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AL AZMINA

ALHADITA
N° 11

Roland Barthes et l’aventure sémiologique


Le plaisir du texte et la magie de l’image

Noureddine Mhakkak - Maroc

Lire Roland Barthes, cela signifie sans a étudiés dans ce livre appartiennent à
aucun doute entrer dans l’empire des des grands écrivains français tels : Albert
signes, et vivre dans le monde de ses Camus, Arthur Rimbaud, Stéphane
icones et de ses symboles, en essayant de Mallarmé, et bien d’autres.
les comprendre et de les interpréter selon Ce même livre a été traduit en langue arabe
la vision lumineuse de ce grand écrivain et par l’écrivain et critique littéraire marocain
critique français. Mohamed Berrada.
Car Roland Barthes n’écrit pas seulement Parmi les livres de Roland Barthes qui
pour « le plaisir du texte », mais aussi, et ont tracé la chemin de la sémiologie,
avant tout, pour déchiffrer et déconstruire on trouve son célèbre livre intitulé par
les structures des mots, et à travers eux ce titre conducteur : « Eléments de la
les structures des choses avant de les sémiologie », dans lequel il a pu désigner
reconstruire, en leur donnant un sens ses éléments principaux chez Saussure et
profond, le sens du sens. Hjelmslev, en s’arrêtant sur les perspectives
Roland Barthes, en traçant son parcours sémiologiques d’une part, et sur le rapport :
avec un livre qui a pu changer le parcours langue /parole d’autre part.
même de la critique littéraire française et En continuant son aventure sémiotique,
européenne en premier lieu, et universelle Roland Barthes a étudié presque toutes
par la suite n’a pas cessé de continuer ce les «mythologies» modernes, et toutes les
parcours avec tant d’originalité et beaucoup activités artistiques. Il a étudié et analysé
de courage scientifique dans le domaine de les mots, les images et les choses, en tant
la recherche culturelle . Ce livre qui a pris qu’outils idéologiques et culturels, et bien
comme titre « Le degré zéro de l’écriture » évidement, en tant que signes qui référent
où Roland Barthes a étudié toutes les à des systèmes sociaux culturels bien
modes de l’écriture avec un regard critique, définis.
telles l’écriture révolutionnaire, l’écriture
bourgeoise, l’écriture marxiste, et l’écriture Dans son livre intitulé «La chambre
intellectuelle. Ainsi il a étudié ces modes noire», Roland Barthes s’arrête sur
d’écriture avec une méthode structuraliste l’image photographique avec une
qui a pu montrer les différentes formes méthode sémiologique bien ouverte sur
de ces modes d’écriture, et leur influence la subjectivité du sujet, en citant deux
sur le sens des œuvres romanesques ou éléments qui l’amènent vers l’admiration de
poétiques. la photographie même plus que le cinéma.
Ces deux éléments sont : le studium et le
Les exemples littéraires que Roland Barthes

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punctum. second, indépendant de son économie et de


Roland Barthes s’est intéressé aussi à son euphémie ; elle fascine, elle dépayse,
l’amour en lui concernant un livre intitulé elle enchante, elle a un poids, on ne sent
par ce titre tellement poétique : « Fragments plus la Littérature comme un mode de
d’un discours amoureux » .Un livre plein circulation socialement privilégie, mais
d’émotions, plein de passions, mais aussi comme un langage consistant, profond,
plein de regards sémiologiques qui traitent plein de secrets, donné à la fois comme
les signes de l’amour avec une grande rêve et comme menace.»(2).
profondeur . La littérature devient ainsi une sorte
d’objet. Mais un objet d’art. On doit le
travailler pour qu’il soit beau. Et en le
1-L’écriture et le plaisir du texte : travaillant cela mène l’écrivain à trouver
son style dans la langue commune .C’est
pour cela que selon Roland Barthes «la
Roland Barthes essaie dans son livre langue est donc en deçà de la Littérature.
«Le degré zéro de l’écriture» de donner Le style est presque au-delà : des images,
une définition à l’écriture. Car selon lui un débit, un lexique naissant du corps et
cette définition lui permet d’en connaitre du passé de l’écrivain et deviennent peu
le sens. Ainsi il commence d’abord de à peu les automatismes mêmes de son art.
définir la langue elle -même en tant que Ainsi sous le nom de style, se forme un
support de cette écriture. Roland Barthes langage autarcique qui ne nous plonge que
considère la langue en tant qu’un « corps dans la mythologie personnelle et secrète
de prescriptions et d’habitudes, commun à de l’auteur, dans cette hypophysique de la
tous les écrivains d’une époque»(1). D’où parole où se forme le premier couple des
le pouvoir de la langue. Mais malgré ce mots et des choses, où s’installent une fois
pouvoir illimité de la langue, l’écrivain pour toutes les grands thèmes verbaux de
essaie toujours de tracer son propre chemin son existence.»(3).
dans la terre de cette langue elle-même, en
suivant son style personnel et en écrivant Dans le livre «Le degrés zéro de l’écriture»
sa propre parole. Roland Barthes parle bien évidement de
l’écrit, du fait de l’écriture, ce qui lui mène
Ainsi, pour que l’écrivain puisse créer de parler de la langue et du langage. Mais
un langage propre, soit disant une parole en parlant de l’écriture il a bien définit
personnelle, qui n’appartient qu’à lui seul les divers genres de l’écriture telles les
loin du langage commun qui est plein de écritures politiques, l’écriture du roman,
coutumes et de traditions, il faut qu’il essaie l’écriture poétique. Après il a essayé de
de plonger dans ses propres expériences donner des idées à propos de l’artisanat
vécues avec une grande sincérité et un du style, la relation entre l’écriture et la
grand courage et les faire paraître à travers révolution, l’écriture et le silence, l’écriture
ses mots, ses propres mots. De cette façon et la parole et enfin il a parlé de l’utopie de
l’écriture devient une aventure personnelle, l’écriture.
une aventure qui défit avec toute sa force
les normes sociales, l’écriture devient Selon Roland Barthes cette multiplication
selon l’expression de Roland Barthes lui- des écritures «est un fait moderne qui
même un objet. «Elle développe un pouvoir oblige l’écrivain à un choix, fait de la forme

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une conduite et provoque une éthique de déclare à propos de ce choix inexplicable


l’écriture.»(4). Cette obligation de l’écriture qui met le texte dans le chemin de son
rend l’écriture un travail, un travail qui à lecteur, de cette façon admirable : «  Le
travers lui l’écrivain prouve son originalité texte que vous écrivez doit me donner
créative. la preuve qu’il me désire. Cette preuve
Nous avons vu, comme l’a déjà remarqué existe : c’est l’écriture .L’écriture est ceci :
le chercheur Louis-Jean Calvet dans son la science des jouissances du langage, son
livre sur Roland Barthes intitulé «Roland Kâmasûtra. (De cette science, il n’ya qu’un
Barthes, un regard politique sur le signe»(5) traité ; l’écriture elle-même).» (9).
que dès «le degré zéro de l’écriture», Barthes Oui, le texte appelle son lecteur, il le
montrait derrière le discours apparent un séduit même .Il ya toujours une relation
discours second (ou son absence, dans amoureuse entre le lecteur et le livre qu’il
l’écriture blanche), forme d’insertion dans a choisi. Le livre qui peut le lire avec tant
le monde, mythe ou connotation comme d’amour et d’admiration, avec tant de
il pourrait par la suite le baptiser. Mais désir et tant de plaisir. Lisons ce qui a écrit
ce degré second est toujours organisable Roland Barthes à propos de cela : « Le
et détermine ainsi une certaine lecture : texte est un objet fétiche et ce fétiche me
Barthes cherche le système derrière désire. Le texte me choisit, par toute une
l’écriture. »(6). disposition d’écrans invisibles, de chicanes
Ici et là, Roland Barthes parle de l’écriture sélectives : le vocabulaire, les références,
en tant que mots, Ce qui signifie que la la lisibilité, etc. … »(10).
littérature prend sa vraie image, celui de Roland Barthes défend ici le fait de la lecture
l’écriture dans toutes ses manifestations en tant qu’un acte de plaisir, puisque le
rhétoriques soit dans le roman ou dans plaisir ne mène que vers la culture profonde,
la poésie. Et selon lui l’écriture qui entre celle qui plonge dans le sens des mots. Et
dans l’ère de la modernité est celle qui a puisque «Nous vivons, en fait, une époque
pu dépasser son statut social et qui a pu où le plaisir, même lui, est constamment
chercher son existence dans l’impossible. appelé, acculé à se justifier chaque fois
Cela nous mène bien sûr à parler d’un qu’il se manifeste ou veut faire valoir ses
autre genre d’écriture, celui de l’écriture du propres productions. Barthes a eu le mérite
désir ou plutôt l’écriture du plaisir. Puisque constant de rappeler qu’il est nécessaire,
Roland Barthes a pu traiter ce genre pour sauver la littérature, non seulement
d’écriture dans son célèbre livre «Le plaisir de réfléchir sur le langage, comme un réel
du texte»(7) d’une part et d’autre part dans objet d’amour –ou de haine-mais de le
son autre livre « Fragments d’un discours suivre dans ses itinéraires de sens. »(11).
amour»(8). Ainsi l’écriture doit être séduisante et
Pour le premier livre « Le plaisir du texte », la lecture doit être séduite pour que la
Roland Barthes parle des textes du plaisir, littérature trouve son vrai chemin de la
ceux qui sont pleins de culture, c’est-à- riche culture.
dire les textes où le lecteur peut trouver Car le texte de plaisir, c’est « celui qui
son être, peut trouver son double inconnu, contente, emplit, donne de l’euphorie ;
son double même impossible. Car chaque celui qui vient de la culture, ne rompt pas
texte choisit son lecteur. Roland Barthes avec elle, est lié à une pratique confortable

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de la lecture. » (12). cette façon là : « Récit légendaire transmis


Pour le deuxième livre « Fragment d’un par la traduction, qui, à travers les exploits
discours amoureux », on peut dire que d’êtres fabuleux (héros, divinités, etc.),
l’écriture ici prend le parcours de la fournit une tentative d’explication des
subjectivité totale, celle du Moi. C’est la phénomènes naturels et humains (naissance
première personne qui prend le pouvoir du monde, de l’homme, des institutions ;
d’écrire selon ses désirs et ses plaisirs, selon acquisition des techniques). »(15).
sa propre vision au monde. L’écriture se Suivant ces deux définitions qui se croisent
dévoile, se montre toute nue mais avec une bien évidement en considérant le mythe en
grande beauté naturelle, elle dépasse le stade tant qu’un récit qui dépasse le réel. Cela
de dire la vérité, elle arrive à un autre stade, nous donne une large vision sur le travail
celui de délire. Un stade de la description du Roland Barthes sur les mythes. Pour
du Moi, de l’écriture du Moi, et de l’amour les mythes anciens il n’y a aucun souci là
du Moi en tant qu’un sujet de l’écriture. -dessus. Puisque Roland Barthes a étudié
D’où vient cet amour des mots. Et « pour tant de mythes soit dans son livre «  Sur
mieux apprécier combien Barthes noue le Racine » où il a étudié les personnages
désir des mots à leur approfondissement mythiques figurant dans l’univers racinien
jubilatoire, il serait sans doute éclairant de tels Alexandre, Andromaque, Bérénice,
Bajazet, Mithridate, Iphigénie, Phèdre,
le voir appliquer cette méthode à la lecture
Esther, Athalie et ainsi de suite (16), soit
critique qu’il donne de certains textes qu’il
dans ses autres livres où le personnage
n’as pas lui-même écrits.»(13).
mythique devient un symbole d’un fait , tel
Roland Barthes dans ce livre en suivant le personnage d’Orphée qui a incarné selon
sa méthode sémiologique qui donne une Roland Barthes le travail de l’écrivain
grande importance à l’étude des signes, moderne ou plutôt sa langue même . On peut
se plonge avec un œil subjectif et un style citer ici cette belle parole qui montre cela :
personnel dans l’univers de la description «La langue de l’écrivain est bien moins un
des thèmes majeurs tels l’absence, la fonds qu’une limite extrême ; elle est le lieu
nécessité, l’angoisse, la catastrophe, géométrique de tout ce qu’il ne pourrait pas
le corps, la conduite, la dépense, la dire sans perdre, tel Orphée se retournant,
dépendance, la folie et ainsi de suite. la stable signification de sa démarche et
le geste essentiel de sa sociabilité »(17). On
trouve là que Roland Barthes en appuyant
2- Le mythe et la magie de l’image sur une méthode psycho-sémiotique a pu
déconstruit l’univers racinien à travers
les personnages, l’espace et les effets.
Commençons d’abord par la définition Mais en le déconstruisant il a pu aussi le
du mythe. Selon le dictionnaire français, reconstruire, mais autrement. Et grâce à ce
le Micro Robert, le mythe est « un récit travail là, Roland Barthes a pu ouvrir les
fabuleux, souvent d’origine populaire, qui portes devant la nouvelle critique ce n’est
met en scène des êtres incarnant sous une dans la France seulement mais dans le
forme symbolique des forces de la nature, monde entier. Cela est dit pour les anciens
des aspects de la condition humaine.»(14). mythes, regardons maintenant les nouveaux
Même chose pour le «Dictionnaire de la mythes et comment Roland Barthes a pu les
langue française », qui définit le mythe de étudier avec une grande capacité, celle d’un

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critique profond, un critique qui possède une parole dépolitisée.


un œil qui voit attentivement tout même les Passons maintenant à l’image et regardant
simples détails. Tout ce travail, ce majeur comment Roland Barthes a pu la lire en
travail sur les nouveaux mythes de notre tant qu’un signe sémiologique. D’abord
temps contemporain, on le discerne dans on peut dire que Roland Barthes a été
son célèbre livre «Mythologies». tellement fasciné par l’empire des images.
Voilà ce que dit Roland Barthes à propos Même plus que l’empire des mots,
des études qui se rassemblent dans ce puisqu’il a vu les mots eux- même comme
livre : «  Les textes des Mythologies ont des images littéraires, des images fabriqués
été écrits entre 1954 et 1956 ; le livre par des lettres. Cette Fascination du monde
lui-même a paru en 1957. On trouvera des images se manifeste dans plusieurs
ici deux déterminations : d’une part une livres. On peut citer à titre d’exemples
critique idéologique portant sur le langage «Mythologies», «La cambre claire» et bien
de la culture dite de masse ; d’autre part d’autres.
un premier démontage sémiologique de Ce qui nous intéresse ici c’est le travail
ce langage ; je venais de lire Saussure et sémiologique que Roland Barthes a fait à
j’en retirai la conviction qu’en traitant les propos de l’image .Un travail qui essaie
« représentations collectives » comme de construire le sens des signes et de le
des systèmes de signes on pouvait espérer confirmer aussi, et qui, en plus, fait parler
sortir de la dénonciation pieuse et rendre ses signes autrement .Puisque l’image
compte en détail de la mystification qui était toujours pour lui un carrefour des
transforme la culture petite-bourgeoise signes. Roland Barthes traite dans son
en nature universelle » (18). Pour le mythe livre «Eléments de la sémiologie » le
moderne Roland Barthes le définit de cette concept de la sémiologie en tant qu’une
façon : «  La notion du mythe m’as paru science nouvelle qui est « une partie de
dès le début rendre compte de ces fausses la linguistique : très précisément cette
évidences ; j’entendais alors le mot dans partie qui prendrait en charge les grandes
un sens traditionnel .Mais j’étais déjà unités signifiantes du discours ; de la sorte
persuadé d’une chose dont j’ai essayé apparaîtrait l’unité des recherches qui se
ensuite de tirer toutes les conséquences : le mènent actuellement en anthropologie, en
mythe est un langage. Aussi, m’occupant sociologie, en psychologie et en stylistique
des faits en apparence les plus éloignés de autour du concept de signification.»(20).
toute littérature (un combat de catch, un Et cela lui permet d’étudier l’image dans
plat cuisiné, une exposition de plastique), toutes ses manifestations. Mais nous
je ne pensais pas sortir de cette sémiologie nous arrêtons ici et là sur deux images
générale de notre monde bourgeois, dont seulement, l’image cinématographique
j’avais abordé le versant littéraire dans et l’image photographique. D’abord
des essais précédents »(19). Le mythe Roland Barthes essaie dans son article
contemporain se manifeste dans ce livre à «Rhétorique de l’image» publiée dans
travers des images du catch, du cinéma, de la revue «Communications» de définir
l’opéra, des jouets, du vin et du lait, de la l’image en tant qu’un signe sémiologique.
publicité, des photos-chocs, du strip-tease, Il dit à propos de cela que «Selon une
etc. . Ainsi Roland Barthes a étudié le mythe étymologie ancienne, le mot image devrait
contemporain, il l’a étudié comme une être rattaché à la racine de imitari. Nous
parole, comme un système sémiologique, voici tout de suite au cœur du problème
comme un langage volé, et enfin comme

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le plus important qui puisse se poser à la plus que le cinéma. C’est pour cette raison
sémiologie des images : la représentation même qu’on trouve dans ses articles sur le
analogique (la « copie ») peut-elle produire cinéma tels « Les romains au cinéma » des
de véritables systèmes de signes et non traces de l’analyse sémiologique des photos
plus seulement de simples agglutinations plutôt que des images filmiques, c’est-à-
de symboles ? Un « code » analogique — dire des images en mouvement. Et ce qui
et non plus digital — est-il concevable ? nous intéresse ici est essentiellement c’est
On sait que les linguistes renvoient hors du comment Roland Barthes a pu construire
langage toute communication par analogie, du sens dans le processus de film. De là, on
du « langage » des abeilles au «langage » par peut dire que le film cinématographique est
gestes, du moment que ces communications un signe sémiologique lui -aussi, il est un
ne sont pas doublement articulées, c’est- lieu de rencontre de beaucoup de signes, un
à-dire fondées en définitive sur une carrefour de signes même. Le film devient
combinatoire d’unités digitales, comme le ici un mythe moderne, un mythe qui
sont les phonèmes. Les linguistes ne sont présente un récit qui possède de la magie
pas seuls à suspecter la nature linguistique sur les récepteurs. Et puisque le mythe est
de l’image ; l’opinion commune elle aussi un langage, selon même l’expression de
tient obscurément l’image pour un lieu de Roland Barthes, alors c’est évident de de
résistance au sens, au nom d’une certaine l’étudier à partir de ses trois côtés, le côté
idée mythique de la Vie : l’image est re- linguistique, le côté iconique, et le côté
présentation, c’est-à-dire en définitive symbolique. Le film dans ce cas là devient
résurrection, et l’on sait que l’intelligible un ensemble des images photographiques.
est réputé antipathique au vécu. Ainsi, des Pour la photographie, Roland Barthes
deux côtés, l’analogie est sentie comme un considère l’image photographique comme
sens pauvre : les uns pensent que l’image un labyrinthe où le lecteur ne peut que
est un système très rudimentaire par rapport plonger dans son univers en cherchant le sens
à la langue, et les autres que la signification qui lui échappe de temps à autre. C’est vrai
ne peut épuiser la richesse ineffable de que Roland Barthes nous donne des outils
l’image. Or, même et surtout si l’image est pour analyser l’image photographique tels
d’une certaine façon limite du sens, c’est à le studium et le punctum, et tout cela avec
une véritable ontologie de la signification une manière séduisante. Cette manière qui
qu’elle permet de revenir. Comment le fait dire à Jacques Derrida ces mots : « Sa
sens vient-il à l’image ? Où le sens finit- manière, la façon dont il exhibe, fait jouer,
il? et s’il finit, qu’y a-t-il au-delà? C’est interprète le couple studium / punctum, tout
la question que l’on voudrait poser ici en en racontant ce qu’il fait, en nous livrant
soumettant l’image à une analyse spectrale ses notes, tout à l’heure nous y entendrons
des messages qu’elle peut contenir.»(21). la musique .Cette manière est bien la
L’image selon Roland Barthes livre son sienne. L’opposition studium / punctum,
message dès le premier regard, et à travers le versus apparent de la barre, il les fait
ce message là on peut commencer à d’abord surgir, lentement, prudemment,
construire le sens que l’image veut nous dans un contexte nouveau, avant lequel,
présenter à travers des outils employés. semble t-il, ils n’avaient aucune chance
C’est vrai que l’image cinématographique d’apparaitre. Il leur donne ou il accueille
est plus compliquée que l’image cette chance.»(22).
photographique, on trouve même que Mais au fond de la chose, il ne montre
Roland Barthes préfère la photographie

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pas comment peut-on découvrir l’essence qu’une luminosité toute physique, la trace
de la photographie. La seule solution photographique d’une couleur, le bleu-vert
pour arriver à cela c’est d’abord aimer de ses prunelles. Mais cette lumière 104
l’image photographique et la désirer, était déjà une sorte de médiation qui me
puis l’interpréter selon cet amour et ce conduisait vers une identité essentielle, le
désir. Je cite Roland Barthes : «Beaucoup génie du visage aimé. Et puis, si imparfaites
de photos sont, hélas, inertes sous mon fussent-elles, chacune de ces photos
regard. Mais même parmi celles qui ont manifestait le sentiment juste qu’elle avait
quelque existence à mes yeux, la plupart ne dû éprouver chaque fois qu’elle s’était
provoquent en moi qu’un intérêt général, laissé photographier ma mère se prêtait à
et si l’on peut dire, poli : en elles, aucun la photographie, craignant que le refus ne
punctum elles me plaisent ou me déplaisent se tournât en attitude; elle réussissait cette
sans me poindre elles sont investies du épreuve de se placer devant l’objectif(acte
seul studium. Le studium, c’est le champ iné-vitable) avec discrétion (mais sans rien
très vaste du désir nonchalant, de l’intérêt du théâtre contracté de l’humilité ou de la
divers, du goût inconséquent j’aime je bouderie); car elle savait toujours substituer
n’aime pas, I like / I dont. Le studium est une valeur morale, une valeur supérieure,
de l’ordre du to like, et non du to love; il une valeur civile. Elle ne se débattait pas
mobilise un demi- désir, un demi-vouloir; avec son image, comme je le fais avec la
c’est la même sorte d’intérêt vague, lisse, mienne elle ne se supposait pas.»(24).
irresponsable, qu’on a pour des gens, des Pour conclure , on peut dire que Roland
spectacles, des vêtements, des livres, qu’on Barthes reste et restera dans la critique
trouve bien».(23). moderne telle une lumière qui nous pousse
C’est grâce à cet amour, et à ce désir que tous ,en tant que lecteurs ,d’aller vers
Roland Barthes décrit avec une grande les univers des textes en pensant à leurs
sensibilité les photos de sa mère : «il avait multiples significations, mais aussi au
toujours dans ces pho-tos de ma mère plaisirs de les lire avec savoir et amour.
une place réservée, pré- servée la clarté
de ses yeux. Ce n’était pour le moment
Notes de l’étude :
1- Roland Barthes : « Le degré zéro de l’écriture +  Éléments de 14-Micro Robert (Dictionnaire) .Paris 1982. (Tome 2) .P : 697.
sémiologie ». Éd : Gonthier. Paris -1970 .P 13. 15- Dictionnaire de la langue française (Encyclopédie et noms
2 -Roland Barthes : ibid. P : 10-11. propres), Ed. Hachette .Paris 1980. P : 865.
3 -Roland Barthes : ibid. P : 14. 16- Roland Barthes : « Sur Racine » .Ed. Seuil. 1972.
4 -Roland Barthes : ibid. P : 73. 17- Roland Barthes : « Le degré zéro de l’écriture +  Éléments
5-Louis-Jean Calvet : « Roland Barthes, un regard politique sur de sémiologie ».P : 14.
le signe ». Ed : Payot, Paris 1973. 18- Roland Barthes : « Mythologie » .Ed .Seuil .1970. P :7.
6- Louis-Jean Calvet : ibid. P : 131. 19-Roland Barthes, ibid. Pp : 9-10.
7- Roland Barthes : « Le plaisir du texte » .Ed .Seuil. Paris 20- Roland Barthes : « Le degré zéro de l’écriture +  Éléments
.1973. de sémiologie ». Éd : Gonthier. Paris -1970 .P :81.
8-Roland Barthes : « Fragments d’un discours amoureux ».Ed. 21-Roland Barthes : « Rhétorique de l’image » in
Cérès. Tunis .1996. Communications. Numéro 4, volume 4, année 1964. P : 40.
9- Roland Barthes : « Le plaisir du texte ». Pp :13.14 22-Jacques Derrida : « Les morts de Roland Barthes » in Poétique.
10- Roland Barthes : ibid. :45. N°4. (Roland Barthes Inédit) .Ed. Seuil .Paris 1981.P : 273.
11-Mohamed Boughali : « L’érotisme du langage chez R. 23- Roland Barthes : « La chambre claire ».Ed .de l’Étoile,
Barthes ». Ed. Afrique Orient .Casablanca -1986. Gallimard, Le Seuil, 1980.P :50.
12- Roland Barthes : « Le plaisir du texte ». P : 25. 24- Roland Barthes : ibid. P : 105.
13- Boughali : « L’érotisme du langage chez R. Barthes ».P :34.

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