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POÉTIQUE
DIRIGÉE PAR GÉRARD GENETTE
ISBN 978-2-02-130583-8
www.seuil.com
Copyright
Dédicace
Remerciements
Introduction
1 - La question du passage
Transgressions du cadre
L’arbitraire de l’incipit
L’écriture du commencement
L’orientation de la lecture
Frontières de l’incipit
Piège et fiction
Stéréotypes et formes d’identification du roman
4 - Topoi du début
Topoi narratifs
Regards croisés
Réflexions du début
In media verba
Le commencement impossible
6 - De la séduction
Séduction de la différence
Le démon du jeu
La lecture du corps
7 - Fonctions et typologie
Codification
Thématisation
Information
Dramatisation
Le refus du commencement
Un acte de démiurge
L’obsession de la complétude
11 - L’écriture difficile
Dans le noir
L’ordre de l’antithèse
Le leitmotiv thématique
Seuils barrés
Envoûtements
BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE
1. Formule qui est un hommage à Louis Marin, et à sa réflexion lumineuse sur les pièges du
discours, du récit, de la parole du pouvoir (cf. Louis Marin, Le récit est un piège, Paris, Éd.
de Minuit, 1978, notamment p. 7-14).
2. Ce texte très important, malheureusement inédit en France, a été publié il y a quelques
années en Italie, sous le titre « Cominciare e finire », en appendice aux Lezioni americane,
dans Saggi, Milan, Mondadori, coll. « I Meridiani », 1995, t. I, p. 734-753. Il s’agit d’une
conférence qui aurait dû ouvrir le cycle des « Norton Lectures », qui a ensuite été déplacée
à la fin, puis éliminée dans les plans de l’écrivain, même si une grande partie du texte
aurait pu être intégrée à la dernière conférence restée inachevée, « Consistency » (voir à ce
propos, dans l’édition citée, les notes sur les textes, t. II, p. 2960-2964). La traduction
française des Leçons américaines a été publiée chez Gallimard en 1989.
3. I. Calvino, « Cominciare e finire », art. cité, p. 735. Voici le texte italien, que j’ai moi-
même traduit : « L’inizio è il luogo letterario per eccellenza perché il mondo di fuori per
definizione è continuo, non ha limiti visibili. Studiare le zone di confine dell’opera
letteraria è osservare i modi in cui l’operazione letteraria comporta riflessioni che vanno
al di là della letteratura ma che solo la letteratura può esprimere. »
4. Pour un aperçu de divers chemins de la critique concernant l’analyse de l’incipit, voir la
bibliographie en fin d’ouvrage.
5. Notamment à partir de la parution de Seuils, de Gérard Genette (Paris, Éd. du Seuil, coll.
« Poétique », 1987), ouvrage auquel je ferai souvent référence.
6. Le terme « exorde » est ici employé dans son acception la plus vaste, comme synonyme de
« début ». En revanche, « commencement » renvoie à une signification plus abstraite, et
« incipit » à la définition rhétorique proposée à la fin du deuxième chapitre de cette étude.
PREMIÈRE PARTIE
La question du passage
Transgressions du cadre
Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on ne pourrait pas
dire, sans injustice, qu’il n’a ni queue ni tête, puisque tout, au
contraire, y est à la fois tête et queue, alternativement et
réciproquement. Considérez, je vous prie, quelles admirables
commodités cette combinaison nous offre à tous, à vous, à moi et au
lecteur. Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie, vous
le manuscrit, le lecteur sa lecture [...]. Enlevez une vertèbre, et les
deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine.
Hachez-la en nombreux fragments, et vous verrez que chacun peut
exister à part.
Charles BAUDELAIRE, Préface aux Petits poèmes en prose.
L’arbitraire de l’incipit
Par besoin d’épuration, M. Paul Valéry proposait dernièrement de
réunir en anthologie un aussi grand nombre que possible de débuts de
roman, de l’insanité desquels il attendait beaucoup. Les auteurs les
plus fameux seraient mis à contribution. Une telle idée fait encore
honneur à Paul Valéry qui, naguère, à propos des romans, m’assurait
qu’en ce qui le concerne, il se refuserait toujours à écrire : La marquise
sortit à cinq heures.
André BRETON, Manifeste du surréalisme, 1924.
1. Cette distinction ne correspond pas parfaitement au partage classique entre arts du langage
et arts visuels, d’ailleurs dépassé depuis la naissance du cinéma. Pour citer d’autres
exemples, les calligrammes d’Apollinaire ou la « poésie visuelle » des futuristes impliquent
une réception immédiate et progressive à la fois ; ou encore, certaines formes de peinture
ancienne, telles que les fresques qui s’enchaînent selon un ordre narratif, imposent une
réception de type progressif (on peut penser aux séries de La Vie de saint François de
Giotto, à Assise, ou de La Légende de la vraie croix de Piero della Francesca, à Arezzo) ; et
la même réflexion pourrait s’appliquer aux performances des arts visuels modernes, qui
introduisent une dimension temporelle dans leur spatialité.
2. Iouri Lotman, La Structure du texte artistique, Paris, Gallimard, 1973, p. 300.
3. Même si l’utilisation d’un rideau frontal est attestée depuis l’Antiquité latine (l’auleum du
théâtre romain), le rideau tel qu’on le connaît aujourd’hui a été introduit pendant la
Renaissance, dans les théâtres couverts – et notamment en Italie, au moment où l’espace
scénique a été « encadré » par un arc d’avant-scène : le terme italien sipario évoque
d’ailleurs cette idée de séparation des espaces. Son emploi se limitait cependant à
l’indication du début et de la fin du spectacle ; ce n’est qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle
que le rideau signale aussi la fin de chaque acte. On peut consulter, à ce propos, le livre
d’Allardyce Nicoll, The Development of the Theatre. A Study of Theatrical Art from the
Beginnings to the Present Day, Londres, George G. Harrap and Co., 1927 ; ou la synthèse
plus récente d’Anne Ubersfeld, Lire le théâtre II. L’école du spectateur, Paris, Belin, 1996,
notamment le chapitre II, p. 49-105.
4. Je fais ici référence à la terminologie proposée par Gérard Genette dans Seuils, op. cit.
5. Pour l’ensemble des codifications d’Aristote sur la structure de l’action et l’agencement des
événements dans la tragédie, que l’on se réfère à la Poétique, en particulier au chapitre VII.
6. Exemples canoniques : Le Printemps ou La Naissance de Vénus, de Botticelli.
7. D’ailleurs, ce qui est à l’extérieur de l’œuvre est parfois plus important que ce qui est à
l’intérieur ; c’est le cas, par exemple, des figures humaines coupées en deux sur certaines
photographies de Robert Mapplethorpe et de Man Ray, ou encore des regards projetés par
des sujets internes au-delà des limites, dans le non-visible. La même réflexion pourrait
d’ailleurs s’appliquer, dans le cinéma, à la relation entre champ et hors-champ.
8. Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 1961, p. 231.
9. L’affirmation du fragment comme nouveau modèle d’œuvre et comme véritable genre
littéraire remonte à vrai dire au romantisme allemand, à partir notamment des Fragments
critiques de Friedrich Schlegel, où le fragment est conçu comme une œuvre d’art
accomplie, entière et autonome. On peut consulter à ce propos le livre de Philippe Lacoue-
Labarthe et Jean-Luc Nancy, L’Absolu littéraire. Théorie de la littérature du romantisme
allemand, Paris, Éd. du Seuil, 1978, en particulier le premier chapitre, p. 57-179.
10. Cf. notamment Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Éd. du Seuil, 1975. L’écriture du
fragment se liant au plaisir du début, Barthes affirme, à propos de soi-même : « aimant à
trouver, à écrire des débuts, il tend à multiplier ce plaisir : voilà pourquoi il écrit des
fragments : autant de fragments, autant de débuts, autant de plaisirs » (ibid., p. 98). Sur
cette question, on peut lire le commentaire de Bernard Comment dans Roland Barthes, vers
le neutre (Paris, Christian Bourgois, 1991, p. 163-184), où le fragment barthésien est conçu
comme une écriture de l’instant qui, par la suppression de la durée, abolit aussi le
commencement et la fin.
11. Voir la critique de Blanchot à l’esthétique du fragment du romantisme allemand, à laquelle
l’auteur oppose une vision d’ouverture, qui implique un principe de relation entre les
fragments ainsi qu’un principe rythmique et structurel se fondant sur les entre-deux, sur ces
espaces de silence qui relient les différents textes. Cf. Maurice Blanchot, L’Entretien infini,
Paris, Gallimard, 1969, notamment le chapitre intitulé « L’Athenaeum » (p. 515-527) et la
réflexion plus générale du chapitre « Nietzsche et l’écriture fragmentaire » (p. 227-255).
12. Je fais ici référence à l’ouvrage de Dällenbach intitulé Le Récit spéculaire. Essai sur la
mise en abyme, Paris, Éd. du Seuil, 1977. L’expression mise en abyme dérive d’un procédé
héraldique qui consiste à insérer dans un écu un second écu plus petit et semblable au
premier. L’expression a été adaptée au domaine artistique par André Gide, dans son
Journal ; Dällenbach en propose la définition générale suivante : « est mise en abyme toute
enclave entretenant une relation de similitude avec l’œuvre qui la contient » (p. 18).
13. On peut trouver un autre exemple, plus ancien, de miroir intérieur réfléchissant l’extérieur
– et la figure même du peintre – dans la célèbre toile de Jan Van Eyck, Les Époux Arnolfini,
de 1434.
14. La complémentarité des niveaux de l’espace est d’ailleurs un principe fondamental dans
l’œuvre de Magritte, s’appliquant aussi à d’autres frontières internes du tableau, telles que
les portes ou surtout les fenêtres (dans La Clef des champs, par exemple, les vitres brisées
d’une fenêtre, tombées au sol, reproduisent exactement le paysage qu’on peut voir derrière
elle) ; et il n’est pas exagéré de voir dans ce procédé une transgression « historique »,
référée de toute évidence aux principes de la représentation et de la perspective théorisés –
précisément à travers la métaphore de la fenêtre – par Leon Battista Alberti au XVe siècle :
cf. De la peinture [De pictura, 1435], Paris, Macula, 1992, p. 115.
15. C’est le cas de plusieurs œuvres du Nouveau Roman, analysées par Dällenbach ou, comme
exemple de relation paradoxale, du récit La Folie du jour de Blanchot (Montpellier, Fata
Morgana, 1973 ; éd. originale, 1949), à propos duquel on peut lire le commentaire de
Jacques Derrida dans Parages (Paris, Galilée, 1986, chapitre « La loi du genre »,
notamment p. 265-287).
16. Citons deux exemples poétiques : l’incipit « réflexif » du poème « Fable » de Francis
Ponge, où le premier mot du texte fait l’objet d’une citation immédiate dans le repli
spéculaire de l’incipit à l’intérieur du premier vers : « Par le mot par commence donc ce
texte / dont la première ligne dit la vérité... » (Francis Ponge, Proêmes, dans Le Parti pris
des choses, Paris, Gallimard, 1967, p. 126). L’autre exemple de réflexivité, cette fois-ci
entre le titre et l’incipit du poème, nous est fourni par « Poem beginning “The” » de Louis
Zukofsky, dont le premier vers ne comprend effectivement que l’article défini (Louis
Zukofsky, 55 Poems, 1923-1935, dans Complete Short Poetry, Baltimore-Londres, The
Johns Hopkins University Press, 1991, p. 9-20).
17. Il s’agit de ce que Genette appelle « péritexte éditorial » (cf. Seuils, op. cit., p. 20-37).
18. Pour l’analyse de la stratégie paratextuelle de ce roman, voir le chapitre suivant.
19. Roland Barthes, dans S/Z (Paris, Éd. du Seuil, 1970), remarque par exemple que le titre du
récit analysé – Sarrasine, de Balzac – pose une énigme et constitue ainsi le premier
élément du « code herméneutique » du texte, référé justement à la création et à la résolution
d’énigmes.
20. On peut voir, respectivement, I. Calvino, « Cominciare e finire », art. cité, p. 735 ; Roland
Barthes, « L’ancienne rhétorique », Communications, no 16, 1970, p. 214 ; et Claude
Duchet, « Idéologie de la mise en texte », La Pensée, no 215, 1980, p. 100-102.
21. On peut lire à ce propos l’analyse de Jacques Dubois dans l’article « Surcodage et
protocole de lecture dans le roman naturaliste », Poétique, no 16, 1973.
22. Cf. R. Barthes, « L’ancienne rhétorique », art. cité, p. 214-215.
23. D’ailleurs, le fait même qu’il y ait une narration implique une situation communicative au
sein de laquelle les sujets réels (l’auteur et le lecteur) sont doublés par des sujets fictifs (le
narrateur et le narrataire).
24. Les passages réalisés par le commencement romanesque se multiplient si l’on pose
l’analyse en termes de production et de réception de l’œuvre : voir à ce propos la première
partie du prochain chapitre.
25. On peut lire à ce propos l’intéressant ouvrage d’Yves Delègue, Le Royaume d’exil. Le sujet
de la littérature en quête d’auteur (Paris, Obsidiane, 1991), qui trace dans le premier
chapitre un excursus historique sur les origines et les transformations sémantiques du mot
auteur.
26. Maurice Blanchot, Le Livre à venir [1959], Paris, Gallimard, coll. « Essais », 1986, p. 280.
27. Cette célèbre citation apparaît dans le premier Manifeste du surréalisme de 1924 (cf.
l’édition Gallimard, coll. « Folio », des Manifestes d’André Breton, p. 17). Il faut souligner
que la phrase de Valéry, contrairement à ce que la critique pense souvent, est moins un
incipit qu’un énoncé type du roman, efficace en ce qu’il montre le caractère arbitraire de
cette forme littéraire qui se veut mimétique. Les Cahiers de Valéry présentent de
nombreuses réflexions à ce propos, dans lesquelles il est souvent question de « marquises »
ou de « comtesses », par un renvoi évident à la noblesse féminine qui peuple l’univers
romanesque de Balzac (cf. Cahiers, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
t. I, 1973, p. 1162, 1190, 1234-1235). En tout cas, la « fortune » de la phrase de Valéry a été
remarquable : Claude Mauriac, par exemple, en a fait l’incipit, par une référence tout à fait
ironique, de son roman qui porte justement le titre La marquise sortit à cinq heures (Paris,
Albin Michel, 1961) ; et, plus récemment, Julien Gracq a consacré plusieurs pages à cette
phrase emblématique, s’opposant à la vision de Valéry dans une défense passionnée du
genre romanesque (cf. En lisant en écrivant, Paris, José Corti, 1980, p. 115-116).
28. Gérard Genette, « Vraisemblance et motivation », dans Figures II, Paris, Éd. du Seuil,
1969, p. 92-93. En plus de cet arbitraire de « direction », l’auteur parle aussi d’arbitraire
d’« expansion » pour indiquer la possibilité qu’a le récit « de s’arrêter sur place et de se
dilater par l’adjonction de telle circonstance, information, indice, catalyse ».
2
L’écriture du commencement
Tout début, d’un poème ou d’un roman, fait renaître la vieille image
d’Hercule au carrefour, qu’on a toujours considérée comme une fable
pédagogique, une fable du destin de l’homme, de sa conduite dans la
vie. Pour moi, la phrase surgie (dictée ?) d’où je pars vers quelque
chose qui sera le roman, au sens illimité du mot, a ce caractère de
carrefour, si non entre le vice et la vertu, du moins entre se taire et
dire, entre la vie et la mort, entre la création et la stérilité. Et cela se
passe non point au niveau de la volonté, de la décision herculéenne,
mais dans le choix, l’arbitraire des mots empruntés (à qui ?
pourquoi ?) comme par l’étrange détour de l’échangeur. Une
constellation de mots, appelée phrase, joue ainsi le rôle du destin, pour
la pensée.
Louis ARAGON, Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit.
L’orientation de la lecture
Deux voix au centre, celle du speaker, fort, celle du lecteur, assez fort.
Michel BUTOR,
6 810 000 litres d’eau par seconde.
La question, bien sûr, est loin d’être résolue, compte tenu des difficultés
posées par toute entreprise de découpage d’un texte littéraire. En fait, les
fractures textuelles peuvent se multiplier, et il est souvent très arbitraire de
choisir la principale ; ou encore, il est évident que le partage formel ne
correspond pas forcément au partage thématique du texte : c’est le cas,
d’ailleurs, de nombreux incipit balzaciens de type narratif, qui débutent par
des indications temporelles et spatiales précises et par la présentation d’un
personnage, et dont la suite se configure comme une expansion descriptive
de la première unité narrative, sans aucune fracture thématique, à tel point
qu’on pourrait parler d’incipit « en deux temps ». Il faut donc penser à une
sorte de géométrie variable de l’incipit, étant donné que le début peut
souvent rebondir dans la suite du texte, voire constituer un véritable
leitmotiv 28.
La question du découpage est tellement complexe qu’il faudrait se
demander aussi où un incipit commence, et quel est donc, dans ce territoire
liminaire de passage, le véritable point d’entrée dans l’espace linguistique
du texte proprement dit. En effet, si la séparation graphique entre l’incipit et
les éléments du paratexte qui peuvent précéder est généralement évidente,
la question n’est pas aussi claire pour ce qui concerne la frontière de la
fiction 29 : par exemple, comment considérer, dans L’Histoire de Gil Blas de
Santillane de Lesage, le fragment qui porte le titre « Gil Blas au lecteur » et
qui se situe entre la « Déclaration de l’auteur » et l’incipit du texte ? En fait,
si le premier élément préfaciel (la déclaration) est auctorial, le second est
attribué au personnage-narrateur fictif, et l’on peut donc supposer que le
seuil de la fiction a déjà été franchi, bien avant l’incipit proprement dit. Le
cas inverse est fourni par La Vie de Marianne de Marivaux, dont le
« Préambule » est inséré à l’intérieur du texte, même s’il présente une
déclaration de type auctorial : il s’agit du très connu topos du manuscrit
retrouvé 30.
La frontière, on le voit, est parfois flottante ; mais même dans ces cas,
on peut essayer de définir la nature de ces fragments textuels à partir de la
détermination des actants de la communication, surtout pour ce qui
concerne le destinateur. Je fais ici référence à l’analyse de Gérard Genette
qui, à propos du statut et des fonctions de la préface, distingue trois rôles
(auctorial, allographe et actorial) et trois régimes possibles (authentique,
apocryphe et fictif) de l’instance préfacielle 31. Or, il me semble que dans le
cas de la préface actoriale à régime fictif, c’est-à-dire attribuée à un
personnage imaginaire de l’action, un glissement vers l’intérieur du texte
s’opère, en ouvrant l’espace de la fiction : si bien qu’on pourrait considérer
la deuxième préface de Gil Blas comme le véritable incipit du roman. Bref,
la géométrie variable évoquée plus haut peut aussi concerner la frontière
initiale du texte, et il convient donc d’imaginer l’incipit en tant que zone
stratégique de passage dans la fiction, dont les limites sont parfois mobiles
et incertaines et dont l’ampleur peut varier considérablement suivant les
cas.
Enfin, je crois qu’il est nécessaire d’opérer une distinction
terminologique afin d’éviter certaines ambiguïtés trompeuses : je propose
donc d’employer le terme ouverture pour indiquer la série de passages
stratégiques qui se réalisent entre le paratexte et le texte, à partir de
l’élément le plus extérieur, le titre ; le terme incipit pour désigner, à
l’intérieur de l’espace de l’ouverture, la zone d’entrée dans la fiction
proprement dite, à savoir la première unité du texte ; et encore, à l’intérieur
de l’espace de l’incipit, je propose le terme attaque pour indiquer les
premiers mots du texte.
Encore un jeu sur la littérature, une transgression des règles menée ici
par un auteur contemporain de best-sellers qui déjoue ironiquement, dans la
phrase d’ouverture d’une de ses œuvres, un topos romanesque :
l’authentification de la fiction par un ancrage au réel – « c’est une histoire
vraie », justement... Stratégie typique du roman réaliste, l’affirmation de la
véridicité des événements racontés répond à plusieurs exigences,
contribuant à impliquer le lecteur dans l’univers romanesque, ainsi qu’à
naturaliser la fiction en dissimulant son caractère artificiel 1.
Et pourtant, l’insistance du roman réaliste sur l’authenticité de
l’histoire, selon la codification millénaire des règles de la mimèsis à partir
d’Aristote, ne peut que dévoiler un signal inverse, une indication du
caractère imaginaire de l’univers narratif : l’affirmation de l’authenticité
s’étant transformée en un lieu commun et un topos romanesque, elle est
perçue d’emblée en tant que signe de la fiction. Et même lorsque les
aventures des personnages ont une source réelle, comme c’est parfois le cas
dans le roman réaliste, le lecteur peut difficilement douter de l’existence
imaginaire, par exemple, du père Goriot, ou de Julien Sorel, ou d’Emma
Bovary, en raison justement de la présence, dans l’ouverture romanesque,
de plusieurs indices qui signalent l’entrée dans l’espace de la fiction.
Ceci montre bien combien le topos était déjà usé dans la seconde moitié
du XVIIIe siècle : de fait, à la fiction de l’histoire s’ajoute la fiction de sa
découverte, et vers la fin du siècle ce jeu se complique davantage dans le
paratexte liminaire des Liaisons dangereuses de Laclos, qui témoigne d’une
stratégie doublement trompeuse. La « Préface du rédacteur » – qui affirme
l’authenticité des lettres, tout en signalant le rôle uniquement éditorial du
rédacteur – se trouve en effet démentie par un précédent « Avis de
l’éditeur », qui commence ainsi :
Piège et fiction
Je suis un piège pour vous. J’aurai beau tout vous dire ; plus je serai
loyal, plus je vous tromperai : c’est ma franchise qui vous attrapera.
Je vous supplie de le comprendre, tout ce qui vous vient de moi n’est
pour vous que mensonge, parce que je suis la vérité.
Maurice BLANCHOT, Le Très-Haut.
La captatio benevolentiae perverse de l’épigraphe anonyme de ce
roman de Blanchot – au titre, d’ailleurs, si imprégné de mysticisme –
souligne de façon paradoxale la question du piège de la parole romanesque,
de la tromperie qui est propre, peut-être, à tout acte de prise de parole. Je
reviendrai plus loin à la réflexion de Blanchot sur le problème du
commencement ; ce qu’il est important de remarquer ici est le rôle de signal
joué par la dissimulation, la fiction romanesque pouvant en effet être
indiquée en ouverture par une stratégie du piège, relative au texte (et à sa
prétendue authenticité), au discours, voire au contenu narratif.
Un cas exemplaire, à quelques années de distance des Liaisons
dangereuses, est fourni par l’ouverture d’Adolphe de Benjamin Constant,
un roman dans lequel le topos du manuscrit retrouvé atteint, peut-être, son
plus haut point de complication, dans une stratégie informative
extraordinairement raffinée du paratexte initial et final. En effet, le texte est
précédé d’un « Avis » où le soi-disant éditeur relate sa rencontre avec le
personnage, et la découverte d’une petite boîte qui contient, entre autres, un
cahier manuscrit : il s’agit évidemment de l’histoire d’Adolphe, que
l’éditeur décide de publier après l’échange épistolaire avec un témoin
inconnu ; et le roman se trouve suivi de deux lettres où se croisent des
éléments narratifs et de commentaire.
Dans la première lettre, adressée à l’éditeur, l’inconnu se présente
comme témoin de l’histoire du personnage, tout en racontant, en outre,
l’épilogue de celle-ci, et en en conseillant la publication pour le caractère
instructif du récit :
Cet incipit ludique, qui joue avec les attentes légitimes du lecteur,
introduit d’emblée le thème du fatalisme, par l’indétermination des
« réponses » que le début du texte est généralement censé fournir ; et la
seule réplique en quelque sorte positive concerne le discours, en renvoyant
à une parole céleste et divine qui semble gouverner tout événement. Mais,
là aussi, ce n’est qu’une illusion : en effet, même si le dialogue suivant entre
les deux personnages s’enchaîne à partir de l’affirmation de Jacques, le récit
ne commencera jamais, s’égarant dans le croisement infini d’histoires
potentielles, demandées et promises ; et c’est ainsi que l’incipit, privé de
tout pouvoir informatif, ne peut qu’annoncer une narration entièrement
dominée par le hasard et par la fantaisie.
Il est donc important de souligner la différence entre le discours
e
ironique du XVIII siècle et celui qui est propre à la modernité : chez Sterne
ou chez Diderot, ce discours, tout en ridiculisant les topoi et les procédés de
l’inventio romanesque 27, se présente surtout comme un « genre » narratif,
comme la seule forme possible d’une histoire au caractère apparemment
fortuit, relevant du hasard plutôt que de la causalité ; l’ironie moderne est
au contraire plus résolument intertextuelle et transgressive, signalant un
écart par rapport à des modèles souvent explicites qui constituent des points
problématiques et des références inévitables pour l’écriture. Et tout cela,
évidemment, se passe surtout au commencement du texte.
Et, dans tous ces cas, le discours ironique signale la fiction en exposant
justement, de façon ludique, les artifices secrets de la composition
romanesque, et en marquant ainsi une prise de distance, par rapport à la
parole du texte, qui multiplie les niveaux de lecture et déstabilise toute
attente.
Sous sa forme la plus exacerbée, l’ironie se transforme en parodie, se
rapprochant avec sa charge explosive d’un texte de référence explicite,
dénaturé et ridiculisé par une déformation caricaturale ; la parodie,
contrairement au discours ironique, procède donc par adhésion, en
s’insinuant d’une façon violente dans la parole d’autrui jusqu’à la
bouleverser à travers une imitation hyperbolique 38. Et, encore une fois, ce
sont surtout les topoi – notamment les signes explicites de la fiction – qui
constituent l’objet d’une subversion, comme c’est le cas dans un incipit
fulgurant de Queneau, qui mine la stabilité historique propre au roman
réaliste à travers une véritable explosion, comique et grotesque à la fois, du
temps :
1. Et cela vaut aussi pour le « cadre » du texte, car l’un des procédés les plus efficaces pour
« naturaliser » le début est justement l’illusion référentielle, lorsque la fiction renvoie à un
espace réel et à un temps historique.
2. P.-M. de Biasi, « Les points stratégiques du texte », art. cité, p. 26.
3. Dans le premier cas, Genette propose la définition de titre rhématique, indiquant l’objet-
texte, notamment dans les recueils de poésies (Odes, Épigrammes, Élégies, etc.), mais aussi
dans le roman : Confessions, Mémoires, Histoires, etc. Dans le second cas, l’indication
générique est ajoutée au titre thématique de l’œuvre (cf. G. Genette, Seuils, op. cit., p. 54-
97). Sur la question du titre – l’élément paratextuel peut-être le plus analysé par la critique
–, je renvoie aux travaux de Leo H. Hoek (en particulier La Marque du titre. Dispositifs
sémiotiques d’une pratique textuelle, Paris-La Haye, Mouton, 1981) et de Claude Duchet
(« La Fille abandonnée et La Bête humaine, éléments de titrologie romanesque »,
Littérature, no 12, 1973) ; une excellente bibliographie critique sur le sujet a été publiée
dans la revue Micromégas (vol. 16, no 1-2-3, 1989), par Mireille Revol, en appendice aux
actes du colloque sur le titre organisé par l’université de Pérouse.
4. Il faut toutefois remarquer que l’indication générique est aujourd’hui presque obligatoire,
peut-être pour des raisons essentiellement commerciales. Un autre élément paratextuel
typique de l’époque contemporaine est le « bandeau », qui annonce l’attribution d’un prix
littéraire, ou même la publication du dernier roman d’un auteur célèbre.
5. Dans un intéressant article de synthèse sur la question, Christian Angelet affirme, sur la
base de témoignages critiques de l’époque, que le piège était clair aussi pour le lecteur du
e
XVIII siècle : « On est amené à penser que tout texte liminaire annonçant un manuscrit
trouvé, ou volé, ou sauvé des flammes, était aussitôt perçu comme un signal de la fiction »
(cf. Christian Angelet, « La topique du manuscrit retrouvé », Cahiers de l’Association
internationale des études françaises, no 42, 1990, p. 169). Il est important de souligner qu’à
partir du XIXe siècle le recours au topos du manuscrit, évidemment affranchi de tout rôle de
légitimation du roman, se fait de plus en plus rare, et que son emploi ne peut que relever de
l’ironie : c’est le cas, volontairement hyperbolique par sa complexité, du Nom de la rose
d’Umberto Eco, où l’histoire de la découverte du livre de l’abbé Vallet (traduction d’une
introuvable édition, du XVIIe siècle, du manuscrit d’Adso de Melk) est introduite par un titre
explicite, premier clin d’œil au lecteur, « Un manuscrit, naturellement ». Également
« suspect » est l’avertissement initial de La Nausée de Sartre, affirmant que le journal a été
retrouvé parmi les papiers d’Antoine Roquentin ; à ce propos, la critique sartrienne a
souvent souligné l’intention ironique du renvoi à une tradition romanesque dans le cadre
d’une œuvre qui vise explicitement à s’en affranchir. Un peu différent est l’emploi du topos
dans Les Fiancés – dont le sous-titre parle d’une « Histoire milanaise du XVIIe siècle
découverte et remaniée par Alessandro Manzoni » –, puisque l’auteur cite dans
l’introduction le proème, au style ampoulé, du manuscrit anonyme du XVIIe siècle, afin de
poser d’emblée la question de la langue : « Mais, puisque nous avons repoussé, comme
insupportable, la manière de notre auteur, quelle manière lui avons-nous nous-même
substituée ? C’est là qu’est la difficulté » (cf. Alessandro Manzoni, Les Fiancés, trad. fr. de
Y. Branca, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1995, p. 65). Pourtant, même dans ce
cas, l’emploi du topos du manuscrit ne saurait être innocent, surtout au niveau de la lecture,
son caractère conventionnel étant déjà évident à partir du siècle précédent, en particulier
lorsque le nom de l’auteur apparaissait sur la page de couverture du livre (voir à ce propos
Georges May, Le Dilemme du roman au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1963).
6. Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, Paris, Garnier, 1960, p. 3.
7. Je cite l’édition Flammarion, 1964, p. 13. Il faut aussi souligner que le titre de l’œuvre, lors
de sa parution, dissimulait partiellement le nom de l’auteur : Les Liaisons dangereuses ou
Lettres Recueillies dans une Société, et publiées pour l’instruction de quelques autres. Par
M. C... de L...
8. Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, op. cit., p. 17.
9. Ibid., p. 13.
10. Même si l’on peut sans doute affirmer que tout discours – extérieur ou intérieur au texte –
ayant pour objet l’œuvre elle-même est soumis au doute et à la suspicion du lecteur.
11. Benjamin Constant, Adolphe, Paris, Flammarion, 1989, p. 168-169. Je tiens, là encore, à
citer le titre original de l’œuvre, presque toujours abrégé dans les éditions modernes :
Adolphe. Anecdote trouvée dans les papiers d’un inconnu, et publiée par M. Benjamin de
Constant.
12. Ibid., p. 170. Michel Charles, dans Rhétorique de la lecture (Paris, Éd. du Seuil, 1977),
insiste justement sur le caractère extraordinaire de ce genre de commentaire, en affirmant
enfin qu’« analyser la structure d’Adolphe, c’est donc analyser la relation entre un texte et
son interprétation » (cf. le chapitre « Adolphe, ou l’inconstance », p. 215).
13. B. Constant, Adolphe, op. cit., p. 44.
14. Michel Charles trouve en cela la preuve qu’Adolphe, loin d’avoir écrit l’histoire pour lui-
même, destine son manuscrit à la lecture (cf. Rhétorique de la lecture, op. cit., p. 221).
15. Ce leurre linguistique s’instaure uniquement entre les deux personnages, en raison de leur
condition de liberté par rapport à différentes « autorités » : le mari pour Ellénore, le père
pour Adolphe. Cette situation rappelle d’ailleurs la liberté dont jouissent les amants d’un
autre roman moderne de la tromperie : Le Diable au corps de Raymond Radiguet. Quant à
l’illusion sentimentale d’Adolphe, elle pourrait être résumée par une seule phrase, lorsque
le personnage écrit une lettre d’amour à Ellénore : « Échauffé d’ailleurs que j’étais par mon
propre style, je ressentais, en finissant d’écrire, un peu de la passion que j’avais cherché à
exprimer avec toute la force possible » (B. Constant, Adolphe, op. cit., p. 65).
16. L’exemple n’est pas choisi au hasard, puisqu’il témoigne de la relation à double sens qui
existe entre la réalité et la fiction : la ville d’Illiers, dans la Beauce, où se trouve la maison
de vacances du jeune Proust, et qui a fourni le modèle de Combray dans la Recherche,
s’appelle de nos jours Illiers-Combray – signe de l’influence possible de la fiction sur la
réalité, qui nous permet aujourd’hui de trouver sur la carte de France une ville appartenant
à la géographie imaginaire d’un roman.
17. Comme, par exemple, la référence à des lieux ou à des personnages réels, ou à un temps
historique : sur la question, on peut voir l’essai de Roland Barthes, « L’effet de réel »
(Communications, no 11, 1968). Il faut aussi souligner que l’illusion référentielle n’est pas
un procédé exclusif du réalisme, car elle constitue le principe fondamental de tout roman
« figuratif » et même, comme le remarque Tzvetan Todorov, du récit fantastique, qui peut
en effet se fonder sur une situation de départ réaliste, pour glisser ensuite dans
l’invraisemblable en offrant au lecteur deux perceptions possibles : l’« étrange » et le
« merveilleux » (cf. Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Éd. du
Seuil, 1970, en particulier chap. II et III).
18. Honoré de Balzac, Le Père Goriot, dans La Comédie humaine, op. cit., t. III, p. 50. Voir
aussi mon commentaire au chapitre 11.
19. Cependant, comme dans le cas de la « marquise » de Valéry, il s’agit peut-être moins d’un
vrai incipit que d’une phrase type du discours romanesque, souvent employée au début
d’une séquence narrative afin de situer vaguement l’histoire dans un contexte spatio-
temporel. On peut lire à ce propos l’article de Patrick Imbert, « “Par une belle matinée” :
déjà lu, toujours écrit », Revue des sciences humaines, no 201, 1986.
20. Dans l’édition Gallimard, coll. « Folio », de La Peste, les références au projet d’écriture de
Grand se trouvent aux pages 98-100 (première lecture de l’incipit au docteur Rieux), 127-
129 (recherche de variantes de la phrase), 237 (demande de brûler le manuscrit). Il faut
aussi souligner que Grand survit finalement à l’épidémie et qu’il reprend donc son projet
romanesque par la même phrase, dans laquelle, affirme-t-il, il a supprimé tous les adjectifs
(p. 277).
21. A. Camus, La Peste, op. cit., p. 11.
22. Seules les dédicaces et les préfaces résistent à cet effacement du paratexte liminaire, bien
qu’elles aient souvent une vie très courte, et qu’elles soient enfin éliminées dans l’édition
Furne de La Comédie humaine (1842), leur rôle n’ayant plus de sens dans le projet global.
En outre, Balzac fut l’un des premiers romanciers à « signer » ses œuvres (toujours à partir
de 1829, date de publication des Chouans), se détachant en cela de son modèle de jeunesse,
Walter Scott, qui avait réussi à se dissimuler, au moins formellement, avec maîtrise, en
publiant de façon anonyme son premier roman, Waverley, et en attribuant les suivants à
l’« Auteur de Waverley ».
23. Je fais ici référence au livre fondamental intitulé Mimésis. La représentation de la réalité
dans la littérature occidentale, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1977, et notamment au
chapitre sur Balzac, Stendhal et Flaubert (« À l’hôtel de la Mole », p. 450-488) [éd.
originale, Dargestellte Wirklichkeit in der abenländischen Literatur, Berne, 1946].
24. Calvino insiste aussi sur le rôle « justificatif » de cette nécessité préliminaire
d’identification (individuazione, dans le texte italien) qui devient pour le romancier « un
acte rituel comme l’invocation à la Muse » (cf. I. Calvino, « Cominciare e finire », art. cité,
p. 737). Au niveau de la lecture, l’effet rassurant d’une telle stratégie, surtout dans le roman
réaliste, ne peut que représenter un piège ultérieur, en suscitant chez le lecteur l’illusion de
« retrouver » le monde réel au moment exact d’entrée dans la fiction.
25. La réponse à ces questions est probablement le fondement de tout acte narratif, du mythe
au conte : même Vladimir Propp souligne que la définition spatio-temporelle et la
présentation des personnages sont les éléments basilaires de la « situation initiale » du
conte. Cf. Vladimir Propp, Morphologie du conte, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points
Essais », 1973, notamment le chapitre IX et le premier appendice [éd. originale, Morfologiâ
skazki, Leningrad, 1928].
26. Denis Diderot, Jacques le fataliste et son maître, Paris, Gallimard, 1973, p. 37.
27. Laurence Sterne, dans Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme [The Life and
Opinions of Tristram Shandy, Gentleman, 1767] (trad. fr. de C. Mauron, Paris, Flammarion,
coll. « GF », 1982) n’hésite pas à jouer aussi avec certains éléments du paratexte, les
faisant glisser à l’intérieur du roman : le livre premier contient par exemple une dédicace
sans destinataire, que le narrateur met immédiatement en vente (éd. citée, p. 37-38) ; la
préface de l’auteur, elle aussi entièrement ironique, se trouve au livre troisième (ibid.,
p. 186-193).
28. D’où la mode récente, en Italie mais surtout aux États-Unis, des répertoires d’incipit
romanesques : structurés souvent sous une forme ludique – et donc sans aucune prétention
théorique –, ils renvoient justement à la mémoire du lecteur en jouant sur sa capacité de
reconnaissance (voir, pour l’indication de ces ouvrages, la bibliographie finale).
29. Pour laquelle je renvoie aux études de Beda Allemann, en particulier au livre Ironie und
Dichtung, Pfullingen, Neske, 1956, et à l’article « De l’ironie en tant que principe
littéraire », Poétique, no 30, 1978. Voir aussi à ce propos les deux articles de Linda
Hutcheon sur ironie et parodie, publiés dans Poétique, no 36, 1978, et no 46, 1981 ;
l’ouvrage de synthèse de Philippe Hamon, L’Ironie littéraire. Essai sur les formes de
l’écriture oblique, Paris, Hachette, 1996 ; et le livre récent de Pierre Schoentjes, Poétique
de l’ironie, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points Essais », 2001.
30. Cf. U. Eco, Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs, op. cit., chap. VI,
« Protocoles fictifs », p. 164-165.
31. Robert Musil, L’Homme sans qualités [Der Mann ohne Eigenschaften], trad. fr. de
P. Jaccottet, Paris, Éd. du Seuil, 1956, t. I, p. 9. Soulignons que la présence et la densité de
termes techniques indiquent d’emblée l’ironie, par le renvoi citationnel à un type de
discours scientifique connu, celui de la météorologie.
32. Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, dans Œuvres, Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1951-1952, t. II, p. 713.
33. Umberto Eco, Le Nom de la rose, trad. fr. de J.-N. Schifano, Paris, Grasset, 1982, p. 29. Sur
la fonction du jeu intertextuel dans le roman, on peut voir le témoignage de l’auteur dans
l’« Apostille au Nom de la rose » (parue en italien dans Alfabeta, no 49, 1983), reproduite
en appendice aux éditions successives du livre.
34. Jorge Luis Borges, dans son récit intitulé « Pierre Ménard, auteur du Quichotte », expose
de façon ironique et paradoxale les conséquences d’une tentative de réécriture d’un texte :
le Quichotte écrit au XXe siècle par le personnage imaginaire de Borges n’est pas le
Quichotte de Cervantès, bien qu’il soit littéralement identique (cf. Fictions, dans Jorge Luis
Borges, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, t. I,
p. 467-475).
35. C’est justement son caractère explicite qui constitue, selon Barthes, la limite du discours
ironique du texte classique ou « lisible » : ne pouvant forcer le « mur de l’origine » de la
parole, il s’éloigne de la polyvalence possible du discours citationnel (cf. R. Barthes, S/Z,
op. cit., p. 51-52).
36. Georges Perec, Les Choses [1965], Paris, Presses Pockett, 1986, p. 9.
37. Georges Perec, La Vie mode d’emploi, Paris, Hachette, 1978, p. 19.
38. Procédé classique, la parodie est aussi à la base de la « littérature potentielle » imaginée par
les écrivains de l’OuLiPo, qui en arrivent même à proposer des formes d’« autoparodie » :
voir à ce propos J. Bens, « Queneau oulipien », dans OuLiPo, Atlas de littérature
potentielle, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1973, p. 30-33.
39. Raymond Queneau, Les Fleurs bleues, Paris, Gallimard, 1965, p. 13-14.
4
Topoi du début
Topoi narratifs
Que de rencontres et que d’adieux, de départs et d’arrivées, de voyages
et d’attentes, de découvertes et de mystères, de naissances et de morts, dans
les premières lignes des romans, pour ne pas citer les coups de foudre... Et
cela à toute époque, de sorte que le lecteur d’aujourd’hui, retrouvant de
telles situations, ne peut que penser aux sources, aux romans déjà écrits et
déjà lus, en raison de cette superposition intertextuelle infinie avec laquelle
tout incipit doit se confronter, sérieusement ou de façon ludique. Voyons
donc certaines configurations possibles de commencement narratif.
LE DÉPART ET L’ARRIVÉE
« Que je suis aise d’être parti 7 ! » La première lettre de Werther à son
ami Wilhelm s’ouvre par cette exclamation qui témoigne du bonheur du
protagoniste d’avoir échappé à une situation compliquée et insupportable, à
laquelle il fait rapidement allusion : la passion, non partagée, de Léonore.
Mais ce qui nous intéresse davantage est que le récit de Werther ne peut
commencer qu’à partir d’un déplacement radical, qui entraîne le
protagoniste dans de nouveaux espaces et dans de nouvelles aventures :
après avoir abandonné sa ville, ses parents, ses amis et Léonore, Werther
rencontre Lotte au début de son séjour à la campagne, commençant ainsi
l’une des plus célèbres et des plus tragiques histoires d’amour romanesques.
Le topos du départ, dans ses différentes formes, semble donc avoir la
fonction d’ouvrir une série infinie de possibilités narratives, en augmentant
de façon démesurée la potentialité de l’incipit. Par exemple, dans le cas du
départ d’un des personnages, la suite du récit est, au niveau de la lecture,
absolument imprévisible : qu’arrivera-t-il, par exemple, à lord Oswald
Nelvil, pair d’Écosse, qui part d’Édimbourg pour se rendre en Italie dans
Corinne, de Mme de Staël ? Et quelle sera l’aventure du personnage
inconnu qui monte dans un train au début de La Modification de Butor ?
Pour ne pas parler des départs éventuels : le fils de Mrs. Ramsay réussira-t-
il à exaucer son vœu d’aller au phare, dans le roman de Virginia Woolf
intitulé Promenade au phare ?
Le mouvement dynamique du départ peut concerner aussi bien le
personnage, comme dans les exemples cités, que le « moyen » même de
transport : calèches (La Steppe, de Tchekhov), voitures, trains, autobus (Le
Jour de la chouette, de Sciascia), bateaux, avions, etc. Cependant, même ce
dynamisme apparent peut se révéler un piège. Il suffit de penser à l’incipit
extraordinairement « mouvementé » de ce roman exemplaire de la non-
action, L’Éducation sentimentale de Flaubert :
LA DÉCOUVERTE ET L’ATTENTE
Mais il suffisait que, dans mon lit même, mon sommeil fût profond
et détendît entièrement mon esprit ; alors celui-ci lâchait le plan du
lieu où je m’étais endormi, et quand je m’éveillais au milieu de la
nuit, comme j’ignorais où je me trouvais, je ne savais même pas au
23
premier instant qui j’étais .
Pour revenir alors à notre topos, il faut souligner que le récit des réveils
du protagoniste de la Recherche – outre qu’il réalise une coïncidence entre
le début du texte et une série de passages qui troublent la perception
temporelle – prend une valeur essentielle d’annonce thématique, se
focalisant sur la question centrale de l’œuvre, le temps ; et surtout, l’attaque
constitue un premier élément déterminant dans la « cathédrale »
proustienne, par la création d’un effet de symétrie à l’intérieur de l’incipit, à
savoir dans le premier chapitre de « Combray », qui conduit de la confusion
perceptive initiale à la réorganisation du temps, à l’affleurement du passé
grâce à la mémoire involontaire ; de telle sorte que l’incipit joue un rôle
fondamental dans la conception architecturale de l’œuvre, en reliant entre
elles les colonnes du monument à venir.
LA RENCONTRE
Regards croisés
Chaque incipit peut avoir, au moins, trois niveaux « visuels » : le
premier, interne, correspond au passage des regards entre les personnages ;
le deuxième, toujours interne, coïncide avec le regard du personnage (ou du
narrateur) dont le point de vue organise la narration même ; le troisième
regard, provenant de l’extérieur, est celui du lecteur. Ainsi le
commencement romanesque se caractérise-t-il comme le lieu d’ouverture
d’un champ visuel, dans un jeu d’obstacles, de barrières et d’empêchements
entre les différents niveaux. Le premier de ces niveaux a déjà été évoqué ;
le deuxième introduit au contraire le problème du point de vue, ou, en
termes plus strictement narratologiques, de la focalisation, c’est-à-dire de ce
regard interne qui filtre la narration en exposant l’univers romanesque au
lecteur, voire – pour arriver ainsi au troisième niveau – en encadrant la
vision de ce dernier.
Sans vouloir insister sur les différentes possibilités de focalisation, à
propos desquelles je renvoie, en particulier, aux travaux de Gérard
Genette 28, je me limite à citer ici un exemple d’incipit structuré à travers
une alternance de regards internes :
1. Cette distinction se fonde, on le sait, sur la distribution des formes, des modes et des temps
verbaux. L’énonciation historique, selon Benveniste, caractérise le récit des événements
passés, alors que l’énonciation du discours comprend « toute énonciation supposant un
locuteur et un auditeur, et chez le premier l’intention d’influencer l’autre en quelque
manière » (cf. Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard,
1966, chap. XIX, « Les relations de temps dans le verbe français », t. I, p. 242 sq.).
2. La distinction de Weinrich relève, on le sait, de la relation qui s’établit, par la parole, entre
le sujet et le monde : ainsi, les temps narratifs, conjugués généralement à la troisième
personne, sont ceux du « monde raconté » (erzählte Welt, en allemand), alors que les temps
commentatifs, souvent rattachés à la première personne, renvoient au « monde commenté »
(traduction quelque peu approximative de l’allemand besprochene Welt). Cf. Harald
Weinrich, Le Temps. Le récit et le commentaire, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Poétique »,
1973, notamment p. 17-23 [éd. originale, Tempus. Besprochene und erzählte Welt,
Stuttgart, 1964].
3. Voir à ce propos l’essai « Frontières du récit » de Gérard Genette, publié dans un numéro
historique de la revue Communications (no 8, L’Analyse structurale du récit, 1966), qui a
ouvert le domaine de la théorie moderne de la description. Genette voit dans le réalisme du
e
XIX siècle le passage d’une forme de description « ornementale », se présentant comme
une pause narrative, à une forme « significative » et fonctionnelle, inséparable de la
narration.
4. Louis Hjelmslev parle de « langages de connotation » et de « métalangages », dont le plan
du contenu est justement le langage même (cf. Prolégomènes à une théorie du langage,
Paris, Éd. de Minuit, coll. « Arguments », 1968 ; éd. originale, Copenhague, 1943,
notamment chap. XXII) ; cette distinction a été ensuite reprise par Roland Barthes qui en
arrive à une triade : dénotation – connotation – métalangage (« Éléments de sémiologie »,
Communications, no 4, 1964). Jakobson, en revanche, définit la fonction métalinguistique
en relation à l’un des six éléments de son schéma de la communication, c’est-à-dire le code
(cf. Essais de linguistique générale, op. cit., chapitre « Linguistique et poétique »).
5. Voir l’étude déjà citée de Philippe Hamon, « Texte littéraire et métalangage ».
6. Pour l’analyse des topoi descriptifs du roman réaliste, je renvoie aux chapitres 8 et 10 ;
certaines formes d’incipit commentatif seront abordées dans les chapitres 7, à propos de la
thématisation, et 12, sur Balzac ; enfin, pour le discours métanarratif, voir notamment les
trois dernières parties du prochain chapitre.
7. Johann Wolfgang von Goethe, Les Souffrances du jeune Werther [Die Leiden des jungen
Werthers, 1774], dans Romans, trad. fr. de B. Groethuysen, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 1954, p. 5.
8. Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, dans Œuvres, op. cit., t. II, p. 33.
9. Franz Kafka, Le Château [Das Schloss], dans Œuvres complètes, trad. fr. de A. Vialatte,
Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1976, t. I, p. 493.
10. Comme pour le départ, l’arrivée peut se référer non seulement au personnage mais aussi au
moyen de transport. Un exemple : le début de Vanity Fair, de Thackeray, où nous
retrouvons en plus notre phrase type « météorologique » : « Notre siècle marchait sur ses
quinze ans... Par une brillante matinée de juin, une large voiture bourgeoise se dirigeait,
avec une vitesse de quatre milles à l’heure, vers la lourde grille du pensionnat de jeunes
demoiselles tenu par Miss Pinkerton, à Chiswick Mall » (William M. Thackeray, La Foire
aux vanités, trad. fr. de G. Guiffrey, Paris, Gallimard, 1961, p. 11).
11. Voir notamment les études déjà citées de Jacques Dubois, « Surcodage et protocole de
lecture dans le roman naturaliste », et Claude Duchet, « Idéologie de la mise en texte » ;
l’article de synthèse de Bernard Alluin, « Débuts de roman », BREF, no 24, 1980 ; et enfin
le livre de Jean Verrier, Les Débuts de romans, Paris, Bertrand-Lacoste, coll. « Parcours de
lecture », 1989.
12. Jacques Dubois, dans « Surcodage et protocole de lecture dans le roman naturaliste »,
art. cité, analyse justement l’opposition attente/découverte dans certains incipit de Zola,
soulignant aussi que « les deux situations contrastées se ramènent à un même modèle [...].
L’attente et la découverte ont, en effet, ceci de commun qu’elles supposent une révélation,
la révélation de ce qui arrive, de ce qui va se produire. Leur protagoniste est celui qui est
aux abords de l’action et qui va y entrer » (ibid., p. 495).
13. Au Bonheur des dames est en effet le nom de la boutique de tissus que les personnages
voient au début de leur chemin. Il est intéressant de souligner que chez Balzac aussi, dans
La Maison du chat-qui-pelote, le début du texte dévoile la référence du titre selon un
identique procédé visuel.
14. Émile Zola, Les Rougon-Macquart, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
1960-1967, t. II, p. 375.
15. Ibid., p. 380.
16. Cf. la préface de l’auteur (ibid., p. 373-374).
17. Franz Kafka, La Métamorphose [Die Verwandlung, 1915], trad. fr. de A. Vialatte, dans
Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 192. Le texte allemand dit Ungeziefer pour indiquer
l’insecte dans lequel s’est transformé Grégoire Samsa, et l’on connaît les problèmes de
traduction que ce mot a causés.
18. Marcel Proust, Du côté de chez Swann, dans À la recherche du temps perdu, Paris,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1987, t. I, p. 3.
19. Voir, dans l’édition citée, les différentes « esquisses » du début (t. I, p. 633-662), ainsi que
la partie « Notes et variantes » (t. I, p. 1085-1087) ; pour une analyse de type génétique, je
renvoie à l’étude d’Almuth Grésillon, « ENCORE du temps perdu, DÉJÀ le texte de la
Recherche », dans Almuth Grésillon, Jean-Louis Lebrave et Catherine Viollet, Proust à la
lettre : les intermittences de l’écriture, Tusson, Du Lérot, 1990.
20. Marcel Proust, Le Temps retrouvé, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. IV,
p. 625. La lettre capitale du dernier mot est emblématique, car le temps ici évoqué renvoie
à l’œuvre conçue et entreprise par le narrateur, et donc à cette temporalité, à la fois absolue
et réversible, propre à l’expérience artistique.
21. Cf. Marcel Proust, Du côté de chez Swann, dans À la recherche du temps perdu, op. cit.,
t. I, p. 4.
22. Ibid., p. 5.
23. Ibid.
24. Jean Rousset, Leurs yeux se rencontrèrent. La scène de première vue dans le roman, Paris,
José Corti, 1984, p. 7.
25. Louis Aragon, Aurélien [1945], Paris, Gallimard, 1978, p. 23. Il faut remarquer que
l’évocation d’un premier contact visuel entre les personnages est un véritable topos
d’attaque in medias res, qui annonce une narration dynamique : on le retrouve, par
exemple, chez Kerouac (Sur la route) et Philip Roth (Goodbye Columbus).
26. Pour ne citer qu’un exemple, Rousset souligne que « le foudroiement est de règle chez
Balzac, avec ses connotations magnétiques ou électriques » (Leurs yeux se rencontrèrent,
op. cit., p. 43). Il faudrait toutefois s’interroger sur le côté ironique de la description
balzacienne des passions, extrêmement codifiée et poussée à la limite du grotesque par
l’exposition d’une suite de lieux communs : il suffit, par exemple, de penser à la
connotation d’innocence, physique et morale, de nombreuses jeunes filles évoquées dans
les Scènes de la vie privée, ainsi qu’à la comparaison picturale avec les vierges de Raphaël,
presque mécanique (et suspecte...) chez Balzac.
27. D’ailleurs, même dans l’une des plus célèbres rencontres de l’histoire du roman, celle entre
Julien Sorel et Mathilde de la Mole, le premier regard cause une déception, voire une
sensation désagréable : « il aperçut une jeune personne, extrêmement blonde et fort bien
faite, qui vint s’asseoir vis-à-vis de lui. Elle ne lui plut point... » (Stendhal, Le Rouge et le
Noir, dans Romans et nouvelles, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
1947-1948, t. I, p. 450).
28. Voir notamment, dans Figures III (Paris, Éd. du Seuil, coll. « Poétique », 1972), le chapitre
sur le « mode », et la vaste bibliographie citée en note par l’auteur même.
29. Pierre Drieu la Rochelle, Le Feu follet [1931], Paris, Gallimard, 1959, p. 9.
30. On peut lire à ce propos l’article de Raymonde Debray-Genette, « Traversées de l’espace
descriptif », Poétique, no 51, 1982.
31. Cf. G. Genette, Figures III, op. cit., p. 207-208.
32. Guy de Maupassant, Romans, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1980,
p. 837.
33. Que l’on pense, par exemple, au début d’un célèbre roman de Boulgakov, Le Maître et
Marguerite.
34. Le modèle est évidemment la « madeleine » proustienne, mais, pour ce qui concerne les
incipit, on pourrait citer aussi la phrase d’attaque de L’Amour aux temps du choléra, de
García Márquez, comme exemple de liaison par analogie : « C’était inévitable : l’odeur des
amandes amères lui rappelait toujours le destin des amours contrariées » (trad. fr. de
A. Morvan, Paris, Grasset, 1987, p. 11).
35. Voir à ce propos le témoignage de Calvino dans l’article intitulé « Se una notte d’inverno
un narratore », Alfabeta, no 8, 1979, p. 4-5.
36. Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur [Se una notte d’inverno un viaggiatore,
1979], trad. fr. de D. Sallenave et F. Wahl, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points », 1995, p. 18.
5
Le Lapin Blanc mit ses lunettes. « S’il plaît à Votre Majesté, demanda-
t-il, par où dois-je commencer ?
– Commencez par le commencement », dit, d’un ton empreint de
gravité, le Roi, « et continuez jusqu’à ce que vous arriviez à la fin ;
ensuite, arrêtez-vous. »
Lewis CARROLL, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles.
citait les incipit homériques comme modèles, notant ensuite, à propos des
Babyloniques de Jamblique (écrivain syrien de langue grecque, du
e
II siècle), que « l’ordonnance de son dessein manque d’art : il a suivi
grossièrement l’ordre des temps et n’a pas jeté d’abord le lecteur dans le
milieu du sujet suivant l’exemple d’Homère 15 ». Selon Huet, la prérogative
du roman, genre alors naissant dont il explorait la ligne d’évolution, était
donc de bouleverser l’ordre temporel chronologique des événements, et la
principale règle de la dispositio consistait à introduire le lecteur au cœur de
l’argument, pour arriver ensuite à une explication.
Pour conclure cet excursus théorique par une réflexion contemporaine,
il faut remarquer que même Gérard Genette, analysant la question de
l’ordre du récit, affirme que l’anachronie (la succession non chronologique
des séquences temporelles de l’histoire) constitue une des ressources
traditionnelles de la narration littéraire, soulignant ensuite la « résistance »
du modèle de début in medias res :
Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est
Arthur Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui
aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C’était après
le déjeuner 24.
In media verba
Oui ou non répondez.
Robert PINGET, L’Inquisitoire.
La prise de parole et son caractère inéluctable, arbitraire, violent : tout
cela est en jeu dans l’œuvre et dans la réflexion théorique des Nouveaux
Romanciers, à partir de la constatation de l’impossibilité de commencer par
le commencement, par ce « je suis né » qui devrait représenter, selon le
narrateur d’un autre roman de Pinget, le début absolu de toute histoire, et
qui se transforme inévitablement en une cacophonie de phrases balbutiantes
dans la série paradoxale d’incipit à la fin du même roman 29. Or, dans cette
forme de raréfaction extrême de la fabula, théorisée par le Nouveau Roman,
seules les imperceptibles variations descriptives peuvent faire bouger une
situation stagnante ; et le seul commencement possible semble être
représenté par le surgissement d’une voix inconnue qui cherche sa propre
parole, ou qui demande une réponse, comme dans L’Inquisitoire, en luttant
contre l’aphasie 30.
La définition même d’in medias res n’a donc plus de sens par rapport à
une forme romanesque qui efface les « choses » en question, à savoir les
événements de l’histoire, en déplaçant radicalement l’énigme du roman du
plan du contenu narratif à celui de la narration : le référent étant la parole
même, le seul événement qui peut faire l’objet d’un récit concerne l’origine
de cette parole et son rapport avec les « obstacles visuels » du monde
environnant ; et l’incipit ne peut que se situer au milieu d’un tel discours,
d’une telle parole – in media verba, donc. Ainsi, dans l’œuvre des
Nouveaux Romanciers, la prise de parole inaugurale semble devenir un acte
inconcevable, placé dans une temporalité ou dans un ailleurs indéfinis d’où,
à un certain moment, un narrateur désormais dénué d’identité émerge,
faisant entendre sa voix, une voix qui semble parler depuis toujours, sans
que l’on sache à qui elle s’adresse. Un exemple de cette modalité est fourni
par l’incipit du Planétarium de Nathalie Sarraute :
L’image proposée par Jean, celle d’une parole écrite qui prolonge un
texte silencieux, pourrait notamment s’appliquer aux formes d’exorde des
romans de Claude Simon, qui semblent entraîner le lecteur au cœur d’une
écriture, plutôt qu’au cœur d’un discours ; en poursuivant les variations
autour de la phrase d’Horace, on pourrait parler d’incipit in media scripta,
qui thématise la genèse même de l’œuvre à travers une coïncidence entre le
début de l’écriture et le début du texte, sans assumer toutefois aucun
caractère inaugural 33. Dans le cas limite d’Histoire, l’incipit se présente
comme apparition, affleurement à la surface de la page blanche d’un écrit
souterrain, d’une parole commencée ailleurs :
Le commencement impossible
J’avais commencé au commencement, figurezvous, comme un vieux
con.
Samuel BECKETT, Molloy.
1. Au-delà de l’aspect temporel, il est aussi possible d’imaginer que tout incipit opère une
coupure sur une parole infinie : Roland Barthes affirme par exemple, à propos de la poésie
épique, que « les premiers mots coupent le fil virtuel d’un récit sans origine », en
soulignant que la fonction du début (le proème) était justement celle « d’exorciser
l’arbitraire de tout début » (cf. R. Barthes, « L’ancienne rhétorique », art. cité, p. 214).
2. Le livre d’Anthony D. Nuttall (Openings. Narrative Beginnings from the Epic to the Novel,
Oxford, Clarendon Press, 1992) analyse justement la problématique de l’incipit
romanesque en termes d’opposition entre les débuts « naturels » et les débuts qualifiés
tantôt de « formels », tantôt d’« artificiels », tantôt d’« interventionnistes » (à savoir in
medias res), proposant ensuite un parcours historique qui s’articule de Virgile à Dickens,
pour terminer enfin par une atténuation du propos initial : « My strong contrast between a
confessedly fictional, interventionist opening (Homer) and a natural beginning (Genesis)
begins to blur, to transform itself perhaps into a weaker antithesis : between culturally
prominent, publicly baptized beginnings, and more fugitive, shyer beginnings, which the
individual artist chooses to make prominent » [« Mon opposition radicale entre une
ouverture explicitement fictionnelle et interventionniste (Homère) et un commencement
naturel (la Genèse) commence à se brouiller, à se transformer peut-être en une antithèse
moins appuyée : entre les commencements qui exhibent leur caractère culturel dans des
baptêmes publics, et les commencements plus fugitifs, plus timides, que l’artiste individuel
choisit de mettre bien en vue »] (p. 211-212).
3. Cf. Horace, De arte poetica, v. 136-152, dans Épîtres, éd. et trad. fr. de F. Villeneuve, Paris,
Les Belles Lettres, 1934, p. 209-211. Horace explicite clairement ces modalités opposées
de commencement, par deux expressions dont l’usage est encore courant de nos jours : ab
ovo et in medias res.
4. L’idée de passage, dont nous avons déjà parlé à propos des topoi de début, est donc
également pertinente dans la situation type de la naissance, qui représente d’ailleurs le plus
radical des passages possibles : le commencement de la vie.
5. Voir notamment l’« Avant-propos » de La Comédie humaine, ainsi que l’incipit de La
Recherche de l’Absolu (cf. infra, chap. 9).
6. Charles Dickens, Souvenirs intimes de David Copperfield [The Personal History of David
Copperfield, 1849], trad. fr. de M. Rossel, A. Parreaux et L. Guitard, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 1954, p. 5. Le récit de la naissance ou la référence aux
origines structurent aussi les débuts de De grandes espérances et d’Oliver Twist. Mais
Dickens n’hésite pas à tourner la question en ridicule dans le premier paragraphe de Martin
Chuzzlewit : « Nul homme ou femme de qualité ayant quelque prétention à une éducation
raffinée ne saurait éprouver de sympathie pour la famille Chuzzlewit sans l’assurance
préalable de l’extrême ancienneté de cette race ; aussi sera-t-on fort aise de savoir que
celle-ci était sans conteste issue en droite ligne d’Adam et Ève, et qu’à ses tout débuts elle
était apparentée de très près aux milieux agricoles » (Charles Dickens, Martin Chuzzlewit
[1843], trad. fr. de F. du Sorbier, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
1986, p. 573).
7. Si l’on considère la construction partiellement passive du verbe anglais to bear (dans le
sens d’« engendrer »), l’expression « I am born » est tout à fait inusuelle, puisque
l’auxiliaire est généralement conjugué au passé (« I was born »).
8. Je signale au passage que même le plus célèbre des romans de George Orwell, 1984,
s’ouvre sur une référence à un temps mesuré : « C’était une journée d’avril froide et claire.
Les horloges sonnaient treize heures » (George Orwell, 1984, trad. fr. de A. Audiberti,
Paris, Gallimard, 1972, p. 11). La dépersonnalisation d’un temps indiqué par les horloges
annonce ici ce monde apocalyptique entièrement ordonné par Big Brother, un monde où les
hommes n’ont plus de prise sur le réel et sur le langage.
9. Jerome D. Salinger, L’Attrape-cœurs [The Catcher in the Rye, 1945], trad. fr. de S. Japrisot,
Paris, Robert Laffont, 1996, p. 9.
10. L. Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme, op. cit., p. 27.
11. Ibid., p. 30. Horace formule notoirement le précepte opposé, en citant comme modèle les
débuts in medias res des poèmes homériques. L’expression ab ovo se trouve au vers 146 de
L’Art poétique, lorsque Horace loue Homère de n’avoir pas commencé l’Iliade par la
naissance d’Hélène (de l’œuf de Léda, transformée en cygne par Jupiter), mais par la colère
d’Achille, et donc in medias res.
12. Ce récit confirme la première théorie de Tristram sur sa propre destinée : en effet, le
forceps utilisé par le médecin aplatit le nez de Tristram, lors de sa naissance, causant aussi
le désespoir de M. Shandy, qui soutient à son tour une autre théorie particulière selon
laquelle la vertu de l’homme serait en relation directe avec la grandeur de son nez
(L. Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme, op. cit., p. 204 sq.).
13. Cf. A.D. Nuttall, Openings. Narrative Beginnings from the Epic to the Novel, op. cit.,
p. 151-170. À propos de Tristram Shandy, l’auteur souligne aussi que dans le roman « an
initial disorientation is created by starting the counter-flow of explanation before the flow
of narration is properly begun ; the inherently problematic character of explanation is then
permitted to loom in the background » [« Le roman produit une désorientation initiale en
faisant débuter le reflux de l’explication avant que le flux de la narration n’ait vraiment
commencé, ce qui permet de garder en toile de fond le caractère essentiellement
problématique de l’explication »] (p. 159). Il faut d’ailleurs remarquer que même le rapport
causal généralement établi entre les origines d’un homme et sa vertu morale est tourné en
ridicule par le narrateur du roman pour qui, bien plus matériellement, la force, la destinée et
la vertu sont une question de spermatozoïdes ; et c’est pour cela que la distraction
paternelle, pendant l’acte de conception, demeure fatale.
14. Horace, De arte poetica, op. cit., v. 148-149, p. 210 : « Semper ad eventum festinat et in
medias res / Non secus ac notas auditorem rapit... »
15. Pierre-Daniel Huet, Lettre-traité sur l’origine des romans [1669], éd. critique de F. Gégou,
Paris, Nizet, 1971, p. 76.
16. G. Genette, Figures III, op. cit., p. 79. La référence à ces deux romans montre que la
volonté de totalisation n’est pas toujours prédominante chez Balzac, dont l’œuvre, comme
on le verra, présente souvent des formes d’exorde plus dynamiques. Même l’incipit-date,
typiquement balzacien, est de ce point de vue ambivalent : la date représente, dans la
fiction, le moment de début de l’histoire, avec une puissante valeur inaugurale ; mais elle a
aussi une fonction référentielle, puisqu’elle situe le début par rapport au continuum du
temps historique.
17. Ce n’est pas un hasard si cette première scène du roman a été régulièrement retranchée,
précisément à cause de son « incongruité » temporelle, dans toutes les adaptations
cinématographiques de l’œuvre, depuis Renoir jusqu’à la plus récente version de Chabrol.
Je souligne aussi que la narration du roman respecte l’ordre chronologique des événements,
tout en produisant dès l’incipit un effet de dramatisation typique de l’ouverture in medias
res : ce qui prouve d’ailleurs que cette forme de début relève moins de l’ordre temporel que
d’un concept dynamique.
18. Sans oublier que l’on peut aussi échapper à la mort annoncée, comme c’est le cas au début
de Cent ans de solitude de García Márquez : le colonel Aureliano Buendía, face au peloton
d’exécution, n’est finalement pas tué, et la suite du roman se présente d’abord comme un
récit rétrospectif, qui ensuite rejoint temporellement le moment du début et qui le dépasse
enfin, en racontant les aventures du personnage tout au long de son existence.
19. Charles Dickens, Un chant de Noël, dans Livres de Noël, trad. fr. de M. Sibon, Paris,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1966, p. 949.
20. Joachim Maria Machado de Assis, Mémoires posthumes de Brás Cubas [Memórias
póstumas de Brás Cubas, 1881], trad. fr. de R. Chadebec de Lavalade, Paris, Métailié,
1989, p. 15.
21. Antonio Tabucchi, Piazza d’Italia [1975], trad. fr. de L. Chapuis, Paris, Christian Bourgois,
1994, p. 13.
22. Ibid., p. 15.
23. Il faut souligner que cette interrogation métanarrative, ironique et problématique à la fois,
n’est pas une prérogative du roman contemporain, comme en témoigne le début de
Scaramouche de Gobineau cité en ouverture du chapitre précédent.
24. Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit [1932], Paris, Gallimard, 1972, p. 15.
Pour l’intérêt de l’analyse, je ne cite que le fragment initial du roman, car l’incipit
correspond, de mon point de vue, au premier chapitre en entier, qui ne présente aucune
fracture formelle ou thématique, et qui annonce l’un des thèmes majeurs du roman : la
guerre comme duperie, tromperie et invention rhétorique. Il est aussi intéressant de
remarquer, dans les premières pages, l’alternance perpétuelle des temps verbaux au présent
et au passé, qui produit un effet de rapprochement et d’éloignement temporel entre la
narration et l’histoire – comme le mouvement fou d’un zoom cinématographique –, en
bouleversant de façon violente les attentes du lecteur.
25. Il faut souligner que, même dans d’autres romans de Céline, le début est lié à l’apparition
fulgurante des personnages, et à une prise de parole énigmatique de ces derniers. Un
exemple : l’étonnante phrase d’attaque de Mort à crédit (« Nous voici encore seuls »), où
l’énigme se concentre surtout sur l’identité de ces « présences ».
26. L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, op. cit., p. 631-632. On peut lire à ce propos le
commentaire de Dominique Rabaté, Poétiques de la voix, Paris, José Corti, 1999, p. 95-
110.
27. Marcel Bénabou, Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres, Paris, Hachette, 1987, p. 7.
28. I. Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur, op. cit., p. 9. Pour un commentaire de cet
incipit, voir le chapitre suivant.
29. Cf. Robert Pinget, Le Renard et la Boussole, op. cit., p. 221-237.
30. Robert Pinget – l’écrivain du groupe qui a le plus clairement exprimé la problématique du
commencement dans ses œuvres – donne d’ailleurs une interprétation génétique de l’incipit
de L’Inquisitoire : « J’ai écrit la phrase Oui ou non répondez qui s’adressait à moi seul et
signifiait Accouchez. Et c’est la réponse à cette question abrupte qui a déclenché le ton et
toute la suite » (« Pseudo-principes d’esthétique », dans Nouveau Roman : hier,
aujourd’hui, Paris, UGE, coll. « 10/18 », 1972, t. II, Pratiques, p. 315). On peut remarquer
un procédé identique de réflexion de l’écriture de l’œuvre dans l’incipit de la troisième
partie d’Autour de Mortin, intitulée « Brouillons » (« Noter tout simplement noter sans
m’interrompre je perds le fil... ») ; pour une analyse génétique de ce début, je renvoie à
l’étude de Jean Verrier, « Au commencement la voix », dans Genèses du roman
contemporain. « Incipit » et entrée en écriture, op. cit., p. 152-165.
31. Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Paris, Gallimard, 1959, p. 7.
32. Raymond Jean, « Ouvertures, phrases-seuils », Critique, no 288, 1971, p. 431.
33. Sur l’aspect génétique de l’œuvre de Claude Simon, on peut lire l’extraordinaire
témoignage de l’auteur même, dans l’ouvrage intitulé Orion aveugle (Genève, Skira, coll.
« Les Sentiers de la création », 1970) ; l’interview « Attaques et stimuli », dans Lucien
Dällenbach, Claude Simon, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Les Contemporains », 1988, p. 170-
181 ; et l’étude de Lucien Dällenbach « Dans le noir », dans le volume maintes fois cité
Genèses du roman contemporain. « Incipit » et entrée en écriture, p. 105-115.
34. Claude Simon, Histoire, Paris, Éd. de Minuit, 1967, p. 9. Je souligne que le début du roman
par une lettre minuscule, qui sera ensuite habituel dans l’œuvre de Philippe Sollers, n’est
pourtant pas une nouveauté : en effet, un premier exemple nous est fourni par Finnegans
Wake de Joyce.
35. Simon lui-même confirme cette hypothèse : « Le train en marche est une bonne image [...].
C’est en effet de cette façon que j’ai commencé à écrire Histoire » ; et il affirme ensuite
préférer le terme « attaque », renvoyant à une idée de connexion de l’écriture, à celui
d’« incipit », plus connoté du point de vue rhétorique (cf. L. Dällenbach, Claude Simon,
op. cit., p. 168 et 171).
36. Samuel Beckett, Molloy, Paris, Éd. de Minuit, 1951, p. 8. Jacques Neefs, dans son
intéressante étude « Commencements chez Beckett » (dans Genèses du roman
contemporain. « Incipit » et entrée en écriture, op. cit., p. 121-150), remarque que le long
paragraphe initial du roman a été écrit à la fin de la rédaction du texte, soulignant ainsi la
réalité génétique de ce chiasme qui s’opère entre le commencement et la fin.
37. Comme dans Murphy, premier roman de Beckett, de 1938 : « Le soleil brillait, n’ayant pas
d’alternative, sur le rien de neuf » ; ou dans le récit Le Calmant, de 1945 : « Je ne sais plus
quand je suis mort. »
38. Samuel Beckett, Compagnie, Paris, Éd. de Minuit, 1980, p. 7. Sur cet « effet de voix » chez
Beckett, voir Dominique Rabaté, Vers une littérature de l’épuisement, Paris, José Corti,
1991, p. 16-38.
39. M. Blanchot, Le Livre à venir, op. cit., p. 286.
40. Sur la question du commencement, voir « La littérature et l’expérience originelle », dans
L’Espace littéraire [1955], Paris, Gallimard, 1986, en particulier p. 238-240. Sur la
transgression de l’écriture, la note introductive et le premier chapitre de L’Entretien infini,
op. cit., p. 1-117. Sur le neutre, le chapitre « L’absence de livre », dans L’Entretien infini,
op. cit., en particulier p. 440-450. Sur la question générale de la « parole errante », de
l’absence et de la disparition de la littérature, voir notamment : « Le chant des sirènes » et
« Où va la littérature ? », dans Le Livre à venir, op. cit. ; les quatre premiers chapitres de
L’Espace littéraire, op. cit. ; « Le langage de la fiction » et « La littérature et le droit à la
mort », dans La Part du feu, Paris, Gallimard, 1949. Références critiques principales :
Daniel Wilhem, Maurice Blanchot : la voix narrative, Paris, UGE, coll. « 10/18 », 1974 ;
Georges Préli, La Force du dehors, Fontenay-sous-Bois, Recherches, 1977 ; Christophe
Bident, « Le secret Blanchot », Poétique, no 99, 1994 ; et en particulier, sur le neutre,
Bernard Comment, Roland Barthes, vers le neutre, op. cit., notamment la partie
« Esthétique : les écritures du neutre ».
41. Pour le développement de cette hypothèse, voir aussi mon article intitulé « Maurice
Blanchot : la folie du commencement », Cahiers de l’Association internationale des études
françaises, no 50, 1998.
42. Maurice Blanchot, L’Arrêt de mort [1948], Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1989,
p. 7.
43. Cf. Roland Barthes, « Drame, poème, roman », dans Sollers écrivain, Paris, Éd. du Seuil,
1979, p. 19-23.
44. M. Blanchot, L’Arrêt de mort, op. cit., p. 7-8.
45. Cf. Maurice Blanchot, « Le roman, œuvre de mauvaise foi », Les Temps modernes, no 19,
1947, p. 1304-1317. Remarquable, et en quelque sorte prémonitoire, est l’affirmation selon
laquelle le roman serait le résultat de la mauvaise foi du langage, « qui réussit à constituer
un monde de mensonge à ce point digne de foi que son auteur même se voit réduit à rien à
force d’y croire » (ibid., p. 1317).
46. M. Blanchot, L’Arrêt de mort, op. cit., p. 8.
47. Ibid., p. 53 et 54.
48. Ibid., p. 126.
49. Maurice Blanchot, Le Pas au-delà, Paris, Gallimard, 1973, p. 131-132. Pour l’analyse de
cet aspect du récit, on peut voir les lectures de Jacques Derrida (« Survivre », dans
Parages, op. cit.) et de Stefano Agosti (« Enunciazione e strutture del rinvio nell’Arrêt de
mort », dans Seminari Pasquali di analisi testuale, no 6, Pise, ETS, 1991).
DEUXIÈME PARTIE
ENJEUX ET FONCTIONS
6
De la séduction
Séduction de la différence
Rien n’est donc moins définissable que cette charge de séduction du
début, puisque les stratégies sont tellement variées que tout incipit constitue
probablement un cas particulier. Pourtant, la littérature critique sur la
question du commencement a maintes fois essayé de repérer des formes ou
des topoi de production d’intérêt dans le roman, se référant surtout à la bien
connue structure narrative de l’énigme. Or, il me semble que la fonction de
séduction du début peut se situer à trois niveaux différents : d’abord, sur un
plan narratif ; ensuite, sur un plan symbolique ; enfin, sur un plan que je
n’hésite pas à qualifier de sensuel, en jouant sur la double acception du mot
– le sens comme signifié, le sens comme perception.
Sur le plan narratif, les principales stratégies de production d’intérêt
sont le début in medias res – précepte de composition qui remonte à
l’Antiquité, formulé notamment, on l’a dit, par Horace dans son Art
poétique –, l’imprévisibilité initiale du récit et, surtout, la formulation
d’énigmes. Je n’insiste pas sur ces points, dont il sera question au cours du
chapitre suivant, et qui ont d’ailleurs fait l’objet de nombreuses analyses
visant trop souvent à lier l’intérêt romanesque à la structure de l’énigme, en
particulier pour ce qui concerne le roman du XIXe siècle 1. Je voudrais en
revanche souligner que toutes ces stratégies, fort classiques dans le roman,
limitent leur effet de séduction à l’attente d’un récit : par une ouverture
violente qui nous fait entrer dans une histoire en cours, et dans un univers
fictionnel déjà peuplé (l’in medias res) ; ou par le début d’un récit dont on
ne peut imaginer la suite (l’imprévisibilité) ; ou enfin par des lacunes
informatives, des énigmes dont on attend le dévoilement. Bref, il s’agit
d’attirer l’attention du lecteur et d’éveiller sa curiosité, plutôt que de le
séduire vraiment, puisque le désir suscité par l’attente est tout simplement
un désir de savoir, que le texte promet de combler, dès son début.
D’ailleurs, toutes ces stratégies d’attente sont tellement connues, réglées et
codifiées qu’elles ne peuvent qu’engendrer, paradoxalement, un sentiment
de certitude chez le lecteur, jouant aussi sur la reconnaissance du genre
romanesque : l’ouverture in medias res et la formulation d’énigmes
constituent en effet autant de signes d’identification du roman et d’une
structure narrative classique.
Le plan symbolique de la séduction se situe en revanche au niveau du
langage, ou plus précisément du code qui permet le contact entre les deux
figures de la communication littéraire. Sans insister sur la fonction de
codification du début – constituée par l’ensemble des signes et des
informations adressés au destinataire de la narration et du texte –, on peut
supposer que le pouvoir de séduction entre en jeu surtout par la
détermination d’un pacte de lecture : stratégie encore une fois classique, si
l’on pense à la plus ancienne figure de l’exorde rhétorique, la captatio
benevolentiae, qui tend toutefois dans les temps modernes à prendre des
formes de plus en plus perverses : celles de l’obstacle, du barrage, voire de
l’interdiction 2. Bien évidemment, toute forme d’interdiction ne peut
qu’attirer le lecteur, en excitant son goût du risque, en l’appelant à franchir
ce seuil défendu. C’est en cela qu’il est possible de parler d’une séduction
symbolique du commencement, puisque toute détermination explicite d’un
pacte de lecture constitue un emblème qui dirige notre lecture, mais dont
nous nous méfions inévitablement : cette détermination ouvre un espace de
doute et d’incertitude, qui ne modifie pourtant ni nos attentes ni nos désirs.
Or, la véritable séduction du début s’exerce – telle est du moins mon
hypothèse – à un niveau tout différent, le niveau sensuel : c’est-à-dire
lorsque le texte nous donne un sentiment de désarroi, de perte, de vertige, à
travers la frustration de toutes nos attentes ; lorsqu’il nous dépossède de
tous nos désirs, jusqu’à nous envoûter et nous contraindre à la recherche
d’un sens caché, d’un sens qui se dérobe dans les abîmes de l’écriture ;
lorsqu’il nous dépouille enfin de notre identité, tout en suscitant en nous,
par des perception sensorielles, de nouveaux fantasmes.
La séduction au sens propre, cet attrait irrésistible qui conduit le lecteur
hors du « bon chemin », se fonde donc sur une idée de différence, sur un
déplacement radical de ce que Hans Robert Jauss appelle l’horizon d’attente
d’une œuvre. Cette forme de séduction se déploie justement quand le
lecteur perd toutes ses certitudes, en percevant l’écart du texte par rapport à
des modèles, à des stéréotypes, à des formes connues. On reconnaît là le
principe même de l’ironie, en tant que signe d’une différence, d’une prise
de distance – même si, lorsque la référence du discours ironique est
explicite, le pouvoir de dépaysement s’affaiblit.
Enfin, c’est probablement en dehors de toute stratégie que la véritable
séduction s’exerce, dans un rapport personnel, c’est-à-dire à travers une
écriture dont la force d’attrait consiste surtout dans son pouvoir stupéfiant :
celui de la surprise, du désarroi, de la frustration des attentes. On pourrait
objecter que rien n’est moins subjectif que ce pouvoir de séduction de
l’écriture ; et aussi que la notion, en quelque sorte « sociale », d’horizon
d’attente ne peut être pertinente dans cette forme de lecture tout à fait
individuelle ici envisagée. Et pourtant, force est de constater que le roman
du XXe siècle – des surréalistes à Beckett, de Queneau aux Nouveaux
Romanciers – est précisément marqué par une volonté d’exhibition de
l’écriture, par une réflexion incessante sur l’acte même d’écrire, sur sa
difficulté, sa précarité, voire sa disparition ; et encore, que le roman du
siècle qui vient de s’écouler est essentiellement le « roman du roman », un
roman qui réfléchit sur lui-même, qui expose sa genèse et son devenir, sous
le sceau d’une poétique désormais incontestable : celle de l’œuvre in fieri.
Voilà donc le grand bouleversement de l’horizon d’attente, et voilà
aussi, peut-être, le point de crise de cette notion, puisque la forme
romanesque que je viens d’évoquer appelle le lecteur à participer à l’acte de
l’écriture, à sombrer dans les abîmes du sens caché, à oublier ses attentes et
ses désirs pour suivre le parcours incertain d’une œuvre en devenir.
Le démon du jeu
L’hypothèse d’une séduction de la différence, liée à un dépaysement des
attentes du lecteur, me semble être confirmée par certaines expériences
d’écriture qui, dans le panorama du roman du XXe siècle, relèvent de la
transgression de toute loi : transgression fondée notamment sur des
procédés ludiques où le jeu, parfois sur le signifiant même, se constitue en
principe de création, tout en imposant de nouvelles règles à l’inventio et de
nouvelles contraintes à l’écriture. Un premier exemple, on le sait, est fourni
par Raymond Roussel dans un ouvrage célèbre : Comment j’ai écrit
certains de mes livres. Roussel y dévoile les mécanismes d’invention et de
construction de ses romans : sur la base de l’ambivalence sémantique de
certains mots, l’écrivain élabore deux phrases presque identiques, dotées de
significations tout à fait différentes, et constituant l’incipit et l’explicit du
texte. Grâce à cet artifice « métagrammatique », l’écriture du récit ne se
caractérise que comme parcours de la première phrase à la seconde, sans
aucune autre motivation 3.
La volonté de construire un roman à partir d’une série de règles précises
et définies à l’avance a été ensuite reprise par les écrivains de l’OuLiPo,
notamment dans le cas des romans « lipogrammatiques » de Georges Perec
(La Disparition et Les Revenentes, dont la contrainte est de ne pas employer
certaines lettres de l’alphabet), ou des dernières œuvres de Calvino dont il
sera ici question. De toute évidence, cette conception particulière du travail
créatif, qui marque peut-être l’un des passages à la postmodernité, ne laisse
aucune place au hasard, à la différence du parcours de création décrit par
Aragon dans l’ouvrage déjà cité Je n’ai jamais appris à écrire ou les
incipit : au contraire, l’invention relève d’une volonté décisionnelle
explicite qui pourtant, dans son jeu de grilles et de parcours obligés, déjoue
toute motivation et tout schéma logique du roman traditionnel.
La définition de ces règles génératives permet ainsi d’escamoter
l’arbitraire de l’inventio, par un choix qui se révèle en réalité encore plus
arbitraire, vu son caractère ludique ; il s’agit toutefois d’un jeu extrêmement
sérieux, qui en arrive à mettre en question tous les procédés visant à
exorciser l’arbitraire du roman, même pour ce qui concerne sa délimitation.
Car la linéarité classique du roman se trouve remplacée par des structures
différentes : récits circulaires, comme dans le premier roman de Queneau,
Le Chiendent, qui commence et se termine par deux phrases identiques ;
récits répétitifs ou potentiels, dans lesquels les notions de début et de fin
n’ont plus de sens 4 ; récits dont la possibilité linguistique même semble être
niée, l’histoire ne pouvant alors trouver sa forme que par l’alignement et la
combinaison d’autres symboles : c’est Le Château des destins croisés de
Calvino.
Or, si l’on revient au pouvoir de séduction du début, cette forme de
roman ludique est probablement la plus envoûtante, puisqu’elle implique
l’adhésion totale du lecteur à un mécanisme inconnu : le principe du jeu,
c’est bien celui d’avoir des règles, qui ne sont pourtant pas explicitées au
lecteur. D’autre part, l’œuvre bâtie sur ces règles est fermée et
potentiellement ouverte à la fois : et c’est justement au lecteur que le geste
de l’ouverture est demandé. Le jeu littéraire pourrait donc représenter un
lieu de perdition, voire un démon qui nous possède... Et Calvino, dans Si
par une nuit d’hiver un voyageur, propose un jeu encore plus dangereux,
qui suscite nos attentes et nos désirs pour les décevoir aussitôt. À ce roman
incontournable dans l’analyse théorique de l’incipit, qui met en scène la
relation problématique de l’écriture et de la lecture, est consacrée la suite de
ce chapitre sur la séduction.
Calvino semble bien « démonter » les cadres de ses récits, pour ranger
ensuite les morceaux épars : et, paradoxalement, cette suite fortuite
compose le seul véritable incipit du roman, d’où un récit potentiel pourrait
jaillir. Le jeu de Calvino met donc en question les frontières de l’œuvre, et
même les catégories logiques du début et de la fin : tous les romans
contenus à l’intérieur du livre sont coupés, c’est-à-dire inachevés, et le seul
début reconnu en tant que tel est le fruit d’un alignement de titres qui, en
réalité, pousse l’histoire vers sa conclusion, puisque les réflexions d’un
autre lecteur rencontré à la bibliothèque provoquent un effet foudroyant
chez le Lecteur-protagoniste :
– Vous croyez que chaque lecture doit avoir un début et une fin ?
Autrefois, les récits n’avaient que deux façons de finir : une fois
leurs épreuves passées, le héros et l’héroïne se mariaient ; ou ils
mouraient. Le sens ultime à quoi renvoient tous les récits comporte
deux faces : ce qu’il y a de continuité dans la vie, ce qu’a
d’inévitable la mort.
Là, tu t’arrêtes un moment pour réfléchir. Puis, avec la soudaineté
de l’éclair, tu te décides : tu épouseras Ludmilla 19.
La lecture du corps
Revenons à l’histoire du Lecteur et de la Lectrice, pour souligner
d’abord que même la structure du récit-cadre repose sur un ensemble de
contraintes précises, que Calvino a dévoilé dans un article au titre
emblématique, « Comment j’ai écrit un de mes livres 20 » : l’auteur y expose
la logique géométrique suivie dans l’écriture des chapitres du récit-cadre, à
travers une adaptation personnelle du modèle carré de la sémiologie
structurale de Greimas, qui règle les différentes relations entre les
personnages, les livres qu’ils lisent ou qu’ils désirent. Il s’agit, encore une
fois, d’une structure parfaite qui trouve son point culminant au milieu du
récit-cadre, dans les chapitres six et sept. Or, c’est justement au septième
chapitre que le Lecteur entre dans la maison de la Lectrice, rencontre
Irnerio, découvre des indices du passé de Ludmilla – y compris sa relation
avec Marana –, et se retrouve finalement au lit (letto : en italien, c’est aussi
le participe passé du verbe lire) avec elle. Nous voilà donc arrivés à la
véritable clef de voûte du roman, où tout se renverse : le premier
renversement est dans la structure du récit, qui se complique dans les six
premiers chapitres, par l’ajout d’un carré supplémentaire à chaque niveau ;
et qui se simplifie, par soustraction, dans les six derniers, alors que
l’histoire du Lecteur se fait de plus en plus fantaisiste et invraisemblable. Le
deuxième renversement, on l’a déjà évoqué, concerne le désir du Lecteur :
désir qui se déplace du livre à la femme 21. Mais cette femme est elle aussi à
lire, l’acte sexuel se transformant en acte de lecture, qui implique tous les
sens :
1. Ce qui n’est évidemment pas le cas de Barthes, puisque son « code herméneutique »
participe en fait à une polyphonie à cinq voix (cf. R. Barthes, S/Z, op. cit.) ; ni celui de
Wolfgang Iser, dont la théorie des Leerstellen se situe sur un plan sémantique qui dépasse
largement le niveau narratif (cf. W. Iser, L’Acte de lecture, op. cit.).
2. Pour un développement analytique à ce propos, voir la première partie du prochain
chapitre.
3. Cf. Raymond Roussel, Comment j’ai écrit certains de mes livres [1935], Paris, Jean-
Jacques Pauvert, 1963, p. 11-25. Voici l’exemple, cité par l’auteur, de deux phrases
d’ouverture et de clôture : « 1° Les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard... » et
« 2° Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard... » (il s’agit ici d’un conte de
jeunesse rattaché à la genèse d’Impressions d’Afrique) ; Roussel explicite ensuite les
différentes acceptions des termes qui changent la signification globale de la phrase (par
exemple, « lettres » comme « signes typographiques » ou comme « missives »). On peut
lire à ce propos les commentaires de Michel Butor, « Sur les procédés de Raymond
Roussel », dans Répertoire I, Paris, Éd. de Minuit, 1960, p. 173-185 ; d’Alain Robbe-
Grillet, « Énigmes et transparence chez Raymond Roussel », dans Pour un nouveau roman,
op. cit., p. 70-76 ; et de Giancarlo Roscioni, L’arbitrio letterario. Uno studio su Raymond
Roussel, Turin, Einaudi, 1985.
4. Un exemple extraordinaire de structure circulaire et répétitive à la fois nous est fourni par
un bref « récit » de John Barth, au titre emblématique de « Frame-Tale ». Cas limite de
provocation postmoderniste, le texte se trouve ici typographié verticalement sur les marges
d’une seule et même page, au recto et au verso, que le lecteur est appelé à découper et
recoller ensuite par les extrémités, après avoir tourné une fois le bout de papier ; et la bande
de Moebius ainsi formée déroule infiniment la phrase suivante : « ONCE UPON A TIME THERE
WAS A STORY THAT BEGAN » (John Barth, Lost in the Funhouse, Londres, Secker &
Warburg, 1969, p. 1-2).
5. Jean Starobinski, « Ponts sur le vide », Littérature, no 85, 1992, p. 10-17.
6. Starobinski clôt son article par un extraordinaire commentaire à propos de Sous le soleil
jaguar, qui représente aussi, à mes yeux, une synthèse efficace et troublante de toute
l’œuvre de Calvino : « L’exercice formalisé a eu fonction d’épreuve initiatique, d’abord
pour briser les bornes trop étroites du moi, pour les fragmenter, ensuite pour atteindre et
dépasser les limites du formalisable. Ainsi Calvino a-t-il rendu justice, par le moyen du
langage et de sa forme, à tout l’informe qui résiste à l’emprise totale du langage :
l’incertaine origine de l’univers, notre chaos de sensations corporelles, notre insaisissable
liberté » (ibid., p. 17).
7. Calvino insiste sur ce point dans un article dévoilant les contraintes de base du roman (« Se
una notte d’inverno un narratore », Alfabeta, no 8, 1979, p. 4-5). Je traduis de l’italien : « La
crise d’identité du protagoniste dérive du fait de ne pas avoir d’identité, d’être un tu dans
lequel chacun peut identifier son moi » (p. 4). Toutes les citations extraites de cet article,
auquel je ferai souvent référence, seront également traduites par moi-même.
8. I. Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur, op. cit., p. 9.
9. Ibid. Cette mise en scène de la lecture se poursuit dans tout le premier chapitre (p. 9-15), où
le narrateur évoque l’achat du livre (lors de l’entrée comique du Lecteur en librairie) ainsi
que l’attente fébrile de sa lecture. Je souligne au passage que le Lecteur (avec une
majuscule) n’est nommé qu’au cours du deuxième chapitre, au moment précis où il
rencontre la Lectrice (p. 35), ce qui confirme l’ambiguïté initiale quant au destinataire de la
narration.
10. Il faut aussi rappeler que le roman s’achève symétriquement par la mise en scène de la
lecture et l’implication du nom d’auteur. Et c’est au lecteur qu’est laissé le mot de la fin :
« Je suis juste en train de finir Si par une nuit d’hiver un voyageur, d’Italo Calvino » (ibid.,
p. 289).
11. I. Calvino, « Se una notte d’inverno un narratore », art. cité, p. 4.
12. Ibid.
13. I. Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur, op. cit., p. 15.
14. Ibid., p. 38-39.
15. Cesare Segre a repéré des sources possibles des incipit de Calvino, ainsi que certaines
références plus ponctuelles, dans un article très exhaustif, « Se una notte d’inverno uno
scrittore sognasse un aleph di dieci colori », Strumenti critici, vol. 13, no 2-3, 1979, p. 178-
214.
16. Il faut toutefois noter que ce rêve d’effacement s’arrête lorsque le narrateur rencontre la
femme désirée, au moment où le récit s’interrompt : une autre mise en abyme de Calvino...
17. Je fais encore référence à l’article de Calvino cité plus haut, « Se una notte d’inverno un
narratore », p. 4.
18. I. Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur, op. cit., p. 286-287.
19. Ibid., p. 287.
20. Cet article a d’abord paru dans la « Bibliothèque oulipienne », no 20, avec un tirage très
limité ; il a ensuite été réédité dans OuLiPo, La Bibliothèque oulipienne, Paris, Ramsay,
1987, t. II, p. 25-44.
21. C’est d’ailleurs un thème récurrent chez Calvino (que l’on pense au récit « L’aventure d’un
lecteur », dans Aventures, Paris, Éd. du Seuil, 1964), qui semble bien nous indiquer que la
lecture et le sexe relèvent finalement du même désir.
22. I. Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur, op. cit., p. 174-175. Je souligne au passage
que le corps de la Lectrice, par le déchiffrement sensoriel qu’il demande, semble avoir la
forme d’un poème, alors que le corps du Lecteur relève plutôt du dictionnaire –
« distribution » sexuelle assez intéressante...
23. Ibid., p. 175-176.
24. Ibid., p. 176.
7
Fonctions et typologie
Comme on le verra dans l’analyse qui suit, les deux premières fonctions
sont transversales et indépendantes, alors que la troisième et la quatrième
sont étroitement liées entre elles, et que leur importance varie selon les cas ;
je propose donc d’appeler les deux premières « fonctions constantes » –
puisqu’elles sont présentes, même implicitement, dans tout incipit –, et les
deux dernières « fonctions variables » 4.
Codification
Te voici donc prêt à attaquer les premières lignes de la première page.
Tu t’attends à retrouver l’accent reconnaissable entre tous de l’auteur.
Non. Tu ne le retrouves pas. Après tout, qui a jamais dit que cet auteur
avait un accent entre tous reconnaissable ? On le sait. C’est un auteur
qui change beaucoup d’un livre à l’autre. Et c’est justement à cela
qu’on le reconnaît.
Italo CALVINO, Si par une nuit d’hiver un voyageur.
Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ;
quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. Par
conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans des
pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en
avant 9.
Et nombreux sont les romans modernes s’ouvrant par des figures ou par
des images d’interdiction 10, jusqu’à évoquer parfois les pièges de la parole
romanesque elle-même : que l’on pense à l’épigraphe citée précédemment
du roman Le Très-Haut, de Maurice Blanchot.
Thématisation
Cette sensation de présence concrète que tu as éprouvée dès les
premières lignes du texte c’est donc celle d’une perte aussi, le vertige
d’une dissolution ; et cela, tu te rends compte à présent que tu l’as
éprouvé, en Lecteur averti, dès la première page, lorsque,
agréablement surpris par la précision de l’écriture, tu as senti qu’en
même temps les choses, à dire vrai, te fuyaient entre les doigts...
Italo CALVINO, « En s’éloignant de Malbork », dans Si par une nuit
d’hiver un voyageur.
L’éternel retour est une idée mystérieuse et, avec elle, Nietzsche a
mis bien des philosophes dans l’embarras : penser qu’un jour tout se
répétera comme nous l’avons déjà vécu et que même cette répétition
se répétera encore indéfiniment ! Que veut dire ce mythe
20
loufoque ?
Information
Je voudrais que tous les détails évoquent ici l’image à la fois d’un
mécanisme de haute précision et d’une suite fuyante de lueurs qui
renvoient à quelque chose qui demeure hors de portée de la vue.
Italo CALVINO, « Dans un réseau de lignes entrecroisées », dans Si par
une nuit d’hiver un voyageur.
Dramatisation Dramatisation
retardée immédiate
Saturation incipit STATIQUE incipit PROGRESSIF
informative (exemple : Balzac, (exemple : Flaubert,
Eugénie Grandet) Madame Bovary)
Raréfaction incipit SUSPENSIF incipit DYNAMIQUE
informative (exemple : Beckett, (exemple : Gide, Les
L’Innommable) Faux-Monnayeurs)
1. Cf. Du Plaisir, « Sentiments sur l’histoire », dans Sentiments sur les lettres et sur l’histoire
avec des scrupules sur le style, éd. critique de P. Hourcade, Genève, Droz, 1975, p. 44 sq.
2. Il faudrait toutefois se demander si les codifications ne sont pas, en réalité, le fruit d’une
élaboration théorique postérieure due à la critique : même le modèle balzacien, comme
nous le verrons plus loin, est beaucoup moins stable que ce que l’on pense généralement,
bien que sa fonction normative reste incontestable. De ce point de vue, la notion
d’« horizon d’attente », définie par Hans Robert Jauss, me semble particulièrement efficace
afin d’apprécier les transformations du genre romanesque, ainsi que des modèles de
commencement, par rapport aux circonstances de réception de l’œuvre et aux désirs, en
perpétuel changement, du public.
3. Iouri Lotman, dans La Structure du texte artistique, op. cit., parle à ce propos d’une
fonction « codante » du début – tel est du moins le terme utilisé par le traducteur, l’adjectif
étant forgé à partir du substantif code, selon son acception linguistique. Je préfère pour ma
part employer l’adjectif codifiant, qui renvoie plus largement aux divers aspects de
« codification » – d’ordre rhétorique, générique et historique – propres à l’incipit
romanesque (cf. infra, la prochaine sous-partie).
4. Cette distinction, centrée sur l’aspect fonctionnel du début, ne correspond évidemment pas
au partage barthésien des cinq codes du texte (cf. S/Z, op. cit.). Par exemple, la fonction de
séduction, comme nous l’avons vu, ne relève pas exclusivement du code herméneutique ; la
fonction codifiante est propre à l’incipit et ne rentre que de façon marginale dans l’analyse
du champ symbolique, de même que la fonction informative n’est pas uniquement
structurée par le code référentiel. En revanche, la fonction thématique est davantage liée au
code des signifiés de connotation, tout comme la fonction dramatique, qui correspond au
code des actions.
5. Voir à ce propos les études de Philippe Hamon : « Texte littéraire et métalangage »,
art. cité, et surtout « Un discours contraint », Poétique, no 16, 1973, où l’auteur dresse une
liste des topoi possibles : « l’éditeur était l’ami de l’auteur qui lui a confié le manuscrit ; le
narrateur raconte une histoire qui lui est arrivée ; le narrateur raconte un événement auquel
il a assisté dans sa profession ; l’éditeur, qui a souffert des passions identiques, publie un
manuscrit dont il garantit la véracité, etc. ». Voici la conclusion de Philippe Hamon : « dans
tous ces cas, il s’agit d’authentifier un acte de parole en en garantissant l’origine. [...] D’où
l’importance des incipit du discours réaliste, pour définir d’emblée, pour le lecteur, un
horizon d’attente réaliste, pour créer aussi vite que possible un effet de réel, un indicateur
de genre » (ibid., p. 434).
6. I. Lotman, La Structure du texte artistique, op. cit., p. 305.
7. Hans Robert Jauss, « L’histoire de la littérature : un défi à la théorie littéraire », dans Pour
une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978, p. 50 [Literaturgeschichte als
Provokation der Literaturwissenschaft, Constance, 1967]. Dans ce chapitre, Jauss pose la
question de l’objectivation de l’horizon d’attente, pour laquelle l’analyse de l’incipit
devient parfois déterminante : « La possibilité de formuler objectivement les systèmes de
références correspondant à un moment de l’histoire littéraire est donnée de manière idéale
dans le cas des œuvres qui s’attachent d’abord à évoquer chez leurs lecteurs un horizon
d’attente résultant des conventions relatives au genre, à la forme ou au style, pour rompre
ensuite progressivement avec cette attente – ce qui peut non seulement servir un dessein
critique, mais encore devenir la source d’effets poétiques nouveaux » (ibid., p. 51). C’est le
cas, selon Jauss, du Don Quichotte de Cervantès, parodie du roman chevaleresque, ou de
Jacques le fataliste de Diderot.
8. Il s’agit, suivant la terminologie proposée par Gérard Genette, de relations transtextuelles,
surtout de type intertextuel (relation de co-présence entre deux ou plusieurs textes) ou
architextuel (relation implicite d’un texte à un ensemble de catégories générales et
transcendantes). Cf. Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris,
Éd. du Seuil, 1982, p. 7-16.
9. Lautréamont, Les Chants de Maldoror, dans Œuvres complètes, Paris, Garnier-
Flammarion, 1969, p. 45. Voir, à ce propos, l’excellent commentaire de Michel Charles
dans Rhétorique de la lecture, op. cit., p. 13-31. La thèse soutenue par le critique est que
« la seule chose qui puisse inciter le lecteur à lire la suite est la curiosité ou le goût du
risque » et donc que la « menace » de cet incipit a la fonction de produire un désir de lire
par la motivation initiale de la lecture.
10. C’est le cas aussi de certains films : par exemple, l’une des œuvres les plus importantes de
l’histoire du cinéma, Citizen Kane d’Orson Welles, s’ouvre par le premier plan d’un
panneau dont l’inscription, en lettres majuscules, nous avertit : « NO TRESPASSING » ; et
ensuite la caméra se déplace en travelling vertical le long de plusieurs grilles en fer,
derrière lesquelles on aperçoit un château lugubre. Le rôle symbolique du début est
d’ailleurs renforcé par un effet de symétrie, puisque la fin du film nous présente la même
séquence à l’envers.
11. R. Barthes, S/Z, op. cit., p. 98-99.
12. Cette thématisation explicite, précepte de composition du roman classique, est aussi un
élément constant du début des poèmes épiques ou chevaleresques, lié à la mise en scène du
poète lui-même : que l’on pense à la colère d’Achille évoquée au commencement de
l’Iliade, ou au chiasme célèbre du premier vers du Roland furieux de l’Arioste : « Le
donne, i cavalier, l’arme, gli amori ».
13. Formes qui me semblent également valables pour la relation thématique entre titre et
incipit, et plus généralement entre péritexte et texte ; mais cette analyse excède mon propos
actuel.
14. M. Proust, Du côté de chez Swann, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. I, p. 3.
Soulignons que le récit de cette expérience n’apparaît dans aucune des nombreuses
« esquisses » du début, mais seulement dans la première version dactylographiée (cf. ibid.,
p. 634-662).
15. Telle est d’ailleurs la remarque des éditeurs de la « Bibliothèque de la Pléiade » (cf. ibid.,
p. 1086), qui ajoutent cependant un troisième mode de composition, historique, en relation
à la fin de la phrase – ce qui me paraît beaucoup moins évident.
16. À propos de ce genre d’énoncés, on peut lire l’article de Gérard Genette, « Le statut
pragmatique de la fiction narrative » (Poétique, no 78, 1989), dans lequel l’auteur engage
un débat sur le statut illocutoire de la fiction avec John Searle, en commentant son ouvrage
Sens et expression (Paris, Éd. de Minuit, 1982).
17. Je cite le texte de l’édition Gallimard, coll. « Folio », 1972, p. 129.
18. Jane Austen, Orgueil et préjugés [Pride and Prejudice, 1813], trad. fr. de V. Leconte et
C. Pressoir, Paris, Christian Bourgois, 1979, p. 19.
19. Searle parle à ce propos d’énoncés gnomiques totalement extrafictionnels, alors que
Genette, se référant à cet incipit et à celui d’Anna Karénine de Tolstoï, soutient que « ce
type de proposition peut introduire dans le texte de fiction des îlots non fictionnels ou
indécidables » (« Le statut pragmatique de la fiction narrative », art. cité, p. 245).
20. Milan Kundera, L’Insoutenable Légèreté de l’être, trad. fr. de F. Kérel, Paris, Gallimard,
1987, p. 13.
21. Ibid., p. 14.
22. La présence d’énigmes, on le sait, est aussi un élément constant du discours romanesque,
voire un présupposé de tout récit. Généralement formulée par les indéterminations
sémantiques du texte (je renvoie à la théorie des Leerstellen de Wolfgang Iser, dans L’Acte
de lecture, op. cit.), l’énigme peut aussi naître, pour ce qui concerne les débuts de roman,
d’une lacune informative initiale conçue comme telle par le lecteur, et donc de la rétention
d’une information que le texte devrait en principe donner : c’est le principe du « code
herméneutique » analysé par Roland Barthes dans S/Z. Il est clair que, pour entretenir ce
désir de lecture initial, la résolution de l’énigme doit être déviée, suspendue et retardée le
plus possible : le texte doit donc promettre une vérité qui, comme le dirait Barthes, est « au
bout de l’attente ». L’énigme se caractérise dans ce cas comme une sorte de « vecteur » qui,
dès le début, finalise la narration ; c’est pour cela que, dans l’incipit romanesque en
général, la rétention d’information est probablement la principale technique de production
d’intérêt.
23. Sur la « construction » de la référentialité propre aux espaces imaginaires, voir l’excellent
ouvrage de Pierre Jourde, Géographies imaginaires. De quelques inventeurs de mondes au
e
XX siècle, Paris, José Corti, 1991.
24. Pour la distinction terminologique entre narration, récit et histoire, je renvoie à la définition
très claire proposée par Gérard Genette (dans Figures III, op. cit., p. 71-76), qui a toujours
été suivie dans cette étude.
25. Voir à ce propos le chapitre 5.
26. À ce propos, Charles Grivel affirme justement que « le texte doit conjecturer sa solution
terminale tout en la dissimulant soigneusement » (Charles Grivel, Production de l’intérêt
romanesque, Paris-La Haye, Mouton, 1973, p. 262 ; sur le début, voir en particulier le
chapitre 2.2, p. 89-97).
8
Évolutions et subversions :
un aperçu historique
... son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux
entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets
rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d’un
pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de
14
souliers forts, mal cirés, garnis de clous .
Zola, comme Flaubert, ouvre son roman sur une action en cours, sans
apporter aucune information sur la temporalité de l’histoire ou sur l’identité
du personnage mis en scène : ce dernier est d’ailleurs tout simplement
nommé, comme si le « rideau » de la fiction s’était levé à l’improviste,
permettant au lecteur de voir ce qui se passe à l’intérieur de l’église ; et ce
même procédé théâtral est répété peu après, au moment de l’apparition de
l’abbé Mouret, personnage caractérisé uniquement par cette énigmatique
« faute » à laquelle fait allusion le titre.
La différence entre ce type de commencement et le modèle statique
balzacien est en effet marquée par une moindre tension informative, et
surtout par la présentation des personnages, ou mieux par leur présence, car
dans l’incipit dynamique c’est justement cette présence – même sous la
forme d’un simple pronom personnel – qui dirige le premier mouvement de
l’histoire. L’évolution des formes d’exorde au XIXe siècle relève donc d’un
changement dans la focalisation initiale du récit, d’un point de vue externe à
un point de vue interne ; telle est d’ailleurs l’hypothèse de Gérard Genette,
soulignant qu’avec Zola on passe d’un type d’incipit où le personnage,
supposé inconnu du lecteur, est d’abord considéré de l’extérieur pour être
ensuite présenté par le narrateur (modèle Balzac), à une autre forme
d’incipit « qui suppose le personnage d’emblée connu, le désignant aussitôt
par son nom, voire son prénom, voire un simple pronom personnel ou
article défini familiarisant 16 ».
La simple désignation des personnages pourrait en effet constituer une
marque d’identification initiale du roman zolien, voire, à la limite, une
indication générique, comme la référence à une date l’est dans le roman
balzacien. Mais surtout, cette forme d’incipit affirme la primauté de la
fiction pure ainsi que de l’aspect narratif du roman : là où Balzac, se posant
en « historien de mœurs », tend à donner le contexte de l’histoire racontée
et s’étend en longues préparations, Zola ouvre l’univers fictionnel sans
préliminaires, jetant le lecteur en pleine action. Et ce commencement
dynamique à focalisation interne est une véritable marque du roman du
e
XX siècle, qui exploite souvent l’exorde in medias res jusque dans ses
Le refus du commencement
Le roman de l’après-guerre, au moins dans ses expressions avant-
gardistes, tend souvent à s’affranchir de toute relation de référentialité,
coupant ainsi ce lien essentiel qui rattache le texte au monde ; le début
coïncide alors avec l’apparition d’une voix entièrement repliée sur elle-
même, qui met aussi en question la possibilité, voire l’existence du récit. De
ce point de vue, le Nouveau Roman propose une interrogation
métanarrative constante que nous avons déjà analysée et définie plus haut
comme modalité de début in media verba ; et, de même, d’autres formes
« réflexives » d’incipit, qui relèvent souvent de l’ordre de l’ironie,
conduisent à une problématisation globale de la narration ainsi que de ses
limites : je pense notamment à l’œuvre des oulipiens. De toute évidence, il
s’agit dans ces cas d’une suspension du commencement – tel qu’il est codé
par la rhétorique, l’histoire du genre et les modèles précédents –, car
l’entrée dans l’univers fictionnel se trouve différée 19. Cependant, rares sont
les romans dans lesquels un tel discours métanarratif s’étale longuement ; et
il faut aussi souligner que ce genre de réflexion problématique n’est pas une
prérogative de la modernité, comme nous l’avons déjà vu.
D’autre part, la suspension du début peut aussi prendre la forme d’une
multiplication des commencements, trait marquant, me semble-t-il, de la
littérature postmoderne : je pense surtout à l’étonnant triple incipit de At
Swim-two-Birds, de Flann O’Brien, ainsi qu’au roman de Calvino que j’ai si
souvent cité, Si par une nuit d’hiver un voyageur ; mais le début multiple
est également une stratégie ancienne et bien connue, qui remonte à Sterne et
Diderot (voire à Rabelais, ce qui complique un peu la délimitation
historique du postmoderne...).
Typiquement « moderne » – ou, disons, datant de la fin de la modernité
– est en revanche la suspension absolue du début et de la narration même : à
son point extrême, l’incipit suspensif se caractérise en effet par un véritable
refus de concevoir le commencement en tant que tel, par la subversion de
toute catégorie logique de l’œuvre littéraire 20. Et l’exemple obligé –
dernière citation qui achève cette histoire des incipit commencée par Balzac
– est fourni par L’Innommable, de Beckett, dont voici le début :
1. Cf. I. Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur, op. cit., p. 197-198.
2. E. Auerbach, Mimésis, op. cit., p. 459.
3. À ce propos, voir encore l’analyse de Barthes dans S/Z, op. cit. : « La loi morale, la loi de
valeur du lisible, c’est de remplir les chaînes causales ; pour cela chaque déterminant doit
être autant que possible déterminé, de façon que toute notation soit intermédiaire,
doublement orientée, prise dans une marche finale » (p. 187).
4. H. de Balzac, Eugénie Grandet, dans La Comédie humaine, op. cit., t. III, p. 1027.
5. Ibid., p. 1030. Il faut aussi souligner la présence d’un incessant discours de commentaire
idéologique du narrateur, référé ici aux vertus du temps passé (« restes vénérables d’un
siècle... »), ainsi que l’effet d’implication du regard du lecteur dans la description, autre
« stylème » balzacien (« vous apercevez un renfoncement... »).
6. C’est le cas, par exemple, de La Chartreuse de Parme, qui s’ouvre par l’évocation d’un fait
historique majeur : l’entrée de Napoléon à Milan en 1796. Voir à ce propos l’article de
Philippe Berthier, « Stendhal n’a jamais appris à écrire ou l’incipit », Recherches et
travaux, hors série no 10, « La Chartreuse de Parme » revisitée, 1990, où l’auteur souligne
la différence du début stendhalien par rapport à la pratique balzacienne, nous livrant aussi
cet intéressant commentaire : « La date, extrêmement précise, ne souffre aucune
approximation parce qu’elle produit dans les annales une fracture déterminante, la fracture
de l’Histoire avec une grande hache, comme dit G. Perec, entre un avant et un après
manichéennement contrastés » (ibid., p. 23-24).
7. Modèle reconnu, faisant donc l’objet de diverses subversions, parmi lesquelles on peut citer
la digression ironique d’un incipit de Nabokov, dans un roman qui date de 1937 : « Un jour
où le ciel était couvert de nuages mais néanmoins lumineux, vers quatre heures de l’après-
midi, le 1er avril 192- (un critique étranger a déjà souligné qu’alors que de nombreux
romans, la plupart des romans allemands par exemple, commencent par une date, seuls les
auteurs russes, dans la tradition d’honnêteté qui caractérise notre littérature, omettent le
dernier chiffre), un fourgon de déménagement, très long et très jaune, accroché à un
tracteur qui était jaune lui aussi, avec des roues arrière hypertrophiées et une anatomie
étalée sans pudeur, vint s’arrêter devant le numéro sept de la rue Tannenberg, dans la partie
ouest de Berlin » (Vladimir Nabokov, Le Don, trad. fr. de R. Girard, Paris, Gallimard,
1967, p. 13). Par devoir d’« honnêteté » critique – à la limite de la pédanterie... –, il faut
souligner que l’ironique affirmation « chauviniste » du narrateur ne correspond pas à la
vérité : la plupart des romanciers russes du XIXe n’omettent pas la date, mais plutôt le lieu
où l’histoire se déroule, indiqué uniquement par une lettre initiale (voir par exemple Crime
et châtiment de Dostoïevski, La Steppe de Tchekhov, Les Âmes mortes de Gogol, Deux
hussards de Tolstoï) ; en revanche, Thomas Mann, au début de La Mort à Venise, n’indique
pas les deux derniers chiffres de la date.
8. Édouard Dujardin, Les lauriers sont coupés [1888], Paris, Le Chemin vert, 1981, p. 3.
9. Jean Rousset, « Madame Bovary ou le livre sur rien », dans Forme et signification. Essai
sur les structures littéraires de Corneille à Claudel, Paris, José Corti, 1962, p. 130. Selon le
critique, ces phases lentes, de rêverie et d’intimité, relèvent aussi d’un changement de
focalisation, lorsque le narrateur abandonne sa vision « objective » pour laisser la place au
point de vue de son héroïne.
10. G. Flaubert, Madame Bovary, dans Œuvres, op. cit., t. I, p. 293.
11. Parmi les nombreuses analyses de cet incipit, je renvoie notamment aux études
sociocritiques de Claude Duchet (« Pour une socio-critique ou variations sur un incipit »,
art. cité) et de Graham Falconer (« L’entrée en matière chez Balzac », dans La Lecture
sociocritique du texte romanesque, op. cit.), où l’auteur, traçant un parallèle avec Balzac,
affirme que Flaubert « nous invite à pénétrer dans un monde qui est censé exister déjà [...].
Là où Balzac aurait parlé d’un de ces Proviseurs, Flaubert dit seulement : le Proviseur [...].
Tout est neuf, au début de Madame Bovary, il faut tout apprendre ». Voir aussi l’article de
Bernard Magné, « Un nous à l’étude », Conséquences, no 15-16, 1992 ; ainsi que l’analyse
de Jean Rousset citée précédemment.
12. Seules les phrases finales du roman, réduisant au minimum l’écart entre le temps de
l’histoire et le temps de la narration par l’emploi du présent, rappellent au lecteur que le
narrateur se présentait au début comme contemporain du protagoniste : « Depuis la mort de
Bovary, trois médecins se sont succédé à Yonville sans pouvoir y réussir, tant M. Homais
les a tout de suite battus en brèche. Il fait une clientèle d’enfer ; l’autorité le ménage et
l’opinion publique le protège. Il vient de recevoir la croix d’honneur » (G. Flaubert,
Madame Bovary, op. cit., p. 611).
13. J. Rousset, Forme et signification, op. cit., p. 113.
14. G. Flaubert, Madame Bovary, op. cit., p. 293.
15. É. Zola, La Faute de l’abbé Mouret, dans Les Rougon-Macquart, op. cit., t. I, p. 1215.
16. Gérard Genette, Nouveau discours du récit, Paris, Éd. du Seuil, 1983, p. 46. Voir aussi la
réflexion précédente, dans Figures III (op. cit., p. 207-208), où le critique définit l’« introït
énigmatique », c’est-à-dire le commencement à focalisation externe, soulignant sa diffusion
dans le roman de la première moitié du XIXe siècle, notamment chez Balzac.
17. Italo Calvino, dans sa « leçon américaine » restée à l’état de manuscrit, souligne également
la diffusion de l’incipit in medias res dans la littérature moderne. Voici la réflexion de
l’écrivain, que je traduis : « Comme la vie est un tissu continu, et comme tout début est
arbitraire, il est alors parfaitement légitime de commencer la narration in medias res, à un
moment quelconque, au milieu d’un dialogue, comme commencent à le faire Tourgueniev,
Tolstoï, Maupassant » (I. Calvino, « Cominciare e finire », art. cité, p. 738).
18. André Gide, Les Faux-Monnayeurs [1925], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1972, p. 11-
12.
19. Je signale aussi un exemple poétique d’œuvre qui suspend son propre commencement :
« Poésie ininterrompue » de Paul Éluard, qui s’ouvre par une ligne de points (voir le recueil
de 1946 qui porte le même titre, dans Paul Éluard, Œuvres complètes, Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1968, t. II, p. 23) ; on peut lire à ce propos le
commentaire de Raymond Jean dans Paul Éluard par lui-même, Paris, Éd. du Seuil, coll.
« Écrivains de toujours », 1968, p. 103-104.
20. Un exemple en est fourni par le dernier roman de Pier Paolo Pasolini, de publication
posthume, Pétrole : œuvre fragmentaire, hétéroclite, indéfinissable – qu’il serait même
difficile de qualifier de work in progress, tellement elle est dépourvue d’aspect téléologique
–, inachevable et explicitement incommençable, dès sa première page qui ne porte que trois
lignes de points de suspension et une note, en bas : « Ce roman n’a pas de début » (Pétrole,
Paris, Gallimard, 1995, p. 19) ; et le texte italien, dans l’édition établie par A. Roncaglia
(Turin, Einaudi, 1993), me semble encore plus péremptoire : « Questo romanzo non
comincia. » On peut lire à ce propos l’étude de Massimo Fusillo intitulée « Négation du
commencement », dans Commencements du roman, textes réunis par Jean Bessière, Paris,
Honoré Champion, 2001, p. 141-158 ; et plus généralement, sur la question qui nous
intéresse, l’article de Jean Bessière, « L’incommencement du commencement : Carlos
Fuentes, Gertrude Stein, Nathalie Sarraute », qui se trouve dans le même volume, p. 187-
211.
21. Samuel Beckett, L’Innommable, Paris, Éd. de Minuit, 1953, p. 7.
22. Parmi les nombreux commentaires de cet incipit, je renvoie notamment à celui de Claude
Duchet dans l’article déjà cité « Pour une socio-critique, ou variations sur un incipit », où
l’auteur affirme que « la phrase de Beckett exhibe, pour les constituer en texte, les
questions de tout incipit, ou plutôt choisit comme texte la problématique du texte ; alors
que la phrase “réaliste” tente de l’esquiver en donnant des réponses » (p. 10-11).
23. S. Beckett, L’Innommable, op. cit., p. 7-8.
24. L. Aragon, Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit, op. cit., p. 140-141.
25. À propos de Beckett, voir notamment le chapitre « Où maintenant ? Qui maintenant ? »,
dans Le Livre à venir, op. cit., p. 286-295.
26. S. Beckett, L’Innommable, op. cit., p. 8.
27. Ibid., p. 213.
28. Samuel Beckett, Soubresauts, Paris, Éd. de Minuit, 1989. Voir à ce propos le bref article de
Maurice Blanchot (« Oh tout finir », Critique, no 519-520, 1990, p. 637) qui donne
l’interprétation suivante de la phrase finale : « Entendons bien les paroles ultimes : Temps
et peine et soi soi-disant – soi soi-disant, ce n’est pas le bégaiement ou le hoquet final, mais
le soi ne peut s’affirmer seul, s’il est soi, il est encore le soi qui parle, le soi qui dit et ainsi
(humour, sarcasme terminal) le soi-disant, le prétendument, l’illusoirement soi, un simple
soi-disant. »
TROISIÈME PARTIE
ÉCRITURES
DU COMMENCEMENT
CHEZ BALZAC
9
Ainsi est une œuvre d’art. Elle est, dans un petit espace, l’effrayante
accumulation d’un monde entier de pensées, c’est une sorte de résumé.
Honoré de BALZAC, « Des artistes »,
La Silhouette, 11 mars 1830.
Un acte de démiurge
La constitution d’un univers fictionnel réglé par les lois de l’analogie et
de la causalité, si puissamment affirmées, ne peut que relever d’un geste de
création : Balzac rêve d’une prise de parole qui soit un véritable acte de
genèse du monde représenté, dans la volonté illusoire de remonter à l’in
principio, au commencement absolu, aux causes premières. D’une telle
conception dérive, nous l’avons vu, une poétique du roman qui assigne un
pouvoir créateur à l’incipit, en l’assimilant, dans le monde parallèle de la
fiction, au fiat lux divin ; et, une fois les ténèbres dissipées, les « principes
générateurs » doivent être exposés à travers l’explication des causes, ou à
travers des descriptions au grand pouvoir évocateur, comme par exemple
celle de la maison Claës, au début de La Recherche de l’Absolu.
La prise de parole est ainsi enveloppée d’une aura de silence, dans la
mesure où l’incipit se présente comme un seuil infranchissable : l’univers
même de la fiction ne peut exister en dehors d’un discours qui semble le
faire naître du néant. L’aspect fondamental de la vision balzacienne de
l’œuvre romanesque réside en effet dans la volonté de création d’un monde
qui, tout en gardant une forte liaison référentielle, se structure de façon
autonome par rapport au réel : un monde plein, régi par des principes
internes, peuplé de personnages en papier, qui réapparaissent dans les
différentes œuvres de La Comédie humaine 15. Or, dans cette autonomie du
monde représenté, le début trouve sa justification en légitimant une prise de
parole qui échappe à l’arbitraire, précisément grâce à l’exposition claire
d’une frontière absolue et infranchissable ; et, dans sa forme extrême de
« naturalisation », l’incipit coïncide donc avec la naissance du personnage,
comme dans Louis Lambert, roman paru en 1832 :
C’est que jamais romancier n’était entré avant lui aussi intimement
dans cet examen de détails et de petits faits qui, interprétés et choisis
avec sagacité, groupés avec cet art et cette patience admirables des
vieux faiseurs de mosaïques, composent un ensemble plein d’unité,
25
d’originalité et de fraîcheur .
L’obsession de la complétude
La visée synthétique du commencement, qui se fonde sur l’analogie et
sur le rôle symbolique du détail, est également liée à une visée génétique,
voire génératrice, qui assigne au début une fonction de « cause première »,
dévoilant donc cette volonté obsessionnelle qui hante l’écriture
balzacienne : la complétude de la représentation. Le texte d’ailleurs ne cesse
de l’affirmer par ses perpétuelles justifications liminaires, qui cherchent à
légitimer la prise de parole, la composition du roman ainsi que le rôle
idéologique du narrateur, et dont l’abondance ne peut que devenir suspecte.
Or, une telle entreprise totalisante est manifestement utopique, le désir
même d’un commencement qui soit un acte de genèse étant voué à l’échec ;
toutefois, c’est précisément la frustration d’un tel désir qui semble motiver
ces justifications réitérées, puisque la pratique de l’écriture, comme nous le
verrons plus loin, est souvent tout à fait différente.
L’idée d’exhaustivité que le texte balzacien exprime constamment passe
ainsi par l’affirmation d’une prétendue universalité de la représentation, qui
résume les principes d’analogie et de causalité ; paradoxalement, on
retrouve ce fantasme totalisant en ouverture de certaines ébauches restées à
l’état de manuscrit. Voici par exemple le début des Héritiers Boirouge :
Tout est vrai dans le monde réel ; mais la plupart des choses vraies
deviennent invraisemblables dans cette histoire des mœurs qu’on
nomme le Roman ; aussi les historiens du cœur humain doivent-ils,
pour rendre le vrai vraisemblable, donner toutes les racines d’un
fait. C’est ce qui constitue les longueurs, tant blâmées par les
critiques lorsqu’ils n’ont plus autre chose à reprocher, et c’est là la
raison de cette introduction.
On comprendrait difficilement le principal personnage de cette
histoire, l’un des quelques caractères encore neufs qui restent à
peindre, sans une rapide analyse de son enfance, laquelle ne manque
pas d’ailleurs de leçons pour tout le monde et de sujets de réflexion
pour le moraliste 37.
1. Honoré de Balzac, La Comédie humaine, éd. publiée sous la direction de P.-G. Castex,
Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1976-1981, t. X, p. 51. Toutes les
citations, sauf indication contraire, renvoient à cette édition de référence.
2. Ce désir, ainsi que ses échecs, a fait l’objet de plusieurs commentaires critiques, parmi
lesquels je ne cite que les études de Lucien Dällenbach (« La Comédie humaine et
l’opération de lecture », Poétique, no 40, 1979, et no 42, 1980) et de Nicole Mozet (Balzac
au pluriel, Paris, PUF, 1990), dont la lecture m’a été précieuse.
3. À propos de l’image récurrente du miroir concentrique, que Balzac emprunte à Leibniz, je
renvoie à l’étude de Stéphane Vachon, « Balzac au miroir : concentration et
communication », dans La Vie romantique. Hommage à Loïc Chotard, textes réunis par
André Guyaux et Sophie Marchal, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 2003,
p. 523-538 ; ainsi qu’à mon article « Balzac postpostmoderne. L’œuvre-miroir, l’œuvre-
réseau, l’hyper-roman », dans Penser avec Balzac, sous la direction de J.-L. Diaz et
I. Tournier, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 2003, pp. 213-224.
4. H. de Balzac, La Recherche de l’Absolu, dans La Comédie humaine, op. cit., t. X, p. 657.
5. Plusieurs lettres célèbres, rédigées à cette époque, témoignent d’une telle volonté, tout en
affirmant les principes de construction du « monument » balzacien : « Les Études de
mœurs représenteront tous les effets sociaux [...]. La seconde assise sont les Études
philosophiques, car après les effets, viendront les causes [...]. Dans les Études de mœurs
sont les individualités typisées ; dans les Études philosophiques, sont les types
individualisés. [...] Puis après les effets et les causes, viendront les Études analytiques dont
fait partie la Physiologie du mariage, car après les effets et les causes doivent se rechercher
les principes. [...] Ainsi l’homme, la société, l’humanité seront décrites, jugées, analysées,
sans répétitions, et dans une œuvre qui sera comme les Mille et Une Nuits de l’Occident »
(H. de Balzac, Lettres à Madame Hanska, éd. établie par R. Pierrot, Paris, Robert Laffont,
coll. « Bouquins », 1990, lettre du 26 octobre 1834, t. I, p. 204). On peut aussi lire à ce
propos le commentaire de Stéphane Vachon dans « Construction d’une cathédrale de
papier », essai d’ouverture de son ouvrage de référence Les Travaux et les Jours d’Honoré
de Balzac. Chronologie de la création balzacienne, Presses universitaires de Vincennes –
Presses du CNRS – Presses de l’université de Montréal, 1992, p. 15-41.
6. Il s’agit du folio 166 du manuscrit, cité dans l’édition de la « Bibliothèque de la Pléiade »
par Madeleine Ambrière (cf. l’« Histoire du texte », t. X, p. 1572).
7. H. de Balzac, La Recherche de l’Absolu, dans La Comédie humaine, op. cit., t. X, p. 657-
658.
8. Ibid., p. 658. La définition de ces rapports de cause à effet, souvent introduite par certaines
expressions stéréotypées telles que « voici comment » ou « voici pourquoi », constitue dans
les romans de Balzac une sorte de « collant logique » qui cache les lacunes et qui assure la
« lisibilité » du texte : « tout se tient », dirait Barthes, ou, mieux, tout a l’air de se tenir par
ce masque de détermination causale qui, comme le soutient Genette, dissimule la
« fonctionnalité des éléments du récit » – telle est la loi de l’illusion réaliste (cf. G. Genette,
« Vraisemblance et motivation », dans Figures II, op. cit., p. 97).
9. Ibid., p. 667.
10. Maurice Bardèche, Balzac romancier, Paris, Plon, 1943 [réédition abrégée par rapport à
l’édition originale de 1940], p. 384. Gaëtan Picon insiste également sur la valeur
« dramatique » du discours balzacien : « Autant qu’une façon de faire comprendre, l’art des
préparations, si remarqué et si remarquable, est une façon de faire attendre : “préparations
didactiques”, dit Balzac, préludes dramatiques plutôt. Tout en exposant les raisons et les
causes du drame, il s’agit surtout, dès le début, d’en faire pressentir l’imminence » (Gaëtan
Picon, « Balzac et la création romanesque », dans L’Usage de la lecture, Paris, Mercure de
France, 1963, t. II, p. 25).
11. Jean Rousset remarque à ce propos que la première page de La Recherche de l’Absolu
fournit un bon exemple de « prolifération du discours explicatif, que Balzac destine non
seulement à ces lecteurs “voraces” qui supportent mal les retards et les pauses où ils ne
voient que longueurs, mais aussi à ses pairs, qu’il encourage à prendre leurs
responsabilités, à ne pas céder à la démagogie éditoriale » (J. Rousset, Le Lecteur intime.
De Balzac au journal, op. cit., p. 44).
12. On peut voir notamment les études d’Henri Mitterand (« La préface et ses lois : avant-
propos romantiques » et « Le prologue de La Fille aux yeux d’or », dans Le Discours du
roman, Paris, PUF, 1980, p. 21-46), de Françoise Van Rossum-Guyon (« Des nécessités
d’une digression : sur une figure du métadiscours chez Balzac », Revue des sciences
humaines, no 175, 1979, p. 99-110) et de Jean Rousset (« L’inscription du lecteur dans La
Comédie humaine », dans Le Lecteur intime. De Balzac au journal, op. cit., p. 37-54).
13. La visée polémique du discours préfaciel est aussi soulignée par Henri Mitterand, qui
affirme : « Rares sont les préfaces de l’époque qui ne pourfendent pas la critique comme
institution ou les critiques comme catégorie » (Le Discours du roman, op. cit., p. 27).
14. H. de Balzac, Les Chouans ou la Bretagne en 1799, dans La Comédie humaine, op. cit.,
t. VIII, p. 905.
15. On connaît, d’ailleurs, l’importance du principe du retour des personnages dans la
conception de l’œuvre globale : sa mise en place remonte au Père Goriot, dont la première
partie parut à la fin de 1834, seulement trois mois après la publication de La Recherche de
l’Absolu.
16. H. de Balzac, Louis Lambert, dans La Comédie humaine, op. cit., t. XI, p. 589.
17. H. de Balzac, Lettres à Madame Hanska, op. cit., lettre du 6 février 1844, t. I, p. 804.
18. Balzac avait en effet rédigé plusieurs versions d’une « espèce de préface » – un fragment
d’introduction portant sur le caractère du personnage et sur l’intérêt de son histoire –,
éliminée ensuite pour commencer la « Notice biographique sur Louis Lambert » par le récit
de la naissance du personnage (cf. H. de Balzac, Louis Lambert, dans La Comédie
humaine, op. cit., t. XI, p. 1492-1504).
19. Cf. Roland Barthes, « L’effet de réel », art. cité, p. 168-173.
20. R. Barthes, S/Z, op. cit., p. 61. On peut lire aussi l’intéressant ouvrage d’Isabelle Mimouni,
Balzac illusionniste. Les arts dans l’œuvre de l’écrivain, Paris, Adam Biro, 1999.
21. Je renvoie ici à la lettre, déjà citée, à Mme Hanska du 26 octobre 1834.
22. Cette partie est extraite d’un article intitulé « Les poissons de Bosch, ou le détail enflé. Une
lecture balzacienne », publié dans Le Détail, études réunies par L. Louvel, La Licorne,
numéro hors série – Colloque VII, 1999, p. 85-102. Je reviendrai plus loin, dans le dernier
chapitre de cette étude, sur ce leitmotiv qu’est la description architecturale, jouant aussi le
même rôle de concentration, notamment par ses détails.
23. H. de Balzac, « Note » de la première édition des Scènes de la vie privée (1830), reproduite
dans l’édition citée de La Comédie humaine, t. I, p. 1174-1175.
24. On peut voir les deux introductions, signées par Félix Davin, aux Études philosophiques
(1834) et aux Études de mœurs au XIXe siècle (1835, même si ce texte a été rédigé avant
l’autre), reproduites dans l’édition citée de La Comédie humaine (cf. en particulier t. I,
p. 1153-1154 et t. X, p. 1208) ; ces deux textes fondamentaux, on le sait, ont été fortement
inspirés par Balzac lui-même.
25. Cette réflexion apparaît presque identique dans les deux introductions que je viens de citer
(cf. t. I, p. 1154 et t. X, p. 1208). Sur l’importance de ces deux textes dans la nouvelle
esthétique du détail qui s’impose au XIXe siècle, on peut lire l’introduction, sous forme de
dialogue, au volume collectif Pouvoir de l’infime. Variations sur le détail (Saint-Denis,
Presses universitaires de Vincennes, coll. « Culture et société », 1997), signée par
Luc Rasson et Franc Schuerewegen (« Le peu d’existence », p. 7-14) ; et, pour ce qui
concerne la théorie du détail balzacien, ainsi que sa pratique dans la genèse du texte, voir
dans le même volume l’intéressant essai de S. Vachon, « “On ne relit une œuvre que pour
ses détails” » (p. 111-122). Je tiens aussi à signaler l’étude de Joëlle Gleize, « “Immenses
détails”. Le détail balzacien et son lecteur », dans Balzac et la tentation de l’impossible,
études réunies par R. Mahieu et F. Schuerewegen, Paris, SEDES, 1998, p. 97-106.
26. On peut lire, à ce propos, l’article de Lucien Dällenbach « D’une métaphore totalisante, la
mosaïque balzacienne », Lettere italiane, vol. 33, no 4, 1981, p. 493-508 ; ainsi que son plus
récent ouvrage intitulé Mosaïques, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Poétique », 2001, notamment
p. 103-114.
27. Je fais ici référence au second volet de l’essai de Dällenbach sur La Comédie humaine et
l’opération de lecture, où l’auteur analyse efficacement les failles du système prétendument
totalitaire, ainsi que la menace d’éparpillement qui hante à chaque instant le texte balzacien
(cf. notamment « Le tout en morceaux », Poétique, no 42, 1980, p. 164-165).
28. Sur ce point, je ne peux donc pas suivre l’analyse de Dällenbach, selon laquelle le
doublement des objets décrits par un commentaire métalinguistique trahit « l’opacité du
concret ou son incapacité à fonctionner comme symbole » (« Le tout en morceaux »,
art. cité, p. 165) ; mais, dans la description balzacienne, tout porte à croire que le
« concret » a déjà été évacué par le symbole – bien plus transparent que le réel –, dont la
surmotivation linguistique n’est que l’effet de son pouvoir de concentration.
29. H. de Balzac, La Peau de chagrin, dans La Comédie humaine, op. cit., t. X, p. 69.
30. Ibid.
31. Ibid., p. 70.
32. Ibid., p. 71-72.
33. Non par hasard, dans la suite de la description, le héros trouve dans le magasin de sublimes
œuvres d’art – représentations symboliques par excellence –, et la scène se clôt sur le
célèbre « hymne » à Cuvier, celui qui a su résumer « les mœurs de toutes les nations du
globe » (ibid., p. 74-78). Sur ce passage, et sur le système de référence scientifique du
roman balzacien en général, on peut lire l’essai de Jacques Neefs, « La localisation des
sciences », dans Balzac et la Peau de chagrin, études réunies par Claude Duchet, Paris,
CDU-SEDES, 1979, en particulier p. 129-132.
34. H. de Balzac, Les Héritiers Boirouge ou Fragment d’histoire générale, dans La Comédie
humaine, op. cit., t. XII, p. 389.
35. Il est aussi intéressant de souligner la construction identique de la phrase : « avant de la
décrire, peut-être faut-il établir la nécessité... » / « avant d’entreprendre le récit, il est
nécessaire de... » ; il s’agit d’expressions typiques du texte balzacien – et donc
inévitablement suspectes – qui ont à la fois une fonction de connexion entre différents
types de discours (introduisant, par exemple, des descriptions ou des commentaires) et
d’explication des liaisons causales, assurant ainsi la cohésion logique et sémantique du
texte.
36. Cf. Lucien Dällenbach, « Le tout en morceaux », Poétique, no 42, 1980, p. 165.
37. H. de Balzac, Le Théâtre comme il est, dans La Comédie humaine, op. cit., t. XII, p. 588.
38. Cet effet de renversement – ou de dévoilement de la dissimulation – a été remarqué par
Gérard Genette, lorsqu’il affirme que l’abondance suspecte des motivations « ne fait pour
nous que souligner, en fin de compte, ce qu’elles voudraient masquer : l’arbitraire du
récit » (G. Genette, « Vraisemblance et motivation », dans Figures II, op. cit., p. 85).
D’autant plus suspecte est l’affirmation incessante de l’importance de la liaison causale,
puisqu’elle comporte, comme l’a remarqué Gaëtan Picon, une intervention de réflexion
critique dans l’œuvre « qui tend à présenter comme fiction, artifice, création n’existant
qu’en fonction de la littérature, un monde qui, par ailleurs, a la prétention d’être non
seulement la réalité même, mais toute la réalité » (G. Picon, L’Usage de la lecture, op. cit.,
t. II, p. 19-20).
10
1829-1830
Corsino avait reçu une éducation brillante et très soignée. Son esprit
avait, pour ainsi dire, dévoré le savoir. Il aurait passé pour très érudit
auprès des savants de tous les genres. Il consuma sa première
jeunesse dans l’étude de toutes les sciences qui sont le partage des
imaginations fortes et la philosophie métaphysique termina ses
3
études .
Le narrateur se lance alors dans une longue méditation philosophique à
propos des opinions de Corsino, suivie de quelques descriptions, sans que
l’histoire annoncée puisse jamais commencer. Dans un autre incipit
commentatif d’une ébauche romanesque à peine postérieure (Une heure de
ma vie, dont il ne reste qu’une dizaine de pages manuscrites), nous trouvons
un premier exemple de justification de la prise de parole, suivant les détours
de la narration d’un « je » qui se présente à la fois comme l’objet même du
récit – si bien que l’on pourrait penser à un roman d’analyse – et comme le
centre thématique du premier chapitre, intitulé « Moi » :
Cette annonce est suivie d’une réflexion sur l’idée même d’« histoire »,
à la fin de laquelle le narrateur affirme, sans doute pour la première fois
chez Balzac, l’importance du lien causal :
Le public a été tant de fois surpris dans les pièges tendus à sa bonne
foi par des auteurs dont l’amour-propre et la vanité croissent, chose
difficile, aussitôt qu’il s’agit de livrer un nom à sa curiosité, que
nous croyons bien mériter de lui en suivant une marche toute
contraire.
Nous sommes heureux de pouvoir avouer que notre sentiment a été
partagé par l’auteur de cet ouvrage – il manifesta toujours une
aversion profonde pour ces préfaces semblables à des parades, où
l’on s’efforce de faire croire à l’existence d’abbés, de militaires, de
sacristains, de gens morts dans les cachots, et à des trouvailles de
manuscrits, qui font épancher sur des créatures postiches tous les
trésors de la sympathie. Sir Walter Scott a eu cette manie, mais il a
eu le bon esprit de se moquer lui-même de ces superfétations qui
ôtent de la vérité à un livre 8.
L’édifice balzacien se dessine donc dans les paroles d’un auteur fictif
qui restera confiné dans l’espace des manuscrits, puisque cet avertissement
ne sera jamais publié ; et même si les principes exposés seront repris
ultérieurement, le choix d’un tel abandon représente de toute façon un
tournant essentiel dans la stratégie balzacienne d’ouverture et de
justification du commencement. En effet, à partir du moment où il efface les
pièges paratextuels, Balzac assume pleinement les obligations de la
narration romanesque, en élaborant, justement avec Le Dernier Chouan,
son modèle d’exorde le plus répandu.
Par rapport aux romans de jeunesse, l’ouverture des Chouans est plus
résolument narrative, annonçant toutefois dès le début une description que
le narrateur balzacien justifie en termes d’utilité, sur le ton habituel de la
polémique contre la critique. Mais l’aspect le plus intéressant de cet incipit
est que le temps et l’espace – dimensions essentielles de tout
commencement – ont subi une transformation radicale : d’une part, les
indications sont en effet extrêmement précises, voire redondantes par la
référence au calendrier révolutionnaire ; d’autre part, elles renvoient à une
temporalité et à une spatialité connues, par le rapprochement à l’histoire
contemporaine. L’incipit devient donc le point d’ancrage du texte à une
réalité référentielle, produisant ainsi un effet de réalisme ; et par son
caractère informatif, il comble les attentes du lecteur, en répondant aux trois
questions fondamentales qui concernent le temps, l’espace et les
personnages.
Dans le cas des Chouans, le temps de la fiction est désigné au moyen
d’une date précise et par l’évocation d’un moment décisif de l’histoire de
France ; et cette référence, intégrée même dans le sous-titre du roman,
constitue un topos de l’ouverture réaliste, prenant ainsi la valeur d’une
véritable indication générique (que l’on pense aussi à certains sous-titres
stendhaliens, comme Armance, ou quelques scènes d’un salon de Paris en
1827, ou Le Rouge et le Noir, chronique de 1830). Les personnages
présentés au début du texte – le groupe de conscrits bretons – font ensuite
l’objet d’une description soignée, au sein de laquelle de nombreux indices
narratifs sont cependant intégrés. Enfin, la description de l’espace de
l’histoire, quelques pages plus loin, confirme ce changement de statut, sa
fonction n’étant plus seulement poétique et informative, mais aussi
dramatique : le paysage de Bretagne, évoqué selon les canons de la
description romantique, devient toutefois, à travers le regard du colonel
Hulot, un lieu de bataille, de périls et d’embuscades 12. Balzac, en définitive,
abandonne la forme de description statique de ses romans de jeunesse,
encore présente dans les essais romanesques de 1826-1827 de l’Histoire de
France pittoresque, pour une forme plus dynamique qui cherche un
équilibre entre la volonté informative et l’exigence d’une dramatisation
initiale.
L’ouverture des Chouans fournit donc un premier exemple d’incipit
progressif, organisé selon la « structure profonde » propre à l’exorde
réaliste – déjà évoquée dans la première partie de cette étude –, qui repose
sur une stratégie de réponse globale : il s’agit d’un début narratif que l’on
pourrait définir comme « ponctuel », car il fixe d’emblée les coordonnées
spatio-temporelles de l’histoire racontée. C’est un modèle extrêmement
connu qui s’affirme chez Balzac avec les Scènes de la vie privée de 1830 et
avec les premiers Romans philosophiques (titre original des Études
philosophiques) de la même période : par un incipit ponctuel s’ouvrent, par
exemple, Un épisode sous la Terreur, La Vendetta, Les Dangers de
l’inconduite (premier titre de Gobseck), Le Rendez-vous et L’Expiation
(successivement intégrés à La Femme de trente ans), Le Chef-d’œuvre
inconnu et Le Réquisitionnaire.
Cette forme d’incipit, qui est aussi exploitée, entre autres, par Stendhal
et Alexandre Dumas, présente en général chez Balzac un schéma assez
régulier : le texte commence par une détermination temporelle, suivie de la
présentation d’un ou de plusieurs personnages, et d’une indication spatiale.
L’incipit ponctuel, en raison de sa diffusion dans l’ensemble de l’œuvre,
constitue le véritable modèle balzacien 13 ; et ses variantes internes
concernent tantôt la détermination de la temporalité, plus ou moins précise,
tantôt l’identification des personnages, qui peuvent être immédiatement
nommés ou rester longtemps inconnus, selon une stratégie classique du
roman : la formulation initiale d’une énigme qui vise à susciter l’attente de
sa résolution.
Or, ce modèle de début qui s’affirme dans les années 1829-1830 pose le
problème de la détermination du temps et de l’espace romanesques par
rapport à la temporalité et à la spatialité de référence, à cet univers que
Balzac rêve d’englober dans l’œuvre même. De ce point de vue, il faut
souligner que l’incipit ponctuel ne répond nullement à la volonté totalisante
qui commence à se dessiner, précisément durant cette période, dans la
conception balzacienne : cette forme d’exorde, en effet, découpe le temps et
l’espace de la fiction dans le continuum temporel et dans l’infini spatial de
l’univers de référence, elle délimite un fragment au lieu d’englober une
totalité, grâce aussi à une stratégie narrative qui opère un passage direct
dans l’histoire, sans retours en arrière d’ordre explicatif, au moins dans les
premiers récits de La Comédie humaine.
Il semble alors que l’indication d’une date, élément toujours prééminent
dans le début ponctuel, réponde moins à la volonté d’un commencement
absolu 14 qu’à l’exigence de naturalisation du début même, par la référence à
une temporalité connue et à une réalité historique qui renforce logiquement
le caractère vraisemblable du texte : référence « obligatoire » du discours
réaliste, qui, selon certains critiques, a pour conséquence de limiter les
possibilités combinatoires du texte dans le respect de la vérité historique 15.
Toutefois, il me semble que l’aspect le plus important, dans le cas de
Balzac, est que le lien établi par l’indication d’une date ne se pose pas en
termes de coïncidence entre le temps historique et le temps romanesque,
mais plutôt en tant que passage de la réalité à la fiction : on peut
effectivement supposer que la détermination d’un point dans la suite
temporelle implique un effet de clôture de l’univers référentiel, signalant
justement un passage dans l’ouverture du monde fictionnel, qui assume
immédiatement son autonomie par la mise en scène de personnages
imaginaires.
La particularité de l’indication temporelle est donc de s’insérer dans un
continuum qui présuppose une antériorité, et en même temps de marquer
par un détachement l’entrée dans un autre univers, moins connoté par la
mimèsis que par une référence, encore une fois, à un savoir : la date évoque
un moment historique et, plutôt que de renvoyer à la réalité du monde, elle
se réfère à la parole du monde sur l’histoire, à cet « univers de pensées » qui
se concentre autour de ses chiffres.
Enfin, quand le personnage inconnu est lui aussi décrit, au cours d’un
passage en focalisation externe qui insiste sur la singularité de son
habillement, le lecteur a l’impression de se trouver face à un tableau qui,
dans sa représentation détaillée de l’apparent, ne dévoile aucun mystère. On
revient donc à la conception picturale de la description ; utilisant la figure
rhétorique de l’hypotypose, Balzac donne à voir au lecteur un tableau
animé, qui englobe non seulement la maison, mais aussi le personnage
qui la contemple, en disséminant des indices narratifs jusqu’au moment où
l’événement si désiré et tant attendu se produit :
En ce moment, une main blanche et délicate fit remonter vers
l’imposte la partie inférieure d’une des grossières croisées du
troisième étage, au moyen de ces coulisses dont le tourniquet laisse
souvent tomber à l’improviste le lourd vitrage qu’il doit retenir. Le
passant fut alors récompensé de sa longue attente. La figure d’une
jeune fille, fraîche comme un de ces blancs calices qui fleurissent au
sein des eaux, se montra couronnée d’une ruche en mousseline
froissée qui donnait à sa tête un air d’innocence admirable. Quoique
couverts d’une étoffe brune, son cou, ses épaules s’apercevaient,
grâce à de légers interstices ménagés par les mouvements du
sommeil. Aucune expression de contrainte n’altérait ni l’ingénuité
de ce visage, ni le calme de ces yeux immortalisés par avance dans
les sublimes compositions de Raphaël : c’était la même grâce, la
même tranquillité de ces vierges devenues proverbiales 20.
1. Les « romans de jeunesse » – déjà objet, naguère, d’une remarquable analyse de Maurice
Bardèche citée plus haut (Balzac romancier) – sont désormais considérés par la critique
moderne moins comme des essais imparfaits d’une phase d’apprentissage de l’art
romanesque que comme des œuvres esthétiquement autonomes. Les premiers « essais
romanesques » (1818-1823), présentés par R. Chollet et R. Guise, ont été d’ailleurs réédités
dans les Œuvres diverses de la collection « Bibliothèque de la Pléiade » (édition établie
sous la direction de P.-G. Castex, t. I, 1990) ; alors que les huit romans de jeunesse achevés,
écrits entre 1822 et 1825 et publiés sous pseudonyme, ont fait l’objet d’une réédition
récente sous le titre Premiers romans, 1822-1825 (éd. établie par A. Lorant, 2 vol., Paris,
Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999).
2. C’est le cas de Falthurne, Manuscrit de l’Abbé Savonati, traduit de l’italien par
M. Matricante, instituteur primaire (roman inachevé dont la rédaction remonte à 1820,
pour lequel je renvoie au premier volume des Œuvres diverses, op. cit., p. 676-715). Je
signale que la plupart des œuvres de jeunesse présentent des éléments paratextuels d’ordre
quelque peu ludique, voire parodique, comme le « Prologue » de Clotilde de Lusignan
(1822), l’« Avertissement » du Centenaire (1822), ou la préface d’Annette et le criminel
(1824) ; et parfois, l’ironie propre à ce jeu paratextuel transparaît dès l’indication même du
texte : que l’on pense à la « Préface qu’on lira si l’on peut » du Vicaire des Ardennes
(1822), ou au « Roman préliminaire, c’est-à-dire Préface » de L’Héritière de Birague
(1822).
3. H. de Balzac, Corsino, dans Œuvres diverses, op. cit., t. I, p. 859.
4. H. de Balzac, Une heure de ma vie, dans Œuvres diverses, op. cit., t. I, p. 869.
5. Ibid., p. 869-870.
6. Le Gars fut d’abord conçu pour le projet de l’Histoire de France pittoresque
(cf. S. Vachon, Les Travaux et les Jours d’Honoré de Balzac, op. cit., p. 85-86), tout
comme d’autres romans dont il ne reste que des ébauches très brèves, datant probablement
de 1826 ou 1827. Ces fragments – qui se rattachent aussi à la genèse de L’Enfant maudit,
même si rien n’est passé dans le texte définitif de ce roman publié en 1831 (cf. l’éd. citée
de La Comédie humaine, t. X, p. 1709-1717) – présentent, dans la description initiale des
côtes de Normandie, une comparaison entre l’aspect de la ligne côtière et le signe
graphique des lettres V et W, qui n’est pas sans rappeler les X et V tracés sur la façade de la
maison du « chat-qui-pelote », ou la réflexion sur l’« allure contrariée » du Z dans les
premières pages de Z. Marcas, dont il sera question dans le dernier chapitre de cette étude.
Je crois qu’il n’est pas exagéré de voir dans cette inscription graphique une ultérieure
référence « livresque » de la représentation balzacienne : au moment où la parole crée un
univers fictionnel, c’est-à-dire au début du texte, une coïncidence spectaculaire s’opère
entre les objets de la réalité et les signes de l’alphabet, comme si la lettre avait « couvert »
le monde.
7. H. de Balzac, « Avant-propos » de La Comédie humaine, dans La Comédie humaine,
op. cit., t. I, p. 11.
8. H. de Balzac, Avertissement du « Gars », dans La Comédie humaine, op. cit., t. VIII,
p. 1669.
9. Victor Morillon aussi contribue donc à la définition du personnage de Louis Lambert ; et,
autre élément d’anticipation, à la fin de cette « biographie » de l’auteur fictif se trouve la
première référence à l’image du speculum mundi : « Cette âme était enfin, selon la
magnifique expression de Leibniz, un miroir concentrique de l’univers » (ibid., p. 1675).
10. Ibid., p. 1683.
11. H. de Balzac, Les Chouans ou la Bretagne en 1799, dans La Comédie humaine, op. cit.,
t. VIII, p. 905.
12. Ibid., p. 919-921. Sur cet incipit, on peut lire l’intéressant commentaire de Francesco
Fiorentino dans son Introduzione a Balzac, Rome-Bari, Laterza, 1989, p. 38-43.
13. Il s’agit d’ailleurs d’un modèle reconnu en tant que tel et soumis – comme tout modèle
peut-être – à de nombreuses contestations, parodies ou dénégations (que l’on pense aux
incipit, cités précédemment, des Fleurs bleues de Queneau et de L’Innommable de
Beckett).
14. Comme le soutient Raymond Jean, dans son analyse de la forme de l’incipit-date : « Ce
genre de début a évidemment une capacité d’ouverture extrêmement forte, puisque tout le
silence antérieur, tout l’avant du roman s’abolit et se cristallise d’un seul coup dans la
désignation ponctuelle d’une date, dans l’affleurement d’un moment, d’un point précis du
temps » (cf. R. Jean, « Ouvertures, phrases-seuils », art. cité, p. 424-425).
15. Voir notamment l’article cité de Philippe Hamon, « Un discours contraint », p. 425-426.
16. H. de Balzac, La Maison du chat-qui-pelote, dans La Comédie humaine, op. cit., t. I, p. 39.
17. Je reviendrai sur ces inscriptions « graphiques » au cours du dernier chapitre de cette étude.
18. Ibid., p. 39-40.
19. Ibid., p. 40. Tout de suite après, le regard du personnage s’arrête aussi sur l’enseigne de la
boutique : « GUILLAUME, SUCCESSEUR DU SIEUR CHEVREL » ; et, à propos de
l’aspect graphique de cette enseigne, Raymonde Debray-Genette souligne justement que
« nous rencontrons là, pour la première fois, une curieuse particularité qui semble attachée
au procédé de perspective en approche, une sorte de zoom littéral autant que littéraire,
puisque les lettres sont typographiées en majuscules et attirent l’œil dans la page »
(cf. R. Debray-Genette, « Traversées de l’espace descriptif », art. cité, p. 332).
20. H. de Balzac, La Maison du chat-qui-pelote, dans La Comédie humaine, op. cit., t. I, p. 43.
21. En revanche, la médiation picturale qui s’effectue ici est une infraction à la structure de la
scène de première rencontre chez Balzac, comme l’affirme Jean Rousset en soulignant les
deux temps de cette rencontre : le premier, qui nous est révélé par la suite du récit, lorsque
Théodore aperçoit le visage d’Augustine et en fait le portrait ; le second, lorsque Augustine
voit le tableau exposé au Salon et rencontre le peintre. Il faudrait pourtant ajouter, dans
l’intervalle entre ces deux temps, la scène que je viens de citer, où l’image d’Augustine,
dans le cadre de la fenêtre, est comparée justement à un tableau (cf. J. Rousset, Leurs yeux
se rencontrèrent, op. cit., p. 56-57).
22. Ce détail incohérent, renvoyant à l’image d’une étoffe légère et froissée, anticipe peut-être
la destinée du personnage d’Augustine, la violence de son amour contrasté et rapidement
non partagé, jusqu’à la faillite de son mariage et à la mort (voir mon article « Les poissons
de Bosch, ou le détail enflé. Une lecture balzacienne », dans Le Détail, op. cit., p. 97-101).
23. Voir les « Premières ébauches » de Gloire et malheur, dans La Comédie humaine, op. cit.,
t. I, p. 1180.
24. Alex Lascar, « La première ébauche de La Maison du chat-qui-pelote », L’Année
balzacienne, 1988, p. 104.
25. H. de Balzac, « Premières ébauches » de Gloire et malheur, dans La Comédie humaine,
op. cit., t. I, p. 1182.
26. Ibid. Anne-Marie Meininger, dans sa présentation des trois ébauches du début – toujours
dans l’édition citée de La Comédie humaine –, souligne aussi l’importance d’un tel
tournant : « De ces trois premiers essais cancellés, le premier est incontestablement le plus
intéressant. Il révèle que Balzac avait tout d’abord conçu un début absolument différent,
dans la forme et surtout dans le fond, de celui qu’il élaborera finalement. Il propose donc
un cas assez exceptionnel dans la création balzacienne et peut-être capital dans l’histoire de
son évolution. Historique et physiologique, cette première conception de Gloire et malheur
porte la marque de l’auteur du Dernier Chouan et de la Physiologie du mariage, alors que
le deuxième essai est déjà l’œuvre de l’auteur des Études de mœurs et de La Comédie
humaine » (ibid., t. I, p. 1178).
27. H. de Balzac, « Premières ébauches » de Gloire et malheur, dans La Comédie humaine,
op. cit., t. I, p. 1183.
28. Alex Lascar, suivant le parcours des variantes au fil des éditions successives (dans son
article « Le début de La Maison du chat-qui-pelote : de la seconde ébauche à l’édition
Furne », L’Année balzacienne, 1989), souligne en particulier que l’impression d’antiquité
et de fragilité de la maison est constamment renforcée ; et que la présentation de
Sommervieux, personnage d’abord obscur et mystérieux, est de plus en plus banalisée :
signe peut-être d’une moindre identification de l’auteur dans ce personnage, qui constituait
certainement, lors de la rédaction du récit, l’un des premiers « doubles » fictifs de Balzac
(voir à ce propos Pierre Citron, Dans Balzac, Paris, Éd. du Seuil, 1986, p. 70-71).
11
L’écriture difficile
CHAPITRE PREMIER
GROSS-ASPERN
Le 16 mai 1809, vers le milieu de la journée 10
Dans le noir
Les dossiers des manuscrits balzaciens dont nous disposons aujourd’hui
sont presque toujours lacunaires en ce qui concerne les étapes génétiques
antérieures à la rédaction : notes, brouillons, plans, scénarios. S’agit-il du
résultat d’une dispersion, voire d’une destruction volontaire de la part de
l’auteur ? Stéphane Vachon, dans un récent état des lieux général des
manuscrits, se demandait cependant si ces éléments ont existé, car le doute
est permis 13.
Sans vouloir prétendre dans le cadre de cette étude apporter une
réponse, qui serait de toute façon conjecturale, il est toutefois important de
souligner que l’analyse des commencements balzaciens, au niveau des
manuscrits, dévoile un mouvement d’écriture où le début de la genèse
semble coïncider avec la genèse du début : une écriture « à processus »,
donc, qui se cherche tout en assignant au commencement de la rédaction
une fonction inaugurale. Et le terme même utilisé par Balzac,
« tâtonnement 14 », témoigne d’un mouvement, celui du premier geste
d’écriture, qui s’effectue « dans le noir » – image évoquée par ailleurs à
propos de Claude Simon, exemple suprême d’écriture à processus 15.
Or, Balzac n’est pas Claude Simon... et le « programme » d’écriture
existe. D’une part, on en retrouve les traces dans la correspondance, source
intarissable d’informations sur les désirs et les apories de la création, où
cependant la vision de l’œuvre à venir relève souvent de l’ordre du
fantasme plutôt que de la définition d’un véritable programme – je viens
d’ailleurs d’évoquer le cas exemplaire de La Bataille. D’autre part, les
dossiers manuscrits présentent parfois des éléments schématiques, sous la
forme d’hypothèses d’œuvres, de résumés narratifs (notamment dans
l’album Pensées, sujets, fragments), ou bien de listes de chapitres ou de
personnages. Le fait que ces éléments aient été conservés, essentiellement
pour les œuvres de jeunesse et pour les œuvres inachevées, incite à penser
que peut-être, dans les autres cas, des plans existaient et qu’ils ont été
détruits à la fin de la rédaction, ou après la publication de l’œuvre – par un
acte d’exorcisation qui serait pourtant contraire au fétichisme souvent
affiché par Balzac, voyant dans le manuscrit un objet précieux, à donner et
à dédicacer pour sa valeur affective, ou bien à conserver pour sa valeur
marchande.
Quoi qu’il en soit, il faut souligner que les rares résumés narratifs dont
nous disposons sont vraiment très sommaires – il suffit de penser au sujet
du Père Goriot de l’album Pensées, sujets, fragments, et à l’écart entre ces
quelques lignes et l’ampleur du manuscrit 16 – et que les listes de chapitres
conservées sont plus synthétiques que préparatoires. Surtout, elles semblent
avoir été établies, dans tous les cas, en cours de rédaction, donc après le
commencement de l’écriture 17. Parmi les nombreux exemples qui
confirment cette hypothèse, je ne mentionnerai que deux cas où les plans
surgissent après une interruption de la rédaction, définissant ainsi une
structure sur la base d’un commencement déjà écrit et non programmé : il
s’agit de César Birotteau et de l’ébauche intitulée Un caractère de femme.
Dans le premier cas, les manuscrits témoignent des difficultés du
commencement : il existe en effet trois faux départs qui remontent à
l’automne 1833 et six autres versions du début, au verso des premiers
feuillets du manuscrit, qui datent du mois d’avril 1834, lorsque Balzac en
arrive à écrire les trente premières pages du texte 18. Mais la rédaction
s’interrompt, et c’est après ce commencement que Balzac élabore une liste
des personnages et deux plans du roman, sous la forme de listes des
chapitres, que l’on peut lire sur les deux pages de titre 19. La définition de
ces plans aurait donc eu la fonction de relancer l’écriture, sans d’ailleurs y
parvenir, étant donné que la rédaction ne sera reprise qu’en 1837.
Le cas d’Un caractère de femme, dernière œuvre conçue et commencée
par Balzac, est encore plus étonnant 20. Pour ce roman inachevé, dont il ne
reste que trois ébauches, nous disposons en effet de deux listes, l’une des
personnages et l’autre des scènes, très étendues et pour cela uniques dans le
corpus des manuscrits balzaciens ; or, comme le souligne Anne-Marie
Meininger, ces listes ont été composées après les ébauches, à savoir après
ces trois tentatives de commencement – la lecture de ces textes, ainsi que
l’emplacement du titre et la numérotation des pages prouvent qu’il s’agit de
trois faux départs – qui sont redistribuées dans le plan des scènes où Balzac
leur assigne la deuxième, la dixième et la douzième place. La définition de
la structure de l’œuvre comporte donc l’intégration des trois
commencements interrompus ; et ce mouvement génétique mène à un
paradoxe extraordinaire, celui d’une œuvre qui a eu trois débuts et qui n’en
a finalement aucun, la première scène n’ayant jamais été rédigée 21.
Franc Schuerewegen voit dans cette définition du plan la raison même
de l’interruption, évoquant l’image d’un Balzac-Orphée qui perd son
histoire au moment où il se retourne sur elle. Cependant, s’il est certain que
« l’histoire existe déjà dans l’esprit de l’écrivain, sous la forme d’un
scénario 22 » – ce qui est généralement confirmé par la correspondance –, il
est aussi évident que ce scénario est, au moment d’entrée dans l’écriture,
pour le moins peu structuré ; et l’absence de programme liminaire est
prouvée non seulement par les interruptions, les hésitations et les faux
départs, dont il sera question par la suite, mais aussi par un mouvement
typique de la genèse balzacienne qui est exactement celui du retour en
arrière, du réaménagement du début et de la structure du texte : mouvement
visible dans les nombreux cas où, en cours de rédaction, en fin de rédaction
ou sur épreuves, le commencement original a été remplacé, déplacé ou
supprimé, ce qui implique que le plan a été établi après le premier élan de
l’écriture 23.
Cette absence de programme jette donc une lumière nouvelle sur la
poétique de la composition chez Balzac, le début étant non seulement le lieu
de construction d’un univers romanesque, mais aussi le point d’ancrage
d’une structure, l’ouverture d’une longue phase de « préparation » du drame
qui trouve en réalité sa définition après le commencement. En cela, la
genèse de l’œuvre chez Balzac semble fournir un exemple, assez
extraordinaire, d’écriture « à processus » et « à programme » : d’une
écriture qui se cherche d’abord, ou qui part à l’aventure, pour se structurer
ensuite, lorsque le plan se précise, pendant ou même après la rédaction du
manuscrit, selon les mouvements typiques de variation, d’amplification et
de découpage structural propres aux placards et aux épreuves corrigées 24.
Si l’incipit « final » – notion évidemment contestable dans la genèse
balzacienne, à cause de tous les remaniements du début au fil des éditions –
est donc le fruit d’une incessante variation, le commencement du manuscrit
se caractérise en tout cas par son pouvoir de création : geste inaugural
d’autant plus fatidique qu’il ouvre un espace indéfini – de désir et de
recherche –, espace de construction de l’œuvre qui se fonde aussi sur les
échecs et les interruptions de l’écriture.
Interruptions : la dynamique
de la réouverture
La question de l’interruption concerne les deux objets génétiques dont il
est question, les ébauches et les faux départs : ces derniers font partie
intégrante des avant-textes d’une œuvre qui construit son commencement
sur la base de ces tentatives, par un mouvement de répétition ; alors que les
premières, en raison d’un acte d’abandon, ne sont finalement que les avant-
textes d’elles-mêmes, sauf dans les nombreux cas où elles participent à la
genèse d’autres textes, dans l’enchevêtrement typique de la création
balzacienne.
Pour ce qui concerne les ébauches – en quelque sorte institutionnalisées
par leur publication intégrale dans l’édition de la « Bibliothèque de la
Pléiade », mais dont la plupart n’excèdent pas une dizaine de feuillets
manuscrits –, plusieurs études ont déjà évoqué les multiples raisons de
l’inachèvement 25. Je voudrais donc proposer ici, à propos de l’interruption,
une simple constatation « textuelle », qui me semble pourtant avoir une
valeur générale, concernant à la fois les débuts d’œuvres abandonnées et les
faux départs. On peut en effet aisément remarquer que, dans la plupart des
cas, ces débuts s’interrompent au milieu d’une ligne, d’une phrase, voire
d’un mot 26. L’abandon semble donc être instinctif : Balzac ne prend pas le
soin de terminer ses phrases, d’achever le sens afin de pouvoir
éventuellement se relire, corriger et repartir. Bref, le commencement ne
dégage pas l’énergie nécessaire pour continuer, l’écriture n’arrive pas à
trouver le déclic essentiel pour sa poursuite. Car un déclic existe dans le
début : c’est un rebondissement par lequel le texte se relance, c’est un
« second temps » de l’incipit – exemple génétique de cette géométrie
variable du début dont il a été question dans la première partie de cette
étude.
Le commencement balzacien se fonde en effet sur un mécanisme de
relance, de réouverture qui opère tant au niveau de l’écriture qu’à celui de
la lecture : stratégie essentielle afin de pouvoir entrer définitivement dans
l’espace de la fiction, et de pouvoir y impliquer le lecteur 27. Bien entendu,
les idées de déclic et de réouverture sont forcément vagues et un peu
aléatoires, d’autant plus que les stratégies formelles qui engendrent ce
dynamisme sont multiples, au point de le rendre difficilement définissable.
Mais ce mécanisme de rebondissement semble être toujours présent, par
l’ouverture d’un second temps de l’incipit qui peut prendre des formes
différentes : expansion descriptive, commentaire métanarratif ou
idéologique, développement d’une structure (comme dans le cas de
l’antithèse), déploiement d’une scène narrative qui suit la « préparation »
initiale. Et le déclic – élément commun, et moins évident, à toutes ces
stratégies de réouvertures – serait à chercher dans une sorte de stabilisation
de la voix narrative, d’une voix qui, à un moment donné, après le
commencement, semble s’imposer lorsqu’elle a bâti son monde, lorsqu’elle
y a entraîné le lecteur.
Cette stabilisation de la voix est aussi le signe d’une maîtrise sur la
matière romanesque qui se construit pendant l’écriture même du
commencement, par la recherche d’une réouverture qui relève tantôt de
l’ordre dramatique – lorsque l’incipit implique un rebondissement narratif
(par exemple, dans Le Colonel Chabert) ou lorsque la phase de préparation
fait attendre une scène (dans La Maison du chat-qui-pelote, pour ne citer
qu’un texte assez court où ce mouvement est visible dans les premières
pages) –, tantôt de l’ordre structural, quand le second temps du début se
caractérise en tant qu’expansion : que l’on pense à l’inévitable
rebondissement descriptif qui suit l’incipit narratif ponctuel.
Dans tous ces cas, la stabilisation de la voix s’opère par une
intervention de régie, parfois discrète, de la part du narrateur. Mais la
recherche de stabilité peut aussi passer par une intervention beaucoup plus
directe, qui prend la forme d’un déploiement vertigineux du discours de
commentaire, voire d’un appel au lecteur. Dans La Fille aux yeux d’or, par
exemple, l’histoire ne peut s’amorcer qu’après le long tableau parisien
construit sur la base d’un discours idéologique, une fois que le narrateur a
donc bâti et ordonné son monde en affirmant les lois et les principes qui le
régissent (que l’on pense aussi à La Recherche de l’Absolu). De même, les
nombreux cas où le narrateur s’adresse directement à son destinataire –
sujet souvent vague, et en cela figure du lecteur – témoignent de la
recherche d’une légitimation du récit, par laquelle la voix peut se stabiliser.
Le célèbre « avertissement » au lecteur, dans la première page du Père
Goriot (« Ah ! sachez-le : ce drame n’est ni une fiction ni un roman. All is
true 28 »), est l’exemple emblématique d’une voix qui trouve sa consistance
par un acte autoritaire, ouvrant ainsi un long développement descriptif et
statique – la présentation des pensionnaires de la Maison Vauquer – où
l’omniscience du narrateur n’est finalement qu’un piège, en ce qu’elle
cache l’essentiel sur les personnages et sur leurs relations. Et d’une manière
générale, dans tous les cas ici évoqués, l’impression est que la voix
narrative trouve sa stabilité une fois que le narrateur n’a plus besoin de
justifier sa prise de parole, une fois que le récit est donc légitimé. Il est
d’ailleurs intéressant de constater que, pour ce qui concerne l’appel au
lecteur, l’omniprésent « vous » de plusieurs incipit balzaciens disparaît
régulièrement après les premières pages, lorsque le texte a trouvé sa
réouverture.
Tel est le cas de La Peau de chagrin, exemple parfait d’une recherche
de stabilité qui s’effectue par des stratégies à la fois dramatiques,
structurales, discursives et d’implication du lecteur, dont il sera question
dans le chapitre suivant. Je me limite donc ici à une rapide allusion, car, si
l’incipit évoque l’arrivée à la maison de jeu du Palais-Royal d’un jeune
personnage qui est, au début du roman, encore inconnu, c’est en réalité le
lecteur qui est appelé à entrer, dès le troisième paragraphe du texte :
« Quand vous entrez dans une maison de jeu, la loi commence par vous
dépouiller de votre chapeau 29 » ; et quelques lignes plus loin, ce même
lecteur est formellement averti, sur le ton autoritaire habituel, des dangers
du jeu. C’est alors à ce lecteur dépouillé de tout, dépossédé même de son
identité, que le narrateur pose, ou impose, au seuil de la salle de jeu, la
question fatidique qui ponctue, matériellement et symboliquement, la
réouverture du texte : « Essayez de jeter un regard furtif sur cette arène,
entrez 30 ? » Et une fois ce seuil intérieur franchi, le narrateur n’a plus aucun
besoin de justifier l’intérêt de son récit, ni de s’adresser à un lecteur
désormais capturé.
Pour terminer cette réflexion sur la réouverture, ce déclic qui suit le
commencement pourrait donc être figuré comme une sorte de « pli », et le
début ne serait alors que la face visible de l’œuvre, qu’il faudrait déplier
afin de pouvoir pénétrer à l’intérieur de l’œuvre même : image d’ailleurs
analogue à celle d’une page tournée, par un acte qui réunit, dans ce cas
aussi, l’expérience de l’écriture et de la lecture, car, si le lecteur tourne la
page pour entrer, ou se faire entraîner, dans le monde fictionnel, l’écrivain
accomplit le même acte une fois qu’il est entré dans l’écriture, lorsqu’il a
dépassé le cap de la première page – cap symbolique, bien évidemment, à
l’ampleur variable.
Or, dans les ébauches, ce cap ne semble jamais être franchi, si bien que
certains débuts abandonnés présentent des signes de clôture, plutôt que de
réouverture : à ce propos, Franc Schuerewegen remarque très justement que
l’ébauche intitulée Perdita est une sorte de « miniature narrative » qui se
construit comme une « phrase herméneutique » parfaitement achevée,
conduisant de la mise en énigme à la solution, et qui empêche donc tout
déploiement ultérieur de l’écriture 31. Mais il est aussi évident que, dans les
ébauches les moins étendues, ni les modèles formels, ni les leitmotive
thématiques propres au commencement ne suffisent à lancer l’écriture,
puisque la voix narrative ne peut pas se stabiliser au début – lieu
d’hésitation, plutôt, et de balbutiement.
En revanche, dans les faux départs, l’écriture arrive, après de nombreux
tâtonnements, à trouver son parcours, à franchir ce seuil intérieur de la
réouverture, en raison certainement d’un programme moins vague, mais
surtout d’un effort de répétition : Balzac recommence et recopie ses
tentatives, afin de se frayer un chemin, de relancer l’écriture en ouvrant ce
second temps de l’incipit qui constitue le véritable point d’entrée dans
l’univers fictionnel. Plutôt qu’à l’image évoquée d’un Balzac-Orphée, il
faudrait ici songer à celle d’un Balzac-Sisyphe, qui reprend à chaque fois sa
pénible montée, avec son rocher d’encre, par un sentier presque identique
au précédent, jusqu’au moment où il trouve le chemin le moins escarpé.
La Vieille Fille
La Vieille fille
À la fin du mois d’octobre 1816, vers huit heures du soir, un
étranger atteignit un endroit désert, dans la ville de Tours dans la
ville de Tours, un endroit désert nommé le Cloître, et y attendit
pendant un quart d’heure environ qu’il passât un habitant auquel il
pût demander quelque renseignement sur la situation du logis où il
se rendait. mais Il perdit patience en entendant sonner huit heures un
quart à l’horloge du séminaire sans que personne eût paru, et il prit
la résolution d’aller frapper à la porte de la première maison qu’il
rencontrerait 41
La vieille fille
Sur les neuf heures du soir et vers la fin du mois d’octobre, l’abbé
Birotteau, surpris par une averse en revenant d’une maison où il
avait été passer la soirée, traversait, aussi vite que son embonpoint
pouvait le lui permettre, une petite place déserte, nommée le Cloître,
et qui se trouve à Tours derrière le chevet de la cathédrale Saint-
Gatien 45.
Plus d’« étranger », donc, dans cette forme exemplaire d’incipit
ponctuel : Birotteau, dans la fiction balzacienne, habite déjà à Tours où il
est vicaire de l’église de Saint-Gatien. Le début donne ainsi tous les
éléments basilaires du récit, par une information synthétique mais complète,
dont l’effet totalisant deviendra encore plus marqué dans l’édition Furne,
avec la substitution de l’indication temporelle indéfinie par une
détermination historique (« Au commencement de l’automne de l’année
1826 ») et avec la présentation de l’abbé Birotteau comme le « principal
personnage de cette histoire ».
Cette attaque narrative permet alors d’envisager la réouverture par une
expansion descriptive de ce qui était seulement nommé dans le premier
paragraphe, à savoir le personnage et le lieu de l’action 46. D’abord, dans un
paragraphe essentiellement informatif, le narrateur présente l’abbé
Birotteau en faisant allusion à ses ambitions ecclésiastiques, et notamment à
son rêve de devenir chanoine ; pour donner ensuite une description du
cloître Saint-Gatien qui intègre de nombreux éléments des versions
abandonnées, avec plus de détails, mais qui d’autre part « efface » la
cathédrale, dont il ne reste que l’ombre et le bruit des cloches 47. Car c’est le
mouvement de Birotteau qui oriente cette réouverture : après le passage
descriptif, on retrouve donc l’abbé se dirigeant vers l’appartement de
Mlle Gamard, où il demeure depuis deux ans ; mais l’action est de nouveau
interrompue pour laisser place à une description de la maison et au long
récit rétrospectif de la mort de l’abbé Chapeloud, ainsi que de l’occupation
par l’abbé Birotteau de l’appartement qu’il avait tant désiré. Or,
les allusions à la convoitise et à la cupidité de l’abbé préparent l’événement
inaugural attendu : en rentrant à la maison, Birotteau est accueilli avec une
froideur et un détachement qui lui font clairement percevoir la rupture de
ses bonnes relations avec Mlle Gamard, ce qui entraînera la marginalisation
de l’abbé et l’échec de ses ambitieux projets 48.
Au terme de cet exceptionnel travail de réécriture, une forme d’exorde
résolument statique commence à se définir, une forme où la narration est
continuellement mise en suspens afin de préparer l’événement initial :
signal manifeste de l’instabilité des modèles et du caractère problématique
de la médiation entre tension informative et dramatique. Dans ce cas,
Balzac opte pour un incipit qui se focalise davantage sur l’information
thématique portant sur le personnage, en confirmation du rôle décisif de ce
dernier dans la genèse du roman. En effet, l’écriture du commencement
semble ne pouvoir s’épanouir qu’à travers une définition précise du
caractère de Birotteau – connoté de matérialisme, de cupidité et d’avidité –,
ouvrant une structure thématique du désir qui se révélera centrale dans la
suite du roman 49.
Les hésitations dans l’écriture du début annoncent les développements
successifs de la poétique de l’incipit balzacien, témoignant de l’instabilité
des modèles affirmés en 1830, puis incessamment modifiés et détournés par
les rebondissements d’une écriture toujours difficile et contradictoire.
1. Voir à ce propos l’ouvrage de Nicole Felkay, Balzac et ses éditeurs, 1822-1837. Essai sur
la librairie romantique, Paris, Promodis, Éd. du Cercle de la librairie, 1987.
2. Je pense notamment aux études de Roland Chollet, Isabelle Tournier et Stéphane Vachon
parues dans la revue Genesis, no 11, 1997, ainsi qu’aux actes du colloque Balzac.
L’éternelle genèse, à paraître aux Presses universitaires de Vincennes. Mais l’intérêt de la
critique pour l’extraordinaire mouvement de création chez Balzac est bien plus ancien : il
suffit de songer aux travaux du vicomte Spoelberch de Lovenjoul, qui a rassemblé la quasi-
totalité des manuscrits balzaciens connus, aujourd’hui accessibles à la Bibliothèque de
l’Institut à Paris.
3. La critique a aussi souvent remarqué que, par rapport à la linéarité progressive de la genèse
des œuvres de Stendhal, la pratique d’écriture balzacienne relève au contraire de l’ajout et
du « rassemblement », surtout dans les cas où l’auteur reprend des textes déjà écrits, voire
déjà publiés : le cas de La Femme de trente ans est de ce point de vue exemplaire.
4. Telle est d’ailleurs l’hypothèse de Nicole Mozet, affirmant que « Balzac écrit presque
toujours contre : non pas seulement contre ses confrères ou ses prédécesseurs, comme il lui
est arrivé de le reconnaître à propos de Sainte-Beuve ou de Walter Scott, mais contre des
modèles (celui du conte de fées ou du roman populaire) et surtout contre lui-même, en se
contredisant franchement » (Balzac au pluriel, op. cit., p. 7). L’auteur évoque, entre autres,
le cas du Curé de Tours, dont il sera question dans ce chapitre, pour proposer enfin une
hypothèse extrême quant à la contradiction balzacienne : « c’est sa façon à lui de ruser avec
l’idéologie, de la contourner, de la retourner. Et par conséquent de la transgresser » (ibid.).
5. H. de Balzac, La Paix du ménage, dans La Comédie humaine, op. cit., t. II, p. 95. Les
débuts abandonnés dont il est question sont reproduits dans la partie consacrée aux
variantes du texte de l’édition de la « Bibliothèque de la Pléiade » : pour Le Bal de Sceaux,
dont il manque la première page du manuscrit, cf. t. I, p. 1210-1218 ; pour La Paix du
ménage, cf. t. II, p. 1250-1255. Soulignons, au passage, que même le manuscrit de La
Grenadière, récit de 1832, présente une version abandonnée du début, qui est pourtant très
proche du texte publié (cf. t. II, p. 1381-1382).
6. H. de Balzac, La Vendetta, dans La Comédie humaine, op. cit., t. II, p. 1035. Pour les
versions du début, cf. p. 1538-1541.
7. Jean Rousset, « La double entrée selon Balzac », dans Territoires de l’imaginaire : pour
Jean-Pierre Richard, textes réunis par J.-C. Mathieu, Paris, Éd. du Seuil, 1986, p. 157.
8. Voir l’introduction à La Bataille, dans les ébauches rattachées à La Comédie humaine de
l’édition de la « Bibliothèque de la Pléiade », t. XII, p. 649-652.
9. H. de Balzac, Lettres à Madame Hanska, op. cit., t. I, p. 22-23.
10. H. de Balzac, La Bataille, dans La Comédie humaine, op. cit., t. XII, p. 653. La rédaction
de cet incipit remonte probablement à l’automne 1832, la phrase se trouvant au verso d’une
page du manuscrit du Médecin de campagne (dossier Lovenjoul A 138, folio 25 verso).
11. H. de Balzac, « Avant-propos » de La Comédie humaine, dans La Comédie humaine,
op. cit., t. I, p. 17. Balzac, on le sait, envie à Stendhal la réussite de l’épisode de Waterloo,
dans La Chartreuse de Parme (cf. « Études sur M. Beyle », Revue parisienne,
25 septembre 1840, reproduit dans Balzac, Écrits sur le roman, éd. S. Vachon, Le Livre de
Poche, 2000, p. 193-274) ; et la lettre qu’il adresse à l’ami écrivain, après la lecture du
roman, est à la fois un aveu de ce péché de jalousie et un premier arrêt de mort des Scènes
de la vie militaire (voir l’introduction de S. Vachon dans l’édition citée, p. 193). Soulignons
enfin la persistance du fantasme de ce livre : l’impossible bataille balzacienne a finalement
été écrite de nos jours par Patrick Rambaud (La Bataille, Paris, Grasset, 1997), avec ses
excuses à M. de Balzac...
12. Voir son article intitulé « Les enseignements des manuscrits d’Honoré de Balzac. De la
variation contre la variante » (Genesis, no 11, 1997, p. 67), auquel je ferai souvent
référence.
13. Ibid., p. 65-72.
14. Balzac écrit en effet – au verso d’un feuillet utilisé comme enveloppe, dont le recto
présente un de ses célèbres « faux départs » – cet étonnant commentaire à l’intention de
Mme Hanska : « Ce feuillet ne verra jamais que la lumière de vos yeux, belle dame ! C’est
un de ces tâtonnements inutiles que je fais en commençant une œuvre » (dans La Comédie
humaine, op. cit., t. VIII, p. 1362). La lettre en question est datée du 29 décembre 1846.
15. Je renvoie notamment à l’étude de Lucien Dällenbach sur la genèse de La Route des
Flandres, publiée dans le volume collectif Genèses du roman contemporain. « Incipit » et
entrée en écriture, op. cit., p. 105-120.
16. Voir aussi S. Vachon, « Les enseignements des manuscrits... », art. cité, p. 73.
17. Voir, par exemple, les listes de chapitres figurant sur les pages de titre du Lys dans la vallée
ou du Père Goriot, dont les transcriptions sont données dans l’édition de la « Bibliothèque
de la Pléiade » de La Comédie humaine, op. cit., t. IX, p. 1638, et t. III, p. 1210. Roland
Chollet parle à ce propos d’une pratique balzacienne des plans de relais qui, surtout dans
les romans de jeunesse, « paraissent se multiplier aux abords des dénouements » (voir son
article intitulé « À travers les premiers manuscrits de Balzac, 1819-1829. Un
apprentissage », Genesis, no 11, 1997, p. 29).
18. La présentation magistrale de ces étapes de la genèse, due à René Guise dans l’édition de la
« Bibliothèque de la Pléiade », explique les problèmes de datation et permet de suivre un
parcours d’élaboration du projet très complexe. Pour ce qui concerne les trois premiers
faux départs, deux se trouvent au verso des feuillets 161 et 162 du manuscrit de César
Birotteau (Lov. A 92), qui portent au recto le texte de la lettre de François Birotteau à son
frère, rédigé vraisemblablement à la même époque ; l’autre est intégré au dossier Lov. A 61,
qui contient le début d’une œuvre ébauchée, Douleurs de mère. Les six faux départs
successifs sont au verso des feuillets 7-12 du manuscrit : il s’agit des pages numérotées
de 3 à 8 par Balzac (cf. l’« Histoire du texte » de César Birotteau, dans La Comédie
humaine, op. cit., t. VI, p. 1119-1134).
19. Cf. Lov. A 92, f. 1 r° et f. 4 v°. L’analyse des trente premiers feuillets du manuscrit
confirme que la définition des plans est successive, car le titre du premier chapitre
initialement prévu est corrigé, et le titre du deuxième est ajouté en marge, au folio 15, alors
que le texte original était continu, ne présentant aucun signe de séparation.
20. Pour la présentation et l’analyse de la genèse de cette ébauche, je renvoie à
l’« introduction » d’Anne-Marie Meininger, dans l’édition de la « Bibliothèque de la
Pléiade » (La Comédie humaine, op. cit., t. XII, p. 427-452), et à l’étude de Franc
Schuerewegen, « Avortements (sur les “Ébauches rattachées à La Comédie humaine”) »,
dans Stéphane Vachon (éd.), Balzac. Une poétique du roman, Montréal, XYZ Éditeur, et
Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1996, p. 307-317.
21. Paradoxe d’autant plus remarquable que l’une de ces ébauches présente à son tour trois
faux départs antérieurs (cf. les « Notes et variantes » au texte, dans La Comédie humaine,
op. cit., t. XII, p. 1009).
22. Franc Schuerewegen, « Avortements... », dans Balzac. Une poétique du roman, op. cit.,
p. 308.
23. Sans vouloir entrer dans les détails d’une question qui mériterait une étude à part, je me
limite à esquisser une typologie de ce mouvement, qui s’effectue selon trois possibilités :
l’ajout, lorsque le début est trouvé en cours de rédaction (La Vendetta) ou après coup, et
donc ajouté sur épreuves (Modeste Mignon, Le Lys dans la vallée) ; le déplacement, qui est
la conséquence d’une inversion dans les chapitres initiaux (La Paix du ménage, Béatrix) ou
d’une intégration du début à l’intérieur du texte (Une ténébreuse affaire, Les Employés et
Le Député d’Arcis, exemple de genèse très complexe) ; la suppression, lorsque le début
original est retranché, comme c’est le cas dans les épreuves de Louis Lambert.
24. Je rejoins donc l’hypothèse de Stéphane Vachon qui, analysant le dynamisme propre à la
variation macro-génétique, souligne que Balzac réduit à son minimum la phase
prérédactionnelle, tout en pratiquant à la fois une écriture à processus et à programme :
« Dès le stade de la rédaction (du processus), la réécriture de l’œuvre, le retour sur chaque
genèse particulière par l’élaboration de la cathédrale de papier est, à terme, prévu » (« Les
enseignements des manuscrits... », art. cité, p. 77).
25. Pour une vision générale, on peut voir notamment l’ouvrage de Tetsuo Takayama, Les
Œuvres romanesques avortées de Balzac (1829-1842), Paris, José Corti, 1966 ; et l’article
cité plus haut de Franc Schuerewegen. Pour les cas particuliers, il suffit de se référer aux
« Introductions » et aux bibliographies du tome XII de l’édition de la « Bibliothèque de la
Pléiade ».
26. L’exemple extrême est fourni par un faux départ de Massimilla Doni – le plus court de tous
ceux qui ont été conservés –, ne dépassant pas le troisième mot : « La vie hu » (cf. l’édition
du roman présentée par Max Milner, Paris, José Corti, 1964, p. 230). Interruption brutale,
au bout de sept lettres, par laquelle Balzac n’achève même pas le mot qui donnera ensuite
le titre général de son œuvre...
27. La notion de réouverture telle que je la conçois ici relève donc d’une dynamique d’ordre
génétique, qui détermine cependant la réception même du texte. Prenant ainsi la valeur
d’une nouvelle ouverture, tournée vers l’intérieur du texte, elle ne correspond pas – si ce
n’est de façon spéculaire – à ce mouvement que Frédérique Chevillot analyse, dans son
ouvrage très intéressant intitulé La Réouverture du texte (Saratoga, ANMA Libri, 1993), en
termes de « relance » du texte au-delà de ses frontières (voir notamment le chapitre I,
« Illusions balzaciennes », p. 15-42).
28. H. de Balzac, Le Père Goriot, dans La Comédie humaine, op. cit., t. III, p. 50.
29. H. de Balzac, La Peau de chagrin, dans La Comédie humaine, op. cit., t. X, p. 57.
30. Ibid., p. 59.
31. F. Schuerewegen, « Avortements... », dans Balzac. Une poétique du roman, op. cit., p. 313-
315.
32. Telle est l’hypothèse, très pertinente, proposée par Roland Chollet, qui vise à nuancer
l’ampleur et le rôle du processus d’expansion typique des épreuves balzaciennes
(cf. « À travers les premiers manuscrits de Balzac... », art. cité, p. 12 et 22).
33. La transcription de ces faux départs est donnée, comme c’est presque toujours le cas, dans
l’édition de la « Bibliothèque de la Pléiade » : pour Falthurne II, voir les Œuvres diverses,
t. I, p. 1635 ; pour La Cousine Bette, voir le tome VII de La Comédie humaine, p. 1240-
1242. Sur la raréfaction des faux départs, au cours de la carrière de Balzac, on peut voir
aussi S. Vachon, « Les enseignements des manuscrits... », art. cité, p. 68.
34. Je renvoie à l’analyse de R. Chollet (« À travers les premiers manuscrits de Balzac... », art.
cité, p. 24). Il faut dire aussi que l’apparition de ce prénom évoque le souvenir littéraire
incontournable d’une femme inspiratrice, la Laure de Pétrarque : et même l’allitération en
l, dans l’« hexamètre » balzacien, fait penser à l’incessant jeu d’homophonie et de
paronomase, chez le poète italien, entre Laura, l’aura (l’aurore), lauro (le laurier) et
aureo/a (doré).
35. Je fais référence au célèbre manuscrit de Séraphîta. Voir à ce propos l’article de S. Vachon,
« Un manuscrit dans une robe », dans Balzac. Une poétique du roman, op. cit., p. 321-329.
36. R. Chollet, « À travers les premiers manuscrits de Balzac... », art. cité, p. 24.
37. Précisons que je fais ici référence à la numérotation des pages du manuscrit qui est de la
main de Balzac, et ne correspond pas forcément à celle des dossiers, faite par Georges
Vicaire.
38. Ces versions du début sont accessibles grâce au travail de Nicole Mozet, qui a transcrit
dans l’édition du roman dans la « Bibliothèque de la Pléiade » (La Comédie humaine,
op. cit., t. IV, p. 1174-1177) l’intégralité des fragments : dix se trouvent au verso du
manuscrit du Curé de Tours (Lov. A 11, feuillets 7 à 16), et six au verso du manuscrit d’une
ébauche (Lov. A 196, feuillets 2 à 7) dont on ne connaît pas le titre – car le premier feuillet
manque – mais qu’il faudrait rattacher également à la genèse du Curé de Tours (même si
elle est traditionnellement liée à la conception d’un autre projet romanesque, Le Prêtre
catholique, dont l’ébauche se trouve également dans le dossier A 196). De toute façon, la
mise en relation de ces seize faux départs, séparés à cause du réemploi des feuillets et du
classement postérieur des manuscrits, est justifiée par l’identité évidente du sujet et par le
fait que les fragments portent tous le titre La Vieille Fille, sans avoir cependant aucun
rapport avec le roman de 1836 intitulé de la sorte.
39. Pour simplifier, je propose cet ordre chronologique conjectural en renvoyant à la
numérotation des faux départs faite par Nicole Mozet dans la transcription citée. La
succession de la série narrative serait donc la suivante : 1-2-3-4-9-10-12-11. Le feuillet
numéroté 6, qui présente une situation de départ différente (un voyageur qui descend de la
diligence à Tours) reste plus difficile à intégrer dans cette progression.
40. Il s’agit du feuillet 2 verso du dossier Lovenjoul A 196, numéroté 1 par Nicole Mozet ;
l’ensemble de ce texte est barré à grands traits. J’intègre ici, comme dans les cas suivants,
la totalité des ratures et ajouts qui ne figuraient pas systématiquement dans la transcription
de la « Bibliothèque de la Pléiade » (La Comédie humaine, op. cit., t. IV, p. 1175). Les
mots biffés ou raturés sont ici barrés, alors que les ajouts en marge sont donnés entre
crochets.
41. Il s’agit du feuillet 11 verso du dossier Lovenjoul A 11, numéroté 11 par N. Mozet (La
Comédie humaine, op. cit., t. IV, p. 1176) ; l’ensemble du texte est barré.
42. Ce texte, barré à grands traits, se trouve au verso du feuillet 6 du dossier Lovenjoul A 196
(numéro 5 dans la transcription de l’édition citée de La Comédie humaine, t. IV, p. 1175).
La progression chronologique de la série descriptive, toujours en référence à la
numérotation de Nicole Mozet, serait : 15-13-14-16-5. Soulignons enfin que deux feuillets
parmi les seize ne peuvent être rattachés aux séries narrative et descriptive : la nature du
numéro 8, qui s’interrompt au troisième mot, est difficilement déchiffrable ; alors que le
numéro 7 présente une forme d’ouverture différente, par un commentaire moral (sur les
« quelques existences dont il est impossible de deviner le but ou l’utilité ») qui pourrait
représenter une première référence au caractère mesquin de Birotteau.
43. Voir à ce propos l’analyse de Nicole Mozet dans La Ville de province dans l’œuvre de
Balzac [1982], Genève, Slatkine Reprints, 1998, chap. III et IV.
44. Ce mouvement, de liaison et de relance à la fois, semble être constant dans l’écriture de
l’incipit : on le retrouve aussi dans les faux départs de La Recherche de l’Absolu, pour
lesquels je renvoie à mon commentaire dans l’article « Le ressassement éternel.
Interruptions, faux départs, réouvertures », dans Balzac. L’éternelle genèse, à paraître aux
Presses universitaires de Vincennes.
45. La première page du manuscrit manque ; le texte que je donne ici est donc celui des
placards corrigés (dossier Lovenjoul A 12).
46. Je renonce à citer la suite du texte des placards corrigés, car la structure de ce début
demeurera identique au fil des éditions successives. Pour suivre le commentaire, le lecteur
pourra donc se référer au texte et aux variantes de l’édition de la « Bibliothèque de la
Pléiade ».
47. Cf. H. de Balzac, Le Curé de Tours, dans La Comédie humaine, op. cit., t. IV, p. 181-183.
48. Ibid., p. 188-191.
49. On peut voir à ce propos l’article de Léon-François Hoffmann, « Éros en filigrane. Le Curé
de Tours », L’Année balzacienne, 1967 ; ainsi que l’étude plus générale de Pierre Danger,
L’Éros balzacien. Structures du désir dans la Comédie humaine, Paris, José Corti, 1989.
50. H. de Balzac, L’Auberge rouge, dans La Comédie humaine, op. cit., t. XI, p. 89. J’ai ici
rétabli le texte de l’édition originale du récit, paru dans la Revue de Paris du 21 et du
28 août 1831.
51. Cf. J. Rousset, « La double entrée selon Balzac », art. cité.
52. H. de Balzac, L’Auberge rouge, dans La Comédie humaine, op. cit., t. XI, p. 90.
53. On retrouve d’ailleurs une structure identique dans Sarrasine, autre récit de 1831.
54. Cf. les variantes au texte dans l’édition citée de La Comédie humaine, t. XI, p. 1244.
55. H. de Balzac, L’Auberge rouge, dans La Comédie humaine, op. cit., t. XI, p. 92.
12
Si vous voulez ne pas être le singe de Walter Scott, il faut vous créer
une manière différente, et vous l’avez imité. Vous commencez, comme
lui, par de longues conversations pour poser vos personnages ; quand
ils ont causé, vous faites arriver la description et l’action. [...]
Renversez-moi les termes du problème. Remplacez ces diffuses
causeries, magnifiques chez Scott, mais sans couleurs chez vous, par
des descriptions auxquelles se prête si bien notre langue. Que chez
vous le dialogue soit la conséquence attendue qui couronne vos
préparatifs. Entrez tout d’abord dans l’action. Prenez-moi votre sujet
tantôt en travers, tantôt par la queue ; enfin variez vos plans, pour
n’être jamais le même.
Honoré de BALZAC, Illusions perdues.
Mais, sachez-le bien, à peine avez-vous fait un pas vers le tapis vert,
déjà votre chapeau ne vous appartient pas plus que vous ne vous
appartenez à vous-mêmes : vous êtes au jeu, vous, votre fortune,
votre coiffe, votre canne et votre manteau. À votre sortie le JEU
vous démontrera, par une atroce épigramme en action, qu’il vous
laisse encore quelque chose en vous rendant votre bagage 5.
Il est dans Paris certaines rues déshonorées autant que peut l’être un
homme coupable d’infamie ; puis il existe des rue nobles, puis des
rues simplement honnêtes, puis de jeunes rues sur la moralité
desquelles le public ne s’est pas encore formé d’opinion ; puis des
rues assassines, des rues plus vieilles que de vieilles douairières ne
sont vieilles, des rues estimables, des rues toujours propres, des rues
toujours sales, des rues ouvrières, travailleuses, mercantiles. Enfin,
les rues de Paris ont des qualités humaines, et nous impriment par
leur physionomie certaines idées contre lesquelles nous sommes
11
sans défense .
La rue de la Paix est une large rue, une grande rue ; mais elle ne
réveille aucune des pensées gracieusement nobles qui surprennent
une âme impressible au milieu de la rue Royale [...]. Si vous vous
promenez dans les rues de l’île Saint-Louis, ne demandez raison de
la tristesse nerveuse qui s’empare de vous qu’à la solitude, à l’air
morne des maisons et des grands hôtels déserts 12.
Les signes sur les portes de ces habitations « trois fois séculaires » ont
donc le pouvoir de résumer l’Histoire entière, de représenter toutes les
époques à travers l’allure incertaine et énigmatique d’un hiéroglyphe ; ainsi,
cette description des édifices de Saumur, à maints égards semblable à celle
de la maison Guillaume au début de La Maison du chat-qui-pelote, joue un
rôle fortement symbolique, car elle présente des signes, au sens propre, qui
synthétisent l’histoire et qui nécessitent un déchiffrement : la fonction du
romancier, comme de l’« historien de mœurs », se trouve donc légitimée.
Encore une fois, la description architecturale permet à l’auteur de figurer un
objet du présent qui porte sur lui les traces du passé, et qui devient en
définitive l’image clef de ce « miroir concentrique » évoqué par Balzac
quelques années auparavant.
L’incipit balzacien répond dans ce cas au désir d’englober les signes de
l’univers entier pour en créer un autre, pleinement autonome et fictif, qui
affirme sans relâche sa prétendue vérité. C’est ce qui se produit dans l’autre
grand roman de cette époque, Le Père Goriot, où une telle affirmation –
après une attaque descriptive qui sera citée dans le chapitre suivant – est
liée à une réflexion métalittéraire dans un jeu subtil d’implication du
lecteur :
Ainsi ferez-vous, vous qui tenez ce livre d’une main blanche, vous
qui vous enfoncez dans un moelleux fauteuil en vous disant :
« Peut-être ceci va-t-il m’amuser. » Après avoir lu les secrètes
infortunes du père Goriot, vous dînerez avec appétit en mettant
votre insensibilité sur le compte de l’auteur, en le taxant
d’exagération, en l’accusant de poésie. Ah ! sachez-le : ce drame
n’est ni une fiction, ni un roman. All is true, il est si véritable, que
chacun peut en reconnaître les éléments chez soi, dans son cœur
peut-être 25.
Le roman entier est résumé dans ces phrases justificatives qui affirment
encore une fois l’importance fondatrice du lien de causalité ; et la
détermination temporelle même du début est dépassée par le flash-back
explicatif. Cet incipit témoigne de nouveau de la difficulté de la médiation
entre la tension informative et la tension dramatique, qui entraîne
l’alternance des modalités d’exorde : à la différence du début statique, qui
se caractérise souvent comme un moment de genèse, Balzac saisit ici
l’histoire « en travers », dans son déroulement, pour retourner ensuite en
arrière et en expliquer les causes.
De ce point de vue, le conseil donné à Stendhal à propos de La
Chartreuse de Parme, en 1840, est très significatif : Balzac – peut-être
encore hanté par le projet de La Bataille, ou par son échec – envie à son ami
la réussite de l’épisode de la bataille de Waterloo, au point de l’exhorter à
changer la structure du roman, en plaçant cet épisode en position d’incipit :
1. H. de Balzac, Le Colonel Chabert, dans La Comédie humaine, op. cit., t. III, p. 311.
2. Cf. les notes de l’édition du Colonel Chabert dans la collection « Le Livre de Poche »,
Paris, Librairie générale française, 1983.
3. Encore une fois, donc, l’incipit formule d’emblée une énigme concernant l’identité du
personnage ; énigme centrale du récit qui structure aussi son commencement, comme le
remarquent R. Le Huenen et P. Perron à propos de l’image du « vieux carrick » : « De cette
image surgit une forme, mais une forme vide qui, concurremment, va servir de support à
différents investissements sémantiques qui seront autant de définitions du vieux carrick,
mais aussi autant de feintes destinées à créer la curiosité, à retenir l’attention, à fixer la
nécessité et le prestige du récit, en faisant jouer le ressort de l’attente et du désir »
(« Balzac et la représentation », Poétique, no 61, 1985, p. 80-81).
4. H. de Balzac, La Peau de chagrin, dans La Comédie humaine, op. cit., t. X, p. 57.
5. Ibid., p. 58.
6. Ibid., p. 59.
7. Ibid., p. 58-59.
8. Ibid., p. 61-62.
9. Il s’agit du dessin imaginaire, formé par le mouvement du bâton du caporal Trim, que
Sterne figure verticalement au chapitre CCCXII de Tristram Shandy. Une signification
possible de cette épigraphe nous est donnée par Balzac lui-même, lorsqu’il évoque, par le
biais de la voix de Philarète Chasles, « la vie avec ses ondulations bizarres, avec sa course
vagabonde et son allure serpentine » (cf. l’« Introduction aux Romans et contes
philosophiques » de 1831, dans La Comédie humaine, op. cit., t. X, p. 1189). Nous
retrouvons à peu près les mêmes mots, cette fois-ci explicitement référés à l’épigraphe,
dans l’« Introduction aux Études philosophiques » de 1834, signée par Félix Davin
(l’« allure serpentine de la vie », les « ondulations bizarres de la destinée » ; cf. dans La
Comédie humaine, op. cit., t. X, p. 1213).
10. Cf. « L’histoire du texte » dans l’édition citée de La Comédie humaine, t. X, p. 1574.
11. H. de Balzac, Ferragus, chef des dévorants, dans La Comédie humaine, op. cit., t. V,
p. 793.
12. Ibid.
13. H. de Balzac, « Avant-propos » de La Comédie humaine, dans La Comédie humaine,
op. cit., t. I, p. 8.
14. H. de Balzac, La Fille aux yeux d’or, dans La Comédie humaine, op. cit., t. V, p. 1039.
15. Ibid., p. 1052.
16. Ibid., p. 1040.
17. Pour l’analyse de ce long passage, je renvoie notamment à une étude d’Henri Mitterand,
qui synthétise ainsi la classification sociale, d’ailleurs très explicite dans le texte : « Balzac
distingue six catégories de Parisiens : l’ouvrier, le prolétaire ; le boutiquier ; la petite
bourgeoisie commerçante ; les gens d’affaires, avoués, médecins, notaires, avocats,
banquiers, gros commerçants, spéculateurs, magistrats ; les artistes ; enfin “la gent
aristocratique”, la haute propriété, le monde riche, oisif, heureux, renté » (cf. H. Mitterand,
Le Discours du roman, op. cit., p. 36).
18. H. de Balzac, La Fille aux yeux d’or, dans La Comédie humaine, op. cit., t. V, p. 1045.
19. Ibid., p. 1042.
20. H. Mitterand, Le Discours du roman, op. cit., p. 45-46.
21. H. de Balzac, La Fille aux yeux d’or, dans La Comédie humaine, op. cit., t. V, p. 1053.
22. H. de Balzac, Eugénie Grandet, dans La Comédie humaine, op. cit., t. III, p. 1027-1028.
23. H. de Balzac, Le Père Goriot, dans La Comédie humaine, op. cit., t. III, p. 49-50.
24. Nous retrouvons aussi ce « goût de l’interdit » qu’évoque Michel Charles à propos des
Chants de Maldoror de Lautréamont (dans Rhétorique de la lecture, op. cit., p. 13-31) ; sur
cet aspect de l’incipit du Père Goriot, on peut lire le commentaire de Jean Rousset dans Le
Lecteur intime. De Balzac au journal, op. cit., notamment le chapitre 1.2, « L’inscription du
lecteur dans La Comédie humaine », p. 39-42.
25. H. de Balzac, Le Père Goriot, dans La Comédie humaine, op. cit., t. III, p. 50. Sur
l’énigmatique « main blanche » du lecteur, je renvoie au commentaire explicatif de
Stéphane Vachon, dans l’édition « Livre de Poche classique » du roman, Paris, Librairie
générale française, 1995, p. 370. Plus généralement, sur la question du narrataire balzacien,
voir Franc Schuerewegen, Balzac contre Balzac. Les cartes du lecteur, Paris-Toronto,
SEDES-Paratexte, 1990, notamment chap. I, p. 15-32 ; et Éric Bordas, Balzac, discours et
détours. Pour une stylistique de l’énonciation romanesque, Toulouse, PUM, 1997,
deuxième partie, chap. II, p. 233-283.
26. Soulignons au passage que même Barthes a pu affirmer que le roman balzacien « s’ouvre
sur un discours statique, vaste concours immobile de données initiales » (« Par où
commencer », Poétique, no 1, 1971, p. 4) : généralisation quelque peu fourvoyante, et
étrangement inadéquate à la précédente analyse de Sarrasine, dans S/Z.
27. H. de Balzac, César Birotteau, dans La Comédie humaine, op. cit., t. VI, p. 37-38.
28. Ibid., p. 54.
29. H. de Balzac, « Études sur M. Beyle », Revue parisienne, 25 septembre 1840, reproduit
dans Écrits sur le roman, éd. S. Vachon, op. cit., p. 263-264. Stendhal essaya d’ailleurs de
suivre ce conseil, en rédigeant un nouveau commencement à placer au début du troisième
chapitre (cf. Stendhal, La Chartreuse de Parme, dans Romans et nouvelles, op. cit., t. II,
p. 511-512) ; mais il choisit finalement de maintenir le plan originel du roman, s’ouvrant
par le récit de l’entrée des Français à Milan.
30. H. de Balzac, Écrits sur le roman, op. cit., p. 266.
31. Stendhal, La Chartreuse de Parme, dans Romans et nouvelles, op. cit., t. II, p. 25.
13
Cela a l’air d’une naïveté, les gens à qui on demande ce qu’il faut lire
de Balzac et qui disent : « Tout. » Hé bien, c’est vrai, la beauté n’est
pas dans un livre, elle est dans l’ensemble.
Marcel PROUST, Jean Santeuil.
L’ordre de l’antithèse
« Un combat entre deux plénitudes » : c’est ainsi que Barthes définit,
dans S/Z 1, la forme particulière de l’antithèse dans le roman balzacien :
cette figure rhétorique, souvent annoncée dès l’incipit, devient l’élément
fondateur qui ordonne la structure du texte dans son ensemble. La
caractéristique fondamentale de l’antithèse chez Balzac est en effet d’ouvrir
une tension oppositive généralement non résolue qui, tout en structurant
fortement le roman, garde à chaque instant sa charge d’incertitude et de
suspense.
Il faut d’ailleurs relever combien cette figure est récurrente dans les
commencements balzaciens, surtout par le recours à l’un de ses paradigmes
les plus classiques : l’antithèse entre l’ombre et la lumière, souvent liée à
l’évocation de paysages nocturnes et fantasmagoriques. Un premier
exemple nous est fourni par la description liminaire d’un roman de
jeunesse, Le Centenaire :
J’étais plongé dans une de ces rêveries profondes qui saisissent tout
le monde, même un homme frivole, au sein des fêtes les plus
tumultueuses. Minuit venait de sonner à l’horloge de l’Élysée-
Bourbon. Assis dans l’embrasure d’une fenêtre, et caché sous les
plis onduleux d’un rideau de moire, je pouvais contempler à mon
aise le jardin de l’hôtel où je passais la soirée. Les arbres,
imparfaitement couverts de neige, se détachaient faiblement du fond
grisâtre que formait un ciel nuageux, à peine blanchi par la lune.
Vus au sein de cette atmosphère fantastique, ils ressemblaient
vaguement à des spectres mal enveloppés de leurs linceuls, image
gigantesque de la fameuse danse des morts. Puis, en me retournant
de l’autre côté, je pouvais admirer la danse des vivants ! un salon
splendide, aux parois d’argent et d’or, aux lustres étincelants,
brillant de bougies. Là, fourmillaient, s’agitaient et papillonnaient
les plus jolies femmes de Paris, les plus riches, les mieux titrées,
éclatantes, pompeuses, éblouissantes de diamants ! des fleurs sur la
tête, sur le sein, dans les cheveux, semées sur les robes, ou en
guirlandes à leurs pieds. C’était de légers frémissements de joie, des
pas voluptueux qui faisaient rouler les dentelles, les blondes, la
mousseline autour de leurs flancs délicats. Quelques regards trop
vifs perçaient çà et là, éclipsaient les lumières, le feu des diamants,
et animaient encore des cœurs trop ardents. On surprenait aussi des
airs de tête significatifs pour les amants, et des attitudes négatives
pour les maris. Les éclats de voix des joueurs, à chaque coup
imprévu, le retentissement de l’or se mêlaient à la musique, au
murmure des conversations ; pour achever d’étourdir cette foule
enivrée par tout ce que le monde peut offrir de séductions, une
vapeur de parfums et l’ivresse générale agissaient sur les
imaginations affolées 3.
La fenêtre devient alors une véritable frontière entre les deux espaces
physiques, dont la limite « coupe » en deux le corps même du narrateur.
Barthes relève que de cette façon la participation du narrateur au
symbolisme profond de l’antithèse est minimisée par le recours à une
causalité physique, et que le « symbolique » devient une « affaire de
9
courant d’air » . Mais cette division que les termes de l’antithèse effectuent
sur le corps même est extrêmement révélatrice, se situant au début d’un
texte qui se focalisera ensuite, dans le récit encadré, sur la figure d’un
castrat ; et c’est encore Barthes qui remarque que la forme symbolique de
l’antithèse « recouvrira tout un espace de substitutions, de variations, qui
nous conduiront du jardin au castrat, du salon à la jeune femme aimée du
narrateur 10 ». Le texte ouvre donc, dès le départ, un champ symbolique
lourd de significations, qui suscite au niveau de la lecture l’attente d’une
résolution, d’une issue finale entre les différentes forces opposées.
Dans d’autres cas, la figure de l’antithèse est peut-être moins complexe,
mais également basilaire dans la structure du roman : par exemple, la
description de Raphaël de Valentin au début de La Peau de chagrin, dont il
a été question au chapitre précédent, formule les termes d’une opposition
(« la grâce et l’horreur ») longtemps non résolue. En définitive, l’antithèse
semble constituer un facteur d’« ordre » dans l’univers balzacien – un
univers de paroles, bien entendu –, mais qui ouvre en même temps un
espace de contradiction ; au point qu’elle peut aussi se glisser, d’une façon
violente, dans l’univocité du signe par excellence, la lettre de l’alphabet. Tel
est le cas de Z. Marcas, bref récit de 1841, dont le début nous livre cette
extraordinaire réflexion du narrateur sur l’initiale du nom du personnage :
Je n’ai jamais vu personne, en comprenant même les hommes
remarquables de ce temps, dont l’aspect fût plus saisissant que celui
de cet homme ; l’étude de sa physionomie inspirait d’abord un
sentiment plein de mélancolie, et finissait par donner une sensation
presque douloureuse. Il existait une certaine harmonie entre la
personne et le nom. Ce Z qui précédait Marcas, qui se voyait sur
l’adresse de ses lettres, et qu’il n’oubliait jamais dans sa signature,
cette dernière lettre de l’alphabet offrait à l’esprit je ne sais quoi de
fatal 11.
Cette première pièce exhale une odeur sans nom dans la langue, et
qu’il faudrait appeler l’odeur de pension. Elle sent le renfermé, le
moisi, le rance ; elle donne froid, elle est humide au nez, elle
pénètre les vêtements ; elle a le goût d’une salle où l’on a dîné ; elle
pue le service, l’office, l’hospice 16.
Quand il est dit, peu après, que Mme Vauquer « ressemble à toutes les
femmes qui ont eu des malheurs », tous les motifs de l’œuvre se trouvent
résumés dans cette puissante ouverture : la saleté et la misère de la pension
déteignent sur les personnages, dont l’existence semble arriver ici à son
point le plus bas. C’est à ce moment que le narrateur présente, l’un après
l’autre, les pensionnaires de Mme Vauquer : la jeune Victorine Taillefer,
annoncée dès le premier paragraphe, le vieux Poiret, Vautrin, « une vieille
fille », à savoir Mlle Michonneau, mais aussi « un ancien fabricant de
vermicelles, de pâtes d’Italie et d’amidon qui se laissait nommer le Père
Goriot » ; et, pour finir, Eugène de Rastignac, « un de ces jeunes gens
façonnés au travail par le malheur 18 ». Débris de la société, donc, individus
marginalisés, jeunes ou moins jeunes – comme Vautrin – ayant en commun
un passé de malheur qui les a réduits à la pauvreté. Les relations entre les
habitants de la pension sont ébauchées dans la longue description suivante,
qui se focalise successivement sur chacun des personnages, en les décrivant
et en faisant allusion à leurs mésaventures, sans précision aucune. Chaque
pensionnaire devient le sujet d’un paragraphe autonome, qui commence
régulièrement par la détermination de son statut social, suscitant ainsi
l’illusion d’une complétude informative dans le cadre d’un incipit
particulièrement statique.
Une illusion, bien entendu, car ce trésor informatif initial, même s’il
résume tous les thèmes de l’œuvre, laisse cependant place au non-dit, à des
lacunes d’où le récit peut jaillir 19. En effet, ce passé de déboires n’est pas
révélé clairement, surtout pour des personnages comme Mlle Michonneau
ou Vautrin, le seul à disposer de quelques économies dont on ne connaît
pourtant pas l’origine ; quant au héros éponyme, Goriot, la biographie qui
commence à se dessiner (« vieillard de soixante-neuf ans environ, s’était
retiré chez Mme Vauquer, en 1813, après avoir quitté les affaires 20 ») est
aussitôt brouillée par un brusque changement de focalisation, le lecteur se
voyant alors contraint de suivre le point de vue de la patronne de la pension,
dont les suppositions à propos du personnage sont généralement
trompeuses.
Cet incipit parfaitement structuré se révèle donc être un leurre,
puisqu’en dépit de son apparente complétude informative il expose en
réalité une série d’énigmes fondamentales du récit, comme par exemple
celle qui concerne la pauvreté de Goriot. La fonction de l’incipit est ici
moins informative que dramatique : d’une part, la description liminaire
constitue un résumé des motifs de l’œuvre entière, et, d’autre part, cette
ouverture justifie un développement narratif, en préparant le début de
l’histoire et en formulant de nombreuses énigmes. De cette façon, la
description acquiert un caractère dynamique dans le lien qui s’instaure avec
la suite, confirmant encore une fois combien « le vaste concours immobile
de données » dont parle Barthes est tout autre que statique, car il constitue
le point de départ d’une structure mobile qui règle le processus même de
lecture.
La comparaison avec l’ouverture n’est donc pas risquée, non seulement
en raison de l’intérêt que Balzac portait à l’art musical (que l’on pense à
Gambara), mais surtout parce que certaines structures musicales semblent
être à la base de la composition romanesque balzacienne, comme la critique
l’a parfois souligné. Dans une intéressante étude sur la question, Georges
Jacques analyse par exemple ce « dynamisme nouveau » du roman, « qui
inaugure une nouvelle forme de fonctionnement textuel, l’accélération
événementielle qui justifie les longues préparations descriptives [...]. Or,
cette même préoccupation d’avancement se manifeste en musique à partir
de Mozart et du Haydn de la première période 21 ».
Georges Jacques s’intéresse donc aux « préparations » balzaciennes – et
notamment au retour explicatif du texte sur les causes – dans leur rapport à
la structure d’ensemble du roman, proposant une comparaison efficace entre
ce mouvement et les formes symphoniques de Haydn : le Largo-vivace
initial correspondrait donc à la « mise en place de quelques éléments de
base », après lesquels l’action commence ; suit un Adagio (« long exposé du
cadre et des antécédents »), un Minuetto allegro (« déroulement de
l’intrigue »), et pour conclure un Finale presto très bref, s’accordant à
l’accélération du dénouement romanesque 22. Cette structure me semble bien
représenter le mouvement de certains romans à ouverture narrative (comme
César Birotteau), surtout à partir du moment où se renforce, dans la
poétique balzacienne, la volonté de remonter aux causes premières de
l’intrigue. Diverses structures sont cependant présentes, comme le remarque
également Jacques, affirmant que « d’autres symphonies développeront le
largo initial et remplaceront l’adagio par un andante. À ce moment, le cadre
et les antécédents se situeront au début du roman, et le deuxième
mouvement correspondra déjà à la lente progression du récit 23 » : il s’agit
des cas où la tension vers un commencement absolu s’exprime plus
puissamment.
Toutefois, la comparaison avec l’ouverture, que Jacques ne mentionne
pas, me semble plus souvent appropriée, surtout lorsque le début se présente
comme un fragment autonome d’exposition et d’annonce d’une histoire
encore en suspens. Ce n’est pas un hasard si, aussi bien dans Eugénie
Grandet que dans Le Père Goriot, l’intervalle entre l’incipit et la suite est
marqué formellement, séparant ainsi le résumé initial – logiquement décisif
pour la compréhension, dans l’optique balzacienne – du développement des
motifs annoncés.
Tout cela pour affirmer enfin combien les formes musicales sont
pertinentes dans la structure d’un roman qui recherche justement son
dynamisme dans la composition d’ensemble ; au point que même le lien
thématique entre les différents textes de La Comédie humaine peut
s’articuler selon le principe de cette forme musicale qui sera connue par la
suite, surtout dans l’œuvre de Wagner, sous le nom de leitmotiv.
Le leitmotiv thématique
Dans l’écriture du commencement, l’« effet Comédie humaine »
implique non seulement la complication des formes d’exorde, évoquée plus
haut, mais aussi une volonté plus marquée de lier thématiquement
l’ensemble. Une autre structure de la mémoire se tisse entre les différents
débuts des romans, fonctionnant sur le mode de la répétition ; et le fil
conducteur en est, bien sûr, la description architecturale, dont l’importance
fondamentale est affirmée par Balzac lui-même dans l’incipit de La
Recherche de l’Absolu : à la fois témoignage du passé et milieu du présent,
la maison devient par conséquent l’élément décisif, le véritable point de
connexion de la liaison causale.
Ce n’est pas par hasard si ce thème constant revient dans plusieurs
commencements célèbres : de la « maison précieuse » du XVIe siècle dans
La Maison du chat-qui-pelote à la « vieille alcôve » d’Une double famille,
des « habitations trois fois séculaires » de Saumur dans Eugénie Grandet
aux maisons médiévales de Guérande dans Béatrix, de la « pension
Vauquer » du Père Goriot à la « maison Claës » de La Recherche de
l’Absolu. Le même thème – l’évocation d’une maison gardant les traces
d’un temps passé – se répète incessamment, avec des variations portant sur
l’objet décrit, tel un leitmotiv musical, forme qui se définit justement par la
reprise continuelle d’un thème présenté au début de l’œuvre, avec de ténus
changements, presque imperceptibles, à chaque retour.
Balzac, suivant son désir de totalisation et son obsession de liaison,
érige la description architecturale en fil conducteur de l’œuvre, opérant
ainsi, au point même de connexion de chaque roman à l’ensemble, une
synthèse efficace du lien causal et analogique : d’une part, selon un principe
balzacien bien connu, la maison influence l’homme qui l’habite, jouant
donc un rôle dramatique de cause et d’effet à la fois ; de l’autre, la maison a
le pouvoir d’évoquer, par analogie, un passé lointain, de reconstruire une
époque, voire de résumer l’histoire (que l’on pense au commencement
d’Eugénie Grandet). Même le monument – à savoir l’élément le plus
« social » de l’architecture – recouvre une identique fonction de
concentration, comme en témoigne le début de L’Envers de l’histoire
contemporaine :
Seuils barrés
Cependant, la description architecturale n’est pas seulement un leitmotiv
qui assure un lien, encore que fragile, entre les différents romans et qui
opère une concentration, par causalité et analogie, du savoir et du temps ;
elle relève aussi, dans le texte balzacien, d’une véritable forme d’exposition,
figurée notamment par la description des façades des maisons 29. Seuil et
frontière à la fois entre l’extérieur et l’intérieur, la façade est évidemment
l’espace d’une exposition perverse, qui montre toujours moins qu’elle ne
cache, à savoir les secrets des vies privées.
Mais il suffit de relire certains incipit balzaciens pour remarquer que,
par une sorte d’exhibitionnisme de l’écriture, les façades des maisons se
trouvent aussi exposer des « signes » linguistiques au sens propre : ce sont
tantôt des lettres majuscules isolées, à fonction descriptive ou symbolique,
tantôt des figures géométriques composant en réalité des lettres ; ou encore,
des hiéroglyphes et des motifs de décoration stylisés, tels que l’arabesque,
renvoyant évidemment à d’autres formes d’écriture. Bref, les inscriptions
abondent d’une façon surprenante dans les premières lignes de nombreux
romans balzaciens, dans ces lieux stratégiques et de passage où – par un
exhibitionnisme propre à tout incipit – la parole marque justement la limite,
en découpant un espace linguistique et imaginaire, celui du texte. L’intérêt
de ces inscriptions n’est donc pas seulement dans leur rapport à l’écriture,
mais aussi dans l’effet de dédoublement du seuil qu’elles comportent,
puisqu’elles se concentrent au début du texte, se situant souvent en position
emblématique, sur un seuil intérieur tel qu’une porte ; ainsi, ces inscriptions
ne peuvent-elles qu’attirer le regard du lecteur, prenant à la fois le sens
d’une interdiction et d’un envoûtement 30.
Mentionnons d’abord, par une suite de citations, tous les barrages
possibles :
Ces figures géométriques sont dans tous les cas évoquées ou suggérées
par le narrateur, qui focalise la description en attirant ainsi l’œil du lecteur
sur ces détails significatifs. Mais l’aspect le plus important à souligner est
qu’il s’agit toujours de figures transversales, qui dessinent donc l’image
d’une lettre, le X : symbole de l’interdiction et de l’énigme, prenant ici, au
début du texte, une valeur tout à fait emblématique.
D’un côté, ces signes se présentent sur des seuils – façades, fenêtres,
portes –, formant ainsi un véritable barrage ; et ce n’est d’ailleurs pas un
hasard si ces figures sont formées par des éléments qui évoquent en eux-
mêmes l’interdiction : pierres, clous ou grilles. De l’autre côté, l’énigme
symbolique joue à plusieurs niveaux : énigme du lieu, de ces maisons
interdites au regard qui cachent les mystères des existences humaines qui y
habitent, marquées par les sceaux du milieu, concentration là aussi de
l’espace et du temps. Ensuite, énigme du récit : selon une stratégie classique
du roman, c’est justement à partir de ce seuil barré, de ce « manque à
savoir », que la narration est motivée, suscitant l’attente du lecteur pour le
dévoilement du mystère. Énigme de la parole, enfin : dans les pensées de
Louis Lambert, la parole est définie justement comme un X, contre lequel la
volonté se heurte sans pouvoir résoudre son mystère ; une parole,
rappelons-le, « dont la communication brûle et dévore ceux qui ne sont pas
préparés à la recevoir 31 ». Et si l’on songe à tous les signes en X dans les
incipit balzaciens, on dirait qu’il s’agit presque d’un avertissement au
lecteur, sur le mode d’une perverse captatio benevolentiae.
En effet, tous ces barrages et ces énigmes superposés – fruits d’une
stratégie de séduction raffinée – ne peuvent qu’exciter chez le lecteur le
« goût du risque », le risque propre à la séduction, celui de sortir hors du
bon chemin ou tout simplement, dans ce cas, d’entrer : entrer dans ces
maisons de papier, pénétrer dans le récit, jusqu’à sombrer dans les abîmes
de la parole du texte. Parole qu’il faut bien entendu savoir déchiffrer,
notamment lorsqu’elle expose ses énigmes par la figuration d’une autre
forme d’écriture, les hiéroglyphes :
Envoûtements
Encore une série de citations, sinueuses cette fois-ci :
Le côté gauche de cette rue est rempli par une seule maison dont les
murs sont traversés par les arcs-boutants de Saint-Gatien qui sont
implantés dans son petit jardin étroit, de manière à laisser en doute
si la cathédrale fut bâtie avant ou après cet antique logis. Mais en
examinant les arabesques et la forme des fenêtres, le cintre de la
porte et l’extérieur de cette maison brunie par le temps, un
archéologue voit qu’elle a toujours fait partie du monument
magnifique avec lequel elle est mariée.
(Maison Gamard à Tours, Le Curé de Tours,
dans La Comédie humaine, op. cit., t. IV, p. 182.)
À l’opposé des signes linguistiques, ce sont ici des lignes courbes qui
prédominent, à partir évidemment du dessin placé en épigraphe à La Peau
de chagrin : clin d’œil intertextuel se référant à Sterne mais aussi, selon les
mots de Félix Davin, représentation de l’« allure serpentine de la vie » et
des « ondulations bizarres de la destinée » 32. Et la ligne sinueuse par
excellence, c’est l’arabesque, en tant que motif de décoration stylisé, à
valeur purement graphique ; par rapport aux signes linguistiques,
l’opposition entre ligne droite et ligne courbe est donc doublée par
l’opposition entre un signe essentiellement symbolique et un signe
essentiellement décoratif. Même s’il reste difficile d’affirmer que tous ces
dessins sinueux, plusieurs fois évoqués dans les incipit balzaciens 33, n’ont
pas de fonction symbolique.
L’arabesque semble avoir le pouvoir de provoquer un effet
d’envoûtement magique du regard : relation confirmée par l’étymologie,
s’il est vrai que les mots « voûte » et « volute » – ligne sinueuse qui attire et
qui ensorcelle – dérivent du même verbe latin, volgere. D’autant plus que,
dans tous les exemples cités, ces lignes courbes sont suivies d’un œil
particulier, qui n’est jamais celui du narrateur-démiurge : il s’agit
respectivement du regard d’un antiquaire, d’un artiste ou d’un voyageur,
d’un archéologue ou bien d’un personnage de l’histoire, comme dans le cas
du château des Aigues décrit par Blondet dans la lettre initiale des Paysans
(sans oublier Raphaël de Valentin déchiffrant l’inscription arabe sur la peau
de chagrin).
L’œil envoûté est donc celui d’un personnage du roman : et notamment,
d’une de ces figures de flâneurs ou de savants, maintes fois évoquées dans
les incipit balzaciens, dont la fonction est tantôt de regarder, en témoignage
de la vérité de l’univers fictionnel, tantôt d’analyser, afin de soutenir les lois
bien connues de la causalité et de l’analogie. Le regard de ces personnages
se double de celui du lecteur qui ne peut que suivre leurs yeux, lui aussi
fasciné et envoûté par ces signes énigmatiques : signes du passé mais aussi
signes exotiques, se référant peut-être aux aventures – ondoyantes et
bizarres – qui vont commencer.
Ainsi, le dessin pourrait être aussi emblématique que la lettre : un signe
à suivre dans sa sinuosité, plutôt qu’à déchiffrer, afin de pouvoir entrer dans
l’univers imaginaire du roman. Aucun doute ne peut d’ailleurs subsister
quant au rôle et à la place symbolique de ces dessins : d’un côté, ils
constituent de véritables inscriptions en vertu de leur ressemblance avec
l’écriture (l’arabesque, évidemment, mais aussi les filigranes aériens
comparés aux « traits enroulés » des lettres) ; de l’autre, surtout dans le cas
de l’arabesque, ils se situent sur des seuils, les mêmes d’ailleurs qu’on a
rencontrés auparavant : des portes, des façades et des grilles. C’est pourtant
le sens symbolique qui change, par rapport aux lettres et aux figures
géométriques ; ici, il ne s’agit plus d’une interdiction, mais plutôt d’une
invitation : à regarder d’abord, sous le charme de la beauté des formes, à
entrer ensuite, en suivant ces lignes envoûtantes. Un appel, en définitive, à
la pénétration.
I. ÉTUDES GÉNÉRALES
SUR LA NOTION
DE COMMENCEMENT
ET SUR L’INCIPIT ROMANESQUE
TÉMOIGNAGES D’ÉCRIVAINS
ARAGON, Louis, Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit, Genève, Skira,
coll. « Les Sentiers de la création », 1969 ; rééd., Paris, Flammarion,
coll. « Champs », 1981. Ouvrage essentiel, dans lequel l’écrivain, à
partir de l’analyse des incipit de ses propres romans, propose une
réflexion sur l’importance de la première phrase, qui fonctionne comme
un « diapason » dans le processus de création, et sur son caractère
arbitraire, voire fortuit. Le livre d’Aragon – qui contient par ailleurs de
nombreuses réflexions sur d’autres auteurs tels que Gobineau, Roussel
et Beckett – a certainement joué un rôle fondateur, car il a attiré
l’attention de la critique sur la question de l’incipit, constituant une
référence incontournable pour les études postérieures (voir les ouvrages
ou articles d’Édouard Béguin, Frédérique Chevillot, Lionel Follet et
Raymond Jean, cités dans la présente bibliographie). On trouvera une
première réflexion d’Aragon sur l’incipit dans son article « Un roman
commence sous vos yeux », Europe, no 173, mai 1937, p. 64-68.
CALVINO, Italo, « Cominciare e finire », appendice aux Lezioni americane,
dans Saggi, Milan, Mondadori, coll. « I Meridiani », 1995, t. I, p. 734-
753. Ce texte fondamental a été établi à partir du manuscrit préparatoire
des leçons américaines (daté de février 1985) : il présente une version
complète de la conférence qui aurait dû ouvrir le cycle des « Norton
Lectures », et qui a ensuite été éliminée dans les plans de l’écrivain
(voir à ce propos, dans cette même édition des Saggi, la partie « Note e
notizie sui testi », t. II, p. 2960-2964). Calvino y propose une réflexion
générale sur le rôle décisif du commencement pour l’écrivain, comme
abandon de la potentialité infinie et multiforme du cosmos, et entrée
dans un monde verbal défini par ses propres limites. L’auteur justifie
ainsi l’intérêt d’une étude critique sur les zones de frontières de l’œuvre,
pour analyser ensuite certaines modalités d’ouverture, qui témoignent
de l’importance du moment initial : le rite canonique d’identification et
ses variantes, dans le roman classique ; le début in medias res typique
de la modernité ; la nécessité d’une « prise de congé » du cosmos (chez
Musil, Borges, Proust) ; la référence à un savoir général dans un incipit
défini comme « encyclopédique ». Dans les dernières pages, Calvino
présente aussi une réflexion sur certaines de ses œuvres.
FINAS, Lucette, « Le manuscrit blanc », dans Bernhild BOIE et Daniel
FERRER (éd.), Genèses du roman contemporain. « Incipit » et entrée en
écriture, Paris, Éd. du CNRS, coll. « Textes et manuscrits », 1993,
p. 185-200. À travers l’analyse de certains incipit de Georges Bataille,
l’auteur développe l’idée d’un « manuscrit blanc », sorte d’espace
indéfinissable et non théorisable où se dispose ce qui va donner lieu à
l’incipit : idée que Lucette Finas évoque aussi à propos de la genèse de
ses propres œuvres.
GOUX, Jean-Paul, « Le temps de commencer », dans Bernhild BOIE et
Daniel FERRER (éd.), Genèses du roman contemporain. « Incipit » et
entrée en écriture, Paris, Éd. du CNRS, coll. « Textes et manuscrits »,
1993, p. 37-77. Réflexion de l’écrivain sur la recherche du
commencement dans la genèse de certains de ses romans, menée à
travers la présentation des étapes d’un travail préparatoire
particulièrement complexe, dans lequel la première phrase a la fonction
de résumer l’ensemble des projets et des désirs de l’auteur.
GRACQ, Julien, En lisant en écrivant, Paris, José Corti, 1980, en particulier
p. 109-116. Réflexion de l’écrivain sur le rôle décisif du début en tant
que « point d’ancrage » fixe et irrémédiable ; se référant ensuite à la
critique exprimée par Paul Valéry à propos du caractère arbitraire du
roman, Gracq reprend la célèbre phrase de la « marquise » dans une
intention de défense de l’écriture narrative.
MARTIN, Valerie, « Waiting for the story to start », New York Times Book
Review, 7 février 1988, p. 1 et 36. Bref article qui évoque les
témoignages de quelques romanciers (de Virginia Woolf à Joyce Carol
Oates) sur la question de l’entrée en écriture et sur la difficulté du
commencement.
NIZON, Paul, « Trouver le ton, fixer la distance », dans Bernhild BOIE et
Daniel FERRER (éd.), Genèses du roman contemporain. « Incipit » et
entrée en écriture, Paris, Éd. du CNRS, coll. « Textes et manuscrits »,
1993, p. 201-213. Faisant référence à ses propres expériences d’écriture,
l’auteur propose une réflexion sur le choix du ton, question décisive
dans la genèse du commencement, dans la mesure où elle détermine la
distance et le rôle du narrateur par rapport aux événements racontés.
OZ, Amos, L’histoire commence, Paris, Calmann-Lévy, 2003 [éd. originale,
en hébreu, Mathilim sipur, Jérusalem, Keter, 1996 ; trad. angl., The
Story Begins. Essays on Literature, Londres, Chatto & Windus, 1999, et
New York, Harcourt Brace, 1999]. La réflexion proposée se focalise
notamment sur la définition du contrat de lecture, ce « marché secret qui
se conclut entre l’auteur et le lecteur dès le premier paragraphe » du
texte. L’analyse des incipit de plusieurs écrivains – Fontane, Samuel
Agnon, Gogol, Kafka, Tchekhov, Elsa Morante, García Márquez,
Carver, ainsi que les romanciers israéliens Yizhar et Shabtaï – prône
constamment l’exigence d’une lecture « au ralenti », afin de déchiffrer
les signes cachés, voire pervers, du pacte liminaire.
POPE, Robert, « Beginnings », The Georgia Review, vol. 36, no 4, 1982,
p. 733-751. Lecture focalisée notamment sur l’aspect de séduction de la
voix narrative, à travers l’analyse de certains incipit célèbres de Kafka,
Borges, Nabokov et García Márquez.
SIMON, Claude, « Attaques et stimuli », entretien inédit, dans Lucien
DÄLLENBACH, Claude Simon, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Les
Contemporains », 1988, p. 170-181 (voir aussi la note sur les
commencements, p. 168). Réflexion de l’écrivain et du critique sur la
genèse de l’œuvre, sur le rôle de la première phrase, qui amorce ou
déclenche le récit, sur les formes et les thèmes des commencements
simoniens.
ÉTUDES CRITIQUES
THÈSES
ADAMO, Giuliana, Come iniziano e come finiscono i romanzi. Storia e
analisi, thèse de PhD, université de Reading, 1999.
CHEBIL BEN SALEM, Amel, Typologie et poétique de l’« incipit » dans la
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fiction narrative des XIX et XX siècles, thèse de doctorat nouveau
régime, université de Strasbourg II, 1999. Thèse éditée par les Presses
universitaires du Septentrion sous le titre Poétique et typologie des
incipit dans la fiction narrative française des XIXe et XXe siècles (de 1871
à 1979).
CHEVILLOT, Frédérique E., Ouverture et clôture romanesques : cinq
problématiques, Boulder, université du Colorado, 1989.
DEL LUNGO, Andrea, Gli inizi difficili. Per una poetica dell’« incipit »
romanzesco. Modelli e variazioni in Balzac, thèse de doctorat de
recherche, université de Rome « La Sapienza », 1995.
DENIS, Sophie Éléonore, L’« Incipit ». Les portes de l’espace romanesque
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français du XX siècle, thèse de doctorat nouveau régime, université de
Limoges, 2002.
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IIIe cycle, université de Paris III, 1990. Étude générale sur la notion de
ponctuation, au niveau de la phrase, du texte et de l’œuvre ; contient
dans la deuxième partie une analyse sur les marques et le statut des
séquences narratives de début.
LARROUX, Guy, Le Mot de la fin, ou la Clôture romanesque en question,
thèse de doctorat IIIe cycle, université de Paris III, 1987, chapitres
« L’articulation début-fin » et « L’incipit réaliste-naturaliste », p. 79-96
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d’État, université de Paris VIII, 1991. Un condensé de ce travail a paru
au Maroc sous le titre Les Marges du texte ou les Franges de la fiction
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et Duchet, pour analyser ensuite une nouvelle d’un écrivain costaricien,
Virgilio Mora Rodríguez.
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BAETENS, Jan, « “– Je m’appelle Jacques Maast” », Poétique, no 78, 1989,
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BARAZ, Michaël, « Un texte polyvalent : le Prologue de Gargantua », dans
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quelques remarques sur l’incipit de la Recherche du temps perdu de
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(« L’ouverture et l’ensemble dans Moïra de Julien Green ») se trouve
dans la revue CRIN [Cahiers de recherches des instituts néerlandais de
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roman II, 1950-1970, p. 49-61.
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Sur la genèse du début de Corinne.
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STREIFF MORETTI, Monique, « Il canto della sirena orba : L’Hiver de beauté
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néerlandais de langue et de littérature françaises], no 11, 1984,
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—, « L’ouverture et l’ensemble dans Le Vent de Claude Simon », CRIN
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littérature françaises], no 11, 1984, Recherches sur le roman II, 1950-
1970, p. 70-79.
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inachevé de Stendhal, comparé à Candide, Lucien Leuwen, Pierre
Grassou.
VIOLLET, Catherine, « Thérèse et Isabelle : le dactylogramme », Roman 20-
50, no 28, 1999, p. 9-20. Sur la genèse du début censuré de Ravages, de
Violette Leduc.
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193.
WELSH, Alexander, « Opening and closing Les Misérables », Nineteenth-
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p. 8-23.
YOUNG, Michael, « Beginnings, endings and textual identities in Balzac’s
Louis Lambert », Romanic Review, vol. 77, no 4, 1986, p. 343-358.
*
Je signale enfin, par ordre chronologique, les « répertoires » d’incipit
romanesques, souvent humoristiques, publiés notamment aux États-Unis,
mais aussi en Italie, Grande-Bretagne, Irlande et Suisse :
Jacques, Georges : 1, 2.
Jakobson, Roman : 1, 2n, 3n.
Jamblique : 1.
– Les Babyloniques, 1.
Jauss, Hans Robert : 1n, 2, 3n, 4, 5.
Jean, Raymond : 1, 2, 3, 4n, 5n.
Jourde, Pierre : 1n.
Joyce, James : 1n, 2, 3.
– Finnegans Wake, 1n.
– Ulysse, 1, 2.
Kafka, Franz : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
– Le Château, 1, 2.
– La Métamorphose, 1.
– Le Procès, 1, 2.
Kerouac, Jack : 1n.
– Sur la route, 1n.
Kipling, Rudyard : 1.
– Le Livre de la jungle, 1.
Kundera, Milan : 1.
– L’Insoutenable Légèreté de l’être, 1-2.
O’Brien, Flann : 1.
– At Swim-two-Birds, 1.
Orlando, Francesco : 1n.
Orwell, George : 1n.
– 1984, 1n.
Rabelais, François : 1, 2.
Radiguet, Raymond : 1n.
– Le Diable au corps, 1n.
Rambaud, Patrick : 1n.
– La Bataille, 1n.
Raphaël (Raffaello Sanzio, dit) : 1n, 2, 3.
Rasson, Luc : 1n.
Ray, Man : 1n.
Renoir, Jean : 1n.
Revol, Mireille : 1n.
Ricardou, Jean : 1, 2n.
Richardson, Samuel : 1.
– Pamela ou la Vertu récompensée, 1.
Robbe-Grillet, Alain : 1n, 2n, 3, 4n.
– Dans le labyrinthe, 1n.
– La Jalousie, 1.
– Pour un nouveau roman, 1n, 2n.
– Topologie d’une cité fantôme, 1n.
Roncaglia, Aurelio : 1n.
Roscioni, Gian Carlo : 1n.
Roth, Philip : 1n.
– Goodbye Columbus, 1n.
Rousseau, Jean-Jacques : 1, 2.
– Julie ou la Nouvelle Héloïse, 1.
Roussel, Raymond : 1.
– Comment j’ai écrit certains de mes livres, 1.
Rousset, Jean : 1, 2, 3, 4n, 5, 6n, 7n, 8n, 9, 10, 11n.
Sainte-Beuve, Charles-Augustin : 1n.
Salinger, Jerome D. : 1.
– L’Attrape-cœurs, 1-2.
Sand, George : 1, 2.
– Consuelo, 1.
Sarraute, Nathalie : 1n, 2, 3n.
– Entre la vie et la mort, 1n.
– Les Fruits d’or, 1n.
– Le Planétarium, 1n, 2.
– Portrait d’un inconnu, 1n.
Sartre, Jean-Paul : 1n.
– La Nausée, 1n.
Schlegel, Friedrich von : 1n.
– Fragments critiques, 1n.
Schoentjes, Pierre : 1n.
Schuerewegen, Franc : 1n, 2n, 3, 4n, 5, 6n, 7n.
Sciascia, Leonardo : 1.
– Le Jour de la chouette, 1.
Scott, Walter : 1n, 2, 3, 4, 5, 6, 7n, 8.
– Ivanhoé, 1.
– Waverley, 1n.
Searle, John : 1n, 2n.
Segre, Cesare : 1n, 2.
Shakespeare, William : 1.
– Hamlet, 1.
Simon, Claude : 1n, 2n, 3n, 4, 5, 6, 7.
– Histoire, 1-2.
– Orion aveugle, 1n, 2n.
– La Route des Flandres, 1, 2n.
Sollers, Philippe : 1n, 2, 3n.
Staël, Anne-Louise Germaine de : 1.
– Corinne ou l’Italie, 1.
Starobinski, Jean : 1, 2n.
Stendhal : 1, 2n, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9n, 10n, 11, 12.
– Armance, 1.
– La Chartreuse de Parme, 1, 2n, 3n, 4-5.
– Le Rouge et le Noir, 1, 2n, 3, 4, 5, 6.
Sterne, Laurence : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
– Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme, 1n, 2-3, 4.
Svevo, Italo : 1.
– Sénilité, 1.
Tabucchi, Antonio : 1, 2, 3.
– L’Ange noir, 1.
– Piazza d’Italia, 1-2.
Takayama, Tetsuo : 1n.
Tchekhov, Anton P. : 1, 2n.
– La Steppe, 1, 2n.
Thackeray, William M. : 1n.
– La Foire aux vanités, 1n.
Todorov, Tzvetan : 1n.
Tolstoï, Lev N. : 1n, 2, 3n, 4n.
– Anna Karénine, 1n.
– Deux hussards, 1n.
Tourgueniev, Ivan S. : 1n.
Tournier, Isabelle : 1n, 2n.
Vachon, Stéphane : 1n, 2n, 3n, 4n, 5n, 6, 7, 8n, 9n, 10n,
11n, 12n, 13n, 14n, 15n.
Valéry, Paul : 1, 2, 3, 4, 5n.
– Cahiers, 1n.
Van Eyck, Jan : 1n.
– Les Époux Arnolfini, 1n.
Van Rossum-Guyon, Françoise : 1n, 2n.
Velázquez, Diego : 1.
Verga, Giovanni : 1.
– Mastro Don Gesualdo, 1.
Verrier, Jean : 1n, 2n, 3n.
Vicaire, Georges : 1n.
Vie de Lazarillo de Tormes (La) : 1.
Viollet, Catherine : 1n.
Virgile (Publius Vergilius Maro) : 1n.
Vonnegut, Kurt : 1, 2, 3.
– Abattoir 5 ou la Croisade des enfants, 1.
– Barbe-bleue, 1-2.
Wagner, Richard : 1.
Weinrich, Harald : 1, 2.
Welles, Orson :159n.
– Citizen Kane, 1n.
Wilde, Oscar : 1.
– Le Portrait de Dorian Gray, 1.
Wilhem, Daniel : 1n.
Wolf, Christa : 1n, 2n.
– Trame d’enfance, 1n.
Woolf, Virginia : 1, 2.
– Promenade au phare, 1, 2.
*1. Les œuvres citées et commentées dans le texte sont indiquées par des folios en caractère
gras.