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Esthétique Hegel exemples

I L’architecture, art symbolique

1. L’architecture comme langage


Ce qu’exprimer l’art naissant
Le but de l’art, son besoin originel, c'est de produire aux regards une représentation,
une conception née de l’esprit, de la manifester comme son œuvre propre  ;
comparaison avec le langage : l’homme communique ses pensées et les fait
comprendre à ses semblables
Symboles du lien social : la tour de Babel et la tour de Baal
«Qu’est-ce que le sacré  ?  » demande Goethe, dans un de ses distiques, et il répond
« C'est ce qui unit les âmes. » ; le sacré comme but et lieu de réunion pour les
hommes a été le premier objet de l’architecture indépendante ;
dans la construction de la tour de Babel, les hommes bâtissent en commun, et la
communauté du travail est en même temps le but et le contenu de l’ouvrage lui-
même ; une pareille construction est symbolique, car signifie le lien lui-même
La tour de Baal, dont parle Hérodote : pas un temple dans le sens moderne du mot :
c'est une enceinte de temple, en forme de carré, dont chaque côté avait deux
stades ; au milieu était une tour, non creusée à l’intérieur, mais massive, de la
longueur et de la largeur d’un stade ; huit tours superposées, et un chemin en fait le
tour, jusqu’au sommet, à peu près la moitié de la hauteur est un lieu de repos avec
des bancs où peuvent s’arrêter ceux qui montent ; sur la dernier tour grand temple
et il y a un lit de repos préparé avec soin et une table d’or ; les prêtres prétendent
que le dieu vient visiter le temple et se repose sur le lit ; pas assimilables aux
temples grecs, les sept tours sont massives, la statue est au-dessous, en dehors de
l’édifice, qui s’élève indépendant, pour lui-même  ; la forme reste ici abandonnée au
hasard et à l’accidentel : elle est déterminée seulement par le principe matériel de la
solidité : la forme d’un cube
En même temps, on commence à se demander quel est le sens de l’ouvrage
considéré dans son ensemble et en quoi il présente un caractère symbolique : peut-
être dans le nombre des étages massifs, il y en a sept comme le nombre des
planètes et des sphères célestes, plus le séjour nocturne du dieu.
Symbole de l’individualité spirituelle : la pyramide
Si on veut une transition caractérisée de l’architecture symbolique indépendante à
l’utilitaire, on la trouve dans les pyramides : demeures des morts, sont en partie
creusés dans la terre, et en partie élevés à la surface
Un royaume de l’invisible s’établit ; se manifeste l’opposition de la vie et de la mort,
le spirituel commence à se séparer nettement de ce qui n’est pas lui
L’individualité est le principe de la véritable représentation du spirituel ; l’esprit ne
peut exister que comme individu, comme spiritualité ; l’habitation apparaît comme
une simple enveloppe au service de l’être individuel ; les pyramides, quoique dignes
en elles mêmes d’admiration ne sont que de simples cristaux, des enveloppes qui
renferment un noyau, un esprit invisible ; le mort caché est le sens du monument ;
l’architecture n’est plus indépendante
Les ouvrages de l’art égyptien dans son symbolisme plein de mystères, forment, par
conséquent, une vaste énigme, l’énigme par excellence : symbole de ce caractère
propre de l’art égyptien = le Sphinx ; corps d’animaux accroupis, dont la partie
supérieure se dresse, surmontée d’une tête de bélier et d’une tête de femme ;
l’esprit de l’homme fait effort pour sortir de la forme brute et stupide de l’animal,
sans arriver à une représentation parfaite de la liberté, à une forme pleine de vie et
e mouvement, parce qu’il doit rester encore mêlé et associé à des éléments
étrangers

La sculpture, art classique


L’art classique comme expression de l’esprit
L’art classique refuse d’exprimer le sentiment
On pourrait croire qu’il manque quelque chose à la sculpture, et qu’elle devrait
ajouter à sa prérogative des trois dimensions les avantages de la peinture  ; certes la
forme que représente la sculpture n’est qu’un corps humain abstrait, n’offre aucune
diversité de couleurs ou de mouvements
L’art classique ne peut satisfaire entièrement l’âme

L’art classique et l’art grec


La statut égyptienne n’exprime pas encore l’esprit
Les œuvres des Egyptiens montrent un sérieux privé de vie, un mystère
impénétrable ; de sorte que le personnage représenté doit laisser voir, non pas sa
propre individualité intime, mais une autre signification étrangère à lui ; exemple :
Isis tenant Horus sur ses genoux
Extérieurement parlant, on a le même sujet que dans l’art chrétien, Marie et son
fils ; mais dans la position symétrique, raide, immobile, de la statue égyptienne,
comme quelqu’un l’a dit : « On ne voit ni une mère ni un fils. Pas une trace d’amour,
rien qui indique un sourire, un baiser  ; pas la moindre expression d’aucune espèce.
Cette mère de Dieu, qui allaite son divin enfant, elle est calme, immobile, insensible,
ou plutôt il n'y a ni déesse, ni mère, ni enfant ; c'est uniquement le signe sensible
d’une idée qui n'est capable d’aucune affection et d’aucune passion »
C'est ce qui fait la séparation de l’idée et de l’existence, et l’inhabileté à les fondre
ensemble dans le mode de représentation des Egyptiens
Leur sens spirituel est encore trop peu vif pour avoir besoin de la précision d’une
représentation, à la fois vraie et vivante, conduite jusqu’à une si parfaite
détermination que le spectateur n’éprouve aucun besoin d’y rien rajouter, mais se
borne à sentir et à contempler, parce que l’artiste n’a rien dérobé de sa pensée.
Pour ne plus se contenter du vaguer d’une indication superficielle dans l’art, il faut
que chez l’homme une plus haute conscience de son individualité que celle
qu’avaient les égyptiens se soit éveillée, afin que l’on exige des œuvres intelligence,
raison, mouvement, expression, sentiment et beauté

La peinture, art romantique

1. La peinture comme dépassement de l’expression


L’art romantique
Il y a quelque chose de plus élevé que la manifestation belle de l’esprit sous la
forme sensible façonnée par l’esprit lui-même et sa parfaite […] cette union
contredit le vrai concept de l’esprit […] l’esprit a pour essence la conformité de
lui-même avec lui-même, l’unité de son idée et de sa réalisation ; ne peut
trouver de réalité qui lui corresponde que dans son monde propre, le monde
spirituel du sentiment et de l’âme = de l’intériorité : en lui-même son objet, jouit
de sa nature infinie et de sa liberté ; principe fondamental de l’art romantique =
développement de l’esprit qui se sent et se sait lui-même dans cette harmonie
intime avec lui-même
Le sentiment contenu essentiel de la peinture
Il semble que l’on voit dans la peinture ensemble des objets extérieurs qui
entourent l’homme : montagnes, vallées, prairies, ruisseaux, arbres… mais ce
qui fait ici le noyau de la représentation =/= objets en eux-mêmes, mais vitalité
et animation de la conception et de l’exécution personnelle, l’âme de l’artiste
qui se révèle dans son œuvre et qui offre, non pas une simple reproduction des
objets extérieurs, mais lui-même et sa pensée intime.
L’esprit s’affranchit de la matière
a. La surface : la peinture laisse subsister l’étendue mais efface une de ses
dimensions  : elle prend pour élément de ses représentations la surface
Objection commune : croire que cette réduction est arbitraire dans la
peinture et qu’elle est un défaut ; or précisément la réduction du solide à la
surface est une conséquence du principe de la concentration de l’âme en
elle-même  ; car ce qui fait le fond de ses représentations = l’intériorité
spirituelle qui ne se manifeste dans les formes du monde extérieur
qu’autant qu’elle paraît d’en détacher pour se replier sur elle-même ; la
peinture travaille aussi pour les yeux de telle sorte toutefois que les objets
qu’elle représente ne restent pas des objets naturels, étendus, complets mais
deviennent le reflet de l’esprit où celui-ci ne révèle sa spiritualité qu’en
détruisant l’existence réelle, en la transformant en une simple apparence qui
est du domaine de l’esprit, et qui s’adresse à l’esprit.
2. La peinture comme expression du sentiment
La peinture, art chrétien
Le vrai domaine de la peinture c'est ce qu’elle est capable seule de représenter
par la forme visible, en opposition avec la sculpture, la musique et la poésie ; or,
c'est la concentration de l’esprit avec lui et il est refusé à la sculpture de
l’exprimer, tandis que la musique ne peut aller jusqu’à la manifestation
extérieure de l’intériorité et que la poésie ne donne qu’une image imparfaite de
la forme corporelle ; peinture elle peut exprimer dans l’extérieur la peine
intériorité ; doit s’emparer des sujets qui à la profondeur et à la richesse du
sentiment, joignent l’originalité fortement marquée du caractère et s’offrent
sous des traits nettement dessinés, représenter l’intériorité en général et
l’intériorité dans sa particularité = tel que pour l’exprimer il faille des
événements, des rapports, des situations déterminés  ; pour expression de
l’intériorité, l’indépendance idéale et l’espèce de grandeur qui caractérise le
classique ne sont pas nécessaires ;
Dans l’idéal classique, l’individualité reste dans un accord immédiat avec l’idée
qui fait le fond et la base de son existence spirituelle et en même temps avec la
forme sensible ou corporelle qui la manifeste ; il est nécessaire à la vraie
profondeur et à l’intériorité de l’esprit que l’âme ait approfondi ses sentiments,
ses facultés, qu’elle ait surmonté beaucoup d’obstacles et beaucoup souffert,
connu les angoisses du cœur et les tortures morales tout en maintenant son
intégrité et en restant fidèle à elle-même
Le centre idéal du domaine religieux = l’amour satisfait, en harmonie parfaite
avec lui-même : et son objet, dans la peinture, ne doit pas simplement résider
dans un monde invisible, puisqu’elle est appelée à représenter le principe
spirituel, réel, et présent sous la forme humaine : la forme la plus haute de cet
amour = l’amour maternel de Marie pour le Christ, l’amour d’une mère, de celle
qui a enfanté le Sauveur du monde ; pour son fils, dans Dieu, elle est parfaite ;
satisfaite et heureuse, sans passion ni désir, sans autre besoin que de conserver
ce qu’elle possède ; mais cette paix est suivie de douleurs d’autant plus
profondes  ; Marie voit le Christ porter sa croix, en descendre et être mis au
tombeau ; cependant, au milieu de telles angoisses, on chercherait vainement
cette raideur immobile que peut produire la douleur ou la simple résignation à la
sérénité ou enfin des plaintes contre l’injustice du sort  ; comparaison avec la
douleur de Niobé ; Niobé a aussi perdu ses enfants : elle conserve simplement de
la grandeur et une inaltérable beauté  ; la douleur de Marie est d’un autre
caractère, elle sent le glaive qui traverse son âme, son cœur est brisé, non pas
pétrifié. Elle n’avait pas seulement l’amour, l’amour c'est elle-même et il remplit
son âme entière.
La peinture de la réalité
Paysages
Le caractère des objets religieux = en eux s’exprime l’intimité substantielle de
l’âme : l’amour s’identifiant avec Dieu, trouvant son repos dans l’Absolu ; or
cette vie intime a un autre aliment = elle peut dans la nature purement
extérieure trouver un écho qui réponde à l’âme ; par leur caractère immédiat les
collines des montagnes des bois etc. s’offrent comme tels, mais d’abord ont
déjà de l’intérêt en eux-mêmes en tant que c'est la libre vitalité de la nature qui
apparaît en eux, et qui produit une certaine harmonie avec l’âme humaine ; et
en second lieu, les situations particulières des objets portent dans l’âme des
dispositions qui correspondent à celle de la nature ; l’homme peut sympathiser
avec cette vitalité, avec cette voix qui résonne dans l’âme, et par là entrer aussi
en union intime avec la nature ; cette sympathie profonde est aussi l’objet de la
peinture ; ainsi son sujet véritable =/= objets de la nature en eux-mêmes ; son
but est de faire vivement ressortir, de rehausser dans les paysages représentés
la vitalité de la nature, qui perce partout, et la sympathie caractéristique des
modes de cette vitalité avec les sentiments particuliers de l’âme humaine
La joyeuse peinture des choses
Une autre espèce d’expression sympathique est celle qui se rencontre dans des
objets insignifiants, détachés de l’ensemble animé d’un paysage en partie dans
les scènes de la vie humaine : dans la représentation d’une telle réalité vivante,
l’art change tout à fait notre point de vue vis-à-vis d’elle ; d’abord brise tous les
liens de la vie pratique qui nous rattachent à l’objet et nous place en face de lui
dans un rapport contemplatif
3. Dualité de la peinture
Profondeur et apparence
La peinture se prête mieux aux deux extrêmes : si d’un côté la profondeur du
sujet, le sérieux moral ou religieux de la conception et de la représentation, la
beauté idéale des formes doivent être la chose principale ; d’un autre côté, dans
les objets considérés en soi comme insignifiants, elle donne valeur à une
particularité empruntée au réel, et au talent personnel de l’exécution
La peinture doit d’abord accueillir la substance des choses, les objets de la
croyance religieuse, les grands événements et les grands personnages de
l’histoire, bien qu’elle manifeste ce fond substantiel sous la forme de la
subjectivité intérieure ; mais d’un autre côté la peinture ne doit pas s’arrêter à la
représentation de ces sujets où l’esprit paraît absorbé dans une pensée générale
et profonde  ; elle doit ouvrir le champ libre aux particularités
Dans le progrès de l’art passant du sérieux le plus profond à la représentation
des objets extérieurs et particuliers, la peinture doit aller jusqu’à l’extrême
opposé, jusqu’à la représentation de la simple apparence comme telle ; c'est-à-
dire jusqu’au point où le sujet devient quelque chose d’indifférent et la création
artistique de l’apparence l’intérêt principal.
Du sacré au profane, l’évolution de la peinture hollandaise.
L’art allemand et l’art flamand a parcouru le cercle entier des sujets de
représentations et des modes de les traiter : depuis les images traditionnelles
des églises, les figures isolées et les simples bustes, et plus tard, les
représentations pleines d’expression, de piété, et d’inspiration religieuse,
jusqu’au mouvement et à l’étendue des grandes scènes et compositions, où le
caractère libre et la vitalité des figures sont réhaussés par l’éclat extérieur des
équipages et d’une suite nombreuse, par la présence fortuite de personnages
populaires ; le tout ramené à l’unité et soutenu par l’idée religieuse qui fait la
base du tableau ; mais ce centre de la représentation, c'est ce qui s’efface peu à
peu dans la suite
De sorte que le cercle des objets contenus jusqu’ici dans l’unité, se brise, et dès
lors, les particularités, dans leur individualité spécifique, avec leurs changements
et leurs accidents mobiles, se prêtent aux modes les plus variés de conception et
d’exécution pittoresque
Etude de l’état national dans lequel a pris naissance ce développement de l’art :
la Réforme avait pénétré en Hollande ; les Hollandais s’étaient faits protestants,
ils avaient vaincu le despotisme clérical et monarchique de l’Espagne ; le peuple
quel est-il ? un peuple d’habitants des villes, d’industrieux et honnêtes
bourgeois
Maintenant, cette population pleine de sens et heureusement douée pour les
arts, elle veut jouir une seconde fois par la peinture du spectacle de cette
existence, aussi forte qu’honnête, satisfaite et joyeuse  ; elle veut voir reproduits
sur ses tableaux, dans toutes les situations possibles, la propreté de ses villes, de
ses maisons, de ses meubles, sa paix domestique, sa richesse…
C'est précisément ce sens d’une existence honnête et gaie que les maîtres
hollandais appliquent aussi à la représentation des objets de la nature ; et alors
dans toutes les productions de la peinture, à la facilité et à la sûreté de
conception, à la prédilection pour ce qui est en apparence peu important et
momentané, à la naïveté qui donne tant de fraîcheur à leur tableau, joignent la
plus haute liberté de composition artistique = une finesse particulière de tact
pour l’accessoire et un soin parfait dans l’exécution.
« C'est dans cet abandon et ce sans-souci que consiste ici le moment idéal. C'est
le dimanche de la vie qui égalise tout et qui éloigne toute idée du mal. »
4. Aboutissement de la peinture.
Le portrait.
Le peintre, douté d’un sens physionomique, plein de finesse, représente le
caractère original de l’individu, par cela même qu’il faisait et fait ressortir les
traits, les parties qui l’expriment dans sa vitalité la plus claire et la plus saillante
Sous ce rapport, un portrait peut être très ressemblant, d’une grande exactitude
mais insignifiant et vide ; alors qu’une esquisse peut être beaucoup plus vivante
et d’une vérité frappante
« Le plus grand secret de l’art sera de maintenir sous ce rapport un heureux
milieu entre de telles esquisses et l’imitation fidèle de la nature. Tels sont, par
exemple, les portraits du Titien. Ils nous offrent l’aspect de l’individualité et nous
donnent l’idée de la vitalité spirituelle comme ne nous les présente pas la
physionomie réelle. »

La femme à la balance de Vermeer


La balance signifie que la peinture a sûrement une connotation religieuse car
derrière se trouve une image du jugement dernier. Contrairement à ses
contemporains, Vermeer ne cherche pas à dépeindre le désordre domestique ou
les détails secondaires. Il préfère construire ses compositions à partir de
quelques formes et volumes : un personnage serein (ou deux par tableau), le
dos d’une chaise, une carte ou une image sur le mur du fond.

Panofsky Idea

Baudelaire, Ecrits sur l’art

« J’imagine devant Les Caprices un homme, un curieux, un amateur, n’ayant aucune


notion des faits historiques auxquels plusieurs de ses planches font allusion, un
simple esprit d’artiste qui ne sache ce que c'est ni que Godoï, ni le roi Charles, ni la
reine  ; il éprouvera toutefois au fond de son cerveau une commotion vive, à cause de
la manière originale, de la plénitude et de la certitude des moyens de l’artiste, et
aussi de cette atmosphère fantastique qui baigne tous ses sujets. »
Commentaire de la planche 62 : « Qui le croirait ! », le combat de deux sorcières,
l’une est à cheval sur l’autre ; « toute la hideur, toutes les saletés morales, tous les
vices de l’esprit humain peut concevoir sont écrits sur ces deux faces, qui, suivant une
habitude fréquente et un procédé inexplicable de l’artiste, tiennent le milieu entre
l’homme et la bête. »
Commentaire de la planche 59 :  « Et pourtant ils ne s’en vont pas. » ou « Nada »,
comme il décrit de mémoire a pu confondre les deux
« Ce cauchemar s’agit dans l’horreur du vague et de l’indéfini. »
« Le grand mérite de Goya consiste à créer le monstrueux vraisemblable. Ses
monstres sont nés viables, harmoniques. Nul n’a osé plus que lui dans le sens de
l’absurde possible. Toutes ces contorsions, ces faces bestiales, ces grimaces
diaboliques sont pénétrées d’humanité. […] en un mot, la ligne de suture, le point de
jonction entre le réel et le fantastique est impossible à saisir ; c'est une frontière
vague que l’analyste le plus subtil ne saurait pas tracer, tant l’art est à la fois
transcendant et naturel. »

Eugène Delacroix, « plusieurs vérités irréfutables »


1. Vu à une distance trop grande pour analyser ou même comprende le sujet, un
tableau de D a déjà produit sur l’âme une impression riche, heureuse ou
mélancolique « On dirait que cette peinture, comme les sorciers et les
magnétiseurs, projette sa pensée à distance » : tient à la puissance du coloriste,
à l’accord parfait des tons, et à l’harmonie entre la couleur et le sujet  : « Il
semble que cette couleur […] pense par elle-même, indépendamment des objets
qu’elle habille.
2. Delacroix, lac de sang, hanté des mauvais anges, Ombragé par un bois de sapins
toujours vert, Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges Passent comme un
soupir étouffé de Weber ; lac de sang : le rouge ; hanté des mauvais anges :
surnaturalisme ; un bois toujours vers : le vert, complémentaire du rouge ; un
ciel chagrin : les fonds tumultueux et orageux de ses tableaux ; les fanfares de
Weber : idées de musique romantique que réveillent harmonies de sa couleur
3. Le dessin de Delacroix : un bon dessin n’est pas une ligne dure, cruelle,
despotique, immobile, enfermant une figure comme une camisole de force  ; le
dessin doit être comme la nature, vivant et agité ; la simplification dans le dessin
est une monstruosité, comme la tragédie dans le monde dramatique ; la nature
nous présente une infinité de lignes courbes, fuyantes, brisées, suivant une loi
de génération impeccable, où le parallélisme est toujours indécis et sinueux, où
les concavités et les convexités se correspondent et se poursuivent ; « M.
Delacroix satisfait admirablement à toutes ces conditions […] immense mérite
d’être une protestation perpétuelle et efficace contre la barbare invasion de la
ligne droite, cette ligne tragique et systématique, dont actuellement les ravages
sont déjà immenses dans la peinture et la sculpture. »
4. Edgar Poe : le résultat de l’opium pour les sens = revêtir la nature entière d’un
intérêt surnaturel qui donne à chaque objet un sens plus profond, plus
volontaire, plus despotique […] La peinture de D me paraît la traduction de ces
beaux jours de l’esprit. Elle est revêtue d’intensité et sa splendeur est
privilégiée. Comme la nature perçue par des nerfs ultra-sensible, elle révèle le
surnaturalisme.
Remarque : dans un tableau de Courbet ou d’Ingres, il n’y aurait pas d’appel à la
rêverie, que ce qu’il y a à voir. Le fini lisse d’Ingres c'est la ligne parfaite, quasi
sculpturale.

Adorne, « Introduction première »

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