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LA VIE
Sauf mention contraire,
toutes les photos présentes dans cet ouvrage sont de Matthieu Ricard.
© L’Iconoclaste, Paris, 2022
de bonté et de justice.
« L’éventualité de la mort est intégrée à ma vie ; regarder la mort
en face et l’accepter comme partie intégrante de la vie, c’est
élargir cette vie. À l’inverse, sacrifier dès maintenant à la mort
un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l’accepter,
c’est le meilleur moyen
T out est amené à disparaître. Tout ce qui naît meurt un jour. Une
fleur, un arbre, une étoile, rien ne fait exception. Pas même nous.
Cette évidence, dans son apparente simplicité, n’en est pas moins
une vérité qu’il est parfois difficile d’accepter, surtout si elle nous concerne
ou si elle implique celles et ceux que nous aimons.
Est-il possible de penser la mort afin que cette confrontation devienne le
terreau fertile d’une vie plus riche ? Pouvons-nous faire en sorte que
nos pensées sur la mort nous permettent d’apprécier pleinement notre vie
tant qu’elle est là ? « Tout ce qu’on fait finit par se défaire, je sais. Et dès
l’heure où l’on naît, on commence à mourir. Mais entre la naissance et la
mort, il y a la vie », disait Simone de Beauvoir1.
Dans ce chapitre, nous verrons s’il est possible, bien que la mort soit
souvent associée à la peur et aux émotions difficiles, d’en transformer la
perspective afin qu’elle nous aide à vivre mieux. Pour cela, nous nous
intéresserons à notre relation personnelle et à celle de l’Occident avec l’idée
de la finitude, en passant par l’histoire des rites funéraires et les études en
psychologie et neurosciences qui se sont intéressées au sujet.
« Souviens-toi
qui oublient
Les rites funéraires signent
le passage à la civilisation
L’attitude de l’humanité face à la mort en général et à notre mort en
particulier occupe une place importante dans l’évolution de notre espèce.
D’un point de vue anthropologique, les rites funéraires sont considérés
comme l’un des fondements du passage à la civilisation. Le fait de devoir
affronter notre impermanence est peut-être à l’origine de la structuration de
nos groupes sociaux. Nos ancêtres se posaient probablement les questions
qui nous taraudent aujourd’hui face à l’évidence implacable de la mort :
comment donner un sens à l’existence ? Que se passe-t-il après ?
Comme le rappelle le philosophe Michel Hulin : « Aucune évidence n’est
plus écrasante que la mort. […] au point que la pratique de l’inhumation, la
seule à laisser des traces durables, passe aux yeux de beaucoup – plus que
l’outil et le langage –, […] pour le signe même de l’avènement de la
condition humaine en tant que telle2. »
Les rites funéraires sont un élément essentiel de la culture, intimement lié
à l’histoire de l’humanité. Évoluant tout au long des siècles suivant
l’influence des modes de vie et des croyances, ils racontent nos besoins de
faire face à l’inconnu, à la douleur de la séparation. Dans de nombreuses
traditions, ils aident à franchir ce passage et à faire perdurer le lien avec
l’au-delà. L’ethnologue Jean-Didier Urbain souligne que « les rites sont un
acte essentiel de représentation pour rendre le mystère de la mort
supportable3 ».
La mort en Occident
Aujourd’hui, en Occident, la mort est dissimulée. Comme l’a brillamment
montré l’historien des mentalités Philippe Ariès6, nous sommes
progressivement passés de la mort familière, « apprivoisée », au Moyen
Âge, à la mort refoulée, maudite, voire « interdite » dans les sociétés
occidentales contemporaines.
Au Moyen Âge, la mort fait partie de la vie. On voit ses enfants mourir,
on sait qu’un accouchement peut être fatal. Les maladies comme la peste,
une mauvaise récolte, les pillages invitent la mort au quotidien, et il est rare
d’atteindre un âge avancé.
Aujourd’hui, nous voulons, au mieux, fuir la mort, au pire la faire
disparaître. Certes, elle est omniprésente dans les médias, dans une
débauche d’images qui la rendent à la fois banale et irréelle, surtout quand
elle est lointaine. Mais sur un plan intime, la mort ne fait que peu partie de
nos vies. Trop peu, peut-être ?
Quand elle s’invite au plus près de nous, comme lors de l’épidémie de
Covid avec son macabre décompte quotidien, elle peut être très anxiogène
et affecter négativement notre santé mentale. Peut-être parce que dans notre
culture matérialiste qui rime avec possession et accumulation, la mort
signifie la fin de tout, une forme d’effacement que nous voulons à tout prix
éviter.
Nos sociétés cherchent à occulter l’idée de la mort. Nous ne voulons pas
voir ni penser que nous allons toutes et tous y passer. La mort, qui faisait
partie de la vie, est aujourd’hui invisible, tout comme la vieillesse. Quoi de
plus facile que de nier l’évidence et de continuer comme si de rien n’était ?
On embaume, on maquille nos défunts pour effacer les traces de la mort.
Lors des enterrements, il est de bon ton de ne pas embarrasser les autres par
une tristesse trop expressive. On en vient même à cryogéniser les morts en
espérant qu’un jour la science les ressuscite.
Certains parents refusent d’adopter un animal de compagnie afin de ne
pas confronter leur enfant à la mort et au deuil inévitables. Mais quelles
sont les conséquences de ce déni, si ce n’est une augmentation de l’intensité
de la peur autour de la question de la mort ?
Dans la suite de ce chapitre, nous allons examiner les conséquences de la
peur et du déni de la mort avant de voir comment penser la mort peut
éclairer notre vie.
Le déni de la mort
Comme l’ont montré les études scientifiques de la théorie de la gestion de
la terreur, l’idée de notre finitude est menaçante et nous amène à essayer par
tous les moyens d’éviter d’y penser. Nous tentons non seulement
d’échapper à la peur de la mort, mais nous tentons aussi de ne pas la
montrer aux autres.
Un mécanisme neurocognitif a même été découvert, qui intervient dans le
déni de notre propre mort. Une étude en neurosciences a montré comment
notre cerveau réagit à l’idée de la mort8. Confrontées à l’évocation de la
mort d’une autre personne, les zones de notre cerveau impliquées dans la
prédiction des événements futurs (notamment l’insula) s’activent, nous
permettant d’imaginer cette mort. En revanche, ce système de prédiction ne
s’active pas lorsque c’est notre propre visage qui est présenté, nous
permettant d’éviter une information jugée trop menaçante !
Ces études soulignent une fois de plus l’importance des valeurs que nous
mettons en avant en tant que société. Si des valeurs d’altruisme, de
coopération, de générosité, d’empathie sont prioritaires, alors une plus
grande conscience de la mort augmentera les comportements qui honorent
ces valeurs.
La proximité de la mort peut nous être utile, si nous mettons en lumière ce
qui donne profondément du sens à la vie. C’est peut-être dans ce sens que
Montaigne disait : « Qui apprendrait aux hommes à mourir, leur apprendrait
à vivre. » La même préoccupation se retrouve dans la philosophie antique :
si pour Épicure la mort n’est rien, pour Socrate en revanche, philosopher,
c’est apprendre à mourir. Ce à quoi les philosophes s’exercent toute leur
vie.
La mort est non seulement une donnée indéniable de la vie, mais c’est
aussi un sujet essentiel, pour nos sociétés comme pour chacun et chacune
d’entre nous. Notre rapport à la mort influence profondément notre rapport
à la vie, à nous-même, aux autres et à la nature.
Dans les prochains chapitres de ce livre, nous explorerons différentes
facettes de la mort comme autant de chemins pour apprivoiser cette grande
question, et transformer la menace de mort en invitation à soigner, savourer
et célébrer la vie.
TROIS QUESTIONS PERSONNELLES
1. Une personne
Ilios
Nombreuses sont les personnes dont la mort a été une inspiration dans ma
vie. Je pense à une amie médecin qui m’était très chère, Véronique. Son
attitude d’acceptation, de générosité et d’ouverture lors de sa fin de vie a été
un modèle pour tous ses proches. Malgré l’intense douleur, elle parlait avec
lucidité et avait une présence aux autres incroyable jusqu’au bout. Les
derniers moments passés auprès d’elle à l’hôpital restent inscrits en moi
comme un exemple de la joie et de la générosité que l’on peut transmettre
dans ces moments. La veillée funèbre, organisée chez elle avec beaucoup
d’amour, a été à l’image de cette fin de vie : un moment de tendresse, de
lien, de larmes et de rires partagés autour de son cercueil ouvert.
Caroline
Je pense à ma chère amie Mara, qui était mon enseignante de yoga et dont
j’ai accompagné le départ. Une fin de vie qui fut hélas très brève en raison
de l’avancée rapide de sa maladie. Je me rappelle nos promenades à tout
petits pas, nos belles discussions à l’hôpital et chez elle.
Mère de deux jeunes filles, elle a tout tenté pour rester le plus longtemps
avec elles. Elle était d’un grand courage et en même temps d’une grande
tranquillité.
Je sens très souvent sa présence à mes côtés, comme une force inspirante
pour donner du sens à mon existence.
Ilios
La naissance de notre fille a été pour moi une expérience fondamentale,
mais elle a également changé mon rapport à la mort. Je suis davantage
conscient de la fragilité et donc du caractère précieux. Vivre au quotidien
avec elle et ma compagne est un rappel simultané de la vulnérabilité et de
l’importance des liens et de l’amour. Mais cela reste pour moi un chemin :
garder à l’esprit que je ne suis pas immortel, éviter de me perdre dans le
superflu ou la débauche de projets, me recentrer sur l’essentiel.
Caroline
Sans hésiter, c’est mon voyage en Pologne, et plus particulièrement les
moments intenses partagés lors de la visite du mémorial d’Auschwitz-
Birkenau dans le cadre de Mémoire pour la paix, une magnifique initiative
menée par le père Shoufani. C’était en 2003, et je me souviens comme si
c’était hier du tourbillon d’émotions qui ne cessaient de me parcourir. J’ai
été touchée en plein cœur par la présence remplie d’amour et le regard sans
haine de Schlomo, Magda, Irène et des autres rescapés qui nous
accompagnaient.
3. Une lecture,
Ilios
J’aime beaucoup ce dessin de Charles M. Schulz dans lequel Charlie
Brown dit : « Un jour, nous allons tous mourir, Snoopy. » Snoopy lui
répond : « Oui, mais tous les autres jours, nous allons vivre ! » Puisque je
ne connais pas l’heure de ma mort, puis-je faire autre chose que vivre ma
vie de manière quelque peu joyeuse, aimante, solidaire, et totalement
imparfaite ?
Caroline
Les récits graphiques de L’Homme étoilé15, qui parlent de la mort d’une
façon lumineuse et grâce auxquels nous avons eu de très belles discussions
sur la mort à la maison.
deaths-in-boston-than-80-in-syria
10. J. Hua & J. L. Howell, « Coping self-efficacy influences health information avoidance », Journal
of Health Psychology, 27(3), 2022, p. 713-725.
11. M. T. Gailliot, T. F. Stillman, B. J. Schmeichel, J. K. Maner & E. A. Plant, « Mortality salience
increases adherence to salient norms and values », Personality and Social Psychology Bulletin, 34(7),
2008, p. 993-1003.
12. K. E. Vail III, J. Juhl, J. Arndt, M. Vess, C. Routledge & B. T. Rutjens, « When death is good for
life: Considering the positive trajectories of terror management », Personality and Social Psychology
Review, 16(4), 2012, p. 303-329.
13. D. P. Cooper, J. L. Goldenberg & J. Arndt, « Examining the terror management health model: the
interactive effect of conscious death thought and health-coping variables on decisions in potentially
fatal health domains », Personality and Social Psychology Bulletin, 36(7), 2010, p. 937-946.
14. Gilbert Buti et Philippe Hrodej, Dictionnaire des corsaires et des pirates, CNRS Éditions, 2013.
15. L’Homme étoilé, À la vie ! et Je serai là, Calmann-Lévy, 2020 et 2021.
© DR
2.
LA PHILOSOPHIE OCCIDENTALE
NE PEUT PENSER LA MORT
Michel Gergeay
Un triple paradoxe
Le souci de tout philosophe occidental, depuis les origines de la
discipline, est de définir les mots qu’il emploie, de préciser ses concepts. Or
le problème avec la mort, c’est qu’il s’agit d’un concept « vide ». Plus
exactement, c’est un concept « sans expérience », une réalité par intuition,
et je dirais même que cette intuition est aveugle. « La mort est une surprise
que fait l’inconcevable au concevable », disait Paul Valéry.
Même en s’accrochant au grand wagon des sciences, en leur empruntant
une définition « scientifique », donc objective, ce concept de la mort ne
résonne pas dans la pensée subjective. Aborder la mort clinique comme on
aborde la réfraction ou la gravitation, donc dans une perspective
universelle, ne rend pas compte de l’essentiel pour le sujet vivant.
Le concept même de la mort, c’est la première difficulté.
Une autre vient de ce que la philosophie occidentale est une philosophie
de la connaissance et non une philosophie de la sagesse, alors qu’à
l’origine, philosophia veut bien dire « amour de la sagesse », et qu’il y avait
une tradition de la sagesse essentiellement avant l’époque chrétienne. Mais
elle est devenue une philosophie de la connaissance, une discipline qui
travaille sur l’être, l’ontologie, l’épistémologie, et pas vraiment sur le
bonheur, l’amour ou la sagesse.
Or la mort supprime à la fois l’objet et le sujet de toute connaissance.
Ainsi la philosophie occidentale est-elle relativement pauvre sur la question
du « comment vivre ? » ou du « comment mourir ? ». Relativement, parce
qu’il y a tout de même de belles pages là-dessus, celles des stoïciens et des
épicuriens, par exemple.
Il n’empêche : lorsqu’on évoque la sagesse dans notre monde occidental,
c’est l’image d’un sage hindou, chinois, africain ou amérindien qui flotte
dans l’air.
Même le christianisme, qui, lui, ne se préoccupe pas du savoir, de la
connaissance, ni même de la sagesse – le christianisme s’occupe du
« salut », ce qui est bien autre chose –, fait l’impasse. Tout se passe en
Occident comme si notre pensée européenne avait botté la mort en touche.
Je ne parle pas des masques ou occultations, parce que les rites d’évitement
se retrouvent dans toutes les cultures, je parle du refus même du concept de
mort, refus qui s’exprime dans la croyance en l’immortalité de l’âme, par
exemple.
Et si un scientifique rétorquait que ce qui est immortel, c’est la matière,
que notre corps n’est au fond que l’organisation temporaire d’atomes issus
des étoiles, ce serait encore une façon de nier la mort comme disparition.
Cette vision atomiste, corpusculaire, était celle de Diderot : « La seule
différence entre la mort et la vie, c’est qu’à présent vous vivez en masse
(c’est-à-dire réuni) alors que, dans vingt ans, dissous, épars en molécules,
vous vivrez… en détail1. » Bien sûr, cette seconde négation de la disparition
est moins consolante que la première (l’âme immortelle).
Nous ne pouvons pas penser notre propre mort. Comment imaginer un
monde où tout à la fois nous serions et ne serions pas ? « La mort ne peut
être pensée car elle est absence de pensée2 », a écrit André Maurois.
Enfin, un troisième élément du paradoxe touche au sublime, si l’on songe
que la naissance de la philosophie, c’est la mort de Socrate. Il faut rendre
justice à tous ceux qui l’ont précédé (Parménide, Héraclite, Anaxagore, etc.,
qu’on a rebaptisés « présocratiques », ce qui montre bien le jalon que
représente Socrate).
Or Socrate – rappelez-vous vos cours de philosophie et d’histoire – est
amené devant le tribunal d’Athènes pour impiété, et il y risque la peine de
mort. Que dit-il dans son apologie, relatée par Platon ? Il dit d’abord que, la
mort, personne n’en connaît rien. Puis il ajoute : « De toute façon, c’est
certainement moins grave que les souffrances que nous apporte la vieillesse.
Alors, messieurs les juges, si vous pouviez me condamner à mort, vous
m’épargneriez toutes ces souffrances, et je vous en remercierais à
l’avance. » Magnifique.
Mais que disent, malgré tout, les philosophes occidentaux de ce paradoxe,
de la mort ?
et ne serions pas ?
Spinoza
Dans la même lumière mais suivant une autre réflexion, Spinoza nous dit
qu’un homme vraiment libre ne doit pas penser à la mort, que la sagesse est
une méditation, non de la mort, mais de la vie.
Pourquoi ? Vous connaissez Spinoza et son deus sive natura, « Dieu,
autrement dit la Nature ». Profondément logique et mathématique, la vision
de Spinoza nous rappelle que, puisque Dieu est par définition « infini » et
que l’on ne peut rien ajouter à l’infini, Dieu n’a pu créer le monde hors de
lui-même, il n’a pu le créer qu’« en lui », donc si Dieu est tout, tout est
Dieu. Il n’y a donc rien à craindre et rien à espérer (pensons au fameux « Je
n’espère rien, je ne crains rien, je suis libre4 » de Nikos Kazantzakis), et au
sein de cet être infini (dieu-nature), nous sentons, nous expérimentons que
nous sommes éternels.
Mais attention, il ne faut pas entretenir l’illusion de notre éternité tout en
vivant dans l’angoisse de notre « être-pour-la-mort » (comme le dit
Heidegger), au contraire, pour Spinoza il faut se libérer de toute crainte
pour parvenir durant notre vie à la béatitude.
Car si la mort est la fin de notre vie, c’est au sens de « terme » et non de
« destination » !
Schopenhauer
Un mot sur Schopenhauer, qui introduit dans le débat la notion d’espèce et
donc la notion de « commun » dans la mort. La mort ne vainc pas vraiment,
pas définitivement, tant que dure l’espèce… Il réintroduit une notion, qui,
effectivement, est intéressante dans la mesure où, très souvent, la réflexion
sur la mort est une réflexion tout à fait individuelle et individualiste, si ce
n’est égoïste.
D’ailleurs, le système de Schopenhauer fait le procès de cet égoïsme avec
des accents qui font un peu penser à la philosophie orientale, dans la mesure
où Schopenhauer est le philosophe du monde comme « représentation »,
comme représentation subjective d’un monde. Le monde n’est plus un
« être » mais un monde de phénomènes, rejoignant en cela la pensée
asiatique, brahmanique, selon laquelle nous ne connaissons pas la vérité des
choses, mais nous ne percevons les choses qu’à travers le « voile de
Maya », c’est-à-dire un brouillard d’illusions.
Schopenhauer va ajouter à ce monde comme représentation le monde
comme « volonté ». Mon intelligence qui me permet de représenter le
monde n’est qu’un instrument de mon vouloir-vivre. Le vouloir-vivre,
analogue à ce que Spinoza appelait « la tendance de chaque être à
persévérer dans son être ». Malheureusement, si le vouloir-vivre est partout,
fondamentalement identique à lui-même, je vois les individus multiples
dans l’espace et se succédant dans le temps…
Cette illusion de la multiplicité des individus est le péché originel de notre
représentation, celle d’un monde réfracté par les prismes subjectifs du
temps et de l’espace. Cette illusion crée en nous l’« égoïsme », qui pousse à
nous prendre pour le vouloir-vivre tout entier et à ne prendre en compte ni
l’ensemble ni les autres. Nous devenons ainsi les esclaves du « désir »,
source de la souffrance. On est proche là encore du brahmanisme et du
bouddhisme.
Heidegger
Au contraire de ces philosophes qui réduisent la mort à une illusion, un
« rien », bref qui mènent à penser la mort sans crainte, à la vider de toute
réalité signifiante pour les vivants, Heidegger fait, lui, de la mort la
condition d’humanité même : « La mort, c’est que soit possible la radicale
impossibilité d’une réalité humaine5», écrit-il. Voilà qui ressemble tout de
suite à du charabia philosophique. Mais la philo, c’est simple si l’on précise
les mots.
Vous connaissez l’anecdote de Bombard qui a traversé l’Atlantique sur un
canot pneumatique à la rame, il y a de cela très longtemps déjà : Bombard
avait décidé de prendre avec lui l’Éthique de Spinoza. Il disait qu’il n’avait
jamais réussi à comprendre ce livre, mais que, comme la traversée allait
durer des mois, il aurait le temps de le lire et de le comprendre. Il a traversé
l’Atlantique à la rame et il n’a rien compris à Spinoza pour une raison très
simple : il n’avait tout simplement pas la clé du lexique de Spinoza. Quand
Spinoza vous parle de « Dieu », de « substance » ou d’« attribut », et que
vous ne prenez pas la peine d’apprendre ce qu’il a voulu dire par « Dieu »,
par « substance » et par « attribut », vous ne comprenez rien, et c’est un peu
aussi le problème avec Heidegger.
Je vais vous expliquer très simplement la phrase de Heidegger : la
certitude que nous allons mourir ne peut pas être calculée comme un
résultat de statistiques énumérant les cas de décès survenus. Ce n’est pas
parce que les autres hommes meurent que je vais mourir. Vous voyez là le
problème de causalité ? Nous avons pris l’habitude de considérer la mort
comme quelque chose de normal. On meurt tous, mais… pourquoi moi ?
Apparaît là quelque chose de fondamental, c’est que la certitude de ma mort
ne relève pas d’une vérité qui serait celle d’une réalité donnée. La mort se
dévoile comme une possibilité absolument propre, inconditionnelle,
indépassable. Selon Heidegger, l’homme est un « être-pour-la-mort », sa
conscience d’une mort inévitable (cette possibilité-indépassable) mène
l’homme inauthentique à la fuir, alors qu’elle mène l’humain authentique à
« se rendre libre pour elle ». Devenir, par l’anticipation, libre pour sa propre
mort, c’est se libérer de toutes les possibilités qui s’entrechoquent au
hasard… si bien qu’alors les possibilités effectives, toutes celles qui se
situent en deçà de cette possibilité-indépassable, peuvent être soumises à un
choix et à une compréhension authentiques.
« Dès qu’un homme est né, il est assez vieux pour mourir6»… Et
l’anticipation de sa propre mort est une authentique libération.
On voit qu’avec Heidegger on est dans une autre approche que celle des
trois premiers. Pour les trois premiers, il est clair que la réflexion était
essentiellement celle de « comment vivre la mort ». Pour Heidegger, c’est
« comment vivre avec la mort », ce qui n’est pas la même chose.
Je vous ai proposé ici un très bref survol de quelques philosophes
européens à propos de la mort. Ce survol est absolument subjectif et pas du
tout exhaustif.
C’est tellement incomplet et superficiel que j’aimerais, pour finir ce
chapitre, mais sans conclure, inscrire tout ça dans une structure et une
question. La structure sera celle d’un des plus grands penseurs de
l’Occident, Emmanuel Kant. Je ne vais rien vous dire de sa philosophie ici,
ce n’est pas le sujet, seulement partir de ses trois fameuses questions
philosophiques : qui suis-je, que puis-je savoir, que dois-je faire ? Vous
avez là l’interrogation sur l’être, sur la connaissance (certains diront la
vérité), sur le devoir (certains diront la morale).
Je suis mort deux fois, enfin… presque. Bon, je sais que c’est d’une
banalité absolue, au moins pour la seconde fois : un carrefour peu avant le
paradis. Avec mon épouse et deux de mes petits-enfants, nous étions
en voiture sur une route de campagne. Des chemins creux puis un carrefour
sans visibilité, aucune autre voiture rencontrée, juste l’espoir de ne pas
croiser un tracteur sur ces routes étroites. Pourquoi me suis-je arrêté ? Un
bolide a surgi sur la gauche et coupé notre route à une vitesse folle, sans
souci du carrefour. Mon épouse et moi nous nous sommes regardés, livides.
Mais c’est banal en effet…
Alors il me faut évoquer la première fois. J’étais encore jeune et j’avais
emmené mes enfants (pourquoi ai-je besoin d’associer la mort à ceux que
j’aime et au plaisir ?) dans un parc d’attractions aquatique. Emporté par
l’enthousiasme des petits, je les accompagnais tout en haut d’un
interminable toboggan-tunnel d’eau qu’il fallait dévaler assis sur une bouée.
La descente infernale m’a paru très longue, mais l’arrivée n’a été qu’un
éclair : j’ai vu en une fraction de seconde un maître-nageur, chargé sans
doute d’évacuer les arrivants dans la piscine de réception avant les suivants,
écarter les bras pour arrêter mon vol. Car je volais : la bouée s’était pliée
sous mon poids et le choc de l’arrivée, et s’étant muée en catapulte m’avait
projeté horizontalement. Je suis passé à côté du Christ sauveur et suis allé
me fracasser la tête sur l’escalier de la piscine. J’ai survécu, à mon grand
étonnement et à l’admiration des enfants présents devant mon immense
bosse sur le front. Mourir en slip dans un parc aquatique, ça l’aurait fait, sur
le faire-part d’un philosophe. Je ne suis pas sûr de faire aussi bien la bonne
fois (pour toutes).
a été inspirante
La mort de mon père, à la suite d’un cancer du poumon causé par son
travail dans la poussière d’amiante. Il a travaillé dur toute sa vie en rêvant
de sa retraite bien méritée, et il n’a pas pu en profiter. Carpe diem.
Saisissons chaque jour, profitons de la vie.
Dans mon poste de neurologue travaillant avec l’équipe des soins intensifs
et en neuro-revalidation, la fin de vie et la mort sont omniprésentes. Je reste
marqué à vie par une multitude d’expériences personnelles. Un exemple qui
a frappé toute l’équipe est celui d’un jeune homme dans un coma après
intoxication, qui a évolué vers un « état végétatif persistant » (actuellement
appelé « éveil non répondant »). Alors que tout le monde attendait sa mort,
il a recouvré sa conscience. Par la suite, il m’a même raconté son
expérience de mort imminente. Nous avons pu étudier son activité cérébrale
avec nos scanners, depuis son coma jusqu’à sa guérison, ce qui nous a
permis de mieux comprendre la capacité de neuroplasticité cérébrale et la
possibilité de refaire des connexions dans le cerveau sévèrement blessé. Son
histoire a changé notre vision et notre connaissance médicale, et nous a
permis de développer de nouveaux traitements6.
3. Une lecture,
1. https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c5/Eisenbrandt_coffin.jpg
2. V. Charland-Verville, M. A. Bruno, M. A. Bahri, A. Demertzi, M. Desseilles, C. Chatelle, … & A.
Zeman, « Brain dead yet mind alive: a positron emission tomography case study of brain metabolism
in Cotard’s syndrome », Cortex, 49(7), 2013, p. 1997-1999.
3. Steven Laureys, « Science and society : death, unconsciousness and the brain », Nature Reviews
Neuroscience, vol. 6, no 11, 2005, p. 899-909.
4. Voir Steven Laureys, Joseph J. Fins, « Are we equal in death ? : Avoiding diagnostic error in brain
death », Neurology, vol. 70, no 4, 2008.
5. E.F. Wijdicks, « The diagnosis of brain death », New England Journal of Medicine, vol. 344, no 16,
2001, p. 1215-1221.
6. Voir Steven Laureys et al., « Restoration of thalamocortical connectivity after recovery from
persistent vegetative state » The Lancet, vol. 355, no 9217, 2000, p. 1790-1791 ; A. Thibaut et al.,
« Therapeutic interventions in patients with prolonged disorders of consciousness », The Lancet
Neurology, vol. 18, no 6, 2019, p. 600-614.
© MICHEL HOUET
4.
LA SCIENCE DES EXPÉRIENCES
DE MORT IMMINENTE
Charlotte Martial
Flash-back
Depuis quand parle-t-on des expériences de mort imminente ? C’est un
phénomène assez récent pour le grand public, et encore plus nouveau pour
la recherche scientifique, mais cela fait très longtemps que des EMI sont
relatées. Platon, notamment, rapporte les propos d’un guerrier qui a frôlé la
mort et qui raconte avoir voyagé dans un autre monde. On pense également
à cette fameuse toile de Jérôme Bosch, Visions de l’au-delà. Montée des
bienheureux vers l’empyrée, qui représente clairement une EMI, alors
qu’elle a été peinte au début du XVIe siècle.
Toutefois, c’est seulement en 1975, grâce au best-seller La Vie après la
vie, écrit par le Dr Moody1, un intensiviste américain, que les EMI ont été
popularisées, générant un large intérêt du grand public. Dans son ouvrage,
le Dr Moody relate des centaines de témoignages recueillis au chevet de
patients en unités de soins intensifs. À la suite de cette publication, des
milliers d’ouvrages sortent les uns après les autres. Certains recueillent la
parole de personnes ayant vécu une expérience de ce type, d’autres
discutent de ces EMI et de ce qu’elles peuvent représenter.
Pour certains, les EMI sont une preuve de vie après la mort, ce qui suscite
de nombreux débats au sujet de la relation entre cerveau et conscience.
Cependant, à l’heure actuelle, il n’existe aucune preuve scientifique d’une
vie après la mort. En fait, ce ne sont probablement pas les EMI qui nous
aideront à répondre à cette question, étant donné que les personnes qui
témoignent de ces expériences n’ont pas été dans un état de mort cérébrale.
Ce qui est assez particulier et excitant pour la recherche scientifique, c’est
que, bien qu’il existe des milliers d’ouvrages sur les EMI, peu d’études ont
été effectuées sur le sujet. Trois cent cinquante-deux publications seulement
apparaissent dans le moteur de recherche Pubmed, l’outil de référence pour
les articles scientifiques, avec le mot « near-death experience »
(« expérience de mort imminente », en anglais).
Cependant, depuis 2014, un réel engouement se fait jour : de plus en plus
de chercheuses et de chercheurs étudient le sujet, dans le monde entier.
Popularisation de l’expression « expérience de mort imminente » dans la littérature scientifique au
cours des dernières décennies. Source : adapté de A. Barra et al., « From unconscious to conscious :
a spectrum of states », in M. Overgaard et al., Beyond Neural Correlates of Consciousness, Londres,
Routledge, 2021.
Les EMI sont moins rares que ce que l’on pourrait imaginer. Quelques
chiffres pour mieux comprendre le phénomène : environ 10 à 12 % des
patients qui ont vécu un arrêt cardiaque rapportent une EMI. Dans la
population générale, cela signifie que 4 à 5 % de personnes en témoignent.
Il est donc probable qu’une partie des lectrices et lecteurs de cet ouvrage,
peut-être vous, ont vécu une expérience qui s’y rapporte.
L’activité cérébrale en fonction de l’état du patient. Source : adapté de Steven Laureys, « Traumatic
brain damage : severe brain damage : coma and disorders of consciousness », in Donald Pfaff, Nora
Volkow (éd.), Neuroscience in the 21st Century : from Basic to Clinical, New York, Springer, 2016.
6. Vous avez eu une sensation d’harmonie ou d’unité, comme si vous faisiez partie
¨ ¨ ¨ ¨ ¨
d’un tout
7. Vous avez vu ou avez été entouré par une lumière brillante sans origine matérielle
¨ ¨ ¨ ¨ ¨
déterminée
8. Vous avez eu des capacités sensorielles inhabituelles (vue, ouïe, odorat, toucher
¨ ¨ ¨ ¨ ¨
et/ou goût)
9. Vous étiez conscient de choses au-delà de ce que vos sens peuvent habituellement
¨ ¨ ¨ ¨ ¨
percevoir
11. Vous avez eu la sensation d’être « en dehors » ou séparé de votre corps ¨ ¨ ¨ ¨ ¨
12. Vous avez eu la sensation de quitter le monde terrestre ou d’intégrer une nouvelle
¨ ¨ ¨ ¨ ¨
dimension et/ou un nouvel environnement
14. Vous avez fait la rencontre d’une présence et/ou d’une entité (il peut s’agir d’une
¨ ¨ ¨ ¨ ¨
personne décédée)
¨ ¨ ¨ ¨ ¨
et/ou de peur
16. Vous avez fait l’expérience d’une frontière et/ou d’un point de non-retour ¨ ¨ ¨ ¨ ¨
17. Vous avez pris la décision ou avez été contraint de revenir de l’expérience que
¨ ¨ ¨ ¨ ¨
vous viviez
19. Vous avez vu ou êtes entré dans une zone de passage (par exemple, un tunnel ou
¨ ¨ ¨ ¨ ¨
une porte)
20. Vous avez l’impression de ne pas disposer des mots adéquats pour décrire votre
¨ ¨ ¨ ¨ ¨
expérience
TROIS QUESTIONS PERSONNELLES
1. Une personne dont la mort
a été inspirante
Pour moi, toute personne se sacrifiant pour une cause (politique) noble est
inspirante.
1. La Vie après la vie. Ils sont revenus de l’au-delà, trad. de Paul Misraki, J’ai lu, 2003.
2. Charlotte Martial et al., « The Near-Death Experience Content (NDE-C) scale : development and
psychometric validation », Consciousness and Cognition, vol. 86, 2020.
© JEAN-PIERRE DEVORSINE
5.
S’INSPIRER DE LA MORT
POUR UNE VIE PLUS PRÉCIEUSE
Matthieu Ricard
La conscience de la mort
et le rapport au temps
Tout cela n’a rien de morbide. Le philosophe Patrick Declerck écrivait :
« Souviens-toi qu’il existe deux types de fous : ceux qui ne savent pas
qu’ils vont mourir, ceux qui oublient qu’ils sont en vie. » Il est vrai que, s’il
ne me restait que trois jours à vivre, je ne repriserais pas mes chaussettes.
Quand on a la chance de pouvoir pratiquer, de faire des retraites dans un
ermitage ou ailleurs, le temps prend une tout autre valeur. On a presque
l’impression qu’il s’écoule comme une rivière d’or fondu : chaque moment
est éminemment précieux.
C’est une solitude bienheureuse qui est consacrée à la transformation de
notre pensée, de notre être, pour mieux nous mettre au service des autres.
Cette solitude désirée et bienheureuse contraste singulièrement avec la
solitude pénible et subie qui est, d’après les recherches en psychologie,
l’une des situations les plus délétères qui soient pour la santé physique et
mentale. On sait que ceux qui souffrent de cette solitude, qui perdent le
sentiment d’appartenance à la famille humaine, ont une espérance de vie
moindre et ont une plus forte tendance à tomber dans différentes formes
d’addiction ou dans la dépression. Ils perdent ce sentiment d’affiliation,
d’appartenance, qui est si important pour les êtres humains. La richesse des
relations humaines leur fait défaut. Cette solitude-là est extrêmement
difficile à vivre, c’est pourquoi il faut essayer d’y remédier le mieux
possible.
Il y a aussi ceux qui creusent eux-mêmes la solitude autour d’eux en étant
entièrement centrés sur eux-mêmes, en étant démesurément exigeants à
l’égard de leurs amis et en faisant preuve d’animosité en lieu et place de
gratitude.
Mais il y a une autre solitude, bienheureuse et choisie, qui consiste à se
consacrer à la pratique spirituelle dans un ermitage retiré, encouragé par la
pensée de l’incertitude et de la mort.
Grands-parents meurent
On raconte que le grand sage tibétain Drukpa Kunley, qui vécut quelques années au royaume du
Bhoutan, fut invité à faire des souhaits de bon augure pour les habitants d’une maison. Il
prononça les paroles suivantes : « Grands-parents meurent, parents meurent, enfants meurent. »
Cette déclaration fut accueillie par un silence respectueux, mais un peu gêné. Après quelques
instants, le maître s’expliqua : « Eh bien, s’ils meurent dans cet ordre-là, d’abord les grands-
parents, ensuite les parents, puis les enfants, il n’y aura pas de drame déchirant dans la famille. »
a été inspirante
Mon ami Francisco Varela, qui a fondé l’institut Mind & Life, a souffert
d’un cancer très grave. J’ai pu le rencontrer peu de temps avant sa mort, et,
lors de notre discussion, il me disait que ce qu’il craignait le plus, c’était
d’avoir un esprit confus et brumeux au moment de la mort et de ne pas
pouvoir être lucide pour sa pratique spirituelle. Son épouse Amy m’a confié
plus tard qu’il avait pu mourir en parfaite lucidité. Il était assis en
méditation, et elle-même était placée derrière lui pour le tenir. Jusqu’au
dernier moment, il a préservé cette présence ouverte, cette clarté de la
conscience éveillée. C’est ce qu’on peut souhaiter de mieux pour celui qui
est engagé sur le chemin spirituel : mourir en pleine conscience.
1. Voir Michel Bitbol, La conscience a-t-elle une origine ? Des neurosciences à la pleine
conscience : une nouvelle approche de l’esprit, Flammarion, 2014.
2. Voir la quatrième session des XXVIes rencontres Mind & Life, « Mind, Brain and Matter »
(visionnable à l’adresse mindandlife.org), ainsi que la transcription de ces entretiens : Wendy
Hasenkamp, Janna R. White (éd.), The Monastery and the Microscope : Conversations with the
Dalai Lama on Mind, Mindfulness, and the Nature of Reality, New Haven, Yale University Press,
2017.
3. Christoph Koch, Consciousness : Confessions of a Romantic Reductionist, Cambridge, MIT Press,
2017.
4. La question fondamentale que le philosophe Leibniz pose dans son livre Principes de la nature et
de la grâce (1740) est : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? »
© CÉLINE NIESZAWER
6.
LA VIE EST LA SEULE
CONSOLATION FACE À LA
MORT
Christophe André
La condition humaine
La vision que Pascal veut dresser de la condition humaine est tranchante
et impitoyable. Se savoir mortel et voir régulièrement nombre de ses
semblables quitter ce bas monde serait une condition effroyable, une
situation sans solution autre que Dieu. Trois siècles plus tard, Camus écrit,
dès les premières lignes du Mythe de Sisyphe1 : « Il n’y a qu’un problème
philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou
ne vaut pas d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de toute
la philosophie. »
Pour moi qui ne suis pas philosophe, il me semble qu’il y a un autre
problème, encore plus délicat : comment vivre en sachant qu’on va mourir ?
Je veux dire : comment vivre heureux ? À cette question, il n’est pas de
réponse définitivement satisfaisante et sécurisante, il n’est pas de solution.
Juste des consolations. Qui ne peuvent sans doute pas être généralisées : la
mort est universelle, mais ce qui nous en console est bien souvent
personnel. Voici donc, dans les lignes qui suivent, quelques éléments de ce
qui, pour ma part, m’a souvent aidé et consolé…
Ne plus gaspiller sa vie
Finalement, je suis toujours là. La mort, qui me tenait dans sa main
comme on garde un oiseau, n’a pas resserré son poing, mais m’a relâché
dans la vie. Bien entendu, j’ai toujours aussi peu envie de mourir. J’ai
toujours conscience que la mort viendra, peut-être bien plus tôt que je ne le
voudrais, plus tôt que les statistiques ne me permettent de l’espérer. Sur son
espérance personnelle de vie, chacun peut faire le compte, les abaques
disponibles sur Internet en offrent un calcul facile : pour moi, à l’instant où
j’écris ces lignes, c’est 84 ans. Il me reste donc, du moins en théorie,
environ dix-huit années à vivre. Je ne suis pas sûr de bien les vivre (je peux
retomber malade, vivre un déclin cognitif) ni même de les vivre tout court.
Mais je suis décidé à les savourer, de toutes mes forces.
La traversée d’une maladie potentiellement mortelle, et quelques autres
ennuis, m’ont conduit à plus de lucidité, et il m’est désormais impossible de
me conformer à la remarque de Paul Valéry, dans Tel quel : « L’homme est
adossé à sa mort comme le causeur à la cheminée. » La cheminée,
maintenant, je ne lui tourne plus le dos, je la surveille, au moins de temps
en temps. Lucidité donc, ou efforts constants de lucidité, mais lucidité
associée à plus de joie de vivre. J’ai décidé d’arrêter de gaspiller ma vie.
Il me semble que ce genre de décision touche à peu près tous les humains
qui ont échappé, sans savoir comment, à une adversité extrême. L’histoire
incroyable de l’écrivain Dostoïevski en est l’une des illustrations les plus
connues : en raison d’écrits jugés politiquement criminels par le pouvoir
absolu du régime impérial russe, il fut condamné à mort, puis gracié au tout
dernier moment, alors qu’il se trouvait déjà devant le peloton d’exécution,
et envoyé au bagne en Sibérie. Il rapporte ces instants dans son roman
L’Idiot, par la voix d’un de ses héros, le prince Mychkine : « Mais je
préfère vous raconter l’histoire d’une autre rencontre que je fis l’année
passée. Il s’agit d’un cas fort curieux par sa rareté. L’homme dont je vous
parle fut un jour conduit à l’échafaud avec d’autres condamnés et on lui lut
la sentence qui le condamnait à être fusillé pour un crime politique. Vingt
minutes plus tard, on lui notifia sa grâce et la commutation de sa peine.
Pendant les quinze ou vingt minutes qui s’écoulèrent entre les deux
lectures, cet homme vécut dans la conviction absolue qu’il allait mourir
dans quelques instants. » Et le prince continue : « Cet homme me déclara
que ces minutes lui avaient paru sans fin et d’un prix inestimable (…) il
déclarait que rien ne lui avait été alors plus pénible que cette pensée : “Si je
pouvais ne pas mourir ! Si la vie m’était rendue ! Quelle éternité s’ouvrirait
devant moi ! Je transformerais chaque minute en un siècle de vie…”2 »
Sans avoir traversé semblable épreuve, voici ce qu’écrit à ce propos Léon
Tolstoï dans une lettre à son épouse, en octobre 1910, alors qu’à 82 ans,
sentant la mort venir, il vient de renoncer à tous ses biens et de s’enfuir de
chez lui : « La vie n’est pas une plaisanterie et nous n’avons pas le droit de
la traverser ainsi. Il est irraisonnable de la mesurer suivant la durée du
temps ; les mois qui nous restent à vivre sont peut-être plus importants que
toutes les années vécues ; il importe de bien les vivre3. »
Consolation
Le risque, dans les prises de conscience radicales de cette dimension de la
vie humaine, c’est le « tragique inadéquat », la peur constante de la mort, le
sentiment de dépression, la conviction de l’inutile et du dérisoire de toute
action. Cela ne nous aide en rien, pas plus que le déni, et cela fait même
plutôt moins bien que le déni ; à tout prendre, mieux vaut adopter l’attitude
du causeur de Valéry, inconscient, adossé à sa cheminée, et prenant plaisir à
la soirée, plutôt que celle du cynisme et de l’amertume.
Notre plus grand théoricien du tragique, le philosophe André Comte-
Sponville, le dit de manière limpide : « Le tragique, c’est la vie telle qu’elle
est, sans justification, sans providence, sans pardon ; c’est la volonté de
l’affirmer toute, de l’accepter toute, avec la souffrance dedans, avec la joie
dedans, sans ressentiment, sans mauvaise conscience, sans nihilisme4. »
Retrouver la joie, donc, après la révélation charnelle de notre mort à venir.
Comme dans ce clin d’œil de l’humoriste Pierre Desproges, qui proposait
ce programme dans son spectacle Vivons heureux en attendant la mort5.
La vie est tragique et la vie est belle. Qu’elle soit belle n’est pas une
solution au problème de la mort, mais cela apporte une consolation. La
consolation, c’est la petite lumière d’amour, d’espérance et de soulagement
qui nous est offerte dans la nuit du chagrin et du malheur. Elle ne répare pas
ce qui est cassé ni ne fait revenir ce qui est perdu, elle ne supprime pas
l’adversité, mais elle nous aide à faire face, à tenir bon, à ne pas désespérer.
Dans son bel essai L’Inconsolable, André Comte-Sponville, encore lui,
écrit : « Philosophie de la consolation, toujours nécessaire et toujours
insuffisante… » C’est exactement ça : sans la consolation, la peine, la peur,
le désespoir peuvent nous submerger ; avec la consolation, nos détresses
sont toujours là, mais elles ne nous submergent pas, on sent qu’on va –
peut-être – tenir le coup. La vie est la seule consolation à la mort. À
condition de la vivre en pleine conscience.
Méditer
Lorsqu’on médite en pleine conscience, il arrive que l’on rencontre
spontanément des ressentis imprévus, comme ces expériences étranges et
assez fréquentes de dissolution de soi, accompagnées de sentiments de paix,
de sécurité, de certitude étonnante, d’autant plus que les repères habituels
(les mots pour les décrire) ne sont plus là ; nous les avons laissés derrière
nous au fur et à mesure que l’exercice avançait…
La vie est tragique et la vie est belle.
Vivre et savourer
Aucun de nos efforts ne nous rendra l’idée de la mort bénigne ou
agréable. Ce n’est ni le but à atteindre ni la conséquence à attendre. Face à
la mort, on vise simplement à remplacer la peur non par l’indifférence mais
par l’intelligence : l’intelligence de la vie telle qu’elle est, avec un début et
une fin, et ses insondables mystères de l’avant et de l’après.
Il ne nous reste plus alors qu’à vivre comme un équilibriste sur sa corde
raide. Pour éviter la bascule dans le vide, il ne doit jamais oublier qu’il est
en danger, mais il ne doit pas non plus se focaliser sur le risque de chute.
Ainsi en est-il pour nous, les vivants : ne jamais oublier la mort possible à
tout instant, mais ne jamais nous focaliser sur elle.
Et nous souvenir de cette phrase attribuée à Spinoza : « L’idée de cercle
n’est pas ronde, et l’idée de chien n’aboie pas. » De même, l’idée de mort
ne tue pas : à cet instant, nous sommes bien vivants…
TROIS QUESTIONS PERSONNELLES
1. Une personne qui m’a inspiré
face à la mort
avec la mort
Dans les maladies sévères, il n’y a pas seulement la peur de la mort, mais
aussi les souffrances, les handicaps ; ces « menus maux », comme l’écrit
Montaigne, peuvent provenir de la maladie, de ses traitements ou des
examens. Parmi les menus maux liés à mon cancer, je me souviens d’une
scintigraphie – on vous injecte une substance radioactive qui se fixe sur le
squelette, permettant de révéler d’éventuelles métastases osseuses.
L’examen se passait dans le sous-sol d’un hôpital. Je commence à
descendre le petit escalier, et j’aperçois en bas un panneau indiquant deux
services : la flèche de gauche dirige les visiteurs vers la « Médecine
nucléaire », celle de droite signale la « Chambre mortuaire ». Première onde
de détresse et d’inquiétude. Et début de rigolade : quelle bonne idée
d’associer ainsi les deux services ! Quel bel accueil, à même de remonter le
moral des patients ! Puis, la salle d’attente de ladite médecine nucléaire :
ambiance très triste, les visages des personnes présentes sont tendus, une
dame se tient le visage dans les mains, comme effondrée. Et, bien sûr, je ne
parle pas de l’inquiétude causée par l’attente des résultats.
Dans ces moments, on se sent entre deux mondes : pas encore mort, bien
sûr, mais plus tout à fait comme les autres vivants. On se sent morituri :
destiné à mourir, comme on le disait des gladiateurs romains saluant
l’empereur et la foule avant leurs combats…
On comprend que la vie ne nous est pas due, que la longévité et la santé
ne sont que des cadeaux, des options, pas des obligations. Puis, quand on
s’en est sorti, on n’oublie jamais (en tout cas en ce qui me concerne) : 1)
que la mort n’est jamais loin, 2) que la vie est belle. On comprend
instantanément ce que veut dire Christian Bobin, le poète, quand il écrit
(dans Une bibliothèque de nuages6) : « La mort est à côté de la vie
quotidienne comme une bougie à côté d’une meule de paille. Cette
proximité terrible fait la vie merveilleuse. » Comme le fit la proximité,
moins élégante, des deux panneaux de l’hôpital…
1. Gallimard, 1942.
2. Traduction d’Albert Mousset.
3. Extrait d’une lettre à sa femme, Sophie Andréïvna, d’octobre 1910.
4. André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, PUF, 2021 (3e éd.), p. 1322.
5. Texte disponible dans la collection « Points », 2018.
6. Lettres Vives, 2006.
7. Traduction de Jean-Wladimir Bienstock, Œuvres complètes, Stock, 1912.
© ASTRID DI CROLLALANZA
7.
CE QUE L’ON APPREND AU
BORD DE LA MORT
Christophe Fauré
Mon parcours,
Trois enseignements
a été inspirante
Être conscient que la mort peut survenir d’un instant à l’autre est mon
plus grand moteur de vie pour me pousser sans cesse à aller à l’essentiel et à
ne pas perdre ce précieux temps de vie dans de vaines errances. C’est un
rappel constant à l’amour, la joie, le partage, la quête de la sagesse.
Un matin sur les hautes terres de l'Islande, Matthieu Ricard, émerveillé prend une photo.
L'émerveillement engendre le respect envers la nature.
DOUZE TEXTES INSPIRANTS
POUR ÉCLAIRER LA VIE
NI MORT NI PEUR
Thich Nhat Hanh
(1926-2022)
est l’un des plus célèbres maîtres bouddhistes.
1. In Mes indépendances. Chroniques 2010-2016, éditions Barzakh, Alger, 2017 ; Actes Sud, 2017.
SOUFFLES
Birago Diop
(1906-1989)
est un écrivain et poète sénégalais qui a retranscrit de nombreux contes
de la tradition orale africaine, notamment d’après les récits du griot
Amadou.
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des ancêtres.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans l’Arbre qui frémit,
Ils sont dans le Bois qui gémit,
Ils sont dans l’Eau qui coule,
Ils sont dans l’Eau qui dort,
Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :
Les Morts ne sont pas morts.
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des Ancêtres morts,
Qui ne sont pas partis
Qui ne sont pas sous la Terre
Qui ne sont pas morts.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans le Sein de la Femme,
Ils sont dans l’Enfant qui vagit
Et dans le Tison qui s’enflamme.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans le Feu qui s’éteint,
Ils sont dans les Herbes qui pleurent,
Ils sont dans le Rocher qui geint,
Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure, Les Morts ne sont pas
morts.
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres,
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.
Il redit chaque jour le Pacte,
1. Gallimard, 2015.
CAR LA VIE ET LA MORT
NE FONT QU’UN
Khalil Gibran
(1883-1931)
est un poète libanais. En 1923, il publie Le Prophète. Ce livre, traduit
dans quarante langues, a inspiré des générations de lecteurs et de
lectrices. On y découvre un sage,
1. In Derniers Poèmes d’amour © Seghers, Paris, 1963, 1989, 2002, 2013
RIEN NE PEUT ALTÉRER
1. Traduction C. Meyer.
IL N’Y A PLUS QUE L’AMOUR
Christiane Singer
(1943-2007)
est écrivaine et essayiste. En 2006, atteinte d’un cancer, son médecin lui
annonce
1. Concept développé par le sociologue de la médecine Aaron Antonovsky pour désigner une
approche qui se concentre sur les facteurs favorisant la santé et le bien-être, plutôt que sur les causes
des maladies (pathogenèse).
LE CORPS ET LA MORT
Des rituels pour le grand passage
Juliette Cazes, archéologue et anthropologue, chercheuse en thanatologie
et autrice, s’efforce de vulgariser la mort sous tous ses aspects : rites
funéraires, objets mortuaires, étude des défunts. Elle explique que la joie
qui semble émaner de certains rituels ne signifie pas qu’il n’y ait ni peine ni
tristesse : l’expression des émotions liées à la douleur de la séparation est
différente d’un endroit à un autre. La sacralité du mort, du corps, et les us et
coutumes autour de la mort varient aussi selon les cultures.
Quant à la conduite des funérailles, elle est marquée par les religions et les
codes des défunts et de leurs proches. Mais on retrouve des gestes et des
habitudes qui dépassent les croyances et traduisent une appartenance
culturelle bien plus ancienne. Souvent, l’œil non exercé jugera les rites
funéraires mouvementés ou même désordonnés, mais en travaillant sur le
sujet on se rend compte que tout est millimétré.
Dans son travail, Juliette Cazes montre que les traditions funéraires ne
sont pas figées et méritent d’être étudiées et surtout protégées, car elles ne
sont pas à l’abri de disparaître avec la culture de leurs protagonistes. En
bref, étudier les rites, c’est s’intéresser aux vivants, c’est apporter une
traduction à tous les codes tacites et explicites que l’on observe.
lebizarreum.com
La coopérative funéraire :
Q « ue la terre lui soit légère. » Cette formule fait partie des paroles
de soutien que l’on entend ou que l’on prononce, parfois de
manière un peu automatique, lors d’une cérémonie funéraire. « Ce
n’est pas tant le chant qui est sacré, c’est le lien qu’il crée entre les êtres »,
dit très justement Philippe Barraqué, créateur de la musicothérapie. Quand
le religieux est moins présent ou fait moins sens dans nos vies, ce sont aussi
les rituels qui disparaissent. Comment rendre hommage à un disparu sans
les repères habituels ? Comment se souvenir et se soutenir ? Comment
trouver un accompagnement qui fasse sens et soit peut-être plus léger
qu’autrefois, moins austère et plus humain ? Les initiatives suivantes en
font le pari.
Gauthier de Pierpont :
Happy End :
Fleurs de Funérailles :
la consolation de la poésie
En Belgique « Poète national » est une institution qui valorise les
échanges littéraires et culturels entre les trois communautés linguistiques
belges. En 2020, quand éclate la crise sanitaire, Carl Norac, alors poète
national1, s’interroge sur la meilleure manière d’adoucir ces instants
difficiles. Il trouve déchirant que des êtres humains soient inhumés sans
cérémonies, enterrements, ni cortèges. Découvrant De eenzame uitvaart
(« l’enterrement solitaire »), une initiative du poète hollandais Bart FM
Droog, il décline l’idée en Belgique avec le soutien de toute la profession.
Les poétesses et poètes du pays se mettent à composer des textes pour
accompagner les enterrements.
Pendant toute la période de la crise, l’objectif est d’offrir à chaque défunt
(décédé du Covid-19 ou non) dont la famille en fait le souhait un texte
d’adieu poétique. Le site du Poète national propose également, en libre
accès, des poèmes écrits spécialement pour cette action.
Plus de soixante-dix artistes belges soutiennent ce projet dont Laurence
Vielle, Yves Namur, Françoise Lison-Leroy, Colette Nys-Mazure, Lisette
Lombé, Caroline Lamarche, Vincent Tholomé, William Cliff, Jean-Pierre
Verheggen, Karel Logist, Luuk Gruwez, Charlotte Van den Broeck, Paul
Bogaert, Maud Vanhauwaert, Geert Van Istendael, Mustafa Kör et Peter
Holvoet-Hanssen.
www.poetenational.be/fleurs-de-funerailles
1. Le Poète national est nommé pour une période de deux ans, avec pour mission d’écrire des poèmes
sur l’histoire et la culture belges.
PARLER DE LA MORT NE TUE
PAS
DE LA VIE
Le don d’organes
L’équipe du GIGA, et le Dr Steven Laureys en particulier, est très engagée
en faveur du don d’organes. Comme il aime à le dire en souriant, c’est la
seule preuve scientifique de vie après la mort.
En Belgique et en France, le principe du consentement présumé est
appliqué au don d’organes, de tissus et de cellules après la mort. Ce qui
signifie qu’aux yeux de la loi, si vous ne vous y êtes pas opposé de votre
vivant, vous êtes considéré comme donneur d’organes après votre décès.
Cultiver la mémoire
Lors d’un décès vient la tristesse, l’absence, le manque. Et tellement
d’interrogations. Pour celui ou celle qui se prépare à partir : dans quel
endroit pourrai-je reposer pour l’éternité ? Existe-t-il un lieu représentatif
du souvenir que je veux laisser à mes proches ? Pour celles et ceux qui
restent : où vais-je pouvoir me recueillir et trouver de l’apaisement ? Y a-t-il
une alternative aux columbariums, souvent trop froids, ou aux pelouses de
dispersion, trop anonymes, pour évoquer la mémoire du défunt ?
Le jardin du Souvenir
Sur le site des anciens fours à chaux de Tournai, en Belgique, la fondation
Famawiwi propose à ses membres de personnaliser un « passe-mémoire »
avant leur décès. Chaque œuvre d’art sera installée au cœur du jardin du
Souvenir, et les cendres des membres seront répandues dans cette
mnémothèque.
famawiwi.com
La Mémoire nécropolitaine
Fondée par Anne Fuard et André Chabot, La Mémoire nécropolitaine est
une association culturelle qui se propose de donner un futur au passé en
sauvegardant le patrimoine funéraire. Ethnographe des cimetières, André
Chabot constitue un fonds iconographique en perpétuel développement –
deux cent cinquante mille photos prises à ce jour à travers le monde. À
travers l’image, l’association recueille et transmet les coutumes et les rituels
et nous parle des appartenances religieuses et philosophiques qui
soutiennent la vie des humains.
lamemoirenecropolitaine.fr
Passeur de mots
Née en septembre 2007 dans le service d’onco-hématologie du centre
hospitalier Louis-Pasteur de Chartres, l’association Passeur de mots a
essaimé dans toute la France. Elle forme notamment des passeuses qui vont
récolter les récits de vie de personnes malades et les mettent en mots pour et
avec elles. « Grâce au livre, je suis éternelle et je serai toujours vivante ! »,
tels sont les propos d’une personne gravement malade qui a été
accompagnée dans cette démarche.
À partir d’épisodes de vie recueillis à la maison ou à l’hôpital, le ou la
biographe crée un très beau livre relié par un artisan d’art. C’est avant tout
une histoire de relations et de rencontres.
L’association forme et vise à faire reconnaître ce nouveau métier qu’est la
carebiographie (du mot anglais « care », ou soin, et biographie), un
véritable soin de soutien, aux yeux des passeurs, pour les personnes
gravement malades. En 2021, vingt-sept passeurs et passeuses avaient déjà
été formés, et quatre collectifs émergeaient en France, en Suisse et en
Belgique.
La Mélodie des mots, un documentaire de Marie Halopeau réalisé sur ce
sujet en 2016, a été primé de nombreuses fois.
passeur-de-mots.fr
Réaliser son album de vie
Différents sites proposent de réaliser un album de vie, un livre qui
rassemble ses souvenirs, pour soi et pour les autres. On peut préparer et
collecter écrits, photos, vidéos, dessins, musiques, lettres. L’album de vie
devient un espace de mémoire interactif et sécurisé.
Après le décès, l’album de vie sera rendu accessible aux proches du
défunt.
Quelques sites utiles :
welcome.storyworth.com
albumdevie.com
Au-delà des nuages
Une initiative particulière destinée aux parents ayant perdu un bébé
in utero ou à la naissance. Une photographe vient prendre des photos de
l’enfant afin que son souvenir reste présent et soutienne le processus de
deuil.
audeladesnuages.be
AQLO, la banque de la mémoire
Écoutons le fondateur de cette banque, Édouard Boulon-Cluzel : « Ce
projet est né d’une expérience personnelle. J’étais très proche de ma grand-
mère maternelle et, il y a vingt ans, je lui ai proposé de l’enregistrer pour ne
pas oublier toutes ces histoires que j’aimais l’entendre me raconter. J’ai
utilisé une cassette audio et un bon vieux magnétophone… Ma grand-mère
nous a quittés quelques années plus tard, et cette cassette est devenue mon
trésor. Simplement, en seize ans, il m’a fallu changer deux fois de supports
(CD puis MP3) pour espérer conserver sa voix. J’ai pris conscience de la
menace que représentait l’obsolescence de tous ces sons, photos, écrits,
vidéos à l’ère numérique. D’où l’idée d’AQLO, une banque de la mémoire
qui permet à chacun de déposer, conserver, valoriser et transmettre les plus
précieux documents d’une vie, tout en facilitant la rencontre des mémoires
individuelles et collectives. » AQLO signifie « Dans ton Royaume » dans la
langue des anges, selon John Dee, le Nostradamus anglais de la
Renaissance.
aqlo.fr
L’ASSOCIATION ÉMERGENCES
Christophe André
Psychiatre et psychothérapeute français spécialisé dans la prise en charge
des troubles anxieux et dépressifs, particulièrement dans le domaine de la
prévention des rechutes, Christophe André est l’un des chefs de file des
thérapies comportementales et cognitives en France. Il a également été l’un
des premiers à y introduire l’usage de la méditation en psychothérapie.
Marié et père de trois filles, il a dirigé une unité spécialisée dans le
traitement des troubles anxieux et phobiques à l’hôpital Sainte-Anne, et y a
animé des groupes de méditation de pleine conscience dans le cadre de la
prévention des rechutes dépressives. Il enseigne par ailleurs à l’université
Paris-Nanterre, et est aussi l’auteur de nombreux articles et ouvrages
scientifiques, ainsi que de livres destinés au grand public.
Christophe Fauré
Christophe Fauré est psychiatre et psychothérapeute, spécialisé dans
l’accompagnement des ruptures de vie : deuil, maladie grave et fin de vie,
séquelles post-traumatiques, séparation, divorce, transition du milieu de la
vie. Que ce soit à la suite de la disparition d’un être cher ou de la perte
d’une relation d’amour, il existe un processus de deuil dont il est important
de connaître les clés pour traverser cette souffrance le mieux possible. Le
cœur de son travail se fonde sur la conviction que chacun d’entre nous porte
en lui d’insoupçonnables ressources pour se libérer de l’étau de la peine et
parvenir enfin à l’apaisement. Il est l’auteur de nombreux ouvrages qui sont
devenus des références.
Michel Gergeay
Né en 1949, Michel Gergeay a vécu au Burundi jusqu’à ses 13 ans. Puis
ce furent la Belgique et les études. Licencié de philosophie de l’Université
libre de Bruxelles, il a consacré une vie itinérante à l’enseignement.
Il retourne d’abord en Afrique quelques années (Congo, Niger) pour
enseigner, apprendre et découvrir. Y accompagner, aussi, les premiers pas
de ses deux enfants.
Son amour de l’enseignement et du nomadisme le ramène en Europe, en
Belgique puis en Italie où il enseigne une dizaine d’années à l’École
européenne de Varèse.
Le reste de sa carrière est belge, dans différentes écoles secondaires ou
supérieures et comme assistant en philosophie à l’Université libre de
Bruxelles.
Il est profondément convaincu du pouvoir libérateur et démocratique de la
connaissance critique. Sa passion de la communication veut dépasser la
froide transmission, sans s’évaporer dans la chaleur d’une communion : il
s’agit d’abord de chercher les mots pour s’exprimer, d’établir avec l’autre le
lien qui permet l’écoute mutuelle. Il a tenté de formaliser cette approche
dans de nombreux articles et conférences, dans un roman aussi (Ève en
avait rêvé, Descartes, Éditions Antya, 2014), mais c’est bien
l’enseignement, fondé sur l’oralité, donc le débat, qui en est pour lui la voie
privilégiée parce que toujours ouverte et jamais figée.
Ilios Kotsou
Docteur en psychologie et maître de conférences à l’Université libre de
Bruxelles, Ilios Kotsou s’intéresse aux interactions entre science
fondamentale et pratique sur le terrain. Membre de Mind & Life Europe, il
a aussi fondé, avec Caroline Lesire et le soutien de Matthieu Ricard,
l’association Émergences, qui œuvre pour une société plus solidaire et
consciente et qui finance des projets humanitaires. Il est intervenu pendant
de nombreuses années dans le domaine des émotions et de la gestion des
conflits, notamment pour Médecins sans frontières ou encore la Croix-
Rouge. Passionné par la science des émotions et par la méditation, il
consacre son travail au lien entre connaissance de soi et engagement
citoyen. Il est aussi co-créateur de l’application de méditation Prezens
(prezens.app), la première plateforme de méditation solidaire. Son dernier
livre, écrit avec Matthieu Ricard, Les Folles Histoires du sage Nasredin
(Paris, L’Iconoclaste, 2021), explore le versant espiègle et paradoxal de la
sagesse.
Steven Laureys
Neurologue et professeur de clinique au département de neurologie du
CHU de Liège et directeur de recherche au Fonds de la recherche
scientifique-FNRS, Steven Laureys a acquis une renommée mondiale pour
ses travaux sur la neurologie de la conscience et le coma.
Il a dirigé le Coma Science Group au sein du centre GIGA-
Consciousness, à l’université de Liège. La majeure partie de ses travaux de
recherche est consacrée à l’étude des altérations de la conscience chez les
patients sévèrement cérébro-lésés, mais aussi durant l’anesthésie, le
sommeil ou encore la méditation…
Steven Laureys est l’auteur de plus de trois cent cinquante articles
scientifiques et de plusieurs ouvrages, dont Un si brillant cerveau, les états
limites de conscience (2015) aux éditions Odile Jacob. Il est également
lauréat de nombreux prix scientifiques, dont le prix Francqui (2017), prix
scientifique belge le plus prestigieux.
Caroline Lesire
Rebelle dans l’âme, infatigable militante à l’enthousiasme contagieux,
Caroline a suivi un cursus en sciences politiques et aide humanitaire
internationale avant de se former pour transmettre la pleine conscience,
pratique qui a transformé son regard sur la vie et qui la soutient au
quotidien.
Après avoir coordonné des projets d’accès aux soins de santé dans
différents pays d’Afrique pendant sept ans, elle s’est engagée à (plus que)
plein temps dans Émergences. Partager la pleine conscience et le travail qui
relie la nourrit et la met en joie, tout comme le fait de créer du lien entre les
personnes qu’elle aime et qui l’inspirent.
Elle est l’autrice de plusieurs contributions à des ouvrages collectifs et
vient de terminer un master de spécialisation en études de genre.
Charlotte Martial
Charlotte Martial est chercheuse post-doctorale au Coma Science Group
(GIGA-Consciousness, université de Liège) et neuropsychologue au Centre
du cerveau (CHU de Liège). Dans cette équipe, elle dirige les études sur le
phénomène des expériences de mort imminente. Plus généralement, elle
s’intéresse aux épisodes de conscience « déconnectée » (vivre une
expérience subjective, sans expérimenter l’environnement extérieur). Elle
explore les conditions dans lesquelles les individus sont non-répondants à
l’environnement, comme lors d’une anesthésie générale ou d’un arrêt
cardiaque, mais faisant l’expérience d’une conscience « déconnectée »,
comme peuvent en témoigner les récits recueillis au réveil. Elle explore
également les corrélats neuronaux d’autres états altérés ou modifiés tels que
les troubles de la conscience.
Matthieu Ricard
Matthieu Ricard, né en France en 1946, fils du philosophe français Jean-
François Revel et de l’artiste peintre Yahne Le Toumelin, est moine
bouddhiste, auteur, traducteur et photographe. C’est en 1967, lors d’un
premier voyage en Inde, que Matthieu rencontre plusieurs êtres inspirants,
parmi lesquels Kangyour Rinpoché, qui deviendra son premier maître
bouddhiste. De retour en France, en 1972, il achève sa thèse en génétique
cellulaire à l’Institut Pasteur sous la direction du Prix Nobel François Jacob,
avant de s’établir dans l’Himalaya, où il vit maintenant depuis plus de
quarante ans. Ordonné moine bouddhiste en 1978, il est l’interprète français
du dalaï-lama depuis 1989. Parallèlement, il photographie la vie dans les
monastères ainsi que l’art et les paysages du Tibet, du Bhoutan et du Népal.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages et consacre l’intégralité de ses droits
d’auteur aux projets de Karuna-Shechen, qu’il a contribué à lancer. Depuis
2000, il fait partie du Mind & Life Institute, qui facilite les rencontres entre
la science et le bouddhisme. Il participe activement à des travaux de
recherche sur l’influence de l’entraînement de l’esprit à long terme sur le
cerveau. Matthieu a aussi contribué à créer les Journées Émergences,
auxquelles il participe depuis leur création.
REMERCIEMENTS
et Vladimir Sichler
Mise en page : Soft Office
Photogravure : Point 11
Fabrication : Louise Clément
Commercial et relations libraires : Adèle Leproux et Alexandra Profizi
Coordination éditoriale : Thomas Garet
Presse et communication : Lise Chaton
Communication digitale : Alice Huguet
Rue Jacob diffusion : Élise Lacaze (direction), Katia Berry (grand Sud-Est), François-Marie
Bironneau (Nord et Est), Charlotte Jeunesse (Paris et région parisienne), Christelle Guilleminot
(grand Sud-Ouest), Laure Sagot (grand Ouest), Diane Maretheu (coordination), Charlotte Knibiehly
(ventes directes) et Camille Saunier (librairies spécialisées)
Distribution : Interforum
Droits France et juridique : Bertille Comar, Geoffroy Fauchier-Magnan et Anne-Laure Stérin
Droits étrangers : Sophie Langlais
Accueil et librairie : Laurence Zarra et Lucie Martino
Envois aux journalistes et libraires : Vidal Ruiz Martinez
Comptabilité et droits d’auteur : Christelle Lemonnier, Camille Breynaert et Christine Blaise
Services généraux : Isadora Monteiro Dos Reis
ISBN papier : 978-2-37880-306-3
ISBN numérique : 978-2-37880-338-4
Dépôt légal : Octobre 2022
Cette édition électronique du livre Quand la mort éclaire la vie de Christophe André, Christophe
Fauré, Michel Gergeay, Steven Laureys, Charlotte Martial et Matthieu Ricard a été réalisée le 5
septembre 2022 par Soft Office.