Vous êtes sur la page 1sur 5

Études chinoises

Sandrine Marchand, Sur le fil de la mémoire : Littérature


taïwanaise des années 1970-1990, Lyon : Tigre de papier, 2009
Isabelle Rabut

Citer ce document / Cite this document :

Rabut Isabelle. Sandrine Marchand, Sur le fil de la mémoire : Littérature taïwanaise des années 1970-1990, Lyon : Tigre
de papier, 2009. In: Études chinoises, vol. 31, n°1,2012. pp. 188-191;

https://www.persee.fr/doc/etchi_0755-5857_2012_num_31_1_1454_t12_0188_0000_2

Fichier pdf généré le 15/09/2022


188 Études chinoises, vol. XXXI-1 (2012)

On peut regretter de ne pas trouver davantage intégrée à la probléma-


tisation d’ensemble une discussion historiographique de travaux sur la
Révolution culturelle, dans ce travail qui propose néanmoins des entrées
originales sur la période et sur Shanghai. Reste que l’abondance des données
réunies dans cet ouvrage constitue un grand intérêt, en outre que de révéler
la dynamique de recherche actuellement sur cette période en Chine.
Olivier Marichalar (CMH-ENS)

Sandrine Marchand, Sur le fil de la mémoire : Littérature taïwanaise des


années 1970-1990, Lyon : Tigre de papier, 2009. 390 pages

Plus qu’une histoire académique de la littérature taïwanaise contem-


poraine, ce livre est un essai qui choisit de prendre pour fil conducteur
la mémoire. Cette prégnance du thème de base entraîne parfois le lecteur
étrangement loin du sujet traité, par exemple dans l’introduction où la nar-
ration de l’histoire littéraire taïwanaise s’interrompt pour laisser place à une
longue digression philosophique, voire clinique, sur les mécanismes de la
mémoire et de l’oubli. De plus, le parallèle avec la mémoire de la Shoah et
l’oubli survenu à la fin de la seconde guerre mondiale situe la réflexion sur
le terrain de la culpabilité, sans qu’on comprenne bien s’il s’agit de celle des
Taïwanais « coupables » d’avoir été Japonais, ou de celle des responsables de
la répression du 28 février 1947, auquel cas on s’étonne que cet « incident »
célèbre soit évoqué de façon si allusive dans la suite du livre. De même,
l’idée que Taiwan « partage avec les autres espaces insulaires du monde
une inquiétude identitaire que rien ne saurait apaiser » (p. 27) privilégie
sans doute à l’excès le facteur insulaire dans la problématique identitaire de
Taiwan, assurément fort éloignée de celle du Japon… une autre île.
Dans le reste du livre, le thème de la mémoire est cerné sous ses dif-
férents aspects : l’oubli, l’enfance et l’adolescence, les lieux, l’histoire et le
temps. Si cette construction obéit à une logique interne, qui est celle d’une
exploration, elle demeure un peu opaque pour le lecteur, qui aurait sans
doute suivi avec davantage de facilité un plan plus classique fondé sur des
éléments objectifs tels que la chronologie, l’origine des écrivains ou les cou-
rants littéraires majeurs. En outre, l’absence de vision d’ensemble sur une
période ou un auteur empêche de mesurer l’importance réelle que le thème
de la mémoire y occupe, et peut conduire à des illusions d’optique.
La première partie, qui comporte trois sous-parties (et non pas une seule
comme l’indique par erreur la table des matières) examine le thème de
­l’oubli à travers deux auteurs : Ch’en Ying-chen 陳映真 et Wang Wen-hsing
王文興. Les deux écrivains ne sont pas considérés en fonction de la place

Livre EtudesChinoisesVol1-2012.indb 188 09/10/12 09:41


Comptes rendus 189

qu’ils occupent dans l’histoire littéraire, ni de ce qui les oppose en termes


d’origines, de position politique ou d’esthétique, mais eu égard à la contri-
bution que certaines de leurs œuvres peuvent apporter à une réflexion sur
l’oubli. De ce fait se trouvent rejetés en note des éléments biographiques ou
historiques qui auraient pu figurer utilement dans le corps du texte.
Dans la deuxième partie, « La mémoire apprivoisée », les textes cités sont
utilisés de la même manière, comme illustrations de la démarche autobiogra-
phique, du rapport à l’enfance et aux parents. Très curieusement, d’ailleurs,
la sous-partie « L’enfance, une vision du monde » renferme en deux courts
paragraphes des considérations générales sur l’enfance en littérature, sans
aucun rapport avec Taiwan. Là encore, le contexte historique et personnel,
et notamment les différentes histoires familiales, ne sont pas mis en avant,
mais simplement rappelés en note. Par ailleurs, il n’est pas fait suffisam-
ment référence au genre dont relèvent ces écrits autobiographiques et qui
peut en conditionner l’écriture, ou bien quand le genre est évoqué, c’est avec
une certaine confusion : ainsi pour les textes de Ch’i Chun 琦君, présentés
d’abord comme des novelettes, mais qui se révèlent ensuite être des sanwen
散文, ce qui est sans doute une des clés de leur écriture impressionniste et
fragmentaire. Dans toute cette partie, Sandrine Marchand s’emploie à trou-
ver des thèmes communs entre des écrivains « que rien ne rapproche », ce
qui enrichit incontestablement la réflexion sur les thèmes en question, mais
concourt à aplatir l’histoire et à détacher les auteurs du contexte dans lequel
ils ont vécu et écrit, ce qui est paradoxal pour un livre placé sous l’invocation
de la mémoire taïwanaise.
La troisième partie, « Paysages urbains et traces sensibles du temps »,
s’attache, comme son titre l’indique, aux paysages campagnards ou urbains.
Là encore, le départ n’est pas clair, pour le lecteur, entre le général et le par-
ticulier : « Cependant l’individu naît avec la ville » semble être une réflexion
de portée universelle, alors qu’on eût souhaité davantage de détails concrets
sur le décollage économique de Taiwan au cours des années 1960-1980 et ses
conséquences sur l’environnement (au passage, on peut s’interroger sur la
pertinence de l’usage du terme de mégapole s’agissant de la ville de Taipei).
Il est dommage également que les origines aborigènes de Koarnhak Tarn
(Chen Kuan-hsüeh 陳冠學) ne soient évoquées qu’incidemment, et que ses
œuvres soient citées comme des exemples parmi d’autres de la nostalgie du
monde naturel face aux destructions engendrées par la ville. Dans les sous-
parties qui suivent, Sandrine Marchand cesse de tisser des correspondances
entre divers écrivains pour ne plus en suivre qu’un seul, Wang Wen-hsing,
ce qui introduit un léger déséquilibre structurel. Les dernières sous-parties,
consacrées à des œuvres de Li Ang 李昂, Ch’en Ying-chen et Ch’en Jo-hsi 陳
若曦 sont plus nettement ancrées dans l’histoire taïwanaise.

Livre EtudesChinoisesVol1-2012.indb 189 09/10/12 09:41


190 Études chinoises, vol. XXXI-1 (2012)

L’histoire revient au centre de la dernière partie intitulée « Histoire,


temps, langage ». Puisque la fiction y est ici envisagée dans ses rapports avec
l’histoire, et notamment avec l’actualité politique, on peut regretter que la
date de composition des nouvelles citées de Ch’en Ying-chen ou de Li Ang ne
soit pas systématiquement rappelée. Curieusement, l’histoire convoquée au
début de cette partie s’efface dans les sous-parties 2 et 3, consacrées à Wang
Wen-hsing, qui traitent de l’expérience de la mort d’un point de vue psy-
chologique et nous entraînent même dans des considérations un peu hors
sujet sur le roman picaresque. Les sous-parties 5 à 9 sont celles qui posent le
plus nettement le rapport des auteurs taïwanais à l’histoire et à l’identité de
l’île : Sandrine Marchand y examine sous un angle nouveau certaines œuvres
déjà analysées dans les parties précédentes, comme Le Jardin des égarements
(Miyuan 迷園) de Li Ang, et y commente également cette réflexion essentielle
sur la conservation des traces du passé qu’est le roman Ancienne Capitale
(Gudu 古都) de Chu T’ien-hsin 朱天心. Le développement sur l’usage de la
langue, ou plutôt des langues, dans la littérature taïwanaise est très bienvenu.
Si le japonais a pu être utilisé, après la fin de la guerre, comme un signe de
défi face aux autorités nationalistes, la pratique de cette langue n’en reste pas
moins d’abord une question de générations, ce qui invite à relativiser l’idée
avancée selon laquelle elle serait, chez un auteur comme Ch’en Ying-chen,
la « langue de l’idéal » (par opposition à l’anglais notamment). La notion de
« transcription phonétique taïwanaise » ou de « phonétique taïwanaise »,
évoquée p. 315 à propos de Wang Wen-hsing et du poète Lo Chih-ch’eng 羅
智成, est ambiguë : en effet, le bo-po-mo-fo, dont il est question ici, n’est pas
destiné à transcrire les dialectes taïwanais, même s’il peut occasionnellement
servir à cet usage. Les différences dans l’écriture littéraire des « Taïwanais »
et des Chinois venus du continent constituent un sujet qui mériterait à coup
sûr d’être creusé (p. 319). Quelques inexactitudes sont à relever dans les para-
graphes consacrés à Hwang Ch’un-ming 黃春明 : parler d’un texte « écrit en
chinois et en taïwanais » n’a guère de sens (de quel « chinois » s’agit-il ?). La
graphie chinoise de sayonara, 莎喲娜拉, se prononce en mandarin shayonala,
et non shayaonala (p. 321) ou shayuenala (p. 358). Enfin, dans xiangjian 相姦,
jian a le sens de fornication, et non de traîtrise. Dans l’ultime sous-partie,
Sandrine Marchand sort des limites de la littérature pour aborder le langage
cinématographique de Hou Hsiao-hsien 侯孝賢 : si le long partenariat du
cinéaste avec la romancière et scénariste Chu T’ien-wen 朱天文 justifie la
place qui lui est faite ici, on peut regretter que cette incursion dans le domaine
du cinéma, que par ailleurs le titre du livre n’annonçait pas, se cantonne à un
seul auteur.
La conclusion, qui tente de définir la littérature taïwanaise en tant que
« littérature mineure », éminemment politique (mais la littérature majeure

Livre EtudesChinoisesVol1-2012.indb 190 09/10/12 09:41


Comptes rendus 191

du continent ne l’est-elle pas tout autant ?), laisse échapper ici ou là quelques
pétitions de principe sur lesquelles on aimerait en savoir davantage : « les
écrivains continentaux sont privés de langue littéraire […] dans le désir
qu’ils ont d’écrire la nostalgie du pays perdu. » (p. 338) ou bien : « L’absence
du sujet est significative dans les œuvres des écrivains taïwanais. » (p. 340).
Signalons pour finir quelques fautes matérielles et fautes de français
(« l’oubli, qui préfigure à la perte d’identité », p. 27-28 ; « l’image présentée
au lecteur est inconsciente au personnage de l’enfant », p. 96) ; des formules
un peu obscures, comme « La mise en condition d’un certain souvenir du
passé qui remonte à la surface avec intensité sans pouvoir s’apaiser dans
le récit » (p. 86), ou « (la littérature taïwanaise) force son indéfinissabilité »
(p. 340) ; quelques expressions chinoises mal rendues également, comme le
titre du recueil de Chu T’ien-wen Hua yi qian shen 花憶前身 (Une fleur se sou-
vient de ses vies antérieures, et non, comme il est écrit p. 98, Une fleur lui rappelle
sa vie antérieure) ou le mot panluanfan 叛亂犯, rebelles, séditieux plutôt que
traîtres (p. 224).
La démarche de Sandrine Marchand est originale. Elle fait découvrir
au lecteur de nombreux textes d’écrivains taïwanais, qu’elle évoque avec
intelligence et sensibilité. En revanche l’ouvrage se lit davantage comme une
réflexion sur la mémoire, nourrie d’exemples taïwanais, que comme une his-
toire de la littérature taïwanaise des années 1970 aux années 1990.
Isabelle Rabut (INALCO)

Peng Hsiao-yen, Dandyism and Transcultural Modernity. The Dandy, the


Flâneur, and the Translator in 1930s Shanghai, Tokyo, and Paris, London
and New York: Routledge, Academia Sinica on East Asia, 2010. 204
pages.

Avec ce titre prometteur, Peng Hsiao-yen nous entraîne directement


dans une réflexion cosmopolite où vont se croiser les langues, les cultures,
les écrivains, les traducteurs. Le dandysme nous plonge immédiatement
dans le Paris baudelairien de la fin du xixe siècle, où flâneurs et dandys se
partagent la ville pour y faire rayonner le spleen et tous les oxymores de la
beauté et du cynisme. La présence du traducteur – souvent lui-même écri-
vain et grand passeur de littérature européenne et russe dans les revues du
Japon et de la Chine – nous fait ensuite traverser rapidement les frontières
vers les métropoles asiatiques où l’âme de Baudelaire flotte encore dans les
années 1930.
Cependant, Peng Hsiao-yen nous surprend dès la première page en
nous proposant comme modèle de dandy un portrait de Louis XIV peint

Livre EtudesChinoisesVol1-2012.indb 191 09/10/12 09:41

Vous aimerez peut-être aussi