Ce qu’exprimer l’art naissant Le but de l’art, son besoin originel, c'est de produire aux regards une représentation, une conception née de l’esprit, de la manifester comme son œuvre propre ; comparaison avec le langage : l’homme communique ses pensées et les fait comprendre à ses semblables Symboles du lien social : la tour de Babel et la tour de Baal «Qu’est-ce que le sacré ? » demande Goethe, dans un de ses distiques, et il répond « C'est ce qui unit les âmes. » ; le sacré comme but et lieu de réunion pour les hommes a été le premier objet de l’architecture indépendante ; dans la construction de la tour de Babel, les hommes bâtissent en commun, et la communauté du travail est en même temps le but et le contenu de l’ouvrage lui- même ; une pareille construction est symbolique, car signifie le lien lui-même La tour de Baal, dont parle Hérodote : pas un temple dans le sens moderne du mot : c'est une enceinte de temple, en forme de carré, dont chaque côté avait deux stades ; au milieu était une tour, non creusée à l’intérieur, mais massive, de la longueur et de la largeur d’un stade ; huit tours superposées, et un chemin en fait le tour, jusqu’au sommet, à peu près la moitié de la hauteur est un lieu de repos avec des bancs où peuvent s’arrêter ceux qui montent ; sur la dernier tour grand temple et il y a un lit de repos préparé avec soin et une table d’or ; les prêtres prétendent que le dieu vient visiter le temple et se repose sur le lit ; pas assimilables aux temples grecs, les sept tours sont massives, la statue est au-dessous, en dehors de l’édifice, qui s’élève indépendant, pour lui-même ; la forme reste ici abandonnée au hasard et à l’accidentel : elle est déterminée seulement par le principe matériel de la solidité : la forme d’un cube En même temps, on commence à se demander quel est le sens de l’ouvrage considéré dans son ensemble et en quoi il présente un caractère symbolique : peut- être dans le nombre des étages massifs, il y en a sept comme le nombre des planètes et des sphères célestes, plus le séjour nocturne du dieu. Symbole de l’individualité spirituelle : la pyramide Si on veut une transition caractérisée de l’architecture symbolique indépendante à l’utilitaire, on la trouve dans les pyramides : demeures des morts, sont en partie creusés dans la terre, et en partie élevés à la surface Un royaume de l’invisible s’établit ; se manifeste l’opposition de la vie et de la mort, le spirituel commence à se séparer nettement de ce qui n’est pas lui L’individualité est le principe de la véritable représentation du spirituel ; l’esprit ne peut exister que comme individu, comme spiritualité ; l’habitation apparaît comme une simple enveloppe au service de l’être individuel ; les pyramides, quoique dignes en elles mêmes d’admiration ne sont que de simples cristaux, des enveloppes qui renferment un noyau, un esprit invisible ; le mort caché est le sens du monument ; l’architecture n’est plus indépendante Les ouvrages de l’art égyptien dans son symbolisme plein de mystères, forment, par conséquent, une vaste énigme, l’énigme par excellence : symbole de ce caractère propre de l’art égyptien = le Sphinx ; corps d’animaux accroupis, dont la partie supérieure se dresse, surmontée d’une tête de bélier et d’une tête de femme ; l’esprit de l’homme fait effort pour sortir de la forme brute et stupide de l’animal, sans arriver à une représentation parfaite de la liberté, à une forme pleine de vie et e mouvement, parce qu’il doit rester encore mêlé et associé à des éléments étrangers
La sculpture, art classique
L’art classique comme expression de l’esprit L’art classique refuse d’exprimer le sentiment On pourrait croire qu’il manque quelque chose à la sculpture, et qu’elle devrait ajouter à sa prérogative des trois dimensions les avantages de la peinture ; certes la forme que représente la sculpture n’est qu’un corps humain abstrait, n’offre aucune diversité de couleurs ou de mouvements L’art classique ne peut satisfaire entièrement l’âme
L’art classique et l’art grec
La statut égyptienne n’exprime pas encore l’esprit Les œuvres des Egyptiens montrent un sérieux privé de vie, un mystère impénétrable ; de sorte que le personnage représenté doit laisser voir, non pas sa propre individualité intime, mais une autre signification étrangère à lui ; exemple : Isis tenant Horus sur ses genoux Extérieurement parlant, on a le même sujet que dans l’art chrétien, Marie et son fils ; mais dans la position symétrique, raide, immobile, de la statue égyptienne, comme quelqu’un l’a dit : « On ne voit ni une mère ni un fils. Pas une trace d’amour, rien qui indique un sourire, un baiser ; pas la moindre expression d’aucune espèce. Cette mère de Dieu, qui allaite son divin enfant, elle est calme, immobile, insensible, ou plutôt il n'y a ni déesse, ni mère, ni enfant ; c'est uniquement le signe sensible d’une idée qui n'est capable d’aucune affection et d’aucune passion » C'est ce qui fait la séparation de l’idée et de l’existence, et l’inhabileté à les fondre ensemble dans le mode de représentation des Egyptiens Leur sens spirituel est encore trop peu vif pour avoir besoin de la précision d’une représentation, à la fois vraie et vivante, conduite jusqu’à une si parfaite détermination que le spectateur n’éprouve aucun besoin d’y rien rajouter, mais se borne à sentir et à contempler, parce que l’artiste n’a rien dérobé de sa pensée. Pour ne plus se contenter du vaguer d’une indication superficielle dans l’art, il faut que chez l’homme une plus haute conscience de son individualité que celle qu’avaient les égyptiens se soit éveillée, afin que l’on exige des œuvres intelligence, raison, mouvement, expression, sentiment et beauté
La peinture, art romantique
1. La peinture comme dépassement de l’expression
L’art romantique Il y a quelque chose de plus élevé que la manifestation belle de l’esprit sous la forme sensible façonnée par l’esprit lui-même et sa parfaite […] cette union contredit le vrai concept de l’esprit […] l’esprit a pour essence la conformité de lui-même avec lui-même, l’unité de son idée et de sa réalisation ; ne peut trouver de réalité qui lui corresponde que dans son monde propre, le monde spirituel du sentiment et de l’âme = de l’intériorité : en lui-même son objet, jouit de sa nature infinie et de sa liberté ; principe fondamental de l’art romantique = développement de l’esprit qui se sent et se sait lui-même dans cette harmonie intime avec lui-même Le sentiment contenu essentiel de la peinture Il semble que l’on voit dans la peinture ensemble des objets extérieurs qui entourent l’homme : montagnes, vallées, prairies, ruisseaux, arbres… mais ce qui fait ici le noyau de la représentation =/= objets en eux-mêmes, mais vitalité et animation de la conception et de l’exécution personnelle, l’âme de l’artiste qui se révèle dans son œuvre et qui offre, non pas une simple reproduction des objets extérieurs, mais lui-même et sa pensée intime. L’esprit s’affranchit de la matière a. La surface : la peinture laisse subsister l’étendue mais efface une de ses dimensions : elle prend pour élément de ses représentations la surface Objection commune : croire que cette réduction est arbitraire dans la peinture et qu’elle est un défaut ; or précisément la réduction du solide à la surface est une conséquence du principe de la concentration de l’âme en elle-même ; car ce qui fait le fond de ses représentations = l’intériorité spirituelle qui ne se manifeste dans les formes du monde extérieur qu’autant qu’elle paraît d’en détacher pour se replier sur elle-même ; la peinture travaille aussi pour les yeux de telle sorte toutefois que les objets qu’elle représente ne restent pas des objets naturels, étendus, complets mais deviennent le reflet de l’esprit où celui-ci ne révèle sa spiritualité qu’en détruisant l’existence réelle, en la transformant en une simple apparence qui est du domaine de l’esprit, et qui s’adresse à l’esprit. 2. La peinture comme expression du sentiment La peinture, art chrétien Le vrai domaine de la peinture c'est ce qu’elle est capable seule de représenter par la forme visible, en opposition avec la sculpture, la musique et la poésie ; or, c'est la concentration de l’esprit avec lui et il est refusé à la sculpture de l’exprimer, tandis que la musique ne peut aller jusqu’à la manifestation extérieure de l’intériorité et que la poésie ne donne qu’une image imparfaite de la forme corporelle ; peinture elle peut exprimer dans l’extérieur la peine intériorité ; doit s’emparer des sujets qui à la profondeur et à la richesse du sentiment, joignent l’originalité fortement marquée du caractère et s’offrent sous des traits nettement dessinés, représenter l’intériorité en général et l’intériorité dans sa particularité = tel que pour l’exprimer il faille des événements, des rapports, des situations déterminés ; pour expression de l’intériorité, l’indépendance idéale et l’espèce de grandeur qui caractérise le classique ne sont pas nécessaires ; Dans l’idéal classique, l’individualité reste dans un accord immédiat avec l’idée qui fait le fond et la base de son existence spirituelle et en même temps avec la forme sensible ou corporelle qui la manifeste ; il est nécessaire à la vraie profondeur et à l’intériorité de l’esprit que l’âme ait approfondi ses sentiments, ses facultés, qu’elle ait surmonté beaucoup d’obstacles et beaucoup souffert, connu les angoisses du cœur et les tortures morales tout en maintenant son intégrité et en restant fidèle à elle-même Le centre idéal du domaine religieux = l’amour satisfait, en harmonie parfaite avec lui-même : et son objet, dans la peinture, ne doit pas simplement résider dans un monde invisible, puisqu’elle est appelée à représenter le principe spirituel, réel, et présent sous la forme humaine : la forme la plus haute de cet amour = l’amour maternel de Marie pour le Christ, l’amour d’une mère, de celle qui a enfanté le Sauveur du monde ; pour son fils, dans Dieu, elle est parfaite ; satisfaite et heureuse, sans passion ni désir, sans autre besoin que de conserver ce qu’elle possède ; mais cette paix est suivie de douleurs d’autant plus profondes ; Marie voit le Christ porter sa croix, en descendre et être mis au tombeau ; cependant, au milieu de telles angoisses, on chercherait vainement cette raideur immobile que peut produire la douleur ou la simple résignation à la sérénité ou enfin des plaintes contre l’injustice du sort ; comparaison avec la douleur de Niobé ; Niobé a aussi perdu ses enfants : elle conserve simplement de la grandeur et une inaltérable beauté ; la douleur de Marie est d’un autre caractère, elle sent le glaive qui traverse son âme, son cœur est brisé, non pas pétrifié. Elle n’avait pas seulement l’amour, l’amour c'est elle-même et il remplit son âme entière. La peinture de la réalité Paysages Le caractère des objets religieux = en eux s’exprime l’intimité substantielle de l’âme : l’amour s’identifiant avec Dieu, trouvant son repos dans l’Absolu ; or cette vie intime a un autre aliment = elle peut dans la nature purement extérieure trouver un écho qui réponde à l’âme ; par leur caractère immédiat les collines des montagnes des bois etc. s’offrent comme tels, mais d’abord ont déjà de l’intérêt en eux-mêmes en tant que c'est la libre vitalité de la nature qui apparaît en eux, et qui produit une certaine harmonie avec l’âme humaine ; et en second lieu, les situations particulières des objets portent dans l’âme des dispositions qui correspondent à celle de la nature ; l’homme peut sympathiser avec cette vitalité, avec cette voix qui résonne dans l’âme, et par là entrer aussi en union intime avec la nature ; cette sympathie profonde est aussi l’objet de la peinture ; ainsi son sujet véritable =/= objets de la nature en eux-mêmes ; son but est de faire vivement ressortir, de rehausser dans les paysages représentés la vitalité de la nature, qui perce partout, et la sympathie caractéristique des modes de cette vitalité avec les sentiments particuliers de l’âme humaine La joyeuse peinture des choses Une autre espèce d’expression sympathique est celle qui se rencontre dans des objets insignifiants, détachés de l’ensemble animé d’un paysage en partie dans les scènes de la vie humaine : dans la représentation d’une telle réalité vivante, l’art change tout à fait notre point de vue vis-à-vis d’elle ; d’abord brise tous les liens de la vie pratique qui nous rattachent à l’objet et nous place en face de lui dans un rapport contemplatif 3. Dualité de la peinture Profondeur et apparence La peinture se prête mieux aux deux extrêmes : si d’un côté la profondeur du sujet, le sérieux moral ou religieux de la conception et de la représentation, la beauté idéale des formes doivent être la chose principale ; d’un autre côté, dans les objets considérés en soi comme insignifiants, elle donne valeur à une particularité empruntée au réel, et au talent personnel de l’exécution La peinture doit d’abord accueillir la substance des choses, les objets de la croyance religieuse, les grands événements et les grands personnages de l’histoire, bien qu’elle manifeste ce fond substantiel sous la forme de la subjectivité intérieure ; mais d’un autre côté la peinture ne doit pas s’arrêter à la représentation de ces sujets où l’esprit paraît absorbé dans une pensée générale et profonde ; elle doit ouvrir le champ libre aux particularités Dans le progrès de l’art passant du sérieux le plus profond à la représentation des objets extérieurs et particuliers, la peinture doit aller jusqu’à l’extrême opposé, jusqu’à la représentation de la simple apparence comme telle ; c'est-à- dire jusqu’au point où le sujet devient quelque chose d’indifférent et la création artistique de l’apparence l’intérêt principal. Du sacré au profane, l’évolution de la peinture hollandaise. L’art allemand et l’art flamand a parcouru le cercle entier des sujets de représentations et des modes de les traiter : depuis les images traditionnelles des églises, les figures isolées et les simples bustes, et plus tard, les représentations pleines d’expression, de piété, et d’inspiration religieuse, jusqu’au mouvement et à l’étendue des grandes scènes et compositions, où le caractère libre et la vitalité des figures sont réhaussés par l’éclat extérieur des équipages et d’une suite nombreuse, par la présence fortuite de personnages populaires ; le tout ramené à l’unité et soutenu par l’idée religieuse qui fait la base du tableau ; mais ce centre de la représentation, c'est ce qui s’efface peu à peu dans la suite De sorte que le cercle des objets contenus jusqu’ici dans l’unité, se brise, et dès lors, les particularités, dans leur individualité spécifique, avec leurs changements et leurs accidents mobiles, se prêtent aux modes les plus variés de conception et d’exécution pittoresque Etude de l’état national dans lequel a pris naissance ce développement de l’art : la Réforme avait pénétré en Hollande ; les Hollandais s’étaient faits protestants, ils avaient vaincu le despotisme clérical et monarchique de l’Espagne ; le peuple quel est-il ? un peuple d’habitants des villes, d’industrieux et honnêtes bourgeois Maintenant, cette population pleine de sens et heureusement douée pour les arts, elle veut jouir une seconde fois par la peinture du spectacle de cette existence, aussi forte qu’honnête, satisfaite et joyeuse ; elle veut voir reproduits sur ses tableaux, dans toutes les situations possibles, la propreté de ses villes, de ses maisons, de ses meubles, sa paix domestique, sa richesse… C'est précisément ce sens d’une existence honnête et gaie que les maîtres hollandais appliquent aussi à la représentation des objets de la nature ; et alors dans toutes les productions de la peinture, à la facilité et à la sûreté de conception, à la prédilection pour ce qui est en apparence peu important et momentané, à la naïveté qui donne tant de fraîcheur à leur tableau, joignent la plus haute liberté de composition artistique = une finesse particulière de tact pour l’accessoire et un soin parfait dans l’exécution. « C'est dans cet abandon et ce sans-souci que consiste ici le moment idéal. C'est le dimanche de la vie qui égalise tout et qui éloigne toute idée du mal. » 4. Aboutissement de la peinture. Le portrait. Le peintre, douté d’un sens physionomique, plein de finesse, représente le caractère original de l’individu, par cela même qu’il faisait et fait ressortir les traits, les parties qui l’expriment dans sa vitalité la plus claire et la plus saillante Sous ce rapport, un portrait peut être très ressemblant, d’une grande exactitude mais insignifiant et vide ; alors qu’une esquisse peut être beaucoup plus vivante et d’une vérité frappante « Le plus grand secret de l’art sera de maintenir sous ce rapport un heureux milieu entre de telles esquisses et l’imitation fidèle de la nature. Tels sont, par exemple, les portraits du Titien. Ils nous offrent l’aspect de l’individualité et nous donnent l’idée de la vitalité spirituelle comme ne nous les présente pas la physionomie réelle. »
La femme à la balance de Vermeer
La balance signifie que la peinture a sûrement une connotation religieuse car derrière se trouve une image du jugement dernier. Contrairement à ses contemporains, Vermeer ne cherche pas à dépeindre le désordre domestique ou les détails secondaires. Il préfère construire ses compositions à partir de quelques formes et volumes : un personnage serein (ou deux par tableau), le dos d’une chaise, une carte ou une image sur le mur du fond.
Panofsky Idea
Baudelaire, Ecrits sur l’art
« J’imagine devant Les Caprices un homme, un curieux, un amateur, n’ayant aucune
notion des faits historiques auxquels plusieurs de ses planches font allusion, un simple esprit d’artiste qui ne sache ce que c'est ni que Godoï, ni le roi Charles, ni la reine ; il éprouvera toutefois au fond de son cerveau une commotion vive, à cause de la manière originale, de la plénitude et de la certitude des moyens de l’artiste, et aussi de cette atmosphère fantastique qui baigne tous ses sujets. » Commentaire de la planche 62 : « Qui le croirait ! », le combat de deux sorcières, l’une est à cheval sur l’autre ; « toute la hideur, toutes les saletés morales, tous les vices de l’esprit humain peut concevoir sont écrits sur ces deux faces, qui, suivant une habitude fréquente et un procédé inexplicable de l’artiste, tiennent le milieu entre l’homme et la bête. » Commentaire de la planche 59 : « Et pourtant ils ne s’en vont pas. » ou « Nada », comme il décrit de mémoire a pu confondre les deux « Ce cauchemar s’agit dans l’horreur du vague et de l’indéfini. » « Le grand mérite de Goya consiste à créer le monstrueux vraisemblable. Ses monstres sont nés viables, harmoniques. Nul n’a osé plus que lui dans le sens de l’absurde possible. Toutes ces contorsions, ces faces bestiales, ces grimaces diaboliques sont pénétrées d’humanité. […] en un mot, la ligne de suture, le point de jonction entre le réel et le fantastique est impossible à saisir ; c'est une frontière vague que l’analyste le plus subtil ne saurait pas tracer, tant l’art est à la fois transcendant et naturel. »
Eugène Delacroix, « plusieurs vérités irréfutables »
1. Vu à une distance trop grande pour analyser ou même comprende le sujet, un tableau de D a déjà produit sur l’âme une impression riche, heureuse ou mélancolique « On dirait que cette peinture, comme les sorciers et les magnétiseurs, projette sa pensée à distance » : tient à la puissance du coloriste, à l’accord parfait des tons, et à l’harmonie entre la couleur et le sujet : « Il semble que cette couleur […] pense par elle-même, indépendamment des objets qu’elle habille. 2. Delacroix, lac de sang, hanté des mauvais anges, Ombragé par un bois de sapins toujours vert, Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges Passent comme un soupir étouffé de Weber ; lac de sang : le rouge ; hanté des mauvais anges : surnaturalisme ; un bois toujours vers : le vert, complémentaire du rouge ; un ciel chagrin : les fonds tumultueux et orageux de ses tableaux ; les fanfares de Weber : idées de musique romantique que réveillent harmonies de sa couleur 3. Le dessin de Delacroix : un bon dessin n’est pas une ligne dure, cruelle, despotique, immobile, enfermant une figure comme une camisole de force ; le dessin doit être comme la nature, vivant et agité ; la simplification dans le dessin est une monstruosité, comme la tragédie dans le monde dramatique ; la nature nous présente une infinité de lignes courbes, fuyantes, brisées, suivant une loi de génération impeccable, où le parallélisme est toujours indécis et sinueux, où les concavités et les convexités se correspondent et se poursuivent ; « M. Delacroix satisfait admirablement à toutes ces conditions […] immense mérite d’être une protestation perpétuelle et efficace contre la barbare invasion de la ligne droite, cette ligne tragique et systématique, dont actuellement les ravages sont déjà immenses dans la peinture et la sculpture. » 4. Edgar Poe : le résultat de l’opium pour les sens = revêtir la nature entière d’un intérêt surnaturel qui donne à chaque objet un sens plus profond, plus volontaire, plus despotique […] La peinture de D me paraît la traduction de ces beaux jours de l’esprit. Elle est revêtue d’intensité et sa splendeur est privilégiée. Comme la nature perçue par des nerfs ultra-sensible, elle révèle le surnaturalisme. Remarque : dans un tableau de Courbet ou d’Ingres, il n’y aurait pas d’appel à la rêverie, que ce qu’il y a à voir. Le fini lisse d’Ingres c'est la ligne parfaite, quasi sculpturale.