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ENSEIGNER LES LANGUES AUJOURD’HUI

DOSSIER
3. Questions brulantes

Enseigner la prononciation
d’une langue étrangère
L’auteure développe les enjeux et les défis liés à Ainsi, la qualité de la prononciation
l’enseignement de la prononciation, elle propose aussi détermine en priorité, la compré-
des pistes pour cet enseignement qu’elle considère hensibilité. Un locuteur qui maitrise
comme une priorité en langue. bien la prononciation d’une langue
étrangère donne l’impression aux
interlocuteurs natifs de mieux mai-
Nadine de Moras, professeure agrégée de français et triser la langue et se sent plus à
linguistique appliquée en Ontario, Canada l’aise et fier de ses compétences.

L
C’est pourquoi au moins un mini-
ors des trente dernières dans la première année d’étude de mum de prononciation devrait être
décennies, l’approche com- la langue. Si les apprenants n’ont enseigné.
municative et plus récem- pas acquis les fondements des élé-
ment l’approche action- ments phonétiques d’une langue n Enseigner la prononciation
nelle, ainsi que le CECR (Cadre durant les deux premières années Les priorités ainsi que le nombre
européen commun de référence) ont d’étude, ils ne les acquerront pro- d’heures nécessaires peuvent varier
permis de rendre l’enseignement des bablement jamais. selon les langues. Il convient bien
langues plus vivant et plus utile. Les sûr d’adapter l’apprentissage à la
apprenants utilisent la langue de n Connaitre l’intonation difficulté, et pour les locuteurs fran-
façon authentique dans des situa- et l’accentuation çais, l’anglais est une difficulté non
tions réelles de communication. Considérer l’intonation et l’accen- négligeable.
tuation de syllabe ou de mots En ce qui concerne l’ordre de ce
n L’écueil de la prononciation comme des raffinements de la qui devrait être enseigné, une règle
L’approche actionnelle et le CECR langue est franchement probléma- générale est de suivre, autant que
ont une lacune : l’enseignement de possible, les étapes d’acquisition des
la prononciation. Les rubriques enfants en langue maternelle, mais
concernant la prononciation ne sont
Pour savoir comment on écrit de façon accélérée. En langue mater-
que des généralités qui n’indiquent un mot, on le dit à haute voix, nelle, l’apprentissage de la langue
rien de concret : la prononciation de pour savoir si cela sonne orale authentique se fait de façon
l’apprenant est « compréhensible avec juste. naturelle, en entendant de nombreux
quelque effort » au niveau A1, « suf- locuteurs dans des centaines de
fisamment claire pour être comprise tique. Dans toutes les langues, il est situation de communication, ce qui
malgré un net accent étranger », important de connaitre au moins les équivaut à des milliers d’heures de
« clairement intelligible, même si un intonations de base, et notamment contact intensif avec la langue. Ainsi,
accent étranger est quelquefois per- l’intonation des phrases déclaratives les enfants apprennent d’abord à
ceptible » au niveau B1 ; l’apprenant et interrogatives. Par contre, on parler, et quand ils vont à l’école et
« a acquis une prononciation et une pourrait, en effet, inclure au niveau commencent à écrire, ils maitrisent
intonation claires et naturelles » au C1 des types d’intonation plus sub- déjà la langue orale. Pour savoir
niveau B2 ; « il peut varier l’intona- tils tels que les intonations de l’iro- comment on écrit un mot, on le dit
tion et placer l’accent phrastique nie, du doute, ou de l’implication. à haute voix, pour savoir si cela
correctement afin d’exprimer de fines En anglais, l’intonation et surtout sonne juste. L’écrit se base sur l’oral.
nuances de sens » au niveau C1, et l’accentuation de syllabes et de mots En langue 2, le nombre trop res-
le C2 n’ajoute rien. devraient être enseignées et notées treint d’heures d’exposition à la
Non seulement ces descriptions dès le niveau A1, parce qu’elles langue ne permet pas de se former
n’indiquent rien de précis, pire constituent un élément de base de l’oreille à une nouvelle langue. Il va
encore, elles donnent la fausse la compréhensibilité. donc falloir enseigner la prononcia-
impression que du moment que les Ainsi, la prononciation est sans tion de façon formelle et reconstituer
apprenants sont compréhensibles, doute l’un des éléments les plus artificiellement un environnement,
on verra les détails de prononciation utiles et les plus importants à ensei- des conditions propices à l’acquisi-
plus tard. Or, contrairement au reste gner. Pour le vocabulaire, on peut tion de la prononciation afin de for-
de l’acquisition de la langue, l’acqui- recourir à un dictionnaire et les mer l’oreille des apprenants, la réha-
sition de la prononciation ne se fait erreurs de grammaire entravent rare- bituer à un nouveau système
pas de façon linéaire et progressive, ment la compréhension d’une phrase phonologique. Pour cela, on se
au cours des années, comme c’est par l’interlocuteur. Par contre, si la concentrera initialement sur les prin-
le cas pour la grammaire ou le voca- prononciation est trop éloignée de cipes de base (phonèmes, intonation
bulaire. L’acquisition de la pronon- l’authentique, il y a peu de chances de base, accentuation de syllabe, etc.)
ciation se fait de manière globale pour que le locuteur soit compris. et les éléments différents de la n n n

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3. Questions brulantes

langue maternelle qui créent plus de Une condition nécessaire à un situations de la vie courante alors
difficultés et sont plus longs à mai- apprentissage de la prononciation qu’en langue étrangère, les situations
triser et ce, de préférence, avant est la qualité et l’authenticité de la de communication se réduisent à la
d’apprendre à écrire la langue et d’en langue qu’entendent les élèves. Plus salle de classe. C’est-à-dire une situa-
apprendre la grammaire. Par exemple, la prononciation de l’enseignant se tion plutôt formelle, ce qui limite les
si l’on veut familiariser les élèves au rapproche de celle des natifs, plus possibilités de variation et de registres
phonème/r/en anglais, il faudra qu’ils il y a de chances que celle des appre- appropriés à des situations différentes.
écoutent de nombreux mots diffé- nants le soit aussi. Si la prononcia- Si les enfants n’ont pas appris les
rents, en commençant de préférence tion de l’enseignant n’est pas native, différents registres et leur utilisation,
avec des mots qui sont les mêmes ou il est possible de compenser cela en il leur est difficile, sinon impossible,
presque les mêmes en français et en utilisant des documents authen- de comprendre ces registres et de
anglais : race, racist, radish, etc. Cela tiques à la place, tels que des enre- pouvoir les utiliser correctement. Les
fait triple emploi : on se familiarise gistrements, des fichiers sonores, des registres de langue sont directement
avec la prononciation, on apprend vidéoclips, des chansons, etc. Idéa- liés à la prononciation, si bien qu’on
de nouveaux mots, on voit que de lement, il faudrait aussi que l’ensei- peut difficilement enseigner la pro-
nombreux mots sont les mêmes, et gnant aille perfectionner ses com- nonciation si l’on n’enseigne pas en
on prend conscience qu’on connait pétences orales et suive au moins même temps les registres de langue
déjà des centaines de mots ! un cours de prononciation, de pré- et la variation sociolinguistique.
férence dans le pays de la langue
n Quels exercices et quelle n Les particularités de la
progression ? langue orale
Les exercices d’écoute et de recon-
En langue étrangère, les Elles se retrouvent dans toutes les
naissance sont extrêmement impor- situations de communication langues et ont les mêmes critères,
tants, car ils ont pour but de former se réduisent à la salle de quelle que soit la langue. En langue
l’oreille de l’apprenant. Les ensei- classe. orale (familière), on a tendance à uti-
gnants brulent parfois ces étapes et liser des mots plus courts, et des
passent trop rapidement à des activités cible, et que l’enseignant retourne phrases plus courtes. Si elles ne le
de communication, pensant, à tort, régulièrement dans le pays. sont pas, on les raccourcit. Par
qu’ils verront la prononciation plus Avec internet, il est facile de trou- exemple, en français, alors qu’en
tard (comme suggéré dans le CECR). ver des sources authentiques. Puisque langue standard on dirait « comment
Ainsi les élèves pourront peut-être le but des exercices est notamment allez-vous ? », en langue familière on
formuler des phrases plus tôt, mais de pratiquer la prononciation, les dirait plutôt « comment ça va ? », « tu
cela entravera l’acquisition de la pro- chansons permettent à la fois de vas bien ? », « ça va ?  ». De même, en
nonciation à court et à long terme. mémoriser des structures syntaxiques anglais, en langue standard on dirait
N’ayant pas eu assez d’entrainement, et lexicales, et d’avoir une mémoire « How do you do ? », « How are you ? »,
les apprenants n’utilisent que leur auditive de nombreux mots et struc- alors que dans la conversation fami-
langue maternelle en empruntant son tures. Écouter des chansons et chan- lière de tous les jours, on dirait plutôt
système phonétique. Plus ils pra- ter, c’est généralement agréable pour « What’s up ?  », « Wazup ?  », « What’s
tiquent, plus les erreurs se fossilisent, les enfants mais aussi gratifiant, car new ? », « What’s goin on ? ». Ainsi,
rendant les cours futurs et les correc- ils arrivent facilement à s’en souvenir, pour enseigner la langue orale, il vau-
tions inutiles. Si l’on n’enseigne pas et avec une assez bonne prononcia- drait mieux que le contenu soit vrai-
la prononciation au début, il sera tion. Notons que lorsque nous écou- ment une langue orale authentique,
beaucoup plus difficile de l’enseigner tons et chantons des chansons, beau- et non une langue artificielle, voire
plus tard, voire impossible. Cela coup plus de parties du cerveau sont une langue écrite oralisée.
demande des efforts initiaux pour les activées en même temps que dans
apprenants, mais cela en vaut la peine, d’autres types d’exercices (lecture à Enfin, l’étude la prononciation
car on en voit vite les résultats. haute voix, répétition, etc.), ce qui peut être très motivante pour les
Une fois que les apprenants ont en fait un outil particulièrement effi- élèves. Les enseignants peuvent par
quelques connaissances et compé- cace en cours de langue. exemple leur faire chanter des chan-
tences phonétiques, qu’ils sont Une fois les éléments de base mai- sons, imiter des passages de films
capables d’identifier, de discriminer et trisés avant le début du cours, on peut (pour l’anglais, The Big Bang Theory
de reproduire les phonèmes de base, alors enseigner le reste de la pronon- me parait idéal) et faire des parodies
on peut passer à des activités de pro- ciation en même temps que le reste de ces films, ainsi qu’organiser des
duction, mais toujours centrées sur la de la langue orale (vocabulaire, struc- discussions live avec des élèves
forme : «  Écoutez, répétez, lisez les mots tures). Par exemple, on peut enseigner anglophones du même âge. Si les
suivants. » Quand les élèves sont la prononciation de could et would, élèves sont motivés, ils peuvent
capables de répéter et de lire des mots en même temps qu’on voit le condi- même travailler la langue par eux-
facilement, on peut alors commencer tionnel ou le passé. mêmes, en dehors des cours. Et s’ils
à intégrer les mots dans de petites Si l’on doit suivre un programme ont acquis une bonne prononciation,
phrases. On peut créer des phrases et qu’on ne peut pas enseigner ce ils seront toujours à même d’amé-
dans lesquelles on a rassemblé les qu’on veut, on peut toujours rajouter liorer la grammaire et le vocabulaire
mots de la même structure phonétique, une partie orale, en supplément au plus tard. Le contraire n’est pas vrai-
comme le faisait le professeur d’anglais programme établi. ment possible. n
dans My Fair Lady : «  The rain in Spain Les enfants apprennent leur langue
stays mainly in the plain. » maternelle dans toutes sortes de

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