Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Prénom : Fernando
Niveau d’études : M2
1
La troisième Critique comme charnière entre KrV et KpV
La Kritik der Urteilskraft a été publiée par Emmanuel Kant en 1790, après avoir publié
la Kritik der reinen Vernunft –Critique de la raison pure- (1ère Edition en 1781, 2ème en
1788) et la Kritik der praktischen Vernunft –Critique de la raison pratique- en 1788.
Ce contexte est essentiel pour comprendre le « cadre » général dans lequel on devra
situer la troisième Critique, et le rôle structurel qu’elle joue dans l’ensemble du système
kantien, car on ne peut pas comprendre cette œuvre comme un ajout au déjà thématisé
par Kant auparavant, ou comme un cas particulier d’analyse dans le domaine du
jugement esthétique et téléologique. Mais quel est le rôle de cette troisième Critique ?
Qu’est-ce qu’il y a à dire après KrV et KpV ?
Un peu plus tard, nous rappelle Kant que, à la base de cette distinction se trouve la
différentiation entre le phénomène et le noumène, de telle façon qu’il n’existe pas une
double réalité, mais une seule qu’on peu considérer en tant que phénomène (c’est la
2
tâche de l’entendement, qui opère en utilisant des concepts) ou en tant que réalité en soi
(de laquelle s’en occupe la raison, qui opère en utilisant des idées).
Kant a beau nous offrir cette distinction et affirmer l’indépendance de chaque sphère par
rapport à l’autre, il nous demande de considérer ces sphères comme ne pas étant isolées
l’une de l’autre, mais comme étant liées par un pont qui est tendu sur l’abîme ouvert
entre le théorique et le pratique, entre la nature et la liberté, entre l’entendement et la
raison. Ce pont (Brücke), qui constitue, selon Kant, un terme moyen (Mittelgleid), est le
Jugement. Voyons comment s’opère la transition entre les deux sphères, à la fin du
paragraphe qu’on vient de traiter :
Ratifiée la nécessité d’une concordance, nous dit Kant dans le §III de ce même Prologue
que la transition entre l’entendement et la raison (faculté de connaitre et faculté de
désirer, respectivement) est la faculté du Jugement, basée dans le sentiment de plaisir :
3
« [le Jugement] réalise aussi une transition entre la faculté pure de connaitre, c’est-à-
dire, de la sphère des concepts de la nature à la sphère du concept de la liberté, de la
même manière que dans l’usage logique fait possible la transition de l’entendement à la
raison. »
Martínez Marzoa1 insiste sur le fait que la nécessité d’une transition ou d’une continuité
entre les deux sphères de la raison ne peut pas être comprise comme une exclusion
matérielle, étant donné que celle-ci, comme frontière, est toujours franchissable :
« Qu’on ne puisse pas passer de l’un à l’autre seulement peut être compris si l’un et
l’autre ne sont pas des parties, mais que chaque parmi eux peut embrasse tout contenu,
même si, dans un des cas et dans l’autre, le mode de présence est différent. »
C’est précisément ce point zéro qui est pris en compte par Eagleton dans son analyse sur
la troisième Critique quand il en déduit qu’on habite, alors, dans ce point zéro, qui n’est
qu’une aporie : « Ce n’est pas, comme le croit Kant, qu’on bouge dans deux mondes
simultanés, mais incompatibles, mais que notre mouvement à travers les arènes
1
Felipe Martínez Marzoa. Desconocida raíz común.
4
fantasmatiques de la liberté nouménique, soit précisément la reproduction d’un
esclavage phénoménique. Le sujet ne vit pas dans deux mondes divisés et distingués,
mais dans l’intersection aporétique des deux, où la cécité et l’intuition, l’émancipation
et la soumission, sont mutuellement constitutives. »
Mais revenons à Kant : de quelle cause ou principe est-il en train de parler ici, et qui
résulte nécessaire dans le système pour agir comme clé du même ? On retourne au §IV
de la troisième Critique : « ce principe ne peut pas être que le suivant : que comme les
lois générales de la nature ont sa base dans notre entendement, lequel les prescrive à la
nature (…) doivent être considérées selon une unité pareille, comme si un entendement
(même si ce n’est pas le nôtre) les avaient également données pour nos facultés de la
connaissance, pour rendre possible un système de l’expérience selon les lois
particulières de la nature. »
La question, maintenant, est la suivante : qui est cet entendement capable de créer une
telle connexion ? Même si dans le texte de la KU n’est pas explicitement dit, on peut
faire appel à d’autres textes où il nous semble que la pétition d’une telle concordance
n’est que la pétition de l’idée de Dieu : « En admettant que la loi morale pure oblige
inexorablement à tous comme un impératif (et non plus comme une règle de la
prudence), celui qui agit droitement peut dire parfaitement : je veux qu’il y ait un Dieu,
que mon existence dans ce monde soit (…) une existence dans un monde de
l’entendement pure et, finalement, que ma durée soit aussi infinie, j’insiste sur ce point
et je n’accepte pas qu’on m’enlève cette foi, parce que c’est la seule chose où mon
intérêt –parce que je ne dois pas faire un pas en arrière par rapport à lui- détermine
inévitablement mon Jugement, sans faire attention aux subtilités, même si je ne suis pas
5
dans des bonnes conditions pour y répondre ou pour y opposer d’autres plus
plausibles ».2
En fait, Eagleton souligne que l’expérience esthétique chez Kant semble plutôt le reste
d’une aventure mystique, le résidu d’un événement religieux duquel on est privés dans
un monde de plus en plus colonisé par la raison.
Quels sont les enjeux de cette nostalgie qui se plaigne de la perte de la possibilité d’une
concordance entre des parties disjointes ?
1.- La possibilité d’une connaissance vraie : l’entendement impose ses lois à la nature
mais il faut que ces lois-là concordent avec les lois de la nature pour qu’on puisse
obtenir une connaissance vraie.
2.- La possibilité de la moralité : Kant affirme que la moralité n’a pas de sens sans la
possibilité de l’existence du Souverain Bien, qui est ce qui englobe le bonheur et la
moralité. C’est-à-dire, c’est nécessaire que la coïncidence entre ce qui est voulu par
notre liberté et ce qui est disposé dans le monde par les lois de la nature, existe.
Kant définit le bonheur3 comme « l’état d’un étant rational dans le monde, pour lequel
tout va selon son désir et sa volonté dans l’ensemble de son existence et, alors, se fonde
dans la coïncidence de la nature avec la finalité de cet étant, et aussi avec le motif
déterminant essentiel de sa volonté [la liberté] ».
Au-delà du problème que ce deuxième point met en lumière dans un domaine pratique
(considérer les mandats de la loi morale au même temps comme des mandats divins, et
2
Emmanuel Kant. KpV. « Dialectique de la raison pratique », chapitre VIII).
3
Op. Cit.
6
faire de l’impératif catégorique un impératif « hypothétique » - pour la consécution du
Souverain Bien-), peut-on accepter ce présupposé qui clore le système kantien ?
1.- Le non-lieu attribué à l’esthétique par Kant dans son système : ni théorique, ni
pratique, le domaine de l’esthétique reste dans l’intériorité d’un « ni…ni » duquel Kant
affirme son indépendance absolue des régions entre lesquelles elle comparaît mais
desquelles, il exige une certaine autonomie. Derrida nous dit4 :
Kant semble vouloir dire, alors, deux choses contradictoires à la fois : qu’il faut
extraire le moyen terme comme partie séparable, opérer le partage de la partie,
mais aussi qu’il faut réunir le tout en reformant le lien, la connexion, la re-
annexion de la partie aux deux grandes colonnes du corpus [théorique et
pratique].
2.- La faille dénotée par le parergon. Derrida nous dit que la présence de ce cadre qui
constitue la troisième Critique est l’indice de la faute de laquelle souffre l’ergon même,
c’est-à-dire : la trace de l’impossibilité de saturation du système kantien.
4
Toutes les citations, sauf si on indique le contraire, appartiennent à la traduction espagnole de la vérité
en peinture (« La verdad en pintura ») sur laquelle on a travaillé. (Traduction de Fernando López
Rodríguez).
7
critique du jugement téléologique. C’est seulement dans la première partie que la
déduction n’aura pas la clarté et la distinction (Deutlichkeit) qu’on aurait le droit
d’attendre d’une connaissance conceptuelle.
- Le parergon n’est pas une partie intégrante de l’ergon (de l’œuvre) mais il a une
limite avec : « la touchent, la poussent, la serrent contre elle, ils cherchent le
contact, ils exercent une pression dans la frontière. » Ce n’est pas, alors, un
décor ou un ajout.
- « Le parergon inscrit quelque chose qui s’ajoute, extérieur au champ propre (…)
mais dont l’extériorité transcendante ne vient pas jouer, faire limite avec, frôler,
se serrer contre la limite même et intervenir dans le dedans mais dans la mesure
où le dedans maque. Il manque de quelque chose, il manque de soi. »
8
d’éléments qui ne sont pas strictement rationnels, comme c’est le plaisir propre à
l’expérience esthétique, pour la fermeture catégorielle d’un système, lui,
rationnel ? Ce qui les fait être parerga n’est pas simplement son extériorité
d’excédent, mais le lien structurel interne qui les figent au manque intérieur de
l’ergon.
On suit Derrida dans son analyse de la troisième critique, une fois mise en lumière la
fonctionne fondamentale de la troisième Critique, pour examiner l’importation du cadre
catégoriel de la KrV faite par Kant pour élaborer l’Analytique du Beau. Derrida
explique cela de la façon suivante :
9
jamais ce cadrage, ni la contention qu’il impose à un discours constamment
menacé par le débordement.
Après avoir défini le cadre catégoriel qui sera employé par Kant dans son analyse du
jugement esthétique, et en ayant compris le lieu « structurel » que la troisième Critique
joue dans le système et les difficultés théoriques inéluctables que cela implique, on
passe à observer la définition du Beau par Kant dans son Premier Moment, c’est-à-dire,
selon la qualité :
« Intérêt » veut dire ici pour Kant, intérêt pour l’existence de l’objet : ce qui est
important dans l’expérience du Beau n’est pas l’objet auquel on attribue la propriété de
la beauté mais l’expérience que celui-là engendre en moi, de telle manière qu’il me
permet constater l’harmonie existante entre mes facultés. L’objet dit beau dans
l’expérience de la beauté, reste absent : il est important seulement dans la mesure où il
est le déclencheur d’une expérience subjective, en constituant, ainsi, le factum de
l’expérience du Beau pour Kant, ce qui Martínez Marzoa appelle « la présence d’une
racine commune » préalable à la séparation des deux sphères de la Raison, racine
commune pour laquelle il n’y a pas et il ne peut pas y avoir de concept.
5
KU. §5
10
construit, alors on aura découvert que la présupposée beauté reposait, en
réalité, dans un faux truc.6
Il s’agit, alors, d’un processus d’auto-affectation dans lequel l’objet beau, pour le dire
comme ça, n’y peut rien sauf dans la mesure où, comme on a déjà dit, il permet au sujet
de constater l’harmonie existante entre ses facultés :
L’affect purement subjectif est provoqué par ce qui est considéré comme
Beau, ce qu’on dit qu’est Beau : dehors, dans l’objet indépendamment de
son existence. Mais, que veut dire existence pour Kant « Etre présent,
selon l’espace et le temps, comme chose individuelle : selon les
conditions de l’esthétique transcendantale.
6
Felipe Martínez Marzoa. Desconocida raíz común. Chapitre V: “Raíz común y lo bello.” Traduction
Fernando López Rodríguez.
11
2.- Le Jugement de Goût selon la relation.
La finalité semble être comprise ici comme cette harmonie interne de la chose qui,
cependant, ne présente pas le principe d’organisation qui la préside : c’est-à-dire, si on
visualise la finalité comme une ligne dont un des extrémités serait la fin, on devrait nous
représenter cette ligne comme étant « coupée » dans un point quelconque, de telle
manière que la fin ne soit pas présente pour qu’une expérience du Beau se produise.
7
KU. §17.
12
de cette finalité conceptualisable, nous dit Kant, la beauté ne pourra pas être libre, mais
adhérente. Cette coupure pure (sans reste, sans concept) ne peut pas être un objet de
connaissance et, donc, la science ne peut pas en faire un discours, de telle façon qu’un
certain non-savoir est nécessaire pour qu’il y ait une expérience de la beauté (libre) : il y
a seulement expérience du beau pendant qu’un discours sur le beau reste impossible.
Les relations entre peinture et philosophie chez Jacques Derrida dans son œuvre La
vérité en peinture constituent un ensemble de différentes stratégies qui vont de
l’illustration au discours et à l’envers pour constater, parfois l’écart entre les deux,
parfois ce que la peinture fait à la philosophie des auteurs examinés, mais aussi pour
déterminer que l’analyse des tableaux est souvent chez les philosophes une stratégie
pour confirmer ses propres théories sur des sujets pas nécessairement esthétiques.
Comme on l’a vu chez Kant, l’objet artistique devient important pour les philosophes,
parfois, dans la mesure où il sert d’appui aux penseurs pour développer quelque chose
d’autre.
14
KrV KU KpV
Entendement Raison
Causalité Liberté
15
BIBLIOGRAPHIE
Jacques Derrida.
Terry Eagleton. La estética como ideología. Capítulo III: “Lo imaginario kantiano”.
Madrid. Editorial Trotta, 2006.
Emmanuel Kant.
16