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Aristote

Métaphysique, Lambda VI
« On peut se demander si la philosophie première est une science universelle, ou bien si elle traite d’un
genre unique et d’une seule nature. […]
S’il n’y avait pas, outre les substances qui ont une matière, quelque substances d’une autre nature, la
Physique serait alors la science première. Mais s’il y a une substance immobile, c’est cette substance qui est
antérieure aux autres, et la science première est la philosophie. Cette science, à titre de science première, est
aussi la science universelle, et c’est à elle qu’il appartiendra d’étudier l’être en tant qu’être, l’essence, et les
propriétés de l’être ont tant qu’être. »
Aristote, Métaphysique Epsilon 1

Ce texte montrer de quelle façon la présentation de la philosophie première marque une tension : si la
philosophie première peut occuper cette position singulière et privilégiée, c’set dans la mesure où elle accède
à une universalité à laquelle les autres sciences ne sauraient atteindre, mais aussi où elle pose et atteint des
objets qui jouiraient d’un statut d’absoluité.
Se déployant comme ontologie, elle ne porte plus sur « l’étant en tant qu’il est déjà cet, mais sur tout étant
en tant qu’il est tout court et en général : sur ce qui […] le considère du point de vue de ce qui l’amène à
être, en tant qu’étant ».

Un discours ne peut prétendre au statut de science qu’à la condition de porter sur un genre d’étant
déterminé et pour lui seul : on reconnaît une science à sa limitation qui circonscrit son domaine
d’investigation.
Le discours scientifique est celui qui étudie en vue de connaître les causes ; la philosophie première se
différencie de toutes les autres sciences particulières en ce qu’elle se présente comme un aboutissement du
projet d’une science unique embrassant la totalité de ce qui est sous la connaissance des causes.
À la différence des autres connaissances théoriques, la science qui étudie l’être en tant qu’être traite des
choses par ce qu’elles sont et non par leur mouvement ou leur fonction.
C’est la recherche du principe de toutes choses qui lui donne son caractère d’absoluité.
Elle se distingue en ce qu’elle examine les objets de toutes les sciences sous leur aspect le plus général et
par ce qu’ils ont en commun, c'est-à-dire le seul fait qu’ils sont.

La philosophie première, « science des premiers principes et des premières causes », est redéfinie en
Gamma 1 comme « science de l’être en tant qu’être ». D’une cosmologie potentielle désignable sous le terme
de science des premières causes, on passe à une détermination ontologique de la philosophie première.
L’essentiel est de comprendre que la philosophie première définie comme « science de l’être en tant
qu’être » vise d’abord à poser la thèse que l’être n’est pas un genre.

L’être n’a pas de genre, il concerne l’étant en son entièreté et coïncide avec une universalité méta-
générique commune à tout étant. Mais s’il n’a pas de genre, c’est parce qu’il n’est donc lui-même aucune
sorte d’étant et ne se laisse circoncire par aucune détermination générique.
Le terme même d’être se dit en plusieurs sens car il y plusieurs façons d’être quelque chose et il y a une
propriété qui se distingue de toutes les autres : c’est la prédication selon la substance.
En tant qu’elle n’est pas un sujet, la substance désigne une certaine façon d’exister de façon indépendante
et en tant qu’elle n’est pas dire d’un sujet, elle est le référent ultime du discours.
La substance devient alors la notion fondamentale à partir de laquelle définir l’être de ce qui est : être
c’est être substance ou quelque chose de la substance. La science de l’être en tant qu’être sera la science de
l’être en tant que substance.

À partir de ce discours sur l’être envisagé du point de vue de la substance, Aristote pose la question de la
philosophie première, abordée cette fois en Métaphysique E 1, à partir de la hiérarchisation des différentes
sciences théorétiques : si toute science considère son objet à partir de son principe, la science première ne
serait-elle pas une science qui obtient sa dignité ou son éminence du fait de porter sur certains étants
spécifiques ?
En ce cas, la métaphysique serait bien cette philosophie première recherchée en tant qu’elle porterait sur
un être distinct et supérieur à tous les autres en commençant par un rappel de la tripartition des substances.

Lambda 1, « les seuls candidats évoqués pour le titre de substance immobile sont les substances
suprasensibles (ou intelligibles) de l’ontologie académicienne, à savoir les Formes (ou Idées) et les objets
mathématiques. »
Or, pour Aristote, ni les formes ni les objets mathématiques n’existent à l’état séparé, de sorte qu’ils ne
sont même pas des substances : les formes sont des principes des substances, alors que les objets
mathématiques sont obtenus par abstraction.

L’enjeu : justifier l’existence d’une philosophie première, distincte d’une philosophie seconde. Mais
comment démontrer l’existence de cette substance qui n’est pas seulement éternelle mais aussi immobile,
quoique toujours en acte ?

Le présent passage montre que c’est la causalité efficiente qui constituera la bonne voie et non plus la
cause formelle.

L’éternité du mouvement a déjà été établie en Physique VIII : il y a des choses qui se meuvent, lesquelles
ont été engendrées, ou bien sont éternelles, de sorte que, dans le premier cas, nécessairement un mouvement
les a fait venir à l’être et, dans le second, il est quelque chose qui aurait dû les faire sortir du repos.
Ce qui qualifie les substances naturelles, objet de la physique, c’est le fait de posséder par soi une
capacité de mouvement, et il ne serait dès lors pas possible que quoi que ce soit devienne s’il n’existait pas
des termes qui échappent au devenir et lui donnent forme en l’encadrant autant que possible.

« En outre, dès lors qu’il existe du devenir et du changement, il est nécessaire qu’il existe aussi une limite
car aucun changement n’est imii mais tout changement tend vers une fin » (Lambda 1).
Poser donc la nécessité d’une cause motrice ou efficiente, c'est-à-dire celle du premier Moteur immobile,
directement responsable du mouvement du monde dit sublunaire.

L’argumentation est déductive : si nous ne voulons pas affirmer la corruptibilité de toutes choses, il faut
donc nécessairement affirmer l’existence d’une substance éternelle et immobile. Mais, dans la mesure où une
telle substance est nécessairement et complètement imperceptible, cela revient à dire aussi qu’on doit
démontrer son existence.

Texte : Lambda 1, 1071b 3-32

Aristote entreprend la démonstration de l’existence nécessaire d’un premier moteur immobile,


directement responsable du mouvement astral et indirectement du mouvement du monde sublunaire.
Dans le présent passage, l’auteur soutient qu’il est possible de démontrer l’existence d’une substance qui
serait non seulement éternelle, mais aussi immobile, bien que toujours en acte.
L’enjeu est de taille : expliquer l’éternité du mouvement et par-là la subordination de toutes les substances
naturelles à un autre type de substance, une substance première, ce qui permet en même temps de justifier
l’existence d’une philosophie première, à savoir la « science de l’étant en tant qu’étant » de Gamma, ou la
science « théologique » d’Epsilon.
Comme le dit Aristote à la fin d’Epsilon, s’il n’y avait pas de substance autre que les substances
naturelles, c'est-à-dire mobiles, la physique serait première.
Toute la métaphysique peut ainsi être vue comme la recherche de l’auto-légitimation de la science
exposée en Gamma. Auto-légitimation qu’Aristote croirait enfin trouvée en Lambda.

En dépit d’une certaine ambiguïté de Lambda à propos de la cause finale, le présent passage semble
indique, ne fût-ce que de manière provisoire, que c’est la causalité efficiente qui constitue la bonne voie, à
quoi il faut ajouter les notions modales d’acte et de puissance.

Les seuls candidats évoqués pour le titre de substance immobile sont les substances suprasensibles de
l’ontologie académicienne, à savoir les Formes et les objets mathématiques.
Pour Aristote, ni les formes ni les objets mathématiques n’existent à l’état séparé, de sorte qu’ils ne sont
même pas des substances : les formes sont des principes des substances, alors que les objets mathématiques
sont obtenus par abstraction.

La tripartition des substances consiste, en réalité, en une double dichotomie. Dans notre extrait, Aristote
distingue d’abord les substances naturelles et la substance immobile. Les naturelles sont celles qui possèdent
par elles-mêmes un principe interne de mouvement et de repos (Physique II), le mouvement étant l’acte dum
mobile en tant que mobile, donc un « acte incomplet » (Physique III).
C’est le cas d’abord des corps simples, à savoir la terre, l’eau, l’air et le feu (la nature en est précisément
le principe formel), il s’agit d’un principe de mouvement passif.
Parmi les substances naturelles, seules les vivantes et animées, douées d’une âme, possèdent un principe
de mouvement actif, c'est-à-dire la capacité de se mouvoir (et de s’arrêter ou de se maintenir en repos) soi-
même (Traité de l’âme II-III).
En outre, il ne faut pas confondre immobilité et repos : le second appartient aux substances naturelles
dans la mesure où tout mouvement (passif) se fait vers une condition dans laquelle on peut rester, alors que
l’immobilité est la négation même de la nature entendue comme principe de repos (et de mouvement) passif
(Physique V).
La substance immobile est donc celle qui se trouve hors de la nature, qui échappe ainsi à la juridiction de
la physique.
Parmi les substances naturelles, on distingue deux sortes : les substances, ces mobiles et corruptibles
d’une part ; d’autre part, les substances mobiles mais incorruptibles. Les premières ne sont éternelles que
pour sur forme (Sur la génération et de la corruption II) ce qui revient à dire qu’elles ne connaissent qu’une
éternité par procuration.
En revanche, l’éternité numérique, c'est-à-dire l’éternité à proprement parler, est bien une propriété
commune à certaines substances naturelles et à la substance immobile. Ce n’est que l’immobilité qui
appartient en propre à la substance immobile.
Les substances incorruptibles sont en effet celles qui ne sont pas soumises à la génération et à la
corruption dires « absolues », c'est-à-dire selon la substance.
Concrètement, on distingue ici les substances du monde sublunaire d’une part, et les substances du monde
supralunaire d’autre part.
Aristote affirme qu’une substance non seulement incorruptible, donc éternelle, mais également immobile,
c'est-à-dire non sujette à aucune forme de mouvement ou changement, existe nécessairement, c'est-à-dire que
son existence découle de l’existence des autres.
Mais, dans la mesure où une telle substance est nécessairment et complètement imperceptible, cela
revient à dire aussi qu’on doit déduire son existence.
En effet, cette substance serait dépourvue de toutes les qualités et quantités qui font l’objet de la
perception par soi, qu’elle soit propre ou commune (Sur l’âme II).
L’établissement de l’existence d’une telle substance doit provenir d’un raisonnement déductif, notamment
démonstratif.

« En effet, les substances sont les premiers êtres, et si elles sont toutes corruptibles, tout est corruptible.
Mais il est impossible que le mouvement vienne à être ou disparaisse ». Ces lignes sont censés expliquer
l’existence d’une substance immobile (« En effet »), mais elles décrivent plutôt une conséquence (absurde)
qui découlerait de la corruptibilité (ou non-éternité) de toutes les substances, donc (a fortiori) de la non-
immobilité de toutes.
Il s’agit d’exclure la possibilité que toute chose soit corruptible ; dans ce cas, non seulement il n’y aurait pas
de philosophie première, mais pas non plus de science portant sur les être astraux (Sur le ciel).

L’argument d’Aristote se laisse résumer de la manière suivante :


Si toute substance est corruptible, alors tout est corruptible.
Or le mouvement n’est pas corruptible.
Donc toute substance n’est pas corruptible.

Il s’agit d’un raisonnement déductif en modus tollens. Mais avant d’affirmer qu’il y a un étant non
substantiel éternel, l’auteur doit rappeler que tous les êtres non-substantiels (quantités, qualités, lieux, ect.)
dépendent de la catégorie de la substance. Il ne serait donc pas possible d’invoquer l’éternité de propriétés
accidentelles appartenant à des substances corruptibles.

L’antériorité de la substance sur les autres genre de l’être traverse la Métaphysique. Cette antériorité est
définitionnelle : les êtres autres que les substances dépendent de ces dernières dans la mesure où une
substance appariât nécessairment dans leur formule définitoire, mais non l’inverse.
C’est l’application du teste de la co-suppression : si l’on veut savoir si une chose est antérieure à une
autre, on doit se demander si la suppression de l’une implique celle de l’autre. Sont antérieures toutes les
choses qui peuvent exister sans d’autres, alors que d’autres ne peuvent exister sans elles (A est antérieur à B
ssi A n’implique pas B et B implique A).
La définition des substances ne comporte aucune référence aux autres êtres, alors que la définition de ces
derniers comporte une référence à une substance.
Cette priorité est à la fois logique et ontologique.
Cela dit, pour Aristote, on dit étant de plusieurs manières, bien que tous les étants soient dits étants en
relation à un seul type d’étant, la substance : c’est le pros hen ou l’unité dite focale, à partir de l’expression
de G. E. L. Owen, focal meaning.

Sur la base du principe physique selon lequel il n’y a ni génération ni corruption du mouvement lui-même
(Physique V), Aristote affirme l’éternité et la continuité du mouvement et du temps. L’éternité du
mouvement, établie en Physique VIII. Notamment sur l’augment qui se fonde sur la définition du temps : ce
dernier est le nombre du mouvement selon l’antérieur-postérieur (Physique IV), il présuppose le mouvement,
et si le temps est éternel, il faut que le mouvement le soit.
Ou encore : puisque le temps implique un maintenant qui se place entre le passé et le futur, un premier ou
un dernier maintenant constituerait une contradiction dans les termes, de sorte que le temps serait
nécessairement éternel, ce qui implique l’éternité du mouvement.

Or, le mouvement est une propriété de certaines substances, les substances naturelles. Ce qui définit les
substances naturelles n’est pas le mouvement lui-même, mais le fait de posséder en soi et par soi une
capacité de mouvement (passif). Si une propriété accidentelle est éternelle, il est nécessaire, pense Aristote,
qu’il existe aussi une substance éternelle qui possède éternellement cette propriété éternelle.

Toutefois, au moins deux question viennent à l’esprit. La première : ne serait-il pas possible qu’une chose
ne jamais se corrompe, tout en étant corruptible ? La seconde : qu’est-ce qui empêche que l’éternité du
mouvement soit assurée par différentes substances corruptibles qui se corrompent en succession temporelle ?

Qu’une chose corruptible puisse ne jamais se corrompre, c'est-à-dire qu’on puisse avoir une capacité qui
ne se réalise jamais, cela est explicitement exclu dans Traité du ciel, I où une telle idée est attribuée au Timée
de Platon.
Dans un temps infini, toute capacité doit se réaliser, du moins pour les individus éternels ou pour les
genres éternels d’individus corruptibles ; c’est ce que, depuis Arthur Lovejoy (The Great Chain of Being,
1936), on appelle le « principe de complétude », principle of plenitude.

Quant à la seconde question, Aristote semble ne pas l’envisager du tout : il semble au contraire sous-
entendre la nécessité d’un autre type de mouvement, qui constituerait d’ailleurs la cause motrice de celui des
substances corruptibles.
Malgré l’antériorité de la substance, l’existence d’un concomitant éternel n’impliquerait pas l’existence
d’une substance éternelle dans l’aristotélisme.

« Car il ne peut y avoir ni antérieur ni postérieur s’il n’y a pas de temps » : Aristote semble suggérer que
la distinction entre le couple antérieur et postérieur existe d’abord dans le temps.
« Mais le mouvement n’est pas continu, si ce n’est le mouvement local et, dans le mouvement local, le
mouvement circulaire » : l’auteur procède à une double précision qui concerne la continuité ; la première : la
continuité ne vaut que pour le mouvement selon le lieu, c'est-à-dire le déplacement : il y a une primauté du
mouvement local sur les autres sortes de mouvement.
Seconde : la continuité ne vaut que pour le déplacement circulaire (rotation des sphères célestes),
primauté du mouvement du déplacement circulaire sur les autres déplacement.
Pour Aristote, le mouvement circulaire est le plus simple. Tous les autres mouvements sont discontinus
parce qu’ils se produisent entre opposés : pour la génération et la corruption :être et non-être ; pour la
l’augmentation : grand et petit ; pour l’altération : chaud et froid ; pour le déplacement rectiligne : le point de
départ et le point d’arrivée.
Dans ces cas-ci, il doit y avoir un temps de repos entre deux mouvements contraires, de sorte que, une
balle lancée contre un mur devrait s’arrêter avant de rebondir ; c’est la théorie du repos intermédiaires (quies
media), que Galilée rejettera.
Cette double priorité sert à consister une échelle des substances.

Ensuite, Aristote suggère enfin la nécessité d’une cause efficiente ou motrice éternelle pour le
déplacement circulaire éternel et continu des substances éternelles mais moniales. En effet, jusque-là on était
censé savoir seulement qu’il y a nécessairement des porteurs d’un tel déplacement.

L’auteur sous-entend un principe établi en Physique VIII : le principe selon lequel tout ce qui est mû est
mû par autre chose. Pour Aristote, pas de principe d’inertie (Galilée). Il peut donc déduire du déplacement
circulaire éternel et continu l’existence d’un moteur immobile, pour s’interroger, dans la suite, sur sa nature,
c'est-à-dire sur ce qu’il est.
Une autre idée implicite : refus aristotélicien de l’infini en acte (Physique III), ce qui rend inenvisageable
une régression à l’infini des moteurs.

Même s’il s’agit de capacité active de mouvement, cette capacité peut être de l’ordre du contingent, c'est-
à-dire qu’il n’est pas nécessaire que cette capacité se réalise à tout moment.
Cela paraît donc insatisfaisant pour expliquer le déplacement circulaire éternel et continu des substances
mobiles éternelles. Il faut quelque capacité qui s’actualise nécessairement.

Inutilité de l’hypothèse de substance qui seraient certes éternelles mais dans lesquelles il n’y aurait aucun
principe moteur en acte => Formes platoniciennes.

« De plus, même s’il s’actualise, sa substance ne sera pas puissance, car il n’y aura pas de mouvement
éternel, puisque l’être en puissance peut ne pas être. Il faut donc qu’il y ait un principe tel que sa substance
soit acte ».
Aristote ajoute une condition pour la cause motrice du déplacement circulaire éternel continu des substances
éternelles mais mobiles.
Toutefois, le possessif sa substance semble bien se référer à la « chose qui peut mouvoir ou produire ».
Puisqu’il s’agit d’un possessif, le sens du mot substance semble changer ; on ne parle sans doute plus des
substances éternelles et mobiles en tant que substances, mais d’un principe de ces substances. Il s’agit de
« substance de ». Cette substance dyadique peut être aussi bine la forme que la matière, car la substance
dyadique sera vraisemblablement la forme des substances éternelles mobiles, et cette forme doit être une
âme, qui est aussi un moteur immobile que les êtres animés ou vivants possèdent en eux-mêmes (Sur l'âme
I).
Et comme forme d’un composé, l’âme est acte.
Bref, la cause du déplacement circulaire éternel continu des substances éternelles mobiles est à la fois
forme et moteur, et comme tels acte.

Pour Aristote, dans le cas des êtres éternels, il n’y a pas de différence entre possible et réel/effectif, entre
puissance et acte (Physique III).
Il faut rappeler aussi qu’une possibilité logique correspond toujours à une capacité des êtres, notamment
des substances (Thêta, 4). Il faut pourtant préciser que possible (dunaton) a au moins deux sens : un large
selon lequel il englobe le nécessaire et un sens restreint selon lequel il coïncide avec un type de possible
précis, le contingent, endekhomenon (Sur l’interprétation, 13).
Dans le premier sens, tout ce qui est en acte st aussi en puissance (on peut être ce qu’on est ; autrement,
on ne le serait pas), et cette puissance peut se trouver même dans les choses immobiles.
Bref, ce qui est exclu des êtres éternels n’est donc pas la puissance tout court, mais la contingence, qui
correspond à la capacité, pour un sujet, d’être ou de ne pas être quelque chose.

Aristote ajoute une nouvelle condition pour le déplacement circulaire éternel des substances éternelles
mobiles : « il faut encore que ces substances soient sans matière, car il les faut éternelles. […] Elles sont
donc acte. ». On parle maintenant de substances au pluriel, ce qui pourrait faire penser aux sens monadique/
catégorial du mot, mais on ne précise pas vraiment s’il s’agit des substances éternelles mobiles elles-mêmes,
ou bien de leur forme.

Ce qui doit être sans matière est leur substance, leur forme-moteur, bref, leur âme.
Aristote veut peut-être dire que leur âme, si elle doit être responsable de leur mouvement éternel, ne doit
inclure aucune capacité qui requière comme instrument quelque chose de corporel, contrairement à la
définition même de l’âme en Sur l'âme II.
Aristote entend peut-être que cette âme doit être un intellect censé être totalement immatériel (Sur l’âme
III).

S’il s’agit de l’intellect, il faut peut-être parler de substance ou de substance de au sens de forme.
D’abord, une pure forme non seulement va à l’encontre de l’hylémorphisme habituel d’Aristote ; mais
elle semble même vider de sens les notions de forme et de matière qui sont fonctionnelles : la forme serait en
effet un principe de détermination (d’intelligibilité), alors que la matière, u principe d’indétermination.
Cela s’accord mal avec la définition d’âme, la forme d’un corps capable d’être utilisé comme un
instrument (Sur l’âme II). De toute manière, reste assez mystérieux la manière dont l’âme mouvrait le corps,
dans la mesure où, d’une part, elle est censée être elle-même, immatérielle (Sur l’âme I). De l’autre, que le
mouvement est censé exiger le contact (Physique VIII).

On pourrait se demander si, dans le cas des humains, on a effectivement affaire à une seule substance, ou
bien à deux substances, comme chez Descartes.

En outre, que la capacité intellective puisse se trouver dans trois types différents de substances
(corruptibles/incorruptible mais mobile/incorruptible et immobile) perturbe la série des capacités de l’âme
(Sur l’âme II).
Le Stagirite y établir un ordre entre les différentes capacités vitales : la capacité perceptive ne peut exister
sans la capacité nutritive, mais celle-ci peut exister sans celle-là (végétaux), de sorte que la nutritive est
antérieure à la perceptive. Et Aristote de préciser aussitôt que, pour l’intellect, c’est un autre discours.

Thêta 8 : Aristote donne une explication du mouvement céleste qui semble ne requérir aucun premier
moteur immobile. Il affirme que le soleil, les astres et le ciel tout entier sont sans cesse en acte et qu’il n’y a
pas à craindre qu’ils ne s’arrêtent jamais. Aristote remarque que ces corps ne ressentent même pas de fatigue
à se déplacer ainsi (Sur le ciel II), vu que leur mouvement ne concerne pas la puissance des contradictoires.
Le Stagirite va jusqu’à dire que les corruptibles, comme la terre et le feu, imitent les incorruptibles. Les
corruptibles sont toujours en acte, car ils possèdent le mouvement par eux-mêmes et en eux-mêmes ; bien
tendu, imiter ici n’a certainement pas le sens de se faire l’mule de, mais simplement le sens de reproduire, ou
bien de simuler. Or, le déplacement circulaire éternel continu semble être, ici, une nécessité due à la matière
de telles substances plutôt qu’une action déterminée par un intellect effectuant un jugement de valeur et
souhaitant.

Après avoir établi que les substances-formes-moteurs sont acte ou activité, Aristote se pose la question de
savoir si la puissance est ou non antérieure à l’acte.
Généralement, on est capable de faire quelque chose avant de la faire effectivement, et on peut être
capable de la faire sans la faire.
« Tout ce qui s’actualise a la puissance, mais ce n’est pas tout ce qui a la puissance qui s’actualise »,
puissance ici entendu en son sens restreint, qui désigne uniquement la contingence été exclut donc le
nécessaire.

Or, Aristote a déjà clairement montré, en Thêta 8, que l’acte est antérieur à la puissance. Selon la forme
définitoire, selon le temps et selon la substance.
Il pose la question de l’antériorité. Nul doute, ce qu’Aristote conteste n’est pas le fait que quelque chose
puisse ne pas réaliser une puissance, mais que ce soit toujours le cas et qu’on en déduise ainsi l’antériorité de
la puissance. Pour autant, dans la deuxième partie du texte, il présuppose l’antériorité de l’acte.
La contre-objection d’Aristote ne tarde pas : si la puissance est antérieure à l’acte, rien ne sera, en ce que
la puissance n’implique pas l’acte. La thèse de l’antériorité de la puissance implique une conclusion absurde.
C’est icic contre Hésiode et autre théologiens.

Selon le temps, la puissance est pourtant antérieure à l’acte d’une certaine manière et postérieure d’une
autre manière. La matière est antérieure au niveau de l’individu, car le bois pré-existe à l’oeuvre, de même
que les menstrues et la terre, à l’enfant et à la plante, respectivement.
Mais antérieure dans le temps, à ces choses-là, il y a d’autres êtres en acte dont elles sont venues à l’être :
un être en acte vient d’un être en puissance à cause d’un être en acte.
Et Aristote semble croire que cela implique une identité de forme entre producteur et produit : un humain
vient d’un humain, la plante d’une plante, etc. Il est fondamentalement fixiste et n’envisage pas la possibilité
qu’un humain vienne d’un animal non-humain, encore moins que la vie vienne de l’inerte.

Ces exemples montrent bien la nécessité d’une cause en acte (commun y aura-t-il du mouvement s’il ny’ a
pas une cause en acte ?) et donc l’antériorité temporelle de l’acte, contre les théologiens et les naturalistes,
qui conçoivent la mise en forme du monde sur le modèle de la reproduction des vivants ou de la production
artificielle.
Dans tous ces cas, on présuppose sans s’en rendre compte une cause en acte, comme l’intellect, nous, qui,
d’après Anaxagore, opère une première séparation dans le mélange primordial.
Et sans une cause déjà en acte qui meuve la matière en question, « il n’y aura aucun être ». Mais ces
exemples ne montrent pas pour autant ce qu’Aristote doit montrer à savoir l’antériorité de l’acte pur de la
substance forme-moteur dont il a parlé dans la deuxième partie de l’extrait, ou bien de l’antériorité des
substances mobiles éternelles.
En effet, Aristote ne conçoit pas les substances corruptibles comme les rejetons des incorruptibles.
Aristote doit montrer que l’antériorité selon la substance. Il établit en Thêta cette antériorité de l’acte de deux
manière : une concerne le devenir et les substances corruptibles, l’autre, la relation entre ces dernières et les
éternelles.

La première repose sur 3 arguments : (1) ce qui est postérieur par la génération est antérieur selon la
forme et la substance : l’homme adulte est antérieur à l’enfant, de même que l’humain à la semence — l’un
possède déjà la forme, alors que l’autre, non. (2) Tout ce qui vient à l’être marche bers un principe, c'est-à-
dire vers un telos, un en vu de quoi ; or, la fin est en acte. La puissance étant saisie en vue de cela. Ce n’est
pas pour avoir la vue que les animaux voient, mais ils ont la vue pour voir. (3) La matière est puissance parce
qu’elle peut aller vers la forme, et quand elle est en acte, alors elle est dans la forme, et ce même quand l’acte
est un mouvement.

Mais il y a encore un sens plus important selon lequel l’acte est antérieur selon la substance, et là aussi il
fournit 3 arguments. (1) Les incorruptibles sont antérieurs aux corruptibles quant à la substance, et rein de ce
qui est éternel n’est en puissance, vu que toute puissance est à la fois de chacun des termes contradictoires
(contingence). (2) Aucun des êtres nécessaires ne peut exister en puissance (c'est-à-dire de manière
contingente), en ce qu’ils sont les premiers : s’ils n’existaient pas, rien n’existerait. (3) Aucun mouvement
éternel ne peut être en puissance (contingent) : si quelque chose qui se meut est éternel, il n’est pas quelque
chose qui se meut selon la puissance.

On remarquera que le mot substance a, ici, le sens monadique/catégorial plutôt que le sens dyadique de
forme qu’il avait dans la première série d’arguments. C’est donc une série de substance qu’Aristote
envisage, établie avec une application du teste de la co-suppression.
S’il y a une matière composée d’un cinquième élément dont le mouvement naturel est circulaire et
éternel, on a du mal à voir la nécessité d’une forme-moteur totalement immatérielle pour une telle substance,
encore plus celle d’une première substance motrice immobile.
ensuite, Aristote montrera l’antériorité de l’acte en revenant sur les caractéristiques du mouvement premier, à
savoir l’éternité et la continuité, sur la nécessité d’une substance éternelle porteuse de cette propriété
éternelle et surtout sur son principe dynamique selon lequel il n’y a pas de mouvement sans une cause
motrice. Il suggérera, selon les termes du traité Sur la génération et de la corruption II, que l’alternance de
génération et de corruption des éléments sublunaires dépend du cycle des saisons, qui dépend à son tour du
mouvement du soleil sur l’écliptique et donc du mouvement circulaire ou rotatoire des sphères célestes.

Décidément, la démonstration de l’existence d’un premier moteur immobile censé expliquer l’éternité du
mouvement est mal partie. Aristote a donc du mal à mener à terme son projet de fondation d’une philosophie
première. On pourrait supposer que ce sont ses principes physiques, notamment le principe dynamique selon
lequel tout ce qui est mû est mû par autre chose et celui du repos intermédiaire, qui le condamnent à l’échec.
Il y a cela, mais peut-être aussi des raisons plus profondes à cet échec, raisons qui expliquent à la rigueur
l’adoption de ces principes.
Le noyau de ses difficultés est bien sa conception immatérialité de l’intellect et le rôle qu’Aristote fait jouer à
celui-ci dans l’architecture du monde.

Une idée fondatrice de la philosophie première est celle d’une série des substances. mais, chez Aristote,
on trouve deux séries qui s’accordent mal, qui sont peut-être même incompatibles l’une avec l’autre, en
raison de la place que l’intellect est censé y occuper.
Dans le traité Sur l’âme, le Stagirite établit une série entre les substances animées selon leurs capacités
vitales : par exemple, la capacité nutritive est antérieure à la perceptive, de sorte que la nutritive peut exister
détachée de la perceptive (cas des végétaux selon Aristote).
De fait, on peut procéder en amour ou en aval. E amont, on peut remonter aux quatre éléments
sublunaires, mais à l’éther qu’indirectement ; en aval, on peut aller du toucher, perception première, aux
autres formes de perception et à l’auto-déplacement, mais Arisotte bloque la progression, car pour l’intellect,
« c’est un autre discours ».

En réalité, les choses sont plus compliquées, vu que pour Aristote on ne pense jamais sans des apparitions
; de sorte que chez les humains, l’intellect présuppose la phantasia, qui présuppose à son tour la perception.

De toute manière, Aristote n’est pas dogmatique sur la question de l’immatérialité de l’intellect et donne
un argument dans Sur l’âme III qui est loin d’être dérisoire et meilleur que le fameux chiliogone de Descartes
qui ne prouve aucunement qu’on puisse concevoir sans imaginer, encore moins que l’intellect est
immatériel : l’intensité des perceptibles peut endommager de manière temporaire ou définitive les organes
sensoriels, alors que ce n’est pas du tout le cas avec la compréhension.
En tout cas, l’intellect serait quelque chose qui se situe en aval par rapport à la capacité perceptive qui
définit les animaux. Or, le projet de la philosophie première prétend le situer aussi en amont. La génération-
corruption réciproque des quatre éléments serait postérieure au déplacement circulaire éternel continu des
sphères célestes, lequel requiert une forme)-moteur immobile, qui serait un intellect, et une substance
première éternelle et immobile, elle aussi un intellect.

Mais pourquoi Aristote a-t-il besoin de telles formes-moteurs et d’un premier moteur immobile ?
Cela peut-être à une caractéristique de la « science de l’étant en tant qu’étant » exprimée en Gamma 3.
Cette science est censée fournir aussi les principes du raisonnement, notamment le principe de non-
contradiction, le premier des principes. Tout se passe comme si ces principes dépendaient de l’existence
d’une pensée éternelle toujours en acte.
C’est donc la volonté de faire coïncider, dans une telle substance, la substance première de la série des
substances, et par là le fondement de la pensée humaine, avec la cause motrice première du mouvement des
phares célestes qui aurait poussé Aristote à procéder à la démonstration de son existence à partir de l’éternité
du mouvement céleste en Lambda 6-8.
C’est encore cela qui l’aurait conduit à concevoir une substance aussi étrange que les visants ou animaux
éternels qui tournent perpétuellement, qui semblent sortis de la vielle « théologie grecque ».

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