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Une café-filtre coule paresseusement sur le coin d’une table basse qu’une vendeuse de rue vient

d’installer sur le trottoir, non loin de la petite bibliothèque du quartier de Gò Vấp. Une cigarette se
consume dans un cendrier. En cette fin de matinée de décembre 2004, la chaleur commence à se faire
sentir dans les faubourgs d’Hô Chi Minh Ville. L’homme est fluet, pas très grand, la démarche pas
toujours assurée. Mais c’est une fois assis et prêt à disserter que l’on prend conscience de la hauteur
de vue du vieil homme. La moustache est fine, la voix rauque etfranche, l’accent et le parler sudistes
parfois difficiles à déchiffrer pour les non-initiés. Quant à la langue française qui s’intercale dans nos
discussions avant de dominer parfois les débats, elle a ce charme désuet symptomatique d’une
génération de colonisés qui s’est vue imposer à l’école élémentaire, les listes de conjugaisons, Jules
Ferry, Vercingétorix, mais qui a su tirer en même temps bonheur et avantage des lectures de Rabelais,
Ronsard ou Victor Hugo. Et si les hésitations lexicales révèlent un manque de pratique, elles reflètent
aussi le plaisir retrouvé de vouloir jouer avec les mots.
D’un vieux sac porté en bandoulière dépasse toujours un petit carnet où malgré sa difficulté à écrire
désormais, le vieil homme note encore machinalement pensées et bouts de phrases à l’aide d’un stylo
bille qu’il tire de la poche de sa chemisette. Ses lunettes sont d’un autre temps, non pas usées mais
comme patinées par les événements qui se sont succédé au Viêt Nam au cours de ces dernières
décennies. Le regard, lui, est toujours droit, lucide. Mieux, il reste malicieux. Tout autant que le sont
son sourire ou les bribes de conversation lancées à la cantonade avec les gens de l’entourage qui lui
répondent d’un ton amusé tout en vaquant à leurs occupations. Après avoir empli à nouveau ses
poumons de fumée, il ôte le filtre de sa tasse à café.
Tout semble prêt. Presque. Il doit encore avaler le comprimé qu’un médecin lui impose
quotidiennement pour calmer hypertension ou autre tracasserie vasculaire déclarées récemment. S’il
accepte le compromis médical, l’homme n’a fondamentalement pas changé. Ses habitudes de vie et sa
liberté d’écrivain restent, entremêlées qu’elles sont, comme inscrites au plus profond de lui.
Je me plais à observer les gestes d’un auteur découvert à travers des lectures circonstanciées et qui se
dévoile maintenant sous un autre jour. J’observe cette scène matinale, ce micro-événement qui,
retranscrit en restant au plus près de la réalité du quotidien, pourrait en dire bien plus sur cette
personne et sur ce qui l’environne, à savoir la société vietnamienne en ce début de xxie siècle. C’est
ainsi qu’a opéré tout au long de sa vie Sơn Nam : vivre avec le menu peuple du delta du Mékong et de
Saigon, l’observer et le décrire sous des formes fictives mais réalistes, sous d’autres plus érudites mais
irriguées de son parler vrai et de ses propres repères mentaux. C’est cette pensée qui me vient à
l’esprit en vivant cet instantané. Tel un lecteur actif, je prolonge par mimétisme ce que je considère
être le point de vue et la démarche de Sơn Nam.
Maintenant que tout est prêt, l’attention du regard se double de celle de l’écoute. L’observation laisse
place au dialogue. Nous reprenons la discussion que nous avions interrompue quelques jours
auparavant.
Introduction
1C’est par l’évocation personnelle d’une rencontre avec Sơn Nam que nous souhaitions débuter cette
introduction à la vie intellectuelle de cet écrivain contemporain du Sud Viêt Nam pour mieux replacer
l’auteur au centre de sa création littéraire. Car derrière l’accessibilité et la jovialité apparentes de
l’homme qui expliqueraient en partie la popularité de ses écrits, se cache une personnalité plus
complexe qu’il n’y paraît.

2L’ambivalence de Sơn Nam, nous l’avons tout d’abord perçue à lecture de ses mémoires (Sơn Nam
2002-2005, 4 volumes). Elle s’est confirmée ensuite lors d’entretiens qui se sont échelonnés à Hô Chi
Minh Ville entre la fin de l’année 2004 et le milieu de l’année 2006, de façon de plus en plus
sporadique. Au cours de ces rencontres, nous avions insisté sur certains aspects qui nous intéressaient
plus particulièrement, à savoir le versant recherche de ses publications. Puis en voulant remonter le fil
de sa production scientifique, ce sont les inspirations et les sources utilisées dans ses écrits qui
éveillèrent notre curiosité. Car en décryptant certains de ses ouvrages rarement dotés de l’appareil
critique qui en aurait fait des véritables outils de recherche, c’est tout un pan de la bibliothèque
coloniale, majoritairement de langue française, mais aussi les archives administratives, la presse
saïgonaise, bref un matériau classique d’historien qui se révélait à nous et qui venait s’agréger comme
naturellement aux observations de terrain, aux recueils d’histoire orale, légendes et dictons que Sơn
Nam utilisait indistinctement dans ses écrits de recherches (biên khảo, ghi chép) et dans ses nouvelles
ou romans (tập truyện, tiếu thuyết, truyện dài). Une première interrogation était donc celle de la part
induite de la situation coloniale dans sa formation intellectuelle et dans son inspiration. Une seconde
était l’apport de la démarche empirique et naturaliste que l’auteur adoptait et que l’on pouvait
indistinctement pressentir dans ses différents écrits littéraires, teintés d’ethnographie du quotidien ou à
vocation historique.

3Précisons avant toute chose les raisons de notre attrait pour cet auteur. La première est liée à notre
recherche doctorale qui a porté sur l’histoire du bouddhisme hòa hảo. Les lectures initiales de Sơn
Nam ont été celles d’une initiation au delta du Mékong et à son histoire. Même s’il n’a rien écrit de
spécifique sur le sujet concerné, Sơn Nam a finalement orienté à la base notre façon d’appréhender les
religiosités contemporaines du Sud Viêt Nam en les ancrant fortement dans leur environnement
socioculturel originel, puis en replaçant cet espace social ainsi défini, le delta du Mékong, dans le
cadre national. Ces lectures riches d’enseignements sur la culture, la langue et la société du delta du
Mékong ont attisé notre volonté de décloisonner les catégories par trop figées de l’analyse historique
(histoire coloniale, histoire de la révolution, histoire politique, etc.) en redéfinissant, en l’occurrence,
les nouveaux mouvements religieux comme des acteurs complexes devant être replacés dans la
globalité de la modernité religieuse mais aussi comme des expressions culturelles devant être pensées à
diverses échelles locale, régionale, nationale. Nous avons ainsi tenté de comprendre le delta du
Mékong sous ses aspects historiques, géographiques, culturels, technologiques, en nous inspirant pour
cela de la démarche et des écrits de Sơn Nam, considéré à juste titre comme l’une des figures tutélaires
de ce champ d’études sur le Viêt Nam méridional.

1 Voir en annexe la liste de cette collection et sa mise en parallèle avec la présentation chronologi (...)
2 Voir notamment les travaux universitaires récents de Lê Thị Thùy Trang, Phạm Thanh Hùng, Nguyễn
Ngh (...)
4La seconde raison a été contextuelle. La publication des mémoires de Sơn Nam a en effet
accompagné la réédition quasi complète de ses écrits à partir de 2003. La sympathie et la popularité
dont bénéficiait Sơn Nam se sont rapidement liées à des enjeux littéraires et éditoriaux. Hormis pour
les hauts personnages de l’État et de la révolution, rares sont en effet les publications de tels mémoires
ou les cas de réédition d’œuvres littéraires, partielles ou complètes, du vivant de l’auteur. Ce sont ainsi
40 livres sur près d’une soixantaine publiés indépendamment et à des époques différentes qui ont été
compilés pour former un corpus de 20 volumes réagencés en fonction de la nature ou de la proximité
thématique des écrits1. Une telle mise à disposition de son œuvre connue a bien évidemment incité à
une analyse plus systématique des nouvelles de la part de spécialistes de littérature contemporaine
vietnamienne2. Et la disparition de Sơn Nam en 2008 a naturellement suscité réactions, témoignages
de reconnaissance, nouvelles publications (Đào Tăng 2011 ; Võ Văn Thành 2013). Aujourd’hui encore,
rares sont les études, les reportages ou les articles de presse qui abordent le delta du Mékong sous un
angle culturel ou historique sans faire référence à un auteur qui reste pour beaucoup un exemple à
suivre, une source où l’on vient puiser de l’inspiration, des anecdotes historiques, des dictons et des
citations. Tout cela confirme s’il en était nécessaire que sa lecture et son étude sont plus que jamais
d’actualité.

5L’œuvre de Sơn Nam mériterait qu’on y consacrât une étude plus fine et complète consistant à
analyser et à croiser nouvelles, romans et écrits de recherche afin de déterminer la cohérence de
l’œuvre, la complémentarité ou l’interaction de ses différents registres d’écriture. Deux d’entre eux se
démarquent très clairement, l’œuvre de fiction constituée essentiellement de nouvelles et les études
documentées ayant trait à la culture ou à l’histoire. Une telle étude systématique apporterait des
éclairages utiles sur les sources et sur les formes de composition de ses écrits qui, bien que différents
par nature, pointent tous vers une même finalité.

6Commençons néanmoins par poser les bases d’une sociologie historique et recentrons-nous, dans le
cadre de cet article, sur les facettes de l’écrivain qui en font un acteur du contact colonial, un témoin
de la domination politique et des échanges culturels qu’une telle situation a créés, un artiste inspiré
par son environnement naturel et social, finalement un intellectuel passeur de traditions, de valeurs et
de cultures vivantes. En s’appuyant essentiellement sur les mémoires et sur nos entretiens, cette mise
en perspective a fait le choix de prendre comme point de départ l’auteur plutôt que son œuvre et
d’aborder le contact culturel franco-vietnamien comme une source de sa création et non pas seulement
comme arrière-plan de l’œuvre.

3 L’expression se réfère à l’expression Nam Bộ, Viêt Nam méridional, qui s’est vulgarisé après 1945 p
(...)
7Des études approfondies viendront le préciser, mais nous pouvons déjà affirmer que de toutes ses
publications se dégage une homogénéité de la démarche d’observation et de restitution de la vie
quotidienne sous deux formes principales que nous qualifions ici de poétiques (nouvelles) ou
d’ethnographiques (écrits de recherche) ; de même que s’affirme dans le processus d’écriture de Sơn
Nam un même horizon ou, comme l’écrit très justement Võ Phiến, « une seule attache au plus profond
de lui qu’est la région natale » (lòng ông chỉ có một thiết tha : là quê hương) (Võ Phiến 1999 : 1346).
Pour preuve, Sơn Nam est unanimement reconnu comme un des fondateurs des études régionales,
dénommées Nam Bộ học3, en ayant su leur insuffler un esprit et une expressivité littéraires
archétypiques. En cela, Sơn Nam est un homme de son temps, à la fois redevable des lettrés et des
écrivains locaux qui l’ont devancé, de ses contemporains qui ont aussi œuvré à l’émergence de la
nouvelle dans le champ littéraire et à une meilleure connaissance du delta du Mékong et de sa
civilisation fluviale. C’est aussi un écrivain dont la lecture incite à voir au-delà des descriptions
circonstanciées, la part d’universalité qui se dégage d’une œuvre profondément émouvante et
humaniste.

Une vie d’écriture nourrie d’observation raisonnée


8Lecture et écriture semblent avoir poursuivi Sơn Nam tout au long d’une vie faite de pérégrinations
dans un environnement relativement étroit mais qui va s’élargir de façon concentrique. C’est du moins
ce que suggère son autobiographie qui, construite en quatre étapes, met en correspondance un âge de
la vie et un espace géographique. De façon peu originale, les trois césures (1945, 1954, 1975)
marquent chacune une rupture importante dans les événements politiques du pays et dans la vie même
de l’auteur. Elles suggèrent simultanément les rites de passage qui ont jalonné les différentes phases de
sa maturation intellectuelle.

4 Toutes les citations dans le texte ou en notes qui ne sont pas accompagnées de référence sont de S
(...)
9La petite enfance de Sơn Nam, né en 1926 sous le nom de Phạm Minh Tày, est celle du temps passé à
l’extrême sud de la Cochinchine, dans un village de peuplement récent tourné à la fois vers la forêt de
mangroves d’U Minh et le golfe du Siam. Dans cette région, du temps de son grand-père paternel (né
en 1840 à Cù Lao Ông Chưởng, dans la province d’An Giang) qui avait décidé d’y migrer, il était
encore difficile aux pionniers installés depuis peu de planter du riz. La forêt de tràm environnante
permettait de subsister en y pêchant, en y cueillant des biens comestibles, en y ramassant des
branchages pour en faire du bois de chauffe qu’on allait vendre au marché. Son père, Phạm Minh Sâm,
lui, y était né : « il était un petit cultivateur, officiellement un petit propriétaire foncier qui ne cultivait
pas. Il a défriché, mais la terre était mauvaise, trop alunée. Alors on creusait des mares et on élevait
des poissons4 ». Quant à sa mère, Lê Thị Qúy, qui donna naissance à trois enfants, deux garçons et
une fille, elle était issue d’une famille migrante venue de Long Xuyên (Bò Ót).

5 Malgré cet intérêt pour la culture cambodgienne, Sơn Nam a peu voyagé au Cambodge : « Je suis
allé (...)
10Dans ce hameau vivaient quelques dizaines de familles cambodgiennes. Elles étaient venues se
réfugier après avoir résisté à la fin des années 1860 à la conquête des Six provinces du Sud (lục tỉnh)
qui formeront un temps la Cochinchine. Sa mère étant tombée malade, Sơn Nam eut une nourrice
cambodgienne. Très tôt, il apprit quelques rudiments de cambodgien qui viendront, de même que le
dialecte chinois triêu châu, enrichir son parler. Un de ses oncles, Hai, très attiré par la culture, les
cultes et les pratiques khmères, lui donna d’ailleurs le goût de la découverte5. De ces premières
années, Sơn Nam a puisé une partie de son inspiration. Il a surtout développé une sensibilité au
métissage culturel et langagier qui lui a permis de décrire par la suite l’enchevêtrement d’influences
diverses qui forment cette culture populaire et polymorphe du delta du Mékong.
11À la fin des années 1920, la famille a quitté la pointe de Cà Mau pour s’installer à quelques dizaines
de kilomètres plus au nord, dans la région de Hòn Đất. C’est en effet à ce moment que le canal de
déversement reliant Rạch Gía à Hà Tiên fut creusé et que son aménagement ouvrit par conséquent de
nouveaux espaces de défrichement et de fondations villageoises. Installé non loin de la ville portuaire
de Rạch Gía, où se croisaient paysans vietnamiens et cambodgiens, marchands chinois, marins
siamois, administrateurs et colons français, Sơn Nam y a commencé l’école élémentaire en côtoyant
les enfants de cette population bigarrée.

12Doué et motivé pour étudier, il obtint une bourse du gouvernement colonial en 1937 et poursuivit ses
études au collège à Cần Thơ qu’on nommait alors la capitale de l’Ouest (Tây Đô). Mais la guerre
sino-japonaise éclata en laissant augurer l’intensification du conflit. Cette jeunesse vietnamienne
formée à l’école française lui fit découvrir les lettres et les auteurs français mais aussi les discussions
et les activités politiques qui se généralisaient (Sơn Nam 2002a : 71 et 80).

6 Sơn Nam précise : « L’administrateur chef de la province s’appelait Maxime Vialla, le sous-chef éta
(...)
13Sơn Nam décida alors de partir à Hà Tiên pour y chercher du travail. Il se proposa à la cimenterie
de la ville mais en vain. Il profita cependant de l’occasion pour visiter l’ancienne principauté des Mạc
Cửu et découvrir les écrits des poètes Đông Hồ et Mộng Tuyết (Sơn Nam 2002b : 8). Il trouva
finalement à travailler entre 1943 et 1945 au service économique de la province de Rạch Gía, en tant
qu’aide-secrétaire6. Sa conscience politique s’affina simultanément au contact des patriotes
rencontrés dans ce contexte étrange où le régime colonial se maintenait mais pouvait vaciller à tout
moment sous la pression militaire japonaise. Décidé qu’il était à prendre le maquis à l’été 1945, sa
jeunesse devint alors synonyme d’un engagement anticolonial nourri par les héros locaux du milieu du
xixe siècle qui avaient résisté à la conquête militaire.

14C’est au sein de la IXe zone de résistance Việt Minh, cette région en deçà du Mékong, frontalière du
Cambodge, qu’il passa toutes les années de la guerre d’Indochine. Sa région natale, la forêt d’U Minh,
se transforma rapidement en bastion imprenable d’où débuta le « travail révolutionnaire d’enquête, de
propagande, d’organisation, d’entraînement et de combat » (Sơn Nam 2002b : 43). Les comités
d’action en faveur de l’indépendance et de l’unité de la nation s’organisèrent. La résistance se
renforçait du retour de prisonniers politiques qui avaient croupi un temps à Poulo Condore. Sơn Nam
se proclama le représentant de la jeunesse avant de jouer le rôle d’instructeur villageois auprès des
élèves qui composeront les futurs cadres des sections des femmes, de la jeunesse, des paysans.

15Ces activités ne l’empêchèrent pas de s’interroger dès cette époque sur les rapports que peuvent
entretenir les motivations individuelles de l’artiste et l’engagement, par définition collectif, de l’acte
politique (Sơn Nam 2002b : 49-53). Il évoque sa proximité avec le poète Nguyễn Bính, sa rencontre
avec des musiciens, tel le dénommé Paul, bulgare passé au maquis, des peintres, des comédiens (ibid. :
144-146) et naturellement tous ceux qui utilisaient l’imprimerie pour glorifier la lutte du peuple contre
l’oppression. Beaucoup de ces rencontres se faisaient dans le comité des lettres et des arts (ban văn
nghệ) de la zone IX. Placé sous le contrôle d’un militaire qui s’occupait des campagnes d’agit-prop, il
était demandé à ce groupe formé de quelques artistes de « faire l’éloge des campagnes anti-françaises,
de vanter l’héroïsme des Vietnamiens, celui des femmes vietnamiennes surtout ». Cela se déroulait
aussi dans le cadre du « lớp văn nghệ Nam Bộ qui était comme une conférence où l’on réunissait les
artistes de la zone IX. À l’époque, Mao était notre maître. On suivait l’exemple des Chinois ».

16Sơn Nam a fait son apprentissage des lettres en rédigeant des articles dans des journaux clandestins,
tels Tiền phong ou Dân chủ, et surtout dans « le journal Lá lúa publié dans les années 1950 ; on avait
acheté en secret des machines d’imprimerie à Saigon qu’on a installées sur une barque à U Minh ».
Ces écrits de jeunesse, rédigés dans des conditions extrêmes, n’avaient selon l’auteur aucune valeur,
car « on ne peut pas être écrivain à 18 ans, mais à partir de 30 ans ». Il n’empêche qu’il publia dès
1948 un recueil de poèmes (Lúa reo) et qu’il se fit remarquer en 1952 en obtenant un prix littéraire
pour une nouvelle intitulée Bên rừng Cù lao dung. Dans ce contexte particulier de guerre, on trouve
ainsi ce qui va faire la marque narrative de l’auteur, à savoir la rencontre des paysans au fil de ses
pérégrinations – dans le cas présent de ses affectations – et la description de leur environnement, de
leurs coutumes, de leurs croyances populaires, de leurs modes de vie, de leur langage.

17Ce temps fut ainsi celui de l’éclosion des sentiments patriotiques et d’une sensibilité artistique. Sơn
Nam donne à voir une facette peu connue de la guerre en se remémorant le temps passé au maquis au
contact d’artistes, de poètes, de journalistes. Il suggère en plus les bases d’un processus créatif qui se
fonde sur une observation expérientielle d’un terroir, d’une société paysanne dont il est issu. D’une
façon très pragmatique, il commence à composer des nouvelles qui, à l’identique de son engagement,
ne relèvent pas du registre de l’idéalisation mais bien de celui du réel, du vécu.
18L’annonce de la chute de Điện Biên Phủ sonna la fin d’une bataille, d’un conflit, d’un ordre. Les
événements politiques, le cessez-le-feu, les accords militaires et diplomatiques, le rapatriement du
corps expéditionnaire, la partition temporaire du pays s’enchaînèrent. Du côté des maquisards, l’heure
était au choix, celui du départ pour le Nord ou bien celui de rester sur place en résident clandestin ou
en restant à distance des organes du Parti. Sơn Nam choisit sa voie, celle de quitter sa région natale et
les zones de résistance mais de rester au Sud et de s’y rendre utile en devenant écrivain.

7 Expression populaire formée à partir du nom de la plus célèbre rue de Saigon (Catinat, aujourd’hui
(...)
19L’âge adulte est celui passé au cœur de la ville (Sơn Nam 2004), Saigon, qu’il ne quitta plus jusqu’à
la fin de sa vie, au point qu’elle devint son deuxième pays natal. Sơn Nam pénétrait un monde plus
différent encore que celui des zones de résistance. Le port, les grands restaurants, ces magasins où
l’on va « catiner7 », toutes les lumières de la ville impressionnaient. Et la diversité du monde agraire
de son enfance laissait place au cosmopolitisme de la grande ville ouverte sur le monde. C’était en fait
plusieurs villes en une qui se touchaient : Saigon la ville coloniale, Chợ Lớn l’industrieuse ville
chinoise puis, intercalés, les faubourgs vietnamiens tout aussi actifs. Au cœur même de la ville, vers Đà
Kao ou à Gia Định, s’étaient installées depuis plusieurs générations des grandes familles
cochinchinoises d’intellectuels, de commerçants, de propriétaires fonciers. Ils s’étaient réapproprié
une part de modernité occidentale et œuvraient dans de nombreuses professions libérales. Le long du
port, en direction de Chợ Lớn ou à proximité de l’aéroport, se développaient des quartiers plus
populaires où vivaient des artisans, des commerçants, des journaliers, venus de la campagne voisine.
Avec l’exode de centaines de milliers de réfugiés majoritairement catholiques venus du Nord à l’issue
des accords de Genève, la physionomie de la ville évolua en se gonflant de cette population qui
s’installa dans de nouveaux quartiers de la ville. L’expansion se poursuivit dans les années 1960 avec
le débarquement de l’armée américaine et une nouvelle vague d’exode de paysans quittant cette fois
les provinces du Centre et du Sud Viêt Nam.

20Devenir saïgonais consistait donc pour Sơn Nam à domestiquer ce cosmopolitisme colonial, à
s’émanciper des rapports de classe, à s’adapter aux codes d’une culture bourgeoise et occidentalisée.
Il s’agissait surtout de comprendre comment fonctionnait et comment s’était construite la ville au fil
des vagues migratoires. Car si la ville était tournée vers son arrière-pays du delta du Mékong, elle
s’ouvrait tout autant vers le Đồng Nai et les plaines côtières du Centre. Sans compter que les migrants
venus des environs de Huế, Tourane (Đà Nẵng), Quy Nhơn, etc., mais aussi de Hanoi et du delta du
Fleuve Rouge étaient tous porteurs de traditions villageoises et régionales. La ville était naturellement
le lieu d’une intense vie artistique et intellectuelle. La presse française et vietnamienne pullulait, les
lycées et les facultés ouvraient l’espoir d’une ascension sociale, les bibliothèques rendaient accessibles
la littérature et la découverte des grandes civilisations. La ville était un monde en soi, où se croisaient
des arts vivants vietnamiens et l’Occident. Elle était un centre de documentation à ciel ouvert, un point
d’observation et d’expérimentation pour celui qui percevait cette cohabitation de cultures savantes et
populaires.

21Mais devenir saïgonais consistait avant tout à trouver un moyen d’existence pour mieux se fondre
dans un environnement qui pouvait s’avérer hostile en raison des tensions politiques toujours fortes au
sortir de la guerre d’Indochine. L’arrivée à Saigon coïncida avec la « guerre des sectes » que
relatèrent Lucien Bodard dans ses reportages ou encore Graham Greene dans son Américain bien
tranquille.

8 Je lui demandai si ce choix avait à voir avec le culte Bửu Sơn Kỳ Hương qui faisait du point culmi
(...)
22Sơn Nam, alors âgé de 30 ans et qui avait forgé ses armes dans le maquis pendant 10 ans cherchait
à se rapprocher des écrivains de Saigon comme Thanh Nam, Dương Tử Giang, Lý Văn Sâm. Il
renforça ses liens d’amitiés avec des artistes du Sud, en particulier Bình Nguyên Lộc (Tô Văn Tuấn)
tout en faisant la connaissance d’écrivains originaires du Nord qui, issus d’une tout autre culture
lettrée, se révélaient, dit-il, « bien plus doués pour la littérature que les gens du Sud qui ne lisent pas ».
C’est à Saigon que naquit réellement l’écrivain Sơn Nam. En arrivant dans la ville, il choisit ce nom
de plume en mémoire à sa petite enfance et à son pays natal : « Ce choix, c’est par amitié pour les
Cambodgiens. Sơn est le nom que portent les Khmers du delta, et Nam c’est le Sud8. »

9 La compilation de ses écrits dans les journaux, les revues littéraires et culturelles vietnamienne (...)
10 Phi Vân (1918-1977), de son vrai nom Lâm Thế Nhơn, originaire de Cà Mau, publia précédemment
deux h (...)
23Ayant réussi à se libérer rapidement des obligations militaires imposées par le régime de Ngô Đình
Diệm en 1955, Sơn Nam devint pigiste pour plusieurs journaux9. Il décida en parallèle de créer une
maison d’édition avec Bình Nguyên Lộc afin d’autoproduire leurs livres. Celle-ci prit le nom de Phù
sa, littéralement « alluvions », comme pour mieux évoquer l’environnement naturel et la société du
delta du Mékong qui s’est formée par apport successif de limons fertiles, de pionniers et de migrants.
C’était peut-être également une façon de qualifier leur approche d’une écriture qui se voulait simple,
concrète, ancrée dans le terroir. Leurs publications, « plus d’une dizaine en tout, étaient tirées à 1 000
exemplaires, vendues aux éditeurs ou mises en dépôt chez les libraires ». Prenant conscience qu’un
seul auteur, Phi Vân10, s’était jusqu’alors intéressé à la région de Cà Mau, riche par ailleurs d’une
première publication consacrée à la région du Transbassac (Tìm hiểu đất Hậu Giang, Phù Sa, 1959),
Sơn Nam décida de publier en 1962 son premier recueil de nouvelles, Hương rừng Cà Mau, qui fut un
succès.

24Mais sa vie de journaliste-écrivain fut rythmée par les soubresauts des événements politiques et les
suspicions répétées des autorités de la République du Viêt Nam qui voyaient en lui un sympathisant des
forces de gauche, voire un partisan Việt Cộng. Pour cette raison, elles décidèrent de l’incarcérer
pendant 24 mois, à partir de juin 1960, à la prison de Phú Lợi. En plus de l’humiliation et des
conditions matérielles et sanitaires déplorables, s’ajoutait cette impossibilité d’écrire qui le minait tout
particulièrement. La crise bouddhiste mena à la chute du régime de Diệm, à un assouplissement du
régime de la presse et du contrôle policier. Mais la situation se tendit à nouveau avec l’escalade de la
guerre, les mouvements étudiants, l’instabilité politique. Si bien qu’à la fin de l’année 1974, Sơn Nam
subit à nouveau une incarcération de 4 mois à la prison centrale de Saigon. Dans ce contexte troublé,
il réussit malgré tout à lire énormément, à publier des articles, des nouvelles, des écrits de recherche, à
se forger un nom. C’est là que s’affina son art de la narration et de la description en développant une
certaine technicité dans l’analyse : l’observation jusqu’alors intuitive se fit plus documentée et
raisonnée.

11 Võ Phiến débute la notice qui lui est consacrée par cette phrase : « Sơn Nam rất “kỵ” chính trị »,
(...)
25Dans le dernier opus des mémoires qui débute avec les événements d’avril 1975 pour couvrir les
quasi-trente dernières années de la vie de Sơn Nam, la trame chronologique et événementielle s’efface
au profit de commentaires et de digressions plus libres sur la culture vietnamienne et sur l’écriture.
Non pas que les changements n’aient été moins brutaux au moment de la réunification du pays ou lors
de l’instauration de la politique du đổi mới en 1986 ; non pas que ces événements n’aient été sans
effets sur la vie de la population et sur la façon de concevoir la culture et l’identité vietnamiennes.
L’écrivain quinquagénaire semble avoir voulu se détacher de plus en plus des contingences11 pour se
consacrer à la littérature et surtout à la publication d’études folkloriques ou d’essais historiques.
12 Lorsqu’il débarqua à Saigon en 1954, Sơn Nam avait déjà été confronté au même choix de
demander des (...)
26Car si la fin de la guerre était bien effective dans le pays, la situation intérieure était encore loin
d’être pacifiée. Rééducation, collectivisation, défiance et exode rythmèrent les premières années de la
réunification. Sans compter les problèmes de subsistance, l’appauvrissement et la bureaucratisation de
la vie culturelle, l’imposition de nouveaux canons esthétiques, la pénurie de livres. Pour Sơn Nam, il
ne fut jamais question de quitter Saigon et le pays. Lui qui vivait depuis des décennies sans aucune
affiliation à un parti politique ou à une organisation, – hormis, précise-t-il, le Pen Club dont le
caractère international fut sujet à critique –, lui qui avait fait pour cette raison de la prison sous
l’ancien régime et qui pouvait se voir contraint par le nouveau pour les mêmes griefs, se reposa la
question de la régularisation de sa situation12. La nécessité le poussa à chercher une activité
culturelle auprès d’un organisme d’État qui lui permettrait de reprendre le moment venu, espérait-il,
ses pérégrinations dans la ville et dans sa région natale (Sơn Nam 2005 : 23). Il en était ainsi de sa
vie. De plus, ce qu’il pouvait lire de récent en matière de littérature lui faisait dire qu’on était loin du
génie de « Hồ Biểu Chánh, le plus grand écrivain du Sud ». Quant aux programmes de recherche sur
le Viêt Nam méridional commandés aux fonctionnaires des services de la culture, ils éveillaient en lui
beaucoup de doutes. Les observations trop rapides et les conclusions hâtives, le peu d’empathie des
enquêteurs envers les populations rencontrées, le manque de relativisme étaient la preuve de beaucoup
de superficialité. Le cadrage théorique prédéterminé figeait et généralisait de plus une vision
téléologique et culturaliste. Ceci allait naturellement à l’encontre de la démarche réellement empirique
que Sơn Nam avait éprouvée depuis tant d’années et qui lui avait permis de constituer un intéressant
fonds ethnographique. Depuis Hô Chi Minh Ville, il consacra essentiellement ses dernières années
d’activités professionnelles – il prit sa retraite de l’association des écrivains en 1990 – à l’écriture
d’articles de presse, à la rencontre d’étudiants et de chercheurs, à la recherche documentaire dans les
bibliothèques et au centre des archives nationales de la ville pour y consulter notamment le riche fonds
du Gouvernement de la Cochinchine. Il publia en conséquence plusieurs ouvrages sur la culture et sur
l’histoire. Mais au cours de ces années, il reprit aussi le chemin des arroyos du delta, soit de sa propre
initiative, soit à la demande de journalistes ou de chercheurs (Sơn Nam 2005 : 32).

27Dans ces derniers chapitres, il évoque donc en toute liberté sa visite des lieux de culte de la ville et
les festivités qui s’y tiennent. Il commente les cérémonies de mariage et le culte des ancêtres, la vie
passée du quartier de Gò Vấp. Il se remémore aussi les célébrations du tricentenaire de la fondation de
la ville en 1998 et sa contribution aux nombreuses recherches historiques et encyclopédiques menées
pour l’occasion. Il livre aussi ses impressions sur les provinces du Centre Viêt Nam, suite aux
déplacements qu’il fit pour rechercher le tombeau de Hiền Vương à Huế, ou bien celui de Nguyễn Hữu
Cảnh à Quảng Bình, deux personnages historiques qui ont joué un rôle important dans l’histoire du
Sud du pays. Il détaille encore ses retrouvailles avec Nguyễn Văn Hầu, lettré de Long Xuyên qui écrivit
beaucoup sur la doctrine du bouddhisme hòa hảo, la littérature sudiste, la mise en valeur agricole et
les mouvements patriotiques locaux du xixe siècle. Il présente enfin la région des Sept Montagnes et la
rencontre de saints hommes (ông đạo) qui y vivent et que la population locale respecte pour leur
connaissance des croyances locales et de la pharmacopée traditionnelle.

28Sơn Nam s’est toujours considéré comme un écrivain iconoclaste qui a suivi son propre style doublé
d’un patriote sincère qui a cherché à approfondir sa connaissance de l’histoire et de la géographie
nationales (Sơn Nam 2005 : 28). On retrouve finalement ici les composantes d’une écriture qui, dans
certains cas, prend la forme d’une narration ethnographiée et, dans d’autres, celle d’une ethnographie
stylisée. De cette dualité originelle découle toute la richesse de son œuvre.

Le delta du Mékong : du paysage mental à la définition d’un espace régional


29Sơn Nam a ainsi consacré toute sa vie à peindre les nombreuses facettes de son pays natal, le delta
du Mékong, et de son pays d’adoption, Saigon. Historiquement, le delta a souvent fait figure d’arrière-
pays de la région de Saigon. Non seulement lorsque les seigneurs Nguyễn ont implanté au xviie siècle
une citadelle dans la région de Gia Định avant de prolonger la colonisation de ce front pionnier plus
au sud, mais encore lorsque la mise en valeur économique de la Cochinchine coloniale a fait de Saigon
le débouché portuaire naturel des réseaux rizicoles et commerciaux de tout le Viêt Nam méridional.
Sơn Nam, ayant fait le parcours inverse a, en conséquence, perçu Saigon comme une ville coloniale à
l’identité affirmée mais également comme une extension du delta du Mékong perceptible dans ses
faubourgs. C’est par la suite, seulement, que la métropolisation et les migrations successives ont
complexifié la situation et enrichi une vie culturelle par l’apport de nombreuses autres influences. De
fait, le delta du Mékong au sens large, la culture du Sud dans un sens restreint, sont pour Sơn Nam un
macrocosme. De la sorte, il a contribué à fonder ces études du Viêt Nam méridional que les
Vietnamiens dénomment aujourd’hui Nam Bộ học. Tentons de préciser les significations que recouvrent
les expressions de delta du Mékong (đồng bằng sông Cửu Long) puis celles de culture du Sud (văn hóa
Nam Bộ) qui sont l’objet ou bien l’arrière-plan de tous les écrits de Sơn Nam.
30Tout naît du Mékong, pourrait-on dire, de ce fleuve puissant trouvant sa source au Tibet, qui a
façonné le long de son parcours sinueux diverses cultures et sociétés. Épine dorsale de la péninsule
indochinoise, il a toujours eu cette ambivalence d’être une voie de circulation, un passeur culturel
ainsi qu’une frontière qui a délimité les espaces coloniaux et les états modernes. Tous les pays qu’il
traverse (Chine, Myanmar, Thaïlande, Laos, Cambodge, Viêt Nam) revendiquent peu ou prou un lien
privilégié, voire identitaire, avec ce fleuve. En deçà de Phnom Penh, le Mékong commence à se
dédoubler : sur les 300 derniers kilomètres de son parcours, il se divise ainsi en deux bras qui, tout en
gardant un tracé parallèle d’orientation Nord-Ouest/Sud-Est, laissent éclore de nombreux arroyos.
Après s’être démultiplié, le Mékong atteint la mer par une multitude d’embouchures que les
Vietnamiens ont symboliquement réduites aux neuf principales. Le Mékong prend finalement la forme
de « neuf dragons » (sông Cửu Long) qui inondent, fertilisent et protègent cette plaine deltaïque.
Cependant, il arrive encore d’entendre la population locale parler de sông Cái, signifiant à la fois «
grand fleuve » et « fleuve mère ». On retrouve alors le sens originel de Mé Khoong et, finalement, la
même reconnaissance de la paysannerie vietnamienne à l’endroit de ce fleuve fécondateur qui a permis
de constituer l’un des principaux greniers à riz (vựa lúa) d’Asie du Sud-Est.

31Les géographes s’accordent pour définir un « grand delta du Sud » constituant un ensemble
hydrologique dont la plaine d’inondation s’étend sur le Cambodge et le Viêt Nam, de Kompong Cham
à Biên Hòa, son point le plus à l’Est si l’on raccorde au delta du Mékong stricto sensu celui du Đồng
Nai (De Koninck 1995 : 282-283). Cette définition outrepasse ceci dit le delta du Mékong tel qu’on
l’envisage généralement dans l’espace vietnamien. Car d’un point de vue spatial, le delta est cette
région qui s’étend à l’ouest de la conurbation d’Hô Chi Minh Ville jusqu’à la frontière vietnamo-
cambodgienne. On la dénomme alors Miền Tây Nam Bộ.

32Comme le prouvent ses premiers écrits, Sơn Nam a très tôt posé le cadre géographique de ses
investigations en publiant une première étude sur sa région natale (Tìm hiểu đất Hậu Giang, 1959). La
nature et les activités humaines y sont décrites de même que les grandes évolutions historiques de la
région. On y retrouve ainsi un esprit pionnier aux multiples facettes qui s’exprime par une interaction
constante entre l’homme et son environnement sous formes d’adaptation (vie au fil de l’eau et au
rythme des inondations) mais aussi de lutte (défrichement de la forêt, creusement de canaux, protection
des animaux sauvages). On le perçoit également à travers l’esprit valeureux et parfois révolté que
certains personnages ont exprimé, notamment lorsque se confirma la conquête coloniale à partir des
années 1860. C’est en toute logique que Sơn Nam s’intéressa au héros local, Nguyễn Trung Trực
(Nguyễn Trung Trực : Anh hùng dân chài, khảo cưú, phụ họa, tuồng kịch, 1959). Ces deux livres
révèlent les bases de son inspiration, la terre et les hommes du delta. À partir de cette date, elle suivit
deux formes d’écriture distinctes mais qui se croisèrent régulièrement. Non seulement fin connaisseur
de l’histoire, de la géographie et des hommes de cette région, il connaissait aussi ou recueillit au fil du
temps nombre d’expressions locales qui ont permis de révéler la façon d’être des habitants mais aussi
leur perception de leur terroir. En insérant dans ses écrits toutes sortes de locutions et expressions
usitées jusqu’alors uniquement à l’oral, il a contribué à décrire la région de l’intérieur et dans toutes
ses nuances.

13 Les hòn sont des petites collines isolées ou formant de petits massifs ; les giồng sont des bourrel (...)
14 Ce quadrilatère (Tứ giác Long Xuyên) est situé entre Long Xuyên, Châu Đốc, Hà Tiên et Rạch Giá.
33Vue sous l’angle de l’écologie, la région se caractérise en effet par l’enchevêtrement des éléments
solides (larges plaines, langues de terre, îlots ou cù lao) et liquides (fleuves/sông, arroyos/rạch,
confluents/vàm, canaux/kinh), ainsi que par la superposition de réseaux hydrauliques et terrestres, de
dépressions marécageuses et de mamelons (hòn, giồng, gò)13, de réserves naturelles, de vergers
féconds et de rizières verdoyantes. Le delta du Mékong peut ainsi se subdiviser en fonction du milieu
physique et de l’environnement : zones côtières et portuaires le long du golfe de Thaïlande (province
de Kiên Giang), zones salines sur la côte de Bạc Liêu, zone de collines au sud de la province d’An
Giang (massif des Sept montagnes qui culmine à près de 800 mètres), zone semi-aquatiques de
mangroves et de tràm (pointe de Cà Mau et forêt d’U Minh en particulier), dépressions marécageuses
et zones inondables de la plaine des joncs (Đồng Tháp) et du quadrilatère de Long Xuyen14, zones de
giồng (Vĩnh Long, Bến Tre).

Fig. 1 : Carte de la Cochinchine (Administration)


Fig. 1 : Carte de la Cochinchine (Administration)
Zoom Original (png, 367k)
Légende de la carte : « Indiquant les provinces ; leurs chefs-lieux et les postes administratifs (ceux
occupés par un fonctionnaire européen sont soulignés). Les lignes rouges indiquent la limite
approximative des 3 Régions: Est, Centre, Ouest (voir Graphique N° 5) »

Source : extrait de l’Essai d’atlas statistique de l’Indochine française, par Henri Brenier, Hanoi :
IDEO, 1914, p. 26.
34Région d’exploitation agricole extensive, le delta du Mékong peut se définir ensuite selon ses
activités halieutiques ou agricoles. On peut définir ainsi les zones tournées vers les produits de la mer
ou les ressources fluviales telles que les zones de pêche (villages côtiers), d’élevage de poissons d’eau
douce (An Giang), d’élevage de crevettes (Cà Mau), celles tournées vers les plantes industrielles (Long
An), le maraîchage (Tiền Giang) ou encore la fruiticulture (Bến Tre, Vĩnh Long). Mais c’est bien
évidemment la riziculture qui domine la région dans son ensemble. Elle-même peut se définir en
fonction des modes d’exploitation, du milieu physique, du maillage hydrographique et des casiers
hydrauliques. Au début des années 1960, les services de l’agriculture distinguaient trois zones : celle à
un repiquage affectée par l’eau salée (provinces dites « anciennes » à proximité de Saigon-Hô Chi
Minh-Ville), celle à double repiquage où s’effectue l’action combinée des marées venant de la mer de
Chine et des crues du Mékong (Vĩnh Long, Sa Đéc, Cần Thơ), celle à riz flottant et à semis direct
inondée chaque année par le Mékong (An Giang, Kiên Giang).

35Dans la langue française, le delta du Mékong semble strictement relever de la géographie. Si cette
expression est la plus usitée de nos jours, il n’en était pas de même à l’époque coloniale. À partir du
xixe siècle, de nouvelles appellations administratives ont en effet vu le jour pour redéfinir le territoire
colonial qu’était la Cochinchine. Pour parler du delta du Mékong, les administrateurs utilisaient
généralement les expressions de Basse Cochinchine ou de Cochinchine occidentale, de Transbassac
(région située au-delà du Bassac) et de Cisbassac (région située entre les deux bras du Mékong) ; ou
bien, ils spécifiaient le nom des chefs-lieux administratifs (Cần Thơ, Bạc Liêu, etc.) pour parler d’une
province dans son ensemble.

15 Le miền đông Nam bộ définit, lui, à grands traits la région située au nord et à l’est d’Hồ Chí Minh
(...)
36Les expressions vietnamiennes révèlent quant à elles d’autres conceptions de l’espace. Si le terme
đồng bằng sông Cửu Long est unanimement utilisé pour parler du delta, son origine et sa
vulgarisation dans le langage courant ne semblent pas si anciennes. L’autre terme utilisé par les
habitants du Sud pour qualifier la région est celui de miền tây nam bộ15 (région sud occidentale) ou
miền tây. Les habitants du delta du Mékong utilisent quant à eux une multitude d’expressions locales
qui illustrent la diversité de la région mais également celle de la conception qu’ils se font de leur
espace. Il n’est ainsi pas rare d’entendre parler du delta du Mékong sous les appellations de Lục tỉnh
(référence aux Six provinces du Sud à l’époque impériale), de Hậu giang (nom du bras du Mékong,
dénommé Bassac par les Français), de miệt dưới (région du dessous) ou à l’inverse de miệt trên
(région du dessus) pour qualifier les régions de part et d’autre du Mékong, de miệt vườn pour parler
de la région des vergers.

37La seule lecture du paysage révèle ainsi la pluralité environnementale du delta du Mékong. Ce que
n’a pas manqué de noter l’écrivain Nguyễn Hiến Lê dans ses mémoires : c’est en quittant son village
natal du Tonkin au milieu des années 1930 pour s’installer à Long Xuyên et y commencer une carrière
d’agent technique et d’ingénieur hydraulique qu’il s’aperçut que « le Sud n’était pas uniforme,
monotone, morose comme on peut le penser quand on regarde une carte dans un livre de géographie…
Il n’y a que dans le miền tây qu’il y a autant de différences d’une zone à une autre » (Nguyễn Hiến Lê
2001 : 171).

38Cette région a par conséquent produit un langage spécifique qui découle à la fois de l’histoire et de
la composition de son peuplement, d’un environnement naturel particulier et d’activités agricoles et
fluviales qui le sont tout autant. Comme le prouve un livre publié encore récemment (Võ Văn Thắng,
Hồ Xuân Mai 2014), le sujet suscite toujours de nombreuses recherches en linguistique et en
littérature. Et les écrits de Sơn Nam, ses recueils de nouvelles en particulier, y tiennent naturellement
une place de choix (Nguyễn Văn Nở 2014 : 90-118) tant ils sont un référent indispensable à de telles
études.

16 À titre d’exemples (empruntés indistinctement aux études précitées de Nguyễn Văn Nở et Nguyễn
Nghiê (...)
39On trouve ainsi dans ses écrits, des expressions vietnamiennes et un champ lexical communs à la
population vietnamienne mais qui ont subi des altérations phoniques (initiales ou voyelles par
exemple) ou des transformations dans la prosodie (inversion, omission ou modification de prémisses
ou de mots dans une expression proverbiale16). Ces modes d’expressions ne sont pas originaux en soit
puisqu’ils sont partagés par la majorité des gens du Sud. Mais en tant qu’écrivain, Sơn Nam a parfois
innové en transformant des expressions communes sous une forme dialectale, en jouant sur des
redoublements ou bien en détournant le sens de certaines de ces expressions.

17 Par exemple : nhanh như chớp (rapide comme l’éclair), nước mặn đồng chua (eau salée, champ
acide), (...)
18 Mentionnons quelques exemples typiques : Rừng tràm (forêt de cajeput), dừa xiêm (noix de coco du
Si (...)
40Le plus intéressant est cependant son utilisation d’expressions locales17 et son apport d’un langage
parlé agrémenté d’un vocabulaire populaire, parfois argotique mais toujours très imagé et fortement
ancré dans l’espace deltaïque. L’auteure d’une étude consacrée à la « coloration sudiste » (màu sắc
Nam Bộ) des écrits de Sơn Nam a pu ainsi dresser une liste de plus de 1000 termes dialectaux
accompagnés de leurs équivalents dans la langue commune (Nguyễn Nghiêm Phương 2009 : 89-113).
Il est à souligner que cette étude a analysé aussi bien les recueils de nouvelles que quelques écrits de
recherches et que cette liste compile par conséquent un vocabulaire qui peut être rattaché soit au
registre littéraire, soit au registre ethnographique. Nombre de termes dialectaux n’ont en effet aucun
équivalent, en particulier ceux qui proviennent d’une phonétisation de termes d’origine chinoise ou
khmère, mais aussi ceux d’origine vietnamienne qui concernent les particularités locales de la faune et
de la flore, les différentes catégories de fleuves et de canaux, les différentes qualités ou fonctions
attribuées à l’élément liquide dans l’environnement naturel ou dans les activités humaines, les
différents modes de transports fluviaux ou terrestres, sans parler de l’alimentation ou des pratiques
agricoles18.

41Les exemples se multiplient lorsqu’on aborde les « lieux dits » dans lesquels Sơn Nam campe ses
histoires. À titre d’exemple, Sơn Nam rappelait qu’il était originaire non pas d’un village mais d’une
localité dénommée miệt thứ, signifiant la « région située près du 4e canal ». Un grand nombre de
termes toponymiques se réfèrent à des noms de rivières et de canaux, à des personnages historiques,
des événements mythiques, des croyances ou des légendes locales. Ils sont autant de marqueurs
tangibles de l’espace et d’événements passés que des bornages symboliques qui permettent à la
paysannerie de définir géographiquement puis culturellement l’espace deltaïque. Sa mise en valeur au
cours du xxe siècle a forgé des sous-régions et des sous-cultures que Sơn Nam s’est évertué à décrire
en croisant les représentations mentales de la population locale et des analyses géographiques,
physique et humaine plus rationnelles.

42Sơn Nam a ainsi largement contribué à conserver ces traditions orales fortement ancrées dans la
culture populaire puis à les vulgariser par ses écrits. Ses recherches l’ont de plus amené à forger des
néologismes qui, pour certains, sont devenus des normes toujours utilisées pour définir ce terroir. La
lecture de l’espace social et de la culture méridionale qu’il propose aurait pu souffrir de
réinterprétations ou de récupérations de la part des idéologies nationalistes et communistes qui ont
rivalisé pour l’indépendance du Viêt Nam et pour la fondation de l’État Nation moderne au cours du
second xxe siècle. En conséquence de la partition temporaire du pays qui a mené « de l’indépendance
unitaire à l’indépendance fractionnée » (Isoart 1961), ces écrits auraient pu être taxés de régionalistes
voire contraires à l’unification de la Nation autour de ses mythes fondateurs. À l’inverse, ils auraient
pu être utilisés plus conjoncturellement pour glorifier le Sud Viêt Nam d’avant 1975. Force est de
constater qu’aucune lecture idéologique n’a pu avoir d’emprise sur les écrits de Sơn Nam. La raison
en est sûrement ce souci constant de réalisme et cette attention portée au savoir local, à l’histoire
quotidienne du petit peuple qui permettent de décrire avec véracité ce que sont finalement le delta du
Mékong et sa culture : une marge de la nation vietnamienne en même temps qu’un carrefour de l’Asie
du Sud-Est.

Littérature, culture et tentation naturaliste


43Le Viêt Nam méridional constitue ainsi le cadre naturel de tous les écrits de Sơn Nam. Il est à la fois
l’arrière-plan d’une œuvre romanesque inscrite dans le présent mais aussi un espace culturel qu’il a
disséqué et appréhendé d’un point de vue historique. L’épaisseur des descriptions qui portent autant
sur ce terroir que sur les activités et les usages des hommes qui le peuplent visait à se rapprocher,
selon la propre expression de l’auteur, de « l’âme populaire » des gens et de la région.

44Ce projet s’est réalisé sous des formes fictives qui lui ont permis de gagner en liberté et en simplicité
d’expressions. Parmi ses prédécesseurs de renom, Sơn Nam mentionne Hồ Biểu Chánh, véritable
initiateur du renouveau littéraire sous des formes esthétiques sudistes (Paillaud 2011) ainsi que Phi
Vân déjà cité. Nul doute qu’il connaissait la littérature populaire orale (nói thơ), qu’il s’était penchée
sur les écrits de Nguyễn Đình Chiểu, Trịnh Hòai Đức, Huỳnh Mẫn Đạt, Nguyễn Quang Diêu ou qu’il
connaissait ces premiers intellectuels catholiques qu’étaient Trương Vĩnh Ký, Paulus Huỳnh Tịnh Của
ou Nguyễn Trọng Quản. De même connaissait-il les sấm truyền, ces oracles ou écrits prophétiques qui
donnaient corps à une poésie hermétique mais facilement mémorisable sous forme de littérature orale.
Cette même poésie donnait chair aux arts vivants tels que les chants (vọng cổ) ou le théâtre chanté
(đờn ca tài tử, cải lương). Enfin, il côtoya nombre de ses contemporains parmi lesquels Kiên Giang, Lê
Văn Thảo, Trang Thế Hy, Nguyễn Văn Hầu, Bình Nguyên Lộc.

45S’il fait référence à l’environnement littéraire qui l’entourait de son vivant ou à toutes ces œuvres
passées, c’était pour considérer ces dernières comme des éléments de culture que s’est réapproprié au
fil du temps la population. Certes, Sơn Nam a adopté une démarche d’écriture qui peut, sous certains
aspects, se rapprocher de celle de Hồ Biểu Chánh, notamment dans le croisement qui s’opère entre
scénographie vietnamienne et rencontre littéraire franco-vietnamienne. Cependant, la production du
cadet s’est montrée beaucoup plus polymorphe que celle de son aîné. Sûrement doit-on y voir des traits
de personnalité différents mais aussi un phénomène de génération. Au milieu du xxe siècle, lorsque Hồ
Biểu Chánh décède (1958) et que Sơn Nam commence à écrire, la presse se généralise et avec elle le
style journalistique qui connaît ses heures les plus glorieuses. La littérature occidentale se diffuse plus
largement et la littérature moderne vietnamienne, sous la forme de nouvelle notamment, atteint un
nouveau cap. Les rapports à la culture française commencent également à évoluer sous les effets du
contexte postcolonial. Sơn Nam continue néanmoins à se tourner vers les auteurs français, aussi bien
les écrivains dont il affectionne la musicalité de la prose ou la transcription du réel, que tous ceux qui
se sont intéressés, sous un angle ou sous un autre, à la civilisation vietnamienne (ce que l’on appelle
ici la bibliothèque coloniale). Il exprima ainsi toute « sa reconnaissance envers la France de lui avoir
accordé des bourses quand [il était] écolier et lycéen à Rạch Gía puis à Cần Thơ » et, en conséquence
de quoi, de lui « permettre d’accéder à sa culture ». Ses auteurs de jeunesse étaient Anatole France
dont il appréciait la clarté du style, Alphonse Daudet et ses descriptions de la vie paysanne et bien
évidemment Victor Hugo pour l’ensemble de son œuvre inclassable. Il découvrit plus tard de très
nombreux auteurs dont, pour ceux qui lui revenaient en mémoire, Jacques Chardonne, Gérard de
Nerval, François Mauriac dont il louait l’équilibre de sa prose bien qu’il fût « un bourgeois catholique
», Stendhal « peut-être le plus talentueux ». Et puis des auteurs étrangers comme Joseph Conrad, les
sœurs Brontë, Ernest Hemingway, Bertolt Brecht, dont il lut les traductions françaises par curiosité. Il
y eut enfin et surtout la poésie chinoise, notamment celle de l’époque Tang (Lý Thái Bạch, Đỗ Phủ).

46Ces éléments permettent ainsi de camper un peu mieux l’écrivain curieux de littératures classique et
contemporaine mais qui a essentiellement trouvé son inspiration en observant ses compatriotes. Car
c’est le peuple qui tient le rôle principal dans ses écrits, non pas un peuple héroïsé dont on
rechercherait l’essence en risquant de se perdre dans des abstractions ou un idéal révolutionnaire mais
plutôt celui dont on glorifie l’intrépidité porteuse de sentiments patriotiques et le bon sens pratique de
la vie quotidienne. L’auteur part du point de vue subjectif des protagonistes qu’il situe toujours dans
un environnement naturel omniprésent, ce qui crée parfois un étrange sentiment de mystère. Il ne les
dépossède pas de leur propre langage ni de leurs vies ou de leurs représentations qui sont décrites
dans leur simplicité, fussent-elles étranges, fantasques. Toutes ces descriptions sont mises au service de
romans ou de nouvelles qui présentent, sous la forme de tranches de vie, les diverses facettes de la
société rurale. Et lorsque certaines références historiques apparaissent, l’événement n’est pas toujours
signifiant, il est avant tout un contexte dont on suggère les incidences locales. Dans l’œuvre
fictionnelle de Sơn Nam, les permanences et les logiques locales prennent le pas sur les contingences
nationales. En se faisant le médiateur du monde paysan, il a intuitivement adopté un point de vue que
les sciences sociales qualifient depuis de subalterniste. En laissant, d’une part, les personnages de ses
histoires maîtres de leurs propres langage, attitudes et conceptions du monde, en transcrivant, d’autre
part, leurs intonations dans un style littéraire qui lui est propre, il a ainsi donné à voir des facettes mal
connues ou trop peu mises en valeur de l’identité vietnamienne.

19 Thanh Tâm Langlet rappelle à juste titre qu’un « front pionnier transforme chaque nouveau venu en
m (...)
47Auteur précoce et prolixe, lui qui aimait s’essayer à diverses formes d’écriture et d’arts en gardant
toujours en tête la même ligne d’horizon, a été éditeur, nouvelliste, journaliste, essayiste, folkloriste.
C’est sous toutes ces acceptions que l’on doit comprendre le terme nhà văn qui le qualifie, écrivain ou
homme de lettres. Dans ses travaux de recherche consacrés à l’étude de la culture du Viêt Nam
méridional, il ne s’est pas limité à retranscrire ou à façonner des discours et des intrigues piqués sur le
vif, il s’est longuement documenté pour retracer l’histoire du défrichement du delta du Mékong et le
façonnement d’une société de pionniers19 qui a su domestiquer l’environnement naturel.

48L’appétence pour la lecture et la recherche a été comblée lorsque Sơn Nam s’est installé à Saigon
au milieu des années 1950. Là, il a pu découvrir les bibliothèques de la ville, accéder à la presse,
côtoyer des chercheurs, des universitaires vietnamiens, français, étrangers. Abritée dans une aile de
l’ancien Musée Blanchard de la Brosse, la Société des études indochinoises, la plus ancienne société
savante orientaliste fondée en Indochine française, était un foyer majeur des études sud-est asiatiques.
Plusieurs commissions d’études s’étaient spécialisées dans l’histoire de Saigon, la culture
cochinchinoise, la littérature, l’ethnologie de la péninsule indochinoise. On pouvait lire leurs comptes
rendus de recherche dans le bulletin de la Société (BSEI). Et son centre de documentation était
naturellement parmi les plus riches d’alors. On y trouvait les livres sur l’Indochine, des manuscrits en
diverses langues, toute une série de revues orientalistes, les publications locales en vietnamien. Avant
de pouvoir constituer sa propre bibliothèque au fil des décennies, c’est là que Sơn Nam commença à
porter un regard critique sur les représentations coloniales qui transpiraient de certains écrits
occidentaux, là surtout qu’il accéda à un savoir scientifique dont il décryptait petit à petit les méthodes
d’analyse. En cernant ces écrits de la première moitié du xxe siècle, il puisa une partie de son
inspiration en débutant une formation autodidacte. Sơn Nam précise :
J’ai eu la chance d’apprendre le français, de fréquenter aussi la Société des études indochinoises. J’y
ai étudié pendant trois ou quatre ans. C’est Louis Malleret et Vương Hồng Sển qui m’ont soutenu pour
être membre. Malleret m’appréciait beaucoup […]. À la Société des études indochinoises, j’ai aussi
rencontré Đỗ Văn Anh qui est un ami cher, Thái Văn Kiểm qui était un grand bavard ; et aussi Nguyễn
Thế Anh, Philippe Langlet, sa femme Quách Thanh Tâm, d’autres encore. Pour étudier à la
bibliothèque, il n’était pas nécessaire d’être membre. Je n’ai pas écrit d’articles pour le Bulletin de la
Société des études indochinoises, mais j’ai écrit dans la revue Sử địa pour prouver que j’étais un type
neutre. J’ai aussi servi d’intermédiaire pour publier quelques articles de Nguyễn Văn Hầu, adepte de
la secte Hòa Hảo, qui est aussi originaire du delta du Mékong […]. Les ouvrages de l’EFEO m’ont
inspiré ; de temps en temps, je rencontrais certains de ses membres lorsqu’ils venaient à Saigon. Les
études de Grousset aussi sont très respectables, de même que celles de Léopold Cadière. Sur le
Cambodge à l’époque, je peux citer Suzanne Karpelès, mais je connais peu de chose. La dame la plus
réputée et la plus douée, c’était Solange Thierry. Georges Condominas, je l’ai croisé à la SEI mais je
n’ai jamais eu d’entretiens avec lui. Vương Hồng Sển en revanche l’a bien connu. J’ai lu ses livres ;
c’est un grand savant. Mais c’est peu intéressant pour moi car je ne me suis occupé que de la
Cochinchine.

49Parmi les personnalités rencontrées en ces lieux, deux ont donc fait figures de mentors : Vương
Hồng Sển et Louis Malleret qui, tous deux, se montraient également doublement sensibles aux lettres et
aux sciences humaines. Le premier était un grand érudit originaire du delta, à la fois écrivain,
chercheur et collectionneur qui se trouvait à la croisée des cultures vietnamienne, cambodgienne,
chinoise et française. Le second était ancien secrétaire de la SEI, conservateur du Musée, membre
permanent puis directeur de l’École française d’Extrême-Orient (1950-1956). Passionné d’histoire
moderne, il affectionnait également la littérature coloniale et le delta du Mékong, qu’il étudia sous
l’angle de l’archéologie.

50Mais avant l’ivresse des livres, une découverte majeure a certainement révélé l’attirance du Sơn
Nam adolescent pour l’étude des civilisations. Si les temps anciens du sud de la péninsule indochinoise
se perdaient dans les légendes et les mythes Khmers, l’historiographie officielle vietnamienne ne
commençait, elle, qu’au xviie siècle, par la campagne de défrichement du delta du Mékong, point
d’aboutissement de la « marche vers le Sud » (Nam tiến). La société et la culture du delta du Mékong
étaient ainsi relativement récentes, puisque c’est sous les effets de la colonisation française que le
développement et le peuplement de la région s’accélérèrent en concourant à en faire un creuset
culturel. Dans quelques journaux savants, on présentait bien des sources chinoises qui parlaient d’un
prétendu royaume du Founan, mais personne n’avait réussi à le localiser (Pelliot 1903).

51Au tout début des années 1940, les autorités de Cochinchine s’étonnèrent de voir arriver au Mont-
de-piété de Long Xuyên des pièces d’or inconnues dans la région. Remontant le filon, ils se rendirent
compte que la paysannerie du coin déterrait depuis quelque temps quelques trésors au pied du mont
Ba Thê. Le Gouvernement général de l’Indochine demanda à l’EFEO d’engager des fouilles
archéologiques que dirigea Louis Malleret. C’est alors que les vestiges, artefacts et fondations de
temples remontant aux premiers siècles de notre ère confirmèrent l’existence jusqu’au viie siècle de
notre ère du royaume du Founan.

52Sa localisation se précisait, comme le prouvait l’excavation du site d’Óc Eo que Sơn Nam a
quasiment vécu en direct lorsqu’il travaillait à Rạch Giá en tant qu’aide-secrétaire. La découverte de
tous ces vestiges matériels lui a fait certainement prendre conscience de la richesse culturelle de sa
région natale. Il devenait donc nécessaire de considérer le temps long pour resituer les différentes
étapes de l’histoire et, par conséquent, comprendre les contacts entre civilisations qui s’y jouaient
depuis des siècles.

Avant Malleret, dit-il, les Français ont sous-estimé la région. Les chercheurs de l’École française
d’Extrême-Orient et autres ne se sont occupés que des Cham, des minorités ethniques des hauts
plateaux du Centre et du Tonkin, des pagodes de Hanoi parce que c’est le foyer de la civilisation
vietnamienne, des statues, des paysans tonkinois, des temples d’Angkor. Ils pensaient qu’il n’y avait
rien en Cochinchine. Ils n’ont pas étudié le contact entre les civilisations comme c’est le cas à Saigon.
Au Sud, il faut étudier les contacts entre civilisations. Pour la Cochinchine, il n’y a eu que Malleret qui
a commencé à faire quelques études sur la région de Long Xuyên, sur les Cambodgiens de la
Cochinchine avant de se consacrer à l’archéologie du delta du Mékong.

53Ce processus de sédimentation culturelle, l’ethnographie permettait de s’en rapprocher en révélant,


par le biais de l’étude des langues, des croyances, des techniques, les structures constitutives qui se
perpétuent comme autant de vestiges du passé ou qui évoluent en se fondant dans la culture vivante
pour former une civilisation. C’est à dessein qu’il a d’ailleurs utilisé à deux reprises ce concept de
civilisation. La première fois a été pour vulgariser le néologisme de văn minh miệt vườn, autrement dit
la « civilisation des vergers » et expliquer ainsi le fonctionnement social et les spécificités écologiques
et culturelles de cette sous-région du delta du Mékong :

C’est une région relativement haute, proche de la mer et qui ne subit pas les inondations. Il y a peu de
rizières, mais à la saison des pluies, on n’a pas besoin de supporter les aléas du climat pour planter du
riz. Autrefois on utilisait ce terme de miệt vườn oralement. Depuis que j’ai écrit en 1970 un livre
intitulé Đồng bằng sông Cửu Long hay là văn minh miệt vườn (Le delta du Mékong ou la civilisation
des vergers) on l’utilise aussi à l’écrit.

20 Géographia, Revue d'informations et d'actualités géographiques a été créée par Pierre Mayeux en
195 (...)
54On lui doit surtout la paternité d’une expression qu’il a forgée au milieu des années 1950 et qui lui a
permis finalement d’intégrer sous l’appellation de « civilisation fluviale » (văn minh sông nước)
l’ensemble de sa réflexion et la totalité des faits et gestes observés. C’est après avoir lu dans la revue
de vulgarisation Géographia20 un article daté de juillet 1952 sur l’Amazonie que Sơn Nam décida de
traduire l’expression en vietnamien pour l’appliquer à la région du delta du Mékong qui présentait de
nombreuses similitudes.

55Alors que, le Nord du Viêt Nam qui s’étire jusqu’à Thanh Hóa est, selon lui, une civilisation
essentiellement continentale, et si les provinces du Centre, surtout à partir de Hội An, se composent de
plaines côtières tournées vers la mer, le Nam Bộ se trouve, lui, en contacts avec les pays de l’Asie du
Sud-Est et intègre une sorte de « Méditerranée » asiatique. Son espace intérieur n’en est finalement
que le prolongement. On retrouve ici les bases de l’approche par aires culturelles qui se structurait au
cours des années 1950. Il précise :

Cette civilisation fluviale, c’est donc celle des barques et des sampans de différentes formes qu’on
utilise depuis des siècles comme moyens de communication, de transports et même d’habitations. Au
Nord, le plus grand fleuve, c’est le sông Hồng, le fleuve Rouge. Mais on n’utilise les barques pour se
déplacer que sur une partie de son cours, tout près de la mer. Dans les terres, on utilise comme moyens
de transports des charrettes à buffles le long des digues et on porte toujours le fléau sur l’épaule. Ici,
le mode de vie y est même différent entre, par exemple, la pointe de Cà Mau qui est une région de terre
basse et d’eau salée, les dépressions fortement inondables et celles relativement protégées. Il faut
comprendre l’influence des marées à l’intérieur des terres pour se déplacer sur les fleuves et les
arroyos, maîtriser l’hydraulique agricole, la distribution de l’eau douce par les canaux pour cultiver
les rizières et les vergers.

56Une autre expression plus restrictive est parfois utilisée, celle de « civilisation des canaux » (văn
minh kênh rạch), mais elle se réfère avant tout aux aspects techniques de l’hydraulique agricole. La
perspective de Sơn Nam se voulait, elle, foncièrement pluridisciplinaire. L’attention portée aux voies
d’eau est certes la clé pour comprendre la vie quotidienne et l’économie mais c’est surtout l’esprit
pionnier, les croyances populaires, l’inventivité culturelle ancrés dans le terroir et dans la mentalité de
populations mélangées qui, ensemble, forment cette société fluviale du delta du Mékong.

Conclusion
57Écrivain aux multiples talents, Sơn Nam a toujours lié les écrits littéraires aux études documentées,
les nouvelles retranscrivant des tranches de vie et des études historiques enrichies d’une ethnographie
intuitive. L’empirisme et la réceptivité sont au cœur de sa démarche d’autodidacte au même titre que
celles de Vương Hồng Sển ou Bình Nguyên Lộc. Avoir fait l’éloge de la simplicité ou s’être attaché à
transcrire le quotidien ont été cependant des entreprises bien plus exigeantes qu’il n’y paraît. C’est un
matériau ethnographique riche, recueilli avec persévérance et empathie, qui se révèle sous sa plume de
romancier ou d’essayiste. Façonné différemment ou – contraint selon le point de vue qu’on adopte –
par les sciences sociales, il aurait pu engendrer ce que Clifford Geertz appelle des descriptions denses.
Mais telle n’était pas l’ambition d’un homme qui ne se préoccupait pas de théorie et pour qui
l’écriture libre était mise au service d’une meilleure compréhension de sa région natale. Car ce qu’il
voulait réaliser était de transmettre aux générations futures ce qui fait l’âme de sa région natale. Pour
cela, son œuvre se devait d’être accessible au plus grand nombre.

58Au cours de sa vie, les changements de régime semblent avoir eu des effets sur sa production
artistique. Les années 1950 et 1960 passées au maquis puis à Saigon sont certainement celles où sa
créativité est la plus intense du fait de l’accumulation d’expériences, d’observations et de
documentation. Sơn Nam fait par ailleurs partie de cette génération qui a pu bénéficier d’une relative
stabilité et liberté artistique et qui s’est nourrie d’échanges littéraires avec des écrivains nouvellement
venus du Nord.

59Mais ces changements n’ont pas modifié fondamentalement sa volonté de transcrire le réel qu’il
percevait. Il aura certes connu des déboires, mais nul ne douta de son attachement patriotique. Pierre
Gourou avait publié dans l’entre-deux-guerres des études magistrales sur la société rurale du delta du
Fleuve Rouge qui ont bien pu confirmer la vocation de Sơn Nam à décrire dans cette même veine la
paysannerie du Sud. Constatant et regrettant qu’aucun projet d’envergure ne fût réellement engagé sur
le delta du Mékong, c’est avec sa sensibilité qu’il chercha à combler ce manque d’intérêt flagrant en
décrivant dans ses nouvelles la nature sauvage et inhospitalière, le courage et la frugalité des
pionniers défricheurs, la vitalité et la simplicité de leurs descendants. Quant à ses écrits de recherche,
ils lui servirent à mettre au jour de multiples facettes composant la civilisation fluviale du delta du
Mékong.

60Nombreux ont reconnu l’apport de cet auteur à la vie culturelle du Sud Viêt Nam tout au long du
second xxe siècle. Reprenant la tradition d’une écriture simple et pure qui, selon l’expression de
Trương Vĩnh Ký, glisse comme des paroles (trơn tuột như lời nói), Sơn Nam a contribué à révéler
l’importance de la nouvelle dans la littérature contemporaine mais aussi la richesse des études sur la
culture sudiste (Nam Bộ học) en mettant à disposition un riche matériau linguistique et
ethnographique. Celui-ci tend à prendre avec le temps une valeur historique. Dans la notice qu’il lui
consacre, Võ Phiến a selon nous résumé très justement l’œuvre et l’apport de Sơn Nam en distinguant
sa vie en trois périodes (maquis, République du Viêt Nam, puis République socialiste), son œuvre duale
(littérature, écrits de recherche), son unique source d’inspiration (région natale) et les deux options
techniques qu’il utilise : écriture réaliste et pittoresque qui attise la curiosité ; narration du déclin de
l’homme et du temps qui passe pour éveiller l’attendrissement et la nostalgie (Võ Phiến 1999 : 1351).

61Sơn Nam n’a bien évidemment pas été exempt de critiques. Ses romans ne montrent aucune
originalité, ses écrits à vocation historique ne sont pas très fiables et, parmi ses dernières publications
qui ont majoritairement répondu à des commandes, la littérature est devenue marginale. Cependant,
ses écrits ne sont pas restés cantonnés au rang d’une littérature régionale produite avant 1975. Il a
continué à publier des études pendant les années 1980 puis, lorsque les conditions se sont améliorées,
il a pu rééditer des ouvrages anciens qui se sont diffusés dans l’ensemble du pays. Au crépuscule de sa
vie, il a même trouvé une audience au-delà des frontières, auprès des communautés việt kiều réceptives
à la force évocatrice du pays natal et à une forme de mélancolie.

62Grâce à la compilation de ses écrits, le corpus principal de son œuvre a été préservé, car de lui-
même, l’écrivain prolixe n’avait quasiment rien gardé (Nguyễn Trọng Tín 2008) et sa bibliothèque
personnelle a malheureusement été dilapidée. Un processus de patrimonialisation s’est tout de même
enclenché comme le prouve notamment l’inauguration en 2010 d’une maison du souvenir qui lui est
consacrée à Mỹ Tho.

21 Cette expérience lui a inspiré en 1991 le livre Theo chân người tình [Sur les traces de l’amant].
22 Pas plus tard qu’au mois de juin 2013, le journal Thanh Niên a par exemple publié sous forme de
feu (...)
63Sơn Nam a toujours bénéficié d’une reconnaissance double pour ses nouvelles et pour ses études. La
notoriété est venue au fil du temps, par la réédition de ses ouvrages, par des commandes qui se sont
faites de plus en plus nombreuses. De son vivant, il n’était pas rare qu’on sollicite ses conseils. Ce fut
tout particulièrement le cas lorsque le cinéaste Jean-Jacques Annaud décida au début des années 1990
d’adapter au cinéma le roman de Marguerite Duras L’Amant. Sơn Nam fut son conseiller historique
pendant un an et demi21. L’expérience se renouvela peu après avec le réalisateur Vinh Sơn qui se
lança dans une grande saga télévisuelle retraçant l’histoire coloniale puis révolutionnaire du Sud Viêt
Nam. En 2004 enfin, c’est une de ses toutes premières nouvelles, écrite à l’âge de 32 ans, Mùa len trâu
(Le Gardien de buffles) qui a été adaptée au cinéma par le réalisateur américain d’origine
vietnamienne, Nguyễn Võ Nghiêm Vinh, en partenariat avec les studios Giải Phóng. L’auteur populaire
qui était devenu un dictionnaire vivant de la culture du Sud reste encore aujourd’hui un guide pour de
jeunes écrivains ou journalistes qui suivent toujours ses pas22.

64Dans la plus pure tradition confucéenne, Sơn Nam est finalement considéré comme un sage dont on
respecte l’exemplarité de la vie et de l’œuvre. Son humanisme s’impose comme une évidence.

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Bibliography

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