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La logique de Hegel est une logique du signifiant. Le lien entre la logique hégélienne et la psychanalyse a déjà été mis
en évidence récemment par Zizek dans son opus magnum Moins que rien. Mais nous n'y avons trouvé aucune référence
à la logique de Hegel : c'est surtout la Phénoménologie de l'esprit qui y est citée, ainsi que sa méthode, que Zizek
rapporte avec brillo à la pensée de Lacan. Nous savons que la logique hégélienne se partage en trois parties qui sont la
logique de l'être, celle de l'essence, et celle du concept. Aussi, notre thèse sera également composée de trois parties :
nous montrerons dans une première partie que la logique de l'être est une logique de l'être du signifiant pris isolément ;
que la logique de l'essence est une logique du rapport entre le sujet et le signifiant ; que la logique du concept est une
logique de la chaîne signifiante. Ainsi, nous espérons couper court à une sorte de lecture de la logique hégélienne selon
laquelle elle serait une leçon à apprendre et à se réciter à soi-même comme un corpus de vérités toutes faites : contre
cela, nous voudrions montrer que ce que Hegel développe dans sa logique sont des outils d'analyse, des structures
logiques à utiliser pour concevoir des réalités. La posture de Hegel est une posture de scientifique : il cherche à
concevoir des réalités, parmi lesquelles la religion. Aussi, nous voudrions dans la seconde partie de notre travail étudier
comment l'objet appelé « religion » est conçu selon ces outils. Ainsi, nous verrons tour à tour, quel est l'objet de la
philosophie de la religion, son but ; puis comment effectivement Hegel l'a mené dans ses Leçons. Annonçons-le
directement : que la logique de Hegel soit une logique du signifiant est à comprendre de la façon suivante : le signifiant
tel qu'il est introduit par Lacan dans ses Ecrits et ses séminaires nous ont semblé fonctionner comme les structures de la
logique hégélienne. Il apparaîtra enfin que dans la logique hégélienne, ce que Hegel appelle objectivité et idée sont des
structures que nous identifierons dans leur fonctionnement respectivement à la névrose, puis à la psychose telle que les
définissent Freud dans un texte sur « La perte de réalité dans la névrose et la psychose » puis Lacan dans son séminaire
sur Les psychoses. La philosophie de la religion, dans la mesure où elle est étude de l'idée dans le réel, nous
l'identifierons donc comme l'étude d'une série de psychoses de plus en plus élaborées.
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« ce qui est véritablement subsistant et substantiel à travers toute la multiplicité variée et la contingence de l'apparaître
et de l'extériorisation passagère, c'est le concept de la Chose, ce qu'il y a d'universel dans elle-même. »11 Ainsi, le
concept de la Chose est décrit comme ce qui se répète au travers de la série de ses apparitions : plus encore, dans la
mesure où il se répète à travers celles-ci, il est un universel, dans la mesure où il est le commun de ces apparitions. Un
exemple est donné pour expliciter cette propriété de répétition du concept : chaque individu humain, lit-on, « a en lui-
même le prius de tout son être propre, à savoir d'être, dans celui-ci, un homme. »12 Deux parties sont présentes dans cet
exemple : d'abord chaque être humain pris un à un comme étant ; puis ce qu'on appelle leur prius d'être homme, la
marque de ce prius étant le nom même d'homme qui semble être leur commun.
« Homme » se répétant à même tous ces hommes étants, il semble constituer ici le concept de la chose « homme ». En
effet, pour éclairer ce dont on parle, nous partirons de ce postulat que le commun est ici le nom et seulement le nom qui
se répète. De telle façon que le nom qui se répète, ou le nom universel, est ce qu'on identifie comme le concept de la
chose. Il nous appartiendra ensuite de voir si cette définition pourra ensuite varier et le commun devenir autre chose. Le
prius d'homme, qu'ici nous identifions, pour des raisons de clarté, au nom « homme » est appelée « la base » : c'est la
base substantielle qui se répète au travers de toutes les nominations comme « homme » de chaque homme étant.
La répétition apparaît donc ici consciente du sujet et sous le contrôle de celui qui nomme. Mais cette définition apparaît
insuffisante, dans la mesure en effet où les « images » utilisées par Hegel pour nous faire comprendre ce qu'il en est de
cette répétition semble exclure toute possibilité pour le sujet d'avoir prise sur cette répétition : on lit en effet que cette
nature logique « anime l'esprit, qui exerce en lui son impulsion et son efficience »13. Autrement dit, si le prius d'homme
se répète, c'est qu'en lui se trouve une efficience spécifique qui est ici reconnue dans toute son indépendance par rapport
au sujet parlant consciemment. C'est-à-dire qu'il est un agir inconscient par rapport à l'agir instinctif du sujet, lequel agir
instinctif concerne les représentations conscientes, « de buts, de désirs etc. »14. C'est pourquoi nous changerions notre
définition en disant ceci : le concept ou la Chose en elle-même dont il est question dans la logique est la fonction
inconsciente par laquelle, lorsque l'on pense à ou nomme un à un des étants de façon consciente, un universel se répète
au travers des nombreuses nominations ou apparitions de cette pensée consciente ; de telle façon qu'inconsciemment en
même temps, quelque chose qui, semble-t-il est indépendant de la pensée consciente, s'y pense par une certaine « force
d'impulsion. »15 Cette Chose elle-même, donc, est connaissable et la Logique en est l'étude.
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convient pour cela, tandis qu'autrement on se trompera et on ne fera rien de bon? »28 Ici donc, la mesure de la bonne
coupure est la nature des choses, qui est tout aussi bien la façon dont n'importe qui doit couper pour que cela
fonctionne ; car cette façon de couper dépend de la nature des choses, étant la même pour tous. De même, pour bien
nommer, il faut nommer, non pas selon notre caprice, mais comme la nature des choses veut qu'on nomme, et avec ce
qui convient à cet usage : ainsi seulement nous ferons quelque chose de sérieux et nommerons effectivement; autrement
il n'y aura rien de fait.
Soit donc une chose particulière étante : il y a une façon de bien nommer cet étant : cette façon est une, mettons
« arbre » pour nommer un arbre étant. Ce nom, tout en étant « un », dans la mesure où il en est fait usage par plusieurs
sujets et plusieurs fois par le même sujet, se répète comme le même « nom ». Mais pourquoi, sur quel fondement repose
ce fait que telle série de syllabe nomme bien, convient à tel étant ? Nous n'avons pas vraiment de réponse : ce nom fait
loi, ce nom, « on » en fait usage. Platon pose certes hypothétiquement l'existence de celui qui institue le nom : il est
appelé législateur et son devoir est de former avec les sons et les syllabes les noms qui conviennent aux choses; il faut
qu'il les fasse et qu'il les institue en tenant ses regards attachés sur l'idée du nom, s'il veut être un bon instituteur de
noms : mais en vérité, cela ne nous aide pas réellement à comprendre le fonctionnement de cette structure particulière
et encore une fois contradictoire.
Bien plutôt doit on prêter attention à ce qui se passe dans la nomination et s'interroger sur ce fait que précisément, une
nature une puisse être nommée plusieurs fois ; et même que ce soit cette nature une qui permette l'efficacité des
nombreuses nominations dans la mesure où en effet entre la première et la dernière de la série des nominations, la
référence qu'il désigne ne varie pas mais s'y répète inlassablement. Ainsi, ce que nous apprend Cratyle est la chose
suivante : un nom prononcé par un sujet tire son efficacité, ou sa signification, de ceci qu'il participe à la répétition
universelle de la nature dont il est un des représentants. Bien évidemment, le problème est le suivant : on accorde très
bien l'existence de la répétition universelle dont vous nous parlez, mais celle de la nature de la chose une, cela est moins
sûr. Cette charge est très importante dans la mesure où sur elle est suspendue la possibilité même de chaque nom d'avoir
un sens et un seul. C'est précisément dans la mesure où il faut se mettre d'accord sur le fait qu'un mot signifie une seule
chose, pour pouvoir dialoguer, que Platon ne peut faire autrement que d'intégrer cette condition de possibilité de tout
dialogue, et avec elle l'armature contradictoire dont elle est constituée. Ainsi, on peut s'exprimer comme ça : sous
réserve que le nom que l'on utilise ait un sens commun, partagé avec les autres sujets et les autres nominations ; alors il
faut présupposer une telle nature une, et la structure de la nomination doit être telle qu'on l'a décrite – comme répétition
de cet un –.
2. Aristote et la catégorie.
Au lieu donc de se demander la condition de possibilité d'une telle nature une, on peut s'interroger sur son rôle dans la
structure de la nomination : et celui-ci consiste en ceci que la nature une est le signifiant primitif qui stimule l'utilisation
des autres signifiants. Dans la mesure, en effet, où dans cette structure, la forme du nom que l'on utilise est posé comme
identique à la forme que l'on nomme, alors le sujet nommant ne fait que répéter un signifiant qu'il se présuppose. Par
exemple, nommant un homme particulier, le sujet qui nomme correctement ne fait que répéter ce nom « homme », nom
« un » présupposé par la pratique même de la nomination. Un tel signifiant, que Hegel a appelé le prius, est ce que nous
appelons ici signifiant primitif : il est le signifiant dont la présence permet que les nominations qui le répètent aient un
sens en y renvoyant tous. Ainsi donc, certes, cette répétition semble répéter toujours le même ; mais en tant qu'action,
elle est une structure qui fonctionne tous les jours, et produit effectivement un grand nombre de nominations concrètes.
Y a-t-il quelque part une théorie ayant mis en évidence ce caractère de stimulation du signifiant primitif ? Nous
souhaiterions pour mettre en évidence cela nous intéresser à un texte de la métaphysique : celui ouvrant le livre Z de la
Métaphysique d'Aristote.
Peut-être en comprendra-t-on plus si on lit le texte : puisqu'il y est dit que « on » « signifie le ce que c'est, le comment,
le combien et chacune des autres figures de la prédication (σημαίνει γὰρ τὸ μὲν τί ἐστι καὶ τόδε τι, τὸ δὲ ποιὸν ἢ ποσὸν ἢ
τῶν ἄλλων ἕκαστον τῶν οὕτω κατηγορουμένων). Soyons vraiment attentif au texte ici : par exemple, prenons
sérieusement en compte que « on » signifie le combien. Cela signifie que « on » a pour signification un signifiant qui
questionne. Un signifiant qui questionne n'est pas en position non d'assertion, mais de demande d'un autre signifiant :
« on » signifie donc un signifiant qui demande des signifiants. Ainsi, le mot « on », ou « esti », orienté par ce signifiant
de demande « combien », est la répétition de cette même demande : dit en d'autres termes, le signifiant « combien » est
une fonction applicable à une infinité de jugements sur la quantité ; lesquels jugements constitue la répétition – ici,
répétition peut être plus pris dans le sens d'appétit pour le réponse : petere en latin signifiant aspirer à... – de la même
demande. La signification de « est » se soutient donc de ce qu'elle est la répétitin d'une demande de signifiant orientée
par un mot, ici « combien ».
Il faut vraiment être sensible à la forme « semainei + signifiant questionnant » employée ici : c'est bien « on » qui
signifie cette demande. Quant à savoir comment satisfaire à cette demande, cela n'est pas important : plus important est
de voir que dans chaque jugement se répète la même fonction de demande et que ce signifiant questionnant constitue le
signifiant primitif stimulant chacun de ces jugements. Ainsi, nous appellerions chaque catégorie une façon de signifier
un manque de signifiants, de telle façon que chacune d'elle stimule tout un système de signifiants tentant d'y répondre,
et ainsi la répétant.
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3. Et des échos ? Lacan et l'insistance de la chaîne signifiante.
Ce qui nous a frappé dans notre lecture de Hegel, mais aussi des textes dont nous avons ici parlé de Platon et Aristote,
c'est que de nombreux passages des Écrits de Lacan semble coïncider parfaitement dans leur structure à ce dont il est
question ici. Si bien que s'est posée pour nous une interrogation : Hegel et Lacan ont-ils aperçu la même chose, mais
dans des formes différentes? C'est-à-dire : ont-ils aperçu les mêmes structures, mais dans des contextes tout à fait
différents ? Cette remarque à une grande portée dans la mesure où elle nous permettrait de relire et de réinteprréter à
fond la logique hégélienne en la concevant non plus tant comme une théorie du sens – de telle façon qu'en la lisant, on
trouverait un « sens à notre vie », et qu'on devrait se la répéter comme une sorte de catéchisme – que comme une théorie
du signifiant, permettant ainsi d'aborder ses structures non pas comme des réponses mais comme des outils pour une
application ultérieure à certaines réalités. Il se pourrait en effet qu'il soit question des mêmes fonctions théoriques, que
ce soit dans la théorie de la logique de Hegel ou dans la théorie du sujet de Lacan.
Lacan, dans son écrit intitulé « La Chose freudienne », fait état de sa démarche afin de revenir au « sens de Freud. »29 Si
l'on passe sur l'homonymie heureuse entre la « Chose » dont il est question dès la préface et l'introduction de la Science
de la logique et la Chose dont parle ici Lacan, on peut se demander si la méthode de ces deux auteurs est orientée vers
un objet structuré de la même façon.
Le premier thème de ce retour à Freud est le suivant : il y a du véritable, c'est-à-dire qu'il y a de la vérité qui se présente,
qui défile là sous le regard de l'analyste. Ce défilé, Lacan l'appelle le réel : c'est ce qu'il exprime en ceci que « le
commerce au long cours de la vérité ne passe plus par la pensée ; chose étrange, il semble que ce soit désormais par les
choses »30 Dans la mesure où le véritable défile, il défile comme une articulation, c'est-à-dire qu'il prend la forme d'une
chaîne de ce que Lacan appelle signifiants. Où cette chaîne de signifiants s'articule-t-elle ? D'une manière générale, on
peut dire que ce que Lacan appelle sujet là où s'articule une telle chaîne de signifiants, quels qu'ils soient.
Ainsi, dans la séance du 10 janvier 1978 du séminaire « Le moment de conclure », il énonce qu' « il y a sûrement de
l’écriture dans l’inconscient, ne serait-ce que parce que le rêve, principe de l’inconscient - ça, c’est ce que dit FREUD -
le lapsus et même le trait d’esprit se définissent par le lisible »31. S'en suit la position d'un exemple, le rêve – qui est
d'ailleurs appelé « la voie royale » vers l'inconscient par Freud – : « un rêve, on le fait, on ne sait pas pourquoi et puis
après coup, ça se lit, - un lapsus de même, - »32 Le sujet est donc le lieu d'une écriture, ou articulation particulière de
quelque chose : cela n'est pas sans nous rappeler ce que nous disions ci-dessus à propos du concept objectif des choses.
C'est-à-dire que dans la mesure même où le sujet parle, fait un usage instinctif de sa parole, quelque chose d'un s'y
répète ou comme Lacan l'écrit insiste au cours de cette chaîne de signifiants.
Le sujet est donc le lieu des chaîne ; mais le second thème lacanien que ce véritable, bien qu'elle défile là, « se
défend »33 de la connaissance du sujet qui l'articule ou plutôt du sujet où il – le véritable – s'articule : c'est-à-dire que
quelque chose dans le sujet s’articule qui est au-delà de sa connaissance. Apparaît ici la propriété d'indépendance du
concept objectif de la Chose par rapport au sujet qui en parle.
Mais précisément, on lit aussi que le sujet, c'est « le signifiant pour un autre signifiant », c'est-à-dire qu'il est intéressé à
cette chaîne, dans la mesure où il en est un des chaînons. Ici apparaît donc l'écart entre ce que le sujet articule et la
connaissance de la place qu'il y prend. C'est là qu'apparaît enfin la dimension de contrôle, d'agir dominant du concept
objecif des choses sur le sujet parlant ; dans la mesure où le sujet parlant ne peut s'y soustraire, y étant intéressé.
Si donc le lieu de l'articulation de la chaîne signifiante est le sujet, ce qui s'écrit dans l'articulation de la chaîne
signifiante est autre chose que Lacan appelle « être » : il indique en effet que cette chaîne de signifiants est soutenue par
quelque support « dont il n’est pas abusif de le qualifier du terme d’« être » ». Puis il insiste, « si le terme d’« être » veut
dire quelque chose, c’est le réel pour autant qu’il s’inscrit dans le symbolique, le réel intéressé dans cette chaîne que
FREUD nous dit être cohérente et commander, le comportement du sujet. » Cela rappelle encore plus ce que Hegel
écrivait sur la force d'animation du concept objectif des choses les représentations particulières du sujet.
« La chose en elle-même » : voilà donc l'objet annoncé de la logique que nous avons essayé d'approcher. Seulement, il
semble bien que son étude se décompose en trois parties qui sont nommément la logique de l'être, la logique de
l'essence, puis la logique du concept, cette dernière semblant être à proprement parler l'étude de cette « chose ». C'est
pourquoi nous voudrions dans notre travail défendre la thèse selon laquelle ces trois logiques sont des logiques ayant
rapport à l'objet que l'analyse psychanalytique lacanienne étudie et utilise le plus : le signifiant. Nous commencerons par
la logique de l'être, laquelle logique nous identifierons comme étant une logique de l'être du signifiant.
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2. La logique de l'être (du signifiant).
1. Première approche : un objet contradictoire.
« L'être et le néant sont la même chose. » Cela signifie que l'unité de l'être et du néant, le devenir, est contradictoire
dans la mesure où le néant est la négation de l'être et l'être la négation du néant. Pourtant, l'unité de l'être et du néant est
tenu ferme et posée comme une unité elle-même étante : c'est le Dasein. « Dasein » est l'unité étante de l'être et du
néant ; un étant étant en même temps étant et non-étant. Cela nous a semblé dans notre lecture tout à fait analogue à
l'être de ce que Lacan appelle le signifiant : en effet, le signifiant ne tient sa valeur – nous disons ici, l'être – que de ce
qu'il est la négation des autres signifiants de son réseau. Ainsi, la nombre minimal de signifiants qui fonctionnent dans
un réseau est de deux : pour autant qu'un signifiant est la négation d'un autre signifiant, il peut être, il peut valoir.
Autrement dit, nous assimilons ici le fonctionnnement du Dasein et du signifiant. Ainsi, de même que Dasein semble
être unité étante de l'être et du non-être, nous lison chez Lacan dans son écrit sur « La lettre volée » que « que le
signifiant est unité d'être unique, n'étant par sa nature symbole que d'une absence [d'un autre signifiant] ».
Au début de la logique de l'être, Hegel fait une référence discrète au Parménide de Platon, que nous avons déjà cité.
Mais il l'utilise à propos de la fameuse dialectique de l'un et de l'être. Il écrit en effet dans la troisième remarque du
paragraphe sur « L'unité de l'être et du néant » que « la dialectique, selon laquelle Platon traite de l'un dans le
Parménide est à considérer plutôt comme une dialectique de la réflexion extérieure. L'être et l'un sont tous deux des
formes éléatiques, qui sont la même chose. Mais ils sont aussi à différencier, et c'est ainsi que les prend Platon dans le
dialogue. » Hegel fait référence à ce dont traite Platon quand il parle de l'unité de l'un et de l'être. Nous voudrions dans
une première partie étudier ce dialogue et voir en quoi il peut nous aider à concevoir l'objet de la logique de l'être, c'est-
à-dire l'unité du non-être et de l'être.
Quand on pose l'hypothèse εἰ ἕν ἐστιν en 137c, on pose cette hypothèse en réfléchissant l'un qui est comme un : on peut
aussi bien la noter εἰ ἕν ἐστιν dans la mesure où ici la réflexion de l'un comme un est invisible dans la proposition qu'est
le εἰ ἕν ἐστιν. Mais pourquoi ne pas écrire εἰ ἕν ἕν ? En fait, cette hypothèse a un intérêt que dans la mesure où elle
contient ceci que l'un est, c'est-à-dire que ce qui est réfléchi comme un est en même temps comme référent étant.
C'est-à-dire que dans la mesure où l'un étant est réfléchi comme un, cette réflexion lui est extérieure : c'est d'ailleurs
bien ce qu'écrit Hegel qui décrit la dialectique du Parménide comme une dialectique de la réflexion extérieure.
Pourquoi est-ce une réflexion extérieure ? C'est que l'un étant n'est posé comme un que pour nous ; cette réflexion
comme un lui est autre ; lui est seulement comme un étant, n'est pas en lui-même que comme un. C'est-à-dire qu'est
présupposée ici face à la réflexion l'unité étante de l'un et de l'être : celle-ci est simplement présupposée comme un objet
contradictoire. Ce caractère contradictoire se révèle par ceci que l'un étant, en tant qu'un, n'est pas ; c'est-à-dire que l'un
comme un est la négation de ce avec quoi il est dans unité étante. Nous voudrions détailler la façon dont est démontré
ceci que dans l'unité étante de l'être et de l'un, l'un réfléchi comme un est la négation de l'être.
Si l'un est, il n'est pas plusieurs [choses].
S'il n'est pas plusieurs choses, il ne doit pas y avoir de parties de lui ni lui même être tout.
S'il n'y a pas de parties de lui et s'il n'est pas un tout, il n'a pas de commencement ni fin ni milieu.
Or le commencement et la fin sont des limites, donc l'un est sans limite, et donc sans figure, (Καὶ ἄνευ σχήματος ἄρα.)
C'est lorsque l'on tombe sur ce σχήματος que nous comprenons pleinement que l'élément dans lequel la pensée se meut
dans cette partie du dialogue est l'espace.
On trouve pour conséquence que si l'un est tel, il n'est nulle part : il ne serait en effet ni en un autre ; ni en lui-même. En
effet, en une autre chose, il serait enveloppé en cercle par ce dans quoi il est, en plusieurs endroits et le toucherait en
plusieurs endroits. Or cela est impossible s'il est un car n'étant pas plusieurs choses, il n'a pas plusieurs endroits ou
points de contacts. Ici le « plusieurs » du début est explicitement enchaîné au « plusieurs » spatial. S'il était en lui-
même, enveloppé par lui-même, il y aurait une altérité de l'un enveloppant et de l'un enveloppé : l'un serait donc deux,
duo. Ici, moins gênant pour nous, comme par hasard quand on parle de l'autre.
L'un ne connaît ni le déplacement ni l'altération, car si c'est par rapport à lui-même que l'un s'altère, il ne peut continuer
d'être un ; et si il se déplace : il se déplace en rotation ou linéairement. Si il se déplace en rotation, il doit avoir un
centre, qu'il n'a pas car n'a pas de parties ; s'il se déplace linéairement, alors il doit y avoir un état dans lequel une partie
de lui-même entre en quelque chose tandis qu'une autre partie de lui-même est hors de cette chose : impossible, car il n'a
pas de parties ; et a fortiori, il n'est nulle part. Il n'est pas non plus en repos, car n'est nulle part.
En vérité, à ce stade, on a moins prouvé le non-être de l'un que l'impossible pour l'un d'être comme spatialisé. Mais
l'important est de comprendre le sens de la démarche platonicienne ici : il nous semble qu'ici Platon cherche à annuler
l'être de l'un en lui refusant successivement l'ensemble des façons d'être q'il admet, à commencer par l'être quelque-part.
Continuant ains, il lui dénie l'être-passé, présent et futur, ce que Hegel appelle « les façons d'être (die Weise des Seins) ».
Le but de l'argumentation est donc d'établir que l'un en tant qu'un n'est pas ; c'est-à-dire est la négation de l'être.
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Il faut ainsi traduire « Je ne veux pas vous offenser. » par « Je veux vous offenser » cela signifie donc que la
signification seconde – vraie – de la négation est l'affirmation. Autrement dit, une négation posée de quelque chose doit
être interprétée par l'analyste comme une affirmation réelle de quelque chose. La dénégation, explicite Hippolye, est
« un mode de présenter ce qu'on est sur le mode de ne l'être pas. »35 et cette dénégation nous dit-il, « pourrait être
l'origine même de l'intelligence.»36 Hyppolite résume son fonctionnement ainsi : « je vais vous dire ce que je ne suis
pas : attention, c'est précisément ce que je suis. »37 Nous sommes donc ici face à une dissociation seulement posée,
seulement énoncée par le sujet corrélée à une identité réelle. « Je ne suis pas A » cache donc la réelle unité selon
laquelle « Je suis A ». En pensée ou en parole le prédicat est nié ; mais réellement, il est attribué. Mais s'agit-il
réellement d'une attribution ? L'attribution n'est-elle pas déjà une parole, une pensée articulée ? Alors en quoi peut bien
consister une attribution ou identité existentielle, réelle ?
De quelle type de négation s'agit-il dans la dénégation ? Dans la mesure où nous avons opposé ici négation posée et
affirmation réelle, il semble que la négation de la dénégation ait un statut ontologique particulier : elle ne nie pas un
discours, mais nie un réel. Cette négation a une dimension qui va au-delà de la simple négation posée. Nous
souhaiterions déterminer sa nature : en effet cela nous permettra de pénétrer plus à fond dans la structure même de la
dénégation, et par là, de la participation.
Le statut ontologique de la négation à l'oeuvre dans la dénégation nous sera plus claire si nous allons à la suite du texte,
où Hyppolite explicite très clairement les étapes de l'analyse face à la dénégation.
La première étape consiste ce que le patient dise « voilà ce que je ne suis pas », à partir de quoi l'analyste en a conclu ce
que je suis. Le refoulement subsiste toujours sous la forme de la dénégation, c'est-à-dire que le patient dit toujours qu'il
n'est pas ça.
La seconde étape consiste en ceci que le psychanalyste réussit à faire avouer au patient dans son intelligence que ce qu'il
niait tout à l'heure, il l'est : c'est-à-dire que l'analyste obtient que le patient dise désormais qu'il est ça. Mais Freud ajoute
que le procès du refoulement n'est pas encore par là levé (aufgehoben).
En fait, il ne s'agit là de la négation de la négation posée de la première étape : « je suis ça » signifie que j'ai nié en
pensée « je ne suis pas ça ». Mais cela ne suffit pas. Le psychanalysé accepte et revient sur sa dénégation mais le
refoulement encore là.
En conclusion, si l'affirmation posée ne suffit pas à réparer la dénégation, c'est que la négation n'est que la forme de la
dénégation, et que celle-ci est née d'une négation existentielle, d'une négation plus profonde, elle-même étante, qui est
l'expulsion. Ainsi, et c'est là que c'est intéressant, Freud nous propose une genèse réelle d'une telle structure : Freud
semble établir une généalogie de cette dénégation, c'est-à-dire qu'elle a pour origine une négation elle-même étante,
c'est-à-dire une expulsion. Cette expulsion réelle, en amont de la proposition négative, est ce qui permet qu'« ici
l'intellectuel se sépare de l'affectif. »38, et qu'ainsi puisse naître « la pensée comme telle ». Ainsi, l'expulsion réelle d'un
contenu semble être la condition de possibilité réelle de la symbolisation comme nié de ce contenu.
Cette genèse, « de l'ordre de l'histoire et du mythe » selon Hyppolite, a pour résultat ceci : elle fait apparaître la
proposition négative, la négation posée comme la marque de cette expulsion réelle appelée ici refoulement : « Nier
quelque chose en jugement signifie en fait : voici quelque chose que je préférerais refouler. La condamnation est le
substitut intellectuel du refoulement, son "non" en est une marque, un certificat d'origine, à peu près comme le "made in
Germany". »39 En d'autres termes, la négation posée est le symbole du refoulement. Au reste, on trouve aussi
l'expression de forme du refoulement, mais aussi d'indice, comme lorsque Freud écrit que « le plaisir général de nier, le
négativisme de plus d'un psychotique, est vraisemblablement à entendre comme indice du démêlement des pulsions par
retrait des composantes libidinales. »40
Mais qu'est-ce que le refoulement alors ? Une négation, mais une négation réelle, étante : et c'est ce qu'Hyppolite fait
remarquer lorsqu'il écrit que « pour comprendre son article, il faut considérer la négation du jugement attributif et la
négation du jugement d'existence comme en deça de la négation au moment où elle apparaît dans sa fonction
symbolique. »41 Derrière le jugement d'attribution négatif il y a, Freud l'écrit clairement, « exprimé dans le langage des
plus anciennes motions pulsionnelles orales : cela, je veux le manger ou je veux le cracher, et en poursuivant la
transposition : cela, je veux l'introduire en moi, et cela, je veux l'exclure de moi. »42 La négation posée du jugement
attributif est donc symbole d'une expulsion, qui elle semble bien réelle, étante.
Cette expulsion, réelle, étante, est un procédé, et c'est précisément en ce sens qu'elle présuppose toujours une unité
étante de moi et de l'étranger qu'elle doit démêler : en tant que force, elle est force contre une autre, une force occupée
avec une autre force, c'est-à-dire une force participante à une autre force. C'est en ce sens que Freud écrit que « Das
Schlechte, ce qui est mauvais, das dem Ich Fremde, ce qui est étranger au moi, das Aussenbefindliche, ce qui se trouve-
au-dehors, ist ihm zunächst identisch, lui est d'abord identique. »43 Ainsi, le jugement d'attribution négatif semble être le
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symbole d'une opération réelle d'expulsion ; laquelle n'est jamais sans un état réel d'unité avec ce qu'elle expulse. Le
corps, travaille réellement toujours avec l'étranger qu'il est toujours occupé à expulser de soi.
La négation à l'oeuvre de la dénégation n'est donc pas simplement le « non » posé dans la proposition « Je ne suis pas
A ». Cette expulsion réelle, Hyppolite fait remarquer judicieusement qu'elle est la condition de possibilité même de
toute symbolisation d'un contenu. Comme le remarque très finement Hyppolite, la négation existentielle va jouer un rôle
beaucoup plus global : elle n'est pas comme simple tendance réelle à l'exclusion, mais elle permet même ce qu'il appelle
l' « attitude fondamentale de symbolicité explicitée. » Cette symbolicité consiste en ceci que « tout le refoulé peut à
nouveau être repris et réutilisé dans une espèce de suspension, et en quelque sorte au lieu d'être sous la domination des
instincts d'attraction et d'expulsion, il peut se produire une marge de la pensée, une apparition de l'être sous la forme de
ne l'être pas, qui se produit avec la dénégation, c'est-à-dire où le symbole de la négation est rattaché à l'attitude concrète
de la dénégation. »44
La possibilité même de poser comme affirmé ou nié un certain contenu d'abord inconscient, ce que Hippolyte appelle
l'utilisation, est assurée par cette attitude concrète de symbolisation, elle-même issue d'une expulsion réelle. La
symbolisation, l'attitude concrète de la dénégation, est ici en deça de la négation posée, parlée.
On a donc donné un nouveau nom à cette curieuse structure de la participation : la symbolisation. La symbolisation
participe de ce qu'elle nie dans la mesure où l'attitude concrète de la dénégation, permettant la création d'une marge de
la pensée ou de la position, du parler, de l'articulation même, est ontologiquement entremêlé à ce que, comme sa
symbolisation, elle n'est pas. Attention ici, il faut bien dissociser la négation interne au jugement de la dénégation : la
dénégation n'est pas articulable en elle-même, posable : elle est la condition même de la position, négation ou
affirmation.
Mais Lacan ne fait pas que montrer cette corrélation : en fait il déplace tout l'intérêt de l'analyse dans la différence intra-
symbolique. En effet, il écrit clairement que la signification d'un signification ne consiste qu'en ceci qu'elle renvoie à
une autre signification : ainsi dans le texte intitulé « La chose freudienne » que nous avons déjà cité, il écrit que la
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signification « s’avère ne jamais se résoudre en une pure indication du réel, mais toujours renvoyer à une autre
signification. »47
Ce n'est pas une autre caractéristique que met en évidence Saussure dans ses Cours de Linguistique générale et ses
Essais de linguistique générale : c'est un principe bien connu que toute signification ou signe isolé n'a de valeur qu'en
tant qu'opposé à d'autres significations ou signes dans un ensemble. Ainsi lit-on dans le fameux quatrième article du
chapitre IV de la seconde partie des Cours de Linguistique générale une charge contre cette idée reçue selon laquelle la
valeur d'un mot est d'abord la signification c'est-à-dire propriété qu'il a de représenter une idée, comme si la
signification était la contre-partie de l'image auditive et que tout se passait entre l'image auditive et le concept, dans les
limites du mot considéré comme un domaine fermé, existant pour lui-même. Cet article se termine par cette propriété de
la signification que l'idée attachée à un terme est constituée uniquement par ses rapports et différences avec les idées des
autres termes de la langue : « qu’on prenne le signifié ou le signifiant, la langue ne comporte ni des idées ni des sons qui
préexisteraient au système linguistique, mais seulement des différences conceptuelles et des différences phoniques
issues de ce système. »48 La même chose est établie de façon on ne peut plus claire dans le paragraphe 20b de ses Ecrits,
où on lit que « dans d'autres domaines […] on peut parler des différents objets envisagés, sinon comme de choses
existantes elles-mêmes, du moins comme des choses qui résument des choses ou entités positives quelconques à
formuler autrement ; or il semble que la science du langage soit placée à part, en ce que les objets qu'elle a devant elle
n'ont jamais de réalité en soi, ou à part des autres objets à considérer […] n'ont absolument aucun substratum à leur
existence hors de leur différence des différences de toute espèce que l'esprit trouve moyen d'attacher à LA différence
fondamentale […] leur différence réciproque fait toute leur existence. »49
Logique de l'être est une logique de l'être du signifiant. Si ce que nous avons dit sur l'explication du logique vaut
quelque chose, alors nous sommes censés retrouvés dans les structures décrites par la Logique des structures que Lacan
a remarqué dans le signifiant. Un premier point préliminaire, qui en fait créera la contradiction qui nous mènera à la
Logique de l'essence : il s'agit de point de vue adopté par la Logique de l'être. Le point de vue de la logique de l'être
consiste en ceci que l'ob-jet est visé, opiné, ce que l'allemand traduirait par gemeint: c'est-à-dire qu'il est appréhendé
comme un étant immédiat. Cette partie aura pour fin ceci qu'elle mettra en évidence fait que le point de vue
intentionnel est mis en déroute par la nature même de l'objet dont il s'occupe. En effet, le signifiant se révélera comme
ce qui ne peut être connu qu'en tant qu'un parmi plusieurs, c'est-à-dire que son appréhension même ne peut être que
d'ensemble, et son être que comme un moment de cet ensemble. Le point de vue intentionnel sera ains disqualifié.
Il est à ce titre révélateur que ce passage d'un point de vue à un autre est analogue au passage du point de vue de la
signification que critique Saussure à la signification véritable : en effet, ce que nous apparennent Saussure et Lacan est
ceci que la signification n'est toujours qu'en tant que moment d'un ensemble. Ainsi Lacan écrit que « si les significations
saisissent les choses, c’est seulement à constituer leur ensemble en l’enveloppant dans le signifiant. »50
Ainsi, on peut dire que le premier point de vue de la logique de l'être, celui consistant à intentionner, correspond à la
mauvaise compréhension du signifiant : celle-ci aurait pour réflexe d'intentionner le signifiant comme un objet étant-là,
isolée, comme une « lettre volée » pour reprendre l'image qu'utilise Lacan. La logique de l'être est la démonstration que
la nature même de l'objet qu'on intentionne comme étant force le logicien à changer de point de vue et à considérer le
signifiant dans son être véritable, c'est-à-dire seulement comme moment d'un ensemble.
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mesure, précisément où Dasein est l'unité étante de l'être et du non-être, alors cette différenciation entre son être et son
non-être est abolie, ne vaut rien. Cela dit, Hegel fait une remarque intéressante dans le premier paragraphe du Dasein en
général : « que le tout, l'unité, soit dans la détermination unilatérale de l'être, est une réflexion extérieure »53. C'est-à-dire
qu'il est tout aussi arbitraire qu'on la considère comme étante que comme non-étante.
C'est dans par la suite qu'intervient le second accent, dans lequel l'accent est mis sur la négation de l'unité étante : « c'est
dans la négation, dans le quelque chose et l'autre etc., que cette unité en viendra à être posée.»54
« Dasein » est donc désormais posé comme unité étant la négation d'un autre « Dasein ». Cela nous l'interprétons de la
façon suivante : le signifiant est maintenant posé comme signifiant étant la négation d'un autre signifiant.
Mais chacun de ces deux signifiants est de la même façon un signifiant : c'est précisément pour cela qu'on lit que « le
quelque chose et l'autre sont tous deux d'abord des étants-là ou des quelques choses. (Etwas und Anderes sind
beide erstens Daseiende oder Etwas) »55 De même, lit-on, chacun de ces deux signifiants est de la même façon la
négation de l'autre signifiant : ils sont tous les deux un autre.
Si un signifiant plutôt que l'autre est désigné comme autre, c'est donc une détermination arbitraire qu'il n'a pas pour lui-
même : « l'être-autre apparaît ainsi comme une détermination étrangère à l'étant-là déterminé ainsi ou l'autre apparaît à
l'extérieur de l'étant-là. (Es erscheint somit das Anderssein als eine dem so bestimmten Dasein fremde Bestimmung oder
das Andere außer dem einen Dasein) Ainsi, le signifiant « Fort ! » ne semble pas pour lui-même être l'autre de « Da ! »
et ne semble indique aucune relation d'altérité avec lui.
Mais dans la mesure où ici on tient ferme l'opposition entre quelque chose et l'autre, alors l'autre est posé comme autre
pour soi-même : « de la façon dont l'autre est d'abord posé, il est ainsi pour soi-même en relation au quelque chose, mais
aussi pour soi-même à l'extérieur de lui. (wie das Andere zunächst gesetzt ist, so ist dasselbe für sich zwar in Beziehung
auf das Etwas, aber auch für sich außerhalb desselben) C'est-à-dire que l'on considère d'emblée « Fort ! » comme pour
lui-même déterminé par sa négation de « Da ! ».
Autrement dit, l'objet de l'analyse se révèle ici comme l'autre à même lui-même (das Andere an ihm selbst) : « l'autre
doit être considéré comme isolé, en relation à soi-même ; abstraitement comme l'autre. (abstrakt als das Andere) ». Cela
signifie que son être consiste en ceci qu'il est la négation d'un autre étant-là et ne consiste qu'en ceci. Il faut donc bien
entendre le sens de « an » dans « an ihm selbst » : ce qui est an ihm commence de lui-même. C'est-à-dire qu'ici l'objet
dont il est question commence de lui-même comme autre, il n'est qu'en tant qu'autre. Cela n'est pas sans nous rappeler
ce que nous disions ci-dessus sur le symbole « Fort ! » : il n'est qu'en tant que revenu de l'autre signifiant « Da ! ».
Ainsi, « le quelque chose se conserve dans son non-être-là (Etwas erhält sich in seinem Nichtdasein) » Que quelque
chose se maintienne dans son non-être-là signifie simplement qu'un signifiant fonctionne dans la mesure où il n'est pas
un autre signifiant. En même temps, dans la mesure où il est lui même un signifiant consistant, un certain matériel
signifiant, il n'est pas pure négation du signifiant, simple néant, mais signifiant étant en relation à sa négation de l'autre
signifiant : « il se tient ainsi en relation à son être-autre ; il n'est pas purement son être-autre. L'être-autre est à la fois
contenu en lui et séparé de lui : il est être-pour-un-autre. (Das Anderssein ist zugleich in ihm enthalten und zugleich
noch davon getrennt; es ist Sein-für-Anderes) Le signifiant se détermine ainsi comme être pour un autre signifiant, ou,
comme Hegel l'écrit, être-pour-un-autre.
Apparaît alors une nouvelle opposition entre deux déterminations de l'objet : l'être-en-soi, das Ansichsein, aussi appelé
relation à soi ; et l'être-pour-un-autre, das Sein-für-Anderes. Le signifiant comme être-en-soi est le signifiant considéré
du côté où il est un matériel signifiant, indépendant, étant, tandis que le signifiant comme être-pour-un-autre est le
signifiant considéré dans sa relativité à l'autre signifiant. Les deux déterminations sont des déterminations d'un seul et
même objet et « le quelque chose [le signifiant] est en soi, dans la mesure où il est rentré en lui-même à partir de son
être-pour-un-autre ». Ici donc, l'être du signifiant en lui-même est explicitement rendu possible par le fait qu'il soit pour
un autre. Ces deux moments sont en effet inséparables (ungetrennt in ihm sind) : « l'être-pour-un-autre est, dans l'unité
du quelque chose avec soi-même, identique avec son en-soi. (das Sein-für-Anderes ist in der Einheit des Etwas mit sich,
identisch mit seinem Ansich) »
L'unité étante de l'être-en-soi et de l'être-pour-un-autre reçoit par la suite un nom : c'est la détermination (die
Bestimmung). Par la suite, Hegel réinsiste sur cette structure en rappelant que « l'en-soi, dans lequel le quelque est
réfléchi dans soi à partir de son être-pour-un-autre, n'est plus en-soi abstrait, mais comme négation de son-être-pour-un-
autre, il est intermédié par celui-ci, qui est ainsi son moment. » Ainsi, dans le signifiant comme déterminé, « l'être-autre
est posé comme son propre moment, son être-dans-soi comprend en lui la négation, par laquel il a désormais en général
son être-là affirmatif. (das Anderssein als sein eigenes Moment in ihm gesetzt ist, sein Insichsein befasst die Negation in
isch, vermittels derer ûberhaupt es nun sin affirmatives Dasein hat) ». Toute cette partie de la logique, si elle est
interprétée comme une logique du signifiant, ne vise qu'à établir fermement la relativité de l'être du signifiant comme sa
condition de possibilité.
Simplement, dans la mesure où « la détermination » nomme l'unité étante-en-soi de l'être-en-soi et de l'être-pour-un-
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autre du signifiant, alors ce second moment est en lui aboli, il est en lui son moment, mais un moment caché. De même
lorsque l'on considère le signifiant « Da ! », tout en sachant que celui-ci n'a de sens que dans sa relation au « Fort ! » et
qu'il l'a contient implicitement, notre attention est limitée au « Da ! » étant face à nous.
Dans la mesure maintenant, ou ce signifiant est étant et étant comme la négation de l'être-pour-un-autre – revenu de son
être-pour-un-autre –, « le quelque chose lui-même est la négation, l'arrêt d'un autre à même lui (das Etwas selbst ist die
Negation, das Aufhören eines Anderen an ihm) ». Il est posé comme signifiant se rapportant négativement à cet autre : il
est limite.
Dans la mesure, maintenant, où son être de limite consiste en ceci qu'il est le non-être d'un autre, le quelque chose est
hors de sa limite, c'est-à-dire de son non-être. En effet, lui est étant et en tant que tel, n'est pas non-être. On peut dire
que le non-être constitue son caractère extérieur pour lui. C'est précisément en ce sens que le Dasein immédiatement de
l'Etwas et la limite sont le négatif l'un de l'autre.
Simplement, ce caractère extérieur du quelque chose, son non-être-pour-un-autre n'est pas qu'un caractère : il est
également sa condition même de possibilité, il constitue son être. Le quelque n'est que dans sa limite et grâce à sa
limite, c'est-à-dire grâce à la négation, qu'il porte sur lui extérieurement. Il sépare donc de lui-même son être en
indiquant vers son non-être comme son être.
C'est-à-dire que le signifiant, dans la mesure où il est intentionné comme objet isolé étant, est hors du mouvement de
négation qui l'a posé et a constitué son être. Il le porte ainsi à même lui extérieurement, et ne peut qu'indiquer vers son
non-être, sa négation, comme vers son être véritable.
3. L'insaisissable objet.
Dans la mesure où le quelque chose est appréhendé comme ce dont l'être ne consiste que dans le non-être, il est le fini.
Le fini est le signifiant considéré uniquement comme négation d'un autre signifiant. La différence entre le fini et l'autre
est que tandis que l'autre est réfléchi comme négation étante, le fini quant à lui est réfléchi comme néant en soi : il est
« an sich Nichtige », c'est-à-dire ce dont l'être ne consiste que dans le non-être. Si le signifiant comme autre était en
partie être et en partie non-être – être-en-soi et être-pour-un-autre –, ici, le signifiant comme fini est pur non-être et son
être ne consiste qu'en ceci d'être négation.
Le reste de la logique va viser à montrer que le point de vue même de la logique de l'être est inadapté pour appréhender
ce néant en soi. En effet, dans la mesure où « néant en soi » est intentionné comme objet étant, alors celui-ci est toujours
au-delà de son non-être. Autrement dit, par exemple, si je porte mon attention sur le signifiant « Fort ! », est par là aboli
le mouvement de négation de « Da ! » duquel il résulte. En tant qu'étant, il est donc négation de ce qu'il est : mais c'est
sa nature elle-même d'être négation. Il n'est donc qu'en tant que se dépassant ; mais se dépassant est précisément ce en
quoi consiste son être. Le fini en tant qu'intentionné comme objet est donc toujours s'étant dépassé, c'est-à-dire infini :
« c'est la nature du fini lui-même, de passer au-delà de lui-même, de nier sa négation et devenir infini. »
La conclusion de ce passage est donc que en tant que cet objet est intentionné comme étant, l'intention qui le vise est
toujours au-delà, manque toujours cet objet. Ce manquement est d'ordre structurel : il est constitutif de la façon d'être de
cet objet, le néant en soi.
Ce dont la façon d'être consiste en ceci d'échapper sans cesse au point de vue intentionnel est le fini : cela signifie que
lorsque l'intention le nie, bien plutôt, elle affirme son être, car son être consiste précisément en ceci de ne pas avoir
d'être là mais d'être partout là où l'intention manque le coup, c'est-à-dire toujours. Dans la mesure, donc où l'intention
manque son être, elle le réalise bien plutôt car il est ce dont le non-être constitue son être.
Ainsi, le point de vue de la logique de l'être est mis en défaut par la nature même de son objet. Cela n'est pas sans
rappeler ce que nous dit Lacan des rapports que le signifiant entretient avec le lieu dans le premier texte de ses Ecrits à
propos de la lettre volée. En guise de rappel, on peut dire que la lettre volée, issue d'une nouvelle d'Edgar Allan Poe du
même nom, est utilisée par Lacan comme exemple permettant d'expliquer le fonctionnement du signifiant. Il dit de cette
lettre la chose suivante : « on ne peut pas dire de la lettre volée qu'il faille qu'à l'instar des autres objets, elle soit ou ne
soit pas quelque part, mais bien qu'à leur différence, elle sera et ne sera pas là où elle est, où qu'elle aille. »56Dès lors, le
mode de recherche des policiers, qui cherchent la lettre volée en fouillant l'espace, n'aura jamais de résultat : « comment
les policiers auraient-ils pu saisir la lettre ? » Ils sont prisonniers de cette « imbécillité réaliste qui ne s'arrête pas à dire
que rien, si loin qu'une main vienne à l'enfoncer dans les entrailles du monde, n'y sera jamais caché, puisqu'un autre
main peut l'y rejoindre, et que ce qui est caché n'est jamais que ce qui manque à sa place, comme s'exprime la fiche de
recherche d'un volume quand il est égaré dans la bibliothèque. » La conviction de ce que le signifiant est trouvable
quelque part comme un étant isolé : telle est l'illusion dans laquelle est engoncé le point de vue de la logique de l'être.
Mais si la pensée comme intention est abolie, cela ne signifie pas la fin pure et simple de l'étude du signifiant. En fait,
cela signifie simplement que l'on doit changer la façon de penser en en trouvant une qui soit viable et ne s'abolisse pas.
Ici, en l'occurence, au cours de l'ensemble des échecs des intentions particulières, qu'est-ce qui se répète ? Le fait pur et
simple d'intentionner, de se positionner en général face à l'objet et de le réfléchir comme quelque chose.
2. La logique de l'essence.
1. La vérité de l'être. Que cela signifie-t-il ?
L'objet de la logique de l'essence, nous l'avons identifiée comme la logique du rapport entre le réel supposé étant sous la
chaîne des signifiants, et ces signifiants eux-mêmes. Pour cela, quelques précisions terminologiques s'imposent.
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« L'essence est réflexion. »57 Que cela signifie-t-il ?
Dans la mesure où quelque chose est réfléchi comme quelque chose d'autre, on dit qu'il est pensé, posé, ou dit comme ce
quelque chose. La différence entre ce comme quelque chose et le quelque chose réfléchi, appelons-là différence de la
réflexion. Maintenant, si on se souvient de la structure de ce que Lacan appelle l'être, on observe que celui-ci se
soutient de ce qu'il est comme la chaîne de signifiants dont il est le support. On retrouve également une structure
impliquant la différence de la réflexion. Ainsi, si l'ob-jet de la logique de l'essence est la différence de ce comme, on
peut dire que celui-ci est tout aussi bien de penser la relation entre l'être et la chaîne de signifiants qui l'écrit.
« La vérité de l'être est l'essence. » Il est temps d'essayer de comprendre ce que Hegel semble entendre par « vérité ».
En fait, cela est assez analogue à la conception lacanienne de la vérité : c'est-à-dire que la vérité, en tant que telle, c'est
ce qui s'articule.
Nous avons commencé par le point de vue de la logique de l'être, c'est-à-dire que l'objet était intentionné comme
corrélat immédiat étant d'une intention. C'est ce que signifie la proposition selon laquelle « l'être est l'immédiat »58. Ce
point de vue s'est ensuite révélé comme insuffisant à saisir l'objet qu'il s'est proposé.
Dès lors, la vérité n'est pas dans une prise de vue particulière, mais elle est le fait de se positionner en général, le fait de
prendre des des prises de vues sur cet « objet » qu'on a appelé « être » ou « signifiant ». Provisoirement, cette vérité
prend le nom d'essence, auquel on peut donner la même définition : l'essence est le se-positionner même de la pensée.
Dès lors, la vérité, ou l'essence, est essence se répétant, dans la mesure où comme se-positionner, son fonctionnement
consiste à se répéter au travers de ses nombreuses prises de vues. Mais dès lors, il n'y a d'immédiat véritable que pris
comme moment de cette répétition. C'est précisément en ce sens que l'être est dit être apparence : ce qui dans la logique
de l'être apparaissait comme étant immédiat se révèle en fait déjà comme un réfléchi pris dans l'ensemble de la
réflexion. C'est ce que signifie idéalité : « En effet, prendre une vue, se positionner, cela signifie réfléchir le corrélat
immédiat comme quelque chose, et ce comme quoi quelque chose est réfléchi, c'est l'apparence. Ainsi, il n'y a d'être que
comme reflectum ; ou plutôt le reflectum seulement est. Cette apparence est le négatif posé comme négatif : en effet,
dans la mesure où dans la logique de l'être, la réflexion n'est pas posée comme réflexion, mais est réflexion en soi,
inconsciente d'elle-même, elle n'est pas négatif comme négatif.
En termes lacaniens, on peut dire que l'être de l'essence consiste en ce qu'il est écriture, c'est-à-dire en ce qu'il se
produise dans des signifiants qui s'enchaînent. Ainsi, si l'être véritable est ce s'écrire, alors le mouvement de cet écrire,
cette production de signifiants, qui n'est qu'un passage de signifiant en signifiant, est l'être véritable, ce que Hegel
indique en disant que l'immédiateté véritable est « seulement ce mouvement même ». Ce mouvement, il l'appelle .
L'essence, comme être véritable s'écrivant dans le défilé de ses signifiants, est ainsi, comme s'écrivant, considéré
comme réflexion. C'est précisément ce que signifie « l'essence comme réflexion dans elle-même »
Cette essence comme réflexion est aussi appelée « négativité absolue » ou « négation se rapportant à elle-même » : dans
la mesure où elle est comme réflexion à même un objet qui lui est autre et qu'elle ne se soutient que de ce qu'elle est sa
réflexion, elle est négation. Cela dit, dans la mesure où comme on l'a vu elle non pas simplement prise de vue unique
mais écriture articulée, chaîne de signifiants, elle est une négation se constituant comme elle-même, une négation se
constituant comme négation et se rapportant ainsi à elle-même. L'essence semble vraiment fonctionner d'une façon
analogue à l'écriture de ce que Lacan appelle réel ou inconscient dans le sujet.
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réfractaire et l'ait critiqué.
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Il faut donc bien comprendre qu'ici, la substance est l'étant qui pose, das Setzende, et en même temps que posante n'est
qu'en tant que déjà posée dans ce qu'elle pose. Autrement dit, l'originaire, das Ürsprungliche, est déjà comme posé et
n'est qu'en tant que déjà posé dans sa différence avec ce qu'il pose.
Cet enchaînement du non-symbolisable à la chaîne des signifiants, nous l'avons retrouvé d'une façon tout aussi
manifeste dans ce que Freud dit dans une discrète note du rêve, que Lacan reprend de nombreuses fois. Il s'agit d'une
note présente dans l'Interprétation des rêves dans le passage consacré au fameux rêve de la nuit du 23 au 24 juillet
1895 : celui de l'injection d'Irma. Après avoir établi le récit de ce rêve, Freud en propose ensuite une analyse, qu'il
découpe en plusieurs parties : « La haute et vaste salle – beaucoup d'invités, que nous accueillons – […] Je fais des
reproches à Irma quant au fait qu'elle n'a pas accepté ma « solution ». […] Je lui dis « si tu as encore des douleurs ,c'est
uniquement de ta faute […] Les plaintes d'Irma, les douleurs au cou, au ventre, à l'estomac. […] Elle a l'air pâle et
boursouflée […] Je prends peur à l'idée qu'il y a bien là une affection organique qui m'a échappé . »
Tous ces éléments reçoivent un début d'analyse, sauf un : « la bouche s'ouvre bien ; elle raconterait plus de choses
qu'Irma. » En note de cette page, nous lisons ceci : « Je devine que l'interprétation de cet élément n'est pas suffisamment
poussée pour permettre de suivre la totalité du sens caché. […] Tout rêve comporte au moins un endroit où il est
insondable, une espèce de nombril qui le met en connexion avec ce qui n'est pas identifié (unerkannt ). »61 C'est-à-dire
que l'ombilic est quelque chose d'articulé au sein de la chaîne de signifiants du rêve (donc posé) mais articulé comme
ce qui ne peut pas être reconnu, comme ce qui ne peut pas être articulé manifestement au reste des chaînons, comme ce
qui ne peut pas être compris par l'analyse. Il est donc articulé au sein de la chaîne signifiante comme l'inconnu.
Comme ombilic, le non-symbolisable se présente comme non-symbolisable. C'est-à-dire qu'il se présente comme ce qui,
au sein de la chaîne du rêve, n'est pas compris, conçu à partir du reste de la chaîne : ce dont on ne comprend pas
l'articulation avec le reste, certes, mais qui reste articulé. Il est le chaînon auquel l'analyse s'arrête, le seuil, peut-être,
d'un réel radical, mais un seuil qui reste enchaîné au reste : étape avant le non-symbolisable présupposé par l'esprit qui
hypostase, mais symbolisé quand même. On peut ainsi nommer le passage de la pensée comme pensée de la substance à
la pensée comme concept : l'abandon radicale de la présupposition d'un réel étant derrière l'ombilic ; la conviction totale
que le réel non-symbolisable n'est qu'en tant que posé comme non-symbolisable au sein de la chaîne des signifiants.
3. La logique du concept
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Dans la mesure où, dans cet autre, la puissance se rapporte à elle-même, car c'est ce qu'elle est qu'elle y pose, elle abolit
ce dans quoi il se pose. Autrement dit, ce qu'il pose, c'est lui-même, et non un autre. C'est ce que signifie la proposition
selon laquelle : « à la puissance est donnée l'apparence de la puissance ; à l'être-posé est donnée l'apparence de l'être-
posé ». Cela désigne en fait la prise de conscience selon laquelle ce qui apparaissait comme autres l'un par rapport à
l'autre se révèlent comme étant la même chose, dans le même élément. Ce qui apparaissait comme originairement
puissance ou originairement être-posé se révèle comme posé lui même : le posant réfléchi comme posant ; le posé
réfléchi comme posé si bien que ce comme quoi ils sont en soi n'est qu'un être-posé lui même, qu'une apparence.
C'est-à-dire que ce qui apparaissait comme causalité, c'est-à-dire comme relation étante, se révèle n'être que posée
comme relation de causalité. Ainsi, il faut mesurer la portée de ce qui est ici livré : la thématisation de la relation de
causalité précède ontologiquement la relation de causalité elle-même. C'est l'articulation posée de la cause et du causé
qui est originaire ; si bien que ce qui apparaissait comme une relation entre deux étants se révèle n'être qu'une relation
posée entre deux êtres-posés. C'est cet enchaînement de la pensée qui est originaire ontologiquement : il n'y a qu'elle qui
est véritablement.
En langage psychanalytiquen, cela signifie que le réel ou l'inconscient, l'étant non-symbolisable, en tant que déjà
articulé dans le rêve (ou dans tout autre chaîne), est lui-même symbolisé et sa relation entre lui et les autres chaînons du
rêve consiste en ceci, non pas qu'il soit cause étante, mais simplement posé en réseau avec eux. La relation de causalité
est ainsi réduite à la relation entre signifiants ; la relation entre être-posés remplace relation de causalité présupposée.
En fait, cela correspond aussi tout à fait au déplacement que nous avons remarqué entre Hippolyte et Lacan.
2. « Structure ».
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Il nous semble important pour notre lecture présente de la logique hégélienne, d'appeler le concept ensemble ou encore
structure. En effet, choisir le terme de structure ou d'ensemble pour décrire le fonctionnement du concept permettrait
d'échapper à une lecture holiste et non pas analytique du concept hégélien, que nous voulons ici éviter. Comme l'écrit
Lacan dans son séminaire à propos de l'ensemble et de la structure : « la catégorie de l'ensemble trouve notre accord
pour autant qu'elle évite les implications de la totalité ou les épure. » 66Ainsi, reprenant les trois caractérisations du
concept dans la Logique subjective, nous montrerons à quoi ils correspondent la structure la chaîne de signifiants qui
s'articule dans le sujet de la théorie psychanalytique. On peut commencer par énoncer la principale caractéristique du
concept ou de la structure : « sa différence ou son être-posé est d'abord elle-même simple et seulement une apparence,
de telle façon que les moments de la différence sont immédiatement la totalité du concept et seulement le concept en
tant que tel. »67 Dans la mesure, en effet, où la structure est dans ses parties la répétition de la même structure, alors la
différence de ses parties n'est qu'une apparence d'elle-même, et leur vérité est leur identité comme identité de cette
structure. Si l'on se souvient de nos toutes premières remarques concernant l'objet de la logique hégélienne, mais aussi
des structures particulières que nous avions remarquées dans le Parménide et le Cratyle, il est clair qu'ici, le « concept »
est un autre nom de ce que Parménide appelait « l'idée », ou que Socrate appelait « nature des choses » ou
« substance. » Il est un étant un se répétant dans des apparences différentes. Tandis que dans la logique de l'essence, cet
étant un était posé hors de ces apparences, ici il les contient, c'est-à-dire qu'il est leur centre même. Ce centre, c'est ce
qu'on appelle le sujet.
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comme jugement – Ur-teil, c'est-à-dire partition originaire. Celle-ci est dite également être la première réalisation du
concept : il y est à comprendre simplement que ce n'est que comme effet de cette partition posée originaire que le
concept est. Il n'y a pas de posant à part de la position, comme puissance étante ; mais il n'y a que l'être-posé lui-même
comme partition originaire, différence posée originaire.
Que signifie la remarque selon laquelle « le concept s'est perdu » ? Cela signifie qu'on ne peut pas le représenter dans
une prise de vue particulière, ou qu'on ne peut plus l'appeler comme corrélat immédiat d'une nomination. C'est-à-dire
que ce qui apparaissait comme corrélat d'un nom n'est désormais plus représentable. C'est précisément ce que signifie le
paragraphe introductif à la section « Urteil » qui est une critique contre l'hypostase, c'est-à-dire contre la nomination ou
représentation quand il s'agit de parler du concept.
Dans un jugement, par exemple « S est P », si l'on demande ce qu'est S, nous répondons P. Mais cela est passer à côté de
la question dans la mesure où P est posé dans le jugement même comme différent de S, une telle différenciation étant
rendue possible par la copule « est » même – pour être identifié, ces deux termes doivent être présupposés comme
différents –. Qu'est donc S ? Nous répondrions S, mais nous tomberions dans la tautologie « S = S » : tout cela signifie
que lorsqu'on est acculé à dire ce qu'est S, nous devons répondre que S est un simple nom, une façon de nommer un
sujet, que seul le prédicat vient déterminer. « Dieu, l'esprit, la nature, ou quoi que ce soit, est donc en tant que sujet d'un
jugement d'abord seulement un nom ; ce qu'un tel sujet est, selon le concept, est seulement présent dans le prédicat. »
Autrement dit, se poser la question « qu'est-ce que X ? » et en particulier lorsque l'on parle du concept, est une question
mal posée : en effet, cette question présuppose un concept, X, ayant une signification bien précise – qu'on identifie,
souvent, à un étant devant nous – et surtout achevée.
Or, et c'est ce que Hegel oppose à la pensée qui hypostasie le concept : dans le jugement « S est P », ce n'est pas S étant
qui est originaire, avant le jugement, mais c'est la différenciation - qui est en même temps une identification - de S et P
qui est originaire ; les noms n'étant alors que des formes secondaires de cette différenciation. C'est précisément pour
cela que Hegel clôt ce paragraphe introductif par ceci que « ce qui gît là au fondement [du jugement] - das
Zugrundeliegende, traduisant exactement subjectum ou ὑποκείμενον – n'est rien de plus que le nom (nichts weiter als
der Name). » Autrement dit, il n'y a pas de sujet étant isolé face au jugement, qui viendrait a posteriori l'analyser, mais
uniquement un sujet déjà articulé à un prédicat. Cela signifie simplement que ce qui est premier, originaire, c'est
l'articulation seulement pensée entre un sujet et un prédicat, et non pas un étant que l'on viendrait a posteriori articuler à
un prédicat. C'est précisément pour cela que la logique du concept s'ouvre par cette remarque : « on ne peut dire ce
qu'est (was) la nature du concept » : il est à comprendre, simplement, que le concept n'est pas un étant ayant une
quiddité particulière, de telle façon qu'on pourrait dire « le concept est.. ». C'est en effet la façon même d'être du
concept qui exclut tout possibilité de dire ce qu'il est : il est d'emblée non pas étant mais pur effet de sens du jugement S
est P.
Ce que Hegel évoque ici, nous le retrouvons dans le domaine psychanalytique sous le nom de « sujet barré ». Comme
l'écrit Zizek dans Moins que Rien, la théorie lacanienne du sujet se distingue par ceci que dans celle-ci « un sujet essaye
de s'articuler (« s'exprimer ») dans une chaîne signifiiante, cette articulation échoue, et le sujet apparaît dans et à travers
cet échec. Le sujet est l'échec de sa représentation signifiante – ce pourquoi Lacan écrit le sujet du signifiant sous la
fomre S, comme « barré ». » C'est-à-dire que dans « S est P », le sujet n'est ni « S », ni « P », mais est comme la
négativité vide se maintenant au travers de leur coupure ou écart. Zizek résume ce point en écrivant que « la
personnalité dans sa subjectivité « insécable, impénétrable », l'abîme ou le vide du « je » au-delà de toutes mes
propriétés positives, est une singularité conceptuelle, c'estl'abstraction réellement existante » du concept […] Et le S, le
sujet « barré » de Lacan, est justement une semblable singularité conceptuelle, dépourvue de tout contenu
psychologique. »
Dit en d'autres termes, cela signifie que toute représentation particulière du sujet manque le sujet et que ce
manquement, ce déplacement du sujet est la subjectivité elle-même. On peut expliciter cet élément crucial de la
structure du concept – sujet – hégélien, selon Zizek, « au moyen d'une célèbre idée masculine selon laquelle,
contrairement à l'identité à soi ferme de l'homme, l'essence de la femme est dispersée, insaisissable, déplacée. » Il
convient d'y répondre en disant ceci que « cette dispersion ou ce dépalacement comme tel est « l'essence de la
féminité ». » C'est cette dispersion même qui est l'essence du sujet, et le fait que l'on doive passer par l'affirmation
illusoire « J'ai trouvé l'essence – = ce qu'est – le sujet. » est une nécessité constituant la chose elle-même dont il est
question. Ainsi, « le sujet est non seulement toujours déjà déplacé, et ainsi de suite, mais il est ce déplacement », de telle
sorte que « le sujet essaie de se représenter ; cette représentation échoue ; et le sujet est alors l'échec même de sa
représentation. » C'est précisément la même structure dont parle Lacan lorsqu'il étudie la « métaphore du sujet »,
laquelle est le titre d'un de ses textes récrits, fait en juin 1961 d'une intervention rapportée le 23 juin 1960 en réponse à
M. Perelman. Ceci, en effet, était déjà prévisible à partir du moment où l'on quitte le point de vue de l'hypostase : le
sujet n'étant plus représentable comme corrélat étant d'un nom, il ne peut être qu'en tant qu'articulation, écart négatif
entre deux termes.
Pourtant, l'être semble revenir dans le contexte de la logique du concept : il s'agit de l'objectivité. Mais précismément,
l'objectivité n'est pas le sujet comme étant : il est autre chose que cela. Il n'est pas non plus une création de l'être, car
c'est un point de vue impossible au vu de la liberté du concept elle-même. 68 Que signifie alors « réalisation du
concept » ? Nous tâcherons de répondre à cette question dans cette partie de notre travail. Nous essaierons ainsi
68
d'identifier dans son fonctionnement l'objectivité du concept au traumatisme du sujet névrotique. »
Hegel, pour éclairer ce que signifie objectivité, prend l'exemple de la preuve ontologique de l'existence de Dieu. De
quoi la preuve ontologique de l'existence de Dieu, telle qu'elle est présentée par Descartes, est-elle le signe ? Si l'on
reprend la démarche de la preuve, elle repose sur ce principe : « il y a au moins autant de réalité objective dans l'idée
que dans ce qu'elle représente. »69 L'objectivité est précisément cela : c'est le débordement du réel dans le concept :
autrement dit le concept tel qu'il présuppose dans le réel quelque chose qui lui répond. Si l'on prend la démarche de
Anselme, le fondement est le même : j'ai dans l'intellect l'idée qui s'articule comme « aliquid... » ; mais cette idée
articulée, ce concept, se pose elle-même comme valant in re, ce que Hegel dit en parlant de se-poser comme réel,
comme étant. L'objectivité est la réalité du concept qui se conçoit comme étant dans le réel.
1. Le versant optimiste : la parole réalisante comme parole prophétique.
Marcel Détienne, dans Les maîtres de Vérité dans la Grèce Antique explique quelque chose de très intéressant à propos
de la parole prophétique qui illustre bien ici ce que nous voulons exprimer. Si la preuve ontologique repose sur le
débordement du réel sur le concept ; de telle façon que celui-ci ne soit qu'en tant que symbole de l'autre, ce que nous dit
ici Marcel Détienne à propos de la parole prophétique illustre une autre façon de parler de l'objectivité de la parole.
Il explique en effet que parmi les poètes anciens, « autant que la parole prophétique, la parole du devin et des puissances
oraculaires délimite un plan de réalité : quand Apollon prophétise, il « réalise » (krainei) »70. La parole oraculaire n'est
pas le reflet d'un événement préformé, elle est un des éléments de sa réalisation. »
L'objectivité, certes, ne réalise pas la réalité comme si elle la posait (kratos, rappelons-nous que la puissance comme
posante est une détermination de pensée maintenant oubliée et posée comme fausse), mais se pose comme valant dans
le réel, on peut à ce titre l'appeler parole corrélative, relative à un réel qui lui répond. La parole prophétique et la façon
dont on en parle comme parole « réalisante » est peut-être l'attiude qui l'a précédé. Cela correspondrait en fait à ce que
Lacan appelle la « jouissance phallique. » Et en effet, Lacan parle dans son séminaire « R.S.I. » du lien entre
symbolique et réel comme d'une jouissance phallique, c'est-à-dire une jouissance de puissance du symbolique sur le
réel. La jouissance phallique désigne la jouissance « sans organe », c'est-à-dire la jouissance de l'efficacité du symbole
(sans lieu) dans le réel. Mais efficacité ici, ne signifie pas position, parole prophétique, mais simplement constat de ce
que à un symbole, un réel répond présent, est là. Cela dit, il semble bien que ce soit une même conception de la parole
comme précédant et prévoyant le réel qui semble à la source de ces deux conceptions.
69
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toujours sensible dans le vocabulaire religieux. »73
La névrose est téléologique dans la mesure où elle est comme un sacrifice pour le réel traumatique, elle persévère
comme un dédommagement, comme on l'a dit, de ce réel et du refoulé qui l'a accompagné. Comme l'écrit Lacan dans
son intervention du séminaire sur les psychoses intitulée « Du rejet d'un signifiant primordial » : « au niveau de la
névrose, […], le bonhomme, au lieu de se servir des mots, se sert de tout ce qui est à sa disposition, il vide ses poches, il
tourne son pantalon, il y met ses fonctions, ses inhibitions, il y entre tout entier, il s'en couvre lui-même dans le dos, du
signifiant, c'est lui qui devient le signifiant. »74 Le symptôme névrotique, c'est donc bien cela, un effort de signification
– conceptualisation – pour un autre, un réel traumatique – une objectivité –. Ainsi « pour la névrose ce serait donc la
surpuissance de l'influence du réel » qui soit déterminante. Cette superpuissance de l'influence du réel n'est pas sans
nous rappeler ce que Descartes nous dit de la réalité de l'idée : l'idée ne saurait être sans qu'au moins la même quantité
de réel y déborde.
Selon ce que nous avons avancé, il doit donc être possible de lire la structure logique de la téléologie comme une
structure de la névrose. C'est dans la partie introductive de la section consacrée à la téléologie que nous lisons que « le
but est donc le concept subjectif, en tant qu'aspiration et pulsion essentielle (Streben und Trieb), consistant à se poser
extérieurement. » Si nous passons sur l'homonymie heureuse entre la Trieb psychanalytique et la Trieb logique dont il
est ici question, on remarque qu'ici, le but, pris comme seulement subjectif, consiste en ce qu'il s'extériorise. Cela dit, il
n'est plus comme l'extériorisation de la substance dans ses accidents, de telle façon que la substance soit posée comme
l'autre radical de ceux-ci : il est en effet « en tant qu'une force, qui se sollicite elle-même à l'extériorisation, comme une
cause, qui est cause d'elle-même ou dont l'activité est immédiatement la cause. » Si donc il se pose extérieurement, cette
extériorité consiste est son identique : si bien que « le mouvement du but peut donc être exprimé ainsi, qu'il consiste en
ceci qu'il abolisse sa présupposition, c'est-à-dire l'immédiateté de l'objet, et qu'il le pose comme déterminé par le
concept. ».
Si l'on veut expliquer cette structure logique par la structure psychanalytique, on peut considérer que ce qui est ici
appelé le « mouvement du but », nous l'identifions nous à la « guérison de la névrose ». En effet, celle-ci consiste en
ceci que la signifiant du réel, la scène traumatique, c'est-à-dire ce qui apparaît d'abord comme l'autre radical du système
de signifiants conscients de la mémoire du sujet, soit rappelé et réarticulé à celui-ci. Ainsi, ce qui apparaissait comme
extériorité immédiate, non articulée pour la conscience du sujet – ce que le texte ci-dessus appelle la présupposition –,
se révèle comme une des parties de son articulation : elle est désormais « déterminé par le concept », c'est-à-dire
réintégrée au réseau des signifiants conscient du sujet. Mais pour arriver à cette étape, un autre temps intermédiaire est
celui du moyen (Mittel), dont l'insuffisance consiste en ceci que « le concept et l'objectivité sont donc dans le moyen
seulempent liés extérieurement ; il est dans cette mesure un simple objet mécanique. » Nous sommes ici convaincus que
ce que Hegel appelle ici moyen est analogue à ce que Freud a pu voir dans la cérémonie du névrotique : ainsi, c'est par
une disposition bien précise du réel, répétée plusieurs fois, faite en dédommagement à la partie lésée du ça, que le sujet
semble réconcilié avec le traumatisme. Mais celle-ci, en tant qu'elle n'implique aucune compréhension, aucune
articulation symbolique entre la cérémonie et la scène traumatique, n'a pas d'efficacité durable. Ainsi, « l'objectivité liée
avec le but est, parce qu'elle est cela seulement immédiatement, pour lui encore extérieure ; et la présupposition est
encore là. » C'est-à-dire que l'efficacité du signifiant du réel inconscient subsiste tant qu'il n'est pas réintégré au réseau
de la mémoire du sujet.
Ainsi, la résolution de la névrose consiste en ceci que « l'extériorité de l'objet indépendante face au concept, que le but
se présuppose, soit dans cette présupposition posée comme une apparence inessentielle, et aussi en et pour elle-même
déjà abolie, l'activité du but étant donc seulement « la présentation de cette apparence et son abolition. »
Ce n'est que lorsque l'analyse présente et réarticule ce signifiant du réel au reste de la mémoire que celui-ci est aboli.
Ici, on peut comprendre l'abolition comme une simple annulation de l'efficacité : c'est en effet lorsque la scène
traumatique est rappelée à la mémoire du sujet que la névrose disparaît et que le traumatisme n'a plus son efficacité
morbide.
Comment dès lors comprendre le passage du concept objectif au concept comme idée ?
Si on s'intéresse au texte de la logique correspondant au passage de l'objectivité à l'idée, on lit la chose suivante : « le
concept est donc essentiellement ceci, en tant qu'identité étante pour soi, d'être différente de son objectivité étante en soi
et ainsi avoir une extériorité, mais d'être dans cette totalité extérieure l'identité se déterminant elle-même de celle-ci.
Ainsi, le concept est désormais idée. »
Selon ce que nous avons dit plus tôt, nous pouvons comprendre le passage de la structure de l'objectivité à celle de l'idée
comme le passage du sujet névrotique au sujet guéri de sa névrose : dans la mesure, en effet, où il se réapproprie la
73
74
conscience de la scène traumatique, et qu'avec cette réappropriation disparaît le symptôme névrotique. Il est ainsi le
sujet réconcilié avec cette extériorité du réel traumatique, le sujet qui s'est ré-enchaîné à ce réel.
Mais dans ce cas, on ne voit pas bien l'intérêt analytique de la section consacrée à l'idée. Rappelons-nous que notre
lecture vise à promouvoir une conception des structures logiques comme des outils d'analyse. Face à ce versant
optimiste de la lecture de l'idée, nous nous devons d'y opposer un versant analytique. Si donc l'idée doit analyser
quelque chose, une morbidité du sujet, de quelle pathologie pourrait-elle être l'outil d'analyse ?
« Ils aiment leur délire comme eux-mêmes » : c'est ainsi que Freud décrit le rapport qu'a le psychotique avec la réalité
qu'il s'est reconstruite. Nous sommes donc ici face à un concept qui se rapporte à une extériorité, sa réalité, comme à
quelque chose qu'il s'est approprié : mais tandis que le névrotique, dans sa guérison, s'est réconcilié avec le réel, le
psychotique, lui, s'en est d'abord totalement abstrait, puis se l'est reconstruite entièrement. La réalité du psychotique est
donc une réalité qui provient de lui-même, et dans laquelle il s'enferme.
Nous tâcherons donc de comprendre le passage de l'objectivité à l'idée également comme un passage de la structure de
la névrose à la structure de la psychose. Il y a de la névrose à la psychose un « changement de registre », deux façons de
fonctionner tout à fait différentes selon Freud et Lacan.
Qu'en dit Freud dans le texte que nous étudiions ci-dessus ?
Reprenons l'exemple qu'il donne de la scène traumatique : « une jeune fille amoureuse de son beau-frère est ébranlée,
devant le lit de mort de sa sœur, par l'idée suivante : maintenant il est libre, et il peut t'épouser. Cette scène est aussitôt
oubliée, et du même coup est introduit le processus de régression qui conduit aux douleurs hystériques. » Ici, le réel
traumatique est une pensée. Cette pensée, dans la mesure où elle est refoulée et que ce refoulement échoue, menant au
dédommagement névrotique, reste imprimée dans la mémoire du névrotique, mais y reste latente. Il est ce que Lacan,
dans séminaire intitulé « Du rejet d'un signifiant primordial » appelle un « signifiant primitif ». Celui-ci, dans la mesure
où il est inconscient, n'est pas su par le patient névrotique ; mais dans la mesure où il est efficace car raison de ses
symptômes, il est signifiant et exerce son efficacité de signifiant. C'est-à-dire que tous les symptômes pointent vers ce
signifiant inconscient. Dès lors qu'il est explicitement remémoré au cours de l'analyse, explicitement posé par la
réflexion du patient qui dit : « J'ai effectivement pensé cela... », la structure de la névrose – l'objectivité du concept –
disparaît et les symptômes névrotiques avec elle. Ici, le réel est une pensée, mais le réel peut tout aussi bien être un
incident réel. Ce que Lacan explique dans ce texte, c'est que le réel du névrotique est toujours d'emblée un signifiant
présent dans la mémoire du sujet exerçant un effet de sens. Il ne faut pas concevoir le réel du névrotique comme l'autre
de sa mémoire, le réel n'est qu'en tant que déjà imprimé dans celle-ci. Il est ce qui fait fonctionner, comme son cœur, le
circuit de la répétition névrotique. L'influence du réel est donc d'abord l'influence d'un signifiant, le signifiant
traumatique, réel : ce n'est qu'ainsi qu'il faut comprendre la thèse radicale de Lacan selon laquelle « la réalité est
d'emblée marquée par la néantisation symbolique ». La scène traumatique, en tant que raison des symptômes, est déjà
un signifiant caché, primitif, enchaîné à ces signifiants explicites. Si on veut, on peut appeler ce signifiant signifiant du
réel, dans la mesure où il en provient et que le patient, dans la mesure où il s'en sait victime, reconnaît comme
provenant du dehors, du réel. Comme l'écrit Lacan dans son intervention du même séminaire intitulée « Des signifiants
primordiaux et du manque d'un » : « nous sommes certains que les névrosés se sont posés une question. Les
psychotiques, ce n'est pas sûr. » C'est-à-dire que le sujet névrotique est en demande, de la part de l'analyste supposé
savoir, du signifiant du réel pouvant le guérir.
La psychose ne fonctionne pas de la même manière. Reprenons le texte de Freud sur la perte de réalité : il insiste
d'abord sur le point commun entre psychose et névrose en écrivant que « il y a là aussi deux temps, dont le second
comporte le caractère de la réparation . »75 Mais si la psychose aussi « vise bien lui aussi à compenser la perte de la
réalité », « ce n'est pas au prix d'une restriction du ça, à la manière dont, dans la névrose, c'était aux frais de la relation
au réel ; la psychose emprunte une voie plus autocratique, elle crée une nouvelle réalité à laquelle, à la différence de
celle qui est abandonnée, on ne se heurte pas. » Ainsi, « la différence initiale s'exprime dans le résultat final : dans la
névrose un fragment de la réalité est évité sur le mode de la fuite, dans la psychose il est reconstruit. » Dès lors, les
moments constituant la psychose ne sont pas les mêmes que dans la névrose. Dans la psychose, on a dans un premier
temps une fuite de la réalité, puis une phase de reconstruction de la réalité. Ce faisant, elle dénie la réalité. Dans la
névrose, on a d'abord une obéissance ou une allégeance à la réalité – dans la mesure où ce qu'on a appelé le signifiant du
réel est efficace dans la mémoire du sujet névrotique – et ensuite une tentative de fuite. En d'autres termes, « la névrose
ne dénie pas la réalité, elle veut seulement ne rien savoir d'elle ; la psychose la dénie et cherche à la remplacer. » C'est
précisément pour cela que Lacan écrit que si les névrotiques se sont posés une question, chez le psychotique, c'est la
réponse qui a précédé la question. C'est-à-dire qu'il n'est pas en position de demande, de la part de l'analyste, du
signifiant du réel, du souvenir du traumatisme : il est convaincu de ce qu'il possède déjà ce signifiant en lui-même, de
telle façon que son délire se constitue en un délire autonome, sans besoin d'un rapport au réel. C'est ce que signifie
l'autocratie du délire : le psychotique a perdu le signifiant du réel, il l'a tout simplement forclos, ejecté, et l'a remplacé
par un autre, issu d'un « monde fantastique », comme l'écrit Lacan dans son intervention intitulée « Je viens de chez le
charcutier. » du séminaire sur les Psychoses.
75
La première étape de la psychose est donc une coupure d'avec la réalité et l'exclusion de tout signifiant du réel. Lacan,
dans cette intervention écrit que « dans la névrose, c'est au second temps, et pour autant que la réalité n'est pas
pleinement réarticulée de façon symbolique dans le monde extérieur, qu'il y a chez le sujet, fuite partielle de la réalité,
incapacité d'affronter cette partie de la réalité, secrètement conservée. » Ici est donc évident que chez le sujet
névrotique, le signifiant du réel, le signifiant de la scène traumatique, demeure dans sa mémoire, mais latent, caché. Il
n'attend que sa mise en évidence par l'analyse. Le marquage dans la mémoire de ce signifiant du réel est donc le premier
moment de la névrose. Ce faisant, la fuite hors de cette partie de la réalité, c'est-à-dire l'oubli de ce signifiant, le
refoulement, n'est que le second temps de la névrose.
Mais, Lacan continue, « dans la psychose au contraire, c'est bel et bien la réalité elle-même qui est d'abord pourvue d'un
trou, que viendra ensuite combler le monde fantastique. » C'est-à-dire que dans la psychose, la première étape est la
forclusion du signifiant du réel, l'éjection du souvenir traumatique hors de la mémoire, même latente du sujet. Dans la
psychose, il y a donc une perte totale de ce signifiant : il ne sera pas retrouvé dans l'analyse. En ce sens, la psychose est
un réseau de signifiants absolu dans la mesure où le signifiant primordial qui le soutient tout entier n'est pas un
signifiant du réel – le rattachant, de ce fait, à la réalité extérieure – mais un signifiant qui le remplace et « comble ce
trou par la pièce rapportée du fantasme psychotique. »
Ainsi, si nous reprenons la lecture de ce qu'est l'idée, cette appropriation, par le concept, de la réalité extérieure, et que
nous l'interprétons à l'aune de la psychose, il est clair que celle-ci n'est plus synonyme d'un progrès ou d'une guérison
par rapport à la structure de l'objectivité – un progrès ou une guérison n'ayant d'ailleurs aucun sens dans un contexte
logique –, mais est tout simplement la forme d'une structure analytique différente de celle de l'objectivité.
Que le concept se reconnaisse dans cette totalité extérieure, dans ce signifiant du réel, qu'il soit l'identité se déterminant
de cette extériorité. cela signifie qu'il est lui même ce qui pose, ce qui régit le signifiant du réel, qui dès lors n'est plus
un signifiant du réel rencontré comme un traumatisme mais un signifiant posé, choisi par le délire.
« Ils aiment leur délire comme eux-mêmes » : dans la mesure où l'analyste constate que le signifiant primitif et ce qui
s'y développe chez un sujet provient de lui, que le signifiant primitif qui le domine et vers lequel les symptômes pointe
proviennent de lui-même, alors le sujet est qualifié de psychotique et non plus de névrotique. En lui, tout rapport au réel
est coupé et le signifiant primitif provient de son propre fonds.
Ainsi, le passage de l'objectivité à l'idée désigne, au choix : le remplacement dans la chaîne de signifiants de la mémoire
du sujet d'un signifiant provenant du réel – le traumatisme – par un signifiant délirant, fantasmatique ; ou la prise de
conscience de ce que ce signifiant provenant du réel est déjà un signifiant posé et choisi par le sujet. La seconde
hypothèse est plus probable dans la mesure où dans nos analyses précédentes, on s'est rendu compte à de nombreuses
reprises de ce que le progrès de la logique consistait en ceci que ce face à quoi la pensée se trouve se révèle toujours
comme ayant été déjà posé par elle. On peut donc évoquer comme conclusion ceci que pour le concept comme idée, il
n'y a pas de signifiant du réel, il n'y a pas de rencontre traumatique qui viendrait s'imprimer dans la mémoire du sujet ; il
n'y a que des signifiants du sujet, déjà enchaîné au reste du sujet. Dès lors, le réel du sujet, constitué par un réseau de
signifiants sans rapport au réel, se pose comme le réel du psychotique. Dans la psychose, le réseau de signifiants perd
tout lien avec le signifié, le réseau de signifiants se referme sur lui-même et devient ainsi absolu : chez le psychotique,
le signifiant se vide peu à peu du signifié jusqu'à être entièrement exclu, alors que chez le névrotique, le symptôme est
toujours signifiant renvoyant au signifiant du réel. L'Idée désigne un tel réseau de signifiants refermé sur lui-même :
comme structure employée par l'analyste, il désigne le diagnostic de la psychose.
A ce titre, nous voudrions rappeler que la posture de Hegel est une posture scientifique, c'est-à-dire que l'ensemble des
structuresd que nous avons décrites jusqu'à maintenant sont construites comme des outils d'analyse. C'est-à-dire que
Hegel n'est pas un psychotique : il ne s'agit pas de croire en la logique comme un texte que nous lecteurs sommes
censés vivre, ou de se le réciter comme un catéchisme scolaire.
Il ne s'agit pas de se répéter ce texte, mais de voir comment on peut l'appliquer. Hegel développe ici ce que Lacan
appelera plus tard une technique d'analyse, une praxis. Et en effet, l'idée se présente comme l'outil d'analyse premier de
la philosophie de l'esprit dans les Leçons sur la philosophie de la religion et les Leçons sur l'esthétique.
Dans les Leçons sur la philosophie de la religion, nous lisons que la philosophie toute entière (die ganze Philosophie)
n'est rien d'autre que l'étude des déterminations de l'unité ; ainsi la philosophie de la religion est une série consécutive
d'unités, toujours l'unité, mais de telle façon que celle-ci est toujours plus déterminée (eine Reihenfolge von Einheiten,
immer die Einheit aber so, dass diese immer weiter bestimmt ist)76. Si la philosophie de la religion est une étude d'une
série d'unités, en quoi peuvent consister ces unités ? Que signifie « unité » dans ce contexte ? Tout notre travail a
consisté a montré que cela peut signifier unité d'un complexe de signifiants refermé, unité, qui dans la mesure où elle est
crue par le sujet religieux, constitue son rapport au réel. Autrement dit, la philosophie de la religion est l'étude d'une
série de structures signifiantes de plus en plus élaborées.
Mais des structures « de plus en plus élaborées », ou ici, comme l'écrit Hegel « déterminées », que cela peut-il
signifier ? Si il est question ici d'un progrès, ce serait le procédé par lequel ces structures se constituent de plus en plus
comme un réseau de signifiants absolu, c'est-à-dire un réseau de signifiants ne dépendant que de lui-même et
s'affranchissant peu à peu du domaine du signifié réel. Nous verrons ainsi que la philosophie de la religion consiste en
l'élaboration d'un savoir – comprendre ici par savoir un réseau ou une chaîne de signifiants – de plus en plus
indépendant de l'autre qu'on peut appeler provisoirement le réel. Autrement dit, si Hegel doit être pris pour un analyste
76
dans les Leçons sur la philosophie de la religion, on peut dire que son sujet est le sujet religieux, c'est-à-dire le sujet qui
manifeste, par ses comportements et ses discours, un rapport plus ou moins élaboré à ce réseau de signifiants. Nous
examinerons d'abord ce que signifie le concept de religion en lui-même, c'est-à-dire son fonctionnement ; avant
d'examiner ses apparitions empiriques et le progrès dont elles témoignent, et que nous avons nous identifié comme
l'élaboration de plus en plus profonde de structures de signifiants.
Le fonctionnement de la religion.
Dans l'introduction, nous lisons ceci que « la présentation et le développement de la religion se passera en trois
parties. Nous traiterons d'abord le concept de la religion comme structure (nous traduisons im allgemeinen), puis dans
sa particulation comme structure se différenciant, constituant ainsi le côté de la différenciation originaire (Urteil) […] et
troisièmement le concept, qui se relie avec lui-même (sich mit sich zusammenschliesst) […] ou bien le retour du
concept à partir de sa déterminité, dans lequel il est inégal à lui-même, à lui-même, de telle façon qu'il parviennent à
l'égalité avec sa forme et abolisse sa finité. » Ce retour du concept à partir de sa déterminité est appelé « la nature et le
faire de l'esprit lui-même », et consiste en ceci que l'esprit « soit pour lui-même même objet de telle façon qu'il se
réconcilie avec lui-même, soit venu chez lui-même et ainsi à lui-même : car la liberté est ceci, d'être chez soi. »
2. L'évolution de la religion.
Nous avons maintenant posé la façon dont la religion fonctionne. Mais nous avions parlé au-dessus du processus ou
plutôt du constat qu'il y a une série de religions, c'est-à-dire de structures, de plus en plus élaborée : ainsi, l'objectif sera
ici de clarifier ce que l'on entendait par une telle élaboration. L'objet du savoir du sujet religieux a un nom : « Dieu ».
« Dieu, pour nous, qui avons la religion, est un bien connu, un contenu, qui est présent là dans la conscience
subjective. »77 Quel est ce contenu ? « Dieu est la vérité absolue, la vérité de tout et la religion est le savoir vrai
absolu. » Soyons attentif au texte et traitons-le. Ici, le vrai absolu désigne la prise d'ensemble de signifiants, de telle
façon que cet ensemble soit absolument indépendant et émerge à partir de rien d'autre que de lui-même, de même que la
pulsion a pour point de départ et pour point d'arriver elle-même ; ou que le système psychotique a pour signifiant
primitif un signifiant qu'il a lui même posé et ne provenant pas du réel. Ceci donc, est ce qu'on appelle par « Dieu » ou
par « Religion », dans la mesure où « Religion » est le savoir de « Dieu ».
Simplement, comme l'écrit Hegel, ceci est bien plutôt le résultat de la philosophie : « c'est le résultat de la philosophie,
que Dieu est l'absolument vrai, le structuré en et pour soi, comprenant, contenant tout et donnant consistance à tout. »78
La fin de la philosophie de la religion consiste donc en la trouvaille d'une religion dans laquelle le sujet religieux sait
que la religion consiste dans un savoir absolu, c'est-à-dire un savoir excluant toute présupposée réalité autre que le
domaine du signifiant.
C'est précisément en ce sens que Hegel écrit que « Dieu est pour nous, dans la mesure où il est le structuré, en relation
au développement le vérouillé dans lui-même, dans une unité absolue avec lui-même. »79 Il est vérouillée, enchaîné avec
lui-même (verschlossen) dans la mesure où son articulation est quelque chose d'absolu et ne présuppose aucune réalité
qui lui soit autre. Jacques Lacan décrit la psychose comme le moment où le signifiant qui se vide du signifié, c'est-à-dire
où le signifiant se retire tout simplement du réel. Le sujet religieux de la religion absolue – que nous savons être la
religion chrétienne – ne veut plus entendre parler du sens du refoulement, c'est-à-dire du signifiant du réel : en lui, le
réel n'imprime plus.
On comprend donc que l'étape finale de l'élaboration de la religion doit consister en ceci qu'un nouveau signifiant soit
trouvé : un signifiant qui permette à l'ensemble de la structure signifiante de devenir absolue.
Réutilisant nos analyses précédentes, nous verrons que le signifiant central, dans la religion judaïque, est assimilable au
signifiant du réel, c'est-à-dire au signifiant primitif de la névrose. Sauf qu'ici, puisque l'objet du savoir – ou symptôme –
du sujet religieux n'est pas la scène traumatique, mais Dieu, nous appelerons ce signifiant « signifiant de Dieu. »
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C'est dans la religion chrétienne que ce signifiant sera conçu comme signifiant ne provenant non pas de l'autre divin
ineffable du savoir religieux, mais du monde du sujet religieux lui-même ; non d'un autre monde en dehors de la
structure du signifiant ; mais issue du fonds fantasmatique du sujet lui-même. Ainsi, la religion « absolue », comme
l'appelle Hegel, est absolue en ceci qu'elle est un système de signifiants auto-subsistant, ne dépendant plus de l'autre
divin et en étant coupée : la religion absolue est une psychose achevée.
Tout est ici expliqué : en tant qu'elle est posée comme l'abstrait étant hors de ces apparitions, celles-ci sont déterminées
comme en dehors d'elles. Nous poserons ceci de la façon suivante : le système de signifiants constituant la religion
indienne est posé comme étant en dehors de son objet, Brahma. Le deuxième point est le suivant : ce système de
signifiants, dans la mesure où il se conçoit comme posé par cet autre indicible, n'est pas indépendant, n'est pas libre.
C'est ce que Hegel explique en une expression caractéristique de la religion indienne : « Brahman est donc comme pour
lui-même étant abstrait la puisssance et le fondement des exsitences, et toutes ces existences sont [comprises] comme
étant sorties de lui, comme elles sont – dans le se-dire-à-soi-même « Je suis Brahman » - toutes retournées en lui,
disparus en lui. »82 C'est-à-dire que dans la mesure où la puissance qui le pose est un étant autre substantiel, ce système
de signifiants est conçu comme son négatif et comme n'étant qu'être-posé par lui, comme son second. Ici, ce statut
fondamental second du système des signifiants est exprimé par l'expression « Je suis Brahman » que tout sujet religieux
indien se dit à lui-même ; mais aussi pourrait-on dire par le jugement « Cela est Brahman » que tout sujet religieux
évoque : « l'eau et le soleil est Brahman. […] l'air également, le mouvement de l'atmosphère, le souffle, l'entendement,
le bonheur est nommé Brahman. »83
Ainsi, le sujet religieux indien pose tout comme Brahman ; mais en même temps sait que rien ne le pose véritablement,
dans la mesure où Brahman est l'autre étant de l'ensemble de son système. C'est-en ce sens que celui-ci est aboli et
disparaît dans Brahman : dans le sens où aucun de ces signifiants ne peut signifier Brahman. Ainsi, la prolifération de
signifiants caractéristique de la religion indienne est bien plutôt le symptôme de l'impossibilité de signifier l'étant divin
autre du signifiant ou encore, l'impossibilité de trouver le signifiant de Dieu. Cela n'est pas sans nous évoquer le
problème de la symbolisation du réel étant comme autre, caractéristique de l'hypostase, que nous avons déjà évoqué.
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développer comme système. On assiste ici à la prise de conscience de l'efficacité souterraine du signifiant « Dieu ».
Autrement dit, l'intérêt de l'analyse se transporte d'une relation impossible entre l'étant divin et le système de signifiants
à une relation bien réelle entre le signifiant divin et le système de signifiants : bien réel, car l'existence du système de
signifiants même en témoigne. Ici, on pourrait donc dire qu'Helios représente le signifiant divin. Il n'est pas Dieu étant
lui-même ; mais son signifiant, qui joue un rôle central dans le système de signifiants.
Cela est tout à fait analogue au passage que nous avons étudié ci-dessus, lorsqu'il s'agissait du passage de la relation de
causalité présumée réelle – obscure, incompréhensible – à la réflexion de cette relation comme relation posée.
Autrement dit, ce qui était présupposé comme étant réel se révèle ici comme déjà symbolisé et déjà enchaîné à ce qui
est posé. Ce qui apparaissait comme une relation obscure – ici, nommément, la relation entre Brahma et ses apparitions
– est ainsi remplacé par une relation claire qui est la relation entre deux signifiants. C'est dans la mesure où l'intérêt de
l'esprit se déplace de la relation obscure à cette relation entre deux signifiants que « l'énigme est résolue »86.
Ainsi, le signifiant de Dieu a été trouvé : « Dieu », comme signifiant primitif du système de signifiants de la religion, est
enchaîné à celle-ci et n'est plus représenté comme l'autre étant de ce système. C'est précisément ainsi qu'il faut
comprendre l'assertion selon laquelle « la subjectivité libre est ce qui a obtenu la maîtrise sur le fini en général, sur le
naturel et le fini de la conscience, qu'elle soit physique ou spirituelle, de telle façon que le sujet, l'esprit soit conçu
comme sujet spirituel dans sa relation au naturel et au fini [...] »87. Maîtrise ici, signifie simplement que le signifiant de
Dieu est le primitif, ce qui confère tout son sens aux autres signifiants du système, comme on l'a dit. En ce sens, il est le
signifiant qui les dirige, les oriente. Une autre expression de ce que le système de signifiants n'est qu'une explicitation
de ce signifiant primitif est que « dans la mesure où l'esprit est libre, le fini est seulement moment idéel en lui, il est
donc posé en lui même concrètement, et dans la mesure où nous le traitons lui et la liberté de l'esprit comme concret,
ceci est l'esprit rationnel ; le contenu constitue le rationnel de l'esprit. »88 Dans la mesure où chaque signifiant est idéel
en lui, cela signifie que chaque signifiant n'est qu'en tant que moment de la structure, du complexe dont le signifiant
primitif est celui de Dieu. La différence avec la système précédent est que dans celui-ci, le signifiant n'est pas moment,
mais écorce sans valeur qui s'abolit dans l'autre étant : il ne fait pas partie de sa structure, il est simplement hors de lui.
Ici, le signifiant est une partie de sa structure, et donc de son explication. Le signifiant de Brahme ne le développe pas,
il est simplement position désespérer de l'autre non symbolisable. C'est ce que Hegel explique lorsqu'il écrit que le
panthéisme Dieu est connu comme quelque chose d'un (Eines) ; et dans le judaïsme comne quelqu'un d'un (Einer). Dans
la mesure où l'attention est porté non pas sur l'autre obscur du système de signifiants, mais sur ce qui se développe au
cœur de ce système de signifiants, c'est-à-dire le signifiant « Dieu » primordial.
Dans la mesure donc, on le signifiant de Dieu est enchaîné aux autres signifiants du système de la religion, « le sujet ne
laisse rien conister à côté de lui, ce qui est non spirituel, simplement naturel […] la subjectivité est la forme infinie, et
en tant que telle ne laisse pas […] la naturalité extérieure consister à côté d'elle. »89 Le signifiant de Dieu et le système
de signifiants appelé « nature » sont « verbunden », enchaînés. Avec lui s'accompagne la conscience de ce que le second
est l'explication de ce qu'est le premier en lui-même. La nature comme structure est savoir de soi de Dieu c'est-à-dire
que ce qui se détermine maintenant dans la nature comme structure de signifiants est Dieu lui-même ( Gott selbst). Dès
lors, puisque la façon dont il est déterminé est de structure, on comprend que « la pensée est la manière de son être-là,
de son apparition. » - le lien entre structure et pensée ayant été repéré ci-dessus –. Dans la mesure où Dieu comme
signifiant est expliqué et explique la nature comme idéel, structurée, il est sagesse ; et les déterminations de cette
structures sont réunies dans une seule détermination, un seul but.
Ce qui ici vaut pour la religion judaïque, on peut tout aussi bien l'appliquer à la religion musulmane. Que ce soit dans la
religion juive ou musulmane, le nom de Dieu a une grande importance : il est le signifiant sur lequel se fonde tout le
système de signifiants que constitue le livre religieux. Il est le signifiant-sujet de ces livres ; le signifiant qui conditionne
par sa présence le sens de tout ce qui en suit, nommément les signifiants exprimant la nature et l'homme.
Mais attention, que le signifiant de Dieu soit enchaîné aux autres signifiants ne signifie pas que Dieu soit objet de
l'intuition ou de la représentation, comme si « Allah » ou « Jahvé » était l'image ou la figure de Dieu. Dieu n'est qu'en
tant que déjà pris ensemble avec le réseau de signifiants, qu'en tant que signifiant parmi le réseau. Autrement dit, le
signifiant Dieu n'est pas objet isolé : il est, en tant que signifiant, toujours déjà pris d'ensemble avec les autres. C'est
pourquoi Hegel écrit qu'il n'est objet que de la pensée. Il ne saurait être intuitionné ou intentionné en un objet particulier,
dans la mesure où en prendre connaissance signifie toujours prendre les choses d'ensemble, et considérer sa sagesse
comme structure d'ensemble.
Les trois versets de l'Ancien Testament sont un exemple frappant de ce fonctionnement du signifiant de Dieu : « Au
commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le
souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. » Dieu s'est manifesté
par une parole et a manifesté ainsi le reste des choses : c'est-à-dire que son efficience est une efficience symbolique. De
même que précédemment, nous avions étudié le symptôme névrotique comme un signifiant de l'efficacité du signifiant
du réel traumatique : le signifiant « Dieu » renvoie ainsi à une objectivité du dehors du système de signifiants. Mais tout
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en étant en dehors du système, il y est d'emblée inscrit comme une marque, un nom : il a exactement la même fonction
que le signifiant du réel pour le sujet névrotique.
C'est précisément pour ceci que dans ces religions, Dieu se sait dans un autre que lui, c'est-à-dire le sujet religieux lisant
le livre religieux. Le sujet religieux lisant le livre est le lieu du savoir de soi de Dieu. Mais Dieu, tout en y étant inscrit
comme signifiant, est présupposé comme l'autre radicale de ce système. Il est un signifiant donné du dehors du monde
du sujet. Cela est manifeste dans la religion musulmane : le prophète musulman par exemple est conçu comme
radicalement autre de Dieu, mais participe de l'articulation du savoir de soi de Dieu dans la mesure où il articule le
signifiant « Dieu » au reste de ses déterminations. Que le savoir de soi de Dieu soit savoir de soi dans un autre signifie
donc que le sujet religieux articule le savoir de Dieu, mais l'articule en le présupposant en dehors de lui.
Autrement dit, le signifiant de Dieu – comme le signifiant du traumatisme – et son articulations sont accompagnés de la
certitude que Dieu est passé – comme l'est le traumatisme comme vécu réel – ou hors du monde du sujet qui l'articule.
On peut ici associer le fonctionnement du signifiant de Dieu au fonctionnement de ce que Lacan, dans son intervention
intitulée « La signification du phallus », appelle le phallus. Il y expose en effet clairement sa fonction, d'abord en
indiquant que « le phallus dans la doctrine freudienne n'est pas un fantasme, s'il faut entendre par là un effet
imaginaire. »90 C'est-à-dire, comme on l'a vu pour le signifiant Dieu, que le phallus n'est pas intuitionnable, on ne peut
pas l'appréhender comme objet particulier d'une intention : il est sans image.
Ensuite, on lit que « le phallus est un signifiant, un signifiant dont la fonction, dans l'économie intrasubjective de
l'analyse » est de « désigner dans leur ensemble les effets de signifié, en tant que le signifiant les conditionne par sa
présence de signifiant. » C'est-à-dire qu'il est le signifiant à la base de l'ensemble du réseau de signifiants constituant
l'économie intrasubjective du sujet – ici du sujet religieux – lui conférant ainsi un sens.
Nous voudrions pour comprendre le passage de la religion judaïque à la religion chrétienne étudier le texte
d'introduction à la section consacrée à la « religion absolue. »
« Nous avons précédemment déterminé la religion comme conscience de soi de Dieu ; la conscience de soi a en tant que
conscience un objet et est consciente d'elle-même dans cet objet ; cet objet est aussi conscience, mais conscience
comme objet, donc conscience fini, une conscience diverse (verschiedenes) de Dieu, de l'absolu ; […] Dieu est
conscience de soi, il se sait dans une conscience diverse de lui. »91
Dans la mesure où le signifiant de Dieu est articulé dans le sujet religieux, celui-ci est conscient de soi dans lui. Mais,
comme on l'a vu, ce signifiant de Dieu, renvoie à un autre radical du sujet religieux qui l'articule. Aussi Dieu se sait
dans une conscience diverse de lui. « Objet » traduit ici Gegenstand : il est la conscience du sujet religieux se tenant
face à Dieu comme son autre radical.
Le contenu de la religion absolue consiste désormais en ceci que « Dieu consiste dans le fait : de se différencier, d'être à
lui-même objet, mais dans ce différent d'être absolument identique à soi-même - l'esprit. »92 Ce passage n'est
évidemment pas sans rappeler le passage étudié ci-dessus du concept objectif au concept comme idée.
Mais tandis que précédemment, l'objet du concept était le réel traumatique, et que le passage à la structure de l'idée a été
étudié comme la perte pure et simple du rapport à la réalité, ici l'objet du concept est Dieu, et le passage à la religion
suivante désigne pour le sujet religieux, la conscience de ce que Dieu tel qu'il se présente à lui et Dieu tel qu'il est en soi
sont purement et simplement identique. C'est-à-dire que Dieu lui-même, et non plus seulement le signifiant de Dieu, est
désormais présenté à la conscience du sujet religieux : « Dieu est absolument manifeste. »93 Le sujet religieux chrétien a
ainsi « la certitude de l'idée, c'est-à-dire la certitude appartenant au sujet en tant que tel, en tant que fini, au sujet
empirique-concret. »
Ici, à la place du signifiant de Dieu, le sujet religieux substitue la certitude sensible d'un corps réel de la nature et
renvoyant à une intuition sensible du sujet. Ceci correspond au passage par lequel le signifiant du réel est remplacé,
dans la conscience du psychotique, par un objet de nature imaginaire : ce que Lacan apelle un fantasme. Dès lors, le
fondement du système de la religion chrétienne n'est plus celle, symbolique, du nom de Dieu ; mais celle de l'image
sensible de son fils. Ainsi, « Dieu » n'est plus seulement pensable, car toujours pris ensemble avec les autres signifiants,
mais son signifiant est remplacé par une intuition sensible immédiate. La religion est ainsi complétée : le signifiant de
Dieu est remplacé dans le système de la conscience empirique du sujet religieux par une intuition sensible renvoyant
non pas à un Dieu autre mais à un Dieu bien présent, étant-là. Avec l'appropriation du contenu du signifiant « Dieu », la
réligion est complétée : « Dieu » n'est plus signifiant de Dieu comme autre, mais signifiant de Dieu comme ici et là,
dans un corps humain. La référence présupposée par le signifiant de Dieu, Dieu lui-même, est désormais dans la
conscience empirique du sujet, et non plus son autre ; le nom de Dieu n'est plus le signifiant d'un infigurable.
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Si ce que nous disions précédemment sur le lien entre la psychose et l'idée se révèle justifié, on devrait retrouver dans la
structure de la religion chrétienne des points communs avec la structure de la psychose. Nous voudrions voir en quoi ce
que Lacan appelle la « forclusion du nom-du-père » peut être ici associée dans sa structure à la religion chrétienne.
Le nom-du-père chez Lacan a une fonction analogue à ce que nous avons appelé le signifiant de Dieu, ou le phallus. Ce
sur quoi nous n'avions pas insisté véritablement, est que Lacan insiste sur ce point que « ce qui n'est pas symbolisé,
donc ce qui n'a pas d'inscription au niveau du système psychique, fait retour au sujet par l'extérieur, par le dehors et dans
le réel »94. Ce qui, chez le psychotique, est forclos à l'intérieur au niveau symbolique, le nom-du-père ou le signifiant de
Dieu, revient à l'extérieur. Quel est la nature de cet extérieur ? N'étant pas lui-même d'ordre symbolique, il sera d'un
autre ordre : il sera imaginaire. De même, dans la religion chrétienne, Dieu apparaît comme un homme intuitionnable,
c'est-à-dire comme une image à laquelle le sujet religieux peut s'identifier. Ainsi, l'apparition d'un homme comme Dieu
lui-même et la certitude de son existence, constitue pour le sujet religieux un réel tout à fait analogue au réel du
psychotique : il est après l'abandon du signifiant de Dieu, le retour de Dieu par le dehors du sujet, sous forme
imaginaire.
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE :
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