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Cours sur la technique et la nature

Question directrice : Faut-il avoir peur de la technique ?


Introduction :
Définition de la technique : l’ensemble des moyens qui permettent d’obtenir efficacement un résultat jugé utile ou
désirable. Cela concerne des objets (des outils, des machines etc.) mais aussi des connaissances (= théoriques) et
des savoir-faire (= pratiques).
La technique s’applique sur la nature (comme dans la technique agricole par exemple), mais aussi sur les hommes
(comme dans les techniques de marketing par exemple).

Analyse du sujet :
On se demande ici s’il faut avoir peur de la technique, autrement dit on se demande s’il peut être raisonnable,
légitime, pertinent de craindre la technique. Une peur est légitime quand elle concerne une chose qui peut
réellement causer du tort, à nous-même ou même à la nature.
Dès lors, la question semble paradoxale : en effet, la technique est mise en œuvre volontairement par les Hommes,
elle est construite par eux pour produire des résultats utiles, pour faciliter la vie notamment. On peut penser aux
techniques médicales, comme les vaccins ou la chirurgie, qui améliorent considérablement l’existence humaine. Il
semble donc étrange d’avoir peur d’une chose qu’on utilise volontairement pour se rendre service, qui semble donc
très bénéfique.
Mais la technique paraît en même temps produire des effets pervers très négatifs ; on peut penser par exemple aux
machines de production qui, à la différence des outils qu’on manipule, ont leur propre rythme, auquel les ouvriers
sont contraints de s’adapter. L’introduction des machines dans le monde du travail peut ainsi rendre le travail
extrêmement difficile, en exigeant des travailleurs de répéter sans arrêt le même geste à une cadence très forte,
comme Charlie Chaplin le montre dans les Temps moderne (1912) (https://www.youtube.com/watch?
v=h4rdulAGbbQ

De même, la technique nucléaire permet à la fois de produire de l’électricité dans des centrales nucléaire, ce qui est
utile, et des armes de destruction inouïe, comme les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki par
l’armée américaine en 1945, ce qui est profondément nuisible. En outre, même l’usage civil du nucléaire dans les
centrales peut être très dangereux, comme les montrent les accidents de la centrale de Tchernobyl en 1986 (en
Ukraine, alors en URSS) ou celui de Fukushima au Japon en 2011.
Ainsi, la technique est un moyen qu’on utilise au service d’une finalité ; sa valeur, positive ou négative, semble
dépendre à la fois du but visé et de la façon dont on l’utilise.

(Problématisation)  : Dès lors, certains usages de la technique peuvent-ils la rendre nocive, au point qu’il faille la
craindre, alors que la technique semble créée par les Hommes pour leur être utile ?
Autrement dit : la technique peut-elle nuire ou s’agit-il d’un outil qu’il faut seulement savoir maîtriser ?
Plan du cours  :
D’abord, la technique fait partie de la culture humaine et ainsi elle permet aux hommes de répondre à leurs besoins.
Toutefois, sa puissance est telle qu’elle peut être utile ou nuisible selon l’usage qu’on en fait.
Nous verrons ensuite que la technique moderne telle qu’elle s’est développée en Occident est devenue un danger
pour la nature dans son ensemble, ce qui produit une menace non seulement pour l’environnement mais aussi pour
les Hommes, face à laquelle il faut réagir.
Nous étudierons enfin les effets que la technique peut avoir sur la nature de l’homme lui-même, notamment dans la
mécanisation du travail. Nous nous demanderons alors comment on pourrait maîtriser la technique afin qu’on puisse
ne plus en avoir peur.

I. La technique est une spécificité humaine ; sa puissance la rend à la fois utile et dangereuse.

Le mythe de Prométhée. Résumé  :


Dans la mythologie grecque, Zeus demande à deux titans Prométhée et Epiméthée, de créer les êtres vivants qui
peupleront la Terre. Prométhée est chargé de créer les hommes, Epiméthée, doit créer tous les autres. Zeus leur
confie ensuite un sac dans lequel se trouvent tout ce qui permettra à ces êtres d’être protégés et de se nourrir
(griffes, sabots, fourrure, plumes etc.) Mais Epiméthée distribue tout sans rien laisser aux hommes. Pour les aider,
Prométhée va alors voler le secret du feu aux dieux pour le leur confier.
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Analyse : la maîtrise du feu est ce qui distingue les hommes des autres animaux. Elle est aussi le symbole de la
technique car grâce au feu, les hommes vont pouvoir faire et créer une infinité de choses : se chauffer, éloigner les
prédateurs, cuire les aliments, faire du métal (pour faire des outils et des armes) etc.
Ainsi, les hommes semblent dépourvus par la nature (pas de pelage, de plumes, de griffes ou de crocs etc.) mais ils
sont dotés par la technique (qui provient de la culture) d’une puissance inouïe.

Toutefois, la leçon du mythe est double : si le feu confère une grande puissance aux hommes, il est également
dangereux. Son origine divine exprime le fait que les hommes doivent l’utiliser avec précaution, car il peut être très
nocif et destructeur.
 La technique est donc ambivalente càd qu’elle peut avoir une valeur positive ou négative en fonction de l’usage
qu’on en fait, selon qu’on veut faire du bien ou faire du mal grâce à elle. Pensez par exemple à la technique
nucléaire, qui peut être utilisée pour faire du bien (produire de l’électricité par exemple) ou pour faire du mal
(construire des armes de destruction inouïe)
C’est la raison pour laquelle il faut que les hommes reçoivent l’art politique, afin d’apprendre à s’organiser ensemble
et à décider collectivement de l’usage qu’ils doivent faire de leur puissance technique, pour qu’elle ne devienne pas
un danger.

Acquis à retenir : La technique est donc d’une part un instrument au service du bien-être humain ; en ce sens, on ne
doit pas en avoir peur mais au contraire la désirer et la développer car elle nous caractérise en tant qu’Hommes.
Mais d’autre part, la technique peut être destructrice en raison même de sa puissance : elle peut servir de mauvaises
intentions et en ce sens, il faut en avoir peur.

Réponse à la question à ce stade : Dès lors, il faudrait avoir peur de la technique quand elle est employée à mauvais
escient (dans le but de faire du mal). Il ne faudrait donc pas craindre la technique elle-même mais la tendance
humaine à agresser et détruire qui peut utiliser la technique comme moyen. Le problème ne viendrait pas de la
technique mais de l’immoralité de certains Hommes.

Transition : mais toutes les sociétés et cultures humaines n’ont pas développé le même type de technique. La
technique moderne, telle qu’elle se développe en Occident depuis la Révolution industrielle est très spécifique : elle
utilise beaucoup de ressources naturelles et produit de très nombreux dégâts sur l’environnement.
Dès lors, ne faut-il pas craindre le danger que fait peser la technique moderne sur la nature, et ainsi sur les
Hommes ?

II. Les dangers de la technique moderne


a. Le danger écologique de la technique moderne
Nos usages quotidiens de la technique, des processus et des objets que nous créons pour faciliter notre existence,
ont des conséquences désastreuses sur l’ensemble de notre écosystème. La situation actuelle est dramatique, on
parle de crise écologique liée aux activités humaines qui troublent profondément les équilibres naturels. A titre
d’exemple, on peut songer à la quantité de déchets plastiques accumulés dans les océans, regroupés par les
courants marins sous forme des « continents de plastique ». Vous pouvez regarder cette très courte vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=nouiXW6dAU0

Dès lors, la technique moderne a conduit à un renversement : ce n’est plus la nature qu’il faut craindre, mais c’est la
technique grâce à laquelle nous avons tenté de maîtriser la nature qui est devenue effrayante. C’est ce qu’exprime
Hans Jonas dans le texte suivant :
Le danger qui nous menace actuellement vient-il encore du dehors ? Provient-il de l'élément sauvage que nous
devons maîtriser grâce aux formations artificielles de la culture ? C'est encore parfois le cas, mais un flot nouveau et
plus dangereux se déchaîne maintenant de l'intérieur même et se précipite, détruisant tout sur son passage, y
compris la force débordante de nos actions qui relèvent de la culture. C'est désormais à partir de nous que s'ouvrent
les trouées et les brèches à travers lesquelles notre poison se répand sur le globe terrestre, transformant la nature
tout entière en un cloaque pour l'homme. Ainsi les fronts se sont-ils inversés. Nous devons davantage protéger
l'océan contre nos actions que nous protéger de l'océan. Nous sommes devenus un plus grand danger pour la nature
que celle-ci ne l'était autrefois pour nous. Nous sommes devenus extrêmement dangereux pour nous-mêmes et ce,

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grâce aux réalisations les plus dignes d'admiration que nous avons accomplies pour assurer la domination de
l'homme sur les choses. C'est nous qui constituons le danger dont nous sommes actuellement cernés et contre
lequel nous devons désormais lutter. Il s'agit là de quelque chose de radicalement nouveau
Hans Jonas, Une éthique pour la nature, 1993
Acquis à retenir : la technique moderne produit des dégâts alors même que nous ne voulons pas mal faire. En effet,
nous polluons et détruisons la nature sans vouloir mal faire ; c’est en produisant et en consommant comme nous le
faisons que nous détruisons la nature et risquons ainsi de rendre la vie humaine impossible sur Terre. Nous épuisons
les ressources naturelles et en polluons notre environnement, et ainsi nous détruisons la nature
Les dégâts écologiques liés à la technique moderne nous conduisent à devoir réfléchir collectivement à la façon dont
nous voulons poursuivre : ne faut-il pas interdire par des lois certains développement techniques pour des raisons
écologiques ? Cela soulève la question générale du monde dans lequel nous voulons vivre, nous et nos descendants.

Réponse à la question à ce stade : il faut avoir peur de la technique moderne car elle produit des dégâts qui mettent
en péril la nature dans son ensemble, et donc les conditions de vie des Hommes eux-mêmes.

De plus, la technique s’introduit également dans le monde du travail ; dans ce domaine, faudrait-il aussi la craindre ?

b. Les dangers de la technique dans le monde du travail.

On a introduit des machines dans le monde du travail et de la production afin de faciliter le travail humain, en faisant
accomplir les tâches difficiles par des machines et non plus par des hommes ; mais la mécanisation avait aussi et
peut-être surtout pour but d’augmenter la productivité du travail humain (faire produire davantage dans le même
temps à un travailleur.) Or, si on augmente la productivité sans diminuer le temps de travail, on exige toujours plus
des travailleurs, ce qui peut conduire à créer une nouvelle pénibilité du travail humain, voire une déshumanisation
du travail.
Ainsi cette mécanisation peut avoir des conséquences désastreuses sur la qualité de vie au travail, comme le montre
le texte suivant, de Marx, extrait du Capital.
texte 3 : Marx, le capital, livre I, chap. 15.

Dans l’artisanat, le travailleur se sert de son outil ; dans l’usine, il sert la machine. Dans le cas de l’artisanat, le
mouvement de l’instrument de travail vient du travailleur ; en revanche, avec la machine, le travailleur ne fait que
suivre la machine. Dans l’atelier artisanal, les ouvriers forment les membres d’un mécanisme vivant. Dans l’usine au
contraire, ils sont incorporés à un mécanisme mort qui existe indépendamment d’eux. […] En même temps que le
travail mécanique, sur les machines, surexcite au plus haut point le système nerveux, il empêche le jeu varié des
muscles et comprime toute activité libre du corps et de l’esprit. La facilité même du travail devient une torture dans
la mesure où la machine ne délivre pas l’ouvrier du travail mais dépouille le travail de tout son intérêt.
Karl Marx, Le Capital, Livre I, chap. XV, (1867-1873)

Analyse : la mécanisation produit l’intensification du travail et la simplification des tâches jusqu’à rendre le travail
abrutissant et aliénant (destructeur de la liberté). Le travailleur face à la machine est soumis à sa cadence, il perd la
maîtrise de son activité et risque de se sentir lui-même transformé en machine.
Exemple contemporain : la commande vocale dans les entrepôts : cf. activité jointe au cours.
Analyse : la commande vocale dans les entrepôts permet d’accélérer la cadence du travail et augmente la
productivité de chaque travailleur (= texte 1, présentation du dispositif) ; elle facilite le travail et retire de la
responsabilité aux travailleurs (texte 3, sur les avantages de la commande vocale). Toutefois, elle isole chaque
travailleur de tous les autres et produit de la souffrance au travail (texte 2, témoignage de salarié ; texte 4, les
dangers du dispositifs)

Acquis de ce moment : la mécanisation du travail ne fait pas que simplifier et adoucir les conditions d’exercice des
travailleurs ; elle risque aussi de retirer une part de liberté, d’inventivité et d’autonomie dans le travail. Dès lors, on
peut dire que la mécanisation fait courir le risque d’une forme de déshumanisation du travail humain.

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Transition : comment pourrions-nous maîtriser ces effets et usages pervers de la technique, afin que nous n’ayons
plus à la craindre ?

III. Aller vers la maîtrise de la technique par le savoir-faire technique lui-même.

Une partie des effets pervers de la technique tient au fait que nous ne maîtrisons pas vraiment les objets et
processus techniques que nous utilisons pourtant sans cesse. Nous sommes en grande partie dépourvus de
connaissance technique. En outre, dans nos sociétés, les connaissances techniques sont assez peu valorisées ; elles
relèvent souvent de ce qu’on appelle « le travail manuel », qu’on oppose au « travail intellectuel », bien plus
valorisé.
Or, il y a un enjeu important à connaître et comprendre le mode de fonctionnement de nos objets techniques, afin
de pallier aux effets négatifs qu’ils peuvent avoir.
C’est le sens du texte suivant :
texte 4 : Matthew B. Crawford, Eloge du carburateur

Il s’est développé depuis quelques années dans le monde de l’ingénierie une nouvelle culture technique dont
l’objectif essentiel est de dissimuler autant que possible les entrailles de la machine. Le résultat, c’est que nombre
des appareils que nous utilisons dans la vie de tous les jours deviennent parfaitement indéchiffrables,
[incompréhensibles]. Soulevez le capot de certaines voitures (surtout si elles sont de marque allemande) et, en lieu
et place du moteur, nous verrez apparaître […] un autre capot sous le capot [vous n’avez pas accès au moteur, vous
ne pouvez chercher ni à le comprendre vous-même, ni le réparer vous-même, il faut aller chez le concessionnaire qui
le fera à votre place.] […]
Ce déclin de l’usage des outils semble présager un changement de notre relation avec le monde matériel,
débouchant sur une attitude plus passive et plus dépendante. Et de fait, nous avons de moins en moins d’occasions
de vivre ces moments de ferveur créative où nous nous saisissons des objets matériels et les faisons nôtres, qu’il
s’agisse de les fabriquer ou de les réparer. Ce que les gens ordinaires fabriquaient hier, aujourd’hui ils l’achètent ; et
ce qu’ils réparaient eux-mêmes, ils le remplacent intégralement, ou bien louent les services d’un expert pour le
remettre en état, opération qui implique souvent le remplacement intégral d’un appareil en raison du
dysfonctionnement d’une toute petite pièce.
Cet ouvrage plaide pour un idéal qui s’enracine dans la nuit des temps mais ne trouve plus guère d’écho
aujourd’hui : le savoir-faire manuel et le rapport qu’il crée avec le monde matériel et les objets techniques. [Il faut
redonner sa place à ce savoir-faire dans l’enseignement et en reconnaître socialement la valeur.]
Matthew B. Crawford, Eloge du carburateur, introduction, La découverte, p. 7-8, 2009
Acquis du texte :
Pour retrouver de la liberté face à la technique et éviter la surconsommation, il faut apprendre à comprendre,
utiliser et réparer nos objets techniques ; c’est donc en cherchant à comprendre comment fonctionnent les objets et
les machines que nous utilisons que nous pouvons retrouver une forme de maîtrise de la technique. L’objectif est de
revaloriser les connaissances et les savoir-faire techniques afin de prendre conscience de leur importance : nous
pourrions ainsi réparer plutôt que jeter et racheter, pour tenter de produire moins de déchets. Nous pourrions
également retrouver de l’activité face aux objets techniques plutôt que d’être de plus en plus passifs face à eux.

Ce développement des connaissances techniques doit s’accompagner d’une réflexion politique collective pour
décider ensemble de la façon dont nous devons développer ou non certaines techniques qui peuvent s’avérer très
dangereuses. C’est une question politique essentielle de savoir comment nous voulons utiliser la puissance
technique et comment répondre aux problèmes écologiques que la technique moderne soulève.

Conclusion :
Il semble donc qu’il faut avoir peur de la technique quand elle est mal utilisée, càd qu’elle est utilisée pour faire
volontairement du mal, comme dans le cas des armes, mais aussi quand on l’utilise sans se rendre compte des
dégâts qu’elle provoque. C’est le cas des problèmes écologiques posés par la technique moderne, qui surexploite les
ressources naturelles, détruit les écosystèmes, surproduit et pollue profondément. C’est aussi le cas de la
mécanisation du travail qui peut conduire à rendre le travail quasiment inhumain.
Ce que nous voulons faire de la technique est désormais une question politique majeure, tant en ce qui concerne le
monde du travail qu’en ce qui concerne notre rapport à la nature.
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Actuellement, la crise écologique est tellement grave qu’il faut nécessairement prendre soin de la nature, des
écosystèmes et de la biodiversité. Le problème écologique soulevé par la technique moderne ne met pas seulement
les êtres vivants non humains en danger, il met en péril les hommes eux-mêmes.
Il est donc essentiel que nous prenions conscience qu’il faut avoir peur d’une certaine forme de technique qui, au
lieu d’améliorer nos conditions d’existence, risque de rendre impossible la vie humaine sur Terre.
Cela pourrait nous permettre de retrouver un rapport plus sain à la technique, notamment en développant et en
valorisant les connaissances et les savoir-faire techniques. De cette manière, nous pourrions retrouver une forme de
maîtrise de cet outil qui semble nous échapper actuellement.

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