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ÉCRITURE ET/OU LINGUISTIQUE (A propos du groupe « Tel Quel »)

Author(s): Anne Nicolas


Source: Langue Française , SEPTEMBRE 1970, No. 7, LA DESCRIPTION LINGUISTIQUE DES
TEXTES LITTÉRAIRES (SEPTEMBRE 1970), pp. 63-75
Published by: Armand Colin

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41557495

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Anne Nicolas, Lille.

ÉCRITURE ET/OU LINGUISTIQUE


(A propos du groupe « Tel Quel ».)

La seule fonction de cet exposé veut


être de renvoyer aux textes.

Parmi tous les numéros de la revue Tel Quel, seul le n° 26 porte


pour sous-titre : Linguistique/ Psychanalyse/ Littérature; à partir dun°29 -
à plus d'un titre central - , le sous-titre sera : Science ¡Littérature К
Est-ce regrouper psychanalyse et linguistique sous la dénomination de
« science », et quel sens en prendrait le terme même de linguistique?
Qu'est-ce en fait que la linguistique pour Tel Quel? De quelle linguis-
tique parle-t-on là? Et surtout, pourquoi la linguistique? C'est à ces
questions que nous nous proposons de répondre, à partir de notre lec-
ture de la revue Tel Quel.
*
* *

Dans l'histoire du groupe Tel Quel , la nécessité d'


linguistique pour approcher les textes « littéraire
les membres du groupe ressentent le besoin de théor
face aux tenants du « Nouveau Roman » - Robbe-G
culier. Un moment défendu 2 - et ce, sans doute pou
tiques - , Robbe-Grillet est vite exclu du champ
effet que Tel Quel dépasse les réflexions naïves sur le
il pose le problème de l'écriture 4, celui des rapports

1. Voir sur ce point Théorie d'ensemble , éd. du Seuil, 1968,


2. T.Q., n° 2. Sept propositions sur Alain Robbe-Grillet Déjà des réticences se
marquent : pour quelles raisons Robbe-Grillet n'a-t-il pas compris l'importance de
l'œuvre de F. Ponge?
3. T.Q., n° 25. « Qu'est-ce que la Maison de Rendez-vous d'A. Robbe-Grillet par
rapport aux œuvres de Raymond Roussel, si ce n'est une régression? » (p. 79). Déjà,
au n° 17 (p. 6) : « ici la remontée philosophique... va bien en deçà du positivisme :
on est chez... Malebranche ».
4. Écriture étant à prendre ici en un sens « préderridéen », comme dans les pre-
miers textes de Barthes.

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le monde, celui de sa propre relation aux précédents mouvements litté-
raires, au surréalisme surtout5.
Comme le remarque Michel Foucault, c'est l'attitude envers le lan-
gage qui marque la divergence entre les surréalistes et les membres du
groupe Tel Quel : « Pour les surréalistes, le langage n'était... qu'un ins-
trument d'accès ou encore qu'une surface de réflexion pour leurs expé-
riences...; pour Sollers, le langage est au contraire l'espace épais dans
lequel et à l'intérieur duquel se font ces expériences; c'est dans l'élément
du langage - comme dans l'eau ou dans l'air - que toutes ces expé-
riences se font » ( T.Q., n° 17, p. 13).
Vis-à-vis du « nouveau roman », les discussions portent sur le réa-
lisme, « dogme astreignant et diffus e », et des « deux aspirations contraires
de la prose 7 » : métaphore et description.
Apparemment, sur le problème de la métaphore, Tel Quel ne fait
que réactiver la théorie surréaliste 8; mais il faut remarquer qu'au même
moment on traduit en français un certain nombre d'articles de R. Jakobson
qui influencent directement la recherche en cours. Or, on sait l'impor-
tance accordée par R. Jakobson aux notions polaires de métaphore et
de métonymie dans le fonctionnement du langage et, en particulier dans
la définition qu'il donne de la fonction poétique du langage 9. La méta-
phore, comme le montre Foucault 10, est un rapport à l'intérieur du
langage, non un rapport du langage au monde, comme tentait de le
poser Robbe-Grillet. Il s'agit donc de savoir comment, dans l'écriture,
se produit le sens.
De même, ce qu'il faut savoir, c'est si le sens est premier dans la
description - un donné à transcrire - , ou bien s'il y fait et comment.
Telle est d'ailleurs la question qui détermine l'attitude de Tel Quel vis-à-
vis de la linguistique, et des rapports de celle-ci avec la théorie du texte :
ce que R. Barthes (T.Ç., n° 7, p. 34) appelait « la cuisine du sens ». Ce
qui importe, c'est le sens se faisant, la production du sens : « lire, c'est
refuser l'orthodoxie d'un sens stable » ( T.Q. , n° 34, p. 53). Il y a dans le
texte, tant de la part de 1'« auteur » que de celle du lecteur, un travail
qui fait naître le sens. L'œuvre n'est pas un pur produit (ce pourquoi
d'ailleurs le terme ď œuvre est inadéquat), elle est aussi productivité;

5. Malgré le « Nouveau Roman » - et peut-être à cause de l'amalgame hâtif


que recouvre ce terme - , on n'a pas encore à l'époque liquidé les problèmes posés par
la « littérature engagée ».
6. J. Ricardou, Problèmes du nouveau roman , Seuil, 1967, pp. 23 et 154.
7. J. Ricardou, Problèmes du nouveau roman9 Seuil, 1967, pp. 23 et 154.
8. Dans le n° 17, Sollers fait remarquer que Breton privilégiait la métaphore
par rapport à l'analogie.
9. « La compétition entre les deux procèdes, métonymique et metapnorique, est
manifeste dans tout processus symbolique, qu'il soit intrasubjectif ou social » ( Élé-
ments de Linguistique générale , éd. de Minuit, p. 65). « La fonction poétique projette
le principe d'équivalence de l'axe de la sélection sur l'axe de la combinaison » ( E.L . G.,
p. 220).
10. T. Q.y no 17, p. 40.

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on peut évoquer un titre de J. Kristeva : la productivité dite texte . « Le
rapport entre l'objet décrit et le sens joue selon une intense mobilité.
En mainte occurrence, le sens institué, support de la description, déter-
mine un étrange affaissement descriptif n. »
C'est donc par la médiation de la « nouvelle critique » que Tel Quel
tourne son attention vers la linguistique; une critique dont R. Barthes
et G. Genette sont les porte-parole 12, et qui, dans le cas de Barthes,
se donne la linguistique comme modèle afin d'élaborer les bases d'une
sémiologie.
L'importance - historique - de la linguistique pour Tel Quel fut
de permettre au groupe de mieux se définir par rapport à ses prédéces-
seurs et ses contemporains. Dans la revue, la première coupure peut
s'effectuer entre le n° 16 et le n° 17, le premier apparaissant comme flori-
lège de la critique contemporaine (Barthes, Butor, Richard y sont rassem-
blés), le second recueillant les débats qui, au colloque de Cérisy, portaient
sur le roman et la poésie 13. Dans le n° 16, Barthes écrit : « la linguis-
tique elle-même (on le voit déjà par certaines indications de Jakobson)
se prépare peut-être à systématiser les phénomènes de connotation, à
donner enfin une théorie du " style et à éclairer la création littéraire
(peut-être même à l'animer) en révélant les véritables lignes de partage
du sens » (pp. 15-16) u.
Le nom de Saussure était déjà apparu dans la revue : l'épigraphe
du n° 13 était tirée du C.L.G. : « en fait, aucune société ne connaît et n'a
jamais connu la langue autrement que comme un produit hérité des
générations précédentes et à prendre TEL QUEL ». Mais l'importance
du linguiste genevois est autre qu'anecdotique : « avec Saussure, nous
avons trouvé l'élaboration d'un modèle scientifique nouveau qui débordait
la conception de l'espace-temps de son auteur 15 ». Le nom de Jakobson
avancé par Barthes a aussi son importance : le revendiquer, c'est du
même coup accepter, quitte à le discuter, l'héritage des formalistes
russes, dont on sait les relations avec le mouvement futuriste le. C'est
aussi accepter comme point de départ, une méthode d'analyse calquée

11. J. Ricardou, p. 91.


12. Voir la prière d'insérer de S/Z : « un livre décisif dans la recherche poursuivie
par Tel Quel , recherche dont Roland Barthes a été et reste l'initiateur ». A ce moment,
T.Q. , se démarque aussi par rapport à certains critiques contemporains : voir l'article
de G. Genette dans T.Q., n° 10, « Bonheur de Mallarmé? »
13. C'est à peu près ce que dit Sollers proposant une « bibliographie » à propos
de Tel Quel {Théo, d'ens., p. 398).
14. Sur le problème de la connotation et révolution propre de Barthes, voir
S/Z, et en particulier ce texte : « Nous sommes encore soumis au prestige de la linguis-
tique, qui, jusqu'à ce jour, a réduit le langage à la phrase et à ses composants lexicaux
et syntaxiques. »
15. P. Daix, Nouvelle critique et art moderne , Seuil, 1967, p. 142.
16. Voir l'épigraphe du n° 37 : « Je ne fais que me servir des travaux de mes
camarades philologues. Il faut que ces philologues transportent leur travail sur un
matériel contemporain et qu'ils aident directement au travail poétique à faire » (Maïa-
kovski).

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sur le modèle phonologique. La revue publie bientôt untextedeChklovski
au titre encore provocateur : Vart comme procédé (n° 21), traduit par
T. Todorov, qui publie ensuite dans la collection Tel Quel une anthologie
des formalistes : Théorie de la littérature .
On peut opérer une seconde coupure au n° 29; il contient une ana-
lyse de type rigoureusement structural d'un poème de Baudelaire par
R. Jakobson, et le premier article de J. Kristeva dans cette revue :
Pour une sémiologie des paragrammes. Le temps d'un formalisme pur est
révolu : la voie s'ouvre pour une « théorie d'ensemble » où l'on affirme
la « nécessité d'interroger les fondements de plusieurs méthodes... par
exemple l'idéologie linguistique ». C'est la transition offerte par ces deux
coupes que nous voudrions ici étudier précisément.

*
♦ *

Dans le n° 26, Ph. Sollers écrivait de Mallarmé : « Du


la littérature débouche sur la science. Mallarmé annonce i
sément la science que peut être la littérature et dont l
science, n'est autre que la linguistique » (p. 85). Cette scie
^ él Quel une première fonction : celle de permettre un b
ogique; elle fournit les instruments nécessaires pour que
dégage des « résidus de la théorie surréaliste », des « c
littérature soi-disant " engagée " et de « l'idéologie positiv
roman » {Théo, ďens ., p. 392). La linguistique structur
renverser les fausses valeurs, mais, dans le même temps,
se présenter comme le modèle d'étude des sciences dites h
donc à ce moment qu'il convient de s'interroger sur les p
les fondements philosophiques de cette science : « La ling
il n'y a pas lieu, dans son ordre, de nier la nécessité et
au contraire , repose sur des préjugés métaphysiques don
se fait lourdement sentir lorsqu'elle est appelée à devenir
des " sciences " humaines. » Ainsi « des distinctions entre " forme " et
" substance ", " contenu " et ť expression ', etc. » ( T.Q. , n° 39, p. 7). La
critique portera donc sur les textes de Saussure d'abord et, pour cette
critique, les travaux de J. Derrida - dans De la Grammatologie, l'Écri-
ture et la Différence - sont essentiels. Il s'agit en effet de remettre en
question l'idéologie qui sous-tend toute théorie du signe, idéologie consti-
tutive de la philosophie occidentale. Le signe, qui est là pour représenter
fût-ce arbitrairement - quelque chose d'autre, renvoie à un signifié
transcendantal, à une vérité extérieure au système. « Les présupposés
de Saussure sont ceux de Hegel et Platon » (Théo, ďens., p. 400). Ce qui
n'est pas invalider les théories élaborées par Saussure, mais simplement
les situer dans le champ précis où elles ont voulu et où elles peuvent
s'exercer.
Cette analyse permet donc d'examiner les textes saussuriens à la
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lumière de la théorie marxiste. Le principal reproche que l'on peut faire
à ces textes est de ne mettre l'accent que sur une linguistique de la parole17,
de ne se préoccuper que du discours, et non du texte écrit , de ne voir
le discours que comme objet de la communication, produit pur, objet
d'échange duquel toute la valeur de travail est occultée 18 : « Pour l'idéo-
logie parlante - descriptive, enfermée dans le " vouloir dire " - le mode
de production du signe est indifférent » (Théo, ďens., p. 403). Et l'on
peut citer à l'appui les termes mêmes de Saussure : « Le moyen de pro-
duction du signe est totalement indifférent car il n'intéresse pas le sys-
tème » (C.L.G., p. 166).
Il ne s'agit pas de rejeter toute linguistique, mais de savoir qu'en
faire, comment l'articuler sur une théorie du texte en cours d'élabo-
ration. « La linguistique remplit nécessairement son rôle descriptif....
mais la 4 littérature ' que nous dégageons est avant tout scription opé-
rante, c'est-à-dire relève d'un autre espace, un espace qui se produit
et s'annule, se constitue et se dépense à travers la langue et non en elle »
(Théo, ďens., p. 402) 19.
Il est en outre nécessaire que Tel Quel se situe par rapport aux
écoles post-saussuriennes, qui travaillent à partir des concepts exposés
dans le Cours de linguistique générale. Et ce, d'autant plus que chacune
de ces écoles repense et théorise différemment la notion même de signe;
au point que le signe, comme unité minimale du langage, se voit peu
à peu déconstruit.
C'est ici, dans la déconstruction du signe - et du mot, qui, peut-
être par une mauvaise lecture de Saussure, était apparu comme l'incarna-
tion du signe - , que se marque l'importance de l'école de Prague, et
de la phonologie. Les phonologues en effet ne retiennent du signifiant
sonore que les traits distinctifs, oppositionnels, rejetant toute conception
substantialiste du phonème. Et, dans ce processus de démembrement,
J. Kristeva voit une analogie avec sa propre démarche : « La pulvérisation
du mot et la fixation de l'investigation linguistique sur le signifiant sonore
démembré de la langue, pouvait laisser prévoir qu'une pensée sur le
fonctionnement symbolique y prendrait son point de départ ... Malheu-
reusement, l'expansion de la phonologie se fit au détriment de son appro-
fondissement théorique » ( T.Q. , n° 37, p. 43).
Il y eut pourtant une tentative d'appliquer au domaine littéraire
les principes dégagés en phonologie, sous l'influence de Jakobson, mais
elle demeure limitée : « Le point de vue phonologique est seul en mesure

17. « La problématique " littéraire "... n'est pas réductible à une science du
" discours " » (Théo, ďens ., p. 402).
18. Voir sur ce point les analyses (de J.-L. Baudry et de J.-J. uoux) sur la notion
de valeur, dont on sait l'importance chez Saussure.
19. Selon Tel Quel , une autre raison de la méfiance envers l'impérialisme de la
linguistique est qu'elle semble fournir un refuge contre une approche matérialiste du
texte, contre la notion derridéenne d'écriture.

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de découvrir les principes des structures phoniques poétiques 20. » Le
texte des thèses de Prague est d'ailleurs ambigu, et reste très marqué par
les expériences des formalistes russes. On y trouve en effet une première
définition des fonctions du langage - plus tard définies plus précisément
par R. Jakobson - , mais aussi une prise de position sur la conception
du langage littéraire comme écart assez embarrassée : « Une propriété
spécifique du langage poétique est d'accentuer un élément de conflit et de
déformation, le caractère, la tendance et l'échelle de cette déformation
étant fort divers 21. » On peut y adjoindre une définition qui annonce celle
de la fonction poétique qu'élaborera plus tard R. Jakobson, mais qui, à
ce moment, ne fait que renforcer l'idéologie du signe et de la représenta-
tion : « L'indice organisateur de l'art, par lequel celui-ci se distingue
des autres structures sémiologiques, c'est la direction de l'intention non
pas sur le signifié, mais sur le signe lui-même. L'indice organisateur de la
poésie est l'intention dirigée sur l'expression verbale м. » Le langage poé-
tique, le langage d'un texte, ne serait donc qu'un dérivé du langage déno-
tatif commun, un dérivé secondaire et déviant.
L'étude critique des thèses de l'école de Prague et des positions prises
par le cercle de Copenhague amène à penser que « le cercle linguistique
de Copenhague fait... figure de véritable précurseur scientifique 23 ».
Héritiers de Hjelmslev, les glossématiciens de Copenhague étudient,
en effet, de manière plus nette que n'avait pu le faire Saussure le problème
de la nature du signifiant. Il n'y a pas d'antériorité du phonique sur le
graphique : « Les éléments d'une même structure linguistique peuvent
être dénommés ou désignés arbitrairement de quelque manière que ce
soit, pourvu que l'on conserve le nombre d'éléments distincts exigés par
la structure M. » Car l'unité minimale du langage doit être définie en
termes qui excluent toute interprétation substantialiste : « The real units
of language are not sounds, or written characters or meanings : the real
units of language are the relata which these sounds, characters, and
meanings represent 2б. »

20. Thèses du cercle de Prague. Rééditées par la revue Change , n° 3, p. 36. L'idée
exposée ailleurs dans ce numéro que l'école de Prague a posé les fondements d'une
« science pure de l'écriture » demeure très discutable. Le texte de Troubetzkoy date
de 1935; il est de surcroît très prudent. Écriture , de toutes manières, n'y signi fie que
graphisme.
21. Change , n° 3, p. 35. Que dire en outre de notions comme cenes ae langage
poétique et de parole poétique?
22. Change , n° 3, p. 39.
23. T.Q. , n° 39, p. 7. Voir aussi Derrida, De la grammatoiogie, en. z.
24. Hjelmslev, Le Langage , éd. de Minuit, 1УЬЬ, p. bo.
25. Hjelmslev, « Structural analysis of language », in Essais linguistiques ,
Copenhague, 1959, p. 27. Cf. Prolégomènes , pp. 108-109. « Il se constituerait ainsi, en
réaction contre la linguistique traditionnelle, une linguistique dont la théorie de
l'expression ne serait pas une phonétique, simple théorie des sons, et dont la théorie
du contenu ne serait pas une sémantique, théorie du sens. Cette science serait alors une
algèbre du langage qui opérerait sur des grandeurs - non dénommées - c'est-à-dire
dénommées arbitrairement, sans qu'il existe pour elles de désignations naturelles -
qui n'acquerraient de désignation motivée que par leur rattachement à la substance. »

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Néanmoins un structuralisme trop strict, hérité des méthodes des
phonologues, grève encore les recherches de l'école de Copenhague. Pour
elle, le langage poétique - actualisé dans tel ou tel texte - ne donnerait
matière qu'à une description pure et simple des relations entre les élé-
ments qui la composent. On peut citer sur ce point la réaction d'un membre
du cercle de Copenhague à la suite d'une conférence de R. Jakobson :
« Arnholtz souhaite entrer davantage dans la possibilité évoquée par
l'exposé : celle d'une théorie phonologique du vers... Et il pose la question
de savoir s'il serait possible d'envisager et de déceler une semblable styli-
sation en chaîne : en correspondance entière ou partielle avec l'autre
chaîne, ^ans le cours du contenu , dans le conceptuel de la même poésie 2e. »
Une telle proposition ne fait que développer rigoureusement la théorie de
l'école de Copenhague selon laquelle il y aurait un isomorphisme absolu
entre la forme du contenu et la forme de l'expression. C'est croire surtout
que le sens est un « donné », un objet susceptible de communication, et
non pas quelque chose à « faire ».
A supposer qu'il n'y ait pas de correspondance stricte entre les élé-
ments minimaux du contenu et les éléments minimaux d'expression, on
se condamne à ne pouvoir que décrire une structure formelle figée, abs-
traite; « statisme et non-historisme » dénoncés déjà par Barthes dans l'ar-
ticle liminaire de Communications , n° 8, dénoncés aussi par J. Kristeva
dans la Sémiologie des paragrammes ( T.Q. , n° 29, p. 53).
C'est pourquoi le groupe Tel Quel tient à se démarquer par rapport
à la linguistique structurale « traditionnelle » : « En premier lieu nous irons
chercher notre modèle non plus dans la phonologie (qui est à la base de la
linguistique structurale), mais dans la linguistique transformationnelle
qu'on connaît sous le nom de grammaire générative de Chomsky » (Théo,
ďens, pp. 300-301).
Tel Quel prend alors un tournant décisif : alors que, dans un champ
extérieur à lui, les rapports entre la linguistique structurale et l'objet dit
littéraire sont encore l'objet de controverses (et de colloques), la théorie
du texte élaborée par le groupe l'amène à adopter pour modèle une
méthode linguistique qui veut rompre radicalement avec la linguistique
structurale, et dont les fondements et les méthodes sont loin de rallier
l'assentiment unanime des linguistes. Pour Chomsky, en effet, la linguis-
tique depuis Saussure s'est bornée à proposer une taxinomie des faits de
langue, sans élaborer de manière systématique un modèle théorique des-
tiné « à expliquer les faits connus et à en prévoir de nouveaux 27 ». Il
propose donc pour but à la linguistique générative de construire un modèle
de la compétence des sujets parlants, c'est-à-dire du fait que « tout sujet
adulte parlant une langue donnée est, à tout moment, capable d'émettre
spontanément, ou de percevoir et de comprendre, un nombre indéfini

26. Change , n° 3, p. 97.


27. Ruwet, Introduction à la grammaire générative , Pion, 1967, p. 121. Sur ce
problème, voir le chapitre 1 dans son ensemble.

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de phrases que, pour la plupart, il n'a jamais prononcées ni entendues
auparavant 28 ». C'est-à-dire qu'au lieu de fournir des procédures de des-
cription de la structure présentée par un énoncé donné, la grammaire géné-
rative veut considérer le processus de formation de cet énoncé 29, donner
les regles générales qui permettent de produire cet énoncé. Pour reprendre
des termes que nous avons déjà utilisés, le langage (ou, plus exactement
l'acte de langage) ne doit pas être considéré comme un produit pur, mais
aussi comme un processus de production. « La grammaire générative, dans
ses fondements théoriques... a l'avantage, devant les approches analy-
tiques de la langue, d'introduire à une vue synthétique qui présenterait
l'acte de parole comme un procès de génération » ( T.Q. , n° 37, p. 36).
Telle est donc la raison de l'intérêt porté aux travaux de Chomsky,
et la raison aussi des réserves graves que l'on peut faire à l'égard de la
grammaire générative américaine. Car la démarche de Tel Quel est tou-
jours identique : analyser les fondements théoriques de chaque école
linguistique, et la dépasser (ce qui n'est pas la rejeter totalement), en
prenant appui sur les postulats ou les résultats estimés solides.
Or, la « pratique » chomskyenne ne semble pas correspondre à la
théorie énoncée. Une première faille se marque dans les patrons que
se cherche Chomsky : « La théorie de la grammaire générative transfor-
mationnelle ravive et élabore les théories de la grammaire universelle,
esquissées au xvne et au xviiie siècles 30. » L'attitude de Chomsky et de
ses disciples est ambiguë : ce qui pourrait être une théorie matérialiste
se réclame en fait d'une philosophie idéaliste faisant appel aux idées
innées et aux universaux de langage 31 . « Une science qui, au niveau
technique, déploie un dynamisme sans précédent, témoigne dans sa
théorie d'une arriération allant jusqu'à postuler des principes théolo-
giques dont l'assise s'avère être, en dernière analyse, le sujet cartésien »
(T.Q., n° 37, p. 37). Cette théorie fait donc bon marché de « l'ébranlement
marxiste et freudien », de la déconstruction de la notion de personne et
de celle de sujet, telle qu'elle a pu, à partir des travaux de Freud, être
prolongé par les recherches de J. Lacan 32.
Il y a plus grave, même, au « niveau technique »; comme le remarque
le linguiste soviétique Šaumjan, la grammaire générative de Chomsky
« ne génère, à proprement parler, rien du tout 33 ». En effet, « le modèle
génératif chomskyen n'est qu'une description de la performance » ( T.Q. ,

28. Ru wet, Introduction... y p. 16.


29. Voir J. Dubois, « Grammaire generative et transiormationnelle », Langue
française , n° 1.
30. Chomsky, La Linguistique cartésienne , éd. du Seuil, p. 112.
31. Voir aussi, venant d un autre lieu, les critiques adressées à la grammaire
chomskyenne par A. Martinet.
32. Nous ne pouvons ici examiner l'articulation de la réflexion de Tel Quel sur
celle de J. Lacan. C'est un autre travail qui doit être fait.
33. Voir Šaumjan, « Outline of the applicationnal generative model for the
description of language ». Foundations of language , 1965.

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n° 35, p. 4) et non pas du processus ďengendrement d'une phrase; il ne
fournit pas de « descriptions du processus de la génération des catégories
linguistiques (du modèle génératif lui-même) » (ibid.) La grammaire
générative de Chomsky en effet suppose que la structure profonde d'une
phrase repose sur un schéma, qui serait d'ailleurs universel, du type :
syntagme nominal + syntagme prédicatif, « structure phrastique linéaire »
(T.Q., n° 37, p. 36) 34 . Il n'y aurait pas à proprement parler de transfor-
mation entre la structure profonde et la structure superficielle; cette der-
nière ne serait que le reflet de la structure profonde. « Les composants de
profondeur sont structuralement les mêmes que ceux de la surface et
aucun processus de transformation, aucun passage d'un type de compo-
sants à un autre, d'un type de logique à un autre, n'est observable dans le
modèle chomskyen » (T.Q., n° 37, p. 36).
C'est pourquoi l'attention portée par Tel Quel à la grammaire géné-
rative se dirigera surtout vers les recherches des linguistes soviétiques :
Šaumjan, Soboleva, etc. Ils substituent aux notions de structure profonde
et de structure superficielle les deux notions de langue géno-type et de
langue phéno-type 35. « Les génotypes linguistiques sont des objets syn-
tactiques indépendants des moyens linguistiques qui servent à les expri-
mer. Les phénotypes linguistiques sont les formes extérieures dont sont
revêtus les génotypes. L'ensemble des génotypes linguistiques compose
justement, dans l'esprit de F. de Saussure, la nature de la langue 3e. »
Ces notions, comme le remarque lui-même Šaumjan, peuvent être
d'une grande importance pour les recherches sémantiques. Et c'est ici le
point important pour la réflexion entreprise par le groupe Tel Quel .
Le problème est en effet pour lui de construire une théorie (et une
pratique) de l'écriture, du texte, comme production signifiante, à laquelle
peut introduire la recherche linguistique. Donc, en même temps que le
groupe se détermine par rapport aux diverses écoles linguistiques, il doit
aussi se déterminer en fonction des recherches entreprises d'un côté, par
la sémantique structurale, de l'autre, par la sémiologie.
Or, la sémantique structurale s'est constituée sur l'héritage de l'école
de Prague; elle transpose sur le plan de l'analyse de la signification les
méthodes appliquées par Troubetzkoy et ses disciples au domaine pho-
nique. Dans la Sémantique structurale , Greimas, analysant les modes d'ar-
ticulation sémique, entérine le principe binaire posé par Jakobson : un
axe sémantique s'articule en deux sèmes : « La structure élémentaire,
considérée et décrite " en soi ", c'est-à-dire en dehors de tout contexte

34. Šaumjan, La Cybernétique et la langue. Problèmes du langage , coll. Diogène,


1966, p. 146 : « De par sa structure logique, la grammaire de transformation appar-
tient à des systèmes concaténés, fondés sur le principe de la disposition linéaire des
éléments. »
35. Notions empruntées à la biologie « où l'aspect extérieur de l'individu par rap-
port à certains signes est un phénotype et où le génotype est la constitution génétique
de l'organisme » (šaumjan, ibid.).
36. Šaumjan, ibid.

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signifiant, ne peut être que binaire, et cela non pas tellement pour des
raisons théoriques non élucidées, qu'il faut renvoyer au niveau épisté-
mologique du langage, mais du fait du consensus actuel des linguistes »
(p. 24). On peut en fait se demander si la signification est « une combinai-
son d'unités autonomes en opposition binaire » ( T.Q. , n° 37, p. 43). Assu-
mer cette affirmation, c'est donc poser la signification comme un produit,
non comme un procès, et ce, en particulier dans un texte, d'où serait évacué
tout travail effectif sur la matérialité de ce texte, sur le signifiant.
La procédure justifiant l'extraction d'un ou de plusieurs sèmes ne
fait même que fonder la primauté (de temps et de valeur) du mot, c'est-
à-dire qu'elle marque une sorte de recul par rapport à la phonologie qui,
de théorie des oppositions entre phonèmes, s'est faite théorie des traits
distinctifs. « La sémantique structurale isole quasi arbitrairement des
sèmes à l'intérieur d'un lexème, lesquels ne sont que des « idées » sans
aucun support matériel ni autre raison d'être que l'intuition du locuteur
rassuré par la statistique » ( T.Q. , n° 37, p. 43).
L'attitude est aussi réservée en face de la sémiotique, comme études
des pratiques signifiantes, en tant qu'elles sont fondées sur le signe. Une
fois encore, il ne s'agit pas de méconnaître l'apport de cette science dont
les fondements furent d'ailleurs posés par F. de Saussure : « En étudiant
les structures linguistiques, la sémiologie a l'avantage - ou au moins le
caractère subversif non-négligeable - de faire sauter la distinction litté-
raire /non-littéraire de même que la distinction des genres (poème,
roman, nouvelle, etc.) faite par la rhétorique classique, et de rechercher
de nouvelles particularités structurales » (Théo. ďens.9 p. 299). Toute
science se doit, pour mériter le nom de science, d'examiner, à un certain
moment de son évolution, ses propres fondements : « La sémiotique ne
saurait se faire qu'en obéissant jusqu'au bout à la loi qui la fonde, à savoir
à la désintrication des pratiques signifiantes, et ceci implique qu'elle se
retourne incessamment sur ses propres fondements, les pense et les trans-
forme. Plus que " sémiologie " ou " sémiotique cette science se cons-
truit comme une critique du sens, de ses éléments ou de ses lois - comme •
une sémanalyse » ( Sémeiotikè , p. 19). Pour reprendre une expression de
J. Kristeva, la sémanalyse pénètre à l'intérieur du signe, elle examine
dans le texte, ouvert comme une scène, comment s'y fait le sens (ce qu'on
appellerait ici signi fiance, afin de distinguer ce qui est produit de ce qui est
productivité).
Aussi les concepts de langue génotype et de langue phénotype uti-
lisés par Šaumjan sont-ils importants, adaptés en ceux de géno-texte et
de phéno-texte 37. Le géno-texte que l'analyse reconstruit dans l'opération
de lecture /écriture ne sera pas le reflet pur et simple du texte tel qu'il
nous est donné dans l'opération de la lecture naïve et linéaire (le phéno-
texte). « Le géno-texte opérerait avec des catégories analytico-linguis-
37. Voir le texte de J. Kristeva, in Théorie d'ensemble. « Problèmes de la struc-
turalisation du texte. »

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tiques... dont la limite n'est pas de générer pour le phéno-texte une phrase
(sujet-prédicat), mais une séquence signifiante, prise à différents stades du
processus du fonctionnement signifiant » (T.Q., n° 37 p. 37). Il s'agit donc
bien d'examiner l'engendrement signifiant.
La structure du phéno-texte qui pourra, elle, être soumise à une
analyse structurale de type linguistique (ou faite d'après un modèle lin-
guistique) ne sera jamais qu'une « retombée décalée » du processus de
structuration, d'engendrement du texte, qui, lui, ne se fonde pas sur un
fonctionnement du signe.
Une telle conception se détermine donc par rapport à la théorie du
texte qu'a élaborée le groupe Tel Quel au cours de son histoire 38. « Le
texte n'est pas un phénomène linguistique, autrement dit il n'est pas la
signification structurée qui se présente dans un corpus linguistique vue
comme une structure plate. Il est son engendrement » ( T.Q. , n° 37, p. 35).


* 4c

L'entreprise de Tel Quel ne peut donc se comprendre qu'à


de recherches de caractère proprement linguistique, qui, toutes,
rogent sur les fondements de la linguistique structurale, en particu
les textes de Saussure qui nous ont été conservés par ses disciples
s'agit donc nullement pour Tel Quel d'invalider la recherche ling
mais de la situer à sa juste place dans le champ de l'activité pr
groupe. Et c'est ce à quoi sert l'analyse de l'idéologie du signe.
pas un hasard si Théorie ď ensemble s'ouvre sur trois textes de R.
J. Derrida et M. Foucault. Il faut insister sur l'apport détermina
travaux de J. Derrida dans l'élaboration de la théorie du grou
Quel , et en particulier sur l'analyse qu'il propose des textes de S
dans le chapitre Linguistique et Grammatologie de la Grammatol
concept d'écriture utilisé par le groupe actuellement doit être ana
rapport à ces travaux 39.
Or, à cette réflexion sur la notion de signe et ses rapports av
fonctionnement textuel, Saussure lui-même contribue. Car le th
du signe est aussi et en même temps l'auteur d'une réflexion sur

38. Voir Logiques et Théorie d'ensemble .


39. Concept particulièrement important à définir, étant donné 1 infla
caractérise actuellement l'emploi du terme d'écriture. Par écriture, « on désig
d'ouverture du langage, son articulation, sa scansion, sa surdétermination, s
cement (Derrida), de telle façon qu'apparaisse toujours une préécriture (dans l
une trace antérieure à la distinction signifiant/signifié, une retenue graphiqu
dans la parole en même temps qu'une inscription organique pensant à la fois
et son effacement. Il est important de rejeter ici toutes les interprétations
qui viseraient à présenter ce niveau comme celui d'une " écriture mentale "
d'une " écriture automatique " procédant d'une parole pure dont il ne s'ag
de capter les effets : ce contresens est celui du 4 4 surréalisme " qui constit
égard, une impasse théorique complète » (Théo, d'ens., p. 319).

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grammes, et le fonctionnement du seul signifiant dans un texte 40. L'opé-
ration de démembrement du signe à laquelle se livre Saussure affronté à la
lecture de textes latins, implique en fait toute une théorie textuelle axée
sur une autre unité minimale que celle sur laquelle se fonde le langage
commun dénotatif, une unité de signification à laquelle on pourrait donner
le nom de « gramme 41 ». Plus que sur cette unité de signification, le fonc-
tionnement textuel joue sur le rapport entre les unités de signification.
L'entreprise de J. Kristeva déborde largement ce que se proposait
Saussure, qui ne travaillait qu'au niveau d'un pur signifiant (renvoyant
à un signifiant culturellement connoté 42) tautologiquement répété dans
l'espace du texte. Pour J. Kristeva, le fonctionnement paragrammatique
(rapport de transformation entre toutes les unités signifiantes d'un texte,
agissant à tous les niveaux d'un texte) est le mode spécifique de la pro-
duction textuelle.
Dans le cadre où nous nous situons, il suffit de marquer l'articulation
de cette théorie sur la linguistique saussurienne et sur les recherches para-
linguistiques effectuées par Saussure lui-même, sans nous engager dans
l'analyse précise d'une démarche qui fait appel à la méta-logique et aux
méta-mathématiques 43.
Et c'est en fonction de ces divers problèmes que l'on peut cerner
l'importance du n° 29 de la revue Tel Quel, L'analyse qu'y fait R. Jakobson
du dernier Spleen de Baudelaire est fondée sur des présupposés rigoureuse-
ment structuraux : l'auteur confronte les structures des divers niveaux
du langage poétique dans ce texte (phonique, rythmique, lexical, syn-
taxique, etc.) mais consacre son dernier paragraphe à étudier la dispersion
du mot Spleen dans le texte, selon la démarche de Saussure dans les Ana-
grammes. Dans l'article Pour une sémiologie des paragrammes , J. Kristeva
articule sur les Anagrammes de Saussure une théorie générale du fonc-
tionnement textuel sous l'angle du paragrammatisme, théorie qui ne prend
toute sa valeur que rapportée à la notion de production du sens (à la
notion de signifiance), c'est-à-dire aux deux concepts de géno-texte et de
phéno-texte. On peut donc considérer que l'analyse Je R. Jakobson est
une description de la structure du phéno-texte (le poème de Baudelaire tel
qu'il s'offre dans les Fleurs du mal), cependant que la Sémiologie des para-
grammes élabore un modèle théorique de constitution du géno-texte, des
conditions de production de la signifiance.

40. Sur ce point, nous renvoyons à l'article de Th. Aron dans ce même numéro :
« Une seconde révolution saussurienne? »
41. Voir de J. Kristeva, « Pour une sémiologie des paragrammes », T.Q., n° 29.
42. « Aujourd'hui, il paraît presque sûr que baussure s'est trompe sur le privilege
à accorder au nom propre comme noyau de la paragrammatisation » (T.Q.f n° 37,
p. 44).
43. Voir le compte rendu des travaux de J. Kristeva par J.-tii. Loquet dans Langue
française , n° 3.

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*
♦ *

Conclure serait inutilement paradoxal; Tel Quel ne four


lement un ensemble théorique clos; il est « à poursuivre »
p. 373). Nous voulons seulement situer ce que peut être « ic
l'utilité de la linguistique dans le champ d'une démarche a
duction d'un objet appelé « texte ». L'intérêt de la linguist
comprendre que par rapport à l'idéologie qui la fonde et s
fonctionne; dans ce champ précis - description du phéno-
est opératoire. Mais pas plus que la démarche paragram
malisation du géno-texte - elle ne peut rendre compte de
son objet : un texte ancré dans l'histoire, soumis à une idéo
L'approche linguistique, qui permet d'évacuer défini
certain nombre de faux problèmes - biographie, psych
porte en soi ses limites : le travail sur le matériel linguis
réductible à des catégories linguistiques, à une quelconque
car le travail sur le signifiant est producteur de sens. La
est traversé, transformé par une pratique non subsumable
de type uniquement linguistique.
Dans le n° 39 de la revue Tel Quel , Ph. Sollers évoque «
mises en scène exorbitées (Lautréamont, Mallarmé, Joy
déplacent, depuis un siècle, la force nommée " écriture "
« Demandons-nous si ce qui a lieu entre ces lignes peut enc
à une approche peureuse, rhétorique ou linguistique, sous
donné et servile de " littérature? » (p. 12).
C'est là notre problème, « littéraires » ou « linguiste
de quoi nous parlons, et de quels outils théoriques nous

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