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Science, technique , travail.

La technique, définie comme un ensemble de procédés et de dispositifs destinés à agir sur le réel, peut être la
matérialisation d’un savoir scientifique. Elle vise l’utile et cherche à répondre aux désirs humains. Grâce à la technique ,
l’homme a pu transformer la nature . Le travail apparait comme la mise en œuvre de la technique ( outils , machines )
pour optimiser la transformation de la nature .Mais , la technique et la rationalité scientifique n’ont –elles pas mis en
danger l’humanité de l’homme ?

I- Technique et science sont complémentaires :

1- L’homo faber et homo sapiens : l’homme , avant de penser , doit survivre . Né sans défense , il doit faire
preuve d’ingéniosité et de savoir-faire pour s’adapter à un milieu hostile . C’est la faiblesse , le dénuement originel qui
serait à l’origine de l’invention technique. Le mythe de Prométhée , rapporté par Protagoras dans un dialogue de Platon ,
montre comment le vol du feu divin par le Titan Prométhée a permis à l’homme de fabriquer des outils et des armes et
de s’élever ainsi au dessus de sa condition naturelle pour assurer sa survie ; L’habileté technique est fille du besoin , de
l’urgence. Elle est historiquement première car la connaissance est un luxe tandis que l’action ne saurait souffrir d’un
délai . Mais , la technique ne peut évoluer sans l’intervention d’un savoir . Par ailleurs , la technique apparait comme un
élément inhérent à l’intelligence humaine : la main est outil qui fabriqua des outils conçus comme un prolongement du
corps humain .

2- La science : d’une conception désintéressée à un rationalisme appliqué :

Dans l’antiquité grecque , la philosophie confondue avec la science valorisait la faculté de l’homme à
contempler la nature dans un acte gratuit , non justifié par l’utilité. Pour les philosophes grecs ( Platon , Aristote ..) , le
savoir des philosophes vaut mieux que le travail des producteurs ; Aristote considère que le travail des esclaves est
avilissant et que l’homme libre n’est pas astreint à travailler , sa plus haute vocation est de comprendre les lois de la
nature pour s’y accommoder . Mais cette volonté de savoir ne cache –elle pas une volonté de dominer l’objet en se le
représentant à travers des lois de la raison humaine ? C’est ce que Heidegger pointe en parlant d’une conceptualisation
du réel qui nie son Etre.

Ce n’est qu’à partir de la Renaissance qu’un processus plus rapide de rationalisation technique a commencé à voir le
jour avec Descartes dans son Discours de la méthode ; en effet , Descartes donne les bases d’une philosophie pratique
qui , soucieuse du progrès matériel et moral de l’homme , cherche à rendre les hommes « comme possesseurs et maitres
de la nature » . La science travaillera alors , comme l’affirme Bacon , à utiliser les lois de la physique pour inventer les
moyens de la maitriser : « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant », ainsi ,la découverte des lois de la physique
entraine la mise en pratique de ces lois dans le monde des objets et des machines ,pour une emprise sur la nature.

3- Une nouvelle conception du monde et de l’homme :

Au XVII siècle , la redéfinition de la nature considérée comme un ensemble de phénomènes matériels soumis
à des lois de la géométrie et de la physique a permis à Descartes de réduire les organismes vivants à des ressorts , c’est-
à-dire des mécanismes . Les animaux sont comparés à des automates ou machines ; seul l’homme qui possède une âme
et une volonté est exclu de ce système. L’animal agit comme une horloge parce qu’il manque d’âme .L’âme comprend ,
pour Descartes, la raison. La nature n’est donc qu’une ressource matérielle qu’il faut modeler , soumettre à la raison
technique pour servir l’homme .( texte de Descartes)

II- L’ambivalence de la technique : La représentation de la technique est source de jugements


contradictoires : puissance libératrice ou monstrueuse ?

1- L’homme libéré : Avec l’outil , l’homme est toujours au travail mais sa dépense d’énergie est moindre , avec
la machine ou le robot , il est complètement libéré de sa tâche. La machine , en le remplaçant , lui donne la possibilité
d’avoir plus de temps à lui ( loisir), c’était justement le rêve d’Aristote quand il écrit « si les navettes tissaient d’elles-
mêmes et si les plectres pinçaient tout seuls la cithare , alors ni les chefs d’artisans n’auraient besoin d’ouvriers , ni les
maitres d’esclaves » En effet , la technique a augmenté le bien-être de l’homme et ce, dans tous les domaines .

2- l’homme déshumanisé : La mécanisation et le machinisme introduits en Europe au XIX siècle ont eu des
conséquences sociales et psychologiques : la machine , remplaçant l’ouvrier , l’a mis dans une situation précaire , et en
contre partie , a donné plus de puissance et de richesse à une minorité . Sur le plan psychologique , l’individu n’est plus
maitre de la machine , c’est plutôt la machine qui doit régler ses gestes et son corps. Le film Les Temps modernes de
Charlie Chaplin illustre cette mécanisation du corps humain , simple ressort d’un engrenage qui l’écrase.

Le machinisme a rompu l’équilibre de l’âme et du corps parce que notre âme est restée la même tandis que notre
corps voyait sa puissance accrue prodigieusement de toute la force de la machine . A la civilisation mécanicienne , selon
Bergson , il eut fallu « un supplément d’âme » pour sauvegarder ce qui reste d’humain dans l’homme : sa liberté et sa
dignité.

3-La recherche de l’efficacité contribue à l’Oubli de l’Etre : la rationalité technique nous amène à considérer la
nature et l’homme comme des ressources , donc comme des objets ; notre conception utilitaire des choses nous voilent
leur être , nous ne sommes plus capables d’étonnement . La technique comme un voile ne nous permet pas de voir ce
qu’est la nature , ce qu’est l’homme lui-même , c’est ce que Heidegger appelle l’Oubli de l’Etre . Ce processus d’
« Arraisonnement » a inversé les fonctions respectives de la science et de la technique , en effet , l‘application de la
technique a orienté la science de telle sorte que cette dernière n’est plus apte à interroger la nature , mais plutôt à l’obliger
à « se montrer comme un complexe calculable et prévisible de forces ». Voir la nature comme un stock de ressources
inépuisables conduit aussi à une surexploitation qui met en péril tout l’écosystème.

4- Doit-on diaboliser la technique ?

Nouvelles figures du destin, la technique et la technologie sont personnifiées . l’homme semble être victime de
leur magie . Cette vision des choses plaiderait pour un arrêt du progrès technique .Cette utopie anti-technique est absurde :
l’aliénation de l’ouvrier n’a pas pris fin avec le sabotage des chaines de l’usine , mais avec la robotisation des ateliers de
montage. Il semble qu’on confonde les ordres : la technique n’est qu’un moyen et c’est l’homme qui définit les fins.
C’est à l’homme donc d’anticiper , de prévoir pour éviter les effets néfastes du progrès technique sur sa liberté et son
bien-être. Hans Jonas , dans son ouvrage Le Principe responsabilité appelle à faire triompher l’homo sapiens sur l’homo
faber et fonder une éthique qui prendrait en considération l’avenir des générations futures.( ex éthique
médicale ,eugénisme ,nucléaire et énergie propre)Il s’agit de privilégier le raisonnable sur le rationnel.( impératif
catégorique « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pou la possibilité future d’une telle
vie »)

TR

III- Travail et technique affirment-ils l’humanité de l’homme ?

Qu’est ce que le travail ? (activité par laquelle l’homme transforme les choses de la nature pour produire des
biens utiles.) L’étymologie du mot, du latin « tripalium » renvoie à la torture. En effet , le travail est toujours pénible ,
effort sur les choses et sur soi-même, C’est pourquoi , dans la tradition grecque , il était réservé aux esclaves(le ponos) .le
travail de l’artisan est l’ergon ; Tous deux ont rapport à la matière. Seul comptait pour les grecs l’activité de l’esprit .Dans
la Bible , Le travail est le châtiment qui suit le péché originel ;l’injonction : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton
front » et « tu enfanteras dans la douleur » Le travail est donc une contrainte .Les latins opposaient loisir au travail ,
otium à négotium. Le loisir est activité libre sans pour autant être divertissante.

1- Le travail est une aliénation .

Toutes ces représentations dévalorisent le travail , considéré comme une activité aliénante , car ,il soumet
l’homme à la nécessité ( nécessité de travailler pour vivre), il aliène l’homme à l’urgence du besoin , Marx montre que
le travailleur , dans la société industrielle capitaliste est dépossédé de son travail qui devient une marchandise. Sa force
du travail se transforme en marchandise , extérieure à lui. Nietzsche va jusqu’à considérer le travail « la meilleure des
polices » du moment qu’ il « tient chacun en bride » et l’empêche même de penser à sa condition ( il joue le même rôle
que la religion)

2- la dignité du travail :

Toutefois , ce n’est pas le travail en soi qui dépossède l’individu de son indépendance et de sa dignité , c’est son
insertion dans un système économique qui semble préjudiciable pour l’ouvrier. Au contraire , le travail peut être un
moyen de libération comme l’affirme Hegel à travers la dialectique du maitre et de l’esclave : Le maitre se croit libre , et
c’est l’esclave qui , par le travail a contact avec la nature . Le maitre, gâté par l’oisiveté , ne sait plus rien faire . En
revanche , l’esclave apprend. Par une conversion dialectique exemplaire , le maitre devient l’esclave de son esclave. Le
travail apparait comme une conquête symbolique de la liberté.

Marx , reprenant l’analyse de Hegel , considère que le travail reste humain et libérateur car il est le produit d’une
intelligence humaine , l’animal ne travaille pas , il est soumis à sa nature « ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais
architecte de l’abeille la plus experte , c’est que l’architecte porte d’abord sa cellule dans sa tête avant de la construire
dans la ruche . » Ce n’est que lorsque l’organisation capitaliste s’empare du travail qu’il devient aliéné.

3- Le plaisir du travail :

Le travail lié aux besoins est un moyen ( pour un salaire, pour gagner son pain , pour vivre en somme) il n’est pas
un but , une finalité de la vie qui promet le plaisir. Seuls les artistes , les contemplatifs et les riches oisifs font de leur
travail une activité libre , selon Nietzsche . Car ces derniers font du travail , de la peine une source de joie , une œuvre.
Dans ses propos sur le bonheur le philosophe Alain montre que « le travail est la meilleure et la pire des choses : la
meilleure , s’il est libre , la pire , s’il est serf ».

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