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2018
ISBN : 978-2-7381-4549-9
entreprise et société
par Yves Michaud
L’entreprise, telle que la définit en 1723 l’économiste franco-
irlandais Richard Cantillon, en utilisant le premier ce terme, c’est
l’action de l’entrepreneur qui achète des produits et des services
dans l’intention de les revendre à une clientèle. Son profit est la
rémunération du risque pris.
Sous une formulation individualiste et libérale (la liberté de
l’entrepreneur individuel), Cantillon anticipe une conception
de l’entreprise comme centre de transactions nécessaire au
fonctionnement du marché, concept essentiel qui a fait l’objet au
e
XX siècle de travaux aussi importants que ceux de Coase ou de
Granovetter.
La conception de Cantillon rompt avec les deux conceptions de
l’activité économique dominantes de l’époque : celle d’une
production artisanale monopole des corporations et celle de la
manufacture.
Corporations et manufactures
Les corporations travaillent avec leurs savoir-faire artisanaux
pour satisfaire des besoins humains de base qui ne changent guère :
manger, boire, se vêtir, habiter, faire preuve d’ostentation par le
luxe, etc.
Avec leurs règles de formation, de transmission et d’initiation,
elles imposent des contraintes fortes à l’activité économique dans
le cadre d’une société figée par ses « ordres ».
Les manufactures, elles, avaient été créées au cours de la
e
seconde moitié du XVII siècle, pour répondre justement à des
besoins nouveaux : produire en quantité des biens indispensables
aussi bien à l’économie nationale qu’à une partie de la population,
notamment dans les domaines de la défense du royaume, du confort
et du luxe.
Avant que naisse l’industrie proprement dite, en mobilisant déjà
des moyens techniques « modernes », la manufacture substitue aux
corporations une organisation permettant à l’État mercantiliste
de ne pas dépendre des importations qui font sortir l’or du pays et
de disposer au contraire de marchandises à exporter. La
manufacture, avec ses lettres patentes conférant des privilèges
dérogatoires à ses fondateurs par rapport aux corporations,
constitue un nouvel organisme en partie coupé de la société, une
sorte d’île avec son cadre réglementaire. C’est aussi une île
physique, avec ses bâtiments particuliers, son personnel, ses
horaires, son organisation du travail. En ce sens, la manufacture
e
colbertiste préfigure l’entreprise industrielle géante du XIX et du
e
XX siècle mais sous forme étatisée.
L’entreprise forteresse
e
C’est dans la seconde moitié du XIX siècle que la naissance de
très grandes entreprises produisant pour des marchés
internationaux, les avancées de la technique et de la science,
l’organisation scientifique du travail, la formation d’une classe
ouvrière devenant l’armée prolétarienne de cette industrie ont fait
de l’entreprise un espace « séparé », caractérisé par l’expression
devenue cliché de « forteresse ouvrière ». Le premier film de
l’histoire du cinéma, lui-même une industrie nouvelle promise à un
immense succès, ne montre-t-il pas La Sortie de l’usine Lumière à
Lyon en 1895 ? Et c’est bien d’une caserne que sortent les ouvriers.
Dans ses immenses usines, le capitalisme industriel impose un
ordre et une discipline stricts avec une chaîne de commandement
allant des patrons et des ingénieurs au personnel de maîtrise qui lui-
même encadre la « main-d’œuvre ». La production industrielle a sa
logique propre, qui n’est pas celle du monde extérieur où se
croisent toutes sortes d’activités formelles ou informelles, privées
ou publiques. En prenant leur travail, l’ouvrier comme l’employé,
comme le cadre, perdent leur personnalité et deviennent des
« travailleurs ». Ils mettent leur tenue de travail : la combinaison de
l’ouvrier, la blouse du contremaître, les manchettes de lustrine des
gens de bureau. Ils changent de monde.
La formation de la « classe ouvrière » renforce cette vision
insulaire de l’entreprise dont le prolétariat rêve de s’emparer en
faisant des moyens de production la propriété de tous. Lors des
révoltes ouvrières ou des grandes grèves, comme celles du Front
populaire en 1936 en France, les ouvriers transforment les usines
en îlots de défi au pouvoir.
De manière moins spectaculaire mais plus efficace, les luttes
syndicales et politiques font progresser les droits des travailleurs et
ferment aussi à leur manière ce monde sur lui-même en lui donnant
des règles propres : la représentation syndicale, les règlements
intérieurs, les magistratures professionnelles – en France les
prud’hommes – et de manière générale le droit du travail.
La brèche
Cette situation, qui continue à alimenter les représentations du
grand public en dépit de toutes les usines-casernes devenues des
friches ou transformées en lofts, a profondément changé au fil
des vingt dernières années.
La relation entre société et entreprise est désormais marquée par
une double perméabilité : la société entre dans l’entreprise et
l’entreprise entre dans la société. Cette évolution est précipitée
avec la mutation numérique qui emballe le processus.
Les facteurs de ce changement sont nombreux et ne peuvent pas
être hiérarchisés, à la différence de ce qui se passait quand on
pouvait tout mettre sur le dos du capitalisme exploiteur ou de la
déshumanisation par la technique. Tout ici se tient.
Le monde social extérieur est d’abord entré dans l’entreprise
sous la pression réformiste des revendications sociales et des luttes
politiques demandant plus de droits, plus de respect des personnes,
y compris dans leurs différences culturelles et sexuelles, plus de
souci des impacts sociaux et environnementaux de l’activité de
l’entreprise. Les revendications d’établissement de la parité,
notamment salariale, entre hommes et femmes, la protection de la
santé des salariés, la dénonciation des situations de harcèlement
moral ou sexuel au sein de l’entreprise, l’émergence du concept de
RSE, sont autant de manifestations de cette pénétration de la
société au sein de l’entreprise au fil des évolutions politiques,
idéologiques, culturelles qui finalement se transforment en droits.
D’autres facteurs sont techniques, logistiques et réglementaires.
Notamment ceux qui tiennent à la globalisation.
Les besoins en approvisionnements ont mis en contact les
entreprises avec des pays, des modes de production, des mains-
d’œuvre, des codes commerciaux, des marchés et des
comportements de travailleurs et de consommateurs très différents,
avec aussi des réglementations diverses liées à des modèles
culturels différents. La généralisation du transport par container
dans les années 1960 puis 1970 pour les pays émergents a eu un
poids décisif dans ce processus, en même temps que se
libéralisaient les échanges.
La multinationalisation a fait se rencontrer au sein de
l’entreprise des cultures, des formations, des religions, des
mentalités très différentes. Il en est né des collaborations
fructueuses mais aussi des freinages, des blocages, des différends et
des conflits. Les réflexions sur l’intelligence culturelle (cultural
intelligence) en sont un effet direct.
Que l’entreprise ait depuis longtemps façonné ou transformé la
société a encore moins besoin d’être démontré.
Les chemins de fer ont dessiné l’espace et structuré les lignes
d’approvisionnement ; l’industrie du fer et du béton a révolutionné
la construction ; l’industrie automobile a redessiné le paysage et les
villes. Disney, Coca-Cola, Michelin, Hollywood, McDonald’s ont
formaté la société, les modes de vie et jusqu’aux esprits à travers la
consommation.
La mutation numérique
Pourtant, la mutation, disruption ou révolution numérique,
produit un choc historiquement sans précédent.
La mutation numérique se singularise en effet par trois aspects.
Elle a été immédiatement globale en ce sens qu’elle a touché
tous les continents très vite. Certes, il demeure des inégalités de
développement technologique mais elles sont rapidement
comblées. On cite souvent le cas de l’Afrique passée de l’absence
complète d’infrastructure téléphonique au téléphone mobile et
maintenant au drone.
Ensuite cette révolution a été ultrarapide. Il fallut une
cinquantaine d’années pour que le chemin de fer se diffusât. Depuis
2005, c’est-à-dire depuis l’élargissement de la bande passante et
l’augmentation de la taille des mémoires, en moins de dix ans, la
mutation numérique s’est imposée partout.
Enfin elle touche tous les aspects de la vie. Ce fut vrai, ici
encore, pour le chemin de fer qui modifia non seulement les
déplacements mais rendit possible le tourisme et jusqu’aux
manières de voir le paysage, ou pour l’électricité qui modifia non
seulement l’industrie et la vie domestique mais aussi la sécurité
urbaine ou le divertissement à distance par la radio. Sauf que la
révolution numérique touche toutes les dimensions de l’existence
en promouvant des modes de vie connectés, marqués par
l’immédiateté (temps réel et absence de médiations retardatrices) et
la facilité (one click). Il en naît une sorte de nouvelle humanité
comme l’illustrent les traits très particuliers de la génération des
millennials nés entre 1990 et 2000 ou des digital natives.
D’un côté, la société est présente dans l’entreprise à travers le
flux des informations de toutes sortes, les réseaux dits « sociaux »,
mais aussi les montagnes de big data récupérés à partir des
transactions des usagers sur Internet ou des saisies de capteurs.
Impossible de tenir fermement la barrière entre intranets et
extranets à partir du moment où un seul tweet peut mettre le feu
aux poudres. Que penser aussi d’un réseau comme LinkedIn, en
principe privé mais quasi public aussi, où la confusion
professionnel-privé est totale… De même, l’entreprise qui allait
vers ses clients à travers les techniques du marketing, qui leur
envoyait des « publicités » à travers des mailings, reçoit
aujourd’hui en direct leurs avis et même les retours de ceux qui ne
sont pas ses clients à travers la généralisation des pratiques de
notation et d’évaluation – la « tripadvisorisation ».
Quant aux effets plus larges sur la société, sur l’environnement,
sur le climat, sur la politique, ils alimentent les discussions,
informations, désinformations, polémiques de tous les réseaux
sociaux, des mass media et des partis politiques.
Il y a de considérables changements aussi au niveau de la
communication d’entreprise et en termes d’accès à l’information y
compris par exemple pour les données financières, les bilans et
rapports d’activité, etc. Désormais, en trois clics on sait tout – ou
presque. Ce qui pose des problèmes de confidentialité, de
démarcation entre vie privée et vie professionnelle, mais conduit
aussi à s’interroger sur le sens, l’usage et les limites de la
transparence.
L’impact de l’entreprise
sur le monde extérieur
Il est indissociable des techniques numériques de
communication (smartphones, Facebook, LinkedIn et les réseaux
sociaux), d’information (Google et les moteurs de recherche), de
robotique, d’investigation, d’archivages (YouTube), de logistique
(Amazon), de diffusion (iTunes, Spotify, Netflix, etc.),
d’intelligence artificielle et de traitement des big data. Ce sont les
fameuses entreprises Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon,
Microsoft), les BATX en Chine (Baidu, Alibaba, Tencent et
Xiaomi) ou encore les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) qui
développent à la fois les technologies et l’emprise entrepreneuriale
sur la société et l’environnement en changeant en profondeur
conduites, mentalités et même mode de présence au monde et aux
autres. Ces entreprises proposent moins des produits que des
produits associés à des services, voire uniquement des services. De
là des impacts profonds et réticulés sur l’ensemble des
comportements.
On peut parler sans exagération de formatage de la sensibilité
(la diffusion du narcissisme, le nervosisme, l’angoisse de la non-
reconnaissance), des sentiments (le conformisme des idées, les
vagues d’émotion, la bienveillance sous « moraline », le
politiquement correct, mais aussi la stigmatisation, l’agressivité
virtuelle, le mobbing), de la pensée (réduction de l’attention,
zapping, multitasking et papillonnage, réduction de la profondeur
du champ de conscience et du champ mémoriel, externalisation de
la mémoire et de la connaissance dans des prothèses
numériques, etc.).
la RSE
La prise de conscience de cette porosité entre l’entreprise et le
milieu extérieur au sens le plus large (économique, politique,
social, environnemental) s’est dessinée au tournant des
années 2000 avec l’introduction de la notion de RSE
(responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise).
Cette notion développe l’idée que l’entreprise est responsable
de plus que ses productions propres, qu’elle doit identifier ses
domaines de responsabilité directe et indirecte et en assumer les
conséquences. Il faut donc définir par rapport à quels acteurs
sociaux l’entreprise a ce devoir et quelle est la nature des
conséquences que l’entreprise doit assumer. La RSE couvre ainsi la
qualité des filières d’approvisionnement, de la sous-traitance, le
bien-être des salariés, leur santé, l’empreinte écologique de
l’entreprise, etc. Ce qui suppose une perception claire de
l’environnement de l’entreprise et la capacité d’identifier et
d’intégrer l’intérêt des parties prenantes (stakeholders), la
conscience des enjeux planétaires et de leurs déclinaisons
politiques et réglementaires et, bien sûr, les capacités techniques et
managériales pour mettre en œuvre la RSE.
Le problème est que les concepts de la RSE ont été d’abord
développés à l’initiative d’organisations intergouvernementales
(Nations unies, Banque mondiale, OCDE) ou régionales (Union
européenne) dans une perspective surtout écologique et
environnementale. Ce qui a conduit à définir différents niveaux
d’obligations prenant la forme de recommandations, de normes à
respecter plus ou moins volontairement, voire imposées à divers
degrés par certaines législations, ou intégrées aux conditions des
appels d’offres.
En profondeur, la RSE a soulevé des problèmes de
compatibilité entre impératifs éthiques et état du droit. Jusqu’où
être responsable de ses sous-traitants et de ses
approvisionnements ? Comment aussi redéfinir les responsabilités
civile et pénale de l’entreprise et de ses dirigeants ? Comment
appliquer les normes de la RSE tout en maintenant la compétitivité
de l’entreprise, ses engagements internationaux, tout en respectant
les différences culturelles de pays à pays ?
Il s’en est suivi un travail largement formel d’élaboration des
normes de la RSE qui a découragé beaucoup d’entrepreneurs, ou a
donné lieu à des aménagements de façade hypocrites, voire
cyniques, tout en poursuivant le business as usual. Le
greenwashing, la publicité pour des actions toujours plus
équitables, les actions philanthropiques trop visibles, les soutiens à
des ONG peu regardantes ou créées ad hoc illustrent ces sortes de
réponses et de dérives.
Une approche de la complexité :
Le core purpose
Les parties prenantes de l’entreprise sont si diverses et leur
ensemble si complexe que l’entreprise risque d’être tiraillée entre
des orientations sinon contradictoires du moins peu cohérentes. La
préservation de l’environnement ne s’accorde pas forcément avec
la compétitivité, le souci du client retentit sur l’activité des salariés
constamment évalués et notés et les actionnaires, eux, entendent
faire des profits.
Une partie de la réponse à ces problèmes réside dans une
définition de l’objet de l’entreprise qui prenne en compte ces
tensions et permette néanmoins une gouvernance cohérente en
affirmant clairement son identité. Face à un environnement aux
dimensions multiples, il faut affirmer une identité forte. La raison
d’être, en anglais le core purpose, de l’entreprise doit exprimer
cette identité et le sens profond de son activité.
Cette idée de raison d’être n’est pas inédite, mais elle s’est
exprimée par le passé en d’autres termes répondant à des situations
différentes – ceux de métier ou de mission, par exemple.
Le métier de l’entreprise faisait référence à un ensemble de
techniques dont elle avait la spécialité : le chauffage, la
construction métallique, le transport, l’extraction pétrolière.
Quant à la mission, elle doublait l’idée de métier par une vue
des contributions sociales de l’entreprise : pas mal de projets
industriels se sont ainsi accompagnés de missions paternalistes, par
exemple chez Godin ou Michelin.
La raison d’être ou core purpose définit l’utilité générale de
l’entreprise, relie son histoire à sa projection dans l’avenir, elle est
au sens fort une raison d’être pouvant expliquer les actions, les
choix futurs, les risques pris, les réorientations éventuelles compte
tenu du changement des circonstances – et les orientations qui sont
exclues parce qu’incompatibles avec la raison d’être. Celle-ci
présuppose un certain nombre de valeurs et de principes que
l’entreprise entend suivre dans son action : contribution au bien-
être, orientation vers le futur, innovation, appel aux talents, souci
du client, qualité du service.
La raison d’être n’est pas un slogan publicitaire ou de marque,
ce n’est pas non plus une stratégie – c’est la formulation d’une
identité enracinée dans un passé plus ou moins long et destinée à
durer. Elle permet de cadrer l’action de l’entreprise dans ses choix
et ses stratégies, ses orientations et réorientations.
La formulation de la raison d’être doit être ouverte sans être
vague, facilement compréhensible par tous à tous les niveaux de
l’entreprise et porteuse d’engagement en deux sens : elle exprime
l’engagement de l’entreprise et elle est source d’engagement pour
ceux qui y travaillent ou veulent venir y travailler. Au-delà de la
performance économique, elle exprime dans la durée le sens de
l’action de l’entreprise.
Les entreprises du passé qui ont marqué la société et duré
avaient, à leur manière, leur raison d’être mais pas explicitée. Ainsi
le sympathique bonhomme Michelin « Bibendum » symbolisait
une entreprise fabricant des pneumatiques pour le confort des
usagers et la facilité de leurs déplacements touristiques, mais on en
restait au symbole, même si celui-ci a connu un succès mondial.
Désormais la raison d’être de Michelin s’exprime ainsi :
« Parce que nous croyons que la mobilité est un fondement du
développement humain, nous innovons avec passion pour la rendre
toujours plus sûre, plus efficace, plus respectueuse de
l’environnement. La qualité sans compromis est notre engagement
et notre priorité au service de nos clients.
Parce que nous croyons au développement personnel de chacun
d’entre nous, nous voulons donner à tous les moyens d’exprimer le
meilleur d’eux-mêmes et nous voulons faire une richesse de nos
différences. Fiers de nos valeurs de respect des clients, des
personnes, des actionnaires, de l’environnement et des faits, nous
vivons ensemble l’aventure d’une meilleure mobilité pour tous. »
Le dernier paragraphe résume d’ailleurs à lui seul cette raison
d’être.
Dans un contexte où il faut se différencier, motiver, guider les
orientations majeures, susciter l’innovation et donner confiance
aussi bien aux clients qu’aux investisseurs et aux employés, la
raison d’être mûrement réfléchie fournit la boussole de l’action
entrepreneuriale. Elle permet de comprendre et guider les
transformations et surtout rassure sur la continuité de l’action et
donc produit de la confiance.
Il peut rester quelque chose de convenu et même d’artificiel
dans la définition de certaines raisons d’être. Ainsi entend-on les
clichés de la vie heureuse associés à une recherche d’innovation
qu’on peut discuter dans le domaine de l’alimentation quand on
découvre telle « raison d’être » : « redonner tout son plaisir à
l’alimentation en innovant sans cesse ».
La raison d’être de Disney ne surprend en revanche guère : « We
create happiness by providing the best in entertainment for people
of all ages everywhere » (« Nous créons du bonheur en fournissant
ce qu’il y a de meilleur dans le divertissement pour les gens de tous
âges partout »).
Quant à Google, son core purpose est aussi large que
potentiellement troublant, voire inquiétant, par ce qu’il révèle
d’ambitions impériales : « Organize the world’s information and
make it universally accessible and useful » (« Organiser
l’information du monde et la rendre universellement accessible et
utile »), mais la révélation d’une ambition fait aussi partie des
possibilités.
La raison d’être s’efforce de rassembler l’identité de l’entreprise
et la manière dont elle impacte le milieu sociétal, environnemental
et commercial avec le souci explicite des clients et utilisateurs.
Cette sorte de raisonnement recoupe des interrogations que
formulaient les économistes classiques dans d’autres circonstances
quand ils se demandaient quelle est la catégorie sociale dont
l’intérêt particulier coïncide le mieux avec l’intérêt général.
À ceci près que l’intérêt général en question était « le bien
commun de tous » dans un contexte limité à chaque nation et sans
prise en compte des facteurs environnementaux considérés alors
comme inépuisables.
Dans un monde dont nous connaissons à la fois le caractère
global (tous les peuples de la terre), les limites environnementales
et les ressources en voie d’épuisement, il n’est plus possible de
reconduire telle quelle, dans son abstraction et sa généralité, la
question classique du lien entre intérêt particulier et intérêt général.
Il faut que, plus modestement, chacun, à commencer par les
acteurs collectifs que sont les entreprises, se demande quelles sont
sa raison d’être et son identité et quelle contribution il peut apporter
à sa manière propre. En d’autres termes, nous en venons
inéluctablement à un questionnement éthique nous chargeant de
nous interroger tous autant que nous sommes sur notre raison
d’être, la cohérence de ce que nous voulons et l’inscription de notre
action dans la communauté.
Grand entretien
facile. Dans la théorie oui, elle doit être ancrée dans une
contribution sociétale.
C’est un exercice que j’essaie de faire avec chaque CEO que
je rencontre dans le cadre du GLG Institute. Quand on est
dans le domaine de la santé, c’est extrêmement facile : on
sauve des vies, on améliore des vies, c’est très simple, mais
dans d’autres domaines, comme la banque, il faut y
réfléchir… : quelle est la contribution sociétale d’une
banque ? Ils en ont sans doute une…
Il y a toujours un ancrage, un lien, mais pour moi, votre
question est extrême. Oui, j’espère que c’est vrai, que chaque
raison d’être est ancrée dans un devoir sociétal. Il doit y avoir
un acid test, qui doit être fait systématiquement, de la
cohérence entre la raison d’être et la société puisqu’on sait
qu’il y a transparence entre les deux.
Je dis que c’est lié mais cela ne veut pas dire que c’est
identique. Ce n’est pas la responsabilité sociétale qui oriente
la stratégie, c’est la raison d’être. La raison d’être doit être
consistante avec la responsabilité sociétale, mais, par
exemple, on peut avoir une raison d’être qui n’a rien à voir
avec le fait de sauver la planète, tout en prenant soin de celle-
ci.
VJG. – C’est une question qui renvoie à la définition même de
« aura » est plus joli que stakeholders, mais aussi parce qu’il
y a cette notion de rayonnement, et une belle entreprise
rayonne. Et en même temps, on doit réfléchir à ce qui peut
améliorer le rayonnement ou le diminuer.
YM. – Un point qui me pose problème, c’est qu’il y a une autre
générations montantes ?
RD. – D’abord, c’est un sujet qui est 100 % prédictible. La
Bénédicte Maury
Bénédicte Maury est directrice générale de SNCF
Énergie
par Yves Michaud
Les progrès de la numérisation de toutes les données et de leur
traitement informatique vont continuer de changer de fond en
comble nos vies et notre univers mental : santé et soins, modes
d’observation, d’expérimentation et de raisonnement scientifique,
consommation, programmes de défense et panoplies d’armement
de science-fiction, politique de sécurité et de renseignement,
enseignement, loisirs, sociabilité, déplacements, communication,
information, design, architecture, planning – et bien sûr le travail et
l’entreprise.
Le phénomène est récent – il ne remonte pas plus loin que les
années 1990-2000 –, mais l’ampleur de la vague et la rapidité de sa
diffusion à la terre entière sont impressionnantes.
Les effets de cette mutation numérique sur le travail touchent
tous ses aspects : communication dans le travail, information sur
l’environnement et sur les réactions des consommateurs (notations,
évaluations), travail des consommateurs eux-mêmes, évolution des
lieux de travail, rémunérations et statuts salariés, gouvernance
mieux informée mais placée sous la pression de l’urgence et de la
communication.
Sans oublier les manifestations les plus visibles : l’apparition de
nouveaux métiers mais aussi la destruction de beaucoup d’emplois
et, en profondeur, le changement même du concept de travail
puisque celui-ci est et sera de plus en plus automatisé, connecté, et
dématérialisé.
Ces bouleversements affectent évidemment l’entreprise, qui est
la forme « moderne » de l’organisation du travail et requiert donc
de nouvelles catégorisations.
Forces productives,
rapports de production
C’est une question rituelle et finalement assez formelle que
celle de la nouveauté et de l’échelle de ces bouleversements.
Sans remonter aussi loin que l’Antiquité et l’économie de
l’esclavage et de la prédation par conquête et installation de
colonies sur lesquelles ont fleuri la démocratie grecque et sa culture
« humaniste », il est évident que le travail dépend, pour son
exercice comme pour sa définition, de la relation entre des forces
productives (à base d’énergie d’une sorte ou d’une autre) et des
relations de production entre humains.
Sur ce point, l’analyse de Marx et Engels, trop délaissée
aujourd’hui après avoir été longtemps omniprésente jusqu’à n’être
qu’une formule, reste pertinente. Un certain état du développement
technique couplé à des relations sociales de subordination, de
dépendance ou de domination définit un état de la production.
L’esclavage fournit la force humaine nécessaire pour des travaux
qui restent pour l’essentiel à base de force physique et de savoir-
faire élémentaires et la rémunération du travailleur esclave se limite
à l’entretien et à la reproduction alimentaire de sa force de travail.
L’entreprise, financée par des entrepreneurs ayant accumulé des
capitaux, naît quand se rencontrent des forces productives comme
le moulin à eau ou à vent, la machine à vapeur, les moteurs
électriques ou thermiques et l’organisation collective du travail
d’ouvriers payés d’abord à l’heure puis salariés. Exploitation,
aliénation ou émancipation, mais aussi industrialisation et
consommation sont les conséquences de cette sorte d’organisation.
Bref, il y a une solidarité complète entre organisation
économique, état des techniques et modalités du travail.
La révolution numérique n’échappe pas à la règle « Marx-
Engels », sauf qu’elle produit sous nos yeux, et en forçant
beaucoup d’entre nous à s’adapter, un tout nouvel état de cette
relation : l’organisation économique est bouleversée et le travail
prend des formes inédites pour lesquelles des concepts traditionnels
comme ceux de salariat, de charge de travail, de contrat de travail,
de dépense physique, de fatigue, de beau métier, d’obéissance et
de subordination, d’aliénation ou d’accomplissement de soi n’ont
plus les sens anciens et demandent d’autres paradigmes de pensée
et d’évaluation éthique.
Le gouvernement par les nombres
Arrêtons-nous d’abord sur l’idée de numérisation.
Elle consiste dans la réduction au chiffre et le traitement
automatisé de monceaux de données qui décrivent quantitativement
un monde devenu « sans qualités ».
On peut regretter cette perte de la chair du monde avec ses
qualités, mais elle a longtemps été pensée et attendue comme un
progrès : la mathématisation du monde est l’espoir de la recherche
scientifique depuis au moins Galilée et Descartes. L’appréciation
tout en nuance de la qualité d’un produit par un consommateur
éclairé, aussi riche qu’elle soit, ne vaut pas la collecte et l’analyse
de millions d’appréciations.
Le problème n’est pas tant cette perte des qualités sensibles du
monde où Husserl voyait dans les années 1930 l’origine de la
« crise de l’humanité européenne » que les effets d’un
gouvernement généralisé des êtres et des choses par les nombres.
Le désir de scientificité, en lui-même louable, devient dangereux
quand on ne s’interroge plus sur ses instruments, sur les artifices de
la quantification et, en particulier, sur les biais cachés des
algorithmes utilisés, quand intuition et imagination sont rejetées du
côté subjectif et qu’on est prisonnier de formes convenues et
ritualisées d’évaluation et de jugement. Il perd aussi sa pertinence
quand prédomine la croyance que tout problème est décidable
scientifiquement et de manière quasi automatique, demain
notamment par les programmes d’intelligence artificielle. Si le
gouvernement de la nature et des hommes par les nombres fut
l’idéal de la connaissance statistique à partir de la fin du
e
XVIII siècle avec la réussite que l’on sait pour l’agriculture,
l’industrie, la croissance économique et les politiques de
population, la réduction au tout statistique en l’absence de
questionnement sur ce qui est mesuré et la manière dont il est
mesuré aveugle et paralyse la réflexion. On le voit à la myopie de
la gouvernance qu’entraîne souvent l’usage des tableaux de bord
alimentés en temps réel, ou encore à la généralisation de
l’argumentation à coups de chiffres et de statistiques mal digérés –
comme s’il n’y avait plus de place pour le raisonnement logique
ou le bon sens. Au point qu’on a parfois le sentiment que même les
démonstrations mathématiques devraient aujourd’hui avoir une
confirmation statistique par l’accord des usagers. On retrouvera
tout au long de cet ouvrage ces risques de l’aveuglement.
L’impact de la numérisation
sur les métiers
L’impact de la numérisation touche tous les aspects du travail.
Les manifestations les plus évidentes, dont nous ne savons pas
encore si elles annoncent un avenir « sans travail » aux mains des
robots, ou de nouveaux métiers dont nous n’avons aucune idée,
sont la destruction de très nombreux emplois, que ce soit dans la
manutention, la construction, la presse, l’édition, la
communication, la publicité, les emplois de bureau, le commerce,
l’encadrement. Les perspectives pour l’avenir proche sont, en tout
cas, noires puisqu’on estime que deux emplois sur cinq seront
touchés par la numérisation dans la décennie à venir.
Corrélativement pourtant de nouveaux métiers naissent, pour
lesquels les talents sont recherchés et choyés, parce que rares : data
analysts, community managers, concepteurs systèmes,
programmeurs, spécialistes de sécurité informatique…
D’autres fonctions se voient redéfinies : enseignants,
spécialistes du marketing et de la logistique, chercheurs, médecins,
responsables des relations humaines, directeurs financiers et, de
manière générale, les dirigeants d’entreprise, depuis les CEO et le
top management jusqu’au management intermédiaire de terrain.
Cette redéfinition cause notamment des problèmes d’adaptation, de
recyclage et de formation à ceux qui ne sont pas des digital natives
et qu’on appelle des digital immigrants.
Communication et distance
La communication en est complètement changée.
Son volume d’abord s’accroît du seul fait de la rapidité et de la
facilité des échanges et des mises en copie « pour information » – à
tort ou à raison – des messages et documents. Le rythme s’accélère.
Les distances géographiques qui se traduisaient en différences
temporelles (décalages horaires) s’abolissent (téléconférences,
conference calls, skyping, visioconférences). À l’intérieur des
organisations, les distances hiérarchiques s’en trouvent réduites et
on assiste à un aplatissement ou tassement de l’organigramme.
Les modes de commandement s’en trouvent eux aussi
transformés.
La subordination hiérarchique reposait en grande partie sur les
routines d’obéissance à des informations descendantes – et la
filtration contrôlée, voire la rétention d’information, faisait partie
des attributs du pouvoir. Les routines ont la vie dure, mais la
rétention d’information devient de plus en plus difficile – sauf à
courir le risque de la voir débordée avant même d’opérer ou
devancée par des rumeurs, des « bruits qui courent », des
mensonges… et des fausses nouvelles.
La technologie numérique rend aussi de plus en plus difficile (et
surtout formelle) la séparation étanche entre extérieur et intérieur,
comme entre espace public et espace privé. Une information gardée
en interne risque de se retrouver diffusée par une agence de presse,
des tweets, des news opérant de l’extérieur, un lanceur d’alerte.
L’individu « travailleur » n’endosse plus sa tenue de travail en
laissant aux vestiaires sa personnalité comme quand il entrait dans
la forteresse entrepreneuriale. De même qu’il reçoit chez lui des
mails et des appels professionnels, il reçoit sur son lieu de travail
des mails et des appels privés. Il se produit une percolation entre
vie privée et vie publique.
Contrats et statuts
Des transformations encore plus profondes et surprenantes par
rapport à nos idées passées opèrent.
Elles pèsent sur le contrat de travail, la définition des tâches, le
système de rémunération et le statut des travailleurs.
Hormis pour les fonctions d’exécution qui demeurent encore
définies de manière précise et simple avec leur caractère répétitif
standardisé, il est difficile de circonscrire exactement les contours
d’une activité, surtout au niveau de l’encadrement et des hauts
dirigeants. Il est de plus en plus difficile d’expliquer « ce que l’on
fait » tant on fait de choses différentes. On attend des
« travailleurs » (un terme qui sonne aujourd’hui étrange) des
qualifications techniques (financières, relations humaines,
marketing, ingénierie), mais une très importante partie de leur
travail, peut-être même la principale, consiste à veiller à une
communication entre les équipes et les équipiers, qui prévienne ou
neutralise les conflits, les cloisonnements et les trucages, et
favorise des synergies de travail difficiles à définir à l’avance.
Pareillement la notion de tâche devient floue et, à l’inverse, la
charge de travail déborde les limitations horaires du travail
traditionnel. Astreintes, urgences, crises, décalages horaires,
différences culturelles profondes entre collaborateurs de pays
éloignés et différents, accroissent d’autant la charge de travail. Les
phénomènes de burn out, d’épuisement professionnel, les
dépressions, ne sont pas des maladies « à la mode », mais des
réponses symptomatiques à ces situations nouvelles, y compris
quand ce sont la peur de ne pas être à la hauteur, le manque de
confiance en soi ou dans l’organisation qui anticipent l’épuisement
et le préparent.
Beaucoup d’activités nécessitent aussi des coopérations
difficiles à définir, avec les phénomènes bien connus dans les
organisations d’appropriation égoïste des succès collectifs, de prise
de précautions contre l’échec (« parapluies ») ou d’utilisation de
« tickets gratuits ».
Ces évolutions ébranlent des notions aussi établies que celles de
salaires et de statut salarié.
Les salaires proprement dits s’accompagnent de primes et de
bonus en fonction des résultats. Encore faut-il déterminer les
résultats pertinents et les bases d’attribution. Avec les avantages et
les risques de la transparence.
D’autres activités sont externalisées soit auprès d’autres
sociétés, soit auprès de sous-traitants et souvent aussi auprès
d’indépendants et de travailleurs à leur compte qui peuvent avoir,
par obligation ou par choix, plusieurs commanditaires.
Il est de mise de critiquer l’ubérisation des activités
entrepreneuriales ainsi confiée à des sous-traitants exploités, mais
dans certains secteurs technologiques de pointe ou à haute valeur
ajoutée, le choix peut être le fait même des sous-traitants voulant
garder leur indépendance et mener des projets différents
simultanément.
Le formatage de la pensée
Plus en profondeur, la révolution numérique transforme les
activités en façonnant les modes de raisonnement et de pensée.
La quantité d’informations chiffrées, leur avalanche en temps
réel, l’entrecroisement et la multiplication des communications, la
porosité entre extérieur et intérieur, l’extension du champ des
externalités à prendre en compte selon les cas (crise, atteinte à
l’environnement, désinformation, fausses nouvelles et fake news),
la multiplication des parties prenantes (stakeholders) en plus des
parties prenantes traditionnelles qu’étaient les actionnaires,
personnels et clients, autant de choses qui réduisent les possibilités
de réflexion, de prise de recul lucide, d’analyse distanciée des
situations.
Tout ceci pèse directement sur la personnalité des acteurs en
engendrant perte du sens de la réalité, illusion de toute-puissance
(hubris), addiction à l’événement et à l’information, addiction aux
réseaux sociaux (un haut dirigeant doit-il ou non tweeter ?),
réactions machinales et automatiques, déshumanisation des
contacts humains devenant superficiels, électriques et tendus.
Les instruments de pilotage et notamment les analyses des
données par algorithme sont indispensables et exceptionnellement
féconds par rapport au passé, mais risquent aussi de renforcer les
convictions installées et de conforter des biais de vision et de
compréhension, diminuant ainsi lucidité, discernement, mais aussi
créativité et innovation.
On peut aussi aborder ce formatage en termes de santé au
travail : la charge de travail, le rythme, la tension, l’urgence,
l’invasion ou le parasitage de la vie privée, la communication à
travers les fuseaux horaires créent une dynamique euphorisante et
donnent de l’« adrénaline », voire de l’addiction – jusqu’au
moment de la surcharge et de l’effondrement psychologique.
Le digital leadership
Le tableau ne doit cependant être ni noirci ni caricaturé. Moins
en tout cas qu’il est coutume de le faire.
L’entrée dans le monde digital remet en effet en cause des
conceptions pas si anciennes du management fondées sur la
performance financière, la communication verticale, la séparation
de l’entreprise d’avec la société, l’hyperpuissance du dirigeant
charismatique, la performance égoïste, le secret des décisions, le
manque de transparence – et le lobbying politico-financier.
Il y a là autant de possibilités de libération et d’émancipation.
Le fait que l’entreprise ne soit plus un empire dans un empire et
fonctionne autrement produit des situations nouvelles, libère des
énergies positives en suscitant plus d’engagement et de motivation
que par le passé. Il est possible aussi que les nouveaux arrivants,
les millennials, n’aient pas autant le sentiment d’une rupture
perturbante que ceux qui sont en train de subir la transition…
Le langage de la théorie managériale connaît corrélativement
des évolutions significatives. Là où on parlait, il y a vingt ou trente
ans, de manager puis de leader, on parle désormais de digital
leadership.
Le digital leadership tient d’abord compte du fait que
l’organisation de l’entreprise tend à s’horizontaliser – qu’on excuse
ce mot barbare. Cette horizontalisation doit, pour être efficace,
permettre des collaborations transversales sans entraîner pour
autant confusion, empiètements, incohérences et bruit de fond.
Deux éléments clés dans cette démarche sont la définition forte
de projets nécessitant des compétences diverses et la confiance
entre collaborateurs.
Si l’on veut que les projets ne partent pas dans tous les sens et
aient un sens qui motive, il faut qu’ils soient en cohérence avec la
ligne de l’entreprise et donc que la raison d’être, le core purpose de
l’entreprise, soit bien définie, de manière à la fois large et en même
temps précise, ce qui n’est pas un mince défi et relève à la fois du
CEO et du board de l’entreprise prenant en compte toutes les
parties prenantes (voir la première partie et l’entretien avec Roch
Doliveux).
Quant à la confiance entre les collaborateurs, elle doit s’établir
aussi bien entre les membres de l’équipe qu’avec leurs
responsables de niveau supérieur (les n+1). Une part essentielle du
travail du leader est aujourd’hui la communication avec ses équipes
– avec les avantages et les inconvénients de ce tout
communication : ambiguïté, malentendus, surcharge
d’informations, court terme, pression temporelle, oublis, mais aussi
meilleure information, stimulation de l’imagination, possibilité
d’établir des connexions innovantes.
Un autre aspect capital du digital leadership est le soin pris à
l’hygiène de l’organisation, une hygiène au sens large, qui vaut
aussi bien pour les équipes de collaborateurs que pour les leaders
eux-mêmes.
Il s’agit de veiller à ce que la charge de travail ne déborde pas
les collaborateurs mais aussi à ce qu’elle ne déborde pas le leader
lui-même en lui enlevant toute capacité de recul et de réflexion. La
santé au travail est un impératif aussi bien au niveau
microéconomique des personnes qu’au niveau macroéconomique
de l’organisation tout entière. Il y a là une responsabilité à la fois
humaine et d’efficacité pour le dirigeant.
Elle passe par une entente sur les possibilités régulières de
déconnexion et la mise en place de temps et de plages de réflexion
associant les collaborateurs pour préserver les capacités
d’innovation et de créativité et réintroduire aussi une dimension
humaine dans des relations qui, sinon, peuvent devenir mécaniques,
superficielles et déshumanisées.
Les promesses de l’intelligence
artificielle
Le thème de l’intelligence artificielle est délicat à aborder parce
que encore mal délimité, mal compris et surtout trop objet de
fantasme.
D’ores et déjà l’intelligence artificielle est mise en œuvre dans
beaucoup plus de domaines que l’on croit : pilotage des circuits
logistiques, transports automatisés, reconnaissance d’image (et
évidemment reconnaissance faciale), veille de renseignement et de
sécurité, épidémiologie et diagnostic médical, simulateurs,
marketing à partir de la connaissance des comportements des
usagers, clients et clients potentiels, identification des tendances
qui se dessinent et même création artistique (Vocaloid et chanteurs
virtuels comme Hatsune Miku, composition automatisée, effets
spéciaux).
L’intelligence artificielle repose sur le traitement de monceaux
de données, les fameux big data, des méthodes d’inférence pour
extraire les corrélations entre les éléments de ces data et la capacité
des machines d’apprendre et d’améliorer leurs algorithmes
inférentiels à partir des résultats obtenus.
Avant de fantasmer sur les complots impérialistes des chasseurs
de data à la Google, il faut être conscient que d’innombrables
acteurs de l’Internet sont d’ores et déjà en possession de quantités
gigantesques de data à partir des seules contributions de leurs
clients et des visiteurs des sites Internet de quelque nature que ce
soit. Les sites pornographiques et de rencontre connaissent les
préférences sexuelles de leurs clients. Les sites de voyage
connaissent la vie privée, familiale et professionnelle de leurs
acheteurs et visiteurs. Les sites commerciaux connaissent leurs
moyens financiers, leurs centres d’intérêt, leurs habitudes de
consommation.
Il se dessine ainsi un monde sans la subtilité de l’intelligence
« naturelle », mais aussi bien mieux connu sous de nombreux
aspects, bien plus riche de possibilités, y compris ambiguës, mais
aussi parfois sans la bêtise ni les préjugés humains.
Au point où nous en sommes aujourd’hui, la seule chose que
nous puissions dire est que l’intelligence artificielle sera ce que
nous en ferons, y compris en corrigeant au fur et à mesure les
dérives rencontrées – bien avant que nous soyons prisonniers du
Meilleur des mondes de Huxley.
Encore faut-il que nous prenions conscience qu’ici aussi demain
est aujourd’hui.
La mutation numérique ne doit pas susciter des craintes
apocalyptiques.
Elle introduit des facteurs puissants d’engagement, de
transparence, de motivation et de coopération, elle éclaire sur le
champ d’action de l’entreprise et rend plus fiables les décisions, à
condition qu’elle ne soit pas projetée de manière uniquement
technique et par pièces et morceaux sans vision générale du
système.
Pour les entreprises qui naissent directement numériques, la
chose n’est pas difficile. Elle l’est beaucoup plus quand des
organisations anciennes ou lourdes prennent le virage numérique.
Deux éléments cruciaux sont alors à prendre en compte.
Premièrement, la mutation numérique oblige à considérer
l’entreprise dans son milieu étendu – fait non seulement
d’actionnaires, de personnels et de clients mais du public en
général et même de tout l’écosystème environnemental et politique.
De ce point de vue, la réflexion sur les parties prenantes, au sens
large, de l’entreprise est indissociable de cette mutation qui la rend
encore plus indispensable.
D’autre part, la mutation numérique oblige aussi à s’interroger
sérieusement sur les manières de réintroduire réflexion, lucidité et
pensée dans un univers placé sous le signe des automatismes
intelligents. Ce doit être possible à la fois au plan des formations
initiales des acteurs qui devraient devenir plus réflexives et être
nourries de sciences humaines et d’humanité tout court, et au plan
des espaces-temps de réflexion mis en place au sein même des
entreprises.
Grand entretien
cette simplification ?
CG. – Par rapport à ce qu’on se disait sur l’empowerment de
Fabrice Enderlin
L’impact du numérique sur la technologie et le travail.
Exemples et témoignage sur la pratique dans l’entreprise
UCB
Fabrice Enderlin a été en charge des ressources
humaines,
et fondateur de DiscernYard.
J’évoquerai trois exemples issus de la pratique de l’entreprise
UCB, société biopharmaceutique internationale, dont le siège
social est situé en Belgique, compétente dans le traitement
des maladies inflammatoires, des systèmes immunitaire et
neurologique, et bientôt dans le traitement de l’ostéoporose.
Cette entreprise fortement internationale compte près de
8 000 collaborateurs, majoritairement cadres et scientifiques,
et opère dans plus de 30 pays.
Par convention, j’utiliserai le terme « numérique » pour
qualifier l’introduction dans les organisations de technologies
de l’information visant à créer et faire circuler de la donnée
numérique. Le monde anglo-saxon emploie le terme
« digital ».
Pouvoir, responsabilité
et gouvernance
Le sens des actions
Il se pourrait que la critique que nous puissions adresser à cette
mutation ne prenne pas suffisamment en compte une formidable
opportunité pour l’humanité : se réveiller de son long sommeil
d’engourdissement matérialiste et mettre au centre des activités
humaines la question du sens de notre action, la question du sens de
nos engagements, la question du sens de nos vies et de celles que
nous mettons au monde.
La critique des moyens en effet est facile. Qui en viendrait à
nourrir un remords à l’égard de cette quête qui accompagne
l’histoire de l’humanité en viendrait aussi à déplorer qu’une
majorité d’entre nous puisse mieux se protéger de la vulnérabilité,
que l’espérance de vie moyenne dans le monde par exemple soit
passée de 47 à 70 ans entre une personne née en 1950 et une autre
née en 2012, que les innovations technologiques aient permis de
gagner en compréhension des maladies par la modélisation de notre
dynamique physiologique, que pour prendre un autre exemple,
il soit possible de piloter le bilan énergétique d’une cité via les
smart cities pour en réduire l’empreinte écologique.
Et pourtant, dans ces deux domaines, celui de la santé et celui
de la construction, pour ne citer qu’eux ici (mais comme nous le
rappelons tout au long de ce livre, tous les secteurs d’activité sont
touchés), la véritable question qui se pose pour penser la limite du
pouvoir potentiellement absolu du numérique est celle des finalités.
Soit la confrontation à la possibilité d’un pouvoir absolu,
j’entends par là celui qui ne laisse rien lui échapper (vouloir
« éradiquer la mort » en est un), efface la question de la
responsabilité, mais alors il faut en avoir conscience et se le dire et
considérer que nous sommes dans une époque sombre où tout est
permis, soit cette confrontation nous intime de lui fixer des limites
pour juger de ce qui est préférable si nous maintenons que dans une
société humaine, agir de manière responsable est précisément ce
qui fait que cette société est humaine, c’est-à-dire constituée de
personnes qui ont une part de liberté pour faire des choix.
Or la définition de ce préférable devient vite problématique à
l’aune de l’expérience de décisions qualifiées de complexes parce
que combinant plusieurs ordres de réalité, c’est ce qui relève de la
réflexion éthique.
De la responsabilité à la solidarité
Même si en son origine historique la question de la
responsabilité a d’abord été posée en termes d’imputabilité, c’est-à-
dire d’identification de l’agent en faute, elle s’est déplacée au cours
de l’histoire récente vers la question de la solidarité. La
responsabilité est d’abord aujourd’hui responsabilité pour autrui.
La question n’est pas tant à qui la faute mais comment prendre la
mesure des actions susceptibles d’affecter la vulnérabilité d’autrui,
voire la vulnérabilité du monde. Ce que Hans Jonas appelle le
principe de responsabilité.
La pensée systémique est passée par là, elle-même développée à
partir de l’émergence de modèles de cybernétique développés au
départ par Norbert Wiener en 1950 comme tentative de prémunir
les pays démocratiques d’une dérive autoritaire.
Alors penser une responsabilité de l’entreprise au-delà du strict
cadre juridique qui définit ses obligations, c’est explorer de quoi
elle doit et peut répondre, auprès de qui. Mais cela impose de se
demander ce qu’est l’entreprise si elle n’est pas seulement un statut
juridique de société à caractère économique.
Dans un colloque de 2011 au collège des Bernardins sur
l’entreprise, qui a nourri les débats parlementaires sur « l’entreprise
à mission » dans le cadre du projet de loi Pacte, Blanche Segrestin
et Armand Hatchuel ont avancé que l’entreprise a ouvert au
e
XX siècle un champ épistémologique inédit autour de trois
dimensions nouvelles : un projet de création collective, un espace
d’action collective organisé, une autorité de gestion à la fois
légitime et compétente. L’entreprise dans cette perspective ne peut
être réduite aux affaires, elle est avant tout une communauté
humaine qui porte une certaine vision du monde, elle rallie autour
d’elle des personnes qui veulent participer à un projet commun,
bénéfique pour ses parties prenantes.
Que ce soit le cas ou pas, si nous observons les études
d’engagement qui fleurissent depuis une dizaine d’années, nous
constatons que la capacité à donner du sens à l’action est entrée
dans le champ des priorités conditionnant le succès de l’entreprise,
c’est-à-dire son développement profitable et sa pérennité.
La force redécouverte du sense of purpose ou « raison d’être »
est la traduction de l’efficace et de la pertinence du questionnement
sur le sens au sein d’une entreprise qui considère que les hommes
et les femmes qui la constituent font sa différence et sa vitalité.
Responsable des conséquences de ses activités, de quoi
l’entreprise devra-t-elle et pourra-t-elle répondre avec l’utilisation
du numérique qui accroît ses pouvoirs en termes de réactivité, en
termes de vitesse de production, en termes d’ubiquité, mais aussi
de surveillance, de contrôle et de pression de conformité,
éventuellement génératrice d’accentuation des inégalités dans le
monde ?
Deux dimensions me semblent à intégrer pour ouvrir un champ
de réponses. Pour reprendre une typologie développée par Ricœur,
la première dimension envisage la réponse par la norme ou la règle,
ce qu’il appelle l’éthique postérieure, qui relève de l’application de
choix considérés comme éthiques, par exemple le code de RSE et
toutes les réflexions en cours sur ces sujets ; la deuxième
dimension l’aborde par les principes fondamentaux ou
« enracinement des normes dans la vie et dans le désir », qu’il
appelle éthique antérieure et vise l’exercice du jugement de valeur
qui est le propre d’un sujet doté de conscience.
La première dimension, d’une certaine manière, est une
définition extérieure ; elle n’engage pas fondamentalement la
conscience individuelle ; elle est, pour ceux qui s’y conforment,
notre bonne conscience de faire ce qu’il est convenu de faire. Ainsi
les dirigeants qui engagent la responsabilité de l’entreprise
peuvent-ils, en fonction de l’état des normes de sécurité par
exemple et du devoir de protection associé, se dire « responsables »
de veiller à ce qu’elles soient appliquées. Et bien sûr, c’est
essentiel.
La seconde dimension, plus exigeante, plus incertaine, qui
demande réflexion à chacun en son âme et conscience, fait appel à
ce que nous pourrions définir comme notre vie intérieure, qui est
l’espace sans lequel il n’est pas envisageable de développer une
pensée propre. Tous les systèmes totalitaires reposent sur la
réduction, voire la tentative d’anéantissement, de l’intériorité de
chacun. Et il y a plusieurs méthodes pour cela, des plus insidieuses
sous forme de divertissement ou d’épuisement aux plus ouvertes
sous forme de propagandes et de marquage social.
C’est au titre de ces deux dimensions par exemple qu’une
décision éthique pourrait être en opposition avec l’application
d’une norme. Enfreindre une règle de sécurité pour sauver la vie de
quelqu’un en est un exemple, parce que le concept même de
responsabilité présuppose que l’homme concret vaut mieux que la
règle et qu’à ce titre les rapports sociaux doivent être protégés de
notre pouvoir de nuisance « autorisée », que causer un dommage à
autrui affecte l’humanité tout entière.
Ironie de l’histoire, c’est bien la connaissance de plus en plus
fine des conséquences de nos actions rendue possible par
l’entreprise généralisée de numérisation du monde qui convoque
l’éthique antérieure que nous pourrions traduire par la question
« est-ce que j’agis bien ? », c’est-à-dire sans altérer ce lien de
solidarité qui fait que je suis homme parmi les hommes, mais c’est
aussi le développement des moyens de cette recherche qui peut
m’empêcher de dormir.
Le numérique offrirait-il la possibilité de renforcer le pouvoir de
l’éthique ?
Pouvoir et éthique
Ricœur a montré que la notion de responsabilité, bien
qu’orientée vers une responsabilité pour autrui, c’est-à-dire au fond
vers une certaine visée éthique qui associe « une vie bonne, avec et
pour les autres, dans des institutions justes », ne peut se passer de
celle d’imputabilité, entendue comme capacité d’un sujet à se
désigner comme l’auteur véritable de ses actes.
Un pouvoir « pleinement » responsable s’exercerait « en
connaissance de cause » et avec le « souci de ne pas nuire ».
Toute la difficulté pratique de cette affirmation est
qu’évidemment l’action s’inscrit dans un entrelacs de causalités
multiples, y compris inconscientes, impliquant de nombreux
protagonistes, aux effets secondaires complexes et pour une part
imprédictibles comme l’illustre le fameux « effet papillon »
conceptualisé par Edward Lorenz.
La mutation numérique ajoute à cette difficulté les effets
systémiques qu’elle démultiplie. La volatilité des cours de Bourse
en est un exemple.
La bonne nouvelle est que si les dirigeants d’entreprise veulent
encore exercer leur « responsabilité », c’est-à-dire être en mesure
de répondre de leurs actes, la question éthique ne peut être
occultée. Il s’agit de maintenir, voire de développer, leur propre
capacité et la capacité des hommes et des femmes qui travaillent au
sein de l’entreprise qu’ils dirigent à faire des choix soutenables.
La merveille de la mutation numérique est qu’elle accélère les
chaînes de causalité et l’identification, à défaut de leur genèse, de
leurs effets.
Il a fallu deux siècles pour identifier les impacts de
l’industrialisation à base d’énergie fossile sur la pollution de l’air ;
il n’a fallu que dix ans pour mettre à jour les effets délétères de la
marchandisation de données privées et seulement quelques mois
pour qu’un collectif de salariés de l’une des plus grosses
capitalisations boursières du monde refuse de contribuer à la
commercialisation d’un logiciel de reconnaissance faciale.
C’est ainsi la même technologie qui suscite un mouvement
d’indignation chez certains ou qui permet à d’autres de manipuler
les consciences, avec le développement du « neuromarketing »
informé par les logiciels de traçage des données de consommation
par exemple.
La différence d’usage tient à l’existence ou non d’un réel
questionnement éthique au sein de l’entreprise.
Gouvernance et discernement
Pierre-Yves Gomez questionne l’influence des transformations
sur les modalités de gouvernance de l’entreprise comprise comme
répartition et attribution de trois pouvoirs qui permettent la
direction d’une institution : le pouvoir souverain, actuellement
détenu par les actionnaires, le pouvoir exécutif habituellement
exercé par les équipes dirigeantes qui parfois sont aussi
actionnaires, et le pouvoir de surveillance habituellement exercé
par le conseil d’administration ou le board dans les cultures
internationales.
La mutation numérique questionne l’équilibre de ces pouvoirs à
plusieurs niveaux.
D’abord la composition des représentants « physiques » de ces
pouvoirs « moraux », ensuite la répartition de ces pouvoirs, enfin
leurs modalités de coopération.
Rappelons ici les facteurs majeurs de transformation liés à la
mutation numérique et qui devraient amener comme le font déjà
certaines entreprises à reconsidérer les modes de gouvernance :
l’accélération des boucles systémiques de rétroaction générant
une imprédictibilité croissante des évolutions de marchés elles-
mêmes en grande partie dépendantes des évolutions
géopolitiques et vice versa ;
la connectivité dépassant les clivages de statuts, qu’ils soient
hiérarchiques ou d’expertise ;
la facilité d’accès à l’information associée à l’absorption
massive de données, limitant les temps d’appropriation et de
maturation ;
la transparence exposant l’entreprise à l’évaluation en continu
de ses activités.
Puisque « gouverner », en son sens étymologique, consiste à
définir le « bon cap » et à créer les conditions pour le tenir (ce qui
veut dire d’ailleurs aussi pouvoir en changer), la question délicate
est de s’assurer du bon repérage pour optimiser la fiabilité des
points sur la table à carte dont nous savons tous qu’elle ne
représente jamais la réalité du territoire.
Mais alors il faut élever le niveau de sensibilité aux signes
faibles, aux inflexions, aux impacts systémiques, ce qui veut dire
résister à la virtualisation du monde numérisé, et ce par le
renforcement du sens des réalités.
Car le monde n’est pas devenu plus complexe, c’est notre
rapport au monde que nos productions technologiques issues de
l’ingéniosité de l’esprit humain ont complexifié.
Ce sens des réalités me semble devoir être pris au pied de la
lettre dans l’exercice de la gouvernance.
Cela peut d’abord vouloir dire faire évoluer la composition des
instances de gouvernance. Ce qui pourrait se traduire par le fait que
le pouvoir souverain soit exercé davantage par des personnes en
lien avec le travail réel, détentrices des compétences distinctives
qui permettent à l’entreprise de créer une valeur spécifique,
« préférable » pour ses parties prenantes, que le pouvoir exécutif
1
soit étendu, en créant une sorte de bicamérisme , soutenu par un
débat fécond entre comité opérationnel, représentatif de la vie
concrète de l’entreprise, et comité dit « exécutif », que le pouvoir
de surveillance enfin stimule la prudence, ce fameux mixte
d’audace et de tempérance dont parlait Aristote, dans une
dynamique de coconstruction avec le pouvoir exécutif, ce qui
requiert qu’il soit composé de membres entraînés à la pratique du
discernement.
En ce qui concerne la répartition des pouvoirs, le lien renforcé
entre entreprise et société peut amener à considérer la pertinence
d’associer aux trois pouvoirs classiques un « comité des sages »,
sorte de « tiers instruit », composé d’autorités de compétence issues
de la société civile et du monde académique, dont la contribution
serait d’éclairer les effets systémiques des décisions majeures.
Enfin, en matière de modalités de coopération, l’enjeu est
d’assurer au sein de chacune des instances les conditions
d’intelligence collective, ce que les Anglo-Américains appellent la
cross-fertilization.
L’intelligence collective ne va pas de soi, il ne suffit pas de
rassembler des personnes aux profils différents et individuellement
considérées comme intelligentes pour que l’intelligence du groupe
soit plus importante que celle des individus pris séparément.
Nous avons les travaux de Kurt Lewin et son analyse de la
pression groupale, et plus récemment ceux de Christian Morel sur
les décisions absurdes ou encore de Phil Rosenzweig sur le halo
effect en management pour en attester. L’intelligence collective
nécessite un véritable travail de discernement qui requiert une
attention à ses propres biais cognitifs et à la manière de les déjouer,
une qualité de présence qui favorise la créativité, qui ne peut être
stimulée à distance en communication digitale online, une
stimulation active de modes de pensée complémentaires tant en
2
termes d’expertise qu’en termes de styles cognitifs et un cadre de
référence commun.
La définition de ce cadre commun, c’est ce qui peut fonder le
contrat « explicite » de solidarité entre les parties prenantes.
Ce cadre de référence peut être entendu comme cadre de
« consistance culturelle », carte coconstruite avec les parties
prenantes de la gouvernance de l’entreprise à partir de laquelle
toute décision et la manière de la prendre peuvent être évaluées à
l’aune d’une cohérence d’ensemble entre la raison d’être de
l’entreprise, ses priorités stratégiques et ses valeurs déclinées en
principes d’action, en modes de coopération et en modèle
organisationnel, et ce, dans une perspective évolutive intégrant les
enseignements des interdépendances entre les contributeurs à la
valeur créée par l’entreprise, dont les citoyens.
Mais cela suppose qu’il y ait un véritable lien entre les parties
prenantes. De veiller à la qualité de ce lien. Ce que Michael Porter
appelle « la création de valeur partagée ». Il s’agit dans cette
conception d’entendre la valeur comme ce qui va durablement
apporter une performance économique à l’ensemble des acteurs de
l’écosystème de l’entreprise, voire de la société.
Il se pourrait alors qu’en transformant les rapports de pouvoirs,
au sein de l’entreprise, la mutation numérique favorise l’émergence
d’une nouvelle conception de l’entreprise ; l’entreprise comme lieu
et puissance de construction au service d’un monde meilleur et
commun.
Grand entretien
qu’on est au bord d’une autre crise financière et qu’on n’a pas
tiré les leçons de la crise de 2007-2008. Une espèce de
séduction du très court terme empêche le raisonnement à
moyen et plus long termes. Pour moi la responsabilité
économique et financière concerne les conditions d’une
« création de valeur » juste et durable, avec ce que cela
implique comme réflexion autour des choix d’investissement,
autour des pratiques d’optimisation fiscale, plus ou moins
dommageables, autour des enjeux comptables, autour des
questions liées aux écarts de rémunération. Le
développement de tout ce qui est digital a aussi accru la
possibilité pour les groupes de mutualiser beaucoup de
choses, notamment du point de vue des services
informatiques, et d’avoir accès aux informations sur ce qui se
passe à l’autre bout de la planète. Même si du point de vue
juridique on a affaire à des entités séparées les unes des
autres – ce qui est un des gros problèmes actuels en matière
de responsabilité des multinationales vis-à-vis de leurs filiales
dans d’autres pays –, les entités sont en fait très
interdépendantes. Les relations extrêmement étroites entre
filiales et maisons mères qui permettent les manipulations des
prix de transfert et autres en matière fiscale manifestent qu’il
s’agit bien d’entités qui ont une forme d’unité systémique.
Les chaînes de valeur ne sont pas les seuls effets de la
mondialisation, mais c’est un bon exemple de la manière dont
les groupes s’organisent pour faire produire une partie des
objets qui seront ensuite assemblés, d’ailleurs pas forcément
dans le pays où ils seront vendus. Aujourd’hui un certain
nombre de critiques portent sur les produits achetés à bas
coût. Elles sont liées au fait qu’on n’a pas pris suffisamment la
mesure de la responsabilité des dirigeants et finalement des
consommateurs à l’égard de ce qui se passe à l’autre bout de
la planète alors qu’en réalité les moyens d’information
permettent d’avoir accès aux normes de sécurité dans les
usines qui dépendent directement des maisons mères ou des
donneuses d’ordres. On a déplacé le problème sur les filiales
des sous-traitants et des sous-traitants des sous-traitants en
Chine, au Bangladesh ou en Éthiopie, en s’arrangeant bien
de tout ça.
DH. – En tant que dirigeant ou responsable, on peut décider
d’éthique ?
DH. – Oui. Mais je suis aussi favorable à une représentation
pour qui.
VJG. – Ce qui est produit : les dernières élections américaines
par exemple.
CR. – Oui, mais des innovations peuvent être très positives
Paul Van Oyen
Paul Van Oyen est CEO d’Etex (www.etexgroup.com).
Pour ce témoignage, j’ai réellement essayé d’éviter les mots
suivants : transformation, Vuca, disruption, stratégie, agilité,
leadership. Ma vaine tentative pour y arriver est une
indication que ma contribution reflète simplement la réalité du
monde d’aujourd’hui. C’est ce à quoi les leaders de tous
niveaux font face, et j’ai tenté d’y ajouter ma touche
personnelle en reliant mes expériences aux sujets couverts
par ce chapitre.
À LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ
Les dirigeants n’ont aussi qu’un nombre limité d’heures par
jour. Ils doivent se rapprocher autant que possible de la vérité
du jour et des perspectives de demain. Les livres de comptes
et les rapports de management contiennent des données
statiques, plus que ce qu’un cerveau peut contenir. Alors que
les outils digitaux collectaient des données d’une manière
similaire, nous parlons maintenant de l’acquisition et du
stockage de données statiques et dynamiques. Les données
reflètent-elles la vérité ? Peuvent-elles être converties par des
ordinateurs et des processeurs en une information qui serve
le monde et notre raison d’être, plus qu’en une information qui
généralement menace les personnes ? Les ordinateurs vont-
ils nous dire comment les personnes se conduisent ou bien y
aura-t-il une réaction de révolution et les gens, une fois
encore, auront des comportements imprévisibles ? Il semble
que nous nous éloignons un peu plus de la vérité. Quelle est
la vérité derrière « Pouvoir, responsabilité, gouvernance » ?
Si nous possédons des données, est-ce que nous possédons
des vies ? Si nous possédons des vies, retirons-nous les
responsabilités des individus ou des autorités publiques ? Si
nous avons de l’impact sur les vies, prenons-nous une
position politique dans le débat social ?
Les managers peuvent-ils compter sur les données et
l’information pour prendre des décisions sans avoir une
compréhension du mode de collecte des données ? Pouvons-
nous compléter nos tableaux de bord avec « les autres
données » ? Que se passe-t-il si la composante émotionnelle
des employés et des clients devient parfaitement prédictible ?
Qui transformera les données en information ? Qui changera
l’information en prise de décision ? Comment allons-nous
développer du pouvoir quand notre justification est basée sur
un apport non relationnel ? Qui est propriétaire des données
(sur moi) ? Qu’est-ce qui reste aux autorités publiques qui
étaient originellement les détenteurs des données, maîtres
sur les personnes ? Les données peuvent-elles être
protégées ?
Alors que nous prêchons que tout devient prévisible, nous
prenons aussi conscience que le monde devient de moins en
moins prévisible…
Pauvreté ou richesse
de la collaboration
Collaboration et coopération
La mutation numérique s’accompagne dans les organisations du
développement de modes de fonctionnement collaboratifs. Toute
collaboration est-elle coopération ? En nous en tenant à la précision
du langage, ce premier tiers de confiance qui tisse la qualité de nos
relations, collaborer vient de cum laborare, « travailler ensemble »,
et coopérer vient de cum operare, « agir ensemble ». Nous pouvons
identifier ici le double versant du rapport au travail, le versant
« pauvre » de la nécessité, où nous sommes des instruments les uns
pour les autres, et le versant « riche » de l’émancipation, où
ensemble nous coconstruisons un objet porteur de sens qui en
appelle au meilleur de nos habiletés et nous permet de mieux
habiter le monde. La langue courante encore ne s’y trompe pas,
lorsque nous voulons louer l’engagement de quelqu’un à une
réalisation commune, nous disons « il est très coopératif » alors que
nous parlons d’outils collaboratifs, tout comme de culture
collaborative d’ailleurs, ce qui n’est pas sans poser question.
Si l’ubérisation par exemple peut être considérée comme
collaborative, en tout cas elle n’est pas coopérative.
Il s’agit donc de se demander comment trouver la juste mesure
pour que l’outil numérique reste bien un facilitateur d’échange,
permettant de prêter une attention plus vive à la richesse de la
coopération, plutôt qu’un instrument dont la puissance pourrait
nous conduire à nous instrumentaliser davantage.
Donnée ou prise ?
À ce stade de l’ouvrage, nous n’avons plus à argumenter que la
donnée seule ne peut faire sens, qu’elle a besoin pour cela d’une
interprétation dont la fiabilité tiendra à la fois à la richesse et à la
profondeur de réflexion dans un cadre partagé. La donnée serait en
effet l’unité élémentaire sans contexte qui devrait être
contextualisée. Mais via le numérique, la donnée n’est jamais sans
contexte, ni non plus jamais sans intention car pour se retrouver à
un moment donné « encodée », que ce soit sur la Toile, dans un
média social ou encore dans un logiciel d’intelligence artificielle ou
de robot, elle a dû être « prise » par quelqu’un, autrement dit
1
sélectionnée comme un élément à partager (Yves Citton ). En cela
rien de nouveau par rapport à quelque démarche de communication
que ce soit.
Ce qui change ici c’est le fait que cette « prise » ne soit
potentiellement celle de personne, ni d’ailleurs nécessairement
adressée à quelqu’un et qu’apparemment dénuée de support
subjectif à l’échange, elle en vienne à être considérée comme
échange d’objets, porteurs en eux-mêmes de sens comme
l’illustrent les mails « sans objet » qui traduisent en eux-mêmes que
l’attention de l’émetteur n’est pas orientée vers celle du
« récepteur », qui pourrait éventuellement à la lecture avoir un
premier repérage, mais sur le contenu en faisant peu de cas de la
manière dont il peut être reçu.
L’outil numérique est ce qui permet de prendre contact « sans
contact », comme en attestent toutes les cartes qui nous permettent
un accès sans intervention personnelle.
Connectivité et sociabilité
La sociologie des réseaux a exploré les forces et limites des
liens faibles et liens forts de l’activité de réseau.
La force du lien pourra être définie en fonction du temps passé
entre les protagonistes du réseau, de l’intensité émotionnelle de la
relation, de l’intimité et de la réciprocité des échanges.
Les liens faibles, qui sont diversifiés, peu reliés à des valeurs
communes et régis plutôt par une logique d’intérêt, présentent un
avantage dans une relation de compétition (Granovetter) en ce
qu’ils permettent d’utiliser les « trous structuraux » ou absence de
connexions entre plusieurs réseaux pour échanger des informations
précieuses auxquelles les personnes reliées par un lien fort et donc
une homogénéité d’intérêts n’auraient pas nécessairement accès.
Les liens forts contribuent quant à eux plus intensément à la
sociabilité en ce qu’ils sont davantage détachés des contraintes
sociales qui pèsent sur les liens faibles dans lesquels la conformité
est de mise pour se faire accepter par le code social en vigueur. Les
liens forts sont des liens avant tout fondés sur la confiance de
pouvoir ouvertement exprimer sa subjectivité sans risque de
marginalisation. Il est intéressant de noter qu’aucune conflictualité
n’est possible sans la force du lien car il faut vouloir être reconnu et
être digne de reconnaissance pour pouvoir s’opposer à une autre
conscience.
Or la conflictualité est une ressource essentielle à la créativité
de la réflexion et à la fécondité de l’action sur le monde (Yves Clot)
et par voie de conséquence à l’innovation. Innover est toujours en
quelque façon s’opposer à un ordre établi. Innover ne peut
s’envisager dans une simple exécution de consigne.
En ce sens, la capacité d’innovation est le signe d’une réelle
coopération.
La connectivité s’inscrit dans cette double perspective de
réseaux d’utilité ou d’affinités.
Si nous entendons par réseau les connexions entre personnes
qui se reconnaissent une forme d’interdépendance, la coopération
professionnelle est un type de réseau particulier qui a pour finalité
de produire une valeur reconnue comme telle par ses parties
prenantes. Cette coopération repose sur la confiance sans pour
autant devoir s’appuyer sur des affinités. Plus les conditions de
réalisation commune seront complexes, plus la confiance pourra
être entendue comme « mécanisme de réduction de la complexité
sociale » (Niklas Luhmann), mais cette confiance qui n’est pas sans
risques, sinon ce ne serait plus de la confiance mais de la certitude,
a besoin d’attestation. Elle a besoin d’un accord de confiance, un
accord de confiance sans lequel la relation serait reléguée à une
simple transaction. Elle a besoin d’être attestée « en personne(s) ».
La coopération a besoin d’un lien fort qui ne soit pas déterminé
par la connectivité mais par la sociabilité entendue comme capacité
à vivre et agir ensemble.
Facilité « virtuelle » et qualité
de la relation
Ce que met en évidence Sherry Turkle, c’est que les outils
numériques peuvent nous permettre d’échapper à la complexité de
la relation et que cette fuite possible fait sans doute partie de leur
succès.
Sur cette complexité souvenons-nous de la prudence déjà de
Platon à l’égard de l’écriture, considérée comme un pharmakon
dans le Phèdre, en apparence remède à notre mémoire oublieuse
mais aussi poison par le fait de dispenser de faire l’effort de
mémorisation et plus dangereux encore en ce que l’écrit ne permet
ni à son auteur ni à celui qui le lit de se défendre. L’écrit est une
parole orpheline et une pensée morte qui laissent libre cours à toute
« lâcheté » d’interprétation et d’usage.
Absorbés par le traitement des données de nos smartphones, de
nos mails, de nos logiciels de gestion, ou « conditionnés » par notre
application de suivi de santé, nos systèmes de domotique, bientôt
nos voitures « autonomes », nous perdrons peut-être bientôt
l’habitude et la capacité de nous confronter au réel qui se manifeste
toujours à nous sous la forme d’une limite à notre pouvoir et parmi
tout ce qui existe dans le réel, l’élément le plus complexe sans
doute, l’autre être humain mais aussi le plus réel, celui par lequel
j’ai le sentiment d’exister.
La relation s’inscrit d’abord dans cette confrontation à l’altérité,
qui fait sa vitalité. Il y a fécondité de la relation parce qu’il y a une
différence dont la synergie se potentialise. La relation n’existe que
si l’autre ne peut être réduit au même, que si l’autre ne m’est pas
complètement « transparent », que s’il peut « déranger » mon
individualité, ne pas me laisser indifférent. Entendre la relation au
sens fort, c’est l’entendre dans un engagement personnel, c’est
répondre de sa différence pour prêter main-forte à celle de l’autre.
Mais qu’est-ce qui nous différencie véritablement ? Qu’est-ce
qui peut fondamentalement déranger les uns et les autres tout en les
reliant ? Ne serait-ce pas la réalité de la présence ?
Les neurosciences confirment ce que les phénoménologues de
l’intersubjectivité avaient mis à jour : pas de relation véritable sans
une sensibilité à des émotions partagées qui nous invitent à créer
les conditions d’une entente, propice à la qualité du lien de
personne à personne, ce qui sera appelé par l’anthropologie du don
développée par Marcel Mauss la socialité primaire par contraste
avec une socialité secondaire qui se construit dans la
reconnaissance des statuts et des rôles. Ce que Paul Ricœur
définissait comme différence entre le prochain et le socius.
Si la mutation numérique rend possible une mise en contact de
personnes indépendamment de leur « place », dans une dynamique
collaborative qui s’affranchit des hiérarchies, elle requiert pour
contribuer aux conditions d’une coopération féconde de maintenir
les conditions d’une réelle proximité par laquelle l’autre est mon
prochain, c’est-à-dire un être avec qui je partage un monde
commun.
Le registre du proche fait d’abord appel à une présence. La
qualité de la relation tient d’abord à cette présence, perçue comme
bonne ou mauvaise mais qui atteste non pas seulement d’un
« quoi », comme dans le registre de l’échange d’objets, mais d’un
« qui », qui ne peut pas attester de qui il est sans être là.
La force de la confiance, dont il est convenu et démontré qu’elle
conditionne non seulement la vitalité des sociétés humaines mais
aussi celle des échanges économiques, repose sur la consistance
d’un lien avec une « vraie personne » que je reconnais comme
capable de fiabilité parce que je « sens », je vois son engagement,
manifeste dans sa personne. Et cette manifestation est réciproque,
elle m’affecte au sens positif du terme, elle crée déjà du nouveau
par la perspective unique et différente de la mienne. Mais pour que
cette synergie ait lieu, il faut que l’espace de la parole soit ouvert
par une sensibilité qui m’invite à me décentrer de moi-même et de
mes interprétations.
Cette confiance, l’anthropologie du don montre qu’elle
s’entretient par un cycle de réciprocité dynamique dans lequel les
personnes ne se considèrent jamais « quittes » et prêtent d’autant
plus d’attention aux autres qu’elles souhaitent maintenir la
cohésion du lien social.
À défaut de présence, les liens se distendent. Lorsque nous
privilégions l’échange numérique à la relation nous risquons ainsi
d’appauvrir la coopération pour n’en faire plus qu’une
collaboration centrée sur le partage de moyens, en l’occurrence de
données, dans une socialité virtuelle.
Nous nous exposerions alors au paradoxe de développer des
contacts « faciles », propre de « l’individu réticulaire » sans
conséquences pour la relation, c’est-à-dire où tout un chacun peut à
loisir se déconnecter d’un clic ou diffuser sans vergogne ses
humeurs sur la Toile (Zygmunt Bauman) où chacun, réduit au rang
d’objet consommable, est aussi « jetable ». Ce qui a pu conduire
l’un des senior leaders de Facebook à dire que le développement
2
des réseaux sociaux contribuait au « déchirement du tissu social ».
la coopération incarnée
L’enjeu alors pour l’entreprise est de trouver la juste mesure.
D’un double point de vue pragmatique et humaniste, les
conséquences de l’augmentation des relations/collaborations
numériques dans l’environnement professionnel incitent à
« enrichir » les modes de collaboration pour maintenir, voire
développer, les conditions de coopération véritable.
Car la numérisation des relations professionnelles n’est pas sans
danger pour les personnes et, en premier lieu, l’altération possible
du sentiment de mutuelle reconnaissance qui fonde la sociabilité et
qui est nécessaire au développement de la confiance en ses propres
capacités.
Christophe Dejours a mis en évidence dans les cas de
souffrance au travail et de burn out les effets délétères de
l’altération du jugement de beauté et du jugement d’utilité qui sont
en jeu dans un processus de reconnaissance d’un travail bien fait,
source d’un sentiment de joie et d’accroissement de sa « puissance
d’agir ».
Pour que cette reconnaissance soit possible, il faut que
l’ingéniosité s’exprime, ingéniosité qui demande une intelligence
du corps, laquelle conditionne véritablement la qualité de
l’engagement professionnel y compris pour ce que l’on qualifie
d’activité intellectuelle. Cette intelligence du corps demande que la
personne soit « tout à son travail » et, lorsqu’il s’agit de coopérer,
réellement investie dans une relation de face-à-face. Ce n’est pas le
réel qui s’oppose au virtuel et à ses artefacts d’une pensée sans
corps s’exprimant dans la froideur digitale, c’est la présence. La
vraie collaboration est une collaboration incarnée, une
collaboration qu’il fait bon vivre avec toutes les tonalités du vivre
dont la sensibilité.
3
Le MIT a mis en évidence dans une étude de 2012 que ce qui
conditionnait la performance d’une équipe entendue en termes
d’efficacité et de créativité dans la résolution de problème était
l’énergie émotionnelle, l’engagement en présentiel et la capacité à
interagir avec d’autres équipes pour stimuler l’exploration de
points de vue nouveaux.
Pour ajuster une vision commune de la beauté ou de l’utilité
d’une production commune, nous avons besoin d’un rapport
incarné au problème à résoudre. Cette incarnation de la coopération
ou coopération en présence stimule, par une « expérience
commune » de la difficulté, l’élan de solidarité dont chaque être
humain est capable tant qu’il n’est pas coupé de ses émotions qui
président à l’empathie. Ressentir que nous avons ensemble une
difficulté à résoudre dont l’enjeu est porteur de sens pour nous rend
la mobilisation possible.
Avec la collaboration numérique, cette mobilisation a d’autant
plus besoin de la présence que les jugements de beauté et d’utilité
sont fluctuants au gré des interactions numérisées et ne peuvent au
bout du compte qu’être médiatisés par la « contemplation » de
l’œuvre commune.
La coopération permet que les personnes puissent se reconnaître
dans un travail jugé bien ou mal fait par rapport à un accord lui-
même coconstruit. C’est ce que Yves Clot appelle le retour au
métier qui sous-entend que nous nous considérions dans la
coopération comme des professionnels, c’est-à-dire capables de
gérer une situation qui demande de faire appel à un savoir-faire et
d’en débattre car le réel met toujours le savoir à l’épreuve.
C’est dans le débat, dans la délibération ou encore dans la
dispute professionnelle, que la coopération donne toute sa mesure à
la force du don.
Générosité et valeur
La dispute ou la controverse a pour intention la concorde mais
la concorde sur une visée commune : ce qui peut créer plus de
valeur.
Se mettre d’accord sur « ce qui vaut vraiment » pour reprendre
l’expression de Gary Hamel, c’est ce qui n’a pas de prix, c’est ce
sur quoi nous ne pouvons vouloir être payés à défaut de nous
considérer comme des objets consommables. Toute valeur créée,
reconnue même par un prix, n’a pu l’être qu’avec la générosité de
ceux qui y ont contribué. Pensons pour cela à ces simples phrases
que nous prononçons lorsque nous portons un jugement sur le prix :
« ça ne le vaut pas » ou « ça le vaut bien » et mieux encore « cela
n’a pas de prix ».
Entre le prix et la valeur, il y a un jugement qui n’est pas
d’utilité mais de qualité – la qualité par laquelle l’utile est associé
au beau, que ce soit la beauté du geste, la beauté de la finition et du
soin qu’elle suppose, la beauté de l’audace ou encore de
l’harmonie. Le jugement de qualité en appelle à la générosité. La
générosité commence lorsque le don est fait alors qu’il aurait pu
être évité sans troubler l’ordre social, elle est aussi ce qui surprend
et peut susciter une préférence dans un monde où la numérisation
standardise les échanges. La générosité est à l’opposé de l’utilitaire
sans l’exclure, elle est ce par quoi chaque être est unique par ce
qu’il donne de soi, l’expression de sa sensibilité propre, une valeur
sans commune mesure qui fait toute la différence.
Prendre soin de la possibilité de générosité pour que ne
s’assèchent pas les cœurs et les esprits, ne serait-ce pas là l’une des
responsabilités des dirigeants à l’ère de la mutation numérique ?
Il s’agit de prêter attention à la manière de favoriser la
délibération professionnelle, de créer les conditions d’entente sur
les critères d’un travail bien fait au moyen duquel chacun puisse
considérer avoir apporté sa part identifiable de la valeur commune
créée, qui ait du sens pour faire « œuvre commune ».
Il s’agirait aussi d’assurer que chacun peut entraîner en continu
et développer sa capacité à apprendre, apprendre des autres,
apprendre des situations, apprendre des informations mises à
disposition, par la création d’expériences apprenantes de
coopérations fortes qui favorisent l’agilité mentale et l’adaptation
sans soumission à la normativité d’une collaboration aux liens trop
faibles pour envisager de nouveaux possibles nécessaires à l’esprit
d’entreprise.
Expériences de coopération
Ces expériences apprenantes de coopération pourraient
précisément porter sur la manière de vivre dans l’activité
quotidienne les valeurs que les personnes dans leur communauté de
travail considèrent comme constitutives de la qualité de la
coopération et d’examiner les difficultés rencontrées précisément
dans des espaces coopératifs, plus que collaboratifs, facilités par la
connexion numérique mais fertilisés par un environnement qui
prenne soin de la qualité de présence en ouvrant la possibilité
d’échanges spontanés, ancrés dans la réalité du moment, propres à
stimuler la sérendipité mais aussi la réflexion, la prise de recul par
rapport à la fascination des objets numériques captateurs
gourmands de vigilance et d’énergie cognitive, susceptibles
d’activer par l’attractivité de leur facilité d’accès et de leur réponse
immédiate notre propension à la servitude volontaire.
Il s’agit enfin de veiller à ce que la logique organisationnelle
laisse une place suffisante à l’expression de la socialité primaire,
que les mobilités accélérées par les mouvances de métiers, de
localisation, et le zapping de nos attachements s’accompagnent
d’un soin particulier de reconnaissance des personnes, en tant que
personnes dans chacune des communautés de travail.
Dans cette perspective, l’une des questions que pourrait se poser
chaque dirigeant serait : « Quelle place dois-je faire dans mon
agenda pour donner de ma personne en personne et auprès de qui
pour que l’entreprise reste bien une communauté humaine et non
un assemblage d’automates débrayables ? »
La collaboration numérique pourrait là encore ouvrir une
superbe opportunité, si nous le voulons, de faire la place à ce qui
fait vraiment la différence dans la coopération : réfléchir ensemble
aux sujets trop complexes pour que les données y répondent sans
nous, agir ensemble pour résoudre les problèmes trop complexes
pour que l’intelligence artificielle puisse inventer les solutions.
Et alors oui, la mutation numérique pourrait nous aider à nous
rapprocher pour mutualiser nos ressources et mieux partager la
richesse créée. En tout cas celle qui compte.
Grand entretien
l’entreprise, qui n’a pas de statut juridique, en tant que tel. Qui
en est propriétaire ? Aujourd’hui nous pouvons dire que ce
sont ses parties prenantes. La maximisation du profit est à
élargir à la maximisation des intérêts de l’ensemble des
parties prenantes.
VJG. – On a dit que nous pouvions développer une approche
partenariale, que nous pouvions veiller à protéger les
conditions de la qualité de coopération, à donner du
sens, etc., mais en même temps, l’effet combiné de
l’accélération, de la multiplication des données et par là
même des cycles de dons, de la visibilité, de la parcellisation,
altère, voire aliène, y compris les dirigeants qui ont la
responsabilité d’organiser la prise de recul. Comment faire ?
Est-ce qu’aujourd’hui vous voyez des dirigeants, des équipes
de direction réfléchir à ces questions-là, à la manière
d’adresser les enjeux du numérique dans les entreprises au-
delà des choix technologiques des systèmes d’information ?
OC. – Oui, j’en vois, mais c’est rarement l’ensemble d’une
Laurent Bendavid
Laurent Bendavid
Yves Michaud
Yves Michaud, philosophe, a enseigné la philosophie
(épistémologie, philosophie des sciences et théorie politique) dans
de nombreuses universités en France et à l’étranger. Professeur
honoraire aux universités de Rouen et Paris-I, il a fondé et dirigé
de 1998 à 2014 l’Université de tous les savoirs dont les conférences
ont été publiées aux éditions Odile Jacob. Il collabore avec ASM
Conseils depuis 2009.
Roch Doliveux
Roch Doliveux aspire à créer un impact par la maximisation du
potentiel des leaders ayant une sensibilité aux besoins
fondamentaux de la société et de la planète.
Actuellement chairman du GLG Institute Healthcare, qui
promeut l’échange d’expertise et d’expériences entre senior leaders
de nombreux secteurs, Roch Doliveux est également président du
conseil d’administration de Pierre Fabre SA (France) et de Vlerick
Business School (Belgique) et membre des conseils
d’administration d’UCB (Belgique) et de Stryker (États-Unis).
Après avoir développé sa carrière dans différentes entreprises
de l’industrie pharmaceutique, Roch Doliveux a été de 2005 à 2014
le CEO d’UCB, entreprise globale qu’il a transformée d’un groupe
chimique diversifié à un leader biopharmaceutique focalisé sur la
création de valeur pour le patient souffrant de maladies graves. Il a
été vice-président du conseil de la Fédération européenne des
associations pharmaceutiques (EFPIA) et président du conseil
d’administration de l’Initiative pour les médicaments innovants
(IMI). Il est membre fondateur de la chaire « Valeurs du soin
centré-patient ».
Roch Doliveux est docteur en médecine vétérinaire de Maisons-
Alfort (France) et titulaire d’un MBA de l’INSEAD.
Bénédicte Maury
Bénédicte Maury a rejoint le groupe SNCF en 1995. Elle est
aujourd’hui directrice générale de SNCF Énergie et directrice
adjointe de l’énergie au sein de SNCF Mobilités. Elle a développé
sa carrière au sein du groupe en assumant successivement les
fonctions de responsable du management des risques achats, de
directrice de cabinet du directeur régional Rhône-Alpes et de
directrice adjointe de technicentre de maintenance.
Bénédicte Maury est ingénieur diplômée de l’École centrale de
Lille.
Elle est engagée dans le développement des conditions
d’apprentissage permanent pour générer performance, bien-être et
création de valeur.
Denis Hello
Denis Hello a réalisé la majeure partie de sa carrière dans
l’industrie pharmaceutique, il est actuellement vice-président
Europe du Sud d’un groupe multinational pharmaceutique et a
précédemment exercé les fonctions de président en France et de
vice-président et General Manager en Belgique.
Denis Hello est engagé dans la transmission d’expériences et de
compétences auprès de jeunes créateurs d’entreprises.
Diplômé de l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP), il
est associé du cabinet ASM Conseils depuis 2018.
Cécile Renouard
Cécile Renouard est religieuse de l’Assomption, professeur de
philosophie au Centre Sèvres (facultés jésuites de Paris),
enseignante à l’École des mines de Paris, à Sciences-Po et à l’Essec
où elle dirige le programme de recherche « CODEV – Entreprises
et développement ». Elle est membre du conseil scientifique de la
Fondation pour la nature et l’homme et membre du conseil
scientifique de la chaire « Valeurs du soin-centré patient ». Elle a
été administratrice de l’Agence française de développement (2014-
2017). Elle vient d’initier le Campus de la Transition, qui
rassemble des universitaires et des praticiens qui veulent contribuer
à la transformation des institutions éducatives, des régions et des
entreprises, pour développer une relation juste et harmonieuse à la
planète et aux multitudes qui l’habitent.
Cécile Renouard est diplômée de l’Essec et docteur en
philosophie politique (EHESS).
Paul Van Oyen
Paul Van Oyen est CEO d’Etex (matériaux pour la construction
er
durable) depuis le 1 janvier 2015.
Après plusieurs années en tant que chercheur et technologue, il
a démarré sa carrière chez Etex en 1990 comme chef de projet au
sein du centre de recherche et développement. À partir de 2004, il a
occupé le poste de Business Development Manager et a conclu
avec succès plusieurs acquisitions en Europe, tout en contribuant à
développer les activités d’Etex tuiles en terre cuite. En 2007, il a
assumé le rôle de Managing Director pour l’Europe de l’Est. En
2011, il a été nommé à la tête de la division Fire Protection
& Insulation, mieux connue sous le nom de Promat.
Paul Van Oyen est titulaire d’un master en sciences (Industry
Minerals) de la KU Leuven (Belgique) et des diplômes en gestion
de la même université et du London Business School.
Claire Gallaccio
Claire Gallaccio est aujourd’hui directrice de la stratégie, des
études et des relations institutionnelles et rapporte à la directrice
générale adjointe du Groupe La Poste, en charge du numérique et
de la communication. Auparavant, elle a travaillé sept ans en
collectivités locales et trois ans au ministère de l’Économie et des
Finances au sein de la direction du Trésor public.
Claire Gallaccio est titulaire du diplôme de l’IEP de Bordeaux
et d’une maîtrise en sciences politiques (université Panthéon-
Sorbonne). Elle est ancienne élève de l’École nationale
d’administration.
Elle est engagée dans les dynamiques de transformation du
Groupe La Poste depuis 2006.
Jean-Philippe Pierron
Jean-Philippe Pierron est philosophe, professeur des universités
à la faculté de philosophie de l’université Jean-Moulin-Lyon-3, où
il est directeur de l’école doctorale de philosophie après avoir été
doyen de la faculté de philosophie. Il est responsable du DU et du
master éthique, écologie et développement durable. Il est
également directeur de la chaire industrielle « Rationalités, usages
et imaginaires de l’eau », et codirecteur de la chaire « Valeurs du
soin centré-patient ». Spécialiste de philosophie morale, d’éthique
générale et d’éthique appliquée (santé, famille, environnement),
Jean-Philippe Pierron, auteur de nombreux ouvrages, travaille à
l’élaboration d’une philosophie du soin et d’une anthropologie de
l’homme vulnérable, ce qui l’a mené à une reconfiguration de la
compréhension de la raison pratique et du rôle que peut y jouer
l’imagination.
Fabrice Enderlin
Fabrice Enderlin est depuis 2018 consultant indépendant,
fondateur de DiscernYard, intervenant en accompagnement de
changement, en coaching et mentoring et conseil en RSE. Il a
développé les vingt-cinq précédentes années de sa carrière en tant
que DRH, principalement dans l’industrie pharmaceutique au sein
de groupes diversifiés comme Ciba-Geigy, Novartis et GSK, avant
de rejoindre UCB en 2008 en tant que vice-président exécutif
groupe en charge des talents et de la réputation de l’entreprise,
responsabilité exercée pendant dix ans.
Fabrice Enderlin est diplômé de l’institut d’études politiques de
Strasbourg et titulaire d’un MBA en ressources humaines.
Odile Collignon
Odile Collignon est aujourd’hui directeur exécutif adjoint de
MSH international, Groupe Siaci Saint-Honoré.
Depuis vingt-cinq ans, elle a développé une carrière de dirigeant
dans l’assurance et les services dans un environnement
multiculturel et international. Elle a notamment travaillé chez
Europ Assistance comme CEO adjoint en charge des fonctions
centrales du groupe et chez Generali, en tant que directeur du
développement managérial, membre du Comex, et en tant que CEO
adjoint de la Fédération continentale, après avoir débuté sa carrière
chez PwC.
Elle est titulaire d’un diplôme de la Neoma Business School et
d’expertise comptable.
Alain Caillé
Alain Caillé, docteur en économie et en sociologie, est
professeur émérite de sociologie à l’université Paris-Ouest-
Nanterre-La Défense où il a été codirecteur du Lasa (Laboratoire
de sociologie et anthropologie et philosophie politiques) et
directeur adjoint de l’École doctorale EOS (Économie,
organisations et société). Dans le sillage du célèbre Essai sur le don
(1924) de Marcel Mauss, ses recherches – développées dans le
cadre de la Revue du Mauss (Mouvement anti-utilitariste dans les
sciences sociales) diffusée dans de nombreux pays – portent sur les
fondements d’une science sociale généraliste et sur les implications
éthiques et politiques de l’anthropologie du don. Il est par ailleurs
l’un des animateurs du Mouvement des convivialistes impulsé par
une centaine d’intellectuels et dans lequel se reconnaissent de plus
en plus de membres de la société civile.
Laurent Bendavid
Laurent Bendavid a mené sa carrière de dirigeant dans le
domaine de la distribution au niveau national et international. Il est
actuellement le président de Logista France où il conduit depuis
cinq ans une transformation centrée sur l’intégration d’offres
multiservices pour le commerce de proximité.
Il a précédemment travaillé pendant dix-huit ans au sein du
groupe de grande distribution Carrefour où il a successivement
exercé des fonctions de directeur commercial, de directeur des
opérations pour la zone Amérique du Sud, de président de filiale
puis de directeur exécutif en charge du développement et de
l’innovation du groupe.
Laurent Bendavid est diplômé de l’ESC Rennes et titulaire d’un
MBA de l’INSEAD.
Il est engagé dans le développement des organisations qui
concilient développement du capital humain et performance
économique à court et moyen termes.
Bibliographie
ARTICLES
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« Leadership disrupted: Pushing the boundaries », Deloitte –
2017 Global Human Capital Trends, February 2017.
Accenture, « Creating value in a digital age. Insights from the 2016
CFO of the Future Summit at Harvard », Accenture, 2016.
Andersson Liri & Van der Heyden Ludo, « 11 Leadership
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Guidelines for the Digital Age », INSEAD Blog, March 15 ,
2017.
Behar Daniel, Fuchs Rouven, Thomas Robert J., « Digital leaders:
Moving into the fast lane », Accenture Strategy, 2015.
Biacabe Jean-Luc & Vadcar Corinne, « Création de valeur dans un
monde numérique : Transformer l’action économique », Étude
de l’Institut Friedland, 2017.
Boittiaux Pascaline, « Capitalisation boursière : les Gafam plus
riches que la France », Statista, le portail de statistiques,
28 juillet 2017.
Bonini Sheila & Gorner Stephan, « The business of sustainability:
McKinsey Global Survey results », McKinsey Insights, October
2011.
Croati Ricardo & Devèze Erwan, « Pourquoi les neurosciences
vont-elles révolutionner votre façon de manager ? », Harvard
Business Review France, 10 janvier 2017.
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Mindset », Gartner Human Resources, January 25 , 2018.
Herder-Wynne Fionula, Amato Rachel, Uit de Weerd Frank,
« Leadership 4.0 – A review of the thinking », Research Report
of Oxford Leadership, 2017.
Jacque Muryel, « Vers une ruée sur les métaux critiques », Les
Échos, 8 septembre 2017.
Jasor Muriel & Senard Jean-Dominique, « Le sens et le pourquoi
nourrissent la motivation », Les Échos executives, 8 juin 2018.
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numérique », Entreprise et progrès, 2016.
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22 .
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October 2016.
Malabou Catherine, « Humanités et neurosciences », Études,
janvier 2018, p. 49-58.
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économie, 30 juin 2018.
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need to know about », LinkedIn Post, June 2015.
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Double-down: How far will leaders leap Ahead? », Accenture
Strategy, 2016.
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Reynaud Emmanuelle, « La création de valeur en stratégie »,
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Revue française de gestion, 2009/6, n 196, p. 107-111.
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2017.
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des montagnes », Acteurs de l’économie, la Tribune, 12 juin
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service de l’entreprise », 360°, 2015, n 11.
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World Economic Forum, « The Business of Creativity: Seeking
Value in the Digital Content Ecosystem », World Economic
Forum – Part of the Norms and Values in Digital Media Project
Series (2012-2014), January 2015.
Remerciements
Avertissement
Préface
Introduction
PREMIÈRE PARTIE - Quand l'extérieur n'est plus l'extérieur :
entreprise et société - par Yves Michaud
Corporations et manufactures
L'entreprise forteresse
Deux visions en conflit
La brèche
La mutation numérique
L'impact de l'entreprise sur le monde extérieur
Une première prise de conscience : la RSE
Une approche de la complexité : les parties prenantes
Le core purpose
DEUXIÈME PARTIE - Mutation numérique et travail - par Yves
Michaud
Forces productives, rapports de production
Le gouvernement par les nombres
L'impact de la numérisation sur les métiers
Le formatage de la pensée
Le digital leadership
Les promesses de l'intelligence artificielle
Conclusion
Glossaire
Biographies des participants
Valérie Julien Grésin
Yves Michaud
Roch Doliveux
Bénédicte Maury
Denis Hello
Cécile Renouard
Paul Van Oyen
Claire Gallaccio
Jean-Philippe Pierron
Fabrice Enderlin
Odile Collignon
Alain Caillé
Laurent Bendavid
Bibliographie
Remerciements
Éditions Odile Jacob
Des idées qui font avancer
les idées
sur odilejacob.fr
1. Nabert Jean, Éléments pour une éthique, Paris, PUF, 1943,
p. 169.
2. PwC, Sizing the Price – Global Artificial Intelligence Study:
Exploiting the AI Revolution, 2017.
3. Propos de Françoise Berthoud, informaticienne au Gricad et
fondatrice en 2006 du groupement de services EcoInfo – pour
une informatique plus respectueuse de l’environnement, extraits
de https://lejournal.cnrs.fr/articles/numérique-le-grand-gachis-
energetique
1. « C’est comme faire pousser des champignons. Vous les
mettez dans le noir. Vous y mettez du fumier et ça pousse. »
2. « Aller du bruit au signal. »
3. « J’ai lu autrefois un conte de fées saugrenu, intitulé Les
Trois Princes de Serendip : tandis que leurs altesses
voyageaient, elles faisaient toutes sortes de découvertes, par
accident et sagacité, de choses qu’elles ne cherchaient pas du
tout », Les Aventures des trois princes de Serendip, suivi de
Voyage en Sérendipité (1557), Thierry Marchaisse, 2011, p. 219.
4. « Visez le meilleur et soyez préparé pour le pire. »
1. Le Monde du 16 août 2017.
2. Weil Simone, La Condition ouvrière (1951), Paris, Gallimard,
coll. « Folio essais », 2002, p. 433.
1. Le bicamérisme ici envisagé est interne à l’entreprise et a
pour visée de renforcer la prise en compte du travail réel dans
l’appréciation des décisions orientant les choix stratégiques et le
fonctionnement de l’entreprise.
2. En particulier ceux modélisés dans l’approche HBDI définie
par Ned Herrmann.
3. Renouard Cécile, Éthique et entreprise, Paris, Éditions de
l’Atelier, 2015 ; Renouard Cécile et Bommier Swann,
L’Entreprise comme commun, Paris, Éditions Charles Léopold
Mayer, 2018.
4. Éditions Carnets Nord, 2012, 2e édition, 2017.
1. Citton Yves, « Subjectivations computationnelles à l’erre
numérique », Multitudes, 2016/1, p. 45-64.
2. Propos de Chamath Palihapitiya, ex-vice-président de
Facebook chargé de la croissance de l’audience, rapportés dans
Le Monde du 12 décembre 2017.
3. Pentland Alex, « The science of building great teams »,
Harvard Business Review, avril 2012.
4. www.lesconvivialistes.org/pratiques/sport/95-grande-
premiere-une-charte-du-sport-convivialiste
1. Bernanos Georges, La France contre les robots (1944).
Essais et écrits de combat, Paris, Gallimard, coll. « La
Pléiade », 2014, t. 2, p. 1063.