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BOUDJEMA 11810650

Naïm

La religion parfaite est une psychose

La logique hégélienne lue au prisme de la psychanalyse


INTRODUCTION

La logique de Hegel est une logique du signifiant. Le lien entre la logique hégélienne et la psychanalyse a déjà été mis
en évidence récemment par Zizek dans son opus magnum Moins que rien. Mais nous n'y avons trouvé aucune référence
à la logique de Hegel : c'est surtout la Phénoménologie de l'esprit qui y est citée, ainsi que sa méthode, que Zizek
rapporte avec brillo à la pensée de Lacan. Nous savons que la logique hégélienne se partage en trois parties qui sont la
logique de l'être, celle de l'essence, et celle du concept. Aussi, notre thèse sera également composée de trois parties :
nous montrerons dans une première partie que la logique de l'être est une logique de l'être du signifiant pris isolément ;
que la logique de l'essence est une logique du rapport entre le sujet et le signifiant ; que la logique du concept est une
logique de la chaîne signifiante. Ainsi, nous espérons couper court à une sorte de lecture de la logique hégélienne selon
laquelle elle serait une leçon à apprendre et à se réciter à soi-même comme un corpus de vérités toutes faites : contre
cela, nous voudrions montrer que ce que Hegel développe dans sa logique sont des outils d'analyse, des structures
logiques à utiliser pour concevoir des réalités. La posture de Hegel est une posture de scientifique : il cherche à
concevoir des réalités, parmi lesquelles la religion. Aussi, nous voudrions dans la seconde partie de notre travail étudier
comment l'objet appelé « religion » est conçu selon ces outils. Ainsi, nous verrons tour à tour, quel est l'objet de la
philosophie de la religion, son but ; puis comment effectivement Hegel l'a mené dans ses Leçons. Annonçons-le
directement : que la logique de Hegel soit une logique du signifiant est à comprendre de la façon suivante : le signifiant
tel qu'il est introduit par Lacan dans ses Ecrits et ses séminaires nous ont semblé fonctionner comme les structures de la
logique hégélienne. Il apparaîtra enfin que dans la logique hégélienne, ce que Hegel appelle objectivité et idée sont des
structures que nous identifierons dans leur fonctionnement respectivement à la névrose, puis à la psychose telle que les
définissent Freud dans un texte sur « La perte de réalité dans la névrose et la psychose » puis Lacan dans son séminaire
sur Les psychoses. La philosophie de la religion, dans la mesure où elle est étude de l'idée dans le réel, nous
l'identifierons donc comme l'étude d'une série de psychoses de plus en plus élaborées.

Prélude : l'objet de la logique hégélienne et ses précurseurs.


1. « La chose en elle-même ».
Quel est l'objet de la logique ? C'est dans la préface à la seconde édition de la Science de la logique que l'on peut obtenir
des premiers renseignements à son propos. Nous lisons d'abord qu'il « s'agit ici d'exposer le règne de la pensée
philosophiquement, c'est-à-dire dans son activité immanente propre ou dans son développement nécessaire »1.
« L'activité immanente propre de la pensée », voilà un mot pour l'instant bien vague pour nous. Cela dit, on peut établir
plusieurs aspects fondamentaux de la logique, tels qu'ils sont présentés dans cette préface.
Un lien étroit est établi entre le langage et l'objet de la logique dès cette préface. On apprend qu'elles sont d'abord
« extériorisées et déposées dans le langage de l'homme »2. Dans la mesure où l'homme parle ; il fait usage des
catégories, mais sans conscience, de façon naturelle, ou instincte. Cela est un thème récurrent dans la préface.
déterminations-de-pensée qu'on a à la bouche dans chaque phrase que nous prononçons. Pour cause, le sujet de cette
préface est précisément d'établir « la marche de la connaissance à partir de ce qui est ainsi bien connu, rapport de la
pensée scientifique à la pensée naturelle. »3 Ces déterminations-de-pensée dont il est question sont analogues à celles
que Platon et Aristote ont trouvé : ceci devra être examiné plus tard.4
Une première tentative d'établir le lien entre pensée naturelle et pensée scientifique consiste à expliquer ce lien comme
un lien utilitaire : « dans la vie, il y va de l'usage des catégories »5, « privées de l'honneur d'être considérées pour elles-
mêmes elles servent au sein de la gestion spirituelle d'un contenu vivant dans l'opération par laquelle on se donne et fait
s'échanger entre elles les représentations touchant à ce contenu. »6 Mais ce rapport est disqualifié dans la mesure où le
sujet ne peut pas les avoir en sa possession, mais c'est bien plutôt elles qui l'ont en sa possession : ceci est une remarque
importante en ceci qu'elle montre que ce qui apparaît comme un acte spontané et subjectif comme la prise de parole est
déjà soumis à ces déterminations-de-pensée, de façon inconsciente tant qu'elles ne sont pas explicitées.
En quoi consiste les déterminations-de-pensée auxquelles le sujet parlant est soumis ? On lit dans la suite que ce qu'on
appelle le concept de la chose dont on parle est le complexe des déterminations-de-pensée. Ainsi, dès lors que l'on «
parle des choses »7, une autre structure sous-jacente, qu'on appelle « leur nature ou leur essence, leur concept »8 qui est
« seulement pour la pensée »9 semble agir, de telle façon que nous qui parlons ne puissions pas être « en retrait d'un tel
agir. »10 Le concept reçoit par la suite plusieurs noms : le « concept objectif des choses, ou encore la chose elle-même
(die Sache selbst).
Une seconde tentative d'explicitation du lien entre le concept et représentations naturelles est élaborée. Ainsi lit-on que

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« ce qui est véritablement subsistant et substantiel à travers toute la multiplicité variée et la contingence de l'apparaître
et de l'extériorisation passagère, c'est le concept de la Chose, ce qu'il y a d'universel dans elle-même. »11 Ainsi, le
concept de la Chose est décrit comme ce qui se répète au travers de la série de ses apparitions : plus encore, dans la
mesure où il se répète à travers celles-ci, il est un universel, dans la mesure où il est le commun de ces apparitions. Un
exemple est donné pour expliciter cette propriété de répétition du concept : chaque individu humain, lit-on, « a en lui-
même le prius de tout son être propre, à savoir d'être, dans celui-ci, un homme. »12 Deux parties sont présentes dans cet
exemple : d'abord chaque être humain pris un à un comme étant ; puis ce qu'on appelle leur prius d'être homme, la
marque de ce prius étant le nom même d'homme qui semble être leur commun.
« Homme » se répétant à même tous ces hommes étants, il semble constituer ici le concept de la chose « homme ». En
effet, pour éclairer ce dont on parle, nous partirons de ce postulat que le commun est ici le nom et seulement le nom qui
se répète. De telle façon que le nom qui se répète, ou le nom universel, est ce qu'on identifie comme le concept de la
chose. Il nous appartiendra ensuite de voir si cette définition pourra ensuite varier et le commun devenir autre chose. Le
prius d'homme, qu'ici nous identifions, pour des raisons de clarté, au nom « homme » est appelée « la base » : c'est la
base substantielle qui se répète au travers de toutes les nominations comme « homme » de chaque homme étant.
La répétition apparaît donc ici consciente du sujet et sous le contrôle de celui qui nomme. Mais cette définition apparaît
insuffisante, dans la mesure en effet où les « images » utilisées par Hegel pour nous faire comprendre ce qu'il en est de
cette répétition semble exclure toute possibilité pour le sujet d'avoir prise sur cette répétition : on lit en effet que cette
nature logique « anime l'esprit, qui exerce en lui son impulsion et son efficience »13. Autrement dit, si le prius d'homme
se répète, c'est qu'en lui se trouve une efficience spécifique qui est ici reconnue dans toute son indépendance par rapport
au sujet parlant consciemment. C'est-à-dire qu'il est un agir inconscient par rapport à l'agir instinctif du sujet, lequel agir
instinctif concerne les représentations conscientes, « de buts, de désirs etc. »14. C'est pourquoi nous changerions notre
définition en disant ceci : le concept ou la Chose en elle-même dont il est question dans la logique est la fonction
inconsciente par laquelle, lorsque l'on pense à ou nomme un à un des étants de façon consciente, un universel se répète
au travers des nombreuses nominations ou apparitions de cette pensée consciente ; de telle façon qu'inconsciemment en
même temps, quelque chose qui, semble-t-il est indépendant de la pensée consciente, s'y pense par une certaine « force
d'impulsion. »15 Cette Chose elle-même, donc, est connaissable et la Logique en est l'étude.

2. L'un qui se répète : des précurseurs dans la philosophie antique ?


1. Platon et l'idée.
Comprendre ce dont il est question dans la Logique s'avère donc être une tâche difficile. En fait, certaines
caractéristiques de ce qu'il nomme la Chose elle-même, ou le Concept, nous seront rendues plus claires si nous nous
fondons sur quelques problèmes déjà soulevés par Platon dans le Parménide et le Cratyle.
Lorsque l'on enseigne Platon et notamment la théorie de l'idée platonicienne, il est souvent commode d'affirmer ceci que
la nécessité de la position de l'idée naît d'une question dont la forme est la suivante : « Qu'est-ce que X ? ». Ainsi,
prenant pour exemple le dialogue du Lachès, τί ἐστίν ἀνδρεία;16 qu'est-ce que le courage ?
La deuxième étape est de mettre en évidence une réponse évidente, celle qui consisterait devant cette question à
répondre par différentes réponses : l'exemple d'une telle réponse évidente est souvent cherchée dans le Ménon, où face à
la question « qu'est-ce que la vertu ? », Ménon répond par toute une énumération de vertus particulières : il y a la vertu
d'un homme, consistant « à être en état d'administrer les affaires de sa patrie, et, en les administrant, de faire du bien à
ses amis, et du mal à ses ennemis […] »17, mais aussi la vertu de la femme qui est de « bien gouverner sa maison »18 ;
mais aussi une vertu des enfants, mais aussi (Καὶ ἄλλη) aux vieillards, l'homme livre, à l'esclave etc. Suite à quoi on
affirme que le recours au kai, ce que Hegel appelera le auch, disqualifie les réponses, et Socrate, aidant l'enseignant,
répond à Ménon : « je ne te demande qu'une seule vertu (μίαν ζητῶν ἀρετὴν) , et tu m'en donnes un essaim tout
entier. »19 La troisième étape consiste en ceci qu'on explique que la bonne réponse est de donner une définition
universelle, c'est-à-dire valant pour tous les cas particuliers ici énumérés, de la vertu. Peu importe ce qu'elle est, nous
pouvons en dégager deux caractères : l'unité mais aussi le fait qu'elle se répète, qu'elle vaut pour chacune de ces
instances. Mais si dans ce qu'on appelle les dialogues de jeunesse de Platon, l'accent est mis sur la formulation d'une
telle définition, on va bien plutôt dans un dialogue comme celui du Parménide, s'interroger sur son statut ontologique.
Parce qu'en effet, si l'idée est une et se répétant plusieurs fois dans chacune de ses instances, la question se pose de
comprendre le fonctionnement de la relation entre cet un qui se répète et ses répétitions. Pour répondre à cela, plusieurs
lectures de l'oeuvre de Platon sont possibles : par exemple, l'explication mythique proposée dans le Timée. Mais si
l'explication du Timée est appelée « mythe vraisemblable »20, elle reste un mythe, et en tant que telle ne nous satisfait
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pas vraiment quant à comprendre le fonctionnement de l'idée une se répétant plusieurs fois.
C'est dans le Parménide que Platon porte le plus grand affront à la « théorie des Idées », dans la mesure où il y
démontre que le fonctionnement même de l'idée est contradictoire. Mais expliquons-nous plus clairement. Nous nous
intéresserons au tout premier grief théorique que fait Parménide à l'objet logique qu'on appelle l'idée. On en est venu,
dans les dialogues de Platon qui nous sont parvenurs, à parler de la relation entre idée et répétitions particulières de
l'idée de la façon suivante : les particuliers participent de l'idée.
Ainsi, la première étape de ce grief est de faire admettre que tout ce qui participe ( τὸ μεταλαμβάνον) d'une idée
participe de l'idée entière (ὅλου τοῦ εἴδους)21. Le sens de μεταλαμβάνον, si nous voulions le fixer dèsmaintenant, ne
ferait que nous empêcher de saisir exactement ce dont il s'agit. Alors laissons-nous porter par le texte: ainsi nous lisons
que la conséquence de cette partiticpation de l'idée entière de chacune des choses participant à l'idée a pour conséquence
que l'idée entière, tout en étant une (ἓν ὄν), est dans chacun de ces nombreuses choses (ἐν ἑκάστῳ εἶναι τῶν πολλῶν).
L'être-participé de l'idée est donc indissociable d'un être-dans de l'idée en plusieurs. Dès lors, dans la mesure où ces
plusieurs choses sont séparées les unes des autres, l'idée qui serait en même temps dans ces plusieurs choses serait dans
l'une et dans l'autre, elle serait donc « hors d'elle-même ». On en vient donc à la conséquence que l'idée ne serait pas
elle-même. Socrate refuse cette possibilité et fait appel à une image sensible (car, comme le jour, tout en étant un seul et
même jour, est en même temps dans beaucoup de lieux sans être pour cela séparé de lui- même, de même chacune des
idées sera en plusieurs choses à la fois sans cesser d'être une seule et même idée. »22) qui ici ne nous intéresse pas.
On aurait ici tendance à vouloir sortir de cette contradiction, à l'éviter, de telle façon que ce que dit Parménide
apparaisse comme un problème. Mais ne pouvons-nous pas affirmer que précisément, il n'y a pas de résolution à
apporter à ce problème ? C'est-à-dire que l'idée est en elle-même, fonctionne comme un objet contradictoire : c'est sa
façon d'être que d'être une et en même temps dans plusieurs choses. C'est en se sens qu'elle est contradictoire : à la fois
une et plusieurs. C'est à dire que quelque chose a lieu, de contradictoire, quand on pense, quand on parle. C'est lorsque
l'on pense, que se découvre ce lieu, le lieu de la Chose, ou, selon l'ambiguïté du terme allemand Sache, le lieu de
l'affaire. En réalité, le Cratyle nous permettra de comprendre que cette contradiction a lieu dès qu'on nomme, de mettre
l'accent sur ce fait que le langage comme nomination est le lieu de la contradiction.
Selon Cratyle, les noms sont « ajustés aux étants »23 qu'ils nomment par nature ; selon Hermogène, les mots ne le sont
que par convention de telle façon que « il n'y a pas pour [lui] d'autre propriété dans les noms, sinon qu'[il puisse]
appeler une chose de tel nom qu'[il lui] donne à [son] gré, et que tu l'appelleras si tu veux de tel autre, que tu lui
donneras de ton côté. »24 Notons qu'ici, on parle de la droiture, ὀρθότητα, du nom. Cela dit, dans la mesure où la
convenance dont il s'agit ici est bien celle du nom signifiant à la chose signifiée, on peut se permettre d'utiliser le mot de
signification. Donc, si la convenance de chaque nom est simplement contingente, tributaire uniquement de l'époque ou
du lieu, alors cela signifierait que n'importe quel nom peut signifier n'importe quelle chose.
Il est tout à fait intéressant de voir ici que Socrate répond sur un tout autre terrain que ceux posés par Cratyle et
Hermogène. Si on observe sa démarche, on se rend compte qu'il cherche, pour répondre à Hermogène, à lui arracher une
réponse négative à la question : « penses-tu [...] que les êtres n'aient qu'une existence relative à l'individu qui les
considère, suivant la proposition de Protagoras, que l'homme est la mesure de toutes choses ? »25 Hermogène nie cela et
tous deux conviennent que chaque être n'est pas différent pour chaque individu ; mais qu'ils ont en eux-mêmes une
réalité constante, « qu'elles ne sont ni relatives à nous, ni dépendantes de nous, et qu'elles ne varient pas au gré de notre
manière de voir, mais qu'elles subsistent en elles-mêmes, selon leur essence et leur constitution naturelle. »26 La chose
qui est pour moi, pour tous, c'est la même chose : autant dire qu'elle est reproduite autant de fois que moi ou les autres la
convoquons dans son nom. Cette chose qui se répète dans toutes ces nominations, est ici qualifiée non pas d'idée, mais
de substance, ousia.
Le passage qui suit est extrêmement intéressant, car on y fait état du fait de nommer comme d'une praxis. Ainsi, la
pratique de la nomination est comparée à la pratique du coupage. De ce fait que chaque étant est le même pour chaque
sujet, on infère que lorsqu'on a à faire quelque chose, par exemple couper quelque chose, on ne peut pas le faire comme
il nous plaît, mais il nous faut le faire comme la nature des choses l'exige : « n'est-il pas vrai, au contraire, que nous ne
pourrons couper, que nous n'y réussirons, que nous ne ferons bien la chose, qu'en coupant comme la nature des choses
veut qu'on coupe et qu'on soit coupé; tandis que si nous allons contre la nature, nous ferons mal et ne réussirons pas? »27
Le fonctionnement de la nomination sensée ou droite est tout à fait le même : « en ce cas, si l'on parle en ne consultant
que sa propre opinion sur la manière [387c] de parler, parlera-t-on bien? N'est-il pas vrai que l'on ne peut parler
véritablement qu'autant que l'on dit les choses comme la nature veut qu'on les dise et qu'elles soient dites, et avec ce qui

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convient pour cela, tandis qu'autrement on se trompera et on ne fera rien de bon? »28 Ici donc, la mesure de la bonne
coupure est la nature des choses, qui est tout aussi bien la façon dont n'importe qui doit couper pour que cela
fonctionne ; car cette façon de couper dépend de la nature des choses, étant la même pour tous. De même, pour bien
nommer, il faut nommer, non pas selon notre caprice, mais comme la nature des choses veut qu'on nomme, et avec ce
qui convient à cet usage : ainsi seulement nous ferons quelque chose de sérieux et nommerons effectivement; autrement
il n'y aura rien de fait.
Soit donc une chose particulière étante : il y a une façon de bien nommer cet étant : cette façon est une, mettons
« arbre » pour nommer un arbre étant. Ce nom, tout en étant « un », dans la mesure où il en est fait usage par plusieurs
sujets et plusieurs fois par le même sujet, se répète comme le même « nom ». Mais pourquoi, sur quel fondement repose
ce fait que telle série de syllabe nomme bien, convient à tel étant ? Nous n'avons pas vraiment de réponse : ce nom fait
loi, ce nom, « on » en fait usage. Platon pose certes hypothétiquement l'existence de celui qui institue le nom : il est
appelé législateur et son devoir est de former avec les sons et les syllabes les noms qui conviennent aux choses; il faut
qu'il les fasse et qu'il les institue en tenant ses regards attachés sur l'idée du nom, s'il veut être un bon instituteur de
noms : mais en vérité, cela ne nous aide pas réellement à comprendre le fonctionnement de cette structure particulière
et encore une fois contradictoire.
Bien plutôt doit on prêter attention à ce qui se passe dans la nomination et s'interroger sur ce fait que précisément, une
nature une puisse être nommée plusieurs fois ; et même que ce soit cette nature une qui permette l'efficacité des
nombreuses nominations dans la mesure où en effet entre la première et la dernière de la série des nominations, la
référence qu'il désigne ne varie pas mais s'y répète inlassablement. Ainsi, ce que nous apprend Cratyle est la chose
suivante : un nom prononcé par un sujet tire son efficacité, ou sa signification, de ceci qu'il participe à la répétition
universelle de la nature dont il est un des représentants. Bien évidemment, le problème est le suivant : on accorde très
bien l'existence de la répétition universelle dont vous nous parlez, mais celle de la nature de la chose une, cela est moins
sûr. Cette charge est très importante dans la mesure où sur elle est suspendue la possibilité même de chaque nom d'avoir
un sens et un seul. C'est précisément dans la mesure où il faut se mettre d'accord sur le fait qu'un mot signifie une seule
chose, pour pouvoir dialoguer, que Platon ne peut faire autrement que d'intégrer cette condition de possibilité de tout
dialogue, et avec elle l'armature contradictoire dont elle est constituée. Ainsi, on peut s'exprimer comme ça : sous
réserve que le nom que l'on utilise ait un sens commun, partagé avec les autres sujets et les autres nominations ; alors il
faut présupposer une telle nature une, et la structure de la nomination doit être telle qu'on l'a décrite – comme répétition
de cet un –.
2. Aristote et la catégorie.
Au lieu donc de se demander la condition de possibilité d'une telle nature une, on peut s'interroger sur son rôle dans la
structure de la nomination : et celui-ci consiste en ceci que la nature une est le signifiant primitif qui stimule l'utilisation
des autres signifiants. Dans la mesure, en effet, où dans cette structure, la forme du nom que l'on utilise est posé comme
identique à la forme que l'on nomme, alors le sujet nommant ne fait que répéter un signifiant qu'il se présuppose. Par
exemple, nommant un homme particulier, le sujet qui nomme correctement ne fait que répéter ce nom « homme », nom
« un » présupposé par la pratique même de la nomination. Un tel signifiant, que Hegel a appelé le prius, est ce que nous
appelons ici signifiant primitif : il est le signifiant dont la présence permet que les nominations qui le répètent aient un
sens en y renvoyant tous. Ainsi donc, certes, cette répétition semble répéter toujours le même ; mais en tant qu'action,
elle est une structure qui fonctionne tous les jours, et produit effectivement un grand nombre de nominations concrètes.
Y a-t-il quelque part une théorie ayant mis en évidence ce caractère de stimulation du signifiant primitif ? Nous
souhaiterions pour mettre en évidence cela nous intéresser à un texte de la métaphysique : celui ouvrant le livre Z de la
Métaphysique d'Aristote.
Peut-être en comprendra-t-on plus si on lit le texte : puisqu'il y est dit que « on » « signifie le ce que c'est, le comment,
le combien et chacune des autres figures de la prédication (σημαίνει γὰρ τὸ μὲν τί ἐστι καὶ τόδε τι, τὸ δὲ ποιὸν ἢ ποσὸν ἢ
τῶν ἄλλων ἕκαστον τῶν οὕτω κατηγορουμένων). Soyons vraiment attentif au texte ici : par exemple, prenons
sérieusement en compte que « on » signifie le combien. Cela signifie que « on » a pour signification un signifiant qui
questionne. Un signifiant qui questionne n'est pas en position non d'assertion, mais de demande d'un autre signifiant :
« on » signifie donc un signifiant qui demande des signifiants. Ainsi, le mot « on », ou « esti », orienté par ce signifiant
de demande « combien », est la répétition de cette même demande : dit en d'autres termes, le signifiant « combien » est
une fonction applicable à une infinité de jugements sur la quantité ; lesquels jugements constitue la répétition – ici,
répétition peut être plus pris dans le sens d'appétit pour le réponse : petere en latin signifiant aspirer à... – de la même
demande. La signification de « est » se soutient donc de ce qu'elle est la répétitin d'une demande de signifiant orientée
par un mot, ici « combien ».
Il faut vraiment être sensible à la forme « semainei + signifiant questionnant » employée ici : c'est bien « on » qui
signifie cette demande. Quant à savoir comment satisfaire à cette demande, cela n'est pas important : plus important est
de voir que dans chaque jugement se répète la même fonction de demande et que ce signifiant questionnant constitue le
signifiant primitif stimulant chacun de ces jugements. Ainsi, nous appellerions chaque catégorie une façon de signifier
un manque de signifiants, de telle façon que chacune d'elle stimule tout un système de signifiants tentant d'y répondre,
et ainsi la répétant.

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3. Et des échos ? Lacan et l'insistance de la chaîne signifiante.
Ce qui nous a frappé dans notre lecture de Hegel, mais aussi des textes dont nous avons ici parlé de Platon et Aristote,
c'est que de nombreux passages des Écrits de Lacan semble coïncider parfaitement dans leur structure à ce dont il est
question ici. Si bien que s'est posée pour nous une interrogation : Hegel et Lacan ont-ils aperçu la même chose, mais
dans des formes différentes? C'est-à-dire : ont-ils aperçu les mêmes structures, mais dans des contextes tout à fait
différents ? Cette remarque à une grande portée dans la mesure où elle nous permettrait de relire et de réinteprréter à
fond la logique hégélienne en la concevant non plus tant comme une théorie du sens – de telle façon qu'en la lisant, on
trouverait un « sens à notre vie », et qu'on devrait se la répéter comme une sorte de catéchisme – que comme une théorie
du signifiant, permettant ainsi d'aborder ses structures non pas comme des réponses mais comme des outils pour une
application ultérieure à certaines réalités. Il se pourrait en effet qu'il soit question des mêmes fonctions théoriques, que
ce soit dans la théorie de la logique de Hegel ou dans la théorie du sujet de Lacan.
Lacan, dans son écrit intitulé « La Chose freudienne », fait état de sa démarche afin de revenir au « sens de Freud. »29 Si
l'on passe sur l'homonymie heureuse entre la « Chose » dont il est question dès la préface et l'introduction de la Science
de la logique et la Chose dont parle ici Lacan, on peut se demander si la méthode de ces deux auteurs est orientée vers
un objet structuré de la même façon.
Le premier thème de ce retour à Freud est le suivant : il y a du véritable, c'est-à-dire qu'il y a de la vérité qui se présente,
qui défile là sous le regard de l'analyste. Ce défilé, Lacan l'appelle le réel : c'est ce qu'il exprime en ceci que « le
commerce au long cours de la vérité ne passe plus par la pensée ; chose étrange, il semble que ce soit désormais par les
choses »30 Dans la mesure où le véritable défile, il défile comme une articulation, c'est-à-dire qu'il prend la forme d'une
chaîne de ce que Lacan appelle signifiants. Où cette chaîne de signifiants s'articule-t-elle ? D'une manière générale, on
peut dire que ce que Lacan appelle sujet là où s'articule une telle chaîne de signifiants, quels qu'ils soient.
Ainsi, dans la séance du 10 janvier 1978 du séminaire « Le moment de conclure », il énonce qu' « il y a sûrement de
l’écriture dans l’inconscient, ne serait-ce que parce que le rêve, principe de l’inconscient - ça, c’est ce que dit FREUD -
le lapsus et même le trait d’esprit se définissent par le lisible »31. S'en suit la position d'un exemple, le rêve – qui est
d'ailleurs appelé « la voie royale » vers l'inconscient par Freud – : « un rêve, on le fait, on ne sait pas pourquoi et puis
après coup, ça se lit, - un lapsus de même, - »32 Le sujet est donc le lieu d'une écriture, ou articulation particulière de
quelque chose : cela n'est pas sans nous rappeler ce que nous disions ci-dessus à propos du concept objectif des choses.
C'est-à-dire que dans la mesure même où le sujet parle, fait un usage instinctif de sa parole, quelque chose d'un s'y
répète ou comme Lacan l'écrit insiste au cours de cette chaîne de signifiants.
Le sujet est donc le lieu des chaîne ; mais le second thème lacanien que ce véritable, bien qu'elle défile là, « se
défend »33 de la connaissance du sujet qui l'articule ou plutôt du sujet où il – le véritable – s'articule : c'est-à-dire que
quelque chose dans le sujet s’articule qui est au-delà de sa connaissance. Apparaît ici la propriété d'indépendance du
concept objectif de la Chose par rapport au sujet qui en parle.
Mais précisément, on lit aussi que le sujet, c'est « le signifiant pour un autre signifiant », c'est-à-dire qu'il est intéressé à
cette chaîne, dans la mesure où il en est un des chaînons. Ici apparaît donc l'écart entre ce que le sujet articule et la
connaissance de la place qu'il y prend. C'est là qu'apparaît enfin la dimension de contrôle, d'agir dominant du concept
objecif des choses sur le sujet parlant ; dans la mesure où le sujet parlant ne peut s'y soustraire, y étant intéressé.
Si donc le lieu de l'articulation de la chaîne signifiante est le sujet, ce qui s'écrit dans l'articulation de la chaîne
signifiante est autre chose que Lacan appelle « être » : il indique en effet que cette chaîne de signifiants est soutenue par
quelque support « dont il n’est pas abusif de le qualifier du terme d’« être » ». Puis il insiste, « si le terme d’« être » veut
dire quelque chose, c’est le réel pour autant qu’il s’inscrit dans le symbolique, le réel intéressé dans cette chaîne que
FREUD nous dit être cohérente et commander, le comportement du sujet. » Cela rappelle encore plus ce que Hegel
écrivait sur la force d'animation du concept objectif des choses les représentations particulières du sujet.

« La chose en elle-même » : voilà donc l'objet annoncé de la logique que nous avons essayé d'approcher. Seulement, il
semble bien que son étude se décompose en trois parties qui sont nommément la logique de l'être, la logique de
l'essence, puis la logique du concept, cette dernière semblant être à proprement parler l'étude de cette « chose ». C'est
pourquoi nous voudrions dans notre travail défendre la thèse selon laquelle ces trois logiques sont des logiques ayant
rapport à l'objet que l'analyse psychanalytique lacanienne étudie et utilise le plus : le signifiant. Nous commencerons par
la logique de l'être, laquelle logique nous identifierons comme étant une logique de l'être du signifiant.

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2. La logique de l'être (du signifiant).
1. Première approche : un objet contradictoire.
« L'être et le néant sont la même chose. » Cela signifie que l'unité de l'être et du néant, le devenir, est contradictoire
dans la mesure où le néant est la négation de l'être et l'être la négation du néant. Pourtant, l'unité de l'être et du néant est
tenu ferme et posée comme une unité elle-même étante : c'est le Dasein. « Dasein » est l'unité étante de l'être et du
néant ; un étant étant en même temps étant et non-étant. Cela nous a semblé dans notre lecture tout à fait analogue à
l'être de ce que Lacan appelle le signifiant : en effet, le signifiant ne tient sa valeur – nous disons ici, l'être – que de ce
qu'il est la négation des autres signifiants de son réseau. Ainsi, la nombre minimal de signifiants qui fonctionnent dans
un réseau est de deux : pour autant qu'un signifiant est la négation d'un autre signifiant, il peut être, il peut valoir.
Autrement dit, nous assimilons ici le fonctionnnement du Dasein et du signifiant. Ainsi, de même que Dasein semble
être unité étante de l'être et du non-être, nous lison chez Lacan dans son écrit sur « La lettre volée » que « que le
signifiant est unité d'être unique, n'étant par sa nature symbole que d'une absence [d'un autre signifiant] ».
Au début de la logique de l'être, Hegel fait une référence discrète au Parménide de Platon, que nous avons déjà cité.
Mais il l'utilise à propos de la fameuse dialectique de l'un et de l'être. Il écrit en effet dans la troisième remarque du
paragraphe sur « L'unité de l'être et du néant » que « la dialectique, selon laquelle Platon traite de l'un dans le
Parménide est à considérer plutôt comme une dialectique de la réflexion extérieure. L'être et l'un sont tous deux des
formes éléatiques, qui sont la même chose. Mais ils sont aussi à différencier, et c'est ainsi que les prend Platon dans le
dialogue. » Hegel fait référence à ce dont traite Platon quand il parle de l'unité de l'un et de l'être. Nous voudrions dans
une première partie étudier ce dialogue et voir en quoi il peut nous aider à concevoir l'objet de la logique de l'être, c'est-
à-dire l'unité du non-être et de l'être.

a. Parménide : découverte de l'un étant comme objet contradictoire.


1. L'un n'est pas figurable, et donc n'est pas.

Quand on pose l'hypothèse εἰ ἕν ἐστιν en 137c, on pose cette hypothèse en réfléchissant l'un qui est comme un : on peut
aussi bien la noter εἰ ἕν ἐστιν dans la mesure où ici la réflexion de l'un comme un est invisible dans la proposition qu'est
le εἰ ἕν ἐστιν. Mais pourquoi ne pas écrire εἰ ἕν ἕν ? En fait, cette hypothèse a un intérêt que dans la mesure où elle
contient ceci que l'un est, c'est-à-dire que ce qui est réfléchi comme un est en même temps comme référent étant.
C'est-à-dire que dans la mesure où l'un étant est réfléchi comme un, cette réflexion lui est extérieure : c'est d'ailleurs
bien ce qu'écrit Hegel qui décrit la dialectique du Parménide comme une dialectique de la réflexion extérieure.
Pourquoi est-ce une réflexion extérieure ? C'est que l'un étant n'est posé comme un que pour nous ; cette réflexion
comme un lui est autre ; lui est seulement comme un étant, n'est pas en lui-même que comme un. C'est-à-dire qu'est
présupposée ici face à la réflexion l'unité étante de l'un et de l'être : celle-ci est simplement présupposée comme un objet
contradictoire. Ce caractère contradictoire se révèle par ceci que l'un étant, en tant qu'un, n'est pas ; c'est-à-dire que l'un
comme un est la négation de ce avec quoi il est dans unité étante. Nous voudrions détailler la façon dont est démontré
ceci que dans l'unité étante de l'être et de l'un, l'un réfléchi comme un est la négation de l'être.
Si l'un est, il n'est pas plusieurs [choses].
S'il n'est pas plusieurs choses, il ne doit pas y avoir de parties de lui ni lui même être tout.
S'il n'y a pas de parties de lui et s'il n'est pas un tout, il n'a pas de commencement ni fin ni milieu.
Or le commencement et la fin sont des limites, donc l'un est sans limite, et donc sans figure, (Καὶ ἄνευ σχήματος ἄρα.)
C'est lorsque l'on tombe sur ce σχήματος que nous comprenons pleinement que l'élément dans lequel la pensée se meut
dans cette partie du dialogue est l'espace.
On trouve pour conséquence que si l'un est tel, il n'est nulle part : il ne serait en effet ni en un autre ; ni en lui-même. En
effet, en une autre chose, il serait enveloppé en cercle par ce dans quoi il est, en plusieurs endroits et le toucherait en
plusieurs endroits. Or cela est impossible s'il est un car n'étant pas plusieurs choses, il n'a pas plusieurs endroits ou
points de contacts. Ici le « plusieurs » du début est explicitement enchaîné au « plusieurs » spatial. S'il était en lui-
même, enveloppé par lui-même, il y aurait une altérité de l'un enveloppant et de l'un enveloppé : l'un serait donc deux,
duo. Ici, moins gênant pour nous, comme par hasard quand on parle de l'autre.
L'un ne connaît ni le déplacement ni l'altération, car si c'est par rapport à lui-même que l'un s'altère, il ne peut continuer
d'être un ; et si il se déplace : il se déplace en rotation ou linéairement. Si il se déplace en rotation, il doit avoir un
centre, qu'il n'a pas car n'a pas de parties ; s'il se déplace linéairement, alors il doit y avoir un état dans lequel une partie
de lui-même entre en quelque chose tandis qu'une autre partie de lui-même est hors de cette chose : impossible, car il n'a
pas de parties ; et a fortiori, il n'est nulle part. Il n'est pas non plus en repos, car n'est nulle part.
En vérité, à ce stade, on a moins prouvé le non-être de l'un que l'impossible pour l'un d'être comme spatialisé. Mais
l'important est de comprendre le sens de la démarche platonicienne ici : il nous semble qu'ici Platon cherche à annuler
l'être de l'un en lui refusant successivement l'ensemble des façons d'être q'il admet, à commencer par l'être quelque-part.
Continuant ains, il lui dénie l'être-passé, présent et futur, ce que Hegel appelle « les façons d'être (die Weise des Seins) ».
Le but de l'argumentation est donc d'établir que l'un en tant qu'un n'est pas ; c'est-à-dire est la négation de l'être.

2. Tenue ferme de l'objet contradictoire : l'un n'est pas et est.


Mais, et c'est là très intéressant, si l'un étant, en tant qu'un, n'est pas, cela implique qu'il n'y a rien de lui : c'est-à-dire
qu'il devrait n'avoir « pas de nom » et qu'on ne pourrait en avoir « ni idée, ni science, ni sensation, ni opinion ». Ce
constant, Parménide et Aristote le refusent en chœur : « Il ne me semble pas [que cela soit possible] » répond Aristote.
Ainsi, bien que l'un étant, comme un, ne soit pas ; c'est-à-dire bien que l'un étant soit un objet contradictoire unissant
deux contraires, il est quand même tenu ferme et on admet son être. Soyons vraiment sensible à ce moment du
dialogue : car il désigne celui par lequel l'analyse accepte l'être d'un contradictoire et procède à l'exposition de sa
structure.
C'est ainsi qu'on reprend l'hypothèse εἰ ἕν ἐστιν en insistant ici non pas sur l'unité mais sur l'être de l'un étant. Si l'un est,
se peut-il qu'il soit tel, sans pour autant participer de l'être ? « Participer », μετέχειν est un vocable dont nous avons déjà
parlé dans ce travail. Il signifiait alors cette relation particulière entre l'idée ou la substance et l'ensemble de ses
apparitions ou nominations dans lesquelles elle se répète. Ces apparitions ou nominations étaient alors dites en
« participer ». Maintenant, cette relation de participation se spécifie autrement.
Ici, μετέχειν semble signifier contexture réelle de l'un et de l'être. Autrement dit, que l'un participe à l'être signifie qu'il
fonctionne réellement avec l'être. Il fonctionne réellement avec l'être, cela s'exprime par le fait que ὡς ἓν οὐσίας
μετέσχεν ; par son être-un, il participe à l'être ; par le fait même d'être comme un, il participe à l'être. En langage
hégélien, nous dirions que la participation ou inséparabilité de l'un et de l'être est immédiate, ou étante ; et que c'est en
ce sens que la réflexion de l'un comme un est seulement extérieure, seulement pour nous ; car l'un est immédiatement la
même chose que l'être, immédiatement indissolublement lié à l'être. Si tel est le cas, alors la réflexion de l'un étant
comme un est extérieure à l'un étant car il n'y a pas réellement l'un seulement comme un : il n'y a réellement que l'un
étant.
3. L'acceptation de l'objet contradictoire et sa monstration.
Il est clair qu'accepter l'être d'un tel objet contradictoire est une étape difficile à vaincre : dans la mesure où notre pensée
est imprégnée tout entière du principe de non-contradictoire aristotélicien tel qu'il est exposé dans le livre Γ de la
Métaphysique : « Il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas au même sujet, dans le même
temps, sous le même rapport, etc.
C'est pourquoi, pour comprendre que nous sommes déjà réellement dans cet objet ; que nous fonctionnons déjà
réellement en lui-même, nous voudrions le montrer, le faire sentir à notre lecteur.
1. Première monstration : la nomination.
Cela nous apparaître peut être plus clairement si nous remplacement « l'un étant » par une structure de la pensée que
nous pratiquons chaque jour et que nous avons déjà convoquée : la nomination elle-même. Prenons l'hypothèse dont
nous parlions au-dessus, pourquoi ne pas donner un seul nom à ce qui est réellement une seule chose ? Admettons :
appelons l'un étant l'être tout court. Le fait que même que je le nomme, signifie que j'émets un certain nom, « l'être » ; et
que celui-ci a un référent, l'être que je suppose réel et qui est le contenu de l'intention de ce nom. Cette façon de
structurer la nomination est précisément la structure dont l'un étant est le nom : il signifie l'inséparabilité réelle (ici, sous
la forme d'une présence réelle, dans la mesure où le nom est avec son référent, en sa présence réelle, existentielle) ; de
ce qui pourtant est posé comme différent l'un de l'autre (dans la mesure où la nomination implique une différence du
nom et du référent). Participer, c'est donc cela : être réellement un avec... et être-posé comme différent de...
On peut également exprimer la relation de participation, en français avec le partitif. En effet, il est ordinaire de dire que
se trouve par exemple, en un objet A, de la beauté. Cela désigne alors ce fait que bien que l'objet A soit différent de la
beauté comme idée générale, nous met cependant en sa présence matérielle, existentielle. L'idée semble donc en
présence réelle à chacune de ses occurrences ; tout en étant posée comme différente d'elles. Ainsi, dire que « X est
beau » est présupposer une différence entre cet objet X et la beauté. Pourtant, on dit que là où il y a X, il y a de la
beauté,et que l'objet X est réellement inséparable d'une telle beauté.
2. Seconde monstration : la dénégation lue par Hyppolite.
Cela dit, une autre monstration, beaucoup plus évidente et plus intéressante pour notre travail, a été trouvée dans un
séminaire de Lacan, et plus précisément dans une intervention de Jean Hyppolite consistant en un commentaire du texte
de Freud intitulé « Die Verneinung », « La dénégation ». Il est admirable qu'une telle structure de la participation, nous
l'ayons trouvée à l'identique dans ce petit commentaire d'une grande portée. La dénégation semble être une application
de la structure de la participation, ou encore la dénégation semble fonctionner comme la participation.
Dans ce texte, Freud fait part de certaines observations dont il a eu l'expérience au cours de l'analyse. Ainsi, un patient
lui dit telle proposition : « vous allez sans doute penser que je veux vous dire quelque chose d'offensant, mais ce n'est
réellement pas mon intention. » Nous comprenons alors, dit Freud, « qu'il s'agit là d'un rejet de l'idée qui vient
précisément d'émerger par le moyen de la projection. », livrant alors sa conclusion : « je me suis aperçu dans la vie
courante que lorsque, comme il arrive fréquemment, nous entendons dire « je ne veux certainement pas vous offenser
dans ce que je vais vous dire », il faut traduire par « je veux vous offenser »34.

34
Il faut ainsi traduire « Je ne veux pas vous offenser. » par « Je veux vous offenser » cela signifie donc que la
signification seconde – vraie – de la négation est l'affirmation. Autrement dit, une négation posée de quelque chose doit
être interprétée par l'analyste comme une affirmation réelle de quelque chose. La dénégation, explicite Hippolye, est
« un mode de présenter ce qu'on est sur le mode de ne l'être pas. »35 et cette dénégation nous dit-il, « pourrait être
l'origine même de l'intelligence.»36 Hyppolite résume son fonctionnement ainsi : « je vais vous dire ce que je ne suis
pas : attention, c'est précisément ce que je suis. »37 Nous sommes donc ici face à une dissociation seulement posée,
seulement énoncée par le sujet corrélée à une identité réelle. « Je ne suis pas A » cache donc la réelle unité selon
laquelle « Je suis A ». En pensée ou en parole le prédicat est nié ; mais réellement, il est attribué. Mais s'agit-il
réellement d'une attribution ? L'attribution n'est-elle pas déjà une parole, une pensée articulée ? Alors en quoi peut bien
consister une attribution ou identité existentielle, réelle ?
De quelle type de négation s'agit-il dans la dénégation ? Dans la mesure où nous avons opposé ici négation posée et
affirmation réelle, il semble que la négation de la dénégation ait un statut ontologique particulier : elle ne nie pas un
discours, mais nie un réel. Cette négation a une dimension qui va au-delà de la simple négation posée. Nous
souhaiterions déterminer sa nature : en effet cela nous permettra de pénétrer plus à fond dans la structure même de la
dénégation, et par là, de la participation.
Le statut ontologique de la négation à l'oeuvre dans la dénégation nous sera plus claire si nous allons à la suite du texte,
où Hyppolite explicite très clairement les étapes de l'analyse face à la dénégation.
La première étape consiste ce que le patient dise « voilà ce que je ne suis pas », à partir de quoi l'analyste en a conclu ce
que je suis. Le refoulement subsiste toujours sous la forme de la dénégation, c'est-à-dire que le patient dit toujours qu'il
n'est pas ça.
La seconde étape consiste en ceci que le psychanalyste réussit à faire avouer au patient dans son intelligence que ce qu'il
niait tout à l'heure, il l'est : c'est-à-dire que l'analyste obtient que le patient dise désormais qu'il est ça. Mais Freud ajoute
que le procès du refoulement n'est pas encore par là levé (aufgehoben).
En fait, il ne s'agit là de la négation de la négation posée de la première étape : « je suis ça » signifie que j'ai nié en
pensée « je ne suis pas ça ». Mais cela ne suffit pas. Le psychanalysé accepte et revient sur sa dénégation mais le
refoulement encore là.
En conclusion, si l'affirmation posée ne suffit pas à réparer la dénégation, c'est que la négation n'est que la forme de la
dénégation, et que celle-ci est née d'une négation existentielle, d'une négation plus profonde, elle-même étante, qui est
l'expulsion. Ainsi, et c'est là que c'est intéressant, Freud nous propose une genèse réelle d'une telle structure : Freud
semble établir une généalogie de cette dénégation, c'est-à-dire qu'elle a pour origine une négation elle-même étante,
c'est-à-dire une expulsion. Cette expulsion réelle, en amont de la proposition négative, est ce qui permet qu'« ici
l'intellectuel se sépare de l'affectif. »38, et qu'ainsi puisse naître « la pensée comme telle ». Ainsi, l'expulsion réelle d'un
contenu semble être la condition de possibilité réelle de la symbolisation comme nié de ce contenu.
Cette genèse, « de l'ordre de l'histoire et du mythe » selon Hyppolite, a pour résultat ceci : elle fait apparaître la
proposition négative, la négation posée comme la marque de cette expulsion réelle appelée ici refoulement : « Nier
quelque chose en jugement signifie en fait : voici quelque chose que je préférerais refouler. La condamnation est le
substitut intellectuel du refoulement, son "non" en est une marque, un certificat d'origine, à peu près comme le "made in
Germany". »39 En d'autres termes, la négation posée est le symbole du refoulement. Au reste, on trouve aussi
l'expression de forme du refoulement, mais aussi d'indice, comme lorsque Freud écrit que « le plaisir général de nier, le
négativisme de plus d'un psychotique, est vraisemblablement à entendre comme indice du démêlement des pulsions par
retrait des composantes libidinales. »40
Mais qu'est-ce que le refoulement alors ? Une négation, mais une négation réelle, étante : et c'est ce qu'Hyppolite fait
remarquer lorsqu'il écrit que « pour comprendre son article, il faut considérer la négation du jugement attributif et la
négation du jugement d'existence comme en deça de la négation au moment où elle apparaît dans sa fonction
symbolique. »41 Derrière le jugement d'attribution négatif il y a, Freud l'écrit clairement, « exprimé dans le langage des
plus anciennes motions pulsionnelles orales : cela, je veux le manger ou je veux le cracher, et en poursuivant la
transposition : cela, je veux l'introduire en moi, et cela, je veux l'exclure de moi. »42 La négation posée du jugement
attributif est donc symbole d'une expulsion, qui elle semble bien réelle, étante.
Cette expulsion, réelle, étante, est un procédé, et c'est précisément en ce sens qu'elle présuppose toujours une unité
étante de moi et de l'étranger qu'elle doit démêler : en tant que force, elle est force contre une autre, une force occupée
avec une autre force, c'est-à-dire une force participante à une autre force. C'est en ce sens que Freud écrit que « Das
Schlechte, ce qui est mauvais, das dem Ich Fremde, ce qui est étranger au moi, das Aussenbefindliche, ce qui se trouve-
au-dehors, ist ihm zunächst identisch, lui est d'abord identique. »43 Ainsi, le jugement d'attribution négatif semble être le
35
36
37
38
39
40
41
42
43
symbole d'une opération réelle d'expulsion ; laquelle n'est jamais sans un état réel d'unité avec ce qu'elle expulse. Le
corps, travaille réellement toujours avec l'étranger qu'il est toujours occupé à expulser de soi.
La négation à l'oeuvre de la dénégation n'est donc pas simplement le « non » posé dans la proposition « Je ne suis pas
A ». Cette expulsion réelle, Hyppolite fait remarquer judicieusement qu'elle est la condition de possibilité même de
toute symbolisation d'un contenu. Comme le remarque très finement Hyppolite, la négation existentielle va jouer un rôle
beaucoup plus global : elle n'est pas comme simple tendance réelle à l'exclusion, mais elle permet même ce qu'il appelle
l' « attitude fondamentale de symbolicité explicitée. » Cette symbolicité consiste en ceci que « tout le refoulé peut à
nouveau être repris et réutilisé dans une espèce de suspension, et en quelque sorte au lieu d'être sous la domination des
instincts d'attraction et d'expulsion, il peut se produire une marge de la pensée, une apparition de l'être sous la forme de
ne l'être pas, qui se produit avec la dénégation, c'est-à-dire où le symbole de la négation est rattaché à l'attitude concrète
de la dénégation. »44
La possibilité même de poser comme affirmé ou nié un certain contenu d'abord inconscient, ce que Hippolyte appelle
l'utilisation, est assurée par cette attitude concrète de symbolisation, elle-même issue d'une expulsion réelle. La
symbolisation, l'attitude concrète de la dénégation, est ici en deça de la négation posée, parlée.
On a donc donné un nouveau nom à cette curieuse structure de la participation : la symbolisation. La symbolisation
participe de ce qu'elle nie dans la mesure où l'attitude concrète de la dénégation, permettant la création d'une marge de
la pensée ou de la position, du parler, de l'articulation même, est ontologiquement entremêlé à ce que, comme sa
symbolisation, elle n'est pas. Attention ici, il faut bien dissociser la négation interne au jugement de la dénégation : la
dénégation n'est pas articulable en elle-même, posable : elle est la condition même de la position, négation ou
affirmation.

4. De la différence existentielle à la différence intra-symbolique.


Si maintenant, on essaie de penser un peut cette relation de la symbolisation, on trouve assurément quelque chose de
l'ordre de l'affectif, le symbolisé ; qui peut être symbolisé, en deux sens, comme affirmé ou nié.
Si maintenant nous nous saissons, par exemple, du symbole : « X est là », il est clair qu'il est négation en deux sens. Il
est d'abord par sa forme même, comme être-posé, la négation même de l'ordre de l'affectif, ce qu'on a appelé l'attitude
concrète de la négation. Mais il est aussi négation de « X n'est pas là », négation symbolisée d'un autre symbole.
Ce que l'on remarque, c'est que toute symbolisation d'un réel implique deux relations de symbolisation : une relation
entre les symboles possibles et le symbolisé et une relation entre les symboles possibles eux-mêmes.
Si Hippolite attire l'attention sur la première relation, on peut dire que Lacan met l'accent sur une autre et, plus
précisément, qu'il déplace l'intérêt de l'analyse de la différence existentielle entre le signifiant et la référence à la
différence intra-symbolique entre deux signifiants.
Que la négation seulment symbolique soit indissociable d'une attitude de négation concrète est une proposition d'une
très grande portée. Elle signifie que dès lors que l'on symbolise quelque chose, par exemple « X » symbolise un réel,
alors apparaît par là-même la possibilité d'une différence intra-symbolique entre « X » et « non-X ».Ces deux ordres
sont très manifestes quand on lit, au fil des Ecrits, ce que Lacan dit à propos du jeu d'enfant tel qu'il est exposé par
Freud dans son fameux ouvrage Au-delà du principe de plaisir. Par exemple dans sa conférence intitulée « Fonction et
champ de la parole et du langage en psychanalyse », où il est question, le temps d'un paragraphe – très dense par sa
portée, comme c'est souvent le cas chez Lacan – de « la raison des jeux répétitifs où le subjectivité fomente tout
ensemble la maîtrise de sa déréliction et la naissance du symbole. »45
Lacan observe que ces jeux d'occulation montrent que le moment où le désir s'humanise est aussi celui où l'enfant naît
au langage, mais cela ne nous intéresse pas ici. Bien plutôt nous intéressent les deux moments du processus de
symbolisation qu'il met en évidence :
Le symbole se manifeste d'abord comme « meurtre de la chose »46. Que cela signifie-t-il ? Dans un autre texte intitulé,
Lacan parle du mot comme le mot ce « qui est déjà une présence faite d'absence », dans lequel « l'absence même vient à
se nommer. » L'absence de qui ? Assurément l'absence de la mère, de la mère réelle.
Mais l'erreur est ici de croire que le symbole de l'absence de la mère réelle est la répulsion de l'objet que l'enfant fait
partir. En réalité, le symbole de l'absence de la mère n'est pas là, mais dans le « Fort ! ». Maintenant, nous dit Lacan, le
jeu de l'enfant consiste en ceci que la nomination de l'absence est recréée perpétuellement dans le milieu symbolique
lui-même. C'est-à-dire que la jaculation « Fort ! » n'est qu'en tant que couplée à la jaculation opposée « Da ! » et ne
fonctionne qu'en tant qu'elle revient toujours de « Da !» et dans l'alternance du « Fort ! » et du « Da ! ».
En clair, cela signifie qu'il n'y a symbolisation de l'absence de la mère réelle qu'en tant qu'elle est couplée à la
symbolisation de la présence de la mère réelle. Autrement dit, la différence entre le réel symbolisé et le symbole
(« Fort !) est toujours corrélée à une différence interne entre deux symboles qui s'alternent (« Da ! » et « Fort ! ») : si
bien que le symbole « Fort ! » est tout aussi bien symbole de l'absence du symbole « Da ! ».

Mais Lacan ne fait pas que montrer cette corrélation : en fait il déplace tout l'intérêt de l'analyse dans la différence intra-
symbolique. En effet, il écrit clairement que la signification d'un signification ne consiste qu'en ceci qu'elle renvoie à
une autre signification : ainsi dans le texte intitulé « La chose freudienne » que nous avons déjà cité, il écrit que la

44
45
46
signification « s’avère ne jamais se résoudre en une pure indication du réel, mais toujours renvoyer à une autre
signification. »47
Ce n'est pas une autre caractéristique que met en évidence Saussure dans ses Cours de Linguistique générale et ses
Essais de linguistique générale : c'est un principe bien connu que toute signification ou signe isolé n'a de valeur qu'en
tant qu'opposé à d'autres significations ou signes dans un ensemble. Ainsi lit-on dans le fameux quatrième article du
chapitre IV de la seconde partie des Cours de Linguistique générale une charge contre cette idée reçue selon laquelle la
valeur d'un mot est d'abord la signification c'est-à-dire propriété qu'il a de représenter une idée, comme si la
signification était la contre-partie de l'image auditive et que tout se passait entre l'image auditive et le concept, dans les
limites du mot considéré comme un domaine fermé, existant pour lui-même. Cet article se termine par cette propriété de
la signification que l'idée attachée à un terme est constituée uniquement par ses rapports et différences avec les idées des
autres termes de la langue : « qu’on prenne le signifié ou le signifiant, la langue ne comporte ni des idées ni des sons qui
préexisteraient au système linguistique, mais seulement des différences conceptuelles et des différences phoniques
issues de ce système. »48 La même chose est établie de façon on ne peut plus claire dans le paragraphe 20b de ses Ecrits,
où on lit que « dans d'autres domaines […] on peut parler des différents objets envisagés, sinon comme de choses
existantes elles-mêmes, du moins comme des choses qui résument des choses ou entités positives quelconques à
formuler autrement ; or il semble que la science du langage soit placée à part, en ce que les objets qu'elle a devant elle
n'ont jamais de réalité en soi, ou à part des autres objets à considérer […] n'ont absolument aucun substratum à leur
existence hors de leur différence des différences de toute espèce que l'esprit trouve moyen d'attacher à LA différence
fondamentale […] leur différence réciproque fait toute leur existence. »49

2. La logique de l'être est une logique du signifiant : mise en évidence.

Logique de l'être est une logique de l'être du signifiant. Si ce que nous avons dit sur l'explication du logique vaut
quelque chose, alors nous sommes censés retrouvés dans les structures décrites par la Logique des structures que Lacan
a remarqué dans le signifiant. Un premier point préliminaire, qui en fait créera la contradiction qui nous mènera à la
Logique de l'essence : il s'agit de point de vue adopté par la Logique de l'être. Le point de vue de la logique de l'être
consiste en ceci que l'ob-jet est visé, opiné, ce que l'allemand traduirait par gemeint: c'est-à-dire qu'il est appréhendé
comme un étant immédiat. Cette partie aura pour fin ceci qu'elle mettra en évidence fait que le point de vue
intentionnel est mis en déroute par la nature même de l'objet dont il s'occupe. En effet, le signifiant se révélera comme
ce qui ne peut être connu qu'en tant qu'un parmi plusieurs, c'est-à-dire que son appréhension même ne peut être que
d'ensemble, et son être que comme un moment de cet ensemble. Le point de vue intentionnel sera ains disqualifié.
Il est à ce titre révélateur que ce passage d'un point de vue à un autre est analogue au passage du point de vue de la
signification que critique Saussure à la signification véritable : en effet, ce que nous apparennent Saussure et Lacan est
ceci que la signification n'est toujours qu'en tant que moment d'un ensemble. Ainsi Lacan écrit que « si les significations
saisissent les choses, c’est seulement à constituer leur ensemble en l’enveloppant dans le signifiant. »50
Ainsi, on peut dire que le premier point de vue de la logique de l'être, celui consistant à intentionner, correspond à la
mauvaise compréhension du signifiant : celle-ci aurait pour réflexe d'intentionner le signifiant comme un objet étant-là,
isolée, comme une « lettre volée » pour reprendre l'image qu'utilise Lacan. La logique de l'être est la démonstration que
la nature même de l'objet qu'on intentionne comme étant force le logicien à changer de point de vue et à considérer le
signifiant dans son être véritable, c'est-à-dire seulement comme moment d'un ensemble.

1. L'unité étante de l'être et du néant.


Comme unité étante de l'être et du non-être, on peut considérer Dasein de deux façons : comme unité étante de l'être et
du non-être (c'est-à-dire comme étant non-étant, négation étante) ; et comme unité étante de l'être et du non-être
(comme étant non-étant, être de la négation). C'est-à-dire qu'on peut mettre « l'accent »51 sur le fait qu'il soit ou sur le
fait qu'il ne soit pas (qu'il soit comme « nicht », une négation).
C'est là que se dirige l'analyse que fait Hegel.
La déterminité, considérée comme déterminité étante est la réalité.
La déterminité, considérée comme déterminité niante, négation, différenciation, est la qualité.
Cette différence entre Dasein comme réalité et Dasein comme qualité, dans la mesure même où elle est la différence
imposée par le Dasein, est. Mais dans la mesure où elle n'est pas ce dont elle est différence, le D asein en général,
comme étante, elle est également un « nicht », le n'être-pas de ce Dasein. Autrement dit, elle aussi est étante-là : étante
comme négation de Dasein. C'est précisément pour cela que cette différence entre la réalité et la qualité est déterminée
comme : « étante-là à même Dasein »52. Mais, lit-on également, ces différenciés de la différence sont abolis : dans la

47
48
49
50
51
52
mesure, précisément où Dasein est l'unité étante de l'être et du non-être, alors cette différenciation entre son être et son
non-être est abolie, ne vaut rien. Cela dit, Hegel fait une remarque intéressante dans le premier paragraphe du Dasein en
général : « que le tout, l'unité, soit dans la détermination unilatérale de l'être, est une réflexion extérieure »53. C'est-à-dire
qu'il est tout aussi arbitraire qu'on la considère comme étante que comme non-étante.
C'est dans par la suite qu'intervient le second accent, dans lequel l'accent est mis sur la négation de l'unité étante : « c'est
dans la négation, dans le quelque chose et l'autre etc., que cette unité en viendra à être posée.»54

2. Quelque chose et l'autre : le signifiant étant considéré dans sa relativité.

« Dasein » est donc désormais posé comme unité étant la négation d'un autre « Dasein ». Cela nous l'interprétons de la
façon suivante : le signifiant est maintenant posé comme signifiant étant la négation d'un autre signifiant.
Mais chacun de ces deux signifiants est de la même façon un signifiant : c'est précisément pour cela qu'on lit que « le
quelque chose et l'autre sont tous deux d'abord des étants-là ou des quelques choses. (Etwas und Anderes sind
beide erstens Daseiende oder Etwas) »55 De même, lit-on, chacun de ces deux signifiants est de la même façon la
négation de l'autre signifiant : ils sont tous les deux un autre.
Si un signifiant plutôt que l'autre est désigné comme autre, c'est donc une détermination arbitraire qu'il n'a pas pour lui-
même : « l'être-autre apparaît ainsi comme une détermination étrangère à l'étant-là déterminé ainsi ou l'autre apparaît à
l'extérieur de l'étant-là. (Es erscheint somit das Anderssein als eine dem so bestimmten Dasein fremde Bestimmung oder
das Andere außer dem einen Dasein) Ainsi, le signifiant « Fort ! » ne semble pas pour lui-même être l'autre de « Da ! »
et ne semble indique aucune relation d'altérité avec lui.
Mais dans la mesure où ici on tient ferme l'opposition entre quelque chose et l'autre, alors l'autre est posé comme autre
pour soi-même : « de la façon dont l'autre est d'abord posé, il est ainsi pour soi-même en relation au quelque chose, mais
aussi pour soi-même à l'extérieur de lui. (wie das Andere zunächst gesetzt ist, so ist dasselbe für sich zwar in Beziehung
auf das Etwas, aber auch für sich außerhalb desselben) C'est-à-dire que l'on considère d'emblée « Fort ! » comme pour
lui-même déterminé par sa négation de « Da ! ».
Autrement dit, l'objet de l'analyse se révèle ici comme l'autre à même lui-même (das Andere an ihm selbst) : « l'autre
doit être considéré comme isolé, en relation à soi-même ; abstraitement comme l'autre. (abstrakt als das Andere) ». Cela
signifie que son être consiste en ceci qu'il est la négation d'un autre étant-là et ne consiste qu'en ceci. Il faut donc bien
entendre le sens de « an » dans « an ihm selbst » : ce qui est an ihm commence de lui-même. C'est-à-dire qu'ici l'objet
dont il est question commence de lui-même comme autre, il n'est qu'en tant qu'autre. Cela n'est pas sans nous rappeler
ce que nous disions ci-dessus sur le symbole « Fort ! » : il n'est qu'en tant que revenu de l'autre signifiant « Da ! ».

Ainsi, « le quelque chose se conserve dans son non-être-là (Etwas erhält sich in seinem Nichtdasein) » Que quelque
chose se maintienne dans son non-être-là signifie simplement qu'un signifiant fonctionne dans la mesure où il n'est pas
un autre signifiant. En même temps, dans la mesure où il est lui même un signifiant consistant, un certain matériel
signifiant, il n'est pas pure négation du signifiant, simple néant, mais signifiant étant en relation à sa négation de l'autre
signifiant : « il se tient ainsi en relation à son être-autre ; il n'est pas purement son être-autre. L'être-autre est à la fois
contenu en lui et séparé de lui : il est être-pour-un-autre. (Das Anderssein ist zugleich in ihm enthalten und zugleich
noch davon getrennt; es ist Sein-für-Anderes) Le signifiant se détermine ainsi comme être pour un autre signifiant, ou,
comme Hegel l'écrit, être-pour-un-autre.
Apparaît alors une nouvelle opposition entre deux déterminations de l'objet : l'être-en-soi, das Ansichsein, aussi appelé
relation à soi ; et l'être-pour-un-autre, das Sein-für-Anderes. Le signifiant comme être-en-soi est le signifiant considéré
du côté où il est un matériel signifiant, indépendant, étant, tandis que le signifiant comme être-pour-un-autre est le
signifiant considéré dans sa relativité à l'autre signifiant. Les deux déterminations sont des déterminations d'un seul et
même objet et « le quelque chose [le signifiant] est en soi, dans la mesure où il est rentré en lui-même à partir de son
être-pour-un-autre ». Ici donc, l'être du signifiant en lui-même est explicitement rendu possible par le fait qu'il soit pour
un autre. Ces deux moments sont en effet inséparables (ungetrennt in ihm sind) : « l'être-pour-un-autre est, dans l'unité
du quelque chose avec soi-même, identique avec son en-soi. (das Sein-für-Anderes ist in der Einheit des Etwas mit sich,
identisch mit seinem Ansich) »
L'unité étante de l'être-en-soi et de l'être-pour-un-autre reçoit par la suite un nom : c'est la détermination (die
Bestimmung). Par la suite, Hegel réinsiste sur cette structure en rappelant que « l'en-soi, dans lequel le quelque est
réfléchi dans soi à partir de son être-pour-un-autre, n'est plus en-soi abstrait, mais comme négation de son-être-pour-un-
autre, il est intermédié par celui-ci, qui est ainsi son moment. » Ainsi, dans le signifiant comme déterminé, « l'être-autre
est posé comme son propre moment, son être-dans-soi comprend en lui la négation, par laquel il a désormais en général
son être-là affirmatif. (das Anderssein als sein eigenes Moment in ihm gesetzt ist, sein Insichsein befasst die Negation in
isch, vermittels derer ûberhaupt es nun sin affirmatives Dasein hat) ». Toute cette partie de la logique, si elle est
interprétée comme une logique du signifiant, ne vise qu'à établir fermement la relativité de l'être du signifiant comme sa
condition de possibilité.
Simplement, dans la mesure où « la détermination » nomme l'unité étante-en-soi de l'être-en-soi et de l'être-pour-un-

53
54
55
autre du signifiant, alors ce second moment est en lui aboli, il est en lui son moment, mais un moment caché. De même
lorsque l'on considère le signifiant « Da ! », tout en sachant que celui-ci n'a de sens que dans sa relation au « Fort ! » et
qu'il l'a contient implicitement, notre attention est limitée au « Da ! » étant face à nous.
Dans la mesure maintenant, ou ce signifiant est étant et étant comme la négation de l'être-pour-un-autre – revenu de son
être-pour-un-autre –, « le quelque chose lui-même est la négation, l'arrêt d'un autre à même lui (das Etwas selbst ist die
Negation, das Aufhören eines Anderen an ihm) ». Il est posé comme signifiant se rapportant négativement à cet autre : il
est limite.
Dans la mesure, maintenant, où son être de limite consiste en ceci qu'il est le non-être d'un autre, le quelque chose est
hors de sa limite, c'est-à-dire de son non-être. En effet, lui est étant et en tant que tel, n'est pas non-être. On peut dire
que le non-être constitue son caractère extérieur pour lui. C'est précisément en ce sens que le Dasein immédiatement de
l'Etwas et la limite sont le négatif l'un de l'autre.
Simplement, ce caractère extérieur du quelque chose, son non-être-pour-un-autre n'est pas qu'un caractère : il est
également sa condition même de possibilité, il constitue son être. Le quelque n'est que dans sa limite et grâce à sa
limite, c'est-à-dire grâce à la négation, qu'il porte sur lui extérieurement. Il sépare donc de lui-même son être en
indiquant vers son non-être comme son être.
C'est-à-dire que le signifiant, dans la mesure où il est intentionné comme objet isolé étant, est hors du mouvement de
négation qui l'a posé et a constitué son être. Il le porte ainsi à même lui extérieurement, et ne peut qu'indiquer vers son
non-être, sa négation, comme vers son être véritable.

3. L'insaisissable objet.
Dans la mesure où le quelque chose est appréhendé comme ce dont l'être ne consiste que dans le non-être, il est le fini.
Le fini est le signifiant considéré uniquement comme négation d'un autre signifiant. La différence entre le fini et l'autre
est que tandis que l'autre est réfléchi comme négation étante, le fini quant à lui est réfléchi comme néant en soi : il est
« an sich Nichtige », c'est-à-dire ce dont l'être ne consiste que dans le non-être. Si le signifiant comme autre était en
partie être et en partie non-être – être-en-soi et être-pour-un-autre –, ici, le signifiant comme fini est pur non-être et son
être ne consiste qu'en ceci d'être négation.
Le reste de la logique va viser à montrer que le point de vue même de la logique de l'être est inadapté pour appréhender
ce néant en soi. En effet, dans la mesure où « néant en soi » est intentionné comme objet étant, alors celui-ci est toujours
au-delà de son non-être. Autrement dit, par exemple, si je porte mon attention sur le signifiant « Fort ! », est par là aboli
le mouvement de négation de « Da ! » duquel il résulte. En tant qu'étant, il est donc négation de ce qu'il est : mais c'est
sa nature elle-même d'être négation. Il n'est donc qu'en tant que se dépassant ; mais se dépassant est précisément ce en
quoi consiste son être. Le fini en tant qu'intentionné comme objet est donc toujours s'étant dépassé, c'est-à-dire infini :
« c'est la nature du fini lui-même, de passer au-delà de lui-même, de nier sa négation et devenir infini. »
La conclusion de ce passage est donc que en tant que cet objet est intentionné comme étant, l'intention qui le vise est
toujours au-delà, manque toujours cet objet. Ce manquement est d'ordre structurel : il est constitutif de la façon d'être de
cet objet, le néant en soi.
Ce dont la façon d'être consiste en ceci d'échapper sans cesse au point de vue intentionnel est le fini : cela signifie que
lorsque l'intention le nie, bien plutôt, elle affirme son être, car son être consiste précisément en ceci de ne pas avoir
d'être là mais d'être partout là où l'intention manque le coup, c'est-à-dire toujours. Dans la mesure, donc où l'intention
manque son être, elle le réalise bien plutôt car il est ce dont le non-être constitue son être.
Ainsi, le point de vue de la logique de l'être est mis en défaut par la nature même de son objet. Cela n'est pas sans
rappeler ce que nous dit Lacan des rapports que le signifiant entretient avec le lieu dans le premier texte de ses Ecrits à
propos de la lettre volée. En guise de rappel, on peut dire que la lettre volée, issue d'une nouvelle d'Edgar Allan Poe du
même nom, est utilisée par Lacan comme exemple permettant d'expliquer le fonctionnement du signifiant. Il dit de cette
lettre la chose suivante : « on ne peut pas dire de la lettre volée qu'il faille qu'à l'instar des autres objets, elle soit ou ne
soit pas quelque part, mais bien qu'à leur différence, elle sera et ne sera pas là où elle est, où qu'elle aille. »56Dès lors, le
mode de recherche des policiers, qui cherchent la lettre volée en fouillant l'espace, n'aura jamais de résultat : « comment
les policiers auraient-ils pu saisir la lettre ? » Ils sont prisonniers de cette « imbécillité réaliste qui ne s'arrête pas à dire
que rien, si loin qu'une main vienne à l'enfoncer dans les entrailles du monde, n'y sera jamais caché, puisqu'un autre
main peut l'y rejoindre, et que ce qui est caché n'est jamais que ce qui manque à sa place, comme s'exprime la fiche de
recherche d'un volume quand il est égaré dans la bibliothèque. » La conviction de ce que le signifiant est trouvable
quelque part comme un étant isolé : telle est l'illusion dans laquelle est engoncé le point de vue de la logique de l'être.
Mais si la pensée comme intention est abolie, cela ne signifie pas la fin pure et simple de l'étude du signifiant. En fait,
cela signifie simplement que l'on doit changer la façon de penser en en trouvant une qui soit viable et ne s'abolisse pas.
Ici, en l'occurence, au cours de l'ensemble des échecs des intentions particulières, qu'est-ce qui se répète ? Le fait pur et
simple d'intentionner, de se positionner en général face à l'objet et de le réfléchir comme quelque chose.

2. La logique de l'essence.
1. La vérité de l'être. Que cela signifie-t-il ?
L'objet de la logique de l'essence, nous l'avons identifiée comme la logique du rapport entre le réel supposé étant sous la
chaîne des signifiants, et ces signifiants eux-mêmes. Pour cela, quelques précisions terminologiques s'imposent.

56
« L'essence est réflexion. »57 Que cela signifie-t-il ?
Dans la mesure où quelque chose est réfléchi comme quelque chose d'autre, on dit qu'il est pensé, posé, ou dit comme ce
quelque chose. La différence entre ce comme quelque chose et le quelque chose réfléchi, appelons-là différence de la
réflexion. Maintenant, si on se souvient de la structure de ce que Lacan appelle l'être, on observe que celui-ci se
soutient de ce qu'il est comme la chaîne de signifiants dont il est le support. On retrouve également une structure
impliquant la différence de la réflexion. Ainsi, si l'ob-jet de la logique de l'essence est la différence de ce comme, on
peut dire que celui-ci est tout aussi bien de penser la relation entre l'être et la chaîne de signifiants qui l'écrit.
« La vérité de l'être est l'essence. » Il est temps d'essayer de comprendre ce que Hegel semble entendre par « vérité ».
En fait, cela est assez analogue à la conception lacanienne de la vérité : c'est-à-dire que la vérité, en tant que telle, c'est
ce qui s'articule.
Nous avons commencé par le point de vue de la logique de l'être, c'est-à-dire que l'objet était intentionné comme
corrélat immédiat étant d'une intention. C'est ce que signifie la proposition selon laquelle « l'être est l'immédiat »58. Ce
point de vue s'est ensuite révélé comme insuffisant à saisir l'objet qu'il s'est proposé.
Dès lors, la vérité n'est pas dans une prise de vue particulière, mais elle est le fait de se positionner en général, le fait de
prendre des des prises de vues sur cet « objet » qu'on a appelé « être » ou « signifiant ». Provisoirement, cette vérité
prend le nom d'essence, auquel on peut donner la même définition : l'essence est le se-positionner même de la pensée.
Dès lors, la vérité, ou l'essence, est essence se répétant, dans la mesure où comme se-positionner, son fonctionnement
consiste à se répéter au travers de ses nombreuses prises de vues. Mais dès lors, il n'y a d'immédiat véritable que pris
comme moment de cette répétition. C'est précisément en ce sens que l'être est dit être apparence : ce qui dans la logique
de l'être apparaissait comme étant immédiat se révèle en fait déjà comme un réfléchi pris dans l'ensemble de la
réflexion. C'est ce que signifie idéalité : « En effet, prendre une vue, se positionner, cela signifie réfléchir le corrélat
immédiat comme quelque chose, et ce comme quoi quelque chose est réfléchi, c'est l'apparence. Ainsi, il n'y a d'être que
comme reflectum ; ou plutôt le reflectum seulement est. Cette apparence est le négatif posé comme négatif : en effet,
dans la mesure où dans la logique de l'être, la réflexion n'est pas posée comme réflexion, mais est réflexion en soi,
inconsciente d'elle-même, elle n'est pas négatif comme négatif.
En termes lacaniens, on peut dire que l'être de l'essence consiste en ce qu'il est écriture, c'est-à-dire en ce qu'il se
produise dans des signifiants qui s'enchaînent. Ainsi, si l'être véritable est ce s'écrire, alors le mouvement de cet écrire,
cette production de signifiants, qui n'est qu'un passage de signifiant en signifiant, est l'être véritable, ce que Hegel
indique en disant que l'immédiateté véritable est « seulement ce mouvement même ». Ce mouvement, il l'appelle .
L'essence, comme être véritable s'écrivant dans le défilé de ses signifiants, est ainsi, comme s'écrivant, considéré
comme réflexion. C'est précisément ce que signifie « l'essence comme réflexion dans elle-même »
Cette essence comme réflexion est aussi appelée « négativité absolue » ou « négation se rapportant à elle-même » : dans
la mesure où elle est comme réflexion à même un objet qui lui est autre et qu'elle ne se soutient que de ce qu'elle est sa
réflexion, elle est négation. Cela dit, dans la mesure où comme on l'a vu elle non pas simplement prise de vue unique
mais écriture articulée, chaîne de signifiants, elle est une négation se constituant comme elle-même, une négation se
constituant comme négation et se rapportant ainsi à elle-même. L'essence semble vraiment fonctionner d'une façon
analogue à l'écriture de ce que Lacan appelle réel ou inconscient dans le sujet.

2. L'hypostase du réel (ou de l'inconscient)


1. Dans la logique.
Mais plus tard dans la Logique de l'essence, cette essence se détermine comme fondement. Qu'est-ce-à-dire ?
Au cours des premières pages de la logique de l'essence, la structure de celle-ci, comme réflexion dans elle-même se
détermine comme identité, puis différence, jusqu'à être déterminé comme fondement (Grund). Lorsque nous
considérions l'essence comme réflexion dans elle-même comme véritable être, alors l'être de cet étant était pour ainsi
dire à l'intérieur de la réflexion : c'est le réfléchissant lui-même qui est le véritable étant. Ici, dans la mesure où l'essence
se détermine comme fondement, son être est bien plutôt l'abolition d'elle-même : l'être véritable, cet étant pour lequel
est la réflexion est bien plutôt expulsée hors de celle-là et déterminée comme ce dans quoi la réflexion est abolie.
En fait, ce passage de l'essence comme réflexion à l'essence comme fondement désigne le passage de l'inconscient (ou
du réel) de néant immédiat ou mouvement immédiat à étant. Autrement dit, dans la mesure où l'essence se détermine
comme fondement, elle se détermine comme étant, elle est hypostasié.
L'essence comme réflexion comme « pure intermédiation », « pur mouvement » ou articulation, est l'apparition d'elle-
même dans un autre. Dans la mesure, en effet, où la réflexion est extérieure, alors elle est une réflexion à même un autre
qu'elle réfléchit et pose comme son autre. Cet autre, que pouvons-nous en dire ? Rien, sinon qu'il est « das aufgehobene
Gesetztsein », c'est-à-dire qu'il abolit, ici limite au sens d'abolir une loi qui ne fonctionne plus, ne vaut plus, l'ensemble
de l'être-posé de la réflexion. Que l'abolition de l'être-posé implique (peut-on parler d'implication dans lma mesure où
elle est erlle-même une relation entre deux signifiants osés?) l'être d'un fondement est la conclusion fondamentale de
cette partie. Le question est de comprendre sa valeur et le rôle qu'elle a pu jouer dans la psychanalyse lacanienne.
Que le fondement de la réflexion, c'est-à-dire du défilé des signifiants, soit un étant en dehors de celui-ci, qu'il soit
hypostasié, est un point de vue théorique dont nous souhaiterions démontrer l'importance dans la pensée de lacan. En
effet, si ce point de vue est amené à être dépassé dans la logique de Hegel, il semble que Lacan également y soit

57
58
réfractaire et l'ait critiqué.

2. Dans la psychanalyse : « la bête ».


Nous souhaiterions dans cette partie traiter du problème de l'hypostase en psychanalyse – et par là même, dans la
logique hégélienne –, à partir de la notion de rêve telle qu'elle est présentée chez Platon dans un petit texte de la
République. La façon dont ici le rêve est pensé est un cas typique d'hypostase est en tant que tel nous est ici précieux
pour mieux la comprendre. Il est question dans ce texte pour Platon de distinguer parmi les désirs et les plaisirs non
nécessaires ceux qui sont illégitimes et ceux qui ne le sont pas : « Voici ce que je suis bien aise de remarquer dans les
désirs. Parmi les désirs et les plaisirs non nécessaires, j’en aperçois d’illégitimes qui naissent probablement dans l’âme
de tous les hommes [...] ». Lorsque Glaucon lui demande de quels désirs il parle, Platon répond : « Je parle de ceux qui
se réveillent durant le sommeil, lorsque la partie de l’âme qui est raisonnable, pacifique et faite pour commander, est
comme endormie ; et que la partie animale et féroce, excitée par le vin et la bonne chère, se soulève, et repoussant le
sommeil cherche à s’échapper et à satisfaire ses propres penchants. Elle ose tout alors, comme si elle avait secoué et
rejeté toute honte et toute retenue ; l’inceste avec une mère ne l’arrête pas […] »59 Cette description de la partie
irrationnelle de l'âme comme animale, féroce, excitée par le vin, se soulevant, cherchant à s'échapper et à satisfaire ses
propres penchants, peut paraître anecdotique : elle est en fait capitale, car elle court au travers de l'ensemble des fausses
représentations que l'on se fait de l'inconscient. Puisque l'ensemble de ces actions suppsosées sont attribuées à cette
partie animale et féroce, cela présuppose qu'elle soit un étant, comme une bête au cœur même de l'esprit de l'homme.
Ces tentatives de description de l'inconscient comme un étant à part de la conscience, ce sont précisément celles-ci que
critique Lacan dans la partie intitulée « Linconscient freudien et le nôtre » dans les son séminaire intitulé « Quatres
concepts fondamentaux de la psychanalyse ». L'inconscient freudien, y lit-on, fonctionne d'une façon tout à fait
différente de celles des inconscients qui l'ont précédé. Citant la conception de l'inconscient de Carl Jung et Edouard von
Hartmann, il les résume ainsi : ce sont des inconscients « toujours plus ou moins affiliés à une volonté obscure
considérée comme primordiale, à quelque chose (nous soulignons) d'avant la concisence » à quoi Freud oppose « la
révélation qu'au niveau de l'inconscient il y a quelque chose en tous points homologue à ce qui se passe au niveau du
sujet – ça parle [...] » Laissons de côté la remarque sur Freud pour mettre l'emphase sur ceci que la détermination de
l'inconscient comme quelque chose, quelque chose d'étant, c'est-à-dire son hypostase est quelque chose à quoi Lacan,
dans son retour « au sens de Freud » doit faire face et, dans sa théorie, abolir, dans la mesure où l'inconscient est d'abord
parole articulée, posée, s'écrivant, et non pas étant comme quelque chose derrière cette parole. La logique de l'essence
comme fondement est donc la logique qui a pour objet cette erreur, qui est en fait une attitude de la pensée se
représentant la référence de ses positions comme étante.

3. Substance, puissance, et ombilic.


Plus tard, dans la logique, l'essence ne se détermine plus seulement comme fondement mais comme substance. C'est-à-
dire qu'en elle, la réflexion ne se réfère plus comme à quelque chose d'étant dans lequel elle s'abolit ; mais le fondement
lui même est l'étant se posant comme cette réflexion. L'être de la substance ne consiste qu'en ceci qu'il se pose comme
apparence. Autrement dit, ce qui auparavant se déterminait comme une relation de simple abolition entre la réflexion et
le fondement, se détermine ici comme une relation de position : le posant étant cet étant qu'est la substance et le posé la
réflexion et l'ensemble des apparences qui la constituent. Autrement dit l'un pour lequel est le réflexion n'est plus
seulement étant, mais la posant elle-même.
L'être de la substance conssite en ceci qu'il est, parce qu'il est (das Sein, das ist, weil es ist). Cela signifie que comme
substance, la position de l'essence précède son être. Cela ne signifie rien d'autre que ceci : le substance ne tient son être
que de ce que celui-ci est une apparence, un reflectum ; ou encore, il n'y a comme étant que l'être-réfléchi, et celui-ci est
la substance elle-même. C'est-à-dire qu'à ce stade, le fondement n'est plus l'autre étant autre de la réflexion mais l'être de
la substance est l'être des accidents eux-mêmes. C'est ce que Hegel exprime en disant qu'il y a une « présence de la
substance dans les accidents »60. Dans la mesure où l'apparence est ici immédiatement son être, alors la réflexion
produisant cette apparence n'est pas être-posé face à ce fondement, mais être-posé de ce fondement lui-même,
apparaître de lui-même, raison pour laquelle la substance est se-poser et seulement ce se-poser. Dit en d'autres mots,
cette position n'est plus la production d'une réflexion extérieure au fondement étant ; mais le fondement étant est se-
poser lui-même.
Enfin, dans la mesure où il est se posant, ce comme quoi il se pose est l'accidentalité. L'accidentalité est posée comme
ce comme quoi est la substance et est son être même. De même, la substance est posant ce comme quoi elle ; et cette
position de ce comme quoi elle est constitue son être même. La suite du texte sera consacrée à la relation entre le se
posant et ce dans quoi il se pose.
La substance comme posante, c'est la cause, die Ursache. Elle est « puissante posant les déterminations et les
différenciant d'elle-même. ». Un point important ici, en tant que posant les déterminations, cela est toujours corrélatif
d'un sich unterschiedene et du fait qu'elle se fait elle-même position. On observe donc un engagement dans l'être-posé
de ce qui différencie de soi l'être-posé. Ainsi il y a deux côtés à la cause : comme posante, elle est l'un étant pour lequel
tous ses accidents sont ; comme se différenciant de ce qu'elle pose, elle n'est elle-même qu'en tant que déjà posée dans
son activité, enchaînée à elle.

59
60
Il faut donc bien comprendre qu'ici, la substance est l'étant qui pose, das Setzende, et en même temps que posante n'est
qu'en tant que déjà posée dans ce qu'elle pose. Autrement dit, l'originaire, das Ürsprungliche, est déjà comme posé et
n'est qu'en tant que déjà posé dans sa différence avec ce qu'il pose.

Cet enchaînement du non-symbolisable à la chaîne des signifiants, nous l'avons retrouvé d'une façon tout aussi
manifeste dans ce que Freud dit dans une discrète note du rêve, que Lacan reprend de nombreuses fois. Il s'agit d'une
note présente dans l'Interprétation des rêves dans le passage consacré au fameux rêve de la nuit du 23 au 24 juillet
1895 : celui de l'injection d'Irma. Après avoir établi le récit de ce rêve, Freud en propose ensuite une analyse, qu'il
découpe en plusieurs parties : « La haute et vaste salle – beaucoup d'invités, que nous accueillons – […] Je fais des
reproches à Irma quant au fait qu'elle n'a pas accepté ma « solution ». […] Je lui dis « si tu as encore des douleurs ,c'est
uniquement de ta faute […] Les plaintes d'Irma, les douleurs au cou, au ventre, à l'estomac. […] Elle a l'air pâle et
boursouflée […] Je prends peur à l'idée qu'il y a bien là une affection organique qui m'a échappé . »
Tous ces éléments reçoivent un début d'analyse, sauf un : « la bouche s'ouvre bien ; elle raconterait plus de choses
qu'Irma. » En note de cette page, nous lisons ceci : « Je devine que l'interprétation de cet élément n'est pas suffisamment
poussée pour permettre de suivre la totalité du sens caché. […] Tout rêve comporte au moins un endroit où il est
insondable, une espèce de nombril qui le met en connexion avec ce qui n'est pas identifié (unerkannt ). »61 C'est-à-dire
que l'ombilic est quelque chose d'articulé au sein de la chaîne de signifiants du rêve (donc posé) mais articulé comme
ce qui ne peut pas être reconnu, comme ce qui ne peut pas être articulé manifestement au reste des chaînons, comme ce
qui ne peut pas être compris par l'analyse. Il est donc articulé au sein de la chaîne signifiante comme l'inconnu.
Comme ombilic, le non-symbolisable se présente comme non-symbolisable. C'est-à-dire qu'il se présente comme ce qui,
au sein de la chaîne du rêve, n'est pas compris, conçu à partir du reste de la chaîne : ce dont on ne comprend pas
l'articulation avec le reste, certes, mais qui reste articulé. Il est le chaînon auquel l'analyse s'arrête, le seuil, peut-être,
d'un réel radical, mais un seuil qui reste enchaîné au reste : étape avant le non-symbolisable présupposé par l'esprit qui
hypostase, mais symbolisé quand même. On peut ainsi nommer le passage de la pensée comme pensée de la substance à
la pensée comme concept : l'abandon radicale de la présupposition d'un réel étant derrière l'ombilic ; la conviction totale
que le réel non-symbolisable n'est qu'en tant que posé comme non-symbolisable au sein de la chaîne des signifiants.

3. La logique du concept

1. L'abandon du point de vue de l'hypostase.


La relation entre cause et effet se spécifie par la suite dans la logique comme relation entre la substance active et la
substance passive. C'est l'objet de l'introduction de la Logique du concept intitulé « Du concept en général » que de
reprendre une nouvelle fois la façon dont s'opère le passage de la logique de l'essence à la logique du concept.
Nous y lisons que cette relation fonctionne en deux moments :
– l'un de ses termes est une substance passive, qui est sans puissance, qui ne se pose pas elle-même, et est
seulement être-posé originaire. « Ursprüngliches Gesetztsein », cela signifie qu'elle ne commence qu'en tant
que posé par un autre qu'elle ; c'est-à-dire qu'elle n'est pas étante en soi, se donnant à elle-même son être. Elle
est en effet ce en tant que quoi un autre se pose. Pour comprendre ce fonctionnement, on peut repenser à la
relation entre le rêve comme articulation d'un réel et le réel qui s'y articule. Qu'il s'y articule signifie bien que
le rêve n'est que sa présentation.
– le second terme est une substance active qui en tant que telle s'est posée comme un autre et se rapporte à cet
autre. Ce qui donc se pose dans la substance passive comme ce qu'il est lui, est également dit être une
négativité (en effet, en tant que se posant, il n'est pas lui même ce qu'il pose, mais le négatif qui le pose, un
non-étant qui pose) se rapportant à soi (dans l'être-posé qu'il pose). Dans la mesure où dans ce qu'il pose, il
s'enchaîne à lui-même, s'écrit lui-même, cette partie est plus claire. Ce comme quoi il se pose est un autre
(encore une fois, on peut comprendre que le lieu dans lequel le réel s'écrit est pour lui un autre) et il se rapporte
à cet autre.
Nous sommes donc ici face à deux moments: il se pose comme ce à quoi en même temps il se rapporte comme à un
autre. Disons-le clairement : le passage du point de vue de la logique de l'essence au point de vue de la logique du
concept consiste en ceci qu'il n'y a plus pour la réflexion un autre étant face auquel elle se rapporte (qu'on l'appelle réel,
ou inconscient un fois appliqué au domaine de la psychanalyse) mais uniquement de l'être-posé, c'est-à-dire de la
réflexion. La logique du concept désigne le passage par lequel la pensée, en tant qu'elle n'hypostase plus un étant face à
elle, devient libre en s'en extrayant et en prenant conscience de son indépendance. Autrement dit, en termes
psychanalytiques, cela signifie qu'il n'y a pas d'inconscient étant face au sujet qui le signifie ; mais que l'écriture même
de l'inconscient est originaire. C'est la symbolisation dans une chaîne de signifiants du réel qui est originaire et la seule
étante ; et non pas un présupposé réel étant face à cette chaîne. L'articulation, ce que Hegel appelera le concept, est le
seul véritable étant. Voyons désormais comment est traité cet abandon de l'hypostase dans la logique.

61
Dans la mesure où, dans cet autre, la puissance se rapporte à elle-même, car c'est ce qu'elle est qu'elle y pose, elle abolit
ce dans quoi il se pose. Autrement dit, ce qu'il pose, c'est lui-même, et non un autre. C'est ce que signifie la proposition
selon laquelle : « à la puissance est donnée l'apparence de la puissance ; à l'être-posé est donnée l'apparence de l'être-
posé ». Cela désigne en fait la prise de conscience selon laquelle ce qui apparaissait comme autres l'un par rapport à
l'autre se révèlent comme étant la même chose, dans le même élément. Ce qui apparaissait comme originairement
puissance ou originairement être-posé se révèle comme posé lui même : le posant réfléchi comme posant ; le posé
réfléchi comme posé si bien que ce comme quoi ils sont en soi n'est qu'un être-posé lui même, qu'une apparence.
C'est-à-dire que ce qui apparaissait comme causalité, c'est-à-dire comme relation étante, se révèle n'être que posée
comme relation de causalité. Ainsi, il faut mesurer la portée de ce qui est ici livré : la thématisation de la relation de
causalité précède ontologiquement la relation de causalité elle-même. C'est l'articulation posée de la cause et du causé
qui est originaire ; si bien que ce qui apparaissait comme une relation entre deux étants se révèle n'être qu'une relation
posée entre deux êtres-posés. C'est cet enchaînement de la pensée qui est originaire ontologiquement : il n'y a qu'elle qui
est véritablement.
En langage psychanalytiquen, cela signifie que le réel ou l'inconscient, l'étant non-symbolisable, en tant que déjà
articulé dans le rêve (ou dans tout autre chaîne), est lui-même symbolisé et sa relation entre lui et les autres chaînons du
rêve consiste en ceci, non pas qu'il soit cause étante, mais simplement posé en réseau avec eux. La relation de causalité
est ainsi réduite à la relation entre signifiants ; la relation entre être-posés remplace relation de causalité présupposée.
En fait, cela correspond aussi tout à fait au déplacement que nous avons remarqué entre Hippolyte et Lacan.

Hegel insiste sur ce point puisqu'il en livre une autre démonstration.


a) Le causer est la position (traduction) de la cause dans l'activité, dans son autre, l'être-posé. (das Wirken das
Übersetzen der Ursache in die Wirkung, in ihr Anderes, das Gesetztseins)
Le concept de causalité même nous dit cela : un étant se pose soi-même dans un autre étant.
b) Dans l'activité, la cause se montre en tant que ce qu'elle est ; l'activité est [donc] identique à la cause, et pas son
autre ; la cause montre dans dans le causer l'être-posé comme ce qu'elle est. (in der Wirkung zeigt sich die Ursache als
das, was sie ist; die Wirkung ist identisch mit der Ursache, nicht ein Anderes; die Ursache zeigt also im Wirken das
Gesetztsein als das, was sie wesentlich ist.)
Puisqu'elle se pose comme ce qu'elle est dans cet être-posé, elle est identique à celle-ci, et pas un autre. La position
comme soi dans un autre contredit sa relation à cet autre comme autre : c'est bien ce que l'on a décrit comme la
contradiction fondamentale de l'hypostase.
On a une contradiction, dans la mesure où ce comme quoi il est, est un autre. Cette contradiction, prise en soi, c'est-à-
dire comme décrivant un état étant, pose problème. C'est-à-dire que dans la mesure où elle se rapporte à un étant, par
exemple l'inconscient, elle pose problème. C'est précisément en cela que la relation étante entre le causant et le causé
pose problème, est « sombre ».
Mais ce problème est résolu dans la mesure où on prend acte de ce que cette relation n'est qu'un être-posé.
Dans la mesure, maintenant où la relation de causalité et son originarité est passée dans l'être-posé, on obtient le résultat
suivant qu'il n'y a pas immédiatement une telle relation, mais qu'en tant précisément que c'est une relation
contradictoire, elle ne tient son être que de ce qu'elle est posée. C'est cela que signifie que « l'être-en-et-pour-soi st
immédiatement comme être-posé » : ce qui apparaît comme une contradiction étante n'est en fait que pure pensée, ce
qui apparaît comme relation étante n'est en fait déjà que pure relation de pensée. Autrement dit, l'altérité entre la cause
et le causé n'est qu'une apparence ; et bien plutôt n'est-elle qu'une différence pensée, déjà posée.
Dans la mesure, en effet, où la réflexion se déterminait comme nichts face à sa référence comme étante, elle n'était pas
comme vraie, car dans son autre, elle ne répète pas mais bien plutôt s'abolit ; comme en elle sa référence s'abolit. Mais
dans la mesure où la réflexion se révèle comme concept, alors l'autre qu'elle présupposait comme étant est bien plutôt
ici que comme posé, c'est-à-dire que son originarité par rapport à elle, l'originarité du fondement comme étant n'est
qu'une illusion. Dans la mesure où l'être de cet étant n'est qu'une apparence, n'est que sa position, elle se révèle comme
le seul étant, le seul étant se répétant au travers de cet autre qu'elle se présuppose. C'est-à-dire, en d'autres mots, que la
conscience de la relation de substantialité comme concept abolit l'apparence d'altérité entre la substance et la réflexion :
les deux apparaissant immédiatement comme autres l'un à l'autre, sont en vérité seulement-posés par un véritablement
étant, le concept.
C'est-à-dire qu'ici, le lieu de la pensée change. En effet, la substance, nous l'avions décrite comme l'hypostase d'un
inconscient présupposé qui s'écrit dans un autre, sur une autre scène dirait Freud. Ici, cette altérité entre les deux scènes
apparaît elle même comme une présupposition. Une présupposition de qui ? Assurément de nous, les sujets fautifs
réfléhissant sur l'être de l'inconscient. C'est précisément pour cela que Lacan écrit que l'hypostase et fautive et que
« l'inconscient est structuré comme un langage ». C'est-à-dire qu'il n'est qu'en tant que déjà articulé, si bien que réfléchir
sur l'inconscient en général n'a pas de sens dans la mesure où il ne faut pas le concevoir comme un étant, mais comme
un étant seulement universel, c'est-à-dire déjà structuré.
Une remarque à laquelle nous tenons est la suivante : la pensée de Hegel n'est pas la conscience arrogante d'une raison
qui créerait l'être, d'un concept créateur : elle est plutôt cette conscience aiguë de ce qu'il n'y a qu'elle qui ait lieu pour
nous : il n'y a que la pensée qui existe pour nous ; non parce qu'elle contiendrait un présupposé réel, mais parce qu'elle
en est bien plutôt séparée, laissée en dehors (freie) de ce présupposé réel étant. « Frei » cela signifie libre, mais surtout
isolé, indépendant. Le concept se conçoit ainsi comme ce qui est laissé en dehors d'un présupposé absolu étant. Si donc
en un sens, le lieu de la pensée change, c'est que ce qui est étant, ce qui pose les apparences, n'est plus présupposé
comme en dehors de la pensée subjective, mais comme étant la pensée subjective elle-même. La pensée, seule pense.
Dans la mesure où le concept ne « crée » rien, il nous appartiendra de comprendre ce que signifie son « objectivité ».

2. « Structure ».

1. La causalité réelle n'est qu'une apparence.


Nous voudrions partir dans cette partie d'un texte présent dans ce qui se donne comme un ouvrage sur le droit : il s'agit
du vingtième paragraphe de la première partie de la Théorie pure du droit de Kelsen. Ce texte nous a frappé par sa
convergence avec ce que nous voulons défendre ici : il n'y est rien expliqué d'autre que ceci qu'historiquement, le
principe de causalité est né du principe de responsabilité.
En effet, on y lit que « la loi de causalité est née du principe de rétribution. » A ce titre, Kelsen convoque très justement
que le mot grec qui désigne la cause (αιτία), est « originairement exactement équivalent à la faute »62. L'exemple ici
convoqué pour refléter cette idée est le suivant : « Si le soleil ne se mainteint pas dans le chemin qui lui est prescrit, les
Erinnyes, instruments de la justice, sauront le remettre dans le droit chemin. » Simplement, le lien entre le fautif et la
faute se distingue du lien entre la cause et l'effet naturels en ceci qu'il est un lien seulement posé entre ces
déterminations : il est un concept liant le fautif et la faute. Dans la nature, il n'y a pas immédiatement de fautif, ni de
faute. Dès lors, la causalité selon Kelsen se révèle comme étant originairement une causalité seulement réfléchie. Que
cela signifie-t-il ?
Admettons, pour prendre un exemple, que dans le réel, un homme dissolve le corps d'un autre homme. Dans le réel,
nous n'avons pas affaire à une faute. Mais désigner cet homme comme responsable de ce meurtre, c'est en faire une
cause au sens que nous avons vu ici, c'est-à-dire qu'il est réfléchi comme cause de la mort d'un autre, ou qu'il renvoie à,
qu'il signifie la mort de l'autre, tandis que l'autre est réfléchi comme ayant été tué par l'autre, c'est-à-dire qu'il signifie le
responsable. Ce que l'on veut dire ici est qu'il n'y a pas de causalité réelle mais que la causalité n'est que comme lien
pensé entre deux choses et n'est qu'ainsi. Autrement dit, dans le monde réel, il n'y a pas de relation de causalité
immédiate ; mais dans la mesure où l'on y conçoit des relations de causalité, le monde est déjà lu, déjà réfléchi comme
causal.
Que la causalité soit d'abord comme lien pensé entre deux choses permet le fonctionnement des comportements
magiques. Lacan, dans son intervention intitulée « La science et la vérité », propose la définition de la magie suivante :
« sur la magie, je pars de cette vue […]. Elle suppose le signifiant répondant comme tel au signifiant. Le signifiant dans
la nature est appelé par le signifiant de l'incantation. […] La Chose en tant qu'elle parle répond à nos objurgations. »63
C'est ainsi que fonctionne la magie : le magicien croit qu'en faisant tel acte signifiant, quelque chose dans la nature y
répondra, et à bon droit si cette réponse est la simple conservation du monde tel qu'il est. C'est-à-dire que le magicien
croit en ceci que son acte se tisse comme signifiant avec un événement naturel, que tous les deux constituent une chaîne
de signifiants se répondant et se renvoyant les uns aux autres, autrement dit un texte.
Le magicien y croit , dans le sens que donne Lacan à « y croire » dans le séminaire R.S.I. : « « Y croire » ça ne veut
dire strictement que ceci, ça ne peut vouloir dire sémantiquement que ceci : croire à des êtres en tant qu'ils peuvent dire
quelque chose. » Ici, le magicien croit en la chaîne de signifiants à laquelle il participe et qui soutient son être de
magicien : il y croit dans le sens où il y participe comme un des chaînons.
Mais dans la mesure précisément où il y croit, il n'est pas conscient de la nature exclusivement signifiante de cet
enchaînement à la nature, pour le magicien, c'est la nature qui lui répond, et non pas le signifiant qui renvoie à son
signifiant. C'est-à-dire que dans la mesure où la liaison entre signifiants est pour le magicien une liaison du
commandement à la demande, elle n'est pas sue par lui, il n'en est pas conscient. C'est précisément pour cela que dans la
magie « le savoir se caractérise non pas seulement de rester voilé pour le sujet de la science, mais de se dissimuler
comme tel, tant dans la tradition opératoire que dans son acte. C'est une condition de la magie. »64 C'est-à-dire que dans
la mesure où la magie est pratiquée, le sujet magicien n'est pas conscient que le rapport entre sa demande et la réponse
est un rapport simplement de signifiant à signifiant, seulement posé, et non pas un rapport existentiel à la nature, comme
nature étante, de puissance à puissance. Le magicien est inconscient de lui-même comme participant à un texte, et un
texte qui n'existe que pour lui en tant qu'homme. Le texte est efficace dans la mesure où il est caché à celui qui s'y
articule sans en connaître la vérité, c'est-à-dire ce qui s'y écrit : « la magie est la vérité comme cause sous son aspect de
cause efficiente. » Si le sujet magicien est « un signifiant pour un autre signifiant »65, on peut dire que la croyance en la
causalité n'est que le symptôme d'une relation de signification cachée pour ce sujet, la signification étant le renvoi d'un
signifiant à un autre.

62
63
64
65
Il nous semble important pour notre lecture présente de la logique hégélienne, d'appeler le concept ensemble ou encore
structure. En effet, choisir le terme de structure ou d'ensemble pour décrire le fonctionnement du concept permettrait
d'échapper à une lecture holiste et non pas analytique du concept hégélien, que nous voulons ici éviter. Comme l'écrit
Lacan dans son séminaire à propos de l'ensemble et de la structure : « la catégorie de l'ensemble trouve notre accord
pour autant qu'elle évite les implications de la totalité ou les épure. » 66Ainsi, reprenant les trois caractérisations du
concept dans la Logique subjective, nous montrerons à quoi ils correspondent la structure la chaîne de signifiants qui
s'articule dans le sujet de la théorie psychanalytique. On peut commencer par énoncer la principale caractéristique du
concept ou de la structure : « sa différence ou son être-posé est d'abord elle-même simple et seulement une apparence,
de telle façon que les moments de la différence sont immédiatement la totalité du concept et seulement le concept en
tant que tel. »67 Dans la mesure, en effet, où la structure est dans ses parties la répétition de la même structure, alors la
différence de ses parties n'est qu'une apparence d'elle-même, et leur vérité est leur identité comme identité de cette
structure. Si l'on se souvient de nos toutes premières remarques concernant l'objet de la logique hégélienne, mais aussi
des structures particulières que nous avions remarquées dans le Parménide et le Cratyle, il est clair qu'ici, le « concept »
est un autre nom de ce que Parménide appelait « l'idée », ou que Socrate appelait « nature des choses » ou
« substance. » Il est un étant un se répétant dans des apparences différentes. Tandis que dans la logique de l'essence, cet
étant un était posé hors de ces apparences, ici il les contient, c'est-à-dire qu'il est leur centre même. Ce centre, c'est ce
qu'on appelle le sujet.

A. Le concept comme structure.


« L'être dans son passage à l'essence est devenu une apparence ou un être-posé et le devenir ou le passage dans un autre
est devenu un poser. » L'être, dans la mesure où il passe dans l'essence, est devenu une simple apparence. Ce passage
désigne celui qu'on a désigné comme la conscience que le signifiant est la réflexion d'un être comme ce signifiant ; de
tel façon que l'être du signifiant consiste en ceci qu'il soit la position d'un autre comme ce signifiant.
« Et à l'inverse, le poser ou la réflexion de l'essence s'est abolie et s'est imposée comme un non-posé, un être
originaire ». Tout est ici posé d'une façon claire : l'essence, le signifiant comme réflexion d'un autre, devient concept
dans la mesure où apparaît la conscience de ce que l'originaire, le premier, ne soit pas cet autre, cette référence autre,
mais la position elle-même, le signifiant. C'est bien la réflexion comme réflexion qui est originaire, première, et non pas
la référence étante.
Venons-en ainsi à la caractéristique la plus importante du concept : « l'universel – ou le structurel (das Allgemeine) – est
la puissance libre (die freie Macht) ; il est lui-même et a prise sur son autre (greift über sein Anderes) ; non pas comme
quelque chose de violent, mais quelque chose qui est en son autre calme et chez soi ( in demselben ruhig und bei sich
selbst ist) ». Cela ne fait que développer la propriété selon laquelle dans le concept, la différence n'est qu'une
apparence : car le concept a prise sur son autre de telle façon que l'altérité elle-même soit abolie comme une simple
apparence. Le concept est dans son autre comme chez lui-même : c'est-à-dire qu'il n'est plus une réflexion extérieure à
sa référence étante et qui s'y abolit – en ce sens, comme dépendante, elle n'est pas libre –, mais bien une réflexion elle-
même étante et indépendante, dont le principe est en elle-même, et qui pose en elle-même ses propres déterminations.
En ceci, elle est puissance « libre », c'est-à-dire puissance telle que ce dans quoi elle se pose n'est plus pour elle un
autre, mais elle-même. Elle est position indépendante de ses propres déterminations dans elle-même.

B. La dialectique de la représentation particulière et de la singularité vide du concept.


On a souvent du mal à comprendre en quoi le moment de la particularité est indispensable à la structure du concept. Il
nous apparaît ici évident que le concept particulier est le concept dans la mesure où il est reflété dans un des signifiants
qu'il contient. C'est précisément en ce sens qu'on lit que « le particulier contient la structure (Allgemeinheit) qui
constitue sa substance . » Sa substance n'est autre que l'égalité à soi-même qui s'y répète en le posant.
Maintenant, dans la mesure où cette différence entre les signifiants est réfléchie comme une, et comme le dit le texte «
est revenue de cette différence en elle-même, » elle est singularité. Cette singularité n'est pas la singularité étante qui
serait autre de la chaîne signifiante : dans la mesure où elle est revenue de la déterminité dans elle même. Ainsi, elle
n'est pas étante comme le posant de cette chaîne, elle n'est qu'en tant que constituée par elle : et cela change tout car
cela signifie que c'est bien la différence de la chaîne, l'être-posé qui la précède et que la singularité n'est que le vide
ouvert par cette différence. Tout est résumé dans la dernière phrase de ce paragraphe que nous allons analyser.
« Le concept comme relation de ses déterminations indépendantes s'est perdu... »
Ces déterminations sont indépendantes, se lèvent d'elles-mêmes dans la mesure où ici la chaîne de signifiants, la
différence de l'être-posé est ce qui est originaire. On lit ici cependant, que dans cette mesure précisément où elles sont
originaires, le concept s'est perdu.
« car ainsi il n'est plus l'unité posée de celles-ci, et elles ne sont plus comme moments, comme son apparence, mais
consistantes en et pour elles-mêmes. En tant que singularité elle retourne à partir de sa déterminité dans lui-même ; ainsi
le déterminé est devenu totalité. Son retour dans lui-même est donc la partition absolue, originaire de lui-même, ou en
tant que signularité, il est posé comme jugement. »
Dans la mesure où sa relation à soi n'est que comme retour à partir de ces déterminations et de leur différence, alors elle
présuppose une partition originaire. Cette partition est absolue, originaire ; en tant que singularité, le concept est posé

66
67
comme jugement – Ur-teil, c'est-à-dire partition originaire. Celle-ci est dite également être la première réalisation du
concept : il y est à comprendre simplement que ce n'est que comme effet de cette partition posée originaire que le
concept est. Il n'y a pas de posant à part de la position, comme puissance étante ; mais il n'y a que l'être-posé lui-même
comme partition originaire, différence posée originaire.
Que signifie la remarque selon laquelle « le concept s'est perdu » ? Cela signifie qu'on ne peut pas le représenter dans
une prise de vue particulière, ou qu'on ne peut plus l'appeler comme corrélat immédiat d'une nomination. C'est-à-dire
que ce qui apparaissait comme corrélat d'un nom n'est désormais plus représentable. C'est précisément ce que signifie le
paragraphe introductif à la section « Urteil » qui est une critique contre l'hypostase, c'est-à-dire contre la nomination ou
représentation quand il s'agit de parler du concept.
Dans un jugement, par exemple « S est P », si l'on demande ce qu'est S, nous répondons P. Mais cela est passer à côté de
la question dans la mesure où P est posé dans le jugement même comme différent de S, une telle différenciation étant
rendue possible par la copule « est » même – pour être identifié, ces deux termes doivent être présupposés comme
différents –. Qu'est donc S ? Nous répondrions S, mais nous tomberions dans la tautologie « S = S » : tout cela signifie
que lorsqu'on est acculé à dire ce qu'est S, nous devons répondre que S est un simple nom, une façon de nommer un
sujet, que seul le prédicat vient déterminer. « Dieu, l'esprit, la nature, ou quoi que ce soit, est donc en tant que sujet d'un
jugement d'abord seulement un nom ; ce qu'un tel sujet est, selon le concept, est seulement présent dans le prédicat. »
Autrement dit, se poser la question « qu'est-ce que X ? » et en particulier lorsque l'on parle du concept, est une question
mal posée : en effet, cette question présuppose un concept, X, ayant une signification bien précise – qu'on identifie,
souvent, à un étant devant nous – et surtout achevée.
Or, et c'est ce que Hegel oppose à la pensée qui hypostasie le concept : dans le jugement « S est P », ce n'est pas S étant
qui est originaire, avant le jugement, mais c'est la différenciation - qui est en même temps une identification - de S et P
qui est originaire ; les noms n'étant alors que des formes secondaires de cette différenciation. C'est précisément pour
cela que Hegel clôt ce paragraphe introductif par ceci que « ce qui gît là au fondement [du jugement] - das
Zugrundeliegende, traduisant exactement subjectum ou ὑποκείμενον – n'est rien de plus que le nom (nichts weiter als
der Name). » Autrement dit, il n'y a pas de sujet étant isolé face au jugement, qui viendrait a posteriori l'analyser, mais
uniquement un sujet déjà articulé à un prédicat. Cela signifie simplement que ce qui est premier, originaire, c'est
l'articulation seulement pensée entre un sujet et un prédicat, et non pas un étant que l'on viendrait a posteriori articuler à
un prédicat. C'est précisément pour cela que la logique du concept s'ouvre par cette remarque : « on ne peut dire ce
qu'est (was) la nature du concept » : il est à comprendre, simplement, que le concept n'est pas un étant ayant une
quiddité particulière, de telle façon qu'on pourrait dire « le concept est.. ». C'est en effet la façon même d'être du
concept qui exclut tout possibilité de dire ce qu'il est : il est d'emblée non pas étant mais pur effet de sens du jugement S
est P.
Ce que Hegel évoque ici, nous le retrouvons dans le domaine psychanalytique sous le nom de « sujet barré ». Comme
l'écrit Zizek dans Moins que Rien, la théorie lacanienne du sujet se distingue par ceci que dans celle-ci « un sujet essaye
de s'articuler (« s'exprimer ») dans une chaîne signifiiante, cette articulation échoue, et le sujet apparaît dans et à travers
cet échec. Le sujet est l'échec de sa représentation signifiante – ce pourquoi Lacan écrit le sujet du signifiant sous la
fomre S, comme « barré ». » C'est-à-dire que dans « S est P », le sujet n'est ni « S », ni « P », mais est comme la
négativité vide se maintenant au travers de leur coupure ou écart. Zizek résume ce point en écrivant que « la
personnalité dans sa subjectivité « insécable, impénétrable », l'abîme ou le vide du « je » au-delà de toutes mes
propriétés positives, est une singularité conceptuelle, c'estl'abstraction réellement existante » du concept […] Et le S, le
sujet « barré » de Lacan, est justement une semblable singularité conceptuelle, dépourvue de tout contenu
psychologique. »
Dit en d'autres termes, cela signifie que toute représentation particulière du sujet manque le sujet et que ce
manquement, ce déplacement du sujet est la subjectivité elle-même. On peut expliciter cet élément crucial de la
structure du concept – sujet – hégélien, selon Zizek, « au moyen d'une célèbre idée masculine selon laquelle,
contrairement à l'identité à soi ferme de l'homme, l'essence de la femme est dispersée, insaisissable, déplacée. » Il
convient d'y répondre en disant ceci que « cette dispersion ou ce dépalacement comme tel est « l'essence de la
féminité ». » C'est cette dispersion même qui est l'essence du sujet, et le fait que l'on doive passer par l'affirmation
illusoire « J'ai trouvé l'essence – = ce qu'est – le sujet. » est une nécessité constituant la chose elle-même dont il est
question. Ainsi, « le sujet est non seulement toujours déjà déplacé, et ainsi de suite, mais il est ce déplacement », de telle
sorte que « le sujet essaie de se représenter ; cette représentation échoue ; et le sujet est alors l'échec même de sa
représentation. » C'est précisément la même structure dont parle Lacan lorsqu'il étudie la « métaphore du sujet »,
laquelle est le titre d'un de ses textes récrits, fait en juin 1961 d'une intervention rapportée le 23 juin 1960 en réponse à
M. Perelman. Ceci, en effet, était déjà prévisible à partir du moment où l'on quitte le point de vue de l'hypostase : le
sujet n'étant plus représentable comme corrélat étant d'un nom, il ne peut être qu'en tant qu'articulation, écart négatif
entre deux termes.

Pourtant, l'être semble revenir dans le contexte de la logique du concept : il s'agit de l'objectivité. Mais précismément,
l'objectivité n'est pas le sujet comme étant : il est autre chose que cela. Il n'est pas non plus une création de l'être, car
c'est un point de vue impossible au vu de la liberté du concept elle-même. 68 Que signifie alors « réalisation du
concept » ? Nous tâcherons de répondre à cette question dans cette partie de notre travail. Nous essaierons ainsi

68
d'identifier dans son fonctionnement l'objectivité du concept au traumatisme du sujet névrotique. »
Hegel, pour éclairer ce que signifie objectivité, prend l'exemple de la preuve ontologique de l'existence de Dieu. De
quoi la preuve ontologique de l'existence de Dieu, telle qu'elle est présentée par Descartes, est-elle le signe ? Si l'on
reprend la démarche de la preuve, elle repose sur ce principe : « il y a au moins autant de réalité objective dans l'idée
que dans ce qu'elle représente. »69 L'objectivité est précisément cela : c'est le débordement du réel dans le concept :
autrement dit le concept tel qu'il présuppose dans le réel quelque chose qui lui répond. Si l'on prend la démarche de
Anselme, le fondement est le même : j'ai dans l'intellect l'idée qui s'articule comme « aliquid... » ; mais cette idée
articulée, ce concept, se pose elle-même comme valant in re, ce que Hegel dit en parlant de se-poser comme réel,
comme étant. L'objectivité est la réalité du concept qui se conçoit comme étant dans le réel.
1. Le versant optimiste : la parole réalisante comme parole prophétique.
Marcel Détienne, dans Les maîtres de Vérité dans la Grèce Antique explique quelque chose de très intéressant à propos
de la parole prophétique qui illustre bien ici ce que nous voulons exprimer. Si la preuve ontologique repose sur le
débordement du réel sur le concept ; de telle façon que celui-ci ne soit qu'en tant que symbole de l'autre, ce que nous dit
ici Marcel Détienne à propos de la parole prophétique illustre une autre façon de parler de l'objectivité de la parole.
Il explique en effet que parmi les poètes anciens, « autant que la parole prophétique, la parole du devin et des puissances
oraculaires délimite un plan de réalité : quand Apollon prophétise, il « réalise » (krainei) »70. La parole oraculaire n'est
pas le reflet d'un événement préformé, elle est un des éléments de sa réalisation. »
L'objectivité, certes, ne réalise pas la réalité comme si elle la posait (kratos, rappelons-nous que la puissance comme
posante est une détermination de pensée maintenant oubliée et posée comme fausse), mais se pose comme valant dans
le réel, on peut à ce titre l'appeler parole corrélative, relative à un réel qui lui répond. La parole prophétique et la façon
dont on en parle comme parole « réalisante » est peut-être l'attiude qui l'a précédé. Cela correspondrait en fait à ce que
Lacan appelle la « jouissance phallique. » Et en effet, Lacan parle dans son séminaire « R.S.I. » du lien entre
symbolique et réel comme d'une jouissance phallique, c'est-à-dire une jouissance de puissance du symbolique sur le
réel. La jouissance phallique désigne la jouissance « sans organe », c'est-à-dire la jouissance de l'efficacité du symbole
(sans lieu) dans le réel. Mais efficacité ici, ne signifie pas position, parole prophétique, mais simplement constat de ce
que à un symbole, un réel répond présent, est là. Cela dit, il semble bien que ce soit une même conception de la parole
comme précédant et prévoyant le réel qui semble à la source de ces deux conceptions.

2. Le versant analytique : l'objectivité comme traumatisme.


Une autre interprétation possible, que nous voudrions étudier ici et qui nous permettra de mieux comprendre le passage
de l'objectivité à l'idée : c'est d'interpréter le concept comme le symptôme de la névrose et l'objectivité qui y répond
comme la scène traumatique. Nous nous fonderons pour comprendre le fonctionnement de la névrose sur l'article de
Freud intitulé « La perte de réalité dans la névrose et la psychose. »
Le fonctionnement de la névrose y est introduit en plusieurs moments : dans un premier temps a lieu la rencontre du
sujet avec un réel. S'en suit le refoulement d'une motion pulsionnelle réagissant à cette rencontre du réel. Enfin a lieu
l'échec du refoulement et le « dédommagement » à la part lésée de la motion pulsionnelle.
Nous voudrions ici faire une remarque capitale : c'est que le sujet névrotique a la conscience que le symptôme qu'il
porte a pour raison un réel qui est un autre que lui. Ce réel rencontré dans le premier temps de la génèse de la névrose,
qu'on appelle souvent « scène traumatique », le névrotique sait que le symptôme qu'il porte n'est que la conséquence de
cet autre réel et c'est précisément pour cela que Lacan écrit que le patient névrotique, « s'il nous demande notre aide,
notre secours, c'est parce qu'il croit que le symptôme, il est capable de dire quelque chose, qu'il faut seulement le
déchiffrer. »71. Ainsi, le névrotique a conscience que son symptôme est symptôme d'un réel traumatique à découvrir et
croit donc en l'utilité de l'analyse.
Et effectivement, il semble que c'est bien dans la mesure où le souvenir de ce réel et de l'affect refoulé est enchaîné au
symptôme au cours de l'analyse que le symptôme lui-même disparaît : ainsi Freud écrit que « nous avons vu les
symptômes les plus différents et les plus persistants « disparaître immédiatement et sans retour une fois que nous avions
pu réveiller et mettre en pleine lumière le souvenir de l'incident motivant et, ce faisant, rappeler l'affect concomitant. »72
Cela indique bien que le symptôme névrotique ne peut subsister qu'en tant que la clé de son chiffrage est pour lui encore
non symbolisé, seulement étant. Au moment même où il est symbolisé et enchaîne au reste du réseau de signifiants
qu'est le symptôme, il disparaît. La scène traumatique comme être autre que le symptôme apparaît ici comme condition
même de la persévérance du symptôme névrotique ; de même que l'objectivité comme être autre que le concept est dans
la logique une partie structurale de celui-ci.
A ce titre, nous voudrions faire une remarque de type philologique. Nous savons que pour Hegel la téléologie fait partie
intégrante de la partie consacrée à l'objectivité dans la science de la logique. En ce sens, on a du mal à voir ce qui peut
lier téléologie et névrose. Louis Gernet, dans son Anthropologie de la Grèce antique, explique la source et le sens
original de la notion de τέλος. « A l'époque historique, la diversité des sens est telle que les linguistes se croient tenus
de distinguer plusieurs mots dans ce mot : ils séparent telos « but, terme » de telos « payement, taxe ». Et, en effet, quel
rapport entre les deux ? […] τελειν , c'est à la fois payer, c'est-à-dire fournir, et accomplir un rite : l'unité des sens reste

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toujours sensible dans le vocabulaire religieux. »73
La névrose est téléologique dans la mesure où elle est comme un sacrifice pour le réel traumatique, elle persévère
comme un dédommagement, comme on l'a dit, de ce réel et du refoulé qui l'a accompagné. Comme l'écrit Lacan dans
son intervention du séminaire sur les psychoses intitulée « Du rejet d'un signifiant primordial » : « au niveau de la
névrose, […], le bonhomme, au lieu de se servir des mots, se sert de tout ce qui est à sa disposition, il vide ses poches, il
tourne son pantalon, il y met ses fonctions, ses inhibitions, il y entre tout entier, il s'en couvre lui-même dans le dos, du
signifiant, c'est lui qui devient le signifiant. »74 Le symptôme névrotique, c'est donc bien cela, un effort de signification
– conceptualisation – pour un autre, un réel traumatique – une objectivité –. Ainsi « pour la névrose ce serait donc la
surpuissance de l'influence du réel » qui soit déterminante. Cette superpuissance de l'influence du réel n'est pas sans
nous rappeler ce que Descartes nous dit de la réalité de l'idée : l'idée ne saurait être sans qu'au moins la même quantité
de réel y déborde.

Selon ce que nous avons avancé, il doit donc être possible de lire la structure logique de la téléologie comme une
structure de la névrose. C'est dans la partie introductive de la section consacrée à la téléologie que nous lisons que « le
but est donc le concept subjectif, en tant qu'aspiration et pulsion essentielle (Streben und Trieb), consistant à se poser
extérieurement. » Si nous passons sur l'homonymie heureuse entre la Trieb psychanalytique et la Trieb logique dont il
est ici question, on remarque qu'ici, le but, pris comme seulement subjectif, consiste en ce qu'il s'extériorise. Cela dit, il
n'est plus comme l'extériorisation de la substance dans ses accidents, de telle façon que la substance soit posée comme
l'autre radical de ceux-ci : il est en effet « en tant qu'une force, qui se sollicite elle-même à l'extériorisation, comme une
cause, qui est cause d'elle-même ou dont l'activité est immédiatement la cause. » Si donc il se pose extérieurement, cette
extériorité consiste est son identique : si bien que « le mouvement du but peut donc être exprimé ainsi, qu'il consiste en
ceci qu'il abolisse sa présupposition, c'est-à-dire l'immédiateté de l'objet, et qu'il le pose comme déterminé par le
concept. ».
Si l'on veut expliquer cette structure logique par la structure psychanalytique, on peut considérer que ce qui est ici
appelé le « mouvement du but », nous l'identifions nous à la « guérison de la névrose ». En effet, celle-ci consiste en
ceci que la signifiant du réel, la scène traumatique, c'est-à-dire ce qui apparaît d'abord comme l'autre radical du système
de signifiants conscients de la mémoire du sujet, soit rappelé et réarticulé à celui-ci. Ainsi, ce qui apparaissait comme
extériorité immédiate, non articulée pour la conscience du sujet – ce que le texte ci-dessus appelle la présupposition –,
se révèle comme une des parties de son articulation : elle est désormais « déterminé par le concept », c'est-à-dire
réintégrée au réseau des signifiants conscient du sujet. Mais pour arriver à cette étape, un autre temps intermédiaire est
celui du moyen (Mittel), dont l'insuffisance consiste en ceci que « le concept et l'objectivité sont donc dans le moyen
seulempent liés extérieurement ; il est dans cette mesure un simple objet mécanique. » Nous sommes ici convaincus que
ce que Hegel appelle ici moyen est analogue à ce que Freud a pu voir dans la cérémonie du névrotique : ainsi, c'est par
une disposition bien précise du réel, répétée plusieurs fois, faite en dédommagement à la partie lésée du ça, que le sujet
semble réconcilié avec le traumatisme. Mais celle-ci, en tant qu'elle n'implique aucune compréhension, aucune
articulation symbolique entre la cérémonie et la scène traumatique, n'a pas d'efficacité durable. Ainsi, « l'objectivité liée
avec le but est, parce qu'elle est cela seulement immédiatement, pour lui encore extérieure ; et la présupposition est
encore là. » C'est-à-dire que l'efficacité du signifiant du réel inconscient subsiste tant qu'il n'est pas réintégré au réseau
de la mémoire du sujet.
Ainsi, la résolution de la névrose consiste en ceci que « l'extériorité de l'objet indépendante face au concept, que le but
se présuppose, soit dans cette présupposition posée comme une apparence inessentielle, et aussi en et pour elle-même
déjà abolie, l'activité du but étant donc seulement « la présentation de cette apparence et son abolition. »
Ce n'est que lorsque l'analyse présente et réarticule ce signifiant du réel au reste de la mémoire que celui-ci est aboli.
Ici, on peut comprendre l'abolition comme une simple annulation de l'efficacité : c'est en effet lorsque la scène
traumatique est rappelée à la mémoire du sujet que la névrose disparaît et que le traumatisme n'a plus son efficacité
morbide.

L'idée comme psychose.

Comment dès lors comprendre le passage du concept objectif au concept comme idée ?
Si on s'intéresse au texte de la logique correspondant au passage de l'objectivité à l'idée, on lit la chose suivante : « le
concept est donc essentiellement ceci, en tant qu'identité étante pour soi, d'être différente de son objectivité étante en soi
et ainsi avoir une extériorité, mais d'être dans cette totalité extérieure l'identité se déterminant elle-même de celle-ci.
Ainsi, le concept est désormais idée. »
Selon ce que nous avons dit plus tôt, nous pouvons comprendre le passage de la structure de l'objectivité à celle de l'idée
comme le passage du sujet névrotique au sujet guéri de sa névrose : dans la mesure, en effet, où il se réapproprie la

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74
conscience de la scène traumatique, et qu'avec cette réappropriation disparaît le symptôme névrotique. Il est ainsi le
sujet réconcilié avec cette extériorité du réel traumatique, le sujet qui s'est ré-enchaîné à ce réel.
Mais dans ce cas, on ne voit pas bien l'intérêt analytique de la section consacrée à l'idée. Rappelons-nous que notre
lecture vise à promouvoir une conception des structures logiques comme des outils d'analyse. Face à ce versant
optimiste de la lecture de l'idée, nous nous devons d'y opposer un versant analytique. Si donc l'idée doit analyser
quelque chose, une morbidité du sujet, de quelle pathologie pourrait-elle être l'outil d'analyse ?

« Ils aiment leur délire comme eux-mêmes » : c'est ainsi que Freud décrit le rapport qu'a le psychotique avec la réalité
qu'il s'est reconstruite. Nous sommes donc ici face à un concept qui se rapporte à une extériorité, sa réalité, comme à
quelque chose qu'il s'est approprié : mais tandis que le névrotique, dans sa guérison, s'est réconcilié avec le réel, le
psychotique, lui, s'en est d'abord totalement abstrait, puis se l'est reconstruite entièrement. La réalité du psychotique est
donc une réalité qui provient de lui-même, et dans laquelle il s'enferme.
Nous tâcherons donc de comprendre le passage de l'objectivité à l'idée également comme un passage de la structure de
la névrose à la structure de la psychose. Il y a de la névrose à la psychose un « changement de registre », deux façons de
fonctionner tout à fait différentes selon Freud et Lacan.
Qu'en dit Freud dans le texte que nous étudiions ci-dessus ?
Reprenons l'exemple qu'il donne de la scène traumatique : « une jeune fille amoureuse de son beau-frère est ébranlée,
devant le lit de mort de sa sœur, par l'idée suivante : maintenant il est libre, et il peut t'épouser. Cette scène est aussitôt
oubliée, et du même coup est introduit le processus de régression qui conduit aux douleurs hystériques. » Ici, le réel
traumatique est une pensée. Cette pensée, dans la mesure où elle est refoulée et que ce refoulement échoue, menant au
dédommagement névrotique, reste imprimée dans la mémoire du névrotique, mais y reste latente. Il est ce que Lacan,
dans séminaire intitulé « Du rejet d'un signifiant primordial » appelle un « signifiant primitif ». Celui-ci, dans la mesure
où il est inconscient, n'est pas su par le patient névrotique ; mais dans la mesure où il est efficace car raison de ses
symptômes, il est signifiant et exerce son efficacité de signifiant. C'est-à-dire que tous les symptômes pointent vers ce
signifiant inconscient. Dès lors qu'il est explicitement remémoré au cours de l'analyse, explicitement posé par la
réflexion du patient qui dit : « J'ai effectivement pensé cela... », la structure de la névrose – l'objectivité du concept –
disparaît et les symptômes névrotiques avec elle. Ici, le réel est une pensée, mais le réel peut tout aussi bien être un
incident réel. Ce que Lacan explique dans ce texte, c'est que le réel du névrotique est toujours d'emblée un signifiant
présent dans la mémoire du sujet exerçant un effet de sens. Il ne faut pas concevoir le réel du névrotique comme l'autre
de sa mémoire, le réel n'est qu'en tant que déjà imprimé dans celle-ci. Il est ce qui fait fonctionner, comme son cœur, le
circuit de la répétition névrotique. L'influence du réel est donc d'abord l'influence d'un signifiant, le signifiant
traumatique, réel : ce n'est qu'ainsi qu'il faut comprendre la thèse radicale de Lacan selon laquelle « la réalité est
d'emblée marquée par la néantisation symbolique ». La scène traumatique, en tant que raison des symptômes, est déjà
un signifiant caché, primitif, enchaîné à ces signifiants explicites. Si on veut, on peut appeler ce signifiant signifiant du
réel, dans la mesure où il en provient et que le patient, dans la mesure où il s'en sait victime, reconnaît comme
provenant du dehors, du réel. Comme l'écrit Lacan dans son intervention du même séminaire intitulée « Des signifiants
primordiaux et du manque d'un » : « nous sommes certains que les névrosés se sont posés une question. Les
psychotiques, ce n'est pas sûr. » C'est-à-dire que le sujet névrotique est en demande, de la part de l'analyste supposé
savoir, du signifiant du réel pouvant le guérir.

La psychose ne fonctionne pas de la même manière. Reprenons le texte de Freud sur la perte de réalité : il insiste
d'abord sur le point commun entre psychose et névrose en écrivant que « il y a là aussi deux temps, dont le second
comporte le caractère de la réparation . »75 Mais si la psychose aussi « vise bien lui aussi à compenser la perte de la
réalité », « ce n'est pas au prix d'une restriction du ça, à la manière dont, dans la névrose, c'était aux frais de la relation
au réel ; la psychose emprunte une voie plus autocratique, elle crée une nouvelle réalité à laquelle, à la différence de
celle qui est abandonnée, on ne se heurte pas. » Ainsi, « la différence initiale s'exprime dans le résultat final : dans la
névrose un fragment de la réalité est évité sur le mode de la fuite, dans la psychose il est reconstruit. » Dès lors, les
moments constituant la psychose ne sont pas les mêmes que dans la névrose. Dans la psychose, on a dans un premier
temps une fuite de la réalité, puis une phase de reconstruction de la réalité. Ce faisant, elle dénie la réalité. Dans la
névrose, on a d'abord une obéissance ou une allégeance à la réalité – dans la mesure où ce qu'on a appelé le signifiant du
réel est efficace dans la mémoire du sujet névrotique – et ensuite une tentative de fuite. En d'autres termes, « la névrose
ne dénie pas la réalité, elle veut seulement ne rien savoir d'elle ; la psychose la dénie et cherche à la remplacer. » C'est
précisément pour cela que Lacan écrit que si les névrotiques se sont posés une question, chez le psychotique, c'est la
réponse qui a précédé la question. C'est-à-dire qu'il n'est pas en position de demande, de la part de l'analyste, du
signifiant du réel, du souvenir du traumatisme : il est convaincu de ce qu'il possède déjà ce signifiant en lui-même, de
telle façon que son délire se constitue en un délire autonome, sans besoin d'un rapport au réel. C'est ce que signifie
l'autocratie du délire : le psychotique a perdu le signifiant du réel, il l'a tout simplement forclos, ejecté, et l'a remplacé
par un autre, issu d'un « monde fantastique », comme l'écrit Lacan dans son intervention intitulée « Je viens de chez le
charcutier. » du séminaire sur les Psychoses.

75
La première étape de la psychose est donc une coupure d'avec la réalité et l'exclusion de tout signifiant du réel. Lacan,
dans cette intervention écrit que « dans la névrose, c'est au second temps, et pour autant que la réalité n'est pas
pleinement réarticulée de façon symbolique dans le monde extérieur, qu'il y a chez le sujet, fuite partielle de la réalité,
incapacité d'affronter cette partie de la réalité, secrètement conservée. » Ici est donc évident que chez le sujet
névrotique, le signifiant du réel, le signifiant de la scène traumatique, demeure dans sa mémoire, mais latent, caché. Il
n'attend que sa mise en évidence par l'analyse. Le marquage dans la mémoire de ce signifiant du réel est donc le premier
moment de la névrose. Ce faisant, la fuite hors de cette partie de la réalité, c'est-à-dire l'oubli de ce signifiant, le
refoulement, n'est que le second temps de la névrose.
Mais, Lacan continue, « dans la psychose au contraire, c'est bel et bien la réalité elle-même qui est d'abord pourvue d'un
trou, que viendra ensuite combler le monde fantastique. » C'est-à-dire que dans la psychose, la première étape est la
forclusion du signifiant du réel, l'éjection du souvenir traumatique hors de la mémoire, même latente du sujet. Dans la
psychose, il y a donc une perte totale de ce signifiant : il ne sera pas retrouvé dans l'analyse. En ce sens, la psychose est
un réseau de signifiants absolu dans la mesure où le signifiant primordial qui le soutient tout entier n'est pas un
signifiant du réel – le rattachant, de ce fait, à la réalité extérieure – mais un signifiant qui le remplace et « comble ce
trou par la pièce rapportée du fantasme psychotique. »
Ainsi, si nous reprenons la lecture de ce qu'est l'idée, cette appropriation, par le concept, de la réalité extérieure, et que
nous l'interprétons à l'aune de la psychose, il est clair que celle-ci n'est plus synonyme d'un progrès ou d'une guérison
par rapport à la structure de l'objectivité – un progrès ou une guérison n'ayant d'ailleurs aucun sens dans un contexte
logique –, mais est tout simplement la forme d'une structure analytique différente de celle de l'objectivité.
Que le concept se reconnaisse dans cette totalité extérieure, dans ce signifiant du réel, qu'il soit l'identité se déterminant
de cette extériorité. cela signifie qu'il est lui même ce qui pose, ce qui régit le signifiant du réel, qui dès lors n'est plus
un signifiant du réel rencontré comme un traumatisme mais un signifiant posé, choisi par le délire.
« Ils aiment leur délire comme eux-mêmes » : dans la mesure où l'analyste constate que le signifiant primitif et ce qui
s'y développe chez un sujet provient de lui, que le signifiant primitif qui le domine et vers lequel les symptômes pointe
proviennent de lui-même, alors le sujet est qualifié de psychotique et non plus de névrotique. En lui, tout rapport au réel
est coupé et le signifiant primitif provient de son propre fonds.

Ainsi, le passage de l'objectivité à l'idée désigne, au choix : le remplacement dans la chaîne de signifiants de la mémoire
du sujet d'un signifiant provenant du réel – le traumatisme – par un signifiant délirant, fantasmatique ; ou la prise de
conscience de ce que ce signifiant provenant du réel est déjà un signifiant posé et choisi par le sujet. La seconde
hypothèse est plus probable dans la mesure où dans nos analyses précédentes, on s'est rendu compte à de nombreuses
reprises de ce que le progrès de la logique consistait en ceci que ce face à quoi la pensée se trouve se révèle toujours
comme ayant été déjà posé par elle. On peut donc évoquer comme conclusion ceci que pour le concept comme idée, il
n'y a pas de signifiant du réel, il n'y a pas de rencontre traumatique qui viendrait s'imprimer dans la mémoire du sujet ; il
n'y a que des signifiants du sujet, déjà enchaîné au reste du sujet. Dès lors, le réel du sujet, constitué par un réseau de
signifiants sans rapport au réel, se pose comme le réel du psychotique. Dans la psychose, le réseau de signifiants perd
tout lien avec le signifié, le réseau de signifiants se referme sur lui-même et devient ainsi absolu : chez le psychotique,
le signifiant se vide peu à peu du signifié jusqu'à être entièrement exclu, alors que chez le névrotique, le symptôme est
toujours signifiant renvoyant au signifiant du réel. L'Idée désigne un tel réseau de signifiants refermé sur lui-même :
comme structure employée par l'analyste, il désigne le diagnostic de la psychose.
A ce titre, nous voudrions rappeler que la posture de Hegel est une posture scientifique, c'est-à-dire que l'ensemble des
structuresd que nous avons décrites jusqu'à maintenant sont construites comme des outils d'analyse. C'est-à-dire que
Hegel n'est pas un psychotique : il ne s'agit pas de croire en la logique comme un texte que nous lecteurs sommes
censés vivre, ou de se le réciter comme un catéchisme scolaire.
Il ne s'agit pas de se répéter ce texte, mais de voir comment on peut l'appliquer. Hegel développe ici ce que Lacan
appelera plus tard une technique d'analyse, une praxis. Et en effet, l'idée se présente comme l'outil d'analyse premier de
la philosophie de l'esprit dans les Leçons sur la philosophie de la religion et les Leçons sur l'esthétique.
Dans les Leçons sur la philosophie de la religion, nous lisons que la philosophie toute entière (die ganze Philosophie)
n'est rien d'autre que l'étude des déterminations de l'unité ; ainsi la philosophie de la religion est une série consécutive
d'unités, toujours l'unité, mais de telle façon que celle-ci est toujours plus déterminée (eine Reihenfolge von Einheiten,
immer die Einheit aber so, dass diese immer weiter bestimmt ist)76. Si la philosophie de la religion est une étude d'une
série d'unités, en quoi peuvent consister ces unités ? Que signifie « unité » dans ce contexte ? Tout notre travail a
consisté a montré que cela peut signifier unité d'un complexe de signifiants refermé, unité, qui dans la mesure où elle est
crue par le sujet religieux, constitue son rapport au réel. Autrement dit, la philosophie de la religion est l'étude d'une
série de structures signifiantes de plus en plus élaborées.
Mais des structures « de plus en plus élaborées », ou ici, comme l'écrit Hegel « déterminées », que cela peut-il
signifier ? Si il est question ici d'un progrès, ce serait le procédé par lequel ces structures se constituent de plus en plus
comme un réseau de signifiants absolu, c'est-à-dire un réseau de signifiants ne dépendant que de lui-même et
s'affranchissant peu à peu du domaine du signifié réel. Nous verrons ainsi que la philosophie de la religion consiste en
l'élaboration d'un savoir – comprendre ici par savoir un réseau ou une chaîne de signifiants – de plus en plus
indépendant de l'autre qu'on peut appeler provisoirement le réel. Autrement dit, si Hegel doit être pris pour un analyste

76
dans les Leçons sur la philosophie de la religion, on peut dire que son sujet est le sujet religieux, c'est-à-dire le sujet qui
manifeste, par ses comportements et ses discours, un rapport plus ou moins élaboré à ce réseau de signifiants. Nous
examinerons d'abord ce que signifie le concept de religion en lui-même, c'est-à-dire son fonctionnement ; avant
d'examiner ses apparitions empiriques et le progrès dont elles témoignent, et que nous avons nous identifié comme
l'élaboration de plus en plus profonde de structures de signifiants.

Le fonctionnement de la religion.

Dans l'introduction, nous lisons ceci que « la présentation et le développement de la religion se passera en trois
parties. Nous traiterons d'abord le concept de la religion comme structure (nous traduisons im allgemeinen), puis dans
sa particulation comme structure se différenciant, constituant ainsi le côté de la différenciation originaire (Urteil) […] et
troisièmement le concept, qui se relie avec lui-même (sich mit sich zusammenschliesst) […] ou bien le retour du
concept à partir de sa déterminité, dans lequel il est inégal à lui-même, à lui-même, de telle façon qu'il parviennent à
l'égalité avec sa forme et abolisse sa finité. » Ce retour du concept à partir de sa déterminité est appelé « la nature et le
faire de l'esprit lui-même », et consiste en ceci que l'esprit « soit pour lui-même même objet de telle façon qu'il se
réconcilie avec lui-même, soit venu chez lui-même et ainsi à lui-même : car la liberté est ceci, d'être chez soi. »

1. La religion comme structure.


La première partie de cette introduction vise à expliquer la façon dont on doit comprendre l'universel – nous traduisons,
la structure –, quand nous parlons du concept universel de la religion. Il oppose la façon dont on fait usage de l'universel
dans d'autres sciences à celui dont on fait usage en philosophie. « Dans la façon de traiter philosophique, ce n'est pas la
cas, que l'universel, le begriff, soit présupposé (vornehingestellt. » Que cela signifie-t-il ? C'est que quand on traite
philosophiquement d'un objet, ici la religion, il ne s'agit pas de se présupposer une notion de la religion, par exemple un
ensemble de caractéristiques présupposées, puis de vérifier dans le réel qu'une religion y est adaptée. C'est prendre
l'affaire à l'envers : il s'agit en philosophie du réel de chercher une structure signifiante. C'est précisément pour cela que
nous avons traduit « Begriff der Religion » non par concept de religion – comme si il y avait une seule religion modèle
sur laquelle se calquerait toutes les autres – mais concept de la religion, voire même pourrait-on dire concept d'une
religion. Car il s'agit d'observer empiriquement et de recherhcer des structures signifiantes, qui en tant qu'elles sont des
structures signifiantes sont des religions. Le concept ou structure de la religion ainsi trouvée, on comprend qu'elle est
« le contenu lui-même, la Chose absolue, la substance, comme par exemple la graine est ce à partir de quoi l'arbre se
développe. » Le concept est donc certes, un objet lorsqu'il est trouvé ; mais aussi et surtout une activité : il est structure
mais surtout structuration, c'est à dire recherche et découverte de structures de signifiants se renvoyant les uns aux
autres.
Le côté de la recherche philosophique selon laquelle elle est recherche de structures de signifiants est ce qu'exprime une
telle phrase : « la première chose dans la conceptualisation/structuration (Begriff) d'une religion est le pur structural (das
rein Allgemeine), le moment de la pensée dans son entière structuralité (in seiner vollkommen Allgemeinheit). »
Si la pensée est structuration et ce qu'elle pense une structure, alors on comprend mieux la phrase selon laquelle « le
penser se pense lui-même ; l'objet est le structural, qui en tant qu'activité est le penser ». Comme l'écrit Lacan, « l'unité
de signification [d'une structure de signifiants] s'avère ne jamais se résoudre en une pure indication du réel, mais
toujours renvoyer à une autre signification […] c'est-à-dire que la signification ne se réalise qu'à partir d'une prise des
choses qui est d'ensemble. » Simplement si cet ensemble ne résulte que de l'effort de structuration, alors il est clair que
quand la pensée prend les signifiants ensemble, cet ensemble qu'elle prend est simplement son activité même, ce qu'elle
fait et ce qu'elle fait sont tout bonnement la même chose, il n'y a pas de distinction entre le penser et la pensée.
Nous avons ainsi le premier moment de la méthode philosophique : chercher des structures de signifiants. Simplement,
il manque à cette méthode le côté selon lequel cette structure de signifiant est pour un sujet religieux qui y participe, et
pour lequel elle apparaît. Ce côté sera traité dans la seconde partie de cette introduction.
2. La religion pour le sujet religieux.
Ce sujet religieux, en effet, qui connaît et s'efforce de trouver des structures de signifiants ; est également un sujet
empirique, un sujet « immédiat », écrit Hegel pour lequel il n'y a que des apparitions parcellaires de celle-ci. C'est
précisément pour cela que Hegel écrit que « la particularisation – comprendre ici, du point de vue du sujet empirique –,
qui est encore retenue dans la sphère du structural – car on en fait abstraction –, constitue donc, quand elle parvient
effectivement à l'apparition, l'autre face à l'extrême de la structuralité (das Andere gegen das Extrem der
Allgemeinheit), et cet autre extrême est la conscience (Bewusstsein) dans sa singularité en tant que telle, le sujet selon
son immédiateté, en tant que lequel il est selon un caractère temporel et empirique avec des besoins, des désirs. » Il y a
donc ici clairement posée une différence entre le sujet empirique et le sujet comme participant à la structure signifiante
dans laquelle il est. « Je suis la relation de ces deux côtés dans leur détermination dans la religion. »
Le sujet religieux est donc « dans lui-même comme infini – c'est-à-dire comme participant à une structure de signifiants
- contre lui-même comme fini et comme conscience finie contre ma pensée comme infinie. » Il est décrit comme le
combat, la dispute entre ces deux côtés.
Cela nous permettra de comprendre un élément extrêmement important que nous découvrirons en posant la question
suivante : de quoi la pensée comme structuration, de quoi moi comme connaissant la structure suis-je le savoir ?
Assurément pas de moi comme fini, avec mes désirs, mes caractères etc. Mais de quoi ? Nous sommes désormais
familier avec l'idée suivante selon laquelle le sujet articule quelque chose dont le clé de déchiffrage est dans les mains
de l'analyste, c'est-à-dire quelque chose qu'il ne connaît pas. En psychanalyse, on dit que c'est le réel qui s'y écrit. Il
nous semble que pour la philosophie de la religion, il s'agit de Dieu. Dieu est l'objet du savoir constitué par ces
structures de signifiants. C'est-à-dire que ce qui s'y écrit est Dieu. On peut dire que ce que moi comme sujet empirique
ressent, intuitionne, se représente, sont autant de facettes de cette structure de signifiants. C'est précisément ne ce sens
que Hegel écrit que « le mouvement de la sphère précédente – celle que l'on vient d'étudier - est en général le
mouvement du concept de Dieu, de l'idée, de devenir objectif à soi-même. » C'est-à-dire que quelque chose s'y écrit, de
telle façon que cette écriture en soit le signe, le symptôme. C'est la même chose qu'il faut comprendre dans des
assertions telles que celle-ci : « c'est du fait même du concept de l'esprit, qu'il deviennent conscience et que sa
déterminité soit pour lui objet. »
Maintenant, on peut se demander comment spécifier ce symptôme de la religion : il consiste, Hegel l'écrit, en un
« culte ». Le culte contient « essentiellement des actions, des plaisirs, des précautions et préservations de quelque chose
de divin. ; mais de telles actions déterminées, de tels plaisirs effectifs et précautions ne peuvent pas avoir lieu, si le
moment objectif, reliant [au divin] manque, et le culture serait proprement annulé, si le côté subjectif était conçu comme
le tout. » C'est-à-dire que le culte est l'ensemble des apparences, c'est-à-dire des symptômes, consistant en
l'objectivation d'un divin inconnu. Il est à ce titre intéressant de voir que le culte, qu'on peut tout aussi bien appelé
cérémonial, est l'un des symptômes les plus présents et même l'un des premiers relevé par Freud dans les névroses
obsessionnelles : « les gens qui pratiquent des actes obsédants ou un cérémonial appartiennent, avec ceux qui souffrent
de pensées obsédantes, de représentations obsédantes, d'impulsions obsédantes, etc., à un groupe clinique particulier à
l'affection duquel on a coutume de donner le nom de « névrose obsessionnelle » ». C'est une observation tout à fait
analogue que fait ici Hegel.
On a souvent du mal, lorsqu'on lit les leçons sur la philosophie de la religion avec une expression particulière : Dieu est
« conscience de soi dans un autre. » En réalité, le texte allemand est beaucoup plus parlant, c'est-à-dire
« Selbstbewusstsein in einem Anderem. » En réalité, l'accent quand on parle de conscience de soi n'est pas, comme
l'invite le mot d'étymologie latine, à mettre sur la dimension de coexistence du sujet et de l'objet – je prends avec moi ce
que je connais –, mais sur la dimension d'être connu tout court de l'objet. Comme on l'a précisé ici, connaître, cela
signifie articuler en signifiants : ainsi un objet connu, conscient, est un objet ayant été articulé en signifiants. Ainsi,
Dieu, comme Selbstbewusstsein est un Selbst, un sujet, ayant été articulé. Où l'est-il ? Dans le sujet religieux qui
l'articule et plus précisément comme symptôme de ce sujet. Le savoir de soi de cet objet « Dieu » dans le sujet et leurs
interactions : voilà le sujet d'analyse des philosophies de la religion.

2. L'évolution de la religion.

Nous avons maintenant posé la façon dont la religion fonctionne. Mais nous avions parlé au-dessus du processus ou
plutôt du constat qu'il y a une série de religions, c'est-à-dire de structures, de plus en plus élaborée : ainsi, l'objectif sera
ici de clarifier ce que l'on entendait par une telle élaboration. L'objet du savoir du sujet religieux a un nom : « Dieu ».
« Dieu, pour nous, qui avons la religion, est un bien connu, un contenu, qui est présent là dans la conscience
subjective. »77 Quel est ce contenu ? « Dieu est la vérité absolue, la vérité de tout et la religion est le savoir vrai
absolu. » Soyons attentif au texte et traitons-le. Ici, le vrai absolu désigne la prise d'ensemble de signifiants, de telle
façon que cet ensemble soit absolument indépendant et émerge à partir de rien d'autre que de lui-même, de même que la
pulsion a pour point de départ et pour point d'arriver elle-même ; ou que le système psychotique a pour signifiant
primitif un signifiant qu'il a lui même posé et ne provenant pas du réel. Ceci donc, est ce qu'on appelle par « Dieu » ou
par « Religion », dans la mesure où « Religion » est le savoir de « Dieu ».
Simplement, comme l'écrit Hegel, ceci est bien plutôt le résultat de la philosophie : « c'est le résultat de la philosophie,
que Dieu est l'absolument vrai, le structuré en et pour soi, comprenant, contenant tout et donnant consistance à tout. »78
La fin de la philosophie de la religion consiste donc en la trouvaille d'une religion dans laquelle le sujet religieux sait
que la religion consiste dans un savoir absolu, c'est-à-dire un savoir excluant toute présupposée réalité autre que le
domaine du signifiant.
C'est précisément en ce sens que Hegel écrit que « Dieu est pour nous, dans la mesure où il est le structuré, en relation
au développement le vérouillé dans lui-même, dans une unité absolue avec lui-même. »79 Il est vérouillée, enchaîné avec
lui-même (verschlossen) dans la mesure où son articulation est quelque chose d'absolu et ne présuppose aucune réalité
qui lui soit autre. Jacques Lacan décrit la psychose comme le moment où le signifiant qui se vide du signifié, c'est-à-dire
où le signifiant se retire tout simplement du réel. Le sujet religieux de la religion absolue – que nous savons être la
religion chrétienne – ne veut plus entendre parler du sens du refoulement, c'est-à-dire du signifiant du réel : en lui, le
réel n'imprime plus.
On comprend donc que l'étape finale de l'élaboration de la religion doit consister en ceci qu'un nouveau signifiant soit
trouvé : un signifiant qui permette à l'ensemble de la structure signifiante de devenir absolue.
Réutilisant nos analyses précédentes, nous verrons que le signifiant central, dans la religion judaïque, est assimilable au
signifiant du réel, c'est-à-dire au signifiant primitif de la névrose. Sauf qu'ici, puisque l'objet du savoir – ou symptôme –
du sujet religieux n'est pas la scène traumatique, mais Dieu, nous appelerons ce signifiant « signifiant de Dieu. »

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C'est dans la religion chrétienne que ce signifiant sera conçu comme signifiant ne provenant non pas de l'autre divin
ineffable du savoir religieux, mais du monde du sujet religieux lui-même ; non d'un autre monde en dehors de la
structure du signifiant ; mais issue du fonds fantasmatique du sujet lui-même. Ainsi, la religion « absolue », comme
l'appelle Hegel, est absolue en ceci qu'elle est un système de signifiants auto-subsistant, ne dépendant plus de l'autre
divin et en étant coupée : la religion absolue est une psychose achevée.

A. A la recherche d'un signifiant de Dieu : la religion indienne.


Etant donné que la logique est un ensemble d'outils d'analyse, il est clair que l'analyse doit appliquer ces outils aux
religions réelles : dès lors il est normal que l'on retrouve les mêmes structures dans la logique et dans le réel car c'est en
leur mise en évidence dans le réel que consiste la science de la religion. Et ici, en l'occurence, dans la religion indienne,
« Brahma » désigne Dieu fonctionnant comme la puissance dans la logique de l'essence.
Pour introduire la religion indienne, Hegel énonce que « la détermination dont il s'agit désormais est que la puissance
est précisément posée seulement comme fondement (Grund) des figures partiulières et des existences et la relation de
l'essence étante dans elle-même est la relation de substantialité. »80 Il n'y a ici pas de doute : c'est bien la structure
logique de la substantialité qui est utilisée et appliquée à la religion indienne : dans la mesure où Brahma est posé
comme la substance étante dans elle-même face aux diverses apparitions, il est hypostasié comme la puissance étante
qui pose ces apparitions. « Elle est ainsi puissance en elle-même, puissance comme l'intérieur des existences, et en tant
qu'essence étante dans soi ou en tant que substance, elle est seulement posée comme le simple et l'abstrait, de telles
façons que les déterminations ou les différences comme figures étantes-là sont représentées comme en dehors d'elles. »
81

Tout est ici expliqué : en tant qu'elle est posée comme l'abstrait étant hors de ces apparitions, celles-ci sont déterminées
comme en dehors d'elles. Nous poserons ceci de la façon suivante : le système de signifiants constituant la religion
indienne est posé comme étant en dehors de son objet, Brahma. Le deuxième point est le suivant : ce système de
signifiants, dans la mesure où il se conçoit comme posé par cet autre indicible, n'est pas indépendant, n'est pas libre.
C'est ce que Hegel explique en une expression caractéristique de la religion indienne : « Brahman est donc comme pour
lui-même étant abstrait la puisssance et le fondement des exsitences, et toutes ces existences sont [comprises] comme
étant sorties de lui, comme elles sont – dans le se-dire-à-soi-même « Je suis Brahman » - toutes retournées en lui,
disparus en lui. »82 C'est-à-dire que dans la mesure où la puissance qui le pose est un étant autre substantiel, ce système
de signifiants est conçu comme son négatif et comme n'étant qu'être-posé par lui, comme son second. Ici, ce statut
fondamental second du système des signifiants est exprimé par l'expression « Je suis Brahman » que tout sujet religieux
indien se dit à lui-même ; mais aussi pourrait-on dire par le jugement « Cela est Brahman » que tout sujet religieux
évoque : « l'eau et le soleil est Brahman. […] l'air également, le mouvement de l'atmosphère, le souffle, l'entendement,
le bonheur est nommé Brahman. »83
Ainsi, le sujet religieux indien pose tout comme Brahman ; mais en même temps sait que rien ne le pose véritablement,
dans la mesure où Brahman est l'autre étant de l'ensemble de son système. C'est-en ce sens que celui-ci est aboli et
disparaît dans Brahman : dans le sens où aucun de ces signifiants ne peut signifier Brahman. Ainsi, la prolifération de
signifiants caractéristique de la religion indienne est bien plutôt le symptôme de l'impossibilité de signifier l'étant divin
autre du signifiant ou encore, l'impossibilité de trouver le signifiant de Dieu. Cela n'est pas sans nous évoquer le
problème de la symbolisation du réel étant comme autre, caractéristique de l'hypostase, que nous avons déjà évoqué.

B. La religion juive et la trouvaille du signifiant de Dieu.


La religion médiane entre la religion indienne et ce que Hegel appelera les religions de la subjectivité – les religions
grecque et juive – est la religion de l'énigme, qui correspond à la religion égyptienne. Nous voudrions ici travailler sur
la façon dont elle permet le passage de la première religion à une autre en faisant la trouvaille d'un signifiant permettant
ce processus. Ce signifiant, il s'agit d'une écriture du temple de Saïs qui dit la chose suivante : « Je suis, ce qui était, est,
et sera ; encore aucun mortel n'a soulevé mon voile. »84 Cette écriture à elle seule décrit le cœur de la religion indienne :
l'impossibilité de la signification de Dieu ; l'impossible trouvaille de son signifiant. Et effectivement, Hegel écrit que
cela exprime que « la nature est un différent en elle-même, c'est-à-dire un autre contre son apparition se présentant
immédiatement, une énigme ; elle a un intérieur, quelque chose de caché. »85 Quelque chose de caché, c'est-à-dire
quelque chose de non signifié.
Mais l'inscription continue : « le fruit de mon corps est Hélios. » C'est-à-dire que cet étant présupposé caché derrière les
apparences exprime le soleil, la clarté, le devenir clair lui-même, comme son fils.
Cela signifie que cet étant présupposé se révèle comme ce qui donne l'éclairage à tout le reste, c'est-à-dire comme le
signifiant primitif à la base de l'efficacité de tous les autres signifiants. C'est-à-dire que dans la mesure, précisément, où
le signifiant « Dieu » - ici « Brahman » - est posé à la base de tout ce système de signifiants, alors celui-ci a pu se

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développer comme système. On assiste ici à la prise de conscience de l'efficacité souterraine du signifiant « Dieu ».
Autrement dit, l'intérêt de l'analyse se transporte d'une relation impossible entre l'étant divin et le système de signifiants
à une relation bien réelle entre le signifiant divin et le système de signifiants : bien réel, car l'existence du système de
signifiants même en témoigne. Ici, on pourrait donc dire qu'Helios représente le signifiant divin. Il n'est pas Dieu étant
lui-même ; mais son signifiant, qui joue un rôle central dans le système de signifiants.
Cela est tout à fait analogue au passage que nous avons étudié ci-dessus, lorsqu'il s'agissait du passage de la relation de
causalité présumée réelle – obscure, incompréhensible – à la réflexion de cette relation comme relation posée.
Autrement dit, ce qui était présupposé comme étant réel se révèle ici comme déjà symbolisé et déjà enchaîné à ce qui
est posé. Ce qui apparaissait comme une relation obscure – ici, nommément, la relation entre Brahma et ses apparitions
– est ainsi remplacé par une relation claire qui est la relation entre deux signifiants. C'est dans la mesure où l'intérêt de
l'esprit se déplace de la relation obscure à cette relation entre deux signifiants que « l'énigme est résolue »86.

Ainsi, le signifiant de Dieu a été trouvé : « Dieu », comme signifiant primitif du système de signifiants de la religion, est
enchaîné à celle-ci et n'est plus représenté comme l'autre étant de ce système. C'est précisément ainsi qu'il faut
comprendre l'assertion selon laquelle « la subjectivité libre est ce qui a obtenu la maîtrise sur le fini en général, sur le
naturel et le fini de la conscience, qu'elle soit physique ou spirituelle, de telle façon que le sujet, l'esprit soit conçu
comme sujet spirituel dans sa relation au naturel et au fini [...] »87. Maîtrise ici, signifie simplement que le signifiant de
Dieu est le primitif, ce qui confère tout son sens aux autres signifiants du système, comme on l'a dit. En ce sens, il est le
signifiant qui les dirige, les oriente. Une autre expression de ce que le système de signifiants n'est qu'une explicitation
de ce signifiant primitif est que « dans la mesure où l'esprit est libre, le fini est seulement moment idéel en lui, il est
donc posé en lui même concrètement, et dans la mesure où nous le traitons lui et la liberté de l'esprit comme concret,
ceci est l'esprit rationnel ; le contenu constitue le rationnel de l'esprit. »88 Dans la mesure où chaque signifiant est idéel
en lui, cela signifie que chaque signifiant n'est qu'en tant que moment de la structure, du complexe dont le signifiant
primitif est celui de Dieu. La différence avec la système précédent est que dans celui-ci, le signifiant n'est pas moment,
mais écorce sans valeur qui s'abolit dans l'autre étant : il ne fait pas partie de sa structure, il est simplement hors de lui.
Ici, le signifiant est une partie de sa structure, et donc de son explication. Le signifiant de Brahme ne le développe pas,
il est simplement position désespérer de l'autre non symbolisable. C'est ce que Hegel explique lorsqu'il écrit que le
panthéisme Dieu est connu comme quelque chose d'un (Eines) ; et dans le judaïsme comne quelqu'un d'un (Einer). Dans
la mesure où l'attention est porté non pas sur l'autre obscur du système de signifiants, mais sur ce qui se développe au
cœur de ce système de signifiants, c'est-à-dire le signifiant « Dieu » primordial.
Dans la mesure donc, on le signifiant de Dieu est enchaîné aux autres signifiants du système de la religion, « le sujet ne
laisse rien conister à côté de lui, ce qui est non spirituel, simplement naturel […] la subjectivité est la forme infinie, et
en tant que telle ne laisse pas […] la naturalité extérieure consister à côté d'elle. »89 Le signifiant de Dieu et le système
de signifiants appelé « nature » sont « verbunden », enchaînés. Avec lui s'accompagne la conscience de ce que le second
est l'explication de ce qu'est le premier en lui-même. La nature comme structure est savoir de soi de Dieu c'est-à-dire
que ce qui se détermine maintenant dans la nature comme structure de signifiants est Dieu lui-même ( Gott selbst). Dès
lors, puisque la façon dont il est déterminé est de structure, on comprend que « la pensée est la manière de son être-là,
de son apparition. » - le lien entre structure et pensée ayant été repéré ci-dessus –. Dans la mesure où Dieu comme
signifiant est expliqué et explique la nature comme idéel, structurée, il est sagesse ; et les déterminations de cette
structures sont réunies dans une seule détermination, un seul but.
Ce qui ici vaut pour la religion judaïque, on peut tout aussi bien l'appliquer à la religion musulmane. Que ce soit dans la
religion juive ou musulmane, le nom de Dieu a une grande importance : il est le signifiant sur lequel se fonde tout le
système de signifiants que constitue le livre religieux. Il est le signifiant-sujet de ces livres ; le signifiant qui conditionne
par sa présence le sens de tout ce qui en suit, nommément les signifiants exprimant la nature et l'homme.
Mais attention, que le signifiant de Dieu soit enchaîné aux autres signifiants ne signifie pas que Dieu soit objet de
l'intuition ou de la représentation, comme si « Allah » ou « Jahvé » était l'image ou la figure de Dieu. Dieu n'est qu'en
tant que déjà pris ensemble avec le réseau de signifiants, qu'en tant que signifiant parmi le réseau. Autrement dit, le
signifiant Dieu n'est pas objet isolé : il est, en tant que signifiant, toujours déjà pris d'ensemble avec les autres. C'est
pourquoi Hegel écrit qu'il n'est objet que de la pensée. Il ne saurait être intuitionné ou intentionné en un objet particulier,
dans la mesure où en prendre connaissance signifie toujours prendre les choses d'ensemble, et considérer sa sagesse
comme structure d'ensemble.

Les trois versets de l'Ancien Testament sont un exemple frappant de ce fonctionnement du signifiant de Dieu : « Au
commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le
souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. » Dieu s'est manifesté
par une parole et a manifesté ainsi le reste des choses : c'est-à-dire que son efficience est une efficience symbolique. De
même que précédemment, nous avions étudié le symptôme névrotique comme un signifiant de l'efficacité du signifiant
du réel traumatique : le signifiant « Dieu » renvoie ainsi à une objectivité du dehors du système de signifiants. Mais tout

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en étant en dehors du système, il y est d'emblée inscrit comme une marque, un nom : il a exactement la même fonction
que le signifiant du réel pour le sujet névrotique.
C'est précisément pour ceci que dans ces religions, Dieu se sait dans un autre que lui, c'est-à-dire le sujet religieux lisant
le livre religieux. Le sujet religieux lisant le livre est le lieu du savoir de soi de Dieu. Mais Dieu, tout en y étant inscrit
comme signifiant, est présupposé comme l'autre radicale de ce système. Il est un signifiant donné du dehors du monde
du sujet. Cela est manifeste dans la religion musulmane : le prophète musulman par exemple est conçu comme
radicalement autre de Dieu, mais participe de l'articulation du savoir de soi de Dieu dans la mesure où il articule le
signifiant « Dieu » au reste de ses déterminations. Que le savoir de soi de Dieu soit savoir de soi dans un autre signifie
donc que le sujet religieux articule le savoir de Dieu, mais l'articule en le présupposant en dehors de lui.
Autrement dit, le signifiant de Dieu – comme le signifiant du traumatisme – et son articulations sont accompagnés de la
certitude que Dieu est passé – comme l'est le traumatisme comme vécu réel – ou hors du monde du sujet qui l'articule.

On peut ici associer le fonctionnement du signifiant de Dieu au fonctionnement de ce que Lacan, dans son intervention
intitulée « La signification du phallus », appelle le phallus. Il y expose en effet clairement sa fonction, d'abord en
indiquant que « le phallus dans la doctrine freudienne n'est pas un fantasme, s'il faut entendre par là un effet
imaginaire. »90 C'est-à-dire, comme on l'a vu pour le signifiant Dieu, que le phallus n'est pas intuitionnable, on ne peut
pas l'appréhender comme objet particulier d'une intention : il est sans image.
Ensuite, on lit que « le phallus est un signifiant, un signifiant dont la fonction, dans l'économie intrasubjective de
l'analyse » est de « désigner dans leur ensemble les effets de signifié, en tant que le signifiant les conditionne par sa
présence de signifiant. » C'est-à-dire qu'il est le signifiant à la base de l'ensemble du réseau de signifiants constituant
l'économie intrasubjective du sujet – ici du sujet religieux – lui conférant ainsi un sens.

C. La religion chrétienne et la boucle de la psychose.

Nous voudrions pour comprendre le passage de la religion judaïque à la religion chrétienne étudier le texte
d'introduction à la section consacrée à la « religion absolue. »
« Nous avons précédemment déterminé la religion comme conscience de soi de Dieu ; la conscience de soi a en tant que
conscience un objet et est consciente d'elle-même dans cet objet ; cet objet est aussi conscience, mais conscience
comme objet, donc conscience fini, une conscience diverse (verschiedenes) de Dieu, de l'absolu ; […] Dieu est
conscience de soi, il se sait dans une conscience diverse de lui. »91
Dans la mesure où le signifiant de Dieu est articulé dans le sujet religieux, celui-ci est conscient de soi dans lui. Mais,
comme on l'a vu, ce signifiant de Dieu, renvoie à un autre radical du sujet religieux qui l'articule. Aussi Dieu se sait
dans une conscience diverse de lui. « Objet » traduit ici Gegenstand : il est la conscience du sujet religieux se tenant
face à Dieu comme son autre radical.
Le contenu de la religion absolue consiste désormais en ceci que « Dieu consiste dans le fait : de se différencier, d'être à
lui-même objet, mais dans ce différent d'être absolument identique à soi-même - l'esprit. »92 Ce passage n'est
évidemment pas sans rappeler le passage étudié ci-dessus du concept objectif au concept comme idée.
Mais tandis que précédemment, l'objet du concept était le réel traumatique, et que le passage à la structure de l'idée a été
étudié comme la perte pure et simple du rapport à la réalité, ici l'objet du concept est Dieu, et le passage à la religion
suivante désigne pour le sujet religieux, la conscience de ce que Dieu tel qu'il se présente à lui et Dieu tel qu'il est en soi
sont purement et simplement identique. C'est-à-dire que Dieu lui-même, et non plus seulement le signifiant de Dieu, est
désormais présenté à la conscience du sujet religieux : « Dieu est absolument manifeste. »93 Le sujet religieux chrétien a
ainsi « la certitude de l'idée, c'est-à-dire la certitude appartenant au sujet en tant que tel, en tant que fini, au sujet
empirique-concret. »
Ici, à la place du signifiant de Dieu, le sujet religieux substitue la certitude sensible d'un corps réel de la nature et
renvoyant à une intuition sensible du sujet. Ceci correspond au passage par lequel le signifiant du réel est remplacé,
dans la conscience du psychotique, par un objet de nature imaginaire : ce que Lacan apelle un fantasme. Dès lors, le
fondement du système de la religion chrétienne n'est plus celle, symbolique, du nom de Dieu ; mais celle de l'image
sensible de son fils. Ainsi, « Dieu » n'est plus seulement pensable, car toujours pris ensemble avec les autres signifiants,
mais son signifiant est remplacé par une intuition sensible immédiate. La religion est ainsi complétée : le signifiant de
Dieu est remplacé dans le système de la conscience empirique du sujet religieux par une intuition sensible renvoyant
non pas à un Dieu autre mais à un Dieu bien présent, étant-là. Avec l'appropriation du contenu du signifiant « Dieu », la
réligion est complétée : « Dieu » n'est plus signifiant de Dieu comme autre, mais signifiant de Dieu comme ici et là,
dans un corps humain. La référence présupposée par le signifiant de Dieu, Dieu lui-même, est désormais dans la
conscience empirique du sujet, et non plus son autre ; le nom de Dieu n'est plus le signifiant d'un infigurable.

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Si ce que nous disions précédemment sur le lien entre la psychose et l'idée se révèle justifié, on devrait retrouver dans la
structure de la religion chrétienne des points communs avec la structure de la psychose. Nous voudrions voir en quoi ce
que Lacan appelle la « forclusion du nom-du-père » peut être ici associée dans sa structure à la religion chrétienne.
Le nom-du-père chez Lacan a une fonction analogue à ce que nous avons appelé le signifiant de Dieu, ou le phallus. Ce
sur quoi nous n'avions pas insisté véritablement, est que Lacan insiste sur ce point que « ce qui n'est pas symbolisé,
donc ce qui n'a pas d'inscription au niveau du système psychique, fait retour au sujet par l'extérieur, par le dehors et dans
le réel »94. Ce qui, chez le psychotique, est forclos à l'intérieur au niveau symbolique, le nom-du-père ou le signifiant de
Dieu, revient à l'extérieur. Quel est la nature de cet extérieur ? N'étant pas lui-même d'ordre symbolique, il sera d'un
autre ordre : il sera imaginaire. De même, dans la religion chrétienne, Dieu apparaît comme un homme intuitionnable,
c'est-à-dire comme une image à laquelle le sujet religieux peut s'identifier. Ainsi, l'apparition d'un homme comme Dieu
lui-même et la certitude de son existence, constitue pour le sujet religieux un réel tout à fait analogue au réel du
psychotique : il est après l'abandon du signifiant de Dieu, le retour de Dieu par le dehors du sujet, sous forme
imaginaire.

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE :

• HEGEL, G.W.F., Science de la logique


• HEGEL, G.W.F., Wissenschaft der Logik
• HEGEL, G.W.F., Wissenschaft der Logik
• HEGEL, G.W.F., Vorlesungen über die Religion
• HEGEL, G.W.F. Vorlesungen über die Religion
• LACAN, Jacques, Ecrits,
• LACAN, Jacques, Ecrits
• LACAN, Jacques, Les psychoses
• LACAN, Jacques, séminaire « Le moment de conclure »
• LACAN, Jacques, séminaire « R.S.I. »
• PLATON, Parménide
• PLATON, Cratyle
• ARISTOTE, Métaphysique
• SAUSSURE, Ferdinand, Ecrits de linguistique générale
• HAAS, Bruno, Die Freie Kunst
• HIPPOLYTE, Jean, « Commentaire parlé du texte de Freud sur la Verneinung »
• FREUD, Sigmund, « De la perte de réalité dans la psychose et la névrose »
• FREUD, Sigmund, « La dénégation » (Die Verneinung)
• FREUD, Sigmund, De l'interprétation des rêves
• KELSEN, Hans, Théorie pure du droit
• DETIENNE, Marcel, Les maîtres de la vérité dans la Grèce archaïque
• GERNET, Louis, Anthropologie de la Grèce antique
• ZIZEK, Slavoj, Moins que Rien
• BOURGEOIS, Bernard, Le vocabulaire de Hegel,

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