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Pratique de la préface, ses fonctions / octobre 2017

I) Pratique et fonction(s) de la préface

1) La pratique de la préface

Depuis la plus lointaine Antiquité, les auteurs ont éprouvé le besoin d’accompagner leurs œuvres d’un
discours de présentation pour préparer le lecteur, éviter d’éventuelles incompréhensions et sans doute
affirmer au passage quelques idées personnelles. Cette pratique, courante au XVIIIe devient presque
une caractéristique du XIXe. Pas un texte littéraire qui ne paraisse, à un moment ou à un autre sans
préface. Tous les genres sont concernés, mais c’est le roman qui est le premier concerné. Certains
romanciers s’avèrent spécialistes en la matière : Chateaubriand, Balzac, Sand, Zola… (Flaubert, lui,
s’y refusera, nous y reviendrons). S’agit-il d’un rituel d’écriture à la mode ? Pas seulement, le roman
est un genre nouveau et instable en quête de légitimité. Il est aussi un genre critiqué, en proie aux
accusations d’immoralité et de frivolité parfois des plus virulentes et dont le procès n’est pas clos, un
genre réservé au peuple et aux femmes.
Dès lors, les préfaces sont pour les romanciers du XIXe siècle autant de moyens pour expliquer,
justifier, préciser leurs intentions, promouvoir un genre nouveau et installer une figure d’auteur encore
fragile. Certaines se font manifestes, proclamations, lettres ouvertes de toutes sortes qui rythment la
vie intellectuelle d’une époque où le débat d’idées et la création littéraire restent des enjeux majeurs.
Par la diversité des tons et des postures, des idées défendues (littéraires, esthétiques, morales,
politiques ou sociales), des points de vue et perspectives (bilan, projet, programme), elles nous invitent
à les considérer comme une véritable histoire littéraire du roman au XIXè siècle.

A l’aube du XXe siècle, la pratique de la préface a disparu. Pour différentes raisons : tout au long du
XIXe siècle, le roman a gagné ses lettres de noblesse et se passe désormais du discours de
présentation, discrédit et reproche d’immoralité ne pèsent plus sur le romancier qui n’a plus à se
défendre, celui-ci a d’ailleurs évacué de ses textes l’exaltation de l’imagination ou de la passion pour
adopter une posture critique et une pratique politique et traite, quand elles se posent, les questions
esthétiques dans la forme même de son roman. Emerge, enfin, une spécialisation de l’activité critique
qui donne naissance à un nouveau type de discours théorique et à une nouvelle espèce de critiques qui
s’expliquent en partie par le développement de l’enseignement supérieur littéraire. Les romanciers
délèguent alors le travail théorique aux spécialistes professionnels qui, ne se satisfaisant plus du genre
limité et inadapté de la préface (et d’ailleurs, ils n’écrivent pas de romans !), inaugurent d’autres
formats pour s’exprimer.

2) fonction(s) des préfaces

Ce qui semble caractériser la grande diversité des préfaces est très certainement le fait que nous avons
affaire à « une espèce de texte liminaire (…) consistant en un discours produit à propos du texte qui
suit ou qui précède »1dont la principale fonction est d’assurer ce que l’œuvre littéraire ne peut
accomplir, à savoir combler le déficit de lisibilité inhérent à la création littéraire.

Nous consacrerons une large partie à l’analyse de la préface en tant qu’acte de communication, mais
relevons dès à présent certaines des fonctions que le romancier semble lui confier.

- présenter le texte, en préparer la lecture en développant une ou plusieurs idées générales liées au
texte qui va suivre. Il s’agit pour l’auteur d’expliquer qu’il a voulu faire (cf Balzac dans l’« Avant-
propos » de la Comédie humaine ou Zola qui précise dans la préface de Thérèse Raquin ses intentions
et sa méthode en déplaçant le débat du domaine de la morale vers celui de la science). Il s’agit parfois

1 Gérard Genette, Seuils, ouvrage cité dans la bibliographie.


Pratique de la préface, ses fonctions / octobre 2017

de combler un manque (écrire, pour Balzac, « l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des
mœurs »);

- se justifier, se défendre ou défendre le genre romanesque (une esthétique nouvelle). Nombreuses


sont les préfaces où l’auteur se défend du reproche d’immoralité. Il s’agit parfois de donner une leçon ;

- exposer une ou plusieurs idées en négligeant le texte qui suit (cf Maupassant dans la préface de
Pierre et Jean : « Je n'ai point l'intention de plaider ici pour le petit roman qui suit (…) Je veux
m'occuper du Roman en général »). Il n’est pas de grande préface, affirme Noiray2, qui ne soit aussi un
texte théorique, qui ne développe, sur une question de littérature, d’art ou d’idéologie, une réflexion
originale, un point de vue nouveau. Certaines préfaces s’intéressent aux fondements scientifiques du
roman, à ses rapports à l’histoire, à la question de l’idéalisation du réel, certaines sont habitées de
revendications sociales, signalent des vocations humanitaires (cf Victor Hugo) d’autres annoncent de
vastes programmes ;

- présenter un bilan lorsque l’auteur, par exemple, se retourne sur son passé (cf « Avant-propos » de la
Comédie humaine, préface d’A rebours de Huysmans) ;

- inscrire le roman dans un ensemble qui le dépasse pour lui donner une plénitude de sens (cf Balzac,
préface de l’Histoire des Treize, préface des Diaboliques : « Après les Diaboliques, les Célestes… si
on trouve du bleu assez pur…).

Remarques :

- d’autres enjeux et fonctions de la préface seront étudiés dans le cadre des activités proposées.
- voir également la tradition de la préface parodique

2 Jacques Noiray, Préface des romans français du XIXe siècle, Anthologie, ouvrage cité dans la
bibliographie

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