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E. LEProfesseurs
GOUàISla Faculté
& desL.lettres
CAdeZParis
AMIAN
H I S TDEO
LA
IRE
LITTERATURE
ANGLAISE
ÉDITION REVUE
ET MISE A JOUR
TOME 1
650.1660
LIBRAIRIE
H A C H E TT E
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INTRODUCTION
1
La littérature de langue anglaise, l'une des plus riches
en beauté originale, est la plus considérable en étendue
qui ait été ou qui soit au monde. Sa production passée
et présente réunie dépasse dès maintenant en quantité
celle de toute autre langue ancienne ou moderne. Ce
volume-ci, quelque nombreuses qu'en soient les pages,
n'a pu prétendre l'embrasser tout entière. Il s'est borné
à la littérature anglaise des Iles Britanniques, laissant
à d'autres la littérature déjà si vaste et d'une croissance
prodigieusement rapide des États-Unis, aussi bien que
celles des diverses colonies anglaises. C'est seulement en
sacrifiant le tableau de son expansion au delà des océans
qu'il était possible de présenter sans trop de superficialité
son histoire, et de retracer, grâce à l'unité de lieu, un
développement cohérent et harmonieux.
Destiné à une collection qui a été consacrée par des
histoires littéraires réputées, et tout spécialement par le
rare mérite de la littérature française de M. Lanson,
c'était pour ce livre un haut privilège d'avoir pour guide
et pour modèle ce dernier ouvrage devenu immédiate-
ment un classique. Dangereux honneur, s'il s'agissait
d'une compétition forcément décourageante, mais sll-
mulant précieux par l'exemple de pénétration, de logique
et de méthode qu'on avait devant les yeux. L'avantage
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II
La division de ce livre en deux parties, la première qui
traite des Origines, du Moyen âge et de la Renaissance;
la seconde, des époques moderne et contemporaine,
entraîne de manifestes différences de présentation et
même de méthode. Il serait vain de nier que ces variations
tiennent pour une part aux habitudes d'esprit distinctes
(tes deux collaborateurs. Mais un seul auteur eût-il com-
posé cette histoire qu'il eût été amené presque inévita-
blement à procéder de manière différente dans l'exposé
du passé et dans celui du présent.
Le passé est depuis de longues années devenu matière
d'érudition. Plus espacés et moins accablants par leur
nombre, les monuments littéraires sont en revanche
chargés de commentaires et environnés de travaux d'ap-
proche qui atteignent par endroits, surtout quand il
s'agit des grands noms, commeceuxdeChaucer, de Shakes-
peare ou de Milton, des proportions vraiment redoutables.
L'effort ne consiste pas ici à défricher. Il s'agit de percer
à travers ces multiples remparts de critique antérieure,
qu'il faut d'ailleurs connaître, pour arriver au contact
direct des œuvres originales. Il importe à la fois de se
servir des meilleurs résultats obtenus et pourtant de ne
pas répéter telles quelles les études déjà faites. Un livre
nouveau ne justifie sa publication que par l'apport de
quelque nouveauté.
Plus précisément, toute histoire nouvelle de la litté-
rature anglaise qui est tentée en France est obligée de
tenir compte des deux œuvres diversement remarquables
qui ont été chez nous, entre plusieurs autres, consacrées
à cette même littérature. L'ouvrage fameux de Taine
paru en 1864 est resté l'un des plus caractéristiques du
philosophe dont les idées ont marqué d'une empreinte
profonde la seconde moitié du xixe siècle. La doctrine
qui y a trouvé son expression, l'éclat et la verve de ses
pages, non moins que la renommée de l'auteur, conti-
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sur celles qui sont trop peu connues chez nous. Ainsi
a-t-elle quelque chance de servir de complément utile
aux remarquables ouvrages qui l'ont précédée.
III
Les raisons qui ont décidé du caractère de la première
partie n'existent pas pourla seconde. Icipoint deprédéces-
seurs français ou à peine; peu même de prédécesseurs
anglais. La relative absence de guides est une difficulté,
mais aussi un aiguillon; elle provoque à l'audace, en
imposant la construction de cadres. Un lien doit être
cherché entre des faits littéraires trop nombreux et divers
pour que leur ordre naturel ne soit pas du désordre.
Onest ainsi amené à poser, non pas commeTaine undéter-
minisme, mais un enchaînement plus souple et plus
intime, qui sans faire violence à l'originalité de l'écrivain,
essaie de saisir les éléments généraux de ses préférences.
Le principe de ce classement est offert, non par la phy-
sique, l'ethnographie, l'histoire, mais par la plus humaine
des sciences de l'homme, et la compagne légitime de
toute critique, la psychologie.
Avec les temps modernes (1660-1914), l'esprit national
acquiert une maturité mieux définie. Si la littérature,
comme on l'admet, est liée toujours à la vie spirituelle
de groupes humains, cette relation est dès lors plus
aisément saisissable; elle a été reconnue en sa plénitude.
La nature et la succession des périodes, le passage de
l'une àl'autre, l'histoire des genres, tout le mouvement des
lettres en un mot, ont été regardés à la lumière d'un fait
central, le devenir de l'esprit anglais. Or celui-ci montre
une périodicité sensible, dont le rythme va s'accélérant,
entre les deux groupes de tendances qui répondent en
gros aux besoins romantiques et aux besoins classiques
du goût; tandis que la conservation du passé moral dans
le présent assure à chaque phase son originalité par
une richesse de souvenirs sans cesse croissante. Il a paru
possible de trouver l'idée directrice de l'étude en cette
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PREMIÈRE PARTIE
LE MOYEN AGE
ET LA RENAISSANCE
(650-1660)
PAR
ÉMILE LEGOUIS
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AVERTISSEMENT
1896,
en 2e vol. 1904). S'arrête vers la fin du règne de Jacques Ier,
1625.
Pour qui veut suivre à la fois le développement de la langue
et de la littérature, rien n'est plus à recommander que les textes
publiés par la Clarendon Press d'Oxford :
Sweet. An Anglo-Saxon Reader in Prose and Verse. —9eédition
revisée par C. T. Onions, 1922.
Morris et Skeat, Specimens of Early English, 1er vol. 1150-
1300, 2e vol. 1298-1393.
W. Skeat, Specimens of English Literature, 1394-1579.
A tous les ouvrages ci-dessus, il sera renvoyé par abréviation,
ex. Jusserand. Rist. Lit., ou Morris et Skeat Specimens, 1er vol.,
etc.
Autre abréviation : E. E. T. S. pour Early English Text Society.
Pour la biographie des écrivains, se reporter au Dictionary of
National Biography (D. N. B.).
Pour des citations correspondant aux appréciations critiques,
on'pourra se reporter aux ouvrages suivants :
Beljame et Legouis : Morceaux choisis de littérature anglaise
(Hachette). Les extraits sont en anglais.
A. Koszul : Anthologie de la Littérature anglaise, 2 vol. (Dela-
grave). Les extraits sont traduits en français.
Aux ouvrages ci-dessus il faut ajouter :
The Cambridge Bibliography of English Litterature, Ed. by
F. W. Bateson, 4 vol., Cambridge, 1940.
ALiterary History of England, Ed. by A. C. Baugh, NewYork,
1948.
The Oxford History of English Literature, Ed. by F. P. Wilson
and Bonamy Dobrée, Oxford, 1945—.
J. Hall, Selections from Early English, Oxford, 1920.
Bruce Dickins et R. M. Wilson, Early Middle English Texts,
Cambridge, 1951.
K. Sisam et J. R. R. Tolkien, Fourteenth Century Prose and
Verse.
Ces trois derniers ouvrages remplacent les Spécimens de Morris
et Skeat, que l'on ne réimprime plus.
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LIVRE I
LES ORIGINES
CHAPITRE 1
LA LITTÉRATURE ANGLO-SAXONNE (650-1066)
1. COMMEQUOI LALITTÉRATURE ANGLO-SAXONNE EST DISTINCTE
DE LA ' NGLAISE.
Les Anglais considéraient naguère Chaucer comme le père de
leur poésie. Ils trouvaient la source première de leur littérature
dans ce xive siècle où s'était achevée sur le solbritannique lafusion
des Anglo-Saxons et des Franco-Normands. Aujourd'hui c'est au
VIIe siècle qu'ils font remonter leurs origines littéraires. Ils pro-
clament maintenant pour leurs premiers poètes Caedmon et
l'auteur ignoré de Beowulf. Encore ne s'arrêtent-ils là que faute
de monuments plus anciens. Curieuses sont les étapes et les
raisons de cette marche en arrière, à la conquête du passé.
Depuis la bataille de Hastings en 1066 jusqu'à la Réforme reli-
gieuse du xvie siècle, les oeuvres antérieures à la conquête nor-
mande demeurèrent oubliées dans les cloîtres, déchiffrées seule-
ment par quelques moines qui se transmettaient la connais-
sance de l'ancienne langue. La dissolution des monastères eut
pour effet la perte d'un grand nombre de ces documents, mais
en revanche l'apparition du reste au grand jour. Quelques érudits
tournèrent sur ceux-ci leur attention, uniquement soucieux au
début (et surtout pour des raisons de polémique) des origines
religieuses et historiques de la nation, ou encore des caractères
de la langue dans laquelle ils étaient écrits. Peu à peu, après les
chartes et les livres de piété, furent explorées de vieilles œuvres
littéraires et une sorte de bibliothèque poétique fut constituée.
L'idée se fit jour qu'une véritable littérature nationale avait
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leur donnent une valeur édifiante que sans aucun doute elles
n'eurent pas primitivement.
C'est parmi ces clercs qu'il nous faut nous placer tout d'abord
pour comprendre non seulement les pages issues directement
d'eux, mais encore la nature et le ton des fragments plus anciens
auxquels ils ont fait grâce.
Reportons-nous à la fin du vue siècle. La conquête est terminée.
Poussées vers l'ouest par les Huns, les tribus germaniques situées
entre l'Elbe et l'Oder, et le long de la côtedanoise, se sont emparées
peu à peu depuis deux cents ans du territoire oriental de la
Grande-Bretagne. Les Angles sont maîtres du pays au nord du
Humber, les Jutes du pays de Kent, les Saxons de tout le reste
de la contrée au sud de la Tamise. Arrivés païens, ils ont été
convertis en masse à la fin du vie siècle, et c'est à la fin du vire
que les premiers écrits datés apparaissent.
Les plus anciennes lois rédigées témoignent d'une civilisation
déjà, considérable où l'esprit chrétien a pénétré. Les Anglo-Saxons
sont déjà des sédentaires, cultivant le sol, protégés contre le vol et
la maraude, ayant une organisation judiciaire qui enlève à l'indi-
vidu le droit de se faire vengeance et qui remplace le plus possible
par des amendes les châtiments corporels. Une société hiérar-
chisée s'est constituée dans chaque État avec un équilibre heureux
de centralisation et d'institutions démocratiques.
Rien n'est donc plus illusoire que de prendre ce que nous avons
de littérature anglo-saxonne pour une production primitive et
d'y chercher le reflet direct de la barbarie germanique. Mêler le
tableau que nous offre Tacite des Germains du Ier siècle
avec celui de l'Angleterre du VIlle, c'est mettre sur le même plan
le Chant des Frères Arvales et l'Énéide. On peut discerner le
germe lointain des institutions politiques ou des mœurs fami-
liales anglaises dans les pages de l'historien latin, mais il faut
reléguer dans un passé aboli ses descriptions de sauvages à demi
nus, ou vêtus de quelque peau de bête, tout employés à la guerre
ou à la chasse, nomades incapables d'un travail prolongé, vivant
dans des huttes ou des souterrains sordides, retenus par l'indo-
lence pendant des jours entiers près du foyer, ignorant et dédai-
gnant l'agriculture. Il convient d'écarter ce qu'il nous dit de leur
religion, de leurs dieux qui seraient les pendants de Mercure, de
Mars et d'Hercule, ou de leur culte pour Ertha, la Terre mère,
ainsi que des forêts superstitieuses où se consommaient d'atroces
sacrifices humains. Ces caractéristiques qui sont en somme celles
de tous les peuples avant la civilisation sont intéressantes à
connaître sans doute, mais ce ne sont que des états antérieurs qui
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jolies. Non moins par son goût de l'énigme que par sa passion
pour les métaphores, le latiniste Aldhelm trahit son origine.
Le grand latiniste de Northumbrie, le vénérable Beda, pré-
sente avec Aldhelm un saisissant contraste. Quoi que l'on pense
de son goût, Aldhelm est surtout un artiste; la manière est chez
lui supérieure à la matière. Tout autre Beda (672-735). Cet Angle
élevé dans l'abbaye de Wearmouth et qui passa tout le reste de
sa vie au monastère de Yarrow, fut de son temps le plus savant-
théologien et le meilleur historien de la chrétienté. Il résume et
absorbe en lui la culture d'une époquedéshéritée sur le continent.
La variété de ses connaissances et de ses curiosités se marque
aux sujets de ses principaux ouvrages : un traité de métrique, une
histoire naturelle, une chronologie universelle calculée sur l'ère
chrétienne et fondée sur de sérieuses études astronomiques, un
martyrologe, des vies des abbés de Wearmouth et de Yarrow,
une vie de Saint-Cuthbert, et surtout une Histoire ecclésiastique
des Angles.
Les plus intéressants pour nous sont ses ouvrages historiques
ou biographiques. Ce qui les distingue c'est l'honnête amour de
la vérité, la recherche diligente des documents. Sa conception
et sonstyle sont impersonnels, clairs et simples, bien au-dessus du
niveau des contemporains. C'est par l'intelligence qu'il lesdomine.
Il nous renseigne sur les faits et interprète les mœurs. SonHistofre
ecclésiastique reste le principal guide pour les temps primitifs
qu'il retrace, du point de vue religieux, depuis la conquête de
Jules César jusqu'en 731, quatre ans avant la mort de l'auteur.
La conversion, la lutte entre l'Église romaine et l'irlandaise, le
triomphe final de la première, en sont les principaux thèmes.
Mais on a trop exclusivement loué enBéda l'historien et le savant.
Son extrême simplicité qui fait si grand contraste avec les arti-
fices d'Aldhelm, la faiblesse des vers latins qu'il a laissés, ont nui
à sa réputation littéraire. Or, c'est chez lui, plus que chez aucun
des latinistes anglo-saxons et plus aussi que chez les poètes en
langue vulgaire, qu'il faut chercher la poésie et le charme, comme
lesens, decette époque de ferveur chrétienne primitive. C'est dans
ses vies des saints et des abbés, c'est dans son Histoire ecclésias-
tique, qu'on en aspire le plus intime et le plus pénétrant parfum.
Les faits directement contés, avec le merveilleux de naïves
croyances qui les revêt, ont une éloquence bien supérieure à
celle de toutes les effusions et paraphrases des poètes eux-mêmes.
D'ailleurs Beda comme Aldhelm cultivait le vers national et
sa lucide raison en pouvait interpréter l'esprit. Toute l'épopée
dite caedmonienne pourrait être sacrifiée de préférence aux
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(h, sp, st, str, hr, thr, etc.) mais ces consonnes sont la partie vitale
de la syllabe. Elles ne sont pas tranquilles; elles font explosion,
et leur fracas assourdit les voyelles voisines. Comme ce trait
subsiste, il suffit de faire prononcer aujourd'hui n'importe quel
mot français par un gosier anglais pour le sentir. Donne devient
ddonne, plaine devient pplaine, etc. C'est cette valeur de la
consonne initiale qui, combinée avec l'accent tonique lequel
met en relief dans le mot la syllabe radicale, et avec l'accent
oratoire (emphasis) qui souligne dans la phrase le mot essentiel,
a constitué la loi de la versification anglo-saxonne. L'insignifiance
relative des voyelles se marque à la règle suivant laquelle les
allitérations ou répétitions de consonnes initiales peuvent être
remplacées par des sons 'de voyelles lesquelles n'ont pas besoin
d'être identiques. C'est qu'en pareil cas ce n'est pas le son de la
voyelle qui importe, c'est l'absence de la consonne. L'effet est
produit par l'adoucissement momentané du vers.
Le vers normal se compose d'un nombre indéterminé de
syllabes divisées en deux sections. Dans chaque section se doivent
trouver deux accents rythmiques. Le retour de la même consonne
(ou du même groupe de consonnes) en tête des deux syllabes
accentuées de la première section, et de la première syllabe
accentuée de la seconde section, forme l'allitération. Ex. :
steap stanlitho —stige nearwe (Beowulf, II. v. 159.)
Steep stone slopes, paths narrow.
(de) roides flancs-de-roc, (des) sentiers étroits....
Il arrive d'ailleurs souvent qu'une seule allitération existe
dans la première section.
2° Si le principe du vers est l'accent combiné avec l'allitération
et si les deux s'appuient sur l'éminente valeur des consonnes,
le style, la construction de la phrase poétique, relèvent d'un
autre trait du langage.
A la différence de l'anglais moderne qui est une des langues
les plus analytiques, les plus dénuées de flexions, l'anglo-saxon
exprimait les changements de temps, de nombre ou de personne
au moyen, soit de modifications dans les voyelles du radical,
soit de terminaisons variées. Doté de quatre cas pour chacun
des deux nombres, de plusieurs déclinaisons du nom, de deux
déclinaisons de l'adjectif, de multiples conjugaisons du verbe,
il était presque aussi synthétique que le latin. Sa syntaxe était
celle d'une langue à inflexions; elle offrait une grande complexité
dans l'emploi des cas et une large liberté dans l'arrangement
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7.LESCHANTSGUERRIERS:BRUNANBURH;LABATAILLEDEMALDON2
C'est naturellement dans leurs chants guerriers, surtout dans
ceux où ils célèbrent leurs propres batailles, que les Anglo-Saxons
ont le mieux conservé les marques de leur humeur farouche pri-
mitive. Et cela est indépendant de la chronologie. Peut-être
n'existe-t-il rien qui reflète mieux leur passé que la sorte d'ode
que la chronique en prose rédigée par quelque moine a insérée
pour glorifier la grande victoire qu'Athelstan, roi de Wessex et
deMercie, et son frère Edouard, remportèrent en937àBrunanburh
sur les Scots conduits par Constantin et les Scandinaves venus
d'Irlande sous le commandement d'Anlaf. L'enthousiasme féroce
de la victoire y éclate avec une sauvage ironie à l'adresse des
envahisseurs abattus ou mis en fuite. La rapidité, la clarté même
de l'ode permettent d'y voir un spécimen de ces « cantilènes »
populaires que l'on sait avoir été vivaces chez les Anglo-Saxons.
Tandis que la poésie narrative ou élégiaque se fait souvent si
obscure qu'on ne peut guère la croire destinée au peuple et com-
prise par lui, nous avons ici un chant qu'on imaginerait aisément
1. Douady, La mer et les Poètes anglais, 1912.
2. Éditions : Kershaw, op. cit. (Brunanburh) ; W. J. Sedgefield, The Battle of
,Ualdon and Short Poems from the Saxon Chronicle (1904) ; E. V. Gordon, The Battle
of Maldon (1937).
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étroite ressemblance entre les deux poèmes. Mais c'est peu vrai-
semblable. Maldon est un poème strictement historique, sans
grandissement du sujet, sans merveilleux, et sans possibilité d'en
introduire par remaniement. Ce n'est pas un germe, c'est lefrag-
ment d'une œuvre définitive. Sans doute les sentiments sont dans
les deux œuvres presque identiques. Byrhtnoth par point d'hon-
neur laisse les Northmen franchir librement le gué tout comme
Roland refuse de sonner la trompe pour avertir Charlemagne.
L'un et fautre préparent le désastre par orgueil chevaleresque.
L'attachement de Byrhtnoth à son roi Æthelred, celui des com-
pagnons d'armes à leur chef Byrhtnoth, sont de même nature que
le lien de devoir et d'amour qui unit Roland à Charlemagne et
tous les guerriers francs à Roland. Godric le lâche fait pendant au
traître Ganelon. Enfin Byrhtnoth comme Roland est un chrétien
occis par les païens et dont les dernières paroles sont pour Dieu,
chef suprême des guerriers, dont il se sait aimé parce qu'il est vail-
lant et qu'il meurt en combattant.
Mais avec tous ces traits deressemblance, Byrhtnoth reste singu-
lièrement distinct deRoland. Il ala sévérité nue del'histoire tandis
que Rolanda le prestige dela légende. Si héroïques qu'elles soient,
les actions n'atteignent jamais dans la Bataille de Maldon au sur-
humain. Elles ont plus de solidité et moins de poésie. Les hommes
n'y accomplissent pas d'impossibles prouesses. Ils se battent
jusqu'à la mort, voilà tout. L'imagination n'est pas venue trans-
figurer ledésastre. Aussi, malgréles fières paroles du chefmourant,
malgré les nobles harangues de ses amis et leurs beaux coups
d'épée, malgré leur ivresse depéril et de mort, ce poème est triste
comparéauRoland, si plein d'espoir et detriomphe jusque dans la
défaite,si assuré dela missiondivine des Francs, et d'ailleurs ayant
tant de ciel bleu sur la tête, si rayonnant delumière et de couleur.
Byrhtnoth occupe une place unique dans la poésie d'avant la
conquête normande. Par l'étroite précision avec laquelle il
paraît suivre les événements, on ne lui trouve pas de pair avant
l'apparition des trouvères anglo-normands, en particulier de ce
Wace qui chantera la bataille de Hastings. Mais si les faits n'y
sont pas transfigurés par la légende, ils sont néanmoins ennoblis
par la marche vraiment épique du récit et la noblesse du vers
allitératif, éléments de grandeur que l'octosyllabe de Wace
ne possédera plus. Il déconcerte aussi par sa rude simplicité à une
date si tardive, alors que la poésie anglo-saxonne est allée en
exagérant sa rhétorique. Au moment où celle-ci, accablée par ses
périphrases, semble épuisée, il apparaît comme un symptôme de
""igueur, comme une promesse de rénovation. Trop isolé pour per-
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8. LES ÉNIGMES1.
Il peut paraître bizarre de compter parmi les plus intéressantes
productions de la poésie anglo-saxonne la collection d'énigmes
qui nous est parvenue et que plus d'un critique attribue sans
preuves convaincantes au poète Cynewulf. On en est moins sur-
pris quand on considère le tour énigmatique que cette poésie
affecte en toute circonstance, aimant à désigner l'objet par ses
qualités plus que par son nom précis, cultivant la périphrase,
recherchant les subtilités verbales, donnant aux préceptes et aux
maximes un tour singulier et fait pour amorcer la curiosité. On
peut admettre qu'il y eut de tout temps des énigmes proposées
par les «scops »à la sagacité des convives des banquets devant
lesquels ils exerçaient leurs talents. Toutefois les énigmes que nous
possédons ne sont pas originales et elles sont toutes chrétiennes.
La plupart sont fondées sur les énigmes latines du clerc Aldhelm
qui lui-même avait pris pour modèles celles de Symposius.
D'autres proviennent du latin de Tatwine, archevêque de Canter-
bury. Mais dans son imitation l'énigme anglo-saxonne en prend à
son aise. Elle devient poétique en cessant d'être, si l'on peut dire,
utilitaire. Ce n'est plus simplement une ingénieuse définition
dont le seul but est de piquer l'attention et d'exercer l'esprit.
C'est maintenant un tableau souvent copieux de l'objet, lequel
est non seulement personnifié mais animé et rendu vivant. Du
même coup le cadre étroit de l'énigme latine se rompt. Il enva de
ce genre comme de la sèche fable ésopique avec Phèdre ousurtout
avec La Fontaine. Ce sont d'habitude de vrais poèmes de lon-
gueur variable, parfois considérable. Toutes les lois de l'énigme
sont du coup violentées. On n'y trouve plus cette brève précisïon
qui la caractérisait. Ala place c'est trop souvent la diffusion et
le vague. Ce sont, disons-le, de détestables énigmes, mais on s'en
console sans peine quand on voit le poète emporté par son intérêt
pour le sujet, oublier de parler à l'esprit pour s'adresser à l'ima-
1. Éditions : A. J. Wyatt, Old English Riddles, Boston, 1912 (bonne édition),
E. Tupper, The Riddles of the Exeter Book, Boston, 1010 (édition savante). — Tra-
ductions en anglais moderne : Stopford Brooke, Early English Literature, 1892;
B. Thorpe, Codex Exoniensis (texte en regard), 1842.
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eux? D'abord et surtout celle de la forme. Ils ont jeté la Bible dans
le moule deleur poésie nationale; ils l'ont transposée envers allité-
ratifs ; ils lui ont donné cette allure moitié épique, moitié lyrique,
qui est caractéristique de toute leur poésie, et qui d'ailleurs se
trouvait en plus d'un endroit convenir au poème hébraïque.
En second lieu, ils ont mis dans cette transcription toute leur
ferveur de nouveaux convertis en même temps que leur naïveté
de peuple ignorant qui se représente les Hébreux tels qu'il est
lui-même; qui voit dans le ciel, avec Dieu et les anges, son roi
entouré de ses thanes; qui, incapable de sortir de soi, de ses
mœurs, de son climat, exprime instinctivement i propos de l'his-
toire hébraïque ses propres sentiments, et s'imagine la Judée
baignée par les flots sombres et glacés de la mer du Nord.
Cette transposition est surtout sensible dans les tableaux
maritimes où se ré-vèle l'expérience nautique des Vikings et dans
les récits de bataille où se ravive l'ardeur des scops. Ceux-ci
tirent de leur tradition païenne les détails convenus : choc des
lances, guerriers coiffés du heaume, cris de guerre, corbeaux noirs
qui croassent parmi les dards.
*Sansnier ce quecette inintelligence dela Bible a de curieux et de
pittoresque; sans contester la vie et la véhémence qui naissent
de cette assimilation trop compléta on ne peut s'empêcher de
constater la monotonie d'une imagination qui ramène tout dans
le monde à deux ou trois sentiments et à deux omtrois descrip-
tions toujours les mêmes.
Surtout si l'on cesse un instant de lire ces poèmes anglo-saxons
avec l'indulgence prête aux concessions qu'on éprouve pour des
ébauches enfantines ou barbares; si, commel'ont fait certains cri-
tiques, on réclame pour eux trop d'éloges, le lecteur est saisi par
le contraste qui s'offre entre la lourde pompe de la paraphrase et
la vigueur sobre et sublime de la Bible elle-même. Il trouve
vraiment trop flatteur le mot de Ten Brink : «Le poète anglo-
saxon de la Genèse est personnel seulement dans le détail et
l'exécution, échangeant le récit serré et simple de la Bible pour
un style large, passionné, épique. »Car cechangement n'est sou-
vent qu'effacement de la beauté primitive, non perçue, sous le
poids des mots :
La Bible. La paraphrase.
La terre était informe et La terre n'était pas encore
nue, et les ténèbres étaient sur verte d'herbe; l'océan était
la face de l'abîme; et l'esprit farouche dans • les ténèbres
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Felix vaut d'être mise à côté d'une autre vie de saint national,
saint Cuthbert, retracée par Beda. Elle est riche de légendes
qui ont fleuri sur le sol même de Grande-Bretagne. On y respire
le parfum des naïves croyances populaires. On a vraiment en
la lisant l'impression d'atteindre aux sources du sentiment reli-
gieux du passé. Guthlac, fils d'un noble de Mercie, né vers la
fin du VIle siècle, s'est fait ermite, et il s'est construit une cabane
dans une île solitaire entourée d'un vaste marécage au nord de
la Granta. Il y est tourmenté par de vilains démons «qui parlent
breton (celtique) »—et qui pourraient bien avoir été, tout sim-
plement, les premiers possesseurs du sol traqués par les Merciens.
Il a toutes sortes d'humbles divinations, témoignages de sa
perspicace bonhomie, et accomplit nombre de modiques guérisons
qui passent pour miraculeuses. Mais ce qui le fait surtout aimer
c'est une tendresse pour les bêtes digne de saint François d'Assise.
Il est- environné d'oiseaux que sa bonté a rendus familiers. Il
aime les bêtes, il sait leurs mœurs, il parle avec elles, et s'attriste
tout de bon quand elles commettent quelque action injuste ou
méchante.
Vraiment la lecture de sa vie en prose est pleine de charme et
de suavité. Rapprochée des récits de Beda dont il a été parlé,
elle donne l'idée de la riche matière qu'offrait pour la poésie
religieuse la foi ingénue de ces âges et de ce pays. Or la vie en
vers de saint Guthlac nous frappe péniblement par son vide.
Tout ce qu'il y avait de concret et de pittoresque dans la prose
latine a disparu pour faire place à une manière d'élévation sur
le sujet, inintelligible pour qui ne connaîtrait pas d'autre part
la vie du saint. Plus de progrès dans le récit ; plus de contours;
tout est brouillé. La lutte contre les démons devient dans le
poème un combat banal d'arguments. Même la seconde partie
du poème sur la mort du saint, où il y a de beaux accents, laisse
regretter la justesse de l'original et l'on pourrait ici encore
constater les méfaits de cette opprimante rhétorique qui a si
rarementpermisaux poètes anglo-saxonsdeparler avec simplicité.
11. AUTRES POÈMES CHRÉTIENS : LE RÊVE-DE LA CROIX.
LE BESTIAIRE. LE PHÉNIX. POÈMES DIDACTIQUES.
La poésie chrétienne des Anglo-Saxons ne tient pas toute
dans les paraphrases de la Bible et les vies des saints. Elle com-
prend encore des poèmes de genre divers qui méritent d'être'
signalés.
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Imprimé en France
chez BRODARD et TAUPIN, Coulommiers-Paris. — 44849-VIII-6-744.
Dépôt légal : n° 602. — lor dépôt en 1924.
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