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Le monde humain est-il fondamentalement technique ?

En d’autres termes, la réalité


matérielle où nous nous situons a-t-elle été bâtie sur un faire, un procédé mis en place pour
atteindre un but pratique ? D’un côté, il semble évident que notre évolution et l’évolution de la
société sont dues à la technè, il suffit de regarder le monde dans lequel nous vivons pour s’en
rendre compte : la technologie, dérivée de la technique est partout. En effet, ne sommes-nous pas,
nous, êtres humains, toujours présents car nous avons acquis la technique depuis notre naissance ?
Mais, d’un autre côté, cela reviendrait à dire que l’être humain est un être uniquement technique
et donc qu’il agit et pense seulement de façon utile, sans même penser aux répercutions de ses
actes. Autrement dit, l’être humain est-il seulement basé sur l’obtention d’une fin relative
correspondant à l’achèvement d’une technique et sommes-nous indifférents aux conséquences de
cette dernière ?
Nous verrons dans un premier temps que le monde humain est technique, dans un
deuxième temps que la technique n’est pas le seul rapport que nous entretenons avec le monde et
qu’elle n’est peut-être pas toujours synonyme de progrès et enfin nous verrons que ces deux idées
ne sont pas forcément indissociables.

On peut dire que le monde humain a une origine technique. Par origine technique, on
entend que cette technique est indissociable de l’homme.
Tout d’abord, on peut affirmer que l’homme dépend de la technique car son premier
rapport au monde semble être de nature technique. Autrement dit, ce qui a permis à l’homme de
survivre lors de sa naissance il y a des millénaires repose sur des méthodes qu’il a acquises. C’est
exactement la situation que Platon dans Protagoras dépeint lorsqu’il explique le mythe de
prométhée. En effet, ce mythe raconte qu’au commencement l’homme était nu et incapable de
survivre contrairement à ses compères les animaux qui ont été dotés de crocs ou de fourrure.
Prométhée a donc donné le feu à l’homme. Ici le feu fait référence à la 1 ère technique que l’homme
a acquise, à un don divin. Doté du feu, l’homme a pu commencer à se nourrir, se chauffer, se
défendre… Le mythe de Prométhée défend donc que le monde humain est technique puisque c’est
cette dernière qui a permis à l’homme de survire et de sortir de la misère pour atteindre la
grandeur.
D’autre part, on peut aussi voir l’homme comme un être technique, comme un technicien.
Cette hypothèse soutient le fait que le premier rapport de l’homme au monde et donc que les
fondations de ce monde sont techniques car l’homme est lui-même un être technique : il est une
technique. Cette thèse fait cependant opposition au mythe de Prométhée car elle réfute le fait
qu’elle provienne d’un don divin. En effet, selon Aristote, le corps humain est un outil au service
d’une technique : notre intelligence. De plus, Henri Bergson avance la thèse de l’homo-faber
(remplaçant celle de l’homo-sapiens). Dans cette thèse, il définit l’homme comme étant un animal
mais doué de technique. En définitif cette « intelligence » que décrit la thèse de l’homo-sapiens
n’est que la faculté des hommes à produire des artéfacts. Ces deux thèses soutiennent que notre
monde est fondamentalement technique car elle définit l’essence de l’homme et la première
démarche de l’humanité comme tel.
Finalement, le moyen le plus parlant pour se rendre compte que notre monde est technique
est de simplement regarder à quel point elle nous entoure et à quel point nous en sommes
dépendant sans nous en rendre compte. La définition que Jacques Ellul fait de la technique, facilite
notre compréhension des âges techniques : elle est un ensemble d’éléments étroitement liés de
telle façon que l’évolution ou la modification de l’un se répercute sur tous les autres. Depuis l’âge
précédent, celui de la machine à vapeur, nous en sommes devenus totalement dépendant.
Aujourd’hui, nous ne pouvons pas imaginer la vie sans l’ordinateur, il est partout : dans le travail,
l’éducation, les loisirs, les méthodes de déplacement, la communication… Cette dépendance
montre bien que la technique est encrée profondément dans notre société à tel point qu’elle en est
un fondement.

Notre rapport au monde n’est pas seulement technique. En effet, l’espèce humaine est aussi
fondée sur les instincts, l’épistémè et la praxis.
Notre rapport au monde est basé sur nos instincts. Instinct signifie ici une des actions, qui ne
provient pas d’une réflexion mais de nos gènes, de notre nature profonde. C’est cette partie innée
que nous possédons tous qui nous dit de vivre, de manger, de boire, de se soigner, de se préserver
du danger… Cet instinct intervient également dans les relations interhumaines concernant notre
besoin de vivre en société, de partager sa vie avec l’être aimé ou bien de celle de se reproduire, de
transmettre ses gènes et de fonder une famille. Cet instinct permet donc la reproduction de
l’espèce humaine et sa prospérité. L’instinct est donc eux aussi un fondement du monde humain.
Nous avons aussi une approche scientifique du monde. Par scientifique, ici on parle d’une
approche naturelle sans aucun artifice et neutre. Cette approche du monde est désintéressée,
c’est-à-dire que l’épistémè ne se soucie que de la vérité et non du profit. L’homme a pour habitude
de décrire la nature qu’il observe avec des lois mathématiques, chimiques, biologiques ou
physiques. Cela signifie que notre monde est régi par ces lois et qu’il est donc scientifique voire
naturel. Par exemple, le scientifique et philosophe Newton a démontré de nombreuses lois
scientifiques dites « lois de Newton ». On peut déduire que le monde est scientifique et que le
monde humain a été bâti sur ce monde donc a aussi des fondements scientifiques.
D’autre part, la société humaine a aussi pour fondement la praxis. Ici la praxis définit
l’action, l’agissement. Cette praxis peut être politique, une praxis qui cherche l’union et l’harmonie
afin de « bien vivre ». Dans le cadre de la technique, on observe la praxis sous la forme de l’éthique
et de la responsabilité face à la loi de Gabor « tout ce qui est techniquement possible sera
nécessairement réalisé ». En effet, l’abondance que nous offre aujourd’hui la technique nous fait
petit à petit plonger dans un usage epiméthéen de la technique dû à la démesure de l’homme. La
praxis est donc elle aussi un fondement de la société humaine.

Toutefois, la technique, l’instinct, la praxis et l’épistémè ne sont pas indissociables les uns
des autres, elles sont même liées.
Premièrement, focalisons-nous sur la relation entre la technique et l’instinctif. L’instinct est
un besoin qu’il nous faut assouvir et nous le faisons grâce à la technique. Cette technique nous
permet de combler nos besoins primaires à tel point que nous ne cherchons plus à simplement
vivre bien, mais à vivre mieux, à vivre confortablement grâce à ce qu’elle peut nous apporter. Là où
l’homme pourrait se satisfaire de quelques baies et d’un morceau de viande occasionnellement, la
technique nous offre plusieurs repas par jour grâce au développement de l’agriculture et à
l’élevage. La technique est soumise à nos instincts.
D’autre part, si on ne regarde que l’épistémè et la technè, alors leur relation se caractérise
d’un passage de l’abstrait au concret. Autrement dit cette communication permet de passer de la
connaissance à la pratique, des lois qui n’ont pas de réelle application à une application concrète
(par exemple les lois de Newton permettent d’envoyer des satellites dans l’espace grâce à la
technique). La rencontre entre la technique et la science peut aussi avoir des effets remarquables.
Par exemple la machine à vapeur était une machine incroyable lors de sa création mais la
thermodynamique a permis de perfectionner cette machine pour la rendre plus efficace et plus
autonome.
Finalement, si on analyse les liens entre la technique, la praxis politique et l’épistémè, on se
rend compte qu’aujourd’hui à cause de la démesure de l’évolution technique, cette dernière est
devenue épiméthéenne. Pour en retrouver un usage prométhéen c’est-à-dire bon, il faut que la
technique soit subordonnée à l’éthique, que la technè se subordonne à la praxis. Cette praxis est
désormais éclairée par la science, l’épistémè. Une fois éclairé, on peut conclure que l’homme doit
maîtriser sa maîtrise de la nature et qu’il doit donc mesurer sa démesure pour reprendre son destin
en main.

Pour conclure, on peut affirmer que la technique est un fondement central de notre société
actuelle par son omniprésence de notre origine à aujourd’hui. Elle nous a permis de vivre, de
survivre et de faire face aux dangers. Elle n’est cependant pas le seul fondement de notre monde.
En effet, nous sommes aussi basés sur la science et sur l’action. Néanmoins, ces fondements
fonctionnent sous forme de système. Autrement dit le faire est lié à l’agir politique et moral ainsi
qu’à la connaissance. Pour juger cette technique et en déterminer son fondement nous avons dû la
juger d’un point de vue neutre, sans vision technophile ni technophobe.

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