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E. LEProfesseurs
GOUàISla Faculté
& desL.lettres
CAdeZParis
AMIAN

H I S TDEO
LA
IRE
LITTERATURE
ANGLAISE
ÉDITION REVUE
ET MISE A JOUR

TOME 1
650.1660

LIBRAIRIE
H A C H E TT E
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Cette édition a été augmentée d'un chapitre nouveau :


Les tendances d'après=guerre (1938=1947), écrit par
M. Richard CHURCH et d'Appendices rédigés par
M. Louis CAZAMIAN.

Tous droits de traduction, de reproduction


et d'adaptation rÉservés pour tous pays.
Copyright by Librairie Hachette, 1949.
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INTRODUCTION

1
La littérature de langue anglaise, l'une des plus riches
en beauté originale, est la plus considérable en étendue
qui ait été ou qui soit au monde. Sa production passée
et présente réunie dépasse dès maintenant en quantité
celle de toute autre langue ancienne ou moderne. Ce
volume-ci, quelque nombreuses qu'en soient les pages,
n'a pu prétendre l'embrasser tout entière. Il s'est borné
à la littérature anglaise des Iles Britanniques, laissant
à d'autres la littérature déjà si vaste et d'une croissance
prodigieusement rapide des États-Unis, aussi bien que
celles des diverses colonies anglaises. C'est seulement en
sacrifiant le tableau de son expansion au delà des océans
qu'il était possible de présenter sans trop de superficialité
son histoire, et de retracer, grâce à l'unité de lieu, un
développement cohérent et harmonieux.
Destiné à une collection qui a été consacrée par des
histoires littéraires réputées, et tout spécialement par le
rare mérite de la littérature française de M. Lanson,
c'était pour ce livre un haut privilège d'avoir pour guide
et pour modèle ce dernier ouvrage devenu immédiate-
ment un classique. Dangereux honneur, s'il s'agissait
d'une compétition forcément décourageante, mais sll-
mulant précieux par l'exemple de pénétration, de logique
et de méthode qu'on avait devant les yeux. L'avantage
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eût été plus grand si la différence des matières et des


conditions n'avait empêché de suivre plus fidèlement les
pas d'un pareil devancier. Mais la tâche est nécessaire-
ment autre pour l'historien d'une littérature étrangère
que pour celui de la littérature nationale. Elle est à cer-
tains égards plus embarrassante. Amoins de ne s'adresser
qu'aux Français familiers avec la langue de cette littéra-
ture, on doit diriger les esprits vers des œuvres qui leur
sont souvent inaccessibles, ou vers lesquelles ils n'ont
d'approche qu'à travers des traductions, quand elles
existent et quand elles sont fidèles. On voudrait du moins
introduire dans le texte d'assez nombreuses citations pour
appuyer et illustrer les jugements portés, mais la place
fait défaut. Le lect-eur n'en trouvera que quelques-unes,
brèves et espacées, dans la première partie, aucune dans
la secondepour laquelle une condensation plus rigoureuse
a été nécessaire.
Il est à souhaiter qu'il soit bientôt fait un relevé des
traductions de l'anglais que nous possédons, accompagné
d'une appréciation de leur valeur et de leur exactitude.
Ce tableau serait l'utile complément de toute histoire de
la littérature anglaise. Il aiderait le lecteur à sortir de
l'abstrait et à s'approcher des réalités. Il exciterait les
spécialistes à combler les lacunes regrettables et à amé-
liorer la qualité des versions existantes. En attendant on
ne saurait mieux faire que de se reporter à l'excellente
Anthologie publiée par M. Koszul où toutes les époques
de la littérature anglaise sont représentées par des spéci-
mens heureusement choisis et par des traductions variées,
en prose ou en vers. Encore est-il bien entendu que la
traduction n'est jamais qu'un pis-aller, qu'elle peut rendre
le sens et l'esprit de l'œuvre originale, mais que celle-ci,
surtout l'œuvre poétique, vaut en plus par sa forme même,
par la couleur et le rythme des mots qui la composent et
qui ne peuvent être remplacés sans dommage par les
mots d'une autre langue. Pour une juste appréciation de
la beauté des choses étrangères, le critique qui formule
l'éloge ou le blâme est donc obligé de demander un
large crédit de confiance.
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II
La division de ce livre en deux parties, la première qui
traite des Origines, du Moyen âge et de la Renaissance;
la seconde, des époques moderne et contemporaine,
entraîne de manifestes différences de présentation et
même de méthode. Il serait vain de nier que ces variations
tiennent pour une part aux habitudes d'esprit distinctes
(tes deux collaborateurs. Mais un seul auteur eût-il com-
posé cette histoire qu'il eût été amené presque inévita-
blement à procéder de manière différente dans l'exposé
du passé et dans celui du présent.
Le passé est depuis de longues années devenu matière
d'érudition. Plus espacés et moins accablants par leur
nombre, les monuments littéraires sont en revanche
chargés de commentaires et environnés de travaux d'ap-
proche qui atteignent par endroits, surtout quand il
s'agit des grands noms, commeceuxdeChaucer, de Shakes-
peare ou de Milton, des proportions vraiment redoutables.
L'effort ne consiste pas ici à défricher. Il s'agit de percer
à travers ces multiples remparts de critique antérieure,
qu'il faut d'ailleurs connaître, pour arriver au contact
direct des œuvres originales. Il importe à la fois de se
servir des meilleurs résultats obtenus et pourtant de ne
pas répéter telles quelles les études déjà faites. Un livre
nouveau ne justifie sa publication que par l'apport de
quelque nouveauté.
Plus précisément, toute histoire nouvelle de la litté-
rature anglaise qui est tentée en France est obligée de
tenir compte des deux œuvres diversement remarquables
qui ont été chez nous, entre plusieurs autres, consacrées
à cette même littérature. L'ouvrage fameux de Taine
paru en 1864 est resté l'un des plus caractéristiques du
philosophe dont les idées ont marqué d'une empreinte
profonde la seconde moitié du xixe siècle. La doctrine
qui y a trouvé son expression, l'éclat et la verve de ses
pages, non moins que la renommée de l'auteur, conti-
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nueront d'attirer les lecteurs, quelque progrès que le


temps et les recherches des érudits apportent aux histoires
littéraires nouvelles. Il est désirable que le livre de Taine,
si lumineux et si entraînant, demeure le premier initiateur
des Français à l'étude des lettres anglaises, et il n'est
d'ailleurs pas à craindre d'oubli pour ce qui fut l'une des
productions maîtresses d'un esprit exceptionnel.
Plus récemment M. Jusserand a repris le même sujet
dans son Histoire littéraire du peuple anglais dont les
deux premiers volumes ont paru, l'un en 1896 et l'autre
en 1904. C'est sur une conception toute différente de
celle de Taine que se fonde M. Jusserand. Historien avant
tout, muni d'une érudition qui s'est signalée par des
découvertes nombreuses et la discussion serrée de maint
problème spécial, il a présenté le tableau le plus précis
et en même temps le plus pittoresque de l'Angleterre
révélée par ses littérateurs. Il serait aussi vain que pré-
somptueux de prétendre refaire ce qu'il a accompli avec
perfection, et il est à souhaiter qu'il puisse mener
jusqu'à nos jours l'œuvre solide et brillante qu'il a
entreprise.
Or, ces deux œuvres correspondent, l'une principa-
lement, l'autre uniquement, à ce qui forme la première
partie de la présente littérature. Écrivant il y a soixante
ans, Taine ne pouvait connaître ce qui est devenu pour
les hommes d'aujourd'hui l'histoire contemporaine. D'ail-
leurs son tableau, assez ample pour les siècles anté-
rieurs, procède à partir du XVIIIe siècle par éliminations
de plus en plus hardies faites dans une production de
plus en plus luxuriante. A partir de ce moment il offre
plutôt une suite de brillants articles qu'un récit complet,
serré et continu. Quant à M. Jusserand son Histoire
s'arrête jusqu'ici avant Milton, vers 1625.
Le devoir de celui qui parcourt après de tels pionniers
la même région n'est-il pas, au lieu de mettre les pieds
dans leurs empreintes, de chercher autant qu'il se peut
les chemins qu'ils ont le moins volontiers explorés, les
points de vue où ils se sont le plus rarement placés? fl
n'y a plus lieu après Taine de tenter cette imposante
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construction déterministe qui déduit d'affirmations caté-


goriques sur la race, le milieu et le moment, à la fois les
caractères généraux de la littérature anglaise et les traits
particuliers des écrivains qui la composent. De fortes
objections ont été faites à cette séduisante et impérieuse
théorie, principalement dans l'introduction du Robert
Burns d'Auguste Angellier (Les Œuvres, vol. II). Il né
serait plus possible de la reprendre intégralement, et la
reviser changerait en une longue controverse ce qui est,
et doit être, un exposé calme et libre des faits connus.
D'un autre côté l'ouvrage de M. Jusserand, par le fait
même qu'il existe et qu'il accomplit admirablement son
dessein, permet de renvoyer à ses pages si savantes et si
vivantes ceux qui cherchent, avant tout, à évoquer au
moyen des écrits les mœurs, les institutions et la vie
du passé.
Il semble que ce qui ait ete, non certes omis, mais
subordonné dans ces deux histoires, ce soit l'étude esthé-
tique proprement dite. Il est donc loisible de faire autre-
ment tout en faisant une chose essentielle. Il ne saurait
passer pour oiseux ou pour intempestif, dans une histoire
littéraire, de s'attacher surtout à mettre en évidence les
premiers signes, les tâtonnements, les avances et les reculs,
les triomphes aussi du sens artistique. Dans cette con-
ception l'étude des formes importe tout autant que celle
des pensées et même des sentiments. L'évolution du
tangage, tantôt lente, tantôt accélérée par des cata-
strophes historiques, la formation ou la déformation du
vers, les pénibles progrès de la prose visant d'abord à la
seule intelligibilité, puis au nombre et à la beauté, ce
sont là des sujets d'enquête auxquels on peut bien donner
la place principale quand il s'agit de littérature. On verra
en fait que cette première partie ne s'abstient ni des
idées ni, à l'occasion, des considérations d'ordre histo-
rique, mais elle ne fait pas d'elles son principal objet.
Elle ne les sollicite pas, ni ne se laisse longtemps divertir
par elles. Elle préfère réserver l'espace, ainsi laissé libre,
à la présentation directe d'oeuvres significatives, en décri-
vant la matière et la manière, insistant de préférence
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sur celles qui sont trop peu connues chez nous. Ainsi
a-t-elle quelque chance de servir de complément utile
aux remarquables ouvrages qui l'ont précédée.
III
Les raisons qui ont décidé du caractère de la première
partie n'existent pas pourla seconde. Icipoint deprédéces-
seurs français ou à peine; peu même de prédécesseurs
anglais. La relative absence de guides est une difficulté,
mais aussi un aiguillon; elle provoque à l'audace, en
imposant la construction de cadres. Un lien doit être
cherché entre des faits littéraires trop nombreux et divers
pour que leur ordre naturel ne soit pas du désordre.
Onest ainsi amené à poser, non pas commeTaine undéter-
minisme, mais un enchaînement plus souple et plus
intime, qui sans faire violence à l'originalité de l'écrivain,
essaie de saisir les éléments généraux de ses préférences.
Le principe de ce classement est offert, non par la phy-
sique, l'ethnographie, l'histoire, mais par la plus humaine
des sciences de l'homme, et la compagne légitime de
toute critique, la psychologie.
Avec les temps modernes (1660-1914), l'esprit national
acquiert une maturité mieux définie. Si la littérature,
comme on l'admet, est liée toujours à la vie spirituelle
de groupes humains, cette relation est dès lors plus
aisément saisissable; elle a été reconnue en sa plénitude.
La nature et la succession des périodes, le passage de
l'une àl'autre, l'histoire des genres, tout le mouvement des
lettres en un mot, ont été regardés à la lumière d'un fait
central, le devenir de l'esprit anglais. Or celui-ci montre
une périodicité sensible, dont le rythme va s'accélérant,
entre les deux groupes de tendances qui répondent en
gros aux besoins romantiques et aux besoins classiques
du goût; tandis que la conservation du passé moral dans
le présent assure à chaque phase son originalité par
une richesse de souvenirs sans cesse croissante. Il a paru
possible de trouver l'idée directrice de l'étude en cette
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alternance progressive des besoins mêmesdont la recherche


du beau est faite; et la tentative, soutenue jusqu'au bout,
a semblé entraîner plus d'avantages que d'inconvénients.
Il en résulte que les classifications adoptées s'écartent
largement du type familier. Ce n'est plus la forme des
œuvres qui décide leur répartition. Les genres ont encore
une existence distincte, mais d'emprunt et incapable
de se suffire. Le plus souvent, le dessin des périodes a
été tracé dans un plan plus intérieur, où des genres
différents se rapprochent sous l'effet d'une inspiration
commune, où la divergence des attitudes sépare les repré- -
sentants d'un même genre. Parfois au contraire, l'ordre
traditionnel a été respecté, soit qu'il répondît en sub-
stance au principe nouveau, soit qu'il offrît à l'exposition,
sur quelques points, des commodités supérieures. Il
n'a pas semblé qu'un système rigoureux dût être cherché,
en une matière où la marge de l'accident demeure aussi
forte. Certaines conséquences n'ont pu être évitées :
la division de l'œuvre d'un écrivain entre deux ou plu-
sieurs chapitres, par exemple. Ces partages, la nature des
choses les exige, dès que le point de vue de l'individuel
est abandonné.
L'époque récente a fait surgir des embarras tout
particuliers. La masse touffue du xixe siècle n'offrait plus
les points de repère, les chemins frayés des temps anté-
rieurs. Il a fallu reconnaître sa route; et la tâche est
devenue, avçc le xxe siècle, plus aventureuse encore. La
date de 1914, qui marque le terme de l'étude, aété dépassée
dans le fait; mais les années de la guerre et de l'après-
guerre ont été explorées plus sommairement.
L'obstacle le plus redoutable, cependant, a été autre.
Une tradition, dans laquelle il entre bien des éléments,
veut que l'histoire littéraire accordeaux époques anciennes
une attention relativement plus respectueuse et détaillée
qu'aux âges plus proches. Le désir commun des deux col-
laborateurs était de réagir contre cet excès, tellement
accoutumé qu'il s'est inscrit en notre optique même. Il
fut donc fait, dans la division de l'espace dont on dispo-
sait, une place plus large à la seconde qu'à la première
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partie. Mais cette mesure ne pouvait être fixée qu'a


priori, de façon encore approximative. Bien que l'époque
moderne soit plus largement traitée que de coutume,
la proportion ne fut peut-être pas assez hardiment
novatrice.
C'est ainsi que dans ce livre, équilibré en chacune de
ses parties autour de deux centres de gravité diffé-
rents, l'étude de la période moderne a été soumise à
une condensation plus forte. Le très grand nombre des
écrivains, la richesse des tendances, le fourmillement
. des œuvres, leurs attaches plus diverses avec une vie
sociale et une pensée plus développées, entraînaient
l'examen de rapports multipliés. Le tableau a dû être
construit en lignes plus ramassées ; le dessin des grandes
figures ramené à une plus petite échelle. Ainsi chargé,
le développement est d'une densité qui réclame à coup sûr
l'indulgence du lecteur. Du moins a-t-il été possible
de concilier, avec le souci d'une explication par le général,
la curiosité attentive de ce qui est individuel. Les études
de tempéraments et d'oeuvres ont été conçues, dans les
ensembles où leur place est marquée d'une façon peut-
être insistante, comme des problèmes chaque fois uniques
et qui portent en eux-mêmes l'essentiel de leur intérêt.
Le sacrifice le moins cruel n'a pas été celui de tous les
secours que l'a biographie des écrivains peut apporter à
l'intelligence de leurs livres. Alors que les données de ce
genre sont dans la période moderne beaucoup plus pré-
cises, elles n'ont été utilisées qu'au minimum. En
revanche, certains allégements s'offraient. Il était moins
nécessaire d'énumérer des éditions savantes, plus rares,
et d'habitude moins utiles; pour le dernier siècle, elles
n'existent, ou ne sont mentionnées, que par exception. De
même, les obligations les plus générales qui ont été con-
tractées peuvent être ici, d'un mot, reconnues. Des
ouvrages précieux à titres divers, comme ceux de Leslie
Stephen (History of English Thought in the Eighteenth
Century), de O. Elton (A Survey of English Literaturet
1780-1880), de H. Walker (The Literature of the Victo-
rian Era), n'ont pas été cités aussi souvent qu'il eût été
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juste de le faire. Tel n'a pas été le cas pour la Cam-


bridge History of English Literature, l'instrument de
travail le plus nécessaire : le classement decette seconde
partie en rappelle si peu les cadres, qu'il a paru utile de
renvoyer, pour les divers chapitres, aux chapitres corres-
pondants, et parfois très dispersés, de l'ouvrage anglais.
IV
. En règle générale, dans les notes mises au bas des
pages, il est renvoyé aux éditions de textes les plus
récentes et les plus accessibles. Parmi les études critiques
on n'a voulu donner que l'essentiel. Les travaux français,
quand ils le méritent, sont cités de préférence.
Des omissions faites ou des erreurs commisesles auteurs
expriment leurs regrets, et leur désir, si elles leur sont
signalées, de les réparer dès que s'en offrira l'occasion.
Le premier volume de la savante Histoire de la Langue
anglaise de M. Huchon n'avait pas encore paru quand
ce livre a été écrit. Du moins M. Huchon a-t-il bien
voulu par amitié lire en manuscrit la partie de cette litté-
rature relative aux Origines. Elle lui doit d'utiles correc-
tions et eût été meilleure s'il avait été possible de suivre
tous ses conseils.

Dans cette nouvelle édition, les bibliographies ont été


remises à jour; le dernier chapitre (livre XII, chap. V) a
été en grande partie refait, de façon à donner une vue
générale de la période la plus récente (1914-1932).

Dans cette nouvelle réédition, les bibliographies ont


été une seconde fois revues, et quelques additions ont
été faites au dernier chapitre de la seconde partie. Mon-
sieur Pierre Legouis, professeur de langue et littérature
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anglaises à l'Université de Lyon, a bien voulu reviser,


pour la première partie, les notes bibliographiques de
son regretté père.

Les bibliographies de la Première partie ont été remises


à jour dans la mesure où la mise en pages du volume le
permettait.
Je remercie M. Richard Church d'avoir bien voulu me
permettre de traduire les pages qu'il a écrites pour
l'édition anglaise de cet ouvrage sur « Les tendances
d'après-guerre.
L. C.
Décembre 1951.
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PREMIÈRE PARTIE

LE MOYEN AGE
ET LA RENAISSANCE
(650-1660)
PAR
ÉMILE LEGOUIS
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AVERTISSEMENT

Pour la partie de cette histoire qui va des origines à 1660, il


est un certain nombre d'ouvrages autorisés qui la retracent dans
sa totalité, ou presque en entier. Il serait fastidieux d'y renvoyer
à la tête de chaque chapitre. Mieux vaut donner ici la liste de ces
ouvrages qui ne seront plus signalés à part que lorsqu'ils offrent
sur un point particulier des développements qui ne se rencontrent
pas ailleurs :
The Cambridge History of English Literature, en 14 volumes
(1907-1916). Un 15e volume (1927) contient un index général. —
Les 7premiers volumes mènent jusqu'en 1660. Abondantes biblio-
graphies dans chaque volume. —Réimpression à meilleur marché
en 1932, sans les bibliographies qui seront groupées, mises à jour,
dans un volume en préparation.
English Writers par Henry Morley en 11 volumes (1887-1895).
S'arrête vers 1616 à la mort de Shakespeare.
A History of English Poetry par W. J. Courthope. Les 4 pre-
miers volumes publiés de 1895 à 1903 mènent à la fin du
XVIle siècle.
Chambers's Cyclopœdia of English Literature. Édition de 1903
en 3 volumes, revisée en 1938. C'est moins une histoire suivie
qu'un recueil d'extraits. Le premier volume va jusqu'à 1700.
Geschichte der Englischen Literatur par B. Ten Brink (lre partie
1877, 2e partie 1893). Traduit en anglais, Bohn's Standard
Library, 3volumes 1895-6. Édition revisée 1899-1912. (L'ouvrage
inachevé s'arrête vers 1550).
Histoire de la Littérature anglaise par H. Taine (4 vol. en 1864).
Les deux premiers volumes conduisent l'histoire jusqu'à la Res-
tauration de 1660. —16, édition, revue par J. Jusserand, en
5 volumes.
Histoire Littéraire du Peuple anglais par J. Jusserand (1er vol.
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1896,
en 2e vol. 1904). S'arrête vers la fin du règne de Jacques Ier,
1625.
Pour qui veut suivre à la fois le développement de la langue
et de la littérature, rien n'est plus à recommander que les textes
publiés par la Clarendon Press d'Oxford :
Sweet. An Anglo-Saxon Reader in Prose and Verse. —9eédition
revisée par C. T. Onions, 1922.
Morris et Skeat, Specimens of Early English, 1er vol. 1150-
1300, 2e vol. 1298-1393.
W. Skeat, Specimens of English Literature, 1394-1579.
A tous les ouvrages ci-dessus, il sera renvoyé par abréviation,
ex. Jusserand. Rist. Lit., ou Morris et Skeat Specimens, 1er vol.,
etc.
Autre abréviation : E. E. T. S. pour Early English Text Society.
Pour la biographie des écrivains, se reporter au Dictionary of
National Biography (D. N. B.).
Pour des citations correspondant aux appréciations critiques,
on'pourra se reporter aux ouvrages suivants :
Beljame et Legouis : Morceaux choisis de littérature anglaise
(Hachette). Les extraits sont en anglais.
A. Koszul : Anthologie de la Littérature anglaise, 2 vol. (Dela-
grave). Les extraits sont traduits en français.
Aux ouvrages ci-dessus il faut ajouter :
The Cambridge Bibliography of English Litterature, Ed. by
F. W. Bateson, 4 vol., Cambridge, 1940.
ALiterary History of England, Ed. by A. C. Baugh, NewYork,
1948.
The Oxford History of English Literature, Ed. by F. P. Wilson
and Bonamy Dobrée, Oxford, 1945—.
J. Hall, Selections from Early English, Oxford, 1920.
Bruce Dickins et R. M. Wilson, Early Middle English Texts,
Cambridge, 1951.
K. Sisam et J. R. R. Tolkien, Fourteenth Century Prose and
Verse.
Ces trois derniers ouvrages remplacent les Spécimens de Morris
et Skeat, que l'on ne réimprime plus.
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LIVRE I
LES ORIGINES

CHAPITRE 1
LA LITTÉRATURE ANGLO-SAXONNE (650-1066)
1. COMMEQUOI LALITTÉRATURE ANGLO-SAXONNE EST DISTINCTE
DE LA ' NGLAISE.
Les Anglais considéraient naguère Chaucer comme le père de
leur poésie. Ils trouvaient la source première de leur littérature
dans ce xive siècle où s'était achevée sur le solbritannique lafusion
des Anglo-Saxons et des Franco-Normands. Aujourd'hui c'est au
VIIe siècle qu'ils font remonter leurs origines littéraires. Ils pro-
clament maintenant pour leurs premiers poètes Caedmon et
l'auteur ignoré de Beowulf. Encore ne s'arrêtent-ils là que faute
de monuments plus anciens. Curieuses sont les étapes et les
raisons de cette marche en arrière, à la conquête du passé.
Depuis la bataille de Hastings en 1066 jusqu'à la Réforme reli-
gieuse du xvie siècle, les oeuvres antérieures à la conquête nor-
mande demeurèrent oubliées dans les cloîtres, déchiffrées seule-
ment par quelques moines qui se transmettaient la connais-
sance de l'ancienne langue. La dissolution des monastères eut
pour effet la perte d'un grand nombre de ces documents, mais
en revanche l'apparition du reste au grand jour. Quelques érudits
tournèrent sur ceux-ci leur attention, uniquement soucieux au
début (et surtout pour des raisons de polémique) des origines
religieuses et historiques de la nation, ou encore des caractères
de la langue dans laquelle ils étaient écrits. Peu à peu, après les
chartes et les livres de piété, furent explorées de vieilles œuvres
littéraires et une sorte de bibliothèque poétique fut constituée.
L'idée se fit jour qu'une véritable littérature nationale avait
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fleuri avant l'invasion des Normands. D'ailleurs on ne songea


point d'abord à l'identifier avec la littérature anglaise propre-
ment dite, et on l'appela saxonne ou anglo-saxonne, termes qui
la marquaient commeséparée et distincte. Puis ces termes mêmes
ont depuis une soixantaine d'années été contestés; on leur a
reproché de couper en deux tronçons ce qui formait une indivi-
sible unité, et beaucoup des érudits actuels lui substituent celui
de vieille littérature anglaise ou de littérature anglaise, primitive.
A la question : Où commence la littérature anglaise? ils répon-
dent sans hésiter qu'elle commence avec le premier vers chanté,
avec la première ligne écrite en langue germanique dans le pays
qui s'appelle à présent l'Angleterre.
Il se pourrait que cette réponse leur ait été, à leur insu, dictée
non moins par des raisons sentimentales que par des raisons
historiques. Jusqu'au jour où l'Allemagne eut manifesté sa
puissance dans le domaine intellectuel, il ne semble pas que
l'Angleterre se soit beaucoup souciée de chercher l'expression
de son génie national dans les œuvres laissées par les Anglo-
Saxons. Les avances venaient alors de la seule Allemagne, dési-
reuse d'établir sa proche parenté avec la nation qui avait produit
Shakespeare et Milton. La gloire conquise par les Allemands dans
les lettres et la philosophie à la fin du xvme siècle, d'autre part
l'hostilité contre la France voltairienne ou napoléonienne, incli-
nèrent ensuite les Anglais à resserrer avec les Allemands les
liens de leur'lointaine parenté intellectuelle, premier revirement
sensible dans les œuvres de Coleridge, de de Quincey et de Carlyle.
Puis vint la prospérité politique et la supériorité militaire crois-
sante de l'Allemagne dans la seconde moitié du xixe siècle.
L'influence en fut décisive. C'est au moment même où la France
vaincue subissait le traité de Francfort que les philologues alle-
mands et anglais se prirent à suspecter la légitimité du mot
anglo-saxon et étendirent le nom d'anglaise à toute la langue
parlée, à toute la littérature écrite en Grande-Bretagne depuis
l'invasion germanique, signifiant par là que nulle interruption
ne se marquait dans leur cours qui eût assez d'importance pour
nécessiter l'emploi de termes distincts.
Cette tendance rencontra un inconscient allié dansle sentiment
démocratique en sa vigoureuse et ombrageuse croissance. Celui-ci
distinguait grossièrement en Angleterre deux castes, celle des
Franco-Normands constituant l'aristocratie, celle des Saxons avec
laquelle il identifiait tout le reste du peuple. Tout recul du pres-
tige de la première classe, toute doctrine tendant àlui attribuer un
caractèreadventiceetétranger, nepouvaient manquerdeluiplaire.
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En même temps l'amour, et aussi l'engouement du «gothique, »


lentement infusé par le romantisme à l'Europe entière, avait
rehaussé, aux dépens des littératures dites classiques, les plus
rudes produits du Moyen âge et même, remontant au delà,
entouré de prestige ceux des temps barbares. Il avait fait voir de
vrais trésors qu'il était glorieux de s'approprier dans des œuvres
naguère ignorées ou vues avec dédain. Ce qu'Addison appelait
avec mépris «la manière d'écrire gothique, »(Spectateur, Essai 70)
était devenu objet d'admiration pour l'artiste. C'était donc pour
l'Anglais un nouvel appât à annexer la plus copieuse littérature
médiévale en langue vulgaire qui sefût conservée antérieurement
à la scandinave et à la française.
La philologie couvrit de sa haute autorité cette annexion. Elle
établit indiscutablement le caractère germanique essentiel de la
langue anglaise. Al'aide des textes retrouvés, elle démontra que
l'afflux des mots étrangers, français ou latins, pour considérable
qu'il fût, s'était fait progressivement, dans les vieux cadres du
parler germanique, les étirant ou les brisant peut-être çà et là,
mais les laissant subsister néanmoins. Sa loupe attentive surprit
les menues modifications successives du langage et, ne trouvant
nulle part de solution de continuité, conclu. à l'unité cachée der-
rière des altérations lentes.
De la philologie à la littérature, la transition parut aisée. Pour
un grand nombre des critiques actuels la distinction jadis admise
entre la littérature anglo-saxonne et l'anglaise a cessé d'exister.
S'il n'y avait ici qu'une question de mots, il serait puéril de s'at-
tarder pour approuver ou contredire. Mais la nouvelle doctrine
obscurcit des vérités fondamentales. Le propre de l'étude scien-
tifique des langues est en effet de montrer que toute apparente
révolution provient de dégradations insensibles. Pour peu que les
textes ne lui fassent pas défaut, la philologie arrive infaillible-
ment à prouver qu'il n'y a nulle part debrusquerupture. Donnez-
lui des textes et elle remontera jusqu'à Adam. Mais à ce compte,
si l'on y réfléchit, il serait également erroné de désigner par des
noms différents le latin et les langues romanes, et de mêmela litté-
rature de l'ancienne Rome et celles des nations dites latines
d'aujourd'hui. Pareille conception entraînerait jusqu'où? Aforce
d'élargir, on abolit les distinctions nécessaires. On oublie que,
pour être graduelles, les variations s'accumulent au point qu'un
jour vient où il n'y a plus moyen de s'entendre pour deux âges
entre lesquels cependant il est impossible de voir autre chose
que progressive évolution. Or, quoi qu'il en soit dela langue, nulle
littérature n'a vécu et ne s'est développée dans une aussi grande
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ignorance de ses antécédents que la littérature anglaise.Jamais


l'italien ni le français ne furent entièrement sevrés du latin mater-
nel; au contraire, quand paraissent les premières grandes œuvres
littéraires du xive siècle, l'anglo-saxon n'est pas seulement une
littérature morte, mais une littérature inconnue, dont les docu-
ments sont profondément enfouis, écrite dans une langue devenue
inintelligible, partant sans influence possible. Or l'unité véri-
table d'une littérature est constituée à la fois par la permanence
d'une langue qui demeure sans trop d'effort intelligible de la
première à la dernière époque, et par la successive influence plus
ou moins active, parfois manifeste, parfois souterraine, mais
néanmoins continue, des œuvres qui la jalonnent. S'il en est ainsi
la littérature anglo-saxonne ne saurait devenir partie intégrante
, de la littérature anglaise. Elle n'a pas droit à être autre chose
que ce qu'est dans une biographie la vie du père ou de la mère du
héros à celle du héros lui-même.
C'est le prologue du livre plutôt que son premier chapitre. Mais
il se trouve que ce prologue est ici indispensable. En effet, si
les antécédents latins des littératures romanes sont consignés
dans les littératures latines, la littérature anglo-saxonne, trop
grêle et spéciale, n'a pas (du moins chez nous) de place à part.
Sa place la plus naturelle est donc à l'entrée de la littérature
anglaise qui n'est que sa descendante mais dont certains caractères
permanents, certains sentiments profonds, ne sont bien compris
que si on les a vus d'abord en germe dans les œuvres anglo-
saxonnes. Ainsi, sans invoquer une identité qui n'existe pas, se
rétablit, avec le bien fondé du mot anglo-saxon, letitre de lalitté-
rature anglo-saxonne à figurer en tête d'une littérature anglaise.

2. LA LITTÉRATURE ANGLO-SAXONNE NE ' ST PAS LE


' XPRESSION
» DIRECTE DE LÉ
' POQUE PAÏENNE.
La littérature anglo-saxonne qui nous est parvenue est dans
son ensemble l'œuvre de clercs qui ont vécu du vue au XIesiècle.
Si ce n'est pas eux qui l'ont toute créée, c'est eux qui nous l'ont
conservée dans sa totalité. Aussi est-elle essentiellement chré-
tienne. Les rédacteurs n'y ont laissé subsister que ce qui ne leur
paraissait pas en opposition formelle avec leur religion. D'où
une élimination vaste dont nous pouvons seulement conjecturer
l'importance. De là aussi des modifications et des additions faites
à celles des vieilles légendes qui n'ont pas été sacrifiées et qui
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leur donnent une valeur édifiante que sans aucun doute elles
n'eurent pas primitivement.
C'est parmi ces clercs qu'il nous faut nous placer tout d'abord
pour comprendre non seulement les pages issues directement
d'eux, mais encore la nature et le ton des fragments plus anciens
auxquels ils ont fait grâce.
Reportons-nous à la fin du vue siècle. La conquête est terminée.
Poussées vers l'ouest par les Huns, les tribus germaniques situées
entre l'Elbe et l'Oder, et le long de la côtedanoise, se sont emparées
peu à peu depuis deux cents ans du territoire oriental de la
Grande-Bretagne. Les Angles sont maîtres du pays au nord du
Humber, les Jutes du pays de Kent, les Saxons de tout le reste
de la contrée au sud de la Tamise. Arrivés païens, ils ont été
convertis en masse à la fin du vie siècle, et c'est à la fin du vire
que les premiers écrits datés apparaissent.
Les plus anciennes lois rédigées témoignent d'une civilisation
déjà, considérable où l'esprit chrétien a pénétré. Les Anglo-Saxons
sont déjà des sédentaires, cultivant le sol, protégés contre le vol et
la maraude, ayant une organisation judiciaire qui enlève à l'indi-
vidu le droit de se faire vengeance et qui remplace le plus possible
par des amendes les châtiments corporels. Une société hiérar-
chisée s'est constituée dans chaque État avec un équilibre heureux
de centralisation et d'institutions démocratiques.
Rien n'est donc plus illusoire que de prendre ce que nous avons
de littérature anglo-saxonne pour une production primitive et
d'y chercher le reflet direct de la barbarie germanique. Mêler le
tableau que nous offre Tacite des Germains du Ier siècle
avec celui de l'Angleterre du VIlle, c'est mettre sur le même plan
le Chant des Frères Arvales et l'Énéide. On peut discerner le
germe lointain des institutions politiques ou des mœurs fami-
liales anglaises dans les pages de l'historien latin, mais il faut
reléguer dans un passé aboli ses descriptions de sauvages à demi
nus, ou vêtus de quelque peau de bête, tout employés à la guerre
ou à la chasse, nomades incapables d'un travail prolongé, vivant
dans des huttes ou des souterrains sordides, retenus par l'indo-
lence pendant des jours entiers près du foyer, ignorant et dédai-
gnant l'agriculture. Il convient d'écarter ce qu'il nous dit de leur
religion, de leurs dieux qui seraient les pendants de Mercure, de
Mars et d'Hercule, ou de leur culte pour Ertha, la Terre mère,
ainsi que des forêts superstitieuses où se consommaient d'atroces
sacrifices humains. Ces caractéristiques qui sont en somme celles
de tous les peuples avant la civilisation sont intéressantes à
connaître sans doute, mais ce ne sont que des états antérieurs qui
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ne survivent plus que vaguement dans le souvenir de l'époque


civilisée. Entre le temps dont parle Tacite et l'âge de Béda le
Vénérable, les Angles et les Saxons ont subi des transformations
telles que toutes les révolutions de leur histoire postérieure, voire
même la conquête normande, sont peu de chose à côté : la migra-
tion; le contact avec une population d'autre race, les Celtes en
partie civilisés à la romaine; l'abandon de l'existence encore à
deminomadepourunevieconcentréeen de certains lieux;la substi-
tution d'un état de paix et de prospérité relatives à un régime de
guerre permanent, à une misère affamée; finalement, la conversion
en masse, profonde et fervente, au christianisme, qui bouleverse
la morale en la réformant et qui met les clercs en communion
avec la latinité, coupant la plupart de leurs attaches avec le
monde teutonique resté païen.
Dans ces convulsions, presque tout ce qui pouvait exister de
la poésie primitive a subi un arrachement, ainsi que la mythologie
sur laquelle elle s'appuyait. La mythologie dont parle Tacite, les
dieux Tuiston et Mannus, peuvent et même doivent être oubliés
par qui veut comprendre Beowulf. Les noms des divinités n'inté-
ressent déjà plus que le philologue pour les traces qui en sur-
vivent dans la langue, en particulier dans les jours de la semaine.
Des rites anciens il nesurnage que certaines pratiques locales,
des superstitions attachées à certains lieux, quelques formules
ou charmes magiques, souvent avec un alliage de mots chrétiens,
commele folklore en trouve encore aujourd'hui danslescampagnes
reculées de l'Europe. Des mœurs farouches il n'apparaît plus que
des traces, ou bien ce sont des sursauts de barbarie réprouvés par
la morale ambiante. Tout ce qui provient du passé barbare est
épuré, ennobli, énervé aussi, dans une atmosphère de christia-
nisme et déjà presque de chevalerie.
Le danger n'est pas moindre de confondre en une même unité
la poésie des Anglo-Saxons avec celle des Scandinaves ou avec
les parties encore païennes de la poésie germanique continentale.
Les Niebelungen, malgré leur date de rédaction postérieure nous
offrent, au moins dans l'épopée de Hagen, un tableau puissant
des fureurs guerrières et des atroces vengeances des premiers
âges. On ne trouve rien de pareil ni d'approchant dans tous les
vers anglo-saxons. Quant à la Scandinavie et à l'Islande, elles
ont conservé dans l'Edda et dans leurs sagas en prose des traits
abondants des croyances et des mœurs primitives. Malgré des
ressemblances de forme et de versification manifestes, qui parfois
atteignent à l'identité, le fond de leurs légendes présente avec la
littérature anglo-saxonne un extrême contraste. Dans YEdda,
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l'harmonie entre le fond fabuleux, énorme et étrange, d'une part,


et le style véhément, est parfaite. Dans les poèmes anglo-saxons,
l'excès de la forme consacrée sur le fond des thèmes, la disparate
entre les sujets édulcorés et les violences verbales, saisissent dès
l'abord. L'Edda procède par allusions à une mythologie déme-
surée, à deslégendes,sinonconservées dansleur intégrité première,
du moins en conservant l'esprit, et, semble-t-il, l'aggravant
plutôt que de l'adoucir. L'Edda offre en raccourci des tableaux
puissamment dramatiques de combats entre les hommes bar-
bares, et de luttes entre des dieux plus barbares et plus effrénés
que les hommes. Nul souci d'édification ne semble avoir dominé
ou retenu le poète. Ici le jeu de l'imagination est débridé, ailleurs
un réalisme intense s'affirme. On saisit la barbarie tour à tour
dans ses actes et dans ses visions. Au contraire la poésie anglo-
saxonne est dans son ensemble une édification continue sur le
ton dominant de l'élégie. C'est une longue lamentation chrétienne
exhalée par des âmes ingénues et ferventes.

3. LES CLERCS LATINISTES ANGLO-SAXONS : ALDHELM, BEDA,


ALCUIN1.
Avant d'aborder les textes poétiques anglo-saxons qui donnent
l'impression dela plus haute antiquité, il est nécessaire d'évoquer
les premiers clercs, ces latinistes chrétiens sur lesquels seuls nous
avons des données précises. C'est à eux ou à leurs semblables
que nous devons d'avoir conservé des traces dela poésie primitive.
Ils ont parlé la langue et souvent cultivé eux-mêmes le vers indi-
gène. Ils nous ont aussi transmis en langue latine des indications
de mœurs et retracé des scènes qui révèlent avec plus de clarté
que la poésie anglo-saxonne la vie de leur temps. Enfin à travers
leur latin le fond d'imagination de leur race apparaît parfois
avec une force singulière et nous aide à saisir les caractéristiques
de la littérature nationale.
Les Germains n'avaient pas encore terminé leur migration
en Grande-Bretagne que déjà le christianisme s'introduisait chez
eux. Dès 597 le moine Augustin venait de Romepour les convertir
et dans le Kent où s'étaient établis les Jutes fondait l'église
romaine de Canterbury. Vers le même temps l'Irlande chrétienne
envoyait ses missionnaires chez les Angles, et y élevait les monas-
1. Les œuvres d'Aldhelm, de Beda et d'Alcuin ee trouvent dans la Patrologie
de Miirne. -
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tères qui furent les premiers agents de civilisation en Northum-


brie. De ces deux foyers le christianisme allait se répandant
parmi les Saxons qui occupaient le Sud et l'Ouest de l'île. Foyers
différents par la différence- des Églises mères qui les avaient
fondés et dont la diversité devait se changer en une lutte pour
la domination jusqu'au synode de Whitby qui décida en 664 de
la victoire de Rome sur l'Irlande, sans abolir de longtemps la
distinction des deux disciplines. Selon que les productions chré-
tiennes viennent du Sud ou du Nord, un esprit distinct s'y mani-
feste, révélé à travers le latin qui revêt uniformément les œuvres
des clercs.
Aldhelm (650?-709) est sorti de l'école de Canterbury. Il y
fut l'élève de l'abbé Hadrian, moine africain, et du moine grec
de Tarse, Théodore. Saxon de noble extraction, Aldhelm passe
pour avoir cultivé avec succès la poésie nationale, mais il ne nous
reste de lui que ses œuvres latines. Abbé de Malmesbury, puis
évêque de Sherborne, ce fut un saint prélat et en mêmetempsun
humaniste. Autant que les livres saints et les Pères, il pratiqua
les poètes latins de l'époque classique et aussi les plus récents. Ce
fut au viie siècle un artiste en style, artiste ensemble barbare et
raffiné. Il est curieux de le voir faire entrer dans son latin les
procédés de la rhétorique anglo-saxonne. L'allitération s'y ren-
contre avec une abondance amusante. Surtout il y transporte le
goût des images et des périphrases. C'est aux dames, aux reli-
gieuses, qu'il s'adresse d'habitude et il met pour elles dans ses
discours une singulière coquetterie. Ce qu'il dit, c'est en prose
YÉloge de la Virginité, ou en hexamètres l'Éloge des Vierges. Si
son latin a une correction grammaticale rare en cette fin du
viie siècle, il révèle l'origine du poète par l'excès du ses lourds
ornements, la violence et le nombre de ses métaphores,
le principe de matérialiser toute abstraction. Il dira : le collier
d'or des vertus, les blancs joyaux du mérite, les fleurs pourpres
de la modestie, la blancheur de cygne de la vieillesse, etc. Il
parlera de « l'ouverture des portes de la muette taciturnité, »
« des lampes brillantes de la chasteté où brûle l'huile de la
modestie, » «de l'immonde égoût de l'impureté qui engloutit
déplorablement les vaisseaux de l'âme, » «du bastion de la foi
catholique ébranlé par les balistes des arguments séculiers et
renversé par les béliers de l'atroce ingéniosité. »Ces images sont
la trame même de sa prose. On retrouve les mêmes caractéris-
tiques, mais moins choquantes, dans ses vers. Ses énigmes, inter-
médiaires entre celles de Symposius et les énigmes anglo-
saxonnes dont il sera parlé plus loin, sont ingénieuses et parfois
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jolies. Non moins par son goût de l'énigme que par sa passion
pour les métaphores, le latiniste Aldhelm trahit son origine.
Le grand latiniste de Northumbrie, le vénérable Beda, pré-
sente avec Aldhelm un saisissant contraste. Quoi que l'on pense
de son goût, Aldhelm est surtout un artiste; la manière est chez
lui supérieure à la matière. Tout autre Beda (672-735). Cet Angle
élevé dans l'abbaye de Wearmouth et qui passa tout le reste de
sa vie au monastère de Yarrow, fut de son temps le plus savant-
théologien et le meilleur historien de la chrétienté. Il résume et
absorbe en lui la culture d'une époquedéshéritée sur le continent.
La variété de ses connaissances et de ses curiosités se marque
aux sujets de ses principaux ouvrages : un traité de métrique, une
histoire naturelle, une chronologie universelle calculée sur l'ère
chrétienne et fondée sur de sérieuses études astronomiques, un
martyrologe, des vies des abbés de Wearmouth et de Yarrow,
une vie de Saint-Cuthbert, et surtout une Histoire ecclésiastique
des Angles.
Les plus intéressants pour nous sont ses ouvrages historiques
ou biographiques. Ce qui les distingue c'est l'honnête amour de
la vérité, la recherche diligente des documents. Sa conception
et sonstyle sont impersonnels, clairs et simples, bien au-dessus du
niveau des contemporains. C'est par l'intelligence qu'il lesdomine.
Il nous renseigne sur les faits et interprète les mœurs. SonHistofre
ecclésiastique reste le principal guide pour les temps primitifs
qu'il retrace, du point de vue religieux, depuis la conquête de
Jules César jusqu'en 731, quatre ans avant la mort de l'auteur.
La conversion, la lutte entre l'Église romaine et l'irlandaise, le
triomphe final de la première, en sont les principaux thèmes.
Mais on a trop exclusivement loué enBéda l'historien et le savant.
Son extrême simplicité qui fait si grand contraste avec les arti-
fices d'Aldhelm, la faiblesse des vers latins qu'il a laissés, ont nui
à sa réputation littéraire. Or, c'est chez lui, plus que chez aucun
des latinistes anglo-saxons et plus aussi que chez les poètes en
langue vulgaire, qu'il faut chercher la poésie et le charme, comme
lesens, decette époque de ferveur chrétienne primitive. C'est dans
ses vies des saints et des abbés, c'est dans son Histoire ecclésias-
tique, qu'on en aspire le plus intime et le plus pénétrant parfum.
Les faits directement contés, avec le merveilleux de naïves
croyances qui les revêt, ont une éloquence bien supérieure à
celle de toutes les effusions et paraphrases des poètes eux-mêmes.
D'ailleurs Beda comme Aldhelm cultivait le vers national et
sa lucide raison en pouvait interpréter l'esprit. Toute l'épopée
dite caedmonienne pourrait être sacrifiée de préférence aux
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quelques pages nues où Beda nous dit commentle pauvre paysan


Caedmon reçut l'inspiration. Tous les vers réunis de Cynewulf
payeraient mal la scène suivante, si souvent citée et qu'il faut
citer toujours. Il s'agit de la conversion dela Northumbrie en 633.
iEduin, roi de Northumbrie, et ses nobles sont sollicités d'em-
brasser le christianisme. C'est alors qu'un des nobles s'exprime
ainsi :
«La vie présente de l'homme en ce monde, ôroi, est, en compa-
raison du temps qui est inconnu, comme quand vous êtes assis
à table avec vos capitaines et vos leudes dans la saison d'hiver,
le feu flambant au milieu de la salle réjouie par la chaleur, pen-
dant que les rafales font rage partout au dehors et chassent la
pluie et la neige. Un moineau entre et vole vivement à travers la
salle, entrant par une porte et sortant par une autre. Aussi long-
temps qu'il est à l'intérieur il est abrité de la tempête, mais dès
que ce calme momentané est passé, l'oiseau retourne au froid
comme auparavant et on le ne voit plus. Ainsi la vie humaine est
visible pour un temps; mais de ce qui suit ou de ce qui a précédé
nous ne savons absolument rien. Si donc cette nouvelle doctrine
offre quelque chose de plus sûr, elle semble mériter d'être suivie. »
Rien ailleurs n'atteint à cette justesse dans l'ampleur. L'image
est grande autant que familière, précise quoique mystérieuse,
Shakespeare n'en aura pas de plussaisissante ni qui donne mieux
le sentiment de l'étrangeté de la vie. On en chercherait en vain
l'équivalent dans toute la poésie anglo-saxonne.
C'est un fait caractéristique, quoique d'importance indéter-
minée, que Beda fut le disciple des moines irlandais installés à
Wearmouth et à Yarrow. La pieuse simplicité de mœurs qui
régnait dans ces monastères et qui était leur œuvre, lui demeura
toujours chère. Bien que rallié à l'Église de Rome, il ne pourra
se tenir de regretter la douceur des temps de sa jeunesse, et il
est difficile de ne pas attribuer aux Celtes ou aux Gaëls qui furent
ses maîtres une part importante dans la formation de son noble
esprit. Du même coup se pose la question insoluble de l'influence
secrète de l'esprit celtique sur tout ce que nous possédons de
poésie anglo-saxonne.
C'est encore de Northumbrie qu'est sorti l'illustre Alcuin
(730?-804), celui qui devait être à partir de 790 le collaborateur
de Charlemagne. Il avait été élevé à York. La Northumbrie
donna ce grand clerc à la France alors retombée dans la barbarie.
Alcuin quitta sa patrie au moment où allait s'éteindre la première
civilisation des Angles, car les Danois y commençaient leurs
terribles invasions, ruinant monastères et centres de savoir.
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Bien que la partie historique de sa vie s'écoule chez les Francs,


Alcuin resté dans son pays jusqu'à soixante ans représente la
culture et l'esprit des Angles, et il les représente avec éclat.
Moins correcte que n'avait été celle d'Aldhelm, sa poésie latine
est plus personnelle. Elle est parfois d'un bel accent. Il a des
distiques émus pour dire adieu à sa cellule monacale avant de la
quitter pour la Cour, et elle semble vraiment mériter ses regrets
cette cellule ouverte sur un verger fleuri et sur de vertes pelouses
au bord d'une rivière. Il soupire en songeant qu'un autre l'occu-
pera et qu'il n'y pourra plus mé'diter ses vers. Mais n'est-ce pas
le sort de cemonde où toute chose est fugitive?
Son œuvre contient beaucoup de vers adressés à Charlemagne
qu'il célèbre sous le nom de David ou qu'il compare à Homère,
lui-même se désignant sous le nom de Flaccus (Horace). Mais
c'est surtout sa prose qui nous intéresse. Elle est d'un éducateur
qui résume en des manuels toutes les connaissances. Alcuin
présente la grammaire, la rhétorique, la dialectique, etc., sous
forme de dialogue ou de catéchisme avec questions et réponses.
Tantôt le dialogue est entre un jeune Saxon et un jeune Franc,
le premier instruisant le se.cond; tantôt entre Alcuin et Charle-
magne lui-même; tantôt entre Alcuin et son élève Pépin, fils
de l'Empereur. Le tour en est souvent très voisin de l'énigme
et témoigne du goût vif des Anglo-Saxons pour cet exercice ingé-
nieux. Les réponses sont presque toujours des périphrases ou
des métaphores. Rien ne prépare mieux à comprendre la poésie
anglo-saxonne qu'un extrait quelconque de ces dialogues où c'est
l'élève qui interroge :
■«Qu'est-ce que le corps? —Le logis de l'esprit.
Qu'est-ce que les cheveux? —Les vêtements de la tête.
Qu'est-ce que la barbe? —La distinction des sexes; l'insigne
de l'âge.
Qu'est-ce que les yeux? —Les guides du corps, les vaisseaux
de la lumière; les indices de la pensée. "
Quelquefois l'imagination se fait non seulement curieuse, mais
riche et belle :
«Qu'est-ce que le soleil? —La splendeur du monde; la beauté
du ciel; la grâce de la nature; l'honneur du jour; le distributeur
des heures.
Qu'est-ce que la mer? —Le sentier de l'audace; la borne de
la terre; la séparatrice des régions; le réceptacle des rivières;
la fontaine des averses.... »
Substituez la langue vulgaire au latin et nulle différence
n'existe entre ces définitions didactiques et le style de la poésie
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anglo-saxonne. Alcuin comme Aldehlm a transporté dans son


latin le tour d'esprit, ensemble imaginatif et un peu puéril, de ses
compatriotes. Si les grands clercs que nous venons d'énumérer
n'ont pas laissé de vers indigènes —ceux qu'ils ont écrits sont
presque tous perdus, —ils sont à peine moins représentatifs de
l'esprit des Anglo-Saxons que les écrivains en langue vulgaire.
C'est dans le voisinage de ces hommes, par eux-mêmes peut-être
ou par d'autres clercs semblables à eux, mais restés anonymes,
qu'ont été rédigés, ou tout au moins remaniés et épurés, les
poèmes qui nous sont parvenus.
C'est avec le christianisme que semblent s'être introduits les
caractères d'écriture romains, se substituant aux runes que les
Germains gravaient sur les monuments ou dont ils se servaient
pour correspondre brièvement entre eux,mais qu'ilsn'employaient
sans doute pas à conserver par écrit les vers de leurs poètes, les
gleemen ou scops. Il en résulte que les clercs sont partout les
intermédiaires entre les souvenirs de l'époque païenne et nous,
et que ce que nous appelons littérature anglo-saxonne a subi
l'inévitable influence du latin et n'a guère pu subir que celle-là.
C'est une littérature où il est rare de trouver et dangereux de
chercher l'expression directe et réaliste du génie national pur,
tel qu'il était avant d'être modifié par le christianisme.
Littérature rédigée par des clercs, mais des clercs dont les
pères furent des guerriers, des vikings, et chez lesquels les tradi-
tions de l'époque belliqueuse survivent toutes proches. Le mot
de bataille, la pensée d'une prouesse, éveillent en eux des ardeurs
irrépressibles. Il leur faut peu d'effort pour évoquer les mœurs
et les scènes d'un passé si récent. Les vocables d'une langue
restée la même, les accents d'un vers qui n'a pas changé, les combi-
naisons de mots et les images que ramène inévitablement l'alli-
tération, les reportent souvent au temps des aventures sur terre
et sur mer, les induisent à conserver des fragments transmis
par la tradition orale. Aussi leur poésie, même celle qui est toute
chrétienne, est-elle pleine de réminiscences, d'échos de leur
paganisme. Moins dominée que leur prose par le latin, alors
même qu'elle reproduit les livres saints, elle les déforme et
reforme selon ses traditions. Elle repense les textes sacrés et se
les interprète en termes nationaux; elle revêt du heaume et
couvre du bouclier de bois de tilleul les guerriers bibliques. Elle
fait voyager les saints méditerranéens sur des mers grises et
glaciales. Elle pose sur la Palestine le ciel bas et pluvieux du
septentrion et peuple la terre sainte de loups, ses airs de corbeaux
et de cygnes sauvages. Aussi sera-t-elle un continuel contresens.
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Mais en revanche, lorsqu'elle croira traduire, elle recréera sans


cesse, changeant décors et personnages. Son inexactitude même
sera vivante et en partie originale.
Tel sera le caractère général de cette littérature, chrétienne
en son fond, mais çà et là restée païenne par le sentiment et
partout nationale par la forme.

4. LÀ POÉSIE ANGLO-SAXONNE. SES SOURCES MANUSCRITES.


SES CARACTÈRES GÉNÉRAUX1.
La manière dont les textes littéraires anglo-saxons nous sont
parvenus est significative. Laissant de côté les œuvres docu-
mentaires et pratiques, historiques ou religieuses, chroniques,
textes de lois, homélies, traductions diverses, quatre manuscrits
attribués au xie siècle nous donnent à peu près toute la littéra-
ture originale, laquelle est exclusivement poétique. C'est d'abord
le manuscrit dit Junius (du nom de l'érudit, ami de Milton,
qui le légua à la Bodléienne d'Oxford), où sont renfermées les
paraphrases de la Bible connues sous le nom de poèmes caedmo-
niens. C'est le Codex Exoniensis donné au xie siècle par l'évêque
Léofric à la cathédrale d'Exeter, à peu près oublié jusqu'en
1826, et qui contient un curieux mélange de poèmes pieux, de
pièces lyriques ou élégiaques semi-païennes, d'énigmes et de vers
gnomiques. C'est le manuscrit du British Museum où sont étran-
gement associés Beowulf et le fragment biblique de Judith, et
qui ne fut connu qu'à la fin du XVIIIe siècle. C'est le manuscrit
découvert en 1832 dans la bibliothèque du chapitre de Verceil,
dans l'Italie du Nord, et qui nous offre des poèmes exclusivement
religieux, surtout des vies versifiées de saints. Ajoutez à cela
1. Presque tous les poèmes anglo-saxons sont réunis dans la Bibliothek der
angelsàehsisehen Poesie, de C. W. M. Grein. 4 vol. (1857-1864). Les deux premiers
volumes contiennent les textes, les deux derniers le glossaire. Revisé en 1883-98
par R. P. Wulker (Leipzig). — En cours de publication, par G. P. Krapp et
E. v. K. Dobbie : The Anglo-Saxon Poetic Records (1931-) remplacera le précédent
ouvrage.
Traductions : en vers allitératifs dans Old English Poetry, de J. D.Spaeth (Prin-
ceton, 1922) — en prose dans Anglo-Saxon-Poetry, de R. K. Gordon 1927.
Etudes : G. K. Andcrson, The Literature oj the Anglo-Saxons, New-Jersey,
1949; Ch. W. Kennedy, The Earliest English Poetry, Oxford, 1943 (excellentes
traductions en anglais moderne); W. P. Ker. 1° The Uark Ages, 1904; 2° Epie
and Romance, 1897; E. Poïis, Le thème et le sentiment de la nature dans la poésie
anglo-saxonne (Strasbourg, 1925). Pour la langue : René Huchon, Histoire de la
langue anglaise, 1er vol. 1923.
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sur des feuilles de parchemin retrouvées plus récemment encore.


deux courts fragments en vers, dont l'un a pour sujet la Bataille
de Finnburg et l'autre un épisode de la vie de Waldhere, ou
Gauthier d'Aquitaine. En dehors de l'important fragment de la
Mort de Byrhtnoth (ou Bataille deMaldon) publié en 1726 sur un
manuscrit aujourd'hui perdu, c'est là presque tout ce quiconstitue
là poésie connue des Anglo-Saxons et c'est sur ces textes qu'on
peut essayer d'établir les traits dominants de cette poésie qui
est à la fois très caractérisée et très uniforme.
La forme en était déjà fixée quand furent rédigés les premiers
textes connus. Ce que nous possédons ne représente guère que
l'ossification de la poésie primitive. Les plus anciens monuments
n'émergent qu'après que la versification et la rhétorique eurent
été définitivement constituées. Dès ce moment, tous les sujets,
chrétiens ou païens, épiques ou personnels, grands ou petits,
que ce soit le récit de la Création ou une énigme sur le râteau,
revêtent le mêmecostume. Tousportent des ornements identiques
et ont la même allure. La voix s'y enfle de pareille force. L'effet
produit sur les sens et sur l'imagination ne varie guère.
1° Le plus profond élément, le plus général aussi, de toute
poésie, est à chercher dans la langue. Par ses qualités comme par
ses manques, la langue détermine d'avance le champ de la poésie,
ses victoires et ses échecs, et cela est presque indépendant du
génie personnel des poètes qui l'emploient. Le rôle de ceux-ci
consiste surtout à saisir habilement les ressources offertes. Les
mots ont une valeur expressive particulière en dehors ou en sus
de leur sens. Sans doute la force d'association des idées est telle
que nous pouvons généreusement prêter à un mot une énergie
ou une grâce, une clarté ou un mystère que rien dans sa simple
énonciation ne fait pressentir. Il n'en reste pas moins que là
où le sens et le son s'harmonisent, le maximum d'évocation est
atteint. On pourrait ainsi, exprimant l'essence de la langue
anglaise, dire qu'en ses éléments teutoniques elle excelle, si on
la compare à la nôtre, aux coups de vigueur et lui cède pour les
émissions de voix mélodieuses. Nous nommons faiblement la
force que l'anglais avec son unique voyelle étranglée entre sept
consonnes musculeuses appelle si bien strength (anglo-saxon
strengtho). D'autre part auprès de notre mot oiseau où une
seule consonne gazouille entre de douces voyelles et diphthongues,
le mot bird (ags. bridd) paraît bien insignifiant.
Or le caractère premier de l'anglo-saxon est dans la préémi-
nence des consonnes. Non seulement les syllabes nous appa-
raissent ayant en tête une consonne ou un groupe de consonnes
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(h, sp, st, str, hr, thr, etc.) mais ces consonnes sont la partie vitale
de la syllabe. Elles ne sont pas tranquilles; elles font explosion,
et leur fracas assourdit les voyelles voisines. Comme ce trait
subsiste, il suffit de faire prononcer aujourd'hui n'importe quel
mot français par un gosier anglais pour le sentir. Donne devient
ddonne, plaine devient pplaine, etc. C'est cette valeur de la
consonne initiale qui, combinée avec l'accent tonique lequel
met en relief dans le mot la syllabe radicale, et avec l'accent
oratoire (emphasis) qui souligne dans la phrase le mot essentiel,
a constitué la loi de la versification anglo-saxonne. L'insignifiance
relative des voyelles se marque à la règle suivant laquelle les
allitérations ou répétitions de consonnes initiales peuvent être
remplacées par des sons 'de voyelles lesquelles n'ont pas besoin
d'être identiques. C'est qu'en pareil cas ce n'est pas le son de la
voyelle qui importe, c'est l'absence de la consonne. L'effet est
produit par l'adoucissement momentané du vers.
Le vers normal se compose d'un nombre indéterminé de
syllabes divisées en deux sections. Dans chaque section se doivent
trouver deux accents rythmiques. Le retour de la même consonne
(ou du même groupe de consonnes) en tête des deux syllabes
accentuées de la première section, et de la première syllabe
accentuée de la seconde section, forme l'allitération. Ex. :
steap stanlitho —stige nearwe (Beowulf, II. v. 159.)
Steep stone slopes, paths narrow.
(de) roides flancs-de-roc, (des) sentiers étroits....
Il arrive d'ailleurs souvent qu'une seule allitération existe
dans la première section.
2° Si le principe du vers est l'accent combiné avec l'allitération
et si les deux s'appuient sur l'éminente valeur des consonnes,
le style, la construction de la phrase poétique, relèvent d'un
autre trait du langage.
A la différence de l'anglais moderne qui est une des langues
les plus analytiques, les plus dénuées de flexions, l'anglo-saxon
exprimait les changements de temps, de nombre ou de personne
au moyen, soit de modifications dans les voyelles du radical,
soit de terminaisons variées. Doté de quatre cas pour chacun
des deux nombres, de plusieurs déclinaisons du nom, de deux
déclinaisons de l'adjectif, de multiples conjugaisons du verbe,
il était presque aussi synthétique que le latin. Sa syntaxe était
celle d'une langue à inflexions; elle offrait une grande complexité
dans l'emploi des cas et une large liberté dans l'arrangement
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des mots. Cette liberté de la construction est aujourd'hui pour


l'Anglais un dés étonnements que lui cause la vieille langue. En
poésie elle eut pour effet de soumettre strictement la place des
mots aux besoins du vers allitératif ou aux exigences de l'accent
oratoire. Les appositions séparées et disjointes y abondent,
sortes de vocatifs superposés.
Il est impossible, même à la traduction la plus littérale, de
répéter dans une langue analytique comme l'anglais ou le fran-
çais, sans ajouter des liens ou sans tomber dans l'inintelligible,
les saccades de ces phrases. Il y a dans l'original quelque chose
de plus brusque et de plus coupé que ne comporte notre syntaxe,
3° Toutefois la faculté de la langue qui a le plus influé peut-être
sur la rhétorique des poètes anglo-saxons est celle de créer des
mots composés. L'anglo-saxon a le caractère d'une langue primi-
tive où les suffixes et préfixes grammaticaux, —servant à faire
passer les mots d'une classe dans une autre, à convertir un nom
en adjectif, un verbe en nom, etc. ou à faire de deux noms un
nom nouveau, mais ayant d'ailleurs perdu eux-mêmes tout sens
indépendant et visible, —sont encôie rares. Dans beaucoup de
cas les éléments constitutifs du dérivé ou du composé se voient
encore clairement dans le mot où ils se combinent et y gardent
leur sens distinet. Crucifiersedit attachersur lacroix(rod-faestnan) ;
un boucher est un abatteur de bétail (hrith-heawere) ; l'annulaire
est le doigt à anneau (hring-fmger); un lettré est un savant en
lettres (staef-cræftig). On passe par d'insensibles transitions des
mots qu'emploient le langage courant et la prose à ceux que
les poètes forgent en vue d'un effet et il est souvent difficile de
déterminer ceux qui sont strictement poétiques. La prose d'Alfred
nous donne aefter-genga, celui qui vient après, le successeur;
aerend-gewrit, l'écrit pour message, la lettre; cynestol, le siège
du roi, le trône. On ne voit rien là qui diffère beaucoup d'autres
composés rencontrés chez les seuls poètes : eard-stapa, celui qui
marche sur la terre, le voyageur; breost-nett, le réseau de la
poitrine, le corselet; death-reced, la chambre de la mort, la tombe;
ban-hring, le cercle d'os, la vertèbre, etc.
De la langue, ce procédé passe dans l'esprit. Même écrivant en
latin, les Anglo-Saxons développent leurs idées par périphrases
accumulées. Leurs poètes ont fait un usage étendu de la facilité
que leur offrait le langage. Ce qui marque leurs composés, c'est
qu'ils ne sont pas là par nécessité, faute d'un terme simple,
mais par ornement, soit afin de faire apparaître une des qualités
de l'objet et de la mettre en évidence, soit le plus souvent pour
le plaisir, ou encore en vue de l'allitération. Le corps est la
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chambre des os; le cœur la chambre du trésor; la pensée le trésor


de la poitrine; la poitrine l'enclos du cçeur. Le guerrier est l'homme
au corselet, le porteur de lance, le combattant à épée. Le marin est
le voyageur des flots. L'armure est l'habit du guerrier, la chemise
de bataille. L'homme est l' habitant de la terre, le porte-parole, etc.
Beaucoup des coutumes ou croyances primitives nous sont
révélées par ces synonymes poétiques. Le chef ou roi est le
donneur de beags (les « beags » sont des anneaux qui servent
à la fois d'ornement et de monnaie) ; il est le donneur d'or, le donneur
de trésors. La salle du festin est la salle à hydromel, la salle à vin,
ou encore la salle à toit. Les guerriers sont les porteurs de tilleul
(c'est-à-dire de boucliers en bois de tilleul).
De nombreux composés témoignent de l'enthousiasme belli.
queux des Anglo-Saxons. La bataille est le jeu des tranchants,
le conflit des lances, le craquement des bannières. L'épée est l'éclair
de la bataille; le sang est la sueur de guerre, le flux du carnage.
Les éléments et les phénomènes naturels ne fournissent pas
moins de composés que la guerre. La mer est le chemin des voiles,
la route de la baleine, le sentier du cygne; le déluge est le voyage
des vagues; la brume est le heaume de Vair\ les ténèbres sont le
heaume de la nuit, etc.
Souvent s'accumulant sur le mot simple ces composés font
un effet de lourde joaillerie barbare. Caedmon a bien une trentaine
de synonymes pour désigner l'arche de Noë. Le poète semble
d'autant plus satisfait qu'il en a rassemblé davantage. Beaucoup
de leurs poèmes font penser aux litanies de la Vierge : « Rose
mystique, Tour de David, Tour d'ivoire, Maison d'or, Arche
d'alliance, Porte du Ciel, Étoile du matin, etc. » qu'on serait
tenté d'attribuer par analogie à quelque clerc anglo-saxon.
Le poète ne dit pas « quand vint le soir, » mais :
« Quand la gemme du ciel, le flambeau de joie des hommes,
déclinait vers l'ouest, le brillant soleil céleste se hâtant vers le
lieu de son coucher. » (Saint-Guthlac, v. 1212.)
Souvent les composés ou les périphrases désignent seuls l'objet
qui reste à deviner : les joyaux de la tête; comprenez les yeux;
levêtement dechair, comprenez le corps ;les habits du brave, entende?
l'armure, etc. De là une sorte de plaisir poétique qui consiste
à faire deviner l'objet par un de ses attributs. Ce procédé qui
s'appelle le « Kenning » conduit à l'énigme et on trouve naturel
que cette poésie compte des recueils d'énigmes parmi ses plus
intéressantes productions.
A ces constantes périphrases se borne presque toute la rhéto.
rique des Anglo-Saxons. La métaphore brusque condensée en un
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mot composé abonde chez eux. La comparaison suivie et étendue


n'est guère leur fait. C'est que celle-ci est faite ensemble d'ima-
gination et de raisonnement. Elle choisit dans les objets des qua-
lités semblables et les suit parallèlement. Elle implique la posses-
sion de soi de l'artiste et veut du calme. Elle est rare dans la
passion, inadmissible sans la culture. On ne rencontre guère
dans la poésie anglo-saxonne que métaphores rapides et heurtées,
non encore amplifiées et fondues en un harmonieux tableau.
Si accentués sont les caractères de la langue, du vers et du style
que tous les poèmes en prennent un air de ressemblance et
n'échappent pas à la monotonie. Il y a peu de nuances dans
la voix des poètes, point d'alternatives de solennité et de légèreté.
La joie pèse chez eux aussi lourd que la tristesse. Leur ironie
est brutale comme un coup de massue. La forme traditionnelle
et le vers unique, qui donnent à chaque poème particulier un
air de grandeur, emprisonnent d'autre part et restreignent l'ini-
tiative individuelle. A peine aperçoit-on dans les trois siècles
connus de littérature anglo-saxonne aucune approche vers cette
différenciation des genres qui est le signe de la vitalité et du
progrès. L'unité épique de l'allure et du ton fait d'abord impres-
sion, puis fatigue par sa tension continue. Le caractère péri-
phrastique dont elle s'accompagne, s'il enrichit le style, le sur-
charge et souvent l'obscurcit. C'est indéniablement une forme
poétique néanmoins, forte et impressionnante. Il reste à voir la
valeur des thèmes qui ont revêtu cette forme.
5. LES POÈMES RELATIFS ALÉ ' POQUE PRÉ-CHRÉTIENNE :
WIDSITH, DEOR, BEOWULF.
Les poèmes anglo-saxons où se sont conservées des traditions
de l'époque païenne sont à la fois les plus beaux en soi et les
plus intéressants pour nous. Après ce qui a été dit, il ne faut pas
s'attendre à y trouver jamais une peinture directe des temps
pré-chrétiens, puisqu'ils furent rédigés ou remaniés à quelque
moment entre le VIlle et le xe siècles, par des clercs sachant le
latin, pénétrés de la morale du christianisme et en contact avec
quelques-uns des modèles de la littérature gréco-romaine. Mais
chez leurs auteurs subsiste la passion des anciennes aventures,
le souvenir de la vie farouche des ancêtres, de leurs légendes
et de leurs vers. L'état d'esprit de ces poètes n'est pas sans ana-
logie avec ce quele xixe siècle a connu sous le nomderomantisme.
Ils caressent de loin avec mélancolie, à travers leurs sentiments
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épurés, le rêve de ce que fut le passé. Ces civilisés retournent en


esprit vers la barbarie en l'imprégnant de leurs sentiments
moraux. Ils font quelque chose de semblable à ce qu'avait fait
un Virgile retraçant noblement l'enfance de Rome, ou que fera
un Tennyson épurant la perverse légende arthurienne. Souvent
ils retouchent des vers parvenus, sans doute oralement, jusqu'à
eux; ils y suppriment ce qui choque,leur conscience; ils y insèrent
des enclaves ou y ajoutent des conclusions édifiantes.
Les poèmes courts de Widsith et de Deor lèvent un coin du
voile qui recouvre le passé. Ils se présentent comme les chants
de deux « scops » ou poètes qui auraient vécu sur le continent
en des âges déjà fabuleux. Widsith (le grand voyageur) a beau-
coup erré de tribu en tribu et il énumère les princes qui lui firent
des présents. Parmi ceux-ci figurent Eormenric, roi des Goths,
Attila, roi des Huns, Albouin, roi des Lombards, et, comme du
premier au dernier il s'est écoulé plus de deux siècles, du milieu
du IVe au second tiers du vie, il est apparent que Widsith n'est
pas un être historique, mais un type de scop imaginé après coup
pour rassembler des noms fameux dans l'histoire ou la légende.
L'énumération des tribus germaniques est précieuse pour la
géographie historique; quant à l'attrait littéraire, il est presque
tout dans le lustre des nomspropres et la suggestion qu'ils tendent
à l'esprit. Hrothgar que nous retrouverons dans Beowulf et
Hagen illustré dans les Niebelungen figurent dans Widsith. Le
poème nous donne une idée des chanteurs errants qui allaient
de cour en cour et célébraient les louanges des princes dont ils
recevaient ou attendaient des libéralités. Il dit en terminant :
« Ainsi errants, les c gleemen » (les hommes d'allégresse, les
harpistes) suivant leur destin vont par les pays de beaucoup
d'hommes;ils font savoir leurs besoins et profèrent des paroles
de merci. Ils trouvent toujours, au Nord ou au Midi, quelqu'un
qui se connait au chant, qui n'est pas avare de cadeaux, qui
désire voir exalter sa gloire devant ses guerriers et répandre sa
valeur avant quetoutes chosesnedisparaissent,lalumièreetlavie. »
La Plainte de Deor est l'effusion d'un scop plus sédentaire et
moins heureux que Widsith, disgracié par son seigneur qui lui
a préféré un rival, mais se consolant de ses maux en songeant à
l'inconstance ordinaire de la fortune. Il rappelle les héros et les
dieux à qui les tribulations ne furent pas épargnées et conclut
chacune de ses strophes (c'est le seul poème anglo-saxon qui ait
ce caractère strophique) par une manière de refrain :
Cette infortune a pris fin, ainsi pourra finir la mienne.
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Mais l'unique poème qui tente d'offrir un large tableau de


l'époque primitive est le Lai deBeowulf 1. Par sa rédaction c'est
la plus ancienne des épopées du monde teutonique. Par la partie
historique du sujet, ce poème nous reporte à la première moitié
du vie siècle. Il y est parlé de la défaite que les Francs infligèrent
aux Goths conduits par Hygelac (le Cochilaicus de Grégoire de
Tours), vers 512-520. Dans ce combat se serait distingué par sa
force et sa vaillance, dans l'armée des vaincus, le jeune guerrier
Beowulf.
Ni dans le sujet ni dans les personnages, il n'y a rien de pro-
prement anglo-saxon. Non seulement il n'y est pas question de
l'île de Grande-Bretagne où les Anglo-Saxons s'établirent dès le
ve siècle, mais ces pays voisins de l'Elbe où ils vivaient préala-
blement n'y sont pas mentionnés. La scène se passe tour à tour
dans l'île danoise de Seeland et dans le pays des « Geats »ou
Goths, au Sud de la Suèdeactuelle. Lehéros Beowulfest un Geat.
Ce n'est donc pas une épopée nationale; même si l'on tient
compte de la communauté originelle des tribus, il est impossible
de.ne pas remarquer que vers le moment où un poète anglo-saxon
ignoré commémorait ses anciens frères de Scandinavie, ceux-ci
restés païens commençaient leurs redoutables descentes sur les
rivages de la Grande-Bretagne et faisaient souffrir aux Anglo-
Saxons les mêmes maux que ces derniers avaient naguère infligés
aux Bretons. Onest doncamenéàse demander siBeowulfneserait
pas une adaptation en anglo-saxon d'une légende Scandinave.
La tentation est d'autant plus grande qu'on retrouve dans la
saga islandaise de Grettir les incidents principaux de l'histoire
de Beowulf, le tueurde monstres. Mais d'autre part il est manifeste
pour quiconque a lu les sagas du Nord en prose et en vers, que
Beowulf en diffère singulièrement par le ton et l'allure du récit,
par l'adoucissement des caractères farouches, par la tendance
morale dominante, par l'absence de ces étrangetés violentes
qu'offre la littérature septentrionale. Non moins que la langue,
le sentiment et l'imagination le font au contraire très rapproché
des autres poèmes anglo-saxons que nous possédons. Œuvre
mixte en somme et quelque peu artificielle, étrangère par le
fond, nationale par la forme.
1. Éditions : F. Klaeber (3e éd., Boston, 1936); W.J. Sedgefield (3e éd., Manches,
ter, 1935); A. J. Wyatt (3e éd., revue par R. W. Chambers, Cambridge, 1925).
Traductions en prose anglaise moderne : J. R. Clark Hall (éd. rev. 1950) — en
1vers : F. B. Gijmmere (New-York, 1909) — en français : Walter Thomas (1919).
Études : R. W. Chambers, Beowulf, An Introduction to the Study of the Poem
(2e éd., Cambridge, 1932); J. Hoops, Kommentar zum Beowulf (Heidelberg, 1932);
Walter Thomas, L'épopée anglo-saxonne (1924).
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Un mélange analogue se montre dans les éléments constitutifs


dupoème : par certains épisodes et surtout par la gravité soutenue
et noble du ton, Beowulf se présente comme un poème historique.
Cependant les incidents qui en forment l'intrigue sont roma-
nesques et surnaturels. C'est comme une Iliade qui au lieu
d'Achille aurait Hercule pour héros et pour thème ses triomphes
sur des monstres, cependant qu'autour du héros des êtres et des
scènes pris dans la simplicité de l'histoire vraie formeraient le
cadre du récit. La discordance est saisissante entre le réalisme
de certaines peintures, festins décrits, rites funéraires encore
païens, et l'idéalisme obstiné qui transforme peu à peu le lutteur
aux bras vigoureux en une sorte de saint et présente une cour
royale utopique où l'on n'entend guère que nobles sentiments,
que conseils de modestie et de sagesse. Les futurs romans de
chevalerie et d'aventure se laissent pressentir dans Beowulf et
pourtant jamais le poète ne quitte le ton noble de l'épopée et
ne paraît condescendre à flatter la curiosité.
Car toutes les disparates que révèle l'analyse se fondent dans
le mouvement et le style du poème. Malgré de graves défauts
de construction, car il y a là non pas une, mais trois histoires
successives; malgré un thème monotone et quelque peu puéril,
l'œuvre est d'un artiste. Elle a une dignité soutenue, une marche
régulière et un peu compassée, si on la compare aux poèmes de
Scandinavie, qui a conduit quelques critiques à se demander si
ces caractères ne seraient- pas dûs à l'influence antique.
Beowulf vient avec quelques vaillants Geats au secours du
roi des Danois Hrothgar dont le palais de Heorot est désolé par
les attaques nocturnes du monstre Grendel, dela race des«eotens »
ou ogres géants issus de Caïn, qui chaque nuit arrive de son
repaire dans les marécages au pied des falaises, pour se saisir
de quelqu'un des compagnons du roi et faire de lui sa pâture.
Dans un terrible combat corps à corps, Beowulf arrache l'un des
bras du monstre qui blessé à mort s'enfuit pour mourir dans sa
tanière. Tout est à l'allégresse de la victoire et de la délivrance.
Mais la mère de Grendel venge son fils. Elle recommence les
attaques contre Héorot, et Beowulf résout de l'aller combattre
dans le lieu où elle habite. Il plonge à sa poursuite dans les eaux
d'un lac sinistre et se bat avec elle dans la caverne où elle vit
sous les eaux. Sur le point d'être terrassé, il s'empare d'une
épée magique suspendue au mur, la plonge dans le corps de la
bête effrayante et rentre en triomphe dans Héorot rapportant
la tête gigantesque de Grendel alors que les Danois le croyaient
déjà victime de son audace.
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Beowulf devenu roi des Geats a régné glorieusement sur eux


pendant cinquante années Mais alors un dragon gardien d'un
antique trésor d'où quelques joyaux ont été dérobés, entre en
fureur et se met à dévaster les états du roi. Son souffle enflammé
et pestilentiel brûle tout sur son passage. Beowulf sauvera son
peuple en allant tuer le dragon. Mais lui-même est mortellement
atteint dans le combat par la dent empoisonnée de son ennemi.
Beowulf meurt noblement, réconforté par la pensée qu'il s'est
sacrifié à ses sujets et qu'il leur lègue l'incomparable trésor
naguère gardé par le dragon. Mais il a été abandonné dans la
lutte par tous ses thanes sauf un seul et de grands maux sont
prophétisés aux Geats privés de leur roi.
Les travaux de Beowulf sont loin, on le voit, de l'ingénieuse
variété de ceux d'Hercule. Les monstres qu'il combat sont tous
également effroyables et indistincts. L'épouvante vient du mystère
mêmede leur forme, de la nuit quilesenveloppe,deslieuxsinistres
où ils habitent. La description des marécages où vit la mère de
Grendel est peut-être le plus fameux passage du poème. Une
sombre imagination a collaboré avec la tristesse d'un paysage
septentrional pour peindre ce puissant tableau. Mais la tristesse
n'est pas seulement répandue sur la nature. Elle est diffuse et
partout présente. Elle se retrouve en manière d'élégie dans
l'épisode où nous est contée l'origine du trésor enfoui par le dernier
survivant d'une fière famille et qui est devenu la possession du
dragon. Elle est perceptible même dans l'ivresse des combats
farouches et dans les victoires du héros. Le néant de la vie, du
courage et de la gloire, y est sans cesse signifié. Beowulf est de
tout point un héros; il est l'idéal de la force active mise au service
du bien et triomphant du mal. Et pourtant la lecture du poème
est loin de produire l'effet d'énergie fortifiante qu'on enattendrait.
Cette glorification de l'entreprise hardie laisse un goût amer ou
tout au moins une impression d'universelle mélancolie. La vie
y apparaît triste et l'effort vain. C'est dans l'atmosphère dupoème
qu'il enfaut chercher la raison. Onyest comme enun lieu d'obscu-
rité où la lumière claire du soleil ne pénètre pas, dont les brumes
et les miasmes ne sont jamais entièrement dissipés par ses rayons.
Il faut une certaine joie de vivre pour assainir une œuvre d'ima-
gination. Or Beowulf, ou du moins le poète qui nous retrace es
aventures, a porté dans un décor ténébreux l'idée chrétienne dela
vie terrestre; il en a sondé la vanité et il la tient pour peu dechose
dans le momentmêmeoùil célèbre une deses gloires. Ons'imagine
bien Beowulfsorti de la froide cellule d'un cloître deNorthumbrie,
et l'odeur dominante qui s'en exhale est celle de la tombe.
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6. POÈMES LYRIQUES KT ÉLÉGIAQUES : LE BURG RUINÉ,


LE MESSAGE DE L'AMANT. LA PLAINTE DE L'AMIE,
L'ERRANT, LE MARIN'.
La mélancolie qui pèse sur Beowulf, et surtout sur la dernière
partie, se retrouve fréquemment dans quelques courts poèmes
non datés qui se distinguent des précédents parla rupture de toute
attache avec le continent et avec la tradition païenne Ils ne
sont pourtant pas distinctement chrétiens, ou bien ils ne le sont
que par des détails ou par la conclusion. Ce sont des plaintes
ordinairement désolées, assez semblables d'accent à celles que
Macpherson réunira au XVIIIe siècle comme étant les chants
d'Ossian et qui feront la conquête de l'Europe iJ une époque où
celle-ci était avide de vague et de mélancolie. Mieux peut-être que
les fragments authentiques de la vieille poésie celtique, ce sont ces
vers anglo-saxons qui rendent la note de lamentation ensemble
personnelle et humaine depuis désignée comme ossianique.
C'est par exemple une complainte sur les ruines d'une cité
qui pourrait avoir été Bath, ville d'eaux si magnifique du temps
des Romains avant d'être détruits par les Saxons envahisseurs.
Un poète vient visiter, longtemps après, les restes de la riche
cité et il s'afflige à la vue du Burg ruiné, « des nombreuses salles'
à hydromel jadis pleines de la joie des hommes, jusqu'au jour
où tout fut changé par la puissante « Weird » (la destinée). Ce
n'est qu'une suite monotone de gémissements où le mot de ruine
revient sans cesse comme un refrain nécessaire.
Et voici une série de poèmes lyriques — ou plutôt d'élégies —
plus intimes, qui dans l'état où nous les avons semblent des
effusions personnelles mais dont on a pu, constatant leur obscu-
rité, se demander si ce n'étaient pas des parties détachées de
compositions romanesques plus étendues. Un seulement de ces
poèmes est exempt de la mélancolie habituelle, c'est le Message
de l'Amant où un exilé envoie à sa bien-aimée un message au
moyen de runes gravées sur une tablette de bois. Par une fiction
en accord avec le tour énigmatique qu'aime à prendre cette
poésie, c'est le bois même qui est censé parler, qui dit son origine
dans la forêt, puis son voyage sur un navire. Il s'émerveille
que l'homme ait su donner une langue à sa bouche muette.
Par lui l'amant demande à la jeune fille de le rejoindre dans son
pays d'exil où il est devenu puissant et prospère. Il la prie de
prendre la mer « dès qu'elle entendra sur la cime du mont le chant
1 1. Édition : N. Kershaw, Anglo-Saxon and Norse Poems (Cambridge, 1922). -
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plaintif du coucou dans le petit bois. » Il se fait fort d'assurer


le bonheur de celle qu'il aime.
Plus obscure mais plus riche de sentiment est l'élégie qu'on
pourrait appeler La plainte de l'amie si l'on était sûr qu'elle
émane d'une jeune femme calomniée qui se lamente d'être
reléguée loin de celui qu'elle aime (car on peut y voir aussi la
doléance d'un jeune thane empêché de rejoindre son cher sei-
gneur exilé). C'est sa fidélité même qui causa sa souffrance pré-
sente. On l'a condamnée à habiter au fond d'une forêt, dans une
caverne. Elle s'en vient seule avant l'aube sous un chêne et y
reste tout le long d'un jour d'été à pleurer ses malheurs. Elle
songe à son ami consumé lui aussi de chagrin et pourtant forcé
souvent de revêtir un air de joie. Elle l'imagine assis sous un
rocher blanchi par la tempête, où il demeure assailli des sou-
venirs d'un temps et d'un logis plus heureux.
L'élégie de l'Errant (The Wanderer), de plus d'ampleur que
les précédentes, est bien celle de l'amitié. Un jeune thane a dû,
après la mort du seigneur qu'il aimait, chercher au delà de la
mer un autre protecteur. Quels tristes songes il fait sur le chemin
de l'exil! « Il lui semble qu'il embrasse et baise son seigneur,
qu'il pose sur ses genoux ses mains et sa tête comme au temps
passé où il jouissait de ses dons. Puis il s'éveille et voit devant lui
les vagues fauves, les oiseaux de l'océan qui se baignent, étendant
leurs ailes, le givre et la neige qui tombent mêlés de grêlons.
Alors se rouvrent plus cruelles les blessures de son cœur, au
sortir de son rêve. » Cependant à considérer les vicissitudes de
fortune que subissent les chefs eux-mêmes et la misère commune
des hommes, il comprend que sa propre douleur n'est que parcelle
de l'universel changement. Il est comme le vieux guerrier qui
se remémore les batailles de jadis et s'écrie comme Ossian :
«Où s'en est allé le cheval? où s'en est allé l'homme? où s'en est
allé le donneur de trésor? où sont les sièges des banquets? où
sont les joies de la grande salle?... Comme ce temps-là s'est
enfui, s'est assombri sous le heaume de la nuit, ainsi que s'il
n'avait jamais été! »
Le Marin (The Seafarer), le plus original des poèmes lyriques
anglo-saxons, peut être considéré comme représentatif de cette
poésie avec ses défauts et ses qualités. Le défaut capital est
l'obscurité portée ici, il est vrai, à l'extrême. Celle-ci est assez
grande pour avoir suscité de nombreuses interprétations du
sujet même. Est-ce une composition régulière où, de l'irrésistible
attrait qu'exerce sur un marin la mer dont il connaît pourtant
tous les maux et les dangers, on s'élève à la pensée que, tout
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comme le marin dédaigne le bien-être de la terre ferme, de même


l'homme doit mépriser les jouissances terrestres pour le bonheur
qui l'attend au delà de la mort? Est-ce au contraire un poème dû
à deux inspirations distinctes, une pieuse conclusion chrétienne
ajoutée après coup à ce qui ne fut d'abord qu'une description
de la rude vie de l'homme de mer?
Est-ce un monologue oùlemarin exprime, avec quelque désordre
et plus d'une redite, ses sentiments contraires d'amour et de haine
pour l'océan, de frayeur et de désir? Serait-ce au lieu de cela,
commele veulent d'ingénieux critiques, un dialogue entre un vieux
matelot qui dit les misères desa vie, et unjeune homme qui répond
à tous ses avertissements par le cri de son irrésistible vocation?
Cesdoutes montrent assez l'imperfection dela forme decepoème
court. Néanmoinsil estsaisissant par lasombreet violente peinture
qu'il fait deces mers du Nord où les souffrances du froid se mêlent
à celles des flots et des vents. Son extrême redondance a du moins ■
pour noyau une impression puissante et réaliste. Si la fin s'évase
et se perd en effusions pieuses, combien le début est énergique!
Qued'amères souffrances j'ai éprouvées,
Combienj'ai eonnu dans le navire d'heures d'angoisse!
Lefarouche roulement des vagues m'a souvent inondé
Pendant la rude garde de nuit sur la proue du vaisseau
Quand il heurtait contre les falaises. Mordus par le froid
Étaient mes pieds, enchaînés par le gel,
Par des crampons de glace.... Il ne sait pas,
Celui à qui sur la terre ferme tout arrive àsouhait,
Dequels soucis rongé parmi les flots glacés
Je passais l'hiver sur le sentier de l'exil,
Privé de mafamille chérie, constellé de glaçons.
Lesgrêlons volaient en pluie. Je n'entendais rien
Que le rugissement de la mer, des vagues glaciales,
Et, de temps en temps, le chant du cygne
Était une distraction, le cri de l'oie sauvage,
Et la note desoiseaux de merau lieu du rire des hommes,
Lechant des mouettes.au lieu des régals d'hydromel.
Mais ces souvenirs s'effacent vite. Le marin s'ennuie bientôt
parmi les faciles plaisirs des villes. Le printemps ramène dans
son cœur la passion de l'aventure :
Lesbois refleurissent, les cités deviennent belles,
Lesplaines splendides; le monderevit;.
Tout exhorte les ardents esprits
As'en aller en voyage, —ceux qui ysont enclins
As'en aller au loin sur le chemin des flots.
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Et ici le poète trouve une image étrange et belle pour dire


cette attirance :
Mapensée s'échappe au delà del'enceinte de moncœur;
Monesprit parmi les flots marins,
Par delà le pays dela baleine, erre au loin
Sur les régions de la terre, puis revient vers moi;
Avide et affamé, il crie, oiseau solitaire,
Il m'excite à suivre le chemin dela baleine,
Irrésistiblement, par-dessus l'étendue deseaux.
S'il est impossible de suivre toutes les saccades de la pensée
du Marin, on distingue du moins à travers les brumes du poème
une puissante vision des mers polaires et la fascination de leurs
périls. Il y a là un trait permanent. Onretrouve cette passion de
la mer et de l'aventure chez les grands poètes anglais contem-
pprains, Byron, Swinburne, Kipling, qu'ils aient ou non connu
le vieux chant anglo-saxon 1,

7.LESCHANTSGUERRIERS:BRUNANBURH;LABATAILLEDEMALDON2
C'est naturellement dans leurs chants guerriers, surtout dans
ceux où ils célèbrent leurs propres batailles, que les Anglo-Saxons
ont le mieux conservé les marques de leur humeur farouche pri-
mitive. Et cela est indépendant de la chronologie. Peut-être
n'existe-t-il rien qui reflète mieux leur passé que la sorte d'ode
que la chronique en prose rédigée par quelque moine a insérée
pour glorifier la grande victoire qu'Athelstan, roi de Wessex et
deMercie, et son frère Edouard, remportèrent en937àBrunanburh
sur les Scots conduits par Constantin et les Scandinaves venus
d'Irlande sous le commandement d'Anlaf. L'enthousiasme féroce
de la victoire y éclate avec une sauvage ironie à l'adresse des
envahisseurs abattus ou mis en fuite. La rapidité, la clarté même
de l'ode permettent d'y voir un spécimen de ces « cantilènes »
populaires que l'on sait avoir été vivaces chez les Anglo-Saxons.
Tandis que la poésie narrative ou élégiaque se fait souvent si
obscure qu'on ne peut guère la croire destinée au peuple et com-
prise par lui, nous avons ici un chant qu'on imaginerait aisément
1. Douady, La mer et les Poètes anglais, 1912.
2. Éditions : Kershaw, op. cit. (Brunanburh) ; W. J. Sedgefield, The Battle of
,Ualdon and Short Poems from the Saxon Chronicle (1904) ; E. V. Gordon, The Battle
of Maldon (1937).
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entonné et repris par tous les soldats de l'armée victorieuse. Le


fait qu'il n'y a là aucun détail original, que les circonstances
restent générales et que le plus antique lieu commun anglo-
saxon sur le carnage termine l'ode, renforce l'impression qu'on
est devant une œuvre rattachée à une longue tradition dechan-
sons guerrières. Lerécit qui est continu dans les fragments épiques
se morcelle ici en une série de courtes stances irrégulières. On
imagine bien la harpe accompagnant ce lyrisme.
La bataille est résumée en une suite de petites stances enthou-
siastes où tour à tour sont exaltés les Saxons de l'Ouest et les
Merciens, sont honnis les Scots et les hommes du Nord. L'ironie
massive du poète s'acharne sur Constantin qui était venu atta-
quer Athelstan après lui avoir juré fidélité :
Il est retourné endéroute, fugitif, dans son pays du Nord,
Constantin, le guerrier blanchi de Hilda.
Il n'a pas eu lieu de se vanter de cette passe d'armes;
Il a été privé dessiens, dépouillé de sesamissurlechampdebataille,
Tuésdans la lutte. Et il a laissé son fils
Surle lieu ducarnage, mutilé par les blessures,
Lejeune guerrier. Il n'a pas lieu de se glorifier,
Lh' omme aux cheveux gris, de la piqûre deslances,
Levieux trompeur!...
Et le poème s'achève par la peinture habituelle du champ
couvert (le morts :
Ils ont laissé derrière eux pour se partager les cadavres
L'oiseau aux sombres plumes, le noir corbeau
Aubec corné, et l'oiseau couleur de cendre,
Blanc derrière, l'aigle, pour se repaître de la charogne,
Le vorace faucon de guerre, et la bête grise,
Le loup des bois.- *
Quelque soixante ans après l'ode sur la victoire de Brunanburh,
un poète inconnu raconta une défaite nationale, celle de Maldon
où le vieux chef des Saxons de l'Est, Byrhtnoth, trouva la mort
en l'an 991 en essayant de repousser une bande de Vikings
dont les vaisseaux remontaient la Blackwater, un peu au nord
de la Tamise. Nous n'avons qu'un fragment de 325 vers de ce
poème qui paraît avoir été écrit peu après le combat car pas un
ennemi n'y est nommé. Ce n'est plus un chant lyrique, mais un
récit épique détaillé qui, plus que tout autre poème anglo-saxon,
fait penser aux batailles de l'Iliade par l'accent et l'allure. Malgré
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l'extrême simplicité du fragment et son caractère tout national,


on est porté à se demander si le poème ne s'est pas modelé sur
les épopées classiques. Il paraît invraisemblable que la poésie
indigène ait pu atteindre cette ressemblance par pur hasard.
La date tardive du poème, en un temps où toute la littérature
anglo-saxonne était imprégnée de latin, justifie cette conjecture.
Mais cette constatation faite, il faut reconnaître que l'imitation
est lointaine et générale. La Bataille de Maldon (aussi appelée
la MortdeByrhtnoth) n'est pas la paraphrase d'un modèle antique.
C'est un sujet historique local et tout récent; en fait, le seul
lambeau d'épopée nationale qu'il y ait en anglo-saxon.
Les Saxons sont des chrétiens qui repoussent des païens, mais
les sentiments nobles qu'exprime le poème sont avant tout ceux
de vaillance, d'amour du combat, de sacrifice du chef à ses
hommes, de fidélité des soldats envers leur chef. Le point d'hon-
neur chevaleresque est déjà très manifeste. Par appétit de bataille
Byrhtnoth accorde aux Vikings le passage de la rivière pour que
le combat puisse s'engager. Quand le chef saxon est blessé à mort,
il se réjouit et se met à rire. Il meurt reconnaissant à Dieu de lui
avoir permis de frapper de grands coups avant de trépasser.
Il le remercie de toutes les joies qu'il lui a données en ce monde.
Sa mort est le signal de la fuite pour les lâches en tête desquels
est le traître Godric. Mais les vaillants redoublent d'ardeur pour
venger le chef abattu et meurent autour de son corps. Leur
héroïsme se résume dans les paroles que prononce le vieux guer-
rier Byrthwold en brandissant sa lance de frêne :
L'esprit doit être d'autant plus ferme, le cœur plus hardi,
Le courage plus grand, que nos forces diminuent.
Ici gît notre ealdor tout rompu de coups,
Notre bon chef, sur la poussière; puisse-t-il toujours gémir
Celui qui penserait à se retirer maintenant de ce jeu de guerre!
Je suis vieux de jours, je ne m'en irai pas,
Mais à côté de monseigueur,
Près d'un hommesi cher, je pense mecoucher.
CeCombatdeMaldonn'est-il pascommel'embryon d'un Roland,
une Chanson de Roland avant la légende? Comme dans notre
épopée, c'est ici une glorieuse défaite, une mort héroïque. On a
longtemps tenu pour probable que vers le début du XIe siècle,
à la même date où fut écrit le CombatdeMaldon, il devait exister
une première ébauche de la Chanson de Roland sous forme de lai.
On est porté à se demander s'il n'y avait pas à cette date une
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étroite ressemblance entre les deux poèmes. Mais c'est peu vrai-
semblable. Maldon est un poème strictement historique, sans
grandissement du sujet, sans merveilleux, et sans possibilité d'en
introduire par remaniement. Ce n'est pas un germe, c'est lefrag-
ment d'une œuvre définitive. Sans doute les sentiments sont dans
les deux œuvres presque identiques. Byrhtnoth par point d'hon-
neur laisse les Northmen franchir librement le gué tout comme
Roland refuse de sonner la trompe pour avertir Charlemagne.
L'un et fautre préparent le désastre par orgueil chevaleresque.
L'attachement de Byrhtnoth à son roi Æthelred, celui des com-
pagnons d'armes à leur chef Byrhtnoth, sont de même nature que
le lien de devoir et d'amour qui unit Roland à Charlemagne et
tous les guerriers francs à Roland. Godric le lâche fait pendant au
traître Ganelon. Enfin Byrhtnoth comme Roland est un chrétien
occis par les païens et dont les dernières paroles sont pour Dieu,
chef suprême des guerriers, dont il se sait aimé parce qu'il est vail-
lant et qu'il meurt en combattant.
Mais avec tous ces traits deressemblance, Byrhtnoth reste singu-
lièrement distinct deRoland. Il ala sévérité nue del'histoire tandis
que Rolanda le prestige dela légende. Si héroïques qu'elles soient,
les actions n'atteignent jamais dans la Bataille de Maldon au sur-
humain. Elles ont plus de solidité et moins de poésie. Les hommes
n'y accomplissent pas d'impossibles prouesses. Ils se battent
jusqu'à la mort, voilà tout. L'imagination n'est pas venue trans-
figurer ledésastre. Aussi, malgréles fières paroles du chefmourant,
malgré les nobles harangues de ses amis et leurs beaux coups
d'épée, malgré leur ivresse depéril et de mort, ce poème est triste
comparéauRoland, si plein d'espoir et detriomphe jusque dans la
défaite,si assuré dela missiondivine des Francs, et d'ailleurs ayant
tant de ciel bleu sur la tête, si rayonnant delumière et de couleur.
Byrhtnoth occupe une place unique dans la poésie d'avant la
conquête normande. Par l'étroite précision avec laquelle il
paraît suivre les événements, on ne lui trouve pas de pair avant
l'apparition des trouvères anglo-normands, en particulier de ce
Wace qui chantera la bataille de Hastings. Mais si les faits n'y
sont pas transfigurés par la légende, ils sont néanmoins ennoblis
par la marche vraiment épique du récit et la noblesse du vers
allitératif, éléments de grandeur que l'octosyllabe de Wace
ne possédera plus. Il déconcerte aussi par sa rude simplicité à une
date si tardive, alors que la poésie anglo-saxonne est allée en
exagérant sa rhétorique. Au moment où celle-ci, accablée par ses
périphrases, semble épuisée, il apparaît comme un symptôme de
""igueur, comme une promesse de rénovation. Trop isolé pour per-
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mettre d'asseoir une théorie, il force cependant à se demander si


la poésie indigène n'était pas capable, sans secours du dehors,
d'un développement nouveau, d'une renaissance imprévue.

8. LES ÉNIGMES1.
Il peut paraître bizarre de compter parmi les plus intéressantes
productions de la poésie anglo-saxonne la collection d'énigmes
qui nous est parvenue et que plus d'un critique attribue sans
preuves convaincantes au poète Cynewulf. On en est moins sur-
pris quand on considère le tour énigmatique que cette poésie
affecte en toute circonstance, aimant à désigner l'objet par ses
qualités plus que par son nom précis, cultivant la périphrase,
recherchant les subtilités verbales, donnant aux préceptes et aux
maximes un tour singulier et fait pour amorcer la curiosité. On
peut admettre qu'il y eut de tout temps des énigmes proposées
par les «scops »à la sagacité des convives des banquets devant
lesquels ils exerçaient leurs talents. Toutefois les énigmes que nous
possédons ne sont pas originales et elles sont toutes chrétiennes.
La plupart sont fondées sur les énigmes latines du clerc Aldhelm
qui lui-même avait pris pour modèles celles de Symposius.
D'autres proviennent du latin de Tatwine, archevêque de Canter-
bury. Mais dans son imitation l'énigme anglo-saxonne en prend à
son aise. Elle devient poétique en cessant d'être, si l'on peut dire,
utilitaire. Ce n'est plus simplement une ingénieuse définition
dont le seul but est de piquer l'attention et d'exercer l'esprit.
C'est maintenant un tableau souvent copieux de l'objet, lequel
est non seulement personnifié mais animé et rendu vivant. Du
même coup le cadre étroit de l'énigme latine se rompt. Il enva de
ce genre comme de la sèche fable ésopique avec Phèdre ousurtout
avec La Fontaine. Ce sont d'habitude de vrais poèmes de lon-
gueur variable, parfois considérable. Toutes les lois de l'énigme
sont du coup violentées. On n'y trouve plus cette brève précisïon
qui la caractérisait. Ala place c'est trop souvent la diffusion et
le vague. Ce sont, disons-le, de détestables énigmes, mais on s'en
console sans peine quand on voit le poète emporté par son intérêt
pour le sujet, oublier de parler à l'esprit pour s'adresser à l'ima-
1. Éditions : A. J. Wyatt, Old English Riddles, Boston, 1912 (bonne édition),
E. Tupper, The Riddles of the Exeter Book, Boston, 1010 (édition savante). — Tra-
ductions en anglais moderne : Stopford Brooke, Early English Literature, 1892;
B. Thorpe, Codex Exoniensis (texte en regard), 1842.
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gination. La prolixité anglo-saxonne, fâcheuse quand elle brouille


et déforme les lignes sévères de la Bible, se fait aisément excuser
dans la traduction d'une devinette.
Les énigmes anglo-saxonnes sont une sorte d'encyclopédie
où figurent les animaux surtout domestiques, les corps et les
phénomènes célestes, les objets d'art ou d'utilité du temps, les
armes, les outils, les instruments de musique, les objets d'habille-
ment, etc. Plusieurs nous aident à nous mieux représenter la vie
et les ustensiles usuels des Anglo-Saxons. S'il en est de trop
obscures pour permettre une solution assurée, et de si mer-
veilleusement grossières qu'on s'étonne de les trouver dans ce
recueil pieux qu'est le Codex Exoniensis, quelques-unes appar-
tiennent de droit à la littérature, comme, par exemple, l'énigme
sur le bouclier :
Je suis un reclus blessé par le fer,
Tailladé par le glaive, rassasié de batailles,
Harassé par les tranchants. Je vois souvent la mêlée,
Lefarouche combat. Je n'espère aucune joie,
Niqu'aucune joie mevienne de la lutte guerrière.
Avantque moiet les guerriers nous ayons tous péri.
Cependant je suis frappé par le produit-du-marteau (l'épée);
Tranchant delame, aigu de pointe, l'ouvrage-des-forgerons
Memord sur le rempart. Il mefaut endurer
L'assaut desennemis. Nul médecin
Sur le champ de bataille ne m'est accordé
Qui avec dessimplesguérirait mesblessures.
Lesentailles de mesbords augmentent de plus en plus
Parles coupsmortelsdes épées, le jour et la nuit (Énigme VI).
L'énigme sur la corne de taureau, qui sert aussi bien de trom-
pette que de coupe, a de la richesse et de l'éclat. Ce fut d'abord
un guerrier armé (le taureau); tantôt une jeune fille ornée de
bracelets emplit son sein; tantôt un cheval de guerre l'emporte
et il lui faut «avaler le vent de la poitrine d'un homme. »
Mais l'énigme arrive à être vraiment lyrique quand elle décrit
les forces élémentaires de la nature. Celle qui est consacrée au
Vent (ou à la Tempête) (Énigme IV) est un des petits poèmes les
plus originaux, et les plus modernes aussi, de la poésie anglo-
saxonne. On a pu sans exagération la comparer au Nuage ou au
Vent d'Ouest de Shelley auxquels elle ressemble par l'exal-
tation avec laquelle la tempête chante elle-mème ses actes
et ses transformations. Elle se représente comme d'abord
enchaînée et emprisonnée sous la terre par la volonté du
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Créateur, impuissante dans son cachot. Puis la voici lâchée qui


bouleverse les mers :
.. Voici que monte blême
Surl'abîme une montagne (d'eau); sombre surses traces,
Dansl'océan en tumulte, une autre s'élance;
Elles se mêlentprès des limites dela terre,
Près deshautes falaises. Quelbruit fait alors le navire1
Quelscris poussentles matelots!...
... Il est à craindre pourle vaisseau
Quesi dans cette farouche mêléela merl'emporte,
En cette heure sinistre, plein de fantômes,....
Il s'en aille à la dérive parmi l'écume
Surle dosdes vagues. C'est alors quese découvre aux hommes
Laterribleforcedeceuxàquij'obéis.
Le fracas de la tempête sur terre, quand elle passe destructive
sur les cités et les demeures des hommes, est peint avec la même
grandeur, mais les traits sont plus brouillés et plus obscurs.
Le sujet qui estla terreur de l'ouragan, le renouvellement néces-
saire des mêmes effets de violence, tout concourt ici à voiler
les défauts habituels de la poésie anglo-saxonne. Ses qualités
sont en relief, ses fautes un moment cachées. Le poème est puis-
sant et saisit.

9. POÉSIE CHRÉTIENNE : LES POÈMESCÆDMONIENS1.JUDITH.


Dans tous. les poèmes précédemment vus le christianisme se
révèle à quelque trait ou tout au moins à l'atténuation des carac-
tères païens, mais ils ne sont ni par le sujet ni par l'intention pre-
mière des poèmes religieux. Il reste à parler de la poésie chré-
tienne proprement dite, de beaucoup la plus considérable par
l'étendue, si elle le cède à l'autre en originalité et, presque tou-
jours, en beauté de forme. Est-ce parce que vraiment elle fut
écrite en plus grande abondance ou parce que les clercs ont,
comme il est naturel, pris plus de soin de la conserver? En fait,
c'est elle qui emplit presque tous les recueils parvenus jusqu'à
noua.
Elle témoigne dela ferveuraveclaquellelespirates germaniques,
1. Éditions : G. P. Krapp, The Junius Manuscript, 1931 ; I. Gollancz, The Caed-
mon MS o/ Anglo-Saxon Biblical Poetry, Oxford, 1927; F. A. Blackburn, Exodus
and Daniel, Boston, 1907. Texte et traduction : C. W. Kennedy, The Caedmon
Poems, 1915.
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à peine convertis, embrassèrent la religion du Christ. A la fin


du Vile et dans tout le cours du viiie siècle, la grande île conquise
par eux fut, dans une époque de ténèbres, le plus chaud et le plus
rayonnant foyer de christianisme. Le vers allitératif tint com-
pagnie au latin qui servait aux clercs pour exprimer leur foi. Il
aida cette foi à se répandre parmi les laïques. Il la rendit vrai-
ment populaire.
C'est à Beda qu'il faut demander l'origine de cette poésie chré-
tienne enlangue vulgaire. Il nous conte qu'il y avait au monastère
de Streoneshalh (aujourd'hui Whitby), en Northumbrie, un frère
honoré des dons de Dieu qui excellait à glorifier dans ses chants
la piété et la vertu. «Tout ce que les clercs lui apprenaient sur
la religion, il le reproduisait peu après en anglais, dans la langue
des scops, avec une extrême mélodie. »Cet homme avait atteint
la vieillesse sans prendre les ordres et sans rien entendre àla poésie.
Si dans un banquet on demandait pour se divertir à chacun des
convives de chanter tour à tour en s'accompagnant de la harpe,
quand il voyait la harpe s'approcher, il se levait de table tout
confus et rentrait chez lui. Un jour qu'il s'était ainsi réfugié
dans l'étable dont il avait la garde, et s'y était endormi, il vit
un homme lui apparaître dans son sommeil et s'entendit appeler
par sonnom :«Cædmon,chante-moi quelque chose. »—«Je ne sais
pas chanter, répondit-il, et c'est pour cela que j'ai quitté le ban-
quet et suis venu ici. »Celui qui lui avait parlé reprit : «Chante ce
quetu pourras. »—«Quechanterai-je? »dit Cædmon. «Chante-moi
la Création. »Dès qu'il eut reçu cette réponse, il se mit à chanter
à la gloire du Créateur ces vers qu'il n'avait jamais entendus :
Nousallons glorifier le gardien ducéleste royaume,
Lapuissance du Créateur et la pensée deson esprit,
Leglorieux Père des hommes; toutes les merveilles que lui,
L'éternel Seigneur, institua au commencement.
D'abord il façonna pour les enfants dela Terre
Leciel commetoit, le saint façonneur;
Puis c'est la Terre que le gardien dugenre humain,
L'éternel Seigneur, fit ensuite
Pour être le sol des mortels, Roi Tout-Puissant!
Caedmon se réveilla, se rappelant tous les mots du chant qu'il
avait composé dans son sommeil, et bientôt il en ajouta beaucoup
d'autres à la gloire de Dieu. Puis il alla trouver le maire de son
village et lui dit le don qu'il avait reçu du Ciel. Le maire le mena
à l'abbesse qui rassembla tous les clercs et fit chanter Caedmon
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en leur présence. Tous s'accordèrent pour voir là un don divin.


On lui fournit le thème de nouveaux chants et Cœdmon après
être rentré chez lui revint le lendemain direles vers qu'il en avait
tirés. L'abbesse le fit alors entrer comme moine au monastère et
l'invita à mettre en vers les livres saints. « Tout ce qu'on lui
enseignait, il se le rappelait, et, comme l'animal monde qui
rumine, il le transformait en chant mélodieux, et ce chant était
si doux à entendre que ses maîtres le recevaient de sa bouche,
l'écrivaient et l'apprenaient. » Cœdmon, ajoute Beda, aurait
ainsi chanté la Genèse, l'Exode, la Vie du Christ, le Venuedu
Saint-Esprit, les Actes des Apôtres, le Jugement dernier, les
terreurs de l'Enfer et les délices du Paradis, et autres sujets reli-
gieux semblables.
Rien dans les poèmes chrétiens n'approche du charme que
possède le naïf récit de Beda. Ons'en aperçoit en comparant sim-
plement à sa prose latine toute pleine de circonstances précises
qui donnent aux choses une physionomie, les quelques vers qu'il
cite et qui sont très représentatifs. Point de faits dans ces vers,
mais, à la place, des exclamations, des répétitions et des péri-
phrases. La critique n'admet plus que les poèmes conservés, écrits
sur les sujets mêmes qu'énumère Beda, soient l'œuvre directe du
vieux chanteur Cœdmon. Ce sont d'autres paraphrases, ou tout
au moins des remaniements ultérieurs de l'œuvre primitive. Mais
le caractère n'en a pas beaucoup changé. Lespoèmes du manuscrit
dit de Junius qui .ne sont pas de Cœdmon, mais qu'on appelle
en souvenir de lui les poèmes cœdmoniens, sont essentiellement
une paraphrase de la Bible. Ils portent sur la Genèse, sur l'Exode,
sur le livre de Daniel. D'autres fragments qui ne sont pas stric-
tement bibliques ont pour sujet la chute des anges rebelles, la
descente du Christ aux Enfers et la tentation du Christ par Satan.
Il est naturel d'y ajouter un fragment de poème sur Judith, bien
qu'il soit plus tardif et qu'il ne figure pas dans le manuscrit de
Junius mais, assez étrangement, dans le même manuscrit que
Beowulf.
D'après ce qui a été dit des origines de cette poésie biblique,
on voit assez quelle fut l'intention des poètes anglo-saxons. Ils
ne voulaient ni ne pouvaient inventer. Leur dessein était de
populariser le texte sacré. S'ils ajoutent parfois à la Bible, c'est
qu'ils se fondent sur des commentaires pieux ou des poèmes chré-
tiens antérieurs, considérés par eux comme également authen-
tiques, par exemple celui où Avitus de Vienne avait raconté la
chute des anges.
Dans ces conditions, quelle part d'originalité revendiquer pour
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eux? D'abord et surtout celle de la forme. Ils ont jeté la Bible dans
le moule deleur poésie nationale; ils l'ont transposée envers allité-
ratifs ; ils lui ont donné cette allure moitié épique, moitié lyrique,
qui est caractéristique de toute leur poésie, et qui d'ailleurs se
trouvait en plus d'un endroit convenir au poème hébraïque.
En second lieu, ils ont mis dans cette transcription toute leur
ferveur de nouveaux convertis en même temps que leur naïveté
de peuple ignorant qui se représente les Hébreux tels qu'il est
lui-même; qui voit dans le ciel, avec Dieu et les anges, son roi
entouré de ses thanes; qui, incapable de sortir de soi, de ses
mœurs, de son climat, exprime instinctivement i propos de l'his-
toire hébraïque ses propres sentiments, et s'imagine la Judée
baignée par les flots sombres et glacés de la mer du Nord.
Cette transposition est surtout sensible dans les tableaux
maritimes où se ré-vèle l'expérience nautique des Vikings et dans
les récits de bataille où se ravive l'ardeur des scops. Ceux-ci
tirent de leur tradition païenne les détails convenus : choc des
lances, guerriers coiffés du heaume, cris de guerre, corbeaux noirs
qui croassent parmi les dards.
*Sansnier ce quecette inintelligence dela Bible a de curieux et de
pittoresque; sans contester la vie et la véhémence qui naissent
de cette assimilation trop compléta on ne peut s'empêcher de
constater la monotonie d'une imagination qui ramène tout dans
le monde à deux ou trois sentiments et à deux omtrois descrip-
tions toujours les mêmes.
Surtout si l'on cesse un instant de lire ces poèmes anglo-saxons
avec l'indulgence prête aux concessions qu'on éprouve pour des
ébauches enfantines ou barbares; si, commel'ont fait certains cri-
tiques, on réclame pour eux trop d'éloges, le lecteur est saisi par
le contraste qui s'offre entre la lourde pompe de la paraphrase et
la vigueur sobre et sublime de la Bible elle-même. Il trouve
vraiment trop flatteur le mot de Ten Brink : «Le poète anglo-
saxon de la Genèse est personnel seulement dans le détail et
l'exécution, échangeant le récit serré et simple de la Bible pour
un style large, passionné, épique. »Car cechangement n'est sou-
vent qu'effacement de la beauté primitive, non perçue, sous le
poids des mots :
La Bible. La paraphrase.
La terre était informe et La terre n'était pas encore
nue, et les ténèbres étaient sur verte d'herbe; l'océan était
la face de l'abîme; et l'esprit farouche dans • les ténèbres
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de Dieu s'avança sur les eaux, lugubres, les vagues sombres


et Dieu dit : «Que la lumière dans la nuit éternelle, près et
soit! et la lumière fut. » loin. Alors rapide l'Esprit gar-
dien du Ciel s'avança tout
rayonnant de gloire, à travers
les eaux, la noire étendue. Alors
ordonna le Créateur des anges, le
Seigneur de vie, à la lumière de
paraître sur le large océan illi.
mité. L'ordre du Très-Haut fut
accompli avec hâte; la lumière
sainte s'étendit sur l'immensité,
comme l'ordonnait le Créateur,
Sans doute le poète anglo-saxon est autre que son modèle,
il est lui-même. Mais son originalité consiste en somme dans la
multitude et le pêle-mêle des mots sous lesquels il dérobe plus qu'il
ne les montre les grandes lignes du chaos primitif. Surtout il traîne
en longueur l'acte de la création qui révélait la puissance de Dieu
par sa soudaineté même. Son Dieu tâtonne gauchement avant
d'illuminer le monde. On ne trouverait pas de plus belle leçon
sur la différence entre le grandiose verbeux et le vrai sublime.
Ce n'est pas là un accident. Il en est ainsi de presque tous les
passages de la paraphrase qu'une critique trop partiale cite -
complaisamment. L'Exode présente le même défaut d'une des-
cription détaillée qui vise au grand et tue la sublimité. La Bible
avait dit :
«Moise ayant étendu la main sur la mer, le Seigneur l'entr'ouvrit
en faisant souffler un vent violent et brûlant pendant toute la
nuit, et il la sécha, et l'eau fut divisée en deux. »
M. Stopford Brooke fait l'éloge de ce qu'il appelle «la façon
réaliste »du poète anglo-saxon dans la paraphrase. Réalisme bien
enfantin qui consiste à faire décrire par Moïse à son peuple le phé-
nomène à mesure qu'il s'accomplit :
«Écoutez, voyez, ô le plus aimé des peuples, comme j'ai frappé
de ma main droite et d'une baguette verte la profondeur del'océan.
Voici le flot qui s'élève et qui vite construit avec l'eau un mur de
forteresse ! Aprésent le chemin est sec; gris comme la cendre sont
les passages de l'armée ;je n'ai jamais entendu dire que les hommes
de ce monde aient jadis cheminé dessus. Voyez! les champs
d'écume, les fondements de la mer enchaînés, qui de toute éter-
nité jusqu'à aujourd'hui avaient été couverts par la voûte des
vagues... etc. » Ainsi se métamorphose le grand magicien, dont
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un geste silencieux avait opéré le miracle, en un homme bavard


et naïf qui paraît aussi émerveillé du miracle que son peuple.
Malgré la vigueur supérieure du poète postérieur qui a para-
phrasé Judith 1 et auquel il faut savoir gré d'avoir porté son
choix sur ce superbe récit épique, la comparaison du texte anglo-
saxon avec l'original montre la même méconnaissance de la vraie
sublimité, la même impuissance à soulever le poids énorme des
ornements et des conventions poétiques. Peut-être faut-il ajouter
qu'il était impossible à l'intelligence trouble du poète anglo-saxon
de saisir les traits de cette décision tranchante comme l'acier
qui constitue le caractère de l'héroïne. La Judith biblique ne dit
pas un mot qui n'aille droit à l'acte; la Judith saxonne enveloppe
sa pensée de périphrases où se perd le sens de l'action. Elle semble
piétiner. Ses gestes comme sa pensée nous apparaissent à travers
une brume de mots. On peut comparer ses paroles dans les deux
textes, soit quand elle implore l'aide du Seigneur avant de frapper
Holoferne, soit quand, revenant de Béthulie avec la tête du
général assyrien, elle appelle les Hébreux au combat; — c'est
toujours fastueuse et gauche verbosité remplaçant la netteté
aiguë de paroles lucides. La femme d'action s'est muée en une
sorte de prophétesse ivre, exaltée, vague et frénétique.
Il reste à parler de cette partie de l'épopée biblique anglo-
saxonne qui a trait à la Chute des Anges 2et aux machinations
par lesquelles le prince des anges déchus pour se venger de Dieu
qui l'a précipité dans l'Enfer fait commettre à Adam et Eve le
premier péché. C'est le sujet même du Paradis perdu de Milton
et l'identité du thème, aussi bien que certaines similitudes
d'accent et de langage, ont donné à penser que Milton, ami de
Junius, avait pu s'inspirer du vieux poème. De cette imitation
présumée il a rejailli sur l'œuvre anglo-saxonne une sorte de
gloire. Paraphrase non plus de la Bible même, mais d'un poème
latin d'Avitus, elle se distingue du reste des poèmes coedmoniens
par la liberté d'imagination dont elle fait preuve et par une
tentative d'explication psychologique du premier péché. Elle a
d'ailleurs des traits spéciaux de versification, de style et même de
vocabulaire qui la font ressembler au poème saxon continental
de Heliand (Le Sauveur) et la critique incline à penser qu'elle
est ou une traduction ou une imitation d'un poème de semblable
origine aujourd'hui perdu.
Quoi qu'il en soit, la Chute des Anges intéresse par l'étude des
1. A. S. Cook, Judith (avec traduction anglaise), Boston, 1904.
2. F. Holthausen, Die altéré Genesis; F. Klaeber, The Later genesis..., Heidel-
berg, 1913-14.
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motifs, ceux de Satan jaloux et ambitieux mais avec courage


et grandeur, ceux d'Eve séduite sans être perverse, ceux d'Adam
qui cède à Eve parce qu'il la sent perdue et veut la suivre dans
sa chute. Les lignes du personnage deSatan sont particulièrement
énergiques. Il a des monologues dont la conception est digne de
Milton, soit quand il rêve de s'affranchir de la suprématie divine,
soit lorsque, précipité dans l'enfer, il ourdit sa vengeance. Malheu-
reusement c'est surtout par la forme que le talent de l'auteur
aurait pu se révéler puisqu'il n'est pas l'inventeur du sujet. Or
son style est extraordinairement redondant et verbeux. Il ne
supporterait guère d'être traduit sans nombreuses coupures. Si
Milton l'a connu, il a pu lui devoir quelques traits vigoureux,
mais il a dû déblayer les terribles longueurs et redites, et
revêtir les mêmes sentiments de son langage majestueux, dense et
fort. Milton est un Cœdmon qui aura appris de l'antiquité clas-
sique, et de la Bible mieux comprise, à composer, à choisir, à
diriger.
10. CYNEWULF : LE CHRIST ET LES VIES DES SAINTS\ •
Pendant que la critique dépouillait Casdmon, tel Homère,
des poèmes bibliques jadis à lui attribués, elle faisait sortir du
néant un autre poète chrétien dont le nom même était avant
1840 parfaitement inconnu. Elle remarquait que deux poèmes
du «Codex Exoniensis »: le Christ et la Vie de Sainte Julienne,
et deux du manuscrit de Verceil : Sainte Hélène et Le Sort des
Apôtres, renfermaient des caractères runiques qui, déchiffrés,
donnaient le même nom : Cynewulf. Ce nom devait être celui
de l'auteur car justement les passages où figuraient les runes
étaient distincts du reste par leur caractère personnel et comme
autobiographique. Partant de cette constatation, la critique s'est
pendant quelque temps aventurée à revendiquer pour le même
poètela plupart desautres versrenfermésdanslesdeuxmanuscrits.
Se fondant sur une solution contestable de la première énigme,
elle a donné à Cynewulf toutes les énigmes. S'appuyant sur des
ressemblances douteuses de forme et de sujet, elle lui a assigné
d'autres vies de saints, celles de Saint André et de Saint Guthlac,
1. Éditions : A. S. Cook, The Christ o/ CynelVull, Boston, 1900; The Old English
Elene, Phœnix and Physiologus, New-Haven, 1919; 1. Gollancz, Cynewulfs Christ
(avec traduction), 1892; Krapp et Dobbie, The Exeter Book, 1936; G. H. Krapp,
The Vercelli Book, 1932. — Traductions : C. W. Kennedy, The Poerns of Cynewulf,
1910; R. K. Root, Andreas, 1899.
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d'autres poèmes pieux, le Phénix et le Rêve de la Croix. Peu


s'en faut qu'on ait fait de lui l'unique auteur de toute la poésie
chrétienne anglo-saxonne que nous possédons. Finalement, on a
cherché dans l'histoire un Cynewulf et après mainte conjecture
on a admis comme vraisemblable l'identification du poète avec
un certain Cynewulf, évêque de Lindisfarne, qui vécut au milieu
du viiie siècle. Rassemblant alors les traces de confession que
renferment les poèmes susdits, on a construit un portrait et une
biographie de Cynewulf. Ç'aurait été d'abord un chanteur ou
poète errant, menant une vie joyeuse et profane. A en juger
par la précision de certaines scènes de bataille et de marine,
il aurait combattu sur terre, voyagé sur mer. Puis, à la suite
d'un rêve dans lequel il eut une vision de la Sainte-Croix, il
changea de vie, devint un poète religieux, chanta le Christ, les
Apôtres et les Saints.
Biographie ingénieuse mais toute fragile, battue en brèche
aussitôt que conçue, et de laquelle on retombe à chaque instant
dans l'inconnu. On ne sait en somme rien de certain ni sur les
œuvres qui reviennent en propre à Cynewulf, ni sur le siècle
où il vécut, ni sur le lieu de sa naissance, car, s'il paraît bien que
le Northumbrie lui ait donné le jour, ses vers comme ceux de
tous ses compatriotes nous sont parvenus dans le dialecte
des Saxons de l'Ouest.
Il n'est guère douteux que le plaisir de la découverte n'ait
beaucoup rehaussé les mérites de Cynewulf dans l'esprit des
critiques. Il n'est pas rare de l'entendre aujourd'hui comparer
à William Cowper ou même à Dante. Son Christ qui avait paru
au premier éditeur un tissu d'obscures divagations est main-
tenant traduit, annoté et édité comme une œuvre classique.
Aussi devient-il nécessaire d'apporter au jugement de ses œuvres
présumées une rigueur dont on se fût volontiers dispensé, sans
l'extravagance des éloges.
Des œuvres probables (c'est-à-dire contenant la signature
runique) de Cynewulf, le Christ est la seule dont la conception
soit, en partie du moins, originale. L'effort de la critique a démêlé
dans ces dix-sept cents vers une composition en trois parties,
une sorte de triptyque où sont célébrés tour à tour l'Arrivée du
Christ (sa naissance), le Départ du Christ (son ascension), et le
Retour du Christ (le Jugement dernier). Même après qu'une
patiente étude a signalé cette distribution des parties du poème,
il est difficile en le lisant de ne pas perdre pied à chaque page,
si profonde est l'obscurité de la pensée, si incertaine sa marche.
L'obscurité tient un peu à ce que le début du poème est perdu,
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mais bien davantage au défaut radical d'un esprit brumeux,


plus entraîné par les mots que guidé par l'idée. Ce sont des effu-
sions. vagues, fondées sur des antiennes, des homélies ou des
hymnes, et la comparaison des vers de Cynewulf avec ses ori-
ginaux souvent sublimes leur est plus préjudiciable encore qu'aux
paraphrases csedmoniennes le rapprochement avec les versets
de la Bible.
Onpeut s'en rendre compte en examinant le troisième «passus »
du Christ, le plus ample et le plus imposant des trois. Il est
fondé sur l'hymne attribué à saint Grégoire De Die Judicii
qui n'est lui-même que la mise en vers d'un des plus beaux
chapitres de l'Évangile, le xxve de saint Mathieu. Les vingt-
trois distiques de saint Grégoire deviennent huit cents vers dans
Cynewulf. Or les vastes additions faites par le poète anglo-
saxon n'ont d'autre effet que de recouvrir d'un voile épais la
sobre grandeur des images, d'effacer la sublime unité de l'idée
et du sentiment, d'enténébrer la pensée centrale si éclatante
pourtant dans le dialogue du Christ avec les bons et avec les
méchants : «Quand vous avez aidé les pauvres, donnant le pain,
le logis, le vêtement, vous vous êtes baissés pour m'aider.... »
Or, chose à peine croyable, cette pensée est dans Cynewulf
mais sans qu'il semble s'être aperçu de sa grandeur, tant il l'a
étouffée sous des développements banals et communs. Onpeut
lire le troisième passus sans l'y distinguer.
Même les images de Cynewulf auxquelles surtout vont les
louanges de ses commentateurs ne sont trop souvent qu'un
flasque allongement des sobres et fortes indications de ses origi-
naux. Il lui faut huit vers pour rendre le premier distique du De
Die Judicii : c(Subitement apparaîtra le grand jour du Seigneur
—comme un voleur dans la nuit obscure assaillant les dormeurs
surpris », et il n'y ajoute que des mots, jamais une circonstance
précise. Ou bien il délaie en un commentaire touffu et prosaïque
un mot qui impressionnait par sa brièveté : « Le Roi glorieux
siègera sur un sublime trône — environné par les bataillons
tremblants (tremebunda) des Anges. » Ecoutons Cynewulf :
«Autour de lui, la plus belle chevalerie, —la sainte troupe
guerrière, l'armée bénie des anges — brillera splendidement;
dans la terreur du Père, —^épouvantés dans leurs intimes pensées,
eux-mêmes tressailleront. —Certes, il n'est pas merveilleux que
la race impure —des hommes terrestres soit cruellement épou-
vantée, —se lamente douloureusement, quand la sainte race, —
si blanche et illustrement brillante, l'armée des archanges —
est terrifiée devant la divine présence; —c'est en tremblant
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— que ces êtres radieux attendront — le Jugement du


souverain.... »
Même dans son tableau de la catastrophe du Dernier jour
où les critiques célèbrent la puissance du poète et où en effet
il se donne libre carrière, il est difficile de trouver autre chose
qu'une répétition fastidieuse et interminable des mots parlesquels
s'exprime l'idée de ruine et de conflagration.
Il n'est pas question de suspecter la sincérité de Cynewulf,
mais on ne saurait confondre les soupirs multipliés et les cris
incohérents d'une âme obscure avec la haute exaltation d'une
âme chrétienne clairvoyante. C'est en somme chez Cynewult
exubérance de langage et facilité prolixe de versification. Ses
vers sont parmi les plus fluides et les plus mélodieux de la poésie
anglo-saxonne. Mais ils semblent payer cette qualité du sacrifice
de toute précision et le prix est trop élevé.
Le même Cynewulf a signé de ses runes une Sainte Julienne
et une Sainte Hélène, poèmes qui diffèrent agréablement du
Christ par la continuité d'un récit où l'esprit se repose des effu-
sions vagues. Deux autres vies de saints, celles de Saint André
et de Saint Guthlac qui lui avaient en outre été attribués par
quelques critiques lui ont depuis été retirés. Il importe assez peu
de trancher la question quand il s'agit d'un auteur aussi hypo-
thétique. Mieux vaut simplement fixer les caractères marquants
de l'hagiographie en vers anglo-saxonne.
Sainte Julienne, sainte Hélène et saint André sont des saints
exotiques dont les légendes, transcrites sans doute du grec en
latin, ont été suivies en somme fidèlement par le poète d'Angle-
terre. Elles se distinguent toutes par un caractère de merveilleux
oriental qui paraît avoir séduit l'imagination des Anglo-Saxons
C'est un goût qui s'exerçant aussi sur-la littérature profane les
conduira à être les premiers traducteurs du roman compliqué
d'Apollonius de Tyr dans lequel Shakespeare devait puiser les
incidents de son Périclès. La part de l'invention étant nulle chez
eux, ces vies de saints valent surtout comme indices de leurs
préférences imaginatives, et pour les quelques changements
qu'ils y ont pu apporter.
La Vie de Sainte Julienne, jeune chrétienne de Nicomédie
victorieuse du démon Bélial qui essaie en vain de la tenter, et
martyre de sa foi, se distingue par la clarté et l'allure rapide
du récit. Mais elle porte cette rapidité jusqu'à la sécheresse.
On y trouve peu de poésie et d'émotion.
La Vie de Sainte Hélène a plus d'envergure. C'est le récit de
l'invention de la Vraie Croix par la mère de l'empereur Cons..
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tantin, après la victoire de l'Empereur sur les Huns (sic). L'expé-


dition guerrière de Constantin, la bataille, le voyage sur mer
d'Hélène en Judée, offrent au poète l'occasion de placer ces traits
descriptifs traditionnels où le vers indigène se trouve dans son
élément et reprend avec aisance le ton épique.
Saint André est la plus touffue et la plus byzantine de ces
'égendes. Il faudrait une longue analyse pour épuiser la liste
des miracles que le saint accomplit en allant délivrer l'apôtre
saint Mathieu, prisonnier des Myrmidons anthropophages :
traversée de la mer en furie dans une barque où saint André
a sans le savoir le Christ pour pilote, entrée de saint André
invisible dans-le cachot où gît saint Mathieu, fureur des anthro-
pophages quand ils voient le captif délivré, torture de saint
André qui demeure invulnérable, sa vengeance au moyen d'une
inondation qu'il déchaîne sur la ville en ordonnant à une des
colonnes de sa prison de répandre des torrents d'eau, sa colère
calmée par les prières que lui adresse le peuple terrifié; le déluge,
qui déjà élevait ses flots jusqu'aux aisselles deshabitants, précipité
dans un trou de la montagne à qui le saint à enjoint de s'ouvrir,
la conversion en masse des Myrmidons frappés de stupeur.
Ce n'est là qu'une partie des incidents qui fourmillent dans les
dix-sept cents vers du poème. La richesse exubérante des faits
préserve le Saint André de la diffusion verbeuse de la plupart des
poèmes chrétiens anglo-saxons. Il y a moins de délayage. Tou-
tefois l'auteur inconnu est suspect d'une rhétorique moins
innocente que celle de ses prédécesseurs. Il y a chez lui du
« style sensationnel, »comme l'a bien dit Stopford Brooke.
Il y en avait aussi, à vrai dire, dans la Sainte Hélène où
Cynewulf accumulait à froid les périphrases trop aimées. Ne
disait-il pas, faisant la confession de ses erreurs : «J'étais souillé
de crimes... —avant que le grand Roi m'eût révélé son éclat —
eût délié la maison-des-os, ouvert la serrure-du-cœur, - ôté le
verrou de l'art-des-vers, pour que j'en fisse joyeux usage. »
Bizarres poèmes où sur la trame extravagante de romans
byzantins viennent se coudreles lourdesjoailleries anglo-saxonnes.
En regard de ces vies de saints exotiques, une seule indigène,
celle de Saint Guthlac. C'est malheureusement des quatre la plus
imparfaite, car elle se compose de deux parties mal soudées dont
la première est confuse et médiocre. Mais ce poème mérite de
retenir quelques instants car il confirme et complète quelques
remarques déjà suggérées par les paraphrases chrétiennes.
Il se fonde sur un récit en prose latine fait par Felix, moine
de Crowland en Mercie. La vie desaint Guthlac commela raconte
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Felix vaut d'être mise à côté d'une autre vie de saint national,
saint Cuthbert, retracée par Beda. Elle est riche de légendes
qui ont fleuri sur le sol même de Grande-Bretagne. On y respire
le parfum des naïves croyances populaires. On a vraiment en
la lisant l'impression d'atteindre aux sources du sentiment reli-
gieux du passé. Guthlac, fils d'un noble de Mercie, né vers la
fin du VIle siècle, s'est fait ermite, et il s'est construit une cabane
dans une île solitaire entourée d'un vaste marécage au nord de
la Granta. Il y est tourmenté par de vilains démons «qui parlent
breton (celtique) »—et qui pourraient bien avoir été, tout sim-
plement, les premiers possesseurs du sol traqués par les Merciens.
Il a toutes sortes d'humbles divinations, témoignages de sa
perspicace bonhomie, et accomplit nombre de modiques guérisons
qui passent pour miraculeuses. Mais ce qui le fait surtout aimer
c'est une tendresse pour les bêtes digne de saint François d'Assise.
Il est- environné d'oiseaux que sa bonté a rendus familiers. Il
aime les bêtes, il sait leurs mœurs, il parle avec elles, et s'attriste
tout de bon quand elles commettent quelque action injuste ou
méchante.
Vraiment la lecture de sa vie en prose est pleine de charme et
de suavité. Rapprochée des récits de Beda dont il a été parlé,
elle donne l'idée de la riche matière qu'offrait pour la poésie
religieuse la foi ingénue de ces âges et de ce pays. Or la vie en
vers de saint Guthlac nous frappe péniblement par son vide.
Tout ce qu'il y avait de concret et de pittoresque dans la prose
latine a disparu pour faire place à une manière d'élévation sur
le sujet, inintelligible pour qui ne connaîtrait pas d'autre part
la vie du saint. Plus de progrès dans le récit ; plus de contours;
tout est brouillé. La lutte contre les démons devient dans le
poème un combat banal d'arguments. Même la seconde partie
du poème sur la mort du saint, où il y a de beaux accents, laisse
regretter la justesse de l'original et l'on pourrait ici encore
constater les méfaits de cette opprimante rhétorique qui a si
rarementpermisaux poètes anglo-saxonsdeparler avec simplicité.
11. AUTRES POÈMES CHRÉTIENS : LE RÊVE-DE LA CROIX.
LE BESTIAIRE. LE PHÉNIX. POÈMES DIDACTIQUES.
La poésie chrétienne des Anglo-Saxons ne tient pas toute
dans les paraphrases de la Bible et les vies des saints. Elle com-
prend encore des poèmes de genre divers qui méritent d'être'
signalés.
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On a déjà vu Cynewulf guidé dans son choix de la légende de


sainte Hélène par sa piété envers la Croix. Il est donc tentant
de voir en lui l'auteur du Rêve de la Croix, rêve qui aurait déter-
miné sa conversion. La personnification de la Sainte Croix était
d'ailleurs une tendance naturelle de la foi et à plusieurs reprises
les clercs l'avaient célébrée en leurs vers latins, entre autres
saint Fortunat dans l'hymne admirable et passionné Vexilla
Regis prodeunt où la tendresse du poète s'épanche sur celle qui
fut blessée par la pointe cruelle de la lance et ruissela de sang et
d'eau; où il adore «l'arbre beau et brillant »choisi pour toucher
les membres saints du Sauveur : « Heureuse Croix aux bras de
laquelle —fut suspendue la rançon du monde. —0 Croix1salut,
unique espoir!... »
C'est le même sentiment, la même imagination, qui ont inspiré
le poète anglo-saxon. Incapable dela force concentrée et poignante
de saint Fortunat, il a du moins en propre un songe ingénieux
dont la diffusion n'a pas cette fois effacé les contours. Il a vu en
rêve l'arbre miraculeux tour à tour constellé de pierreries et
ruisselant de sang, qui lui parle et lui conte sa vie depuis le temps
où il fut abattu à l'orée de la forêt jusqu'à celui où monta sur lui
«le jeune héros fort et brave », et où il frémit quand il fut embrassé
par l'Homme-Dieu. Il est maintenant honoré par les hommes;
il est leur fanal et le remède de tous leurs maux.
De bonne heure la littérature chrétienne a attribué un sens
symbolique à des phénomènes naturels, et plus particulièrement
à des animaux surtout fabuleux. Elle avait pour la guider dans
cette voie la parabole biblique aussi bien que la fable grecque.
Delà les Bestiaires du Moyenâge, appelés en latin des Physiologi.
L'anglo-saxon est la première langue vulgaire qui en offre un
spécimen. Ce n'est du reste qu'un fragment où figurent la Pan-
thère, la Baleine et la Perdrix, celle-ci incomplète. La poésie
anglo-saxonne prend à cet exercice un plaisir analogue à celui
que lui donnent les énigmes, et y montre une égale complai-
sance imaginative. La description de la baleine —Fastitocalon
vaste comme une île, si bien que les vaisseaux confiants viennent
s'y amarrer et que les marins débarquent sur son dos pour y
faire du feu et y festoyer, —a une grandeur dont se souviendra
Milton. Naturellement c'est l'instant même où tout est au plaisir
que choisit l'énorme bête pour plonger dans les flots, y entraînant
navire et marins. Ainsi le démon se joue avec l'âme des hommes
qu'il dupe par de faux attraits pour mieux les emporter dans
l'enfer.
Le Phénix est un poème indépendant mais d'un caractère tout
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semblable aux précédents. Tirant son sujet d'Ovide et de Clau-


dien, le poète Lactance, du IVe siècle, avait transformé le phénix
mythologique qui se brûle lui-même pour renaître de ses cendres
en un symbole du Christ et de l'âme chrétienne. Son court poème
latin du Phénix en 85 distiques est une œuvre en style de conven-
tion, pastiché des poètes classiques, gâté par la sécheresse et
par un tour trop énigmatique.
Le poète anglo-saxon qui reprit le sujet en près de 700 vers a
cette fois l'avantage sur son modèle. L'abondance anglo-saxonne
détrempe ici heureusement la sécheresse du latin. Sa ferveur
plus émouvante échauffe une œuvre trop glacée par les souvenirs
et les termes mythologiques. Au lieu de s'écarter de la nature
en s'éloignant de l'original, le poète semble parfois raviver de
ses propres impressions la composition toute artificielle qu'il
avait devant les yeux. Ce mérite rachète, et au delà, son inévi-
table infériorité en lucidité et en condensation. On préfère à
la froide brièveté du latin sa manière aimable et diffuse de
décrire le paradis où vit le Phénix. Il est vrai que, soit impuis-
sance septentrionale, soit refus de la rhétorique anglo-saxonne
de peindre un lieu de délices fleuri et ensoleillé, il se complaît
surtout à paraphraser l'énumération des fléaux épargnés à cet
Eden. Mais même au moyen de cette description trop négative,
il atteint plus de charme que n'en mettaient dans leurs tableaux
les poètes de son pays. Son vers copieux et suave réussit bien
mieux que celui de Lactance à évoquer la merveilleuse harmonie
des chants du Phénix. L'ardente homélie qui termine le poème
et qui est un commentaire du dernier vers de Lactance dont il
n'a pu rendre la forte précision : «Aeternam vit-am mortis adepta
bono, » a une onction et une mélodie qui achèvent de faire de
ce poème peut-être le plus aimable de tous ceux qui furent
écrits en vers allitératifs.
11 faut ajouter à cette poésie chrétienne quelques courts
poèmes didactiques sur les Dons de [Homme ou sur les Destinées
de Vhomrne, ou encore les Dix Instructions d'un Père à son Fils,
dans lesquels la poésie anglo-saxonne se fait sentencieuse. Plus
curieux sont lesDialogues entre Salomonet Saturne oùle didactisme
est égayé par la bizarrerie. Ces dialogues, imités d'un original
latin perdu qui était tiré lui-même d'une source grecque disparue,
sont les prototypes des Dialogues entre Salomon et Marcolf si
populaires au Moyen age. Saturne, qui n'a rien de commun avec
le dieu de la mythologie, est un prince chaldéen d'une famille
de démons. Il connaît tous les livres, mais ignore la magie du
Pater Noster qu'il se fait expliquer par Salomon.
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La morale chrétienne ne s'exprime pas toujours par ces amu-


santes fictions. Elle aime à mettre devant les esprits les lugubres
images de la mort et de la décomposition, à humilier le corps
qui ne cesse d'entraîner l'âme hors des voies du salut. De là
ces luttes entre le corps et l'âme si souvent évoquées dans ces
âges de foi. La poésie anglo-saxonne s'est de bonne heure saisie
de ce thème et la pesanteur habituelle duvers allitératif enaggrave
encore la cruauté. C'est le cas du Discours de l'Ame au Cadaçre.
L'âme invective contre le corps maintenant pourri, proie du ver
vorace aux mâchoires plus aiguës que l'aiguille, mais qui naguère
par ses sollicitations l'entraîna aux péchés en punition desquels
elle a été jetée dans l'enfer. Pour se venger de ce corps funeste,
elle décrit avec une sorte de joie sauvage sa décomposition.
A la fin d'un volume d'homélies on trouve pareille évocation
de la tombe, mais cette fois c'est la Mort qui parle et évoque avec
un sombre réalisme la demeure dernière de tout homme.
Sans doute il est impossible de considérer ces images comme
propres à l'imagination anglo-saxonne. Elles sont essentiellement
chrétiennes et, peut-on ajouter, représentatives des plus sombres
parmi les siècles chrétiens, mais on ne saurait s'empêcher de
noter l'aptitude du rude vers et de la violente rhétorique des
Anglo-Saxons à en rendre l'épouvante et à en accentuer l'horreur.

12. LA PROSE ANGLO-SAXONNE : ALFRED. AELFRIC. WULFSTAN1.


Partout, entre la poésie anglo-saxonne et l'anglaise, nous
aurons le sentiment d'une rupture profonde. De Cynewulf à
Chauceril y a un abîme à franchir. C'est que la poésie des Anglo-
Saxonsest archaïque. Pour mettre l'auditeur dans l'état d'émotion
voulu, elle reprend des tours traditionnels, des mots presque
sacrés, comme la religion opère par le retour constant d'une
liturgie ancienne. La poésie se modèle ainsi sur une époque
antérieure dont il est impossibleaujourd'hui defixerl'éloignement.
Elle en retient mainte périphrase, mainte locution disparue de
l'usage; elle imite et codifie le tumulte des constructions lyriques
primitives. La forme poétique est orientée vers le passé.
1. Édition : C. W. M. Grein, R. Wülker et H. Hecht, Bibliothek der angelsâchis-
chen Prosa, Cassel, 1872- (13 vol. parus).
Étude : R. W. Chambers, On the -Continuity of English Prose frorn Alfred 10
More..., 1932; G. P. Krapp, The Riseol English Literary Prose, Oxford, 1910;
J. W. Tupper, Tropes and Figures in Anglo-Saxon Prose. Baltimore, 1897.
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Imprimé en France
chez BRODARD et TAUPIN, Coulommiers-Paris. — 44849-VIII-6-744.
Dépôt légal : n° 602. — lor dépôt en 1924.
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