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L'ÉPOPÉE TIBÉTAINE DE GESAR


DANS SA VERSION LAMAÏQUE DE LING
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DU MÊME AUTEUR

Jardins en miniatures d'Extrême-Orient, École française d'Extrême-


Orient, Hanoi, 1943.
Le Lin-yi, sa localisation, sa contribution à la formation du Champa
et ses liens avec la Chine, Centre d'Études Sociologiques, Pékin,
1947.
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MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE


ANNALES DU MUSÉE GUIMET -
BIBLIOTHÈQUE D'ÉTUDES — TOME SOIXANTE ET UNIÈME

R. A. STEIN
DIRECTEUR D'ÉTUDES
A L'ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES

L'ÉPOPÉE TIBÉTAINE
DE GESAR
DANS SA VERSION LAMAÏQUE
DE LING

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


108, Boulevard Saint-Germain — PARIS
1956
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DÉPOT LÉGAL
lre édition 1 trimestre 1956
TOUS DROITS
detraduction,dereproductionetd'adaptation
réservés pour tous pays
COPYRIGHT
by Presses Universitaires de France, 1956
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INTRODUCTION
Lorsqu'on se propose d'étudier la civilisation et l'histoire proprement
tibétaines, on se heurte à une grande difficulté. Achaque pas le boud-
dhisme de l'Inde et de l'Asie Centrale s'interpose comme un voile épais.
C'est que, sous sa forme lamaïque, il a effectivement laissé son empreinte
sur la société tibétaine et a communiqué sa teinte aux moindres faits.
De plus la tâche est rendue difficile du fait que, chez nous, l'étude du
tibétain, en dehors de la géographie et d'un peu d'ethnographie, doit
son essor en majeure partie aux recherches bouddhiques. Mais aussi
parce que les sources tibétaines elles-mêmes, y compris les textes histo-
riques, sont l'œuvre des représentants de l'Église lamaïque qui ont fait
de l'histoire politique et sociologique du Tibet un sujet de lecture édi-
fiante. Une analyse serrée de ces œuvres peut, certes, révéler des traits
primitifs sous leur déguisement scolastique. On doit l'entreprendre, si
dangereusement mouvant que soit le terrain. Mais il convient aussi de
rechercher des documents sur lesquels ce travail de déformation s'est
moins exercé.
Dece point de vue l'épopée de Gesar ou Kesar est un des documents
les plus précieux. Il est vrai que là aussi l'Église lamaïque est intervenue,
mais, àpart les éléments religieuxinhérents àla sociététibétaine actuelle,
le cadre bouddhique y est facile à reconnaître et à détacher.
Dece cycle épique nous connaissons à ce jour des versions tibétaines,
mongoles, turques, lepcha et une en burushaski, langue du Gilgit. Il
est donc répandu sur une aire énorme, allant de l'Himalaya au lac
Baikal et du Pamir au Kokonor. Il se transmet, au Tibet du moins,
de bouche à oreille, par des bardes ambulants qui, par leur attirail et
par le fait qu'ils se mettent en transe, font figure de sorcier. En dehors
de versions orales, nous en connaissons des manuscrits, chacun consacré
à un chapitre de l'épopée, comme chaque barde est généralement spé-
cialisé dans la récitation d'une seule partie donnée, dans l'art d'incarner
en transe un des héros. Onconnaît aussi plusieurs recensions imprimées.
En tibétain, elles représentent un effort d'adaptation et d'assimilation
à un cadre lamaïque superficiel de la part des sectes «anciennes ». En
mongol, une seule version imprimée, publiée à Pékin en 1716, doit son
existence au souci de la dynastie mandchoue de se ménager les Tibé-
tains et les Mongols en adoptant le héros Gesar comme dieu tutélaire
de la dynastie et en l'assimilant au dieu chinois de la guerre, Kouan-ti.
Il nous est donc impossible d'atteindre l'état de l'épopée au delà d'envi-
ron trois siècles. Car il semble, d'autre part, qu'un certain nombre de
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manuscrits, loin d'être antérieurs aux imprimés, n'en sont que des
copies. Nous savons pertinemment que l'épopée s'enrichit encore de
nos jours de nouveaux épisodes. Et il y a lieu de penser qu'il en fut
de même autrefois. Pour le moment, étant donné son accroissement
continuel dans le temps et sa grande diffusion dans l'espace, elle nous
apparaît comme une sorte de réservoir du folklore local des peuples de
la Haute Asie. En tant que tel son intérêt est déjà grand, notamment
pour le Tibet oùles documents non bouddhiques, surtout dutype épique,
sont très rares, sinon inexistants en dehors de ce cycle.
Il suffit d'un regard sur la bibliographie des travaux consacrés à
la légende de Gesar pour se rendre compte à quel point les publications
de textes ont été utiles à la recherche. La version mongole de l'édition
imprimée de Pékin, éditée et traduite par I. J. Schmidt (1836-1839) (1)
et les versions tibétaines orales, recueillies, publiées et traduites par
A. H. Francke (1902 et 1905) (2), ont été à la base detoute étude sérieuse.
Par malheur ces éditions sont restées les seuls matériaux accessibles.
A part quelques allusions et certains résumés, en dehors aussi de la
version orale du Gilgit (3), aucun autre texte suivi n'a été publié depuis
bientôt un demi-siècle.
Et pourtant quel écart entre une version mongole, imprimée à
Pékin, en 1716, et basée sur des traditions de l'extrême nord-est du
Tibet, et la version tibétaine orale provenant de l'extrémité occidentale
de ce pays ! Certes, les points communs étaient évidents et vite relevés,
mais comment résoudre les problèmes relatifs à leur connexion sans
aucun texte tibétain intermédiaire, provenant de l'Est !
Ce n'est pas qu'on ignorait l'existence de telles versions. L'une
d'elles fut mêmerésumée et agréablement présentée au grand public (4).
Mais s'il est vrai que ce récit suit fidèlement les versions écrites propres
au Tibet oriental, il se présente sous une forme trop diluée pour rendre
de grands services à la recherche scientifique.
Comme l'a dit Mme David-Neel, dans l'introduction à son résumé
(p. LXI), il lui était impossible de traduire l'épopée. En effet, les manus-
crits d'un seul chapitre comportent généralement de 350 à 400 folios,
c.-à-d. de 700à 800pages. Acette difficulté il faut ajouter que les manus-
crits se trouvent dispersés dans les bibliothèques publiques et privées
du monde entier, personne ne possédant toute l'épopée au complet. A
supposer même qu'il m'aurait été possible de réunir des reproductions
(1) Podvigi ispolnennago zaslug geroya Bogdï Geser Xana, Saint-Petersburg, 1836
(édition du texte) ; Die Thaten des Vertilgers der zehn Uebel in den zehn Gegenden, des
verdienstvollen Helden Bogda Gesser Chan, Saint-Petersburg, 1839 (traduction).
(2) Der Fruhlings- und Wintermythus der Kesarsaga (Mémoires de la Soc. finno-
ougrienne, XV), Helsingfors, 1900 ; réédition corrigée : The Spring Myth of the Kesar Saga
(Indian Antiquary, vol. XXX, pp. 329-341 ; XXXI, 32-40, 147-157), Calcutta, 1901-02.
—A Lower Ladakhi version of the Kesar Saga (Bibliotheca Indica, n 1134, II50, 1164,
1218), Calcutta, 1905-09. — The Paladins of the Kesar Saga (Journal and Proceedings
of the Asiatic Society of Bengal, II, 10 ; III, 2 ; III, 5), Calcutta, 1906-07.
(3) D. L. R. LORIMER, The Burushaski Language, Oslo, 1935, vol. II (texts and transla-
tions, pp. 100-179 : The adventure of Kiser [alias Pang-chu]).
(4) Alexandra DAVID-NEEL et le lama YONGDEN, La vie surhumaine de Guésar de
Ling, Paris, Adyar, 1931.
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de tous les manuscrits connus, leur réunion n'aurait pas encore constitué
un assemblage de tous les chapitres de l'histoire, sans parler des diffi-
cultés pratiques d'une édition globale. Une telle entreprise doit rester
un but à atteindre dans l'avenir. Depuis de longues années je me suis
appliqué à collectionner des reproductions de ces manuscrits dans
l'espoir d'éditer un jour le Corpus Gesaricus qui s'impose.
En attendant la réalisation d'un projet aussi ambitieux, fallait-il
renoncer à toute édition partielle ? Je ne le pense pas. Les œuvres de
Schmidt et de Francke justifient, je le répète, une telle entreprise.
Mais quel texte fallait-il choisir ? Il m'a semblé peu utile d'éditer
le manuscrit d'un seul chapitre, d'autant plus que, à ma connaissance,
il n'en existe aucun relatif au début de l'histoire et qui donne, par consé-
quent, le prologue, la naissance et la jeunesse du héros (i). Or, il n'est
que naturel de commencer par ces chapitres. Les manuscrits connus
non seulement ne donnent pas le début de l'histoire, mais encore ils
ne se suivent pas et sont de provenance disparate. Ils peuvent donc
appartenir à des versions différentes. Dans ces conditions, le choix était
réduit à deux textes imprimés. L'un d'eux est un résumé de toute l'his-
toire, édité à Gyantse, au Tibet méridional. Mais il est tellement concis
que de nombreux passages resteraient incompréhensibles sans de cons-
tantes références à des manuscrits correspondants plus détaillés (2). De
plus, ce xylographe est relativement accessible aux tibétisants, un exem-
plaire se trouvant au British Museum et un autre dans la bibliothèque
de M. Tucci. Le deuxième, par contre, a le mérite d'être édité à Gliṅ,
au pays même dont les chefs se réclament de Gesar, et, de plus, de
donner, dans une suite ininterrompue, le Prologue, la Naissance du
héros et toute sa jeunesse jusqu'à son intronisation comme Roi de Gliṅ.
D'autre part, quoique imprimé, ce texte possède toutes les caractéris-
tiques des manuscrits et des versions orales, notamment les nombreux
chants, les tournures dialectales de l'Est et les archaïsmes. D'ailleurs,
il ne faut pas croire que les manuscrits que nous possédons représentent
un état plus ancien que les xylographes. En fait, il ne s'agit générale-
ment que de copies manuscrites exécutées durant le siècle dernier. Le
texte que je publie ici a aussi le mérite d'être inconnu et inaccessible
en dehors du Tibet et de la Chine.
Malheureusement il m'a été impossible d'acheter ou de photogra-
phier les trois volumes de cette édition. J'ai dû me résigner à les copier
moi-même lors d'un séjour à Tch'eng-tou (au Sseu-tch'ouan, dans la
Chine occidentale), où j'ai pu les utiliser grâce à l'obligeance de M. Paul
Sherap, qui a bien voulu meles prêter. Les risques d'une telle entreprise
de copie ne m'échappent point. La fatigue aidant, il est possible que
des erreurs se soient produites. Certains passages, d'autre part, étaient
illisibles par suite de la mauvaise qualité du papier et de l'encre d'impri-
merie. Ces raisons étaient-elles suffisantes pour renoncer à l'édition de
(1) Le seul manuscrit actuellement accessible qui relate la jeunesse du héros, celui
de M. J. Bacot, est incomplet.
(2) Voir l'étude détaillée dans mon ouvrage principal sur Gesar que j'espère publier
bientôt.
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ces textes fondamentaux ?Je ne le crois pas. Le second élément d'incer-


titude subsisterait toujours, même si le xylographe m'était encore
accessible. Quant au premier, j'ai pu réduire la marge d'erreur en reli-
sant et en étudiant le deuxième volume, le 'Khruṅs-gliṅ, sur un autre
exemplaire et en compagnie de mon maître tibétain, à Ta-tsien-lou, et
la plus grande partie du troisième, le rTa-rgyug, avec M. Sherap lui-
même. D'autre part, les nombreux manuscrits tibétains que j'ai pu voir
ailleurs, écrits ou copiés par des scribes tibétains, ne sont pas davan-
tage, loin de là, exempts de fautes. Je crois donc que je fais bien d'éditer
ce texte qui est, dans l'état actuel de nos connaissances, seul à donner
tout le début de l'épopée, indispensable à la compréhension du reste.
M. Sherap avait l'intention de publier une traduction chinoise de
ces trois volumes. Mais à l'heure actuelle rien de tel n'a été fait. Même
si une telle traduction devait bientôt voir le jour en Chine, comme je
le souhaite, elle resterait inutilisable pour la plupart des tibétisants,
folkloristes ou autres savants européens qui pourraient s'intéresser à
l'histoire de Gesar.
Qu'il me soit permis ici de remercier M. Sherap pour la générosité
avec laquelle il m'a permis d'utiliser ses livres. Je lui dois aussi de
nombreux éclaircissements de passages obscurs, parce qu'écrits en dia-
lecte de l'Est (Khams) ou en langage archaïque. M. Sherap est né à
Rongbatsa, dans le pays des Cinq Principautés Hor (Hor-khag sde-lna)
situé sur la route du Nord qui mène de Ta-tsien-lou à Jyekundo. Je
dois autant de gratitude à mon maître tibétain de Ta-tsien-lou qui a
lu avec moi tout le volume du 'Khruns-glin. sKal-bzaṅ dban-'dus,
tel est son nom, est originaire du village rMu-rgyu Khrod-'dzin situé
à une demi-journée de Se'u-ron (dans le lČags-la = Tchala, l'ancien
Mi-nag, province de Khams). Sa connaissance du dialecte du Mi-nag
(région située à l'ouest de Ta-tsien-lou) fut indispensable. Un premier
informateur, M. Che-rin dban-'dus, originaire du gCaṅ (sud-ouest du
Tibet), était aussi incapable que moi de comprendre les tournures dia-
lectales du texte. Ce n'est pas sans raison que A. H. Francke a dit du
manuscrit deBerlin : «Which no one is able to translate (i). »Nombreux
sont les mots, plus nombreuses encore les expressions et les tournures,
qu'on chercherait en vain dans nos dictionnaires. Sans parler du style,
des allusions à des épisodes supposés connus, des métaphores et des
proverbes. Le peu de temps que j'ai pu passer à la frontière tibétaine
(un mois seulement) ne m'a pas permis d'élucider toutes les difficultés.
Même des informateurs qualifiés, parlant le dialecte de l'Est, étaient
parfois incapables d'expliquer des passages obscurs.
Leurs informations sont à la base du vocabulaire, joint à cette
édition, qui renferme les mots rares, archaïques ou dialectaux, de ce
texte. Certes, comme je le montrerai à l'aide de quelques exemples, on
peut parfois douter de leurs explications ; elles sont cependant en majo-
rité assez précieuses pour mériter d'être publiées.
(1) D. L. R. LORIMER, An oral version of the Kesar Saga from Hunza, in Folklore,
vol. XLII, 1931, p. 107.
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Une traduction littérale du texte aurait été une œuvre de longue


haleine, par endroits impossible, et souvent fastidieuse. Une édition
seule n'aurait rendu service qu'aux tibétisants. Aussi ai-je pris le parti
de l'accompagner d'un résumé suffisamment étoffé pour que des savants
non-tibétisants ou des élèves tibétisants puissent en tirer parti.
Dans cette traduction résumée, j'ai eu soin de relever tout ce qui
pouvait être intéressant. Au début, dans le résumé du premier volume,
je n'ai pas cru nécessaire de noter tous les détails des chants, les pro-
verbes, les métaphores et les réflexions, car ce volume n'est que le pro-
logue et est particulièrement imprégné de lamaïsme. Par la suite, le
résumé devient de plus en plus détaillé, notant non seulement les faits,
mais encore les expressions, certains passages étant même entièrement
traduits. J'ai voulu ainsi donner une idée du style.
Le but du présent volume étant simplement de mettre un texte
fondamental à la disposition des chercheurs, je me suis abstenu d'y
joindre un commentaire. Une telle entreprise aurait été fort longue et
aurait en grande partie fait double emploi avec l'ouvrage qui constitue
ma thèse principale. Je me borne donc ici à quelques remarques indis-
pensables
Letexte édité se présente sous forme de xylographe, en trois volumes
qui se font suite. Les dimensions des folios sont de 44 sur 7,8 cm., celles
du texte imprimé de 37,6 sur 5,5 cm. Apart les deux premières feuilles
qui n'ont que quatre lignes, toutes les autres ont six lignes chacune.
Dans chaque volume, la première feuille porte deux images, l'une à
gauche et l'autre à droite, comme dans la plupart des livres tibétains.
L'exemplaire queM.Sherap m'aprêté lui venait deM.WangKouang-
pi, Chinois marié à une Tibétaine. M. Wang l'aurait reçu en cadeau
du «Roi »ou t'ou-sseu (chef indigène) de Lin-ts'ong (en
tibétain : Glin-chan). Lors de ma rencontre avec M. Wang à Ta-tsien-
lou, en 1949, il m'a dit que son exemplaire de Glin avait eu quatre
volumes, mais qu'il y avait à Glin même, entout neuf volumes imprimés.
Le reste de l'épopée se trouverait, d'après lui, en manuscrit, à Dergué
(sDe-dge). Tous mes efforts de me procurer les six volumes manquants
sont restés infructueux de sorte qu'il m'est impossible de confirmer
ces renseignements.
La petite principauté de Glin, gouvernée par un chef tibétain, se
trouve sur la route du Nord allant de Ta-tsien-lou à Jyekundo (1).
Son chef-lieu porte le nom de Lin-ts'ong sur les cartes chinoises (dans
la sous-préfecture de Teng-k'o tib. 'Dan, de la province Si-
k'ang), et de Gozé gompa (2) ou de Ling Gose (3) sur les cartes euro-
péennes. Elle se situe grosso modo au sud-est de Jyekundo et au nord
de Dergué.
(1) Elle a été visitée par de nombreux voyageurs, notamment par Mme DAVID-NEEL,
qui donne même une photo de son « Roi » (op. cit., p. XLVI-XLvn). Sur son histoire, voir
ma thèse principale.
(2) David NEEL, Au pays des brigands gentilshommes, Paris, 1933, carte.
(3) TAFEL, Meine Tibetreise, Stuttgart, 1914, vol. II, p. 169 ; Eric TEICHMAN, Travels
of a Consular officer in Eastern Tibet, Cambridge, 1922, carte.
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Que les trois volumes en question ont bien été édités à Glin, c'est
ce qui ressort clairement des colophons et de certains passages du texte.
Le premier volume s'intitule Histoire du Vainqueur d'ennemis,
Joyau, Gesar, Roi des Dieux de la Guerre ou Les Dieux et Glin, Tableau
magique (i) en neuf sections (2). Fait significatif pour le milieu lamaïque
responsable de l'édition, ce titre a été traduit par l'auteur en (pseudo- ?)
sanscrit : Vairin deva rāja Gesar mani sambussya avadāna deva dvïpa
?? nava ?? nāma asti (3). Ce volume s'achève, au folio 64 a, par un
colophon qui débute ainsi :
« L'Histoire de celui qu'on appelle (Gesar, Roi du ?) (4) Monde
est (ici) résumée. Voici achevé Le tableau magique en neuf sections ou
Les Dieux et Glin qui forme le premier récit ; il est riche en bénédiction
parce qu'il s'agit là du début des causes et des circonstances, ainsi que
d'une chronique religieuse (5). »Après les formules rhétoriques d'usage,
il s'achève par les mots : « Cette histoire devait être imprimée telle
qu'elle apparaissait dans les sources originales. Aussi fut-elle éditée au
royaume de Glin, conformément aux vœux de nombreux sages. »
Puisque ce colophon se réfère aux «sources originales », on hésite
à parler d'un auteur du texte. Sans doute est-il plus juste de parler
d'un éditeur ou d'un compilateur. Mais quel que soit le rôle plus ou
moins novateur qu'il a pu jouer, qui est responsable de l'arrangement
de ces sources sous la forme présente ? C'est le début et le colophon du
deuxième volume qui nous le dira.
Cevolume a pour titre : Naissance et Glin ou Enclos de Fleurs, suivi
de La Prise de possession de la terre de rMa ou Nœud de soie blanche
(les deuxfaisant partie) de l'Histoire du Saint, Grand-Liondu Monde (6).
Ce titre n'a pas été traduit en sanscrit.
Après un bref préambule lamaïque on trouve au folio 2 bune analyse
qui explique le titre en soulignant, suivant l'habitude des livres tibé-
tains, par de petits cercles, les mots qui en font partie (ici en italiques) :
«Ici est montrée l'histoire de la naissance de ce saint (que fut) le Grand-
Lion du Monde, (histoire) bien connue à Glin, pareille à la vuede l'enclos
d'un jardin de paroles de toutes sortes de fleurs, miraculeusement créé.
Après ces mots d'introduction, voici les chapitres oùl'on raconte, confor-
mément aux sources, l'histoire ancienne de Nor-bu dGra-'dul [= Gesar],
saint du monde, dérivée des œuvres spontanées du suprême vainqueur
(1) gab-ce ; sur ce mot, voir le vocabulaire. Cf. une version bouriate appelée Geseri
fühen halā, «Les neuf branches de Gesar » (ROERICH, The Epie of King Kesar of Ling,
JRASB, VIII, 1942, p. 301).
(2) dgra-lha'i rgyal-po Ge-sar Nor-bu dGra-'dul gyijrtogs-par brjod-pa lHa-Gliṅ gab-ce
dgu-skor.
(3) Je dois la transcription en sanscrit à l'obligeance de Mlle LALOU. Les deux mots
correspondant à gab-ce (tableau magique) et à skor (chapitre ou section) n'ont pas pu
être restitués.
(4) Quatre mots illisibles, sans doute rgyal-po Ge-sar ou Nor-bu dgra-'dul.
(5) čhos-'byuṅ. Ce terme signifie que le récit laïque a été remanié et présenté comme
une chronique religieuse. Les lamas-éditeurs considèrent ce prologue-cadre comme l'exposé
des antécédents religieux, comme une sorte de justification ésotérique de l'histoire pro-
prement dite.
(6) 'Jam-gliṅ Seṅ-čhen skyes-bu'i rtogs-par brjod-pa las/'Khruṅs-Gliṅ me-tog ra-ba
danlrMa sa-bzuṅs dar-dkar mdud-pa bâas.
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(jina) mCho-skyes rdo-rje (i), qui soumit tous les impurs du Tibet,
qui, seul en sa personne, en ses transformations magiques et en son
temps, fit le bien des êtres sans le moindre effort, progressivement et
par toutes sortes de moyens. Nous exposerons (cette histoire) en la
divisant en trois parties, d'abord La naissance et Glin ou Enclos de
fleurs, (ensuite) La prise de possession de la Terre de rMa et (enfin) La
course de chevaux ou Miroir précieux. La première [fol. 3 a] (montre)
comment, depuis sa naissance et en tant que jeune garçon, il protège
les intérêts des êtres sans corps (c.-à-d. des démons ou esprits) de (la
région) des trois (fleuves) rJa, 'Bri et rMa ; la deuxième comment il
prend possession de la terre au pays de rMa en simulant des œuvres
de pénitence (c.-à-d. en vivant péniblement en exil) ; et la troi-
sième comment il révèle son (véritable) corps et devient le maître du
trône d'or du Glin Blanc, grâce à des transformations magiques ordi-
naires. »
On voit que cette préface couvre les deux premiers volumes et
annonce le troisième. Le premier chapitre, La naissance, va jusqu'au
folio 45 b, oùil setermine par ces mots : «Cechapitre raconte les innom-
brables hauts faits de lier par serment, de commander et de prendre
soin des sans-corps (c.-à-d. des démons) des deux (fleuves), rja et 'Bri,
et de faire le bien des êtres sans corps jusqu'à l'âge de 5 ans. Exté-
rieurement semblable à un garçon, il accomplit aussi d'innombrables
œuvres de magie et d'illusion. Ici se termine le premier chapitre appelé
«Naissance et Glin »ou «Enclos de fleurs », tiré de la Guirlande d'his-
toires merveilleuses.
Le second chapitre débute au folio 45 b et se termine à la fin du
volume, au folio 78 a, les deux dernières feuilles étant consacrées au
long colophon que voici :
«Ici se termine le deuxième chapitre où l'on raconte «La prise de
possession de la terre de rMa »ou «Nœud de soie blanche » (chapitre)
tiré de l'Histoire de Gesar, Meilleur des êtres, Joyau et Vainqueur d'en-
nemis. »Suit un long passage rhétorique dans lequel le récit est assimilé
au Rāmayāna, après quoi le colophon reprend (fol. 78 b) : «Il est vrai
qu'il existe toutes sortes de manières différentes (de raconter) l'histoire
du grand saint Gesar, mais j'ai pris pour base de mon récit une (version)
ayant pour source les vieux livres qui ont (déjà) existé autrefois, du
temps des ancêtres, dans le royaume de Glin Blanc (situé) au mDo-
Khams (là même) où s'est perpétuée sans interruption la lignée de
'Bum-pa Zal-dkar [demi-frère de Gesar]. Même dans cette (version-là)
des erreurs de scribe se sont introduites. J'en ai rejeté les contradictions
et je l'ai ensuite mise en accord avec (la version du) 'Khruns-Glin
(Chapitre de la Naissance) de Bu-lha Nor-bu. De ce fait, j'en ai rendu
le sens pur. Comme il ne convient pas de le faire ici, j'écrirai ailleurs
comment j'ai tout spécialement obtenu une grande foi (en Gesar) par
l'enseignement et les raisons peu communes de la pensée de ceux qui
(1) «Vajra né du lac », un des noms de Padmasambhava ; cf., p. ex., ROERICH, Tibetan
Paintings, Paris, 1925, p. 78.
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ont reconnu le lieu de naissance (de Gesar) dans (le pays) de lCi-Sug (i)
(à savoir) le gter-chen (grand révélateur de manuscrits cachés) mChog-
gyur glin-pa, le vénérable lama Mi-pham 'Jam-dpal dgyes-pa'i rdo-rǰe,
le vidyâdhara (rig-'jin, savant-magicien) 'Gro-'dul dpa'-bo et le gter-
ôhen Las-rab glin-pa. Mieux encore, j'ai pu voir de mes yeux les lieux
(où se trouvent) les restes de la tente de rGya-gza' (lire -bza') (2), les
traces de Jo-ru (2), la source du lac-essence de vie (2), la caverne de
méditation de A-mye sGam-pa dans la vallée de Brag-nag lun-mdo (2),
la montagne sKyi-rgyal sTag-ri (2), les cours d'eau et les ruines des
treize vallées de lČi (2).
Après tout ceci (voici ce qui est advenu de) cette histoire où mots
et sens sont (bien) proportionnés. C'est sur la ferme exhortation de
' Jam-dpal-dbyans mKhyen-brtse'i dban-po, précieux lama, gter-chen
et protecteur du Glin Blanc, que le grand chef (mahendra), confiant
en la doctrine, roi de la religion, 'Chi-med grub-pa'i sde (c.-à-d. le roi
de Dergué), détenteur de la couronne de fleurs des paroles magiques,
m'a donné l'ordre d'écrire, muni des livres anciens, de tout ce qu'il
faut pour écrire, d'écharpes, d'argent et de fleurs. Je lui ai obéi plein
de confiance. Comme j'ai reçu en mon cœur un peu de lucidité grâce
à la miséricorde de ce dieu lui-même (c.-à-d. de Gesar) (3), j'ai réussi
à rejeter la plupart de mes doutes en vue de la récitation. Aussi, bien
que j'aie rencontré quatre ou cinq (versions) différentes de Naissance
et Glin, celle-ci (celle que je donne ici) est capable d'inspirer confiance.
En m'inclinant devant de nombreux saints, tels quele plus grand savant
du Tibet, le vénérable lama Mi-pham ' dgyes-pa'i rdo-rje, le
gter-chen Las-rab glin-pa et le savant 'Gro-'dul dpa'-bo rdo-rje, moi,
humble moine, 'Gyur-med Thub-bstan 'Jam-dbyans grags-pa, j'ai écrit
(cette histoire) dans l'esprit d'acquérir une bonne fortune pour la lignée
du nectar des paroles. Que la majesté de la précieuse religion du Jina
s'élève au sommet du monde ! »
Voici ce qu'il faut retenir de ce que le style ampoulé propre aux
colophons tibétains risque d'embrouiller. Qu'il soit auteur, ou simple-
ment éditeur ou compilateur, c'est un certain ['Gyur-med] Thub-bstan
'Jam-dbyans grags-pa qui est responsable de la rédaction du texte ici
édité. Malheureusement je n'ai aucun renseignement sur ce personnage,
mais on verra à l'instant qu'il a vécu dans la deuxième moitié du
xixe siècle. L'ordre d'écrire l'histoire de Gesar lui est venu de 'Chi-med
grub-pa'i-sde qui fut, d'après mes informateurs, roi de Dergué. Il a dû
régner après 1828, date de la rédaction de la généalogie des rois de
Dergué (4) qui ne le mentionne plus, et avant 1915, date de naissance
du dernier t'ou-sseu de Dergué, Che-dban bdud-'dul (mort en 1942) (5).
Ce « roi » de Dergué fut à son tour inspiré par ('Jam-dpal-dbyans)
(1) lCi, sPyi, sKyi ou sKyid est, dans l'épopée, le lieu de réunion de Glin. lCi-Sug
est mentionné au folio 35 a et correspond à lCi-Sos.
(2) Personnages et lieux mentionnés dans l'épopée. Cf. l'index.
(3) On sait que Gesar a été intégré dans le culte lamaique comme une des divinités
protectrices du type guerrier (dgra-lha).
(4) sDe-dge čhos-kyi rgyal-po rim-byon-gyi rnam-thar.
(5) D'après des informations orales.
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mKhyen-brce'i dban-po. Ce dernier, lama du grand monastère dPal-


spuns (i), près de sDe-dge (Dergué), est mieux connu. D'après sa bio-
graphie (2) donnée par le rGyud-sde kun-btus (fol. 130 b et suiv.), il
est né l'année fer-dragon du 14e cycle (1820) (3) et mort (fol. 140 a)
l'année eau-dragon (1892). Par sa mère il descendait de la lignée des
smug-po gDon qui est précisément celle de Glin et du Gesar de l'épopée.
D'après mon informateur, il serait même l'incarnation du Roi de Glin,
descendant du frère de Gesar (sa biographie mentionne des faits mira-
culeux survenus à sa naissance). C'est en ce sens qu'il faut sans doute
comprendre le titre que lui donne le colophon, car sa biographie ne dit
pas qu'il a été chef de Glin lui-même.
Mi-pham ' dgyes-pa'i rdo-rje, qui fut un des maîtres, et
sans doute le plus important, de notre auteur-éditeur, est bien connu.
Il est l'auteur de nombreux ouvrages groupés dans ses Œuvres complètes
(gsuṅ-'bum) (4). Celles-ci montrent l'intérêt qu'il portait à la figure
de Gesar, puisqu'elles renferment toute une série de prières et d'invo-
cations adressées à ce héros devenu une divinité (volume Na) (5). Cer-
taines de ces prières sont datées bois-bœuf (Mi-pham avait alors 20 ans)
et eau-coq (alors âgé de 28 ans). Aen croire un informateur, Mi-pham
serait mort il y a une trentaine d'années (avant 1949) ; suivant un autre,
il se serait incarné dans le dernier «roi »de Dergué, Che-dban bdud-
'dul (1915-1942) (6). Les deux informations concordent. Dans ces condi-
tions, l'année bois-bœuf ne peut être que 1865 (car 1805 lui donnerait
plus de cent ans). Commeil avait alors vingt ans (à la tibétaine, terme
compris), il serait donc né en 1846. Il eut pour maître ès sciences médi-
cales le lama mKhyen-brce'i dban-po (1820-1892), celui-là même qui
fut l'inspirateur de notre texte (7).
Le fait important révélé par le colophon est que l'auteur-éditeur
s'est trouvé en présence d'au moins quatre ou cinq versions différentes,
que, pour sa rédaction, il s'est servi de livres anciens remontant aux
ancêtres du Roi de Glin, et qu'il y a trouvé ce qui lui paraissait être
des erreurs de scribe et d'autres fautes. Bu-lha nor-bu dont la version
lui semble avoir servi de modèle nous occupera à l'instant. Mais notons
encore que notre auteur-éditeur a poussé le désir d'investigation jusqu'à
visiter les lieux où des événements de l'épopée étaient censés avoir eu
lieu.
Nous sommes donc en présence d'une version qui, quoique tardive-
(1) Fondé en 1727, d'après LI AN-CHE, The Bkah-Brgyud Sect of Lamaism, in JAOS,
t. 69, n° 2, 1949, p. 55. Vers 1940-1945, M. Li An-che a connu, dans le même monastère,
le grand lama ' mkhyen-brce'i 'od-zer, sans doute une incarnation de mKhyen-
brce'i dbaṅ-po (op. cit., p. 59, n. 3).
(2) Un rnam-thar de ce lama existe, mais je n'ai pas pu le consulter.
(3) Cette date est confirmée par le Re'u-mig manuscrit en possession de M. Bacot.
(4) sMra-ba'i sen-ge Mi-pham Phyogs-las rNam-par rGyal-ba'i gsun-rab-rnams-kyi
bžugs-byaṅ, No-mchar nor-bu'i me-lon.
(5) Pour plus de détails, voir le chapitre bibliographique de ma thèse principale.
Cf. ici, p. 12, n. 4.
(6) Il publia les Œuvres de MI-PHAM à l'âge de 20 ans.
(7) gSuṅ-'bum de MI-PHAM, colophon au vol. Ka, sMan : 'Jam-mgon bla-ma mKhyen-
brce'i dbaṅ-po, et son image au vol. Ca, Thub-čhog rgyab-ëhos, fol. 2 a : dbaṅ-mjad 'Jam-
dbyans bla-ma mKhyen-brce'i dbaṅ.
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ment rédigée et imprimée et nettement soumise à l'influence de l'école


lamaïque des rjogs-chen-pa (branche des Anciens, rÑiṅ-ma-pa, ou
Bonnets Rouges), prépondérante à Dergué, représente néanmoins la
tradition vivante de la principauté de Gliṅ qui se rattache directement
au héros de l'épopée.
Quecette version n'est pas aberrante et neconstitue pas un document
isolé, mais qu'elle se rattache au contraire à la majorité des manuscrits
actuellement connus, c'est ce qui ressort de la mention deBu-lha nor-bu.
Le rôle de ce personnage n'apparaît pas clairement dans notre colophon.
Mais il nous est heureusement un peu mieux connu par les colophons
d'un autre chapitre de l'épopée. Pour leur étude je ne puis que renvoyer
au chapitre bibliographique de ma thèse principale. Ici il suffit de dire
que le chapitre relatif à la conquête du Royaume du Sud de Çin-khri,
le Lho-Glin ou Mon-Glin, nous est actuellement connu sous la forme
de trois manuscrits, l'un conservé au British Museum, l'autre dans la
bibliothèque privée de M. Tucci et le troisième au Sinologisch Institut
de Leyde. Les colophons des trois manuscrits, sensiblement identiques,
parlent d'un certain chef local que celui de Leyde appelle «muni du
nom de mani », c.-à-d. nor-bu en tibétain, mais auquel celui du British
Museum donne son nom complet : Bu-lha nor-bu. Le 30 de la 11 lune
(British Museum) ou le 29 de la 10 (Leyde) de l'année fer-mouton, ce
personnage eut un rêve à Kha-ba dkar-po, la célèbre montagne sainte
du Khams. Il avait alors 25 ans. Dans ce rêve, la mère céleste de Gesar
lui apparut et lui confia un manuscrit. C'est ce rêve qui décida de sa
rédaction. L'année fer-mouton ne peut être que 1811 ou, plus proba-
blement, 1871. Commeil avait alors 25ans (àla tibétaine, terme compris),
il est donc probablement né en 1847 (ou en 1787 ?) (1). Si l'on accepte
la date de 1871 pour le rêve, les manuscrits du Lho-Glin furent rédigés
en 1876 (British Museum), en 1884 (M. Tucci) et en 1891 (Leyde). Ces
dates correspondent à celles de nos colophons.
Il nous reste à examiner l'introduction et le colophon du troisième
volume, La course, où nous retrouverons les mêmes personnages. Au
folio 2 a, nous trouvons, à gauche, l'image de Mi-pham, «Meilleur des
savants » (mkhas-mchog) et «seigneur de la religion » (chos-kyi rje),
et à droite celle de Gesar.
Le titre de ce volume est : Histoire de la course faite par le saint,
le Grand-Lion du Monde ou Précieux joyaux en sept parties (2). Comme
d'habitude, c'est en soulignant certains mots que le titre est expliqué
ici : «[fol. 2a]. La biographie (de Gesar) a été racontée depuis toujours,
mais à part cela elle fut spécialement protégée par 'Jam-dpal dgyes-
pa'i rdo-rje (se. Mi-pham), qui a compris les Huit trésors dela Sagesse (3).
Lesregardant avec sapience, il protégeait (ainsi) la Doctrine et les êtres.
Ses paroles ésotériques et le sens des mots de vajra, (à savoir) le récit
(1) D'après un barde encore vivant, Bu-lha nor-bu était originaire de Chab-mdo
(Chamdo), dans le Khams (renseignement de Dr G. de Roerich).
(2) 'Jam-gliṅ Seṅ-čhen skyes-bus[= bu'i] rTa-rgyug gi rtogs-pa brǰod-pa ëha-bdun
nor-bu rin-po-čhe.
(3) spobs-pa'i gter-brgyad.
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de l'Histoire de la course du Clin Blanc (i), il l'a divisé en sept parties,


chiffre qui accomplit des miracles, (tel) un miroir précieux (2) qui (le)
fera connaître ici. Or ici (c.-à-d. à notre époque) le tambour secret qui
fait la renommée du beau nom de Gesar, Joyau, Vainqueur d'ennemis,
est répandu dans le monde entier, et il est vrai que (de ce fait) ses
(différentes) biographies sont inconcevables (c.-à-d. nombreuses). On est
(cependant) certain du début des hauts faits, (à savoir des chapitres)
Naissance et Clin et La course, ainsi que du récit de la soumission des
quatre (ennemis des frontières), Démon (c.-à-d. Klu-bcan), Hor, Mon
et 'Jan[s]. (De plus) le récit de la course est, lui aussi, basé sur des
sources dignes de foi (étant donné que c'est là) le sens pur des paroles
de vajra du Miroir précieux des paroles secrètes (2), merveilleusement
raconté par le vénérable lama Mi-pham 'Jam-dpal dgyes-pa'i rdo-rje.
(Celui-ci) a raconté (cette histoire) en manière de commentaire, pour
qu'elle soit facile à comprendre par tout le monde et aisée à retenir.
(A ceci il est arrivé) par le fait que sa profonde pensée s'est intimement
unie au saint Grand-Lion (se. Gesar) lui-même et que, de plus, le chef
et les ministres de tous les êtres [c.-à-d. Gesar et ses héros] avaient
promis de lui apparaître sous leur forme véritable. (Il a raconté l'his-
toire) parce qu'il désirait exposer au complet le sens des profondes
paroles de vajra, le message de miséricorde du saint Grand-Lion (Sen-
chen, Gesar) en personne, et la grâce d'avoir obtenu, en toute sa pureté,
le flot de paroles de la tradition orale (sñan-[b]rgyud) dont le sens est
la mémoire des circonstances antérieures, (également appelée) trésor de
pensée provenant de la catégorie religieuse (chos-sde) (3) du Nam-mkha'-
mjod. » Suit le résumé de l'histoire, depuis la naissance jusqu'à la course.
L' analyse du troisième volume commence au folio 5 a :
« Voici maintenant comment, le temps étant venu, (Gesar) devient
le roi de Glin Blanc. Comme il est temps de raconter l'histoire de la
course, je dirai : « que le roi Grand-Lion me bénisse »! Et je dirai encore
en guise de prière : « que, pour raconter comment il est véritablement
« Roi du Monde, aucun obstacle ne se présente du début à la fin, qu'il
« donne, de plus, les fruits de bonheur et de joie à la lignée de tous les
« lecteurs de la postérité » ! Nous avons déjà exposé (les chapitres)
Naissance et Clin ou Enclos de fleurs et Prise de possession de la terre
de rMa ou Nœud de soie blanche. Voici (maintenant) comment, rejetant
le corps vil, l'accoutrement mauvais et les actes de pénitence, (Gesar)
se montre comme il est dans son corps (véritable), (tel) un lotus (qui

(1) Glin-dkar rta-rgyug rtog-par brǰod-pa'i gtam.


(2) Allusion au titre collectif de deux prières de MI-PHAM, cf. p. 12, n. 4. Peut-être
englobe-t-elle aussi le sous-titre des Œuvres (gsuṅ-'bum) du même auteur : Ṅo-mchar
nor-bu'i me-lon (Miroir précieux des miracles).
(3) čhos-sde signifie généralement « monastère », mais, outre qu'aucun monastère de
ce nom ne semble connu, cette acception du mot cadrerait mal avec le contexte. Nam-
mkha'-mjod, en sanscrit Gagana-ganja (cf. Mahāvyutpatti, éd. Sakaki, nos 700 et 1336)
est le nom d'un bodhisattva et d'un sùtra (pour le premier, voir Tucci, Indo-Tibetica,
IV, I, 219 ; pour le second, cf. FEER (traduisant CSOMADE KÖRÖS), Analyse du Kandjour,
p. 252 = Mdo, XI, 6 : Gagana-gañja-paripricchā). Mais c'est la définition de S. C. DAS
( Tibetan-English dictionary, p. 1051 b) qui doit s'appliquer ici : « The treasures which
are the privileges of such Buddhist saints as have attained to the eighth stage of perfection. »
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s'élève) d'un marais. Nous montrerons le sens de la course progressi-


vement à partir du premier (paragraphe). L'Histoire de la course, en
sept parties, Miroir précieux (i), commence par : i) La Révélation ou
Début de la joie, discours pareils au joyau de la roue. (Puis viennent) :
2) Comment 'Brug-mo va inviter (Jo-ru), discours pareils au joyau de
la reine ; 3) Le chapitre de la prise de possession du cheval, discours
(pareils au) joyau du (cheval) Can-çes (Ājāneya) ; 4) La souveraineté
sur les sujets, discours pareils au joyau du maître de maison ; 5) Com-
ment, de manière cachée, (Gesar) marche d'un coup sur le chemin, par
magie, quoique partant de l'extrémité des rangs (de l'assemblée) de Glin
Blanc, discours pareils au joyau du bœuf (se. éléphant) ; 6) Comment
il soumet les (êtres) humains et non-humains qui cherchent à se mesurer
avec lui et à le détruire, discours pareils au joyau du général, et 7) Sacré
sur le trône d'or, comment il réalise les espoirs des dieux et des hommes,
discours pareils au Joyau-qui-exauce-les-désirs, cintamani, (qui est son
propre) corps. De ces sept (2) paragraphes, voici le premier... »
Le premier paragraphe va de fol. 5 b à fol. 22 b, le deuxième de
fol. 22 &à fol. 36 b, le troisième de fol. 37 a à fol. 50 b, le quatrième
de fol. 51 a à fol. 69 a, le cinquième de fol. 69 a à fol. 81 a, le sixième
de fol. 81 a à fol. 98 b, et le septième de fol. 98 b à fol. 108 a. Un long
colophon occupe la fin du volume (108 a-ɪɪɪ a). Il suffira de donner
ici les passages significatifs de ce texte embrouillé, conçu dans le style
prétentieux et tortueux des colophons tibétains.
C'est sous l'égide de 'Jam-mgon Mi-pham, « lion de la parole »
(c.-à-d. incarnation de Mañjuśrī) que l'auteur a écrit l'histoire de la
course en manière de commentaire du Miroir précieux des paroles
secrètes (3). Il relève que certains savants orgueilleux qualifient l'Histoire
de Gesar, Joyau, Vainqueur d'ennemis de « Rosaire de mensonges »,
[fol. 108 b] mais il rejette cette opinion comme spécieuse. Quant à lui,
il a dissipé ses doutes en se soumettant aux ordres et aux enseignements
des sages. Il a écrit [fol. 109 a] de manière à rendre le récit facile à
comprendre aux gens du commun, après avoir mis la biographie (de
Gesar) d'accord avec le commentaire des points essentiels du Miroir
précieux des paroles secrètes (2), histoire merveilleuse de Mi-pham (4).
Le précieux lama, gter-chen, protecteur du Glin Blanc (5), ayant donné
l'initiation (l'enseignement) des ouvrages Prière de la course et Soumis-
sion des Hor, avec le yoga du guru (bla-ma'i rnal-'byor) qui en fait
partie, le vénérable Mi-pham a dit à l'auteur que c'était là la tradition
orale et lui a donné le conseil de faire un résumé en accordant la biogra-
(1) rta-rgyug gi rtogs-par brjod-pa čha-bdun nor-bu'i me-loṅ.
(2) Les comparaisons montrent que les Sept Parties ou paragraphes sont mis en rap-
port avec les 7 joyaux qui caractérisent le cakravartin : roue, épouse, cheval, « maître
de maison », éléphant, général, cintamani.
(3) brDa'-gsaṅ nor-bu'i me-lon.
(4) Les Œuvres de MI-PHAM comportent en effet, au vol. Na, fol. 2 b-3 b, deux prières,
Hor-'dul et rTa-rgyug gsol-'debs, réunies sous le titre de No-mtshar rtogs-brjod brda'-gsan
nor-bu'i me-loṅ (Histoire merveilleuse, Miroir précieux des paroles secrètes).
(5) Dans le colophon précédent (p. 8), ce titre est donné à 'Jam-dpal-dbyans mkhyen-
brce'i dbaṅ-po (1820-1892), maître de Mi-pham. Or, les titres des prières sont ceux des
Œuvres de MI-PHAM. Ce dernier a dû emprunter ses prières à son maître.
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phie et lespeintures (de Gesar)au sensdel'Histoire merveilleuse(p. 12,n.4)


(no-mchar rtogs-brjod). Quand Mi-pham lui eut donné l'ordre d'écrire
La course ou Les joyaux ensept parties (1), [109 b] le grand lama Padma
'od-zer, maître de toutes les siddhi suivant l'école des rjogs-chen-pa,
lui donna l'initiation duyoga du guru (2) relatif à Gesar. Ce lama l'avait
assuré que, s'il s'appliquait à ce yoga, « l'épopée religieuse » (chos-
sgruns, c.-à-d. l'adaptation tantrique de l'épopée de Gesar) surgirait
dans son esprit.
C'est ainsi préparé qu'il s'est mis à écrire. Le cœur rempli de la béné-
diction de son lama et du saint Grand-Lion (Gesar), l'auteur (ou l'édi-
teur) Ku-sa-li ak§a-ra mu-ni-ça-sa-na (Kuśalī-akṣara Muniśāsana ou
Muniśāsana le lettré) (3), pauvre moine, a écrit ce récit en prenant pour
maîtres spirituels le vénérable lama Mi-pham 'Jam-dpal dgyes-pa'i
rdo-rje, le vidyâdhara (rig-'dzin) 'Gro-'dul dPa'-bo rdo-rje, le gter-
chen Las-rab glin-pa et beaucoup d'autres sages et saints.
« En ce qui concerne (cette) histoire de la course, j'ai rencontré
(plusieurs versions, à savoir) La course écrite par un sorcier (dpa'-bo)
venu de Hor-khog (région de Taofou/Tao), connue depuis longtemps,
mais renfermant beaucoup de points confus, La course du barde (sgruns-
mkhan) Ragu A-mye, à peu près pareille, et une histoire de la course
en quelque cinq chapitres due à Mar-byun-ba de dBus (Tibet central),
qui est un peu différente (de la mienne). [110 a] J'ai retenu en mon
esprit le sens de leur récit et me suis adressé de tout mon cœur au yoga
du guru reçu comme je l'ai dit plus haut. »Comparaison faite avec la
Prière de la course et la peinture, toutes deux dues au précieux lama,
gter-čhen et protecteur de Glin (sc. mKhyen-brce'i dban-po), Mi-pham
lui a dit qu'il était sur le bon chemin, l'a guidé par son Miroir précieux
des paroles secrètes et a approuvé la rédaction de La course ou Les joyaux
en sept parties, faite dans ces conditions. Mais l'auteur avait encore des
doutes sur la façon d'opérer la division en sept paragraphes ou sections,
doutes qui venaient de ce qu'il n'avait pas encore compris certains
points essentiels des Paroles secrètes. En s'appliquant avec ferveur à la
Prière (sc. de la course), le cheval divin de Gesar lui apparut et lui dit
qu'il devait le mener à la ville de Çambhala du Nord (4). Tenant le
cheval par les rênes, il se mit en route, guidé par celui-ci, et arriva à un
endroit tel qu'il n'en avait encore jamais vu ; c'était la maison des monts
de Çambhala. Là, sans qu'il pût se rendre compte de ce que fit le cheval,
un homme lui remit un petit livre qui racontait la course. Il l'emporta
et, l'ayant ouvert, constata que c'était bien La course. Mais il avait
beau le lire, il n'était pas sûr du sens des mots. Une apparition lui dit
alors : «C'est (bien) La course. »[110 b] Apartir de ce moment il comprit
le sens des Paroles secrètes et il se mit à diviser l'histoire de la course
(1) rTa-rgyug Nor-bu ëha-bdun.
(2) bla-ma'i rnal-'byor. Les œuvres de Mi-pham contiennent, au volume Na, un traité
de 40 folios appelé Rig-pa 'gyur-med ye-çes kyi skyes-bu čhen-po'i bla-ma'i rnal-'byor byin-
rlabs myur-'jug.
(3) Je dois la restitution et la traduction de ce nom à Mlle LALOU.
(4) Pays mythique où Gesar réside et d'où il reviendra, tel un messie, pour sauver
notre monde ; cf. p. 40.
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en sept parties en accord avec les caractéristiques des sept joyaux.


Commençant alors à écrire l'histoire dans cet ordre, il trancha les fautes
de sens des épopées (sgruns-yig) antérieures. Mais au début du sixième
paragraphe, il fut incapable de continuer sa rédaction. Il abandonna
donc sa tâche pendant un an où il ne fit rien. Auparavant le lama
Padma 'od-zer lui avait donné quelques chapitres du Cycle religieux de
Gesar (Ge-sar chos-skor) (i) par mKyhen-brce ye-çes rdo-rje et lui
avait dit que « l'épopée religieuse » (čhos-sgruṅs) surgirait dans son
esprit quand il serait capable de comprendre le yoga du guru. D'autre
part, le grand dharmarâia de Gliṅ lui donna aussi à plusieurs reprises
l'ordre d'écrire et de faire graver des planches pour l'imprimer. Aussi
se concentra-t-il de nouveau sur le saint Grand-Lion. Au moment où
il lui adressa une prière, il eut un rêve où il trouva l'épopée, rencontra-
les «frères »(c.-à-d. les guerriers de l'épopée) et vit Seṅ-stag, Zal-dkar
et mDan-ma (trois héros de l'épopée) avec leurs troupes. Alors il se
remit à écrire en nourrissant l'espoir que, de ce fait, il allégerait tant
soit peu les guerres, les maladies (des hommes) et les épidémies (du
bétail).
Le nom pseudo-sanscrit de l'auteur, Kusalï-aksara (le lettré) Munisâ-
sana, ne doit pas nous étonner. Il ne s'agit pas d'un Hindou, mais tout
simplement de Thub-bstan 'Jam-dbyans grags-pa que nous connaissons
déjà comme auteur-éditeur des deux premiers volumes. En effet, Muni-
śāsana n'est que la traduction sanscrite de Thub-bstan (2). Cette habi-
tude pédante de traduire son nom en sanscrit est bien connue. Elle est,
par exemple, attestée par le propre maître de l'auteur. Dans ses Œuvres
complètes (gsun- bum), Mi-pham s'appelle fréquemment A-ji-ta-bi-ja-ya,
c.-à-d. Ajita-vijaya, traduction de Mi-pham phyogs-las rnam-rgyal qui
n'est qu'unedesnombreusesformesdesonnom(colophons duvolumeom).
Pour éviter des répétitions inutiles, je ne puis que renvoyer à ma
thèse principale pour l'analyse de ce colophon si instructif. Il suffit de
rappeler, pour terminer, que les trois volumes qu'on va lire représentent
un remaniement ecclésiastique de l'épopée fixé sous sa forme présente
dans la seconde moitié du xixe siècle au pays même de Glin, dépendant
de Dergué. Cette rédaction ne constitue cependant pas une libre création
nouvelle. Elle se base sur des sources antérieures de la tradition locale
de Glin, tout en tenant compte d'autres versions répandues au Tibet.
Malgré le remaniement lamaïque, le style est resté vivant. Les chants
surtout gardent toute leur fraîcheur. Ils occupent beaucoup plus de
place que le texte narratif en prose. Écrits en vers, ils sont tous cons-
truits sur le mêmemodèle. Audébut setrouve l'indication dela mélodie :
a-la-la, tha-la-la, souvent suivie par la formule : «a-la est la façon de
commencer un chant, tha-la est la manière d'introduire un discours ».
Viennent ensuite les évocations des divinités protectrices du chanteur,
(1) M. G. N. Roerich a entendu parler en Mongolie d'un ouvrage du même titre :
Ge-sar čhos-skor (lettre du 24-5-1938).
(2) Cf. Mahâvyutpatti, éd. Sakaki, nos 92, 94 : thub-pa = muni, et nos 1434, 2435 :
bstan —śāsana. Kusalï-aksara s'explique soit comme son titre, soit (moins probablement)
par une vague allusion à l'autre élément de son nom : ('Jam) -dbyans = (Mañju)-ghoṣa.
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appelées à l'aide et invoquées comme témoins. Puis, le personnage qui


chante décline sonidentité : «Tuignores oùnoussommes ?Noussommes
à tel endroit ; tu ne sais qui je suis ? Je suis un tel. »Le sujet du chant
est ensuite abordé par de nombreux détours (proverbes, métaphores,
axiomes des anciens). Enfin, le chant se termine généralement par une
formule du type de : «Si tu comprends mon chant, qu'il demeure en
ton esprit ; si tu ne le comprends pas, il n'aura pas de commentaire. »
De cette manière les chants sont souvent fort longs pour ne dire que
peu de choses. Le public tibétain en apprécie la rhétorique et la mélodie,
un peu comme chez nous les airs des opéras. On verra dans mon pro-
chain ouvrage comment le théâtre laïque tibétain emploie les mêmes
procédés. L'épopée ne veut pas être lue, mais entendue. Aussi notre
texte est-il en majeure partie écrit en langue parlée et présente toutes
les caractéristiques du dialecte de l'Est (Khams). Dans l'ensemble, la
version reproduite ici correspond à celle publiée par Mme David-Neel
(voir p. 2, n. 4). Les événements sont localisés dans la région qui s'étend
au nord et au sud des montagnes Bayen-khara, au nord celle du haut
fleuve Jaune, au sud celle qui va, grossomodo, deJyekundo à Tatsienlou.
Un seul et même personnage apparaît souvent sous plusieurs noms.
Pour les identifier, on pourra consulter l'index des noms propres dans
lequel j'ai renvoyé d'un nom à l'autre.
Enfin, pour faciliter dès l'abord la compréhension du texte aux non-
tibétisants, quelques indications suffiront ici. Le monde divin auquel se
rattache notamment le héros principal se divise en trois étages : ciel,
terre et souterrain. A chacun de ces étages appartient une catégorie
de divinités. En haut se trouvent les lha (couleur blanche), au milieu
les gnan (jaune) ou les bcan (rouge), souvent des montagnes sacrées,
et en bas les klu (bleu), mot qui traduit normalement le sanscrit nāga.
Le héros principal a une parenté divine et terrestre. Jusqu'à son intro-
nisation, il porte le nom de , mais après celle-ci il s'appelle Ge-sar.
Le premier nom a été l'objet de plusieurs jeux de mots, dans notre
texte, mais aucun de mes informateurs tibétains n'a été capable de
l'expliquer. On trouvera leurs indications dans le vocabulaire. Quant
au second nom, Ge-sar, il représente certainement une transcription du
titre gréco-byzantin kaisar. Comment ce titre a pu devenir le nom du
héros tibétain, c'est ce que je me propose d'exposer dans l'ouvrage
déjà mentionné que j'espère publier bientôt.
Ces quelques remarques suffiront, j'espère, à montrer l'intérêt du
texte édité et à justifier mon choix. Le philologue et le linguiste trouve-
ront un matériel abondant pour des études de style, de grammaire, de
vocabulaire (chants, proverbes, métaphores, expressions dialectales et
archaïques). Les historiens de la religion y verront des indications pré-
cieuses, d'une part pour le Tantrisme ou le Vajrayàna, de l'autre pour
la religion plus proprement tibétaine (rites et divinités bonpo et «popu-
laires »). Les folkloristes et les sociologues, enfin, ne seront pas déçus.
Ils pourront y découvrir de nombreux motifs et thèmes, ainsi que beau-
coup d'indications utiles sur la composition et le fonctionnement de la
société tibétaine.
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PREMIÈRE PARTIE

TRADUCTION ABRÉGÉE
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VOLUME I

LE PROLOGUE (LES DIEUX ET GLIṄ)(*)


[Fol. i b] au centre l'image de ' (Mañjuśrī). Intro- fol. 1 b
duction lamaïque : invocation du Meilleur des Héros, Joyau, Vainqueur
d'ennemis (Gesar) qui détruit l'orgueil et la superbe des rebelles qui ont
émis des vœux mauvais. Les êtres de la race démoniaque des sauvages
sont difficiles à sauver.
[Fol. 2 a] CHAPITRE I : Autrefois, à l'époque des trois rois-ancêtres fol. 2 a
(Sron-bcan sgam-po, Khri-sron Ide'u-bcan et Ral-pa-can), lorsqu'on passa
de la religion Bon au Bouddhisme, les mauvais démons du Tibet furent
mécontents. Tout se serait bien passé si, pour les apaiser, Padma thod-
phren (Padmasambhava) avait réussi à les lier par serment trois fois.
Mais un puissant ministre-démon détourna le peuple du souverain, de
sorte que Padma thod-phreṅ ne put opérer que deux fois. (Deux images,
à gaucheetà droite, queleslégendes enmajeurepartie illisibles nepermettent
pas d'identifier.)
[Fol. 2 b] Pour cette raison des guerres éclatèrent aux quatre frontières, fol. 2 b
les démons des frontières envahirent le centre du pays et le roi fut détrôné.
Le monde en général, et le Tibet en particulier, fut accablé de misère.
Le Grand Miséricordieux (i) (Avalokitesvara), ému de cet état de choses,
demande à 'Od-dpag-med (Amitābha), seigneur du paradis bDe-chen, de
lui indiquer le meilleur moyen de sauver les êtres de cette misère. Le
bouddha sNan-mtha' (Amitābha dans son DHARMAKÂYA) répond :
Dans le monde des dieux, le grand dieu (mahādeva)' Od-ldan-dkar,
le père, et Mandâ-lha-mjes, la mère, ont eu pour fils bDe-mchog Ṅan-yag
(Samvara Mauvais-Bon). [Fol. 3a] Celui-ci s'est uni à la princesse sGyu- fol. 3 a
ma-mjes. De cette union est né Don-grub. A l'entendre (thos) on se
réjouit (dga'), à le voir on est heureux. S'il prend un corps humain,
c'est lui qui domptera ceuxqui sont difficiles à dompter et fera lebonheur
du Tibet. Acet effet, il faut se rendre à rNa-yab glin (Câmara) (2) et
y demander à Thod-phren-rcal (Padmasambhava) de faire le bien des
êtres. Sur ce conseil d'Amitâbha, Avalokitesvara se rend instantanément
à rNa-yab, au palais de la Grande Joie, à la ville des démons RÂKSASA.
Là il se transforme en un enfant-démon, la tête entourée d'huîtres. Enve-
loppé d'une auréole blanche, il va à la porte de l'Est, Byams-pa kun-
(*) Le résumé de la narration en prose est en italique, celui des chants en romain.
(1) Mahākartuṇa.
(2) C'est l'île des démons, souvent identifiée avec Ceylan. Padmasambhava s'y est
établi pour les empêcher de nuire.
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khyab où il est aperçu par le ministre-démon aux sept têtes. Celui-ci se


demande s'il s'agit d'un démon ou d'un dieu (à cause de l'auréole) et
ce qu'il vient faire.
fol. 3 b [Fol. 3 b] Chant du ministre-démon : ce lieu est rNa-yab, pays des
démons. D'où viens-tu et quelle est ton affaire ? Attention aux dangers
de rNa-yab.
fol. 4 a [Fol. 4 a] Métaphores dont se sert le pseudo-enfant pour dire qu'il ne
parlera qu'au chef Thod-phren Padma gzi-ldan (Padmasambhava) et au
ministre qui occupe le premier rang au conseil. Cependant il décline son
identité dans un chant. Je m'appelle Kun-phan snin-rje'i gces-phrug
(Enfant chéri de la miséricorde qui guérit tout). Mon père est Byan-
sems kun-khyab, ma mère sTon-nid chos-sgron. Je viens de bDe-chen
than (Sukhāvatī), mon affaire concerne moi-même et d'autres. Je vais
fol. 4 b à rÑa-yab glin et demande le chef Thod-phren. [Fol. 4 6] En usant
de proverbes et de métaphores, il demande à être introduit auprès de
fol. 5 a Thod-phren. Réponse du ministre. [Fol. 5 a] Onn'approche pas le roi des
démons, Thod-phren, si facilement. D'ailleurs quelles sont tes offrandes
et cadeaux pour rencontrer le temple, le lama, le chef ? J'ai un cadeau
qui pourra convenir. Il se chiffre par trente : les six syllabes de la for-
mule (om) ma-ni (padme hum), les six paramita, les six domaines de
fol. 5 b l'apparence, les six éléments de conscience et les six sens. [Fol. 5 b] Il
est vrai quetu n'es pas bien grand, maistu es muni designes particuliers.
Le ministre aux sept têtes va devant Thod-phreṅ qui a déjà pressenti
l'arrivée de l'enfant, mais lui demande de quoi il s'agit. Le ministre lui
fol. 6 a dit : [Fol. 6 a] Ala porte de l'Est, Byams-pa'i glin-chen, de la deuxième
muraille de la ville des démons bDe-chen 'Bum-gron khra-mo, il y a
un garçon qui n'est ni homme, ni démon, ni dieu. Il dit avoir une affaire
importante. Suit le chant du ministre. Invocation à sNan-ba mtha'-yas
(Amitâbha) d'U-rgyan, du palais Padma-râ-ga. Assis sur un siège de
lotus en flammes, écoute, chef de cette vie et lama psychopompe de
la vie future ! A la porte Byams-pa chen-po du continent de l'Est, au
milieu de la plaine bDe-chen kun-khyab, se trouve un beau garçon,
enveloppé de lumière. Il s'appelle sÑiṅ-rje kun-phan et demande à être
introduit auprès du chef de rṄa-yab pour une affaire importante pour
fol. 6 b le bien d'autrui. [Fol. 6 b] Fin du chant, après maintes métaphores.
Thod-phreṅ Padma gzi-ldan répond : étant donné que ce jour faste est
le huit de la première lune de l'année feu-singe, introduis-le vite, à
quelque catégorie de divinités qu'il appartienne.
fol. 7 a [Fol. 7 a] Lorsque le ministre arrive à la porte, il n'y a plus trace de
l'enfant. Asa Place se trouve un lotus d'or à huit pétales, portant au centre
la lettre HRÎ en blanc, et sur les Pétales les lettres OMMA-NIPADMËHUM
fol. 7 b HRÏÂ. Le ministre exprime son étonnement par des métaphores. [Fol. 7 6]
Comme il doit obéir à l'ordre d'amener le visiteur, il apporte la fleur à
la porte de la chambre à coucherPadma-ran-snan. Là la fleur se transforme
en lumière blanche qui va se fondre au cœur duroi desdémons Thod-phren.
Suit le chant que lui adresse le Grand Miséricordieux. Invocation à
sNan-ba mtha'-yas (Amitâbha) du paradis Padma-'Bar-ba. Au Tibet,
pays de barbares difficiles à dompter (civiliser, convertir) se trouvent
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des démons dam-sri qui ont fait des vœux contraires (à la religion).
Ils sont neuf à avoir transmigré, roi et ministres, à savoir le démon
de l'Est Lho-khri stag-mig, le démon du Sud Sa-dam, tronc de poison,
le démon de l'Ouest Klu-bcan, de la lignée des dMu, le démon du Nord
Gur-dkar, fils de the'u-ran, (ainsi que) gYu-rce 'od-kyi bu-chun, sÑan-
ra-ba, Roi des sa-bdag, le sen-bdud A-bse 'khyil-pa, le glo-bdud roi Çin-
khri et l'Ours Noir, démon, de la caste du peuple, de ce monde (srid-
pa'i dmans-'dre). Chacun est entouré d'une suite innombrable formée
par les «ennemis »munis de corps et les «obstacles » (démons) sans-
corps. Ils entraînent le Tibet dans le malheur. [Fol. 8a] Thos-pa-dGa' fol. 8 a
[= Don-grub], le saint, l'enfant divin, qui a une grande puissance pour
dompter les êtres difficiles à dompter, doit quitter sa position de très
pur Kun[-tu]-bzan[-po] (Samantabhadra). Atoi est échue la tâche de
lui faire conférer le «pouvoir »(l'initiation) par les Cinq Jina, de le faire
bénir par les Trois Protecteurs (rigs-gsum mgon-po) et de l'exhorter à
faire le vœu de s'incarner dans un corps illusoire pour dompter les
méchants.
Padma Thod-phreṅ, souriant, répond par un chant. Louange du
grand bodhisattva qui fera le bien des êtres et, qui, dès qu'on l'entend
(thos-na), procure joie (dga') et délivrance. [Fol. 8 b]Leministre-démon fol. 8 b
est émerveillé et heureux. Le Grand Miséricordieux se rend au mont
Potala (1). Le dix du mois, alors que l'immortel Padma Thod-phren
demeure en méditation, un rayon vert, partant de son sinciput, va ébranler
le cœur de Kun-tu bzan-po (Samantabhadra). Du cœur de ce dernier
émane alors un (VAJRA) bleu à cinq pointes, orné de la syllabe
нūм, et pénètre dans le sinciput du prince bDe-mchog dkar-po (Samvara
blanc), au jardin rCa-gsum dga'-ba (2). Rempli de bonheur, ce dernier
fait apparaître une forme qui devient le héros rTa-mgrin (Hayagrïva).
Du cœur de la «mère » (SAKTI) (de Kun-tu bzan-po, sans doute), Nam-
mkha'i-dbyins phyug-ma, émane un lotus rouge à seize Pétales, portant
au centre la syllabe Â. Celotus entre dans le sinciput de la déesse sGyu-ma
bde-mies-ma. Celle-ci fait apparaître uneformequi devientrDo-rje phag-mo
(Vajravarāhī) (3). Pendant que ce couple, Cheval et Truie, s'unit, une
voix ébranle les bouddhas des dix orients, alors que du cœur des Cinq Jina
des rayons de différentes couleurs se répandent partout et purifient les
souillures de tous les êtres. [Fol. 9a] Seréunissant à nouveau ils se concen- fol. 9 a
trent en une croix de vairas. Celle-ci, pénétrant par le sinciput de bDe-
mëhog dkar-po, fond par le feu de la Grande Joie (BDE-ČHEN, MAHÃ-
SUKHA). Elle bénit le corps de sGyu-ma lha-mies transformé en vent de
sagesse de l'espace. Peu après, un enfant divin naît dans le sein de la
déesse sGyu-ma mies-ldan, enfant qui délivre quand on le voit, qui donne
la joie quand on l'entend (THOS-NA DGA-'BA). Assis sur un lotus à huit
pétales, il entonne un chant.
[Fol. 9 b-10 b] Aucun rite ne peut préserver de la mort. Il faut fol. 9 b-10 b
(1) Où il réside habituellement.
(2) « Joie des trois artères mystiques. »
(3) De cette manière Padmasambhava provoque la « naissance » du bouddha qui
deviendra le héros de l'épopée.
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fol. 11 a prendre refuge dans la religion. [Fol. 11 a] Je suis le grand rdo-rje sems-
dpa' (vajra-sattva), le très pur Kun-tu-bZan[-po].
A ce moment, Padma Thod-phren, se trouvant à Zans-mdog dpal-ri
(Glorieuse Montagne Couleur de Cuivre) de rÑa-yab, sait que le temps
est venu de donner l'initiation. En conséquence (1) il émet de son front
un rayon blanc qui excite l'esprit de rNam-par snan-mjad (Vairocana),
au paradis 'Og-min (Akanisthâ), de son cœur un rayon bleu qui excite
l'esprit de Mi-skyod-pa (Aksobhya), au paradis mṄon-dga' (Abhirati),
de son nombril un rayon jaune qui excite l'esprit de Rin-'byuṅ (Ratna-
sambhava), au paradis dPal-mjes, de son cou un rayon rouge qui excite
l'esprit de sNaṅ-mtha' (Amitābha), au paradis bDe-čan (Śukhāvatī), et
de son sexe un rayon vert qui excite l'esprit deDon-grub (Amoghasiddhi),
au paradis Las-rab. Suit son chant sur la nécessité de l'initiation pour
opérer le salut des êtres.
fol. 11 b [Fol. 11 b] Ce chant terminé, un rayon émane du front de rNam-par
snan-mjad (Vairocana), répand sa bénédiction dans tous les orients, pour
se concentrer à nouveau en une roue blanche à huit rais. Cette roue pro-
fol. 12 a nonce un discours, en direction du fils divin. [Fol. 12 a] Conseils expri-
mésenmétaphores. Cesaint sera nomméThos-padga'-ba, carcebouddha
béni remplit de joie dès qu'on l'entend (thos-na dga'). Chef universel,
il donnera le bonheur au royaume. Qu'il soumette par sa personne les
quatre ennemis, c.-à-d. les ennemis des quatre orients. Avec ses mots
la roue disparaît dans le front de ce fils divin. Et depuis ce jour son nom
est Thos-pa dga'-ba. De la même manière, un rayon part du cœur de
Mi-skyod-pa (Aksobhya), Placé à l'Est, se transforme en VAJRA bleu à
fol. 12 b cinq pointes et disparaît dans le cœur du fils divin. [Fol. 12 b] Après
un discours, un rayon émane du nombril de Rin-'byun (Ratnasambhava),
se transforme en joyau en flammes et disparaît dans le nombril de l'enfant.
fol. 13 a [Fol. 13 a] Son discours terminé, c'est du cou de sNan-mtha' (Amitâbha)
fol. 13 b que jaillit un rayon. [Fol. 13 ô] Il se transforme en lotus rouge et disparaît
dans le cou de l'enfant divin. Dans le discours qu'il émet, il annonce, sous
forme de vœu, que le saint recevra le pouvoir (ou l'initiation, dban)
grâce aux dieux d'en haut, que les divinités (gñan) du milieu lui prête-
ront serment, qu'il ouvrira les portes des trésors des klu (nāga) d'en
bas, qu'il protégera les êtres à Glin et qu'il liera par serment le Démon
noir, les Hor jaunes et les êtres avec ou sans corps. Enfin, après ce dis-
cours, un autre rayon émanedu sexe deDon-yod grub-pa (Amoghasiddhi),
se transforme en une croix verte et disparaît dans le sexe de l'enfant.
. fol. 14 a [Fol. 14 a] Il lui donne son initiation et lui fait tomber dans la main
gauche une clochette d'argent, symbole de l'achèvement des œuvres de
tous les bouddhas. Suit, comme précédemment, un discours rempli de
fol. 14 b conseils et de vœux. [Fol. 14 b] Par suite de cette quintuple initiation,
l'enfant divin Thos-pa dga'-ba dépasse en pouvoirs tout être de ce monde.
F i n du premier chapitre « INITIATION ».

(1) Tout ce qui suit a trait à la théorie des 5 cakra (« roues », centres nerveux) dont
chacun correspond à un dhyānibuddha.
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Chapitre II (pas indiqué dans le texte)


Au pays des hommes qui est le continent du Sud, Jambudvïpa, se
trouve le mDo-khams, rattaché au royaume des Neiges (Tibet) qui occupe
le Nord de ce continent. Dans sa partie (glin) la plus fortunée où tous
les vœux sont exaucés au premier regard (MTHON-BA KUN-SMON), aux
dix-huit cavernes de Khra (ou : des Faucons, Khra-phug), au col de
Khra-phug ', de la vallée de droite du rMa (Haut Fleuve Jaune),
se trouve, branche de gauche de Khra-stod gNam-rjoṅ, le grand château-
fort Çar-ri'i 'brug-rjoṅ. Là, dans sa chambre à coucher Padma ni-çar,
sPyi-dpon (1) Ron-cha'i Khra-rgan, incarnation du mahâsiddha Ku-ku-
ri-pa, tête des trente héros, premier des trente «couronnes », sommet des
trente pouvoirs, fait le rêve suivant : Un soleil d'or se lève sur le sommet
du mont sacré de l'Est, rMa-rgyal sPom-ra. Ses rayons remplissent le
Tibet. UnVAJRAd'or surgit de son centre et tombe sur le sommetdu mont
sKyid-rgyal sTag-ri, dieu tutélaire (ZO-DOR) du Glin médian (2). Les
«dieux de la chasse »(MGUL-LHA) du Tibet se rassemblent dans la plaine
de brDa-lun-than. Une lune d'argent (blanche) est sur le col de la Prière
(sMon-lam la), les étoiles brillent sur le col d'Or (gSer-gyi la). La corde
tendue de l'arc-en-ciel est attachée au mont Ge-mjo, la corde de rayons
de lumière est étendue au lac Ma-pham (Mânasarovara). Son frère cadet,
le roi Sen-blon, [Fol. 15 a] fait tourner dans sa main un parasol qui fol. 15 a
couvre tout le pays, de sPan-hol au sTag-gzig (Iran) à l'Ouest jusqu'au
mont Ṭan-thiṅ en Chine à l'Est; de Ri-mam de l'Inde au Sud jusqu'à
Yun-khri-wan du pays des Hor au Nord. De plus, un lama arrive du
ciel du Sud-ouest sur un nuage blanc d'arc-en ciel. Il porte un «chapeau
de lotus » (en forme de mitre), chevauche une lionne blanche, tient un
VAJRAdans la main droite et un bâton dans la main gauche, et conduit
une fille rouge garnie d'ornements en os. Lui conseillant de se lever, il
lui adresse ce chant :
Introduction par les syllabes om ā hûm, suivie d'un vœu. Écoute,
chef de Glin. Dictons ou axiomes de sagesse. Nous sommes aujourd'hui
le huit de la première lune de l'été de l'année feu-coq. Le treize, il faut
faire une assemblée des nobles (des «dieux », lha-sde), à savoir du rang
des Khyun (Aigles) de la lignée aînée, du rang des 'Brug (Dragons) de
la lignée moyenne et du rang des [Fol. 15 6] jeunes Sen (Lions) de la fol. 15 b
lignée cadette, y compris le peuple pareil à des tigres royaux. Al'aube
du huit de la deuxième l'une de l'été, il convient de rassembler dans
la plaine du temple Ka-lin de rMatoute la tribu, les lamas et le peuple,
les rois puissants et les pères-oncles (3) riches. A partir du quinze de
cette lune, il faudra exécuter un sacrifice en l'honneur des dgra-lha
(dieux guerriers), ériger treize «maisons de purification » (bsan-khan)
en bonnes essences telles le «bois d'or »et le genévrier, dresser treize
grands drapeaux de bonheur, en commençant par le drapeau des Œuvres
(1) Un titre, « chef commun », mais employé comme nom propre.
(2) Il y a 3 parties de Gliṅ, supérieure, médiane ou moyenne et inférieure.
(3) Pères et oncles paternels, la génération des vieux sans distinction.
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desdgra-bla (dieux guerriers), et construire treize aires magiques d'Appel


du Bonheur (g-yaṅ-'bod), avec celle de rNam-sras (Vaiéravana) en tête.
Les rois fortunés, à commencer par Mi-chen Ihun-grub, devront exécuter
treize danses. Les mères-tantes (1) riches, à commencer par Gar-bza'
de sKya-lo, devront chanter treize chants. Il faudra préparer treize
plats agréables, à commencer par le sucre. Le Tibet peut être sûr de
bons présages, le Glin de pouvoir.
fol. 16 a [Fol. 16 a] Le chant se termine par des dictons relatifs aux festins.
L'apparition du lama disparaît dans le ciel de l'Ouest. sPyi-dpon se
réveille, heureux de son rêve. Il réveille ses serviteurs dGa'-ldan dar-lu,
dGa'-bstan dar-lu et bsTan-pa dar-rgyas qui, étonnés, se demandent
fol. 16 b Pourquoi leur chef fait tant de bruit. [Fol. 16 b] Ils s'étirent, entrent et
voient sPyi-dpon sur le trône d'or. Formules poétiques et métaphores pour
lui demander des ordres. sPyi-dpon leur dit que son rêve est tel qu'on
n'en a jamais eu dans les trois lignées de pères de gDon (2), dans les
trois lignées de fils de Glin, et qu'il peut effarer les «têtes noires » (le
peuple) du Tibet. On ne devra le révéler qu'aux lamas qui ont la béné-
diction, aux chefs qui ont le pouvoir et aux riches qui ont la fortune.
fol. 17 a Il hésite de faire venir le yogi Than-ston rgyal-po. [Fol. 17 a] Il décide
d'envoyer une lettre à Mi-čhen (3) rGyal-ba'i lhun-grub et à sTon-pa
rGyal-mchan de sKya-lo. Quand le thé est préparé par les soins du cuisi-
nier bSod-nams yar-'phel, le chef donne l'ordre à ce dernier et à bsTan-pa
dar-rgyas d'offrir les prémices de ce thé aux dieux et de chanter un chant
de bonne augure.
fol. 17 b [Fol. 17 b] Chant des serviteurs. Demême que les chants commencent
par a-la et tha-la, de même les hommes descendent des smug-po gDon
(gDon de couleur brun foncé). Le bol d'or, le beurre et le feu qui ont
servi à préparer ce thé sont de bons présages pour les trois divisions
de Glin, le Glin supérieur avec les huit frères de gSer, le Glin moyen
avec les six parties de 'Om-bu, et le Glin inférieur avec les quatre tribus
de Mu-spyan. Éloge des parties composantes du thé (thé, beurre, sel).
L'offrande des prémices s'adresse : 1) aux dieux d'en haut (lha), 2) aux
fol. 18 a esprits du milieu (gnan), 3) [Fol. 18 a] aux génies-serpents d'en bas
(klu) et 4) au chef. Il en résultera la victoire sur les ennemis des quatre
orients, les gDon bruns (smug-po) qui sont à la tête des clans seront
puissants et le bonheur régnera à Glin, «enceinte de bonne fortune où
les vœux sont comblés au premier regard »(mthon-smon g-yan-gi ra-ba).
La tribu du Glin Blanc sera exaltée. Et le chant se termine sur des vœux
analogues. L'offrande offerte, un dragon bleu (tonnerre) retentit au Sud.
fol. 18 b [Fol. 18 b] sPyi-dpon confie à son secrétaire Çes-rab tu(?) mchon-ëan
le soin d'écrire deux lettres, l'une adressée à mi-chen rGyal-ba'i lhun-
grub, l'autre à sTon-pa rgyal-mchan de sKya-lo. La première, portant la
mention : « expédiée du château gYun-drun 'gyin-rjon », est envoyée à
Ga'u gser-rjon par un messager qui racontera l'histoire du rêve en détail.
(1) Mères et tantes maternelles, la génération des vieilles.
(2) Les gDon (aussi : sDon, lDoṅ, 'Don) sont une des 4 ou 6 tribus primitives (appe-
lées « nains », mi'u) de la tradition tibétaine.
(3) Un titre, « grand homme », mais ici employé comme nom propre.
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La seconde indique le même lieu d'expédition, ici écrit gYu-'brug 'gyin-


rion. [Fol. 19 a] Elle est envoyée à Nel-chag Phu-drug phyug-mo où se fol. 19 a
trouvent les riches pâturages de sKya-lo. Une lettre analogue est envoyée
aux huit principautés (KHAG)des gSer du Clin supérieur, auxsix divisions
(CHO) de 'Am-bu du Clin moyen, aux quatre tribus (SDE) de Mu-spyan
du Clin inférieur, aux chefs riches de sGa et 'Bru, aux douze provinces
(KHRI-SKOR) de mDan-ma, aux arrondissements (STON-K ' HOR) de dKar et
Nag [dKar-ru et Nag-ru] et aux dix-huit «ailes » (ÇOG-CHEN) de sTag-
ron. Tous sont invités au lieu de réunion de Clin pour le quinze du mois.
sPyi-dpon voudrait inviter à Clin le lama et yogi Than-ston rgyal-po,
mais se demande où le loger et qui envoyer chez lui. Ace moment Padma-
'byun-gnas (Padmasambhava) apparaît à Than-ston rgyal-po et lui donne
l'ordre d'aller à (MTHOÑ-SMON) Cliṅ, au château de Khra-mkhar gNam-
rjoṅ (des Faucons, du Ciel).
Ainsi, à l'aube du dix de ce mois, Than-ston arrive à la porte du
château du chef, Çar-ri'i 'brug-rion, où il entonne un chant de bonheur.
[Fol. 19 b] Ce chant est rempli de vœux à l'adresse du Pieux donateur. fol. 19 b
[Fol. 20 a] sPyi-dpon devine que celui qui chante à sa porte est bien Than- fol. 20 a
ston rgyal-po. Ce dernier porte en effet les cheveux longs, sa barbe tombe
au milieu de la poitrine, sur sa chair d'un brun rouge pend la corde de
méditation bleue, il est entouré d'un châle de coton blanc, a des boucles
d'oreille en conque et tient dans la main un bâton de bambou. sPyi-dpon
le compare aux animaux souverains des règnes de la nature, lionne blanche
des glaciers, aigle duciel, tigre desforêts. Il lui adresseun chant. [Fol. 20 b] fol. 20 b
Après les vœux usuels, voici le lieu de la scène : Khra-phu 'jam-lun,
le col, aussi appelé bKra-çis sKyid-lun khra-mo (la bienheureuse vallée
de sKyid). Lui-même est le Chef (sPyi-dpon) Ron-cha Khra-rgan, joyau
du sommet de la tête (spyi-bo) des Six Divisions (de Glin). D'où vient
le yogi ? A en juger par ses boucles d'oreille, sa canne de bambou et
son vêtement, le tout de couleur blanche, il semble originaire des dieux
(lha) blancs ; par ses cheveux en feuilles de saule, sa barbe et sa corde
de méditation, tout cela bleu-vert [c.-à-d. gris] (i), il semble originaire
des génies-serpents (klu) bleus; par sa chair et sa figure d'un brun-
rouge il semble originaire des gDon bruns (smug-po). Quelles sont ses
techniques particulières ? [Fol. 21 a] Des réflexions générales terminent fol. 21 a
le chant. Le yogi répond qu'il est bien Than-ston rgyal-po. Son nom
s'explique de ce qu'il demeure comme un roi (rgyal-po) dans l'immense
plaine (than) de la méditation où il a obtenu la siddhi de la vacuité
(ston). [Fol. 21 b] Chant de Than-ston où il explique encore son nom et fol. 21 b
donne des conseils religieux. [Fol. 22 a] Le chant terminé, Than-ston fait fol. 22 a
mine de partir. sPyi-dpon pense que l'arrivée de ce lama est un grand
bonheur pour Clin. [Fol. 22 b] Il se rend en personne auprès de lui, lui fol. 22 b
offre une écharpe et chante. Par des métaphores il invite Than-ston à
rester dans son château Çar-ri'i 'brug-rjon trois ans, [Fol. 23 a] trois fol. 23 a
mois ou au moins trois jours pour accomplir des œuvres religieuses, et
(1) En tibétain (sṅo) comme en chinois (ts'ing) un même mot désigne le bleu du ciel
le vert de l'herbe et le gris des cheveux d'un vieillard ou d'une robe d'animal.
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notamment en vue de convertir le Glin Blanc. Than-ston décide de rester


trois ans à Glin.
fol. 23 b [Fol. 23 b] Entre temps, alors que les messagers se dirigent vers Ga'u
gser-rjon (demeure de Mi-chen) et les pâturages de sKya-lo, Mi-ëhen
rGyal-ba'i lhun-grub a, lui aussi, un rêve. Unhommejaune sur un cheval
jaune, à casque de conque et armure d'or, sedisantle dieututélaire (ZO-DOR)
rMa-rgyal sPom-ra, lui annonce l'arrivée des messagers qui lui deman-
deront conseil. En effet, le lendemain, dix du mois, un messager venant
de Khra-mkhar arrive à la porte. Mi-chen se souvient de son rêve et le
fait entrer. Le messager remet l'ordre signé et les cadeaux et chante. Il
vient de gYu(?)-'brug-rjon où sPyi-dpon, au sommet du château 'Jam-
lun Khra-mkhar, a une autorité pareille à celle du ciel. Là, dans les
dix-huit « gouvernements » (gžuṅ), se trouvent d'innombrables vil-
fol. 24 a lages. [Fol. 24 a] Il lui dit qu'il s'agit d'une affaire d'intérêt général
fol. 24 b qui concerneles six Divisions du GlinBlanc, et l'invite àvenir. [Fol. 24 b)
Mi-ëhen approuve. Réflexions sur le devoir du chef, appuyées par des
fol. 25 a proverbes. [Fol. 25 a] Mi-chen ordonne à quelques serviteurs de se pré-
parer à partir avec lui et de harnacher son cheval Gva-pa khra-iur. Et
tel un dieu de la guerre (DGRA-LHA), il part pour Khra-stod (Khra supé-
rieur), accompagné de sept serviteurs.
Pendant ce temps, sTon-pa rGyal-mchan de sKya-lo a, lui aussi, un
rêve dans sa grande tente mThin-çog gun-dgu, à Nel-chags phu-drug
phyug-mo. Unhomme blanc au turban desoie, tenant en main un récipient
en or, chevauchant le yak divin Gans-ri 'gyin-çes et s'appelant sGyogs-
chen gdon-ra lui annonce l'arrivée d'un messager de Glin. Apeine réveillé,
il entend les chiens aboyer. Son serviteur bDe-dga' lha-bzan lui annonce
un messager venant de Khra-mkhar. Quandonle fait entrer, le feu s'allume
fol. 25 & tout seul dans le foyer et le thé se metà bouillir. [Fol. 25 b] sKya-lo y voit
de bons présages et les rapproche de son rêve. Il apprend que Mi-chen
et lui-même doivent se rendre à Glin pour y préparer l'assemblée et décide
de s'y rendre immédiatement. Chevauchant son cheval dGu-brgya rva-čan,
il se dirige sur Khra supérieur, accompagné de deux serviteurs.
Le treize du mois, les «quatre portes d'action », Than-ston rgyal-po,
lama qui bénit, Mi-chen rGyal-ba'i lhun-grub, chef puissant, sTon-pa
rGyal-mchan, riche fortuné, et Ron-cha Khra-rgan, chef sage, organisent
la hiérarchie des rangs pour l'assemblée au lieu de retraite bKra-çis bkod-
legs du château gYu-'brug 'gyin-rjon. Les victuailles sont préparées pour
fol. 26 a le festin. [Fol. 26 a] Le roi sPyi-dpon, «oncle paternel »de (la tribu des)
gDon, offre des écharpes de bienvenue au lama (Than-ston) et aux deux
chefs (Mi-chen et sKya-lo), puis à toute l'assemblée. Il invite les trois
premiers à s'asseoir aux places d'honneur, en tête de la lignée des dieux
(sc. des nobles) du premier rang. Suit une longue série de métaphores
fol. 26 b qui justifient le rang éminent qu'ils occupent. [Fol. 26 6] Rappelant le
rêve, il exprime la nécessité de le voir jugé par des invités de marque.
fol. 27 a [Fol. 27 a] Après de nouvelles offrandes à Mi-chen et à sKya-lo qui
occupent «les rangs blancs desdieux dela lignée aînée », sPyi-dpon entonne
un chant sur la nécessité de cette réunion. Invocations et vœux. Descrip-
tion du lieu. Les trois vallées hautes ornées de glaciers blancs rappellent
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le blanc visage des dieux, les trois pentes ornées d'argile multicolore
signifient la multitude des «six frères aînés » (phu-drug) de la tribu,
et les trois vallées basses ornées de gazons et de klu sont le signe d'un
accroissement du bétail (phyugs ; tout cela en jeu de mot sur le nom
du lieu : Nel-chags phu-drug phyug-mo) (1). Le lama occupe le rang
central, assis sur un trône d'or, Mi-chen celui de droite sur un trône
d'argent et sKya-lo celui de gauche sur des coussins de soie. sPyi-dpon
répète son rêve (avec des variantes d'orthographe remarquables). Le
soleil s'est levé sur le sommet de la montagne sPom-ri [==ra] de rMa
et ses rayons ont couvert le Tibet. Se détachant des rayons du soleil,
un vajra est tombé sur le sommet du mont sGyi-rgyal ; les treize «dieux
de la chasse »(mgul-lha) du Tibet ont fait des offrandes dans la plaine
de Zla-lun-than ; une lune d'argent s'est levée du col de Zla-ba'i smon-
lam et des étoiles blanches ont brillé au col de 'Bri-yi gser-la ; son frère
cadet Sen-blon a tenu dans la main droite un parasol qui couvrait tout
jusqu'aux quatre extrémités de la terre ; un lama au chapeau de lotus
(mitre), chevauchant un lion, tenant un bâton de vajra et guidant
une ḍākiṇī, lui a dit qu'il fallait organiser une assemblée des tribus
«divines »(nobles, lha-sde) [Fol. 28 a] le treize de la premièreluned'été, fol. 28 a
et une réunion des six divisions (de Glin) dans la plaine du temple de
rMa (rMa Lha-khan than), du huit au quinze de la deuxième lune
d'été. Tel étant le rêve, que faut-il faire ? Cechant de sPyi-dpon terminé,
Than-ston rgyal-po exprime par métaphores et proverbes la nécessité
d'interpréter le présage. [Fol. 28 b] Et il chante un chant d'explication fol. 28 b
du rêve et de la prophétie en s'adressant à sPyi-dpon. Écoute ! «souverain
général (ou de sPyi ?) du Glin Blanc »(gLin-dkar spyi-rje), appartenant
à la lignée des dieux de lumière et tenant de la lignée religieuse des
siddhas et des experts en science magique. [Fol. 29 a] Explication du fol. 29 a
rêve. Que le soleil, s'étant levé sur le mont sPom-ra de rMa, a couvert
Glin de ses rayons est le signe que le soleil de sagesse et de miséricorde
agira à Glin. Qu'un vajra d'or en est sorti et est tombé au sommet du
mont sPyi-rgyal est le signe qu'un saint d'origine divine naîtra au centre
du sinciput (spyi-bo, ou de sPyi ?). Il y a le signe que les «dieux de
la chasse » (mgul-lha) viennent à la rencontre du saint qui protégera
le Tibet. Que la lune s'est levée au col de sMon-lam est le signe que le
frère aîné (de ce saint) sera l'incarnation du Furieux (Khro-bo). Que
les étoiles ont brillé au col de gSer-gyi-la est le signe que mDan-ma
sera ministre. Quel'arc-en-ciel s'est attaché au mont Ge-mjo est le signe
quele père (du saint) sera originaire des gnan (esprits du mondemédian).
Qu'une corde de rayons a troublé le lac Ma-pham est le signe que la
mère (du saint) sera originaire des klu (esprits aquatiques du souterrain).
Le parasol dans la main de Sen-blon signifie qu'il sera le père de la
famille (2). Les ornements de ce parasol signifient que les vêtements
jaunes des religieux se répandront partout. Qu'il a couvert les quatre
orients est le signe que les quatre ennemis des quatre extrémités seront
(1) phu signifie à la fois «frère aîné »et «partie supérieure d'une vallée ».
(2) rus-yab, distinct du père céleste, pha-yab ; cf. le Vocabulaire.
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soumis, que les richesses des confins seront concentrées au centre et


que les démons des confins seront liés par serment. Le lama du rêve
était le Maître (Padmasambhava) et la dākinī qui l'accompagnait
fol. 29 b n'était autre que rDo-rje Phag-mo (Vajravarāhī). [Fol. 29 b] Le chant
se termine avec le présage que la blanche tribu divine de Glin Blanc
(Gliṅ-dkar lha-sde dkar-po) sera seule parmi les dix-huit principautés
(rgyal-khag) à atteindre un prestige plus haut que le ciel et un pouvoir
sans rival.
Mi-chen rGyal-ba'i lhun-grub hésite d'abord. Mais peut-on espérer
quoi que ce soit sans effort, se dit-il, en s'appuyant, comme d'habitude
dans ces chants, sur des proverbes. Aussi décide-t-il qu'il faut organiser
une réunion à Ka-li lha-ihan de rMa pour faire les cérémonies aux DGRA-
fol. 30 a LHA (dieux de la guerre). [Fol. 30 a] sKya-lo approuve. En annonçant
sa décision, il s'adresse au «rang des aînés, rang des héros, des dieux de
la guerre, de la blanche tribu divine, à la masse (litt. Roi des Montagnes,
Sumeru) des pères-oncles » (lha-sde dkar-po dpa'-thul dgra-bla'i ëhe-
gral/pha-khu ri-rgyal-lhun-po thams-cad).
Le lendemain on va à Y a g - - m d o . Là, au lieu de
rassemblement des tribus PHU-DRUGvenant du Clin supérieur et inférieur,
on organise un grand camp. Au centre s'élève la «tente de travail »(LAS-
GUR)dans laquelle on dispose les sièges d'or et d'argent, de peaux de tigres
fol. 30 b et de léopards. Au son dela conque blanche de la loi civile, [fol. 30 6] gZig-
'Phen de sTag-ron se met à la tête de la lignée aînée, le centenier Argham
de gSer à la tête de la lignée moyenne et Chos-lu dar-'phen de 'Bum-pa
à la tête de la lignée cadette, et tous se réunissent dans la «tente de travail »
mThon-ba kun-smon. Le médiateur (GZU) (1) dMu-spyan Dar-'jom
entonne alors le chant de la distribution des rangs.
Aucentre, sur un trône d'or, se trouve le lama (Than-ston), à droite,
sur un trône d'argent, sPyi-dpon Ron-cha khra-rgan, et à gauche, sur
un trône de conque marine, Mi-chen rGyal-ba'i lhun-grub. Sur le devant
sont assis le centenier Argham de gSer sur un trône de santal, gZig-
'phen, chef de sTag-ron sur un coussin rayé comme la peau d'une
fol. 31 a tigresse (stag-mo), et [Fol. 31 a] Khro-rgyal, chef de Ma-bzi sur un
coussin à taches de léopard. Au centre est le chef de mille dGra-rce
çel-mchog, à sa droite sKyes-mchog thar-pa (de Va-de ?) et à sa gauche
Phyin-blon Sen-phran, le jeune (? a-nu). Sur un autre rang se trouvent
g-yu-yag mGon-po ston-thub, gDon-bcan, Dar-'phan, et A-rgyal. Le
rang de droite des Jeunes est présidé par dpa'-gsal Lha-žes dkar-po,
celui de gauche par Ñi-'bum, jeune chef de gSer(-pa). Au rang des
riches et des puissants de sGa et de 'Bru siègent Chos-skyon Ber-nag
de dGa'-bde et sTon-pa rgyal-mchan de sKya-lo. Le rang des chefs
de dix-mille de mDan-ma est présidé par le jeune ministre cha-zan
Byaṅ-khra, celui des chefs de mille de dKar-Nag par Be-dkar Thar-pa
rgyal-mchan. Une contravention attend ceux qui violent la hiérarchie
des rangs.
fol. 31 b [Fol. 31 6] Le chant terminé, un banquet est servi. Alors, l' «oncle
(1) Cf. le Vocabulaire sous ce mot.
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paternel » (KHU-BO) sPyi-dpon se lève du rang qu'il occupe et invite tout


le monde à donner son avis sur l'importante affaire qui les réunit. [Fol. 32 a] fol. 32 a
S'appuyant sur des proverbes, il justifie sa décision de réunir le conseil,
d'accord en cela avec le lama Than-ston rgyal-po, Mi-chen rGyal-ba'i
lhun-grub et sTon-pa rgyal-mchan de sKya-lo (comme dit le proverbe :
il faut les trois pierres de foyer pour que la marmite tienne solidement).
[Fol. 32 b] Le roi sPyi-dpon, « oncle paternel » des gDon entonne alors fol. 32 b
un chant d'explication du rêve dans ce lieu de Yag-gnis ni-zla mgo-'jom
(Jonction des deux bons, soleil et lune). Invocation et vœux bouddhiques.
Vœu (bonpo) que les 360 khas-drag, venant du temple (gses-khan) des
dieux de la guerre (dgra-lha), viennent guider le chant de ce monde
(srid-pa). Si vous ne connaissez pas ce lieu, nous sommes à Yag-gnis
ni-zla kha-sprod de rMa (Union de soleil et lune), union du soleil et
de la lune pour les chefs, de l'aigle et du dragon pour les pères-oncles,
du lion et du tigre pour les fils-neveux (1). Si vous ne me connaissez
pas, je suis la fleur d'or de la lignée des fils sur le tronc de conque marine
du clan des pères. Mon chant est le début du (chapitre) lHa-Glin.
[Fol. 33 a] Répétition du rêve (variantes : le vaira d'or tombe au fol. 33 a
sommet du mont sKyi-rgyal, les mgul-lha s'assemblent dans la plaine
de Zla-lun than ; l'assemblée des six divisions (de Glin) doit se tenir
à Ka-lin de rMa). [Fol. 33 b] Répétition de l'explication du rêve par fol. 33 b
Than-ston rgyal-po : le vaira tombé sur le mont sKyi-rgyal signifie
l'arrivée d'une incarnation du Bouddha, accueillie par les mgul-lha. Le
parasol de Sen-blon signifie que Sen-blon sera le père terrestre (rus-
yab). L'arc-en-ciel du mont Ge-mjo au lac Ma-pham signifie que le
père (pha-yab) sera un gnan (esprit de montagne) et la mère (ma-yum)
une klu (divinité souterraine). Un roi de la famille des Ma-son (lire
Ma-san) domptera les quatre confins. Pour que le sage décide, il faut
que beaucoup de gens donnent leur avis. [Fol. 34 a] Que la décision fol. 34 a
soit prise par les pères-oncles de la lignée aînée !
Tout le monde émet des avis et entonne des chants. rGyal-ba'i lhun-
grub constate que personne ne doute du rêve de sPyi-dpon, ni de la pro-
phétie du lama. Donc, à partir de la pleine lune (le quinze) de la deuxième
lune de l'été, se réuniront à Ka-lin than de rMa les différents pays
du Glin supérieur et inférieur, depuis les huit principautés gSer-pa du
Glin supérieur jusqu'à Mi-mcho dmar-nag de rTa'u (2), depuis les dix-
huit « ailes » (çog-chen) de sTag-ron jusqu'aux arrondissements (ston-
'khor) de dKar-Nag. Et Mi-chen de chanter sur l'air de La Soumission
de la grande Foule (KHROM-ČREN ZIL-GNON) :
[Fol. 34 b] Nous sommes à Glin, dans le Plus Grand Tibet (Bod- fol. 34 b
chen), au Khams, dans la vallée Ñi-zla kha-mdo de Zi-khron-lin (Sseu-
tch'ouan). Écoutez, tribus divines (nobles) et humaines, lamas, chefs
et peuple, venus des six régions montagneuses (sgan-drug) et des
quatre fleuves du mDo [-khams] supérieur, moyen et inférieur. Tout
ira bien. La religion se répandra dans le monde ('jam-gliṅ, jambudvïpa)

(1) bu-cha, la génération des jeunes, classe d'âge sans distinction.


(2) Tao, chinois Tao-fou, au nord-ouest de Tatsienlou sur la route de Jyekundo.
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qui est le Tibet. Apartir du premier de la [deuxième ?] lune de l'été,


les tribus de Glin auront à se réunir dans la plaine de Ka-lin than de
rMa. sTon-pa rgyal-mchan de sKya-lo fera les frais de la fête. Que
Mi-chen, gZig-'phan et Thar-pa (trois), sPyi-dpon, Khro-rgyal et Sen-
phran (six), rGya-dpon (= Argham), sBra-rce (= dGra-rce) et gYu-yag
(= mGon-po stoṅ-thub) (neuf), gDon-bcan, A-rgyas et Dar-'phen, ainsi
que Ñi-ma rgyal-mchan, que ces treize réunissent hommes et chevaux
en leur pouvoir dans les royaumes de mDo, de Glin et de Khams.
fol. 35 a [Fol. 35 a] Qu'ils préparent leurs armures, vêtements, armes, etc. Que
les treize femmes, mères-tantes, Gar-bza', rGya-bza' et Ron-bza' (trois) ;
Rag-bza', 'Dri-bza' et dBra-bza' ; Dar-mcho, Chos-sgron, bSod-nams et
sMan(?) ; dNul(?)-'jom, bDe-skyid et dByaṅs-bzaṅ, qu'elles préparent
tout ce qu'il faut pour les danses des hommes et les chants des filles.
Que des ordres en ce sens soient envoyés en vue d'une réunion générale.
fol. 35 b [Fol. 35 b] La scène changeet onrevient aux préparatifs extra-terrestres.
Le fils divin (ou prince, LHA-SRAS, DEVAPUTRA) Thos-pa dga'-ba doit
venir (au monde) comme fils divin des 'Bum-pa, lignée des gDon. Il
doit être le nombril du monde qui est le Tibet, SEMENde la terre (Roi,
BHŪTILAKA) des Six Régions montagneuses du Khams, dompteur du
démon Noir, joug des Hor les Jaunes, fortune divine des Tibétains, Têtes
noires, joug (? 'dur-çin) des démons néfastes. Le temps étant venu pour
la réalisation de ces dispositions, Padma Thod-phreṅ, de Padma-'od de
rNa-yab (Câmara), «ouvrant »un MANDALAdes terribles, dit un chant
devant une assemblée de 108 RIG-J'IN(VIDYÂDHARA),de 108DPA-'BO(VÏRA)
et de 108 MKHA-'GRO(DĀKINĪ). Ce chant a pour but de donner à Thos-pa
dga'-ba alias Padma-bŽad-pa, pour l'aider à dompter (civiliser, convertir,
D
' UL-BA) le pays barbare des Neiges, difficile à dompter, des amis qui
jureront d'être à sa disposition, à savoir les 72protecteurs brillants (? DBAL-
MGON,divinités bonpo), les treize «dieux de la chasse »(MGUL-LHA)pro-
tecteurs du Tibet, les quatre classes de grands GÑAN(dieux locaux) Ma-soṅ
(lire Ma-san), les 21 «dévots »(DGE-BSÑEN, UPÂSAKA) (I), ainsi que les
dieux d'en haut (LHA) et du souterrain (KXU). Suit le chant.
fol. 36 a [Fol. 36 a] Pour que bZad-pa-rcal, alias Thos-pa dga' puisse accom-
plir sa mission de protéger le Tibet, les divinités locales (dkar-skyoṅs,
mgul-lha, zo-dor, dgra-lha, ver-ma) doivent l'accompagner et agir en
fol. 36 b aides et en amis quand il ira au Tibet. [Fol. 36 b] Le chant se termine
sur le vœu que les ennemis humains venus des dix-huit royaumes des
quatre confins soient soumis, que les démons sans corps soient liés par
serment. Aussi le serment d'aide est-il prêté par toutes ces divinités, DKAR-
SKYON«protecteurs du bien », DGRA-LHA«dieux de la guerre », VER-MA
«dieux des armes », ZO-DOR «dieux locaux », MGUL-LHA «dieux de la
chasse »et BRTAN-MA «déesses de la terre ».
S'appuyant sur des proverbes, Thos-pa dga'-ba pense qu'il faut obéir
fol. 37 a aux instructions du mahàguru, essence de tous les bouddhas. [Fol. 37 a]
Mais il déclare, se servant d'exemples et de métaphores, qu'il faut les
circonstances et les instruments indispensables pour s'acquitter de la
(1) C'est ici une catégorie de divinités ; cf. Vocabulaire religieux, dge-bsnen.
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tâche assignée. [Fol. 37 b] C'est dans ce sens qu'il adresse un chant à fol. 37 b
Padma 'byun-gnas (Padmasambhava). Vœux et métaphores. Sans la
chair et le sang d'un père et d'une mère, il est impossible qu'un enfant
divin se transporte dans un corps humain. [Fol. 38 a] Il faut que, dans fol. 38 a
une maison paternelle de bonne famille, le père (surnaturel) soit un
gnan (divinité de montagne). Il faut une mère (? lacune dans le texte,
mais la restitution est quasi certaine) originaire des klu, une épouse
qui soit une ḍākinī, un lieu (de naissance) illustre, un clan affilié pour
aider à dompter les armées des démons, des armes terribles et un cheval.
Si je ne reçois pas satisfaction sur ces points, je ne puis garantir l'issue
de ma mission. [Fol. 38 6] fol. 38 b
Padmasambhava lui donne raison. Il regarde le Tibet pour y chercher
un endroit et un dieu local (ZO-DOR) appropriés. Résumé de la géographie
tibétaine. En haut (STOD= Ouest), dans le mNa'-ris, le sPu-ron est
rempli de glace, le Gu-ge de terrains rocheux et le Man-yul de fleuves.
Ce sont là les trois divisions de mNa'-ris. Les quatre «cornes »(RU-BŽI)
des provinces centrales dBus et gCan sont gYu-ru et dBus-ru (dans le
dBus), et les deux RU-LAGde droite et de gauche (dans le gCan). En bas
(SMAD= Est) se trouvent les (six) SGAN (régions montagneuses) de
rMa-et-rJa (= Zal-mo sgan) (1), deBu-'bor (= sPo-'bor) sgan, de Cha-ba
sgan, de dṄlul-et-Zla (= gYar-mo sgan), de sMar-Kham sgan et de
Me-nag sgan, ainsi que les régions (GLIṄ) des quatre fleuves, Cha-ron,
rMa et Zla, les quatre vallées (RON), les quatre châteaux (MKHAR) et les
quatre « pays cachés » (SBAS-YUL) (2). Mais Padmasambhava a beau
regarder les neuf régions (GLIṄ) du Tibet, il ne s'y trouve difficilement
un pays qui réunit toutes les qualités requises. Il regarde alors les tribus.
En haut (Ouest), dans le mṄa'-ris, les trois divisions sont subdivisées
en neuf grandes ailes (ÇOG-CHEN), à savoir sPu-ron, Man-yul et Zans-
dkar, trois; Li (Khotan!), Bru-ça (Gilgit) et sBas-te (Balti), six;
Zan-fun, Khri-ste supérieur et inférieur, neuf. Au milieu, dans les quatre
cornes de dBus et de gCan, se trouvent les treize chiliarchies (KHRI-SKOR),
à savoir Chal-ba, rGya-ma, 'Bri-gun, deux (sic!), gYa'-bzan et Phag-
gru, deux, en tout quatre; Phyan-yul, sTag-lun, lHo-'brug, deux (sic!) ;
dans le gCanlHo et mṄa'-ri, deux, Byan et Chu-mig, deux, en tout quatre;
Za-lu et Gra-mi au centre, deux; [Fol. 39 a] et entre dBus et gCan, Yar- fol. 39 a
'brog (4 + 2 + 4+ 2+ 1= 13). Bien quele dBus, le gCanet le mNa'-ri
soient des régions où règne la religion, on n'y trouve aucun endroit pour
la naissance illustre de Thos-pa dga'-ba. En bas (à l'Est), dans les six
SGANdu mDo-khams, on trouve enfin à la fois un endroit et un peuple
appropriés parmi les trois divisions de Glin (huit frères gSer-ba du Glin
supérieur, six divisions 'Om-bu du Glin moyen et quatre tribus dMu-
skyon du Glin inférieur). Cet endroit, situé à la frontière du Clin moyen
et des dMu-ba, est l'enclos de bonne fortune de rMa, le pays de Glin qui-
sauve-tout-à-première-vue (mThon-ba kun-grol), SEMEN de la terre du
(1) Région de sDe-dge (Dergué).
(2) Parmi les sbas-yul comptent le Kon-po, Padma-bkod-ëhen, 'Bras-mo-lǰoṅs (Sikkhim)
et le Népal ; ce sont donc des pays à vallées chaudes et à forêts denses.
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mDo-khams, lieu d'ascension du soleil de bonheur (ou : Ñi-ma ran-çar


de sKyid-so).
Il s'agit ensuite de trouver des parents de bonne famille. Voici les six
clans desnains (MIU ' GDUN-DRUG)du Tibet: à 'Bri-guṅ le clan desKyu-ra,
à sTag-lun le clan des Ga-zi, à Sa-skya celui des 'Khon, à Chos-rgyal '
celui des gNam, à Khyun-po celui des Gya et à sNe'u-gdon celui des
Dieux (LHA). Ce sont là, il est vrai, de grandes familles mais elles ne
réunissent pas toutes les conditions requises. Par contre parmi les neuf
tribus sGa, 'Bru et gDon, Sad, dMu et gDon, dPal (ou dBal), Zla et
sBra, (il convient de choisir) la tribu des smug-po gDon (couleur brun-
rouge). Dans cette tribu, la lignée paternelle appartenait à la classe des 1
GÑEN (= GÑAN, dieux locaux) Ma-soṅ et la mère à l'une des divisions
de Glin (supérieur, moyenetinférieur), celle des dMu-pa. Cefut sPyan-mo
gza', cadette de trois sœurs de du (mont ?) rja-rgyal. De
leur union sont nés le roi sPyi-dpon, aîné, le roi Khro-bo (= Khro-thun),
fol. 39 b deuxième, et le roi Sen-blon, cadet. [Fol. 39 b] Cedernier réunit les qualités
d'une bonne famille et d'une classe de grand bodhisattva. (Il convient
commepère terrestre). Commepère surnaturel c'est le grand GÑANGer-mjo
qui convient puisqu'il est une divinité tutélaire locale ('GO-BA'I ZO-DOR).
Il ne manque Plus qu'une mère originaire des KLU.Parmi les quatre castes
de KLU(NÂGA), il faut évidemment considérer la caste royale. Or Me-tog
lha-mjes, la Plus jeune fille de gCug-na rin-chen (Ratnacùda, roi des
NÃGA) est une DÂKINÏ. C'est elle qu'il faudra appeler. Pour devenir sa
compagne, un rayon de Khro-gner-can (Bhṛikuṭī) (1), venant de son '
domaine gYu-lo 'dod-pa, se transformera magiquement en une fille de
sKya-lo. Les armes seront fournies par les Neuf Frères Dieux de la Guerre
(DGRA-LHA MCHED-DGU) et son coursier (MDO-BA) sera béni par rTa-
mgrin (Hayagrïva).
Après ces réflexions, Padmasambhava chante sur l'air « Victoire sur
fol. 40 a l'armée des démons »(BDUD-DPUṄZIL-GNON). [Fol. 40 a] Après les vœux
usuels et la promesse de fournir les aides nécessaires, nouvel exposé de
la géographie, avec des variantes intéressantes. En haut (Ouest) les
trois skor de mNa'-ris sont Yar-lun, empli (bskor) de la sainte religion,
Gu-ge, empli du Bon au svastika, et sPu-ron, empli de médecines. Au
milieu, les quatre ru de dBus et de gCaṅ, à savoir, au dBus, dBu-ru et
gYon-ru et, au gCan, gYas-ru et Ru-lag, c'est là le Tibet (Bod). En bas
(Est) les six sgan et les quatre fleuves de mDo-khams, les premiers
étant rMa-et-rJa, Bu-'bol et Cha-ba, dNul-et-Zla, sMar-khams et Me-
nag, les seconds 'Bri (Haut Fleuve Bleu), rja, rMa (Haut Fleuve Jaune)
et Cha-ron. Parmi les neuf «pays » (glin) du Tibet, le lieu de nais-
sance doit être dans le Zal-mo sgan de 'Bri-et-rja, dans l'enceinte de
bonne fortune de mThon-smon (g-yan gi ra-ba), au semen de la terre,
dans la vallée de sKyid-sos gnis-kyi kha-mdo, signe de joie (skyid)
fol. 40 b et de plaisir (sos) du Tibet (Bod) et du Khams. [Fol. 40 b] Il y a là
deux rochers pareils au couple flèche et plume, signe de l'union de

(1) Forme terrible de Târâ.


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Moyen (upâya, masculin) et de Sapience (prajñā, féminin) (i). Il y a


aussi deux prés comme un tapis de laine étalé, signe que l'œuvre des
deux « manières » (laïque et religieuse) se développera. Il y a aussi
deux fleuves qui unissent leurs eaux, signe que tous les vœux s'accom-
pliront spontanément. Devant ce site se trouve le rocher blanc du
Vœu (sMon-lam brag-dkar). C'est là que tu naîtras, à mThon-smon
Glin. Là le peuple sur lequel tu t'appuieras en développant le pouvoir
est la tribu divine blanche en six divisions. Ta famille paternelle des-
cendra du gnan Ma-son. Les pères-oncles de bonne famille, protégés
par le zo-dor (dieu tutélaire de montagne) Ge-mjo, auront le blanc rang
divin de la lignée des gDon. Ta mère sera la nāgī (klu-mo) Me-tog
lha-mjes, fille de gCug-na rin-chen, venant de la porte des trésors des
klu. Khro-gner-can (Bhrikutī) venant de (son paradis) gYu-lo-bkod,
sera ta sage compagne. Tu auras les armes des dieux de la guerre et
pour cheval une incarnation du Roi Meilleur des Chevaux (rTa-mchog
rgyal-po = Balâhaka ou Hayagrīva). [Fol. 41 a] Le chant se termine fol. 41 a
sur la promesse qu'il sera aidé par toutes les divinités et surla recomman-
dation d'avoir pitié du Tibet, pays barbare des frontières (mtha'-'khob).
[Fol. 41 6] Thos-pa dga'-ba, plein de pitié, promet formellement de fol. 41 b
remplir sa tâche. [Fol. 42 a] Il adresse ce chant à Padmasambhava. Vœux fol. 42 a
bouddhiques. Comme le jeune lion des glaciers (Sen-phrug), comme le
dragon-tonnerre ('Brug) des nuages du Sud, comme l'aigle (Khyun) au
sommet de l'arbre du monde, chacun régnant dans son domaine, il
devra soumettre les ennemis du Tibet. [Fol. 42 b] Proverbes pour fol. 42 b
appuyer cette nécessité. Et le chant se termine par le vœu que Padma-
sambhava le guide par des rêves ou des signes quand il sera né dans un
corps humain au Tibet. [Fol. 43a] Là-dessusPadmasambhava (ici Padma fol. 43 a
Thod-phreṅ) et toutes les divinités tutélaires retournent chacune chez soi.
(Padmasambhava va chercher la NĀGĪ, future mère de Gesar.) Pour
que Thos-pa dga'-ba puisse naître au pays des hommes, il lui faut le
Ma-son Ge-mjo pour père et la KLU-MO mJes-Idan pour
mère. Pour se procurer cette dernière, Padmasambhava a recours à des
procédés magiques. Prononçant des formules magiques sur des matières
qui affaiblissent les KLU(NÂGA), il les place dans la corne gauche d'une
MJO (croisement entre yak et vache) noire. Bouchant la corne, il la jette
dans le lac Ma-pham (Mânasarovara). Un bruit terrible se fait entendre
et tous les royaumes des NÃGAsont frappés d'une grande maladie due à
cette souillure. Ignorant la cause et le moyen de guérir, les NÂGA,effrayés,
seréunissent devantleur roi gCug-na rin-chen (Ratnacuda) et lui adressent
ce chant. [Fol. 43 b] Hier soir une masse de feu aux rayons de poison fol. 43 b
est tombée du ciel du pays des nâga au centre des neuf «pays »(gliṅ).
Du fait de ce signe néfaste, une maladie a envahi le royaume des naga.
Que faut-il faire ? [Fol. 44 a] Le roi des KLUrépond : Serait-ce dû à un fol. 44 a
grand magicien du pays des hommes? Que les devins (mo-ma) cherchent
un oracle, que les astrologues (rcis-pa) fassent leurs calculs ! ALe-stod
smar-çod se trouve rDo-rje ṅaṅ-yag de sMar-mo. Il est le maître des
(1) Cf. Vocabulaire général, s. v. thabs-çes.
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oracles mo et Phyva et la grande divinité tutélaire (gnan-chen) des


nâga de la caste des nobles. Qu'on l'appelle!
fol. 44 b [Fol. 44 b] Tout le monde étant d'accord pour appeler un dieu de la
divination (MO-LHA), le jeune NÃGAsNan-ba gzi-ldan est envoyé à Çel-
dkar lha-brag de sMar-çod pour inviter le devin (MO-LHA). Mais Padma
Thod-Phreṅ (Padmasambhava) impose sa volonté au devin (MO-LHA)
rdo-rje nan-dkar et le prévient qu'on lui demandera le moyen d'être délivré
de la maladie. Il devra dire que seul le rākṣa Thod-phren, expert en magie,
pourra les guérir. L'enfant sNaṅ-ba gzi-ldan arrive en un instant dans
la vallée de Le-stod et offre un joyau au MO-LHA rdo-rje nan-dkar. Il
lui dit que le royaume pur des NÃGAa été frappé par dix-huit maladies
différentes et qu'on l'a envoyéchercher le MO-LHArdo-rje nan-dkar, célèbre
dans le pays des GÑEN(parents, lire GÑAN,divinités du monde terrestre)
fol. 45 a du monde. [Fol. 45 a] Chant de sNan-ba 'od-ldan à rdo-rje nan-dkar.
Cedernier est qualifié de maître des «oracles »(phyva) du monde atmo-
sphérique (snan-srid), assis sur un trône précieux dans une tente de
fol. 45 b lumière d'arc-en-ciel, en son château de cristal pur. [Fol. 45 6] Le chant
se termine sur la demande de faire vite. Le devin rdo-rje nan-dkar se
souvient des instructions de Padma bkod-pa (Padmasambhava) et, citant
des proverbes à l'appui, déclare qu'il n'y a rien d'autre à faire que de se
rendre à l'invitation. Il suit donc le jeune sNan-ba 'od-ldan, emportant
avec lui ses instruments de divination, à savoir 360 nœuds de divination
(JU-ZAGS), 500 « bois volants » (? LDIṄ-ÇIṄ), 50 cailloux de divination
(MO-RDII,), 32 «flèches divines »(LHA-MDA)', 3.600 tableaux divinatoires
(GAB-RCE) et 50 charges de mule de livres (MO-YIG). Arrivé à Srid-pa
g-yu-mcho du pays des NÃGA,le roi gCug-na rin-chen lui offre des joyaux
fol. 46 a et chante. [Fol. 46a] Aprèslui avoir exposéde quoiil s'agit, il lui demande
fol. 46 b d'invoquer les oracles phyva, [fol. 46 b] de jeter les nôeuds de fil de divi-
nation (ju-thig mdud-pa), de préparer les sections des tableaux (gab-
rce le'u), d'étaler sur le sol les cailloux, d'aligner en rang les flèches
divines et de dire ce qu'il lui faut.
rDo-rje nan-dkar répond que, pour cette affaire d'importance, il faut
un tapis divin blanc sans défaut comme support d'offrandes, treize flèches
divines à entailles d'or, cinquante joyaux différents, la « corne pure »
(DVAN-RU) de l'aigle, la patte droite d'une brebis blanche et un miroir
de cristal sans rouille. Tout ayant étéfourni sur-le-champ, le devin rDo-rǰe
nan-dkar étale devant lui un «support des dieux » blanc sans tache, il
orne de soie les treize flèches divines, il Plante la «corne pure »de l'aigle
fol. 47 a dans la patte droite de la brebis et y attache le miroir de cristal. [Fol. 47 a]
Il étale ensuite les cinquante joyaux différents sur un coussin, range
les 360 GAB-RCE, met en ordre les 500 LDIṄ-ÇIṄ, noue les 360 nœuds de
divination et trie les 32 flèches divines. Il entonne alors ce chant d'invoca-
tion et d'explication de l'oracle. Invocation adressée, par la syllabe bsvo,
au maître des phyva du monde dans le temple (gsas-khan) des dPal
(ou dBal ?) (1) et aux dieux de la guerre (dgra-lha) du monde, de des-
(1) Les textes confondent perpétuellement dpal et dbal ; cf. DAS, Dictionary, dBal-
gsas, divinité bonpo, et Vocabulaire religieux, s. v. dpal-mgon.
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cendance phyva, qui sont les trois fils dPal (lire dBal ?)-sras, 'Thor-sras
et bDar-sras, ainsi qu'à Gan-snon, chef des gnan Ma-san et à Than-so,
omniscient du monde (srid-pa kun-çes). Suit la question de savoir d'où
provient la maladie et quel est le remède. [Fol. 47 b] La cause première fol. 47 b
de la maladie est une punition infligée aux nāga lors de la construction
du temple (1) par le roi Khri-sron lde'u-bcan, la cause secondaire une
pollution du foyer. Il n'y a pas d'autre moyen de guérir que de faire
venir du monde des hommes le grand lama Padma-'byun-gnas (Padma-
sambhava). gCug-na rin-chen paie les honoraires de la consultation.
[Fol. 48 a] Le lendemain on assemble tous les NÃGAsur le pré gYu-thaṅ fol. 48 a
snon-mo. Le jeune Yer-pa'i sprin-dga', fils du NÂGAmGrin-nag de la
caste du peuple déclare qu'il est prêt à aller chercher Padmasambhava.
Tout le monde est d'accord pour lui confier cette mission et lui recom-
mander d'accepter les conditions du maître. Et on l'envoie en lui remettant
comme présent à offrir un vase précieux qui produit ce qu'on désire et le
joyau Frais dompteur du feu (BSIL-LDAN ME-THUB).
Sachant que les NÃGA vont l'inviter, Padmasambhava se rend par
magie à la caverne Padma çel-phug du mont Dan-tig de rMa (Haut
Fleuve Jaune). Guidé par la bienveillance de Padmasambhava, le jeune
Yer-pa'i sprin-dga' arrive au même endroit. [Fol. 48 b] Le maître fait fol. 48 b
commes'il ne le connaissait pas. L'enfant est vêtu de soie, porte un turban
de «soie d'eau » bleue et chevauche une antilope aux longues cornes. Il
offre les cadeaux, déclare qu'il est envoyé par gCug-na rin-chen et lui
adresse ce chant. Il décline son identité : fils de nâga noir de la caste
vile, né dans la classe des animaux. Puis il expose le motif de sa visite.
[Fol. 49 a] Citant des proverbes, il promet que Padmasambhava aura fol. 49 a
tout ce qu'il voudra s'il guérit les nâga. [Fol. 49 b] Padmasambhava fol. 49 b
répond qu'il ne désire rien pour lui-même, qu'il fait le bien des autres.
Suit son chant. Réflexions philosophiques sur le renoncement à tout
égoïsme. [Fol. 50 a] Tout ce qu'il lui faut ce sont beaucoup de pro- fol. 50 a
messes de réalisation difficile. Fin du chant. [Fol. 50 b] Lejeune messager fol. 50 b
le rassure sur la bonne foi des NÃGA.Padmasambhava lui ordonne de le
précéder. Il viendra Plus tard. Yer-pa'i sprin-dga' expose l'affaire à
gCug-na rin-čhen. [Fol. 51 a] Ce dernier est prêt à donner tout. fol. 51 a
Usant de magie Padmasambhava arrive en un instant à la porte des
trésors du lac Ma-dros (Anavatapta). Dans le pays des NÂGA,à Srid-pa
g-yu-mcho, les NÂGAgisent malades. Même le prince NÃGALegs-pa char-
'babs est frappéde maladie en son château deBai-dur g-yu-rce. [Fol. 51b] fol. 51 b
Le roi gCug-na rin-chen apporte à Padmasambhava un plateau de corail
rempli de fruits et un vase rempli de médicaments et lui expose toute l'his-
toire dans ce chant. Il prie Padmasambhava de regarder avec bienveil-
lance son pays, royaume d'animaux. Il assure que, dans son pays des
niiga, on n'a pas troublé les divinités des montagnes (ri-gnan) par
des chasses, et pourtant les esprits tutélaires (zo-dor) sont de plus en
plus sauvages ; on n'a pas souillé les gnan des fleuves, et pourtant les
(1) Il s'agit de la construction du temple de bSam-yas que les dieux du sol voulurent
empêcher. Ils furent domptés par Padmasambhava.
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blessures et les tumeurs ne cessent d'augmenter. On n'a pas cessé les


offrandes dans les temples, mais les chos-skyon (divinités tutélaires) sont
fol. 52 a de plus en plus rudes (?). [Fol. 52 a] Il rappelle que le devin a désigné
Padmasambhava comme le seul capable de les guérir et promet de
donner ce qu'il voudra en cas de guérison. Padmasambhava répond
qu'aucun des procédés ordinaires ne saurait avoir d'effet, ni les médica-
ments, ni les VAS(1) qui réjouissent les démons, ni les MDOS(?) (1) qui
fol. 52 b chassent les grands démons. [Fol. 52 b] Il demande les diverses espèces
d'arbres, d'eaux et de médicaments, des vases en or, en argent, en cuivre,
en turquoise et en cristal, du lait de lionne, de vache, de vache de yak, de
brebis et de chèvre, un tapis divin blanc sans tache, une conque divine
blanche tournant à droite, des offrandes de nourriture divine blanche et
fol. 53 a une flèche divine blanche à trois nœuds. [Fol. 53 a] Enfin il ordonne que
tous les NÃGA malades se rassemblent dans le pré gYu-than snon-mo.
La réunion a lieu le lendemain. Padmasambhava construit un MANDATA
de Sen-ge sgra (Simhanāda) (2), bénit les offrandes de nourriture, verse
le lait dans les vases, y ajoute comme ingrédients les médecines, répand
fol. 53 b l'eau à l'aide de l'herbe KUŚAet chante ce chant de purification. [Fol. 53 b]
Le lait de lionne dans le vase d'or, liquide de Rin-'byun (Ratnasam-
bhava) purifiera l'orgueil de la caste des nobles ; le lait de vache dans
le vase d'argent, liquide de Mi-bskyod (Aksobhya), purifiera la haine
de la caste royale ; le lait de vache de yak dans le vase de cuivre, liquide
de sNan-mtha' (Amitâbha), purifiera les passions de la caste des brah-
manes ; le lait de brebis dans le vase de cristal, liquide de sNan-mjad
(Vairocana), purifiera la stupidité de la caste des vilains ; et le lait de
chèvre dans le vase de turquoise, liquide de Don-yod (Amoghasiddha),
purifiera la jalousie de la caste du peuple. La fumée des cinq essences
d'arbres contribuera à cette purification. Et le chant se termine par
fol. 54 a des vœux de longévité pour les nâga et [Fol. 54 a] pour le Tibet.
Les NÂGA sont immédiatement guéris. Leur roi gCug-na rin-chen
fol. 54 b (Ratnacūḍa) entonne un chant de bonheur. [Fol. 54 &] Par des méta-
phores relatives aux règnes dela nature (sans la pluiepas de récoltes, etc.)
il exprime la gratitude que les nâga doivent à Padmasambhava et se
fol. 55 a déclare prêt à donner ce qu'il désirera. [Fol. 55 a] Aussi lui propose-t-on
toutes sortes de choses précieuses, le joyau mThin-'od gzi-'bar, le cheval
des eaux gZi-bon phur-çes, le « blé doux » (? GRO-J'AM) Phags-pa rin-
chen, la bulle d'eau (?) mChil-lhvam bsam-rced, l'essence de l'eau (sel)
Çel-gyi bum-chun, l'essence des arbres, gYu-yi lčug-phran, l'armure de
vaidurya inoxydable, l'antidote Dug-zil zum-thig, le fébrifuge sBrul-gyi
snin-po (3).
fol. 55 b [Fol. 55 b] Le lendemain on prépare un trône pour Padmasambhava
et on entasse des offrandes devant lui. Le prince KLUMi-mgon dkar-po
s'adresse à Padmasambhava en insistant sur la guérison et la reconnais-
fol. 56 a sance des NÃGA. [Fol. 56 a] Dans le chant qui suit il exprime le même
(1) Pour ces mots, voir le Vocabulaire religieux.
(2) C'est, entre autres, une forme de Padmapāṅi, c.-à-d. d'Avalokitesvara. Son rite,
Seṅ-ge-sgra'i gdon-grol, s'adresse aux 8 grands nâga et sert à délivrer des maladies.
(3) « Cœur de serpent », l'espèce la plus précieuse du santal.
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sentiment et dit qu'il offre trois fois treize joyaux, quatre-vingts charges
| de mules de pierres précieuses mčhiṅ-bu, de grandes quantités d'or et
1 une guirlande du précieux fruit a-smra (āmra, mangue). [Fol. 56 b] fol. 56 b
! Padmasambhava montre une figure noire de colère. Il les insulte et dit
qu'il n'a que faire de leurs joyaux. Les KLU, effrayés, promettent tout ce
qu'il veut. Alors Padmasambhava exige qu'on lui envoie la femme de
gCug-na rin-chen, la dame (KLU-BZA') lDem-dkar lha-mo en vue d'un
« entretien privé » (NAN-GTAM). [Fol. 57 a] Les KLU se demandent ce qu'il fol. 57 a
a l'intention de faire, mais ne pouvant qu'obéir, ils conduisent IDem-
dkar devant lui. Padmasambhava fait sortir tout le monde. Une fois seul
avec elle, il lui confie qu'il veut une de ses filles, et la Plus belle. Elle promet
et sort honteuse. [Fol. 57 b] A en juger d'après sa mine confuse, on se rend fol. 57 b
bien compte qu'il faut au lama une précieuse klu-mo, s'esclaffe gLan-yu
do-rgod, de la caste des vilains, provoquant dans toute l'assemblée un grand
| * éclat de rire. La reine, honteuse, ne dit rien, mais écrit une lettre au roi. Celui-ci
| traite le lama de fou, proclame la lettre et ordonne qu'on amène ses trois filles
pour qu'il choisisse celle qui doit lui être offerte. Mais l'aînée, r God-čhuṅ
dkar-mo est déjà promise au fils, Danseur, de la reine des GNOD-SBYIN
(YAKSA) du Nord (1), et la seconde, Kha-mchar klu-mo-mcho, doit aller à
| Ha-mi-pa-ta de Chine. Or il paraît certain que la cadette, Glan-yu [la folle]
| Kha-'tham sno-tho, ne sera pas choisie. Il faudra donner l'aînée au Tibet.
[Fol. 58 a] Embarrassé, le roi gCug-na rin-chen explique à ses filles
| ce qui est arrivé et pourquoi elles doivent aller s'offrir au choix. Les ministres fol. 58 a
sages craignent que les filles ne soient refusées aussi bien que les trésors
déjà proposés. Tout le monde est d'accord pour joindre aux trois filles
| quatre autres, choisies parmi les quatre castes qui restent, à savoir gZi-
! Idan-sgron de la caste des nobles, Me-tog-mcho de la caste des brahmanes,
Lha-mies-skyid de la caste du peuple et gYu-chun-sman de la classe des
! vilains. [Fol. 58 b] C'est la Plus jeune, Me-tog lha-mies, qui est la Plus
\ belle. Aussi, bien qu'elle soit la dernière, c'est elle que Padmasambhava fol. 58 b
trouve à son goût. La description qu'il donne lui-même de ses avantages
Physiques fait rire toute l'assemblée. [Fol. 59 a] Avant de renvoyer tout
le monde, Padmasambhava demande à la jeune fille d'emporter avec elle fol. 59 a
la tente de turquoise (bleue) mThin-çog gun-dgu, les seize volumes du
CENT MILLE NÃGA (KLU-'BUM) et la vache KXU. Me-tog lha-mjes adresse
un chant à son père gCug-na rin-čhen pour les lui demander. Les Tibétains,
lui dit-elle, sont de la race stupide des Faces Rouges, Mangeurs de
viande (2), pareils à des chiens et des porcs. Des proverbes prouvent
qu'il faut être muni de cadeaux quand on va au loin. Aussi lui demande-
t-elle la tente de turquoise mThiṅ-çog gun-dgu, les seize volumes du
Klu-'bum, [Fol. 59 b] pour augmenter la bonne fortune (g-yan) des
barbares aux têtes noires (des Tibétains), la bête klu 'Bri-mo g-yan-ra fol. 59 b
(Vache de yak aux cornes fortunées), la garantie de richesses Cintāmaṅi
et la garantie de nourriture gSer-zo smug-chun (Seau d'or Petit Brun),
pour parer à la sécheresse des montagnes le Gans-kyi sñiṅ-po (Essence

(1) Ce sont la femme de Vaiśravaṇa et son fils principal Gar-mkhan.


(2) Formule courante qui assimile les Tibétains à des démons anthropophages.
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