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Brno 2009
Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947)
2
Prohlašuji, že jsem pracovala samostatně a že jsem používala jen materiály uvedené
v bibliografii.
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Table des matières
Avant - propos
Introduction
1. Présentation générale de l'auteur et de la terminologie utilisée
1.1. Personnalité de Ramuz dans le contexte de la littérature suisse romande
1.2. Brève esquisse des plus importants moments dans la vie de l'auteur
1.3. Mise au point des termes utilisés
1.4. Les sources d'inspiration chez Ramuz
2. Analyse des romans choisis
2.1. explication du choix des textes
2.2. Règne de l'Esprit Malin
2.2.1. Résumé
2.2.2. Personnages et leur rôle dans la formation du mystérieux
2.2.3. Thèmes menant à la formation de l'univers mystérieux
2.2.4. Composition de l'œuvre
2.2.5. Procédés narratologiques
2.2.6. Construction linguistique du texte et caractéristique de
l'écriture
2.3. Les Signes parmi nous
2.3.1. Résumé
2.3.2. Personnages et leur rôle dans la formation du mystérieux
2.3.3. Thèmes menant à la formation de l'univers mystérieux
2.3.4. Composition de l'œuvre
2.3.5. Procédés narratologiques
2.3.6. Construction linguistique du texte et caractéristique de
l'écriture
2.4. La Grande Peur dans la montagne
2.4.1. Résumé
2.4.2. Personnages et leur rôle dans la formation du mystérieux
2.4.3. Thèmes menant à la formation de l'univers mystérieux
2.4.4. Composition de l'œuvre
2.4.5. Procédés narratologiques
2.4.6. Construction linguistique du texte et caractéristique de
4
l'écriture
2.5. Derborence
2.5.1. Résumé
2.5.2. Personnages et leur rôle dans la formation du mystérieux
2.5.3. Thèmes menant à la formation de l'univers mystérieux
2.5.4. Composition de l'œuvre
2.5.5. Procédés narratologiques
2.5.6. Construction linguistique du texte et caractéristique de
l'écriture
3. Comparaison des œuvres choisies
Conclusion
Bibliographie
Annexes
5
Remerciements
Mes grands remerciements vont aussi à mon mari Pavel, à ma famille et à nos
amis Daenzer et Gurtner qui m'ont soutenu et qui m'ont aidé à rassembler le matériel
nécessaire pour ma recherche.
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Introduction
G U Y O T , Charly : Comment lire C. F .Ramuz, Paris, Éditions aux étudiants de France, 1946,
p. 31.
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Ensuite, nous passerons à la partie analytique qui commencera avec un aperçu
général sur la production romanesque de Ramuz. Après avoir exposé les majeures
tendances et thèmes, nous justifierons la sélection des textes qui seront étudiés
isolément selon les mêmes critères. Or, ceci nous permet d'observer les différences
dans le caractère du mystérieux qui varient selon la thématique du texte. La partie
centrale de notre recherche, consistera en une étude des romans représentatifs. La
formation du mystérieux sera démontrée sur six niveaux différents. Nous entamerons
l'analyse de chaque roman par un bref résumé de l'intrigue suivi par la présentation
des personnages clés. Puis, nous les montrerons l'inventaire des thèmes soulignant le
mystérieux pour aborder ensuite son émergence à travers les procédés
compositionnels. En dernier lieu, nous nous consacrerons à l'observation des traits
caractéristiques de la narration et nous terminerons l'explication des œuvres en
mentionnant les empreintes du mystérieux sur les procédés linguistiques.
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1. Présentation générale de l'auteur et de la
terminologie utilisée
production littéraire.
jusqu'au 19 siècle. Les auteurs vont s'exprimer sur différents problèmes qui
e
Avant 1793 , l'élément germanophone était beaucoup plus important que les
5
trois autres car la Confédération comprenait avant tout des cantons de langue
allemande. Mais avec l'annexion du canton de Vaud, les francophones commencent
à imposer leur culture dans leur propre langue.
Parmi les premiers auteurs qui représentent les débuts littéraires de
l'expression française, nous pouvons mentionner Jean Jacques Rousseau (1712-
1778), Germaine de Staël (1766-1817) ou Benjamin Constant (1767-1830).
Parmi les thèmes dominent la représentation de la vie alpestre, la vie paysanne et l'image de
la nature.
L a Réforme surgit d'abord à Zurich (personnage de Zwingli) et gagne petit à petit d'autres
cantons. Les promoteurs dans la partie francophone étaient Calvin (Genève), Viret
(Lausanne) et Farel (Neuchâtel).
Voir Dictionnaire des littératures suisses, Lausanne, Edition de L'Aire, 1991, p. 338.
Instauration de la République helvétique
9
Avec la deuxième moitié du 19 siècle arrive l'âge d'or de la littérature
e
Henri-Frédéric Amiel est devenu célèbre grâce à son Journal qu'il écrivait pendant la période
de trente ans.
D U N O Y E R , J . M . : CF.Ramuz peintre vaudois, Lausanne, Editions Rencontre, 1959, p. 40.
Voir Histoire de la littérature en suisse romande publié sous la direction de Roger
Francillon. Lausanne, Editions Payot, 1998, tome II, p. 257.
R A M U Z , C F . : OC, t.XX, publié dans Histoire de la littérature en suisse romande publié
sous la direction de Roger Francillon, Lausanne, Editions Payot, 1998, tome II, p. 262.
Le monde des lettres est divisé en deux champs : les détracteurs de Ramuz (comme André
Thérive, André Rousseaux ou Auguste Bailly) l'accusent d'écrire mal exprès, ses défenseurs
(Ch. A. Cingria ou Fernand Chavannes) prônent sa langue.
Voir D U N O Y E R , J.M. : CF.Ramuz peintre vaudois, Lausanne, Editions Rencontre, 1959,
p. 140.
10
En contrepartie, en Suisse existaient aussi des revues qui publiaient ses
auteurs. Ceux-ci pouvaient non seulement s'y exprimer librement quant à leur vision
esthétique mais, de même, ils y publiaient leurs œuvres. Parmi les périodiques
littéraires cruciaux, nous pouvons nommer la Bibliothèque universelle 11
qui connaît
son apogée au début du vingtième siècle, la Semaine littéraire 12
ou la Voile latine,
fondée en 1904 par C.F.Ramuz, Alexandre Cingria, Adrien Bovy et Charles-Albert
Cingria.
Les revues des auteurs jeunes qui s'efforçaient de rénover l'esprit romand
sont avant tout la Voile latine (1904-1910) et les Cahiers vaudois (1914-1921).
Ramuz a figuré dans la majeure partie de revues littéraires de la Suisse romande soit
en tant que directeur 13
soit comme un des principaux écrivains collaborateurs.
Pourtant, son principal apport dans la vie culturelle était sa contribution à la
construction de la particularité littéraire suisse.
11
Revue suisse de 1879 à 1935 avec laquelle collaborait Ramuz.
12
Dirigé par Louis Debarge
13
Aujourd'hui (1929-1931) ou La Revue romande (1919- de courte durée)
14
C A L A M E , Christophe : Sept cent ans de la littérature en Suisse romande, Paris, Editions de
la Différence, 1991, p. 10.
15
P.ex. Maurice Zermatten (1910-2001), Maurice Chappaz (1916-2009), Maurice Métrai
(1929-2001), Corina Bille (1912-1979).
16
P.ex. Gustave Roud (1897-1976), Jean-Pierre Monnier (1921-1997), ou Jacques Chessex
(*1934).
11
L'un de ses successeurs les plus importants était le valaisan Maurice
Zermatten (1910-2001) qui était après la mort de Ramuz longtemps regardé par les
Français comme le seul représentant de la littérature romande.
Maurice Chappaz (1916-2009) représente un autre écrivain qui s'inspire de
son style en mettant en valeur le caractère extraordinaire de la nature suisse. Il
dénonce l'idéologie du progrès et montre les risques dont il peut être responsable.
Le dernier écrivain de la lignée ramuzienne est Charles François Landry
(1973) qui raconte la vie des bergers et d'artisans et imprègne aussi son œuvre des
traits poétiques.
quête d'identité.
Issu d'une famille de commerçants, i l fait d'abord connaissance de la ville
mais après de nombreux séjours de vacances passés dans le Gros de Vaud, i l trouve
sa grande source d'inspiration dans la campagne.
Il découvre très tôt les œuvres de Hugo, Rousseau ou Maurice de Guérin qu'il
va imiter dans ses premières poésies. En composant ses textes, i l flâne dans les
champs et s'adonne aux rêveries du promeneur solitaire.
Bachelier, i l effectue pendant six mois un séjour d'études à Karlsruhe. Par la
suite, i l entreprend des études de droit pour satisfaire son père, cependant, son
inclination vers la littérature devient de plus en plus forte et c'est ainsi que depuis
1897 Ramuz suit des cours à la Faculté des lettres.
Après avoir obtenu sa licence, il quitte Lausanne pour Paris avec l'intention
d'écrire une thèse sur Maurice de Guérin. Ramuz affirme que son séjour dans la
capitale française représente le moment crucial dans sa vie car : « [...] je revenais de
17
« Je porte les prénoms de deux petits frères morts avant ma naissance, dont l'un s'appelait
Charles, l'autre Ferdinand, ce qui m'a fait un prénom d'archiduc dont je ne suis pas
responsable. »
D U N O Y E R , J . M . : CF.Ramuz peintre vaudois, Lausanne, Editions Rencontre, 1959, p. 17.
12
Paris tout différent de ce que j'étais au départ : j ' y avais pris conscience de moi-
même. » 1 8
Une de ses œuvres qui datent encore de l'époque parisienne : Aimé Pache,
peintre Vaudois, lui vaut le Prix Rambert que la Section Vaudoise de la Société
suisse d'étudiants de Zofingue lui attribue en 1912.
Suite à son mariage avec madame Cécile Cellier , il s'installe en Suisse au
20
Treytorrens, près de Lausanne. Peu après le retour des jeunes mariés dans le canton
de Vaud, Ramuz s'engage pleinement dans la vie littéraire en collaborant à de
nombreuses revues . 21
Une autre rencontre décisive dans sa carrière est celle du compositeur russe
Igor Stravinsky. Outre les œuvres traduites en français, de leur collaboration
prolifique excelle L'Histoire du soldat , ou Noces .
22 23
En 1923, il est lauréat du Prix Rambert pour son roman Passage du poète et
cinq années plus tard, il est même couronné du Grand Prix Romand. Ceci lui permet
d'acheter une grande maison à Pully qu'il va appeler La Muette et qui devient depuis
1930 sa résidence. Même s'il reçoit beaucoup de visites dans sa maison, il devient de
plus en plus solitaire, recherche le calme en s'enfermant dans son bureau avec des
livres.
En 1936, i l remporte le Grand Prix de littérature que la fondation Schiller lui
décerne à Zurich. Une année plus tard, il est nommé docteur honoris causa de
l'université de Lausanne.
13
Ramuz ressent très profondément l'avènement de la deuxième guerre
mondiale même si pour la Suisse c'est plutôt une « drôle de guerre ». De surcroît,
depuis 1940, sa santé s'aggrave et il a de sérieux problèmes d'estomac. Pourtant, les
dernières sept années de sa vie i l retrouve encore de l'élan grâce à son petit fils
Guido qu'il a rebaptisé en Monsieur Paul.
14
de vue résultent plusieurs définitions qui soulignent chacune un autre aspect du
fantastique.
Dans notre brève présentation des différentes théories élaborées, nous allons
observer l'ordre chronologique pour rendre compte de son évolution au fil des
années. Bien que le champ théorique du fantastique soit très vaste, nous allons
exposer seulement les théories de base.
L'une des premières théories de haute portée est celle Pierre-Georges Castex.
Elle paraît dans sa thèse Le Conte fantastique en France de Nodier à Maupassant
(1951), et met en relief le caractère obscur du fantastique. Castex l'associe souvent
au cauchemar ou au délire et le définit comme « [...] l'intrusion brutale du mystère
dans la vie réelle » '.
28
15
œuvre fantastique. C'est pourquoi, pour dénommer un livre en tant que fantastique,
nous devons l'étudier minutieusement et tenir compte des critères mentionnés.
16
Même si tous ces neufs éléments contribuent à classer une œuvre dans le rang
du fantastique, ce n'est que la victoire ou la défaite qui se montrent clés car ils
35
concluent l'expérience du héros avec le fantastique .
Après avoir examiné ces différentes théories, nous allons essayer de dresser le
tableau des genres apparentés qui peuvent se refléter aussi dans les lettres
ramuziennes et qui ont pour nous une valeur plus importante.
L'un des éléments fondamentaux du fantastique est sans doute le surnaturel
qui représentait au départ l'un des critères de base du fantastique. Le Trésor de la
langue française, le définit comme « [c]e qui relève d'un ordre supérieur à celui de la
nature, ce qui n'est pas réductible aux lois de la nature, aux explications
3 6
rationnelles. » Nonobstant, il commence à s'émanciper du fantastique à partir du
e
18 siècle où les théoriciens le différencient du surréel qu'ils caractérisent comme la
37
représentation de l'épouvantable .
Un autre courant qui est marqué par la mise en place des phénomènes
surnaturels est le mysticisme. Terme dérivé de l'adjectif myst ikos qui « au temps des
38
Pères de l'Eglise désignait le sens caché, visé par Jésus dans le texte biblique » .
Même si ce substantif est souvent associé à la religion ou à la philosophie, il peut être
le fruit des auteurs dont les «visions écrites [...] contiennent bien des fantasmes
3 9
célestes et infernaux qu'ils nomment révélations ou messages » .
Pour préciser le terme de mystique, citons encore le poète français J.C.Renard
qui le perçoit comme « expérience de ce qui nous dépasse tout en nous habitant et
qui n'a de sens que dans le Mystère irréductible que l'on nomme Dieu ou
40
l'Absolu. »
Voir ŠRÁMEK, Jiří : Morfologie fant ast ické povídky, Brno, Masarykova univerzita, 1993,
p. 46-53.
TLFI [online], [cit.2009-26-06]
URLhttp://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=1019428290;
Voir ŠRÁMEK, Jiří : Morfologie fant ast ické povídky, Brno, Masarykova univerzita, 1993,
p.7.
Dictionnaire de la mystique, Brepols, 1993, p. 557.
H E L L E N S , F ranz : Le fantastique réel, Stavelot, Editions Labor, 1991, p. 99.
R E N A R D , J.C. : Quand le poème devient prière, Paris, Nouvelle cité, 1987, p. 62.
17
Près du surnaturel se situe aussi le merveilleux où les faits inexplicables ne
provoquent aucune réaction auprès des personnages ni auprès du lecteur. En général,
dans ces récits ne règne pas une ambiance ténébreuse et l'histoire se conclut d'une
manière heureuse ce qui n'est pas le cas des textes ramuziens.
A l'opposé des textes ayant un dénouement heureux, nous rencontrons le
tragique qui désigne tout ce qui est lié au malheur. Le Trésor de la langue française
le caractérise comme « [p]ropre à une situation conflictuelle, dramatique,
douloureuse, dans laquelle une personne est prise comme dans un piège dont elle ne
peut s'échapper. » 4 1
Etant donné que Ramuz puise fréquemment l'inspiration dans la vie des
montagnes valaisannes où longtemps persistaient des croyances populaires, nous
nous permettons d'incorporer dans ce chapitre aussi quelques mots concernant la
légende.
18
Nous présumons en ce terme non seulement tout ce qui « [...] par sa beauté,
son étrangeté, a un caractère inexplicable, indéfinissable » 4 4
mais aussi l'ensemble du
légendaire, surnaturel et fantastique qui créent l'effet d'incertitude et d'énigme.
Mais notre conception du mystérieux n'est pas seulement liée à un certain
champ thématique, sinon elle suppose aussi une certaine stratégie compositionnelle
et narrative qui dissimulerait systématiquement la causalité et qui gommerait la clarté
de l'énoncé.
Pour qu'on puisse étudier l'univers ramuzien plus en détail lors des chapitres
suivants, nous allons esquisser un bref tableau des sources d'influence qui ont
façonnée sa production littéraire en général.
19
Dans plusieurs de ses livres, sans le déclarer directement, i l peint les environs
de Lens où i l a effectué plusieurs séjours dont l'un a duré plus d'une année . 45
grâce à une soirée chez un curé où i l a trouvé dans un vieux dictionnaire une
phrase banale : « Derborence, village qui fut détruit en 1876 » , qui a déclenché son
47
fameux roman.
Chez Ramuz, toutes les forces de la nature se matérialisent dans les
montagnes valaisannes et incarnent le rôle du Bien et du Mal. Grâce à cet aspect
contradictoire, c'est justement la montagne qui est un lieu énigmatique et la source
du surnaturel.
P.ex. : la colline près de Lens devient le calvaire du Règne de l'Esprit malin, et ses alentours
émergent aussi du Village dans la Montagne ou de Jean-Luc persécuté.
Voir R A M U Z , Charles-Ferdinand: Journal, Lausanne, Editions Rencontre, 1968,
p. 144.
Voir CINGRIA, Hélène : Ramuz notre parrain, Bienne, Editions Pierre Boillat, 1956, p. 107.
P.ex. : La Grande Peur dans la montagne- Sassenaire, Farinet- les alentours de Sion.
CINGRIA, Hélène : Ramuz notre parrain, Bienne, Editions Pierre Boillat, 1956, p. 158.
GHIRELLI, Marianne : C. F. Ramuz Qui êtes-vous ?, Lyon, La manufacture, 1988, p. 80.
Histoire véridique d'un faux-monnayeur valaisan. Farinet ramuzien est différent de celui de
la légende surtout quant à l'argent qu'il fabrique.
20
et Derborence qui ont largement dépassé le caractère de la légende et qui sont
devenus des écrits remarquables grâce au style et à la langue de l'auteur . 51
Mais ce ne sont pas uniquement les montagnes qui deviennent son milieu
d'action préféré. Ramuz s'imprègne également de sa terre natale : du canton de
Vaud. Autour du décor lémanique avec le lac au premier plan, les champs et les
vignes se forme son deuxième cycle qui est moins prolifique.
Un autre trait qui est présent dans toute sa production littéraire est son
protestantisme. Bien qu'il tende plus tard vers différents courants de la philosophie,
la foi qui a façonné sa personnalité lors de son enfance et adolescence, était
justement le résultat du protestantisme. Le début de son essaie Besoin de grandeur,
explique son attitude envers la religion. L'auteur dévoile qu'il s'en sert plutôt comme
d'outil de référence.
Grâce au protestantisme, i l avait une bonne connaissance de la Bible dont les
différents épisodes se cachent dans ses romans. En observant plus en détail ses
personnages, nous devons affirmer qu'ils ressemblent considérablement à ceux qui
apparaissent dans la Bible. Mais des allusions aux épisodes du Nouveau ou de
/ 'Ancien Testament doivent avant tout mettre en relief des croyances populaires dans
lesquelles ces histoires figuraient.
Suite à la rencontre avec deux auteurs catholiques : Paul Claudel et A .
Cingria, Ramuz prend de plus en plus conscience du caractère pessimiste du
protestantisme en mentionnant que « [t]out est scrupule pour un esprit où
l'inquiétude protestante s'est réfugiée. » . 5 2
21
La rencontre avec le catholicisme ne perturbe pas sa vision des choses.
Ramuz y emprunte surtout le personnage de Marie 53
« protectrice et salvatrice » ou
les thèmes des processions religieuses ou de la communion des saints lors de la
résurrection de la chair. D'ailleurs, cette figure féminine porte le nom de la fille
unique de l'écrivain pour laquelle il éprouvait une grande affection en affirmant
qu'« [...] elle peut consoler les maladies, aussi bien celles de l'esprit que celles du
corps » .
5 4
Si nous cherchons des artistes qui avaient le plus grand impacte sur lui, nous
devons souligner que c'étaient avant tout des représentants du monde de la peinture.
Outre le fait que sa femme Cécile Cellier, peintre neuchâteloise, l'a initié à ce bel art,
Ramuz lui-même confirme que son éducation venait des peintres . 58
Pareillement comme Cézanne, i l quitte Paris pour retourner vers son pays tant aimé.
Marie est un personnage clé du Règne de l'esprit malin qui sait bannir le mauvais esprit du
village et y fait renaître la vie. Figure de Maire apparaît aussi dans la Guérison des maladies
où elle possède des capacités surnaturelles et guérit des maux de la société.
CINGRIA, Hélène : Ramuz notre parrain, Bienne, Editions Pierre Boillat, 1956, p. 118.
Aline, Derborence, La Séparation des races, La Grande Peur dans la montagne.
Jean Luc persécuté est un père incapable de s'occuper de son fils, le père du protagoniste de
La Guérison des maladies est un alcoolique.
Voir D U N O Y E R , J . M . : CF. Ramuz peintre vaudois, Lausanne, Editions Rencontre, 1959,
p. 30.
Voir PIERRE, Jean Louis : CF. Ramuz -Eudes ramuziennes, Paris, Lettres modernes, 1982,
p. 114.
Ramuz publie une étude importante dans laquelle i l parle de l'influence de Cézanne sur son
œuvre : L'Exemple de Cézanne (1914) voir D U N O Y E R , J . M . : CF. Ramuz peintre vaudois,
Lausanne, Editions Rencontre, 1959, p. 97.
22
Dans son cheminement vers l'universel, il apprécie les tableaux de Cézanne
mentionnant que « [c]'est tellement la Provence que ce n'est plus elle » . 60
23
2. Analyse des romans choisis
deux mondes tout à fait distincts. Tandis que le lac avec ses vignobles incarne pour
Ramuz plutôt le symbole du « bon pays » 6 6
qui permet l'existence de la vie, la
montagne ou « le mauvais pays » 6 7
joue le rôle d'une force dominatrice qui oblige
l'être humain à la lutte et qui le nie. C'est pourquoi la thématique et l'ambiance de
ces deux univers sont différentes.
Quant aux romans où figure la représentation du lac, nous devons constater
que leur atmosphère varie. Le décor est plus calme car la nature n'incarne ni le
24
moteur principal d'action ni la source de l'épouvantable et même le rythme des
œuvres est moins pressé, voire méditatif.
Par contre le cycle de la montagne, appelé aussi « drames alpestres » , 68
établit une atmosphère qui est dans tous ces romans similaire car « Ramuz comprit
que cette matière montagnarde exigerait une forme à elle et que cette forme devait
être épique et tragique » . Les romans qui font partie de ce cycle mettent en relief
69
l'âpre destin des habitants des montagnes vivant dans le voisinage immédiat des
forces perçues comme surnaturelles.
Vu que l'ambiance de ces deux cycles diverge, i l est probable que même la
formation et la perception du mystérieux ne soit pas identique. Dans notre mémoire,
nous voulons souligner que l'adjectif «mystérieux» ne peut pas être attribué à
n'importe quel œuvre de Ramuz car certains textes ne correspondent pas à nos
critères établis . 70
Pour montrer quels sont les romans auxquels peut être attribuée l'étiquette
« mystérieux », nous exposons ci-dessous un tableau explicatif :
Catégorie Sous-catégorie Titre Thème Présence du
mystérieux
Romans aux traits Réalités de la Aline Une fille-mère trahie par son a) Thématique :
réalistes vie paysanne, le amoureux finit par se pendre intervention des forces
Valais de la nature
b) Composition :
alternance d'images
25
personnage conduit à la folie des hallucinations
interviennent dans le
récit et se mêlent à la
réalité
Drames alpestres Centré sur la Séparation des Enlèvement d'une belle fille a) Intertexte biblique
collectivité races allemande par des bergers (Tour de Babel,
romands Judith)
b) Composition,
stratégie narrative
Drames alpestres Vision de la fin Grande Peur dans Les villageois pénètrent dans Oui, voir l'analyse
des temps la montagne une zone que la montagne se p.55-72
réserve
Drames alpestres Vision de la fin Si le Soleil ne U n vieillard s'efforce à a) Thématique
des temps revenait pas convaincre les villageois que b) Procédés
le soleil ne reviendra plus linguistiques,
Drames alpestres - Farinet Désir de liberté Non
Drames alpestres - Derborence Eboulement de la montagne, Oui, voir l'analyse
un homme survit p.73-90
Drames alpestres Amour Adam et Eve Eve quitte son mari sans a) Intertexte biblique
impossible explication b) Procédés
compositionnels et
linguistiques
Romans mystiques Règne de l'esprit Irruption d'un principe Oui, voir l'analyse
malin maléfique dans un village p.22-39
valaisan
Romans mystiques La Guérison des Une fille innocente prend sur
a) Imprégné des
maladies soi les souffrances de son
symboles chrétiens
pays b) thèmes, procédés
linguistiques
Romans mystiques Vision de la fin Les Signes parmi Colporteur biblique annonce Oui, voir l'analyse
du monde nous la fin de l'humanité p.40-54
Romans mystiques Vision de la fin Présence de la mort La nouvelle court que la a) Thématique
du monde Terre retombe au Soleil apocalyptique
(traits du SCI-FI) b) Composition,
stratégie narrative
c) Questions sur la
mort
Romans mystiques Vision du Terre du ciel Résurrection de l'être Thématique
monde après la humain visionnaire de la vie
mort après la mort
Romans relatant La Grande guerre Guerre civile, guerre de Non
certains événements dans le Sondrebond religion en Suisse
historiques
Romans relatant La Guerre dans le Conflit entre le père et le fils Stratégie narrative
certains événements Haut-Pays
historiques
Etudes sur le Le Village dans L'illustration de la Non Non
Valais la montagne vie en Valais
Reflet de la guerre - Histoire du Soldat Soldat revient de l'armée, se Décor merveilleux,
laisse affrioler par le Diable figure du Diable
26
1. la mise en relief des forces surnaturelles de la montagne
La Grande Peur dans la montagne, Si le Soleil ne revenait pas, Derborence
2. la vision de la fin des temps
Les Signes parmi nous, Présence de la mort, La Grande Peur dans la
montagne, Si le Soleil ne revenait pas
3. la représentation systématique des épisodes ou citations de la Bible
Le Règne de l'esprit malin, La Guérison des maladies, Signes parmi nous,
L'Amour du monde, La Séparation des races, Adam et Eve
Puisque nous voudrions souligner tout un éventail de traits qui contribuent à
la construction de l'univers mystérieux, nous avons choisi quatre textes représentatifs
qui forment le mystérieux différemment. Selon la proposition de Josef Hrabâk , 72
nous allons entamer notre analyse par un bref résumé de l'œuvre continuant par
l'explication du rôle des personnages et thèmes. Ensuite nous allons mentionner
l'importance de la composition dans la formation du mystérieux pour terminer avec
la caractéristique de la narration et des procédés linguistiques et stylistiques.
des hommes avec la montagne mais d'une manière tout à fait distincte.
27
2.2. Règne de Vesprit malin
réside dans la représentation des pouvoirs insolites des humains aux traits soit divins
soit infernaux. Ces livres nous renvoient aux différents épisodes du Nouveau
Testament employés pour mettre en valeur des croyances populaires, mythes et
superstitions qui habitaient les cœurs des villageois.
Le cycle mentionné se compose de trois romans : Le Règne de l'esprit malin,
La Guérison des maladies et La Terre du ciel, qui reflètent d'une certaine manière
des pensées qui couraient dans la tête de l'auteur avec l'éclatement de la Première
guerre mondiale. Sa perception de la guerre se dévoile surtout lors des scènes du
Règne de l'esprit malin où l'auteur montre à quel point i l est important de savoir
discerner le bien du mal.
Les deux premiers livres Le Règne de l'esprit malin et La Guérison des
maladies, reliés par le personnage « surhumain » de Marie , sont mis en vente en
75
1917 tandis que La Terre du ciel, fresque du monde après la mort, n'est publiée
qu'en 1921.
2.2.1. Résumé
28
Pourtant, un signal avertisseur apparaît peu après l'arrivée de Branchu. Il ne
s'agit de personne d'autre que d'un étudiant en théologie, ayant la renommée de
n'avoir plus sa tête, qui ose s'opposer.
Les gens n'y prêtent pas attention, restent aveuglés et ne se rendent même pas
compte du Malin qui décompose leur morale. Voilà pourquoi ils se transforment jour
après jour en êtres rudes, cruels et insensibles.
Au fur et à mesure, certains prennent conscience du danger que Branchu
représente. L'ennemi doit être mis à la mort, crucifié, car il incarne l'antagoniste du
Christ le sauveur . Mais au cours de son exécution, au lieu de périr, i l se transfigure
77
en Homme.
Tous ceux qui s'associent à lui vivent dans la surabondance de tout. En
contrepartie le peu de personnes qui résistent et s'opposent à lui courent une misère
inimaginable ayant pour compagnons la famine et la mort.
Les accidents et les catastrophes culminent. Les partisans du Malin mènent à
l'auberge une existence obscène qui atteint son comble lors de la profanation de
l'église. L a nuit entière ressemble à une orgie de Sodome et Gomorrhe où les alliés
de l'Homme font coucher une fille avec une statue du Christ démontée de la croix.
Les vices ne font que s'intensifier et quand la procession, ayant pour but de
chasser le diable, reste sans effet, le M a l semble remporter la victoire. Les bribes de
villageois qui persistent dans leur lutte contre ces épreuves difficiles n'attendent rien
que la mort.
A ce moment-là, où tout espoir s'évanouit, arrive la petite Marie Lude. Même
si les villageois veulent la dissuader d'entrer dans la commune maudite par les cris :
« Ne va pas plus loin, ou tu es perdue ! » , elle continue son chemin. Devant
78
l'auberge, elle refuse de faire le signe du faux messie et expulse le démon. Ainsi
l'innocence l'emporte sur le mal.
77
Voir R A M U Z , C F . : Romans I. Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Editions
de la Pléiade, 2005, p. 1075.
78
Ibid.,p. 1107.
29
2.2.2. Personnages et leur rôle dans la formation du mystérieux
Comme c'est le cas de la plupart de ses livres, Ramuz choisit même dans Le
Règne de l'esprit malin pour héros des gens tout à fait ordinaires et simples. Le
tableau de cette société élémentaire, profondément imprégnée de croyances
religieuses est l'un des éléments significatifs dans la formation du surnaturel.
Le roman se concentre moins sur un héros en particulier mais à l'aide des
destins de différents personnages peint la progression des phénomènes inexplicables.
L'abondance des paysans qui figurent dans le récit révèle aussi l'extension des
malheurs en montrant que le village entier en est frappé. De plus, l'accumulation des
catastrophes dont souffrent les paysans multiplie l'effet de désespoir et refoule toute
explication rationnelle des événements survenues.
Les personnes qui figurent dans le livre jouent plutôt le rôle d'une foule sur
laquelle s'abattent des catastrophes horribles. Ce manque de héros central souligne
l'idée de la collectivité, d'une société composée d'individus ayant le destin commun.
Même si le mauvais sort fait tout pour les décimer , ils adoptent différente façon d'y
79
faire front. En général, nous pouvons les diviser en deux groupes majeurs : des gens
qui s'allient au mal et ceux qui le défient.
L'âme du diable qui s'est installé au village pénètre toute existence humaine
d'une manière mystérieuse. Bien que le cordonnier qui vient de s'établir dans le
village ne se manifeste que très peu, le mal affecte cette société et « tout [change]
[...] rapidement » . Ramuz saisit bien toutes les transformations par lesquelles les
80
30
comme c'est le cas de Clinche dont le comportement change, i l devient grossier, bat
ses enfants et sa femme et les abandonne par la suite . 81
Nonobstant, même cette histoire a son protagoniste qui n'est personne d'autre
que le cordonnier Branchu. Dès la première ligne du livre, le narrateur lui accorde
une attention particulière ce qui excite le lecteur à l'observer plus en détails.
C'est un « passager » , un homme mystérieux dont on ne sait pas beaucoup
82
qui veut s'introduire dans leur petite société. Son origine vague aussi bien que le nom
étrange et le fait qu' « [...] i l boitait un peu ; i l portait sur le dos un sac de grosse toile
grise » 8 3
évoque toute de suite au lecteur sa ressemblance avec le diable. Or, les
villageois ne le remarquent pas tout de suite.
Au cours du texte, son comportement connaît un développement progressif
qui est, néanmoins, mois radical à ce que l'on pourrait s'attendre. Suite à son arrivée
au village, sa conduite ne diffère pas de celle des autres. A u contraire, i l essaie de
s'insinuer parmi les paysans en leur fabriquant des chaussures qu'il vend au dessous
de leur valeur. Il ne s'extériorise pas beaucoup, voire, son apparition sur scène est
moins fréquente que celle des autres personnages mais ses forces mystérieuses sont à
l'arrière plan de chaque chapitre. Son esprit malin s'empare petit à petit d'une
manière inexplicable des cœurs de la plupart des paysans : « [...] leur nature
changeait rapidement, et pas tout à fait dans le sens qu'il aurait fallu pour leur
bien. » 8 4
Le mal se propage comme un virus : d'une façon invisible, rapide et
menaçante.
Alors que l'écrivain fait allusion à son caractère surhumain dès le début par
de nombreux avertissements : « [i]l y avait bien ainsi quelque chose d'un peu
inquiétant dans son aspect [...] » , les personnages commencent à le percevoir en
85
tant que tel seulement vers la fin du deuxième chapitre qui raconte la guérison
miraculeuse de la mère de Lhôte par Branchu. Mais la caractéristique principale du
diable, ne consiste-t-elle pas dans le fait de nous tromper à tel point qu'il nous mène
vers la perdition en faisant semblant qu'il s'agit de notre salut ?
81
V o i r / ^ J . , p . 1029.
8 2
Ramuz fait une parallèle entre son diable et celui que décrit le livre de Job (La Sainte Bible
Job 1,7-8) : « L'Eternel dit à Satan : D'où viens-tu ? Et Satan répondit à l'Eternel : De
parcourir la terre et de m'y promener. »
8 3
R A M U Z , C F . : Romans L Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Editions de la
Pléiade, 2005, p. 1011.
84
Ibid.,p. 1027.
31
Avec la transformation en Homme, ses actions ont plus de traits diaboliques
qu'auparavant : i l subventionne des ivrognes « les entretenant par le vin » 8 6
et invite
les gens à la participation aux méchancetés . Cependant, i l n'incarne pas le rôle du
87
diable effrayant, i l est plutôt tentateur qui essaie d'affrioler les autres de lui faire
confiance . L'écrivain essaie de nous stupéfier et confondre car celui qui incarnait
88
réside surtout dans son esprit maléfique qui poudroie dans l'air en empoisonnant le
village d'une sorte inexplicable.
Outre le personnage de Branchu, c'est le paysan Lhôte qui peut être perçu
comme un héros plein de contradictions. Leur amitié commence bizarrement suite à
leur première rencontre et s'affermit avec la résurrection de la mère de Lhôte où ce
dernier prend Branchu pour Dieu en disant : «[c]'est Jésus qui est revenu ! » 9 0
Malgré le fait que notre Lhôte était allié de Branchu, i l se tenait toujours à
l'écart des faussetés commises par les partisans du Malin . L'avertissement 92
prononcé par Luc qui veut le détromper ressemble aussi à une phrase tirée de la
Bible : « [cj'est pourtant pour vous que je viens et pour toi, Lhôte, particulièrement ;
parce que tu as le cœur pur mais i l s'est adressé aux fausses nourritures. » 9 3
Ibid,p. 1013.
Ibid., p. 1040.
Voir Ibid., p. 1089.
Voir l'image du Diable tentateur dans la Sainte Bible : Mt 4,1-11.
« Fils de l'homme » est une dénomination souvent utilisé dans la Sainte Bible pour Jésus
voir l'Evangile de St. Marc 10, 45.
R A M U Z , C F . : Romans I. Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Editions de la
Pléiade, 2005, p. 1038.
Voir La Sainte Bible, Genèse, chapitre 19.
Par exemple quand tous s'enivraient, i l ne buvait pas.
R A M U Z , C F . : Romans I. Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Editions de la
Pléiade, 2005, p. 1038.
Ibid, p. 1041.
32
Et justement grâce à son « cœur pur », il demeure le seul épargné de ceux qui se sont
tournés vers le Malin.
Lhôte vit aussi un grand changement le long du livre. A u départ ami de
Branchu, il finit ensorcelé et fanatisé par ce Maudit qui l'éblouit à tel point qu'il le
prend pour le fils de Dieu en dépit des méchancetés que Branchu commet. Le point
de départ de cet aveuglément est le rétablissement de sa mère mais de plus en plus, il
devient incapable déjuger les événements sans parti pris.
La fin du livre met en relief encore une jeune fille qui ne figurait presque pas
dans les chapitres précédents. Marie, nom symbolique de la Vierge biblique qui
sauve l'humanité du péché à force de sa réponse à l'appel de Dieu . Pareillement, 96
cette fille innocente descend vers le village de leur maison où elle et sa mère se sont
réfugiées car elle a entendu la voix de son père porté disparu. Les exclamations
«Marie, est-ce que tu viens, parce qu'on a besoin de toi... » 9 7
ressemblent aux
prières que les fidèles adressent à la mère du Christ. Cette analogie entre elle et la
Vierge Marie apporte à l'histoire un caractère merveilleux et évoque auprès du
lecteur l'effet du mystérieux car le monde réel paraît être relié au monde de l'au-delà.
Ibid., p. 1041. Luc incarne dans cette citation le rôle du bon berger qui mène son troupeau
vers bons pâturages, ce qui nous fait penser au Cantique de David : L'Eternel est mon berger,
je ne manquerai de rien. Voir La Sainte Bible Ps 23.
Ibid., p. 1035.
Voir La Sainte Bible Luc 1,28.
R A M U Z , C F . : Romans I. Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Editions de la
Pléiade, 2005, p. 1106.
33
Quant à la montagne qui joue fréquemment chez Ramuz un rôle important
dans la formation du surnaturel , elle se situe plutôt à l'arrière plan de l'histoire.
98
Lors des années difficiles où le monde entier flotte dans les horreurs de la
Première guerre mondiale, Ramuz fait connaissance de sa monstruosité 100
et se
préoccupe de la question du mal et de sa prolifération dans la société. Cette
problématique est méditée dans Le Règne de l'Esprit malin où l'écrivain y associe
encore la question qui touche le discernement du bien et du mal.
Le thème de la prolifération du mal forme le fil principal du texte.
Pareillement comme dans Les Signes parmi nous, « [l]es signes, à vrai dire,
[commencent] à se m o n t r e r » . Même si les indices dévoilant le vrai caractère de
101
Par exemple dans les livres : La Grande Peur dans la montagne, Si le Soleil ne revenait pas,
Derborence, Farinet, elle incarne le personnage principal, le moteur du mystérieux.
M A R C L A Y , Robert : C. F .Ramuz et la Valais, Lausanne, Libraire Payot, 1950, p. 60.
Voir R A M U Z , C F . : Journal, Lausanne, Editions Rencontre, 1968, p. 194-259.
R A M U Z , C F . : Romans L Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Editions de la
Pléiade, 2005, p. 1026.
Ibid.,p. 1031.
Voir Ibid., p. 1055.
34
L'auteur avise le lecteur de la perfidie du Diable en se servant du motif de la
neige. Tout d'abord, « une petite neige [...] fine, venant d'en bas, d'en haut, de tous
les côtés à la fois [...] » 1 0 4
agrémente la scène où les villageois pensent découvrir en
Branchu Jésus Christ. De surcroît, la lumière qui jaillit dans le ciel ressemble à
l'étoile de Bethlehem qui illuminait l'étable où i l est né. Et lors de ce passage
mystique, nous nous croyons témoins d'un nouveau Noël au cœur du Valais. Mais la
neige, au lieu d'illustrer l'innocence et la pureté, se convertit par la suite en menace.
Elle a l'air d'engloutir le village entier en le couvrant d'une couche épaisse. Cela ne
ressemble-t-il pas à la modification du cordonnier qui commence par apprivoiser et
finit par terrifier ?
Ce n'est qu'après la mort de la cinquième femme enceinte que les yeux des
villageois s'ouvrent et qu'ils commencent à comprendre et à se poser des
questions : « Comment a-t-on pu se laisser faire, comment n'a-t-on pas deviné plus
tôt?» 1 0 5
L'auteur n'indique pas exactement comment le mal s'efforce à nous
éblouir, au contraire, i l peint un univers où le mal règne et se propage d'une manière
mystérieuse : « [ . . . ] il y a eu des malheurs, [...] [n]on, ce n'est pas tellement ça que
quelque chose, comment dire? Comme une influence qui serait sur nous... Quelque
chose comme une fièvre » . 106
L a gradation des méchancetés paraît incontrôlée et
irrésistible, ce qui met en évidence son origine surnaturelle.
La progression du mal est rendue visible avant tout par la transformation
morale des individus qui se noient dans la déchéance. De même, « i l était difficile de
ne pas voir que jamais tant de maux ne s'étaient abattus à la fois sur le pays. » 1 0 7
Ibid.,p. 1039.
Ibid., p. 1066.
Ibid., p. 1062.
Ibid.,p. 1033.
35
La multiplication du mal souligne l'idée que le Diable transforme cet endroit
108
en enfer où les hommes se sentent exclus de la faveur de Dieu : « Cœurs
1 0 9
abandonnés que nous sommes, i l n'y a plus de Présence pour nous » et où l'amour
du prochain n'existe plus.
La séparation des êtres humains, un autre thème assez présent dans l'œuvre
de Ramuz, façonne considérablement le roman. Puisque la division des familles est
110
le moyen très efficace par lequel le Diable peut se propager dans la société , nous
assistons tout d'abord à la « séparation volontaire » des personnes qui quittent leurs
1 U
familles parce que soudain leur « [...] humeur avait changé [...] » , le mal s'est
emparé de leurs âmes et ils ont tout abandonné. Ultérieurement surgit la « séparation
involontaire » représentée par la mort qui sépare les membres des familles. La
coupure atteint son comble avec la mise à l'écart de la petite communauté du monde
112
entier. Ils étaient « tous prisonniers dans le village » , privés du contact avec
d'autres communautés voisines qui craignaient les horreurs qui les ont captivés.
Comparons cette image avec la conception de l'enfer du point de vue catholique : « La peine
principale de l'enfer consiste en la séparation éternelle d'avec Dieu en qui seul l'homme peut
avoir la vie et le bonheur pour lesquels i l a été créé et auxquels i l aspire. »
Le Catéchisme de l'Eglise Catholique, paragraphe 1035.
VoirZe Catéchisme de l'Eglise Catholique [online], [cit.2009-26-10]
U R L http://www.vatican.va/archive/FRAOO 13/ P2J.HTM
Ibid., p.1058.
Voir A N G E , Daniel : Raněný pastýř, Kostelní Vydři, Karmelitánské nakladatelství, 1997,
p. 18.
Voir le Diable cause la séparation aussi dans la Bible : « Aussi voulions-nous aller vers vous,
du moins moi, Paul, une et même deux fois ; Mais Satan nous en a empêchés. » (La Sainte
BibleThess. 2,17-18.)
Ibid.,p.1029.
7tó/.,p.l088.
Ibid., p.1088.
36
mesures du silence maléfique qui crispe la gorge des héros aussi bien que du lecteur
car partout règne « [u]n grand silence, rien que ce grand silence ; » 1 1 4
.
L'ambiance pesante, le silence et l'image du village qui ressemble à un
cimetière renforcent l'idée de la mort omniprésente. Elle connaît une gradation
démesurée : au départ, elle afflige plusieurs individus séparément mais par la suite
elle change en une sorte de peste qui attaque tout. Le tableau de la destruction
complète de la vie culmine avec les fausses couches naturelles et avec
l'accouchement des enfants mort-nés suivi de la mort de leur porteuse . Ainsi 115
L'auteur nous plonge dans un monde dirigé par un principe maléfique déjà
par le titre du roman. Règne de l'esprit malin ; cette dénomination nous avertit
d'emblée du vrai caractère de Branchu et facilite notre compréhension du texte.
Ibid.,p. 1098.
L'image du monde dominé par la mort souligne l'idée de la présence du Diable dans cette
société car il incarne la force de la mort. Voir La Sainte Bible Héb.2, 14. « [ . . . ] par la mort,
[Christ] anéantît celui qui a la puissance de la mort, c'est à dire le diable [...] ».
C'est le cas éminemment de la guérison miraculeuse de Marguerite (Voir p. 1057) et de la
37
1. de nombreux présages avisent l'arrivée du surnaturel (chapitres I-IIJII)
2. le caractère surhumain de Branchu se montre pour la première fois ; les
villageois voient en lui le Dieu (chapitres II,IV- 111,1V)
3. les gens se rendent compte du caractère diabolique de Branchu (chapitres
111,1V- la fin)
Après avoir indiqué ces parties, nous allons les présenter plus en détail pour
expliquer encore mieux leur aspect constitutif.
Les deux premiers chapitres laissent sommeiller le surnaturel tout en nous
avertissant par nombreux indices 117
de sa présence secrète. Le mal s'empare de la
petite société, les malheurs, bagarres et disputes se multiplient mais presque personne
n'y prête attention.
A ce stade-là, l'écrivain essaie encore d'élucider certains événements
étranges d'une manière rationnelle : « [ . . . ] et l'événement lui-même aurait été vite
oublié, parce que des pendus, chez nous, on en voit plus qu'on ne voudrait. » 1 1 8
Mais
ultérieurement, les phénomènes qui arrivent sur scène dépassent les frontières du
monde réel à tel point que notre raison répudie immédiatement toute explication
rationnelle. Les situations clés du livre restent dans le vague. Le lecteur n'apprend
pas exactement comment les choses sont arrivées. Mais le surnaturel ne consiste-t- i l
pas justement dans ce caractère flou ? Ainsi, la guérison de Marguerite, la
transfiguration de Branchu ou la chute de la domination du mal restent voilées de
secrets.
38
saints, de saintes, attentifs aux prières qu'on leur adressait. » L'auteur bénéficie de
l'enracinement des Valaisans dans la religion catholique ce qui lui permet de bâtir un
univers imprégné de croyances surnaturelles. Non seulement il documente leur
ferveur par des prières « Seigneur, notre Dieu, protégez-nous [...] ayez pitié de nous,
Seigneur » 1 2 0
mais il se réfère souvent aussi à la Bible.
autres :
« Je vous le dis à vous qui m'écoutez, le Seigneur est parmi nous. Il était menuisier, i l s'est
fait cordonnier, mais peu importe que le métier change ; à quoi le reconnaît, c'est qu'il guérit les
malades, c'est qu'il redresse les morts dans leur cercueil. » 1 2 2
39
Pour mieux visualiser ce jeu systématique avec l'intertexte biblique, nous
nous permettons de l'exposer à l'aide d'un tableau.
40
monde réel au monde surnaturel. Et c'est ainsi que les yeux du lecteur et des
villageois s'attachent au ciel où « [...] i l n'y avait plus autre chose, sauf Dieu qui est
dedans, et son Fils, et le Saint-Esprit, et les saints [...] » 1 2 5
et de cette façon l'auteur
les introduit dans un univers aux traits merveilleux.
Malgré de nombreux gestes des villageois essayant d'infléchir le cœur du
Tout-Puissant, le ciel reste muet en faisant semblant de ne pas vouloir s'immiscer
dans le triste destin humain. En dépit de la ferveur de la procession, le Diable n'est
pas chassé, au contraire, « l'Homme n'eut qu'à ouvrir la porte [...] [et] le dais fut
lâché, la croix pareillement, les bannières, la belle Vierge à robe de soie » 1 2 6
et les
braves vivent dans une incroyable souffrance. Ils réfléchissent sur ce qui avait pu
provoquer cette succession effrayante de catastrophes qui deviennent pour eux des
« plaies d'Egypte ». Le désespoir s'agrandit et ils attribuent la culpabilité à leurs
péchés et l'idée de la fatalité se met à les accabler.
L'univers catholique plein d'espoir est remplacé par la vision calviniste.
L'ambiance macabre prédomine, le mal prend de plus en plus de devant et se
présente presque dominateur, comme si le bien n'existait plus. L a transformation de
la petite société infernale qui cohabite à l'auberge s'achève avec leur style de vie « à
rebours ». Leur satisfactions sont de telle sorte que « on n'en jouit entièrement que
lorsque les ténèbres sont tirés sur nous comme des rideaux, et nous suppriment le
monde. » 1 2 7
Cette inversion des valeurs, de morale et de style de vie est un autre procédé
utilisé pour composer l'ambiance surnaturelle. Tout est à rebours. Le Diable se
masque en Sauveur, les méchants ont l'abondance de tout et les bons périssent
comme si la justice n'existait plus.
L'espace ne fait que renforcer la gravité des événements. Le ciel bas et noir
ou le brouillard sont des signes distinctifs de ce monde : « Sous l'ombre du ciel qui
pendait très bas, et enveloppait le village, comme pour montrer à l'avance
l'isolement où il allait entrer [...] » . 128
Ibid.,p. 1086.
Ibid.,p. 1087.
Ibid., p. 1092.
Ibid., p. 1065.
41
Aussi les descriptions du décor mouvementé créent un fond impressionnant
de l'histoire. Outre le fait que Ramuz illustre de nombreux détails concernant la
nature, ses descriptions précises de la vie paysanne et des coutumes, nous
transportent dans le village même pour assister à l'action . Ramuz aime beaucoup
129
cette petite société montagnarde. Il fait semblant d'être un des leurs, d'y appartenir.
La nature représente pour lui une composante importante du décor et, comme
les valaisans vivent dans une communion directe avec elle, les états d'âme reflètent
fréquemment ceux de la nature. Quelquefois l'écrivain l'invoque pour qu'elle incarne
le rôle d'observateur muet : «Lune, tu es témoin, c'est le soir sur la route [...] et
aussi on a beaucoup bu ; mais ça n'explique pas pourquoi les deux garçons se
tiennent comme ça [...] » . 130
un « tombeau ouvert » 1 3 3
.
129
Ibid., p. 1045.
130
Ibid., p. 1028.
131
Tel est aussi le décor de la journée où l'enfant d'Héloïse naît mort car elle s'est promenée
devant chez Branchu. Ibid., p. 1050.
132
Ibid., p. 1080.
133
Ibid., p. 1107.
134
Ibid., p. 1064.
42
perception auditive s'ajoute et permet au lecteur de plonger plus profondément dans
l'histoire.
Ibid.,p. 1014.
R A M U Z , C F . : Romans I. Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Editions de la
Pléiade, 2005, p. 1637.
Ce terme utilise Ghirelli Marianne dans le chapitre Le diaphane et le solide de son œuvre
C.F.Ramuz Qui êtes-vous ?, Lyon, La Manufacture, 1988.
R A M U Z , C F . : Romans L Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Editions de la
Pléiade, 2005, p. 1048.
Ibid.,p. 1080.
43
qu'il semblait assez qu' « elle eût quitté le pays. » Avec des messages prononcés
par Luc, le moralisateur, ces remarques sont des indices des événements
inexplicables qui arrivent.
140
Ibid., p. 1029.
141
Ibid., p. 1054.
142
Ainsi appelé par Jarmila Otradovicová dans le prologue de R A M U Z , C F . , A kdyby slunce
nevyšlo. Traduction tchèque, Praha, Dílo, 1947.
Ibid., p. 1080.
44
la corriger ; rien n'y fait, elle est barrée. Alors, je lui ai dit que je foutais le camp. »
Ce ne sont que de mini-conversations qui portent sur des thèmes qui sont en relation
directe avec l'existence des personnages. D'ailleurs, des phrases isolées entrecoupent
souvent des passages du texte, éveillent l'attention du lecteur et animent le décor de
la scène en question. Dans ces courts passages, l'écrivain prête fréquemment la voix
à Luc, le « prophète » du village qui par ses cris : « aveuglement, malédiction,
malheur » 1 4 5
ou « [mjéfiez vous » 1 4 6
essaie de secouer le cœur de ses compatriotes.
De courtes évocations apparaissent aussi et soulignent l'urgence du message qu'elles
contiennent : « Qu'est-ce qu'il arrive ? [...] Mon Dieu ! Mon Dieu !» 1 4 7
Puisque Ramuz s'efforce de saisir la réalité par les yeux de ses personnages,
il emploie dans le Règne de l'esprit malin des procédés linguistiques qui renvoient à
l'oralité. Le texte est fréquemment saccadé, interrompu :
« -Reste avec moi !
Elle recommença :
-Il ne saura rien...
Elle continua :
-Et puis ils disent que c'est un méchant homme.». 148
45
2.3. Les Signes parmi nous
production à tel point que de nombreux critiques littéraires les considèrent comme
« le plus étrange livre de Ramuz » . 152
2.3.1. Résumé
Le roman nous situe dans une époque lugubre où les visions apocalyptiques
deviennent de plus en plus pesantes. Les croyants submergent la Suisse entière par
des brochures écrites sur le modèle de Y Apocalypse de Saint Jean qui voient dans les
horreurs de la guerre et dans les maladies les signes avant coureurs du Jugement
dernier.
Caille, le colporteur biblique, passe par différents endroits du pays de Vaud
pour vendre la brochure protestante en annonçant que « [l]es Temps vont venir et i l
convient de s'y préparer. » 1 5 3
II poursuit son chemin malgré les moqueurs et d'autres
personnes sceptiques qui tâchent de le dissuader de troubler le calme de leur
existence : « Empêchez-le ! -Comment l'empêcher ? Et puis encore, s'il disait
vrai ? » 1 5 4
151
Cette période, soit appelée « Apogée » (DUNOYER, J.M. : CF. Ramuz peintre vaudois,
Lausanne, Editions Rencontre, 1959, p. 89.) soit « Tendances mystiques, Ramuz visionnaire»
(GUYOT, Charly : Comment lire C. F .Ramuz, Paris, Éditions aux étudiants de France, 1946,
p. 37.) comprend la période entre 1914 et 1925 qui est représentée surtout par le cycle
surnaturel-mystique : Le Règne de l'Esprit malin, La Guérison des maladies, La Terre du
Ciel.
152
G U Y O T , Charly : Comment lire C. F .Ramuz, Paris, Éditions aux étudiants de France, 1946,
p. 55.
153
R A M U Z , C F . : Œuvres complètes tome 9, Les Signes parmi nous, Lausanne, Editions
Rencontre, 1967, p. 11
154
Ibid.,p. 85.
46
pourtant ça va bien ici, ça va bien pour nous [...] » . Néanmoins, petit à petit le
nombre de morts qui périssent d'une manière inexplicable augmente et les gens,
effarouchés par des images de la guerre qui sévit dans l'Europe entière, ont
l'impression que de nombreux fléaux gagnent aussi la Suisse. Les hommes les plus
gaillards succombent à une maladie étrange. Est-ce que cette épidémie, qui ressemble
à la peste, va enterrer tous les vivants ? Les obsèques se succèdent et les cimetières
se remplissent. De plus, la révolte des verriers qui travaillent dans des conditions
extrêmes « comme s'ils avaient été déjà condamnés au Feu Eternel » 1 5 6
submerge la
région. L a nature devient aussi menaçante : un orage s'apprête sur le Léman et le
Jura et le monde est aux prises avec la chaleur. « Trente-cinq à l'ombre ! Ça ne s'est
jamais vu. » 1 5 7
La fin de l'humanité est venue, « les morts, un moment n'ont plus été
morts » 1 5 8
et on a l'impression que « l'Ange [...] vient nous chercher » 1 5 9
.
L'Apocalypse semble s'achever. Mais l'auteur ne clôt pas le livre avec les
paroles fatidiques de Caille, mais i l met en scène un couple d'amoureux qui a un
rendez-vous au jour de l'orage. Tout en ayant crainte, Adèle arrive à la rencontre
avec Jules où au lieu de se laisser emporter par des pensées macabres, ils se donnent
l'un à l'autre en croyant que l'amour vaincra. Pour eux ce n'est pas la fin du monde,
au contraire « c'est [son] recommencement » 1 6 0
.
Et cette fois-ci l'amour triomphe et donne de nouveau le sens à la vie qui
reprend son rythme et chasse l'idée de la mort à tel point que toutes les catastrophes
semblent oubliés.
Ibid., p. 21.
Ibid., p. 46.
Ibid., p. 65.
Ibid., p. 111.
Ibid., p. 111.
Ibid., p. 119.
47
passages de Y Apocalypse et ne brisent pas l'alternance continuelle de mystérieuses
visions de Caille.
Jusqu'au chapitre douze, le livre n'a qu'un seul héros qui n'est personne
d'autre que le fameux colporteur biblique Caille. Son aspect de pèlerin ambulant qui
ne veut rien accepter sauf « un verre d'eau, comme dans les premiers Temps » 1 6 1
Ibid., p. 12.
Voir définition du mysticisme chapitre 1.3 p. 11.
R A M U Z , C F . : Œuvres complètes tome 9, Les Signes parmi nous, Lausanne, Editions
Rencontre, 1967, p. 11.
L'auteur se sert aussi de la citation de l'Apocalypse de Saint Jean : 1,8.
R A M U Z , C F . : Œuvres complètes tome 9, Les Signes parmi nous, Lausanne, Editions
Rencontre, 1967, p. 60.
Parmi les mystiques éprouvant des grandes douleurs dues au sentiment d'être extrêmement
éloigné de Dieu, citons par exemples Jean de la Croix ou Sainte Thérèse ď Avila qui le
communiquent dans leurs lettres ou autres écrits.
Voir A U G U S T Y N , Józef : V'jeho ranách, Kostelní Vydři, Karmelitánské nak ladatelství,
2000.
Voir Juan de la Cruz : Temná noc, Kostelní Vydři, Karmelitánské nak ladatelství, 1995.
Ibid., p. 60.
Ibid., p. 62.
48
misérables conditions de travail évoquent dans le cœur de Caille la citation
« [q]uiconque ne fut pas trouvé dans le Livre fut jeté dans l'Etang de Feu. » 1 6 8
Caille est le type de personne qui vient pour jeter un trouble dans la vie calme
de la société. Il mène les villageois aux réflexions qui touchent la vie spirituelle, i l
tourne leurs pensées quotidiennes aux choses célestes. Son exhortation « personne ne
connaît le jour, ni l'heure, mais tenons-nous prêts, car les Temps sont proches » 1 6 9
ne
laisse pas les gens indifférents. C'est pourquoi les villageois l'accueillent de
différentes manières : certains ont peur de ses alertes et voient en lui « [un] marchand
de malheur » 1 7 0
et le chassent, d'autres achètent ses brochures pour s'informer sur le
déroulement de la fin du monde et pour être prêts lorsque le Jugement arrive.
Cependant, Caille ne reste pas seul dans son effort de rependre la nouvelle
concernant les derniers temps, il trouve du soutien auprès de Mademoiselle Parisod
qui devient sa protectrice. Elle incarne le modèle de la « bonne femme croyante » qui
apporte du secours à son maître 171
qui perd l'espoir que son dévouement pourrait
servir à quelque chose. Les encouragements de Mademoiselle Parisod : « Allez
quand m ê m e ; [...] allez et l'Esprit reviendra» 172
le renforcent et même « p a r le
moyen d'elle, l'Esprit, en effet, revenait. » 1 7 3
49
ont un message à nous transmettre. [...] elles sont une réunion qui dit : On est là ;
regardez-nous. » 1 7 5
des fléaux de l'époque , ils renoncent à la vie et soutiennent les opinions de Caille
181
50
2.3.3. Thèmes menant à la formation de l'univers mystérieux
mieux la base de la mystique de notre écrivain, citons André Tissot, grand spécialiste
de Ramuz, qui explique dans son Drame de la poésie l'origine du mysticisme de
notre écrivain :
comble avec Les Signes parmi nous où l'écrivain s'imagine la fin des temps à la
lumière de saint Jean. Ce grand thème est élaboré à l'aide des thèmes partiels qui
contribuent à fonder une ambiance pleine d'angoisse en suggérant des visions
catastrophiques.
51
qui vivent dans l'abondance de tout mais le retour des légionnaires suisses qui y
ont péri amplifie le désespoir : « [ . . . ] les plus forts, les mieux portants ; on les avait
envoyés sur leur deux pieds, ils vous reviennent dans une caisse ; on les avait envoyé
en pleine santé, [...] ils vous reviennent fermentes [...] » 187
. L a guerre ne joue pas
dans le texte seulement le rôle d'une force séparatrice qui met à mort tout le vivant
mais l'auteur nous avertit qu'elle peut également détruire la morale et la psychologie
de l'individu. Les parents se demandent : « [ . . . ] est- ce bien mon Henri ? Il y a
quelque chose de décalé; [...] qui me l'a c h a n g é ? » 188
Comme si ces survivants
vivaient une autre existence ; ils sont psychologiquement dévastés, leur corps est
présent mais l'âme est ailleurs. Leurs souvenirs mouvementés dévoilent la frappante
ressemblance de certaines scènes de guerre à celles de VApocalypse : « Du sang par
terre, du sang au ciel. A ce moment ont été tirés des coups de fusil. » 1 8 9
52
plus de religion, [...] n'a plus le sens des symboles» C'est pourquoi il met en
scène Caille en tant que prophète pour expliquer ces signes à la population dont le
cœur est resté ignorant.
la fidélité pour sept fois sept ans . Un autre motif important se constitue autour du
195
temps. Outre le fait que le substantif « temps » prime dans de nombreuses citations,
de même l'auteur l'emploie fréquemment pour nous indiquer que le temps des
humains est relatif car « [ . . . ] la véritable montre, c'est le ciel avec son cadran bleu et
son aiguille d'or [...] qui s'élève, puis redescend. » 1 9 6
53
2.3.4. Composition de l'œuvre
Avant même de commencer notre lecture, le titre du livre nous introduit dans
un monde mystérieux et visionnaire. Les Signes parmi nous ; déjà cette dénomination
est révélatrice parce qu'elle souligne la dimension spirituelle et surréelle de l'œuvre.
La période décrite par le livre ne représente qu'une journée, celle du 31 juillet
1918 ce qui permet à l'auteur d'exposer une image assez complexe de toutes les
actions qui ont lieu. Bien que cette courte étape ne signifie qu'un petit fragment de
l'histoire de l'humanité, elle s'apparente à un moment décisif car « [ . . . ] une voix
dira : C'en est fait. » 1 9 9
pas seulement dans les thèmes mystiques mais i l part à la recherche d'une nouvelle
forme d'écriture qui représente une certaine réaction à la rencontre du grand
musicien russe : Igor Stravinsky . 201
Ibid.,p. 124.
Cette comparaison est plutôt symbolique. Dans les Signes, nous pouvons rencontrer ces
quatre différents passages rythmiques seulement avec une petite différence : Le rythme du
deuxième mouvement est rapide au lieu d'être lent et celui du troisième mouvement est lent
au lieu d'être rapide.
Ibid.,p. 105.
Voir note de bas de page 151
Voir B U C H E T , Gérard : C. F. Ramuz 1878-1947, Lausanne, Éditions Marguerat, 1969, p. 92.
54
L'un des traits musicaux indéniables est la structure du texte et la disposition
des chapitres. V u que l'écrivain efface dans son manuscrit définitif le sous-titre
« roman » et le remplace par celui de « tableau » 202
, i l veut mettre en relief que son
œuvre a une grande valeur symbolique. Son but fondamental consiste alors dans le
fait de se laisser guider par l'imagination et d'aligner les fragments apocalyptiques
selon une certaine stratégie.
Le texte est divisé en quinze chapitres qui peignent diverses scènes dont
l'ensemble forme un tableau apocalyptique. L'auteur fait accroître le suspens et le
mystérieux de l'œuvre par divers moyens dont l'un réside par exemple dans
l'enchaînement des chapitres. Chaque début du chapitre semble n'avoir rien en
commun avec le précédent, si l'un se ferme avec une querelle, le commencement de
l'autre est caractéristique par la tranquillité ce qui lâche toute tension.
Le texte s'ouvre déjà avec l'image du quatrième sceau ce qui souligne l'idée
que la marche vers le Jugement dernier est en plein procès. L'alternance des images
se référant aux sept sceaux 205
avec celle des sept anges qui versent les coupes de la
colère de Dieu , amplifie le sentiment que la fin des temps peut venir à tout
206
moment. Mais Ramuz ne copie pas dans son tableau eschatologique les visions de
55
saint Jean selon l'ordre chronologique, au contraire, i l les présente plus librement .
Son but primordial est d'associer une référence biblique à chaque événement qui
apparaît : « Elles regardent le ciel, [...] le nuage qui passe dessus est tout pâle... Il est
annoncé. Le Livre dit que des Chevaux Ailés viendront, un Roux, un Noir, un Pâle ;
[...] le Pâle, lui, s'appelle mort et sépulcre. » 2 0 8
Le plus grand nombre de citation provient du sixième chapitre d'Apocalypse qui décrit
l'arrivée successive des fléaux.
20«
Ibid., p. 86.
209
Ibid., p. 120.
210
Ibid.,p. 133.
56
que peu crédibles. Mais la nature semble faire des signes aux humains pour les
prévenir.
Les descriptions lyriques et pittoresques du début du livre où l'écrivain chante
la beauté de son pays : « Les maisons ont, pareillement à la plante, des racines non
étrangères à la terre où elles sont logés ; les murs sont frères et coussins du
caillou » 2 1 2
sont bientôt remplacés par celles qui produisent l'effroi : « [il] a tout le
côté rouge ; le bras qu'il lève, rouge ; [...]. Du sang par terre, du sang au ciel. » 2 1 3
211
Voir Ibid., p. 134.
212
R A M U Z , C F . : Œuvres complètes tome 9, Les Signes parmi nous, Lausanne, Editions
Rencontre, 1967, p. 35.
213
Ibid., p. 98.
214
Ibid., p. 86.
215
Ibid., p. 47.
216
Ibid., p. 38.
57
du texte car la décodification de la voix narrative n'est pas toujours simple :
« On parle bas dans le salon, on parle bas dans la cuisine ; mon Dieu ! qu'ils me le
laissent, qu'ils me le laissent tout à moi, le peu de temps encore qu'il sera là. » 2 1 7
De
plus, le manque de clarté des énoncés accompagné par l'alternance des voix
narratives cause de nombreuses ambiguïtés et rend les énoncés confus.
Ibid., p. 48.
Ibid., p. 114. Voir La Sainte Bible A p 2,17.
Ibid.,p. 16, 107,
Dans son Journal des années 1909-1914, Ramuz souligne que « [l]a guerre, c'est un recul
dans le passé. » (p. 202). Il s'oppose au progrès dans lequel i l voit un grand danger. Ses idées
politiques émergent aussi des Signes grâce à la figure du roi Guillaume p. 22 et p. 30 qui
apparaît comme un monarque despotique.
Ibid., p. 30.
Ibid., p. 51.
Ibid., p. 114. Dans cette citation apparaît aussi une référence à la parabole sur les dix vierges
58
2.3.6. Construction linguistique et caractéristique de l'écriture
La langue des Signes forme un autre élément clé qui collabore à construire
successivement le mystérieux de l'œuvre.
l'intimité des personnages qui sont particulièrement touchés par des malheurs. Ces
monologues des âmes déchirées sont écrits avec une extraordinaire empathie qu'on
ne rencontre pas souvent dans ses livres . L'auteur semble vivre ces moments
225
difficiles avec les gens, accablé par les mêmes peurs et angoisses : « Elle a tiré sa
chaise le plus près de lui qu'elle a pu. [...] Tu m'as volé ma vie. Tu m'as prise pour
sept mois seulement ; [...] [i]l m'a menti, tu m'as trompé. » 2 2 6
qui sont parties au milieu de la nuit avec leurs lampes à la rencontre de l'époux. Cette courte
histoire nous rappelle qu'il faut être prêt à tout moment car l'arrivé de l'époux (symbole de la
fin des temps) est proche. Voir La Sainte Bible Mt 25,1-13.
224
Voir par exemple Ibid., p. 45, 53, 73...
225
Dans d'autres romans, Ramuz se montre souvent indifférent aux catastrophes qui se
produisent (ce qui est le cas par exemple de Grande Peur dans la montagne ou du Règne de
l'Esprit malin).
Ibid., p. 48. L a veuve assise près du cercueil de son mari pleure leur séparation causée par la
maladie.
227
Ibid., p. 84.
228
Ibid., p. 10.
59
des gens : « -Le petit est mort ! - Pas vrai ! Doucement ! -Eh ! mon Dieu ! mon
Dieu ! - Faites doucement, je vous dis, la porte est ouverte... » 2 2 9
Le fait de placer deux phénomènes contradictoires tout près, instaure une espèce de
suspens. Ces oppositions où la vie côtoie la mort et où le silence remplace les bruits
mènent vers la continuelle mise en doute des choses. Fréquemment, l'auteur laisse
culminer l'accumulation des contradictions avec la contestation complète des
énoncés ce qui contribue à l'avènement du surnaturel et au gommage de toute sorte
de rationalité car « les choses qui sont là, c'est comme si elles n'étaient pas là. » 2 3 2
Ibid., p. 71.
Ibid., p. 40.
L a comparaison représente une des spécificités ramuziennes mais dans l'analyse des Signes,
nous n'en parlons que brièvement car elle y apparaît moins souvent en comparaison avec
d'autres œuvres.
60
2.4. La Grande Peur dans la montagne
La Grande Peur dans la montagne, publiée en 1926, représente l'une des plus
grandes épopées de l'écrivain. On lui attribue fréquemment le titre de « livre type »
de Ramuz car nous pouvons y observer la culmination de certaines tendances
stylistiques et thématiques 233
qui caractérisent l'ensemble de sa production littéraire.
De surcroît, ce roman, prouve la maturité de l'auteur déjà expérimenté qui n'est plus
à la recherche de son style mais qui recommence à s'expliquer . 234
2.4.1. Résumé
L'histoire s'ouvre avec un désaccord entre les anciens du village et les jeunes
concernant le pâturage de Sasseneire, situé entre Val d'Hérens et Val d'Anniviers,
qui, tout en appartenant à la commune, reste toujours abandonné. Les vieux ne
cessent de répéter : « Vingt ans, vous ne vous rappelez pas... Nous, au contraire, on
Ibid., p. 28.
(1925-1946) Il s'agit surtout de la culmination des tendances mettant en relief la montagne en
tant que force surnaturelle, mis en relief par le thème des superstitions et de solitude. Quant à
la stylistique de l'œuvre, nous pouvons y admirer la multiplication des narrateurs qui se
montrait aussi dans d'autres textes ou la langue chaotique et fragmentaire des dialogues.
Ramuz est déjà reconnu comme un grand auteur, ayant écrit des œuvres uniques comme La
Guerre dans le Haut pays (1915), Le Règne de L'Esprit Malin (1917), Le Grand printemps
(1917), L Histoire du soldat (1920) La Guérison des maladies (1917), Les Signes parmi nous
(1919) etc.
E n ce qui concerne la fonte partielle du glacier, Ramuz aurait pu s'inspirer de la réelle
crue du glacier de Moiry décrit par Sébastien Métrailler sans son mémoire intitulé Marges
proglaciaires et évolution récente du pergélisol dans la région de Réchy-Lona (VS).
Voir [cit.2009-15-10] URL
http://www.unifr.ch/science/diplome07/html/pdf/Metrailler%20Sebastien.doc
61
se rappelle » et soulignent ainsi leurs souvenirs inquiétants et des légendes qui
courent autour de l'endroit. Mais les jeunes triomphent et arrivent à persuader leurs
ancêtres de leur permettre d'exploiter les terres longtemps considérées comme
maudites.
Peu de jours après, sept hommes montent avec le bétail pour profiter de la
bonne herbe qui pousse dans ces altitudes. A u préalable, tout semble bien se passer,
en outre, le jour de la montée « [i]l faisait très beau, ce qui était bon signe. » 2 3 7
Mais
à peine installés en haut, ils sont témoins des accidents étranges qui se multiplient et
prouvent que les superstitions n'étaient peut être pas le fruit d'une pure fantaisie.
Bien que les signes du malheur pèsent sur les êtres de là haut, Joseph et
Victorine vivent une idylle grâce à leur amour. Néanmoins, même leurs rencontres se
compliquent car la maladie du troupeau bloque les gens dans le chalet montagnard en
les condamnant à la solitude et à l'isolement.
Le manque de son amoureux pousse Victorine à braver l'interdit et à monter
en secret à Sasseneire. De peur d'être arrêtée, elle fait ce trajet au cours de la nuit.
Mais ne connaissant pas le sentier choisi, elle se fourvoie « [e]lle a dû tomber à la
renverse » 2 3 8
et Joseph ne la revoit que dans son lit de mort. Dès lors, Joseph erre
dans les montagnes comme un fantôme, plus mort que v i f et la petite société de
l'alpe, rongée par l'inquiétude et des soucis, plonge dans un désespoir complet.
L'histoire se clôt d'une manière assez tragique car non seulement les hommes
partis pour Sasseneire y trouvent la mort mais de plus, elle frappe plusieurs
personnes du village. L a montagne semble savoir protéger ses terres sacrées. Quand
le glacier craque et inonde la vallée entière, c'est comme si elle voulait se venger et
régler les comptes.
62
dans le texte le héros principal, une force colossale dotée du pouvoir surnaturel. Dans
ses alpages et ses rochers se déroulent de nombreux phénomènes inexplicables : non
seulement on entend la nuit un bruit « comme si on marchait sur le toit ; [...] » 2 4 0
63
bonnes choses [...] i l n'y a rien et plus personne, [...] » L a montagne y empêche
toute vie : c'est son domaine, un endroit qui nous initie au monde de la mort. Par
conséquent, tout envahisseur doit être arrêté car « [s]ur ces hauteurs règne la loi
fatale de la pesanteur et de la mort et les forces les plus sournoises finissent toujours
par l'emporter. » 2 4 7
Dans le roman, la montagne semble punir les hommes d'avoir
violé son royaume sacré ; elle se venge en détruisant tout ce qui est en vie. V u que
l'auteur souligne la candeur des villageois 248
et justifie leur transgression dans ces
endroits : « Oh ! ils ne demandaient pourtant pas grand-chose à ces lieux, [...] ils ne
les gênaient pas beaucoup. Us étaient modestes en tout, ils se contentaient de
peu » 249
, la montagne ressemble encore davantage à une force impitoyable et cruelle.
246
Ibid., p.23.
247
R A M U Z , C F . : Besoin de Grandeur, Paris, Grasset, 1954, p. 38.
248
Tous les six villageois sont venus avec des intentions pures ; à l'exception de Clou qui
voulait appauvrir la richesse de la montagne en ramassant des pierres précieuses.
249
R A M U Z , C F . : La Grande Peur dans la montagne, Paris, Grasset, 1993, p. 164.
250
Ibid.,p.SS.
251
Ibid., p.18.
252
Ibid., p. 31.
64
oriente notre attention vers trois hommes qui jouent le rôle primordial dans la
construction de l'univers mystérieux.
Prenons d'abord la figure du vieux Barthélémy qui a déjà une fois assisté aux
malheurs de Sasseneire et qui représente l'un des rares rescapés. Ses croyances aux
forces surnaturelles de la montagne sont visibles grâce à l'extrême attachement au
talisman qu'il porte perpétuellement pendu autour du cou en se rassurant : « Moi, je
2 5 3
suis protégé. » Priant le soir dans son coin et répétant sans cesse : « [...] avec moi,
254
tu ne risques rien, j ' a i le papier [...] » , i l ressemble à un voyant relié au monde
surnaturel. Guidé par la conviction que seul le papier trempé dans le bénitier du
Saint-Maurice-du-Lac peut le préserver des mauvais esprits, i l incarne le personnage
superstitieux par excellence.
Présentons ensuite Clou, le premier bénévole voulant s'engager à pâtre le
bétail dans la haute montagne. Pourtant, le Président tarde à l'embaucher car c'est un
braconnier, homme louche et étrange, dont la mauvaise réputation est connue de
tous. En plus, sa complaisance « [d'aller] chercher des plantes dans la montagne, [...]
2 5 5
des pierres, et on disait de l'or[...] » dans des endroits désertés, souligne son
extravagance. Asocial et peu communicatif, i l ne craint pas la montagne, au
contraire, i l se plaît dans cette solitude.
Dans le texte, c'est lui qui semble être allié de la montagne. A l'opposé des
autres qui doivent surmonter leurs peurs et d'y partir à cause de leur précarité
256
financière, Clou s'en réjouit car «là-haut [il] serait à portée...» Plus ses
compagnons sont effrayés par des événements qui secouent leur existence à
Sasseneire, plus i l s'y sent à l'aise. Se promenant dans les endroits où nul humain
n'oserait pénétrer et ne rentrant que rarement au chalet, i l a vraiment quelque chose
de diabolique en lui. Comme s'il faisait partie des esprits maléfiques qui demeurent
257
près des sommets , les autres ont peur de lui aussi bien que de la montagne car
même son apparence « [ď] un homme couleur de pierre, [ď] un homme pareil à une
2 5 8
grosse pierre qui viendrait ; [...] » prouve de son caractère demi-sorcier.
Ibid.,p. 18.
Ibid.,p. 138.
Ibid., p. 26.
Ibid., p. 26.
Voir Ibid., p. 163.
Ibid., p. 77.
65
Même si La Grande Peur dans la montagne est une histoire qui peint la
collectivité luttant contre les forces surréelles qui la dépassent, l'auteur accorde une
importance particulière encore à un personnage : celui de Joseph.
N'ayant pas de moyens financiers pour pouvoir se marier, Joseph décide de
partir à Sasseneire malgré les avertissements de sa fiancée. En dépit des catastrophes
qui se produisent dans le mystérieux alpage, Joseph et Victorine vivent une idylle ;
comme si leur union était la seule force capable de résister aux forces surnaturelles
de la montagne. Mais l'arrivée de la maladie aussi bien que l'isolement transforment
l'idylle en mauvais rêve.
Même de ce texte émerge la vision ramuzienne de l'amour malheureux qui
finit par la séparation des amants. Suite à la mort tragique de Victorine, Joseph
semble complètement transformé et privé du bon sens à tel point qu'il vit dans une
sorte d'hallucination, tirant des balles autour de lui. « [E]tant seul, de plus en plus
seul ; étant seul à présent comme i l n'avait jamais été » 259
, i l se dirige vers les
endroits les plus abandonnés de la montagne. L a nature hostile des sommets « où i l
n'y a plus rien, [...] ni même l'herbe, rien qui soit en vie, » 2 6 0
reflète l'image de son
cœur déchiré qui plonge dans le désespoir absolu.
La montagne se montre responsable de cette mort tragique car elle met sa
signature sur le corps inerte de Victorine qui a « [la] main toute froide, [...] comme
de la pierre » 2 6 1
.
Ibid.,p. 172.
Ibid.,p. 143.
Ibid.,p. 158.
66
qui s'y sont déroulés ne peuvent pas être élucidés « parce que ceux qui y étaient se
sont tous contredits » 262
, cet alpage paraît toute de suite très énigmatique ce qui
contribue à la création des légendes.
Ramuz met en relief les superstitions grâce au personnage de Barthélémy
dont chaque geste renvoi aux croyances populaires . Ce n'est qu'avec la perte du
263
papier bénit suivi de la mort tragique de Barthélémy que le lecteur se rend compte de
l'extrême importance que l'écrivain accorde dans le texte à ces superstitions, qui se
montraient plutôt comme imaginations naïves causées par le besoin d'apaiser
l'angoisse des Valaisans.
Les superstitions connaissent une importante évolution surtout avec l'arrivé
de la maladie du bétail. Cette épidémie contagieuse représente le premier événement
tout à fait inexplicable, qui s'annonce comme déclencheur du fantastique car « [...] la
maladie n'était rien encore, n'étant qu'un signe et qu'un commencement [...] ce qui
faisait peur, sans qu'on osât le dire, c'est ce qui viendrait par la suite. » 2 6 4
N i la fin du
roman ne nous élucide comment les événements se sont déroulés au vrai ; Ramuz
nous laisse avec nos suppositions et mentionne simplement : « - c'est que la
montagne a ses idées à elle, c'est que la montagne a ses volontés. » 2 6 5
une force supérieure qui nous observe et qui dirige nos vies. C'est pourquoi i l
n'aspire pas à élucider des événements qui se sont produits car « [...] i l y a un secret
67
dans ces choses, et nous jugeons d'en bas ces choses, tandis que leur sommet nous
demeure caché. Il ne faut pas chercher à les comprendre. Il faut seulement
comprendre cela, qu'il y a une Main sur nous et un Œil ouvert sur nos vies, à qui rien
ne peut échapper. » 2 7 0
Les croyances aux êtres surnaturels qui se promènent la nuit autour des
sommets se reflètent aussi dans le roman car l'arrivée du crépuscule approfondit
l'effroi des pâtres à tel point « qu'ils [faisaient] grand feu comme pour se donner
l'illusion du jour » 275
.
Le motif de la peur est l'un des éléments clés dans la formation de l'univers
mystérieux. Le roman incite, à plusieurs reprises, le lecteur à se poser des questions
sur la cause de cet inexprimable angoisse. Mais Ramuz ne nous révélera jamais la
réponse car dans cette peur inexplicable réside le mystère du texte.
68
multiples refrains liés aux pierres qui roulent et font des bruits affreux comme s'ils
avaient pour but d'avertir les transgresseurs de ne pas pénétrer dans des zones
interdites.
69
recouvert au contraire par ce qui est son empêchement. » L a force mystérieuse de
la montagne meurtrière pénètre tout sans exception, n'excluant ni les humains,
apparemment forts. Comme si la mort était « un signe et une manifestation de la
colère d'En Haut, [...] » 284
, elle semble punir les humains pour leurs crimes secrets.
Le dernier chapitre arrive avec le refrain des clochers qui « [sonnent] pour des
morts » 2 8 5
ce qui renforcent encore l'ambiance pathétique du texte. Ainsi, le roman
se clôt avec une vision de Ramuz le fataliste en soulignant que « [l]e destin peut tout
faire [tant que] l'homme rien » 286
.
respecte pas strictement le principe des trois unités , nous pouvons y trouver le
289
2 8 3
R A M U Z , C F . : Derborence, Mermod, Lausanne, 1944, p. 32.
2 8 4
R A M U Z , C F . : La mort du Grand Favre et autres nouvelles, Lausanne, Le Livre du mois,
1970, p. 34.
285
R A M U Z , C F . : La Grande Peur dans la montagne, Paris, Grasset, 1993, p. 184.
286
C H E R P I L L O D , Gaston : Ramuz ou L'Alchimiste, Yverdon, Imprimerie Henri Cornaz, 1958,
p. 18.
Voir R A M U Z , C F . : Romans IL Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Editions
de la Pléiade, 2005, p. 1588.
Voir R A M U Z , C F . : Raison d'être, Paris, Edtitions de la Différence, 1991, p. 18.
L'unité de temps est un peu brisée car le livre décrit une courte période que les bergers ont
vécu à Sasseneire. L'unité de lieu est respectée, la majeure partie des scènes se déroule dans
les alentours de Sasseneire, mais l'auteur parfois coupe cette image du là-haut pour nous
montrer ce qui se passe en bas dans le village. Quant à l'unité d'action, elle est aussi
respectée. Admettons que Joseph et Victorine semblent vivre une petite histoire amoureuse à
part mais, plus tard, nous nous apercevons qu'elle est aussi énormément conditionnée par la
montagne.
L'exposition correspond aux chapitres 1-4 qui nous situent dans le lieu d'action. L a collision
arrive avec le premier événement étrange : le bruit de pas dans la nuit (chapitre 5), suivi de
crise (chapitre 7-12) qui peint l'accumulation des phénomènes aux traits surnaturels. L a
péripétie arrive avec le chapitre 13 où Joseph descend au village et trouve Victorine morte.
Son retour accompagné d'errance autour de Sasseneire esquisse le désastre à venir. L a
dernière partie, la catastrophe (chapitre 15), clôt le livre avec une énumération de morts en
soulignant le grand pouvoir de la montagne.
70
personnages font face à des situations qui les dépassent et même la fatalité semble
peser sur eux. Le roman aborde aussi la problématique de la morale en nous faisant
réfléchir s'il est convenable de transgresser la loi des anciens ?
D'un autre point de vue, le roman peut être divisé en deux parties dont la
première raconte l'avènement du mystérieux et la deuxième montre sa prolifération
démesurée jusqu'à une catastrophe finale.
Observons d'abord les moyens qui permettent à l'écrivain d'aménager le
terrain pour l'apparition d'un phénomène surnaturel. L'un des fréquents procédés qui
nous initient à l'univers mystérieux du texte sont des avertissements. Des indications
comme « Oh ! pas là haut, parce que... » 2 9 1
parsème le roman dès sa cinquième ligne
jusqu'à l'irruption de la maladie qui leur accorde un caractère quasi prophétique. La
première menace annonçant le caractère étrange de Sasseneire arrive de la part des
vieux. Bien que la majorité des villageois n'y croie pas, l'endroit garde un caractère
inquiétant qui est resté dans le subconscient. Ceci est dévoilé non seulement par les
réflexions du Président concernant la récupération du pâturage : « En tout cas, je suis
couvert» mais aussi de fréquentes préoccupations des villageois: «[...] j ' a i été
inquiète depuis l'autre jour, mais tu me dis que tout va bien là-haut, alors, je te
292
crois. »
En outre, le passé mystérieux des hauteurs désertées ne fait qu'accroître le
suspens. Or jusqu'à la fin du cinquième chapitre, cette histoire reste inexpliqué. En
plus, les personnages semblent avoir peur en racontant leurs mauvais souvenirs ;
comme si leur énoncé avait pu provoquer une catastrophe inouïe. Cet effort de
dissimuler les événements de jadis contribue à y voir l'intervention des forces
étranges à tel point que même les affirmations de Barthélémy expliquant que
plusieurs villageois y ont trouvé mort 293
n'apaisent pas le lecteur.
Mais dès le début du roman, l'écrivain forme aussi un contrepoids rationnel à
ces présages surnaturels. Les jeunes raisonnables réfutent toute sorte de superstitions
ce qui ne fait que souligner l'aspect fantastique de l'œuvre car les croyances
populaires se voient constamment mises en doute : « c'est des bêtises et on n'a même
71
jamais pu savoir exactement ce qui s'était passé là-haut. » Cette alternance
perpétuelle des opinions contradictoires fortifie la croissance successive d'angoisse
qui prépare le terrain pour l'arrivée du surnaturel.
294
Ibid., p. 32.
295
Ibid., p. 87.
296
Ibid., p. 87. Voir la Sainte Bible Ex. Chapitre 9.
297
Ibid., p. 90.
298
Dans sa production romanesque, Ramuz se sert de VApocalypse qu'il appelle
« le Livre ».
Voir l'analyse des Signes parmi nous p. 56, 57.
72
perdition. Les personnages pressentent que leur existence est menacée et essaient de
« quitter le bord » : « pour tout l'or du monde, on n'aurait pas pu nous faire rester
une heure de plus ici. » 300
, mais ils n'en sont plus capables, car le cercle vicieux des
événements catastrophiques est en plein procès. Le dernier chapitre est une image du
train sans freins s'écroulant dans un gouffre, ensevelissant tous ces passagers.
La dynamique du texte est encore soulignée par les refrains qui s'associent
aux motifs principaux du roman, comme s'il s'agissait des indices mystérieux que
l'auteur veut signaler au lecteur. Un autre élément qui influence la dynamique du
roman est le motif des trois points qui mettent en relief la langue saccadée des
dialogues et augmentent le suspens.
V o i r / t a / . , p. 102.
R A M U Z , C F . : La Grande Peur dans la montagne, Paris, Grasset, 1993, p. 57.
73
Pour mieux visualiser l'importance des refrains dans la composition de
l'œuvre, nous nous permettons de présenter un petit tableau dévoilant que ces courtes
phrases s'associent fréquemment aux majeurs motifs du roman :
Refrain Page
« Il faisait très beau ce qui était bon 41,42.
signe. »
« Le ciel faisait ses arrangement à lui sans 73, 106.
s'occuper de nous. »
« Rien que des pierres. » 74.
« -La maladie ! » 72, 75, 85, 97.
« c'était comme toujours et en même 148.
temps pas comme toujours. »
« il n'y avait personne » 149, 150.
« des pierres se sont mis à rouler » 174, 175.
« On avait commencé de sonner pour les 183.
morts. »
74
Sasseneire s'avère maléfique avec ses nuages ; et même le beau temps se transforme
par la suite en une « grande chaleur » 307
.
Ramuz forme minutieusement l'espace du livre en décrivant d'un œil
similaire à une caméra tout déplacement des personnages, comme s'il voulait écrire
un scénario pour animer le notre imagination : « Elle a vu venir à elle l'escarpement
de la pente tombant vers la rivière [...] elle y arrivait déjà ; on n'avait pas appelé, rien
ne bougeait ; au moment où elle allait être forcée de quitter la berge, [...] elle est
entrée sous les pins. » 3 0 8
Ibid.,p. 133.
Ibid.,p. 118.
VoiiIbid.,p. 30,31.
Ibid., p. 115.
Ibid.,p. 149.
75
étranges nous sont présentés par les yeux des personnages, c'est-à-dire d'une façon
assez subjective :
« -Ce mulet, est-ce naturel ? As-tu vu Romain toi ?
-Non.
-Moi, je l'ai vu [...] Tu connais l'endroit comme moi ; alors, écoute bien, cet endroit, est-ce
qu'il n'avait pas été choisi exprès ?... Et cette pierre, c'est quelqu'un ... »
3 1 2
S'appuyant sur la vision peu critique des montagnards vis à vis aux tragédies
de Sasseneire, l'auteur gomme systématiquement le rationnel en effleurant le
fantastique .
313
plusieurs narrateurs, Ramuz multiplie différents points de vues ce qui joue le rôle
crucial dans la formation de l'univers mystérieux.
La majeure partie du temps, nous voyons apparaître le narrateur intra-
diégétique hétéro-diégétique qui se stylise dans le récit en employant la forme
généralisante « on ». Son attitude critique vis-à-vis l'exploitation de Sasseneire nous
fait signaler qu'il pourrait s'agir d'un représentant des vieux : « [l]a jeunesse l'avait
donc emporté, [...] on s'était entendu sur les conditions sans trop de peine ; ensuite i l
avait été convenu qu'on irait voir sur place où les choses en étaient, [... ] » 3 1 5
.
Avec le premier jour au nouveau pâturage, le texte se focalise sur le
personnage de Barthélémy à tel point qu'il semble reprendre pour un certain temps le
rôle du narrateur : « Il y a eu cette première journée plutôt courte quant au soleil qui
est vite caché pour nous. » 3 1 6
Ibid.,p. 90.
Voir la définition du fantastique de Roger Caillois p. 9.
Voir R A M U Z , C F . : Romans II. Œuvres complètes, Paris, Editions de la Pléiade,
Gallimard, 2005, p. 1592.
R A M U Z , C F . : La Grande Peur dans la montagne, Paris, Grasset, 1993, p. 18.
Ibid., p. 51.
Ibid.,p. 118.
76
La narration est caractéristique par l'oscillation entre le présent et le passé.
Les reflets des événements d'il y a vingt ans, dont les détails sont perpétuellement
dissimulés, émergent dans le présent ce qui fonctionne comme menace : « -Vous
n'avez rien entendu, cette nuit? [...] - parce que l'autre fois, ça avait commencé
comme ça... » 3 1 9
univers.
318
Ibid., p. 146.
319
Ibid., p. 51.
320
Ibid, p .192.
321
Voir note de bas de page numéro 234.
322
Voir R A M U Z , C F . : Journal, Lausanne, Editions Rencontre, 1968, p. 46.
77
« - J'avais peur... j'avais peur...
-Peur de quoi ?
-Parce qu'on marchait.
-Hein ?
-On...marchait...
-Hein ?
-Sur le toit... » 323
Ibid., p. 63.
Ibid., p. 32.
Ibid., p. 179.
Ibid., p. 142.
78
2.5. Derborence
En 1936, paraît un autre roman de Ramuz perçu comme unique, entre autre,
grâce à un parfait équilibre établi entre l'amour et la mort et entre le lyrisme et le
pessimisme . S'achevant d'une manière heureuse, ce texte diffère considérablement
327
constater que le roman est considéré par les « ramuzophiles » en tant que l'œuvre
d'un écrivain expérimenté qui prouve sa maturité . 330
au massif des Diablerets s'est produit pour la première fois le 23 septembre 1714
mais vu la déstabilisation du sommet de la Tête de Barne, un autre effondrement,
moins dévastateur que le précédent, aura lieu encore le 23 juin 1749 . 331
L'influence des légendes et des superstitions sur la vie des valaisans est
indéniable. Le fait que des histoires merveilleuses se réfèrent aux multiples endroits
de la Haute montagne ne nous est pas transmis seulement par des livres mais aussi
les dénominations telles que « Diablerets, Quille du Diable ou Tête d'Enfer » nous le
témoignent. Les bergers attribuaient aux démons et aux mauvais esprits la
responsabilité des accidents et malheurs . Suite à l'encombrement de Derborence
332
par la pluie de pierres, les légendes se développent d'une façon exubérante dont l'une
79
raconte qu'un berger est resté longtemps enseveli sous les pierres avant de retrouver
le chemin de son village . 333
2.5.1. Résumé
A peine marié avec Thérèse, Antoine doit obéir à la vie semi-nomade des
valaisans et partir à Derborence pour paître le bétail avec l'oncle de sa femme.
Amoureux, i l dépérit à cause de la séparation de son épouse.
Un soir autour du feu, son oncle par alliance se met à lui éclaircir le
fondement des bruits qui percent de plus en plus leur silence. Peu après, la montagne
s'écroule et ensevelit le pâturage entier.
Les gens des villages voisins ont cru que « [c]'est un roulement de
tonnerre» 334
et ce n'est que le lendemain qu'ils apprennent la vérité ainsi que
l'étendue de la catastrophe. Le pâturage se transforme en un monde dominé par la
mort où des animaux, chalets et hommes sont inhumés à jamais.
Plus la mauvaise nouvelle envahit le village, plus la mère de Thérèse
s'efforce à ne pas la lui avouer. Cependant, Thérèse apprend la mort de son mari et
n'arrive pas à croire que le petit être qu'elle porte dans son sein va être demi-
orphelin.
Un soir pourtant elle est persuadée d'avoir vu le spectre de son feu mari. Est-
il réel ou est-ce seulement un fantôme ? Les doutes la rongent mais son cœur ne se
trompe pas. Après être submergé sous les pierres pendant plus de sept semaines,
Antoine survit et grâce aux provisions des bergers, il revient au village plus mort que
vivant.
Il commence progressivement à se souvenir de tout ce qu'il a vécu sous les
pierres et après son arrivée, i l quitte de nouveau le village pour retrouver Séraphin
qu'il croit encore en vie. N i les superstitions, ni les pierres n'arrivent à dissuader
Thérèse de partir à la recherche de son mari. Son amour la conduit à travers des
creux et l'aide à le ramener à la vie.
3 3 3
Voir site de Derborence [online], [cit.2009-25-08] URL http://www.derborence.ch/legendes/
3 3 4
R A M U Z , C F . : Derborence, Lausanne, Mermod, 1944, p. 61.
80
2.5.2. Personnages et leur rôle dans la formation du mystérieux
question de sa virilité car elle lui ôte le père adoptif pour qui i l éprouvait un grand
attachement . 337
Il s'agit des romans publiés après 1914 suite à son Adieu à beaucoup de personnage, texte
qui explique sa volonté d'exprimer la vie de l'individu incorporé dans le « Grand Tout ».
Le premier filon littéraire illustre la vie d'un individu qui incarne le héros principal du texte.
Il s'agit des textes suivants : Aline (1905), Jean-Luc persécuté (1909), Aimé Pache, Peintre
vaudois (1911), Vie de Samuel Belet (1913).
Voir R A M U Z , C F . : Derborence, Lausanne, Mermod, 1944, p. 183.
A la fin du roman Antoine abandonne sa quête fanatique de Séraphin et revient accompagné
de sa femme à la maison.
R A M U Z , C F . : Derborence, Lausanne, Mermod, 1944, p. 117.
Ibid., p. 159.
81
qui se réveille du long sommeil dans le jardin d'Eden où Dieu lui avait ôté une côte,
Antoine se ranime différent comme s'il lui manquait quelque chose.
Peu après son apparition de dessous les pierres, « [...] les mouches viennent
de plus en plus nombreuses ; des papillons aussi [...] » 3 4 0
arrivent en hâte pour
l'observer. Comme si le sommeil hibernatif cessait de dominer en cédant la place au
nouveau printemps. La transformation d'Antoine est accentuée par son insouciance.
Lorsqu'il chemine vers le village et parle aux oiseaux qui « [...] viennent toujours en
plus grand nombre, lui montrant la bonne direction » 3 4 1
: ne voit-on pas une réplique
de Saint François d'Assise ?
Au cours du texte, l'image d'homme simple change. Il ne manifeste plus les
traits d'un enfant mais plutôt celles d'un être primitif, psychiquement malade. La
métamorphose qu'il a vécue sous les pierres se manifeste dans toute son activité.
Non seulement son corps mais aussi sa conduite correspond à un spectre qui erre
sans pouvoir atteindre la paix.
Le village entier voit en lui un revenant : « i l ne pèse plus rien » 342
, i l a l'air
d'un étranger qui n'appartient plus au monde des vivants. Sa femme le reconnaît à
peine, les villageois ne cessent de douter de sa double existence. Les phrases qu'il
prononce, les gestes qu'il fait, à la fois « [...] c'est lui et c'est pas lui [...] » 343
. Sa
distraction et fréquente répétition des phrases et des questions semble une autre
preuve de son anormalité . 344
Ibid., p. 120.
Ibid., p. 141.
Ibid., p. 138.
Ibid., p. 137.
Voir Ibid., p. 165, 170, 182.
Ibid., p. 213.
82
qu'elle brise la pensée de Thérèse. Antoine poursuit la mystérieuse voix qui résonne
en lui ; la montagne prend l'allure de son obsession et semble l'engloutir à jamais.
Les bergers qui l'accompagnent dans sa recherche de Séraphin restent
immobiles devant l'immense pierrier : ils ont respect de la montagne. Mais Antoine,
fanatisé, disparaît dans le lointain. Plan, un vieux berger, « [...] dit qu'il est faux » 3 4 6
Thérèse, porteuse de vie, elle est la seule qui ose affronter la montagne en
suivant les pas de son mari égaré. A l'intérieur de son cœur, une voix la pousse sans
cesse à ne pas se résigner. Est-ce le petit qui la presse de suivre son père ?
346
Ibid., p. 202.
347
Ibid., p. 203.
348
Ibid., p. 104.
349
Ibid., p. 133.
350
Voir la femme de Jean-Luc qui est infidèle, Eve qui quitte son époux dans le roman Adam et
Eve, Joséphine qui trahit Farinet,...
R A M U Z , C. F. : Journal - Tome 11895-1920, Lausanne, Éditions de L'Aire, 1978, p. 186.
83
Elle ne craint pas la montagne et dans ce combat inégal elle triomphe sur
cette immense rivale en étant la donatrice d'une double naissance : celle de son
époux et celle du bébé qu'elle porte dans ses entrailles.
Mais i l serait tout à fait incomplet de dire que l'univers de Derborence tourne
seulement autour du couple de Thérèse et d'Antoine. L a solitude, souvent
mentionnée par le narrateur, contraste avec le monde peuplé du roman. Les acteurs
ne sont pas seulement les paysans des villages voisins mais aussi de nombreux
éléments de la nature : la rivière, la lune, les oiseaux qui sont personnifiés par
l'écrivain à tel point qu'ils se métamorphosent en êtres vivants qui vivent en
symbiose avec les humains. Ce texte est un exemple de la déclaration de l'écrivain :
« [l]a nature n'est pas un décor pour moi. » 3 5 2
De même, nous avons parfois
l'impression d'être dans le domaine du merveilleux : Le Rhône « vous raconte la
vieille histoire » 353
, les oiseaux sont des guides du revenant, « la lune [devient]
triste » 354
.
84
L'écrivain souligne le surnaturel de la montagne encore par les résidents
d'Aire qui représentent dans le livre la foule de gens superstitieux. Ils regardent la
montagne comme un ennemi dangereux, n'osent pas lui faire front mais semblent
plutôt vivre à l'écart pour ne pas trop la provoquer.
Outre l'oncle de Thérèse qui est le mystérieux sauveur de son mari, c'est le
vieux berger solitaire Plan à qui l'écrivain accorde une fonction spécifique. V u qu'il
habite à proximité de la montagne, i l a pour fonction d'avertir les paysans et le
lecteur. Son alerte : «[nj'allez pas plus loin ! [...] D...I...A... Vous comprenez ? » 3 5 8
résonne dans toute la vallée et effraie tous. C'est lui aussi qui bien avant la
catastrophe sème les rumeurs et avertissements quant à l'installation de la famille
diabolique 359
en haut. Pris pour un reclus affolé auparavant, les gens commencent à
le regarder comme un sage par la suite. Il accentue l'aspect mystérieux de la
montagne car quoiqu'il demeure dans la zone supérieure à celle où se trouve le
pâturage de Derborence, i l a été épargné par le désastre. En outre, son expérience de
la montagne dépasse celle des autres à tel point qu'il semble être son allié :
« M o i , je sais et toi, tu sais, a-t-il dit à la montagne. Toi, tu te fais en te laissant faire. Mais
celui qui te pousse, tu le connais bien, hein ? D...I...A...B... Et tu les entends comme moi, la nuit, les
pauvres, ceux qu'il retient là prisonniers. » 3 6 0
3SS
Ibid., p. 48.
359
« -Tu sais pourtant bien ce qu'on raconte. E h bien, qu'il habite là-haut, sur le glacier, avec sa
femme et ses enfants. » Ibid., p. 20.
360
/te/., p. 114.
361
Jean-Louis Pierre précise dans son œuvre Poétique de Derborence le terme de montagne
qu'il remplace par celui de « minéral » qui englobe pour lui les dénominations le rocher, la
paroi etc.
362
M A R C L A Y , Robert : C. F .Ramuz et la Valais, Lausanne, Libraire Payot, 1950, p. 19.
85
Si nous observons la production littéraire de l'auteur, nous devons affirmer qu'au fil
des années, sa vision de la montagne mûrit en commençant par le rôle de force
naturelle située à l'arrière plan de l'histoire 363
et en terminant par l'incarnation du
rôle de protagoniste . 364
L'absence d'homme cause un silence maléfique qui est comme un présage des
malheurs car tout autour « i l n'y [a] plus rien [...] que l'immobilité et la tranquillité
de la m o r t » 370
qui contraste avec l'action mouvementée. A u silence s'associe aussi
le motif du vide par lequel l'écrivain crée une image quasi apocalyptique en
363
C'est le cas d'Aline ou de Jean-Luc persécuté.
364
Citons les exemples : Farinet, Grande Peur dans la Montagne, Derborence, Si le Soleil ne
revenait pas.
365
R A M U Z , C F . : Derborence, Lausanne, Mermod, 1944, p. 106.
366
Ibid., p. 32.
367
PIERRE, Jean-Louis : Poétique de Derborence, Paris, Sorbonne, 1978, p. 208.
368
Ibid., p. 114.
369
Ibid., p. 17.
370
Ibid., p. 111.
86
mentionnant que le monde est « comme s'[il] n'était pas encore crée ou ne l'était
plus, comme si on était avant [son] commencement ou bien après [sa] fin. » 3 7 1
L'image « [...] des pierres et puis des pierres et puis des pierres. [...] tout un immense
champs de pierres [,..]» , met en relief la force meurtrière de la montagne car le
372
Ibid., p. 17.
Ibid., p. 122.
M A R C L A Y , Robert : C. F .Ramuz et la Valais, Lausanne, Libraire Payot, 1950, p. 60.
Comme c'est le cas de La Grande Peur dans la Montagne voir chapitre 2.4.
R A M U Z , C F . : Derborence, Lausanne, Mermod, 1944, p. 228.
Ibid., p. 213.
Voir ibid., p. 181.
Voir chapitre 2.5.2. p.76.
R A M U Z , C F . : Derborence, Lausanne, Mermod, 1944, p. 228.
87
La lutte entre la vie et la mort s'achève par la victoire de la vie. Même si de
nombreux bergers ont trouvé la mort à Derborence lors de la catastrophe, un d'entre
eux a survécu. L a mort essaie non seulement de frapper le pâturage qui avec ses
herbes et fleurs en abondance représentait la source de vie des paysans. La force
meurtrière de la montagne attaque aussi cet alpage qui change en « énorme désastre
[...], espèce de mer arrêtée, toute cette immensité morte où i l ne reste plus personne
[...] » 380
. Mais la nouvelle vie pénètre tout : l'existence de Thérèse car elle est
enceinte, celle d'Antoine qui revient de la montagne et celle du pâturage où
commence à pousser l'herbe « [...] et l'herbe veut dire la v i e . » 381
La dernière lutte qui accentue le mystérieux du livre est celle des Valaisans
contre des superstitions. Dès le début du roman, l'auteur nous introduit dans un
univers profondément imprégné de croyances païennes qui s'entremêlent aux
croyances catholiques. Les villageois expliquaient les chutes occasionnelles de
grosses pierres par le jeu aux quilles 382
que pratiquaient des diablotins. « Ils visent la
quille avec leurs palets. [...] Seulement i l arrive des fois aux palets de manquer la
quille et tu devines où elles vont, leurs munitions. Qu'est-ce qu'il y a après le bord
du glacier, hein ? Plus rien, c'est le trou. » 3 8 3
L a conviction qu' « Il habite là-haut,
sur le glacier, avec sa femme et ses enfants » situe l'histoire dans le domaine du
surnaturel car la population locale semble cohabiter avec des créatures surhumaines.
Avant l'éboulement de la montagne, les croyances au surnaturel de la montagne ont
plutôt le caractère légendaire : seul le berger Plan y accorde de l'importance mais les
jeunes ne le prennent pas au sérieux.
Bien que la catastrophe accorde plus d'importance aux superstitions, ce n'est
que le retour d'Antoine qui livre les villageois craintifs aux diverses croyances.
L'écrivain approfondit le mystérieux par la continuelle mise en doute quant à
l'appartenance d'Antoine au monde des vivants. A u départ, Thérèse croit avoir vu
son mari dans les buissons mais les gens se rassurent que « [...] dans son état, i l
arrive souvent qu'on croit voir des choses qui ne sont que dans votre tête. » 3 8 4
De
même le fait de rester sans sépulture nourrit des idées que « [cj'est les morts... Us
380
Ibid., p. 199.
381
Ibid., p. 112.
382
Les diablotins visent la Quille du Diable, un rocher situé sur le bord de la paroi, qui
largement surplombe les autres. Voir annexes page 4.
383
Ibid., p. 21.
384
Ibid., p. 134.
88
reviennent, on ne pourra pas les empêcher. » 3 8 5
La force des superstitions s'accroît à
tel point qu'au son de la cloche se déroule à Aire un acte d'exorcisme au cours
duquel les résidents, présidés par le prêtre portant le Saint Sacrement vont à la
rencontre du fantôme mystérieux . 386
Même dans cette lutte contre les superstitions, c'est Thérèse qui triomphe en
suivant son mari dans son cheminement vers la paroi en se laissant guider par la voix
de son cœur : « [rjépare à présent ton erreur, femme négligente ; monte, femme, vers
lui. » 3 8 7
385
Ibid., p. 154.
386
Voir ibid., p. 160.
387
Ibid., p. 209.
Observons le destin des personnages emblématiques de la production romanesque de
Ramuz : Aline, l'amante dupée s'enlève la vie et se pend. Jean-Luc persécuté devient fou à
tel point que l'infidélité de sa femme le pousse à la tuer et à mettre fin aussi à sa vie. Dans
Les Circonstances de la Vie, un homme se ruine à cause de sa femme, de même Farinet est
trahi par Joséphine. Fréquemment, un des amoureux meurt (la femme de Samuel Belet,
Victorine dans La Grande Peur dans la Montagne) ou finit par la séparation (le cas à'Adam
et Eve).
R A M U Z , C F . : Derborence, Lausanne, Mermod, 1944, p. 228, 229.
390
R A M U Z , C F . : Journal, Lausanne, Editions Rencontre, 1968, p. 41
391
Ibid., p. 182.
392
L a séparation ressemble dans la plupart de ses romans à l'élément constitutif de l'histoire.
Les hommes sont séparés par la mort ou par une maladie (Grande Peur dans la Montagne,
Règne de l'Esprit Malin, Séparation des races), par les différents étages de montagne où ils
doivent vivre. A la séparation corporelle se joint même la séparation mentale où les opinions
des héros les différencient des autres (Si le Soleil ne revenait pas, Farinet), etc.
89
Mais Ramuz fait de Derborence un endroit symbolique. Etant situé à la limite
des trois cantons (Valais, Vaud et Berne), il n'est pas seulement une nécropole où la
montagne retire la vie aux nombreux bergers mais i l devient aussi le point de
rencontre où « [...] les hommes de trois pays [...] ont été réunis un moment, buvant de
l'eau-de-vie [...] » 393
. Pareillement, ce n'est qu'à Derborence où Antoine rencontre
de nouveau sa femme.
Derborence forme partie des romans où les catastrophes qui se déroulent dans
la haute montagne sont perçues en tant que fruits d'une force surnaturelle. Ramuz
construit l'ambiance mystérieuse du texte non seulement à l'aide de l'intrigue où
apparaissent des phénomènes étranges mais aussi grâce à une stratégie
compositionnelle caractérisée par des césures et flashbacks. Ainsi le début de chaque
chapitre rompt avec le chapitre précédent en entamant une nouvelle partie de
l'histoire, se focalisant sur un autre personnage et en offrant une autre vision. Le
passé s'entremêle avec le présent, les rêveries avec la réalité : « Et, elle, tout de suite
elle avait été là, dans ses rêves, [...] Il lui a dit : -Alors quoi ? elle a dit :- Alors,
394
comme ça » .
Mais n'oublions pas de relever l'importance des jeux de lumières et les jeux
de contrastes en général. On pourrait s'attendre à ce que le désastre de Derborence se
déroule sous un décor quasi apocalyptique mais ce n'est pas le cas. En revanche, la
paroi s'écroule au cours d'une nuit tranquille.
La singularité du texte, vis-à-vis de l'ensemble de la production romanesque
de l'auteur, est assurée aussi par le choix du titre qui se rapporte à une réalité
géographique ce qui est peu fréquent chez l'écrivain. V u que l'éboulement de
Derborence était même à l'époque de Ramuz un site naturel renommé , déjà le titre 395
nous situe dans l'endroit extraordinaire qui favorise la perception mystérieuse des
événements.
90
Le roman est divisé en deux parties dissemblables ayant chacune un héros
différent. L a première partie est centrée sur le pouvoir maléfique de la montagne qui
y constitue le héros principal. L a société montagnarde paraît impuissante, oppressée
par son pouvoir suprême.
Au cours de cette partie, le mystérieux mûrit grâce aux présages par lesquels
l'écrivain imprègne le texte. Ramuz se sert des «phrases visionnaires» qui
esquissent quelle pourrait être la suite de certains événements pour accorder un
caractère magique à l'histoire. Ainsi par exemple le dialogue entre Séraphin et
Antoine le soir de la catastrophe où Séraphin remarque qu'il se conduit « [c]omme
s'[il] allai[t] être séparé d'elle pour toujours... » 3 9 6
nous sert d'indice annonçant la
séparation d'avec son épouse. Néanmoins, la plupart des villageois refuse à accorder
la valeur aux croyances populaires. Le temps décrit par le narrateur comprend la
période de deux jours commençant la veille du 23 juin et allant jusqu'au lendemain
du désastre.
La deuxième partie s'ouvre avec un recul de deux mois qui correspondent au
séjour d'Antoine sous les pierres. Ramuz organise cette partie différemment en
plaçant au premier plan Antoine, le survivant de la catastrophe. L a montagne
écrasante ne semble que vivre dans des souvenirs, pourtant, on apprend bientôt
qu'elle est comme l'ombre qui suit le rescapé partout où i l se trouve. Les souvenirs
d'Antoine représentent le fil important de la deuxième partie.
Une autre particularité de l'univers ramuzien qui se manifeste avant tout dans
ses romans alpestres 398
est la formation de l'espace, caractérisée par les
remarquables « effets de la caméra » 399
. Cette nouvelle technique inspirée par l'art
cinématographique permet à l'auteur de renforcer l'importance de la scène car nous
la regardons de plus près ou de loin, sous différents angles. Le roman nous offre deux
Ibid., p. 14.
Voir la comparaison du pâturage p. 28 et p. 230.
Voir chapitre 2.1.
Terme utilisé par André Tissot dans son essai C.-F. Ramuz ou le drame de la poésie,
Neuchâtel, Éditions de la Baconnière, 1948, p. 279.
91
types de vues : la vue montante où la caméra s'élève et vise les sommets lointains et
la vue plongeante où elle se situe dans un endroit idéal pour retenir les moindres
détails de la vallée. Ramuz construit minutieusement son univers en plaçant chaque
objet à un endroit précis et bien déterminé. Les images mirant vers les profondeurs
accentuent la petitesse de l'être humain encerclé de montagnes imposantes. Grâce à
ce montage constitué de différentes visions, le tableau du pâturage de Derborence est
très complexe et authentique. Entre autre, Ramuz zoome certains détails et les
éloigne par la suite pour mieux mettre en relief l'insertion des individus dans le
milieu montagnard. Pour la plupart, la caméra regarde par les yeux des personnages
ou des animaux : « [s]eul l'aigle l'aurait vu, parce que la tête a bougé, et les pierres
autour d'elle ne bougent pas. [...] Un pauvre homme pourtant qui sort de dessous la
terre, un pauvre homme qui est apparu au milieu d'un espace vide que les blocs
laissent entre eux dans leur superposition hasardeuse » 400
.
L'oscillation des images offrant des vues variées aussi bien que l'alternance
des scènes relatant le passé et le présent renforce son aspect cinématographique.
L'insertion des verbes de perception visuelle 401
représente un autre appui pour notre
« théorie cinématographique ». Derborence se transforme dans l'imagination du
lecteur en un film qui saisit le déroulement de la lutte de deux êtres avec la
montagne. De même, Francis Reusser, l'illustre metteur en scène suisse, confirme
notre hypothèse en réalisant le film portant le même nom en 1985 . 402
« Derborence, étant là comme un mur qui montait par-dessus un mur. C'était comme une
froisse fumée, mais sans volutes, plate ; c'était comme un brouillard, mais c'était plus lent, plus
pesant ; et la masse de ces vapeurs tendait vers en haut d'elle-même, comme de la pâte qui lève,
comme quand le boulanger a mis la pâte dans le pétrin, et elle déborde du pétrin. » 403
92
La dynamique du texte est assurée par l'alternance des passages
mouvementés et calmes. La symétrie à laquelle aspire le roman est visible déjà de
son épigraphe « Derborence, le mot chante triste et doux [...] » 4 0 4
qui instaure un
équilibre entre les forces de la mort et celles de la vie. Un lyrisme admirable assure
au roman la singularité. L a poétisation du texte joint les rêveries naïves et
imaginations romantiques de Thérèse qui allègent les scènes liés à la catastrophe. Les
refrains émergent régulièrement du texte et font songer à un long poème en prose. La
phrase « [cj'est la montagne qui est tombée. » 405
, plusieurs fois répétée par différents
personnages, participe à la structuration du texte tout en accentuant l'impuissance de
l'être humain devant cette force surnaturelle. Le deuxième refrain mettant en relief la
nuit du 22 juin qui précède celle de la Saint Jean nous fait penser aussi à la magie, au
monde féerique et nourrit nos croyances populaires.
93
Comme nous l'avons déjà mentionné lors du chapitre précédent, la narration
est marquée par des coupures. Le lecteur est invité à pénétrer plus profondément
dans le mystérieux du livre que l'écrivain crée par le caractère vague de certains
énoncés, fréquemment renforcés par l'expression d'imprécision « ça ». L'auteur les
emploie aussi pendant la description du désastre pour ne pas avoir à préciser l'origine
des faits : « [...] ça bouge et ça gronde ; en même temps ça craque, en même temps ça
siffle [...] comme si c'eût été la fin du monde. » 4 0 8
II y a aussi des situations où
quelqu'un parle sans qu'il soit nommé, où nous sommes censés deviner à qui
pourrait appartenir cette voix.
Les dialogues des personnages sont souvent coupés par le silence, dévoilent
les hésitations des montagnards et la simplicité de leurs conversations va de paire
avec leur caractère austère : « - Je crois bien que le diable a été se coucher ; si on
allait en faire autant ? Antoine n'avait donc rien dit. [...] - Bonne nuit, lui avait dit
Séraphin. Il avait répondu : - Bonne nuit. » 4 1 0
Ibid.,p. 42.
Voir D U N O Y E R , J.M. : CF.Ramuz peintre vaudois, Lausanne, Editions Rencontre, 1959,
p. 179.
R A M U Z , C F . : Derborence, Lausanne, Mermod, 1944, p. 24, 25.
Ibid.,p. 83, 84.
94
Passons maintenant aux monologues qui forment aussi une partie
considérable du discours des personnages. Surtout au cours de la deuxième partie du
roman, l'auteur nous plonge fréquemment dans les réflexions de ses héros et dans
leurs rêveries. L a longue narration d'Antoine qui transmet aux villageois ses
expériences vécus sous les pierres est preuve de la transformation subie, sensible
dans ses questions plusieurs fois répétées et phrases parfois confuses : « Tu t'appelles
Thérèse; tu vois, je me souviens... Et bien sûr qu'on est mariés, seulement, i l
faudrait... avant... » 4 1 2
Ibid.,p. 187.
Ibid.,p.m.
D E N T A N , Michel : C. F .Ramuz - L'Espace de la Création, Neuchâtel, Éditions de la
Baconnière, 1974, p. 132.
R A M U Z , C F . : Derborence, Lausanne, Mermod, 1944, p. 61.
95
3. Comparaison des œuvres choisies
Après une analyse détaillée qui nous a approché les procédés constitutifs des
quarte textes choisis, nous nous permettons d'en déduire les principaux piliers ou
règles générales qui pourront être appliqués à l'ensemble de la production
romanesque de Ramuz.
96
1. les personnages excentriques, exceptionnels ou rares qui contribuent à
l'instauration d'une ambiance aux traits surnaturels
97
Le choix thématique instaure aussi une ambiance favorable à la prolifération
du mystérieux. Bien que les fables des livres soit variées , nous pouvons y observer
422
certains thèmes dominants qui traversent son œuvre depuis le premier texte jusqu'au
dernier. L'une de ces idées fixes est par exemple le thème de la mort qui a même
donné la naissance au roman Présence de la mort où l'auteur médite la
problématique du sens de la vie.
Ramuz amplifie la gravité du monde dominé par la mort encore à l'aide des
thèmes du silence et de la solitude qui l'obsèdent. Il se laisse pénétrer par le calme
des montagnes valaisannes dont le silence à la fois curatif, à la fois menaçant, surgit
de son cycle montagnard . 423
Titre Principe supérieur Pour quel but l'auteur se sert-il de cette force surnaturelle ?
apparaît sous forme
de
Règne de l'esprit Dieu et Diable Ramuz réfléchit sur la prolifération du mal dans la société
malin
Signes parmi Prévision concernant L'auteur voit les signes de l'Apocalypse s'accomplir, mais
nous la fin des temps montre aussi la force de la vie qui grâce à l'amour de deux jeunes
sauve l'humanité de la catastrophe
Guérison des Personnage de Marie L'écrivain dévoile l'interconnexion du monde réel avec le monde
maladies de l'au-delà
Terre du ciel Image du paradis Ramuz médite la problématique de la vie éternelle et du bonheur
absolu
Présence de la Prévision concernant L'écrivain est obsédé par la pensée à la mort, illustre le
mort la fin des temps comportement des personnages qui sont avertis que la mort va
bientôt les emporter sur « l'autre rive »
Grande Peur Montagne Ramuz révèle la petitesse de l'être humain vis-à-vis une
dans la puissance qui le dépasse
montagne
98
Derborence Montagne Ramuz révèle la petitesse de l'être humain vis-à-vis une
puissance qui le dépasse tout en soulignant l'importance de
l'amour qui peut rendre la vie
Si le Soleil ne Montagne Ramuz révèle la petitesse de l'être humain vis-à-vis une
revenait pas puissance qui le dépasse
Amour du Dieu L'auteur montre l'apathie des humains aux choses célestes
monde
Les quatre romans sur lesquels nous nous sommes concentrée, témoignent
aussi de la recherche d'un principe qui veille sur nous mais d'une manière différente.
Tandis que dans Le Règne de l'esprit malin et les Signes prennent le dessus la
recherche de Dieu et la symbolique religieuse, dans la Grande Peur dans la
montagne et dans Derborence triomphe la montagne en tant que puissance colossale
qui ensorcelé l'écrivain.
Quant à la façon d'aborder les thèmes religieux, nous devons affirmer que
cette tendance connaît une importante culmination chez Ramuz. Pour la première
fois, l'inspiration biblique surgit en 1917 avec le roman Règne de l'esprit malin qui
ouvre le cycle mystique de l'écrivain. Dans ce texte, Ramuz compare différentes
scènes du roman avec celles de la Bible avant tout pour approfondir l'ambiance
mystérieuse grâce à la symbolique religieuse. L a même année est publiée encore la
Guérison des maladies où la petite Marie qui enlève les maladies des autres en les
prenant signale une profonde inspiration biblique. Mais dans les Signes qui
paraissent en 1919, les passages de la Bible n'ont pas seulement une valeur
référentielle, car l'auteur en tisse le fil principal du texte.
Mais la représentation de la montagne est marquée aussi par un important
changement. Dans les premiers écrits de l'auteur, elle ne surplombe pas le cadre des
éléments naturels où l'écrivain situe l'histoire, ne jouant que le rôle d'une de ses
composantes ce qui est le cas d'Aline ou de Jean-Luc persécuté. En 1926, avec le
roman Grande Peur dans la montagne, cette vision se modifie et la nature des
sommets rocheux commence à incarner le protagoniste de l'action.
De surcroît, la montagne n'est presque jamais chez Ramuz un endroit qui
permet la rencontre avec Dieu. A u contraire, elle personnifie le lieu maudit qui
menace l'existence humaine. Puisque l'auteur la regarde par les yeux de ses
personnages qui s'expliquent toutes les catastrophes comme une sorte de punition
99
d'En Haut , i l y voit le siège des mauvais esprits et même celui du Diable ce qui
nous prouve le tableau suivant :
100
brièvement les principaux traits compositionnels des romans choisis à l'aide du
tableau suivant :
101
compositionnels qui contribuent d'une manière significative à la création de l'univers
mystérieux.
En général, nous pouvons résumer qu'un texte appelé mystérieux obéit à trois
principes compositionnels fondamentaux se rapportant
1) à sa division
2) à l'enchaînement des chapitres
3) à sa nature générale
Quant à la disposition des romans mentionnés, ils ne sont pas homogènes mais, au
contraire, exigent une ou plusieurs péripéties, un changement significatif qui
étonnerait ou confondrait le lecteur. L'importance des ruptures se manifeste aussi au
niveau de l'enchaînement des chapitres qui se montrent peu cohérents. Pour atteindre
l'effet du texte fragmentaire et décousu, l'auteur peut juxtaposer plusieurs tableaux
différents ou employer l'alternance systématique des chapitres où règne le calme
avec les chapitres mouvementés. Grâce à cette technique, l'écrivain instaure
l'ambiance d'une incertitude perpétuelle basée sur le jeu incessant des contrastes.
Somme toute, les coupures deviennent l'élément crucial du texte mystérieux. Elles
pénètrent le roman entier en brisant sa fluidité par des rêveries ou par des citations
des textes bibliques. Ainsi, le monde réel se mélange au monde imaginaire en
accentuant le mystérieux des œuvres.
Le rythme, conditionné par des refrains thématiques répétant plusieurs fois les
motifs principaux, connaît une importante gradation. De même, l'aspect dramatique
des romans est multiplié grâce à l'intégration des mots évoquant divers sons et bruits.
102
Règne de l'Esprit Signes parmi nous Grande Peur dans Derborence
malin la montagne
Type du Extra-diégétique et Extra-diégétique et Surtout Intra- Surtout extra-diégétique
narrateur hétéro-diégétique hétéro-diégétique diégétique hétéro- et hétéro-diégétique
domine, (intra- domine, diégétique
diégétique hétéro- (intra-diégétique hétéro-
diégétique) diégétique)
Forme Pronom « on » Pronom « on » domine, Pronom « on » le Pronom « i l » domine,
qu'emploie le domine, autres : autres : « nous », plus fréquent, autres : « on », « vous »
narrateur « nous collectif », autres : « vous »,
forme « je » « nous »
Intervention Polyphonie des Plusieurs narrateurs Alternance de Alternance de plusieurs
d'autres narrateurs plusieurs narrateurs voix narratives
narrateurs
Caractéristiques Les situations clés L'intervention de Absence Oscillation entre le
de la narration du livre ne sont pas l'Apocalypse dans la d'explications, le présent et le passé,
élucidées, narration, les narrateur présente flashbacks, le narrateur
opposition des événements sont les événements sans parfois incite les
passages présentés sans un explication personnages à faire
harmonieux et commentaire explicatif quelque chose
mouvementés,
enumerations
Vu le schéma narratif que Ramuz emploie dans ses textes, nous devons
affirmer qu'il suit consciemment certains principes spécifiques ce qui nous permet
d'élaborer une théorie narrative du mystérieux.
Bien que le type du narrateur ne doive pas forcément classer une œuvre dans
le rang du mystérieux, i l est possible de constater une tendance vers le narrateur
intra-diégétique qui introduit dans le texte son point de vue. L a forme privilégiée est
le pronom indéfini « on » permettant au narrateur de s'intégrer dans le récit tout en
dissimulant sa réelle identité. De surcroît, l'usage de ce pronom plonge la narration
dans le vague tout en suscitant des hypothèses par apport à son statut.
Malgré le fait que ces caractéristiques narratives se montrent essentielles dans
l'univers ramuzien, ce n'est que la coexistence et alternance de plusieurs narrateurs
qui constitue l'un des critères du mystérieux. Comme nous avons eu l'occasion de
nous en apercevoir au cours de la présentation des livres choisis, Ramuz ne confie
pas la narration à un seul personnage, mais ses livres sont marqués par une
polyphonie des narrateurs où un narrateur témoin passe la narration à un narrateur
personnage ou même à un narrateur omniscient.
Parmi les principales caractéristiques de la narration, mentionnons encore la
dissimulation continuelle de la causalité qui forme le deuxième règle de base de la
narration du mystérieux. Les événements ne sont souvent qu'exposés sans un
commentaire explicatif ce qui favorise l'idée de leur origine surnaturelle.
103
Concernant les procédés linguistiques et le style de Ramuz, nous devons
mettre en relief sa majeure devise : « [l]e roman doit être un poème » 425
, qui a
influencé le caractère de son œuvre entier.
Puisque sa langue s'efforce à saisir le monde selon ses personnages ; elle tend
vers l'oralité 426
et la simplicité. Bien que chez Ramuz la conception linguistique des
textes mystérieux ne soit pas révolutionnaire par rapport au reste de sa production,
nous pouvons y observer certaines tendances spécifiques.
Une autre particularité des dialogues qui apparaît dans les romans mystérieux
est la tendance de cacher l'énoncé principal de la conversation. Ramuz se sert
intentionnellement des phrases incohérentes et chaotiques qui semblent n'avoir rien
en commun pour pousser le lecteur à deviner leur signification.
En tant que poète, Ramuz prend soin de la langue et reccourt aussi aux
nombreuses figures de style qui enrichissent son expression. Comme nous pouvons
l'apprendre déjà de son Journal, il « n e [veut] pas décrire, mais évoquer » 427
. Par
conséquence, ses romans sont parsemés de comparaisons qui font revivre les objets
104
de son univers. De même, de multiples personnifications procurent une nouvelle
dimension au monde réel qui se montre peuplé de figures surnaturelles.
105
Conclusion
4 2 8
Voir R A M U Z , C F . : Raison d'être, Paris, Editions de la Différence, 1991, p. 56.
4 2 9
« [...] velikost i utrpení člověka jsou si všude podobné. » HRBATÁ, Zdeněk : « Lidé, osud a
příroda v díle Charlese-Ferdinanda Ramuze », épilogue pour R A MU Z C F . : Příběhy z hor,
Praha, Odeon, 1988, p. 300.
106
forces étranges. Le deuxième type de personnages illustre des individus excentriques
aux traits surhumains qui viennent bouleverser ou troubler l'ordre des choses. Ainsi,
l'apparition du Diable ou des figures bibliques, souligne le thème fondamental des
romans mystérieux : celui de la recherche d'un principe supérieur qui dépasse l'être
humain. A la base de notre étude, nous pouvons constater que ce principe se révèle
chez l'écrivain soit sous la forme de Dieu ou du Diable, soit sous celle de la
montagne. Les deux premiers textes, nous ont permis de suivre la maturation de
l'écrivain dans la représentation des thèmes religieux commençant par des scènes du
Règne de l'esprit malin qui se sert de la Bible comme d'un livre référentiel, pour
incarner dans Les Signes parmi nous le moteur principal de la narration. Par contre,
La Grande Peur dans la montagne et Derborence nous ont démontré le deuxième
courant thématique du mystérieux basé sur la mise en relief des forces surnaturelles
de la montagne. Qu'il s'agisse de l'inspiration religieuse ou populaire, l'avènement
du mystérieux est souvent accompagné par l'irruption d'un phénomène aux traits
surnaturels qui influence le texte sur tous les niveaux.
Bien que l'orientation thématique se montre importante dans la formation du
mystérieux, ce n'est que le tableau compositionnel qui offre une première grille
d'analyse du genre. Selon les caractéristiques principales des quatres romans, nous
avons défini trois règles compositionnelles du mystérieux soulignant l'importance
des coupures accentuées de nombreux refrains qui brisent la fluidité du texte.
En ce qui concerne la stratégie narrative, nous devons affirmer qu'elle
complète les critères du mystérieux en attribuant le rôle fondamental à l'alternance
de plusieurs narrateurs qui dissimulent systématiquement la causalité. De surcroît, la
narration se voit perturbée par des interventions des rêves ou textes bibliques ce qui
rend l'énoncé plus confus.
Notre analyse s'est terminée avec la mise en relief des procédés linguistiques,
marqués par les empreintes de la langue parlée. Le mystérieux pénètre même dans le
discours des personnages qui s'expriment à l'aide des phrases simples, fréquemment
interrompues par des hésitations. En ce qui concerne les figures de style, nous devons
constater que Ramuz emploie de préférence les personnifications et les comparaisons
qui amplifient la suggestivité de la scène.
Par ceci nous espérons avoir justifié que le mystérieux chez Ramuz ne se
réduit pas seulement à l'orientation thématique des œuvres. En effet, nous voulons
107
souligner que le pilier essentiel consiste dans les procédés compositionnels,
narratives et linguistiques qui obéissent à certaines règles qui ont servi à la création
du « mode d'emploi » du mystérieux.
108
BIBLIOGRAPHIE
LITTERATURE PRIMAIRE
LITTERATURE SECONDAIRE
109
CHERPILLOD, Gaston : Ramuz ou L'Alchimiste, Yverdon, Imprimerie Henri
Cornaz, 1958.
CINGRIA, Hélène : Ramuz notre parrain, Bienne, Editions Pierre Boillat, 1956.
110
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La Sainte Bible, traduction par Louis Segond, Londres, Trinitarian Société biblique,
1989.
PIERRE, Jean Louis : CF. R amuz au carrefour des cultures et esthétiques, Paris,
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PIERRE, Jean Louis: CF. R amuz - D'une histoire à l'Histoire, Paris, Lettres
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PIERRE, Jean Louis : CF. R amuz - Eudes ramuziennes, Paris, Lettres modernes,
1982.
111
TISSOT, André : C.-F. Ramuz ou le drame de la poésie, Neuchâtel, Éditions de la
Baconnière, 1948.
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112
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24.8.2009
[online], [cit.2009-21-08] U R L
http://www.memo.fr/article.asp?ID=PER C O N 049
113
Annexes
Portrait de Ramuz
Source : GHIRELLI, Marianne : C. F. Ramuz Qui êtes-vous ?, Lyon,
La manufacture, 1988.
Page 109 :
1. Ramuz avec sa fille Marianne
Source : GHIRELLI, Marianne : C. F. Ramuz Qui êtes-vous ?, Lyon,
La manufacture, 1988.
Page 110 :
4. La vue sur le lac Léman et le massif des Dents du Midi depuis Chillon
Source : photo prise par Pavel Jurânek
Page 111 :
5. Sasseneire
Source : photo prise par Pavel Jurânek
6. Le manuscrit de Derborence
Source : HAGGIS, Donald R. : C.-F. Ramuz ouvrier du langage, Paris,
Lettres modernes Minard, 1968.
Page 112 :
114
Ramuz avec sa fille Marianne
Le village de Lens à l'époque de Ramuz
Sasseneire
Le manuscrit de Derborence
hin
Im It iL pli n C) •
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Derborence avec la paroi des Diablerets
118