Le développement technique transforme-t-il les hommes ?
Hugo PACCOUD Lycée Jean Monnet – Saint Étienne, Portail Rouge (Novembre 2015)
La technique, que nous pouvons définir comme l’ensemble des
méthodes et connaissances visant à modifier la nature afin de l’accommoder aux besoins de l’homme, est, plus que jamais, présente dans nos sociétés modernes. En effet, le développement technique au cours des deux derniers siècles, marqué par les révolutions industrielles et de nombreuses découvertes scientifiques, fut tel qu’à l’aube du XXIe siècle l’objet technique fait partie intégrante de notre environnement. Il s’invite dans nos habitudes de consommation, dans nos loisirs, voire dans les relations que nous entretenons les uns avec les autres. Nous pouvons nous demander si la technique, initialement conçue par l’homme dans le but de transformer et apprivoiser la nature et, par conséquent, de lui permettre de vivre plus aisément ne transforme-t-elle pas également l’être humain lui-même. La technique n’est- elle pas en train de prendre le pas sur son créateur en modifiant sa nature ? Et quand bien même cela s’avérerait vrai, le développement technique a-t-il encore sa vocation qui consiste à faciliter la vie de l’homme, ou est-il au contraire en train de le rendre dépendant et esclave ? Nous verrons tout d’abord que la technique transforme l’homme dans la mesure où elle modifie ses activités et son environnement. Après quoi nous remarquerons que la technique, par définition, rend l’homme plus à même de réaliser ses projets. Enfin, nous nous pencherons sur les conséquences négatives que le progrès technique provoque.
La technique modifie constamment les activités de l’homme. Chaque
nouvelle invention remet en cause ou complète les précédentes, elle les améliore en s’en inspirant, donnant ainsi à l’homme une nouvelle façon d’exercer son activité. Dès lors, il substitue les nouvelles méthodes aux anciennes, plus ingénieuses et plus efficaces. C’est ainsi que l’homme a remplacé ses premiers outils qui étaient ses mains, ses yeux, ses oreilles, son nez, etc., en en fabriquant d’autres avec des matériaux naturels. En faisant appel à son intelligence et en créant des pièges, l’homme préhistorique n’a plus eu besoin de se battre physiquement avec le gibier pour le tuer. De même, en confectionnant des habits à partir de la peau de ses proies, il a pu se couvrir se protéger du froid autrement qu’avec ses poils. L’homme ne fit plus usage de ses muscles pour les mêmes raisons et ses poils lui devinrent peu à peu inutiles. De ce fait, ses caractéristiques physiques changèrent progressivement. On constate un phénomène semblable avec la tertiairisation du marché du travail après la seconde guerre mondiale. Les salariés qui restent assis une bonne partie de la journée et mangent de plus en plus avec l’avènement de la consommation de masse commencent à prendre du poids et à grandir de génération en génération. En outre, le salarié développe des facultés intellectuelles nouvelles en apprenant à utiliser des logiciels informatiques par exemple. On donc là une transformation physique et intellectuelle de l’homme, transformation due en grande partie au développement de nouvelles techniques ou de nouvelles technologies. Toutefois, ces transformations ne sont pas toujours bonnes pour la santé de l’homme. De plus en plus de personnes souffrent d’obésité, ce qui entraîne des risques cardio-vasculaires, des problèmes respiratoires et une fragilisation des os. On remarque aussi que les technologies virtuelles ont parfois des répercussions sur le développement neurologique chez l’enfant.
Nous venons de voir que le développement technique – et
technologique plus récemment- entraîne forcément des transformations physiques ou psychiques chez l’homme. Nous allons maintenant observer que les progrès techniques contribuent aussi à l’amélioration des conditions de vie de l’homme. Si la technique a transformé et transforme toujours l’organisme de l’homme, elle modifie aussi sa vie et sa façon de vivre. Par définition, la technique a pour vocation de faciliter la réalisation, la concrétisation, d’un but en proposant une méthode, un moyen, pour y parvenir. Du grec technè, signifiant « habileté », la technique n’a d’autre finalité que d’améliorer la vie de l’homme en le rendant plus habile. En effet, c’est grâce à la technique et au savoir-faire que l’homme a réussi à apprivoiser la nature et a appris à la cultiver. Ainsi, l’homme a fait pousser des plantes, des légumes, des fruits ; il a aussi élevé des animaux et s’est organisé en groupe, en village, en cité, parvenant de cette manière à se nourrir et à se protéger contre les menaces extérieures. De même, certaines civilisations ont pris conscience de la nécessité de s’instruire et de découvrir pour conquérir de nouveaux territoires et pour comprendre le monde. Pour ce faire, l’homme n’a pas eu seulement besoin de sa pensée ou de son intelligence, mais également d’objets techniques (même si ceux-ci sont le produit de son intelligence). Les civilisations de l’Égypte antique, les civilisations babyloniennes et gréco-romaines, par exemple, inventèrent et utilisèrent des instruments géométriques pour comprendre le monde. C’est ainsi qu’elles ont pu bâtir des édifices monumentaux tels que les pyramides de la Vallée des Rois (en Égypte), le Colisée ou le Parthénon (en Italie). Et qui plus est, ces instruments géométriques leur ont permis, entre autres choses, de concevoir un urbanisme ordonnant leurs cités et facilitant la vie en société. Le progrès technique a aussi permis la découverte de maladies, l’explication et la guérison de celles-ci. L’homme vit mieux et plus longtemps aujourd’hui – du moins dans nos sociétés occidentales. En France, l’espérance de vie ne cesse de s’accroitre et est actuellement de 82 ans. Pour toutes ces raisons nous pouvons affirmer que le développement technique modifie la manière de vivre de l’homme ainsi que les conditions et la durée de sa vie. Le développement technique transforme indéniablement les modes de vie de l’homme. Toutefois, si nous venons de montrer les aspects positifs de ce développement, nous allons maintenant voir qu’il peut aussi avoir des effets pervers sur l’homme.
En effet, le développement technique ne semble pas toujours s’accorder
avec les exigences morales ou éthiques. En offrant de nouvelles méthodes de travail, la technique a soumis le salarié à un rendement et à des exigences toujours plus élevés. La division du travail, qui part pourtant d’une bonne idée, a, plutôt que de permettre au salarié d’exceller dans un domaine, rendu ce dernier à l’état de machine. L’homme qui exécute avec automatisme une tâche simple et répétitive. Le salarié est déshumanisé par son travail alors même que la vocation de cet exercice devrait être le contraire. Comme le montre Karl Marx, dans la sphère industrialiste et capitalisme, le salarié perd son identité. Les progrès techniques ont conduit à la marchandisation de l’homme, faisant de ce dernier un outil substituable. A contrario, le développement technique peut également rendre l’homme paresseux et « imbécile », dans la mesure où il lui permet d’en faire toujours moins. Il peut agir sans réfléchir, par habitude, dans les tâches qu’il a à exécuter. Par exemple, avec la domotique et l’invention de nouveaux objets techniques, l’homme n’a même plus besoin de faire certaines tâches ménagères. La notion d’effort se perd progressivement. C’est ce que pense Rousseau qui dit que les hommes s’amollissent à cause du progrès technique. Peut-être serait-il judicieux parfois de prendre du recul vis-à-vis du développement technique, soit pour éviter qu’il nous exploite, soit pour éviter qu’il nous rende paresseux. L’homme doit garder le contrôle de sa technique afin qu’elle ne prenne pas le pas sur sa raison, ou pire encore, qu’elle ne se raisonne pas elle-même. Stanley Kubrick dans 2001, L’odyssée de l’espace nous donne à voir un robot prendre le dessus sur son créateur, l’homme. A l’heure où internet et les smartphones font partie intégrante de nos quotidiens, ce film nous amène à réfléchir sur les réactions que nous pourrions avoir dans le cas où les objets techniques dont nous dépendons cesseraient de fonctionner. En effet, des études montrent que de plus en plus de gens connaissent une dépendance aux smartphones. Bon gré mal gré, nous devons concéder ce fait : la technique structure et commande nos modes de vie ; ce n’est plus nous qui choisissons d’aller vers l’objet technique, mais l’objet qui s’impose insidieusement dans nos vies.
Le développement technique transforme-t-il les hommes ? Telle est la
question sur laquelle nous avons planché. Les propositions développées dans cette étude montrent que le développement technique transforme incontestablement l’homme, tant physiquement, intellectuellement, moralement que socialement. Il transforme également sa vie et sa manière de vivre. Si le développement technique a, avant tout, des répercussions positives sur l’humanité, il peut parfois avoir des conséquences pernicieuses et perverses, voire destructrices de l’environnement et de l’humanité. C’est ce qu’atteste la pollution atmosphérique liée à l’industrialisation massive des moyens de production. On peut aussi évoquer les conditions de travail déplorables engendrées par la technisation des modes de production. Il apparait donc nécessaire de limiter certaines de nos actions, en adoptant une éthique, mais aussi en faisant preuve de bon sens et de raisonnement afin d’éviter que la technique nous assujettisse et nous rende dépendants d’elle. Il est important de garder à l’esprit que le développement technique doit être un vecteur et non une entrave à l’autonomie de l’homme, un moyen et non une fin en soi.