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Phonétique et enseignement – N5OP105 Sorbonne Nouvelle - Paris 3

Mineure DFLES 3e année et DUECDF UFR LLD - Département DFLE


Présence Sandrine Wachs

Cours 1
Phonétique et enseignement

1.1. Que veut dire Phonétique et enseignement ?


1.2. Faut-il enseigner la prononciation d’une LE ?
1.3. Quelle attitude peut-on adopter face à cet enseignement/apprentissage ?
1.4. Quelle prononciation enseigner ?
1.5. Quelles connaissances cela implique-t-il ?

Je propose que nous commencions ce cours par nous poser des questions sur la discipline
« phonétique » en elle-même afin d’essayer de comprendre ce qu’on peut y enseigner.
C’est parti !

1.1. Que veut dire Phonétique et enseignement ?

Vous allez me répondre : enseigner la phonétique. Certes. Alors, que veut dire enseigner (et
apprendre) la phonétique ? C’est enseigner la prononciation d’une langue étrangère, mais pas
seulement : c’est aussi enseigner le rythme de cette langue (c’est-à-dire tout ce qui relève de la
prosodie).

1.2. Faut-il enseigner la prononciation d’une langue étrangère (LE) ?

En apprenant une langue étrangère quelle qu’elle soit, on se trouve obligatoirement confronté
à la prononciation de cette langue (sauf si on souhaite travailler uniquement le code écrit :
traduction de textes écrits par exemple). Puisque vous avez choisi ce cours, vous devez
certainement penser que cet aspect de la langue est très important dans
l’enseignement/apprentissage d’une LE. Et vous avez raison ! Pourtant, ce n’est pas le cas de tout
le monde... (cf. infra).
Ce qui n’a jamais été remis en cause dans l’enseignement d’une LE, c’est l’intérêt et
l’importance de la grammaire. Pour la prononciation, c’est une autre histoire. Et pour
l’enseignement du rythme, nous n’en sommes qu’aux balbutiements… Je vous invite à ce sujet
à jeter un œil (attentif !) à votre cours intitulé Méthodologies d’enseignement et observation de
classe : vous verrez plus précisément, dans l’histoire des méthodologies, la place accordée à
l’enseignement de la prononciation (développée parallèlement à l’importance accordée à l’oral
dans une classe de LE).
La prononciation d’une LE apparait comme complexe et revêt un caractère subjectif. On
est toujours - inconsciemment - amené à juger, critiquer un accent : rappelez-vous ce que vous
pouviez penser de la prononciation de vos profs d’anglais, d’espagnol ou d’allemand par
exemple ! (si ceux-ci n’étaient pas locuteurs natifs).
On juge et on critique toute personne parlant une LE : nos amis, les membres de notre famille,
des personnes qu’on ne connait pas ou peu. Quand on juge une personne sur son accent, on fait
inconsciemment intervenir des opinions sur la personne en elle-même (sa personnalité, son style,
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Présence Sandrine Wachs

etc.). C’est comme si il y avait un « bon » et un « mauvais » français : une bonne et une mauvaise
prononciation ! Il se passe exactement la même chose lorsque nous communiquons entre
francophones : nous portons constamment des jugements négatifs sur le parler des locuteurs.
Jugement sur les mots utilisés (lexique), sur les constructions d’énoncés (syntaxe), sur l’accent
régional (phonétique et prosodie), sur les intonations qu’on peut parfois trouver « vulgaires »
(prosodie), etc. Nous jugeons en effet de façon inconsciente la façon dont parle un locuteur par
rapport à la norme enseignée à l’école. C’est ce qu’on appelle la norme prescriptive (de
prescription). On prescrit (comme le médecin prescrit une ordonnance) en disant des choses du
type « dites je vais chez le coiffeur ; ne dites pas je vais au coiffeur »). Il faut savoir que le français
est la langue la plus normée au monde, c’est-à-dire qu’il y a un poids énorme de la norme sur la
langue écrite (nous sommes sanctionnés si nous n’écrivons pas du « bon français ») et sur les
usages (nous sommes jugés et nous jugeons les locuteurs lorsque nous parlons).
Si le locuteur s’exprime « en dehors » de la norme, ça nous choque (sans qu’on se rende
compte que nous-mêmes nous produisons des énoncés que nous condamnons, comme par
exemple c’est lui l’homme que je te parle depuis tout à l’heure). Tout locuteur en effet émet des
jugements prescriptifs sur la langue (ce qui ne veut pas forcément dire qu’il en maitrise la norme).
Pour revenir à la prononciation d’une LE (ici le français), on peut penser que la critique est
recevable de la part d’un natif : on aurait tendance à plus facilement accepter la critique sur notre
prononciation de la part d’un locuteur natif. Mais là encore, il y a des divergences. Le locuteur
d’une LE (vous par exemple !) peut en effet ne pas se faire comprendre en demandant un
renseignement dans la rue et à côté de ça mener une conversation dans une autre situation tout à
fait compréhensible. Il est donc légitime d’apprendre/d’enseigner la prononciation pour ne pas
obstruer la communication.
Certains pourtant remettent en cause le travail sur la prononciation. Pour eux en effet, la
prononciation est une composante de la personnalité : la correction phonétique toucherait à la
personnalité de l’apprenant. La question est posée en ces termes : puisqu’il ne semble pas
nécessaire d’intervenir sur une prononciation « marquée » d’un accent régional, pourquoi
intervenir sur une prononciation « marquée » d’un accent étranger ?!
Il reste indéniable, selon moi, qu’il faut travailler la prononciation et le rythme lorsque l’on
apprend une LE car une mauvaise prononciation ou un mauvais rythme peut entraver, voire
bloquer, la communication.

1.3. Quelle attitude peut-on adopter face à cet enseignement/apprentissage ?

Il existe une interaction certaine entre natif et apprenant. Il y a l’interlocuteur natif (plus ou
moins tolérant face à l’accent étranger) et le locuteur étranger (qui marque plus ou moins sa
parole de LE de son origine linguistique) :
- Quelle attitude adopte le locuteur natif face à la prononciation d’un locuteur étranger ?
- Quelle attitude adopte ce locuteur étranger face à la prononciation qu’il souhaite acquérir
de la LE ?

Cette interaction natif/apprenant fait intervenir de nombreux facteurs. Il existe plusieurs cas
de figure selon que l’on s’intéresse au locuteur natif ou au locuteur étranger, c’est-à-dire
différents objectifs, différents points de vue :
- du côté du locuteur natif (du côté de la perception) : il faut savoir que la perception d’un
accent étranger et le jugement associé à l’accent est un phénomène culturel. Il existe un
rapport entre la tolérance d’une culture face aux accents étrangers et les performances
phonétiques et rythmiques de cette culture en LE. Autrement dit, plus on est exigeants,
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moins on est performants. Par exemple, les Français et les Japonais sont connus comme
étant particulièrement sensibles et exigeants face aux étrangers parlant leur langue. Par
contre ils ne sont pas réputés pour leurs performances phonétiques et rythmiques, bien au
contraire ! À l’inverse, les Hollandais ont la réputation d’être très doués pour les LE et
sont en même temps très tolérants vis-à-vis du locuteur étranger parlant leur langue
maternelle. Cette attitude peut certainement s’expliquer par le faible nombre de locuteurs
néerlandophones et, plus encore, par le très faible nombre d’apprenants de néerlandais.
- du côté du locuteur étranger (du côté de la production), l’apprenant peut adopter 3 types
de comportement. Il peut vouloir :
- acquérir une prononciation « à l’identique » des natifs,
- acquérir une prononciation « intelligible » mais sans plus,
- ne pas modifier sa prononciation de langue maternelle (LM).
Dans le dernier cas de figure, je vous conseille de rapidement identifier ces apprenants
(rares, au demeurant), pour éviter tout effort inutile !
N’oubliez pas de prendre en compte l’attitude de l’apprenant face au groupe
classe (timidité/témérité). Un comportement du type « je ne fais aucun effort pour
changer ma prononciation » peut cacher une grande timidité.

Vous avez certainement déjà entendu dire qu’il est impossible d’acquérir une prononciation
« à l’identique » des natifs quand on est adulte. Les chercheurs ont en effet mis en évidence une
sorte de période critique après laquelle l’apprentissage d’une langue nouvelle est plus difficile.
Cette période se situerait juste après l’adolescence. Imaginez que vous êtes un jeune marseillais
de 8 ans qui est amené à déménager à Paris : il y a de fortes chances pour que vous perdiez assez
rapidement votre accent marseillais. Imaginez maintenant que vous êtes un adulte marseillais
déménageant à Paris : vous avez de grandes chances de garder votre accent régional. Le système
phonologique d’une personne est en effet instable jusqu’à cette période critique. Instable, c’est-
à-dire ouvert à tout changement (articulatoire et rythmique). Après cette période, les réflexes
articulatoires sont plus ancrés et il devient beaucoup plus difficile pour l’apprenant de changer
sa prononciation (sans pour autant être impossible : il a déjà été prouvé que des adultes peuvent
apprendre une LE tout en ayant un bon accent). Il est bien connu que le cerveau des enfants
absorbe les nouvelles informations plus facilement que celui des adultes (et ceci est vrai pour
tout, pas seulement pour la prononciation !).

Chez les bébés, il a été montré que le babillage (bruits émis par le bébé avant l’articulation
des sons) n’était pas universel, c’est-à-dire différent d’une langue à l’autre. Cela signifie que les
bébés ne font pas les mêmes bruits et ne réagissent pas de la même manière à leur entourage
phonétique et rythmique. Dès le babillage donc, les bébés acquièrent (par l’écoute) les sons qui
vont leur être utiles dans leur système de langue. Plus ils entendent des sons et des rythmes
différents, plus il leur sera facile de les acquérir. À force d’habitude gestuelle vocale, l’appareil
vocal désapprend peu à peu à exploiter toutes les possibilités. Ce qui ne veut pas dire qu’il est
impossible d’adopter une nouvelle gestuelle vocale ! (si c’était le cas, ce cours n’existerait pas !).

Apprendre une nouvelle prononciation, c’est accepter de changer ses habitudes


articulatoires. Ceci va bien évidemment à l’encontre de certaines thèses racistes (qui ne sont
plus d’actualité, fort heureusement) selon lesquelles l’anatomie des personnes ne serait pas la
même en fonction de la langue parlée. Cela reviendrait à dire que les hommes n’auraient pas
les organes placés de la même façon en fonction de leur langue maternelle (donc de la société
dans laquelle ils vivent) !
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1.4. Quelle prononciation enseigner ?

À votre avis, va-t-on enseigner la prononciation de Marseille, celle du Nord de la France ou


celle de Paris ? Si vous étiez (ou si vous êtes !) un apprenant étranger voulant apprendre le
français, quelle prononciation souhaiteriez-vous apprendre ? Là, la réponse semble unanime :
« on veut apprendre le bon français, la meilleure prononciation, la plus pure » (ce qui ne veut
évidemment rien dire), à savoir - dans les représentations des apprenants - une prononciation non
marquée : le français qu’on entend sur les médias, le français de Paris ou de la région de Touraine,
en d’autres termes enfin, le français dit « standard ».
Le français des médias est le français qu’on entend à la radio, à la télévision. De la même
façon qu’il existe à la télévision des quotas pour les gens de couleur, il existe des quotas pour les
gens avec accent régional : on les retrouve tout particulièrement en train de présenter la météo
(parce que l’accent « chantant » du Sud amène plus le beau temps !).
Pourquoi la région de Tours ? Tout simplement parce que c’est la région des châteaux, c’est
donc là que devait se parler le français le « plus pur », à la cour... Ce sont des représentations
qui sont encore aujourd’hui très vivaces. Allez vous promener à Tours près de l’Université de
lettres François Rabelais et vous verrez une profusion d’école de langue française...
Qu’est-ce que la prononciation du français standard ? C’est une prononciation qui se définit
par l’absence de marques régionales. C’est une définition par défaut puisque toute prononciation
est marquée par rapport à une autre prononciation : un locuteur breton par exemple trouvera que
le parisien a un accent. On peut donc facilement aller jusqu’à dire que le français standard
n’existe pas ! Il y a de la variation partout.
À noter qu’il existe des formations spécialisées qui présentent des prononciations régionales
(tel que l’accent méridional), et extrarégionales (accents belge, suisse ou québécois). On trouve
la présentation de ces différentes prononciations dans les cours pour étrangers de l’Institut
Linguistique de Phonétique Générale et Appliquée (ILPGA) de la Sorbonne Nouvelle, rue des
Bernardins. Il n’en reste pas moins que ces prononciations ne sont pas prises en compte dans
l’enseignement général de la langue. Si vous entendez un étranger parler le français avec l’accent
du sud-ouest ou l’accent belge, ça peut vous étonner, voire vous choquer, ou vous faire rire… en
tout cas vous faire réagir !

Dans ce cours, nous allons voir ensemble quels sont les sons qu’un apprenant étranger se doit
de savoir prononcer (quel que soit son accent), c’est-à-dire les sons qui ont une fonction dans la
langue française (cf. les phonèmes, cours 2). Vous n’allez par ex. pas passer des séances entières
à enseigner la prononciation du /r/ standard si votre apprenant prononce un /r/ roulé. Quelle
importance ? De la même manière vous n’allez pas vous évertuer à enseigner le /a/ d’avant si
vous avez des apprenants qui prononcent un /a/ d’arrière (qu’on entend par ex. dans le Nord de
la France ou au Québec). Ces prononciations n’affecteront jamais la communication, tout
simplement parce qu’il n’existe en français qu’un seul phonème /r/ et qu’un seul phonème /a/ :
qu’importe la façon dont on les prononce.
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1.5. Quelles connaissances cela implique-t-il ?

Le travail sur la prononciation implique deux types de connaissances (et donc de réflexions) :

1. Des connaissances de type linguistique : les sciences du langage se sont toujours


intéressées aux unités sonores, c’est-à-dire aux unités de la parole (les sons). L’analyse
structurale ([biblio] cf. Ferdinand de Saussure (1915)) a permis, entre autres :
- d’identifier toutes les unités sonores nécessaires pour produire les langues,
- de décrire ces unités en termes articulatoires et acoustiques
- d’observer les relations que ces éléments entretiennent (ou pas) entre eux.
Pour dire les choses autrement, le but du jeu est de décrire le système des sons d’une
langue et plus précisément d’en dégager le système phonologique (je reviendrai sur ces
termes phonologie et phonétique tout de suite après, au cours 2).

2. Des connaissances de type pédagogique : chacun sait qu’il ne suffit pas d’avoir les
connaissances sur une discipline, quelle qu’elle soit, pour savoir l’enseigner. Il ne suffit
pas en effet d’être incollable sur les organes de la parole, l’articulation et la classification
des sons, la lecture et l’écriture de l’API, les paires minimales, etc. pour savoir les
enseigner, mais il s’agit de savoir faire. C’est la célèbre articulation entre savoirs et savoir
faire, c’est-à-dire entre les savoirs théoriques et le savoir faire pédagogique.

Ces deux types de connaissances et de réflexions sont importants. Les savoirs linguistiques
que vous allez acquérir dans ce cours vont vous permettre de poser un œil critique sur les
manuels de prononciation et d’être initiés à la construction de bons exercices/activités, tout en
ayant confiance en vous. La réflexion pédagogique va vous permettre d’organiser un contenu
raisonné d’un programme de phonétique en même temps que d’appréhender les manuels
phonétiques de FLE.

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