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La Mort est un sujet classique dans tous les arts, au point de devenir presque un
cliché. Dans les représentations de la mise à mort, on retrouve depuis l’antiquité tout
type de morts, des plus saisissantes, comme celle du Troyen dans L’Iliade, transpercé
par une lance dont la pointe acérée lui fait avaler la mort glacée :
Le fils de Phylée, illustre guerrier, s'approche [de Pédée] et, de sa lance aiguë,
à celles qui teintent l’effroi du trépas avec une nuance douce telle la peinture de J. E.
Millais, où l’on voit Ophélie flotter sur les eaux comme apaisée.
1 Homère, Iliade, texte établi et traduit par Paul Mazon, Vol. I, Chants I-VI, Paris, Les Belles lettres,
1987, pp 117-118.
2 https://fr.wikipedia.org/wiki/Oph%C3%A9lie_(Millais)#/media/Fichier:John_Everett_Millais_-
_Ophelia_-_Google_Art_Project.jpg.
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et spirituelle, joue aussi un rôle essentielle, et il a été exploitée aussi bien par la
musique classique (par exemple, dans la mort d’abord physique et puis éternelle de
Don Giovanni en face du Commendatore chez Mozart)3 que par le Heavy Metal au
est maintenu en vie dans un état pire que l’agonie).4 Précisément, à la fin de cette
vidéo, on remarque qu’une assemblée d’employés d’un restaurant lève un verre alors
qu’une sorte de maître d’hôtel entonne une chanson solennelle. En guise de chant
funéraire, cela nous rappelle la prise en charge de la disparition des personnes que
rituels en tant que formes qui intègrent la mort comme quelque chose d’acceptable et,
en quelque sorte, de moins inaccessible, tantôt pour ceux qui mouraient, tantôt pour
Pérou), expositions à l’air libre (chez les Tibétains) pour que les restes soient dévorés
par des charognards… Chacune de ces possibilités permettait de créer un lien entre
3 https://www.youtube.com/watch?v=7cb1QmTkOAI.
4 La chanson se base sur le roman et film « Johnny Got His Gun » de Dalton Trumbo, où un soldat de la
1ère Guerre mondiale survit sans bras et sans jambes, en plus de ne plus pouvoir voir, parler ou
entendre quoi que ce soit. https://www.youtube.com/watch?v=EzgGTTtR0kc.
5 Pierre Clastres et Lucien Sebag, « Cannibalisme et mort chez les Guayakis (Achén) », Gradhiva, 2 |
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prétendre ainsi à une deuxième vie qui était idyllique ou infernale, selon son
Le rôle des discours au sein de la société était crucial puisque ceux-ci prenaient
en charge la disparition des autres, tout en créant un lien par le biais des mots. Au
cœur même de ce processus, se trouve le Deuil. S’il est accompli, cela permet de
diminuer la douleur des endeuillés proches. En revanche, le cas contraire est source
avaient de ne pas être enterrés après la mort, à défaut de quoi le mort était obligé à
errer sans fin. Il y a un écho à cette situation dans le drame qui se joue aujourd’hui
avec les migrants qui meurent noyés lorsqu’ils essaient de traverser la Méditerranée.
naufragé. Ce qu’elle croyait être de la drogue était en réalité de la terre natale qu’il
avait emporté avec lui ; pratique réalisée par cet immigré et bien d’autres. Le fait
d’emmener une partie de son pays avec lui était essentiel, et au-delà de l’image de
prendre son « sol » avec soi, il y a aussi l’image de la terre comme la métonymie
Cependant, quand le rituel du deuil n’est pas accompli, cela met en risque
6 https://twitter.com/afpfr/status/1171298506214014976.
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il arrive aux bouddhistes tibétains (ce qui sera abordé au moment d’analyser
l’ouvrage d’Antoine Volodine Bardo or not Bardo). De la sorte, il faut donc percevoir
les « réponses socio-culturelles » comme une tentative constante pour faire face à la
question transcendantale : quelle vie après la mort ? Autrement dit, est-il possible de
vivre encore après le décès ? Tant que la réponse est positive face à la douleur de la
perte, face à l’angoisse que fait naître la mort, alors les individus peuvent prétendre à
affronter uniquement la mort comme un passage et non comme une fin en soi,
comme la fin de tout. Or, avec la perte des référents transcendantaux, les grands
occidentale. L’homme, de ce fait, se retrouve seul face à la mort, nu, sans savoir
tant qu’événement.
une action, un geste ou une situation vécus par l’individu et qui sont perçus dans
toute leur complexité. En tant que tel, l’événement est à l’origine de l’existence de
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l’être humain.7 Existence entendue comme l’accès non tant à un être, immuable, mais
détruite, remodelée, transformée. L’individu est alors obligé à bâtir une nouvelle
confrontés. Avant cela, la liste d’expériences vécues qui affectent notre perception du
monde est vaste, et plus les situations portent atteinte à notre cadre herméneutique
grâce auquel nous décortiquons la réalité, plus nos certitudes seront à refaire. Cela
peut nous arriver avec les œuvres d’art : lorsque nous lisons un livre (de fiction, de
pendant qu’on regarde une vidéo (de Bill Viola, par exemple)8 ou qu’on assiste à une
mise en scène particulière d’une pièce de théâtre ou d’un concert (les projets
immersifs de Pink Floyd avec Pulse). Afin de comprendre ce qui a été bouleversé, afin
il faut d’abord faire un état de lieu. À cet effet, la pensée de Maurice Blanchot sur
l’extase peut nous éclairer. Pour lui, dans La Communauté inavouable, le trait décisif de
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celui qui l’éprouve [l’extase] n’est plus là quand il l’éprouve, n’est donc plus là
pour l’éprouver. Le même (mais il n’est plus le même) peut croire qu’il s’en
Plus rien n’est identique, tout a été transformé. La mémoire de ce qui existait
renvoie à une réalité qui n’est plus. Il ne reste, dorénavant, que des fragments réunis
autour de la même conscience qui doit faire l’exercice de se voir du dehors, d’un
dehors nouveau ; cette conscience doit observer celui qu’il était comme s’il s’agissait
l’extase, qui est une expérience du vivant, reste de l’ordre du (presque) insaisissable,
tard jusqu’où nous pouvons parler du phénomène en soi et ses implications dans la
dire lorsqu’elles se déroulent (et qui relèvent d’aspects thématiques qui seront
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malgré le fait d’être accomplie par un être humain (un « animal humain »), elle n’est
pas maîtrisée lorsqu’elle se déroule. Afin de définir (de « mettre en mots ») ce qui a
été vécu, il faut prendre du recul et voir ce « moi » comme quelqu’un d’autre.
devient cet « autre » afin de savoir qui il est (qui il était), l’action de se projeter dans
l’autre « je » puis dans un « toi », l’identité forgée se fragmente et se pare des qualités
thanatologue Louis-Vincent Thomas considère qu’il y a deux types de mort, une qui
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Que ce soit l’une ou l’autre cause, qu’elle surgisse de moi ou qu’elle me tombe
dessus, je peux connaître d’emblée son origine et son équation morbide puisqu’il faut
un être vivant pour que la mort apparaisse. Je peux la côtoyer, mais seulement grâce
aux autres, car leur mort est toujours proche, présente, je peux la toucher par le biais
de leur cadavre ; or, quand il s’agit de moi, la mort a toujours un pas en avance. Sorte
à restituer ce qui bouleverse ma vie après mon décès et de la dire avec le « je » depuis
mon expérience, je devrais rester immobile et ne plus avancer vers ma mort, je devrais
rester fixé sur la mort des autres. Il n’y aurait donc aucun moyen de nous approcher
d’elle ? Ici, l’apport de la pensée de Jacques Derrida pourrait nous frayer un chemin.
D’après lui, la voie n’est pas impraticable. On meurt. Voilà l’évidence. On emporte
avec nous le langage, la parole, bien qu’on reste incapables de passer le témoin. Dans
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son livre Apories, le philosophe avance la possibilité d’une énonciation qui emprunte
Qu'est-ce alors que franchir cette frontière de l'ultime ? Qu'est-ce que passer le
terme d'une vie (terma ton bion) ? Est-ce possible ? Qui l'a jamais fait ? Qui peut
en témoigner ? Le « j'entre », en passant le seuil, le « je passe », (paraô) nous
met ainsi, si je puis dire, sur la voie de l'aporos ou de l'aporia : ici l'impraticable,
ici le passage impossible, refusé, dénié ou interdit, voire, ce qui peut être
encore autre chose, le non-passage, un événement de venue ou d'avenir qui
n'a plus la forme du mouvement consistant à passer, traverser, transiter, le
« se passer » d'un événement qui n'aurait pas la forme ou l'allure du pas : en
somme une venue sans pas. (p. 25 ; je souligne)12
En tant que telle, la seule chose qui me reste c’est de comprendre la mort tout
en étant conscient que je ne pourrais pas le faire en tant qu’événement (en tant que
faire en décrivant ce qui n’est pas possible ; on avance « sans » pas, à l’instar d’une
« antimatière » qui transperce les choses sans les modifier par le biais d’une
soustraction qui nous amènent donc à dire tout ce que la Mort n’est pas : « im-
suivre ce chemin linguistique, ne fait qu’emprunter un sentier déjà balisé par le poète
Eugenio Montale depuis son recueil Ossi di seppia [Os de sèche]. Dans son poème
« Non chiederci la parola » [Ne nous demande pas le mot], l’Italien affirme
maitrise du sujet.
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Comment lire et interpréter les descriptions, les notions, les jugements, les sensations
vécus par les personnages lorsqu’il s’agit de parler de la mort si je ne peux le faire,
moi, qu’à partir de la mort des autres puisque la mienne est à jamais in-accessible à la
parole ? Tout d’abord, comme une projection absolue, qui représente le parti pris de
chaque auteur et qui délivre ainsi une posture épistémologique capable de donner
herméneutique sur, autour, d’un avant mais aussi d’un après la mort, mais jamais de la
Tout le monde sait qu’écrire est être déjà mort. Il n’y a que la mort qui
puisse « mettre au propre » la vie et de cette distance être dans la
mesure de l’écrire. Voilà pourquoi l’écrivain raconte le monde des
vivants depuis le monde des morts. » (p. 72)14
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La conscience de la mort de l’Autre, cet Autre que nous avons été avant le
l’expérience de ce phénomène, de créer un discours sur ce qui n’est plus, sur ce qui
est déjà mort en nous. Lors de ce dédoublement, écrire serait une sorte de mise en
l’expérience à soi de la mort, tout en sachant qu’il s’agit en réalité de tourner autour
éprouvent face à leur mort, en guise de discours aporique sur la mort qui dépasse les
l’agonie, l’accident avant le décès et puis le deuil après le trépas). Autant que possible,
dans ce cours on tentera de faire la lecture de la mort tout en sachant que ce qui sera
comprendre. On doit faire aussi un « arrêt sur image » pour pouvoir saisir ce qui a
exacte per se d’un élément si on tente de le situer par le biais d’autres éléments (ce
qui s’avère toujours indispensable) car l’élément est nécessairement modifié par les
forces externes qui lui sont appliquées. Mourir, oui, sans souci, mais écrire de la mort,
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