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Dembo Sadio

Cours et problématiques littéraires


Considérations sur quelques notions-clés
Classes des lycées

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A tous les collègues
pour la noblesse de leur mission.

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En guise d’introduction
Dans nos lycées, particulièrement, les élèves doivent se
familiariser avec les définitions de certaines notions de littérature, se
départir par conséquent d’une certaine conception de la littérature,
entretenue par les gens, même les plus avertis. En effet dans les
conversations, les échanges, pour demander à l’interlocuteur
d’arrêter de raconter des fadaises, on a l’habitude de lui dire
carrément que ses propos ne peuvent aucunement convaincre, parce
que « c’est de la littérature ».
Pourtant les Manuels voire les Anthologies de littérature
pouvaient en la matière amener les gens à reconsidérer cette
conception de la littérature, puisque certains auteurs du Moyen Âge,
comme Jean FROISSART, Jean JOINVILLE et Geoffroi de
VILLEHARDOUIN, présentés dans ces Manuels et Anthologies, ont mis
à la disposition de leurs contemporains des œuvres qui ont
comparativement la valeur de ces pages d’histoire que nous lisons,
par exemple, dans les ouvrages de Max GALLO ou de Joseph KI-
ZERBO.
Mais s’agit-il véritablement, dans ces œuvres, de littérature ? Ces
auteurs peuvent-ils être considérés comme des écrivains ? Peut-on
comprendre leurs œuvres par rapport à un courant ou un genre
littéraire quelconque ?
Ce sont des questions auxquelles nous avons essentiellement
voulu répondre dans ce document, pour permettre à nos élèves, dans
leurs révisions, d’avoir à leur disposition des éléments de cours.

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Sommaire

En guise d’introduction 5
A. Littérature 9
1. La littérature orale 9
2. La littérature écrite 10
B. Auteur 11
C. Ecrivain 11
D. Courant littéraire 12
1. Définition 12
2. A travers les siècles 12
E. Genre littéraire 21
1. Traits de définition 21
2. Les principaux genres et leur spécificité 22
2.1 La poésie 22
2.2 Le roman 22
2.3 Le théâtre 22
3. Les principaux genres et leurs problématiques 23
3.1 La poésie : éléments de cours 24
3.2 Le roman : éléments de cours 34
3.3 Le théâtre : éléments de cours 46
Table des matières 59

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A. Littérature
Mot qui vient du latin litteratura (qui signifie écriture), la
littérature est une notion qui se rapporte à un ensemble d’œuvres, de
textes produits par des écrivains et destinés au public (des lecteurs)
qui les utilise comme des créations qui ont fondamentalement une
visée esthétique.
Ces créations sont avant tout des œuvres d’art, des œuvres qui
naissent de l’imagination des écrivains. Même si elles empruntent des
éléments à la réalité, même si elles véhiculent certaines informations
sur le monde, elles accordent un intérêt particulier au langage, se
distinguent des autres œuvres (celles du médecin, du sociologue, du
journaliste …) par l’usage esthétique qu’elles font du langage.
Ce sont aussi des créations qui ont trait à ce qu’on a l’habitude
d’appeler les « Lettres », terme qui désigne tout ce qui a rapport à la
culture de l’esprit, donc tout ce qui contribue à la formation de
l’homme.
En effet, la littérature « empêche les hommes d’être indifférents aux
hommes » (comme le dit Eugène IONESCO), aide l’homme à
découvrir son être et sa vocation sur terre, puisque, comme le souligne
Jean-Louis CURTIS, c’est un « moyen qu’on a trouvé de respirer
mieux, d’être un peu moins mal à l’aise dans le monde, d’être soi-
même avec plus de joie ».
1. La littérature orale
C’est une littérature qui s’est développée pendant très longtemps
dans les sociétés de tradition orale, particulièrement dans l’Afrique
traditionnelle.
Dans cette Afrique, indique Jacques CHEVRIER, « La parole
demeure (…) le support culturel prioritaire et majoritaire par
excellence, dans la mesure où elle en exprime le patrimoine
traditionnel et où elle tisse entre les générations passées et présentes
ce lien de continuité et de solidarité sans lequel il n’existe ni histoire
ni civilisation ».

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En effet la littérature orale est une littérature qui se transmet de
« bouche à oreille », donc une littérature essentiellement entretenue
par la mémoire collective, en Afrique par les griots, par les sages et les
vieillards. C’est pourquoi, considère Amadou Hampaté BA, « En
Afrique quand un vieillard traditionaliste meurt, c’est une
bibliothèque inexploitée qui brûle », parce que c’est un gardien de la
tradition orale, un couloir de transmission des savoirs relatifs à cette
tradition.
Ces savoirs véhiculés par la littérature orale sont communiqués,
entre autres textes, par les récits de conte, les épopées, les proverbes,
les devinettes, les chants, dans les séances de danse ou de lutte, dans le
cadre de la circoncision, dans les rituels de guérison, d’intronisation
ou de mariage.
2. La littérature écrite
C’est cette littérature que l’Occident a connue avec, entre autres,
des auteurs comme HOMERE (en Grèce, dans l’Antiquité), François
VILLON, François RABELAIS, Jean RACINE, André CHÉNIER,
Victor HUGO et Albert CAMUS en France, respectivement au XVe,
XVIe, XVIIe, XVIIIe, XIXe et XXe siècles.
En Afrique en particulier, c’est cette littérature qui a vu le jour dans
le contexte de la colonisation.
Si, dans la littérature orale, le conteur des veillées traditionnelles,
par exemple, s’adresse à un auditoire qui participe à sa prestation de
par ses réactions, dans la littérature écrite, le public, à travers le texte
écrit, est constitué par la masse anonyme des lecteurs.
Dans cette littérature, les œuvres et les textes sont signés par des
auteurs qui revendiquent, à travers leurs noms, leur paternité.
C’est ainsi qu’une œuvre comme Les nouveaux Contes d’Amadou
Koumba (1958) est une œuvre d’un auteur de la littérature écrite,
c’est-à-dire d’un auteur de la littérature africaine moderne, même si
Birago DIOP n’a fait que recueillir et traduire en langue étrangère, en

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français précisément, des récits de conte appartenant à la mémoire
collective pour en faire une œuvre originale.
C’est dire qu’en privilégiant respectivement la parole et l’écriture,
les littératures orale et écrite ne sont que deux formes de la littérature,
qui se différencient seulement par leur mode d’expression.

B. Auteur
En littérature, c’est toute personne qui a rédigé et publié à son nom
un ouvrage.
En cela, c’est une notion que l’on utilise pour parler, en science, en
art, dans les autres disciplines, de tous ces gens qui ont écrit et publié
des ouvrages, des livres dont leurs noms revendiquent la paternité.
A ce titre, tous les ouvrages d’histoire, de mathématiques, de
portugais ou d’une autre langue, sont des livres écrits par des auteurs,
tout comme Victor HUGO est l’auteur des Châtiments (1853),
Ferdinand OYONO celui de Une Vie de boy (1956), Ousmane
SEMBENE celui de O Pays, mon beau peuple ! (1957).

C. Ecrivain
C’est une personne dont l’occupation consiste à écrire des
ouvrages. Mais les ouvrages de l’écrivain sont des ouvrages de
littérature, c’est-à-dire des ouvrages qui se distinguent par la qualité
de leur écriture, de leur style, qualité qui fait de ces ouvrages ce qu’on
a l’habitude d’appeler des œuvres littéraires.
Ce sont des œuvres, entre autres, comme celles de Victor HUGO,
de Gustave FLAUBERT, de Emile ZOLA, de Aimé CESAIRE, de
Léopold Sédar SENGHOR, de Djibril Tamsir NIANE et de Birago
DIOP.
Les deux derniers, s’ils n’avaient pas écrit, entre autres œuvres de
littérature, respectivement Soundjata ou l’épopée mandingue (1960) et

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Les nouveaux Contes d’Amadou Koumba (1958), seraient non des
écrivains, mais tout simplement des auteurs pour les ouvrages qu’ils
ont publiés, l’un en tant qu’historien, et l’autre en tant que médecin
vétérinaire.
C’est dire qu’un auteur qui n’a écrit et publié que des ouvrages
d’histoire, de médecine, d’astrologie, n’est pas forcément un écrivain,
même si celui-ci, parce qu’il écrit et publie des ouvrages, est
effectivement un auteur,

D. Courant littéraire
1. Définition
En littérature, le courant est un système de pensée qui est la plupart
du temps la résultante d’un esprit littéraire entretenu plus ou moins
volontairement par les écrivains.
Les courants littéraires constituent autant de tendances à travers
lesquelles se lisent d’une manière ou d’une autre les réalités ou faits
mobilisé(e)s par les œuvres littéraires.
Les écrivains, à travers ces courants, ne cherchent en réalité qu’à
nuancer la définition de l’œuvre d’art, donc de l’œuvre littéraire, dans
sa forme, son organisation et sa destination.

2. A travers les siècles


Ces courants littéraires, dans la littérature française, sont essentiellement :
2.1 au XVIe siècle : l’Humanisme
a. Une conception de l’homme et du monde
« L’humanisme est une éthique de confiance en la nature humaine. Orienté à la
fois vers l’étude et la vie, il prescrit pour but et pour règle, à l’individu comme à
la société, de tendre sans cesse vers une existence plus haute. Il commande à
l’homme un effort constant pour réaliser en lui le type idéal de l’homme, à la
société un effort constant pour réaliser la perfection des rapports humains. Ainsi
conçu, il exige un immense effort de culture ; il suppose une science de
l’homme et du monde ; il fonde une morale et un droit, et aboutit à une

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politique. Il nourrit un art et une littérature dont le domaine s’étend à tout
l’ensemble du spectacle que le monde offre à l’homme, aussi bien qu’à tout
l’ensemble de la connaissance et de la pensée humaine, à toutes les inquiétudes,
à toutes les espérances, à toutes les intuitions de l’âme humaine. » A.
RENAUDET, in Dictionnaire des lettres françaises, XVIe siècle.
b. Une forme de pensée

« L’humanisme, c’est une adhésion globale à tous les grands auteurs et à toutes
les grandes œuvres, c’est une acceptation, non point par doctrine, mais par
méthode, de toutes les formes de pensée que l’humanité a reconnues comme
siennes en les faisant survivre aux circonstances où elles furent créées. Avant de
se rallier à une philosophie de son choix, l’humaniste se sent uni à tous ceux qui
choisiront d’autres systèmes, par la possession en commun des grands textes, et
par l’existence de cette idée de l’homme, au sens platonicien, qu’ils nous
transmettent : pour tout ce qui, dans la vie de l’humanité, n’appartient pas au
devenir. » F. ROBERT, L’Humanisme, Essai de définition.

2.2 au XVIIe siècle : le Classicisme


a. Une littérature de l’ordre
« Le classicisme obéit à des règles strictes fondées sur la raison, faculté
maitresse qui permet d’éviter toute faute contre le bon goût et de contrôler les
débordements de l’imagination ou de la sensibilité. L’écrivain classique doit
respecter la vraisemblance et demeurer impersonnel : il s’efface derrière son
œuvre et s’attache à l’étude de l’homme, car il croit en une nature humaine
indépendante des lieux et des temps. Il s’exprime en une langue pure, sobre et
élégante. Cette esthétique correspond à une certaine conception du monde et de
l’homme: celui-ci évolue dans un univers parfaitement immuable et achevé ;
malgré ses efforts, il demeure soumis à la fatalité et aux lois inéluctables qui
pèsent sur sa nature. » Hélène POTELET, Mémento de littérature française.

b. Une expression des aspirations d’une société


« Le classique, en effet, dans son caractère le plus général et dans sa plus large
définition, comprend les littératures à l’état de santé et de fleur heureuse, les
littératures en plein accord et en harmonie avec leur époque, avec leur cadre
social, avec les principes et les pouvoirs dirigeants de la société, (…) les
littératures qui sont et qui se sentent chez elles dans leur voie, non délaissées,
non troublantes, n’ayant pas pour principe le malaise, qui n a jamais été un
principe de beauté. » SAINTE–BEUVE, Nouveaux Lundis, « De la tradition
en littérature ».

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2.3 au XVIIIe siècle
2.3.1 l’esprit des Lumières
a. Un esprit d’examen

« L’esprit philosophique est un esprit d’observation et de justesse qui rapporte


tout à ses principes; mais ce n’est pas l’esprit seul que le philosophe cultive ;
c’est un honnête homme qui veut plaire et se rendre utile.» DIDEROT, in
Encyclopédie, article « philosophique ».
b. Un engagement

« Chaque siècle a son esprit qui le caractérise. L’esprit du nôtre semble être
celui de la liberté. La première attaque contre la superstition a été violente, sans
mesure. Une fois que les hommes ont osé d’une manière quelconque donner
l’assaut à la barrière de la religion, cette barrière, la plus formidable qui existe,
comme la plus respectée, il est impossible de s’arrêter. Dès qu’ils ont tourné des
regards menaçants contre la majesté du ciel, ils ne manqueront pas, le moment
d’après, de les diriger contre la souveraineté de la terre. Le câble qui tient et
comprime l’humanité est formé de deux cordes : l’une ne peut céder sans que
l’autre vienne à se rompre. » DIDEROT

2.3.2 dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle : le


Préromantisme
a. Le culte des sentiments
« Le sentiment apparaît d’abord comme un instinct plus sûr que la froide raison.
Fondé en nature, source d’émotions puissantes, il est considéré comme un guide
infaillible dans le domaine de la foi religieuse comme de l’amour. Rousseau en
vient à considérer que la passion, puisqu’elle est irrésistible, ne peut nous
égarer : elle nous conduit au contraire, " naturellement " à la vertu. Les âmes "
sensibles et vertueuses " goûtent des délices qui les élèvent, moralement et
esthétiquement. On fait ainsi partie d’une aristocratie du cœur, qui s’affirme
dans les mœurs autant que dans la littérature. » Danièle NONY et Alain
ANDRÉ, Littérature française, Histoire et anthologie, Hatier, 1987.
b. Une nouvelle sensibilité
« Leur sensibilité conduit la plupart des écrivains, dans la seconde moitié du
XVIIIe siècle, à exprimer leur Moi, leur mélancolie, leur nostalgie, leurs
émotions dans des œuvres largement autobiographiques. On trouve chez
Rousseau et ses contemporains le goût de la confession, l’affirmation de

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l’originalité fondamentale de l’individu, la fuite au sein d’une nature
protectrice ou complice, le sentiment douloureux de l’incomplet de la destinée,
la recherche d’un contact direct avec le sacré, la fatalité de la passion, les
tourments de l’absence, l’aspiration au suicide, l’inquiétude devant la fuite du
temps, le désir d’éterniser l’amour par le souvenir.» Anne BERTHELOT et al.,
Langue et littérature, Anthologie, Nathan, 1992.

2.4 au XIXe siècle


2.4.1 le Romantisme
a. L’importance du lyrisme
« Qu’est-ce qu’un romantique ? C’est le foyer de la sensibilité incendiaire, le
rendez-vous de toutes les mélancolies, l’aquilon du sentiment. » Journal de
l’époque romantique

b. Une inspiration originale


b1. Une nouvelle forme de littérature
« Mais s’il est vrai que le Romantisme est lié à certaines formes particulières de
la sensibilité, il ne se confond pas avec elles Il a bien plutôt apporté des formes
nouvelles de pensée. Il fut surtout une vue originale sur la condition humaine,
une prise de conscience de la situation de l’homme et de son destin, une mise en
question de la signification du monde.» Collection CLARTÉS, Littérature.
b2. Une nouvelle mission de la poésie
Le romantisme est (…) une réaction consciente, raisonnée contre l’esthétique
rationaliste du XVIIIe siècle et contre l’humanisme sénile qui avait préparé les
voies à cette esthétique. Prendre la poésie aux sérieux comme un don splendide
et gratuit qui élève le poète au-dessus de lui-même, pour son plus grand bien et
celui de tous, c’est l’essence même du romantisme, son élan vital, sa raison
d’être, sa loi - non scipta, sed nata (= non écrite , mais innée ) - et sa justification
invincible.» H. BRÉMOND, Prière et poésie.

2.4.2 le Parnasse
a. Un art dégagé de l’utile
« Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile
est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont
ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. » Théophile
GAUTIER, « Préface de Mademoiselle de Maupin ».

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b. Le culte de la forme
« Tous (les Parnassiens) en revanche s’accordent à penser que l’émotion doit se
soumettre à la loi de la forme, elle-même comprise comme exigence du Beau.
Là encore le Parnasse est en réaction contre un romantisme qu’il accuse d’avoir
oublié, comme le redira Baudelaire après Leconte de Lisle, que ‘‘ la moralité
d’une œuvre d’art, c’est sa beauté ’’ .Aussi verra-t-on les Parnassiens s’atteler,
avec plus ou moins de bonheur, à l’expression d’une Beauté absolue,
transcendante, dans la perfection et l’évidence d’une forme idéale. Collection
Henri MITTÉRAND, Littérature, XIXe siècle.

2.4.3 le Réalisme
a. L’écrivain réaliste

Charles BAUDELAIRE dans l’Art romantique considère que l’écrivain


réaliste est un positiviste qui dit : « Je veux représenter les choses telles qu’elles
sont, ou telles qu’elles seraient, en supposant que je n’existe pas. »
b. L’œuvre réaliste

« L’écran réaliste est un simple verre à vitre, très mince, très claire, et qui a la
prétention d’être si parfaitement transparent que les images le traversent et se
reproduisent ensuite dans toute leur réalité. » Émile ZOLA
c. L’écriture réaliste

« On constate que le réalisme a consisté surtout : 1° dans un fait, raconter des


histoires réelles, c'est-à-dire des histoires qui sont arrivées à l’auteur, aux amis et
aux amis de l’auteur ; 2° dans une carence, celle de l’imagination romanesque.
L’un n’est d’ailleurs que le revers de l’autre. » THIBAUDET

2.4.4 le Naturalisme
a. Une formule de la science moderne appliquée à la
littérature
« Le romancier est fait d’un observateur et d’un expérimentateur. L’observateur,
chez lui, donne les faits tels qu’il les a observés, pose le point de départ,
établit le terrain solide sur lequel vont marcher les personnages et se développer
les phénomènes. Puis l’expérimentateur paraît et institue l’expérience, je veux
dire fait mouvoir les personnages dans une histoire particulière pour y montrer

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que la succession des faits y sera telle que l’exige le déterminisme des
phénomènes mis à l’étude. » Émile ZOLA, Le Roman expérimental, 1880.

« Le naturalisme, dans les lettres, c’est également le retour à la nature et à


l’homme, l’observation directe, l’anatomie exacte, l’acceptation et la peinture de
ce qui est.» Idem (même auteur), ibidem (même ouvrage)
b. Une peinture des réalités sociales d’une époque
« Lorsque L’Assommoir a paru dans un journal, il a été attaqué avec une
brutalité sans exemple, dénoncé, chargé de tous les crimes. Est-il bien nécessaire
d’expliquer ici, en quelques lignes, mes intentions d’écrivain ? J’ai voulu
peindre la déchéance fatale d’une famille ouvrière, dans le milieu empesté de
nos faubourgs. Au bout de l’ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement
des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l’oubli progressif des
sentiments honnêtes, puis comme dénouement, la honte et la mort (…). C’est
une œuvre de vérité, le premier roman sur le peuple , quine mente pas et qui ait
l’odeur du peuple. Et il ne faut point conclure que le peuple tout entier est
mauvais, car mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu’ignorants et
gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent. Seulement, il
faudrait lire mes romans, les comprendre, voir nettement leur ensemble, avant de
porter les jugements tout faits, grotesques et odieux, qui circulent sur ma
personne et sur mes œuvres. » Émile ZOLA, « Préface de L’Assommoir ».

2.4.5 le Symbolisme
a. Une expression de l’universelle analogie

«Tout est hiéroglyphique et … les symboles ne sont obscurs que d’une manière
relative, c'est-à-dire selon la pureté, la bonne volonté ou la clairvoyance native
des âmes. Or qu’est-ce qu’un poète … si ce n’est un traducteur, un déchiffreur ?
Chez les excellents poètes il n’y a pas de métaphore, de comparaison ou
d’épithète qui ne soit d’une adaptation mathématiquement exacte dans la
circonstance actuelle, parce que ces comparaisons ces métaphores et ces
épithètes sont puisées dans l’inépuisable fonds de l’universelle analogie, et
qu’elles ne peuvent être puisées ailleurs.» Charles BAUDELAIRE, Art
romantique, « Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains ».
b. Un langage de la poésie moderne
« Le Symbolisme, au sens large, désigne tout le mouvement de la poésie
moderne qui croit pouvoir déchiffrer l’allégorie du monde grâce au système des
" correspondances ", qui se propose de saisir les impressions et les sensations

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plutôt que les objets eux-mêmes, qui laisse l’initiative à la musique des mots et
aux puissances latentes du langage. » Littérature francophone, Anthologie.

2.5 au XXe siècle :


2.5.1 le Surréalisme
a. Une écriture automatique
«Surréalisme = n.m Automatisme psychique pur par lequel on se propose
d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le
fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée en l’absence de tout
contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou
morale. » André BRETON, Manifeste du surréalisme.

b. Un rejet de la logique : le rêve et le hasard comme modes de


connaissance
« Encyclopédie = Philosophie. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité
supérieure de certaines formes d’association négligées jusqu'à lui, à la toute
puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner
définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux
dans la résolution des principaux problèmes de la vie. » André BRETON,
ibidem.

Pour le compte de la littérature négro-africaine, dans la première moitié du XXe


siècle, il y en a deux:
2.5.2 à partir des années 20 : la Négro-renaissance
américaine
a. Une prise de conscience
« En plus du jazz et de la danse qui connaissent un succès foudroyant, la
poésie, le théâtre et le roman secouent la nouvelle-Orléans et Harlem vers 1920.
Les nègres semblent se réveiller d’un long sommeil ; ils éprouvent le besoin
d’une nouvelle manière de sentir et même d’être. Ils veulent exprimer leur
"âme", leur origine, leur personnalité. Cette prise de conscience est le début de
la renaissance nègre, mouvement né à Harlem et appelé New-Negro.
La renaissance nègre en Amérique, sera principalement dirigée par les
écrivains, jeunes et dynamiques. Leur programme est passionnant et comporte
trois chapitres importants :

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- Rejet du racisme, de la violence et de la recherche du bonheur individuel ;
- Retour à la culture et à l’authenticité nègres dans une relation avec
l’Afrique ;
- Libération de tous les peuples : libération politique, économique et
culturelle.»
Jean-Pierre MAKOUTA-MBOUKOU, Introduction à l’étude du roman négro-
africain de langue française, NEA, 1980.
b. Un mouvement de révolte et une littérature …
b1. … qui lutte pour la dignité humaine

« Qui a dit ces choses ? Des Américains !


A qui appartiennent ces paroles ? A l’Amérique !
Qui est l’Amérique ? Vous et moi !
Nous sommes l’Amérique !
A l’ennemi qui voudrait nous conquérir de l’extérieur
Nous disons Non !
A l’ennemi qui voudrait nous diviser
Et nous conquérir de l’intérieur
Nous disons Non !
Liberté
Fraternité
Démocratie
A tous les ennemis de ces beaux mots
Nous disons Non !

Langston HUGHES, « J’entends l’Amérique qui chante », poème cité par


Sim COPANS dans son ouvrage, Panorama de la poésie aux Etats-Unis,
Nouveaux Horizons, 1963, pp. 230-231.

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« … il existe réellement quelque chose que tous les hommes noirs ont en
commun, quelque chose qui traverse les points de vue opposés et situe dans un
même contexte des expériences très dissemblables. Ce qu’ils ont en commun,
c’est leur relation précaire et inexprimablement douloureuse au monde blanc. Ce
qu’ils ont en commun, c’est le besoin de refaire le monde à leur propre image,
d’imposer leur image au monde et de n’être plus contrôlés par une vision du
monde et d’eux-mêmes imposée par d’autres peuples. Au total, ce que les
hommes noirs ont en commun, c’est leur désir lancinant d’accéder au monde en
tant qu’hommes. » James BALDWIN cité par Albert GERARD, Etudes de
littérature africaine francophone, NEA, 1977.
b2. … qui magnifie l’Afrique et les valeurs culturelles négro-
africaines
« … dans les années 1920, un vaste mouvement artistique et culturel se
développa à Harlem. Connu sous le nom de renaissance de Harlem, il accordait
une place importante à l’Afrique, surtout à travers son courant primitiviste.
Pendant ce temps, un groupe de poètes, galvanisés par les théories
panafricanistes de William E. DuBois et l’idéologie de mouvement garveyiste,
exprimaient leur nostalgie de ce qu’ils pensaient être l’Afrique et les Africains.»
Notre Librairie no 77, « Les écrivains noirs américains et l’Afrique ».

« Nous, créateurs de la nouvelle génération nègre, nous voulons exprimer notre


personnalité noire sans honte ni crainte. Si cela plaît aux Blancs, nous en
sommes fort heureux. Si cela ne leur plaît pas, peu importe. Nous savons que
nous sommes beaux. Et laids aussi. Le tam-tam pleure et le tam-tam rit. Si cela
plaît aux gens de couleur, nous en sommes fort heureux. Si cela ne leur plaît pas,
peu importe. C’est pour demain que nous construisons nos temples, des temples
solides, comme nous savons en édifier, et nous nous tenons dressés au sommet
de la montagne, libres en nous-mêmes ». Langston HUGHES, article paru le 23
janvier 1926 dans The Nation, extrait proposé par Félix Nicodème BIKOÏ et
al., in Le Français en Seconde, 1998.

2.5.3 à partir des années 30 : la Négritude


a. Un discours pour renouer avec des origines
« La négritude, comme liberté, est point de départ et terme ultime : il s’agit de la
faire passer de l’immédiat au médiat, de la thématiser. Il s’agit donc pour le Noir
de mourir à la culture blanche pour renaître à l’âme noire, comme le philosophe
platonicien meurt à son corps pour renaître à la vérité. Ce retour dialectique et
mystique aux origines implique nécessairement une méthode. Mais cette
méthode ne se présente pas comme un faisceau de règles pour la direction de

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l’esprit. Elle ne fait qu’un avec celui qui l’applique ; c’est la loi dialectique des
transformations successives qui conduiront le Nègre à la coïncidence avec soi-
même dans la négritude.» Jean-Paul SARTRE, « Orphée noir » Préface à
l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache (1947).
b. Les définitions de Senghor et de Césaire
Pour Léopold Sédar SENGHOR, la négritude est « L’ensemble des valeurs
culturelles du monde noir, telles qu’elles s’expriment dans la vie, les institutions
et les œuvres des Noirs.»

«La négritude, pour Aimé CÉSAIRE, est la simple reconnaissance du fait d'être
noir et l'acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de
notre culture. … (elle) ne comporte ni racisme, ni reniement de l'Europe, ni
exclusivité, mais au contraire une fraternité entre tous les hommes.»

« Le concept de négritude, selon Senghor, est statique plutôt que dynamique,


entendu que la négritude est nettement localisée dans l’espace ethno-
géographique où " elle s’enracine en se colorant d’un style original ". Selon
Césaire par contre, la négritude est un certain esprit nègre, c’est-à-dire une
certaine manière de regarder le monde, d’assurer la vie et de créer des valeurs.
(…)
La contradiction apparente entre les définitions de Senghor et Césaire ne
résulte donc que d’une différence de point de vue. Car, d’une part, l’esprit nègre
est inséparable des valeurs nègres et d’autre part, les valeurs nègres manifestent
l’esprit nègre. La seule divergence est que, pour Senghor, le mot négritude est
un terme concret désignant un ensemble de quiddités précises tandis qu’il est,
pour Césaire, un terme abstrait. De ce fait la définition césairienne est plus
dynamique parce que indéterminée comme le concept de l’être et permet ainsi,
seule, de rendre compte des différents composants et aspects de la négritude.»
Emmanuel WITAHNKENGE, un écrivain zaïrois, cité par Robert
CORNEVIN, Littératures d’Afrique noire de langue française, PUF, 1976.

E. Genre littéraire
1. Traits de définition
Dans la littérature, le genre littéraire se présente comme un cadre
approprié commandé par l’inspiration de l’écrivain qui le choisit pour
communiquer à ses lecteurs ses idées, ses sentiments, sa vision du
monde. Il permet de classer les œuvres selon leurs registres, leurs
thèmes et les contraintes d’écriture auxquelles elles obéissent.

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2. Les principaux genres et leur spécificité
Le classement par genres remonte à l’Antiquité, mais n’a cessé
d’évoluer au cours de l’histoire. Aujourd’hui on se réfère à trois
principaux genres, à savoir la poésie, le roman et le théâtre.
2.1 La poésie
La poésie se distingue par l’usage particulier et différent qu’elle
fait du langage. Elle se veut un travail sur le langage.
Le texte poétique peut :
- obéir aux contraintes de la versification : choix des mots, importance
particulière accordée au matériau sonore et graphique, à la forme pour
transmettre le message
- ou construire, plus librement, son propre rythme en vers ou en
prose : même avec le poème en prose, la poésie évite les mots du
langage le plus courant, recourt à des figures visant à frapper
l’imagination.
2.2 Le roman
D’abord en vers au Moyen Age, le roman est de nos jours une
œuvre narrative en prose, qui raconte des actions imaginaires.
C’est un genre souple, capable d’intégrer tous les registres et
d’aborder les sujets les plus variés, un genre qui a très vite manifesté
ses tendances réalistes, particulièrement dans la littérature française du
XIXe siècle avec des auteurs comme Honoré de BALZAC, Victor
HUGO, Emile ZOLA, Guy de MAUPASSANT.
2.3 Le théâtre
C’est un genre qui représente l’action au lieu de la raconter. Il
s’agit, dans le théâtre, de paroles échangées sur scène par des
personnages qui construisent l’action dramatique.
En effet ce sont des personnages qui dialoguent entre eux ; mais à
travers leurs paroles, c’est l’auteur qui s’adresse aux spectateurs.

22
3. Les principaux genres et leurs problématiques
Ces principaux genres mobilisent des problématiques présentées
sous la forme d’éléments de cours, parce que, régulièrement
convoquées en dissertation, leur connaissance permet aux élèves de
répondre à certaines interrogations qu’ils rencontrent dans les
exercices et les devoirs de composition, comme dans les épreuves
proposées dans les différents examens et concours.

23
3.1 La poésie : éléments de cours

A. Un art du langage
B. Un langage pris comme un acte de création
C. Une expression du vécu des hommes
1. A travers des expériences personnelles de la vie
2. A travers des expériences collectives de la vie
2.1. L’évocation du passé
2.2. La critique des réalités sociales de son époque
D. Une interrogation sur le monde

24
Les conceptions de la poésie sont multiples, car, d’un poète à un
autre comme d’un lecteur à un autre, la poésie n’a pas la même
définition. Mais elle est considérée pour l’essentiel comme :

A. Un art du langage
Par opposition au langage courant, à ce langage que nous utilisons
dans nos conversations quotidiennes, pour communiquer, transmettre
des messages, le langage, dans la poésie, n’a pas fondamentalement sa
raison d’être dans cette utilisation traditionnelle du langage.
Dans la poésie, « il y a, dit Charles BAUDELAIRE, une certaine
gloire à ne pas être compris », d’autant plus que, comme le déclare
Eugenio MONTALE, « Personne n’écrirait plus de poésie si le
problème était de se rendre compréhensible ».
En effet dans la poésie l’obscurité est préméditée ; le message a
fondamentalement un rôle secondaire par rapport au travail que fait le
poète sur le langage.
C’est cette particularité du langage poétique qui fait dire à Jean-
Paul SARTRE dans Qu’est-ce que la littérature ? (1947) que « Les
poètes sont des hommes qui refusent d’utiliser le langage (…) Ils ne
parlent pas ; ils ne se taisent pas non plus : c’est autre chose ».
En fait le poète, considère SARTRE, est un écrivain qui ne
communique pas un message bien déterminé à son lecteur. Le langage
qu’il utilise est, dans une certaine mesure, à lui-même sa propre fin,
c’est-à-dire un langage qui n’est pas à proprement parler un moyen en
vue d’une fin qui est la communication.
Cette préoccupation a été celle des Parnassiens qui pensent que le
poète est celui qui travaille sa matière première, les mots ; il doit
accorder une place importante au travail de la forme, et non se livrer
dans son œuvre à la peinture des passions. Il a pour but de créer la
beauté, autrement dit, le poème comme manifestation d’une perfection
formelle.

25
Ce qui fait dire à Théophile GAUTIER dans son poème-manifeste,
« L’Art » (Emaux et Camées, 1852-1872) :
« Tout passe. – L’art robuste
Seul a l’éternité ».
L’art, pour les Parnassiens, est dégagé de l’utile ; il ne doit tendre
qu’à la pureté formelle car, considèrent-ils, les hommes, les
civilisations, les idées passent, seule la beauté plastique reste éternelle.
« Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien », écrit
encore Théophile GAUTIER, parce que, dit-il, « tout ce qui est utile
est laid, car c’est l’expression de quelque besoin et ceux de l’homme
sont ignobles et dégoûtants comme sa pauvre et infirme nature ».

B. Un langage pris comme un acte de création


La poésie nous présente surtout un monde renouvelé, c’est-à-dire
un monde qui ne se préoccupe pas des rapports que la raison rend
possibles.
Victor HUGO, dans Les Contemplations (1856), précisément dans
le poème « Ce que dit la bouche d’ombre », parle de ce monde que
l’homme a souvent du mal à comprendre, parce que sans rapport avec
les réalités du monde sensible. Interpellant cet homme à propos de ce
monde, le poète écrit :
« Homme ! autour de toi la création rêve.
Mille êtres inconnus t’entourent dans ton mur.
Tu vas, tu viens, tu dors sous leur regard obscur,
Et tu ne les sens pas vivre autour de ta vie
………………………………………………………….
Ce que tu nommes chose, objet, nature morte,
Sait, pense, écoute, entend (…) »

26
Des poètes comme Gérard de NERVAL dans « Vers dorés » et
Birago DIOP dans « Souffles » rendent compte également de cette
vision du monde.
En effet, dit Paul Eluard, « Le poète est celui qui donne à voir
parce qu’il a cessé de situer, de classer, de ranger les choses dans
leurs catégories ». En réalité, ces catégories façonnées par l’habitude
et avec lesquelles nous avons du mal à nous départir, nous aliènent.
Elles nous empêchent de nous retrouver dans cet autre monde créé par
le poète, un monde qui ne répond pas forcément aux lois de la réalité
sensible.
En déformant ainsi le réel, la poésie, à travers le poème, se veut
essentiellement acte de création, puisqu’en cela elle témoigne de ce
besoin d’absolu qui habite tout homme. Comme le dit Victor HUGO,
« (elle) s’adresse (…) à l’imagination et non à la logique ».
« Le monde poétique, déclare un poète contemporain, est celui
d’une autre planète », d’autant plus que, dans les œuvres, les poètes
ont toujours rêvé d’un au-delà, d’un monde idéal, c’est-à-dire d’un
monde en accord avec leurs aspirations. « Sous le monde réel, écrit
Victor HUGO, il existe un monde idéal qui se montre resplendissant à
l’œil de ceux que les méditations graves ont accoutumés à voir dans
les choses plus que des choses ».
La poésie, dans les œuvres et les textes, accorde une grande part à
l’imagination. Ce que Marguerite YOURCENAR souligne bien dans
les Mémoires d’Hadrien (1957) : « Les poètes, écrit-elle, nous
transportent dans un monde plus vaste ou plus beau, plus ardent ou
plus doux, que celui qui nous est donné, différent par là même et en
pratique presque inhabitable ».
Les Symbolistes, dans ce sens, se donnent la mission d’atteindre,
au-delà des apparences, une réalité nouvelle. S’inspirant de la
philosophie de PLATON, pour qui ce qui nous entoure n’est que
l’apparence d’une réalité considérée comme essentielle, ils pensent
que l’important n’est pas de décrire le réel, mais au moyen de
« symbole », d’aller à la découverte de ce que l’au-delà réserve

27
comme « splendeurs ». « C’est, déclare Charles BAUDELAIRE, à la
fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique
que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau ».
En effet, parce qu’il célèbre le rêve, le mystère et le sens caché des
choses, le poète, souligne Arthur RIMBAUD, est un voyant, d’autant
plus qu’après avoir cultivé son âme déjà riche, il arrive à l’inconnu, et
« si, écrit l’auteur d’Une Saison en enfer (1873), ce qu’il rapporte de
là-bas a forme, il donne forme ; si c’est informe, il donne de
l’informe ».
Comme les Symbolistes, la poésie est aussi, pour les poètes
surréalistes, création d’un monde nouveau. En fait le Surréalisme
(« Dictée de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la
raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale »,
Définition de André BRETON, chef de file du mouvement) s’inscrit
dans cette tradition qui revendique pour le poète le privilège d’ouvrir
l’accès à un autre univers et de forcer par tous les moyens le voile des
apparences au profit d’une « surréalité », c’est-à-dire d’une réalité
supérieure.

C. Une expression du vécu des hommes


1. A travers des expériences personnelles de la vie
La poésie, à travers la poésie lyrique, a toujours été un moyen
privilégié utilisé par les auteurs pour parler de leurs expériences
personnelles de la vie, exprimer leur monde intérieur, servir, à travers
leurs œuvres, d’« écho sonore » (l’expression est de Victor HUGO) à
tous les sentiments humains.
La poésie lyrique, par l’émotion qu’elle provoque, permet de
connaître le cœur de l’homme, en ce qu’elle communique aux lecteurs
les sentiments personnels des poètes, de développer des idées en
rapport avec les réalités qu’ils ont vécues.
Pour ces poètes (essentiellement les Romantiques) « la poésie,
comme le dit Victor HUGO, c’est tout ce qu’il y a d’intime dans

28
tout », autrement dit, comme le souligne Alphonse de LAMARTINE,
« le poème est un chant intérieur », un chant qui établit une
communication entre des consciences à partir d’une certaine
expérience de la vie. « Le poème, écrit Pierre SEGHERS, est un cri
d’alarme : il appelle à une mystérieuse communion, il cherche
involontairement une voix, une autre moitié qui est vous-même ».
C’est d’ailleurs là une raison qui a poussé Victor HUGO, dans la
Préface des Contemplations, à s’en prendre au lecteur qui
considèrerait que son recueil de poèmes ne parle que de lui et non de
l’homme d’une manière générale. « Quand, écrit-il, je vous parle de
moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah !
insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! (…) Homo sum ».
En fait la poésie lyrique exprime les sentiments que certains
événements (comme l’amour, le désespoir, la fuite du temps, la
souffrance, la mort …) favorisent dans l’âme du poète. Elle est la
manifestation d’une émotion, de tous les sentiments inhérents à la
condition humaine.
C’est une poésie qui, dans ses thèmes et ses formes, est illustrée
par les œuvres et les auteurs suivants :
§ au XVIe siècle : Pierre de RONSARD dans les Amours (1552),
Joachim du BELLAY dans les Regrets (1558),
§ au XIXe siècle : Alphonse de LAMARTINE dans les Méditations
poétiques (1820), Alfred de MUSSET, en 1835, dans La Nuit de mai
et La Nuit de décembre, Victor HUGO dans Les Contemplations
(1856).
Ce dernier, dans ce recueil de poèmes, nous confie les mémoires de
son âme. Il parle de ses amours enfantines, de ses joies, de ses
tourments, mais plus particulièrement de sa douleur en tant que père
après la disparition tragique de sa fille aînée, Léopoldine.
2. A travers des expériences collectives de la vie
Les poètes, dans leurs œuvres, ont souvent parlé du vécu social des
hommes en procédant essentiellement à :

29
2.1. L’évocation du passé
Dans leurs recueils de poèmes, ils ont évoqué des situations
historiques vécues par des hommes qui appartiennent à une période
antérieure à leur époque.
Des auteurs comme Victor HUGO, Leconte de LISLE et José-
Maria de HEREDIA, respectivement dans La Légende des siècles
(1859-1883), Les Poèmes barbares (1862) et Les Trophées (1893),
ont accordé une importance particulière à l’événement historique, à
certains moments privilégiés de l’histoire humaine, qui ont marqué
les civilisations qui se sont succédé jusqu’à leur époque.
Tout comme les poètes de la Négritude, Léon Gontran Damas,
Aimé CESAIRE, Léopold Sédar SENGHOR et René DEPESTRE
entre autres, ont réservé dans leurs œuvres, respectivement Pigments
(1937), Cahier d’un retour au pays natal (1939), Chants d’ombre
(1945) et Minerai noir (1956) un intérêt particulier au passé des
hommes de race noire. Dans leurs recueils, ils ont parlé :
- de l’Afrique traditionnelle et de ses valeurs de civilisation, de
l’esclavage, c’est-à-dire de cette épreuve de l’histoire qui a constitué
une hémorragie dans la chair vive de l’Afrique, en même temps
qu’elle a contribué, d’une manière décisive, au bouleversement de
nos grands empires et royaumes qui ont, dans le passé, reflété des
formes d’organisation socio-politiques qui récusent la théorie de la
table rase (l’Afrique n’a pas d’histoire, de civilisation, de valeurs de
civilisation) développée par les Occidentaux.
- des héros de l’histoire africaine : non seulement de tous ceux qui
ont résisté contre l’idéologie occidentale en Afrique comme Béhanzin,
Samory Touré (cf. « Que m’accompagnent kôras et balafong » dans
Chants d’ombre de Léopold Sédar SENGHOR), mais aussi de ceux
qui ont combattu aux Antilles, en Haïti en particulier comme
Toussaint-Louverture, Dessalines (cf. les œuvres poétiques de Aimé
CESAIRE, de René DEPESTRE et de certains autres auteurs) parce
que, comme héros, ils ont lutté pour l’émancipation des Noirs, pour la
libération de leur peuple.

30
2.2. La critique des réalités sociales de son époque
La poésie nous renseigne sur le monde ; elle nous informe, à
travers la sensibilité du poète, sur la vie et ses problèmes.
Dans les œuvres, les poètes prennent parti dans les luttes
politiques, sociales et idéologiques de leur époque ; ils sont les
témoins de leur temps, parce que, comme l’indique Victor HUGO
dans « Fonction du poète » (Les Rayons et les Ombres, 1840) :
« Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs ».
Ils ne sont pas indifférents à la vie des hommes, à tout ce qui se passe
dans la société. Ce qui fait dire, encore une fois, à Victor HUGO que
« Les plus grands poètes sont venus après de grandes calamités
publiques ».
Des poètes romantiques comme Alphonse de LAMARTINE et
Victor HUGO considèrent le poète comme un guide : il a une fonction
sociale et politique.
En France, les poètes de la Résistance, Paul ELUARD et Louis
ARAGON en particulier, se sont engagés, à travers leurs œuvres
poétiques, pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le premier, dans
son poème intitulé « Liberté », lance un appel à ses compatriotes pour
lutter au nom de la patrie contre l’envahisseur allemand.
Les poètes de la Négritude ont été aussi les porte-parole de leur
peuple, des années 30 à la veille des Indépendances. Dans le Cahier
d’un retour au pays natal (1939), Aimé CESAIRE, s’adressant à son
peuple, dit : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point
de bouche, ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du
désespoir ».
De même Léopold Sédar SENGHOR, dans le « Poème liminaire »
(Hosties noires, 1948) dédié à Léon Gontran DAMAS, écrit :
« Notre noblesse nouvelle est non de dominer notre peuple (…)
Non d’être la tête du peuple, mais bien sa bouche et sa trompette ».

31
Le poète chilien, Pablo NERUDA, déclare que « La poésie est une
insurrection ». Elle cherche à changer l’ordre des choses, à pousser à
l’action, à lutter pour la justice, pour la liberté.

D. Une interrogation sur le monde


Si le poète est le porte-parole de son peuple, en ce qu’il favorise la
prise de conscience de ses contemporains et lutte contre tout ce qui
est injustice, misère ou violence, il est aussi considéré comme un être
supérieur, exceptionnel. Il est élu par Dieu, nous dit Victor HUGO,
pour une mission sacrée qui consiste à investir ses dons littéraires dans
un sens historique et mystique.
Le rôle historique du poète consiste, comme le dit l’auteur des
Contemplations dans « Melancholia », à être l’écho sonore de son
siècle, c’est-à-dire son porte-parole :
« Il apporte une idée au siècle qui l’attend ;
Il fait son œuvre ; il veut des choses nécessaires,
Agrandir les esprits, amoindrir les misères,
Heureux, dans ses travaux, dont les dieux sont témoins,
Si l’on pense un peu plus, si l’on souffre un peu moins ».
Le rôle mystique du poète est célébré, dans le même recueil, par
HUGO dans son poème intitulé « Les mages ». Celui-ci, à travers ses
œuvres, se présente comme l’interprète des dieux. Il a une fonction
morale et sociale de guider l’humanité dans la voie du bien et de la
justice. Par conséquent c’est un homme de génie doublé d’un
messager de Dieu, qui interprète la nature pour les hommes.
Dans le poème ci-dessus cité, HUGO dit, pour bien souligner ce
statut particulier du poète : « Dieu de ses mains sacre des hommes
Dans les ténèbres des berceaux ;
Son effrayant doigt invisible

32
Ecrit sous leur crâne la bible
Des arbres, des monts et des eaux ».
Parce qu’il dévoile l’avenir aux hommes qui l’attendent, le poète
est un prophète, un mage visionnaire qui, malgré les persécutions dont
il est l’objet, perce les mystères de la création et de l’univers.
De même Alfred de VIGNY s’est assignée dans Les Destinées
(1864) cette mission de guider ses semblables. Dans cette œuvre
poétique, il pose le problème de la condition humaine en mettant
l’accent sur les souffrances humaines et la vanité de nos efforts,
d’autant plus que la fatalité, avec son fardeau de misère et
d’ignorance, nous interdit toute espérance.
C’est un pessimisme qui n’empêche pas VIGNY d’affirmer sa foi
dans le progrès, dans la civilisation qui, considère-t-il, permettra à
l’homme, abandonné à lui-même par la divinité, de triompher des
destinées qui l’écrasent, de faire triompher, à travers la pensée, son
génie.
Alphonse de LAMARTINE a aussi fait, dans les Méditations
poétiques (1820), des réflexions sur la condition humaine, suite à la
mort de Mme Julie Charles. Il a parlé, dans cette œuvre, de la brièveté
de notre séjour dans ce monde ici-bas, autrement dit du caractère
éphémère de l’existence humaine.

33
3.2 Le roman : éléments de cours

A. Paramètres pour une lecture d’un texte de roman


1. Histoire et narration
1.1. L’histoire
1.2. Le narrateur
1.3. La narration
2. Personnages, espace et temps dans le roman
2.1. Les personnages et leurs fonctions
2.2. L’espace et le temps
B. Les fonctions du roman
1. Le besoin d’évasion
2. Le besoin d’identification
2.1. Par rapport aux rêves de l’auteur
2.2. Par rapport aux qualités des personnages
3. Le besoin de s’informer sur le vécu des hommes
3.1. A travers des expériences personnelles de la vie
3.1.1. Les romans biographiques
3.1.2. Les romans autobiographiques
3.2. A travers des expériences collectives de la vie
3.2.1. Le roman comme une reconstitution du passé
3.2.2. Le roman comme l’expression d’un engagement
4. Le besoin de s’interroger sur le monde
C. Considérations sur le Nouveau Roman
1. Le Nouveau Roman : une nouvelle conception du roman
2. Le Nouveau Roman : un roman qui explore l’écriture

34
Le roman est une œuvre de fiction, c’est-à-dire une œuvre qui
présente au lecteur des situations imaginaires, même si elle trouve sa
matière première dans la vie, dans le vécu individuel ou social des
hommes.
En cela, c’est un récit d’événements qui sont en rapport avec une
histoire qui implique un narrateur, un espace, un temps, des
personnages, autrement dit des événements qui mobilisent des réalités
en rapport avec ce qu’il est convenu d’appeler les fonctions du roman.

A. Paramètres pour une lecture d’un texte de roman


1. Histoire et narration
1.1. L’histoire
L’histoire dans une œuvre romanesque, c’est ce qui est raconté, ce
que dit le narrateur.
1.2. Le narrateur
C’est le personnage qui, à l’intérieur de l’œuvre de fiction en
général, du roman en particulier, raconte l’histoire. Il est différent de
l’auteur qui est un homme en chair et en os, appartenant à une société,
à une époque, et dont le nom signe l’œuvre considérée alors comme
une propriété.
Exemple : dans Une Vie de boy (1956), l’auteur du roman, c’est
Ferdinand OYONO et le narrateur qui est un être de fiction, et qui
n’existe que dans l’œuvre, s’appelle Toundi, Toundi Joseph après son
baptême.
1.3. La narration
C’est la façon dont l’histoire, dans une œuvre de fiction, est
racontée. Autrement dit la narration désigne l’ensemble des procédés
d’écriture utilisés par l’auteur pour raconter l’histoire.

35
2. Personnages, espace et temps dans le roman
2.1. Les personnages et leurs fonctions
2.1.1. Les personnages dans le roman
Ils se comportent comme nous, c’est-à-dire comme des hommes
dans leur vie en société. Ils se définissent par une histoire, une
psychologie, un certain milieu social. En fait le romancier, en les
individualisant, leur donne l’apparence de la vie, parce que, comme
nous, ils connaissent des problèmes, vivent des incertitudes, des
contradictions, des conflits, ont des désirs, des aspirations. Pour cela,
il dispose de tout ce qui se rapporte au héros et à tous les personnages
qui gravitent autour de ce héros, comme, entre autres, l’habitation, le
langage ou les réactions face aux événements.
C’est ce qui fait d’ailleurs du roman un genre réaliste, c’est-à-dire
un genre qui, à travers les personnages qu’il mobilise, cherche
toujours à rendre compte des réalités de la vie des hommes.
2.1.2. Les fonctions des personnages
Dans un récit comme le roman, les fonctions des personnages sont
au nombre de six. La combinaison de ces différentes fonctions définit
ce qu’on appelle, dans les récits en général, le schéma actanciel dans
lequel :
- le Sujet : c’est celui qui est à l’origine de l’action
- l’Objet : c’est celui qui représente le but de l’action du Sujet
- l’Adjuvant ou l’Auxiliaire : c’est celui qui aide le Sujet dans son
action
- l’Opposant : c’est celui qui constitue un obstacle à l’action du
Sujet
- le Destinateur : c’est celui qui commande l’action du Sujet
- le Destinataire : c’est celui qui est le bénéficiaire de l’action du
Sujet

36
Exemple : les fonctions des personnages dans Les Bouts de bois Dieu
(1960) Ousmane SEMBENE
- Sujet : Bakayoko
- Objet : La justice sociale (dans le traitement humain et salarial
entre les ouvriers blancs et les ouvriers noirs)
- Adjuvant : les Noirs (les cheminots noirs, la communauté noire)
- Opposant : les Blancs (la communauté blanche, les traîtres blancs
et noirs)
- Destinateur : le travail
- Destinataire : le peuple (les Noirs victimes des injustices et
violences de la société coloniale)
2.2. L’espace et le temps
Comme genre qui se veut réaliste à travers des faits et gestes qui
simulent la réalité humaine, le roman a toujours situé les événements
racontés et vécus par les personnages dans un espace et un temps qui
participent de l’imagination de l’auteur.
Exemple : dans Les Bouts de bois de Dieu (1960) de Ousmane
SEMBENE, c’est Thiès, Dakar et Bamako qui constituent l’espace
d’évolution des personnages. Le temps, l’époque dans le roman, c’est
la période coloniale.

B. Les fonctions du roman


On peut les comprendre en tenant compte fondamentalement de
l’intérêt que les lecteurs trouvent dans les œuvres que leur proposent
les romanciers. Cet intérêt se confond essentiellement avec :
1. Le besoin d’évasion
Le roman, pour le lecteur, est avant tout une œuvre d’imagination.
L’univers romanesque n’est qu’un mirage par rapport au vécu des
hommes.

37
Il présente souvent au lecteur des personnages qui n’ont aucun
rapport avec la réalité : ce sont des chimères qui permettent de rêver,
mais ne peuvent d’une manière efficace nous aider à comprendre le
monde, comme d’ailleurs le fait remarquer François MAURIAC, un
romancier français du XXe siècle : « L’œuvre d’art, dit-il, déforme
bien plus qu’elle ne renseigne (…). Les vivants ne ressemblent jamais
à nos personnages inventés ».
Ce que Emma Bovary, devenue Madame Bovary après son
mariage avec Charles Bovary (cf. Madame Bovary de Gustave
FLAUBERT, 1857), a finalement compris, parce qu’elle s’est rendue
compte que les illusions romantiques qu’elle a entretenues n’ont rien à
voir avec la réalité existentielle qui ne lui offre que déceptions et
désespoir.
En effet c’est une femme, dans ce roman éponyme, qui a connu les
pièges de l’œuvre romanesque. Jeune, elle aimait lire les romans
romantiques, ces œuvres qui parlent de passions amoureuses, de
voyages. Mariée, elle a voulu intégrer ses rêves de jeune fille à sa vie
d’épouse et de mère. Mais elle se rend compte que les expériences
vécues par les personnages qui peuplent son imagination sont
irréalisables. Elle va vivre alors dans une insatisfaction chronique
avant de se donner finalement la mort, parce que profondément déçue
par la vie.
L’univers romanesque est une illusion de réalité ; les personnages
qu’il mobilise sont des simulations d’êtres vivants : ce sont des êtres
imaginaires. A ce titre, le roman permet au lecteur de se donner
seulement un plaisir par la lecture d’une histoire, le fait de partager les
émotions des personnages ou l’intérêt qu’il porte aux faits à travers sa
réflexion, son raisonnement et sa volonté de connaître ce que l’histoire
propose comme solution finale.
2. Le besoin d’identification
Le lecteur se plaît souvent à trouver dans l’œuvre romanesque un
moyen pour compenser ce qu’il y a de négatif dans le vécu quotidien
des hommes. Ce qui est pour lui une manière d’oublier les problèmes,

38
les tracas de la vie en société et de manifester son admiration pour les
qualités humaines incarnées par certains personnages.
2.1. Par rapport aux rêves de l’auteur
Le roman est souvent l’expression des rêves de l’auteur ; il
témoigne non seulement d’un besoin d’évasion, mais aussi de ce
besoin d’absolu qui habite tout homme. « L’existence du roman, écrit
le romancier et critique Jacques LAURENT, prouve qu’il nous
manque quelque chose sur la terre puisque le roman existe pour
combler ce manque ».
Tout en faisant référence à la réalité, l’œuvre romanesque diffuse
les désirs propres à un milieu, à une époque ou à une civilisation. En
effet « Le monde romanesque, dit Albert Camus, n’est que la
correction de ce monde-ci suivant le désir profond de l’homme »,
particulièrement celui de l’écrivain.
C’est ce que STENDHAL, né Henri BEYLE, a fait dans ses
romans. Il présente des héros (par exemple Julien Sorel dans Le
Rouge et le Noir, 1831 ; Fabrice Del Dongo dans La Chartreuse de
Parme, 1839) qui rendent compte de ses rêves, parce que, par rapport
à ce qu’il a été dans sa vie, ils sont, soulignent André LAGARDE et
Laurent MICHARD, « plus brillants, plus entreprenants, plus
séduisants que le jeune Beyle ». Pour ces auteurs, « la création
littéraire compense pour (l’écrivain Stendhal) les déceptions et les
mesquineries de la vie ».
2.2. Par rapport aux qualités des personnages
Le lecteur a tendance à s’identifier aux personnages que lui
présente une œuvre romanesque. En le faisant, ce sont les héros
positifs qui incarnent le plus souvent ses idéaux, alors que les héros
négatifs manifestent cette part de l’humain, par conséquent de lui-
même, qu’il rejette.
C’est pour dire que le lecteur reste le plus souvent marqué par les
personnages dont le souvenir éveille non simplement une
« aventure », mais des « caractères ».

39
Dans Le Monde s’effondre (1958) de Chinua ACHEBE, si le
personnage d’Okonkwo fascine le lecteur, il n’en est rien de celui de
Unoka, son père, un joueur de flûte qui déteste l’hivernage, parce que
cette période ne lui permet plus d’aller de village en village pour faire
danser les populations. Le courage et la volonté du fils s’opposent à la
paresse du père qui, pour avoir contracté partout des dettes, ne jouit
d’aucun statut social, contrairement à Okonkwo qui finit, de par ses
efforts personnels, par intégrer le cercle des dignitaires d’Umuofia.
Dans les romans anticolonialistes négro-africains comme Une Vie
de boy (1956) de Ferdinand OYONO et Les Bouts de bois de Dieu
(1960) de Ousmane SEMBENE, le lecteur négro-africain se découvre
à travers les Noirs choisis comme personnages, alors que les
personnages blancs, en particulier les personnages de l’administrateur
et de l’employeur, sont dénoncés, du fait de leurs comportements, de
la force, de l’injustice et de la violence dont ils font usage dans leur
rapport avec les personnages qui représentent la communauté
indigène.
Etienne Lantier, dans Germinal (1885) de Emile ZOLA, est un
personnage qui force l’admiration du lecteur, parce qu’après avoir
trouvé du travail dans la mine de de Montsou, c’est lui qui va aider les
ouvriers à prendre conscience de leurs situations et à lutter pour
l’amélioration de leurs conditions de vie, et par conséquent contre
l’exploitation dont ils sont victimes, le traitement dont ils sont l’objet
de la part des bourgeois.
3. Le besoin de s’informer sur le vécu des hommes
3.1. A travers des expériences personnelles la vie
L’œuvre romanesque est souvent considérée comme une
confession. Elle manifeste, à des degrés divers, une partie de la vie de
l’auteur, si elle ne la renferme pas. C’est le cas dans :
3.1.1. Les romans biographiques
Dans ces romans, les auteurs racontent leur vie, en choisissant une
tierce personne comme personnage qui se trouve être le reflet de leur

40
vécu individuel et social. C’est ce que Marcel PROUST, dans A la
recherche du temps perdu (1913-1927), a fait en se servant de Marcel
comme narrateur. C’est un personnage, dans les sept romans de la
série, qui cherche, au travers de ses souvenirs, à remonter le cours du
temps, histoire de se rendre compte de ce qu’a été la vie de l’auteur,
cette vie dans ses relations avec celle de ses contemporains.
Tout comme, dans L’Aventure ambiguë (1961) de Cheikh
Hamidou KANE, Samba Diallo a le même itinéraire spirituel et
intellectuel que l’auteur lui-même. En effet, dans ce roman, cet
itinéraire, pour celui-ci et le personnage, a commencé en Afrique à
travers l’école coranique et l’école étrangère, pour se poursuivre en
Occident. Et c’est en Occident que Samba Diallo comme l’auteur a
senti la difficulté qu’il y a pour l’intellectuel négro-africain à donner
une certaine solution à son aventure, d’autant plus que l’Europe a fini
de faire de lui un être hybride, c’est-à-dire un homme partagé entre
deux mondes, deux civilisations.
3.1.2. Les romans autobiographiques
Les auteurs, dans ces romans, parlent de leur vie, en choisissant
comme narrateur leur propre personne. En fait l’écrivain, dans ces
types de romans, est non seulement le narrateur, mais aussi le
personnage principal (le héros ou l’héroïne). Dans L’Enfant noir
(1953), un roman autobiographique, CAMARA LAYE a parlé de son
enfance, de ses études primaires et secondaires, de ses parents, de ses
camarades et amis, tout comme de la réticence de sa mère qui ne
voulait pas le voir quitter la terre natale, alors qu’il venait d’avoir une
bourse pour continuer ses études en France.
De même, Marguerite YOURCENAR, dans Souvenirs pieux
(1974), fait le récit de sa propre vie. Elle parle dans ce roman de sa
naissance, de sa famille, du quartier et de la rue qu’elle a habités avec
ses parents, particulièrement du climat social dont elle a bénéficié au
sein de la famille, en un mot des souvenirs qui ont marqué
l’adolescente qu’elle a été à l’époque.

41
3.2. A travers des expériences collectives de la vie
Les romanciers, dans leurs œuvres, ont souvent accordé une
attention particulière au vécu des hommes. Ces auteurs considèrent :
3.2.1. Le roman comme une reconstitution du passé
Le roman est souvent le récit d’événements empruntés à l’histoire.
En cela, il peut servir de document historique ou social, puisqu’il
permet, par la reconstitution d’une époque antérieure à celle de
l’auteur, de comprendre le monde, l’homme, à travers les réalités du
passé.
C’est une préoccupation des auteurs dans les romans historiques.
Dans Salammbô (1862), par exemple, Gustave FLAUBERT parle des
lendemains de la première guerre punique (IIIe siècle avant J.-C.), en
particulier du massacre des mercenaires au service de Carthage, qui,
faute d’avoir reçu leur solde, se révoltent sous la conduite du libyen,
Mâtho.
De même Alex HALEY, un romancier noir américain, dans
Racines (1974), reconstitue l’histoire de sa famille, à partir des faits
vécus par son ancêtre Kounta Kinté, un esclave à travers lequel
l’auteur donne un éclairage sur le passé des Africains.
3.2.2. Le roman comme l’expression d’un engagement
Le roman a, de manière plus ou moins avouée, une fonction
didactique. C’est le cas dans les romans dits engagés, parce que, dans
ces romans, les personnages que l’auteur choisit sont, d’une manière
essentielle, ses porte-parole, d’autant plus qu’ils véhiculent ses idées,
sa vision du monde.
En cela les personnages du roman permettent au lecteur de
comprendre une époque, son époque. En effet l’univers romanesque
participe à son éveil, l’aide à prendre conscience des réalités que
rencontrent les hommes dans leur vie en société.
Dans les romans réalistes comme Les Misérables (1862) de Victor
HUGO, et naturalistes comme Germinal (1885) de Emile ZOLA, un
intérêt particulier est accordé à la peinture des réalités qui concernent

42
la vie du peuple, à la dénonciation des misères et injustices sociales de
l’époque. C’est le cas aussi dans les romans anticolonialistes négro-
africains, en ce que des auteurs comme Ferdinand OYONO dans Une
Vie de boy (1956) et Ousmane SEMBENE dans Les Bouts de bois de
Dieu (1960) procèdent à la critique des violences et situations
imposées aux Noirs dans la société coloniale.
C’est ce travail d’éveil des consciences que Jean-Paul SARTRE
dans Qu’est-ce que la littérature ? (1947) considère comme la mission
première de l’écrivain, du romancier en particulier : « L’écrivain,
souligne-t-il, a choisi de dévoiler le monde et singulièrement l’homme
aux autres hommes pour que ceux-ci prennent en face de l’objet ainsi
mis à nu leur entière responsabilité ».
4. Le besoin de s’interroger sur le monde
Le romancier propose souvent au lecteur une vision du monde. A
travers son œuvre, il « nous (force), comme le dit Guy de
MAUPASSANT, à penser, à comprendre le sens profond et caché des
événements ».
Jean-Paul SARTRE dans La Nausée (1938) et Albert CAMUS
dans L’Etranger (1942) parlent, à travers respectivement les
personnages de Roquentin et de Meursault, de la perte des illusions
sur lesquelles se fondait leur vie. Ce sont des personnages qui
découvrent la médiocrité des hommes, dénoncent les conventions
sociales, critiquent les institutions comme la justice (en particulier
dans L’Etranger), rendent compte de la tendre indifférence du monde,
de la nature : ce qui fait d’eux des personnages qui se sentent
étrangers dans leur société.
Le roman, ainsi donc, aide à découvrir le monde, un monde dont
nous n’avons pas toujours la claire conscience. Il « permet, écrit
Simone de BEAUVOIR, d’effectuer des expériences imaginaires
aussi complètes, aussi inquiétantes que les expériences vécues. Le
lecteur s’interroge, il doute, il prend parti, et cette élaboration
hésitante de sa pensée lui est un enrichissement qu’aucun
enseignement doctrinal ne pourrait remplacer ».

43
En effet « tout grand roman interroge », affirme André
MALRAUX, parce qu’il permet de connaître, de se connaître à partir
d’une certaine image du monde qui favorise la réflexion, la
méditation, d’autant plus qu’il s’agit, pour le romancier, d’éveiller
l’inquiétude du lecteur, une inquiétude qui peut être d’ordre social,
psychologique ou métaphysique.

C. Considérations sur le Nouveau Roman


1. Le Nouveau Roman : une nouvelle conception du roman
Les Nouveaux Romanciers sont des romanciers français qui
appartiennent à un courant qui date des années 50. Leurs œuvres
contestent tout ce qui rappelle, dans l’écriture, les formes de narration
du roman réaliste.
En effet le Nouveau Roman, à l’opposé des romans comme ceux
de BALZAC, de HUGO ou de FLAUBERT, récuse tout ce qui est :
§ histoire, récit dans son déroulement linéaire, chronologique
§ personnages, c’est-à-dire tout ce qui est en rapport avec les
significations psychologiques, morales et idéologiques
§ expression d’un engagement social, religieux ou politique.
2. Le Nouveau Roman : un roman qui explore l’écriture
C’est un roman qui ne présente pas au lecteur un récit véritable. En
effet les Nouveaux Romanciers comme Alain ROBBE-GRILLET
(Les Gommes, 1953), Michel BUTOR (La Modification, 1957) et
Nathalie SARRAUTE (Le Planétarium, 1959) demandent à l’écrivain
d’explorer l’écriture, d’explorer en profondeur le fonctionnement de la
langue, d’autant plus que, dans son œuvre, il n’a rien à dire, mais à
écrire et seulement à écrire. « L’art, dit Alain ROBBE-GRILLET,
n’exprime rien que lui-même ». En fait, comme l’indique bien un des
grands théoriciens du Nouveau Roman, Jean RICARDOU, « Le
roman n’est pas l’écriture d’une aventure, mais l’aventure d’une
écriture ».

44
Avec les Nouveaux Romanciers, l’œuvre romanesque se veut la
construction d’un texte qui ne tire sa réalité que de la forme qu’il se
donne. Il s’agit, pour eux, d’opérer à l’intérieur de la littérature des
révolutions qui sont non d’ordre social et politique, mais uniquement
d’ordre formel et technique. Par conséquent, dans l’écriture d’une
œuvre romanesque, il ne s’agit pas pour l’écrivain de s’engager par
rapport aux réalités socio-politiques, mais de contester, de dénoncer,
de remettre en cause les formes, les manières traditionnelles utilisées
par les auteurs dans l’écriture de leurs œuvres. L’engagement, pour les
Nouveaux Romanciers, c’est non par rapport au vécu des hommes,
mais par rapport à la littérature elle-même, par rapport à une certaine
pratique de la littérature. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre ces
propos de Alain ROBBE-GRILLET lorsqu’il affirme que « Le seul
engagement possible pour l’écrivain, c’est la littérature ».

45
3.3 Le théâtre : éléments de cours

A. Comprendre le théâtre
B. L’écriture du texte de théâtre
1. Les répliques
2. Les didascalies
C. La lecture d’un texte de roman
1. Les personnages
2. La parole au théâtre
D. Le rapport texte-représentation
1. La vertu du texte théâtral
2. L’importance de la représentation
3. Le théâtre et le cinéma
E. Le théâtre à l’époque classique : une conception de la tragédie et de la
comédie
F. Les orientations du théâtre négro-africain contemporain
1. Le théâtre historique
2. Le théâtre social
3. Le théâtre politique
4. Le théâtre philosophique
G. Les fonctions du théâtre
1. La fonction ludique
2. La fonction cathartique
3. La fonction didactique
4. La fonction culturelle
5. La fonction de miroir

46
A. Comprendre le théâtre
Le théâtre est un genre littéraire, la production, l’œuvre du
dramaturge, en même temps un objet de représentation, une mise en
scène, c’est-à-dire un spectacle. C’est un art de participation qui
engage harmonieusement le dramaturge, le metteur en scène, les
acteurs, les décorateurs et le public. En effet le théâtre a besoin pour
exister vraiment et pleinement de médiateurs que sont les comédiens,
le metteur en scène et les spectateurs. Il repose fondamentalement sur
la relation triangulaire entre l’auteur et son texte, l’acteur et son jeu,
le spectateur et son plaisir. En vérité comme le dit ARISTOTE (384-
322 avant J.-C.), c’est une imitation de la vie dans un but de
divertissement, de purification morale.

B. L’écriture du texte de théâtre


Le texte de théâtre, typographiquement, présente des normes qui
dépassent l'instance de la seule lecture. Ces normes sont, dans ce texte,
indissociables, même si elles sont distinctes : il s’agit des répliques et
des didascalies.
1. Les répliques
Le texte des répliques est un discours pur où toute parole, dans le
cadre du dialogue, est clairement rapportée à un émetteur, c'est-à-dire
à un personnage qui s'exprime et dont les propos sont écoutés par les
spectateurs.
2. Les didascalies
On appelle didascalie tout ce qui se rapporte à la liste des
personnages, à leurs noms en tête des répliques, aux marques de
divisions du texte (Actes, Tableaux, Scènes...) et surtout aux
indications scéniques (sur le décor, les costumes, les accessoires, le
jeu des acteurs-personnages, leur utilisation de l'espace, leurs entrées
et sorties, leurs gestes, attitudes, tons...)

C. La lecture d’un texte de théâtre


1. Les personnages
Appelés aussi acteurs, ils se définissent par leurs rôles dans
l’action, c’est-à-dire leurs fonctions. Ces fonctions qui sont au nombre

47
de six, comme dans le roman, entrent dans un jeu d’opposition, parce
qu’elles naissent de la confrontation ou de l’affrontement de plusieurs
personnages que sont :
- le Sujet
- l’Objet
- l’Adjuvant ou l’Auxiliaire
- l’Opposant
- le Destinateur
- le Destinataire
Exemple : les fonctions des personnages dans Phèdre de Jean Racine
- Sujet : Phèdre
- Objet : Hippolyte
- Adjuvant : Oenone
- Opposant : Thésée
- Destinateur : le Destin
- Destinataire : Vénus
2. La parole au théâtre
Elle intéresse les rapports des personnages entre eux ou ceux du
personnage avec le public.
§ La stichomythie
C'est un duel verbal, une succession de répliques brèves qui
traduisent en général un conflit entre deux personnages.
§ La tirade
C'est, dans une pièce de théâtre, une longue réplique d'un
personnage.
§ Le monologue
C'est quand le personnage s'adresse à lui-même, sort du jeu
dramatique qui suppose un dialogue, pour informer le spectateur sur
ses sentiments.

48
§ L'aparté
On parle d'aparté quand l'acteur-personnage s'adresse ouvertement
au public en s'efforçant de ne pas être entendu des autres personnages
présents sur la scène.
§ L'ironie dramatique
Il y a ironie dramatique lorsque le personnage, dans une situation,
agit à son détriment, parce qu'il ignore un fait important que connaît
déjà le spectateur.
Exemple: Le passage dans Oedipe-Roi (entre 415 et 412 av. J.-C.) de
SOPHOCLE où Oedipe s'engage à découvrir et à châtier le meurtrier
de Laïos, précédent roi de Thèbes, est dominé par l'ironie dramatique :
Oedipe ignore en effet (tandis que le spectateur le sait) qu'il est lui-
même ce meurtrier parricide et incestueux.
§ Le quiproquo
Il y a quiproquo quand il y a un malentendu entre les personnages,
ou une différence d'information entre le public et le personnage.
Exemple : Harpagon, dans L'Avare (1668) de MOLIERE (Acte 5,
Scène 3), accuse Valère de lui avoir dérobé sa cassette (qu'il appelle
son sang, ses entrailles). Valère qui ignore ce vol voit qu'Harpagon
l'accuse d'avoir volé sa fille, Élise, dont il est secrètement amoureux.

D. Le rapport texte-représentation
1. La vertu du texte théâtral
L’œuvre du dramaturge par rapport à la représentation théâtrale
constitue souvent une matière première ; elle offre aux lecteurs, et
même aux acteurs, à lire une réalité dont la compréhension et
l’interprétation ne peuvent être définitives, car il s’agit d’une
production littéraire. En fait en même temps que la poésie, le roman,
la pièce de théâtre est une œuvre d’art. Éternellement fixée, elle est
l’œuvre d’un créateur chargé d’une manière ou d’une autre de
communiquer aux hommes une certaine vision du monde. En cela le
texte du dramaturge ne peut être qu’un objet de référence pour le
metteur en scène et les acteurs et aussi pour les spectateurs qui
peuvent éprouver le besoin de lire une pièce après avoir assisté à sa
représentation.
En effet ce texte du dramaturge renferme tout ce qui fait la richesse
de l’œuvre littéraire et qui disparaît le plus souvent et

49
malheureusement avec la représentation. Ce que note bien Anne
UBERSFELD dans son ouvrage Lire le théâtre (1982):
«… dans l’infini des structures virtuelles et réelles du message
(poétique) du texte littéraire, beaucoup disparaissent ou ne peuvent
être perçues, effacées qu’elles sont par le système même de la
représentation. »

2. L’importance de la représentation
Le texte de théâtre, sur le plan de l’écriture et du jeu convoqué par
la situation, intègre dans son espace l’univers de la représentation :
répliques, didascalies, personnages et leur désir de communiquer leurs
sentiments à un auditoire (à des spectateurs). C’est dire que la
représentation est présente dans le texte de théâtre. Le texte du
dramaturge, tout en l’accompagnant effectivement, précède la
représentation mais chargé dès son apparition de noyaux de théâtralité,
c'est-à-dire d’indices qui situent dans la représentation sa finalité, son
existence « réelle ». En fait le théâtre est un art qui se réalise en face
ou au milieu des spectateurs ; par conséquent le texte ne peut être en
définitive qu’un des éléments de la représentation.

3. Le théâtre et le cinéma
Le théâtre et le cinéma sont deux arts qui se complètent. Beaucoup
de pièces de théâtre, grâce aux adaptations filmées (téléfilms), ont eu
un grand succès : entre autres, Baara Yeggo ou les dramatiques de
Daaray Kocc.
Cependant l'un et l'autre ne sauraient se confondre. Le théâtre est
un art de participation, se prête à la collaboration entre acteurs et
spectateurs, se veut présence réelle sur scène, incarnation vivante des
personnages créés par le dramaturge, contrairement au cinéma qui,
malgré sa puissance de reproduire le réel (la nature et non la nature
présentée dans le décor d'une toile) et sa victoire sur le temps et
l'espace (changement instantané d'époque et de lieu), ne permet point
au public de retrouver son rôle, autrement dit de participer, en
l'influençant, dans le jeu des acteurs.

50
E. Le théâtre à l’époque classique : une conception de la
tragédie et de la comédie

TRAGEDIE COMEDIE

Personnages illustres, légendaires ou de condition sociale plus


réels : héros antiques, modeste que dans la tragédie,
bibliques, rois, princes … des gens du peuple, des
bourgeois qui ont un métier …

Epoque en général, antérieure à en général, la même que celle


celle de l’écriture : de l’auteur
Antiquité, époque de la
Bible
Lieu un pays lointain, le plus un intérieur bourgeois, des
souvent des bords de la pièces d’habitation
Méditerranée; un palais …

Dénouement tragique : la mort. Les héros heureux


sont soumis à des forces
qui les dépassent

Effet sur le
spectateur inspirer la terreur et la pitié, le plaisir, le rire comme
le purifier de ses passions : moyen de critique, et
c’est la catharsis même de combat

Exemples
d’œuvres Phèdre (1677) Le Tartuffe (1664)
de Jean RACINE de MOLIERE

51
F. Les orientations du théâtre négro-africain contemporain
Le théâtre négro-africain contemporain comprend essentiellement
quatre orientations.

1. Le théâtre historique
C'est un théâtre qui est marqué par les théories de la Négritude, en
particulier dans le recours aux sources traditionnelles. Il est illustré
par des pièces qui tentent surtout de magnifier le passé pré-colonial,
de réhabiliter les héros de l'histoire africaine, en chantant leurs
exploits, leur résistance à la pénétration coloniale.
Les dramaturges, dans ce théâtre, ne s'intéressent qu'à la vérité
historique. Ils veulent s'appuyer sur elle, pour non seulement faire
œuvre d'imagination, mais aussi et surtout transmettre un message à
leur peuple.
Dans leurs œuvres, ils proposent aux lecteurs des modèles
politiques et leur permettent ainsi de lire les leçons de l'histoire.

Exemples de pièces :
La Mort de Chaka (1962) de Seydou BADIAN
L'Exil d'Albouri (1969) de Cheik Aliou NDAO

2. Le théâtre social
Ce théâtre, appelé aussi théâtre de mœurs, fait une critique, une
dénonciation de certaines coutumes et institutions traditionnelles. Il
exploite les conflits entre la tradition et le modernisme, mais privilégie
surtout le thème de l'amour, les conflits familiaux comme les rapports
entre maris et femmes ou entre jeunes gens et jeunes filles.
C'est un théâtre dont l'objectif n'est pas d'attaquer les valeurs de
civilisation occidentales. Il semble aller dans le sens d'une assimilation
culturelle, en ce qu'il invite le public à se détacher d'un passé
considéré comme un obstacle à la mutation interne des sociétés
africaines.
Exemples de pièces :
Trois Prétendants … un mari (1964) de Guillaume OYONO-
MBIA
Le Lion et la perle (1968) de Wole SOYINKA

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3. Le théâtre politique
Il affirme nettement un engagement politique et idéologique. C'est
un théâtre de la dénonciation, un théâtre qui critique essentiellement
les pouvoirs politiques.
Il met particulièrement en scène les nouveaux « bourgeois
africains » qui prolongent la colonisation, c'est-à-dire cette classe
sociale qui dirige les États après les indépendances, et qui exploite le
peuple sans merci. Il projette, comme le dit Issa Sido, « un éclairage
sur la pourriture cachée derrière la dorure dans beaucoup de pays
africains.»

Exemples de pièces :
Monsieur Thôgô-Gnini (1970) de Bernard DADIE
Le Sang des Noirs pour un sou (1972) de Élebe LISEMBE

4. Le théâtre philosophique
C’est un théâtre didactique qui s'inspire de la métaphysique
occidentale, en particulier des paradigmes de l’existentialisme, c'est-
à-dire de ce courant de pensée qui veut que l’homme, pour donner un
sens à la vie, compte sur lui-même, sur sa responsabilité, sur la liberté
de ses engagements. Il traite du destin de l’homme, reconstitue les
mœurs et les traditions, les conflits et les angoisses.
En effet le peuple, dans les années 70, avait du mal à comprendre le
langage de ce théâtre qui ne rendait pas compte, il faut le souligner,
des préoccupations de l'heure.

Exemple de pièce :
La Dérive ou la chute des points cardinaux (1973) de F. SANGU

G. Les fonctions du théâtre


Elles sont multiples, mais les plus essentielles sont :

1. La fonction ludique
Le théâtre est avant tout un divertissement. C’est un spectacle, une
représentation de tout ce qui enchante les sens autant que l'esprit. «Le
théâtre n'est pas un théorème mais un spectacle » dit un des

53
personnages de Jean GIRAUDOUX dans L'Impromptu de Paris
(1937).
En effet c’est une mise en scène dont l’objectif est de divertir les
hommes. « Depuis toujours, écrit Bertolt BRECHT (1898-1956),
l’affaire du théâtre, comme de tous les arts, a été de divertir les
hommes. Cette tâche lui confère toujours sa dignité particulière. Sa
seule justification est le plaisir qu’il procure, mais ce plaisir est
indispensable. »
Le théâtre ne cherche qu’à divertir le public (les spectateurs),
d’autant plus qu’il s’agit, pour ce public, non de retrouver la morne
réalité, comme le dit Marcel Pagnol, mais de se faire des songes.

2. La fonction cathartique
Le théâtre permet au spectateur de se libérer de ses passions
mauvaises. En cela, il favorise chez lui la purgation des passions (la
catharsis selon ARISTOTE), en ce qu’il est souvent pour le
dramaturge un moyen de proposer à ce spectateur des personnages qui
lui permettent de mieux comprendre la vie.
Par rapport à ces préoccupations, le théâtre se veut essentiellement
un moyen d'expression non seulement des inquiétudes, des angoisses
d’un peuple, mais aussi des fantasmes intérieurs du dramaturge, de ses
désirs, de ses rêves. « Le théâtre, dit Eugène IONESCO dans
L'Impromptu de l'Alma (1955), est pour moi la projection sur scène
du monde du dedans : c’est dans mes rêves, dans mes angoisses, dans
les désirs obscurs, dans les contradictions intérieures, que, pour ma
part, je me réserve le droit de prendre cette matière théâtrale. Comme
je ne suis pas seul au monde, comme chacun de nous, au plus profond
de son être, est en même temps tous les autres, mes rêves, mes désirs,
mes angoisses, mes obsessions ne m'appartiennent pas en propre; cela
fait partie d'un héritage ancestral, un très ancien dépôt, constituant le
domaine de toute l'humanité.»
A ce titre le théâtre, à travers l’acteur-personnage, permet ainsi au
spectateur d’épurer ses passions, donc de se connaître et d'éprouver en
même temps les limites extrêmes de sa puissance ou de sa faiblesse.

54
3. La fonction didactique
Les pièces de théâtre, à travers l’action et l’évolution des
personnages, illustrent le plus souvent des idées. Celles-ci peuvent
être ou d’ordre moral ou d’ordre politique comme dans le théâtre grec
des origines (avec ARISTOPHANE 445-380 av. J.-C) et plus
particulièrement dans le « théâtre de situations » de Jean-Paul
SARTRE. .
En réalité la fonction ludique, précédemment étudiée, est souvent
doublée d’une fonction didactique. C'est, en particulier, le cas dans la
comédie, en ce que, comme le dit MOLIERE « L’emploi de la
comédie est de corriger les vices des hommes ». Elle corrige
effectivement les mœurs par le rire, « Castigat ridendo mores », à
travers la représentation du ridicule, autrement dit la peinture des
imperfections de l'homme.
Le théâtre est un «art civilisateur au premier chef, déclare
Alexandre DUMAS (fils, 1824-1895), dont la portée est incalculable
quand il a pour base la vérité, pour but la morale, pour auditoire le
monde entier». C'est un art moralisateur et instructif, un art dont
Louis JOUVET (1887-1951) trouve l'origine dans la volonté des êtres
humains de donner une explication au monde. « Condamnés à
expliquer le mystère de la vie, note-t-il, les hommes ont inventé le
théâtre. »

4. La fonction culturelle
Le dramaturge, à travers son œuvre, contribue aussi à la
transmission du patrimoine. En fait le théâtre rend compte du passé,
des valeurs qui ont surtout jalonné et rythmé la vie d’une société,
d’une nation. En cela, il mobilise le plus souvent des réalités qui, à
travers les personnages ou les situations; renvoient à des époques
antérieures à celle de l’écriture des œuvres. C’est le cas dans les
pièces :
- du XVII e siècle, comme Phèdre (1677) de Jean RACINE ou
Cinna (1643) de Pierre CORNEILLE, qui sont des tragédies qui
rappellent des faits ayant trait à l’Antiquité gréco-romaine. La
première pièce emprunte à EURIPIDE et à SENEQUE le mythe
ancien de la passion interdite et la seconde est une évocation de
l’épisode antique de la clémence d’Auguste.

55
- du XXe siècle, comme La Machine infernale (1934) de Jean
COCTEAU et Antigone (1944) de Jean ANOUILH, qui sont des
œuvres théâtrales dont les auteurs se sont inspirés de la mythologie
gréco-romaine pour parler respectivement du destin d’Œdipe et de
celui de sa fille, Antigone.
- comme La Mort de Chaka (1962) de Seydou BADIAN, Les
derniers jours de Lat-Dior (1966) de Amadou Cissé DIA et L’Exil
d’Albouri (1969) de Cheik Aliou NDAO, des œuvres de dramaturges
négro-africains qui ont mis en scène les héros de l’histoire africaine,
présentés comme des modèles politiques.
Cette fonction culturelle, parce qu’elle rend compte de la vie d’une
société, prédomine effectivement dans le théâtre négro-africain
moderne et contemporain, avec surtout des pièces qui rappellent non
seulement des faits historiques, mais aussi, comme dans Le Lion et la
perle (1968) de Wole SOYINKA, des problèmes de valeurs dans les
sociétés africaines modernes. En effet, comme le montre bien
l’universitaire camerounais, P. C. OYIE NDZIE : « Le théâtre négro-
africain cherche, suit et poursuit l’homme. Il n’est pas que le jeu : il se
veut une structure qui stabilise, sécurise et dynamise continuellement
la condition de l’homme, prenant par ce biais un gros départ sur les
attitudes désespérées, autant que désespérantes, des formes modernes
du théâtre occidental. En sorte qu’en deçà et au-delà de sa naïveté, il
promet toute une culture et promeut toute une civilisation, et, en ce
sens, s’inscrit pleinement dans les efforts contemporains et pluriels de
la négritude. »

5. La fonction de miroir
Le théâtre est souvent la représentation de la réalité la plus exacte.
Il se veut mise en scène d’une image révélatrice du monde et de
l’homme. « L’objet du théâtre, déclare William SHAKESPEARE
(1564-1616), a été dès l’origine, et demeure encore, de présenter pour
ainsi dire un miroir à la nature et de montrer à la vertu son portrait, à
la niaiserie son visage, et au siècle même et à la société de ce temps
quels sont leur aspect et leurs caractères. »
Cette fonction du théâtre, miroir de l’homme et de la société, en un
mot de la réalité, est exprimée aussi bien dans la comédie (voir la
peinture des mœurs dans les pièces de MOLIERE), dans la tragédie

56
qui se veut justement mise en scène de l’homme en lutte contre son
destin, que dans les œuvres théâtrales de Aimé CESAIRE, qui
accordent un intérêt particulier à la situation socio-politique des
hommes de race noire.
Mais le théâtre ne se contente pas, comme toute œuvre d’art, de
refléter pleinement la réalité. « Le théâtre, dit MONTHERLANT, est
un art essentiellement de convention ». Il ne fait que simuler la vie
réelle. Il présente au spectateur non la réalité, mais une illusion de
réalité. Le monde qui lui est proposé n’est que simple mise en scène
des réalités de la vie, un monde qui favorise chez lui le rêve. « Le
théâtre, indique bien Jean-Louis BARRAULT (1910-1994), est non
seulement l’art de l’imagination, mais également l’art du rêve ».

57
58
Table des matières

En guise d’introduction 5
Sommaire 6
A. Littérature 9
1. La littérature orale 9
2. La littérature écrite 10
B. Auteur 11
C. Ecrivain 11
D. Courant littéraire 12
1. Définition 12
2. A travers les siècles 12
E. Genre littéraire 21
1. Traits de définition 21
2. Les principaux genres et leur spécificité 22
2.1 La poésie 22
2.2 Le roman 22
2.3 Le théâtre 22
3. Les principaux genres et leurs problématiques 23
3.1 La poésie : éléments de cours 24
3.2 Le roman : éléments de cours 34
3.3 Le théâtre : éléments de cours 46
Table des matières 59

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Professeur de Lettres modernes, Dembo Sadio est,
depuis l’année scolaire 2022-2023, le proviseur du Lycée de Sibassor,
après avoir, dans la ville de Kaolack, servi tour à tour au Lycée
Valdiodio NDIAYE et au Nouveau Lycée.
Comme auteur, il a déjà publié dans les Éditions Karmalaa une
pièce de théâtre, Maata et les colliers du destin (2021) et un essai,
Danses de réjouissances : caractéristiques, chorégraphie, chants et
leur thématique (2023).
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