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PHILOSOPHIE MORALE
LA LIBERTÉ SELON KANT
Nous aborderons la liberté chez cet auteur par 8 strates parce qu’il n’est ni
univoque, ni homogène et peut faire l’objet de plusieurs lectures. Delbos, Philonenko
ont très tôt souligné l’ambiguïté du concept kantien de liberté et l’incohérence
apparente de ce concept. On montrera d’abord qu’il y a bien une tension entre
différents sens de la liberté chez Kant, et derrière ces 8 sens il y a sinon une
cohérence, sinon une univocité, ou du moins une construction logique qui préside à
l’examen de ces 8 statuts de la liberté. Nous montrerons aussi qu’il y existe malgré
tout une logique. Nous aborderons ces 8 strates dans un ordre croissant d’intensité du
concept. Le 8ème sens, fondamental pour les 7 autres, qui fait office de racine
originaire commune, la liberté fondamentale, première ou originelle, dont Kant traitera
assez tardivement dans La religion dans les limites de la simple raison. Ces 8 sens
peuvent s’enchainer selon une vue transversale au système.
Le concept de liberté est un des plus difficile à cerner, pas simplement au sein de
la philosophie morale de Kant, mais aussi précisément quand on prend en vue
l’ensemble du système kantien, c’est sans doute ce concept de liberté qui apparait le
plus polyvalent et qui subit au sein de ce système le plus de métamorphoses. Si on
lisait Kant et son concept de liberté depuis le système hégélien, dialectiquement, on
pourrait dire qu’il n’y a pas tant des statuts de la liberté que des métamorphoses, c’est
à dire des passages dynamiques ; on pourrait montrer qu’il n’y a pas tant de
contradiction mais une évolution entre eux, entre ces 8 figures de la liberté, qu’il faut
entendre la façon dont ces 8 figures s’engendrent de manière dynamique. Le procédé
historique de l’écriture du système accompagne et sous-tend la doctrine kantienne de
ces 8 figures de la liberté. On verra d’ailleurs que Kant s’attache à enchaîner deux
voire trois figures de cette liberté. Incontestablement nous avons affaire à l’un des
concepts les plus complexes de son système : à cela s’ajoute que selon les oeuvres et
selon le moment de conception de ces oeuvres, la liberté prend un sens différent. De
plus, à l’intérieur d’une même oeuvre, la liberté peut revêtir différemment sens.
8 statuts de la liberté :
I. Le premier, le sens le plus large et le plus impropre, le plus général, c’est la
liberté comme passion naturelle ou comme tendance innée inscrite dans la nature de
l’homme et de ce fait ce manifesterai dès l’état de nature – l’état de nature chez Kant,
comme chez Rousseau, n’est qu’une fiction : l’hypothèse d’un état de nature a une
fonction heuristique qui doit révéler les propriété de la société civile. Aucun des deux
auteurs ne le considère comme un état primitif.
III. Le troisième sens est que la liberté ne serait qu’une hypothèse ou une
supposition pour la raison théorique pure, mais que cette dernière ne parvient jamais à
prouver dans sa réalité objective, dans son existence réelle ou effective – real ≠
wirklich. La liberté est une hypothèse produite par la raison pure théorique ou
spéculative mais qu’elle
ne parvient jamais à
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établir l’existence de manière objective. C’est ce statut qui nous intéressera le plus
longuement. Il est susceptible d’être décrit négativement, mais aussi positivement en
en faisant une idée transcendantale comme le fait Kant dans la première critique, dont
l’objet reste théoriquement problématique c’est à dire seulement possible pour la
raison connaissante.
IV. Le quatrième sens est que la liberté apparait comme principe régulateur que la
raison pure pratique postule, c’est à dire suppose nécessairement en vue de ses
propres fins pratico-morales. La liberté devient alors pour la raison pure pratique
nécessaire et seulement subjectivement. La loi morale, en tant que fait rationnel aura
pour fonction de remplir la mission que la raison théorique n’a pas pu remplir, celle de
prouver la liberté.
VI. Le sixième sens est qu’on peut distinguer dans la liberté une liberté plus
fondamentale comme capacité de choisir entre la loi morale et son contraire, c’est à
dire la loi de la nature. Ce sens de la liberté, le plus faible, la capacité de choisir entre
le bien et le mal, entre la loi morale et la loi de la nature, ou la liberté comme capacité
de choisir entre le bon et le mauvais pratique est sans doute la liberté la plus obscure,
la plus insondable.
Cette variété de points de vue sur la liberté explique que la doctrine kantienne de
la liberté est put être jugée non seulement obscure, car il y manque l’unification d’un
seul sens fort de la liberté, mais même elle fut jugée contradictoire. Delbos et
Philonenko ont soulevé les tensions inhérentes au concept kantien, concept que Kant
n’a cessé de remanier et requalifier à la fois dans son sens et son statut – Victor
Delbos, La philosophie pratique de Kant, p.192 - 193
On peut voir trois aspects de la liberté chez Kant. Le premier appartient aux
couches les plus anciennes de la Critique de la raison pure et évoqué dans le chapitre
du Canon de la Raison Pure quand il distingue un troisième sens de la liberté au sens
faible, la liberté pratique au sens où elle constitue l’objet d’une expérience empirico-
psychologique, une expérience interne. C’est ici le seul texte où il affirme que la liberté
est une affaire d’expérience. Le second sens c’est la liberté comme idée
transcendantale et/ou la liberté comme idée cosmologique, ce qui occupe Kant dans la
troisième des quartes antinomies de la Critique de la raison pure, et il désigne par là
une causalité non pas comme celle qu’on connaît ordinairement, la causalité naturelle
mais son opposé : la liberté est une causalité intelligible, nouménale. Enfin, le
troisième sens qui se dessine est celui au sens fort et positif d’autonomie morale,
entendu au sens de pratique au sens fort, la liberté comme obéissance du vouloir au
fait pur de la loi morale.
Kant a évolué, sa doctrine a été remanié au sujet des deux statuts de la liberté
civile. Il existe deux grands stades. Le premier en 1793, dans Théorie et Pratique,
2ème section (période contemporaine de la Terreur en France), où il distingue trois
droits fondamentaux — qui définissent le status civilis (condition civile) de l’homme —
ou plutôt des fondements ou principes à priori ou conditions de possibilité et légitimité
pour tout droit de l’homme possible ; à la racine, un triangle formé de la morale, l’idée
de droit et l’idée d’humanité, donc l’idée du droit de l’humanité, droit inné naturel, donc
a priori, originaire ou fondamental qui s’attache à la nature de l’homme, son essence,
que Kant appelle la liberté. Cette liberté se fragmente en trois droits de l’homme qui
concerne le droit civil à l’intérieur de l’état, sorte d’escalier qui va de la liberté au droit
positif : du plus proche
de la liberté, le
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plus fondamental, c’est la liberté des hommes ; ensuite vient l’égalité des sujets
(l’égalité est bien un attribut du sujet) ; et enfin vient l’autonomie des citoyens actifs.
On a trois binômes qui forment la structure ou le tronc de la doctrine kantienne du
droit. — Ne confondez surtout pas la Liberté qui est au niveau de la racine ; la
liberté des hommes qui consiste à choisir librement son propre bonheur, un
droit de choisir librement les modalités de son bonheur ; et la liberté des
citoyens actifs qui consiste à élaborer les lois civiles de l’état ou du moins à y
participer indirectement. Les branches qui partent de ce tronc sont les droits de
l’homme et du citoyen, c’est les branches du droit positif, qui sont d’un nombre indéfini.
Le second stade en 1795, dans le Projet de Paix perpétuelle, il maintient se
schéma en introduisant une différence, qui intervient au niveau 1, le niveau de
transition entre la liberté et le tronc, au niveau de la liberté des hommes. On retrouve
donc les trois droits fondamentaux, on garde les deux derniers — égalité des sujets et
autonomie des citoyens actifs — mais change la liberté des hommes en liberté civile.
Pour lui, « la liberté des hommes dans le choix de leur propre bonheur » est un terme
trop ambigu et trop proche du « droit au bonheur » et l’appelle donc droit de liberté
civile, c’est à dire le droit d’obéir aux lois civiles auxquelles on a donné son
consentement. Ce que veut dire Kant, c’est que l’expression de 1793 étant trop
ambigu, on la remplace par quelque chose de plus restreint, mais il y a quand même
une continuité : la liberté d’obéir aux lois est compatible avec le choix de votre
bonheur, car on peut choisir de réaliser son bonheur en obéissant aux lois (mdr). Kant
est l’un des derniers à confondre société civile et État, comme le faisaient les
Lumières ou Hobbes ou Locke. En revanche, Hegel distinguera pour la première fois
de façon nette et définitive, la société civile bourgeoise et l’État — staat.
trois principes ne sont pas tant déjà des lois qu’on pourrait trouver dans un état déjà
construit mais sont des principes d’après lesquels toute loi de l’état peuvent voir le
jour. Il n’y a pas d’État républicain possible si le législateur n’inscrit pas dans la
Constitution, la loi fondamentale de l’état, ces trois droits là. En effet Kant considère à
partir de 1793 et même encore en 1795 et jusque dans la Doctrine du Droit que ces
trois droits là fonde la possibilité même de tout État. Dans la Doctrine du Droit, il
considérera la liberté, l’égalité et l’autonomie comme les trois principes fondamentaux
à priori de la citoyenneté.
Le premier droit, la liberté des hommes, c’est la capacité qu’on les individus non
pas d’être heureux mais de choisir librement le bonheur qui leur convient, ce n’est pas
un droit au bonheur mais un droit de choisir librement l’idéal de l’imagination que
chacun en tant qu’homme peut se donner à lui-même comme bonheur. Attention ce
n’est pas un idéal régulateur de la raison mais c’est un idéal de l’imagination. Ce
premier droit c’est simplement d’imaginer librement l’idéal d’imagination qu’est le
bonheur, mais rien ne garantit ni dans les lois civiles ni dans la Constitution le bonheur
des hommes. En effet, pour Kant, la pire des choses serait, quand on est chef de
l’État, de vouloir garantir aux hommes un droit au bonheur car cela supposerait que le
Souverain lui-même devrait être en mesure de le garantir selon une formule unique ou
uniforme qui serait sa propre définition du bonheur. Il entrevoit ici le danger suivant : si
on admettait dans l’état un droit au bonheur, cela signifierai que le Souverain pourrait
dicter aux hommes leur bonheur, ou la façon dont ils devraient être heureux. En
d’autres termes, le Souverain pourrait s’immiscer dans la vie privée des sujets et leur
dicter la façon d’être heureux. Il serait immanquablement un despote paternaliste. Pour
Kant il n’y a pas de droit au bonheur parce que la porte serait grande ouverte au
paternalisme despotique.
il est dit que tous les sujets sont égaux en droits. Cette égalité devant la loi n’est pas
incompatible avec une grande inégalité de conditions. Kant n’est pas favorable à un
système égalitariste, qui nivellerai, uniformiserai les conditions de vie des sujets. Il n’y
a cependant pas de privilège qui puisse se transmettre héréditairement, il est contre la
transmission héréditaire des privilèges. Dans l’état républicain tel que le conçoit Kant,
on a l’idée d’une promotion au mérite. Il n’est pas opposé aux privilèges, ni à
l’acquisition de nouveaux privilèges (tant qu’on le mérite), mais à la transmission
héréditaire de ces derniers. Il dessine donc une république méritocratique où tous les
sujets sont invités par leurs efforts propres à acquérir des privilèges. La formule de
l’égalité de tous face à la loi, égale soumission des sujets à l’autorité des souverains.
liberté de pensée en général, la liberté d’avoir des opinions. Elle est selon Kant
l’unique palladium des peuples, de porte bonheur ou de vêtement protecteur pour le
peuple et qu’il n’y a pas d’état possible sans celui-ci. Toutefois, cette liberté de pensée,
si elle est en elle même illimitée, la liberté de s’exprimer peu être bornée ou
relativement bornée, on ne peut pas tout dire. On ne peut pas, par exemple, faire
appel à l’insurrection ou à la désobéissance au souverain législatif en place, ce qui
serait contraire à l’idée même du droit. L’expression ne peut pas être licencieuse, mais
la pensée doit être absolument libre. La liberté de pensée n’est pas l’ennemi du
souverain au contraire, le souverain doit s’en nourrir. Le souverain législatif a tout
intérêt à écouter les critiques et les doléances que cette liberté de pensée permet, car
elle est aussi une liberté d’exercer son esprit critique, pourvu que cette liberté de
pensée s’exprime dans l’enceinte du « public » das publikum ou le public instruit— à
ne pas confondre avec das volk, le peuple. Par ailleurs maintient fermement que, en
vis à vis de cette liberté de pensée, est contrebalancé un autre principe fondamental à
la philosophie politique de Kant qui est le principe absolu d’obéissance au souverain,
loyalisme envers l’autorité souveraine en place, en particulier le souverain législateur.
Kant pose comme piliers de l’état républicain le refus du droit de résister juridiquement,
de résister au nom d’un droit, et la défense d’une liberté de pensée absolue. Ces deux
piliers vont de pairs, aucun ne peut être supprimé au profit de l’autre. Le refus du droit
de résistance, et non pas de la résistance attention, il était élogieux envers la
Révolution Française de fait en tant qu’événement, mais au niveau du droit ce n’est
pas légitime, ce n’est pas la même chose que d’accorder un fait de résistance et
d’accorder un droit de résistance. Si il le fait, c’est au nom simplement d’une
cohérence logique, et métaphysique, qui est que si l’on accordait à un peuple un droit
de résister, si l’on inscrivait dans la constitution, loi fondamentale de état, un droit de
résistance, cela signifierai que le droit lui-même reconnaitrai la possibilité dans
certaines circonstances, que le droit lui-même soit suspendu et cela est selon Kant
contradictoire : le droit ne peut pas inscrire dans un de ses textes à suspendre sa
propre validité, ne peut pas inclure sa propre suppression. >>> article sur le droit et le
fait de résistance. A propos de l’exécution de Louis XVI, Kant dira que ce qui est
contradictoire, c’est un procès en bonne et due forme qui prétende d’exécuter le
souverain qui est la source du droit au nom du droit — qui plus est, n’est plus le droit
en place et n’atteint pas le roi puisqu’il ne l’est plus de facto — cela revient à retourner
le droit contre sa propre source. En d’autres termes, Kant considère que si le
souverain, à un moment donné de son règne, procède contre les lois, alors le peuple
peut faire entendre ses plaintes et a même intérêt à le faire, mais en aucun cas le droit
juridique de résister au souverain en rigueur ne peut être donné au peuple. Et même
dans le cas où le souverain procèderait contrairement aux lois, où il agirait contre la loi
dont il est lui même auteur, qu’il deviendrait illégal, alors
• Théorie et Pratique : « le sujet peut bien opposer des plaintes, mais à cette injustice il ne
serait opposer quelque résistance en acte. Il ne peut même pas y avoir dans la constitution un
article qui permettrait à un pouvoir de l’état, au cas où le chef suprême transgresserait la loi
constitutionnelle, de lui résister et par conséquent de lui imposer des bornes … . Contre le
législateur suprême de l’état, il n’y a point d’opposition légale du peuple … ; il n’y a donc
pas non plus de droit de sédition, encore moins un droit de rébellion … . La résistance contre
la législation souveraine ne peut jamais être considérée que comme illégale et même comme
anéantissant toute la constitution légale. Car, pour qu’on soit autorisé à la résistance, il
faudrait qu’il existe une loi publique permettant cette résistance du peuple, c’est à dire il
faudrait que la législation suprême comprenne en soi une détermination d’après laquelle ne
serait pas suprême … . Un changement de constitution vicieuse de l’Etat peut bien être
parfois nécessaire, mais ce changement ne peut être accompli que par le souverain lui-même
par une réforme et non par le peuple, c’est à dire par révolution, et si cette révolution a lieu,
elle ne peut atteindre que le pouvoir exécutif mais non le pouvoir législatif »
• La liberté de pensée, c’est à dire la liberté d’exprimer des opinions politiques
éventuellement critiques et de tous les droits de l’homme le plus sacré et le plus
inviolable, p. 288 : « Il faut accorder aux citoyens, et cela avec l’autorisation du souverain
lui-même la faculté de faire connaitre publiquement son opinion sur ce qui, dans les décrets
de ce souverain, lui parait être une injustice à l’égard de la chose publique, car admettre que
le souverain ne puisse pas même se tromper ou ignorer quelque chose, ce serait le
représenter comme un être gratifié d’inspirations divines et supérieur à l’humanité
[Rousseau, Le Contrat Social, un législateur ne serait être parfait]. La liberté d’écrire,
dans les limites du respect et de l’amour de la constitution sous laquelle on vit, … telle est
l’unique palladium des droits du peuple » palladium : du grec « palladion » désignait un
objet sacré à la garde duquel est liée la survie et le salut de la cité.
• Doctrine du Droit, VRIN p. 201 - 205 : « il ne peut y avoir de résistance active permise,
mais au contraire une résistance négative, c’est à dire un refus du peuple au parlement
consistant à ne pas consentir aux exigences que le gouvernement avance … »
questions :
- la résistance/rébellion peut elle se réclamer d’un droit qui n’est pas un droit de
rébellion ? la résistance peut être elle inscrite dans le droit comme résistance à …
quelque chose de précis ? au niveau de la loi morale, de la moralité kantienne, que dit-
il de la résistance ? « le crime le plus grave et le plus condamnable » n’est-il pas celui
de la part du souverain de nier le peuple en tant que la république est une res public
(corruption, fraude électorale ou trafic des scrutins) ?
Les différentes libertés civiles reconnues par Kant, quelque soit la manière dont il
les formule, convergent vers une seule et même aspiration qui est la liberté de pensée.
En effet, que ce soit la liberté des hommes de choisir leur bonheur ; qu’il s’agissent de
la liberté civile au sens le plus faible c’est à dire obéir tout simplement aux lois
auxquelles on a donné son assentiment ; ou qu’il s’agisse de la liberté comme
autonomie des citoyens actifs s’exprimant à travers l’art d’élaboration de la loi, font
signe vers la liberté de pensée, qui fait signe elle même vers une liberté plus radicale,
la liberté du penser, au sens philosophique du terme par soi même c’est à dire au
moyen de sa propre raison ou son prendre entendement. Cette liberté du pensée ce
mue en liberté du penser et constitue un des deux piliers de la république kantienne
(l’autre étant l’obéissance à la constitution politique).
• Théorie et Pratique, AK VIII p. 305 : « Dans toute république doit régner une obéissance à
la constitution politique selon des lois de contrainte, mais en même temps un esprit de liberté
[dans la pensée et dans l’expression] … L’obéissance sans l’esprit de liberté donne
prétexte à toutes les sociétés secrètes »
investi par Kant à partir de 1785. La philosophie de Kant est une philosophie
d’autonomie. On remarque que sapere aude est à l’impératif, on pourrait même dire
que c’est un impératif catégorique moral, même si Kant, curieusement, dans la
Doctrine de la Vertu et dans le tableau des devoirs, il ne mentionne pas la liberté de
penser comme un impératif catégorique.
Cet impératif catégorique du sapere aude, si on l’interprète comme un impératif
catégorique moral nous enjoint à mobiliser tous les efforts possibles pour nous
arracher nous même à tout état de servitude volontaire qui nous maintient non pas
simplement dans l’obscurité mais aussi dans l’obscurantisme, un âge où l’humanité ne
peut pas accéder au savoir. Cette servitude rejetée par Kant consonne avec ce qu’il
appelait « despotisme paternaliste ». Cette effort d’Aufklärung entendu dans son sens
dynamique, est nécessaire pour sortir de cette espèce de léthargie de l’homme qui se
contente de penser sous tutelle de façon paresseuse, car tout être humain est destiné
à l’autonomie.
« ’’sapere aude’’ est le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise
des lumières. [devise qui nous demande de mobiliser une vertu courageuse, capable de
nous arracher à la lâcheté confortable et paresseuse de l’état de tutelle, synonyme,
d’état d’obscurantisme] Si la plus grande partie et de loin des hommes tiens ce qui
affranchis de la tutelle très pénible … » Les tuteurs s’emploient à surveiller et à
s’assurer que les hommes restent dans l’obscurité. « Il est difficile à chaque homme pris
individuellement s’arracher à l’état de tutelle devenue pour ainsi dire une nature [seconde] «
aussi peu nombreux sont ceux qui ont réussi à se dépêtrer par le propre travail de leur esprit de
l’état de tutelle et à marcher malgré tout d’un pas assuré.»
Par conséquent Kant considère qu’il y a toujours des l’histoire des individus
moralement plus élevés que d’autres, qui font oeuvre de façon géniale et nouvelle
d’une raison ou d’un entendement autonome. Eloge de la vocation universelle du
genre humain à ce qu’on peut appeler éthique du penser autonome. « Pour ces
lumières, il n’est rien requis d’autre que la liberté, et la plus inoffensive parmi tout ce qu’on
nomme liberté à savoir celle de faire un usage public de sa raison … . L’usage public de sa
raison doit toujours être libre, il faut que cet esprit de libre critique soit préservé [libre et sans
limite] » pourvu qu’on appelle pas en acte à une rébellion, et cet usage est infini pourvu
qu’il s’effectue par le public instruit.
questions :
Syndicats ??
« En tant que savants en revanche qui, par des écrits, s’adressent au public proprement dit,
c’est à dire au monde, le prêtre [soldat fonctionnaire] jouit dans l’usage public de sa raison
d’une liberté illimitée de se servir de sa propre raison. » Penser comme les autres, penser
sous tutelle ou penser comme la majorité, c’est toujours un signe de paresse, de
lâcheté, et au fond de faiblesse, tandis que penser par soi-même, objet d’un impératif
catégorique moral, suppose d’endosser courageusement une responsabilité
individuelle, suppose d’accepter et d’embrasser volontairement un processus
d’émancipation qui nécessite vertu et force. Penser par soi même nécessite de
s’arracher à la tutelle confortable et d’entrer de soi-même dans le public éclairé faisant
un usage public de la raison. Il faut aujourd’hui se libérer, et se libérer complètement,
de toutes les tutelles qui pouvaient venir subjuguer les hommes. Cet esprit de liberté
critique et ce goût pour une autonomie de la raison (auto-canonique) se propage
d’abord à l’intérieur du cercle restreint des savants ; mais ensuite, ce mouvement
d’Aufklärung doit s’étendre au peuple, pour qu’à terme, il devienne aussi éclairé. Grâce
à ce médium, cet intermédiaire qu’est le public instruit, les lumières doivent se diffuser
dans le peuple, qui doit faire sien également ce travail d’émancipation. Pour Kant,
l’aufklärung favorise le libre usage illimité de l’esprit critique et plus généralement de la
liberté de pensée, du moins en ce qui concerne l’usage public de notre raison, jouit
d’une liberté illimitée. Au contraire de cette devise des Lumières, la devise de
l’obscurantisme est de penser comme la majorité, voire de penser sous la tutelle
d’autorités, et cela témoigne donc d’une paresse, lâcheté, de servilité, et au fond d’une
faiblesse. Penser par soi même n’est pas simplement la vocation naturelle de la
raison, mais c’est aussi celle de l’Homme en tant qu’être raisonnable, c’est un devoir
de l’homme envers lui-même qui implique, comme tous les devoirs moraux, du
courage et qui fait de la vertu une force courageuse. Face à la paresse, il existe un
rempart qui résistera toujours à cette inclination naturelle, c’est le rempart du public
instruit, qui finira toujours par se libérer du joug sous lequel une autorité peut être tenté
de le maintenir. La voie du despotisme éclairé c’est préserver cet unique palladium de
la liberté de penser par soi-même.
Ainsi pour Kant l’esprit de liberté intellectuelle, liberté du penser, liberté critique,
est le goût d’user de façon autonome de sa propre raison et de l’instituer en instance
auto législatrice ; c’est à dire au fond ce gout pour la philosophie au sens large, au
sens où le philosophe est un législateur de la raison, puisqu’il énonce les lois que la
raison elle même se donne — gesetgaber — cette liberté du savant, s’adressant au
public éclairé est l’indice d’une liberté sans limite, c’est même un droit et un devoir
pour le savant que de dénoncer publiquement, par ses écrits, les dysfonctionnements
dont il peut être témoin
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• « Un tel contrat qui serait conclu pour tenir à jamais le genre humain à l’écart de toute
nouvelle lumière est purement et simplement nul et non avenu (…) ce serait un crime contre la
nature humaine [priver la raison humaine de toute possibilité d’autonomisation], dont la
destination originelle consiste précisément en cette progression [des Lumières, des savoirs et de
la liberté de penser par soi même] (…). Empêcher qu’une époque ne voie l’humanité
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Liberté de conscience morale : Kant vise par là de façon politique toutes les
tutelles qui prétendent nous donner des normes en matière morale, religieuses,
politiques ou idéologiques. Se soumettre à leur joug, c’est toujours faire preuve de
paresse, mais aussi de lâcheté. Dans ces cas de figures, chaque fois que l’on renonce
à notre liberté de penser en tant que liberté de conscience morale, entendue sous la
figure particulière de la conscience morale, en réalité, on subit ce que Kant appelle « la
crainte angoissée du danger d’un examen propre ». Le mot d’examen renvoie à une
pratique connue dans la culture piétiste, l’examen de conscience où le croyant doit
comparaitre lui même devant sa propre conscience morale comme devant un tribunal
intérieur — examen : examen = la balance, la pesée. Chaque fois qu’on est dans la
crainte d’ériger son propre tribunal intérieur, chaque fois qu’on redoute d’obéir au seul
juge de notre conscience morale, notre loi morale en nous, alors on fait preuve de
lâcheté et de paresse. Tout examen de soi en conscience, doit être une confrontation
à cette autonomie de sa raison pure pratique. Penser par soi-même c’est trouver en
soi la loi morale pour chercher à s’y conformer dans un scrupuleux examen de soi-
même. Ce réseau sémantique de l’examen de soi, du « scrupuleux » examen de soi,
de la descente aux enfers dans l’intériorité de la conscience morale, du tribunal
intérieur … perdurent chez Kant de ces années 1784, puis 1785 dans les Fondements
de la Métaphysique des Moeurs et trouveront leur aboutissement dans la Doctrine de
la Vertu du 1797. Ce que Hegel critiquera à travers l’idéal de l’examen de conscience
n’est pas tant la morale telle que stipulée par Kant que la lecture qu’en font les
romantiques (notamment Fries).
Le socle commun de ces trois sens, c’est que la liberté est toujours obéissance à
une loi, à sa loi évidemment, mais toujours l’obéissance à une loi. Définir la liberté
comme le pouvoir de faire tout et n’importe quoi indépendant de sa propre loi est un
contresens, même pour le sens commun. La liberté est toujours déjà l’obéissance à la
loi, et pas n’importe laquelle, la loi de sa raison propre. Il ne faut pas entendre raison
comme raison singulière, mais la raison universelle du moins sensée être universelle,
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pas la raisons engoncée dans la certitude absolue de soi. Le point commun, c’est
l’équation minimale de liberté = autonomie. Dans cette définition de liberté comme
autonomie, la raison est donc soumise à sa propre loi, de sorte qu’elle échappe à toute
hétéronomie. Kant fera un raisonnement à l’absurde, en supposant qu’une liberté
veuille se développer sans loi : la conséquence d’une telle liberté, serait ce que Kant
appelle tantôt la licence, tantôt l’anarchie. « La conséquence inévitable de l’absence
déclarée de lois dans la pensée (c’est à dire d’un affranchissement des restrictions provenant de
la raison) est que la liberté de penser en fait finalement les frais » Contrairement à ce que le
sens commun peut d’abord croire, une liberté illimitée finirait inévitablement par se
contredire elle-même et donc par s’auto abolir. Aucune liberté sans le support recteur
de la loi ne saurait se maintenir durablement. La liberté se gaspillerait elle même — cf.
Critique de la raison pratique, Conclusion : chaque fois qu’on manque d’appliquer une
méthode rigoureuse et qu’on se laisse séduire par des trésors imaginaires (panacée
médiévale), on gaspille les seuls vrais trésors qui sont ceux de la raison, notamment
les trésors de la science rationnelle. De même, dans le texte de Comment s’orienter
dans la pensée, l’état de sauvagerie sans loi, passion innée de la liberté, et bien on
gaspille les vrais trésors de la raison, on gaspille l’énergie précieuse de la raison, on
gaspille les forces d’autonomie de la raison. Chaque fois qu’on définit illusoirement la
liberté comme licence, on abolit l’essence de la raison qui est une essence autonome.
Quand la liberté « brise ses entrailles », qu’elle fait un usage d’elle même dérégulée
alors la liberté « dégénérera nécessairement en abus et en une confiance téméraire dans
l’indépendance de son pouvoir à l’égard de toute restriction, en une persuasion de la toute
puissance », abus ici désignant l’anarchie — Canon de la raison pure, distinction entre
conviction et persuasion : la persuasion est purement subjective, croyance subjective,
appelée par Hegel la certitude absolue de soi ; la conviction est quand la persuasion
subjective est également objective, quand le bien fondé de la certitude est dans la
chose, la conviction est universelle ou du moins universalisable. Ce que montre Kant,
c’est que cette liberté licencieuse d’anarchie n’est pas seulement ruineuse dans la
sphère politique, mais elle est plus ruineuse encore quand elle affecte la raison
spéculative ou théorique elle même. Ici il fait allusion à la Critique de la raison pure,
Dialectique transcendantale de 1781 où il montrait que la témérité de la raison
dérégulée, cette hubris de la raison métaphysique dogmatique, telle qu’on la trouve
chez Platon, Descartes ou Spinoza, ces figures s’abstraient du réseau sémantique
de la raison autonome comme tribunal qui doit se donner à elle-même ses lois. Il
donnait trois exemples de ces raisonnements dits sophistiques, fallacieux, qui
relevaient d’une logique dialectique de l’apparence : d’abord les antinomies, puis les
paralogismes et enfin les idéaux mal compris, qui illustrait cette dérégulation
licencieuse d’une raison qui n’est plus autonome. La raison ne doit jamais désobéir à
sa propre loi, en particulier ne doit jamais désobéir aux lois de la connaissance
légitime énoncées dans la Critique de la raison pure, mais non plus aux lois pratico-
morales qui sont les siennes. « Si l’on retirait en effet aux lois morales toute leur force
comme mobiles du coeur, et si l’on retirait même toute leur autorité … alors on ferait naître le
mode de pensée qu’on nomme licence de la pensée » On a licence ou anarchie dès que la
raison abandonne son essence de tribunal auto institué. Ainsi, « la liberté dans la pensée
finit par se détruire elle-même quand elle va même jusqu’à procéder indépendamment des lois
de la raison … ne déniez pas à la raison ce qui en fait le Souverain bien sur la Terre … »
L’anarchie tue la liberté, loin de la magnifier.
Dans la suite du texte, il faut percevoir que Kant vise ironiquement certains de
ses contemporains qu’il qualifie souvent de « prétendus géniaux », philosophes qui
prônent une philosophie du sentiment immédiat ou de l’intuition intellectuelle, que
Hegel critiquera aussi, en les appelant les philosophes romantiques du sentiment ou
de l’intuition,
qui sont notamment
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autonomie de la raison doit être entendue en son sens le plus large, théorique et
pratique, et désigne simplement l’institution de ce tribunal à l’égard d’elle même, la
prescription de la raison de sa propre loi, et rejoint l’entreprise du criticisme : faire de la
raison objective et universelle en soi l’aune de toute vérité.
Questions :
G. Chamayou, libéralisme comme extrême liberté économique et autoritarisme social
Ainsi, la liberté du penser ne peut que faire les frais de toutes les formes
d’anarchie et de désordre, de toute forme de licence absolue, morale, religieuse,
théorique ou intellectuelle. Lorsque donc ces pseudos philosophes de génie prétend
s’abstraire de toute règle de penser, en réalité il corrompt la philosophie elle-même et
n’obéit plus qu’a son inspiration subjective, ou individuelle, et sombre alors dans
l’exaltation de la Schwärmerei — forme de folie, délire, revendication de penser
indépendamment des lois universelles (Swedenborg) qui nous enferme dans la
singularité de nos propres mondes individuelles. Loin d’être une pensée en dialogue,
ouverte, la Schwärmerei plus rien ne vient limiter la raison de l’extérieur, et comme
celle ci ne se donne à elle même aucune loi, elle ne peut que se replier sur un monde
singulier, proprement incommunicable à autrui. Et c’est cela le danger le plus grand
pour Kant, le fait qu’elle soit incommunicable — Rêves d’un visionnaire, 1766 :
idios cosmos, monde singulier contraire au monde commun, partagé, monde
singulier non
La liberté de penser ne peut jamais se délier de toute entrave, elle ne peut faire
l’économie de toute limite, elle ne peut jamais faire fi de la légalité, en particulier de la
sienne propre. Sinon, si elle s’émancipe de toute loi et devient raison licencieuse, alors
elle n’est plus qu’expression d’une passion naturelle innée, liberté sauvage, et nous
fait régresser à l’état de nature, état d’indépendance absolu vis à vis de toute loi.
Distinguer donc l’anarchie, état politiquement construit dans le refus de la loi, et l’état
de nature qui est ante juridique. Quand la liberté de penser se transmue en licence ou
en anarchie, en indépendance absolue, que ce soit pour la Schwärmerei, dans les
formes politiques d’anarchie, la réponse de l’Etat ne peut être que la répression. En
effet, à vouloir défendre une liberté illimitée, sans loi et dérégulée, on en réalité détruit
la seule vraie liberté sous la loi (en nous), détruit la possibilité même de l’autonomie.
Par conséquent Kant substitue ici à la maxime licencieuse des pseudos philosophes
romantiques du génie, et surtout au schwarmer, l’impératif catégorique moral des
Lumières, penser par soi-même en se soumettant aux lois universelles de la rationalité
que la philosophie critique, en tant que tribunal de la riions à l’égard d’elle même, a
pour but de démontrer.
• « L’État invitera ses sujets tacitement … à le conseiller, ce qui signifie qu’il les
autorisera à parler librement et publiquement sur les maximes générales concernant la
conduite de la guerre et la conclusion de la paix … . On ne doit pas s’attendre à ce que les rois
se mettent à philosopher [on ne doit pas espérer que les souverains se fassent eux-même
des savants ou des philosophes membres du publicum ] ni que des philosophes deviennent
rois ; ce n’est pas non plus désirables … . Mais que des rois … ne permettent pas que la classe
des philosophes disparaisse ou devienne muette et [ que les rois] les laissent au contraire
s’exprimer librement, voilà qui est aux uns comme aux autres indispensable pour apporter de la
lumière à leurs affaires »
Les souverains n’ont rien à craindre du public dans la mesure où il est le lieu de
l’universel, le public ne peut former de kabbales, ne peut pas conspirer, il ne peut y
avoir d’actes de propagande puisque chacun y pense dans le but de l’universel, pas
d’intérêt personnel en jeu. On peut trouver par anticipation ce que Hegel appellera le «
service de l’universel », la fonction publique, ce qui à certain moments de notre
histoire, nous hisse au niveau du public instruit. Le public instruit est totalement
incapable de s’organiser en kabbales ou en factions partisanes puisqu’il est au service
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Pour Kant donc, ce publicum est donc indispensable au peuple mais aussi au
souverain, aux gouvernants pour gouverner mieux et sans craintes des kabbales,
factions partisanes ou propagande. Les savants et les philosophes ne sauraient jamais
constituer des factions, et par conséquent il n’y a aucun risque de renversement
émanant du public. C’est pourquoi Kant substitue à l’idéal platonicien de la
République, administrée par un roi philosophe, l’idéal d’un prince éclairé non pas parce
qu’il serait lui même membre du public, mais l’idéal d’un prince éclairé par son public.
Idéal d’un Prince à l’écoute des savants et philosophes, soucieux de préserver leur
liberté d’expression et de penser et qui ne doit redouter d’eux aucune kabbale. Parfaite
connivence et intimité entre rois et philosophes, sans que l’un et l’autre se confondent.
Kant va donc conclure, tirer de cet idéal une conclusion plus large concernant en
général les rapports entre le droit politique d’une part et la morale de l’autre, doctrine
du lien entre la morale et la politique. Si la politique était incompatible avec la morale,
de fait et de droit, elle se réduirait à un art prudente, et ne pourrait jamais s’élever à
une forme de sagesse.
• « S’il n’existe pas de liberté, ni de loi morale fondée sur elle, et si tout ce qui arrive ou
peut arriver résulte d’un pur mécanisme de la nature, dans ce cas la politique (en tant qu’art
d’utiliser ce mécanisme pour le gouvernement des hommes) constitue la pure sagesse pratique
et la notion de droit n’est qu’une idée dépourvue de toute réalité »
Kant pense, à l’opposé de cette hypothèse qu’un accord comme science politique
comme sagesse et la liberté morale est possible, et le lieu de cet accord idéal entre la
morale et le droit politique, c’est la personne du souverain. Idéalement, un souverain
doit être autant un politique qu’un être moral. En effet, Kant se représente ce qu’il
appelle un « politique moral », c’est à dire un homme qui conçoit les principes de la
politique comme conciliables avec la morale. Ce politique moral, idéal régulateur,
souverain éclairé (se laissant éclairer par la liberté du penser de son public autonome)
serait aux antipodes d’un « moraliste politique », (real politiker) un politique qui plierait
la morale à ses propres fins. Selon Kant, c’est la morale qui doit être rectrice en
politique, et non pas assujetties par les buts de la politique. Il prône une articulation
des deux, mais cette adéquation, osmose entre morale et politique ne se fait qu’à la
condition que la morale reste rectrice et que la politique vienne en second. Ce
moraliste politique serait un homme qui « se fabrique une morale à la convenance des
intérêts de l’homme d’état », un homme qui plie l’éthique à la pragmatique et fait valoir
ses intérêts d’individu sur l’intérêt général. Une politique morale n’a comme but que
l’intérêt général.
Il serait absurde de séparer les hommes entre ceux « mûrs pour la liberté » et
ceux qui ne le seraient pas, à un moment donné. Pour Kant il n’existe pas de degré de
maturité de l’humain quant à la liberté. Quand un homme dit d’un autre qu’il n’est pas
mûr pour la liberté, ou ne mérite pas encore d’en jouir pleinement, c’est qu’en réalité il
nourrit un dessein secret de le maintenir en esclavage ou de l’assujettir, par intérêt
personnel. En d’autres termes, la maxime qui veut que certains hommes ou peuples
ne seraient point encore mûrs pour être mis en liberté, c’est une maxime qui n’a
aucune sens et est même la plus cynique qui soit, puisqu’elle recèle une volonté
purement pragmatique d’assujettir l’homme ou le peuple en question. En effet, pour
Kant il n’y a pas de divers degré pour la liberté, ni non plus de seuil, ni qualitatif ou
quantitatif, à partir duquel l’homme puisse entrer dans la liberté. Pour Kant, l’homme
est toujours déjà mur pour la liberté, il nait d’emblée par nature libre. Pour Kant, nul ne
peut s’octroyer le droit de juger ceux qui méritent d’être libres et ceux qui ne le
mériteraient pas encore. Nul ne peut assigner certains hommes à la servitude, à
l’obscurantisme et à l’esclavage et assigner au contraire d’autres à une maturité pour
la liberté. Par conséquent nul homme ne peut fixer la date à laquelle un individu ou
peuple deviendrait digne d’être mis en liberté. C’est toujours faire un faux procès à un
être humain de lui reprocher de ne pas être encore mûr pour la libération ou pour la
liberté comme processus d’émancipation. Cela serait dire que certains ne seraient pas
près aux Lumières. La liberté est pour Kant toujours déjà là — Introduction à la
Doctrine du Droit idée d’un droit de l’humanité, droit qui s’attache à priori de façon
innée et naturelle à l’humain, droit au contenu unique qui est la liberté — Kant s’en
prend aux contre révolutionnaires, notamment deux théoriciens contrerévolutionnaires,
Gentz et Rheberg, deux ennemis de la Révolution française : ils considèrent que le
peuple français ne seraient pas encore mûrs pour la liberté. C’est une formule absurde
pour Kant puisque la liberté est un droit inné et inaliénable.
CONCLUSION
La conviction
qui traverse autant le
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domaine juridique que théorique de Kant, il s’agit de penser en liberté, parce que la
liberté appartient non pas simplement l’essence de la rationalité mais à l’essence de
l’humanité, en tant qu’idée d’une personne raisonnable ou morale. La liberté du penser
est constitutive et de la nature de l’homme, et de la nature de sa raison. Il ne dépend
pas des hommes, ni comme individus ni comme peuple d’abroger en eux la liberté ni
d’en priver autrui. Kant a donc produit dans ces quatre textes les linéament d’une
autonomie de la liberté de la pensée, auteur d’une éthique du penser autonome qui
nous fait un devoir de penser par nous même, par notre propre raison et ce par un
usage public de notre rationalité. Ainsi la liberté du penser comme Selbständigkeit de
la raison dans tout ses usages, comme droit et devoir d’émancipation, fonde toute la
philosophie kantienne et pas uniquement sa philosophie pratique, entendue au sens
juridicopolitique ou au sens moral. La liberté c’est la clé de voute de tout le système
philosophique kantien, capable de réunifier la partie théorique et la partie pratique,
parce qu’elle a à la fois un visage transcendantal (Idée de la raison pure théorique) et
pratique.
Par conséquent, deux niveaux donc, au niveau nouménal l’homme est libre il a
en lui une causalité intelligible libre qu’il ne peut que penser sans contradiction logique,
mais qu’il ne peut jamais connaître ni donc prouver au moyen d’une rationalité
théorique. De l’autre, au niveau empirique, en ce qui concerne le caractère
phénoménal de l’Homme en tant qu’il obéit à une loi de causalité phénoménal,
l’homme est entièrement déterminé par des lois de causalité naturelle, déterminisme
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universel. Kant admet non pas que la liberté existe mais admet du moins que la raison
peut et doit penser sans se contredire une idée transcendantale de liberté, i.e une idée
transcendantale d’une causalité et d’une loi de causalité indépendante du
déterminisme naturel qui régit les phénomènes du monde sensible.
1.Thèse :
Dans les
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« … il faut donc admettre une causalité d’après laquelle quelque chose arrive sans que la cause
en soit déterminée plus haut encore par une autre cause antérieure selon des lois nécessaires »
— « admettre une spontanéité absolue des causes ayant la vertu de commencer par elle-même
une série de phénomènes …, par conséquent, [il faut admettre] une liberté transcendantale sans
laquelle, même dans le cours de la nature, la série des phénomènes ne serait jamais complète du
côté des causes »
« Il n’est pas nécessaire de pouvoir répondre à la question de savoir comment une telle faculté
[la liberté comme capacité à agir spontanément] est possible » — « … il faut que nous nous
contentions d’admettre a priori qu’une causalité de ce genre [libre] doit être admise … .
Puisque la faculté de commencer tout à fait spontanément une série dans le temps a été une fois
prouvée [par Leibniz à un double niveau], il nous est permit aussi maintenant de faire
commencer spontanément sous le rapport de la causalité [libre] diverses séries de phénomènes
dans le cours du monde et d’attribuer à leur substance la faculté d’agir par liberté. »
Ici Kant admet la validité de cette antithèse et en limite la validité. Il partage l’idée
avec des empiristes qu’il est risqué de suspendre la validité des lois naturelles, cela
serait le risque d’abolir la nature ; l’enjeu ici c’est que si on admet une liberté
transcendantale dans le monde, la nature cesserait d’être connaissable. En même
temps, Kant travaille le texte en le tirant vers sa propre philosophie critique puisqu’il
reconnait que la liberté transcendantale ne saurait exister dans le monde, mais elle
peut exister dans un monde intelligible. Si la liberté transcendantale existe, c’est dans
le monde nouménal. Mais Kant va ajouter et reconnait, à la différence des empirico-
sceptiques, que cette liberté transcendantale est capable néanmoins de produire des
effets dans le monde naturel phénoménal. Nous sommes capables de poser dans le
monde des actes phénoménaux en tant que causes intelligibles libres, ces actes sont
les actes moraux (dont on ne peut pas trouver la cause dans le sensible). Ces actes
sont à la fois phénoménaux et non explicables phénoménalement. C’est la fécondité
de cette puissance transcendantale de liberté que Kant va reconnaitre et qui le
distingue des partisans de l’antithèse.
Kant distingue ici plusieurs sens de la liberté (sans encore le sens pratique) :
d’abord la liberté empirico-psychologique qu’il appellera au chapitre du Canon de la
Raison Pure « la liberté pratique au sens faible d’indépendance du pouvoir de choisir »
qu’on peut expérimenter en soi au titre d’une introspection psychologique intérieure
(Descartes, libre arbitre d’indifférence). Ensuite, la liberté transcendantale ou
cosmologique, non conditionnée empiriquement, empiriquement inconditionnée,
causalité spontanée. Cette causalité spontanée n’est pensable qu’au niveau du monde
intelligible, et si elle a une réalité elle n’est que nouménale. Enfin, le troisième pôle qui
s’esquisse ici, c’est le sens de la liberté pratique. Kant n’en parle pas trop mais fait
jouer en tension les deux premières. Il rappelle que la dimension transcendantale de la
liberté est si difficile à appréhender qu’elle reste une énigme insoluble pour toute
philosophie théorique, puisque la liberté comme telle est inconnaissable et
improuvable par la Raison théorique.
Mais en même temps Kant ouvre vers le champ pratique en montrant que si elle
n’est pas prouvable théoriquement, elle est requise, exigée, elle est un besoin de la
même Raison. C’est là que se noue ce que Kant appeler plus tard dans la CRPrat en
1788 le postulat de la raison pure pratique. Les trois postulats (liberté, immortalité de
l’âme et existence de Dieu) ne sont pas tant des postulats pour la raison pratique
(dans leur contenu ils sont apportés par elles) que pour la raison pure théorique. Kant
fait tout ça parce que s’il n’admet pas une liberté dans le phénoménal, les actes
moraux se retrouveraient impossibles. Contre les sceptiques : cette liberté a une
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efficience sur les actes moraux, contre les empiriques : on ne peut cependant que la
postuler.
CONCLUSION
Kant fait jouer plusieurs sens ici de la liberté : d’abord le sens transcendantal,
puis empirico-psychologique, et enfin la liberté pratique au sens fort, liberté
d’autonomie morale. L’argument que produit Kant pour autoriser hors du monde
phénoménal une liberté transcendantale résulte de l’argument de Leibniz. La
cosmologie leibnizienne prétendait prouver l’origine première du monde. Kant dit que
si admet le raisonnement leibnizien pour le monde lui même rien ne nous empêche de
l’appliquer à certains phénomènes du monde lui-même qui sont les actes moraux.
L’argument est le suivant : si on peut admettre au commencement du monde une
liberté transcendantale (Leibniz = dieu) une liberté première qui soit un pouvoir d’initier
le monde qui ne soit pas déterminé par des causes sensible antérieures, on doit par
aussi admettre une telle puissance transcendantale de liberté dans le monde pour
expliquer les actions morales des hommes. Ce qui vaut pour le commencement du
monde doit valoir pour la suite du monde, et ce qui dans cette suite relève de la
moralité. Toute fois on ne peut admettre cette extrapolation à un double
dédogmatisation : pas empirique, seulement intelligible, elle puise sa cause dans
l’intelligible, cause transcendante au monde sensible ; puis on doit reconnaitre à cette
cause libre une efficacité dans le monde sensible des phénomènes et reconnaitre que
c’est une source possible d’actes vertueux.
La liberté transcendantale dont Kant admet la simple possibilité logique ouvre sur
le champ pratique doublement. D’abord, la première porte ouverte par Kant de la
liberté transcendantale vers la liberté pratique, c’est la petite porte du Canon de la
Raison pratique en admettant une liberté pratique de sens faible, empirico-pratique,
empirico-psychologique, qui s’avérera en 1788 une fausse liberté. Mais il ouvre une
seconde porte quand il dira que la liberté transcendantale est le socle de la liberté
pratique au sens fort, anticipant ici sur l’autonomie. Elle annonce d’une part le Canon
et la liberté empirico-psychologique, et d’autre part, la grande porte donc, la liberté
pratico-transcendantale, mixte autonomie et spontanéité liées par l’indépendance, qui
deviendra la clé de voute du système.
Par conséquent les deux questions que se pose la raison à savoir si une liberté
transcendantale existe et si elle existe comment est-elle possible, comme elle produit
ses effets. Ces deux questions restent sans réponse, en tout cas dans le cadre de la
critique de la raison théorique. En tout cas, pour la première critique, même dans la
seconde édition le statut de la liberté transcendantale reste problématique, la liberté
transcendantale comme spontanéité n’est que possible ou douteuse, on ne peut pas
en établir la preuve par l’expérience. Juste sans elle la morale est impossible du coup
il faut fortement la postuler. La première critique n’affirme encore ni la nécessité
pratique du postulat ou de la supposition de la liberté transcendantale, et elle n’affirme
pas d’avantage le possibilité réelle d’une telle liberté transcendantale. Si ni la nécessité
pratique, ni la possibilité réelle de la liberté transcendantale ne sont reconnus, c’est
tout simplement la possibilité de la liberté transcendantale qui est reconnu, elle est
logiquement pensable sans contradiction. Toutefois, cette moindre possibilité logique
permet à Kant néanmoins d’avoir une solution critique non seulement à l’antinomie de
la liberté et de la nécessité, au conflit thèse dogmatique et antithèse empirico-
sceptique ; mais plus généralement indique la voie de la solution critique de toutes les
antinomies de la raison pure, et cette solution réside dans deux niveaux de réalité, le
monde nouménale
et le monde
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phénoménal. Cette solution de synthèse est sensée pacifiée durablement les partisans
de la métaphysique dogmatique et de la métaphysique empiriste. Il veut réconcilier la
thèse et l’antithèse puisqu’il va puiser dans l’une comme dans l’autre des vérités. Kant
hérite de la thèse et de l’antithèse et les épure chacune de leur éléments de fausseté.
La liberté pour Kant n’est pas le contraire de toute loi de causalité : peut-être elle est
elle même une loi mais intelligible, nouménale. Kant appellera plus tard cette loi de
causalité intelligible la loi morale — FMM et CRPrat. La liberté peut coexister avec le
déterminisme naturel sans introduire la moindre perturbation dans le processus de ce
dernier. La liberté transcendantale et la nécessité naturelle sont compatible.
Superposition des deux mondes, naturel et moral, sans perturbation réciproque des
deux causalités qui leur sont propres.
« Cette liberté ne doit pas être considérée de manière négative comme un indépendance
vis à vis des conditions empiriques … , mais on peut aussi la caractériser de manière positive
comme une faculté de commencer d’elle même une série d’événements [spontanéité] … . Par
conséquent, toutes deux peuvent avoir lieu indépendamment l’une de l’autre et sans être
troublées l’une par l’autre … Cette antinomie repose sur une simple apparence et la nature n’est
pas du moins en contradiction avec la causalité libre »