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38, rue Rantheaume
BP 256, 89004 Auxerre Cedex
Tél. : 03 86 72 07 00/Fax : 03 86 52 53 26
ISBN = 978-2-36106-205-7
9782361062019
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APPRENDRE
Pourquoi ? Comment ?

Ouvrage coordonné par


V. Bedin et M. Fournier

La Petite Bibliothèque de Sciences Humaines


Une collection dirigée par Véronique Bedin
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AVANT-PROPOS

D’ où nous vient cette immense soif d’apprendre qui


semble aujourd’hui plus intense que jamais ? Les uni-
versités populaires font salle pleine ; les manuels d’apprentissage
pour les nuls connaissent un succès étonnant. Sans compter les
possibilités croissantes offertes par le numérique. Cours en ligne
accessibles à tous (MOOCs), sites divers pour apprendre les lan-
gues, parfaire ses aptitudes ou enrichir sa culture, ont amplifié le
phénomène. Les pratiques d’autoformation et démarches auto-
didactes se multiplient. Les bricoleurs astucieux sont devenus
sur le Net des champions de l’auto-apprentissage et des échanges
entre pairs… L’éducation non formelle (hors l’école), les appren-
tissages implicites font l’objet de recherches de plus en plus
nombreuses. « Apprendre tout au long de la vie », mot d’ordre
lancé par l’Europe à la fin du xxe siècle, se décline aujourd’hui en
de multiples programmes.

Ce que disent la psychologie et les sciences cognitives


Mais comment apprendre ? Et dans quel but ? Tout serait-il
question de motivation ? Oui, à condition d’envisager le pro-
cessus comme complexe et dynamique. Saint Augustin affirmait
déjà l’existence d’une libido sciendi, un désir d’apprendre naturel
chez l’homme.
Par-delà ce constat, l’ouvrage se propose, dans une première
partie, de faire le point sur les différentes théories de l’apprentis-
sage à travers ce qu’en disent la psychologie et les sciences cogni-
tives (de la psychologie behavioriste aux sciences cognitives en
passant par la psychologie de la forme ou la psychologie cultu-
relle ; de Piaget à Vygotsky, de Bandura à Bruner).

Les voies de l’apprentissage


Il existe de nombreuses voies d’apprentissage, qui dépendent
de la motivation de chacun, certes, mais aussi des différentes

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Apprendre

conceptions de l’éducation. Il suffit de se pencher sur les dif-


férentes enquêtes comparatives internationales pour voir que
l’on n’apprend pas toujours et partout de la même manière.
Apprendre seul ou en groupe ? Acquérir des connaissances, des
savoir-faire, des savoir-être ? Apprendre par soi-même (Sapere
aude ! écrivait Kant : aie le courage de te servir de ton propre
entendement…). Quel est le rôle de l’enseignant et de l’école ?
Et, comme le processus d’apprentissage n’est pas un long
fleuve tranquille, la deuxième partie de l’ouvrage se termine
par un point sur les troubles qui peuvent survenir à différents
moments de l’apprentissage, comme les troubles du langage ou
encore les troubles de l’attention. Aujourd’hui, une meilleure
connaissance des processus sous-jacents à ces troubles permet de
les atténuer, voire de les guérir et même de les prévenir.

Nouveaux apprentissages
Autoformation, MOOCs, Tice… La dernière partie de l’ou-
vrage fait le point sur les nouvelles formes d’apprentissages sur-
gies avec le développement du numérique. Les écrans changent-
ils le cerveau ? s’interroge le chercheur O. Houdé, faisant état
d’une étude récente sur L’Enfant et les Écrans qui démontre la
nécessité d’éduquer aux écrans, en tenant compte des apports
des sciences cognitives. Dans les classes, une neuro-pédagogie
est-elle en train de naître à l’aune de ces avancées ? Un question-
nement que prolonge le psychologue A. Tricot, qui explore les
nouvelles façons de travailler à « l’école du numérique ».
Quel bilan tirer du développement des MOOCs, ces forma-
tions et cours en ligne dispensés gratuitement sur Internet ? Dans
un registre proche, le psychologue F. Fenouillet se demande
également quelle peut-être l’utilité des serious games en matière
d’apprentissages.

Ce petit livre se propose ainsi de rappeler les fondamentaux


et les avancées récentes des connaissances en matière d’apprentis-
sage mais aussi d’explorer les mille et une manières d’apprendre
tout au long de la vie.

Véronique Bedin, Martine Fournier


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APPRENTISSAGES :
CE QUE DISENT LA PSYCHOLOGIE
ET LES SCIENCES COGNITIVES

– Psychologie des apprentissages : objet et histoire


(encadré)
– Les fondements de l’apprentissage (M. Crahay)
– Peut-on apprendre à apprendre ?
Métacognition : un tour d’horizon (J.-F. Dortier)
– Enquête sur la neuropédagogie (M. Fournier)
– Et si l’école rendait intelligent (C. Bastien)
– Le cerveau et la lecture (M. Fournier)
– Apprendre à lire ne serait pas une question de langue
(D. Galbaud)
– Comment apprendre l’orthographe ? (M. Fayol)
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Psychologie des apprentissages :
objet et histoire
La psychologie a été dominée pendant plusieurs décennies par le
modèle behavioriste qui s’intéresse essentiellement aux comportements
d’apprentissage observables. Mais l’approche cognitiviste qui, à l’inverse,
étudie les processus mentaux, a progressivement gagné du terrain, jusqu’à
devenir le modèle triomphant de cette fin de siècle.

LES THÉORIES
La psychologie behavioriste
Le behaviorisme a largement dominé les recherches en psychologie, de
la Première Guerre mondiale à la fin de la Seconde. Selon cette approche,
l’apprentissage est une modification du comportement provoqué par les
stimuli venant de l’environnement.
C’est surtout le psychologue américain Burrhus F. Skinner (1904-
1990) qui a développé cette approche et en a tiré une pratique pédagogique.
L’apprentissage peut être obtenu par l’utilisation de récompenses appelées
« renforcements positifs » (ex. : nourriture chez le rat de laboratoire, bonnes
notes chez l’élève) et de punitions appelées « renforcements négatifs » (ex. :
choc électrique chez le rat, mauvaises notes chez l’élève). L’individu adopte
un comportement lui permettant d’éviter les renforcements négatifs et
d’augmenter la probabilité de survenue de renforcements positifs. Cette
procédure s’appelle « conditionnement opérant ». Skinner a critiqué le
mode d’enseignement traditionnel, essentiellement fondé sur des renfor-
cements négatifs, et a proposé de remplacer ceux-ci par des renforcements
positifs. Sa théorie est à l’origine de l’« enseignement programmé ».

La psychologie de la forme
Au cours de la période 1930-1960, les théoriciens de la psychologie de
la forme (ou gestaltistes) se sont radicalement opposés aux behavioristes.
Des expériences effectuées avec des singes mettent en évidence que la réso-
lution d’un problème ne résulte pas de simples conditionnements, mais
suppose également la compréhension de schèmes d’action complexes arti-
culés entre eux. Par exemple, Wolfang Köhler a observé comment les chim-
panzés apprenaient à attraper des bananes situées à l’extérieur de leur cage,
grâce à un bâton. C’était le fruit d’une période de tâtonnements, d’une
phase très courte de réflexion, puis d’une soudaine compréhension (insight)
de la solution. Max Wertheimer a affirmé que les apprentissages proposés
aux élèves dans les écoles sont ennuyeux et ne font pas assez appel à la
compréhension par insight et donc à une pensée véritablement créatrice.

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

La psychologie cognitive
La psychologie cognitive, qui s’est développée à partir des années 1960,
a progressivement détrôné la théorie behavioriste. Les psychologues cogni-
tivistes tentent de comprendre ce qui se passe dans la « boîte noire » du psy-
chisme humain. Le sujet ne se contente pas d’assimiler des données brutes ;
il les sélectionne et les met en forme. Des spécialistes de diverses disciplines
(neurosciences, intelligence artificielle, linguistique…) s’associent dans ce
programme de recherche.
Nombreux sont les domaines explorés par la psychologie cognitive.
1. La perception : le cerveau fait un tri parmi la masse considérable de
données issues de l’information. Ce filtre est nécessaire, il marque la diffé-
rence entre voir et regarder, entendre et écouter.
2. La mémoire : les travaux de psychologie cognitive ont mis en évi-
dence que la mémoire comporte de multiples facettes. On a ainsi juxtaposé
mémoire à court terme (utile, par exemple, pour se souvenir du numéro de
téléphone que l’on doit composer) et mémoire à long terme. La mémoire
à court terme, initialement considérée comme un réceptacle passif, est en
fait assez complexe et a donc été nommée mémoire de travail. On dis-
tingue également la mémoire lexicale (qui se rattache au « par cœur ») et la
mémoire sémantique (qui concerne le sens des mots)
3. Les représentations : nous nous forgeons, au fil des ans, une repré-
sentation du monde environnant, parfois éloignée de la réalité. Ce courant
de recherche rejoint la psychologie de l’apprentissage. En effet, certains
auteurs considèrent que l’enseignant doit tenir compte des représentations
de l’élève afin de confronter judicieusement ce dernier avec des informa-
tions nouvelles en vue d’un changement de conceptions.
4. La résolution de problèmes : la psychologie cognitive a montré que
deux types de stratégies peuvent être utilisés pour résoudre un problème.
Dans l’un, le sujet part du but à atteindre et le décompose en sous-buts
successifs. Dans l’autre, le sujet déduit (en général par analogie avec une
situation connue) un plan d’action, puis s’approche de la solution par cor-
rections successives.
Depuis les années 1990, la psychologie cognitive s’élargit et se com-
plexifie à la faveur des découvertes des neurosciences, à tous les domaines
touchant la pensée, la connaissance.

LES REPRÉSENTANTS
Jean Piaget (1896-1980)
Il affirme qu’au cours de son développement intellectuel, l’enfant passe
par différents stades :
– l’intelligence sensori-motrice (de la naissance à deux ans), caractérisée

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Psychologie des apprentissages : objet et histoire

par la découverte de l’espace, des objets et des êtres, à travers la perception


et le mouvement ;
– l’intelligence prélogique ou symbolique (deux ans à sept-huit ans),
avec laquelle l’enfant commence à élaborer des représentations mentales.
Il peut jouer à des jeux de fiction (par exemple la dînette avec des herbes
comme aliments) ;
– l’intelligence opératoire concrète (sept-huit ans à onze-douze ans) ; au
cours de ce stade, l’enfant acquiert la notion fondamentale de conservation
(de poids, de volume) : il comprend qu’un liquide garde la même quantité
si on le transvase d’un verre large dans un autre plus étroit (alors que dans
ce dernier cas, le niveau est plus élevé) ;
– l’intelligence opératoire ou formelle (à partir de douze ans), qui
consacre l’accès véritable à l’abstraction ; l’enfant est capable de raisonner
sur un problème en posant des hypothèses a priori. Selon Piaget, cette
séquence est à la fois déterminée génétiquement et dépendante de l’acti-
vité du sujet sur son environnement. L’intelligence se construit grâce au
processus d’équilibration des structures cognitives, en réponse aux sollici-
tations et aux contraintes de l’environnement. Deux actions y contribuent,
l’assimilation et l’accommodation. L’assimilation est l’action de l’individu
sur les objets qui l’entourent, en fonction des connaissances et des apti-
tudes acquises par le sujet. Mais il y a inversement une action du milieu sur
l’organisme, appelée accommodation, qui déclenche des ajustements actifs
chez ce dernier. On appelle « constructivisme » cette approche basée sur
l’interaction sujet-environnement.

Albert Bandura (1925-)


Le psychologue Albert Bandura est à l’origine de la théorie de
l’« apprentissage social », processus qui n’est pas confiné au cadre scolaire,
mais concerne de multiples situations de la vie quotidienne. Le terme d’ap-
prentissage social désigne trois procédures d’acquisition qui ont leur source
dans l’entourage de l’individu :
– l’apprentissage imitatif ou « vicariant » résulte de l’observation d’un
congénère qui exécute le comportement à acquérir. Bandura s’est particu-
lièrement intéressé à l’agression. Selon lui, une bonne part des comporte-
ments agressifs sont appris par imitation de modèles tels que les parents et
les pairs. Il a mené de nombreuses expériences dans lesquelles des enfants
frappent une poupée en tissu s’ils ont auparavant vu un petit film dans
lequel un enfant agit ainsi sans être ensuite réprimandé ;
– la facilitation sociale désigne l’amélioration de la performance de
l’individu sous l’effet de la présence d’un ou plusieurs observateurs ;
– l’anticipation cognitive est l’intégration d’une réponse par raisonne-
ment à partir de situations similaires.

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

Lev S. Vygotsky (1896-1934)


Penseur russe, contemporain de Piaget, il a élaboré une théorie inter-
actionniste de l’apprentissage, mais qui insiste surtout sur la composante
sociale. « Dans notre conception, dit-il, la vraie direction de la pensée ne
va pas de l’individuel au social, mais du social à l’individuel. » Selon lui,
la pensée et la conscience sont déterminées par les activités réalisées avec
des congénères dans un environnement social déterminé. Il considère que
chaque fonction supérieure apparaît deux fois au cours du développement
de l’enfant : tout d’abord dans une activité collective soutenue par l’adulte
et le groupe social ; dans un deuxième temps, lors d’une activité indivi-
duelle, et elle devient alors une propriété intériorisée de l’enfant. Le rôle de
l’enseignant est important puisque « ce que l’enfant est en mesure de faire
aujourd’hui à l’aide des adultes, il pourra l’accomplir seul demain ». La
distance entre ce que l’enfant peut effectuer seul et ce qu’il peut faire avec
l’aide d’un adulte est la « zone proximale de développement », espace sur
lequel l’apprentissage doit s’effectuer.

Jerome Bruner (1915-)


Né à New York en 1915. Après avoir obtenu son doctorat de psycho-
logie à l’université de Harvard, il a accompli la plus grande partie de sa
carrière en tant qu’enseignant dans cette institution. Il est président de
diverses associations scientifiques, dont l’Association américaine de psycho-
logie. Son œuvre scientifique est imposante : dix-huit ouvrages et plus de
trois cents articles scientifiques, essentiellement consacrés à la psychologie
de l’éducation. C’est l’un des pères fondateurs de la psychologie cognitive.
En 1956, il publie l’ouvrage A Study of thinking qui porte sur la catégo-
risation et l’acquisition des concepts. À une époque où domine la vision
behavioriste (qui s’intéresse exclusivement aux comportements), il montre
que les sujets mettent en œuvre des stratégies mentales afin de résoudre
activement des problèmes. L’ouvrage bouleverse une tradition bien ancrée
et ouvre de nouvelles voies de recherche, qui conduiront à l’émergence et au
renouvellement de la psychologie cognitive. Dans L’Éducation, entrée dans
la culture ; les problèmes de l’école à la lumière de la psychologie culturelle, Retz,
1996. Jerome Bruner applique à l’éducation ses réflexions sur la psycholo-
gie culturelle. Selon lui, l’éducation ne peut être réduite à un processus de
traitement de l’information, mais doit aussi aider l’élève à construire du
sens et lui permettre ainsi de s’intégrer à la culture dont il dépend.
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LES FONDEMENTS
DE L’APPRENTISSAGE

L a conception de l’apprentissage humain relève de plu-


sieurs traditions pédagogiques et psychologiques. Cha-
cune d’elles s’ancre dans une tradition et des postulats philo-
sophiques : la conception empiriste estime qu’au fondement de
l’apprentissage et de la connaissance se trouve la perception.
Une deuxième tradition philosophique, de Platon à Descartes,
postule que la raison prime la perception. Elle s’est ressourcée
et réactualisée récemment grâce aux apports de la psychologie
et de la linguistique qui constatent l’importance des structures
mentales de traitement de l’information. À ces deux traditions
philosophiques auxquelles s’apparentent aujourd’hui encore de
nombreuses pratiques pédagogiques, se sont adjointes au cours
du xxe siècle des théories psychologiques pour qui le fondement
de l’apprentissage est l’action du sujet1. Le behaviorisme, puis le
constructivisme piagétien se fondent sur cette prémisse. Un der-
nier courant, représenté par le psychologue russe Lev Vygotsky
et aujourd’hui par la psychologie culturelle de Jerome Bruner,
met l’emphase sur le langage. Pour cette approche, la pensée
humaine est contrainte par le système de signes et de significa-
tion de la langue écrite ou orale, produit par l’interaction entre
les structures mentales de l’individu et la culture dans laquelle il
évolue.

La perception ou la raison
Une première conception de l’apprentissage humain est
représentée par l’empirisme. Ce courant philosophique et péda-
gogique important fonde son approche de l’apprentissage
sur la perception et l’expérience. Les philosophes John Locke
1- M. Crahay, Psychologie de l’éducation, Puf, « Quadrige », 2e édition, 2010.
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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

(1632-1702), David Hume (1711-1776), Étienne de Condillac


(1714-1796) et Claude André Helvétius (1715-1771) sont les
représentants les plus typiques de cette manière de penser que
l’on retrouve aussi chez Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
ainsi que chez divers pédagogues : Johan F. Herbart (1776-1841)
avec son concept d’aperception, Maria Montessori (1870-1952)
avec le concept d’esprit absorbant et son éducation sensorielle,
Ovide Decroly (1871-1932) avec son principe pédagogique sous
forme de triptyque « observation – association – expression »…
En matière d’enseignement, les empiristes mettent essentielle-
ment l’accent sur l’organisation de l’expérience sensorielle des
enfants : l’enseignement doit partir du concret. Pour l’approche
empiriste, l’apprentissage se ramène en quelque sorte à un enre-
gistrement ou à un stockage en mémoire d’informations venant
de l’extérieur. Tout se passe comme si les stimulations externes
venaient marquer le cerveau de leur empreinte. L’esprit est consi-
déré au départ comme une cire vierge, une table rase qui se fait
imprégner par le monde réel, et ceci par l’intermédiaire des sens.
Dans cette optique, l’esprit est façonné par les expériences qu’il
est donné à l’individu de vivre.
Si les connaissances s’acquièrent par un contact direct avec
le réel, l’enseignement doit se donner pour fonction d’organi-
ser cette rencontre avec les choses, et la pédagogie a pour objet
l’étude des façons de structurer l’expérience sensitive des élèves.
Foncièrement optimiste quant au pouvoir de l’éducation, l’em-
pirisme est profondément égalitaire : moyennant un choix adé-
quat des expériences auxquelles soumettre les enfants, il est pos-
sible de leur faire maîtriser toutes les compétences essentielles.
À l’inverse de l’empirisme, le rationalisme se méfie de l’expé-
rience sensorielle que l’être humain peut avoir du réel. Mettant
en évidence les illusions perceptives dont l’individu peut être vic-
time, le rationalisme affirme que les sens ne donnent qu’une vue
confuse et non significative de la réalité des choses. Si la structu-
ration des connaissances provient, non pas de l’organisation du
monde extérieur (comme le postulent les empiristes), mais de
l’intérieur (comme le postulent les rationalistes), l’enseignement
doit se donner pour première mission de susciter la réflexion

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Les fondements de l’apprentissage

de l’élève, considérant celle-ci comme une fonction pouvant


s’exercer de façon autonome. Postulant que les structures de la
pensée sont innées, le rationalisme et ses émules contemporaines
conduisent à penser que l’individu doit découvrir la vérité en
lui-même grâce au travail de la raison dont il est naturellement
doté. Autrement dit, c’est par déduction et/ou introspection que
les progrès cognitifs se réalisent. Ce qui amène logiquement à
valoriser l’enseignement du latin, de la logique ou, depuis une
cinquantaine d’années, des mathématiques ; ces enseignements
étant conçus comme des gymnastiques intellectuelles ou, plus
largement, comme des façons d’exercer la logique de l’individu.

L’action et le langage
La psychologie naissante s’enracine dans la philosophie prag-
matiste et souligne la dimension agissante du sujet. L’individu
se trouve placé dans l’obligation de créer des formes de connais-
sances de plus en plus sophistiquées, en s’efforçant d’ajuster
ses actions aux contraintes de la réalité. Pour les béhavioristes
Edward L. Thorndike et Burrhus Skinner comme pour le
constructiviste Jean Piaget, tous marqués par l’héritage intellec-
tuel de John Dewey, les actions constituent le moyen par lequel
l’individu interagit avec le milieu, s’y adapte et le transforme
tout à la fois. Tout apprentissage s’enracine dans l’action exercée
par le sujet sur son environnement.
Dans cette perspective, E. L. Thorndike (1874-1949) consi-
dère que l’apprentissage se réalise par essais et erreurs. Traitant
du conditionnement opérant, Burrhus Skinner affirme que les
hommes agissent sur le monde, le transforment et sont trans-
formés en retour par les conséquences de leurs actions. Cette
dernière affirmation pourrait être reprise par J. Piaget. Ces
auteurs se distinguent notamment par le rôle qu’ils accordent
à l’erreur dans ce processus d’ajustement des actions au milieu.
La loi de l’effet formulée par Thorndike affirme que les actions
couronnées de succès tendent à être répétées par le sujet alors
que celles sanctionnées par l’échec sont éliminées de son réper-
toire d’actions. À l’opposé, B. Skinner n’attribue aucun effet à
l’erreur au point qu’il prétendra, tout au long de son œuvre,

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

que l’apprentissage peut se réaliser sans erreur. Il en fera un idéal


pédagogique puisqu’un cours programmé bien conçu doit, selon
lui, mener l’élève à la compétence terminale au fil d’une pro-
gression comportant au minimum 95 % de bonnes réponses.
Quant à J. Piaget, il donne aux erreurs une fonction de per-
turbation ou de facteurs déséquilibrant : toute action constitue
une tentative d’assimilation d’une réalité ; lorsque celle-ci résiste,
il y a échec d’assimilation et déséquilibration momentanée du
système cognitif du sujet qui va s’efforcer de créer un nouvel
état d’équilibre en inventant de nouveaux procédés d’action ; s’il
réussit, il aura réalisé une accommodation.
Les théories de l’apprentissage par l’action sont confrontées à
un problème crucial : le passage des actions aux concepts et, plus
globalement, le rapport entre pensée conceptuelle et intelligence
pratique ou sensori-motrice. B. Skinner le résout en distinguant
les comportements contrôlés par les contingences et ceux gouver-
nés par les règles ; celles-ci étant transmises aux individus par la
voie du langage. La solution de J. Piaget est plus complexe. Selon
lui, c’est avec l’émergence d’appareils sémiotiques (langage, imi-
tation différée, jeu de faire-semblant, image mentale, etc.) vers
l’âge de deux ans que commence à s’opérer la métamorphose
des schèmes sensori-moteurs en schèmes conceptuels. Ainsi, s’il
est vrai que tout savoir trouve son origine dans l’action, cela ne
signifie pas qu’il suffise d’agir pour accéder à une connaissance
représentative adaptée des réalités qui ont été manipulées. Toute
la difficulté consiste à reconstruire sur le plan sémiotique ce qui
est maîtrisé à un niveau pratique. Cette reconstruction consti-
tue, aux yeux de J. Piaget, une conceptualisation et implique
notamment un processus d’abstraction.
Toute action effective comporte une dimension physique
et une dimension logico-mathématique. Ainsi, lorsque le bébé
réagit à la vue d’un objet suspendu en tendant la main pour
le balancer, il découvre qu’une impulsion peut provoquer un
mouvement et, ce faisant, mobilise une liaison inférentielle : sus-
pendu = balancement. L’enfant est face à un autre type de liaison
lorsqu’il constate que la bille, qu’il vient d’introduire dans un
cube vide, peut être retirée du bout du doigt ; une action directe

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Les fondements de l’apprentissage

peut être annulée par son inverse. Par ailleurs, si certaines actions
comportent un ordre strict de réalisation, d’autres sont douées
de la propriété de commutativité et d’autres encore de celle de
symétrie. Ainsi, pour remplir un récipient d’eau par transvase-
ment, il faut saisir un autre récipient, le plonger dans l’eau, le
retirer en le redressant, puis le renverser dans le premier. Dans ce
cas, il n’est pas question de permuter l’ordre des actions.
Par rapport à toutes ses actions, l’enfant peut procéder à
deux sortes d’abstractions. On parlera d’abstraction empirique
lorsque le sujet extrait, de l’application d’un schème assimilateur
sur le réel, une information sur les objets eux-mêmes et/ou une
information sur les effets de ses actions ; autrement dit, l’infor-
mation tirée de l’action sur les objets peut concerner soit les
propriétés des objets, soit une dimension physique de l’action.
On qualifiera de réfléchissante toute abstraction d’une propriété
tirée, non des résultats de l’action exercée sur le monde, mais des
coordinations de schèmes qui ont été mises en œuvre. Lorsque
l’enfant laisse tomber une série de boîtes en plastique dans un
bac à eau et constate que tous ces objets flottent, il réalise une
abstraction empirique. En revanche, les notions avant-après sont
le fruit d’une abstraction réfléchissante appliquée à la coordina-
tion temporelle des actions. Dès la première année, le nourris-
son introduit de l’ordre dans ses activités intentionnelles : pour
amener à lui un objet éloigné, il saisit un bâton et l’utilise pour
rapprocher la cible. Au moment de la construction de la repré-
sentation de l’ordre temporel, la succession des actions est proje-
tée sur le plan représentatif, plan sur lequel l’ordre temporel est
reconstruit en tant que concept, ce qui lui confère notamment la
capacité d’ordonner d’autres représentations. L’abstraction réflé-
chissante crée les cadres logiques nécessaires à la pensée : classes,
nombre, temps et espace, causalité et mises en relation de toutes
sortes.
En contrepoint des visions du behaviorisme ou de l’approche
piagétienne, des psychologues comme Lev S. Vygotsky, Henri
Wallon ou aujourd’hui Jerome Bruner estiment que la pensée
humaine ne peut se comprendre sans l’usage d’outils sémiotiques
et, plus particulièrement, du langage. Pour penser, l’individu a

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

besoin d’un système de signes lui permettant de traiter les signi-


fications. Il le trouve dans la culture qui lui offre le langage, mais
aussi toute une série d’outils sémiotiques (le dessin, l’écriture,
les symboles et signes divers). Postulant une nature sociale per-
mettant à l’enfant de s’approprier la vie intellectuelle de ceux
qui l’entourent, L.S. Vygotsky soutient par exemple que l’en-
fant devient homme par son insertion dans un environnement
social qui véhicule les traces culturelles des conquêtes intellec-
tuelles et technologiques réalisées par les hommes au cours de
leur histoire. L’apprentissage est avant tout une appropriation
des outils matériels (marteau, crayon, télévision, ordinateur…)
et sémiotiques dont la civilisation s’est dotée au fur et à mesure
de son évolution. Ceci ne signifie pas que l’enfant est malléable
comme une cire molle. L’apprentissage se produit en situation
sociale de coopération, lorsque les appareils sémiotiques utilisés
par le compagnon d’interaction peuvent être incorporés par l’en-
fant en fonction de son degré de développement potentiel. La
construction cognitive de la personne se réalise principalement
dans des contextes interactifs au sein desquels l’enfant et l’adulte
s’engagent dans une activité commune. Ce dernier est par nature
un agent de développement, dans la mesure où il médiatise la
relation de l’enfant au monde des objets en guidant, planifiant,
régulant, parachevant ses actions.
Dans cette perspective, la construction du sujet psycholo-
gique ne procède pas de l’intérieur vers l’extérieur, comme le
postule le rationalisme. Il n’est pas non plus le produit des mode-
lages environnementaux. Il est le fruit de la relation sociale. Selon
L.S. Vygotsky, les apprentissages ne dépendent pas du dévelop-
pement endogène de structures cognitives ; les apprentissages
activent le développement en stimulant chez l’enfant toute une
série de processus cognitifs qui ne lui sont accessibles que dans le
cadre d’interaction avec l’adulte et/ou de collaboration avec des
camarades ; une fois intériorisés, ces processus deviennent une
conquête propre à l’enfant. Dans cette perspective, la psycholo-
gie du développement doit nécessairement conjuguer la psycho-
logie de l’apprentissage et celle de l’éducation.

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Les fondements de l’apprentissage

Les avancées de la psychologie cognitive


Pour le cognitivisme, le cerveau humain traite l’informa-
tion venant de l’extérieur et se régule en fonction d’elle. Plus
exactement, il transforme les inputs informationnels en repré-
sentations symboliques de l’état du monde et manipule ces
symboles en leur appliquant des algorithmes de calcul. Ceux-ci
jouent, dans le fonctionnement cognitif, le rôle que J. Piaget
attribue aux opérations logico-mathématiques. Le champ
d’études de la psychologie est constitué par la manière dont
l’être humain recueille, modifie, encode, interprète, emmagasine
l’information de l’environnement et par la façon dont il en tient
compte pour prendre des décisions et déterminer sa conduite.
Il s’agit encore de comprendre comment une personne ajoute
de l’information à son stock de connaissances permanentes
du monde, comment elle y accède et comment elle utilise ces
connaissances face aux différentes situations de la vie.
Dans Architecture of Cognition, John Anderson (1983)
distingue deux types de connaissance. Il montre qu’il suf-
fit de quelques minutes d’étude pour mettre en mémoire une
connaissance déclarative (connaissance factuelle que l’on peut
énoncer, du type : le mont Everest culmine à 8 847  m) alors
que l’intégration d’une procédure (ensemble de connaissances
et de savoirs explicites ou implicites impossibles à formuler sim-
plement, voire à transmettre, du type : savoir faire du vélo ou
parler l’anglais) requiert une pratique graduelle et souvent consi-
dérable. Si l’on prend l’exemple de la connaissance du calcul de
l’aire d’un triangle, on comprend que la connaissance déclarative
(la formule de calcul) peut s’acquérir aisément par mémorisa-
tion. La connaissance procédurale (la mise en œuvre des straté-
gies mentales et des comportements permettant de résoudre la
question dans un problème de mathématique) est plus longue
et plus complexe à acquérir. En revanche, une fois acquise, la
procédure permet un passage à l’acte rapide et efficace. Le pas-
sage d’une forme de connaissance à l’autre n’est pas simple et
de nombreux travaux actuels portent sur la procéduralisation
des connaissances déclaratives. De manière générale, l’indi-
vidu passe d’une application lente et consciente de règles à une

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

pratique de plus en plus automatisée et inconsciente, par la mise


en actes régulière de connaissances déclaratives (dans l’exemple
choisi, par la multiplication des problèmes comportant le calcul
de l’aire du triangle et nécessitant l’application de la formule).
L’apprentissage de connaissances procédurales correspond à la
constitution de séquences d’actions conditionnelles (si A se pro-
duit, alors faire B), qui permettent la réalisation de certaines
tâches dans certaines conditions. Lire et comprendre un texte,
rédiger, orthographier, calculer, résoudre un problème, maîtri-
ser une langue étrangère… toutes ces aptitudes reposent sur des
connaissances procédurales.
Toujours selon J. Anderson, la maîtrise des connaissances
déclaratives correspond à la première étape des apprentissages.
L’individu intègre dans sa mémoire à long terme des infor-
mations et des instructions relatives à une catégorie de situa-
tions, à l’utilisation d’un code (écrit, par exemple) et/ou d’un
instrument (le crayon et le cahier). Ces informations, codées
sous des formes diverses, ne débouchent sur l’exécution d’une
performance qu’au prix d’un processus d’interprétation de ces
connaissances. Ce processus est coûteux en temps et en espace
de travail : la mémoire de travail doit retrouver toutes les infor-
mations nécessaires à l’action dans la mémoire à long terme et
les y maintenir par une activité de répétition afin de procéder à
leur coordination et à leur traduction en actes. C’est ce proces-
sus que l’on constate chez l’enfant lors de l’apprentissage de la
lecture par exemple. À ce moment, la médiation verbale joue un
rôle important. Sous l’effet de la pratique, le contrôle verbal de
l’activité s’estompe et les connaissances déclaratives sont compi-
lées : elles peuvent être appliquées de façon automatique, c’est-à-
dire sans recours à aucun effort interprétatif. Dans une troisième
étape, il y a réglage progressif des procédures, ce qui aboutit à
une amélioration de la précision et de la vitesse d’exécution. On
finit, en général, par lire de manière automatique.
Il existe d’autres voies d’acquisition ne faisant pas appel à la
médiation verbale. Les études relatives à l’apprentissage implicite
montrent que le sujet humain peut acquérir des façons de réa-
gir adéquatement en situation sans pouvoir expliciter les règles

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Les fondements de l’apprentissage

qui semblent gouverner son comportement. Ces savoir-faire ne


sont pas accessibles en dehors de leur mise en œuvre : le lec-
teur expert ignore comment il procède, ce qui ne l’empêche pas
d’être performant.
En mettant en évidence le rôle crucial joué par les procédures
automatisées dans le fonctionnement cognitif, les psychologues
contemporains incitent à une révolution pédagogique. La notion
d’automatisme a plutôt mauvaise presse parmi les enseignants,
pour qui la noblesse de l’art consiste à conduire les enfants à la
découverte de lois ou de notions. Pour beaucoup d’entre eux,
ce qui est compris est acquis. Peut-être pareil adage peut-il s’ap-
pliquer aux connaissances déclaratives ? Il n’est assurément pas
valide en ce qui concerne les connaissances procédurales ; celles-
ci demandent de l’exercice ou mieux de l’automatisation.
Avec la psychologie cognitive contemporaine, on accepte de
distinguer les traitements contrôlés qui reposent sur l’interpréta-
tion de connaissances déclaratives et les traitements automatisés
qui supposent la mobilisation de connaissances procédurales, il
convient d’examiner quelle place réserver aux uns et aux autres.
La question est d’importance. Elle demande assurément qu’on
en saisisse parfaitement les enjeux et, donc, que l’on cerne claire-
ment les avantages et inconvénients de chaque mode d’interac-
tion avec notre environnement. Les traitements contrôlés sont
lents et coûteux. Leur mise en œuvre suppose un effort de la part
du sujet. Ils sont en outre inhibiteurs car leur activation gêne
la mise en œuvre d’autres traitements d’informations possibles.
Ils permettent cependant d’exercer un contrôle, notent Daniel
Gaonac’h et Jean-Michel Passerault2, puisque le sujet peut éviter
volontairement l’activation des processus de traitement contrô-
lés. Au contraire, les traitements automatisés sont irrépressibles
et il n’est pas possible de ne pas les exécuter lorsque les condi-
tions externes de leur déclenchement sont remplies. Cependant,
ils sont rapides, peu coûteux et non inhibiteurs d’autres traite-
ments qui peuvent s’effectuer en parallèle : on peut par exemple
parler ou écouter de la musique tout en conduisant.

2- D. Gaonac’h, C. Golder, « La psychologie cognitive », Profession enseignant : manuel


de psychologie pour l’enseignant, Hachette, 1995
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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

On constate les avantages des automatismes : rapides, peu


coûteux, ils déchargent la mémoire de travail. Dès lors qu’elle
dispose de procédures automatisées, la mémoire à long terme
peut produire des réponses. Dans les autres cas, les informa-
tions déclaratives stockées en mémoire à long terme doivent
transiter par la mémoire de travail qui, elle, va les traduire en
procédures d’action et permettre la production d’une réponse.
L’automatisation des procédures présente donc des avantages
importants au niveau du fonctionnement cognitif de tout indi-
vidu qui s’efforce de résoudre un problème : plus un sujet dispose
de procédures automatisées, plus il peut activer des éléments
de réponse sans charger la mémoire de travail et plus il peut se
concentrer sur les nœuds spécifiques du problème.
Cependant, les traitements automatisés réalisés avec un
minimum de conscience peuvent déboucher sur des erreurs plus
ou moins systématiques. Les recherches menées sur la maîtrise
et l’utilisation des algorithmes de calcul sont éclairantes à ce
sujet. Elles indiquent notamment que les erreurs systématiques
rencontrées dans les opérations sont principalement dues à une
sorte de mobilisation aveugle des traitements automatisés : tout
se passe comme si les enfants résolvaient les opérations sans
exercer sur leurs procédures ou leurs résultats un quelconque
contrôle sémantique.
Comment doter les élèves des automatismes que requièrent la
plupart des expertises humaines tout en les conduisant à exercer
le contrôle sémantique indispensable à une conduite réellement
intelligente ? Voilà un problème que la recherche en éducation
doit absolument résoudre. Il se pose dans la compréhension de
textes et, de manière générale, dans le domaine des apprentis-
sages mathématiques.

Pensée logique et pensée narrative


Pionnier avec d’autres de la révolution cognitiviste, J. Bruner
en souligne désormais les limites3. Sans rejeter complètement
cette approche, il plaide pour l’intégration de ses apports les plus
significatifs dans ce qu’il appelle la psychologie culturelle.
3- J. Bruner, L’Éducation, entrée dans la culture, Retz, 1996.
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Les fondements de l’apprentissage

Selon lui, il faut partir du fait de base suivant : en partageant


un objet d’attention commun, des individus différents peuvent
élaborer une (ou des) signification(s) commune(s). Dans ces
moments de convergence de centration, s’effectuent des échanges
de significations marquées par la culture d’appartenance des uns
et des autres. Pour Bruner, il convient en effet de prendre tota-
lement en compte le caractère situé et perpétuellement évolutif
de la cognition humaine (Situated Cognition). Il renoue, dès lors,
avec le postulat épistémologique du constructivisme qui fait de
la réalité une élaboration de l’esprit humain confronté, avec ses
caractéristiques propres, à un environnement physique et social.
Pour Bruner, il existe deux voies principales par lesquelles
les êtres humains organisent et gèrent leurs représentations du
monde et, par conséquent, structurent leur expérience immé-
diate de ce monde. La première est principalement dévolue au
traitement des phénomènes physiques et correspond à la pen-
sée logico-scientifique, objet d’étude privilégié par Piaget. La
seconde, qualifiée de pensée narrative, est prioritairement orien-
tée vers les hommes et leurs problèmes. Nos sociétés industria-
lisées privilégient très largement la première catégorie de pensée
à laquelle correspond un mode propositionnel d’élaboration du
sens : les connaissances sont encodées de façon décontextualisée
et leur formulation théorique est régie par un système de règles
formelles. Pourtant, le genre narratif est essentiel tant pour la
cohésion d’une culture que pour la structuration des personnali-
tés individuelles. Son universalité suggère qu’il plonge ses racines
au plus profond de la spécificité de l’homme. Les récits symbo-
lisent les situations critiques typiques de la condition humaine,
tout en véhiculant un cadre logique. Une histoire, quelle qu’elle
soit, implique une action faite par un agent dans un certain cadre
et à propos de laquelle s’expriment des attentes qui peuvent être
déçues ou satisfaites et, éventuellement, modifiées en cours de
route. Le narrateur peut opposer ce qui est advenu à ce qui aurait
pu se passer si…, sollicitant ainsi un raisonnement hypothétique
de la part du lecteur. Il peut encore souligner les relations pro-
blématiques entre intentions et actions et, plus généralement,
mettre en scène la vie intérieure d’un autre, offrant ainsi au

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

lecteur la possibilité de confronter son soi à un autre soi à la fois


impersonnel et si proche. Les récits répondent à une nécessité
culturelle et psychologique. Ils sont le reflet des modes de vie
propres à une époque, tout en anticipant le plus souvent sur leur
transformation. Les héros de Shakespeare, Stendhal ou Flaubert
sont l’incarnation de thématiques qui participent autant à la
construction culturelle de notre civilisation que le sont les lois
de Newton ou la théorie d’Einstein. Certes, le genre narratif ne
satisfait pas les mêmes nécessités psychologiques que le mode
propositionnel ; il n’en est pas pour autant moins important. Au
contraire, la narration est probablement la façon la plus précoce
et la plus naturelle avec laquelle l’être humain organise son expé-
rience. Donner du sens au monde est d’abord le fruit d’un trai-
tement interprétatif ; c’est seulement dans un second temps que
le sujet s’efforce de se doter d’un cadre explicatif.

Marcel Crahay
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PEUT-ON APPRENDRE À APPRENDRE ?
MÉTACOGNITION : UN TOUR D’HORIZON

V ous avez décidé de vous remettre à l’anglais ou d’ap-


prendre l’italien. Pour ce faire, vous préférez vous ins-
crire à un cours collectif plutôt que travailler seul chez vous.
Deux raisons vous poussent à privilégier cette démarche : d’une
part, la méthode du dialogue en situation vous semble plus effi-
cace que l’approche livresque trop abstraite. D’autre part, en
vous inscrivant à un cours collectif, vous vous imposez une dis-
cipline que vous n’êtes pas sûr de suivre en étant seul. Comme
M. Jourdain faisait de la prose, vous faites de la métacognition
sans le savoir.

La métacognition : définition et approches


La métacognition, dans son acception la plus générale, est
la « connaissance que l’on a de ses propres processus cogni-
tifs » selon la définition canonique du psychologue John Flavell
(1976), l’un des pionniers des recherches sur le sujet1. Nous fai-
sons de la métacognition donc quand nous cherchons une bonne
méthode d’apprentissage. La métacognition est donc un terme
complexe qui désigne une idée simple : apprendre à apprendre.
Les études sur la métacognition ont connu un essor impor-
tant dans le domaine de l’éducation et des sciences cognitives ces
vingt dernières années. Pour simplifier, on peut distinguer deux
grandes approches de la métacognition en éducation.
Il y a tout d’abord les méthodes dites de « remédiation cogni-
tive » ou « d’éducabilité cognitive ». Elles visent à améliorer les
capacités cognitives de personnes ayant des troubles acquis
(comme par exemple des troubles de l’attention). Ces méthodes

1- J. Flavell, « Metacognitive aspects of problem-solving », in L. Resnick (dir.), The


Nature of Intelligence, Lawrence Erlbaum Associates, 1976.
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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

consistent généralement à faire exécuter des exercices destinés à


stimuler des fonctions déficitaires ou mal adaptées, un peu sur le
principe de la rééducation physique.
L’autre approche de la métacognition est plus pragmatique :
elle vise plus à enseigner aux élèves et étudiants de bonnes
méthodes de travail – prise de notes efficace, gestion du temps,
lutte contre le stress avant les examens, etc.
Enfin, la notion de « métacognition » tend à désigner
aujourd’hui dans les sciences cognitives toutes les formes de
connaissance réflexives qu’un individu a de lui-même ou de ses
propres processus mentaux. Par exemple, lorsque vous apprenez
à conduire une voiture et à passer les vitesses, vous devez d’abord
vous concentrer sur les consignes (« première vitesse en haut et
à droite ») puis répéter mentalement le mouvement avant de
l’exécuter. Ces processus mentaux de visualisation, de concen-
tration et de contrôle conscient de ses mouvements sollicitent le
lobe frontal. Tous ces processus cognitifs complexes (attention,
self-control, réflexion, visualisation mentale) relèvent de la méta-
cognition. En bref, pour apprendre à exécuter une tâche com-
plexe, vous devez vous concentrer sur ce que vous faites et sur la
manière de le faire : ce n’est qu’avec l’exercice que le passage de
vitesse devient un processus mental automatisé n’exigeant plus de
contrôle réflexif. Cela vaut pour l’apprentissage de la conduite,
de la lecture ou de la maîtrise d’un clavier d’ordinateur.

Peut-on rééduquer l’intelligence ? : les méthodes


d’éducabilité cognitive
Peut-on apprendre à un élève en difficulté, ou qui souffre d’un
déficit intellectuel, à « mieux penser » et acquérir des stratégies
mentales qui vont lui permettre d’apprendre, de comprendre,
d’accéder à l’appréhension de problèmes auquel il n’avait pas
accès jusque-là : Oui, répond Reuven Feuerstein, un pédagogue
israélien qui a mis au point une méthode : le programme d’enri-
chissement instrumental (PEI), destiné au départ à venir en aide
aux élèves en difficulté.
R. Feuerstein pense qu’il est possible d’augmenter le poten-
tiel intellectuel des élèves à l’aide d’exercices écrits ou oraux,

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Peut-on apprendre à apprendre ?

destinés à entraîner certaines compétences (concentration, rai-


sonnement, autonomie, maîtrise de soi, etc.). Au fil des exercices
et sous l’impulsion d’un médiateur, qui l’encourage, l’enfant est
censé acquérir ainsi des démarches mentales qui lui permettront
de réaliser des tâches de plus en plus difficiles et abstraites. Une
fois qu’il aura assimilé et entraîné son esprit à certains exercices
intellectuels, il lui sera possible de les transférer à d’autres tâches.
Le PEI de R. Feuerstein fait partie d’une panoplie de métho-
des dites d’éducabilité cognitive (ou de remédiation) qui ont
fleuri depuis les années  1980, portées par la vague cognitive
en éducation (et qui met les stratégies mentales au cœur de la
réussite). Il y a eu tout d’abord une première vague au sein de
laquelle on peut citer les méthodes Logo de Samuel Papert, les
ateliers de raisonnement logique (ARL) d’inspiration piagé-
tienne, la gestion mentale d’Antoine de la Garanderie ; le PEI
de R. Feuerstein appartient à cette première vague. Depuis
les années 2000, une seconde vague de méthodes est apparue
comme le Tools of the mind (voir encadré) ou le modèle Réflecto
de Pierre-Paul Gagné.
Si elles ont suscité l’enthousiasme des pédagogues, les métho-
des d’éducabilité cognitive ont tout d’abord été perçues avec
plus de réserves par les chercheurs en psychologie. Le PEI du
professeur Feuerstein avait fait l’objet, dans les années  1990,
d’une évaluation rigoureuse par des chercheurs français de
l’Inetop2. Leurs résultats étaient loin d’être à la hauteur des ambi-
tions affichées. Certes, les exercices intensifs amélioraient les
compétences des enfants dans l’exécution des exercices considé-
rés (semblables à des tests de QI), mais ces performances accrues
n’étaient ni durables, ni transférables à d’autres domaines.
Concrètement, cela signifie que si on s’entraîne à passer des tests
d’intelligence, on va sans doute pouvoir faire grimper son QI,
mais cela ne signifie pas que l’on soit devenu plus intelligent
pour autant : on est simplement devenu plus performant dans la
passation des tests !

2- E. Loarer et al., Peut-on éduquer l’intelligence ? L’évaluation d’une méthode d’éducation


cognitive, Peter Lang, 1995.
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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

La plupart des autres méthodes de remédiation et d’éduca-


bilité cognitive ayant fait l’objet d’évaluation donnent toujours
des résultats mitigés : il est très difficile en effet de faire la part
entre les bénéfices propres d’une démarche et les effets liés à l’in-
vestissement important d’éducateurs mobilisés auprès de petits
groupes d’enfants. Ces résultats n’ont pas empêché le PEI de
prospérer dans de nombreux pays.

Peut-on booster sa mémoire ?


Étendre sans fin les possibilités de sa mémoire est un rêve très
ancien. Dès l’Antiquité, à l’époque où il n’avait ni stylo, ni carnet
de notes, ni ordinateur et où l’écriture n’était pas si répandue, se
sont développés les premiers « arts de la mémoire ». Ainsi, des
auteurs grecs ou romains, tels que Cicéron ou Quintilien, avaient
élaboré des techniques de mémorisation reprises et perfection-
nées au Moyen Âge par une foule d’auteurs, fondées notam-
ment sur la « méthode des lieux » (loci). Le procédé consistait à
imaginer une architecture (un monument ou une ville) compo-
sée de multiples lieux – allées, salles, couloirs, galeries, entrées.
Une fois ces lieux « visualisés », il s’agissait de déposer à chaque
endroit une information particulière : le verset d’un psaume,
par exemple, ou l’extrait d’une œuvre classique. Le processus de
remémoration consistait alors à se promener visuellement dans
ces lieux où l’on pouvait donc retrouver chacun des éléments qui
y avaient été déposés. Le moine Johannes Romberch suggérait
de prendre une abbaye imaginaire comme support de mémoire.
Raymond Lulle, lui, avait déposé ses connaissances sur un arbre
du savoir – arbor scientiae – où chaque branche et chaque racine
pouvaient supporter leur lot de connaissances. L’Italien Giulio
Camillo avait inventé un « théâtre de la mémoire », où les loges
étaient organisées en sept rangées, chacune située derrière un
pilier (les sept piliers de la sagesse) ; chaque loge abritait son lot
de précieux savoirs.
Grâce à ces techniques, et par un entraînement régulier, cer-
tains parvenaient à des prouesses mnémotechniques. Pierre de
Ravenne, qui a vécu au xve siècle, s’était constitué mentalement
des milliers de lieux de mémoire. Il pouvait réciter par cœur les

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Peut-on apprendre à apprendre ?

Évangiles, des traités de droit canon, et pas moins de deux cents


discours de Cicéron… Les techniques visuelles de la mémoire
tenaient à l’époque une part essentielle dans l’enseignement.
Elles faisaient partie intégrante de la rhétorique ancienne.
Avec le développement de la psychologie scientifique, les
psychologues ont cherché à élaborer des techniques de mémo-
risation efficaces. À la fin du xixe siècle, l’Allemand Hermann
Ebbinghaus avait découvert les bénéfices de l’apprentissage dis-
tribué sur l’apprentissage massé. Autrement dit, pour apprendre
une leçon, il vaut mieux diviser l’apprentissage en plusieurs
séquences séparées par des laps de temps plutôt que tout concen-
trer sur une séance. Ainsi, trois séances de vingt minutes valent
mieux qu’une heure d’apprentissage en continu, même si la
durée est la même.
En 1908, l’Américain Robert Yerkes a établi un principe
général (dit « loi de Yerkes-Dodson ») qui montre que la perfor-
mance à une tâche croît en fonction de la motivation du sujet :
plus on est motivé, mieux on réussit. En revanche, si la moti-
vation est trop forte et dépasse un certain seuil, alors la per-
formance décroît. Par la suite, les psychologues ont confirmé
qu’en matière d’apprentissage, la motivation compte beaucoup.
Et quand on ne possède pas de motivation intrinsèque pour exé-
cuter une tâche rebutante (le dégoût des maths ou de la géogra-
phie), il est bon de chercher des motivations différées (se fixer un
défi personnel). C’est une façon de ruser avec ses motivations.
La mémoire est aussi reliée au « sens ». Dans les années 1930,
le psychologue britannique Frederic Bartlett avait montré aussi
que la mémoire n’était pas un simple enregistrement brut de
données : la mémoire humaine (à la différence de l’ordinateur)
tend à réorganiser les souvenirs selon des schémas cohérents
ou connus, d’où la tendance à déformer la réalité pour les faire
entrer dans les moules mentaux connus. Mémoriser, c’est donc
souvent faire entrer les souvenirs dans des schémas mentaux sim-
plifiés destinés à leur donner un sens et une cohérence. Mais
l’intégration des données dans un schéma mental cohérent et
destiné à « donner du sens » n’est pas toujours possible. Durant
les études de médecine par exemple, quand il s’agit d’apprendre

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

le trajet d’un nerf ou d’une veine, il n’y a pas de logique sous-


jacente. De même, la recherche du sens n’est pas forcément une
panacée lorsqu’il s’agit d’apprendre l’orthographe et la gram-
maire françaises où l’arbitraire règne en maître.
Apprendre enfin, c’est aussi savoir oublier. Non seulement on
sait que la mémoire exige une part d’oubli pour ne garder que
les éléments principaux, mais on sait aussi que les apprentissages
supposent de tracer des voies dans le cerveau, en élaguant au
passage des chemins de connaissance qui viendraient brouiller
les cartes de l’intelligence s’ils étaient trop nombreux. Pour tra-
cer ces circuits dans le cerveau (de l’apprentissage de la conduite
automobile à celui d’une langue étrangère), il faut aussi acqué-
rir des automatismes, et donc limiter le nombre de solutions
possibles à un problème. Apprendre, c’est paradoxalement aussi
fermer certaines portes de l’esprit : simplifier, automatiser, routi-
niser certaines routes mentales afin de ne pas se perdre dans les
méandres des possibles.

Jean-François Dortier

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Peut-on apprendre à apprendre ?

Tools of the mind :


une méthode miracle pour la réussite scolaire ?
« Des enfants entrant à l’école primaire avec de bonnes fonctions exé-
cutives auront davantage de facilité à apprendre à lire, à écrire et à compter.
D’où l’intérêt d’entraîner ces fonctions dès le plus jeune âge, à l’aide de
méthodes pédagogiques spécifiques. »
Pour Adele Diamond, professeure à l’université de Vancouver, l’entraî-
nement précoce des fonctions exécutives serait la clé de la réussite sco-
laire. Les fonctions exécutives désignent en neurosciences les opérations
mentales de la mémoire de travail impliquant l’attention et le self-control,
sollicités dans nombre d’apprentissages scolaires. Pour A. Diamond, il est
possible pour les enfants d’exercer leur mémoire de travail grâce à un pro-
gramme éducatif nommé Tools of the mind (outils de l’intelligence).
Ce programme a été conçu par deux chercheurs américains, Elena
Bodrova et Deborah Leong, qui se sont inspirées des travaux de deux
célèbres psychologues russes : Lev Vygotsky et Alexandre Luria. L. Vygotsky
est connu pour sa théorie de l’intelligence sociale. Il accorde un grand rôle
aux interactions sociales dans le développement de l’intelligence. A. Luria
est un pionnier des travaux sur le rôle du lobe frontal.
Tools of the mind repose sur le principe du jeu de rôle (jouer à la maî-
tresse et l’élève). Par exemple, deux camarades de classe doivent tour à tour
écouter une histoire lue par l’autre, puis la lire à leur tour. Au début, les
petits ont du mal à respecter la consigne (se contenter d’écouter). Mais avec
l’entraînement, ils parviennent à concentrer leur attention sur la consigne.
La pratique régulière de ce type d’exercices améliorerait nettement les fonc-
tions exécutives (capacité de concentration et mémoire de travail) et plus
généralement les résultats scolaires, selon A. Diamond qui a réalisé des éva-
luations de la méthode.
À noter que cette méthode est en fait un savant mélange de métaco-
gnition (apprendre à respecter une consigne), d’apprentissage social (obser-
vation et interaction avec les camarades) et de méthode actives : Tools of
the mind accorde beaucoup de place aux jeux, aux activités artistiques et
même à la récréation (le temps du repos). Dès lors, il est bien difficile de
savoir quel est le facteur déterminant de cette méthode censée « améliorer
considérablement la réussite scolaire des enfants ».

A. Diamond, « Apprendre à apprendre », Les Dossiers de la recherche, n° 34, février 2011.


A. Diamond et al., « Preschool program improves cognitive control », Science, vol.
CCCXVIII, n° 5855, 30 novembre 2007.

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

Entraîner sa mémoire : une illusion ?


John Basinger a décidé en 1993, alors qu’il avait cinquante-huit ans,
d’apprendre par cœur Le Paradis perdu, un très long poème épique de
60 000 mots (environ 200 pages) du poète anglais John Milton (1608-
1674), qui raconte l’histoire d’Adam et Ève. Au bout de neuf ans d’effort à
raison de plusieurs heures de mémorisation par jour, J. Basinger est arrivé
au but. Il put alors monter son spectacle, qui récite l’œuvre dans son inté-
gralité, divisée en trois parties et présentée sur trois jours.
Les performances de J. Basinger ont attiré l’attention de psychologues
de l’université du Connecticut, aux États-Unis, qui se sont saisis de ce cas
pour étudier la mémoire des personnes âgées. J. Basinger a été soumis à
une batterie de tests. Les chercheurs ont aussi testé la mémoire ordinaire
de J. Basinger, pour savoir s’il avait un talent exceptionnel. Il est apparu
qu’en dehors de l’œuvre de J. Milton, la mémoire de J. Basinger n’avait rien
d’exceptionnel pour un homme de son âge.
En conclusion, selon les chercheurs, il est toujours possible de mémori-
ser et d’apprendre des choses nouvelles même à une période de la vie où se
produit normalement un déclin des capacités. Mais rien n’indique que cette
performance l’a doté d’une mémoire hors du commun : il a obtenu, grâce
à l’entraînement, à sa motivation et à une implication totale, un résultat
extraordinaire.
Moralité : quel que soit l’âge, on peut toujours apprendre du nouveau
à 86 ans. Georges Dumézil avait entrepris d’apprendre une langue du
Caucase en voie de disparition, mais cela ne signifie pas dire que les capaci-
tés générales de mémorisation s’en trouvent décuplées.

J.-F. D.

J. Seamon, P. Punjabi, E. Busch, « Memorising Milton’s Paradise Lost. A study of a


septuagenarian exceptional memoriser », Memory, vol. XVIII, n° 5, 2010.
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ENQUÊTE SUR
LA NEUROPÉDAGOGIE

L e développement des sciences cognitives, notamment


l’imagerie cérébrale, permet de mieux connaître les fonc-
tionnements du cerveau. Ces sciences peuvent-elles être un nou-
veau tremplin pour l’apprentissage et l’enseignement ?
Qu’est-ce que la neuropédagogie ? Si l’expression soulève
l’enthousiasme de certains chercheurs, le terme inspire plutôt
mystère, crainte ou perplexité pour beaucoup d’enseignants et
de parents. À l’ère des neurosciences triomphantes, où chaque
jour apporte de nouvelles découvertes sur le fonctionnement
du cerveau, on se prendrait même à imaginer une classe où
toutes les têtes seraient dotées d’électrodes, sous la surveillance
de quelques scientifiques en blouse blanche qui enverraient
des décharges pour stimuler l’élève qui bute sur son problème
d’arithmétique, ou recadrer la concentration de celui qui se
serait évadé dans une quelconque activité onirique. Mais trêve
de délires à la Huxley…
Si la « neuropédagogie » semble être un bon label pour obte-
nir des crédits dans la recherche, existe-il de nouvelles pratiques
pédagogiques directement inspirées par les recherches en neu-
rosciences ? L’affaire est en fait un peu plus compliquée. Depuis
une vingtaine d’années, les neurosciences ont connu un essor
considérable grâce au développement de l’imagerie cérébrale et
de la neuropsychologie.
Avec l’équipe du pôle NeuroSpin de Saclay, par exemple,
le psychologue Stanislas Dehaene, professeur au Collège de
France, a pu mettre en évidence la manière dont le cerveau
humain reconnaît l’écriture et permet ainsi l’apprentissage de

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

la lecture1. En comparant le cerveau de bons lecteurs à celui de


personnes illettrées, ces recherches ont également montré qu’ap-
prendre à lire induit des modifications de l’anatomie et de l’acti-
vité cérébrale, qui jouent en retour sur la qualité du langage oral.
Démontrer que le cerveau se transforme en apprenant n’est pas
l’une des moindres avancées de ces dernières décennies.

Observer le cerveau qui apprend


De son côté, le psychologue Olivier Houdé, chercheur à
l’université Paris-V, s’intéresse aux stratégies d’apprentissage.
Émule du grand psychologue Jean Piaget (1896-1980), consi-
déré comme l’un des premiers explorateurs de la cognition et
dont les travaux ont fait longtemps référence, il estime que ce
dernier n’avait pas tenu compte, dans sa théorie du développe-
ment de l’intelligence, de la capacité d’inhibition qui permet
d’éviter les erreurs de raisonnement. Pour lui, cette capacité
n’apparaît que progressivement dans le développement cogni-
tif de l’enfant. C’est grâce à l’imagerie cérébrale qu’O. Houdé
a pu confirmer cette hypothèse, en montrant que cette capa-
cité s’activait (ou non) dans le cortex préfrontal2. Par exemple,
explique-t-il, dans une célèbre tâche inventée par Piaget, on pré-
sente à l’enfant d’école maternelle, sur une table ou sur un écran
d’ordinateur, deux alignements de jetons de même nombre, 6 à
8 selon les cas, et de longueur différente (l’espace occupé sur la
table ou l’écran). Si l’on demande aux enfants de comparer les
quantités, ils se trompent et répondent qu’« il y a plus de jetons
là où c’est plus long ».
J. Piaget pensait que l’enfant d’école maternelle ne maîtrisait
pas encore la notion de nombre, qu’il n’avait pas atteint le stade
logico-mathématique correspondant. « On a pu démontrer au-
jourd’hui, explique O. Houdé, grâce à l’imagerie cérébrale, que
ce qui fait défaut au jeune enfant, ce n’est pas le nombre en tant
1- S. Dehaene (dir.), Apprendre à lire. Des sciences cognitives à la salle de classe, Odile
Jacob, 2011. Voir aussi encadré page 51.
2- Voir O. Houdé et al., « Functional MRI study of Piaget’s conservation-of-number
task in preschool and school-age children. A neo-Piagetian approach   », Journal of
Experimental Child Psychology, vol. CX, n° 3, novembre 2011, et « Number conservation
is related to children’s prefrontal inhibitory control. An fMRI study of a Piagetian task  »,
PLoS ONE, 16 juillet 2012.
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Enquête sur la neuropédagogie

que tel, mais la difficulté de son cortex préfrontal à inhiber la


réponse automatique et erronée “longueur égale nombre”. Que
faire quand l’explication logique ne suffit pas à l’école ? Il s’agit
d’apprendre aux élèves à inhiber leurs automatismes erronés de
raisonnement pour changer de stratégie au cas par cas. »
Cependant, pour mieux comprendre la manière dont on
apprend, ces observations doivent dialoguer avec l’ensemble des
recherches en psychologie cognitive, comportementale, sociale,
et en linguistique… C’est d’ailleurs ce que la plupart des cher-
cheurs entendent lorsqu’ils parlent de « neuropédagogie ».
Pour Michel Fayol par exemple, chercheur à l’université de
Clermont-Ferrand qui a travaillé sur de nombreuses expérimen-
tations dans les classes, ce sont surtout des dispositifs expérimen-
taux s’appuyant sur l’analyse du comportement des élèves et des
performances réalisées qui peuvent permettre de faire progresser
la pédagogie. Même si, mentionne-t-il à l’instar de beaucoup
de chercheurs, la France accuse un retard, notamment sur les
pays anglo-saxons, de nombreux laboratoires (Aix-Marseille,
Poitiers, Grenoble, Dijon ou Rennes…) s’adonnent à ce genre
de recherches. Les uns s’intéressent à des champs disciplinaires
(la lecture, le calcul, la géométrie…), d’autres travaillent sur
ce que les chercheurs appellent les « fonctions exécutives » du
cerveau : comment améliorer la mémoire de travail, comment
mobiliser ses ressources attentionnelles, comment organiser
les informations ? Comment, en fait, améliorer les capacités
d’apprentissage ?
Ainsi explique M. Fayol, « pour entraîner la mémoire de tra-
vail visuelle, de petits dispositifs (sur écran) obligent à mémori-
ser de plus en plus d’éléments. Et l’on constate aujourd’hui que
l’amélioration des performances obtenues par ce genre d’exer-
cice n’est pas seulement le fait d’un apprentissage, mais permet
d’augmenter les capacités de mémoire de travail de manière
transférable et généralisable3. »

3- Voir A. Diamond et al., « Preschool program improves cognitive control  », Science,
vol. CCCXVIII, n° 5855, 30 novembre 2007, et A. Diamond et K. Lee, « Interventions
shown to aid executive function development in children 4 to 12 years old  », Science, vol.
CCCXXXIII, n° 6045, 19 août 2011.
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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

À Grenoble, explique pour sa part Édouard Gentaz, cher-


cheur au Laboratoire de psychologie et neurocognition (LPNC)
de l’université Grenoble-II, des ateliers cognitifs ont été mis en
place dans des classes de seconde sur la métacognition, pour
aider les élèves à mieux comprendre comment ils fonctionnent
et à améliorer leurs performances.
Ces programmes foisonnent sur le continent nord-américain,
où les capacités de financement sont importantes et les centres
de recherche nombreux. Ainsi, depuis quelques années aux
États-Unis, des enseignants mettent en œuvre dans des classes
de maternelle un programme nommé Tools of the mind (enca-
dré p. 31). Dûment évalué dans plusieurs classes, ce programme
améliore considérablement la réussite scolaire des enfants en leur
proposant des exercices à base de jeux éducatifs destinés à exer-
cer leur concentration et leur mémoire de travail. Par ailleurs,
de très nombreuses études mettent en avant le bienfait des arts
plastiques, de la musique, de l’éducation physique ou des arts
martiaux pour aider à la régulation des émotions, aux capacités
de concentration, à favoriser l’apprentissage.

Dans la réalité de la classe


En réalité, nombre de ces expérimentations aboutissent à
des conseils de simple bon sens qu’appliquent intuitivement et
depuis longtemps beaucoup d’enseignants expérimentés (véri-
fier que les enfants ont assez de sommeil, favoriser l’attention
en distribuant des activités au cours de la journée…). Ils sont
aujourd’hui vérifiés par les recherches. Ainsi, des études ont été
menées au LPNC-Grenoble sur le rôle du toucher pour aider les
enfants de grande section de maternelle à reconnaître les lettres
(« Toucher pour apprendre »)4. Une technique initiée au début
du xxe siècle par la pédagogue Maria Montessori, qui prônait
déjà l’usage d’une méthode multisensorielle (incluant le corps et
le toucher) dans les apprentissages fondamentaux… Alors, qu’en
est-il de toutes ces expérimentations dans la réalité d’une classe
qu’il faut faire fonctionner, avec toutes les contraintes inhérentes

4- Les travaux du LPNC sont consultables sur le site d’Édouard Gentaz : http://webu2.
upmf-grenoble.fr/LPNC/LpncPerso/Permanents/EGentaz/web
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Enquête sur la neuropédagogie

à l’hétérogénéité des élèves, l’exécution des programmes, les exi-


gences horaires… ?
Là semble résider un certain bug. D’une part, font remarquer
beaucoup de chercheurs, très peu d’enseignants connaissent ces
recherches ; ils ne sont en général pas formés pour les appliquer
avec leurs élèves. D’autre part, ces recherches, si elles font pro-
gresser la connaissance du fonctionnement cognitif, sont peu
souvent transférables en situation de classe et généralisables au
plus grand nombre. Les techniques utilisées par les enseignants
sont le plus souvent issues de la pratique au quotidien : « Il vaut
mieux penser que les buts des techniques pédagogiques et ceux
des recherches scientifiques en éducation diffèrent : le but de la
pédagogie est d’élaborer des techniques qui fonctionnent, alors
le but des recherches scientifiques est non seulement d’évaluer
scientifiquement les effets de ces techniques mais aussi de com-
prendre, expliquer, éventuellement prédire ou simuler comment
ces techniques peuvent fonctionner », écrit É. Gentaz sur le site
du LPNC.
Les deux approches ne s’alimentent donc que rarement. À
une exception près : la lecture. Nous disposons maintenant,
écrit S. Dehaene, d’« une véritable science de la lecture ». Dans
le monde entier, on fait aujourd’hui un travail d’entraînement
systématique favorisant le décodage et la compréhension.
É. Gentaz, qui fait également partie de l’équipe NeuroSpin,
ajoute ainsi : « En France, les recherches récentes sur la lecture
commencent réellement à influencer les pratiques pédagogiques.
Tout le travail massif d’entraînement systématique de la phono-
logie, l’entraînement en maternelle sur la correspondance gra-
phèmes-phonèmes, sont directement inspirés de la psychologie
et de la linguistique cognitive. » Il faut mentionner un autre
domaine dans lequel les techniques des neurosciences – l’image-
rie cérébrale et les électroencéphalogrammes – peuvent venir au
secours de l’apprentissage : celui des enfants atteints d’un handi-
cap comme la dyslexie ou la dyscalculie. Aujourd’hui, dans plu-
sieurs laboratoires, on scanne le cerveau d’enfants dyslexiques,
avant et après un entraînement classique, pour voir les amé-
liorations, les effets de la remédiation. « Les chercheurs aiment

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

trouver une signature cérébrale du déficit », explique É. Gentaz,


tout en précisant évidemment que ces actions portent sur de
petits nombres d’enfants et hors de situations de classe.
Si neurosciences et sciences cognitives apportent des connais-
sances nouvelles sur le fonctionnement du cerveau, reste la ques-
tion de savoir comment en user dans l’éducation. Pour l’heure,
la neuropédagogie prospère plutôt dans les laboratoires que dans
les salles de classe…

Martine Fournier

Des sciences de l’éducation…


à la neuropédagogie
Neurocognition, neuropsychologie, neuroéconomie, neuromarke-
ting… Avec l’essor des sciences cognitives, nous sommes entrés dans la
galaxie neuro. Accoler le préfixe « neuro » à un domaine de recherche est
devenu aussi bien une mode qu’un label qui attesterait de la scientificité du
programme. Dans la recherche en éducation, la neuropédagogie est venue
supplanter l’appellation « sciences de l’éducation », celles-ci ayant perdu de
leur aura au fil des ans.
Au pied de la lettre, l’appellation « neuropédagogie » désigne les
recherches en éducation fondées sur les sciences cognitives (neurosciences,
psychologie cognitive) ou en linguistique. Mais on leur associe bien sou-
vent de la psychologie sociale, voire des ingrédients venus de la psychana-
lyse ou aussi de la sociologie. Munis du préfixe « neuro », les programmes
de recherche sur l’éducation sont devenus plus attractifs pour les décideurs,
explique un chercheur. Le problème, c’est que le terme fait peur dans le
grand public et auprès des enseignants, qui voient dans la neuropédagogie
des visées à peine subliminales de formatage ou de médicalisation du cer-
veau. C’est pourquoi l’Éducation nationale a lancé un vaste programme
d’information intitulé « Sciences cognitives et apprentissages ».

M.F.
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ET SI L’ÉCOLE
RENDAIT INTELLIGENT

I l est intelligent, ce petit, il apprend bien à l’école », « Il


n’est pas très intelligent, le pauvre, il a du mal à l’école ».
Une opinion très répandue est que la réussite scolaire dépend de
l’intelligence. Et si c’était le contraire ? Et si c’étaient les connais-
sances scolaires qui rendaient plus ou moins intelligent ?
Admettons que l’intelligence se manifeste par la capacité
d’analyser, de comprendre et de répondre de façon adaptée aux
situations auxquelles on est confronté. Un individu qui n’a suivi
que la scolarité obligatoire a été confronté pendant douze ans
de sa vie à des situations d’apprentissage dans lesquelles on lui a
expliqué ce qu’il devait savoir. Cette durée passe à vingt ans au
minimum pour le titulaire d’un master. Peut-on imaginer que
cette somme considérable de connaissances n’a aucune influence
sur la façon dont nous analysons, comprenons les situations et
sur la façon dont nous y répondons ?
On a pu aussi considérer, comme le rappelle par exemple
Jacques Grégoire1, que les différences individuelles d’efficience
intellectuelle pouvaient être dues à des fonctions générales
comme la vitesse de traitement et la capacité de la mémoire
de travail. Les recherches qui ont comparé les « experts » et
les « novices » dans différents domaines montrent que les pre-
miers sont plus rapides que les seconds et que la capacité de leur
mémoire de travail est supérieure. Or qu’est-ce qui les distingue
sinon leurs connaissances qui font précisément que les uns sont
experts et les autres novices ?
Cependant, si l’on admet cette relation, en quelque sorte
inversée, entre intelligence et réussite scolaire, le problème de
1- J. Grégoire, « Quel avenir pour l’intelligence ? », Communication au colloque
« Intelligence de l’enfant », Paris, 6-8 octobre 2005. Voir aussi L’Intelligence de l’enfant,
éditions Sciences Humaines, 2009.
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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

savoir pourquoi certains apprennent facilement et d’autres plus


difficilement reste entier. Les recherches récentes en psychologie
cognitive commencent à lever le voile sur cette énigme. Elles
mettent notamment en évidence la diversité des démarches
employées par les individus (et donc les élèves) et le rôle déter-
minant de leurs représentations pour élaborer leurs propres stra-
tégies d’acquisition de connaissances. Ce facteur, souvent ignoré
par les éducateurs, semble constituer un élément essentiel pour
une meilleure compréhension de la (non-) réussite scolaire et
des différentes évaluations qui sont faites des élèves, aussi bien à
l’école que dans la passation de certains tests destinés à évaluer
leur niveau.

L’interprétation périlleuse des réponses des élèves


Une conception classique de l’apprentissage scolaire peut être
résumée par le schéma suivant : l’enseignant explique la notion
à acquérir puis propose des exercices dits « d’application ». Si
l’élève donne les « bonnes réponses », on conclut que la notion
est acquise, sinon on considère qu’elle ne l’est pas et qu’il convient
de reprendre l’explication. Cette manière de faire est pourtant
déjà une source d’importants malentendus pédagogiques.
C’est ce que montre l’exemple des réponses de deux élèves au
test de Khomsi (voir encadré ci-après). La tâche demandée aux
enfants est de rayer les mots mal orthographiés. Deux fillettes
ont donné les réponses justes en barrant les quatre mots. Julie a
justifié sa réponse « correctement » mais Sophie donne une autre
explication. On a donc ici une réponse juste donnée à partir de
connaissances fausses. Il est évident que Sophie a d’importants
problèmes de lecture2.

2- Pour d’autres exemples de ce type, voir C. Bastien, M. Bastien-Toniazzo, Apprendre à


l’école, Armand Colin, 2004.
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Et si l’école rendait intelligent

Des réponses identiques


et des connaissances différentes
Exemple des réponses à un item du test de lecture de Khomsi
(ECPA, 1999)

téléqhone cenise horloche otomobile


Consigne : barrer les mots qui ne sont pas bien écrits.
Julie et Sophie (en CE2) barrent les quatre mots : réponse juste.
Mais quand on leur demande pourquoi elles ont rayé chacun des mots,
elles donnent les justifications suivantes (dans l’ordre des mots de gauche
à droite) :
Julie : « Téléphone il faut un “p”, cerise il faut un “r”, horloge c’est avec “g”,
automobile c’est avec “au”. »
Sophie : « Téléphone c’est avec “f ”, cerise c’est avec “se”, réveil c’est avec “r”,
voiture c’est un “v”. »

Symétriquement, des réponses apparemment fausses peuvent


provenir de connaissances justes que les élèves ne parviennent
pas à mettre en œuvre compte tenu des contraintes imposées par
la forme même de l’exercice. Les exercices « à trous » (voir page
suivante) en sont un bon exemple. La procédure la plus évidente
pour réaliser la tâche consiste à lire la première phrase et à par-
courir les mots de gauche à droite jusqu’à ce qu’on rencontre un
mot compatible avec la phrase, mot qu’on raye. On passe ensuite
à la deuxième phrase, etc. Dans l’exemple proposé, quand les
élèves lisent la deuxième phrase (« Maman fait cuire… »), le
mot « gigot » convient parfaitement. Quand ils parviennent à
l’avant-dernière phrase (« Maman achète un… »), les seuls mots
disponibles sont alors « poisson » et « chaise ». Tant qu’à faire,
poisson est moins invraisemblable que chaise, d’où leur réponse.

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

Contrairement à ce que pensait l’enseignante qui nous avait


soumis cet exemple, l’erreur ne provient pas d’un manque de
connaissance en vocabulaire : les élèves savent ce qu’est un bou-
cher et ce qu’est un poisson. Mais s’ils veulent se corriger, il faut
qu’ils redéfassent tout ce qu’ils ont fait (ce qui n’est pas facile) et
qu’ils trouvent une autre stratégie pour répondre ! Il suffit d’ail-
leurs, dans la ligne supérieure, d’inverser les places de gigot et de
poisson pour obtenir des réponses justes.

Un exercice à trous
livre/gigot/classeur/voiture/théâtre/poisson/chaise

Mon frère conduit sa…… chez le garagiste.


Maman fait cuire un……dans le four.
Pour mon anniversaire on m’a donné un beau……
Jérôme range son…… dans son cartable.
La maîtresse a emmené la classe au……
Maman achète un…… chez le boucher.
Elle est montée sur une…… pour voler les confitures.

Pour la phrase « Maman achète un…… chez le boucher », la très grande


majorité des élèves complètent avec le mot « poisson ».

Le rôle déterminant des connaissances antérieures


Si, comme on vient de le voir, l’interprétation des réponses
est une première source de malentendus sur les capacités de
l’élève, il en est une autre encore plus déterminante, semble-t-il,
qui est celle des connaissances que l’élève met en œuvre pour
aborder de nouvelles notions.
Classiquement dans l’enseignement, leur ordre de présenta-
tion est déterminé par une analyse didactique propre à la dis-
cipline enseignée, consistant à définir les « pré-requis » néces-
saires à l’acquisition de la notion nouvelle. Malheureusement cet
ordre « logique » ne correspond pas toujours à l’ordre « psycho-
logique » utilisé par l’enfant pour construire ses connaissances.

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Et si l’école rendait intelligent

En mathématiques par exemple, le concept de couple se défi-


nit comme « une paire ordonnée ». Cette définition incluant le
concept de paire, celui-ci doit être nécessairement présenté avant
le concept de couple. Or, chez l’enfant, ce qui est premier est le
couple. Si l’on dit à un enfant que « crayon, gomme », c’est la
même chose que « gomme, crayon », il dira : « Non, parce que là
le crayon est avant la gomme et là, la gomme est avant le crayon.
» Psychologiquement le couple précède la paire (la paire est un
couple sans ordre). On appellera « précurseur » une connais-
sance qui, psychologiquement, en précède une autre : dans cet
exemple, la paire est le pré-requis du couple, alors que le couple
est le précurseur de la paire.
Toute connaissance nouvelle prenant nécessairement appui
sur une connaissance antérieure, la difficulté vient alors de ce
que pour une même connaissance plusieurs précurseurs sont
potentiellement possibles et qu’il existe donc plusieurs chemi-
nements pour parvenir à la construction d’une connaissance
nouvelle. C’est pourquoi certaines erreurs peuvent provenir de
différences entre les précurseurs activés. Une recherche nous a
permis de le mettre en évidence à propos de l’apprentissage de la
comparaison de fractions dans une classe de CM2.
Avant qu’on ne leur donne la règle, un premier groupe
d’élève s’est livré à une comparaison partielle des numérateurs
ou des dénominateurs. D’autres élèves procédaient en tentant
d’additionner ceux-ci. Une certaine façon de présenter la notion
(comparaison combinée des numérateurs et des dénominateurs)
a permis un apprentissage réussi pour le premier groupe. En
revanche, si les autres échouaient avec cette méthode d’expli-
cation, ils ont réussi à acquérir la notion de comparaison des
fractions par la méthode du produit en croix.
Ce résultat a des conséquences pédagogiques importantes.
Imaginons un enseignant qui présente la méthode du produit
en croix : aux exercices d’application, la moitié de sa classe a de
bons résultats et l’autre moitié des résultats faibles. Comment
l’interpréter ? Puisque la moitié des élèves a bien compris, cela
signifie que ceux qui n’ont pas compris n’ont pas fait atten-
tion, qu’ils ont des difficultés à apprendre (« Ils ne sont pas très

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

intelligents…, ils ont trop regardé la télévision la veille… »).


Notre étude montre que si l’enseignant avait présenté directe-
ment l’application de la règle, ceux qui étaient bons devenaient
mauvais et inversement… S’il existe plusieurs cheminements
possibles dans la construction d’une connaissance, il ne saurait
donc y avoir une seule « bonne méthode » pour la faire acquérir.
Implicitement, les enseignants qui ont de l’expérience le savent
bien, qui multiplient (et non pas répètent) leurs explications et
leurs exemples. C’est ainsi que l’on peut expliquer les résultats
contradictoires des études sur les différentes méthodes d’acquisi-
tion de la lecture, par exemple, et la vanité des discussions, voire
des polémiques, à leur propos !

Représentations du monde et impact de la culture


Les représentations que se font les élèves du monde qui les
entoure peuvent également constituer des précurseurs qui faci-
litent ou invalident l’acquisition de nouvelles connaissances.
L’enseignement des sciences et notamment les recherches de
Monique Goffard et Annick Weil-Barais3 sur la conservation des
quantités de gaz en sont une bonne illustration.
La tâche proposée à des élèves de CM2, puis à des élèves
de 6e, 5e et 4e de collège consistait à comparer des quantités de
gaz (de l’air) avant et après diverses manipulations (chauffer ou
refroidir l’air d’un récipient, comprimer ou déprimer l’air…).
Pour les élèves les plus jeunes, la question de la conservation de
la quantité n’a même pas de sens car pour eux l’air n’est pas une
substance. Les réponses ensuite dépendent du type de manipula-
tion proposé : par exemple dans les situations de chauffage dans
un récipient clos, un tiers des élèves de 4e continue à estimer que
la quantité d’air est modifiée. Pour de nombreux élèves en effet,
la flamme qui chauffe le récipient introduit de la matière dans
ce récipient.
Les auteurs analysent l’évolution des réponses des élèves
comme un changement de représentation. La première, « événe-
mentielle », repose sur les actions effectuées et les transformations

3- M. Goffard et A. Weil-Barais (dir.), Enseigner et apprendre les sciences, Armand Colin,


2005.
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Et si l’école rendait intelligent

observées. Par exemple, quand on refroidit un tube fermé par une


membrane souple, la membrane se creuse. Elle reste dominante,
même chez les élèves les plus âgés. La seconde représentation est
d’ordre « conceptuel ». Elle consiste à expliquer, pour quelques
élèves, les situations en termes de grandeurs physiques (tempé-
rature, pression…) : quand la température augmente, le volume
augmente. Les réponses de conservation dépendent donc des
conceptions qu’ont les élèves de l’air, et d’une part des éléments
(flamme, glace…) qui interagissent avec lui, et d’autre part des
possibilités qu’ils ont de décrire les changements observés en
termes de variation de grandeurs physiques. Pour les auteurs, les
progrès se manifestent par le passage d’une lecture événemen-
tielle à une lecture conceptuelle. Mais ce progrès est limité par
la maîtrise des concepts physiques eux-mêmes. C’est pour cette
raison que l’enseignement peut contribuer au développement de
l’intelligence à la condition qu’il prenne en charge les représen-
tations que les élèves ont construites à partir du monde qui les
entoure et qui constituent ce que nous appelons des précurseurs
non scolaires.
On comprend mieux, alors, qu’un certain nombre de difficul-
tés dans les apprentissages scolaires puisse provenir de problèmes
culturels. Ceux-ci peuvent être de deux ordres : l’un, général, lié
à l’évolution même de la culture dans le temps, l’autre, plus indi-
viduel, lié à l’environnement culturel de l’élève.
Ainsi dans le cadre d’un mémoire de recherche mené par
des conseillers d’orientation psychologues en formation, un test
d’Échelle collective de développement logique a été proposé à
103 élèves de lycées d’enseignement général et technologique
(Inetop, 1988). L’un des exercices faisait appel à l’intersection de
deux ensembles, des jouets en vertical, des reliefs montagneux
en horizontal (voir ci-dessous). La réponse attendue était le mot
« ballon » qui est à la fois un jouet et un relief, donc à l’intersec-
tion des deux ensembles. La grande majorité des élèves a répondu
soit C (piolet) soit E (cime) et seule une infime minorité a donné
la bonne réponse. Avec l’évolution de l’enseignement de la géo-
graphie, rares en effet sont les élèves qui savent que les mon-
tagnes des Vosges se nomment des ballons, comme « le ballon

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d’Alsace ». Les réponses erronées ne proviennent donc pas d’un


défaut de raisonnement logique, comme le voudrait le test, mais
de l’absence d’une connaissance devenue obsolète.

L’item 8 de l’échelle collective de développement


logique (ECDL) (EAP, 1970)

Poupée A Ballon
Loto B Puzzle
Mont Pic ? Crête C Piolet
Tricycle Aiguille D Meccano
Dînette E Cime

Consigne : remplacer le point d’interrogation par la lettre correspondant au


mot qui devrait se trouver à cet emplacement.
Réponses majoritaires d’un ensemble d’élèves de classes de seconde :
C (piolet) ou E (cime). La réponse attendue était A (ballon).

Le poids de l’environnement culturel individuel, s’il est sans


doute mieux connu, n’en est pas moins important. Dans le cadre
de l’apprentissage de la lecture, une enseignante de CP avait pro-
posé une série de petits exercices. L’un d’entre eux consistait à
présenter sur une feuille de papier le dessin d’une maison suivi
de la phrase : « Colorie les volets de la maison en vert. » Une
petite fille avait colorié toute la maison en vert. « Cette enfant
a des difficultés de lecture, serait-elle dyslexique ? », a pensé la
maîtresse. Quand on a demandé à la fillette : « Tu sais ce que
veut dire “maison” ? », elle a montré le dessin. À la question :
« Tu sais ce que veut dire “colorie” ? », elle a désigné les crayons
de couleur ; À « Tu sais ce que veut dire “vert” ? », elle a mon-
tré le crayon vert ; À « Tu sais ce que veut dire “volets” ? », là
elle est restée muette. Dans cette classe de Zep, cette enfant de

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la cité proche de l’école n’était jamais sortie de son environne-


ment qui ne comportait aucun bâtiment muni de volets… Elle
a donc traité de la phrase ce qu’elle en comprenait, c’est-à-dire :
« Colorie (les volets de) la maison en vert. » Il ne s’agissait donc
pas d’un problème de lecture.
De nombreuses études ont été consacrées aux aspects socio-
culturels des conceptions et des mesures de l’intelligence.
Le Centre universitaire d’aide psychologique aux familles de
migrants (université de Paris-VIII) s’est investi dans la prise en
charge des enfants d’origines culturelles différentes. Plus préci-
sément, Claude Mesmin et Marième Ba-Sène ont analysé les
difficultés spécifiques que peuvent rencontrer les enfants de
migrants dans leur adaptation au système scolaire. Elles notent
que l’école propose une explication et une prise en charge déca-
lées par rapport aux causes réelles de ces difficultés. En parti-
culier, elles indiquent que le recours aux tests d’intelligence
adaptés à la population française conduit à la conclusion que
les enfants de migrants en difficulté d’apprentissage sont peu
ou pas intelligents et donc incapables de s’insérer dans la scola-
rité habituelle. Au-delà des connaissances, c’est tout un système
implicite de valeurs et de comportements qu’il leur faut assimi-
ler. L’expérience de ces auteurs montre qu’une prise en charge
globale et adaptée, non seulement de l’enfant mais aussi de sa
famille, constitue une aide efficace4.

Comment apprend-on l’orthographe ?


Comprendre les différences interindividuelles dans les
apprentissages scolaires suppose qu’on admette qu’il existe diffé-
rents chemins d’acquisition en fonction notamment des types de
connaissances antérieures activées. Il est donc crucial de tenter
d’analyser les processus que l’élève met en jeu dans la construction
d’une nouvelle connaissance. C’est ce qu’ont fait, par exemple,
les psychologues Sébastien Pacton et Michel Fayol5 à propos des
4- C. Mesmin, La Prise en charge ethnoclinique de l’enfant de migrants, Dunod, 2001.
5- S. Pacton, « Utiliser les informations morphologiques à l’écrit : pourquoi, qui, quand,
comment », Rééducation orthophonique, n° 223, 2005 ; S. Pacton, M. Fayol, P. Perruchet,
« Children’s implicit learning of graphotactic and morphological regularities », Child
Development, 76, 2005.
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informations morphologiques utilisées en orthographe par des


élèves d’école élémentaire. Les phonèmes étant les unités mini-
males de la langue, les morphèmes sont les unités minimales
de sens. Ainsi, le mot « dissemblables » contient huit phonèmes
et quatre morphèmes : le préfixe « dis », le radical « sembl », le
suffixe dit dérivationnel « able » et le suffixe, dit flexionnel, « s »,
marque du pluriel. Recourir aux connaissances morphologiques
permet notamment de choisir la bonne orthographe quand plu-
sieurs transcriptions sont possibles : le son [èt] dans « fillette » se
transcrit « ette » et non « ête » ou « aite », car il correspond à un
diminutif. Les connaissances morphologiques permettent éga-
lement d’écrire correctement les consonnes muettes comme le
« d » de « bavard » par exemple, par référence aux mots qui leur
sont morphologiquement reliés et dans lesquels la consonne se
prononce (« bavarder »).
Les auteurs montrent que dès le CE2 les élèves utilisent ces
connaissances morphologiques implicites, acquises en dehors
de tout enseignement explicite. Par exemple, ils orthographient
correctement « grand » ou « camp », mais commettent des
erreurs sur « jument » ou « tabac ». Et, précise cette recherche,
ces observations concernent non seulement les élèves bons en
orthographe mais également les élèves faibles.
Ces connaissances sont implicites et ne résultent pas de
l’application de règles. En effet, on constate que le recours à des
connaissances morphologiques se manifeste dans le cas de mots
familiers, mais pas dans le cas de mots rares : cette différence ne
devrait pas exister s’il s’agissait d’application de règles. Dans des
recherches récentes, les auteurs montrent qu’un entraînement
à la conscience morphologique (consistant à fournir par écrit,
entre deux dictées, des mots de la même famille qu’un certain
nombre de mots proposés et donc à activer des connaissances
implicites) provoque une amélioration significative des résultats.
Les auteurs concluent que si ce type d’intervention se révèle pro-
metteur, il est nécessaire de poursuivre les études pour déter-
miner comment élaborer au mieux les entraînements pour en
augmenter l’efficacité.

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Et si l’école rendait intelligent

Un autre exemple permet d’illustrer l’intérêt de l’analyse des


processus mis en jeu par les élèves. Dans une étude6 de l’évolu-
tion de la lecture pendant l’année de cours préparatoire auprès
de 62 élèves, la tâche consistait à lire des pseudo-mots (suites de
lettres prononçables, mais qui ne font pas partie du lexique fran-
çais) à trois périodes différentes de l’année. L’analyse des produc-
tions des enfants a fait apparaître plusieurs modes de traitement :
lecture logographique (le mot est identifié à partir d’une ou deux
lettres, en général les lettres initiales), épellation de lettres du
mot, lecture de fragments du mot, lecture de fragments du mot
avec des distorsions (ajout, permutation, suppression de lettres),
lecture correcte. Ces modes de traitement apparaissent dans
cet ordre, mais peuvent ensuite coexister chez le même enfant.
À partir de ces données, les auteurs ont élaboré un modèle de
fonctionnement7 reposant sur deux hypothèses consécutives.
Au début l’enfant cherche à extraire de la suite des lettres qui
composent le mot des configurations (sous-ensembles) qui cor-
respondent à des syllabes orales repérables. Ces configurations
sont ensuite mémorisées soit en respectant l’ordre des lettres,
soit sous forme d’ensemble sans ordre (« car », « cra », « arc »,
« rac » sont lus « car », par exemple). Un modèle construit sur
ces hypothèses permet de prédire l’évolution en lecture de ces
enfants à partir de leurs premières réponses. Compte tenu de ces
résultats, l’étude insiste sur le fait que les « erreurs » commises
par les enfants constituent une phase normale de l’acquisition
de la lecture et ne deviennent inquiétantes que si elles n’évo-
luent pas (c’est-à-dire si l’enfant produit toujours le même type
d’erreur). Par ailleurs, il faut toujours préciser que les différences
entre élèves s’expliquent par les différences de représentations
mises en œuvre lors de l’apprentissage.

6- M. Bastien-Toniazzo, A. Magnan, H. Bouchafa, « Une étude longitudinale des


stratégies d’apprentissage de la correspondance grapho-phonologique en français »,
Revue de psychologie de l’éducation, n° 2, 1999.
7- M. Bastien-Toniazzo, A. Magnan, H. Bouchafa, « Nature des représentations du
langage écrit aux débuts de l’apprentissage de la lecture : un modèle interprétatif »,
Journal international de psychologie, n° 34, 1999.
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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

Plus on sait, plus on devient intelligent…


Tous ces exemples montrent bien que ce qu’on appelle
l’intelligence est fortement dépendant de la mise en œuvre de
connaissances, au premier rang desquelles figurent les connais-
sances scolaires, mais aussi des représentations et des connais-
sances implicites liées à l’environnement culturel de l’enfant. Ils
soulignent aussi qu’une bonne partie des différences de réussite
entre les élèves peut s’expliquer par la diversité des processus
d’acquisition des connaissances et par l’interaction entre ces pro-
cessus et les caractéristiques des situations d’apprentissage.
Dans ces processus, les connaissances antérieures mobilisées
par l’élève jouent un rôle crucial quand il s’agit d’acquérir une
connaissance nouvelle. Selon la nature de la connaissance activée
(et il y en a toujours plusieurs différentes possibles), la façon
dont est présentée la notion à acquérir et les exemples qui sont
donnés peuvent faciliter la compréhension ou au contraire la
bloquer.
Il est donc tout à fait important, quand on évalue les acquisi-
tions, de tenter de comprendre le processus qui a conduit l’élève
à donner cette réponse-là et non une autre. Se fonder sur l’exac-
titude ou non de la réponse par rapport à la réponse attendue
peut être trompeur. Comme on l’a vu plus haut, la réponse peut
être exacte alors que la connaissance n’est pas assimilée ou, inver-
sement, la réponse constitue une erreur alors que la connaissance
est maîtrisée. Rechercher quelles connaissances ont été activées,
comment elles ont été mises en œuvre compte tenu des caracté-
ristiques de la situation proposée, permet de mieux comprendre
l’élève, de lui donner ainsi une aide appropriée et finalement
de le rendre plus intelligent… Il semble que c’est là un enjeu
important pour l’amélioration de notre système scolaire.

Claude Bastien
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Le cerveau et la lecture
À l’échelle de l’humanité, écriture et lecture sont des inventions
récentes. Notre cerveau n’est donc pas programmé pour cela, mais il a d’ex-
traordinaires capacités à s’adapter pour cet apprentissage, nous explique
Stanislas Dehaene dans un ouvrage intitulé Apprendre à lire (2011)
Court, clair, concis, ce livre fait le point sur les connaissances du fonc-
tionnement cérébral en matière de langage et de lecture. Tout son mérite est
de montrer, à l’aide des avancées récentes des neurosciences, comment on
apprend à bien lire. Pour cela, il faut déjà avoir entraîné son cerveau à bien
parler. C’est pourquoi les enfants arrivent inégaux devant l’apprentissage de
la lecture, la prime revenant à ceux qui possèdent plus de vocabulaire et une
meilleure maîtrise de la langue.
Ensuite, le décryptage des phonèmes (les différents sons de la langue)
s’avère essentiel, car il a pour effet de développer les fonctions qui permet-
tront ensuite de fabriquer les bons lecteurs. Les comparaisons des fonction-
nements cérébraux entre ces derniers et les adultes illettrés en attestent :
apprendre à lire induit de profondes modifications de l’anatomie et de
l’activité cérébrale, qui influent aussi sur la vision et joue en retour sur la
qualité du langage oral.
Quant à la dyslexie, si elle est désormais reconnue comme une anoma-
lie neurobiologique, les études montrent les capacités de récupération du
cerveau : ce déficit peut presque toujours se compenser grâce à un entraîne-
ment intensif et répétitif de la correspondance entre les sons et le code écrit.
Les auteurs délivrent alors tout une série de conseils pour une démarche
d’apprentissage de la lecture qui pourront être utiles et facilement appli-
cables. Avec ce petit manuel, on se rend compte que la vieille querelle des
méthodes de lecture, longtemps teintée d’idéologies diverses, est bien der-
rière nous.

Martine Fournier

S. Dehaene (dir.), Apprendre à lire. Des sciences cognitives à la salle de classe, Odile
Jacob, 2011.

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

Apprendre à lire ne serait pas


une question de langue
On pourrait supposer que la langue joue fortement sur l’apprentissage
de la lecture, au vu des différences entre les langues dans le passage de l’oral
à l’écrit. Ainsi, si l’Italien et l’Espagnol se rapprochent d’une orthographe
phonétique, l’anglais apparaît comme une langue très irrégulière et difficile
d’acquisition… Pourtant, selon une thèse de Gabriela Gomez Vera soute-
nue à l’Iredu (université de Bourgogne), il n’en est rien : la langue n’incarne
pas un facteur déterminant lors de l’acquisition de la lecture.
La thèse s’appuie sur l’enquête internationale Pirls de l’OCDE, qui
analyse les compétences en lecture chez des enfants âgés de 9 à 10 ans de
quarante pays. D’après cette thèse, ce sont surtout les facteurs scolaires et
individuels qui pèsent dans la balance, tels le système éducatif du pays,
l’attitude positive de la famille vis-à-vis de la lecture, la quantité de livres
disponibles dans le foyer ou les ressources matérielles pour la scolarité…

Diane Galbaud

G. Gomez Vera, « Languages as factors of reading achievement in PIRLS


assessments », thèse soutenue à l’Iredu (université de Bourgogne), 7 janvier 2011.
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COMMENT APPRENDRE
L’ORTHOGRAPHE ?

L e français est une langue compliquée, avec des règles


alambiquées, des conjugaisons pleines de pièges et d’in-
nombrables exceptions… Écrire sans – trop – de fautes nécessite
d’acquérir des automatismes rigoureux et de maîtriser des règles
complexes.
L’orthographe, et les cruelles dictées censées l’évaluer, ont tou-
jours été un pensum pour les écoliers français, voire aussi pour un
bon nombre d’adultes. Ces dernières décennies, la multiplica-
tion des supports de l’écrit, via les écrans et les nouvelles techno-
logies de la communication, ont aussi fait éclater au grand jour
une dégradation certaine de l’orthographe. Dégradation attestée
d’ailleurs depuis une vingtaine d’années dans les établissements
scolaires par les évaluations ministérielles. Ces constats amènent
à réfléchir sur les difficultés du système orthographique.
Pourquoi écrire le français est-il si compliqué ? Quelles sont
les capacités mises en œuvre dans l’apprentissage de la langue
écrite ? Comment aider les élèves à mieux acquérir l’orthographe ?

Le français, c’est compliqué !


En français, les mots ne renvoient pas directement au sens,
comme le ferait un dessin : ils ne le font qu’en transitant par la
transcription de la parole. Comme dans tous les systèmes alpha-
bétiques, des correspondances systématiques existent entre des
lettres ou des graphèmes (/ch/ ou /gn/) et les unités sonores (les
phonèmes). Dans un système idéal, un phonème correspondrait
à une seule lettre, et inversement : en italien par exemple, le pho-
nème /o/ s’écrit toujours « o ».
Mais aucun système orthographique réel n’est véritablement
idéal. Certains s’en rapprochent, par exemple ceux du finlandais

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

ou de l’espagnol, d’autres s’en éloignent fortement, comme


ceux du français et de l’anglais. Dans ces deux langues, à une
même lettre peuvent correspondre plusieurs prononciations : par
exemple « c » se prononce tantôt /s/ (celle) tantôt /k/ (car), voire
ne s’entend pas (tabac, croc). Cette situation rend complexe la
lecture. Réciproquement, à un même phonème peuvent être
associées plusieurs configurations sonores : ainsi, le son /ou/ se
transcrit toujours « ou » (chou), mais /o/ s’écrit « o » (pot), « au »
(vaux), « eau » (peau) selon les contextes.
En français, la difficulté est que, à un nombre restreint de
phonèmes, environ 36, correspondent environ 130 graphèmes,
c’est-à-dire de formes écrites du même son. Par exemple, le /k/
se transcrit de nombreuses façons : climat, accord, kilo, ticket,
quand.
Ces difficultés posent des problèmes spécifiques d’apprentis-
sage, notamment pour la production orthographique, et dans
une moindre mesure, pour la lecture. La conséquence en est aussi
que l’acquisition de la lecture ne suffit pas à assurer l’apprentis-
sage de l’orthographe. Aux difficultés des correspondances entre
ce qui est écrit et ce que l’on entend, s’ajoute le problème des
lettres muettes (théâtre, hôpital) et des formes lexicales peu pré-
visibles (yacht, thym) !
Un facteur vient encore compliquer l’orthographe fran-
çaise : les marques du pluriel, du féminin et du masculin, et les
accords verbaux qui, le plus souvent, ne s’entendent pas. Ainsi,
les marques du pluriel des noms, des adjectifs et des verbes (les
petits chiens blancs courent) et, dans une moindre mesure, celles
du genre (notre amie est fâchée) ne s’entendent pas à l’oral (à
quelques exceptions près associées au phénomène de liaison) :
dans les exemples précédents, seul le déterminant permet de
savoir que la première phrase est au pluriel ; dans la seconde, rien
ne fournit d’indication quant au genre. Enfin, de nombreuses
lettres finales (grand, bavard) ne sont sonorisées que lors du
passage à un autre mot de la même famille (grande ou grandir,
bavarde).
C’est pourquoi, pour apprendre le français écrit, enfants et
adultes doivent acquérir et gérer plusieurs types de connaissances.

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Comment apprendre l’orthographe ?

L’apprentissage des correspondances entre les lettres et les sons


est certes nécessaire et fondamental, mais ne suffit pas. Les élèves
doivent également disposer de connaissances orthographiques,
soit générales (par exemple que beaucoup de mots se terminent
par « e ») portant sur les suites de lettres survenant fréquemment
dans certains contextes, soit spécifiques, correspondant à la
forme orthographique de mots particuliers qu’il leur faut mémo-
riser et qui vont constituer ce que l’on appelle un lexique ortho-
graphique, stock de mots en mémoire. Ils doivent enfin acquérir
des connaissances morphologiques portant, d’une part, sur les
accords des noms, des adjectifs et des verbes, et, d’autre part, sur
les familles de mots. Ce sont donc plusieurs types de connais-
sances que doivent acquérir les enfants et gérer les adultes.

Une langue écrite en trois D


En conséquence, l’apprentissage de l’orthographe repose en
français sur trois dimensions dont chacune peut poser problème.
• L’acquisition du principe alphabétique. Les associations
entre phonèmes et graphèmes constituent la base de l’appren-
tissage et permettent d’élaborer une orthographe plausible pour
chaque mot nouveau. Ainsi, un terme inconnu, par exemple,
/balindo/ pourra être transcrit « balindo », « balindeau », « balain-
daut », etc. Chacune de ces transcriptions est recevable puisque
leur lecture aboutit à la même forme orale (phonologique).
• La mémorisation de formes orthographiques. Ces formes
seraient regroupées dans une sorte de dictionnaire mental (un
lexique orthographique) unique, servant à la fois pour la lecture
et pour l’écriture. Une importante question a trait aux caracté-
ristiques de ces formes mémorisées : si elles étaient de simples
copies de celles que nous rencontrons, les performances seraient
équivalentes en lecture et dans la production écrite. Or tel n’est
pas le cas : l’écriture des mots donne lieu à beaucoup plus d’er-
reurs que leur lecture. De plus, certains individus sont d’excel-
lents lecteurs alors que leur production orthographique est de
niveau très faible.
• Le recours aux règles grammaticales. Il s’agit là de savoir
appliquer des règles, par exemple pour accorder les noms, les

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Apprentissages : ce que disent la psychologie et les sciences cognitives

adjectifs et les verbes ou encore pour employer les formes ver-


bales. L’impact de la manière dont elles sont enseignées sur la
découverte, la mise en place et le fonctionnement de ces diffé-
rentes dimensions reste en fait mal étudié et évalué.
Dans les langues alphabétiques, la première étape de l’ap-
prentissage réside dans la compréhension du principe alphabé-
tique (correspondance phonèmes-graphèmes). Cette compré-
hension implique que l’enfant dispose d’une certaine maîtrise
de sa langue maternelle et perçoive comment fonctionnent les
relations entre l’oral et l’écrit. Par exemple, il doit parvenir à seg-
menter les énoncés d’abord en syllabes /bato/ -> /ba/ /to/ puis,
ultérieurement, en phonèmes /ba/ -> /b/ /a/, à conserver tempo-
rairement en mémoire cette segmentation tout en transcrivant,
même de manière non conventionnelle (bato). Il doit aussi être
en mesure de contrôler ultérieurement par la lecture (b +  a ->
/ba/ + t +  o -> /to/ = /bato/) la recevabilité phonologique (rela-
tive) de ce qu’il a transcrit. Dans nos sociétés largement alpha-
bétisées, les enfants sont très précocement confrontés aux formes
et usages de l’écrit : ils acquièrent ainsi, dans leur environnement
(publicités, supports écrits divers…), des connaissances qui n’ont
pas donné lieu à un enseignement structuré. De nombreuses
recherches ont, dans plusieurs pays (en abordant plusieurs sys-
tèmes orthographiques), suivi l’évolution des performances
d’enfants entre 4 et 7 ou 8 ans. Dans certains cas, les chercheurs
ont mis en place et évalué des apprentissages précis, comme la
segmentation de la parole ou l’apprentissage oral du vocabulaire.
Trois dimensions sont apparues fortement liées à l’apprentis-
sage de l’écrit.
• La connaissance des noms et des sons des lettres : c’est la
dimension qui prédit le mieux les performances ultérieures.
• La capacité de décomposer la parole en petites unités :
que devient « cou » si l’on enlève le « c » initial ? Que devient
« malin » si on enlève le « in » final ? Il s’agit en fait de vérifier la
conscience phonologique.
• L’étendue du vocabulaire et sa compréhension : ce troisième
point est cependant moins important, tout au moins au tout
début de l’apprentissage.

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Comment apprendre l’orthographe ?

Comment l’orthographe vient aux enfants


Les entraînements portant sur la conscience phonologique,
parfois conduits sur de longues périodes avec les enfants les plus
en difficulté, améliorent les performances et diminuent la pro-
portion d’échecs en lecture comme en orthographe. Toutefois,
certains enfants éprouvent de grandes difficultés à franchir cette
étape et peinent à effectuer une mise en correspondance rapide
et précise entre phonèmes et graphèmes, même pour aboutir
à une transcription phonologiquement plausible. Dès qu’ils
ont compris le principe alphabétique et qu’ils parviennent à
déchiffrer les premiers mots, les enfants commencent à mémo-
riser des formes orthographiques. Il peut s’agir de mots entiers
(chien, poule…) ou de fragments fréquents (par exemple /ange/,
/teur/). Ils élaborent ainsi ensemble des mots dont l’orthographe
leur est connue et qu’ils peuvent directement se remémorer pour
les lire ou les transcrire. Cette connaissance se manifeste par un
certain nombre de caractéristiques : les mots connus traités plus
rapidement et exactement que les mots inconnus ; les mots fré-
quents mieux que les mots rares ; les mots connus peuvent ser-
vir de référence pour transcrire par analogie les mots inconnus.
Dans les langues dont les systèmes orthographiques sont régu-
liers (finnois, italien, espagnol), le décodage des mots suffit le
plus souvent pour assurer la mémorisation des formes orthogra-
phiques. Tel n’est pas le cas en anglais ou en français. La diversité
des transcriptions de nombreux phonèmes (/in/, /ain/, /aim/,
/en/, etc.), la présence de lettres muettes (petit, foulard, herbe…)
rendent le décodage insuffisant. De plus, au fur et à mesure que
le nombre de formes augmente, elles s’organisent en mémoire et
des connaissances que l’on croyait acquises se modifient, abou-
tissant parfois à l’apparition d’erreurs inattendues.

Michel Fayol

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LES VOIES
DE L’APPRENTISSAGE

– Les théories de la motivation (encadré)


– La motivation, ça s’en va et ça revient… (M. Fournier)
– Il est permis de devenir soi-même. Deux conceptions
de l’éducation (F. de Singly)
– De l’Émile à l’éducation nouvelle (J. Galeazzi)
– Connaissances ou compétences, que transmettre ?
(M. Duru-Bellat)
– L’enseignant, un facilitateur d’apprentissage (V. Bedin)
– Troubles d’apprentissage, le calvaire scolaire
(J. Grégoire)
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Les théories de la motivation
Une pulsion pour apprendre
Saint Augustin affirmait l’existence d’une libido sciendi (désir d’ap-
prendre). Pour Freud, cette libido sciendi n’est que l’expression d’une libido
sexuelle sublimée dans le désir d’études. Ce qu’il nommait « l’épistémo-
philie ». Cette idée d’un désir d’apprendre naturel est reprise aujourd’hui
par un courant de recherche sur la « curiosité », dont Jordan Litman, de
l’université de South Florida, est l’un des chefs de file, et qui suppose que le
désir d’apprendre est une pulsion fondamentale de l’être humain.

Récompense, sanction et conditionnements


Pour l’approche behavioriste en psychologie, la motivation à apprendre
est boostée par les réussites et récompenses et le dégoût provient des échecs
et sanctions. Burrhus F. Skinner, le grand penseur du behaviorisme dans les
années 1960, est l’inventeur de l’enseignement programmé : une méthode
d’apprentissage sur ordinateur où l’élève apprend et progresse à travers
un parcours personnel jalonné de questions/réponses sanctionnées par
des encouragements : « bravo continue » ou « recommence, tu peux faire
mieux ».

La psychologie humaniste et le « besoin d’accomplissement »


Dans les années 1950, aux États-Unis, la psychologie humaniste
(Abraham Maslow) mettait le « besoin de réalisation de soi » au sommet de
la pyramide des besoins, la base de cette pyramide comprenant les besoins
physiologiques (comme se nourrir, se protéger) suivis des besoins de sécurité
matérielle (le confort), puis d’affection et d’acceptation par l’autre, ensuite
des « besoins cognitifs, esthétiques ». À la même époque, des psychologues
américains (Henry Murray, David McClelland et John W. Atkinson) fai-
saient du « besoin d’accomplissement » (need for achievement) le pivot des
motivations humaines. Selon D. McClelland, l’accomplissement corres-
pond à la volonté de réussir le mieux possible dans un domaine d’excellence
(scolaire, professionnel, sportif, etc.) valorisé socialement. Ce besoin vise
une satisfaction personnelle, mais intègre aussi la reconnaissance sociale.

Raison et émotions
Les approches dites « sociocognitives » de la motivation sont apparues
dans les années 1980. Elles s’inscrivent dans une perspective intégratrice
visant à prendre en compte à la fois les théories dimensions affectives de
la motivation (pulsions, émotions, motivation) et de la cognition (buts et
représentations du sujet). En fait ces théories sont principalement focalisées
sur les représentations et interprétations que l’élève se fait de la situation,

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Les voies de l’apprentissage

de sa confiance ou de son estime de soi, censées être une déterminante


essentielle de la réussite scolaire.

Motivation intrinsèque et extrinsèque


La théorie de l’autodétermination (TAD) d’Edward Deci et Richard
Ryan souligne qu’on agit pour une chose avec d’autant plus d’intérêt que
cette action est autodéterminée, c’est-à-dire qu’elle vient de soi et non de
sollicitations extérieures. Autrement dit, une personne sera d’autant plus
impliquée qu’elle aura décidé d’elle-même de s’engager dans une activité.
La distinction entre motivation intrinsèque (ou interne) et motivation
extrinsèque (buts dérivés) est un autre aspect important de cette théorie.
Ainsi, dans le travail scolaire, il n’est pas de plus motivé qu’un élève qui
s’intéresse à une matière en soi et pour soi et non pas pour des motifs autres
(une récompense ou la peur de l’échec). Cette distinction entre motivation
intrinsèque et extrinsèque est devenue un classique des théories de la moti-
vation (scolaire, ou au travail, ou dans la lutte contre les addictions).

Des buts et des valeurs


Les théories de la motivation en terme de « buts » (goal setting) sont
issues de l’approche cognitive. Elles se situent du point de vue de l’élève ou
de l’étudiant, de ses buts conscients, de ses interprétations de la situation et
de l’estimation de ses chances de réussite. Les buts peuvent être multiples
(la maîtrise d’une activité, la réussite au regard des autres, l’évitement des
désagréments), et se décomposer entre buts généraux et sous buts à court,
moyen ou long terme. Ces théories débouchent sur une classe de théories
des buts comme la théorie hiérarchique des buts de Andrew J. Eliott.

Réflexivité et auto-efficacité
Une fois accomplie une tâche, l’individu compare les résultats à ses
objectifs, et ce sera une source supplémentaire de motivation ou de démo-
tivation. Le psychologue Albert Bandura fait du sentiment d’auto-efficacité
un facteur essentiel de la réussite. Il correspond à l’appréciation qu’a un
individu de sa capacité à réussir une tâche donnée. Ce sentiment comporte
donc à la fois une dimension liée à l’estime de soi et une dimension pro-
prement réflexive, liée à sa capacité d’action, de contrôle de la situation.
Plus globalement, les théories psychologiques de la réflexivité accordent
une place importante au contrôle conscient, à l’auto-analyse et à l’autodis-
cipline ainsi qu’à la métacognition dans le processus d’apprentissage.

La neuropédagogie
L’approche « neuropédagogique » vise à s’appuyer sur les capacités
cognitives et le fonctionnement du cerveau pour en tirer des pratiques

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Les théories de la motivation

pédagogiques adéquates (en matière de lecture, d’apprentissage des mathé-


matiques, etc.). Ainsi l’apprentissage mobilise les fonctions de représenta-
tion, de planification, de réflexivité, de confiance en soi, de mémoire, qui
doivent être utilisées au mieux pour apprendre. À ce jour, la neuropédago-
gie reste pour l’essentiel un programme de recherche et un label plus qu’une
réalité tangible…

P. Carré, F. Fenouillet (dir.) Traité de psychologie de la motivation, Dunod, 2008.


É. Bourgeois, B. Galand, Se motiver à apprendre, Puf, 2006.
D. Favre, Cessons de démotiver les élèves, Dunod, 2010.

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LA MOTIVATION,
ÇA S’EN VA ET ÇA REVIENT

«B on, me dit Marie, je vais aller commencer ma deuxième


journée de travail. » Il est presque 19 heures, les locaux
du magazine Sciences Humaines sont désertés, en ces temps esti-
vaux où chacun se hâte de profiter de sa soirée… Jeune stagiaire
d’un Institut d’études politiques, Marie vient de me rendre
son papier, après que je l’aie un peu torturée en lui demandant
quelques corrections !
« Ah bon, qu’est-ce que tu vas faire ?
– Je dois rendre mon mémoire de fin d’étude sur le coup d’État
au Honduras pour fin août…
– Eh bien, dis donc, qu’est-ce que tu es motivée ! »
La réponse de Marie jaillit spontanément : « Motivée moi ?
Alors là pas du tout !
– Mais, pourquoi travailles-tu autant pour rédiger ce mémoire
après ces longues journées de travail ? Ce n’est pas de la motiva-
tion ça ?
– Je ne sais pas si c’est de la motivation ! Je le fais en tout cas pour
valider cinq années d’études, et être fière de moi plus tard d’avoir
mené ce projet à terme et décroché mon diplôme. »
Grand moment de solitude pour la rédactrice que je suis,
en train de préparer un dossier pour le numéro de septembre
consacré à… la motivation à apprendre. Inquiétude aussi, qui
me suggère la question suivante :
« Et à Sciences Humaines, tu te sens motivée par ce que tu
fais ?
– Ah oui, parce que là, j’apprends des choses nouvelles chaque
jour… »
Ouf, me voici rassurée ! Rassurée mais néanmoins perplexe. À
trois semaines du bouclage, Marie vient de faire exploser mes

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La motivation, ça s’en va et ça revient

certitudes, de raviver mes interrogations, de me plonger dans les


abîmes du doute… De quoi est faite, réellement, la motivation
pour les études ?

Une dynamique plutôt qu’un état


En fait, la réaction de Marie est emblématique d’une repré-
sentation que nous avons tous, implicitement. Nos comporte-
ments seraient motivés par l’intérêt, la curiosité, le plaisir d’ap-
prendre, des besoins supérieurs propres aux humains. Ce que les
psychologues appellent la « motivation intrinsèque ». Celle qui
fait briller les yeux des jeunes enfants lorsqu’ils veulent connaître
ou comprendre ; celle qui explique l’affluence des adultes et
même de seniors à remplir, jusqu’à un âge très avancé, les bancs
des universités populaires…
Mais le désir de décrocher un diplôme, de se sentir fier de soi,
de faire plaisir à son entourage, de se dire que l’on s’ouvre des
portes pour un futur projet professionnel… Alors, ce n’est pas
de la motivation ? Si ! c’est ce que les psychologues appellent les
« motivations extrinsèques ».
Pendant longtemps, ces deux formes de motivations ont été
opposées. Seule la première était noble. La seconde relèverait de
buts utilitaristes et serait produite par des conditionnements, des
stratégies comme celle de la carotte et du bâton, prônées par la
psychologie behavioriste.
De nombreuses recherches ont étudié les effets de ces deux
formes de motivation sur le travail et l’apprentissage. Il en res-
sort à chaque fois que, sous l’empire des motivations intrin-
sèques, les sujets sont plus créatifs, plus engagés dans leur tâche,
et produisent des travaux de meilleure qualité. Et qu’en outre,
les récompenses finissent par nuire à la qualité de la perfor-
mance1. Certes ! Mais lorsque le petit Damien, du haut de ses
sept ans, a annoncé à ses parents (quelque peu dépités) « moi,
quand je serai grand, je gagnerai de l’argent ! », cela ne l’a pas
empêché de faire de brillantes études tout en déclarant haut et
1- Sur la synthèse de ces recherches, voir É. Bourgeois, « La motivation à apprendre », in
É. Bourgeois et G. Chapelle (dir.), Apprendre et faire apprendre, Puf, 2006 ; et aussi un
petit ouvrage de vulgarisation : Daniel H. Pink, La vérité sur ce qui nous motive, Leduc
éditions, 2011.
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Les voies de l’apprentissage

fort, durant ses années collège et lycée, que « les cours le bar-
baient » (et d’ailleurs, devenu chef d’entreprise, il est arrivé à ses
fins)…
Marie, quant à elle, ne voit plus l’intérêt du sujet qu’elle a
pourtant choisi avec enthousiasme et pour lequel elle est allée
passer des mois au Honduras… « J’ai l’impression de poser des
mots, je ne vois plus le sens de tout cela… » Une perte de sens
que connaissent aussi les jeunes doctorants lorsqu’ils rédigent
leur thèse et qui semble inévitable lorsque le travail à accomplir
est long et difficile. Dans ces moments, ce sont d’autres moti-
vations qui viennent prendre le relais : finir (enfin !), poursuivre
pour décrocher un diplôme, pour obtenir un poste ou simple-
ment de la reconnaissance…
Quand les raisons extrinsèques prennent la place de la moti-
vation intrinsèque, le travail accompli se retrouve-t-il dégradé
pour autant ? Non, pas vraiment. Aujourd’hui, cette dichotomie
entre ces deux formes de motivation est sérieusement nuancée.
Les modèles prennent en compte tout un ensemble de facteurs
qui conditionnent l’apprentissage, comme les buts que l’on se
fixe, les désirs, le sentiment de compétence, le rôle des émotions,
le contexte de l’apprentissage…
En bref, la motivation est vue aujourd’hui comme un pro-
cessus dynamique plutôt qu’un état qui proviendrait d’une mys-
térieuse énergie psychique. Une « dynamique motivationnelle »
comme l’explique Étienne Bourgeois, psychologue de l’univer-
sité de Louvain, dans laquelle peuvent alterner ou coexister des
motifs d’ordre divers qui entrent en jeu avec l’âge, les éléments
de la personnalité, le rôle des feedback de l’entourage ou encore
l’histoire de vie du sujet 2. Le fait que le ou la prof soit sympa
peut même, dans certaines occasions, redonner le goût des
études à certains élèves…

Une crise de la motivation à l’école


S’il est bien, d’ailleurs, un lieu où l’on souhaiterait voir se
déployer une motivation forte et sans faille, généralisée à tous, et
si possible d’ordre intrinsèque, c’est l’école. Aujourd’hui, il faut
2- É. Bourgeois, op. cit.
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La motivation, ça s’en va et ça revient

l’admettre, on parle plutôt de démotivation des élèves, se tradui-


sant par l’ennui (même pour les bons), le découragement, voire
le décrochage ou des manifestations de violence. Un constat qui
désespère nombre d’enseignants qui eux aussi se disent démoti-
vés et sont prêts à baisser les bras devant le manque d’appétence
de leurs publics.
Il faut tout d’abord remarquer que les manifestations d’ennui,
les témoignages de souffrance à l’école ne sont pas franchement
une chose nouvelle. Elles sont décrites par nombre d’auteurs des
siècles passés. Elles préoccupent depuis longtemps les pédago-
gues, comme ceux de l’Éducation nouvelle (un courant né au
xixe siècle) qui cherchent à rendre l’enseignement plus attrac-
tif (et plus efficace) en développant l’autonomie des élèves pour
accroître leur motivation.
Mais d’une manière générale et notamment dans l’école fran-
çaise, les « programmes et progressions » publiés par le minis-
tère imposent d’en passer par des apprentissages rébarbatifs (et
pas toujours nécessaires) – les subordonnées circonstancielles,
l’accord des participes passés, les équations du second degré
ou l’apprentissage des verbes irréguliers dans les langues étran-
gères… Des auteurs comme Daniel Pennac3 ont bien décrit
comment l’école pouvait susciter le dégoût plutôt que le goût
de la littérature. Les théories de la motivation (notamment
le modèle d’Edward Deci et Richard Ryan) montrent que la
contrainte et le manque d’autonomie du sujet peuvent tuer
l’intérêt pour un apprentissage. Mais aussi sophistiquées soient-
elles, ces approches psychologiques suffisent-elles à expliquer un
phénomène qui prend actuellement une ampleur jusqu’à présent
inégalée ?
Ne faudrait-il pas reconsidérer par exemple les formes péda-
gogiques, le découpage de l’enseignement en disciplines et pro-
grammes ; les emplois du temps hachés, les cursus rigides impo-
sant le même rythme à tous ; et encore la personnalité des ensei-
gnants, les manières d’évaluer, et les goûts et les dons de chaque
élève ?

3- D. Pennac, Comme un roman, Gallimard, 1997.


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Les voies de l’apprentissage

Le regard des sociologues


Les transformations sociales de ces dernières décennies ont,
elles aussi, contribué à l’ébranlement du – bon – fonctionne-
ment du système scolaire. Plusieurs sociologues se sont penchés
sur ces changements. François Dubet notamment a bien décrit
comment l’« expérience scolaire4  » des individus, et le sens qu’ils
donnent à leurs études, s’en retrouvaient affectés.
D’une part, avec le processus de démocratisation et de
massification scolaire, l’école est devenue le principal appareil
de « distribution sociale », censé conduire à l’insertion sociale
en fonction des diplômes obtenus. Du point de vue des élèves
cependant, elle se présente comme un espace de concurrence
permanent, avec des hiérarchies multiples (plus ou moins impli-
cites : jeu des filières, choix des établissements…). Aujourd’hui,
le chômage est devenu endémique et l’on assiste à une course aux
diplômes qui rend les parcours scolaires de plus en plus longs et
de plus en plus anxiogènes.
La « fonction de socialisation » de l’école ne va plus de soi
non plus dès lors que celle-ci accueille des enfants de toutes les
origines sociales (massification). L’enseignement est maintenant
en décalage avec la culture des élèves de milieux populaires qui
ne partagent pas les codes culturels sous-jacents d’une culture
scolaire antérieurement réservée à une élite. D’autant que les
nouvelles cultures de masse (les sociologues parlent de cultures
juvéniles, lycéennes, étudiantes…) se tiennent souvent à dis-
tance des enseignements que délivre l’institution…
C’est en fait la fonction éducative elle-même qui se retrouve
fragilisée par les évolutions de la société tout entière. Le déve-
loppement des médias et d’Internet, devenus de nouveaux lieux
d’apprentissage, remet aussi en cause les modes de la transmis-
sion et les manières dont on apprend à l’école.
Des enseignements peu adaptés aux envies des élèves, des
parcours scolaires de plus en plus longs et une compétition plus
rude, un avenir incertain, voilà les facteurs sociologiques de la

4- F.  Dubet, Le Déclin de l’institution, 2002 ; et avec D.  Martuccelli, Sociologie de


l’expérience scolaire, Seuil, 1996.
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La motivation, ça s’en va et ça revient

crise de la motivation à l’école, qui atteint aussi les publics étu-


diants des universités.
En définitive, l’école ne peut plus jouer sur des finalités par-
tagées par tous et se retrouve confrontée à une véritable crise de
sens. Il ne faudrait pas pour autant trop désespérer ! On pourrait
même s’étonner de voir qu’il existe toujours de nombreux élèves
curieux pour qui étudier est un plaisir, des étudiants enthou-
siastes, investis dans des projets ambitieux, ainsi d’ailleurs que
des enseignants créatifs et engagés. Quant à Marie, à l’heure qu’il
est, elle a brillamment terminé son mémoire…

Martine Fournier

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IL EST PERMIS DE DEVENIR SOI-MÊME
DEUX CONCEPTIONS DE L’ÉDUCATION

L es différences de prises de position concernant l’éducation


ne renvoient pas seulement à des expertises ou des opi-
nions individuelles ; elles forment système. Schématiquement,
deux positions s’affrontent, et sur un terrain qui dépasse l’édu-
cation : elles incarnent deux conceptions des sociétés démocra-
tiques. L’une cherche à dénoncer les excès de la démocratie, de
l’éducation démocratique qui engendre des enfants consomma-
teurs, non cultivés et obéissants à la tyrannie du marché. L’autre
plaide au contraire pour une extension de la démocratie : l’en-
fant n’est plus défini avant tout en tant que fils ou fille, en tant
que « petit », en tant que devant être soumis à l’autorité, il doit
chercher à devenir lui-même comme la société démocratique
doit aussi s’organiser elle-même.
Précisons un peu plus ces deux manières de concevoir l’édu-
cation. Si leur objectif déclaré est de former des adultes indé-
pendants et autonomes, le chemin pour l’atteindre diffère for-
tement. Dans le premier modèle, l’enfant est conçu comme
exclusivement petit. Il doit obéir aux grands qui ont une nette
supériorité sur lui puisqu’ils sont éclairés par la raison. Le pari
de cette éducation est que cette soumission à l’autorité conduit
à l’émancipation. Ou pour l’exprimer autrement, l’autonomie
s’apprend par l’hétéronomie. Tous les éducateurs qui se situent
dans cette orientation prennent toujours comme point de départ
l’obéissance. Pour eux, le passage du premier stade au second
s’opère par la transgression. La désobéissance devient quasiment
une obligation, c’est la sortie de l’enfance. Dans le deuxième
modèle, le parti pris est opposé. L’autonomie s’apprend progres-
sivement, conciliable pendant un temps avec un lien de dépen-
dance. L’enfant est petit, mais il est déjà une personne, il est déjà

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Il est permis de devenir soi-même. Deux conceptions de l’éducation

doué de raison, en tout cas cette ressource ne demande qu’à se


développer. Il n’est pas contraint pour être lui-même de vivre
dans la transgression.

Apprendre par essais-erreurs


Alors que dans le premier modèle, « il est permis d’obéir »,
cela est même vivement conseillé, dans le deuxième modèle, il
est permis de devenir soi-même, de le découvrir par essais et
par erreurs. Les différences entre ces deux modèles sont impor-
tantes. On peut prendre comme idéal-type du premier modèle
les ouvrages d’Aldo Naouri – notamment Les Pères et les Mères
(2004) et Éduquer ses enfants (2008) –, mais il existe des versions
plus soft qui, malgré tout, reposent sur les mêmes présupposés.
Pour ce pédiatre, les parents doivent commander aux enfants
sans leur expliquer les raisons de cet ordre. Pour lui, dès que les
parents font le contraire, ils gâchent l’éducation : « Se justifier
auprès d’un enfant revient à inverser l’ordre générationnel en lui
permettant de juger, en le faisant, autrement dit, juge de soi. Or
c’est exactement le contraire de ce dont a besoin l’enfant1. » On
croirait entendre Emmanuel Kant dans Qu’est-ce que les Lumières ?
(1784) se moquer des autorités qui réclament le silence : « Mais
j’entends présentement crier de tous côtés : “Ne raisonnez pas !”
L’officier dit : “Ne raisonnez pas, exécutez !” Le prêtre : “Ne rai-
sonnez pas, croyez !” » C’est pour cela que A. Naouri condamne
l’éducation « à la Dolto »  : le fait que les parents expliquent les rai-
sons de leur comportement est jugé anti-éducatif.
La ligne de clivage entre les deux éducations se situe là : pour
les uns, l’enfant doit apprendre la société en comprenant avant
tout qu’il y a des places à respecter, celles définies a priori par l’âge
et le genre ; pour les autres, l’enfant doit apprendre progressive-
ment à se donner des règles. Cet apprentissage produit nécessai-
rement des essais et des erreurs. L’enfant ne peut pas apprendre
du premier coup ce qui lui convient. Le rôle du parent n’est pas
de lui inculquer une place, il est de créer un cadre au sein duquel
l’enfant peut avoir l’expérience d’un monde « personnel ».

1- A. Naouri, Les Pères et les Mères, Odile Jacob, 2004.


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Les voies de l’apprentissage

Le sens des règles


Le parent doit garantir deux choses.
Premièrement, il assure une certaine sécurité, en veillant à
ce que l’enfant ne prenne pas trop de risques sous le prétexte de
partir à la découverte de soi à travers celle du monde. L’éducation
démocratique n’est pas le laisser-faire, l’obéissance est également
requise mais elle n’occupe pas du tout la même place dans le
dispositif.
Deuxièmement, le parent doit créer un environnement favo-
rable afin que l’enfant puisse découvrir le sens des règles et celles
qui lui correspondent le mieux à l’intérieur de ce cadre (corres-
pondant au respect des besoins de l’enfant, en fixant des limites
spatiales et temporelles).
Contrairement à l’une des critiques « sociologiques », cette
éducation n’est pas destinée aux classes moyennes et supérieures.
Il y a un certain mépris dans cette critique : tout se passe comme
si les enfants de milieux populaires ne pouvaient pas apprendre
autrement les vertus de l’autonomie que par l’obéissance stricte,
comme si l’autonomie exigeait un haut niveau culturel. La pos-
session d’un haut niveau culturel ne se confond en rien avec un
degré élevé d’autonomie. Ce n’est pas le capital qui fixe le niveau
d’individualité ! L’autonomie ne s’apprend pas obligatoirement
dans les pratiques culturelles. Avoir un monde personnel et se
donner des règles personnelles est possible pour chacun. Cela
exige des parents attentifs, et non pas psychanalystes. Pourquoi
toujours penser que la démocratie et l’éducation démocratique
seraient un privilège (ou une illusion) réservé aux mieux dotés ?

Les excès de l’individualisme


Qu’elles viennent des rangs de la sociologie, de la psycholo-
gie, de la psychanalyse, les critiques de l’éducation à l’autonomie
reposent sur une défiance vis-à-vis de la démocratie lorsqu’elle
concerne la totalité de la société. Cette crainte d’une trop forte
démocratie est perceptible pendant la première modernité : si la
modernité est « clôturée2 », si l’éducation républicaine se méfie
de l’expression personnelle, c’est pour éviter les excès du mauvais
2- P. Wagner, Liberté et discipline. Les deux crises de la modernité, Métailié, 1996
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Il est permis de devenir soi-même. Deux conceptions de l’éducation

« individualisme » selon Émile Durkheim (L’Éducation morale,


1904-1905).
Ce qui importe avant tout c’est d’imposer par la discipline
les règles de la société : « Le sujet forgé par le programme insti-
tutionnel devient son propre censeur en se plaçant du point de
vue d’un autrui généralisé constituant son for intérieur. De cette
manière, ce qu’il y a de plus social en lui est aussi ce qu’il y a de
plus intérieur », explique le sociologue François Dubet3. Dans
l’éducation de la première modernité, l’enfant apprend les règles
générales pour qu’il puisse échapper à la tyrannie de son inti-
mité, de ses pulsions. Tout comme Durkheim défend le mariage
sans divorce (par consentement mutuel) pour préserver l’indi-
vidu de ses désirs illimités, il défend une éducation centrée sur
l’obéissance pour que l’enfant apprenne, en se cognant contre
les murs éducatifs, les limites d’un individualisme « concret »,
personnel.

Un voyage personnalisé
Cette méfiance vis-à-vis des enfants, et au-delà des individus,
ne se termine pas avec l’entrée dans la seconde modernité, à la
fin des années 1960. Elle a toujours autant d’intensité, tout en
changeant de justification.
Jacques Rancière aide à comprendre cette continuité et ce
retournement. En effet, pour lui, « la haine de la démocra-
tie4 » s’exprime au nom de l’excès, supposé, de la démocratie :
aujourd’hui, « il y a trop d’individus qui prétendent au privilège
de l’individualité ». Ainsi l’enfant serait devenu roi, n’apprenant
plus sa place, ne respectant plus les positions assignées, tout
comme le mode de reproduction est devenu fou. Pour la vision
dénonciatrice de la période contemporaine, il y aurait « un par-
tage entre deux humanités : une humanité fidèle au principe de
la filiation et de la transmission, et une humanité oublieuse de ce
principe, poursuivant un idéal d’auto-engendrement », comme
l’analyse J. Rancière. Il est possible de prolonger cette analyse
au domaine de l’éducation : pour les partisans de la verticalité

3- F. Dubet, Le Travail des sociétés, Seuil, 2009.


4- J. Rancière, La Haine de la démocratie, La Fabrique, 2005.
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Les voies de l’apprentissage

inscrite dans la filiation, promouvoir une éducation centrée sur


l’autonomie est une aberration. La démocratie dans la société
et dans l’éducation est dangereuse puisqu’elle prône une trop
grande émancipation de l’individu. Agir ainsi, c’est aller contre
l’intérêt de l’enfant et de l’adulte qui ont besoin de limites. S’ils
ne les ont pas eues, ils les réclameront tôt ou tard : « Si vous
élevez vos enfants en démocrates, affirme A. Naouri5, vous avez
de fortes chances d’en faire plus tard des fascistes. » L’enfant doit
donc être tenu par une stricte discipline.
Les discours éducatifs qui sont avant tout centrés sur l’obéis-
sance (même tempérée) reposent sur une telle vision du monde
insistant sur la dimension verticale, la transcendance. Vouloir
remettre en cause cette verticalité conduit à « une catastrophe
anthropologique, à une autodestruction de l’humanité », ajoute
J. Rancière. Dans ce modèle éducatif, la transcendance reli-
gieuse, si elle doit être remplacée, ne peut l’être que par une autre
transcendance, celle de la société, représentée par les parents et
les maîtres d’école (ou encore par des savants clairvoyants). Au
contraire selon le second modèle, la transcendance des autorités
traditionnelles n’a pas à être remplacée par une autre verticalité ;
elle doit laisser la place à un autre régime, plus démocratique,
plus participatif, à un « individualisme démocratique », selon
l’expression de J. Rancière.
C’est pour cette raison que l’on peut nommer le second modèle
« l’éducation démocratique ». Elle accorde une place modeste à
l’obéissance hétéronome, ayant pour sens la sécurité plus que le
dressage. Elle vise à ce que l’enfant puisse découvrir qui il est.
Pour que l’enfant devienne lui-même, l’éducation démocratique
ressemble à un voyage personnalisé et non plus à un voyage orga-
nisé6. C’est en effet dans le voyage lui-même que l’enfant fait
cette découverte, comme l’explicite Hermann Hesse : « La vie de
chaque homme est un chemin vers soi-même, l’essai d’un che-
min, l’esquisse d’un sentier. Personne n’est jamais parvenu à être
entièrement lui-même ; chacun, cependant tend à le devenir, l’un
dans l’obscurité, l’autre dans plus de lumière, chacun comme il

5- A. Naouri, Éduquer ses enfants. L’urgence aujourd’hui, Odile Jacob, 2008.


6- F. de Singly, Comment aider l’enfant à devenir lui-même ?, Armand Colin, 2009.
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Il est permis de devenir soi-même. Deux conceptions de l’éducation

le peut.  » (Demian, 1919) L’éducation n’est plus un temps réser-


vé à l’enfance, elle est tout le long de la vie…

François de Singly

Quelle place pour la transmission


dans l’éducation démocratique ?
Dans l’éducation autoritaire, la transmission est le processus le plus
important, associé à l’obéissance. C’est normal puisque l’enfant doit
apprendre de ceux qui le précèdent, les parents et les professeurs savent ce
dont il a besoin. Dans l’éducation démocratique, la transmission occupe
une place secondaire. L’enfant est une personne, un individu qui a pour
mission sociale avant tout de devenir lui-même. Mais il est aussi « fils » ou
« fille », membre d’une ou de plusieurs familles. À ce titre, ses parents lui
transmettent ce qui correspond le mieux à cette identité, la culture fami-
liale, ou encore les marqueurs de l’identité familiale. Cependant, le rôle des
parents ne se limite pas du tout à la fonction de transmission. Il comprend
tout autant la dimension d’accompagnement (en proposant des activités,
des terrains d’exercice du moi), la dimension d’écoute, d’aide, de soutien :
ces deux dimensions étant nécessaires pour se construire comme individu
autonome.
Si l’objectif de l’éducation démocratique, conformément à la philo-
sophie des Lumières, est l’autonomie, une certitude alors, l’autonomie –
comme l’amour – ne se transmet pas. Mais elle s’apprend. Il est néces-
saire de bien distinguer transmission et apprentissage. Apprendre est plus
que jamais nécessaire, mais apprendre dans un rapport vertical (nom de
la transmission) est une forme, à côté de l’apprentissage dans un rapport
horizontal, ou d’autres modalités. Pour l’exprimer simplement, le cours
magistral n’est pas obligatoirement une forme supérieure d’apprentissage.
La transmission reste centrale surtout pour tout ce qui est histoire, senti-
ment d’appartenance au passé (familial, national, religieux), pour tout ce
qui renvoie aux racines. Mais l’individu doit aussi voler de ses propres ailes,
et il l’apprend par des procédures qui ne relèvent pas toutes de la trans-
mission. L’éducation démocratique insiste plus sur l’apprentissage sous
toutes ses formes. Là encore, on peut relire Jacques Rancière dans Le Maître
ignorant (1987) pour comprendre comment un professeur, ou encore un
parent, peut aider l’élève à apprendre, sans se soumettre au primat de la
transmission.

F. de S.

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De l’Émile
à l’éducation nouvelle
Pour développer ses théories sur l’éducation, Jean-Jacques Rousseau
inventa un jeune garçon fictif, Émile, et décrivit chaque étape de l’édu-
cation qu’il devrait idéalement recevoir. Considérant que « tout est bien
sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de
l’homme », le philosophe, qui s’intéresse à « l’art de former les hommes »,
esquisse ainsi « une mystique de l’enfance1 » dans la mesure où il considère
que l’enfant encore proche de l’état de nature (dans lequel l’homme est heu-
reux) doit séjourner dans cet état le plus longtemps possible. L’éducation,
à travers la figure du précepteur, a pour rôle d’apprendre à vivre à l’enfant,
et d’éviter que celui-ci devienne adulte trop vite. Selon lui, il s’agit moins
de l’abreuver de connaissances et de paroles que de lui enseigner comment
juger par soi-même, et le laisser apprendre par ses propres expériences.
De telles idées engendrent « une révolution copernicienne de l’en-
seignement », dira plus tard le psychologue suisse Édouard Claparède
(1873-1940), l’un des pionniers de la pédagogie. En 1912, ce dernier
fonde d’ailleurs l’Institut Jean-Jacques-Rousseau à Genève, destiné à for-
mer aux carrières pédagogiques « dans un esprit nouveau », où s’est formé
Jean Piaget (1896-1980), auteur de nombreux travaux sur le développe-
ment de l’intelligence de l’enfant…
En France, et ailleurs, c’est aussi dans la veine de Rousseau que s’ins-
crivent Célestin Freinet, qui crée la coopérative de l’enseignement laïc dans
laquelle les enfants sont par exemple amenés à produire un journal, Maria
Montessori et sa « casa dei bambini » à Rome, ou le psychologue pragma-
tique américain John Dewey auquel on doit la célèbre expression « doing
by learning » (apprendre en faisant…). Outre une pédagogie centrée sur
l’enfant, tous exaltent la vie à la campagne, prônent le travail manuel et le
bricolage, la liberté et la création artistique, ainsi que l’éducation morale.
Il ne s’agit pas de laisser l’enfant livré à lui-même et à ses instincts, mais de
l’inscrire au sein d’une organisation sociale (basée sur le mode de la coopé-
ration, de l’entraide ou du contrat avec les adultes) dans laquelle l’enfant
acquiert à la fois l’autonomie et le sens des responsabilités2.

Juliette Galeazzi
1- L’expression est de Roger Cousinet, inspecteur de l’Éducation nationale connu
pour avoir mis en place dans les années 1920 une méthode de travail libre par
groupe, et auteur en 1965 de L’Éducation nouvelle, livre dans lequel il retrace la
genèse du mouvement.
2- M. Fournier, « Un siècle d’éducation nouvelle », Sciences Humaines, n° 105,
mai 2000.

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CONNAISSANCES OU COMPÉTENCES,
QUE TRANSMETTRE ?

L a question de la transmission scolaire a toujours fait


débat. Le vieil affrontement entre tenants de l’instruc-
tion et ceux de l’éducation resurgit aujourd’hui, à travers de
virulentes critiques de la notion de compétences.
Il n’est guère de question plus centrale pour l’école que de
définir ce que l’on juge bon et nécessaire d’y transmettre aux
élèves. Depuis plusieurs décennies, les débats autour de ce que
l’école doit transmettre sont marqués par une opposition polé-
mique : faut-il transmettre aux élèves des compétences – savoir
prélever une information dans un texte, par exemple – ou des
savoirs – leur faire apprendre une récitation par cœur ? Cette
opposition recouvre sans nul doute des positions idéologiques,
mais elle soulève aussi de vraies questions pédagogiques et philo-
sophiques.

L’école et le monde du travail


La carrière de la notion de compétence débute en France
à l’orée des années 1980, après que nombre de critiques ont
ébranlé l’école1. Elle devait accepter de ne plus avoir le mono-
pole de la transmission des connaissances et admettre que les
savoirs scolaires ne sont ni sacrés ni indiscutables. En outre,
Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron sont passés par là (avec
La Reproduction, publié en 1970) et la critique de l’élitisme de
la culture scolaire constitue une figure obligée, d’autant qu’avec
la démocratisation des études, le lycée n’accueille plus seulement
des « héritiers ». Les débats se nichent aussi dans un contexte de
relatif dégel des relations entre l’école et le monde du travail et

1- Voir F. Ropé et L. Tanguy (dir.), Savoirs et compétences. De l’usage de ces notions dans
l’école et l’entreprise, L’Harmattan, 2003.
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Les voies de l’apprentissage

d’efforts pour revaloriser les formations professionnelles, avec le


développement de la formation continue et des collaborations
avec les milieux de l’entreprise qui importent dans le milieu
scolaire des questionnements jusqu’alors incongrus : et si l’alter-
nance pouvait être « éducative », de quoi a-t-on besoin pour
s’insérer dans la « vraie vie » ?
Ces questionnements, certains pédagogues progressistes les
avaient avancés depuis longtemps. Les pédagogues de l’éduca-
tion nouvelle (Ovide Decroly, Célestin Freinet, John Dewey…)
prônaient une pédagogie active, rendant l’élève autonome dans
la construction de ses savoirs, en d’autres termes compétent
bien plus que savant. À partir des années 1970, de nombreux
pédagogues donnent la priorité aux méthodologies d’appren-
tissage (« apprendre à apprendre ») par rapport aux savoirs dis-
ciplinaires, dans la mouvance du sociologue britannique Basil
Bernstein. Celui-ci défendait une pédagogie « visible », décou-
pant et explicitant les apprentissages, ainsi plus faciles à maîtriser
par les élèves culturellement les plus éloignés de l’école, à l’op-
posé de cette pédagogie « invisible » opaque et élitiste, embléma-
tique des lycées français d’alors. On entendait par là substituer à
la hiérarchie des savoirs une représentation plus horizontale de la
diversité des compétences, donnant ainsi une chance à chacun.

La science contre le marché ?


En France, sous l’étendard de pédagogues comme Philippe
Meirieu, de nouveaux concepts pédagogiques apparaissent
comme l’interdisciplinarité, la pédagogie par objectifs, ou par
contrat, le travail de groupe, l’individualisation… La priorité est
de former des personnes autonomes, à même de se débrouil-
ler dans la vie, grâce à une gamme ouverte de « savoir-faire »
et de « savoir-être ». Même si des intellectuels comme Alain
Finkielkraut se déchaînent alors, au nom de la République,
contre ces pédagogues qui attaquent les savoirs et sacrifient l’ins-
truction à l’éducation2, les textes officiels entérinent cette évo-
lution. En France, la charte des programmes de 1992 consacre

2- Voir M. Fournier, « École : l’instruction contre l’éducation », Sciences Humaines,


n° 178, janvier 2007. Disponible sur www.scienceshumaines.com/
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Connaissances ou compétences, que transmettre ?

la notion de compétences exigibles en fin de formation, et le


programme devient ainsi un « contrat d’enseignement », avec
un élève que la loi d’orientation de 1989 place « au centre du
système ».
D’emblée, la notion de compétence a suscité des réticences.
Les enseignants sentaient bien qu’elle véhiculait subrepticement
une conception différente des savoirs et du rôle de l’école, en
promouvant un apprentissage en acte, un bricolage jugé à son
efficacité en quelque sorte et que tout élève autonome pouvait
réussir. Formés à la maîtrise d’une discipline, valorisée pour elle-
même et fondement de leur autorité, ils ne pouvaient ignorer
que cela augurait d’une transformation de leur travail avec les
élèves, et revenait à contester la vertu intrinsèquement éducative,
démocratique, libératrice, des savoirs disciplinaires, tels que défi-
nis et délivrés par eux seuls.
Depuis les années 2000, la critique de l’approche par compé-
tences prend une nouvelle tournure : ne consacre-t-elle pas une
entrée en force du néolibéralisme à l’école3 ? Dans un monde du
travail où les qualifications requises sont imprévisibles et variées,
le travailleur, pour être efficace, doit se mobiliser, se montrer
flexible et polyvalent. Et c’est bien pour répondre à ces besoins
de l’économie et soutenir la croissance économique, suprême
arbitre, que l’OCDE s’est investie dans les questions de forma-
tion, encourageant les États à rationaliser leurs systèmes éduca-
tifs pour doter les jeunes des compétences dont ils auront besoin
dans leur vie, en premier lieu professionnelle. Avec les enquêtes
Pisa lancées en 2000 sous son égide, on entend évaluer les com-
pétences des élèves de 15 ans dans trois domaines : compréhen-
sion de l’écrit, mathématiques, culture scientifique. Au-delà
des programmes nationaux, l’essentiel est d’appréhender ce que
les jeunes sont capables de faire à 15 ans ; par exemple, sont-ils
capables de comprendre, d’utiliser et d’analyser des textes écrits ?
Une fois les compétences entrées à l’école, s’est mise en
place toute une machinerie évaluative qui a de quoi rendre per-
plexes les enseignants : comment chiffrer le degré de maîtrise de
3- Voir C. Laval et al., La Nouvelle École capitaliste, La Découverte, 2011, ou
A. Del Rey, À l’école des compétences. De l’éducation à la fabrique de l’élève performant, La
Découverte, 2010.
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Les voies de l’apprentissage

compétences atomisées et parfois fort abstraites telles qu’« adap-


ter sa communication en fonction du contexte » ? Et puis, com-
ment être sûr que ces compétences que l’on s’échine à évaluer et
qui seraient la sanction suprême de l’efficacité de l’enseignement
sont bien transférables : la performance d’un élève – il parvient
à comprendre tel texte écrit – garantit-elle, au-delà de l’exercice
réussi, une compétence générale, quels que soient les textes et
toute sa vie durant ?
De fait, si l’on dégage ces réticences de leur gangue corpo-
ratiste ou idéologique, l’approche par compétences soulève de
vraies questions, essentielles pour les pédagogues4. Celle du
transfert tout d’abord : comment faire en sorte que les apprentis-
sages réalisés en classe permettent à l’élève d’apprendre ensuite,
quand il le faudra ? Mais aussi et plus largement, comment faire
en sorte que ces savoirs soient véritablement formateurs, c’est-à-
dire aident l’enfant à s’épanouir et à s’insérer dans la vie ?
Vastes questions, mais que l’on ne peut éluder en préconisant
un retour à la primauté des savoirs : il n’est pas possible pour
penser ce que l’élève devient, grâce à ses apprentissages, capable
de faire, d’opposer savoirs et compétences. Pour réussir à utiliser
une machine quelle qu’elle soit, on ne saurait soutenir qu’il suffit
de connaître sur le papier son fonctionnement (ou de lire les
instructions), ou bien, selon l’approche par compétences, de la
manipuler… Le savoir joue un rôle dans l’action, pour débou-
cher sur la maîtrise.

Une dictature de l’utile ?


Une autre vraie question concerne cette primauté de l’utile
que distillerait l’approche par compétences. La rhétorique du « à
quoi ça sert ? » est d’autant plus mobilisée que l’on juge les élèves
a priori peu intéressés par la chose scolaire. De plus, le contexte
de l’emploi rend prioritaire le caractère « rentable » de ce que
l’on apprend. Il n’y a là rien de méprisable : réussir sa vie ne se
réduit pas à passer dans la classe supérieure grâce aux savoirs sco-
laires accumulés, chacun a besoin de trouver un débouché dans
4- Voir M. Crahay, « Dangers, incertitudes et incomplétude de la logique de la
connaissance en éducation », Revue française de pédagogie, n°  154, janvier-février-
mars 2006.
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Connaissances ou compétences, que transmettre ?

le monde du travail tel qu’il est. Il n’en demeure pas moins qu’il
est fort hasardeux de délimiter l’utile d’aujourd’hui par rapport
aux incertitudes de demain. De plus, tenter de motiver les élèves
par l’utile les rend… utilitaristes et tue le sens de tous les appren-
tissages à l’utilité incertaine, sans compter les déceptions que la
vie leur réservera à cet égard.
En filigrane, il y a la question de savoir quelle éducation l’on
promeut si l’on accepte cette dictature de l’utile. La philosophe
Martha Nussbaum5 dénonce une éducation « tournée vers le pro-
fit  ». Elle promeut au contraire une éducation à la démocratie,
développant l’indépendance d’esprit, l’imagination et la capa-
cité d’empathie, et fondée pour ce faire sur les humanités et les
arts. Il ne s’agit pas de promouvoir une discipline de plus, mais
un état d’esprit, en invitant les élèves à se mettre dans la peau
d’un personnage de roman, à analyser leurs émotions devant une
œuvre d’art, à s’étonner de si bien comprendre les propos d’un
auteur – philosophe ou politique – datant de plusieurs siècles…
Éduquer, ce serait aussi permettre aux élèves d’éprouver le plai-
sir des découvertes gratuites, le plaisir de surmonter la difficulté
d’un raisonnement, le plaisir de comprendre, de « retrouver le
sens des savoirs et de la culture6 »…
Si les débats savoirs versus compétences sont si vifs, c’est
parce qu’ils interrogent la nature, l’ambition et les modalités
d’une éducation qui ne se réduit pas à la transmission de savoirs.
La notion de compétence a le mérite d’expliciter les objectifs
que l’on vise et par conséquent d’ouvrir le débat sur ce que doit
être le projet éducatif de notre école : si l’on peut contester le
caractère démocratique des directives européennes en matière
de compétences à transmettre, est-on si sûr que la façon dont
le monde académique liste les savoirs disciplinaires à mettre au
programme l’est beaucoup plus ?

5- Pour une présentation de ses thèses, voir www.laviedesidees.fr/L-utilite-sociale-des-


humanites.html
6- M.Gauchet « Contre l’idéologie de la compétence, l’école doit apprendre à penser »
(Le Monde, 02/09/2011). Voir aussi M.-C. Blais, M. Gauchet, D. Ottavi, Pour une
philosophie politique de l’éducation, Bayard, 2002 et, des mêmes auteurs : Transmettre,
apprendre, Stock, 2014.
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Les voies de l’apprentissage

Une véritable réflexion sur la culture à dispenser à tous exige


de dépasser l’opposition savoirs/compétences7, mais aussi de se
poser d’autres questions, peut-être (encore) plus dérangeantes,
celle du bien-fondé du monopole de l’école et des spécialistes
d’une discipline sur l’éducation, de la valeur formatrice d’une
éducation par le « tout intellectuel ».

Marie Duru-Bellat

7- Voir les réflexions de Philippe Perrenoud : « Le socle et la statue », Cahiers pédagogiques,
2006, n°439, 16-18.
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L’enseignant, un facilitateur d’apprentissage
Psychologue humaniste américain, Carl Rogers est à l’origine de l’Ap-
proche Centrée sur la Personne (ACP) en psychothérapie. Cette approche
est caractérisée par la non-directivité et met en avant le fait que la relation
thérapeutique doit se fonder sur une écoute empathique et une absence de
jugement du thérapeute à l’égard de son patient. Dans le droit fil de cette
idée, Carl Rogers a entrepris dès les années 1970 des travaux sur l’enseigne-
ment qui ont inspiré les courants de pédagogie non directive.
Dans un ouvrage au titre évocateur réédité régulièrement, Liberté pour
apprendre (Dunod, 4e édition, 2013), Carl Rogers expose sa conception de
la pédagogie. Pour lui, l’enseignant ne doit pas être un « maître à penser »
mais bien plutôt un « facilitateur d’apprentissage ». Carl Rogers insiste ainsi
sur la nécessité de réformer l’institution scolaire, afin qu’elle cesse d’entra-
ver les désirs de l’individu, et qu’elle permette au contraire à l’élève de
s’inventer lui-même.
Fausse question pour Rogers que celle de l’enseignement, un métier
bien trop surestimé selon lui. Après avoir étudié les aborigènes austra-
liens qui transmettent aux générations futures la moindre parcelle de leurs
savoirs (comment trouver de l’eau, suivre un animal à la trace, etc.) Rogers
observe que l’enseignement n’a de sens que dans un monde immuable, qui
ne change pas ou presque. Pour lui, l’homme moderne vit dans un environ-
nement essentiellement changeant. Le problème n’est donc pas de savoir
quelles connaissances il faut enseigner ou même quelles compétences, car
elles seront obsolètes inéluctablement, demain… ou après-demain. « Le
but de l’enseignement, écrit-il, si nous voulons survivre, ne peut qu’être de
faciliter le changement et l’apprentissage. Le seul individu formé, c’est celui
qui a appris comment apprendre, comment s’adapter et changer, c’est celui
qui a saisi qu’aucune connaissance n’est certaine et que seule la capacité
d’acquérir des connaissances peut conduire à une sécurité fondée. La capa-
cité de changer, la confiance dans une capacité plutôt que dans un savoir
statique, tels sont dans le monde moderne les seuls objectifs que l’enseigne-
ment puisse s’assigner et qui aient un sens. »
Carl Rogers en appelle ainsi à libérer la curiosité intellectuelle des gens,
à « affranchir l’esprit de recherche » afin de faciliter les apprentissages.

V. Bedin

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TROUBLES D’APPRENTISSAGE,
LE CALVAIRE SCOLAIRE

L e concept de trouble d’apprentissage recouvre une réalité


complexe. Il fait référence à des problèmes se manifestant
très tôt dans le développement, comme les troubles du langage,
et à d’autres qui n’apparaissent qu’au moment de la scolarisa-
tion, comme la dyslexie. Il désigne des troubles dont l’origine
neurologique est avérée, mais aussi des problèmes découlant
d’une motivation défaillante. Pour bien saisir la complexité de
ce concept, un bref historique est nécessaire.

Trouble d’apprentissage et scolarité obligatoire


L’émergence du concept contemporain de trouble d’appren-
tissage est étroitement liée à l’apparition de la scolarité obliga-
toire. Face aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage,
les enseignants se révèlent alors démunis et la création d’un ensei-
gnement adapté est envisagée. C’est dans ce contexte qu’Alfred
Binet crée en France le premier test d’intelligence en 1905. Le
but de cet instrument est d’identifier les enfants devant bénéfi-
cier d’un enseignement spécial. Pour Binet et ses contemporains,
les difficultés d’apprentissage sont en effet la conséquence d’un
déficit intellectuel ou sensoriel. Cette conception réductrice des
troubles d’apprentissage évolue toutefois rapidement.
À la même époque, plusieurs auteurs décrivent des cas de
sujets incapables d’apprendre à lire, malgré des capacités sen-
sorielles et intellectuelles apparemment normales. Les tests de
QI vont permettre d’objectiver les compétences intellectuelles
de ces sujets, et de distinguer les troubles spécifiques dont ils
souffrent des troubles globaux qui caractérisent les retardés
mentaux. Dans les nosographies actuelles, comme la CIM-10
ou le DSM-IV, le constat d’un QI non déficitaire reste l’un des

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Troubles d’apprentissage, le calvaire scolaire

critères de base des troubles spécifiques d’apprentissage, associé


à l’absence de trouble sensoriel et à une scolarisation adéquate.
Mais quelle est l’origine des troubles spécifiques d’apprentis-
sage ? De tous ces troubles, c’est la dyslexie qui, de loin, a généré
le plus de recherches. Dès le début du xxe siècle, l’hypothèse
d’un déficit cérébral inné est d’emblée privilégiée. Les premiers
chercheurs affirment tout d’abord que la dyslexie trouve son ori-
gine dans un système visuel immature. Mais, à partir des années
1970, cette hypothèse cède la place à une explication en termes
de déficit phonologique. Les dyslexiques se caractérisent en effet
par une difficulté à analyser les sons de la langue parlée et à en
identifier les composants élémentaires que sont les phonèmes.
Le trouble de la conscience phonémique à l’origine de la dyslexie
apparaît aujourd’hui lié à la désorganisation de certaines zones
cérébrales, sans incidence sur les capacités intellectuelles.

L’importance du contexte d’apparition


Le succès des travaux sur la dyslexie a profondément influencé
les recherches consacrées aux autres troubles d’apprentissage.
Ainsi, les travaux récents sur la dyscalculie se sont, eux aussi,
concentrés sur l’identification d’une zone cérébrale responsable
du déficit d’une compétence de base qui, en cascade, perturbe-
rait l’ensemble des apprentissages mathématiques. De nombreux
chercheurs considèrent que les sujets dyscalculiques souffriraient
d’un dysfonctionnement du système cérébral de représentation
des quantités, entraînant des difficultés d’apprentissage des pre-
mières compétences numériques.
Alors que certains chercheurs se sont attachés à identifier
des facteurs neuropsychologiques très précis à l’origine de cer-
tains troubles d’apprentissage, d’autres se sont intéressés à des
problèmes plus généraux perturbant une gamme plus large
d’apprentissages. Parmi ces problèmes, le déficit de l’attention
occupe une place de choix. Mais on peut aussi citer les dys-
phasies et les dyspraxies, susceptibles d’entraîner une variété de
troubles d’apprentissage.
Les recherches évoquées jusqu’ici ont en commun d’envisa-
ger les troubles d’apprentissage sous un angle purement neuro-

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Les voies de l’apprentissage

cognitif et en dehors de tout contexte. Cette approche a permis


des avancées incontestables dans la compréhension des troubles
d’apprentissage. Toutefois, les enfermer dans ce seul cadre se
révèle réducteur. Ainsi, le jeune dyslexique confronté à son inca-
pacité d’apprendre à lire voit l’image de ses compétences intel-
lectuelles mise à mal, et sa motivation pour les apprentissages
scolaires sérieusement émoussée. Une approche plus globale des
troubles d’apprentissage, qui tiendrait compte de leurs consé-
quences émotionnelles et motivationnelles, apparaît dès lors
nécessaire. Par ailleurs, les conditions éducatives précoces et les
méthodes d’apprentissage peuvent atténuer ou aggraver le déficit
de l’enfant. Par conséquent, le trouble d’apprentissage n’est pas
seulement un attribut du sujet, mais doit être compris dans son
contexte d’apparition.

Jacques Grégoire

Qu’est-ce que la dyslexie ?


Le mot « dyslexie » désigne un trouble « spécifique » et « durable »
d’acquisition de la lecture. « Spécifique », car ce problème ne s’explique pas
par une cause générale comme une scolarisation irrégulière, un retard men-
tal, des troubles du langage oral… « Durable », car la situation ne semble
pas s’améliorer avec le temps. Elle est souvent associée à d’autres troubles
comme un déficit attentionnel avec ou sans hyperactivité, une humeur
anxieuse, une dépression, ou encore l’incapacité à assimiler l’orthographe,
les techniques d’écriture des lettres, les mathématiques ou les séquences
gestuelles, respectivement la dysorthographie, la dysgraphie, la dyscalculie
et la dyspraxie. Ajoutons qu’à côté de cette dyslexie dite « développemen-
tale » (entravant l’apprentissage de la lecture), il existe aussi une dyslexie
dite « acquise » (ou « alexie ») désignant la perte de la lecture, suite à une
lésion cérébrale, chez un lecteur auparavant performant.
L’hypothèse aujourd’hui considérée comme la plus probable pour expli-
quer la dyslexie est celle d’un trouble de la « conscience phonologique ».
C’est elle qui permet au tout jeune enfant de dissocier les unités sonores
de la parole (les phonèmes), et de les combiner, les retrancher, les permu-
ter… pour les associer ultérieurement aux lettres ou groupes de lettres (les
graphèmes). Sans ce découpage de la petite musique des mots, impossible
d’aborder sereinement la conquête de l’alphabet.

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Troubles d’apprentissage, le calvaire scolaire

Point sur la prévalence et la prise en charge


Fréquence des troubles
La prévalence des troubles d’apprentissage est directement liée aux cri-
tères diagnostiques utilisés. Ainsi, dans le cas des troubles de la lecture, le
pourcentage de sujets varie selon que l’on évalue le décodage de mots ou la
compréhension de texte. Et pour chacun des critères choisis, ce pourcen-
tage change selon le seuil de performance utilisé. Par conséquent, il n’est
guère étonnant que la prévalence des troubles de la lecture varie très sen-
siblement d’une étude à l’autre. Selon une étude de l’OCDE (2000), 4 %
des enfants français souffrent de difficultés sévères de la lecture. Ce trouble
est plus fréquent chez les garçons (6 %) que chez les filles (2 %). Une autre
étude (2008), réalisée sur 800 000 jeunes Français de 17 ans, montre que
9,8 % d’entre eux sont des lecteurs médiocres. La fréquence du trouble des
apprentissages mathématiques est, quant à elle, estimée à 6 % des enfants
d’âge scolaire. Quant aux troubles de l’attention, ils toucheraient de 3 à
10 % des enfants, avec une prévalence de 3 garçons pour 1 fille.

Prise en charge
La mise en évidence d’anomalies cérébrales chez les enfants souffrant de
troubles d’apprentissage n’implique pas que les compétences de ces enfants
ne puissent pas s’améliorer. Le cerveau de l’enfant étant plastique, une meil-
leure compréhension de la nature des troubles a permis de mettre au point
des rééducations efficaces.
Ainsi, la dyslexie est aujourd’hui traitée avec succès par un travail de
développement de la conscience des phonèmes. Toutefois, un traitement
qui se limite au développement de la conscience phonémique risque de
n’aboutir qu’à un succès partiel. En effet, la lecture fluide nécessite une
automatisation du décodage de mots, laquelle n’est possible que grâce à une
pratique très régulière de la lecture.
Pour cela, il est nécessaire que l’enfant ait envie de lire, alors qu’il asso-
cie généralement la lecture à l’échec et au déplaisir. En d’autres termes, une
rééducation efficace doit nécessairement envisager l’activité de lecture en
intégrant ses dimensions neuropsychologiques et motivationnelles.
Certains troubles sont soignés à l’aide de médicaments psychotropes.
C’est le cas des troubles de l’attention, qui sont traités à l’aide de stimulants
du système nerveux central améliorant le contrôle attentionnel et com-
portemental et, du même coup, les performances scolaires. L’usage de ces
médicaments s’est répandu en France depuis une vingtaine d’années. Ils
sont l’objet de controverses portant sur les critères de prescription et les
effets neurologiques à long terme.

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Les voies de l’apprentissage

Notre meilleure connaissance des processus sous-jacents aux troubles


d’apprentissage permet également d’agir de manière préventive. Des inter-
ventions éducatives précoces et le choix de méthodes d’apprentissage adé-
quates peuvent en effet atténuer la gravité de certains troubles.

J.G.
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APPRENDRE PAR SOI-MÊME/
NOUVEAUX APPRENTISSAGES

– Les penseurs de l’autoformation (encadré)


– L’autoformation, d’hier à aujourd’hui (P. Carré)
– Peut-on se passer des profs ? (A. Tricot)
– Les MOOCs, révolution ou gadget ? (F. Trécourt)
– À quoi sert le jeu ? Rencontre avec Gilles Brougère
– Serious games : se former en s’amusant (F. Fenouillet)
– Les écrans changent-ils le cerveau ? (O. Houdé)
– École numérique : de quoi parle-t-on ? (A. Tricot)
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Quelques penseurs
de l’autoformation

CARL R. ROGERS (1902-1987) :


APPRENDRE PAR SOI-MÊME

Dans les années 1960, les idées novatrices de Carl Rogers en matière
d’éducation trouvent un vaste écho. Sa pédagogie, fondée sur la non-direc-
tivité, bouscule les principes d’autorité. Elle suit les mêmes orientations
que sa méthode thérapeutique : une vision positive de l’être humain (il pos-
sède des aptitudes naturelles à apprendre) et l’implication de l’individu.
Carl Rogers pense qu’apprendre par soi-même vaut mieux qu’accumu-
ler des connaissances. À ses yeux, l’expérience personnelle est « l’autorité
suprême », à la base de l’apprentissage. À ce titre, C. Rogers a inspiré le
courant de l’autoformation.
• Le Développement de la personne (On Becoming a Person, 1961), Dunod,
2005 ; Liberté pour apprendre, 4e édition, Dunod, 2013.

MALCOM SHEPERD KNOWLES (1913-1997) :


FONDATEUR DE L’ANDRAGOGIE

Malcolm S. Knowles est l’héritier du philosophe John Dewey, élève de


Harvard et professeur d’Adult Education à Boston. Ses orientations huma-
nistes traduisent parfaitement les aspirations de l’éducation des adultes,
qu’il décide d’appeler désormais « l’andragogie », science de l’éducation des
adultes. Pour lui, l’apprentissage à l’âge adulte diffère radicalement de celui
des enfants, car il est autodirigé, motivé par la volonté et par le désir de
résoudre des problèmes inhérents à leur expérience de vie. M.S. Knowles a
initié les ateliers de pédagogie personnalisée et les institutions de conseils
spécialisés dans le développement personnel (coaching, etc.).
• The Modern Practice of Education. From pedagogy to andragogy, Association
Press, 1980.

JOFFRE DUMAZEDIER (1915-2002) :


LA FORMATION TOUT AU LONG DE LA VIE

Militant infatigable pour la formation tout au long de la vie, fondateur


dans les années 1950 du mouvement Peuple et culture, Joffre Dumazedier
peut être considéré en France comme l’initiateur de tout le courant de

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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

spécialistes de la formation d’adultes. Au xxe siècle, les pratiques d’autofor-


mation semblent s’introduire de plus en plus dans les institutions d’éduca-
tion et de formation, pour répondre à une demande d’apprentissage auto-
nome très prégnante dans les sociétés. Pour J. Dumazedier, dont le propos
est ancré dans une virulente critique de l’enseignement académique (pro-
ducteur d’ennui pour les élèves, de programmes surchargés et déconnectés
de la vie), l’autoformation ne sera rien d’autre que « la nouvelle exigence
éducative » du xxie siècle et celle d’institutions scolaires devenues réelle-
ment démocratiques.
• Vers une civilisation du loisir ?, Seuil, 1962 ; Penser l’autoformation,
Chronique sociale, 2002.

GASTON PINEAU (NÉ EN 1939) :


LES HISTOIRES DE VIE

Chercheur en sciences de l’éducation, professeur émérite de l’université


de Tours, Gaston Pineau a interrompu ses études, durant sa jeunesse, pour
travailler comme ouvrier agricole. Il a soutenu sa thèse sur les systèmes
d’éducation permanente en 1973 avec Joffre Dumazedier. En 1996, il fonde
la collection « Histoires de vie et formation » aux éditions de L’Harmattan.
Il participe également à la création de plusieurs associations de recherche et
de formation, en France, au Québec et au Brésil.
Pour lui, l’approche autobiographique est un moyen d’explorer le pro-
cessus d’autoformation dans la vie quotidienne et ordinaire. Les histoires
de vie comme méthode de recherche et de formation sont aujourd’hui ins-
crites dans des diplômes de formateurs d’adultes de second et troisième
cycle.
• Produire sa vie : autoformation et autobiographie, avec Marie-Michèle,
1983, rééd. Téraèdre, 2012.

ALBERT BANDURA (NÉ EN 1925) :


L’EFFICACITÉ PERSONNELLE

Les recherches sur l’autoformation s’inspirent des travaux de ce célèbre


psychologue canadien, enseignant à l’université de Stanford, connu pour
sa théorie de l’apprentissage social et son concept d’autoefficacité. Albert
Bandura insiste sur le rôle central des processus cognitifs, autorégulateurs
et autoréflexifs dans l’acquisition des connaissances.
• Autoefficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle, 2e éd., De Boeck, 2007.
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L’AUTOFORMATION,
D’HIER À AUJOURD’HUI

C édric est cadre dans une grande banque ; il se forme


régulièrement à de nouvelles approches des relations
humaines en animant bénévolement des sessions de formation
au scoutisme, développe ses compétences émotionnelles par la
pratique intensive des arts martiaux et écoute des enregistre-
ments de e-books de management tout en faisant son jogging
hebdomadaire. À 39 ans, Salima a entrepris de creuser successi-
vement les domaines de la théologie de l’islam, de la gestion des
associations et de la motivation scolaire, sur son temps libre, en
marge de ses activités professionnelles. Karl, chauffeur de taxi à
Maastricht, a appris seul à parler couramment, outre le flamand,
l’allemand pour ses clients voisins, l’anglais « que tout le monde
parle » et le français « pour faire des rencontres en vacances sur la
côte d’Azur ». Paul a entrepris de rédiger une thèse de doctorat à
plus de 75 ans, tandis que Valérie achève un dossier de VAE pour
valider son expérience de responsable de formation et obtenir un
master en sciences humaines au terme d’un parcours débuté à
16 ans avec un CAP de coiffure. Tous réalisent ces apprentissages
par eux-mêmes, en dehors de toute formation formelle, avec un
recours constant aux ressources d’Internet.
L’expansion des usages des moteurs de recherche, des réseaux
sociaux numériques et des outils du Web 2.0, accompagnée de
l’individualisation progressive des dispositifs de formation avec
la création du « compte personnel de formation », donne depuis
le début des années 2000 à la vieille idée d’autodidaxie, deve-
nue autoformation à la fin du xxe siècle, un sens nouveau, dont
on peut se risquer à penser qu’elle sera la forme dominante de
l’apprentissage des adultes au xxie siècle.

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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

Des autodidactes admirés ou rejetés


Depuis l’étude fondatrice du Canadien Allen Tough en 1971
sur les projets d’études indépendants des adultes, qui a dévoilé
cette face cachée de « l’iceberg de la formation », de multiples
recherches ont mis en évidence le caractère universel des appren-
tissages buissonniers, autodirigés et informels. Cadres supérieurs,
infirmières, médecins, demandeurs d’emploi ou ingénieurs
égrènent, à longueur d’enquêtes, les connaissances et savoir-faire
qu’ils ont tissés dans et par leurs activités quotidiennes au tra-
vail, en vacances, à travers les expériences, les projets, les leçons
de la vie et, massivement, la consultation régulière de Google,
Wikipédia, forums et sites spécialisés, en réponse aux innom-
brables sollicitations et interrogations de l’existence.
Aux racines de l’autoformation, les figures paradoxales, sou-
vent dérisoires, parfois stigmatisées des autodidactes, ces orphe-
lins de l’éducation officielle, traduisent la dimension quasiment
anthropologique de ces pratiques universellement observées,
dont déjà Confucius, Épicure ou le Coran louaient les vertus.
On les célèbre avec Ambroise Paré, père de la chirurgie moderne
ou, plus près de nous, Pierre Bérégovoy, ouvrier fraiseur devenu
Premier ministre, Fabrice Luchini ou Sonia Rykiel. Ils sont
craints comme Iceberg Slim, passé maître de l’art du proxénète,
parfois méprisés comme Bouvard et Pécuchet, dont Gustave
Flaubert dépeint avec ironie les techniques d’étude ridicules, ou
ignorés comme l’Autodidacte sans nom que Jean-Paul Sartre fait
rencontrer au héros de La Nausée. Admirés, rejetés ou impensés,
ils ont longtemps été vus comme les parias de la formation des
adultes.
C’est à partir des années 1970 qu’un courant massif de tra-
vaux scientifiques, des deux côtés de l’Atlantique, vient donner
ses lettres de noblesse à l’art ancestral de « s’instruire par soi-
même, sans maître », repéré dès le xvie siècle et jusque-là relégué
au rayon des talents compensatoires, toujours marqué du sceau
de l’absence ou, pire encore, de l’échec d’une socialisation cano-
nique par l’école et l’université. Côté américain, les ouvrages fon-
dateurs d’A. Tough, Cyril O. Houle, Boshier Rogers et Malcolm
Knowles installent les bases de ces pratiques alternatives avec le

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L’autoformation, d’hier à aujourd’hui

concept d’apprentissage autodirigé. En France, de façon quasi


simultanée, les travaux de plusieurs pionniers de l’éducation
permanente convergent pour donner à l’autoformation sa légi-
timité scientifique et culturelle, que ce soit dans le cadre pro-
fessionnel (Bertrand Schwartz), les loisirs (Joffre Dumazedier),
l’histoire de vie (Gaston Pineau). Dès lors, une vaste production
éditoriale pénètre cénacles universitaires et organismes de forma-
tion, accompagnée par la multiplication des colloques, journées
d’études et enfin, vers la fin du siècle, la nomination de nom-
breux universitaires à des postes ciblés sur ce nouveau paradigme
éducatif.

L’autoformation, géant au pied d’argile


Tel le géant aux pieds d’argile, l’autoformation est une
notion riche mais polysémique ; c’est là à la fois sa force et sa
fragilité. On peut aujourd’hui la penser selon plusieurs perspec-
tives, selon que l’on s’attache à la radicalité des pratiques autodi-
dactiques, à la nature des processus d’apprentissage autodirigés,
aux pédagogies de l’autonomie, aux dimensions existentielles
de la construction de soi, ou aux caractéristiques des organisa-
tions dites « apprenantes ». Par-delà cette variété qui confine au
baroque, on peut détecter aujourd’hui un mouvement puissant
d’institutionnalisation de l’autoformation, véritable reconnais-
sance sociale de son influence à travers les pratiques d’accom-
pagnement des adultes, l’évolution des dispositifs juridiques ou
l’individualisation progressive de la formation.
Depuis le début du xxie siècle, trois évolutions majeures
consacrent la reconnaissance de l’autoformation non seulement
comme fait social et objet de recherche légitime, mais également
comme vecteur majeur de développement des pratiques d’ap-
prentissage tout au long de la vie.

La pénétration du Web 2.0


Tout d’abord, le mouvement initié à la fin du xxe siècle
se consolide, ainsi que le prouve l’accroissement régulier des
publications et recherches sur ce thème. Une cinquantaine de
thèses de doctorat ont aujourd’hui été soutenues en France sur

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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

l’autoformation, et plusieurs centaines d’ouvrages portent le


mot en titre. Le terme d’autoformation est entré dans le dic-
tionnaire Robert en 2002, tandis que le Cereq l’utilisait pour la
première fois dans sa grande enquête sur la formation en 2000.
Au terme d’une déjà longue série, le VIIIe Colloque européen sur
l’autoformation a eu lieu en 2014 à Strasbourg.
Ensuite, d’évidence, la pénétration des technologies de l’in-
formation et particulièrement des outils du Web 2.0 dans les
usages quotidiens des sujets sociaux accompagne une explosion
des pratiques d’apprentissage autonome. Qu’il s’agisse d’une
simple recherche d’information pour un bricolage à domicile,
d’un besoin technique au travail, ou d’un projet plus élaboré
de recherche sur la santé, l’économie ou l’informatique, voire
d’un geste quotidien dès qu’une question nouvelle se pose à lui,
le citoyen de 2014 a si bien intégré en peu d’années ce « réflexe
Internet » que l’on s’interroge aujourd’hui sur ce que l’on faisait
sans lui. La marginale autodidaxie d’antan se fait autoformation
numérique à grande échelle.

Auto ne rime pas avec solo


Enfin, on sait aujourd’hui qu’autoformation ne rime qua-
siment jamais avec soloformation. Les attributs mythiques de
Robinson Crusoé de la culture que l’autodidacte traînait comme
des oripeaux s’estompent peu à peu sous les évidences accumu-
lées à force de recherches et de témoignages. Il est aujourd’hui
admis que l’on apprend toujours seul, mais jamais sans les
autres : du traditionnel autodidacte – on pense ici au Martin
Eden de Jack London – jusqu’aux geeks les plus autodirigés de
nos sociétés de l’information, le chemin de l’autoformation est
généralement moins solitaire que bien des parcours scolaires ou
universitaires.
Légitimée et désormais installée dans les esprits, les institu-
tions et les pratiques sociales, l’autoformation se découvre ainsi
à la fois sociale et numérique. Elle représentera sans doute, sous
réserve d’une vigilance accrue quant à ses risques de dérive,
le vecteur dominant du développement des savoirs dans nos
sociétés tournées vers la grande ambition d’apprendre tout au

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L’autoformation, d’hier à aujourd’hui

long de la vie. Elle est d’ores et déjà une compétence clé de la


vie professionnelle et personnelle, amenant le célèbre psycho-
logue canadien Albert Bandura, à affirmer qu’un « but majeur
de l’éducation est de préparer les étudiants à poursuivre leurs
apprentissages autodirigés tout au long de la vie ».
On retrouve ici, à plus de deux siècles de distance le Traité
de pédagogie d’Emmanuel Kant, publié en 1803, selon lequel
« ce que l’on apprend le plus solidement et ce que l’on retient
le mieux, c’est ce que l’on apprend en quelque sorte, par
soi-même ».

Philippe Carré

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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

Quelques définitions
Autoformation
L’autoformation désigne le fait de se former soi-même de manière auto-
nome. Cette notion recouvre celle d’autodidaxie, utilisée antérieurement.
Pour Joffre Dumazedier, l’autoformation est une pratique d’autodévelop-
pement : le sujet approfondit son expérience par une recherche de connais-
sance qu’il utilise ensuite dans la pratique. Pour certains pédagogues,
comme Philippe Meirieu, « il n’y a d’apprentissage qu’en autoformation »,
ce qui suggère que, même dans une situation de classe, l’élève décide de ce
qu’il apprend par une démarche active.

Éducation formelle
L’éducation formelle, ou scolaire, est délivrée dans les institutions d’en-
seignement, où des professeurs effectuent un programme précis, selon le
niveau et la discipline. Ce modèle se caractérise par son unicité, avec des
classes d’âge homogène, des cycles hiérarchisés.

Éducation non formelle


L’éducation non formelle (ou extrascolaire), à distinguer de l’éducation
informelle, désigne une myriade de projets à visée éducative. Ils sont portés
par des institutions comme l’Europe ou l’Unesco, des États, des Régions,
des collectivités locales. Les actions sont très diverses : cours d’alphabétisa-
tion pour les femmes maghrébines en banlieue, service volontaire européen
pour les jeunes, ateliers de cuisine ou de mécanique…
La démarcation entre formel et non-formel n’est pas toujours claire :
lorsqu’un animateur (non enseignant) intervient dans l’école par exemple.

Éducation informelle
La majorité des savoirs et des savoir-faire que l’on acquiert au cours de la
vie se font par ce mode d’éducation. Acquisition de la langue, des valeurs
culturelles, des croyances propres à son milieu, d’une religion…, autant de
compétences acquises dans la famille, au contact des amis et des relations,
dans les associations, dans les médias.
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PEUT-ON SE PASSER
DES PROFS ?

D e manière récurrente, le développement des technolo-


gies de l’information et de la communication est utilisé
comme argument « révolutionnaire » à propos des apprentis-
sages et de l’enseignement. Telle technologie va profondément
modifier la façon d’apprendre et/ou la façon d’enseigner. Il est
fascinant de voir à quel point cet argument est souvent utilisé.
Je me souviens, lors du développement d’une ressource appe-
lée « Itinéraire pour un métier » au début des années 1990 (une
série de cédéroms de l’Onisep qui présentait des informations
sur les métiers et les études de façon interactive), avoir organisé
une première démonstration dans un centre d’information et
d’orientation. Je venais recueillir les conseils et les critiques de
conseillers d’orientation psychologues. Je fus très surpris d’en-
tendre une personne me dire : « Mais alors, vous voulez nous
piquer notre boulot ? » Alors que je participais au développe-
ment d’une ressource, cette personne me parlait de son métier…
(il n’est pas exclu qu’elle se moquait gentiment de moi). Au cours
des dernières années, on a pu entendre le même argument avec
les tuteurs intelligents, le micromonde Logo, le multimédia, les
hypertextes, les serious games, etc., aujourd’hui avec les MOOCs.
Plus tôt dans le siècle, avant même l’informatique, on a entendu
le même discours avec le cinéma, la radio, la télévision. Je me
prends parfois à imaginer que cet argument a dû être servi lors
de l’inauguration de la bibliothèque d’Alexandrie. Pourquoi ?

La grande illusion : apprendre et enseigner


Nombre des personnes qui développent ces technologies ou
qui ont l’idée de les utiliser d’une certaine manière pour l’en-
seignement ne savent tout simplement pas en quoi consiste le

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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

métier d’enseignant. Ils ne le savent pas parce qu’ils ne font pas


la différence entre apprendre et enseigner. Puisque l’on enseigne
pour que les élèves apprennent, si un humain apprend dans telle
situation, alors cette situation peut relever de l’enseignement.
C’est un peu subtil, mais c’est là que se situe le problème : ce rai-
sonnement est faux. Par exemple, j’ai appris beaucoup en lisant
Le Pendule de Foucault d’Umberto Eco. Beaucoup appris sur les
théories du complot, sur les formes douces de la paranoïa, sur les
risques de l’herméneutique et sur les limites de l’interprétation.
J’ai adoré ce roman qui a été un grand apprentissage pour moi
quand j’avais 24 ans. Imaginez que j’en tire maintenant cette
conclusion : si je le fais lire à d’autres personnes, elles appren-
dront beaucoup sur les théories du complot, les limites de l’in-
terprétation, etc. Ce n’est pas très sérieux, n’est-ce pas ? (à part
cette génération de parents qui ont fait lire Moi, Christiane F. à
leurs enfants pour qu’ils apprennent que la drogue, c’est mal, qui
peut croire que l’on peut donner un roman à lire à des enfants
pour qu’ils apprennent quelque chose ?). Pourtant, c’est bien ce
type de raisonnement qui est utilisé. On passe de « j’ai appris
X avec la ressource Y » à « donc il suffit de donner Y à d’autres
personnes, elles apprendront X ».
Confondre l’apprentissage et l’enseignement est donc la
source majeure de l’illusion selon laquelle des ressources pour-
ront un jour remplacer les enseignants. Cette confusion est pro-
bablement entretenue par l’incroyable puissance de notre capa-
cité d’apprentissage. Les humains sont capables d’apprendre à
peu près tout et n’importe quoi à partir du moment où cela fait
partie de leur environnement et leur est utile quotidiennement.
Ils peuvent ainsi apprendre à parler une seconde langue, à faire
du vélo, à jouer aux échecs, à utiliser un logiciel de traitement
de texte ou Google. La liste est infinie. Cette capacité d’appren-
tissage « adaptative » ou « par la pratique » est extraordinaire,
elle permet aux humains d’atteindre de très hauts niveaux de
performances. Déjà en 1894, dans une étude d’Alfred Binet, des
caissiers du Bon Marché (qui pratiquaient quotidiennement le
calcul mental, depuis plus de dix ans) se sont révélés aussi perfor-
mants, voire plus, que des grands calculateurs, des individus qui

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Peut-on se passer des profs ?

avaient manifestement un don pour le calcul mental. Dans le


cas d’une langue parlée, cet apprentissage adaptatif est fascinant
parce qu’il est implicite, l’individu n’est même pas conscient des
apprentissages qu’il réalise, il ne sait pas les décrire. Mais dans
les autres cas (calculer, jouer aux échecs, utiliser un traitement
de texte), cet apprentissage est tout à fait conscient, explicite, il
nécessite des efforts, du temps, une pratique délibérée et quo-
tidienne. Que ce processus d’apprentissage soit implicite ou
explicite ne change pas cette donnée fondamentale : les humains
ont une capacité d’apprentissage par adaptation absolument
fabuleuse.

L’indispensable contact humain


L’enseignement existe pour pallier les limites de cet appren-
tissage. Parce que cet apprentissage a une limite importante, qui
réside dans sa force même : l’adaptation. Je peux devenir très
performant en calcul mental si, pour des raisons profession-
nelles, pour des raisons personnelles, par passion, par loisir (peu
importe), je pratique le calcul mental tous les jours ou presque.
C’est là le moteur de l’autodidaxie.
Or de très nombreux enfants de 9 ans ne pratiquent pas le
calcul mental quotidiennement, parce qu’ils n’ont aucune raison
de le faire, ni métier, ni passion qui implique le calcul mental.
Ah, si ! Ils le pratiquent. À l’école. Si l’école n’existait pas, il est
probable qu’une grande majorité d’enfants de 9 ans ne prati-
querait pas le calcul mental. N’apprendrait pas à compter, ni à
orthographier, ni probablement à lire, ni à étudier l’histoire de
leur pays, ni la géographie de l’Europe, etc., la liste est longue.
L’école sert à ce que tous les enfants apprennent des connais-
sances qui ne correspondent ni à leur environnement immédiat,
ni à leur passion. Le cœur du métier des enseignants réside dans
cette capacité à faire apprendre à tous élèves des connaissances
qui ne leur sont pas immédiatement utiles, ne font pas par-
tie de leur quotidien, ne les passionnent pas particulièrement.
Bien sûr, certains parents peuvent enseigner à domicile ; mais ils
enseignent un programme, ils ne décident pas que leurs enfants
seront dispensés d’apprendre l’accord du participe passé avec

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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

l’auxiliaire avoir, même s’ils n’aiment pas cette règle, comme


Voltaire, qui aurait dit : « Clément Marot a ramené deux choses
d’Italie : la vérole et l’accord du participe passé… Je pense que
c’est le deuxième qui a fait le plus de ravages ! »
J’ai donc du mal à croire que l’on puisse un jour se passer
d’un contact humain direct, que l’on puisse se passer de salles de
classe et de contraintes temporelles pour assumer cette incroyable
mission, si l’on comprend que cette mission s’adresse à tous les
enfants et les adolescents. J’ai même tendance à penser que le
monde dans lequel nous vivons étant de plus en plus complexe,
riche, divers, imprévisible, nos enfants auront toujours besoin de
plus de connaissances « non immédiates », donc de plus d’école.

André Tricot
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LES MOOCs,
RÉVOLUTION OU GADGET ?

Q uel étudiant n’a pas rêvé de suivre un cours magistral


sans quitter sa couette ? En trois clics et sans débour-
ser un centime, le rêve est devenu réalité pour des milliers de
Français qui participent à un MOOC – prononcez « mouk »
ou « mok » pour « massive open online course » –, des formations
dispensées gratuitement sur Internet par des universités ou des
grandes écoles ; contrairement au e-learning classique, elles sont
ouvertes au monde entier, gratuites, sans engagement et non
diplômantes. Pour le reste, ça ressemble beaucoup aux forma-
tions à distance : des professeurs mettent en ligne des cours et
des exercices, sous forme de vidéos, de quiz interactifs ou plus
classiquement de documents textes. Les formations durent deux
à trois mois et permettent d’obtenir un « certificat de complé-
tion » : ça n’a pas de valeur diplômante, mais atteste que le lau-
réat a étudié avec assiduité.
Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
en a ouvert vingt-cinq sur le site France université numérique
(FUN), pour la première fois récemment. Libre à chacun de
suivre « L’introduction aux réseaux mobiles » de l’institut Mines-
Télécom, ou le séminaire sur « Philosophie et modes de vie ; de
Socrate à Pierre Hadot et Michel Foucault », proposé par l’uni-
versité Paris-X. « Quelque 70 000 Français sont d’ores et déjà
inscrits », assurait la chargée de mission Catherine Mongenet,
s’ajoutant aux internautes déjà adeptes du système. Les MOOCs
existent en effet depuis plusieurs années. Centrale-Lille a notam-
ment lancé le premier MOOC français délivrant un certificat
en 2013 : « Près de 3 500 internautes se sont inscrits », rapporte
le responsable de la formation, Rémi Bachelet. Dans le reste du
monde, il y aurait un à trois millions d’inscrits, sur les MOOCs

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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

anglophones essentiellement. « Ces cours intéressent tout le


monde, renchérit C. Mongenet, professionnels, retraités… Les
étudiants sont minoritaires. » Selon une étude de l’université de
Pennsylvanie, la moitié des inscrits travaillent à temps complet,
seuls 17 % sont étudiants ; 7 % sont des employés à temps par-
tiel, près de 7 % des retraités, et 6,6 % des chômeurs.

Des butineurs plus ou moins assidus


Une large majorité décroche en cours de route, poursuit
R. Bachelet : « À Centrale-Lille, le taux d’abandon habituel-
lement observé est de 50 à 70 %. » Parmi ceux qui restent
jusqu’au bout, en revanche, plus ou moins deux tiers valident
les examens. Selon Matthieu Cisel, qui prépare une thèse sur
les MOOCs à l’ENS-Cachan, le constat se vérifie un peu par-
tout. Sur Coursera par exemple, seuls 10 % des inscrits valident
l’examen en moyenne. « Le record y est détenu par un cours
de programmation informatique : 20 % des 50 000 participants
ont obtenu la certification l’hiver dernier. » Plusieurs facteurs
expliquent ce décrochage : d’une part, la facilité d’accès et la gra-
tuité engendrent mécaniquement un engagement plus faible.
D’autre part, beaucoup d’inscrits travaillent ou étudient par ail-
leurs, et se rendent compte qu’ils ne peuvent pas tout concilier
quand la formation commence. Enfin, si les cours sont gratuits,
l’examen permettant d’obtenir un certificat est généralement
payant – quelques centaines d’euros pour une validation hono-
rifique, qui ne garantit rien sur le marché du travail… De quoi
rebuter beaucoup de candidats.
En outre, nombreux sont les inscrits qui n’ont jamais eu l’in-
tention de passer l’examen. Seuls 13 % des sondés souhaitent
« obtenir un diplôme », estime l’université de Pennsylvanie ;
environ un tiers cherche à obtenir des compétences spécifiques
pour « mieux faire son travail », tandis que la moitié des uti-
lisateurs s’inscrivent « par curiosité » ou « pour le fun ». « La
majorité utilise le cours à la manière d’une émission de télé ou
d’une série », confirme M. Cisel. Ça n’est pas un hasard, en effet,
si les MOOCs ont émergé en même temps que le Web 2.0, au
début des années 2000 ; les internautes s’inscrivent à un MOOC

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Les MOOCs, révolution ou gadget ?

de physique quantique comme ils écoutent une conférence de


Stephen Hawking sur Youtube ou corrigent l’article Wikipédia
qui lui est consacré. Ça leur permet de partager une passion ou
d’acquérir des notions. Et s’ils ne vont pas au bout de la forma-
tion, ils auront au moins entendu parler de tel ou tel physicien
en cliquant sur l’intitulé du cours. Le psychiatre et psychanalyste
Serge Tisseron1 confirme : « Les MOOCs répondent à un désir
inhérent à Internet de butiner du savoir et de l’information, sans
nécessairement se former au sens scolaire du terme. »

Une pédagogie qui reste à adapter


Pour ces « butineurs », le format universitaire classique n’est
pas forcément adapté, poursuit S. Tisseron : « Il faut inverser
notre modèle pédagogique : l’élève devrait chercher seul l’infor-
mation, de manière à ce que le cours devienne un lieu de ques-
tions, d’échanges et de débats. » Cette pédagogie inversée s’ins-
pire de l’esprit « pair à pair » – « peer to peer » – propre au Web, et
se retrouve dans les MOOCs dits « connectivistes » : ce sont les
participants eux-mêmes qui apportent leurs connaissances sur le
sujet du cours, en dialoguant sur des forums par exemple. Les
professeurs, eux, sont chargés de les accompagner, d’animer les
échanges, d’indiquer des ressources au besoin, et surtout d’en-
courager la production de contenus originaux.
Cette modification des pratiques peut faire ses preuves : en
expérimentant cette méthode dans un cours d’électronique
« réel », l’université de San Jose, aux États-Unis, a vu les taux de
réussite à l’examen passer de 55 à 91 %. « Un jeune trisomique
est même parvenu à suivre un cours de niveau master », renché-
rit C. Mongenet.
L’écrasante majorité des MOOCs reste cependant calquée
sur le modèle universitaire classique : les professeurs publient des
cours magistraux en ligne, des exercices, et se rendent dispo-
nibles pour répondre aux questions des élèves… Rien de révo-
lutionnaire. Selon le sociologue Dominique Boullier, chargé
de mission à l’IEP-Paris pour les stratégies numériques, la
1- S. Tisseron, Rêver, fantasmer, virtualiser. Du virtuel psychique au virtuel numérique,
Dunod, 2012.

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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

réorganisation des savoirs et des parcours pédagogiques prendra


du temps. « Les formules dominantes aujourd’hui – à base de
vidéos, de quiz et de forums… – ne donnent aucun résultat. » Ce
qui se profile à moyen terme, c’est le développement de forma-
tions courtes pour des filières techniques. C’est du moins le pari
que fait Antoine Amiel, cofondateur de Leeaarn, une sorte de
MOOC dédié aux entrepreneurs : « Il y aura probablement des
cours tournés vers l’employabilité et la rentabilité, mais pas de la
connaissance avec un grand C. » L’intérêt des MOOCs pour la
recherche fondamentale en sciences humaines, par exemple, est
loin d’être évident.

Faire ses études en ligne ?


Pour M. Cisel, en revanche, les MOOCs pourraient tout à
fait permettre de faire des études au long cours. « L’un des prin-
cipaux freins à leur développement est le fait qu’ils restent en
marge du système universitaire. » Tant que les certificats n’auront
pas de valeur diplômante, notamment, les internautes privilégie-
ront des études classiques et mieux reconnues sur le marché du
travail. Selon C. Mongenet, le ministère cherche comment offrir
une meilleure reconnaissance à ces formations : « Les universités
sont partantes, assure-t-elle, mais elles ne savent pas comment
faire. » La principale option envisagée actuellement consiste à
intégrer les MOOCs dans des cursus classiques plus généraux. «
Ce serait une brique dans un parcours pédagogique », explique-
t-elle. Un outil au même titre que la bibliothèque ou le tutorat
par exemple.
Apprendre grâce au MOOC est donc tout à fait plausible,
pour peu que l’on en ait le temps et les moyens, mais il semble
difficile de considérer aujourd’hui que l’on puisse faire toutes ses
études en ligne. « Les MOOCs restent en phase d’expérimen-
tation, analyse D. Boullier : les établissements se lancent pour
être sur le coup, mais personne ne sait ce que ça va donner. » Et
de rappeler que de nombreux pédagogues ne juraient que par
l’e-learning dans les années 1990, avec les cours en ligne et la télé
éducative par exemple, jusqu’à ce que le mouvement retombe
comme un soufflet quelques années plus tard. De même, les

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Les MOOCs, révolution ou gadget ?

MOOCs pourraient très bien disparaître dans les cinq ans. Ce


qui est sûr, en revanche, c’est qu’Internet n’a pas fini de boule-
verser les savoirs et la pédagogie.

Fabien Trécourt

Un concept américain
Le mot « MOOC » est apparu en 2008 pour désigner un cours donné
aux États-Unis à vingt-cinq étudiants de l’université du Manitoba, aux-
quels se sont ajoutés quelque 2 300 participants sur Internet. Des établis-
sements de renommée mondiale embrayent et popularisent le système, tel
que le National Research Council, le MIT ou encore l’université Stanford.
Galvanisés par cette approche, des professeurs se reconvertissent et lancent
des plateformes dédiées, comme Udacity, Coursera ou encore edX, qui
permettent à n’importe quel établissement de créer un MOOC. En 2011
et 2012, certains cours anglophones rassemblent jusqu’à 100 000 per-
sonnes à travers le monde, y compris en France, où les écoles se penchent
sérieusement sur le sujet.

F.T.

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À QUOI SERT LE JEU ?
Rencontre avec Gilles Brougère

Le jeu fait partie de nos vies. Mais qu’apprend-on en


jouant ? Parfois rien, parfois beaucoup. Et lorsqu’il est pro-
grammé pour produire des apprentissages, est-ce encore un
jeu ?
« Une vie vertueuse ne va pas sans effort sérieux et ne consiste
pas dans un simple jeu », écrivait Aristote. Longtemps, le jeu,
associé à la frivolité et au plaisir, a été objet de méfiance dans
les sociétés occidentales. Il aura fallu attendre le xixe siècle pour
qu’il sorte du purgatoire où il était confiné, notamment par le
christianisme.
Le jeu enfantin, tout d’abord, est mis au goût du jour par
le courant romantique de philosophes et de pédagogues qui, à
la suite de Jean-Jacques Rousseau, y voit la manifestation de la
nature pure et spontanée de l’enfant. « Le jeu est une activité
sérieuse », disait de son côté le pédagogue allemand Friedrich
Fröbel, inventeur des jardins d’enfants.
Au xxe siècle, les sciences sociales réhabilitent à leur tour
le jeu cependant qu’émerge ce que l’on a appelé la civilisation
des loisirs. Deux essais font toujours référence : Homo ludens.
Essai sur la fonction sociale du jeu (1938), dans lequel l’historien
néerlandais Johan Huizinga voit le jeu comme l’une des activités
humaines procurant une forte dimension de plaisir, d’excitation
ou de fièvre ; et Les Jeux et les Hommes (1958), où le sociologue
Roger Caillois le définit comme « principe permanent de la vie
sociale », en en dressant une célèbre typologie. En permettant de
s’évader gratuitement des impératifs de la vie quotidienne, le jeu
serait une manière de rejouer, pour un temps limité, son rapport
au monde.

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À quoi sert le jeu ?

Si le jeu a enfin trouvé la reconnaissance qui lui était déniée,


les sociologues voient aujourd’hui les activités ludiques comme
un processus culturel et social. Spécialiste de la question, le socio-
logue Gilles Brougère insiste sur la dimension frivole du jeu,
même si, bien sûr, on peut apprendre en jouant, tout comme on
apprend de toutes les activités de notre vie quotidienne…

Le jeu est-il un pur divertissement ?


On joue rarement pour apprendre, mais plus souvent pour se
distraire ou passer le temps, comme par exemple quand on joue
dans le métro avec son smartphone.
Il faut remettre les apprentissages qui se font par le jeu dans
l’ensemble des apprentissages informels. On apprend de manière
informelle quand on se promène, quand on voyage, quand on
regarde la télévision, quand on rencontre des amis et aussi quand
on joue. Mais il arrive aussi que l’on n’apprenne rien de ces situa-
tions. Il faut sortir du mythe que le jeu est une situation excep-
tionnelle : comme dans toutes les activités (y compris le travail),
si l’on apprend parfois, l’on n’apprend pas toujours. Parfois, on
ne fait que mobiliser des connaissances déjà acquises et le seul
but est de réussir. Qu’est-ce que l’on apprend quand on fait une
réussite aux cartes par exemple ? Oui, le jeu peut n’être qu’un pur
divertissement.

Quelles sont cependant les caractéristiques propres au jeu qui


peuvent générer des apprentissages ?
D’une part, le jeu permet de faire semblant : c’est le « pour
de faux », ou le « comme si » des enfants. Il nous plonge dans un
monde de fiction, où donc l’on peut se permettre d’échouer, de
tenter des choses… C’est un espace qui permet d’expérimenter
sans risque, sans la sanction de l’échec. Sur Internet par exemple,
l’on peut se transformer en homme ou en femme, essayer de
ressentir ce qui se passe en modifiant son identité. Les enfants
jouent à se faire peur, à faire semblant d’avoir peur… Quand le
jeune enfant comprend qu’il peut jouer à se faire disparaître en
mettant la main sur son visage, il entre dans la fiction du jeu. Il
a appris ce qu’est une activité de second degré.

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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

Une deuxième caractéristique du jeu est qu’il suppose une


décision. Jouer, c’est décider d’agir selon une règle que l’on
accepte ou que l’on peut négocier collectivement en accord avec
les autres joueurs. Cet espace de décision produit par le jeu est
très important pour les enfants qui ont souvent, par ailleurs, un
quotidien très structuré. Apprendre à décider dans le contexte
d’incertitude propre au jeu (qui va gagner ? qui va perdre ? quelles
épreuves vais-je devoir affronter ?, etc.), peut être très formateur.
Cependant le niveau d’engagement fait que l’on va apprendre
plus ou moins du jeu.
On retrouve dans les jeux les quatre grands vecteurs de
l’apprentissage informel : observation, exploration, imitation,
participation. Le jeu est conçu de telle façon qu’il favorise la
participation.

On connaît le succès d’estime et l’attraction des familles pour


les « jeux éducatifs ». N’y a-t-il pas un paradoxe dans l’ex-
pression elle-même ?
En fait, aucun jeu n’est éducatif en soi. Ce qui est éducatif,
c’est l’expérience que le joueur va en en tirer (ou non). Si l’on
maîtrise totalement le jeu, il procure juste un plaisir. Mais il peut
être aussi l’occasion de s’entraîner à résoudre des problèmes, ou
encore à se confronter à des défis : un défi physique dans une
partie de tennis, un défi intellectuel comme dans certains jeux
vidéo. Ces apprentissages peuvent être conscients ou implicites.
Par ailleurs, il existe aussi des jeux qui nécessitent des appren-
tissages préalables. Dans le cas d’un jeu de société, lorsque vous
entrez sur un terrain de foot ou un court de tennis, vous devez
déjà maîtriser certains savoir-faire, certaines techniques et cer-
taines règles. Les jeux vidéo en revanche, ont cette particularité
d’avoir intégré le moment de l’apprentissage au jeu : la compré-
hension des mécanismes se fait en pratiquant.

Une vieille question fait toujours polémique dans le monde


scolaire. Peut-on « apprendre en jouant » à l’école ?
Le problème est de savoir si dans l’école, toute éducation
doit être formelle, ou si on laisse un espace pour l’éducation

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À quoi sert le jeu ?

informelle (loisirs, jeux pouvant occasionner des apprentissages).


La question se pose notamment à la maternelle, pour les enfants
de 2 à 4 ans. En France, on a tendance à très vite formaliser les
apprentissages. L’éducation informelle est par contre privilégiée
pour les petits dans beaucoup de pays où l’on programme les
apprentissages scolaires beaucoup plus progressivement. Pour
moi, la dérive française est de penser que l’on ne peut apprendre
que lorsque l’on a conscience de ce que l’on apprend et que l’on
a mis en place des dispositifs d’apprentissage. Lorsque le jeu est
utilisé en classe, il perd alors ses caractéristiques : l’incertitude
est levée par la volonté de l’enseignant d’en déterminer le but,
la dimension de frivolité laisse place au sérieux éducatif et la
décision du joueur est remplacée par l’intervention de l’adulte.
Le jeu est instrumentalisé à des fins précises qui n’en font plus
un jeu.
Aujourd’hui, on admet que la lecture loisir, quoi que l’enfant
lise, une bande dessinée ou de la littérature populaire, puisse
être enrichissante et permettre d’apprendre. Pourquoi ne consi-
dérerait-on pas le jeu de la même manière ? Pourquoi faudrait-il
toujours reformater le jeu à des fins éducatives ? Que ce soient
les jeux de société ou les jeux vidéo, ceux-ci peuvent permettre
de développer la capacité de résolution de problème, de com-
prendre les structures d’un récit, les logiques informatiques…
Ils génèrent des apprentissages cognitifs, linguistiques ou affec-
tifs. Les produits de culture populaire peuvent avoir dans ce cas
autant d’intérêt que ceux de la culture classique.

Propos recueillis par Martine Fournier

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SERIOUS GAMES :
SE FORMER EN S’AMUSANT

L’ attrait de la compétition ne suffit pas à expliquer le suc-


cès toujours croissant des jeux vidéo. Nombre d’entre
eux cherchent avant tout à susciter l’intérêt et la curiosité, émo-
tions fondamentales pour l’apprentissage. L’un des logiciels
emblématiques à ce niveau est sans aucun doute le simulateur
(comme par exemple le logiciel Flight Simulator qui permet de
simuler le pilotage d’un avion). Cette application informatique,
en créant des univers réalistes, permet à l’utilisateur d’expéri-
menter par essais-erreurs sans craindre des conséquences qui
pourraient s’avérer funestes dans la réalité. Elle partage beaucoup
avec l’univers du jeu. Notamment, le sociologue Roger Caillois a
bien montré qu’il s’agit dans tous les cas d’activités libres et fic-
tives. Libre, au sens où le joueur peut cheminer librement dans
la limite des règles et contraintes imposées. Fictive, au sens où
le joueur a conscience qu’il se situe en dehors de la vie réelle. Il
expérimente une réalité alternative.
Jeu et simulateur entretiennent de longue date une relation
étroite avec l’apprentissage. Ainsi, des jeux comme Age of Empire
ont été utilisés en classe dès la fin des années 1990 pour dis-
penser certains enseignements en histoire ou mathématiques. Ce
dernier type d’utilisation des jeux vidéo qui consiste en quelque
sorte à profiter de l’intérêt suscité par l’aspect ludique pour
motiver le joueur sur un apprentissage est d’ailleurs au cœur du
développement d’une nouvelle génération de jeux vidéo appelés
serious games. Ces logiciels ont d’abord été utilisés par l’armée
américaine, puis ont très vite diversifié leurs vocations pour dif-
fuser des messages publicitaires (on parle dans ce cas d’adver-
gaming), informer (on parle dans ce cas de games for health),
sensibiliser les utilisateurs (notamment les enfants) à un message

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Serious games : se former en s’amusant

socio-éducatif (on parle dans ce cas d’edumarket games), ou


encore pour favoriser les apprentissages (on parle dans ce cas
d’edugame).

L’absorption cognitive du flow


Les serious games partent du constat que les utilisateurs sont
capables de passer quotidiennement un temps considérable
devant les jeux vidéo (jeux de stratégie, first person shooter ou
FPS, jeux de plateau, etc.). Dès lors, on comprend pourquoi, au
début des années 2000, certains chercheurs et concepteurs de
jeux vidéo se sont mis à rêver d’une utilisation plus « utile » de
toute cette énergie. Les jeux vidéo sont en effet des environne-
ments où les utilisateurs connaissent facilement cet état extatique
mis en évidence par le psychologue Hongrois Csikszentmihalyi,
connu sous le nom de flow. Ce dernier advient, parfois, quand
l’individu réalise une activité où ses compétences ne sont ni sous,
ni surévaluées. Les habiletés du joueur atteignent une sorte de
crête, de telle sorte que l’individu se trouve à son plein potentiel.
Autrement dit, l’habileté est parfaitement ajustée à la difficulté
de l’activité. Le flow, quand il est atteint, car il reste un événe-
ment capricieux, génère une sorte de bulle où le temps se trouve
altéré : par exemple, l’individu peut passer deux heures de suite
dans cet état tout en ayant l’impression subjective qu’il ne s’est
écoulé que dix minutes depuis le début de l’activité.
Le flow provoque une « absorption cognitive », phénomène
qui se produit quand l’individu est totalement concentré, a des
objectifs parfaitement clairs, quand rien dans l’environnement
ne peut plus le distraire, quand cet équilibre parfait entre défi
et compétence se produit, quand il ressent une perception de
contrôle si total sur l’activité qu’il sait à l’avance ce qui va se pro-
duire, et enfin quand il est capable instantanément d’anticiper
la moindre de ses actions. Cet état d’absorption cognitive a pour
effet de provoquer l’altération du temps et procure cette sensa-
tion de bien-être qui fait que les individus qui l’ont connue une
fois n’ont de cesse de vouloir réunir les conditions susceptibles
de le provoquer à nouveau (ce qui les conduit à refaire l’acti-
vité). Qui ne rêverait pas de réunir ces mêmes conditions lors des

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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

apprentissages scolaires ? En effet, imaginons un instant qu’il soit


possible de générer le flow pour apprendre les mathématiques ou
l’histoire, les avantages d’un tel état sont évidents pour n’importe
quel apprentissage. Cette hypothèse est d’ailleurs d’autant plus
crédible que nous avons montré avec plusieurs collaborateurs
dans une recherche récente, que l’absorption cognitive mesurée
globalement dans le quotidien des activités scolaires est corré-
lée non seulement avec les évaluations scolaires des enseignants
mais aussi avec les notes au brevet des collèges et au baccalauréat.
Le flow est un modèle intéressant pour comprendre l’impli-
cation dans une activité quelle qu’elle soit, et il partage avec
d’autres formes de motivation comme l’intérêt ou la curiosité
une caractéristique centrale, l’autodétermination. Toutes ces
motivations sont intrinsèques c’est-à-dire qu’elles sont susci-
tées dans des environnements où l’individu se sent libre d’agir.
L’utilisateur d’un jeu vidéo (et donc d’un serious game) doit
estimer qu’il est à l’initiative de cette utilisation. La recherche
montre que toute forme de pression a pour effet de diminuer ce
type de motivation.

Univers imaginaires
Cependant, si cette liberté d’action est nécessaire, elle ne suf-
fit pas pour créer la motivation du joueur. Les jeux vidéo sont
basés sur des défis que l’utilisateur doit nécessairement relever,
par exemple au travers d’un parcours périlleux comme dans le
jeu vidéo Mario Bros. C’est à ce niveau que la théorie du flow est
particulièrement intéressante, car elle permet d’expliquer pour-
quoi le défi ne doit être ni trop élevé ni trop faible, et se trouver
sur cette fameuse crête dont il a été question plus haut. Si le
défi est trop élevé, il provoque de l’anxiété, s’il est trop faible,
de l’ennui.
De plus, le défi doit être évolutif pour accompagner le joueur,
car s’il n’est pas en mesure de s’adapter à son niveau, très rapide-
ment il devient ennuyeux. Pour relancer sans cesse l’intérêt du
joueur, les jeux proposent donc des objectifs à atteindre toujours
plus difficiles mais qui doivent être en permanence ajustés au
niveau du joueur. Les fameux « Boss », adversaires redoutables

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Serious games : se former en s’amusant

des jeux de plateau, se trouvent en fin de tableau ou de niveau


d’un jeu vidéo car en début ils auraient découragé n’importe
quel joueur.
Cependant, le défi ne fait pas tout, l’univers des jeux vidéo
est souvent étrange et il n’est pas rare d’y voir pulluler des ani-
maux mythiques comme des dragons mais aussi des créatures
extraterrestres. En effet, les univers imaginaires suscitent intérêt
et curiosité qui encouragent l’exploration et stimulent la com-
préhension comme dans les simulateurs. Ainsi, l’originalité mais
aussi le type de jeux, tout comme le juste dosage entre difficulté
et habilité, sont des mécanismes qui ensemble expliquent pour
une bonne part la différence entre un bon jeu et un mauvais jeu.
Un bon serious game, comme un bon jeu vidéo, doit être capable
de susciter l’intérêt, la curiosité et donc l’attention du joueur et
si possible faciliter chez lui cet état de flow. Autrement dit, pour
qu’un serious game fonctionne comme tel, il faut avant tout qu’il
soit un bon jeu vidéo. L’étiquette serious game ne suffit donc pas
à garantir qu’un logiciel sera suffisamment motivant et qu’il sera
utilisé de façon autonome par l’apprenant.
Ce bref tour d’horizon permet de constater que l’informa-
tique a été et reste un formidable outil pour motiver les appre-
nants. À l’heure actuelle, les serious games semblent très promet-
teurs pour impliquer les enfants dans leurs apprentissages mais
encore faut-il que ces logiciels restent véritablement des jeux
pour que les utilisateurs en tirent tout le bénéfice possible.

Fabien Fenouillet

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LES ÉCRANS
CHANGENT-ILS LE CERVEAU ?

L a révolution numérique est récente et le recul très court,


à peine dix ans. Il faut donc rester prudent quant à l’ana-
lyse de ses effets, positifs ou négatifs, sur le cerveau humain.
Comme pour toute question relative à la science et à la société,
les analyses peuvent évoluer et, si nécessaire, être révisées. Il y a
néanmoins déjà un certain nombre de recherches scientifiques
publiées et toutes sont citées, y compris les méta-analyses, dans
l’avis de l’Académie des sciences, intitulé L’Enfant et les Écrans,
que nous avons rendu public cette année : avis de 267 pages
introduit par 26 recommandations et qui comporte en annexe
le résumé des rapports internationaux antérieurs. Le principe
général de cet avis est d’éduquer aux écrans, en fonction de ce
que l’on connaît aujourd’hui du cerveau de l’enfant grâce aux
sciences cognitives.
Le cerveau humain est issu d’une très longue évolution bio-
logique chiffrée en millions d’années et il s’adaptera aux écrans,
cela ne fait aucun doute. Ses circuits neuroculturels se modifie-
ront fonctionnellement, grâce aux apprentissages et à l’éduca-
tion, comme ils l’ont déjà fait efficacement, dans le passé, pour
l’écriture et la lecture. Après la révolution de l’imprimerie à la
Renaissance, voici venue celle du numérique au tournant des
xxe et xxie siècles. On sait que les neurones du cerveau ont la
capacité de se recycler1. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer
la dextérité tactile des jeunes enfants face aux écrans. C’est la
génération « Petite poucette » décrite par le philosophe Michel
Serres2 : des jeunes toujours le pouce sur l’écran, très habiles pour
le tactile !

1- S. Dehaene, Les Neurones de la lecture, Odile Jacob, 2007.


2- M. Serres, Petite poucette, Le Pommier, 2012.
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Les écrans changent-ils le cerveau ?

Dans ce cadre, on va voir plus en détail, âge par âge, que les
écrans peuvent en partie changer le cerveau, qui est un organe
plastique, et les manières d’apprendre. Selon ce qui se joue de
spécifique sur le plan cognitif dans le cerveau humain à tel ou tel
âge (des bébés aux adolescents), les parents et éducateurs doivent
concevoir de façon différenciée l’usage ludique et/ou pédago-
gique des écrans et outils numériques. Ce questionnement
éducatif et psychologique commence déjà pour les bébés avant
2 ans, c’est-à-dire avant l’apparition du langage, car leurs capa-
cités d’exploration cognitive, visuelle et tactile, ainsi que leurs
capacités sociales précoces d’imitation des autres (modèles des
parents, frères et sœurs, etc.), les exposent potentiellement, dès
la naissance, aux écrans et usages numériques de tous types, très
présents dans l’environnement technologique contemporain :
télévision (devenue l’écran traditionnel), vidéos et DVD pour
bébés, mais également les tablettes tactiles qui connaissent un
succès croissant.
Ces tablettes – dont les ingénieurs nous annoncent déjà des
versions plus souples et déformables – ont essentiellement été
conçues pour rendre naturelle et intuitive l’interaction avec les
écrans (un simple toucher du doigt). C’est en cela d’ailleurs que,
destinées a priori aux adultes et aux adolescents, elles deviennent
aussi des outils numériques adaptés aux premiers âges de la vie.
En effet, les bébés aiment toucher du doigt ce qu’ils voient ! Leur
première forme d’intelligence est sensorimotrice. Il est mainte-
nant bien démontré scientifiquement que, dès le plus jeune âge,
le cerveau s’enrichit par la vision et le toucher, assortis d’infé-
rences cognitives et statistiques déjà très riches3.

0 à 2 ans : Génération « Petite poucette »


Dans son livre, M. Serres donne 18 ans à sa « Petite poucette »
mais, bien avant, le phénomène touche déjà les tout-petits. Les
bébés arrivent au monde avec un formidable héritage : le cerveau
humain qui va permettre d’établir, au cours du développement,
1 million de milliards de connexions entre neurones. Tous les
3- Voir A. Gopnik, « Scientific thinking in young children. Theoretical advances,
empirical research, and policy education », Science, vol. CCCXXXVII, n° 6102,
28 septembre 2012.
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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

spécialistes s’accordent aujourd’hui sur le fait que ce dévelop-


pement neurocognitif est contrôlé à la fois par les gènes et par
les conditions de l’environnement, c’est-à-dire l’expérience. Les
écrans et outils numériques font désormais partie de cet envi-
ronnement culturel et technologique. Dès la naissance, le bébé
est génétiquement programmé pour apprendre. Aussitôt nés, les
bébés sont ainsi capables d’imiter les humains qui les entourent
(en particulier les parents) en reproduisant leurs mouvements. Il
s’agit de la première forme interactive d’apprentissage social. Le
cerveau du bébé est déjà un extraordinaire détecteur de régula-
rités (visuelles, tactiles, sonores, etc.). Il développe très tôt une
intelligence à la fois physique (sur la permanence et l’unité des
objets, leurs propriétés, leurs relations de causalité) et mathéma-
tique (quantification, raisonnement sur des motifs statistiques).
Pour déceler cette intelligence prélangagière (avant 2 ans), les
psychologues testent le regard des bébés, c’est-à-dire leurs réac-
tions visuelles (par exemple, la surprise) face à des situations
présentées réellement ou sur écran d’ordinateur. Dans ce cadre
d’éveil précoce, une tablette numérique interactive – à la fois
visuelle et tactile – peut très bien, avec le concours d’un adulte
(parents, grands-parents) ou d’un enfant plus âgé, participer
au développement cognitif du bébé. L’écran high-tech est donc
un objet de stimulation, d’exploration et d’apprentissage parmi
tous les autres objets du monde réel, des plus simples (peluches,
cubes, hochets) aux plus élaborés (tablettes numériques tactiles).
Au-delà des aspects strictement cognitifs, on sait que dès 6 mois
les bébés, toujours testés par leurs réactions visuelles, peuvent
manifester une préférence morale pour les personnages gentils
(altruistes) par rapport aux méchants sur de petites vidéos très
schématisées de scènes sociales. Le cerveau des bébés est donc
bien loin d’être naïf cognitivement, socialement et moralement
à l’égard de ce qui se passe sur les écrans. Il est même expert.
Ce n’est pas pour autant que les écrans peuvent tout lui
apprendre, en particulier concernant le langage et la commu-
nication. On sait que, même si le bébé ne parle pas encore, dès
la première année de sa vie, les fondations de l’acquisition du
langage se mettent déjà en place. Les psychologues ont ainsi pu

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Les écrans changent-ils le cerveau ?

observer, grâce à l’imagerie cérébrale, que les précurseurs des


aires cérébrales du langage sont actifs chez le bébé, bien avant la
production effective de langage4. Il en est de même pour les pre-
mières formes de conscience visuelle face à des visages humains
sur un écran5. Toutefois, comme l’a très bien démontré expéri-
mentalement la psychologue Judy DeLoache, le « bain linguis-
tique » réel, avec des enjeux émotionnels de communication, est
ici incontestablement plus riche qu’une exposition passive à un
écran « plus froid » : télévision, vidéo ou DVD pédagogique6.
Un consensus scientifique se dégage aujourd’hui pour considérer
que l’exposition passive et isolée aux écrans – y compris l’expo-
sition aux DVD spécialement commercialisés pour enrichir pré-
cocement le vocabulaire – n’aide pas les bébés à apprendre le
langage oral. De façon générale, l’exposition précoce et excessive
des bébés aux écrans télévisés (90 % d’entre eux regarderaient
régulièrement la télévision avant 2 ans selon une étude améri-
caine), sans présence humaine interactive et éducative, est très
clairement déconseillée.
On voit ainsi que la question de savoir s’il faut ou non expo-
ser les bébés aux écrans ne peut recevoir une réponse générale
en tout ou rien. C’est clairement « non », par exemple, comme
on vient de le voir, pour un apprentissage passif du langage oral
avec des DVD, même dits « pédagogiques », mais « oui » – ou
« pourquoi pas ? » – pour s’initier visuellement et tactilement à
la catégorisation des formes, des couleurs, des sons, des mouve-
ments des doigts et de leurs effets sur une tablette numérique.
La génération actuelle des bébés fait incontestablement partie
très naturellement des « bébés Petite poucette ! » Et leur cerveau
était a priori bien équipé cognitivement, depuis toujours, pour
ce type d’expériences visuelles et tactiles précoces avec ces objets
technologiques nouveaux.
4- Voir M. Mahmoudzadeh et al., « Syllabic discrimination in premature human infants
prior to complete formation of cortical layers », PNAS, vol. CX, n° 12, 19 mars 2013.
5- S. Kouider et al., « A neural marker of perceptual consciousness in infants » Science,
vol. CCCXL, n° 6130, 19 avril 2013.
6- J. DeLoache et al., « Do babies learn from baby media ? », Psychological Science,
vol. XXI, n° 11, novembre 2010. Voir aussi Michael Robb et al., « Just a talking book ?
Word learning from watching baby videos », British Journal of Developmental Psychology,
vol. XXVII, n° 1, mars 2009.
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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

C’est ici un avis scientifique, biologique et psychologique,


sur les capacités d’intégration cognitive précoce du cerveau.
Cela n’exclut pas l’exigence d’une étude des effets à long terme
d’un usage plus ou moins précoce des tablettes numériques sur
le développement cognitif et social des enfants. Ce type d’étude
n’existe pas encore, et les analyses peuvent évoluer et, si néces-
saire, être révisées. En attendant, la meilleure recommandation,
la plus sage, est d’éduquer et d’encadrer les enfants, compte
tenu de ce que l’on sait aujourd’hui des capacités et contraintes
d’apprentissage de leur cerveau, sans sous-estimer ni frustrer leur
appétit cognitif et numérique dans l’environnement technolo-
gique contemporain qui est le leur.

2-6 ans : Faire semblant virtuellement


C’est la période du développement où les psychologues
parlent d’enfant et non plus de bébé. L’intelligence du jeune
enfant devient de plus en plus « représentative », symbolique.
Cette capacité se manifeste notamment dans l’imitation diffé-
rée, mais également dans le jeu symbolique ou de simulation :
« jeu de faire semblant ». Par exemple, l’enfant qui, devant ses
parents, joue au téléphone avec une banane ou un faux télé-
phone portable. Autre expression forte de la pensée symbolique
et de la simulation à cet âge : le dessin, classiquement sur papier
mais aujourd’hui aussi sur tablette graphique avec stylo numé-
rique. L’enfant de 2 ans se sert alors des principes cognitifs qu’il
a appris lorsqu’il était bébé, mais cette fois avec une distance
par rapport au réel. Il se met à les intérioriser et à les combi-
ner mentalement, à les jouer, à les dessiner, etc. Dans ce cadre,
l’enfant va peu à peu apprendre à distinguer ce qui est réellement
présent et ce qu’il imagine, qu’il s’agisse de souvenirs réels ou de
pur imaginaire créatif et ludique. Entre 2 et 6 ans, c’est donc la
construction de cette pensée symbolique qui se joue et les débuts
de la conscience explicite de ce que les écrans sont des fenêtres
sur un monde virtuel. C’est l’âge où, par ses propres dessins sur
une tablette graphique par exemple, l’enfant peut intuitivement
découvrir la simulation de l’environnement réel par une image
numérique. S’il la produit lui-même, elle sera très schématisée

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(stades du gribouillage et du schématisme) et s’il la perçoit sur


un jeu vidéo pour enfants, un DVD pédagogique, ou encore un
e-book, elle pourra déjà être plus réaliste – même hyperréaliste
–, comme le sont les illustrations d’un album papier classique.
S’agissant d’écrans numériques, les parents, grands-parents, ou
enfants plus âgés de la famille peuvent dès cet âge commencer à
sensibiliser l’enfant, dans un cadre de jeu et d’éveil, au fait qu’il
s’agit de la simulation d’un environnement réel par des images
sur écran – comme quand il dessine ou joue à « faire semblant ».
Les écrans et outils numériques peuvent aussi avoir entre 2 et
6 ans, tout particulièrement durant la période de l’école mater-
nelle, des usages pédagogiques positifs pour éveiller et exercer
les capacités d’attention visuelle sélective, de dénombrement, de
catégorisation, etc. Pour préparer la lecture par exemple (catégo-
risation combinée des lettres et des sons), un logiciel d’appren-
tissage des associations entre graphèmes (lettres) et phonèmes
(sons), Graphogame, a révélé son efficacité et son impact sur
le cerveau des enfants dès l’école maternelle, impact neuroédu-
catif mesuré en imagerie cérébrale7. Les jeux vidéo pour petits
peuvent aussi exercer leur capacité à imaginer de façon dyna-
mique les points de vue des personnages, leurs pensées, leurs
désirs, etc. (ce que l’on appelle « la théorie de l’esprit »). Dans les
jeux virtuels ou réels, comme dans les interactions sociales non
ludiques, cela apprend à l’enfant à devenir moins égocentré. Il
peut aussi apprendre à communiquer à distance, avec ses grands-
parents par exemple, via les outils numériques.
C’est donc à l’occasion de la construction de la pensée sym-
bolique, entre 2 et 6 ans, que les enfants doivent pour la pre-
mière fois apprendre à privilégier alternativement le réel et le
virtuel (le « semblant »), à en jouer, tout en faisant la part de
l’un et de l’autre. C’est aussi l’âge où de façon spontanée l’enfant
pourrait déjà se réfugier de façon excessive dans le monde virtuel
des écrans. Au cas par cas, il faut très tôt l’éduquer à une pratique
modérée et autorégulée.

7- Voir S. Brem et al., « Brain sensitivity to print emerges when children learn letter-
speech sound correspondences  », PNAS, vol. CVII, n° 17, 27 avril 2010.
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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

6-12 ans : Exercer son intelligence


Cette période est celle de l’école élémentaire et du plein essor
du développement cognitif : lecture, calcul et notions mathé-
matiques, connaissances de culture générale, raisonnement
logique, etc. Dans ce cadre, l’usage pédagogique des écrans et
outils numériques à l’école ou à la maison est un progrès tech-
nologique et éducatif important. Les laboratoires de sciences
cognitives, comme celui de Stanislas Dehaene par exemple, ont
conçu des logiciels spécialisés pour aider les enfants à surmonter
« sur mesure », c’est-à-dire à leur rythme avec l’ordinateur, les
difficultés d’apprentissage en calcul ou dyscalculies, le logiciel La
Course aux nombres, et en lecture (dyslexie) avec une application
iPad/iPhone d’espacement de lettres qui aide les enfants à lire
correctement. Il a aussi été démontré en psychologie expérimen-
tale par Daphné Bavelier que la pratique de jeux vidéo d’action
améliore les capacités d’attention visuelle des enfants (de 7 à
17 ans dans l’étude) : une meilleure exploration du champ visuel
pour identifier une cible (un élément particulier sur l’écran), la
rapidité à changer de cible (flexibilité) et la capacité de prêter
simultanément attention à plusieurs choses8.
Ces aspects positifs qui corrigent des difficultés ou exercent
l’intelligence fluide de l’enfant d’âge scolaire doivent par ail-
leurs être mis en contraste, chez certains enfants, avec les effets
négatifs d’une pratique excessive des écrans : manque d’activités
physiques et sociales réelles, de sommeil, voire risques accrus de
troubles de la vision plus tard (myopie chez les adolescents). À
cet âge, comme au précédent, il faut donc éduquer à une pra-
tique modérée et autorégulée, au service du développement
cognitif, en préservant l’équilibre et la santé des enfants (repos
des yeux, sommeil, sport, etc.).
Cette éducation explicite doit aussi se faire à l’école à l’aide de
modules pédagogiques appropriés. C’est pourquoi notre avis de
l’Académie des sciences est assorti d’un module pédagogique de
la fondation La main à la pâte, intitulé Les Écrans, le cerveau…
et l’enfant, qui comporte 22 séances pratiques, inspirées des

8- M. Dye, D. Bavelier, « Differential development of visual attention skills in school-


age children  », Vision Research, vol. L, n° 4, 22 février 2010.
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Les écrans changent-ils le cerveau ?

découvertes en sciences cognitives, pour apprendre aux enfants


de l’école primaire un usage raisonné des écrans9.

12-18 ans : Déployer son raisonnement


Ordinateurs, smartphones, tablettes numériques connectées
sont aujourd’hui, presque jour et nuit, omniprésents dans la
vie et l’intimité des adolescents à la maison, en classe, dans le
métro, en promenade, au concert… Un phénomène renforcé
par l’attraction forte des réseaux sociaux. Or l’adolescence est
une période de grand potentiel cognitif, certes, mais aussi de
fragilité émotionnelle liée à des phénomènes physiques et céré-
braux. Ce qui se joue, c’est une ouverture inédite sur tous les
possibles. D’où une exploration quasi sans limites et plus ou
moins maîtrisée du monde numérique et virtuel : amis, avatars,
rencontres et jeux variés.
L’adolescence est l’âge de la puberté, avec ses transformations
physiques et sexuelles, mais aussi l’âge où s’opère une sorte de
« décrochage » de la pensée par rapport au réel. Les traitements
quantitatifs (nombre) et qualitatifs (catégorisation) que réalise
l’enfant sur des objets concrets se transforment en propositions
logiques, idées, hypothèses, surtout dans le domaine des états
mentaux et sentiments que l’on attribue à autrui. C’est l’âge du
raisonnement dans toute la force du terme.
Mais à cette force s’associe aussi une fragilité. Contrairement
à ce que l’on a longtemps cru, la maturation du cerveau des
adolescents n’est pas encore terminée (tout ne se joue donc pas
seulement au début de la vie). C’est ce qu’a démontré l’imagerie
par résonance magnétique anatomique en comparant le cerveau
d’adolescents à celui de jeunes adultes10. L’articulation entre les
aspects cognitifs et émotionnels du cerveau en développement
n’a pas encore trouvé son équilibre. C’est pourquoi, en matière
d’écrans, l’éducation et le contrôle des parents restent essentiels

9- E. Pasquinelli et al., Les Écrans, le cerveau… et l’enfant. Un projet d’éducation à un usage


raisonné des écrans pour l’école primaire, Le Pommier, 2013. Le site de La main à la pâte :
www.fondation-lamap.org
10- Voir B.J. Casey et al., « The adolescent brain », Annals of the New York Academy
of Sciences, n° 1124, mars 2008, et Lawrence Steinberg, « Cognitive and affective
development in adolescence », Trends in Cognitive Sciences, vol. IX, n° 2, février 2005.
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chez l’adolescent, autant qu’il l’était déjà chez les bébés et les
enfants. Tout se joue évidemment au cas par cas et les difficultés
socio-affectives parfois observées peuvent révéler un malaise, lié
à un événement de vie ou à une pathologie, indépendant du
rapport aux écrans en tant que tel.
D’un point de vue strictement cognitif, les nouvelles techno-
logies numériques sont des outils d’une puissance inédite pour
mettre le cerveau en mode hypothetico-déductif et explorer
toutes les possibilités offertes. Les études de psychologie expéri-
mentale réalisées par D. Bavelier confirment en outre – comme
on l’a vu chez les enfants plus jeunes – que la pratique de jeux
vidéo d’action, par exemple, améliore les capacités d’attention
visuelle des adolescents : identification de cibles, flexibilité,
attention simultanée à plusieurs choses, jusqu’à une capacité
généralisable (au-delà du jeu) d’inférence probabiliste11.
Cet avantage pourrait toutefois s’accompagner d’une pensée
trop rapide, superficielle et excessivement fluide : la « culture du
zapping12 ». L’usage d’Internet appauvrirait dès lors la mémoire
humaine. Une étude de psychologie expérimentale a ainsi mis
en évidence que de jeunes adultes retiennent plus les accès (les
liens sur les moteurs de recherche) que les contenus eux-mêmes
et leur synthèse13. L’enjeu est ici de préserver complémentaire-
ment, pour les nouvelles générations, une forme d’intelligence
(et de mémoire) plus lente, profonde et cristallisée, ou fixée,
comme l’était jadis l’intelligence littéraire, depuis la révolution
de l’imprimerie.
Enfin, outre le calme nécessaire au cerveau pour penser et
mémoriser, le repos des yeux serait également en péril chez les
jeunes, adolescents et adultes, dont l’exposition aux écrans semble
poser un nouveau problème de santé visuelle publique. Selon
une enquête 2012 de l’Association nationale pour l’amélioration
11- D. Bavelier et al., « Brain plasticity through the life span. Learning to learn and
action video games », Annual Review of Neuroscience, n° 35, 2012.Voir aussi Shawn
Green et al., « Improved probabilistic inference, as a general learning mechanism with
action video games », Current Biology, vol. XX, n° 17, 14 septembre 2010.
12- E. Ophir et al., « Cognitive control in media multitaskers », PNAS, vol. CVI, n° 37,
2009.
13- B. Sparrow et al., « Google effects on memory. Cognitive consequences of having
information at our fingertips », Science, CCCXXXIII, n° 6043, 14 juillet 2011.
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Les écrans changent-ils le cerveau ?

de la vue (Asnav), 25 à 30  % des 16-24 ans seraient touchés par


la myopie, notamment en raison de la hausse du temps passé à
l’intérieur et devant les écrans.
Des bébés aux adolescents, il est donc incontestable qu’une
éducation à l’usage des écrans s’impose aujourd’hui à la maison
comme à l’école. Et cela ne va pas de soi !

Olivier Houdé

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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

Quelques notions clés


Cognition
Le cerveau du bébé se développe notamment par la vision et le tou-
cher. Les tablettes numériques, à la fois visuelles et tactiles, utilisées avec le
concours d’un adulte, peuvent participer à son développement cognitif. En
revanche, l’exposition excessive et passive aux écrans télévisés avant 2 ans
est fortement déconseillée

Apprentissage
À la maternelle, les outils numériques peuvent permettre d’exercer les
capacités d’attention, de dénombrement, de catégorisation.
De la maternelle au primaire, des logiciels d’apprentissage de la lecture
(association lettres-sons) ou du calcul ont montré leur efficacité. L’imagerie
cérébrale en montre l’impact sur le cerveau.

Contrôle
En matière d’écrans, l’éducation et le contrôle des parents et des édu-
cateurs sont essentiels à chaque âge (des bébés aux adolescents) pour initier
des pratiques modérées et autorégulées.

Intelligence fluide
L’intelligence fluide désigne les aptitudes logiques et de raisonnement.
Elle permet de résoudre des problèmes dans des situations nouvelles, indé-
pendantes de l’acquisition de connaissances.

Mode hypothético-déductif
On utilise ce type de pensée à chaque fois qu’on raisonne en utilisant
un énoncé de la forme « si, alors » : la partie « si… » (l’antécédent) corres-
pond à l’hypothèse et la partie « alors… » (le conséquent) à la déduction.

Intelligence cristallisée
L’intelligence cristallisée désigne la capacité à utiliser les connaissances
générales et de vocabulaire propres à sa culture qui sont emmagasinées dans
la mémoire à long terme.
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ÉCOLE NUMÉRIQUE :
DE QUOI PARLE-T-ON ?

S i vous êtes parent, une chose a pu vous surprendre : dans


la salle de classe de votre enfant, il y a (probablement)
moins d’ordinateurs que dans votre maison ! Votre fille ou votre
fils passe certainement beaucoup plus de temps sur son ordina-
teur à la maison qu’à l’école, au collège ou au lycée. Comment
cela est-il possible ? Est-ce grave ?
Pour répondre à ces deux questions, commençons par rem-
placer le mot « ordinateur » par le mot « télévision ». Dans la
salle de classe de votre enfant, il y a (probablement) moins de
télévisions que dans votre maison ! Votre fille ou votre fils passe
certainement beaucoup plus de temps à regarder la télévision à la
maison qu’à l’école, au collège ou au lycée. Tout d’un coup, c’est
moins grave, n’est-ce pas ?
Remontons encore un peu dans le temps. En 1913, Thomas
Edison s’entretenait avec un journaliste du New York Dramatic
Mirror. À la question « Quel est votre avis sur la valeur pédago-
gique du cinéma ? », le génial inventeur répondit : « Les livres
seront bientôt obsolètes dans les écoles. Les élèves recevront un
enseignement visuel. Il est possible d’enseigner tous les domaines
de la connaissance humaine par le cinéma. Notre système sco-
laire va complètement changer d’ici dix ans. Nous travaillons
depuis un certain temps sur les films scolaires. Nous avons étu-
dié et reproduit la vie de la mouche, du moustique, du vers à
soie, de la mite brune, des papillons et d’autres insectes, ainsi
que la cristallisation chimique. Nos travaux montrent de façon
concluante la valeur des films dans l’enseignement de la chimie,
de la physique et d’autres domaines, ce qui rend les connais-
sances scientifiques, difficiles à comprendre dans les livres, claires

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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

et simples pour les enfants. » Comme quoi on peut être génial et


dire de grosses bêtises.
Bien entendu, on a pu lire les mêmes discours sur la radio
dans les années 1930 et sur la télévision dans les années 1950.
Ce qui peut nous conduire à poser différemment la question.
De « l’école est-elle irrémédiablement ringarde ? » la question
devient « les nouvelles technologies de l’information et de la
communication sont-elles systématiquement inefficaces au plan
éducatif ? » Et si oui, « pourquoi ? » Cet article dresse un bref
panorama de la place du numérique à l’école, pour montrer que
les réponses à ces questions sont très nuancées.

De nouvelles façons de travailler ?


Commençons donc par le commencement. Les technologies
de l’information et de la communication démarrent avec l’inven-
tion de l’écriture. Elles constituent, d’une part, un moyen pour
les humains de soulager leur mémoire, de stocker leur connais-
sance, d’autre part, un moyen de transmettre leur connaissance,
de communiquer avec des personnes qui habitent un autre lieu
ou vivent à une autre époque. Socrate, dans Phèdre, montrait
bien à quel point il se méfiait de ces nouvelles technologies et de
leur effet de soulagement de la mémoire. Sa citation est fameuse :
« Elle (l’écriture) ne peut produire dans les âmes, en effet, que
l’oubli de ce qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoire.
Parce qu’ils auront foi dans l’écriture, c’est par le dehors, par
des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du fond
d’eux-mêmes, que les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu
as trouvé le moyen, non point d’enrichir la mémoire, mais de
conserver les souvenirs qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la pré-
somption qu’ils ont la science, non la science elle-même. Quand
ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagine-
ront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des
ignorants. »
Pourtant, ces technologies sont extrêmement efficaces et per-
mettent à l’érudit de ne plus passer sa vie à apprendre par cœur
des connaissances dans l’attente du jour où elles lui seront utiles.
Ceci, particulièrement, depuis la Renaissance. Auparavant, de

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École numérique : de quoi parle-t-on ?

l’Antiquité au Moyen Âge, l’érudit était encore celle ou celui


qui maîtrisait « les arts de la mémoire », qui savait apprendre
par cœur1. Les connaissances que l’on risque de ne pas utiliser,
on les stocke dans des livres, on les note dans des cahiers. Ces
technologies sont tellement efficaces pour soulager la mémoire
et transmettre des connaissances que l’on passe beaucoup de
temps à l’école pour apprendre à les maîtriser : on y apprend à
lire et à écrire. Ce sont essentiellement les technologies de base
(le stylo, le livre, la photocopieuse), celles qui concernent le tra-
vail quotidien dans la classe, qui ont réellement trouvé leur place
au sein de l’école. En entrant à l’école, ces technologies qui ne
concernent pas au départ l’apprentissage lui-même, ont un effet
sur le travail des enseignants et/ou des élèves. Ce faisant, elles
peuvent avoir un effet secondaire sur les apprentissages, les ren-
dant plus précoces, plus rapides, plus efficaces, etc.
Aujourd’hui, par exemple, de nombreux établissements sco-
laires sont dotés d’un espace numérique de travail (ENT). Cet
outil, qui rassemble plusieurs fonctionnalités (stockage et par-
tage de documents, emplois du temps, logiciel de messagerie,
groupes de travail, etc.), peut notamment avoir un effet impor-
tant sur la relation entre les parents, les élèves et les enseignants.
Un de mes collègues qui enseigne en collège a par exemple
décidé de ne plus donner de notes aux élèves en classe. Les notes
sont disponibles sur l’ENT exclusivement. La conséquence est
qu’il n’y a plus de moyen pour les élèves de se comparer entre
eux ; en classe, on peut se focaliser sur les appréciations portées
sur la copie, sur les conseils. Avant cela, les élèves qui recevaient
leur copie ne lisaient que la note et la comparaient avec celle des
voisins. Très difficile dans ces conditions de faire un véritable
travail de correction. Très difficile aussi d’être l’élève qui reçoit la
plus mauvaise note. Cet usage de l’ENT a donc profondément
modifié cet aspect de la vie de la classe.

Importer des technologies ?


Il y a donc des technologies qui n’ont rien à voir avec l’ap-
prentissage et qui rentrent avec succès à l’école. Qu’en est-il des
1- F. A. Yates, L’Art de la mémoire, Gallimard, 1975.
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Apprendre par soi-même/nouveaux apprentissages

technologies qui ont un rapport direct avec l’apprentissage ?


Paradoxalement, ça n’est pas forcément plus facile pour elles.
En 2006, mon équipe a été sollicitée pour étudier un logiciel
pour l’apprentissage de l’écriture (graphisme et orthographe),
déjà utilisé par les psychomotriciens et les orthophonistes. Je
qualifierais volontiers cet outil de prodigieux. Il permet en effet
d’analyser en direct le tracé d’un enfant ou d’un adulte. Par
exemple, il analyse les écarts à un modèle, sur plusieurs dimen-
sions (fidélité par rapport au modèle, pression, vitesse, nombre et
positions des levers…). Il fournit immédiatement un retour au
rééducateur ou au scripteur. L’éditeur de ce logiciel nous deman-
dait s’il y avait un avenir pour son outil dans les salles de classe.
Après plusieurs dizaines d’heures d’observation de la façon dont
les enseignants enseignent l’écriture, notre réponse a été « non ».
Il y avait selon nous de gros problèmes de compatibilité avec
l’organisation des tâches d’apprentissage de l’écriture, du temps,
de l’espace, avec les ordinateurs (in)disponibles dans les salles de
classe. En particulier, de nombreux enseignants préfèrent ne pas
mettre en œuvre de longues séances de graphisme ou d’appren-
tissage de l’écriture. Ils préfèrent morceler cet apprentissage en
petits temps, plusieurs fois dans la journée, au cours d’activités
différentes dans des disciplines différentes. En 2006, les tablettes
que nous connaissons aujourd’hui n’existaient pas. Une classe
où chaque enfant aurait une tablette à sa disposition toute la
journée rendrait l’utilisation de ce logiciel possible. C’était inen-
visageable à l’époque.
Voici un autre exemple, plus nuancé. Stéphanie Roussel, de
l’université de Bordeaux, a étudié l’utilisation de lecteurs MP3
en classe de langue vivante2. Elle a analysé, seconde par seconde,
la façon dont plusieurs dizaines d’élèves écoutent un document
sonore en allemand. Elle a ensuite mis en relation la façon
d’écouter avec le degré de compréhension du document. Elle
montre que les bénéfices généraux liés à l’utilisation du lecteur
MP3 comme support pour l’écoute concernent la grande majo-
rité des élèves de niveau « moyen » en allemand. Mais les élèves
2- S. Roussel, A. Rieussec, J.-L. Nespoulous et A. Tricot, « Des baladeurs MP3 en classe
d’allemand : l’effet de l’autorégulation matérielle de l’écoute sur la compréhension
auditive en langue seconde », Alsic, vol. XI, n° 211, 2008, http://alsic.revues.org/413
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École numérique : de quoi parle-t-on ?

en difficulté en allemand tirent un bénéfice très modeste de cet


outil, comparativement à une écoute imposée par le professeur.
Pour certains, c’est même l’écoute imposée qui semble la plus
efficace. L’utilisation de lecteurs MP3, pourtant très familière
pour ces élèves en dehors des salles de classe, entraîne une acti-
vité qui se révèle coûteuse pour les élèves les plus « faibles ». Le
simple fait de décider où s’arrêter, où revenir en arrière, combien
de fois réécouter tel passage ajoute une difficulté aux difficultés
déjà présentes en allemand.
Chaque fois que l’on développe une technologie en se disant
qu’elle a un gros potentiel en termes d’apprentissage, on ne doit
pas oublier que pour exporter cette technologie vers les salles de
classe, il faut que la technologie soit compatible avec les élèves
de cette classe, avec son enseignant(e), ses tâches, son temps, son
espace, ses habitudes de travail, les matériels, ressources, outils
disponibles. Le paradoxe est le suivant : plus la technologie est
riche, complexe, sophistiquée, et plus le risque d’incompatibilité
est grand.

Des ressources pour apprendre ?


Les technologies qui fournissaient des « contenus médiati-
sés », comme le cinéma, la télévision, la radio, ne sont pas ren-
trées à l’école, ou si peu. Qu’en est-il des contenus médiatisés
numériques aujourd’hui ? Il semble que, comme par le passé, ces
ressources ont beaucoup de mal à entrer à l’école. Quand une
ressource prétend que par le simple fait de la consulter ou de
l’utiliser, par le simple fait de suivre le scénario qu’elle propose,
un élève apprendra quelque chose, on est généralement déçu
du résultat. Ainsi, la génération du ludo-éducatif au milieu des
années 1990 (Adibou, Lapin malin) a eu autant de mal à mon-
trer son efficacité que certains « jeux sérieux », supports multi-
médias ou animations aujourd’hui. Une série d’images statiques
est très souvent plus efficace qu’une animation pour faire com-
prendre un phénomène dynamique à des élèves qui découvrent
ce phénomène3. Les concepteurs de telles ressources confondent
souvent « intéressant » (riche, sophistiqué) avec « efficace ». Ils
3- R. E. Mayer, Multimedia Learning, Cambridge University Press, 2009.
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veulent créer des supports qui montrent mieux la réalité, sa com-


plexité que ceux de la génération précédente. Or en pédagogie,
ce n’est pas l’enjeu. Ce que l’on cherche, c’est plutôt un support
qui permette aux élèves d’apprendre.
Comme il est impossible de montrer une vidéo sur une revue
papier, faisons appel à l’imagination. Imaginez que vous ayez à
faire comprendre le galop du cheval à des élèves de sixième. Une
ressource très riche est sans doute un film qui montre un cheval
qui galope. Ça tombe bien, il en existe des milliers. Plus riche
encore, on pourrait sortir de la classe et assister à une course
de chevaux. Cette situation la plus riche possible est bien celle
qu’ont vécue des peintres pendant des siècles : ils ont regardé
la situation réelle et essayé de la comprendre. Le résultat est,
comme vous le savez, extrêmement décevant… jusqu’à la moitié
du xixe siècle ! En regardant un cheval galoper, on ne comprend
rien au galop du cheval, pour une raison évidente : ça va trop
vite et c’est trop complexe. Comme on le voit sur ce tableau
de Théodore Géricault datant de 1821 (Le Derby d’Epsom), un
grand peintre peut passer sa vie à observer la réalité et n’y rien
comprendre. C’est le photographe Eadweard Muybridge qui, en
1878, a réussi à prendre en photo le cheval au galop. La succes-
sion de ces photos, immensément moins riche que la réalité,
immensément moins sophistiquée qu’une vidéo, permet de
comprendre le galop du cheval, en particulier la succession très
complexe des appuis.
Ceci a été résumé par des chercheurs en pédagogie austra-
liens, Wayne Leahy et John Sweller, sous le nom d’« effet de
l’information transitoire » : toute information transitoire (vidéo,
bande sonore) est inefficace pour faire comprendre une connais-
sance complexe à des élèves débutants. Pour ces élèves, il est
beaucoup plus efficace de présenter une version plus statique (ou
avec des pauses) de l’information, par exemple un phénomène
dynamique comme une succession d’états. Les domaines où ces
supports sophistiqués sont efficaces sont semble-t-il ceux de la
simulation (quand ce que les élèves doivent apprendre n’est pas
accessible, pas visible) et de l’apprentissage de gestes techniques
(en éducation médicale par exemple). Mais, même dans ces deux

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cas, ils concernent l’apprentissage avancé (quand les élèves ont


déjà de solides connaissances sur le phénomène étudié).

Le doute, apanage de la connaissance


L’idée même de « ressources à disposition des élèves », quelles
qu’en soient la qualité et la quantité, semble n’avoir un rapport
que très lointain avec l’apprentissage et l’enseignement. L’école
existe pour combler le fossé entre les connaissances acquises par
les enfants ou les adolescents par le simple fait de grandir en
s’adaptant à leur environnement, et les connaissances qui leur
seront nécessaires plus tard, pour être des citoyens libres et res-
ponsables, épanouis, exerçant un métier. A priori, quand un
élève apprend une connaissance à l’école, elle ne lui est pas utile
immédiatement. Il ne se pose pas la question, il n’a pas besoin
de cette connaissance. Si la valeur adaptative d’une connaissance
est forte, alors un simple processus adaptatif permet son appren-
tissage. Mais pour se poser la bonne question, pour avoir une
conscience précise de son manque de connaissance, il faut avoir
de solides connaissances dans le domaine ! Des ressources de
qualité et en grande quantité ne changeront rien à cela. Le doute
est l’apanage de la connaissance, pas de l’ignorance. Des enfants
ignorants entourés de ressources, resteront ignorants.
Aviez-vous remarqué que les enfants n’avaient pas besoin de
cours de Playstation ? Ils ont juste besoin d’une pratique quo-
tidienne pour devenir performants dans ce domaine, pratique
quotidienne soutenue par une solide motivation. Apprendre des
connaissances scolaires requiert systématiquement des efforts et
donc de la motivation4. Il n’y a pas plus de raisons aujourd’hui
qu’hier de croire au mythe de l’autodidaxie (les autodidactes
sont des gens exceptionnels). Le génie du métier d’enseignant
réside d’abord dans cette capacité à faire se questionner un élève,
lui faire prendre conscience de son manque de connaissance. De
la bibliothèque d’Alexandrie à Wikipédia, les ressources n’ont
jamais résolu le moindre problème d’enseignement. Elles ont

4- W. Leahy, J. Sweller, « Cognitive load theory, modality of presentation and the


transient information effect », Applied Cognitive Psychology, vol. XXV, n° 6, nov.-déc.
2011 ; J. Sweller, P. Ayres, S. Kalyuga, Cognitive Load Theory, Springer, 2011.
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toujours été et resteront probablement des outils. À l’enseignant


de susciter le questionnement et de créer le scénario pédagogique.
Le numérique est bien plus que cela, heureusement. En voici
les deux aspects qui semblent les plus passionnants.

S’adapter au monde qui change ?


Dans la société des médias et de l’information, nous sommes
vraisemblablement arrivés à un tel fossé que les pratiques média-
tiques et informationnelles des enfants et des adolescents ne sont
plus suffisantes pour que de futurs citoyens soient capables de
comprendre leur environnement et d’y agir. L’école, à travers
notamment l’éducation aux médias et à l’information, se donne
maintenant comme mission de contribuer à la formation des
futurs citoyens de la société de l’information. Par exemple, dans
un monde d’abondance d’information, l’école pense aujourd’hui
que l’évaluation de la qualité des sources doit faire partie de la
formation des élèves. Classiquement, quand vous lisez une revue
sérieuse, vous vous dites : « La rédactrice en chef a fait son travail,
je lui fais confiance, cet article a été écrit par quelqu’un qu’elle
juge compétent. » Si vous ne pensez pas cela, vous ne lisez pas
la revue en question. Mais pour Wikipédia ? Dans une enquête
récente auprès de 840 jeunes de 11 à 25 ans, Gilles Sahut a
constaté que la même personne peut juger Wikipédia assez peu
fiable et en être une utilisatrice régulière5. Plus encore, une même
personne peut douter de la fiabilité de la source quand c’est pour
un travail scolaire et ne pas s’en préoccuper quand c’est pour un
usage personnel. Ce résultat montre bien l’enjeu de l’évaluation
de la qualité des sources, qui doit devenir une des compétences
informationnelles de base de tout futur citoyen.
Nous sommes donc en train de vivre une période paradoxale
où il y a plus d’ordinateurs à la maison qu’à l’école, mais où
l’école doit former les futurs citoyens d’une société où les ordi-
nateurs (et les informations qu’ils contiennent, les tâches qu’ils
permettent de réaliser) seront partout.

5- G. Sahut, J. Mothe, B. Jeunier et A. Tricot, « Les étudiants face aux incertitudes de


l’intelligence collective : enquête sur les opinions et connaissances informationnelles à
propos de Wikipédia », journée ISCC/WEUSC, 2013.
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Les technologies éducatives


Ce tour d’horizon du numérique à l’école se termine avec les
technologies éducatives, c’est-à-dire les outils qui ont été conçus
spécifiquement pour les apprentissages scolaires. Par exemple,
il existe un type d’outil informatique très simple depuis plus de
quarante ans : l’exerciseur. Il s’agit de proposer une série d’exer-
cices, et, en fonction de la réponse donnée par l’élève, d’envoyer
un message, contenant une information souvent rudimentaire
(correct, incorrect, erreur de calcul, etc.). Ce type d’outil basique
correspond bien à une fonction pédagogique : l’entraînement.
Il ne sert pas à grand-chose d’autre : on ne peut pas l’utiliser
pour découvrir une connaissance nouvelle, ni pour comprendre
quelque chose. On peut simplement s’entraîner, renforcer ses
savoir-faire. Par rapport aux mêmes exercices sur papier, l’exer-
ciseur informatique présente de grands avantages : la correction
est immédiate, le stock d’exercices souvent inépuisable, on n’a
pas besoin d’un enseignant pour compléter la correction (ensei-
gnant dont certains élèves redoutent le jugement, alors qu’aucun
n’élève ne semble craindre le jugement d’un ordinateur).
Il existe de nombreuses autres catégories de technologies édu-
catives : hypermédias, micromondes, plateformes d’apprentis-
sage collaboratif, tuteurs intelligents, jeux sérieux (serious games),
etc. Un des plus gros succès dans ce domaine est le micromonde
CabriGéomètre. Un micromonde est simplement une boîte à
outils informatiques (outils géométriques pour CabriGéomètre).
L’élève peut manipuler ces outils pour fabriquer des figures, leur
faire subir des changements et observer les effets de ces chan-
gements. C’est l’enseignant qui construit un scénario pédago-
gique, c’est-à-dire une série de tâches à réaliser par les élèves
dans le but de leur faire apprendre une connaissance nouvelle,
par exemple, leur faire découvrir telle propriété de telle figure.
Si CabriGéomètre a un tel succès, c’est peut-être parce qu’il est
compatible avec différentes façons d’enseigner, dans différents
contextes, à différentes classes : le fait de laisser à l’enseignant
la responsabilité de concevoir le scénario pédagogique offre une
plus grande possibilité d’être intégré.

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Le numérique, un effet de mode ?


Si la révolution du numérique à l’école semble tellement lente
à mettre en œuvre, c’est essentiellement pour des raisons impor-
tantes, profondes, bref, pédagogiques. On n’innove pas à l’école
par peur de paraître ringard. Depuis le début du xxe siècle, du
cinéma aux jeux sérieux, en passant par la télévision et les MO7
du plan informatique pour tous, beaucoup de nouvelles techno-
logies n’ont pas tenu leurs promesses éducatives. À chaque fois,
on a cru pouvoir moderniser l’école grâce aux nouvelles techno-
logies. Je crois qu’il est temps d’admettre que ce n’est pas une
bonne façon de poser le problème. L’école a sans doute besoin
d’être plus efficace et plus juste. Quand nous saurons comment
faire cela, alors nous saurons en quoi les façons d’apprendre,
d’enseigner et d’organiser l’école doivent être modifiées, alors
seulement nous pourrons savoir quelle contribution telle tech-
nologie, nouvelle ou ancienne, peut apporter à cette améliora-
tion. Dans l’attente, nous sommes condamnés à innover un peu
au hasard, en essayant quelque chose dans l’espoir que ça mar-
chera, et en nous préparant à être déçus.
Au cours des trente dernières années d’innovations « un peu
au hasard », nous avons appris beaucoup de choses.
Nous avons appris que les conditions d’intégration des nou-
velles technologies à l’école dépendaient de leur utilité, de leur
simplicité et de leur compatibilité avec ce qui se passe dans la
classe. Nous avons appris que leur utilité résidait essentiellement
dans leur effet positif sur la motivation, l’engagement, le plaisir
des élèves ; sur la richesse et la complexité des contenus que l’on
peut aborder ; sur l’interactivité et la possibilité de personnaliser
l’apprentissage pour un élève singulier. Mais nous avons appris
que ces plus-values en termes d’utilité s’obtenaient souvent au
détriment de la simplicité. Nous avons dû admettre que les
évaluations proposées par un ordinateur sont souvent rudimen-
taires mais qu’elles offrent la possibilité de mieux suivre l’activité
d’un élève, d’augmenter le nombre d’évaluations et de favori-
ser l’autoévaluation. Nous avons enfin à peu près compris les
apports des différents types d’image et de textes, ainsi que de la
simulation, à la compréhension ; nous avons compris l’intérêt

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École numérique : de quoi parle-t-on ?

de proposer des supports nouveaux qui parviennent parfois à


détourner certains élèves de leurs difficultés scolaires, ainsi le
grand intérêt de disposer de médias adaptables à des handicaps
sensoriels, physiques et peut-être, un jour, mentaux.

André Tricot

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ONT CONTRIBUÉ À CET OUVRAGE

Claude Bastien et formation » du Cref (EA1589),


Professeur des Universités honoraire, directeur de publication de la re-
Membre du Laboratoire Parole et vue Savoirs, président de l’associa-
Langage (CNRS et Aix-Marseille tion Interface Recherche. Il a diri-
Université). Parmi ses ouvrages, ci- gé, avec A. Moisan et D. Poisson,
tons : C. Bastien, Les Connaissances L’Autoformation. Perspectives de recher-
de l’enfant à l’adulte, Armand Colin, che, Puf, 2010.
1997 ; C. Bastien & M. Bastien-
Toniazzo, Apprendre à l’école, Armand Marcel Crahay
Colin, 2004. Professeur aux Universités de Genève
et de Liège. Ouvrages récents : L’école
Véronique Bedin peut-elle être juste et efficace ? (2e éd.
Directrice des éditions Sciences Hu- Revue et augmentée). Bruxelles,
maines. De Boeck, 2013 ; Avec M. Dutrévis,
Prévention de l’échec scolaire par l’édu-
Gilles Brougère cation préprimaire, Genève, Carnet
Professeur de sciences de l’éducation, des sciences de l’éducation, 2012 ;
directeur de l’école doctorale Érasme Psychologie de l’éducation, Puf, « Qua-
(université Paris 13, Sorbonne Paris-Ci- drige », 2010.
té), il est l’auteur notamment de Jouer/
Apprendre,Economica-Anthropos,2005. Jean-François Dortier
Il a aussi dirigé, avec A.-L. Ulmann, Fondateur et directeur du magazine
Apprendre de la vie quotidienne, Puf, Sciences Humaines.
2009 et, avec G. Fabbiano, Appren-
tissages en situation touristique, Presses Marie Duru-Bellat
universitaires du Septentrion, 2014. Sociologue (Observatoire sociolo-
gique du Changement et Institut de
Philippe Carré recherche sur l’Éducation). Derniers
Professeur en sciences de l’éduca- ouvrages parus : Les sociétés et leur école,
tion à l’université Paris Ouest Nan- Seuil, 2010 (avec F. Dubet et A. Véré-
terre La Défense, responsable du tout) ; Sociologie de l’école, Armand
Master « Ingénierie pédagogique en Colin, 2012 (avec A. van Zanten) ;
formation d’adultes » (Ipfa), et de Pour une planète équitable. L’urgence
l’équipe de recherche « Apprenance d’une justice globale, Seuil, 2014.
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Annexes

Michel Fayol Olivier Houdé


Professeur émérite à l’université Professeur à l’université Paris-Des-
Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. cartes, directeur du Laboratoire de
Membre du Laboratoire de recher- psychologie du développement et
ches Lapsco CNRS. Responsable de de l’éducation de l’enfant (CNRS/
programmes à l’Agence nationale Sorbonne). Coauteur, avec J.-F. Bach,
pour la Recherche. Parmi ses derniers P. Léna et S. Tisseron, de L’Enfant et
ouvrages, citons : avec J.-P. Jaffré, les Écrans. Un avis de l’Académie des
Orthographier, Puf, 2008 ; M. Fayol, sciences, Le Pommier, 2013. Depuis
et al., Maîtriser la lecture. Observatoire 2013, il est membre du Comité d’ex-
national de la lecture, CNDP et O. Ja- perts sur le jeune public au CSA. Son
cob, 2000 ; L’Acquisition du nombre, dernier ouvrage : Le Raisonnement,
Puf, « Que sais-je ? », 2012. Puf, « Que sais-je ? », 2014.

Fabien Fenouillet François de Singly


Professeur de psychologie cognitive Professeur de sociologie à l’université
à l’université Paris-X, auteur notam- Paris-V, ancien directeur du Cerlis.
ment de Les Théories de la motiva- Sociologue de l’individu, du couple,
tion, Dunod, 2012. de la famille et des adolescents, il a
publié notamment Comment aider
Martine Fournier l’enfant à devenir lui-même ?, Armand
Rédactrice en chef du magazine Colin, 2009.
Sciences Humaines.
Fabien Trécourt
Diane Galbaud Journaliste « idées, culture et société »,
Journaliste. spécialisé en philosophie et sciences
humaines.
Juliette Galeazzi
Journaliste. André Tricot
Directeur adjoint Recherche et
Jacques Grégoire développement universitaire de
Professeur de psychologie à l’uni- l’IUFM-Midi-Pyrénées (université
versité catholique de Louvain. Il est, Toulouse-II), il a publié, entre autres,
entre autres, l’auteur de Introduction Apprentissage et documents numé-
aux théories des tests en psychologie et riques, Belin, 2007 et dirigé, avec
en sciences de l’éducation, De Boeck, A. Chevalier, Ergonomie des docu-
3e édition 2014. ments électroniques, Puf, 2008.
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TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS 5

APPRENTISSAGES :
CE QUE DISENT LA PSYCHOLOGIE ET LES SCIENCES COGNITIVES

Psychologie des apprentissages : objet et histoire


(encadré) 9
Les fondements de l’apprentissage (M. Crahay) 13
Peut-on apprendre à apprendre ?
Métacognition : un tour d’horizon (J.-F. Dortier) 25
Enquête sur la neuropédagogie (M. Fournier) 33
Et si l’école rendait intelligent (C. Bastien) 39
Le cerveau et la lecture (M. Fournier) 51
Apprendre à lire ne serait pas une question de langue
(D. Galbaud) 52
Comment apprendre l’orthographe ? (M. Fayol) 53

LES VOIES DE L’APPRENTISSAGE

Les théories de la motivation (encadré) 61


La motivation, ça s’en va et ça revient… (M. Fournier) 64
Il est permis de devenir soi-même. Deux conceptions
de l’éducation (F. de Singly) 70
141
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Annexes

De l’Émile à l’éducation nouvelle (J. Galeazzi) 76


Connaissances ou compétences, que transmettre ?
(M. Duru-Bellat) 77
L’enseignant, un facilitateur d’apprentissage (V. Bedin) 83
Troubles d’apprentissage, le calvaire scolaire
(J. Grégoire) 84

APPRENDRE PAR SOI-MÊME/NOUVEAUX APPRENTISSAGES

Quelques penseurs de l’autoformation (encadré) 91


L’autoformation, d’hier à aujourd’hui (P. Carré) 93
Peut-on se passer des profs ? (A. Tricot) 99
Les MOOCs, révolution ou gadget ? (F. Trécourt) 103
À quoi sert le jeu ? Rencontre avec Gilles Brougère 108
Serious games : se former en s’amusant (F. Fenouillet) 112
Les écrans changent-ils le cerveau ? (O. Houdé) 116
École numérique : de quoi parle-t-on ? (A.Tricot) 127

CONTRIBUTEURS 139

Cet ouvrage a été conçu à partir d’articles tirés du magazine


Sciences Humaines, revus et actualisés pour la présente édition.
Les encadrés non signés sont de la rédaction.

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