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L'Homme

T. Todorov, Théories du symbole


Dan Sperber

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Sperber Dan. T. Todorov, Théories du symbole. In: L'Homme, 1978, tome 18 n°3-4. De l'idéologie. pp. 203-205;

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relations et non entre les termes de ces relations. De deux choses l'une : ou bien des
analogies en série existent dans les sociétés sans écriture et ces tableaux sont une façon
commode de les représenter, ou bien Goody pense que de telles séries d'analogies ne
peuvent pas exister sans écriture, et c'est là une thèse vigoureuse qui mériterait d'être
développée directement.
L'index (autre produit spécifique de l'écriture) laisse à désirer, mais les illustrations
et les exergues ont été choisis avec un agréable éclectisme.
Dan Sperber

Tzvetan Todorov, Théories du symbole. Paris, Seuil, 1977, 378 p., notices bibliogr.,
index (Poétique).

Si la futilité coutumière de la vie intellectuelle parisienne n'avait pas, en 1977,


atteint un comble, c'est ce livre-ci que l'on aurait lu et discuté (parmi quelques autres,
dont Homo aequalis de Louis Dumont, qui lui est à divers égards comparable) . Tzvetan
Todorov y met en lumière deux mille ans de réflexion occidentale sur les symboles et les
signes, un foisonnement de penseurs, de concepts, d'hypothèses, de controverses, auprès
de quoi la sémio tique contemporaine et ses ténors font figure de comparses de l' avant-
scène, originaux surtout par leur outrecuidance à se croire les premiers et les seuls,
à prétendre qu'est vide la scène obscurcie par leurs soins.
Todorov combine deux perspectives : l'une, systématique, embrasse les rapports
entre symboles et signes, les notions qui les décrivent, les théories qui en rendent compte.
L'autre, historique, fait ressortir quelques étapes significatives dans le parcours à peine
accidenté qui mène d'Aristote à Jakobson. Le livre est organisé en deux parties
apparemment symétriques : un long chapitre intitulé « La Naissance de la sémiotique
occidentale », et qui a pour personnage principal saint Augustin, est suivi de quatre chapitres
plus courts consacrés pour deux d'entre eux à la rhétorique, pour les deux autres à
l'esthétique classique, et en particulier à la notion d'imitation. Puis un long chapitre
intitulé « La Crise romantique », où Moritz, Novalis, Schelling et les frères Schlegel se
partagent la vedette, est suivi de quatre autres plus courts consacrés au langage originel
et au langage sauvage tel que l'a conçu en particulier Lévy-Bruhl, à la rhétorique de
Freud, au symbolisme chez Saussure, à la poétique de Jakobson. Le choix des thèmes
et des personnages comprend une part d'arbitraire : par exemple, l'herméneutique, la
philosophie des religions, la logique, la grammaire ne sont qu'effleurées ; Pierre de La
Ramée, Max Millier sont absents, Coleridge et Peirce à peine mentionnés. Pourtant, en
préférant une sélection de tableaux détaillés, à peine reliés entre eux, à un défilé qui de
vertigineux serait vite devenu monotone, Todorov apporte la preuve a fortiori d'une
des rares thèses d'un livre qui comporte surtout des questions : « La réflexion sur le
signe s'est exercée dans plusieurs traditions distinctes et même isolées, telles que :
philosophie du langage, logique, linguistique, sémantique, herméneutique, rhétorique,
esthétique, poétique. L'isolement des disciplines, la variété terminologique nous ont fait
ignorer l'unité d'une tradition qui est parmi les plus riches de l'histoire occidentale » (p. 9).
La constante de cette tradition sémiotique, féconde par ailleurs en conceptions qui
s'opposent, c'est le refus ou l'incapacité de mettre le signe et le symbole sur le même
plan sans pour autant les confondre : ou bien on les confond, ou bien on fait de l'un
l'inférieur, l'ébauche ou l'extension de l'autre. Pour les classiques le signe l'emporte ;
pour les romantiques, le symbole. Mais entre la signification paraphrasable des signes
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(en particulier des mots entendus littéralement) et l'évocation indéfinie des symboles
(y compris les mots employés figurativement) il faut, pour la tradition sémiotique, qu'il
y ait un rapport de subordination ou d'englobement.
Ainsi, pour la rhétorique classique, il y a une norme constituée par le signe ; le
symbole est un écart par rapport à cette norme, un rajout tolerable tant qu'il est confiné à un
rôle ancillaire de mise en valeur du signe, blâmable s'il se met lui-même en valeur aux
dépens du signe. Le symbole, rhétorique ou artistique, est soumis à une fin qui lui est
extérieure.
L'esthétique romantique comporte un double renversement : pas de norme unique,
d'une part ; pas de finalité externe, d'autre part. « La rhétorique ne sera plus possible
dans un monde qui fait de la pluralité des normes sa norme » (p. 138). Les symboles,
avec leur interprétation ouverte, individualisée, et leur incapacité à représenter purement
et simplement un objet extérieur bien défini, deviennent la forme d'expression
romantique par excellence tandis que les signes — et l'allégorie, ce compromis entre signe et
symbole — font figure de parents pauvres.
En dépit de judicieuses réserves, il me semble que Todorov tend à exagérer la
symétrie inversée entre pensées classique et romantique : la rhétorique classique (avec la
logique et l'herméneutique) forme un corps de doctrine complexe et élaboré, fondé sur
des observations détaillées souvent d'une subtilité remarquable, partiellement explicité
au moyen d'une batterie impressionnante (parfois ridicule) de concepts, bref une théorie,
pré-scientifique certes, exprimée avec une grande platitude, mais une théorie quand
même. Face à quoi les romantiques énoncent avec génie deux remarques essentielles :
premièrement, le propre de l'art est d'être à lui-même sa propre fin (réflexivité que
Todorov nomme, à mon avis maladroitement, « intransitivité ») ; deuxièmement,
l'interprétation du symbole n'est ni codée ni codifiable. Cela dit, il n'y a pas un corps de théorie
romantique du signe et du symbole, mais plutôt un discours artistique sur l'art,
symbolique sur le symbole, qui tourne le dos à l'élaboration rationnelle d'observations
empiriques. Bref, en simplifiant à l'extrême, les romantiques barrent à la connaissance un
chemin qu'avaient ouvert les classiques, et s'ils en ouvrent un autre, c'est à la création.
Le mérite de nos contemporains, c'est d'avoir refait en moins d'un siècle ce parcours
de deux mille ans qui mène à un cul-de-sac cognitif. D'abord les néo-classiques qui
refoulent le symbole : Lévy-Bruhl chez qui « les descriptions du signe 'sauvage' (celui
des autres) sont des descriptions sauvages du symbole (le nôtre) » (p. 262) ; Saussure qui,
le nez sur des symboles, ne voit que des signes (un chapitre délectable sur un Saussure
inconnu, Polonius tourmenté à qui on a fait jouer le rôle du Spectre). Freud qui, croyant
découvrir (ce qu'il fait vraiment en d'autres lieux), retrouve les idées classiques : « La
classification des tropes (rapports entre deux sens) se fonde, dans l'Antiquité, sur celle
des associations psychiques (rapports entre deux entités mentales). Cela semble
l'évidence même. On a du mal à comprendre, alors, pourquoi on s'acharne à affirmer que la
grande découverte de Freud consiste à avoir baptisé la métonymie déplacement, et la
métaphore condensation ; et celle de Lacan, à y avoir 'reconnu [dans les termes freudiens]
deux figures essentielles désignées par la linguistique : la métonymie et la métaphore'.
Est-ce vraiment un pas en avant ? » (p. 274, note). Puis un romantique (dans sa
conception du poétique) : Jakobson auquel Todorov consacre un chapitre chaleureux et déférent,
mais pas exempt de critique.
De la confrontation même des idées classiques et romantiques et de leurs avatars
se dégage une impossibilité de souscrire aux unes ou aux autres ou même d'en tenter la
synthèse. Todorov conclut en se déclarant partisan d' « une attitude qui s'oppose en
bloc » aux deux conceptions considérées, et qui reconnaisse que « les modes de la signi-
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fiance sont multiples et irréductibles l'un à l'autre » (p. 359). Il ne décrit pas plus
positivement l'attitude qu'il préconise — ce sera l'objet d'un autre ouvrage. Mais cette
mise en double perspective, systématique et historique, devrait contribuer à une
réévaluation assez radicale des recherches contemporaines et de leur avenir.
Le livre est riche en observations, en citations, en exégèses, ce qui en fait un
instrument utile (qui le serait encore plus avec un index des matières ou, mieux encore, une
table vraiment analytique). Il n'est évidemment pas d'une lecture facile quoique certains
passages comme ceux consacrés à « un citoyen de Toulouse qui se faisait appeler Virgile
le Grammairien », ou aux démêlés de Saussure avec une jeune fille « que l'on désigne
sous le pseudonyme de Mlle Hélène Smith », ou aux brûlures de Jakobson adolescent,
aient un charme tout borgésien.
Dan Sperber

George W. Stocking Jr., The Shaping of American Anthropology i8ç3-içii. A Franz


Boas Reader. New York, Basic Books, 1974, xi -f- 354 p., bibl., index.

George Stocking fut le premier historien de l'anthropologie qui, délaissant le discours


hagiographique où se complaisaient les anthropologues lorsqu'ils évoquaient l'évolution
de leur domaine, sut imposer le style de l'historien dans ses articles consacrés
principalement à l'anthropologie culturelle américaine, mais aussi française (« French
Anthropology in 1800 », in Race, Culture and Evolution. Essays in the History of Anthropology,
New York, Free Press, 1968 : 13-41) et anglaise (« What's in a Name ? The Origins of
the Royal Anthropological Institute (1837-1871) », Man, 1971, 6 (3) : 369-390), ou son
introduction à la réédition du principal ouvrage de J. C. Prichard, Researches into the
Physical History of Man, paru en 1813 (Chicago, University of Chicago Press, 1973).
L'ouvrage dont je rends compte ici s'inscrit dans le courant de réévaluation de l'œuvre
de Franz Boas, fondateur de l'institution anthropologique aux États-Unis. Tous les
chercheurs qui participent à cette réévaluation ne font malheureusement pas preuve
de la sérénité nécessaire, et il faut citer ceux qui, aux côtés de Stocking, contribuent
de façon non polémique au débat : H. Codere, R. P. et E. C. Rohner, R. Darnell et quelques
autres. Le livre est constitué de quarante-huit textes de Boas présentés en dix grands
chapitres et précédés d'une introduction générale. Ces textes sont soit inédits : extraits
de journal ou de correspondance, soit d'accès malaisé : discours de circonstance,
introductions à des catalogues, articles de vulgarisation, etc. Le choix des textes est
manifestement celui d'un historien des idées ; celui d'un anthropologue aurait été sensiblement
différent. Les critères qui ont présidé à ce choix semblent être les suivants : reproduire
des textes importants non encore repris dans des recueils des œuvres de Boas (c'est
ainsi que « On Alternating Sounds », paru dans American Anthropologist en 1889, est
reproduit, alors que « The Limitations of the Comparative Method of Anthropology »,
qui inaugura l'offensive anti-évolutionniste de Boas en 1896, ne l'est pas en raison de
sa présence dans Race, Language and Culture, 1940, rééd. New York, Free Press, 1966),
et mettre à la disposition des anthropologues la partie inédite de l'appareil documentaire
qui servit à la rédaction des articles qu'il a consacrés à Boas (les chapitres 7, 8, 9 et n de
Race, Culture and Evolution, « Franz Boas and the Founding of the American Anthopo-
logical Association », American Anthropologist, i960, 62 : 1-17, etc.). Les textes reproduits
et présentés ici ne constituent donc pas un complément indispensable à l'œuvre
anthropologique de Boas connue jusqu'ici — faite surtout, comme on le sait, de textes indiens

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