron qui a injurié Jésus ?).
À l’opposé de ces préceptes évangéliques, tu ne l’emporteras pas en
paradis est ce que l’on dit généralement d’un ton menaçant, par esprit de
vengeance, cette vengeance dont un proverbe voisin bien connu prétend
qu’elle est un plat qui se mange froid. L’imprécation équivaut à « tu ne
perds rien pour attendre », menace qui laisse supposer une justice
immanente fondée sur la loi du Talion et qu’aucune morale chrétienne ne
saurait contrecarrer. François-Eugène Vidocq est l’un des premiers à utiliser
l’expression : « L’ex-marchand de vin, ayant reconnu le piège, se répandit
en imprécations contre moi et contre mon agent. “Ah ! gredin, s’écria-t-il en
menaçant Goury, je t’aurais payé à déjeuner, si j’avais soupçonné le tour !
Mais tu ne l’emporteras pas en paradis.” » (Les Véritables Mémoires de
Vidocq, ch. 12, 1827.)
Le premier moment d’une bataille est toujours affreux. La rage des deux
partis est encore toute fraîche ; les forces sont entières, on veut se dévorer
les uns les autres. » (Léon Gautier, Les Épopées françaises, ch. XXII,
1868.)
C’est bien parce que le danger a toujours été au front, là où se produit le
choc effroyable, là où l’on fait directement face à l’ennemi, là où se
distinguent les héros, ceux qui veulent en découdre, que le pleutre, le
trouillard, celui dont la fibre patriotique ne palpite guère, préfère tirer au
flanc, c’est-à-dire au côté droit ou gauche de l’armée, moins exposé aux
coups. Les flancs deviennent-ils vulnérables ? On dira alors que l’armée
prête le flanc à l’ennemi. Le poltron décidera alors de tirer au cul, c’est-à-
dire à l’arrière, où le danger sera moindre sauf si l’ennemi prend à revers.
Celui qui a ainsi voulu se planquer risque de se trouver inopinément en
première ligne et d’en être… comme deux ronds de flan. L’attitude est si
peu glorieuse que tirer au flanc et tirer au cul se sont lexicalisés pour
signifier « se soustraire à une obligation » (notamment, naguère, celle du
service militaire), « éviter une corvée » ou simplement « refuser de faire un
effort », « paresser », tirer devenant alors synonyme de « fuir » comme
dans « se tirer ». Dans son Dictionnaire historique des argots (1965),
Gaston Esnault date de 1881 la première locution et de 1883 la seconde. Il
mentionne aussi tirer aux grenadiers, « se soustraire aux obligations du
service » (1834), le corps d’élite des grenadiers ayant été dispensé des
corvées, et tirer le cul arrière (XVe siècle), « reculer par lâcheté »,
notamment en parlant d’un cheval qui se dérobe.
Précisons que prêter le flanc, de métaphore militaire, est devenue
expression figurée signifiant « s’exposer, donner prise » comme dans prêter
le flanc à la critique, presque une manière de donner le bâton pour se faire
battre.
Ces vers écrits par le maître et précurseur des poètes parnassiens sont
tout à fait explicites : les vieux de la Vieille sont bien les vieux soldats de la
Vieille Garde de Napoléon Ier, ceux qui, bien que fidèles à l’Empereur, ne
cessaient de se plaindre de leurs conditions de vie (d’où leur surnom de «
grognards » et le titre donné par le peintre Auguste Raffet à sa célèbre
lithographie : Ils grognaient, et le suivaient toujours). D’Arcole à la
Bérézina, toutes les campagnes, toutes les batailles qu’ils avaient menées
aux côtés de leur « Petit Caporal » les avaient aguerris, au sens
étymologique du terme, de sorte qu’ils étaient devenus les soldats les plus
expérimentés de la Grande Armée.
Dans son sens propre, l’expression vieux de la Vieille suit de près
l’épopée napoléonienne puisqu’elle est choisie par le vaudevilliste Auguste
Duchatelard comme titre d’une comédie en un acte « mêlée de couplets »
représentée au Palais-Royal le 13 mars 1845.
Par comparaison avec ces vétérans, la locution désigne aussi depuis le
milieu du XIXe siècle celui qui a acquis une solide expérience dans un
domaine donné et dont les conseils sont précieux.
MÉDECINES
431. Mentir comme un arracheur de dents
Le mot « dentiste » ne fait son entrée au dictionnaire qu’en 1728
lorsque Pierre Fauchard (1679-1761) publie Le Chirurgien dentiste, ou
Traité des dents, ouvrage considéré comme ouvrant la voie à l’odontologie
moderne. Auparavant, on parlait plus communément d’arracheurs de dents,
le seul et unique moyen de traiter une dent gâtée étant alors de l’arracher.
Ces arracheurs de dents étaient aussi le plus souvent chirurgiens (pratiquant
essentiellement la saignée), barbiers et marchands ambulants. Ils exerçaient
leur « art » sur les places publiques, dans les foires ou les marchés. Les
opérations s’effectuant sans anesthésie, ces « praticiens » devaient affirmer
qu’elles étaient indolores pour éviter que le client terrorisé ne se carapate.
D’ailleurs, pendant chaque intervention, on faisait jouer des instruments
bien sonores comme des trompettes afin que d’autres clients potentiels
n’entendent pas les cris de douleur de la pauvre victime.
er
Le remède ne date donc pas d’hier puisque Pline l’Ancien vivait au I
* Rappelons qu’à la Cour des miracles, les gueux étaient le plus souvent de
faux mendiants, des « malingreux » dont la recette quotidienne pouvait
représenter un joli petit pactole. Ils devaient cependant en redonner une
partie au Grand Coesre, déposant leur offrande dans un petit bassin placé à
ses pieds. Cela s’appelait « cracher au bassinet » et cela ne se faisait pas
sans rechigner.
REPAS
451. Prendre une biture
Le vieux scandinave bita désignait, sur un navire, une poutre
transversale. Le français bitte en est issu : il s’applique à une pièce verticale
fixée sur le quai pour recevoir les amarres ou à celle qui, sur le pont d’un
bateau, permet d’enrouler le câble retenant l’ancre. Une biture est donc
d’abord un terme de marine désignant la longueur de câble que l’on doit
élonger sur le pont avant de mouiller. Le Manuel des marins de 1773 le
précise : « On fait la biture longue quand on doit mouiller par un grand fond
et alors on fait serpenter le câble sur le pont car il faut toujours que la biture
soit plus longue qu’il n’y a de brasses d’eau pour trouver fond. »
Pour les gars de la marine, prendre une biture était donc une manière de
prélude aux ripailles qui les attendaient sur la terre ferme, le sens propre
précédant, comme toujours, le sens figuré. Dans un cas, il s’agit de mesure,
dans l’autre, de démesure, une démesure qui a concerné la goinfrerie avant
de s’appliquer aux beuveries comme l’atteste Delvau dans son Dictionnaire
de la langue verte (1866) : biture y est définie comme une « réfection
copieuse » et biturer par « manger copieusement ». L’atteste aussi cette
citation de Balzac : « On arrive à Moulins, petit village qu’habitèrent Fabert
et madame de Sévigné ; mais il est un personnage vivant plus intéressant
pour les sous-lieutenants que ces illustres défunts : c’est la mère Husson,
respectable hôtelière, au logis de laquelle le cortège fait halte pour une
biture générale. » (Les Français peints par eux-mêmes, 1842).
460. En vrac
Les algues (fucus, goémon) sont rejetées par la mer sur les côtes
atlantiques où elles constituent le varech. Amoncellement d’épaves
végétales échouées au gré des marées, ce varech va sécher et se corrompre.
Varech est effectivement dérivé du vieux frison vagrek, « épave », comme
le vieil anglais wraec devenu wrac en moyen anglais, wreck, « épave,
naufrage » et wreckage, « débris, décombres » en anglais moderne. Le
moyen néerlandais wrac, « corrompu, mal conservé par manque de sel » est
de même origine, ce qui laisse supposer l’existence d’un étymon °wrecan
en germanique commun.
Wraec ou wrac s’est appliqué, en moyen néerlandais, à toute denrée
devenue mauvaise parce que mal conservée, mal conservée parce que mal
salée. Le qualificatif a donc logiquement désigné les harengs saurs
considérés comme de qualité inférieure parce que non ou mal rangés dans la
caque (barrique) où le sel les aurait conservés. Le sens de wraec s’est
ensuite élargi à tout ce qui n’est pas rangé. Le mot est passé en français au
e
XVIII siècle dans l’expression « en vrac » d’abord pour qualifier le poisson
transporté sans être emballé, puis tout ce qui est transporté à même la cale
d’un navire sans être empaqueté et enfin, tout ce qui n’est pas mis en ordre.
Dernière signification induite : ce qui est vendu au poids par opposition à ce
qui est conditionné.
VÊTEMENTS
461. Être pendu aux basques de quelqu’un
« HARPIN
Restons donc à Paris.
BEL-HUMEUR
C’est mon avis.
LA RAMÉE
C’est aussi le mien.
LA PINCE, ôtant son bonnet de serrurier,
J’opine du bonnet.
CARTOUCHE
Je passe au plus de voix. […] »
(Acte I, scène III.)
Opiner, c’est donner son opinion, et opiner du bonnet, c’est enlever son
bonnet pour faire comprendre qu’on est du même avis que les autres. Cette
pratique aurait d’abord été celle des docteurs d’Université qui se
contentaient donc d’ôter le leur pour signifier leur approbation. Dans Les
Provinciales, Blaise Pascal fait allusion à « ce malheureux proverbe qui
court déjà dans Paris : “Il opine du bonnet comme un moine en Sorbonne”
(Seconde lettre, De la grâce suffisante, 1656). Précisons que le bonnet était
carré quand il s’agissait du couvre-chef porté par les professeurs
d’Université. Il était rond quand c’était celui des prêtres et des magistrats.
Dans Leçons et modèles d’éloquence judiciaire (1838), l’avocat Pierre-
Antoine Berryer nous rapporte une amusante anecdote au sujet de ces
bonnets : « À propos de la coiffure des avocats, disons un mot de la querelle
survenue, sous le règne de François Ier, à l’occasion des chaperons et des
bonnets carrés.
Le chaperon était adopté par tous les gens de robe, par l’Université
comme par le Palais, lorsque l’idée vint à un bonnetier de la rue des
Cordeliers de faire une révolution dans la coiffure. Cet innocent novateur,
nommé Patrouillet, avait pour pratiques bon nombre de docteurs : sa
boutique était renommée sur la montagne Sainte-Geneviève. Il inventa le
bonnet carré comme rival du bonnet rond, et n’hésita pas à élever autel
contre autel. Il était loin de soupçonner que son invention deviendrait une
pomme de discorde, une torche d’anarchie et presque de guerre civile.
L’idée de Patrouillet […] finit cependant par séduire quelques avocats et
quelques docteurs, qui se hasardèrent avec le nouveau bonnet ; mais ce fut
un hourra général dans toute la basoche et la magistrature. La Sorbonne et
les audiences furent interdites aux bonnets carrés […] et bientôt le quartier
du Palais et la montagne Sainte-Geneviève se divisèrent en deux camps, qui
se rallièrent, l’un au bonnet rond, l’autre au bonnet carré. […] Enfin la
Sorbonne et le Palais furent réduits à lever l’interdit jeté sur l’invention de
Patrouillet, et à proclamer l’égalité des bonnets devant la loi. »
On voit donc que, pendant longtemps, bonnet rond et bonnet carré ne
furent pas bonnet blanc et blanc bonnet. Aujourd’hui, avec ou sans couvre-
chef, on peut toujours opiner du bonnet puisque la locution équivaut à «
exprimer son accord ».
463. À brûle-pourpoint
Le pourpoint était autrefois, dans un vêtement d’homme, la partie qui
allait du torse jusqu’au-dessous de la ceinture.
Le Dictionnaire françois de Pierre Richelet (1680) définit ainsi la
locution adverbiale à brûle-pourpoint : « C’est poser l’arme à feu presque
sur le corps de la personne qu’on tire de peur de la manquer. [Il l’a tiré à
brûle-pourpoint.] » Tirer à brûle-pourpoint, c’était donc « tirer à bout
touchant », le bout de l’arme touchant vraiment l’habit de la victime, l’un et
l’autre étant ainsi brûlés par la poudre. Dans Le Courier burlesque de la
guerre de Paris, on trouve les vers suivants :
« Le capitaine de la troupe,
(Quand j’y songe ma voix s’étoupe)
Vint tirer à brûle pourpoint
Notre Duc, qui ne branla point »
(in Mémoires du Cardinal de Retz, tome IV, 1675-77).
L’expression se lexicalisa avec le sens de « à bout touchant », l’idée de
« brûler le pourpoint », au sens propre, disparaissant, comme dans cet
extrait :
« PHILAMINTE
Ah ! sollicitude à mon oreille est rude ;
Il pue étrangement son ancienneté.
BÉLISE
Il est vrai que le mot est bien collet monté. »
(Les Femmes savantes, acte II, sc. VII, 1672.)
* Comme le précise Furetière : « On dit à ceux qui ont un habit neuf, qu’il
leur faut rabattre les coutures, quand on les frappe légèrement, par allusion
à ce qu’on dit des tailleurs. »
[…]
Cet énoncé est associé à l’ancien jeu de brelan (Furetière parle aussi de
berlan : « jeu de cartes qu’on joue à trois personnes, et à trois cartes, où on
fait plusieurs enchères à l’envi les uns des autres »). Les mots retourne ou «
triomphe » désignent l’atout, c’est-à-dire la couleur qui l’emporte sur les
autres, couleur révélée par la carte qui suit la donne et qui est effectivement
« retournée » sur le talon. La garder en mémoire est évidemment
indispensable pour guider votre stratégie et vous permettre de gagner la
partie. On disait aussi : « De quoi est la triomphe ? » et il semble que
l’expression voilà de quoi est la triomphe ait précédé voilà de quoi il
retourne pour signifier « voilà de quoi il s’agit ». Elle figure avec cette
définition dans la quatrième édition (1762) du Dictionnaire de l’Académie
française. Savoir de quoi il retourne apparaît dans l’édition suivante du
même dictionnaire (1798) : « On dit figurément et familièrement Vous ne
savez pas de quoi il retourne, pour dire, Vous ne savez pas ce qui se passe,
quel est l’état des choses. Voyons de quoi il retourne, pour dire, Voyons de
quoi il est question. »
C’est toutefois par le biais d’une autre fille de l’air, rôle-titre d’une «
féerie » à succès écrite en 1836 par Provost et les frères Cogniard, que
l’expression s’est popularisée : La Fille de l’air, opérette en trois actes, fut
représentée en août 1837 au Folies-Dramatiques. Elle met en scène une fée
baptisée Azurine qui, pour s’être laissé séduire par un villageois du nom de
Rutland, est condamnée à perdre ses ailes et à ne plus jamais quitter la terre.
Comment expliquer alors qu’ayant perdu la faculté de s’esquiver cette fille
de l’air-là ait pu faire naître une locution exprimant justement la dérobade ?
La chose paraît peu logique. C’est que la véritable justification se trouve
dans un autre vaudeville, joué quelques mois après dans le même théâtre et
avec autant de succès. Il a pour titre La Fille de l’air dans son ménage et
propose une suite à l’opérette. Les auteurs, Honoré et Delaporte, y
dépeignent le couple malheureux que forment Azurine et Rutland. Mais,
miracle ! Grâce à un propice talisman, Azurine retrouve ses ailes et peut
fort heureusement quitter le monde d’ici-bas où nul bonheur ne l’attendait.
La locution a fait florès dans le milieu : elle s’applique parfaitement à
l’aptitude du monte-en-l’air, genre Arsène Lupin, qui, comme par
enchantement, parvient toujours à échapper à la police.
Découvrir le pot aux roses remonte aussi au XVe siècle avec le même
sens qu’actuellement, d’abord chez Charles d’Orléans (1394-1465) qui nous
parle bien d’un secret indicible :
« Jehanneton la Chaperonnière,
Gardez qu’ennuy ne vous empestre ;
Katherine l’Esperonnière,
N’envoyez plus les hommes paistre :
Car qui belle n’est, ne perpetre
Leur male grâce, mais leur rie. »
(In Le Grand Testament, 1461.)
Outre son sens propre de manger l’herbe, en parlant des animaux, le
verbe paître a revêtu autrefois plusieurs acceptions figurées dont celle,
biblique, de « mener au salut », pour les « bergers » qui sont supposés avoir
charge d’âmes (paître son troupeau, paître ses brebis, paître ses ouailles),
celle de « tromper », « abuser » dans paistre quelqu’un de paroles,
signification attestée dès le XIIe siècle dans le Roman de Renart : « Et je le
soi bien enlacier et de blanches paroles paistre » (v. 10116-10117) et aussi
celle, proche, d’attirer quelqu’un dans son camp en lui faisant de fausses
promesses : « Puis vint a Teneham l’eveske de Cicestre, A l’arceveske ; od
sei le voleit faire pestre. » (Guernes de Pont-Sainte-Maxence, La Vie de
Saint Thomas Becket, 1172-1174.)
Envoyer paître quelqu’un, c’est, métaphoriquement, l’envoyer brouter
avec les ruminants, donc, le congédier avec mépris en le traitant comme un
animal. On trouve, au XVe siècle, une locution équivalente, chasser paistre :
« […] il la chassera paistre ensus de luy, et ne sera jamais d’elle ordoyée sa
maison […] ». (Les Cent Nouvelles Nouvelles, nouvelle 68, v. 1460.)
BIBLIOGRAPHIE
ANTIQUITÉS ET MYTHOLOGIES
RELIGIONS
À damner un saint 1
L’épée de Damoclès 1
Le tonneau des Danaïdes 1
Jouer sa fortune sur un coup de dé 1
Le dédale administratif 1
Le degré zéro 1
Les trente deniers (de Judas) 1
Courir comme un dératé 1
Se mettre au diapason 1
Jurer ses grands dieux 1
Être le dindon de la farce 1
Un dix-huit 1
Il lui manque toujours dix-neuf sous pour faire un franc 1
Être (passer) à deux doigts de... 1
Ne pas savoir quoi faire de ses dix doigts 1
Faire la bête à deux dos 1
Treize à la douzaine 1
Des règles draconiennes 1
E
L’écharpe d’Iris 1
J
Toucher le pactole 1
Les deux font la paire 1
Une flûte de Pan 1
Ouvrir la boîte de Pandore 1
Une peur panique 1
Mouton de Panurge 1
Réglé comme du papier à musique 1
Minute, papillon ! 1
Au ras des pâquerettes 1
Se recommander à tous les saints du paradis 1
Ne pas l’emporter au (en) paradis 1
La flèche du Parthe 1
Faire les cent pas 1
Être comme un coq en pâte 1
Marcher sur trois pattes 1
Tenir le haut du pavé 1
Douze balles dans la peau 1
Laid comme les sept péchés capitaux 1
Trois pelés et un tondu 1
Entasser Pélion sur Ossa 1
Regagner ses pénates 1
Ouvrage (toile) de Pénélope 1
Un(e) de perdu(e), dix de retrouvé(e)s 1
Un petit saint 1
Diseur de phébus (donner dans le phébus) 1
Voleur (bavard, curieux) comme une pie 1
Vivre sur un grand pied 1
S’habiller de pied en cap 1
Avoir les pieds à dix heures dix 1
Faire d’une pierre deux coups 1
Pigeon, vole ! 1
Dorer la pilule 1
C’est du pipeau 1
Manger les pissenlits par la racine 1
Les dix plaies d’Égypte 1
Des amours platoniques 1
Reprendre du poil de la bête 1
Les frères trois-points 1
Couper la poire en deux 1
Noyer le poisson 1
Une pomme de discorde 1
Tourner autour du pot 1
Découvrir le pot aux roses 1
Fier comme un pou 1
Mettre les quatre doigts et le pouce 1
Poule mouillée 1
Chercher des poux dans (sur) la tête de quelqu’un 1
Prêcher pour son saint 1
Un lit de Procuste 1
Une œuvre protéiforme 1
Mettre la puce à l’oreille 1
Marché aux puces 1
Une victoire à la Pyrrhus 1
Q
Faire le zèbre 1
Un zéro en chiffre 1
Nom de Zeus ! 1
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