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Introduction
Se demander si le développement technique transforme les hommes, c’est
se demander si le développement technique peut réagir sur la nature de
l’homme. A priori, on pourrait envisager la technique comme l’ensemble des
moyens dont se sert l’homme pour transformer la nature : on nous demande
donc ici si cette transformation de la nature affecte l’homme en retour.
Transformer, c’est en effet imprimer sa forme à un objet dont on change
ainsi la forme originaire : c’est le faire passer d’une forme à une autre. Mais
quels changements le progrès technique pourrait-il faire subir à l’homme ?
Si l’homme est par essence un être technicien, s’il sort de son animalité
par la technique qui lui permet de se mettre à distance de la nature, y
compris de la sienne, il serait alors possible d’envisager cette transforma-
tion de l’homme comme une humanisation, comme une réalisation de son
essence. Cependant, cette transformation peut également être pensée
comme dénaturation : l’homme, en s’éloignant progressivement de la
nature qu’il tente de maîtriser, ne trahit-il pas de ce fait sa nature propre ?
Dans un premier temps, nous verrons en quoi la technique est avant tout la
condition d’une transformation de la nature par l’homme, et par là le moyen
pour l’homme de réaliser son humanité. Mais le développement technique
ne perd-il pas de vue cet objectif, et ne se paie-t-il pas d’une déformation
de l’homme ? C’est ce que nous verrons dans un second temps, avant de
nous demander pourquoi cette transformation de l’homme par l’intermé-
diaire de la technique en vient à la fois à le dénaturer, et à l’animaliser.

1. Le développement technique ne transforme pas


les hommes, mais réalise leur essence
Dans un premier temps, on peut penser qu’en développant les moyens de
transformer la nature, l’homme ne se transforme pas tant qu’il ne se forme.
Autrement dit, c’est par la technique que l’homme réalise ce qui est propre-
ment humain en lui, et conquiert son identité.
A. L’homme réalise son humanité en affrontant la nature
La distinction hégélienne entre le travail comme « activité formelle » et le
travail comme « activité matérielle » rend compte de cette vertu de la
technique. En son essence en effet, le travail, activité spécifiquement
humaine de transformation de la nature au moyen d’objets techniques, est

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« activité formelle », c’est-à-dire activité par laquelle, en imprimant ma forme
au donné brut, je mets au jour ma propre forme. Ainsi la technique, en nous
aidant à affronter la nature, participe de la formation de notre identité
d’homme.
Dans le cadre d’un travail artisanal mené au moyen d’outils, l’homme trans-
forme la nature extérieure et la sienne puisqu’il trouve la nature à la fois face
à lui et en lui, comme un obstacle qu’il peut surmonter en développant ses
facultés. Contrairement à l’animal, l’homme ne s’adapte pas à la nature
mais peut lui imprimer sa forme, c’est-à-dire qu’il peut l’adapter à ses
besoins. Cet effort de négation porte à la fois sur la nature extérieure et sur
la sienne, qu’il détruit ce faisant, puisque l’homme se détruit ainsi en tant
qu’animal.
Ainsi l’homme, par le développement de techniques, détruit sa nature
puisque la condition même du développement des techniques est la mise
en œuvre de ses facultés intellectuelles.

B. Les outils prolongent le corps de l’homme


Aussi peut-on dire que les moyens techniques sont pour l’homme comme
une seconde nature : ils ne sont pas, à proprement parler, extérieurs à
l’homme puisqu’ils sont les prolongements de son corps et multiplient ses
forces. C’est ce qu’indique Bergson en distinguant les outils, « instruments
artificiels », des organes de l’homme, « instruments naturels ». De fait, si
l’objet technique se caractérise par son extériorité physique (un marteau
n’est pas ma main, il ne fait qu’en prolonger la force), il est également ce qui
me permet d’étendre mes possibilités, et de sortir du cercle fermé de mes
besoins vitaux : il me modifie intérieurement jusqu’à former en moi de nou-
veaux besoins.
Dans cette mesure, on peut dire que j’accède à mon identité d’homme par
le biais de la technique, qui me déprend de mon animalité. La technique
révèle donc à l’homme ce qu’il est en son fond, ce en quoi on ne peut la
considérer comme extérieure à l’homme : la technique est le propre de
l’homme.
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Mais si la technique donne sa forme à l’homme, c’est dans la mesure où il
maintient, à travers elle, un contact avec la nature. Ce contact est-il main-
tenu dans le cadre de la technique moderne, c’est-à-dire dans le cadre du
développement du machinisme ?
De l’outil à la machine, il semble que le sens du développement tech-
nique s’inverse : de la réalisation de l’homme à sa dénaturation, il y a
l’écart qui sépare une technique émancipatrice d’une technique moderne
asservissante.

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2. Le développement technique dénature l’homme
A. La technique change la forme de l’homme en l’affaiblissant
Car la technique ne porte-t-elle pas en elle la possibilité d’une déformation
de l’homme ? En effet, si les outils de l’homme prolongent son corps, ils
sont aussi les instruments qui, destinés à le soulager ou à lui épargner des
efforts, créent de la dépendance en devenant les prothèses dont il ne peut
plus se passer.
C’est ce que démontre Rousseau en indiquant que seul l’« homme
sauvage », c’est-à-dire non civilisé, non technicien, « porte tout entier son
corps avec soi » ; seul cet homme n’abdique pas les ressources de son
corps. La civilisation, en développant des techniques destinées à faciliter
son existence, modifie l’homme jusque dans son corps. En ce sens, chaque
objet techique est la prothèse d’un organe sain, qu’il atrophie par l’habitude.

B. Le développement technique correspond à l’essor


de la machine, qui se subtitue à l’homme
Mais si la technique porte en elle la dépendance et l’affaiblissement de
l’homme, on peut dire que son développement accentue encore cette ten-
dance. C’est ce que souligne Hegel en analysant les conséquences pour
l’homme de la technique moderne, marquée par le développement du
machinisme et, de ce fait, par la rupture du rapport à la nature qu’entre-
tenait l’outil sous la forme d’une négation. « Ruse » de l’homme pour
modifier la nature sans s’y impliquer, la machine apparaît comme l’objet
technique perverti, qui, dispensant l’homme d’effort, se substitue à lui. Le
travail n’est plus alors activité formatrice, mais « activité matérielle », c’est-
à-dire pure production, activité ayant pour but un résultat extérieur à
l’homme, et non la formation de l’homme lui-même. Dès lors qu’il ne s’agit
plus pour l’homme de se façonner par le travail, il se trouve reconduit, par le
développement de la technique, à une forme de vie répétitive scandée par
le mouvement presque autonome des machines.

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Toute l’ambivalence du progrès technique tient donc à ce qu’il est à la fois
ce par quoi l’homme se sépare de la nature extérieure et de la sienne, mais
aussi ce par quoi il se trouve paradoxalement reconduit au monde de la
répétition, de l’habitude et du besoin. En ce sens, on peut dire que la tech-
nique moderne dénature l’homme tout en le renvoyant à son animalité.

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3. Le développement technique transforme l’homme
en le reconduisant à son animalité
A. Le développement technique développe en nous
de nouveaux besoins
De fait, en nous permettant de répondre plus facilement à nos besoins
vitaux, en nous affranchissant du simple souci de survivre, la technique
développe en nous, parallèlement, de nouveaux besoins. Chaque objet
technique créé ainsi, par l’habitude, un besoin social, et nous reconduit par
là au monde du besoin dont il semblait pouvoir nous éloigner. Paradoxale-
ment, le monde de la technique moderne nous recentre sur des besoins
toujours réinventés qui sont au cœur du cycle production-consommation
qui entend réguler nos vies, les réglant ainsi sur le modèle animal d’une
existence ayant pour but de satisfaire des besoins.
B. L’essor du machinisme déshumanise l’homme
C’est en somme ce monde animal que décrit Marx dans le Capital, prolon-
geant ainsi les analyses hégéliennes de la technique moderne. Alors même
que la technique porte en elle la possibilité de réaliser l’homme en l’émanci-
pant, elle en vient à créer elle-même, comme devenue autonome sous la
forme de la machine, de nouveaux rapports de production, et, in fine, un
nouvel homme, dont la réalisation ne peut plus se faire qu’en dehors du
monde technique, en dehors du travail, c’est-à-dire dans la sphère du
besoin et de la nécessité. L’« aliénation du travail » désigne précisément ce
paradoxe selon lequel l’homme, qui devait se réaliser par le développement
technique, devient étranger à lui-même, transformé en un autre, puisqu’il
perd alors toutes ses qualités humaines, ses facultés intellectuelles n’étant
plus mobilisées dans le cadre d’une action formatrice sur la nature.

Conclusion
En définitive, il semble que l’ambition de « maîtriser la nature » en la trans-
formant par la technique expose l’homme à de multiples transformations. Si
elle est disposition humaine originaire, si elle donne d’abord sa forme à
l’homme en réalisant son humanité, la technique est aussi ce qui le
déforme, le dénature, et pour finir le renvoie paradoxalement à la sphère
animale de la répétition et du besoin dont elle était censée l’affranchir.
Le développement des techniques affecte donc bien la nature même de
l’homme, en ce qu’il change jusqu’à son corps, ses besoins, et menace tou-
jours d’atteindre ce qu’il y a en lui de proprement humain.

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