Vous êtes sur la page 1sur 11

Le Système technicien

Le Système technicien est un livre de l'historien,


sociologue et théologien français Jacques Ellul. Paru en
Le Système
1977, chez Calmann-Lévy, il est réédité en 2004, puis en technicien
2012 au Cherche midi. Auteur Jacques Ellul
Pays France
Préface Jean-Luc Porquet
Sommaire Genre Texte philosophique
Résumé Éditeur Le Cherche midi
Les quatre approches de la Technique Collection Champs
La Technique comme concept englobant Lieu de parution Paris
La Technique comme milieu Date de parution 2012
La Technique comme déterminant Nombre de pages 334
La Technique comme système ISBN 978-2-7491-2371-4
Les caractères du phénomène technique
Les caractères du système technicien
Autonomie
Unité
Universalité
Totalisation
L'homme dans le système technicien
Notes et références
Notes
Références
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
Liens externes

Résumé
1
Le Système technicien de Jacques Ellul constitue une synthèse de toutes ses recherches précédentes
(débutées en 1954 par La Technique ou l'enjeu du siècle, première approche anthropologique du
phénomène technicien) concernant le rôle et la place prise par la technique et ses corrélats : le machinisme,
la société industrielle, la société de consommation de masse et de loisirs sans oublier leurs implications
organisationnelles et politiques dans le monde contemporain. Comme le fait remarquer Stéphane
2
Lavignotte , Ellul «  définit moins la technique comme un champ précis – la science  ? la technologie  ?
l’appareil de production  ? – que comme un ensemble de mécanismes qui répondent à la recherche de
l’efficacité en toutes choses. Il développe une sorte de phénoménologie de la technique, la saisissant par les
effets qu’il en perçoit dans la société ».

Devant le constat d'une interconnexion croissante de tous les réseaux (banques de données, flux,
productions, circuits de distributions, publicité etc.) que l'informatique, naissante à son époque, promet
d'amplifier, Jacques Ellul fait l'hypothèse que la Technique prise dans son ensemble et sous ses différents
aspects forme aujourd'hui comme un système économiquement et sociologiquement repérable, le « Système
technicien  ». Un système aveugle, sans perspective, sinon celle de son extension illimitée, artificialisant
toujours plus l'environnement et aliénant l'homme, un système aux effets totalement imprévisibles, l'avenir
devenant impensable, ce qui nourrit les sentiments d'angoisse et attise les comportements violents, comme
3
le résume Jean-Luc Porquet dans sa préface.

Les quatre approches de la Technique

La Technique comme concept englobant

Comme le souligne Dominique Janicaud dans son livre La


4
Puissance du rationnel , Jacques Ellul appuie toute sa
démonstration sur une distinction fondamentale entre la simple
opération technique qui a toujours existé dans l'histoire et le
N1
« Système technicien » .
Jacques Ellul.
La «  Technique  », dans la pensée d'Ellul, ne se réduit pas au
machinisme, elle inclut également toutes les méthodes
5
d'organisation de la vie sociale, du travail (cf. le taylorisme) comme de la cité (cf. la bureaucratie) . En
faisant l'hypothèse d'une unité du champ d'expansion de la Technique, Ellul cherche à saisir « un ensemble
6
de phénomènes qui restent invisibles si l'on se situe au niveau de l'évidence perceptible des techniques » .
Si à son apparition, le terme de technique recouvrait un simple savoir, celui de l'artisan , progressivement il
a pu désigner les machines en général et leur application industrielle, à partir de laquelle une nouvelle
science dénommée la technologie s'est développée. La combinaison de plusieurs outils de production, de
prévision et de distribution font que, progressivement, le terme technique recouvre tout un ensemble d'outils
matériels ou non (machines mais aussi procédés), « qui sont rassemblés, organisés et animés de manière à
7
remplacer l'homme dans l'exécution d'un certain nombre de tâches » .

Dans un premier temps, les étapes de la technique et celles de la croissance de l'industrie sont confondues,
la croissance des différentes énergies (charbon, électricité, énergie atomique) ont accompagné les étapes de
la révolution industrielle pour voir, à l'heure actuelle, leur importance décliner face aux questions
d'organisation, d'information et de stockage de données qui ont des conséquences majeures sur les
8
comportements humains . On parlera de plus en plus de société technicienne. Ellul prend le mot de
technique dans son sens le plus large possible, «  partout où il y a recherche et application de moyens
9
nouveaux en fonction du critère d'efficacité, on peut dire qu'il y a technique » (technique d'apprentissage
de la lecture, techniques sportives et bien sûr toutes les techniques mécaniques). Progressivement la
technicisation envahit tout le champ de l'activité ou des loisirs humains. Ellul discerne dans ce mouvement
qui s'universalise, une autonomie et une spécificité qui lui permet de défendre l'idée d'une unité «  sous-
jacente  » de l'ensemble sous le concept de «  la Technique  » qu'il s'attelle tout au long de son œuvre à
10, 11
extraire de sa «  gangue économico-politique  » . De ce point de vue, Ellul a une position moins
absolutiste que Martin Heidegger, qui tient la Technique pour la métaphysique de notre temps, selon ce
N2
qu'écrit Jacques Taminiaux dans son article : L'essence vraie de la technique .

La Technique comme milieu


Si l'on considère le «  milieu  » comme ce qui entoure et précède l'individu, milieu auquel d'une certaine
manière il est tenu de s'adapter, alors l'ensemble des objets et des moyens qui composent le «  système
technicien » constituent comme un milieu intermédiaire qui isole l'homme de ses éléments naturels. « Au fil
de son développement, la Technique est devenue un milieu environnant à part entière; l'ancien
5
environnement - la nature - tend à n'être plus qu'un décorum ou un vestige » . Il n'y a plus d'autres liens
entre l'homme et la nature que ceux qu'autorise l'appréhension technique aux dépens des autres liens
complexes et fragiles que l'homme avait su patiemment tisser, comme les liens poétiques, symboliques et
12
magiques, qui sont amenés à disparaître . Les relations humaines ne sont plus entièrement laissées au
hasard (dynamique de groupe, psychanalyse, agences matrimoniales); toute médiation relève, pour Ellul,
d'un mécanisme technique, autrement dit le milieu technicien qui se construit à partir du milieu naturel,
s'interpose comme intermédiaire incontournable entre l'homme et le milieu naturel.

Le travail complexe mais global de l'artisan afin de produire une œuvre, est remplacé, au nom de
l'efficacité, par le taylorisme, qui, basé sur le travail à la chaîne ou parcellaire, induit un désengagement et
un désintérêt du travailleur. Alors que l'homme ne peut plus en appeler à un système de valeurs supérieur
qui ne soit pas lui-même d'origine technique, «  le système technicien, essentiellement dynamique, tend à
13
remplacer progressivement tout ce qui a constitué l'éco-système naturel » .

La Technique comme déterminant

Après avoir souligné la multiplicité des facteurs (démographiques, idéologiques, politique) pouvant être
considérés comme moteurs dans l'évolution socio-économique, qu'elle soit sectorielle ou globale, Ellul, qui
veut éviter le simplisme marxiste, est conduit à privilégier comme déterminant le « système technicien », au
motif que lui seul est à même de rendre compte des phénomènes, y compris de ceux qui sont contradictoires
entre eux.

Ce rôle déterminant de la technique est particulièrement manifeste dans ses effets déstructurants conduisant
notamment à récuser «  la division des rôles homme/femme, jeunes/adultes, spécialistes/non spécialistes,
14, 15
enseignants/enseignés, fous/non fous,  etc.  » . De même, l'auteur note avec le philosophe Jean
Baudrillard, combien la culture issue de la technique est l'inverse de la culture traditionnellement conçue
16
comme patrimoine héréditaire transmissible et réflexion théorique et pratique . L'auteur renvoie aux
nombreuses études qui ont été réalisées sur les transformations que la technique, dans sa forme mécanique,
a pu apporter au travail ; il ne fait que présumer, parce qu'il se situe au tout début de son développement, ses
17
prodigieuses possibilités .

La Technique comme système

Après avoir examiné plusieurs définitions du concept de système en sciences sociales, Ellul donne sa
propre vision : « Un système, c'est un ensemble d'éléments en relation les uns avec les autres de telle façon
que toute évolution de l'un provoque une évolution de l'ensemble, toute modification de l'ensemble se
18
répercutant sur chaque élément » . Cette interdépendance s'intensifie avec l'informatique : pour Jacques
Ellul le système technicien est dans la société moderne comparable à ce qu'est le cancer dans l'organisme :
19
un nouveau milieu, qui pénètre l'ancien, l'utilise, le phagocyte et le désintègre . Il retient l'idée que le
système obéit à des lois de développement et de transformation qui lui sont propres, que les éléments qui le
composent se combinent de préférence entre eux (d'où une résistance aux influences externes), enfin qu'un
ensemble pour être qualifié de « système » doit être dynamique. «  Dans un système les facteurs agissant
18
modifient les autres éléments et l'action n'est pas répétitive mais constamment innovatrice » . À propos des
20
éléments qualitatifs et quantitatifs de la technique, Ellul parle d'une logique qui fait système . L'auteur
insiste sur la distinction entre le « phénomène technique » dont il fait remonter la prise de conscience au
e
xviii  siècle, et le «  système technicien  » dont la spécificité consiste en ce que, dans leur multiplicité, les

facteurs techniques s'associent de façon privilégiée avec d'autres facteurs techniques. Ellul prend l'exemple
de la mécanisation du travail de bureau dans une administration, qui n'est pas seulement l'adjonction d'un
élément technique dans un mécanisme administratif inchangé. La technicisation est totale quand chaque
aspect de la vie humaine est contrôlé et manipulé en vue d'une efficacité démontrable et lorsqu'il devient
21
impossible de revenir en arrière .

Dire, comme certains critiques, que l'on ne voit pas de « système technique » mais seulement des objets et
des processus techniques, n'apparaît pas comme une objection à l'auteur, car argue-t-il, de même nul n'a vu
la nature « en soi », mais des éléments naturels (arbre, rivière, montagne et nuage) qui font entre eux un
système englobant, système qui nous est nécessaire comme horizon de compréhension des éléments qui lui
appartiennent. Pour autant, il ne s'agit pas d'aborder ce système comme un objet « en soi » vis-à-vis duquel
22
l'homme prendrait la place de sujet . D'autant plus, note l'auteur, «  qu'il y a une grande répugnance à
admettre l'existence d'une organisation spécifique du technique qui pourrait être relativement indépendante
23
de l'homme » . Ellul, accentue son point de vue en affirmant que la société moderne n'est pas une société
traditionnelle avec des moyens techniques supplémentaires mais une société toute autre.

Les caractères du phénomène technique


Le caractère le plus évident, c'est que ce système est composé de sous-systèmes, système ferroviaire, postal,
téléphonique, aérien, production et distribution de l'énergie, urbanisme etc.[…] et lorsqu'il se produit un
24
dérèglement dans un des sous-système c'est tout l'ensemble qui est bloqué . Le second caractère serait la
souplesse que donnerait l'accroissement des connaissances et la multiplication des choix. Certains y
verraient l'accroissement de la liberté humaine, mais ce n'est pas le cas d'Ellul : en effet, il soutient que cette
apparente liberté de choix atteste simplement d'une progressive adaptation de l'homme à ce milieu, modelé
qu'il est par l'éducation et le matraquage publicitaire, afin d' être conforme aux intérêts du système (ce point
sera développé ultérieurement dans l'ouvrage de Jacques Ellul, Le bluff technologique).

Un troisième caractère, qui devient un problème, c'est l'impossibilité pour le « système technicien », privé
de mécanisme de correction et d'auto-régulation, à se corriger lui-même lorsqu'une erreur survient,
contrairement à la nature  : «  Ainsi le système technique ne tend pas à se modifier lui-même lorsqu'il
développe des encombrements et des nuisances, il est livré à une croissance pure  ; dès lors ce système
25, N 3
provoque un accroissement des irrationalités.  » . Il ne faut surtout pas voir dans cette difficulté à
s'autoréguler, quelles qu'en soient à terme les conséquences dommageables, un simple effet mécanique mais
le principe de nécessité qui accompagne toute opération technique. Le système ne peut apprécier de lui-
même les effets qualitatifs de son fonctionnement, car ceux-ci ne se font sentir que dans des domaines qui
26
ne sont pas techniques . Une opération engagée ira jusqu'au bout, même quand tout le monde reconnaît
25
qu'il s'agit d'un désastre .

Les caractères du système technicien


2 27
Dans leur compte-rendu, Stéphane Lavignotte ainsi que le site Technologos donnent un résumé des
caractères du « système technicien », qui leur paraissent essentiels, (et tels que Jacques Ellul les pense), à
savoir  : la rationalité, l'autonomie, son auto-accroissement, son caractère artificiel et sa détermination à
N 4 N 5
artificialiser toutes choses du monde , l'enchaînement , l'universalisme et son caractère insécable.
28
Quant à Dominique Janicaud , il réduit à quatre les caractères essentiels du Système : autonomie, unité,
universalité, totalisation, isolables statiquement, mais profondément interdépendants : « L'essentiel étant de
comprendre qu'il y a système technicien , c'est-à-dire auto-organisation et auto-accroissement de la
puissance technicienne, dans une relation d'indépendance de plus en plus marquée à l'égard des décisions
29
humaines » .
Autonomie

Par principe un système technique représenté par ses techniciens n'admet pas d'autre loi que la loi et les
30
règles techniques qu'il se donne . Ainsi pour l'auteur, l'État qui est par lui-même un organisme de
puissance ne peut ordinairement suivre que ce qui accroît sa puissance, à savoir la Technique à travers ses
N6
techniciens . Il ne faut donc pas, par principe, trop compter, selon l'auteur, sur l'État pour assurer le
31, N 7
rattrapage et la correction des errements de la technique au sein du monde vécu .

Autonomie vis-à-vis des pouvoirs mais plus encore autonome vis-à-vis de l'économie. L'auteur remarque
«  que l'économie peut être un moyen de développement, une condition du progrès technique, ou
inversement un obstacle, jamais elle ne le détermine ni ne le provoque, ni ne le domine : comme pour le
32
pouvoir politique, un système économique qui récuserait l'impératif technique serait condamné » .

Autonomie enfin vis-à-vis des impératifs moraux : la technique, ni ne progresse en vertu d'un idéal, ni ne
supporte l'immixtion du jugement moral. Si pour tous, une telle attitude est recevable au niveau de la
recherche, l'auteur note l'illogisme des intellectuels qui veulent réintroduire des jugements de valeur pour
33
contrôler les techniciens et qualifie cette attitude de pur enfantillage . Or pour ces techniciens qui vivent
dans un monde technique devenu autonome, les travaux philosophiques ou éthiques n'ont d'intérêt que
34, 35
privativement et ne doivent jamais interférer sur leurs travaux .

Enfin dernier point pour l'homme plongé dans le système technicien, il va de soi que tout ce qui est
36
scientifique est légitime . « Parce que la Technique constitue son nouvel environnement et qu'il n'a jamais
5
cessé de sacraliser son environnement, l'homme sacralise désormais la Technique  » . Comme aucune
société ne peut se passer de normes morales l'auteur voit poindre une éthique technicienne qui promeut ses
37
propres valeurs (précision, exactitude, sérieux, réalisme et par-dessus tout vertu au travail) . L'auteur
38
termine l'examen du critère d'autonomie en contestant la prétendue « neutralité » de la technique . Pour
lui, fait remarquer Andrew Feenberg, loin d'être neutres « les fins sont si complètement impliquées dans les
39
moyens techniques utilisés pour les réaliser que cela n’a aucun sens de distinguer les moyens et les fins » .

Unité

L'unicité est l'expression concrète du système. Que les techniques soient liées les unes aux autres n'est pas
un phénomène nouveau, on le constate dès l'origine de la société industrielle . Avec la technique moderne
ce qui est nouveau c'est que chaque découverte peut s'appliquer, et le fait effectivement, dans le meilleur
délai à un nombre considérable de domaines, c'est évident pour l'informatique mais c'est aussi vrai pour le
40, N 8
laser, les structures gonflables utilisables dans l'agriculture, les transports et les télécoms .

Ellul, insiste sur l'unité des caractères du phénomène technique partout dans le monde, partout les mêmes
effets, partout l'uniformisation des cadres de vie et des conditions à respecter pour la croissance et le
40
développement . L'auteur rappelle aussi l'importance que l'on accorde aux « retombées techniques » des
grands projets. Enfin du fait que les techniques se conditionnent les unes les autres (par exemple transports
rapides, urbanisation, croissance industrielle, consommation de masse), il semble que ce ne soit pas
41
l'invention proprement dite qui soit importante mais la conjonction de plusieurs techniques .

Universalité

L'universalité s'entend en un double sens, l'universalité des domaines, la technique empiétant


progressivement sur tout l'environnement et une universalité géographique, aucun pays ne pouvant rester au
42 N9
dehors . La publicité, l'art moderne . La morale technicienne se charge d'accorder les bouleversements
N 10
N 10
technologiques à notre sensibilité .

La technique est devenue le facteur déterminant de la société. Elle n'est ni bonne ni mauvaise, mais
ambivalente. Elle s'auto-accroît en suivant sa propre logique. «  La Technique marche vers son propre
perfectionnement, le progrès faisant postulat. Ce perfectionnement découle de la multiplication de
27
minuscules améliorations dans de nombreux domaines, jusqu'à former un saut décisif et irréversible » .

Totalisation

«  La technique est en soi suppression des limites. il n'y a pour elle, aucune opération impossible ou
interdite : ce n'est pas là un caractère accessoire ou accidentel c'est l'essence même de la technique ; une
limite n'est jamais, dans l'esprit du système, rien d'autre que ce que l'on ne peut pas réaliser actuellement du
43
point de vue technique » .

À ce caractère de totalité Ellul greffe l'insécabilité, comme quoi, « ce qui compte c’est moins chacune des
parties que le système de relations et de connexions qu’elles entretiennent ». Ainsi « on ne peut dissocier
une technique de son usage : toutes les parties sont ontologiquement liées et l'usage est inséparable de l'être;
on ne peut dissocier les usages civils des militaires (à preuve le nucléaire), privés ou publics. Tout se
44
tient » .

L'interdépendance entre tous les éléments du Système technicien s'intensifie avec l'avènement de
l'informatique, «  À plusieurs reprises, Ellul compare le développement du système technicien à la
prolifération cancéreuse. Le système technicien est à la société moderne ce que le cancer est à l'organisme.
45
Il constitue un nouveau milieu qui pénètre l'ancien, l'utilise, le phagocyte et le désintègre  » . Dennis
Gabor, prix Nobel de Physique, hongrois, a dit la chose suivante : « Tout ce qui est techniquement faisable,
46, N 11
possible, sera fait un jour, tôt ou tard » .

L'homme dans le système technicien

Deux questions dominent le rapport de l'homme à la technique, quant à la capacité de l'homme à agir et
éventuellement à ré-orienter le système et d'autre part quant au degré de liberté que l'homme conserve.
47
Jacques Ellul ne croit pas selon Alexis Jurdant que l'homme «  puisse véritablement diriger, organiser,
choisir et orienter la technique[...] l’homme, plongé dans la sphère du technique, n’est plus autonome par
rapport aux objets que lui apporte ce système qui se présentent comme un « déjà là » auquel il ne peut que
se conformer. L’homme de cette société n’a plus « aucun point de référence intellectuel, moral, spirituel à
48
partir de quoi il pourrait juger et critiquer la technique » .

Le rapport de l'homme à la technique est le plus souvent abordé sous l'angle du rapport de l'homme à la
machine, avec comme thèmes principaux et simultanés soit le danger de son exclusion de toutes ses
fonctions par une machine plus performante soit la perspective d'une mutation de l'homme lui-même
49
transformé en machine par l'effet d'une sorte de greffe .

Or selon Ellul, la technique devenue facteur déterminant de l'ensemble des phénomènes de société a des
effets autrement plus sérieux sur l'« être humain ». L'illusion d'un homme pouvant en tout et en tout lieu
maîtriser la technique ayant fait long feu, il y a nécessité pour lui à s'y adapter, ce qu'il fait le plus souvent
sans effort particulier dans les actes courants de la vie. L'auteur remarque que cette adaptation nécessaire
peut néanmoins devenir «  conditionnement  » lorsqu'il s'agit de préparer par une formation adéquate des
étudiants à entrer d'une façon utile et efficace dans le monde technicien, l'éducation et l'instruction n'ayant
50
plus aucune gratuité . Si l'influence de l'école s'avère insuffisante le système technicien comporte en outre
des agents d'adaptation permanents (la formation continue, la publicité, la propagande qui tous visent à
adapter l'homme à son univers technique, en perpétuelle évolution).
Jacques Ellul s'interroge : « comment un homme de plus en plus formé à une profession technique pourrait-
47
il avoir une opinion critique vis-à-vis du système qui lui offre ce qu’il connaît ? » .Ce conditionnement
généralisé a créé un nouveau type psychologique «  un type qui porte dès la naissance l'empreinte de la
méga-technologie sous toutes ses formes; un type incapable de réagir directement aux objets de la vue ou
de l'ouïe, aux formes des choses concrètes, incapable de fonctionner sans anxiété dans aucun domaine sans
51, N 12
l'assistance de l'appareillage extra-organique fourni par la déesse-machine » .

Notes et références

Notes
1. « l'opération technique a existé sous la forme de la relation instrumentale, le Système
technicien a été préfiguré par le passage de l'artisanat au machinisme, car s'il est vrai que la
machine utilise l'homme pour qu'il la serve (Marx le constatait déjà), le Système ne se réalise
que dans la technique moderne, laquelle franchit un nouveau palier qualitatif »-Dominique
Janicaud 1985, p. 119.
2. « Notre âge est celui de la fin de la métaphysique il se marque par le règne planétaire et
cosmique de la technique ; celle-ci est proprement la métaphysique de notre temps ; son
champ ne se limite pas à la production d'engins de plus en plus sophistiqués, ni à la science
que cette production présuppose et ne cesse de relancer, il encercle la culture, les beaux
arts, la politique, tout notre discours savant ou non prévenu, tous nos rapports aux choses,
toute l'interaction humaine etc.. »-Taminiaux 1986, p. 263.
3. Jacques Ellul distingue entre les problèmes que le système peut résoudre même s'ils sont
massifs et douloureux tels que le chômage, la subordination et l'aliénation au travail et ceux
qu'il ne peut par essence résoudre tels la qualité de vie, la dénaturalisation de l'homme avec
la disparition de ses rythmes naturels dont dépend sa spontanéité et sa créativité, ainsi que
l'absence de valeurs qui lui interdit tout jugement moral-Jacques Ellul 2012, p. 126-127, en
ligne p. 131.
4. « la Technique s'oppose à la nature, la déforme, l'absorbe. La canalisation des rivières offre
un excellent exemple, avec son cortège d’imperméabilisation des sols et de crues »-
Technologos.Les symptômes de la Technique.
5. « Les techniques entraînent la création d’autres techniques selon un enchaînement
inéluctable, y compris quand elles échouent : la technique crée des problèmes pour la
résorption desquels on crée d’autres techniques, qui elles-mêmes créent des problèmes,
etc. »Stéphane Lavignotte 2015.
6. « L’État, quel que soit son adjectif qualificatif (républicain, démocratique, socialiste (...), reste
un complexe d’appareils bureaucratiques, de moyens de contraintes, et d’apparence de
légitimation par une relation fictive au peuple ou au prolétariat »-Technologos. Capitalisme
privé, capitalisme d'État : même combat.
7. Ellul critique Habermas, qui croit à la gestion du système par l'orientation des
investissements publics alors que bien des travaux ceux de l'auteur comme ceux de
Galbraith témoignent de la subordination des décisions politiques aux impératifs techniques.
8. Jacque Ellul, dans son ouvrage ultérieur, Le bluff technologique, pense même que nous
n'avons plus le choix et que dans une société organisée en réseaux par l'informatique nul ne
peut plus, par exemple, la négliger-Jacques Ellul 2012, p. 45.
9. « L’art contemporain est une pure technique où la recherche permanente de nouvelles
techniques prend le dessus sur tout sens ou émotion »-Stéphane Lavignotte 2015.
10. « Ce n'est pas seulement l'environnement total, ce sont aussi toutes les activités de l'homme
qui tendent à être l'objet de techniques[...]Chaque activité a été dotée d'instruments ou de
« façons de faire » issus de la technique. Il existe une technique de lecture, une technique
de mastication, il y a une technique de l'animation culturelle et de la conduite d'une réunion,
chaque sport devient de plus en plus technique etc »_Jacques Ellul 2012, p. 178, en ligne
p. 187.
11. « Ce qui veut dire que l'on est en train de construire un monde qui n’est pas piloté. On ne sait
pas où les changements technologiques vont nous emmener. L’exemple le plus frappant,
c’est celui de la bombe atomique, que Einstein le plus pacifique des savants a demandé, en
1938, au président des US de construire au prétexte que les allemands avaient toutes les
capacités de le faire »-Bruno Jarrosson 2015.
12. « Tous les jours de l'année et à mainte heure du jour, ils sont assis, fascinés, devant leurs
appareils de radio ou de télévision. Toutes les semaines, le cinéma les enlève à leur milieu
et les plonge dans une ambiance de représentations inhabituelles, mais souvent très
ordinaires, simulant un monde qui n'en est pas un. Où qu'ils aillent, un périodique illustré se
trouve sous leur main. Tout ce qui, livré d'heure par heure à l'homme par les moyens
d'information dont il dispose aujourd'hui, le surprend, l'excite et fait courir son imagination
[...].» Comme cette lumière artificielle qui nous coupe de l'univers en masquant le ciel étoilé,
le flot d'images artificielles du monde, avec lesquels nos appareils nous submergent,
déracine l'humanité. Étourdi par les médias de masse [et maintenant les médias «sociaux»],
l'humain est aujourd'hui déraciné à un point tel qu'il ne peut plus s'élever au niveau des
choses de l'esprit et donner un sens à l'existence. Ce déracinement est le propre de l'époque
de la technique. La technologie moderne qui règne désormais sur la terre entière provoque
une révolution radicale de notre conception du monde »-François Doyon 2011.

Références
1. Administrator, « Association Internationale Jacques Ellul - Emission Radio France 2015 » (ht
tp://www.jacques-ellul.org/component/content/article/245-emission-radio-france-2015), sur
www.jacques-ellul.org (consulté le 16 juin 2016).
2. Stéphane Lavignotte 2015.
3. Jacques Ellul 2012, p. 9.
4. Dominique Janicaud 1985, p. 118.
5. Technologos. La recherche en toutes choses de la méthode absolument la plus efficace.
6. Jacques Ellul 2012, p. 35, en ligne p. 31.
7. Jacques Ellul 2012, p. 36, en ligne p. 32.
8. Jacques Ellul 2012, p. 37, en ligne p. 33-34.
9. Jacques Ellul 2012, p. 38, en ligne p. 34.
10. Jacques Ellul 2012, p. 41, en ligne p. 38.
11. Technologos. Comment résister à l'aliénation ?.
12. Jacques Ellul 2012, p. 46, en ligne p. 44.
13. Jacques Ellul 2012, p. 57, en ligne p. 57.
14. Jacques Ellul 2012, p. 78, en ligne p. 79.
15. Alexis Jurdant 2008 l'homme dans le système technicien §4
16. Jacques Ellul 2012, p. 81 lire en ligne p. 81-82.
17. Jacques Ellul 2012, p. 83-85, en ligne p. 85-86.
18. Jacques Ellul 2012, p. 88, en ligne p. 88.
19. Jacques Ellul 2012, p. 92, en ligne p. 93.
20 J Ell l 2012 89 li 90
20. Jacques Ellul 2012, p. 89, en ligne p. 90.

21. Jacques Ellul 2012, p. 93, en ligne p. 94.


22. Jacques Ellul 2012, p. 98, en ligne p. 100.
23. Jacques Ellul 2012, p. 99, en ligne p. 100.
24. Jacques Ellul 2012, p. 117-118, en ligne p. 120-121.
25. Jacques Ellul 2012, p. 126, en ligne p. 130.
26. Jacques Ellul 2012, p. 128, en ligne p. 132.
27. Technologos.Les symptômes de la Technique.
28. Dominique Janicaud 1985, p. 119.
29. Dominique Janicaud 1985, p. 120.
30. Jacques Ellul 2012, p. 134, en ligne p. 138.
31. Jacques Ellul 2012, p. 138, en ligne p. 142.
32. Jacques Ellul 2012, p. 148, en ligne p. 153.
33. Jacques Ellul 2012, p. 152, en ligne p. 159.
34. Jacques Ellul 2012, p. 154, en ligne p. 160.
35. Alexis Jurdant 2008 l'homme dans le système technicien §9.
36. Jacques Ellul 2012, p. 155, en ligne p. 162.
37. Jacques Ellul 2012, p. 156, en ligne p. 163.
38. Jacques Ellul 2012, p. 161, en ligne p. 168.
39. Andrew Feenberg 2004, p. 32.
40. Jacques Ellul 2012, p. 164, en ligne p. 172.
41. Jacques Ellul 2012, p. 167, en ligne p. 175.
42. Jacques Ellul 2012, p. 177, en ligne p. 186.
43. Jacques Ellul 2012, p. 160, en ligne p. 167.
44. Technologos. Les symptômes de la Technique.
45. Marc Schweyer 1999.
46. Bruno Jarrosson 2015.
47. Alexis Jurdant 2008 l'homme dans le système technicien §10.
48. Jacques Ellul 2012, p. 327, en ligne p. 352.
49. Jacques Ellul 2012, p. 319, en ligne p. 343.
50. Jacques Ellul 2012, p. 321, en ligne p. 344.
51. Jacques Ellul 2012, p. 322, en ligne p. 347.

Voir aussi
Sur les autres projets Wikimedia :
Articles connexes
Le Système technicien, sur Wikiquote
Révolution numérique
La puissance du rationnel
Heidegger et la question de la technique
Lewis Mumford
Marshall McLuhan

Bibliographie
g p

Jacques Ellul (préf. Jean-Luc Porquet), Le système technicien, Paris, Cherche midi,


coll. « Documents », 2012, 338 p. (ISBN 978-2-7491-2371-4, lire en ligne (http://hdl.handle.net/2042/30
145)).
Jacques Ellul (préf. Jean-Luc Porquet), Le bluff technologique, Paris, Anthème Fayard,
coll. « Pluriel », 2012, 748 p. (ISBN 978-2-8185-0227-3).
Dominique Janicaud, La puissance du rationnel, Paris, Gallimard, 1985, 386 p.
(ISBN 2-07-070343-6).
Stéphane Lavignotte, « Jacques Ellul : une pensée critique de la technique », dans Albert
Ogien, Jean-Marc Lévy-Leblond, Stéphane Lavignotte, Geneviève Xhayet et al., Les
nouvelles d'Archimède : la revue culturel de l'Université Lille I, vol. 64 (revue), Villeneuve-
d'Ascq, Université Lille-I, 2013, 40 p. (ISSN 2117-1807 (https://www.worldcat.org/issn/2117-1807&lang
=fr), BNF 42457101 (https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb42457101s.public), lire en ligne (http://culture.univ-lil
le1.fr/fileadmin/lna/lna64/lna64p24.pdf)).
Jacques Taminiaux, « L'essence vraie de la technique », dans Michel Haar (dir.), Martin
Heidegger, L'Herne, coll. « Biblio essais.Livre de poche », 1986 (ISBN 2-253-03990-X), p. 263-
284.

Liens externes

dans le monde anglo-saxon :

(en)Samuel Matlack, « Confronting the Technological Society » (http://www.thenewatlanti


s.com/publications/confronting-the-technological-society), sur The New Atlantis, 2014.

dans le monde francophone :

Yann Guillouche, « Jacques Ellul, Le Système technicien » (http://www.implications-philos


ophiques.org/ethique-et-politique/implications-axiologiques/jacques-ellul-le-systeme-tech
nicien/), sur Implications philosophiques, 2010.
Technologos, « Jacques Ellul » (http://www.technologos.fr/textes/jacques_ellul.php), sur
Technologos, 2016.
Andrew Feenberg (trad. de l'anglais), Repenser la technique : Vers une technologie
démocratique, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2004, 240 p. (ISBN 2-7071-4147-X,
lire en ligne (http://journaldumauss.net/IMG/pdf/Feenberg.pdf)).
Alexis Jurdant, « Le système technicien Jacques Ellul. mémoire de fin d’étude » (http://effi
ngo.be/philo/le-systeme-technicien-%E2%94%80-jacques-ellul/#l_homme_dans_le_syste
me_technicien), 2008.
Marc Schweyer, « Jacques Ellul ou la technique asservissante : communication au
colloque de Gunsbach 1999 » (http://www.eglise-reformee-mulhouse.org/schweiyer.htm),
sur église réformée, 1999.
François Doyon, « L'ensorcellement de l'iPhone: Heidegger y verrait un signe de
décadence » (https://www.ledevoir.com/societe/le-devoir-de-philo/334228/le-devoir-de-phil
o-l-ensorcellement-de-l-iphone), Le Devoir, Montréal, 2011.
Bruno Jarrosson, « La loi de Gabor » (http://www.bruno-jarrosson.com/la-loi-de-gabor/),
sur DMJ Consultants, 2015.

Ce document provient de « https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Le_Système_technicien&oldid=178818764 ».


La dernière modification de cette page a été faite le 15 janvier 2021 à 08:20.

Droit d'auteur : les textes sont disponibles sous licence Creative Commons attribution, partage dans les mêmes
conditions ; d’autres conditions peuvent s’appliquer. Voyez les conditions d’utilisation pour plus de détails, ainsi que
les crédits graphiques. En cas de réutilisation des textes de cette page, voyez comment citer les auteurs et
mentionner la licence.
Wikipedia® est une marque déposée de la Wikimedia Foundation, Inc., organisation de bienfaisance régie par le
paragraphe 501(c)(3) du code fiscal des États-Unis.

Politique de confidentialité
À propos de Wikipédia
Avertissements
Contact
Développeurs
Statistiques
Déclaration sur les témoins (cookies)

Vous aimerez peut-être aussi