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L’Histoire

de l’art pour les Nuls



© Éditions First-Gründ, 2006. Publié en accord avec Wiley
Publishing, Inc.

« Pour les Nuls » est une marque déposée de Wiley Publishing,
Inc.
« For Dummies » est une marque déposée de Wiley Publishing,
Inc.

ISBN numérique : 9782754043274
Dépôt légal : 3e trimestre 2006

Ouvrage dirigé par Benjamin Arranger

Production : Emmanuelle Clément
Correction : Bérengère Cournut
Mise en page : Marie Housseau
Cahier central : Agnès Bouche
Illustrations : Marc Chalvin
Couverture : KN Conception

Éditions First-Gründ
60, rue Mazarine
75006 Paris – France
Tél. : 01 45 49 60 00
Fax : 01 45 49 60 01
E-mail : firstinfo@efirst.com
Site internet : www.editionsfirst.fr

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réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou
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devant les juridictions civiles ou pénales. Toute reproduction,
même partielle, du contenu, de la couverture ou des icônes, par
quelque procédé que ce soit (électronique, photocopie, bande
magnétique ou autre) est interdite sans autorisation par écrit
des Éditions First-Gründ.
À propos des auteurs
Jean-Jacques Breton, docteur en littérature et
civilisation françaises, est responsable d’activités,
département Livres, au sein de la Réunion des musées
nationaux. Il est l’auteur du Mage dans la
« Décadence latine » de Joséphin Péladan, aux
éditions du Cosmogone, et collectionne les œuvres
d’art populaire du tiers-monde.
Philippe Cachau, docteur en histoire de l’art et
diplômé de muséologie à l’école du Louvre, a
collaboré à plusieurs ouvrages collectifs sur l’histoire
de l’art.
Dominique Williatte, titulaire d’une licence de
philosophie de l’art, travaille à la Réunion des musées
nationaux.
Dédicace
Ce livre est dédié à tous les artistes d’hier,
d’aujourd’hui et de demain, même s’ils n’exercent que
le dimanche, pour leur volonté d’offrir à l’humanité
souffrante un peu de beauté.
À tous les critiques d’art dont nous nous moquons
parfois gentiment, en souhaitant qu’ils allient à leur
sens esthétique celui de l’humour.
Remerciements
Un grand merci à :
Benjamin Arranger pour sa confiance et sa patience ;
Dominique Héniau, éminent professeur de philosophie, aux
remarques sans cesse judicieuses ;
Élodie et Oscar, sans qui je serais bien las ;
Joëlle et Laure, toujours pleines d’indulgence pour les
activités de leur mari et père ;
toutes celles et ceux qui ont eu la gentillesse de nous
encourager.
Histoire de l'Art Pour les
Nuls

Sommaire
Page de Copyright
Page de titre
À propos des auteurs
Dédicace
Remerciements
Introduction
À propos de ce livre
Les conventions utilisées dans ce livre
Comment ce livre est organisé
Première partie : Des cavernes au Colisée : la préhistoire
et l’Antiquité
Deuxième partie : Du sourire de l’ange à celui de la
Joconde : le Moyen Âge et la Renaissance
Troisième partie : Baroque, rocaille et rococo ou la
légende du roc : les temps modernes (XVIIe-XVIII e
siècles)
Quatrième partie : Nunuches, nanars et nénuphars : le
XIXe siècle
Cinquième partie : L’aventure continue : du début du XXe
siècle à nos jours
Sixième partie : Aux pays des merveilles : les arts non
européens
Septième partie : La partie des dix
Les icônes utilisées dans cet ouvrage
Par où commencer
Première partie - Des cavernes au Colisée : la
préhistoire et l’Antiquité

Chapitre 1 - À louer, grotte décorée à la main : l’art


pariétal
L’art est le propre de l’homme
Les grottes miraculeuses
En avance sur leur temps
Chacun sa tache
Dolmen réservé
Tous en ligne
À table !
Chapitre 2 - Entre le Tigre et l’Euphrate : la Mésopotamie
À Sumer sa différence
Quelle barbe !
Quand la foi déplace les montagnes
Au nom de la loi : Babylone
Tour d’horizon à Babel
Pire empire
Chapitre 3 - Passeport pour l’éternité : l’art égyptien
En plein dans le Nil
De Concorde à Pyramides sans changer de station
Hathor ou à raison, des divinités plutôt vaches
Les hiéroglyphes : une écriture indéchiffrable ?
La perpétuité sans concession
La pire amie d’Égypte
Colonnes à la une
Obélisques à marquer d’un astérisque
Du sur-mesure pour toutes les tailles
Jamais à la retraite : les chaouabtis
Le meilleur à l’écrit : le scribe accroupi
Études de profil
Vus sous cet angle
Sans perspective
Chapitre 4 - Label hellène : l’art grec antique
Mycènes mise en scène
L’erreur féconde
Le temple y est, mon trésor
Entrez dans les ordres : l’architecture grecque
Appelez-la « polis » !
Acropole position
Canons et poudre aux yeux : la sculpture grecque
Offrir avec le sourire : le kouros
On bronze, en Grèce
Les voilés dévoilés
Mythe au logis : la peinture grecque
En premier Apelle
Tiens, voilà du raisin !
Chapitre 5 - À Rome, des goûts et des couleurs : l’art
étrusque et romain
Retour à l’Étrurie
Ils n’ont pas inventé la poutre : l’architecture étrusque
Dans le plus simple appareil
Un certain sens pratique : l’architecture romaine
L’horreur du vide
L’architecture triomphale
Prendre le pli : la sculpture étrusque et romaine
Le meilleur de l’Épire
Se payer sa tête : l’invention du portrait
La peinture… en trompe-l’œil !
Un talent qui se monnaye
Une peinture délavée

Deuxième partie - Du sourire de l’ange à celui de


la Joconde : le Moyen Âge et la Renaissance

Chapitre 6 - Suivez la flèche : l’art roman


Un roman passionnant : l’architecture
En voûté, c’est pas sorcier
Querelles de clochers à l’étranger
Fresque pareille : la peinture
Détrempe-toi !
Complètement enluminés
Chapitre 7 - De plus en plus pointu : l’art gothique
Une langue de pierre : l’architecture
Des têtes chercheuses créent l’ogive
L’abbé attitude
Opération à chœur ouvert
Des idées lumineuses
À Sens unique
En attendant Hugo
Sourire aux anges
Tout s’écroule
Le plein des sens : « La Dame à la licorne »
Chapitre 8 - Elle ouvre des perspectives : la Renaissance
Enfin la vie de château : l’architecture
Remettre un peu d’ordre : l’Italie
Un beau palais : la France
L’art et la matière : la sculpture
D’un seul bloc : Michel-Ange
Prisonnier de la matière
Enfin un peu de profondeur : la peinture
De quoi faire une Cène : Léonard de Vinci
L’ère d’un ange : Raphaël
Haute en couleur : l’école vénitienne
Un peu de pigment dans la vie : les pays du Nord
C’est polyptyque ! Les Flamands
Ça baigne dans l’huile : l’Allemagne

Troisième partie - Baroque, rococo et rocaille ou


la légende du roc : les temps modernes (XVIIe et
XVIIIe siècles)

Chapitre 9 - Le souffle du barroco : la floraison du


baroque italien
Il était une foi : l’architecture
Le Bernin : la fontaine de l’Innocent
Barbare Barberini
Place à la bénédiction
Explosif : une plastique dynamique
Vœux d’artifice
Maderno : point d’orgue
Duquesnoy : taille mannequin
Quels miracles ! La peinture
Une voie de Carrache ?
Leçon de ténèbres : le Caravage
Chapitre 10 - Un grand classique : la France baroque
Peinture fraîche !
Vouet a une belle carrière
Du Champaigne non pétillant
L’éclosion d’un Poussin
Un beau Le Brun pas ténébreux
Dans le flot mais hors courant
La Tour, un phare dans le clair-obscur
Watteau, un libertin en pèlerinage
Chardin des délices
Une grâce mâtinée d’antique : la sculpture classique et
baroque
La molle volupté des chairs
Le salon de la Guerre à Versailles
Les commandants Coustou
Athlètes atlantes
Le temps de l’Île enchantée : l’architecture
Un château fort beau
Les Invalides : une sacrée pension
Chapitre 11 - L’éveil du Siècle d’or : le baroque espagnol
Avoir la vocation : la peinture
Les premiers pas avec Ribalta et Ribera
Ne faites pas l’infant : Vélasquez
Le peintre du silence : Zurbarán
Le caravagisme voué aux ténèbres par la nouvelle
génération
Des horreurs de toute beauté : Goya
Un ciseau baroque : la sculpture
Douleur en couleur
Un réalisme pathétique
Envie de plissé
La grande illusion : l’architecture
Une architecture à double face
La boucle est bouclée : baroque contre rocaille
Chapitre 12 - Une perle, cette jeune fille : le baroque
dans les pays du Nord
Sans mêler les pinceaux : les Pays-Bas
Mineurs et pourtant majeurs
Rembrandt, une preuve d’exigence
Le silence est de mise : Vermeer
Natures mortes et bons vivants : la Belgique
Une palette de talents : Rubens
Satyres dans tous les coins
Une peinture d’importation : l’Angleterre
Hogarth, le peintre des carrières
Thomas Gainsborough, so british

Quatrième partie - Nunuches, nanars et


nénuphars : le XIXe siècle

Chapitre 13 - Un éclairage au « néo » : le néoclassicisme


Les toiles de David
Un peintre sous serment
David, un frondeur
Ingres attitude
L’art osé
Complètement d’Ingres !
Copier l’inimitable : la sculpture néoclassique
Où donc est Houdon ?
Canova : le sens de l’amour
L’internationale du style : l’architecture néoclassique
Un Ange passe
Ledoux, un vrai dur
Soufflot n’est pas jouer
Trop de Chalgrin
Une Bourse de valeur
Chapitre 14 - Ce radeau me méduse : le romantisme
Les peintres de l’ailleurs
Un Gros qui suit plusieurs régimes
Géricault, les tempêtes de la renommée
Delacroix et la bannière
Une sculpture de compromis
Attention d’Angers
Quand l’éléphant Barye
Carpeaux se ronge les sangs
Champion d’éclectisme : l’architecture romantique
Nostalgie gothique
Fallait le fer !
Chapitre 15 - Tranches de l’art : le réalisme et les
pompiers
Le réalisme : un courant continu
Courbet, un peintre droit
Ils sèment à la folie : de la caricature aux paysans
Un bon bol d’air : paysages et petits maîtres
Corot : la contrefaçon sans façon
Rien que du bonheur
Friant de peinture
Un hymne aux ouvriers : la sculpture réaliste
Dalou : on retrousse les manches
Meunier va au charbon
Les peintres pompiers : paix à leurs cendres
En haut de l’échelle
Hébert, un pestiféré ?
Des lisses léchés
La sculpture académique
Falguière, un style diplomatique
Frémiet, père de King Kong ?
Clésinger, un provocateur
Chapitre 16 - Une peinture d’impression :
l’impressionnisme et sa postérité
Du Salon des refusés à l’impressionnisme
Déjà dans le bain avec Manet
Degas collatéral
Avé Cézanne
Time is Monet
Pas de noir pour Monet !
Des paysages bien Sisley
Pissarro : l’effet, rien que l’effet
Renoir tout en couleur
Tranquille comme Bazille
Diviser pour mieux régner : le néo-impressionnisme
Seurat en pointillé
Pâte à modeler : Van Gogh
Toulouse-Lautrec, Albi-Montmartre
Chapitre 17 - Ne ratez pas la correspondance : le
symbolisme
La décadence moderne
Le seigneur des panneaux
Mort au mythe Gustave !
Redon dense
En dehors de nos frontières
Symbolisme germanique : von Stuck, Böcklin
D’un pays plat tonique
Sacré Gauguin !
Pause à Pont-Aven
Des errances
Le penseur et la vague : Rodin et Camille Claudel
L’homme dans tous ses états
La passion selon Camille : de l’incompréhension à la folie

Cinquième partie - L’aventure continue : du début


du XXe siècle à nos jours

Chapitre 18 - D’art et d’essais : le temps des avant-


gardes (1905-1914)
Quand les fauves s’exposent
D’un ton rougissant : Matisse
Un fauve en cave : Rouault
La modernité entre en fraude avec le Douanier
Forcer le trait : l’expressionnisme
Du dernier cri : Munch
Une nouvelle façon de faire le pont : Die Brücke
La guerre de Sezession autrichienne
Adultes, ils jouent encore aux cubes !
Alors, on se Braque ?
Pas d’angle mort : Picasso
Rodages contre Rodin : la sculpture
Du dessin dans tous les sens
Augmenter le volume
Une architecture habitée
Autodidacte qui sait se conduire
Wright l’Enchanteur
Chapitre 19 - Au-delà du réel : naissance de l’abstraction
(1914-1940)
Finie, la figuration
N’y mettre que les formes
Klee pour s’ouvrir à l’abstraction
C’est Léger mais ça pèse
À chacun son dada
Plusieurs cordes à son Arp
Des aquarelles en carrés et rectangles
Enfin capitale : l’école de Paris
Premiers de la classe
Chagall rit
Un artiste qui tombe à pic : Picabia
Art magique et magie de l’art : le surréalisme
En tenue de Gala : Dalí
Prendre la clé Duchamp
Nom d’une pipe : Magritte
Un Miró qui a de l’œil
Une sculpture d’étendue
Un Ray de lumière
Bourgeois mais artiste
Aux martyrs d’Oradour
Juste un baiser : Brancusi
Marchands d’utopie : l’architecture moderne
Des hauts et des bas : le Bauhaus
La Cité radieuse : Le Corbusier
Chapitre 20 - Un temps phare : l’art moderne de 1940 à
1960
Faire chanter la peinture : l’abstraction lyrique
Abstraction d’origine contrôlée
Réunion d’informels
Bande à part : quelques artistes dans le siècle
La re-création commence : Balthus
Des remarques originales : Alechinsky
En corps torturés : Bacon
Sans format lissé : Rothko
L’esprit de synthèse : Zao Wou-ki
La conquête de l’espace : l’architecture
Grand ensemble : Mies van der Rohe
Nature et découverte : Aalto
Chapitre 21 - Le bout de l’art ? L’art contemporain depuis
1960
Raconter un pop art
Quelles soupes ! Warhol
Au pop niveau
Aux rebuts : le nouveau réalisme
Faute de frappe : Arman
Envoyez la soudure : César
Cible émouvante : Niki de Saint-Phalle
Plutôt emballant : Christo et Jeanne-Claude
À la recherche de la performance
Drôles de coups de pot : action painting et quelques
autres
Épouser la performance aujourd’hui
L’art comptant pour rien
L’art de rien : Ben
Kitsch et choc : Koons et Lavier
En plein dans le décor : l’art hors les murs
L’envie de découcher : Sophie Calle
Drôle de zèbre : Buren
De bonnes installations
Le mot de la fin ?
L’art à venir
Nouvelles technologies
Les beaux-arts de nouveau à l’affiche ?
Un nouveau monde à bâtir : l’architecture
contemporaine
Un Nobel qui n’a pas de prix : Tange
C’est Prouvé !
Quel Nouvel ?

Sixième partie - Aux pays des merveilles : les arts


non européens

Chapitre 22 - Chefs-d’œuvre en périple : l’Asie


Soleil levant : l’architecture de la Chine et du Japon
Défense de faire le mur
C’est stupafiant
Une peinture au rouleau
Présentez vos papiers !
Viens voir mes estampes japonaises
Mise en terre… cuite : la sculpture
De vraies fosses
Jeux de mains
Spécialiste de l’universel : l’Inde
Hindoue en dur : l’architecture
Des mains du Bouddha aux bras de Ganesh : la sculpture
Des miniatures grandeur nature : la peinture
Chapitre 23 - Nouveaux mondes, arts anciens : les
Amériques et l’Océanie
Cap au Grand Nord
Tchoukes : à vos souhaits !
L’art adoucit les morses : les Inuits
Les Indiens à la file : l’Amérique du Nord
En attendant Colomb : les arts précolombiens
Se tourner vers l’Olmèque
À voir Mayas partir
Aztèques saignants
Incas à part
Résultat supérieur : Haïti
Petit point à l’ordre du jour : l’Océanie
Les yeux de Pâques
Rêve général : l’Australie et les aborigènes
Chapitre 24 - Un croissant très fertile : l’Orient ottoman
et le monde arabe
De solides fondations
Arrête tes bétyles !
La mosquée démasquée
Hautement califés : les Omeyyades
Damas, ton univers impitoyable
Un paradis sur les marécages
Ziggourats pour ne pas se tromper
À la place du calife : les successeurs
Fatimides mais sans complexe
Seldjoukides, pour vous séduire
Un art Maure bien vivant : l’Espagne
Regards persans
Les Ottomans savent faire la vaisselle
Mamelouks d’enfer !
Chapitre 25 - Ni primitif, ni premier : l’art africain
Les premiers sont les derniers
L’art tribal, un mot nouveau…
… pour une civilisation ancienne
Bas les masques !
Tous les modèles, et toutes les tailles
Un symbolisme magique
L’art africain aujourd’hui

Septième partie - La partie des dix

Chapitre 26 - Dix grands musées à visiter


En verre et contre tous : le Grand Louvre
En gare ! Le musée d’Orsay
Que de chefs-d’œuvre ! La National Gallery
Les Alte et Neue Pinakothek de Munich
Le Kunsthistorisches Museum de Vienne
Le musée du Prado à Madrid
Pour papautés : les musées du Vatican
Le Rijksmuseum d’Amsterdam
L’Ermitage de Saint-Pétersbourg
Un MET de choix : le Metropolitan Museum de New York
Chapitre 27 - Les dix toiles à ne pas manquer
Un peu d’humeur noire : la « Mélancolie »
Gardons le sourire : « La Joconde »
Une réception mortelle : « Les Ambassadeurs »
À la noce ! « Les Noces de Cana »
Décès mystique : « La Mort de la Vierge »
Conseil de famille : « Les Ménines »
Propagande impériale : « Le Sacre »
Un naufrage qui a fait couler beaucoup d’encre : « Le
Radeau de la Méduse »
Arrivée dans l’étang : « Les Nymphéas »
Les horreurs de la guerre : « Guernica »
Chapitre 28 - Dix artistes français en exil
Frémin, des châteaux en Espagne
Falconet, à l’âge de Pierre
Saly, c’est du propre !
Vallin de La Mothe : des monuments d’hiver
L’Enfant, un plan capital
Bartholdi, en toute Liberté
Cordier, tout mais Pacha
Landowski, si tu vas à Rio…
Lachaise se fait la malle
Tissot, à l’heure anglaise
Index
Introduction

Les statues grecques vous laissent de marbre ? La


visite d’un musée vous arrache des bâillements
d’ennui ? Les galeries d’art vous donnent de l’urticaire
et vous ne comprenez pas pourquoi des personnes
apparemment saines d’esprit sont prêtes à
s’empoigner dans une salle de ventes pour acheter à
prix d’or un tableau qui ressemble à un dessin
d’enfant ? L’art, pensez-vous, c’est un peu comme le
polo ou les échecs : pour s’y intéresser, il faut être ou
très riche ou très intelligent.

Eh bien, rien n’est moins vrai : faisant d’abord appel à
la sensibilité, l’art n’est pas réservé à une poignée
d’élus ! Tout le monde peut apprécier la beauté d’un
objet et le profane, armé de connaissances modestes,
apprend vite à affiner son goût. Et si, devant une
œuvre d’art, il vous est arrivé de penser : « Je ne vois
pas ce que représente ce tableau et je n’en
comprends pas le sens, mais pourtant je trouve ça
beau », vous avez déjà franchi un grand pas, car le
ravissement et le sentiment d’étrangeté constituent la
base même du jugement esthétique.

Pour apprécier l’art, il faut donc se défaire une bonne
fois pour toutes de deux préjugés tenaces :

l’art n’est pas réservé à une élite cultivée


et fortunée, seule à même de l’apprécier, il
est accessible à tous ;
l’art ne se réduit pas à la reproduction de
la réalité, de la nature, du visible, il a aussi
pour but de décrire le monde « tel qu’on ne le voit
pas ».

En un mot, pour apprécier l’art, il est nécessaire de


réapprendre à voir. C’est à cette salutaire « éducation
du regard » que nous espérons contribuer ici.

À propos de ce livre
Le modeste objectif poursuivi par les auteurs de ce
livre est d’offrir une introduction à l’histoire de l’art
afin d’inciter le lecteur à aller plus loin, par la visite de
musées ou la consultation d’ouvrages plus pointus. Le
recours à l’humour a ici pour but de désacraliser l’Art
avec un grand A. Car nous ne répèterons jamais assez
que ce dernier est accessible à toute personne
capable d’éprouver des sensations : accompagnez des
enfants dans un musée et vous verrez bien !

Comme son titre l’indique, L’Histoire de l’art pour les
Nuls retrace les principales étapes de la création
artistique de façon claire et accessible. Se tenant à
l’écart des débats qui divisent les spécialistes, il se
propose d’évoquer la diversité des époques et des
styles sans préjugé d’aucune sorte. Des châteaux de
la Loire à la muraille de Chine en passant par le Taj
Mahal ou l’île de Pâques, il ne néglige rien et peut se
concevoir comme le plus vaste musée du monde.

Ce sera aussi le musée le plus étendu dans le temps,
car il parcourt toutes les époques durant lesquelles
l’art a fleuri, de la préhistoire à nos jours en passant
par l’Antiquité (ses temples et ses statues de marbre),
le Moyen Âge (ses cathédrales et ses icônes), la
Renaissance (lorsque les artistes réinventaient
l’Antiquité), l’époque classique (au goût baroque,
précieux et encyclopédique), le XIXe siècle (si riche en
innovations), le XXe siècle (déjà le siècle passé !) sans
oublier le siècle qui s’ouvre : l’aventure continue.

Au cours de votre « visite », vous rencontrerez de
multiples génies : Léonard de Vinci (ingénieur et
bricoleur génial qui trouvait modestement qu’il savait
peindre comme tout le monde), le Caravage (un
rénovateur de l’art qui dégainait sa rapière un peu
trop vite, ce qui lui a valu quelques ennuis), Pierre
Auguste Renoir (qui, pour continuer à peindre alors
même qu’il était perclus de rhumatismes, se faisait
attacher des pinceaux aux doigts) et bien d’autres
encore !

Si les auteurs n’ont pas la prétention de tout
expliquer, certains éclairages seront toutefois
effectués pour éviter au lecteur de naviguer à vue.
Ainsi seront définis les termes techniques, les
courants esthétiques, etc. Des analyses et des
interprétations succinctes seront aussi parfois faites.
Mais quel que soit le parti pris, vous n’êtes en aucun
cas obligé d’y souscrire, car, contrairement à l’adage,
les goûts et les couleurs, ça se discute !

Au terme de ce voyage passionnant, nous espérons
que vous aurez appris des choses intéressantes en y
prenant du plaisir. Car en art comme en toute chose,
comme dit le proverbe, il n’y a pas de mal à se faire
du bien.

Les conventions utilisées dans ce livre


Dans un souci de simplicité, nous avons utilisé un
certain nombre de conventions qui faciliteront votre
lecture :

les titres d’œuvres sont indiqués en italiques


(nous parlerons de la Vénus au miroir de
Vélasquez) à l’exception des noms de bâtiments,
parties de bâtiments ou ensemble architecturaux
(nous parlerons de la chapelle Sixtine, de la
pyramide du Louvre et de la Plaza Mayor de
Madrid) ;
lorsqu’un mot technique ou le nom d’une école
esthétique est mentionné pour la première fois, il
apparaît en italiques (nous expliquerons ainsi ce
qu’est l’ordre ionique, un transept ou le
dadaïsme) ;
c’est également le cas pour les mots étrangers
non traduits en français (par exemple le sfumato
italien ou l’azulejo espagnol) ;
les noms de divinités, de personnalités ou de
villes étrangères sont simplifiés, modernisés et
francisés (on ne dit pas : « Raffaello Sanzio a vécu
à Firenze », mais : « Raphaël a vécu à Florence ») ;
les siècles sont indiqués en caractères romains
(le XIXe siècle), contrairement aux dates (Rome fut
fondé vers - 753, soit 753 ans avant Jésus-Christ) ;
enfin, les numéros de figures indiqués entre
parenthèses renvoient aux illustrations reproduites
sur les deux cahiers centraux à l’intérieur du livre
(la figure 6 renvoie ainsi à la Vénus de Milo).

Comment ce livre est organisé


Après avoir hésité entre une présentation classique,
cubiste ou même impressionniste, les auteurs de ce
livre ont finalement opté pour le bon vieil ordre
chronologique ! En l’espace de vingt-huit chapitres se
déroule ainsi le fil de l’histoire de l’art occidental, de la
préhistoire à nos jours. Mais attention, en choisissant
de classer ainsi les œuvres, nous n’avons pas voulu
tracer une hiérarchie qui placerait les œuvres les plus
récentes au sommet de l’échelle des valeurs
artistiques et les plus anciennes en bas. Dans le
domaine de l’art plus qu’en tout autre, il n’y a guère
de progrès. Le but poursuivi ici n’est que celui de la
clarté.

Par commodité, les arts non européens ont été
regroupés dans une partie unique. Là encore,
attention au malentendu : s’ils proviennent d’autres
cultures que la nôtre et font ici l’objet d’un traitement
spécifique, il faut se garder de les dévaloriser, car ces
arts ont produit des chefs-d’œuvre de tout premier
plan comme nous allons le voir dans les quatre
chapitres qui leur sont consacrés. Les fidèles de la
collection retrouveront enfin « La partie des dix » qui
clôt l’ouvrage sur une note insolite avec le portait de
dix artistes français connus à l’étranger mais
méconnus dans leur propre pays.

Première partie : Des cavernes au


Colisée : la préhistoire et l’Antiquité
L’art, qui apparaît dès la préhistoire, revient de loin !
Contrairement à l’opinion commune, il est alors déjà
très élaboré. En effet, les peintures rupestres ne sont
pas de simples « tags » faits au hasard dans les
grottes : elles prennent en compte l’inclinaison des
parois. Dans la foulée, si l’on peut dire, la
Mésopotamie invente l’Histoire et, avec elle, les
beaux-arts, qui se déclineront tout au long de cet
ouvrage autour de trois thèmes majeurs : la peinture,
la sculpture et l’architecture.

Soucieux de laisser une trace ou de prolonger leur
existence dans l’au-delà, les Égyptiens ont laissé
derrière eux de magnifiques monuments qu’une foule
de touristes se presse aujourd’hui de visiter, sur place
ou dans les musées. Élaborant les règles de
l’harmonie, les Grecs inventent le Beau idéal. Les
Romains qui les suivent sont enfin d’excellents
architectes, même si question peinture et sculpture,
c’est zéro ! Ces conquérants font alors appel aux
artistes étrangers, de gré ou de force, créant les
premières importations d’œuvres d’art.

Deuxième partie : Du sourire de l’ange à


celui de la Joconde : le Moyen Âge et la
Renaissance
Gardez le sourire tout au long de cette partie
notamment marquée par l’architecture ! Le Moyen
Âge n’est pas une période si sombre que ça… Pour
preuve, les architectes n’ont de cesse de faire entrer
la lumière dans les cathédrales. L’art roman affronte
le problème : comment faire grand et lumineux ? Ça
ne tient pas debout ! Il y a là un problème de taille
que l’art gothique résout grâce à la croisée d’ogives.
Enfin, jusqu’à un certain point : les habitants de
Beauvais vous le diront. À cette époque, des gratte-
ciel de pierre et de verre sont élevés un peu partout
en Europe à la gloire de Dieu. Mais la Renaissance se
profile déjà, qui puise aux sources plus anciennes de
l’Antiquité gréco-romaine.

Troisième partie : Baroque, rocaille et


rococo ou la légende du roc : les temps
modernes (XVIIe-XVIII e siècles)

Le baroque, né en Italie au tournant des XVIe et XVIIe


siècles, y trouvera pendant cent cinquante ans un
terrain privilégié. Si Florence est le berceau de la
Renaissance, Rome est celui du baroque. Les papes,
nostalgiques de la splendeur de la Rome impériale,
encouragent ce nouveau style qui va bientôt gagner
les principaux pays d’Europe. Dans cette partie, vous
croiserez également quelques génies de l’art
universel, comme l’Espagnol Vélasquez ou le
Hollandais Rembrandt, et entrerez dans les ateliers
d’artistes.

Quatrième partie : Nunuches, nanars et


nénuphars : le XIXe siècle

Le XIXe siècle : quelle époque riche en courants d’art !


Les artistes d’alors revendiquent pleinement leur
appartenance à la modernité. Ainsi se succèdent
néoclassicisme, romantisme, réalisme, académisme,
impressionnisme, symbolisme… Que de noms en
« isme », souvent donnés par une critique moqueuse !
L’histoire politique, également tumultueuse, alterne
les régimes et entraîne les artistes à faire œuvre de
propagande. La Révolution française, Napoléon ou
Louis XVIII en ont bien besoin. Mais au vent de
l’histoire, certains artistes s’enrhument, en exil
comme David, ou disparaissent de nos mémoires.
Cette partie a également pour ambition de faire
redécouvrir Hébert, des pompiers trop longtemps
éteints ou encore Gustave Moreau.
Cinquième partie : L’aventure continue :
du début du XXe siècle à nos jours

Pas de panique ! Vous entrez dans le XXe siècle


parfaitement détendu, prêt à rencontrer tous les
bouleversements de l’art et à adopter devant tant
d’innovations un regard neutre – nous n’avons pas dit
éteint ! L’art contemporain démarre fort avec le
fauvisme, l’expressionnisme et le cubisme : laissez-
vous porter par les courants, loin de tout ce que vous
avez vu jusqu’à maintenant. Une particularité
commune de ces mouvements est la redécouverte de
l’art primitif. Cette rencontre n’est pas due au hasard,
tant les œuvres considérées comme « primitives »
dégagent une force d’expression qui semblait avoir
déserté l’art occidental. Et encore, ce n’est qu’une
transition vers l’abstraction qui, si elle ne ressemble
parfois à rien, n’est pas à négliger du tout !

Sixième partie : Aux pays des merveilles :


les arts non européens
Au regard de l’Occidental habitué à la tradition des
beaux-arts, les arts non européens peuvent apparaître
bien grossiers… Ces œuvres d’abord baptisées
« curiosités » ont longtemps été conservées par des
collectionneurs dans des cabinets où défilaient des
personnes prêtes à s’émerveiller devant un tapis
persan ou à frissonner de crainte devant un masque
africain. Le tout avec beaucoup de condescendance à
l’égard de ces « bons sauvages » artisans. Cependant,
les superbes réalisations présentes dans cette partie
méritent toute votre attention : bienvenue aux pays
des merveilles !
Septième partie : La partie des dix
Ce rendez-vous traditionnel de la collection « Pour les
Nuls » commence par un hommage aux lieux de
conservation et de présentation des œuvres d’art : les
musées. Dans ce mot, il ne faut pas oublier qu’on
entend muser, comme s’amuser et musarder dans
des lieux prestigieux et propices à s’instruire. Comme
la peinture est certainement la discipline des beaux-
arts la plus appréciée, des œuvres remarquables,
comme l’incontournable Joconde, seront ensuite
présentées en détail. La gloire est cependant
capricieuse, et parfois localisée géographiquement,
comme vous le découvrirez enfin avec dix créateurs
français oubliés dans leur pays et encensés à
l’étranger.

Les icônes utilisées dans cet ouvrage


Des icônes placées dans la marge vous permettront
tout au long de ce livre de repérer d’un coup d’œil le
type d’informations proposées selon les passages, les
encadrés, les tableaux… Elles peuvent ainsi guider
votre lecture selon vos envies.

Ce symbole signale un problème délicat, une


confusion possible. Soyez bien attentif.

Vous trouverez là l’explication d’un terme technique,


la traduction d’un mot étranger ou l’origine d’un nom.

Vous aimez épater la galerie ? Guettez cette icône,


elle signale un fait insolite, une anecdote méconnue
ou un chiffre surprenant.
Pour une lecture facilitée et enrichissante, cette icône
pointe les éléments à retenir. Vous aurez ainsi toutes
les cartes en main pour comprendre les évolutions et
les ruptures que connaît l’histoire de l’art.

L’art, c’est avant tout des hommes et des femmes


vivants (parfois même turbulents). Vous trouverez là
des éléments de biographie, des traits de
personnalité, des anecdotes croustillantes concernant
nos chers artistes.

Rien ne vaut parfois de rentrer dans le détail pour


apprécier à sa juste mesure une œuvre ou un courant
artistique. Cette icône signale un point technique, des
chiffres ou des statistiques significatifs.

Par où commencer
Nous l’avons dit, l’agencement de ce livre est
essentiellement chronologique, mais qu’est-ce qui
vous empêche de commencer par dada ou l’art
africain ? Absolument rien. Considérez plutôt que vous
êtes dans le plus grand musée du monde, qui
rassemble les principaux chefs-d’œuvre de
l’humanité. Vous pouvez suivre le parcours fléché et
apprécier les évolutions de l’art au gré des périodes et
des courants successifs, mais vous avez également le
droit de vagabonder d’une époque ou d’un pays à
l’autre. Aucun gardien ne viendra vous dire d’un air
sévère : « Non, pas par là, veuillez suivre le sens de la
visite. » Et même, profitez-en, car ici, pas d’escaliers
ni de dédales de cloisons ! Le sommaire et l’index
vous permettent d’aller directement chercher
l’information qui vous manque. Bonne visite !
Première partie

Des cavernes au Colisée : la


préhistoire et l’Antiquité

Dans cette partie…



Prenez votre souffle et retroussez vos manches ! En l’espace de
quelques milliers d’années, vous allez assister à la naissance de
l’art et participer à des constructions gigantesques. Des
taureaux ailés de Khorsabad aux pyramides d’Égypte, en
passant par les trompe-l’œil grecs, les beaux-arts font ici une
apparition remarquée…
Chapitre 1

À louer, grotte décorée à la


main : l’art pariétal

Dans ce chapitre :
Des animaux fabuleux
Des peintures envoûtantes
Des dolmens
Un art préhistorique fort moderne

C’est l’invention de l’écriture qui marque le début de


l’Histoire, et non l’apparition de l’art. Ainsi l’histoire de
l’art commence-t-elle avant l’Histoire … Car l’activité
artistique apparaît avec l’homme, ou tout du moins
avec ses proches cousins, balbutiant encore entre le
singe et l’Homo sapiens sapiens que nous sommes. Et
si l’homme des origines peine à trouver le chemin de
l’évolution, notons qu’il est déjà artiste.

L’art est le propre de l’homme


Pour paraphraser Aristote, célèbre philosophe grec de
l’Antiquité, à l’instar du rire, l’art est le propre de
l’homme… et cela consiste à se salir les doigts ! car
l’art souille et pour le vérifier, donnez des couleurs à
un enfant : il n’aura de cesse de les mélanger et de
les étaler, avec les mains bien sûr !

Les grottes miraculeuses

« Ce que l’art est tout d’abord, et ce qu’il demeure


avant tout, un jeu », écrit Georges Bataille dans
Lascaux ou la naissance de l’art. Mais attention, le jeu
est une activité sérieuse, par la fréquentation des
divinités de la chance et du hasard. L’activité
artistique est donc à cette époque à la jonction du
plaisir et du sacré.

Quand l’homme apparaît-il ? D’après les estimations


des savants du Second Empire (1852-1870), en - 4138
avant J.-C. Les minutieux calculs de cette époque
permettaient également de dater le déluge universel
en - 2482 et un savant ecclésiastique en avait conclu
que le monde avait été créé un lundi après-midi, sans
toutefois préciser à quelle heure. Mais aujourd’hui, les
dernières estimations font apparaître l’homme il y a 5
millions d’années, ce qui ne nous rajeunit pas.

Les fossiles crèvent les yeux
Lorsqu’en 1879 une petite fille découvre des animaux
peints sur le plafond de la grotte d’Altamira dans la
province de Santander en Espagne, on crie à la
supercherie et à l’imposture. Et les théories
scientifiques du Second Empire ont la vie dure, car il
faut attendre le début du xxe siècle pour une
authentification et 1985 pour un classement au
patrimoine mondial de l’Unesco. Mais délaissons toute
polémique et accompagnons Marcelino de Sautuola,
un archéologue amateur à l’Exposition universelle de
Paris en 1878. Au milieu d’une foule dense qui se
presse, attirée par les nombreuses curiosités,
arrêtons-nous avec lui dans la section des objets
préhistoriques. Impressionné, il se demande à son
retour s’il ne pourrait pas en trouver dans la grotte
d’Altamira.

Tête en l’air
À l’inverse de l’astrologue de La Fontaine tombé dans
un puits à force de regarder le ciel, de Sautuola
regarde le sol et non le plafond. La chance sourit aux
rêveurs et aux têtes en l’air : sa fille de cinq ans voit
de prodigieux animaux au plafond, impressionnants
dans la lueur vacillante des lampes.

À l’époque, personne n’y croit. Quoi ? Même s’ils sont
capables de tailler des pierres et de graver sur os ou
sur ivoire, de là à reconnaître aux hommes
préhistoriques des talents de peintres ! La peinture
est un art majeur, Monsieur, hors de portée de ces
êtres frustres, tout juste bons à allumer un feu ! les
découvertes se succèdent pourtant, en 1895 à La
Mouthe, puis en 1901 à Combarelles et à Font-de-
Gaume. À l’échelle de l’histoire de l’art, 1901, c’était
hier !

L’art mur

En 1902, le savant Émile Cartailhac publie son Mea


culpa d’un sceptique qui fait grand bruit. l’art pariétal
est enfin reconnu. Pariétal vient du latin paries
signifiant paroi ; littéralement l’art pariétal signifie
l’art sur la paroi. Altamira est datée de - 18 000
environ, « à quelques jours près » dirait notre savant
ecclésiastique féru de précision.

Les artistes préhistoriques ont parfaitement su utiliser
les reliefs des parois pour donner de la vie à leurs
images : les chevaux semblent entraînés dans une
course folle, les bisons mugir d’impatience, agacés
dans leur paisible rumination par on ne sait quel intrus
ou le pressentiment de l’arrivée d’un chasseur. si l’on
ajoute à cela la lumière vacillante d’une lampe, vous
imaginez fort bien l’émotion ressentie par la petite
fille de Marcelino de Sautuola.

La chapelle Sixtine de la
préhistoire
Ces chers enfants ! La vérité sort de leur
bouche, ils accumulent les découvertes : outre
la découverte des dessins d’Altamira, on leur
doit également la plus célèbre des grottes
peintes, celle de Lascaux. En septembre 1940,
Robot, un petit chien maladroit, tombe dans un
trou, immédiatement suivi par quatre garçons.
(ils poseront plus tard, graves et fiers, devant
la grotte, avec Robot qui survécut à toutes ces
émotions.) Leur découverte est un événement
considérable à la fois pour l’histoire de
l’humanité et pour l’art. Dans le Périgord en
effet, il n’y a pas que des réjouissances pour le
palais, on en prend aussi plein les yeux…

L’afflux de visiteurs menaçait les œuvres car le
gaz carbonique émis par les respirations
provoque des moisissures. On peut aujourd’hui
visiter une grotte réplique qui donne une
bonne idée de l’échelle des peintures, avec
plus de 2000 figures d’animaux (voir Figure
1). la plupart des œuvres pariétales connues
datent de la même époque, dite
magdalénienne, du nom de la localité de la
Madeleine qui, même si elle sollicite notre
mémoire, n’a rien à voir avec Proust, l’écrivain
d’À la recherche du temps perdu.

Altamira, Lascaux, c’est de la beauté
retrouvée, échappée au temps. Une énigme :
les grottes ornées sont localisées dans l’ouest
de la France et le nord de l’Espagne. Est-ce
une civilisation particulière ? Ou seraient-ce
des particularités géologiques qui ont assuré la
conservation de ces grottes ?

En avance sur leur temps


Certaines découvertes sont troublantes et retouchent
en profondeur l’image que l’on a de nos lointains
ancêtres…

Elle ne fait pas son âge
Le premier visage humain conservé est celui de la
Dame de Brassempouy (voir Figure 2), découverte
dans les Landes : 24000 ans pour cette petite :
statuette et pas une ride ! Un détail caractéristique
indique déjà une toilette élaborée : n’est-ce pas un
filet, une résille que l’ou voit sur la chevelure ? On
peut être préhistorique et déjà élégante. Un misogyne
dirait qu’ainsi la dame de Brassempouy protège sa
coiffe des velléités masculines de la ramener à la
maison – pardon, à la grotte – par tous les moyens,
mais cela serait tiré par les cheveux ...

Un vrai travail d’artiste
Un simple andouiller de cerf peut aussi être une
œuvre d’art surprenante : un artiste, évidemment
anonyme, a gravé sur l’un d’eux saumons et cervidés.
Trouvé dans la caverne de Lorthet dans les Hautes-
Pyrénées, il a quelque chose qui laisse pantois.
L’artiste préhistorique a un œil quasiment
photographique : la gravure montre un cerf qui se
retourne comme pour bramer dans un geste très
vivant, et un autre qui court. Cette allure remarquable
est digne de vues prises en photographie
instantanée ! il faut attendre l’invention de la
photographie et le peintre Aimé Morot au XIXe siècle
pour retrouver ce réalisme !

Anamorphose en perspective

Mais l’artiste sait aussi que l’art est artifice : par un


procédé dit « en épargne », il interrompt son tracé
pour faire apparaître en clair la paroi. Les volumes des
muscles ressortent bien mieux. À Lascaux, une vache
est déformée volontairement pour que le spectateur
au niveau du sol la voit avec une forme plus
naturelle : c’est l’invention de l’anamorphose. À Font-
de-Gaume, on peut même dire qu’il y a déjà une autre
invention : avec les cornes et les pattes du côté
opposé peintes en plus petit, tel bison est traité de
telle sorte que la perspective est là. Encore une fois,
l’art préhistorique est un art très élaboré. il y a
toutefois un aspect de cet art préhistorique qui nous
échappe : les signes abstraits, sur lesquels on ne peut
qu’émettre des suppositions.

Chacun sa tache
L’art préhistorique est surtout animalier, même s’il
existe bien des représentations humaines comme
l’homme déguisé en cerf de la grotte des Trois-Frères
dans les Pyrénées ou des figures féminines comme la
Vénus à la Corne, l’ancêtre de la Dame à la licorne, à
Laussel.

L’artiste utilise la peinture, la gravure ou la sculpture.
On a vu dans cet art une volonté magico-religieuse,
une sorte d’envoûtement : les chevaux peints de la
grotte de Pech-Merle sont accompagnés de traces de
mains. ils portent aussi une multitude de taches qui
sont peut-être des points d’impact. On sait que les
aborigènes australiens et les Bochimans tracent des
figures d’animaux qu’ils recouvrent de taches
représentant les blessures mortelles que les chasseurs
vont infliger. il est tentant de comparer les signes
mystérieux des grottes européennes aux symboles
tracés par les Australiens pour représenter le mana, la
force magique.

Passé à conjuguer au conditionnel

Cependant, il n’est pas sûr que ce soit uniquement


l’aspect « gibier » qui ait présidé à la représentation
de tel ou tel animal. Il faut rester très prudent dans
l’interprétation de l’art préhistorique. Telle statuette
de cygne peut être regardée sous plusieurs angles.
Outre un exercice de virtuosité, il s’agit aussi sans
doute d’une façon de dire que le monde peut se voir
sous différents aspects. Pareillement, datée entre - 25
000 et - 18 000, et taillée dans un morceau de
défense de mammouth, la statuette nommée la Vénus
de Lespugue se présente de « face ». Mais si on
regarde l’autre côté et qu’on la retourne, on voit une
femme de dos avec une longue chevelure.

Sans queue ni tête
Il faut noter que l’art des cavernes est singulièrement
chaste, sans aucun accouplement représenté. La
fécondité aurait donc été évoquée de façon
symbolique. le préhistorien André Leroi-Gourhan a
signalé que, dans un recoin de la grotte de Pech-
Merle, les figures de bison se transforment petit à
petit en personnages féminins : la queue devient
insensiblement un cou et une tête, les pattes arrière
quittent le sol et peu à peu se métamorphosent en
seins pendants, la bosse du garrot devient un
postérieur. On peut imaginer que chaque animal a
peut-être une valeur masculine ou féminine que nous
ne pouvons pas toujours connaître : ici le bison serait
à connotation féminine.

Cherche
découvreur/inventeur
Amateurs de vacances hors du commun, à vos
pioches ! il est encore possible de découvrir
des grottes préhistoriques de nos jours ! C’est
encore arrivé près de chez nous, à Chauvet en
Ardèche plus précisément. « ils sont venus ! »
s’écrie le 18 décembre 1994 l’un des
découvreurs (on dit aussi inventeurs) de la
grotte Chauvet en découvrant sur une paroi
des petits traits à l’ocre rouge.
Une semaine avant Noël, les trois spéléologues
viennent de s’offrir un beau cadeau. les
datations effectuées à partir d’échantillons
prélevés sur des dessins au charbon ont donné
des dates allant de - 30.340 à - 32.410. on va
arrondir à 31 000 ans : en gros le double de
Lascaux ! Afin de protéger les œuvres, le site
de Chauvet n’est pas ouvert au public.

Tout le monde peut s’estomper


Jusqu’à présent, en matière d’art pariétal, nous
connaissions surtout des représentations de gibier. À
Chauvet, dernière grotte découverte en Ardèche en
1994, ce sont des rhinocéros, des lions, des ours, une
panthère. il y a aussi la seule représentation connue
de mégaceros, un grand cerf de la préhistoire.
L’intérêt artistique en est immense :
par la technique de l’estompe ;
par les recherches de perspective ;
par l’utilisation des accidents des parois pour donner du
relief.
L’art le plus ancien est paradoxalement le plus
élaboré. Malheureusement, cet art pariétal n’a pas de
successeur immédiat. Même si les filiations sont mal
connues, on ne peut que rêver sur deux pièces
curieuses. L’une est préhistorique et sur un propulseur
à javelot montre un oiseau sur la croupe d’un faon,
l’autre date de la protohistoire et montre aussi un
oiseau sur la croupe d’un cerf. Des milliers d’années
pourtant les séparent !

Dolmen réservé

Obélix est sans doute le héros de BD qui agace le plus


les historiens, les préhistoriens et les protohistoriens,
c’est-à-dire ceux qui étudient l’époque entre la
préhistoire et la période historique et qui se
caractérise surtout par l’invention de la métallurgie.
Les dolmens et les menhirs n’ont en effet rien à voir
avec les Celtes (donc avec les Gaulois) ! On peut
considérer que les dolmens marquent le début de
l’architecture, l’art de construire des édifices.

Tous en ligne
On appelle mégalithes ces monuments de pierres,
érigés vers - 5000. Les plus connus sont Stonehenge
en Grande-Bretagne et, pour ne pas avoir à prendre le
tunnel sous la Manche, les alignements de Carnac et
le site de Gavrinis dans le Morbihan.

À table !
Une petite révision : les menhirs, tout droits, que
porte Obélix, se distinguent des dolmens en forme de
table. Même si ça ne se voit plus guère, ces derniers
étaient recouverts de terre et constituaient l’armature
d’un tumulus. La grande dalle sert de toit à une sorte
de chambre avec un couloir qui y mène, cette allée
couverte ayant disparu la plupart du temps. Près de
Vannes, le site de Gavrinis s’est bien conservé parce
que le dolmen n’est pas recouvert de terre mais de
pierres sèches constituant un grand tas qui a bien
résisté à l’érosion, l’usure du temps et des éléments
naturels.

Il porte les traces d’une activité artistique. « Ce qui
distingue le monument de Gavrinis de tous les
dolmens que j’ai vus, c’est que presque toutes les
pierres composant ses parois sont sculptées et
couvertes de dessins bizarres. ce sont des courbes,
des lignes droites, brisées, tracées et combinées de
cent manières différentes », écrit Prosper Mérimée,
l’auteur de Carmen et d’une célèbre dictée,
inspecteur des Monuments historiques le reste du
temps.
Chapitre 2

Entre le Tigre et l’Euphrate :


la Mésopotamie

Dans ce chapitre :
L’invention des beaux-arts : la sculpture, la
peinture et l’architecture
La réponse à « Patrie d’Abraham en 2 lettres »
Jardiner à Babylone
De bien cruels Assyriens

Entourée par le Tigre et l’Euphrate, la Mésopotamie


(actuel Irak) signifie le pays d’entre les fleuves.
Jusqu’au XIXe siècle, elle ne subsiste plus qu’à l’état
de souvenir, dans la Bible. Son histoire prestigieuse
s’apparente alors aux contes et légendes racontés
pour édifier les enfants. Mais lorsqu’elle est
découverte par les archéologues, c’est toute une
conception de l’Histoire qui s’en trouve bouleversée.
Cependant, si Uruk, le « Sinhar » de la Genèse, a été
retrouvée en Sumer, Aggadé attend toujours d’être
découverte : avis aux amateurs !

À Sumer sa différence
Le best-seller de l’historien Samuel Noah Kramer en
1957 s’intitule à juste titre L’Histoire commence à
Sumer. D’abord parce que le premier village connu de
l’humanité date de - 5500 ans, quand les premières
villes apparaissent vers - 4000. Ensuite, parce que ce
peuple crée l’écriture vers - 3300. Cette invention
marquant son début, l’Histoire avec un grand H peut
alors commencer !

Quelle barbe !
Par les déductions des linguistes, on suppose qu’il a
dû exister dans cette région un peuple non sémitique,
c’est-à-dire qui ne parlait pas une langue dont
l’hébreu ou l’arabe sont les représentants modernes.
Et les Sumériens sont décidément des inventeurs
puisqu’ils offrent un style, le réalisme, avec les
statues de rois-prêtres reconnaissables à leur bandeau
et à leur barbe. Ainsi à Nippur (aujourd’hui Nuffer)
sont découverts un groupe de statues de gypse, la
« pierre à plâtre », et 30 000 tablettes en écriture
cunéiforme.

Mieux vautour que jamais
À Ur, bien connue des cruciverbistes (les amateurs de
mots croisés) comme « patrie d’Abraham en 2
lettres », les tombes royales ont livré un trésor de
bijoux en or et en lapis-lazuli.

À Girsu, la stèle des Vautours (vers - 2450) est la plus
ancienne représentation d’une scène historique de
guerre, racontée comme un récit, de haut en bas. Le
haut montre le roi (patesi) Eanatoum à la tête de ses
troupes, devant les cadavres de ses ennemis
entassés. Puis, au milieu, une invention appelée à un
grand avenir, le défilé de la victoire, où apparaît pour
la première fois un char à quatre roues. Enfin viennent
les cérémonies funéraires et, en bas de la stèle, le
rappel de la mort du roi ennemi.

Des briques bien dépensées
En architecture, les Sumériens utilisent la brique crue,
c’est-à-dire séchée au soleil et non cuite au four.
Comme ce matériau n’aime pas du tout l’humidité, la
couche extérieure du mur est faite de briques cuites.
La pierre n’est pas utilisée pour la construction mais
peut servir à certains détails comme le pivot de la
porte. La brique sert aussi bien pour les remparts (que
l’on estime hauts de 8 mètres et larges de 25 à 35
mètres au sommet !) que pour les temples. Mais
comme la brique ne résiste pas au passage du temps,
l’Irak ne peut pas montrer de ruines aussi
spectaculaires que celles de Palmyre ou les
pyramides. C’est la raison pour laquelle on a été
conduit à reconstituer sur le site une Babylone en
décor hollywoodien.

Quand la foi déplace les montagnes

Les Sumériens ont aussi inventé la ziggourat,


l’ancêtre du gratte-ciel. Les historiens grecs de
l’Antiquité avaient trouvé une explication ingénieuse à
cette invention : comme les dieux sont un peu durs
d’oreille et ont une fâcheuse tendance à ne pas trop
écouter les plaintes des humains, trop occupés qu’ils
sont à leurs propres affaires, il faut trouver le moyen
de s’en rapprocher. D’habitude, pour cela, on escalade
une montagne. Dans un pays plat comme la
Mésopotamie, c’est malheureusement impossible ! Le
plus simple, si on peut dire, est de bâtir une montagne
artificielle.
Et plus de 5 000 ans après, il reste encore assez de
briques pour faire des collines appelées tells. D’où le
nom de Tell Muqayar à l’emplacement d’Ur, cette cité
d’où part Abraham, marquant l’origine des
monothéismes contemporains (les religions ne
comportant qu’un seul dieu) par opposition aux
polythéismes (religions à plusieurs dieux comme chez
les Égyptiens, les Grecs et les Romains).

L’écriture dans son coin


L’écriture sumérienne est dite cunéiforme, ce
qui veut dire en forme de coin, l’empreinte que
fait dans l’argile molle un roseau taillé en
biseau. Inventée par les Sumériens, elle a servi
à transcrire plusieurs langues de la région :
l’élamite, l’ourartéen, etc. Elle date de - 4000.
Cette écriture sert d’abord à faire des
inventaires.
On peut donc dire qu’écrire, c’est d’abord
compter avant de conter. Au début, un dessin
vaut un mot, c’est un pictogramme. Puis un
signe vaut un mot, c’est un idéogramme.
Ensuite, cette écriture évolue : le même
idéogramme est retenu non pour le sens mais
pour le son.
On aboutit à un système mi-idéographique mi-
phonétique, exactement comme dans un rébus
où « chapeau » peut être représenté par un
chat et par un pot.
La peinture mise au clou

La légende raconte que le grand héros Gilgamesh


fonda Uruk, une autre cité sumérienne importante. Sa
muraille de 10 kilomètres entoure des bâtiments
allant jusqu’à 70 mètres de long et abrite une
population estimée à 50 000 personnes ! Le matériau
de construction utilisé est là encore de la brique crue,
parfois à base de gypse – ce mélange est l’ancêtre du
parpaing. Sans faire insulte à quiconque, les
« mosaïques de cônes » sont une curiosité artistique.
Ces cônes sont enfoncés comme des clous dans
l’argile humide des murs. Les bases (les têtes des
clous) sont alors peintes de différentes couleurs et
leur assemblage constitue des motifs géométriques.

La règle de l’architecte
Girsu est une ville du royaume sumérien de Lagash
où, en 1881, de Sarzec, le consul de France à
Bassorah, trouve les stèles et les statues des rois
Gudéa (vers - 2120, voir Figure 3) et Ur-Ningirsu, son
fils. À l’époque les archéologues gardent leurs
découvertes, ce qui explique la présence au Louvre
des statues de Gudéa devenues célèbres. Les
inscriptions mettent plus en valeur les constructions
que les exploits guerriers. Le rôle de bâtisseur de ce
roi-prêtre se retrouve dans cette statue dite de
L’Architecte à la règle, où le plan de l’édifice est sur
ses genoux.
On possède aussi plusieurs statues représentant le roi
Gudéa dans une attitude de prière ou tout au moins
de méditation, tenant un vase d’où jaillit l’eau source
de vie. Comme autre curiosité, le Louvre présente un
vase à libations qui porte le nom du roi et où figurent
des serpents entrelacés : faut-il y voir le très lointain
ancêtre des caducées de nos médecins ?
Au nom de la loi : Babylone
Ville antique de Mésopotamie située sur l’Euphrate à
environ 160 kilomètres au sud-est de l’actuelle
Bagdad, Babylone a une longue histoire entachée
d’éclipses, qui va d’Hammourabi, célèbre pour les lois
qu’il a laissées (- 1793 à - 1750) à sa conquête par
Cyrus, en - 539. Le conquérant grec Alexandre le
Grand songe d’ailleurs un temps à en faire la nouvelle
capitale de son empire, avant d’y mourir en - 323.

Tour d’horizon à Babel


Pendant un millénaire, Babylone est une capitale
culturelle qui rayonne sur le monde antique. Sur une
aussi longue période, elle connaît différents maîtres et
devient entre - 700 et - 600 la plus grande ville de
l’Orient. Babylone est si vaste que les Grecs Hérodote
et Aristote disent que, quand un ennemi est entré par
une porte, l’autre bout de la ville n’en est pas
informé !

Le roi à la barbe frisée
Vers 1750, le roi babylonien Hammourabi unifie la
Mésopotamie. Il nous reste plusieurs exemplaires de la
stèle où est gravé son recueil de lois dit code
d’Hammurabi. Le roi est représenté en haut de la
stèle, de profil, face au dieu Mardouk sur son trône qui
lui remet les insignes du pouvoir. Le relief qui le
surmonte est emblématique de l’art babylonien. Le roi
porte des longues jupes et une barbe frisée. Les poses
sont encore figées mais, quand il ne s’agit pas de
figurations officielles, les sculpteurs savent faire de
fort jolies choses comme cette statuette précieuse,
délicate et vivante d’Astarté (ou Ishtar) en albâtre et
aux bijoux d’or.

Comment passer son code
Le code est retrouvé en Perse dans les ruines de Suse
en 1901-1902. La stèle de 2,25 mètres de hauteur et
4 tonnes (tout le poids de la justice !) où il est gravé
figurait comme trophée dans le butin de guerre
emporté par le roi d’Élam. Même si ce texte n’est pas
à proprement parler le premier recueil de lois connu, il
est tout de même le plus significatif et le plus
important. Il indique une conception du droit
radicalement différente de celle que nous
connaissons. Si à l’heure actuelle un code donne les
principes généraux, le code mésopotamien dresse
plutôt une liste de cas précis.

Architecte, un métier à
risque ?
Le père Vincent Scheil, dominicain,
archéologue et savant de renommée
internationale, donne une traduction du code
d’Hammourabi dès 1904.
Les lignes qui suivent donnent une idée du
texte.
Le code pourrait régler radicalement les litiges
toujours actuels sur le trafic d’œuvres d’art ou
encore la façon d’aborder les problèmes de
construction selon la loi du talion « œil pour
œil, dent pour dent » et… mort pour mort !
« 229 : Si un architecte a construit pour un
autre une maison, et n’a pas rendu solide son
œuvre, si la maison construite s’est écroulée
et a tué le maître de la maison, cet architecte
est passible de mort.
« 230 : Si c’est l’enfant du maître de la maison
qu’il a tué, on tuera l’enfant de cet architecte.
« 231 : Si c’est l’esclave du maître de la
maison qu’il a tué, il donnera esclave pour
esclave au maître de la maison. »

Les jardins suspendus


Babylone est entourée d’une double enceinte et on y
pénètre par la porte d’Ishtar, haute d’environ 15
mètres, décorée de dragons et de taureaux. Ce décor
en briques moulées en relief et émaillées a été réalisé
à l’époque de Nabuchodonosor II (mort en - 526). Son
nom, désormais associé au magnum de champagne
de 15 litres, entre dans la légende avec la création
des jardins suspendus pour son épouse Sémiramis,
une princesse mède, originaire du sud de l’Iran actuel,
qui regrettait les montagnes verdoyantes de son
enfance. Ces jardins sont l’une des Sept Merveilles du
monde, mais il n’y en a nulle trace archéologique. Il
est plus certain que Nabuchodonosor II a restauré la
ziggourat qui a inspiré le mythe biblique de la tour de
Babel.

Pire empire

Revenons un peu en arrière : à partir de - 1000,


l’Assyrie a étendu son empire de l’Irak actuel jusqu’à
l’Égypte. Cet empire est resté dans les mémoires pour
son importance dans la Bible, comme l’un des plus
puissants de l’Antiquité, redouté pour la cruauté et
l’efficacité de ses troupes. Il disparaît de l’Histoire en -
612 quand les Babyloniens révoltés s’emparent de
Ninive, pour réapparaître de façon spectaculaire au
XIXe siècle avec la découverte du palais de
Khorsabad.

Les Assyriens, des gens sérieux
L’Assyrie impressionne tellement le public et les
archéologues que les spécialistes de la civilisation
mésopotamienne continuent à être appelés
assyriologues. Comme Sargon II (de - 722 à - 705) à
Khorsabad, les rois d’Assyrie se font bâtir des palais
colossaux. Ces demeures sont décorées de plaques
d’albâtre ou de calcaire qui recouvrent le bas des
murs en brique.
On y lit les conquêtes et les chasses des souverains,
dans un art animalier qu’il faut apprécier : chevaux,
chiens sont saisissants de vérité. Certaines
représentations assyriennes de fauves sont des chefs-
d’œuvre d’observation, comme la lionne blessée, dans
la scène de la chasse d’Assurbanipal provenant de
Ninive. Si l’art mésopotamien est réaliste, sa version
assyrienne est même brutale. Les bas-reliefs dédiés
aux conquêtes montrent des scènes de carnage à la
gloire des souverains.

Les taureaux ailés

Quand à Ninive les ouvriers aux ordres du consul


anglais Layard mettent au jour en 1845 une grande
statue barbue, c’est la panique ! Chacun croit que le
monstre, assimilé à l’une de ces idoles que Noé a
maudites avant le Déluge, est vivant ! Il s’agit en fait
de la face d’un de ces grands taureaux ailés à visage
d’homme qui gardent le palais royal assyrien. Le
Louvre en possède un de près de 150 tonnes ! La
statue est taillée dans la masse et les pattes ne sont
pas dégagées du bloc de pierre. Comme l’artiste veut
que son taureau présente quatre pattes de profil, il en
sculpte une supplémentaire pour le spectateur qui
voit l’œuvre de côté. Vu de trois quarts, le chérubin en
possède donc cinq !

Le nom de ces créatures est passé en hébreu de
cherub au pluriel cherubim, pour désigner les gardiens
de l’arche d’alliance, puis le christianisme en a fait
une catégorie d’anges, devenus pour finir les
chérubins, angelots joufflus : une fin plutôt vache pour
un taureau.

En attendant le Déluge
Il faut voir la descendance de cet art réaliste dans l’art
perse des Achéménides (de - 550 à - 330). La
décoration, les bas-reliefs, les frises en briques
émaillées, dérivent de l’art de la Mésopotamie. Pour
exemples, les sculptures de Persépolis ou la frise des
Archers rapportée de Suse par Dieulafoy, le mari
d’une archéologue célèbre qui réussit à obtenir pour
les femmes le droit de porter le pantalon. La
Mésopotamie lègue aussi une invention comme le
zodiaque. Certains des grands mythes
mésopotamiens nous sont parvenus via la Bible, par
exemple celui du Déluge.

L’épopée de Gilgamesh
Des tablettes datées aux environs de - 1300
racontent l’histoire de Gilgamesh, roi d’Uruk,
qui aurait régné vers - 2600. Parti à la
recherche de la plante d’immortalité,
Gilgamesh rencontre un vieillard appelé Outa-
Napishtim. Ce dernier lui fait un curieux récit
où il raconte comment, lors de pluies
torrentielles, il a construit un grand bateau et y
a fait monter des animaux. À l’arrêt de
l’inondation, il a lâché une colombe puis une
hirondelle qui sont revenues sur l’arche, puis
un corbeau qui n’est pas revenu. Tout ça vous
rappelle quelque chose ? Le mythe de l’arche
de Noé bien sûr ! L’homme du XXIe siècle
trouve naturel que les textes bibliques
s’inscrivent dans l’Histoire et puissent être
soumis à sa critique. Ce n’était pas le cas
auparavant, le Livre saint échappait à
l’Histoire. Ainsi faut-il concevoir que lorsqu’un
assistant du British Museum fait en 1872 la
communication de la tablette du Déluge, cette
découverte fait l’effet d’une véritable bombe !
Chapitre 3

Passeport pour l’éternité :


l’art égyptien

Dans ce chapitre :
Toutes les solutions immobilière pour l’au-delà
Une écriture illisible
Des conventions différentes en peinture

L’art égyptien possède des caractéristiques


identifiables dès le début de cette civilisation. Par
exemple, déjà représenté sur un couteau datant de la
préhistoire, le thème sympathique du pharaon en
train de massacrer ses ennemis se retrouve jusqu’à
l’époque romaine. Les dieux à têtes d’animaux, les
peintures de profil et les momies sont aussi
caractéristiques de toute la civilisation égyptienne.

Tout le monde connaît des noms de pharaons :
Ramsès II, interprété par Yul Brynner dans le film Les
Dix Commandements, Akhenaton pour ceux qui
aiment le rap, Toutankhamon pour les chercheurs de
trésor… Pour le reste c’est le brouillard des dynasties,
avec des dates qui se chevauchent, révélant une
Égypte parfois divisée. Vous trouverez un aperçu de la
chronologie dans le tableau ci-après : « Les grandes
dates de l’Egypte antique ».
En plein dans le Nil

Le Nil, fleuve célèbre, est le fil conducteur de l’histoire


de l’Égypte. Comme le pays n’est qu’une très mince
bande verdoyante qui se déroule entre deux déserts,
chaque mètre carré de terre cultivable est précieux.
De nos jours, le barrage d’Assouan empêche toute
crue, mais dans l’Égypte antique, la crue annuelle
déposait le limon fertile qui régénérait la terre. À cette
occasion, tous les repères disparaissent et il fallait de
nouveau répartir les terrains après chaque inondation.
Cette nécessité est à l’origine de l’invention de la
géométrie.

Le Nil est aussi l’autoroute de l’époque : le
hiéroglyphe du bateau signifie voyager. Même les
divinités, comme le Soleil ou Isis, se déplacent de
cette façon !

Tableau 3-1 : Les grandes dates de l’Egypte


antique
De Concorde à Pyramides sans changer de
station

Depuis toujours, l’Égypte antique exerce une


fascination sur les autres civilisations qui la pillent et
la copient. Par exemple, sous Napoléon Ier, la figure
d’Isis est placée sur la nef des armes de Paris, à
l’origine d’une étymologie fantaisiste faisant venir le
nom de la capitale de Parisis, « semblable à Isis ».
On a bien le droit de rêver, mais il est vrai qu’il y eut
un temple d’Isis à l’emplacement de l’actuelle rue
Saint-Jacques.

Son style architectural caractéristique, son écriture
mystérieuse et l’étrangeté macabre des momies, tout
concorde à faire de l’Égypte un modèle. Ses créations
architecturales exceptionnelles ont toujours été
copiées, comme les pyramides, ou pillées, comme les
obélisques. Paris est une ville où l’égyptomaniaque
peut se laisser aller à une chasse aux souvenirs, car
l’Égypte est présente partout pour qui sait regarder :
du cimetière du Père-Lachaise au passage du Caire,
avec sa curieuse entrée surmontée de faux
hiéroglyphes et de reproductions de la déesse Hathor.

Hathor ou à raison, des divinités plutôt


vaches
L’Égypte, c’est aussi ces très caractéristiques
créatures imaginaires comme le Sphinx ou ces dieux à
tête d’animaux. Les Égyptiens convertis au
christianisme, les Coptes, les ont même
christianisées : Horus devient un saint Georges à tête
de faucon. Elles ont aussi influencé des
représentations étrangères, tel saint Christophe
représenté avec une tête de chien dans une icône
grecque du musée d’Athènes, en souvenir d’Anubis.

Le culte des dieux animaux a pour lointaine origine le
totémisme, une croyance primitive selon laquelle
l’animal est protecteur. Par exemple, la population
égyptienne d’Éléphantine, qui adore un bélier,
manifeste son mécontentement envers les soldats
étrangers quand ceux-ci sacrifient des agneaux à
Yahvé.

Chaque divinité égyptienne devait avoir à l’origine un


culte bien localisé, puis peu à peu certaines ont
fusionné comme Amon-Ré, devenu le roi des dieux,
constitué du dieu Amon adoré à Louxor et du dieu
solaire Ré ou Râ. Mais la concurrence est rude : le
pharaon Akhenaton par exemple a remplacé un temps
le culte d’Amon par celui d’Aton.

Des dieux en pagaille


Le panthéon égyptien est foisonnant.
Impossible de citer ici tous les dieux qui
l’habitent. Voici donc quelques-unes des
divinités égyptiennes les plus emblématiques :
Anubis préside à la momification et conduit
l’âme des morts. On parle dans ce cas de dieu
psychopompe (entendez un « conducteur
d’âme » et non un « psychologue ne soignant
que les chaussures »).
Bastet est la déesse chatte, du genre pas
commode, mais qui peut être aussi une
divinité bienveillante.
Hathor est une déesse à tête de vache, mais
nul n’est responsable de la tête qu’il a,
seulement de la tête qu’il fait. Elle préside à la
danse et à la fête.
Isis, la grande divinité égyptienne sœur et
épouse d’Osiris, protectrice des morts, est la
déesse de la Magie. Elle eut des temples dans
tout le monde antique, jusqu’en Gaule.
Osiris, la première momie à avoir été créée,
est découpé en morceaux par un frère jaloux.
Vu la pénurie de maris acceptables dans le
panthéon égyptien – avec leurs têtes, ils sont
difficiles à présenter à une belle-famille – Isis
se lance à la recherche des morceaux de son
feu mari et le reconstitue.
Horus, fils des deux précédents, est un vrai
dieu à tête de faucon.
Maât est la personnification de la Justice.
Elle est souvent représentée sous la forme
d’une plume. Lors du jugement du mort, le
cœur du défunt est mis sur un des plateaux
d’une balance et sur l’autre est posée la plume
de Mâat. Si le cœur, vierge de tout péché, fait
le même poids, le mort a droit à l’immortalité,
sinon c’est échec et Mâat.

Les hiéroglyphes : une écriture


indéchiffrable ?

Attention, les noms égyptiens retranscrits en français


le sont d’après les versions grecques. Par exemple, le
mot Égypte lui-même vient du grec Aiguptos. Ce nom
dérive de hét-ku-ptah, « la demeure de Ptah », qui
désigne la capitale Memphis.

Tombé dans l’oubli
Quelque 3 800 ans d’histoire s’écoulent entre Nagada
Ier et Cléopâtre, qui voit l’annexion de son royaume
par Rome en - 30. Après des siècles d’occupation
romaine et arabe, le sens de l’écriture hiéroglyphique
tombé dans l’oubli se pare des prestiges de la magie
et de l’occultisme. De nombreux chercheurs se
cassent les dents à tenter des traductions, jusqu’à la
découverte en août 1799 de la pierre de Rosette lors
de l’expédition de Bonaparte en Égypte.
Cette stèle de granite noir institue le culte du pharaon
Ptolémée V Épiphane en - 196, dans un texte à la fois
en hiéroglyphes, en démotique (l’écriture égyptienne
courante) et en grec. Enfin une comparaison devient
possible avec cette découverte, car les savants
connaissent le grec. Ils tentent de traduire le
démotique, avant de s’attaquer aux hiéroglyphes.

De la Rosette pour Champollion ?
Comme il y a 54 lignes de grec et 32 lignes de
démotique, ce n’est pas du mot à mot. La
comparaison des deux textes n’est pas évidente :
c’est à peu près aussi facile que de traduire un mode
d’emploi d’aspirateur du japonais vers le français sans
dictionnaire ! Champollion y travaille de 1810 à 1822
et a le génie de traduire un élément pour ensuite tirer
le fil et trouver le sens des autres. Grâce à sa
connaissance du copte, il parvient à « soulever le voile
d’Isis », expression favorite des découvreurs. Les
Coptes (les chrétiens d’Égypte) gardent en effet dans
leur langue religieuse une forme tardive de l’égyptien
courant.

Changer de cartouche
Le système hiéroglyphique a la particularité de mettre
le nom des souverains dans un encadrement appelé
cartouche. Champollion en déduit le sens de certains
hiéroglyphes et prouve qu’ils peuvent avoir plusieurs
valeurs.

La première fois que l’on voit ces hiéroglyphes, on
pense aux idéogrammes où un dessin correspond à un
mot entier, comme en chinois. Mais, comme sur la
pierre de Rosette, 1 419 hiéroglyphes traduisent 486
mots grecs, Champollion a l’intuition géniale que les
hiéroglyphes peuvent avoir aussi une valeur
phonétique : un dessin peut désigner un son. Seules
les consonnes sont notées comme dans l’arabe
actuel. Évidemment, un travail énorme est alors
encore à faire, d’autant plus que les copies
d’inscriptions dont dispose Champollion ne sont pas
fiables. Mais la voie est ouverte pour des générations
de chercheurs, en particulier français.

La perpétuité sans concession


Pyramides, mastabas, hypogées, momies donnent
l’impression de se promener dans un cimetière ! Mais
les anciens Égyptiens ont laissé autant de monuments
funéraires parce qu’ils aimaient la vie et qu’ils
voulaient la prolonger. Même si cela paraît paradoxal,
l’omniprésence de la mort et de ses rites est chez eux
un hymne à la vie. Tous ces monuments ont pour
fonction de protéger la momie ou une statue du
défunt, car les Égyptiens étaient matérialistes et
considéraient qu’il fallait avoir un support tangible
pour obtenir une vie éternelle.

La pire amie d’Égypte


La pyramide est la marque la plus identifiable de
l’Égypte. Le mot grec que nous utilisons provient peut-
être d’un gâteau qui portait ce nom.

Au château d’Oiron dans les Deux-Sèvres, on trouve
une curieuse peinture où des monuments ondulent
comme des flammes. Les Français de la Renaissance
imaginaient ainsi les pyramides. Ne connaissant pas
l’Égypte, ils étaient trompés par leurs notions de grec,
« pyr » désignant le feu, comme dans pyromane !

Tous les talents
L’ancêtre de la pyramide est le mastaba (« banc » en
arabe), tombeau en pierre ou en brique contenant
trois chambres.

L’architecte Imhotep vit sous le règne du roi Djéser


(vers - 2680-2650). Les Égyptiens ont divinisé cet
homme doué de tous les talents, connaissant tout sur
tout : chaque famille en a un comme ça (en général,
c’est le beau-père…). Imhotep passe dans l’Antiquité
pour être l’inventeur de l’architecture de pierre, en
ayant l’idée de surélever le mastaba par l’ajout de
gradins. Plus le monument est haut, plus le
propriétaire est censé être puissant. La vie éternelle
peut alors commencer, à condition que l’âme ait un
support matériel auquel se raccrocher, en l’occurrence
le cadavre conservé par les rites appropriés.

La malédiction du
pharaon
Le 26 novembre 1922, l’archéologue anglais
Howard Carter et son mécène Lord Carnarvon
pénètrent dans la tombe intacte d’un petit
pharaon peu connu : Toutankhamon, qui régna
vers -1353. Peu avant, un cobra, l’animal
symbole des pharaons, a avalé le serin porte-
bonheur de l’équipe. Mauvais présage ! La
légende commence à courir : « Le pharaon se
vengera. » La presse fait allusion à la formule
rituelle de malédiction présente sur les
tombeaux qui n’a pourtant jamais fait peur aux
pilleurs ! La « malédiction de Toutankhamon »
est donc à rejeter dans le chaudron aux
fantasmes. D’ailleurs, Evelyn Carnarvon, la fille
du milliardaire, et l’archéologue Callender, qui
ont également participé à l’ouverture de la
sépulture, terminent paisiblement leurs jours,
bien des années plus tard. Howard Carter
meurt quant à lui en 1939. Alors, la fameuse
inscription qui menace de mort ceux qui osent
déranger la paix éternelle du pharaon ? Pure
invention !
En 1980, Richard Adamson, responsable de la
sécurité du chantier de fouilles de Carter et
dernier survivant de l’expédition de 1922,
avoue que la rumeur de la malédiction est une
idée du tandem Carter-Carnarvon : il s’agissait
d’effrayer les candidats pilleurs. Adamson a
ainsi dormi dans le tombeau pendant plusieurs
années sans qu’aucun objet ne disparaisse.

Les momies : quelle cuisine !


La momie est l’« exception culturelle » la plus
marquante de l’Égypte. Un cadavre embaumé peut
paraître le comble du macabre, mais les momies
sentent bon. Le corps dont on a extrait les viscères est
plongé dans un bain de natron (carbonate de sodium
qui absorbe l’humidité des tissus), rempli d’aromates
puis oint de parfums.

Il n’en reste que très peu parce que, pendant
longtemps, les Occidentaux ont considéré la momie
broyée comme un puissant remède aux multiples
vertus. François Ier passe plutôt pour avoir préféré la
chair fraîche et bien vivante, mais il en portait
toujours sur lui un sachet comme médicament. Les
peintres, eux, s’en servaient comme liant pour leurs
tableaux. Lors de la Révolution française, quand
l’approvisionnement en provenance d’Orient est
interrompu, certains artistes n’hésitent pas à se servir
des cœurs momifiés de la famille royale. Une tradition
veut que ceux de Louis XIII et Louis XIV aient été
utilisés pour l’Intérieur d’une cuisine de Martin
Drolling au Louvre.

Une sécurité à l’œil
La protection de la momie était assurée par une
tombe réputée inviolable. Le talisman souvent
représenté est l’œil, l’oudjat présent sur la porte
scellée des tombeaux. Selon la légende, Horus perd
un œil en combattant Seth, l’assassin d’Osiris. Le dieu
à tête d’ibis Thot, inventeur de l’écriture, assimilé à
l’Hermès des Grecs, le retrouve et réalise une grande
première médicale en réussissant la greffe. Si on
considère qu’à peu près toutes les tombes ont reçu la
visite de pilleurs, on peut se dire que, pour l’efficacité
de la protection, c’était se mettre le doigt dans l’œil !

Colonnes à la une
Le plan du premier temple bâti en pierre est censé
avoir été donné aux hommes par les dieux. Il est
l’image des cieux projetée sur terre. Un égyptologue
comme Jean Yoyotte a parlé à ce propos de « centrale
nucléaire » où toutes les énergies divines sont
concentrées.

Les colonnes égyptiennes s’inspirent des formes


végétales : lotus, papyrus, parfois palmiers. Le
chapiteau peut être décoré, dans le cas de la colonne
hathorique, par le visage de la déesse aux oreilles de
vache. Le temple se compose du pronaos, le saint des
saints, où loge la divinité et où nul ne peut entrer.
Autour du temple lui-même, un certain nombre de
chapelles permettent le culte d’autres divinités
annexes, car tout demander au même dieu risque en
effet de le surcharger. Une cour entourée de portiques
précède le bâtiment, dont la façade est constituée par
deux tours rectangulaires, appelées les pylônes. Une
allée encadrée de sphinx y mène.

La dernière des Sept


Merveilles du monde
On comprend bien le soin apporté à la
demeure éternelle qu’était la pyramide, à côté
de laquelle le palais le plus somptueux n’était
après tout qu’un hôtel de passage. L’architecte
Pei y a-t-il pensé en faisant sa pyramide du
Louvre (voir Figure 58) ?

Les plus célèbres pyramides sont celles de
Gizeh, ou Giza, bâties par les souverains de la
IVe dynastie Chéops, Khephren et Mykérinos.
La pyramide de Chéops est certainement un
des monuments les plus étonnants de l’histoire
de l’humanité. Sa hauteur initiale était de 146
mètres. Elle n’a pas fondu comme un iceberg,
c’est après avoir servi de carrière de pierre
qu’elle est arrivée à 137 mètres. Les côtés de
sa base qui ne sont pas tous égaux font
environ 230 mètres. Au sommet de la
pyramide de Khephren subsistent des traces
du revêtement de pierre calcaire qui recouvrait
les trois pyramides, pour les protéger et pour
faire joli. La plus grande, celle de Chéops, fait
toujours rêver. Régulièrement, des chercheurs
veulent retrouver une hypothétique chambre
funéraire. Déjà en 820, le calife Al-Mamoun, un
homme de décision, avait cherché un passage
secret à coups d’explosifs.

Non loin se dresse le célèbre sphinx au nez
cassé. Taillé dans le rocher, cet animal
fabuleux est constitué du corps d’un lion et de
la tête du pharaon coiffé du némès, l’attribut
royal. Rien à voir avec le Sphinx grec
d’Œdipe ! Son visage est sans doute celui du
roi Khephren.

Après les pyramides, les tombeaux royaux
sont creusés dans le roc : en hypogées, à
multiples salles comme dans la Vallée des Rois
à Louxor.

L’ensemble des bâtiments est entouré de murailles de


briques sèches. Un lac pour les ablutions est l’image
de l’Océan primordial. Le même modèle architectural
se prolonge jusqu’à l’époque romaine, dont datent
certains des temples les plus connus comme
Dendérah, célèbre pour son zodiaque ou Philae. Il est
étonnant de voir quelles masses énormes les
Égyptiens ont réussi à déplacer avec des moyens
sommaires. Nous sommes renseignés grâce aux
représentations de traîneaux figurant dans des
tombeaux, comme celui de la princesse Idut à
Saqqarah. Dans celui de Djouit Hetep, à Dar el
Berchah, le traîneau portant une lourde statue est tiré
par 172 hommes sur quatre files parallèles.
Obélisques à marquer d’un astérisque
L’autre élément architectural typiquement égyptien
est l’obélisque. À l’origine, l’obélisque a la
particularité, comme les ciseaux, les claques et Laurel
et Hardy, d’aller toujours par deux.

Pilier dressé devant le temple, cette aiguille de pierre


symbolise les rayons du soleil. Allant en s’amincissant,
son fût est surmonté d’une petite pyramide dite
pyramidion, parfois recouvert de métal brillant. Taillé
dans un seul bloc de pierre, l’obélisque est couvert de
hiéroglyphes indiquant le nom et les titres du
pharaon, le dieu auquel il est consacré et parfois le
motif qui a poussé à son érection.
Des obélisques sont prélevés à diverses époques en
Égypte par des conquérants. Rome en récupère ainsi
une vingtaine. Il en subsiste toujours, comme celui
enlevé par l’empereur Caligula et actuellement sur la
place Saint-Pierre.

Descendre de son
piédestal
L’obélisque de la place de la Concorde n’est
pas une prise de guerre mais un cadeau du
vice-roi d’Egypte Méhémet Ali à la France en
1831.
En échange, la France a offert une pendule
visible au Caire (en panne d’ailleurs). Vieux de
3 300 ans, l’obélisque est en granit rose et
provient du temple d’Amon à Louxor. L’Égypte
a aussi offert son piédestal où figurent des
singes à tête de chien. Ces animaux s’animent
au lever du soleil et leurs grognements sont
considérés par les Égyptiens de l’Antiquité
comme un salut au dieu soleil Râ, un rôle joué
par le coq de la basse-cour chez nous. Mais le
piédestal ne fut pas installé sous l’obélisque
devenu parisien car les singes exhibent des
attributs… plutôt virils et éloquents.

Du sur-mesure pour toutes les tailles

La sculpture égyptienne qui nous est parvenue est


variée et abondante. Le climat de l’Égypte, chaud et
sec, a bien préservé nombre de petits objets courants.
On possède ainsi des cuillères à fard qui proviennent
surtout de la région de Memphis, datées du Nouvel
Empire. La cuiller à la nageuse, une jeune fille nue
parée d’un collier saisissant un canard, est un vrai
chef-d’œuvre.
L’artisan peut être un artiste !

Mais l’importance de cet art tient surtout à des
raisons religieuses. Chaque temple avait bien sûr ses
effigies divines, combinant des éléments animaux et
humains, comme les sphinx à tête d’homme et corps
d’animal. Cependant, la sculpture égyptienne ne
concerne pas que la statuaire : tombes et temples
abondent aussi en bas-reliefs, stèles de
commémoration politique, stèles funéraires et
magiques. Le tombeau doit aussi protéger le corps.
Outre le monument, à la façon des poupées russes, il
pouvait y avoir beaucoup de sarcophages pour
protéger la momie ! Du colosse du Louvre aux petits
chaouabtis, la statuaire égyptienne fait du sur-mesure
pour toutes les tailles.

Jamais à la retraite : les chaouabtis


Dans une pensée magique, à l’aide de quelques rites
adéquats, la représentation d’une chose est aussi
réelle que la chose représentée. La statue, ou même
le dessin, d’un serviteur est le serviteur lui-même qui
pourra servir son maître dans l’au-delà.

Votre éternel serviteur
Il y a de vivantes représentations en terre cuite de
serviteurs occupés à des activités de boulanger, de
fermier ou de brasseur car, parmi les grandes
inventions égyptiennes pour consoler l’humanité
souffrante, il y a la bière ! Être aux ordres du défunt
dans l’au-delà est aussi le rôle attribué aux ouchebtis
ou chaouabtis, ces petites figurines en forme de
momies qui accompagnent le défunt. Cette fonction
de serviteur dans l’au-delà n’est pas bien difficile à
deviner : le chapitre 6 du Livre des morts égyptien qui
en parle est presque toujours inscrit dans le tombeau.

Défense d’enlever le ba
Dans la conception magico-religieuse des
Égyptiens, l’homme est constitué de sept
éléments différents : le corps, le ba, le ka,
l’akh, le cœur, le nom et l’ombre. Ici-bas
comme dans l’au-delà, il faut que tous ces
éléments cohabitent, comme les pelures de
l’oignon, comparaison utilisée par les anciens
eux-mêmes. Le ka, le « double », la force
vitale, pouvait trouver un abri dans une statue
à son effigie. Le ba correspond plus à l’âme
des religions occidentales ; c’est elle qu’on voit
sur les parois des tombeaux, représentée sous
la forme d’un oiseau à tête humaine qui vole
du tombeau au monde extérieur. Cette
croyance explique aussi l’aspect conventionnel
de la statuaire, car le défunt est là dans sa
demeure, où il règne en maître dans une
position digne, assis ou debout. Tout au plus
esquisse-t-il un pas en avant : la jambe gauche
avancée est une attitude conventionnelle qui
est immuable.

Avec tout le confort requis


La momie est enterrée avec tout ce qui pouvait
assurer son bien-être. Quand on voit ce qui est enterré
avec un pharaon mineur comme Toutankhamon, on ne
peut que rêver à ce qui accompagnait un des rois les
plus puissants comme Ramsès II ! Le troisième
sarcophage de Toutankhamon en or massif et en
pierres précieuses pèse 110 kg ! La momie royale de
Toutankhamon porte un des plus extraordinaires
chefs-d’œuvre de l’art antique, le masque d’or de 11
kilos (voir Figure 4) à l’effigie du défunt orné du
némès, la coiffe en étoffe rayée. Le bleu et l’or
rappellent le soleil à son lever. Sur le front se dresse
un serpent, l’uraeus, symbole de la royauté, et, autre
symbole de puissance, sous le menton, une barbe
factice que même les reines, comme Hatshepsout,
portent !
Le meilleur à l’écrit : le scribe accroupi
La fonction du scribe, chargé de la tenue des
écritures, était prestigieuse et accessible aux femmes,
car, dans certaines tombes, elles sont représentées
avec leur matériel d’écriture. L’instrument d’écriture
est un roseau que les historiens nomment calame.

Le Louvre abrite une des meilleures réussites de la
statuaire égyptienne avec le Scribe accroupi. La
vraisemblance de cette statue est si extraordinaire
que le ka du défunt pouvait s’y tromper ! Accroupi, le
scribe tient un rouleau de papyrus sur ses genoux, sur
lequel il écrit avec le calame. Le visage n’est pas
stéréotypé, les yeux en cristal de roche lui donnent un
réalisme frappant, tout comme les plis du ventre (qui
prouvent qu’à l’époque l’écriture nourrissait son
homme). La couleur rouge est, par convention, celle
de la peau des hommes. Un bel exemple de
polychromie réussie.

Études de profil

L’artiste égyptien représente ce qu’il connaît et non


pas ce qu’il voit. En peinture, le parti pris est de
montrer le corps de face et le visage et les jambes de
profil. L’artiste veut dessiner par exemple un bœuf : la
silhouette est parfaitement saisie de profil par un
dessin au trait, la retranscription de l’animal est bien
rendue par la représentation en longueur et
l’épaisseur de l’animal est transmise par le dessin des
pattes du côté opposé. Mais ça se complique quand il
s’agit dessiner une silhouette humaine ! Le profil du
visage humain et la jambe sont caractéristiques, donc
ils peuvent être rendus de profil. Mais pour donner
l’impression de la profondeur du buste et ne pas le
confondre avec le bras, la seule convention possible
est de dessiner le buste de face.

Vus sous cet angle


Les cubistes tiendront le même genre de
raisonnement en disant qu’il faut voir le sujet sous
tous les angles. D’ailleurs, dans quelques cas, nous
voyons que l’artiste égyptien pouvait aussi faire un
portrait de face parmi des figures de profil comme
certaine peinture représentant un groupe de
musiciennes.

De toute façon, un artiste peut parfaitement
s’exprimer et réaliser un chef-d’œuvre en utilisant les
conventions mises au point par son époque. Pour s’en
convaincre, regardons certaines scènes dans le
tombeau d’Akhethétep (vers - 2400). L’homme qui
gave une oie est dessiné selon la convention
égyptienne du profil pour le visage et les jambes, de
face pour le torse. Cela n’empêche pas le dessin
d’être parfait et le mouvement rendu. La scène
domestique est vivante, à tel point qu’on se croirait
presque dans le Gers aujourd’hui pour la préparation
du foie gras !

Des couleurs, même dans le noir du tombeau


La polychromie, l’utilisation de plusieurs couleurs, est
de mise : durant toute l’Antiquité, peintres et
sculpteurs sont associés car les statues sont peintes.
Les fouilleurs ont retrouvé des palettes de bois avec
une rainure pour poser le calame et des cavités pour
des pastilles d’encre sèche, noire et rouge le plus
souvent. Un mortier et un pilon servent à écraser les
couleurs. Les Égyptiens utilisent des mélanges à base
de gélatine d’os, de blanc d’œuf, d’un liant comme la
résine et de différents pigments. Les couleurs de la
peau relèvent de conventions : brun-rouge pour les
hommes, ocre pour les femmes. Les Nubiens sont
noirs et les Asiatiques jaunâtres.

Brouillons de culture
Les brouillons d’artistes qui nous sont parvenus ne
manquent pas d’intérêt. Ils sont sur calcaire, sur
planchettes, au dos de vieux manuscrits ainsi recyclés
car le papyrus coûte cher. Les artistes utilisent des
roseaux au bout effiloché en forme de pinceau, que
chacun peut reproduire en mâchouillant un bout de
bois ou une allumette. Le trait pourtant est souple et
le sens de l’observation se manifeste en quelques
traits, telle une danseuse faisant la pirouette. Cet
amour de la vie s’accommode parfaitement avec un
certain sens de la caricature, comme on le constate
sur le papyrus de Turin qui montre les talents
amoureux d’un prêtre et d’une chanteuse servante
d’Amon d’un côté, et de l’autre des dessins où des
animaux à apparence humaine jouent et chantent,
comme dans un dessin animé de Tex Avery.

Par ordre de taille
Nous pouvons regretter de n’avoir pas plus de ces
graffites. En revanche, nous possédons de
nombreuses vignettes dans ces livres remis au défunt
comme guide de voyage vers l’au-delà, le Livre des
morts. Là, l’imagination n’est pas au pouvoir, puisque
les mêmes manuscrits types sont conservés dans tous
les temples.

On remarque dans les peintures une autre convention


concernant la taille des personnages, proportionnelle
à l’ordre hiérarchique : d’abord les dieux, puis les rois
et enfin leurs serviteurs. Les propriétaires défunts du
tombeau sont toujours plus grands que les membres
encore vivants de la famille.

Sans perspective
Dans l’Égypte antique, la perspective n’existe pas.
Pour donner l’impression de la profondeur, l’artiste
égyptien utilise d’autres conventions que les nôtres.
Prenons, par exemple, une rangée de chevaux :
l’artiste ne figure que les profils, donnant ainsi une
curieuse impression d’image mal réglée avec tous les
sabots sur la même ligne. Il s’agit en fait d’une action
simultanée de galops de chevaux et non d’une
avancée en file indienne comme il pourrait y paraître.
En fait, le spectateur qui les regarde de face devrait
leur couler un regard en biais.
Si une scène à représenter offre plusieurs actions
successives, l’ensemble est alors décomposé en
plusieurs tableaux disposés les uns au-dessus des
autres, même si tous les personnages ont la même
taille. Prenons l’exemple d’un paysage vu du milieu du
Nil :

en bas la scène la plus proche, des bateaux ;


au milieu, des porteurs d’eau et des paysans au
travail, scène censée se passer plus loin ;
au-dessus, des animaux du désert dans le
lointain.

L’éloignement n’est pas donné par la perspective


mais par la place occupée dans le tableau représenté.

Si les conventions sont différentes, les astuces sont


les mêmes que de nos jours ! On enduit les parois
avant de les peindre et le modèle du dessin exécuté
en petit est mis au carreau (nous le savons grâce à
l’observation de certaines parties inachevées). La
mise au carreau consiste à quadriller le dessin initial
et à le reporter sur le mur grâce à un quadrillage plus
grand. La copie du dessin s’en trouve infiniment
simplifiée.
Chapitre 4

Label hellène : l’art grec


antique

Dans ce chapitre :
Fondation de l’architecture occidentale en trois
ordres
Le plus beau temple du monde occidental
Des dieux vivant avec les hommes

Les Européens sont souvent surpris de constater que


les Japonais sont à la fois de confessions bouddhiste
et shintoïste et qu’ils utilisent deux systèmes
différents pour leurs chiffres, le chinois et le japonais.
Les Orientaux sont eux surpris de la coexistence en
Europe des chiffres arabes et des chiffres romains. En
visitant Versailles, ils trouvent étrange la croyance en
un dieu unique et l’utilisation de la mythologie gréco-
romaine.

Les Hellènes, c’est-à-dire les Grecs antiques, fondent
notre civilisation européenne, avec les chants de
l’Iliade et de l’Odyssée pour emblème. La belle Hélène
de Troie est à l’origine d’une guerre qui fascine
encore, au point d’être sans cesse portée à l’écran.
Mycènes mise en scène

L’art grec proprement dit apparaît vers le VIIIe siècle


avant J.-C. Auparavant, il s’agit des vestiges de la
civilisation mycénienne. L’art mycénien est un art
monumental. Très tôt, les Grecs ont oublié les
bâtisseurs de ces murs et les ont attribués aux Titans.
Dans leurs esprits, seuls ces géants mythiques
pouvaient avoir manipulé de tels blocs de pierre,
constituant une muraille de près de 1 kilomètre autour
de l’acropole de Mycènes, avec sa célèbre porte des
Lions.

L’épopée, dit-on, est l’Histoire écoutée aux portes de
la légende. La guerre de Troie a-t-elle vraiment eu
lieu ? L’archéologue allemand Schliemann (1822-
1890) veut le savoir et fait entreprendre des fouilles à
Mycènes.

L’erreur féconde

Fils d’un pasteur très pauvre, Schliemann travaille très


jeune dans divers commerces en Russie. Il s’installe
ensuite en Californie, spécule et prête de l’argent aux
chercheurs d’or. De retour en Russie, c’est la guerre
de Crimée qui lui permet s’en mettre plein les poches.
Et en 1866, s’étant inscrit à la Sorbonne pour étudier
l’histoire de l’Antiquité et les langues orientales,
Schliemann apprend le grec en six mois, tout en
continuant à gérer ses affaires. Un homme plein de
ressources ! Il cherche en réalité à réaliser un rêve
d’enfant, venu quand son père lui récitait Homère,
l’aède, le poète de l’Iliade et l’Odyssée. Il entreprend
alors en Grèce et en Turquie des fouilles destinées à
prouver la valeur historique des œuvres homériques.

Schliemann embauche Wilhelm Dörpfeld, archéologue
émérite et directeur de la mission archéologique
allemande en Grèce. Et il découvre Troie. Sa
personnalité est décriée, car ses découvertes
sensationnelles suscitent des jalousies et quelques
ennuis avec les autorités turques. Peu importe : son
enthousiasme et son parti pris de tout ramener à
Homère lui permettent des découvertes. Mais, c’est
vrai aussi, le conduisent à se tromper de datation… La
Grèce mycénienne n’est en effet pas vraiment encore
celle d’Homère. Ses méthodes de travail,
s’apparentant davantage à celles du chercheur de
trésors qu’à celles de l’archéologue, sont loin des
exigences scientifiques de l’heure actuelle. Mais
Schliemann a l’énorme mérite d’avoir inventé la Grèce
mycénienne et d’être un pionnier.

Le temple y est, mon trésor


Schliemann est l’homme de l’erreur féconde, il incarne
l’art d’avoir raison en ayant tort. En 1874, il
commence à fouiller Mycènes et met à jour un palais,
un ensemble architectural composé d’un vestibule et
d’une grande salle rectangulaire avec un foyer central
circulaire, au toit soutenu par quatre colonnes. Les
tombes mycéniennes sont en forme de ruche. Elles
sont bâties en rangées de pierres se rapprochant peu
à peu pour constituer une voûte, comparables aux
bories ou capitelles en pierres sèches du sud de la
France. Ces tombes, dites à tholos, sont recouvertes
d’un tumulus ménageant des couloirs. La plus connue
est celle dite du Trésor d’Atrée près de la porte des
Lions.

Dans le cercle des tombes de l’acropole de Mycènes
en 1876, Schliemann découvre huit masques
mortuaires en or à la merveilleuse beauté barbare.
« J’ai vu le visage d’Agamemnon ! », s’écrie-t-il. En
réalité, le masque d’or découvert est celui d’un
souverain qui a régné vers - 1600, quatre cents ans
avant la date généralement admise pour la prise de
Troie, vers - 1184. Ceci dit, il n’est pas impossible que
la figure du roi légendaire chanté par Homère ait pu
retenir quelques traits des plus anciens rois achéens.

Tableau 4-1 : Les grandes dates de la Grèce


antique

Date Période Evénement

- Période
1700 mycénienne
à -
1200

- « Moyen
1200 Âge » grec
à -
800

- 800 Période Fondation de cités grecques


à - archaïque autour de la Méditerranée
500

- 500 Période Athènes, Sparte et Thèbes


à - classique exercent leur influence sur le
400 monde grec constitué de
centaines de « polis », cités
indépendantes, unies un
moment contre les Perses.

- 400 Grèce Civilisation brillante où


à hellénistique Athènes reste un grand
100 centre de la vie intellectuelle.
Période des échanges entre
l’Orient et la Grèce.

Entrez dans les ordres : l’architecture


grecque

À partir de - 800 se mettent en place les ordres grecs :


dorique, ionique et corinthien, une véritable religion
architecturale. Voici comment ils se déclinent :
le dorique, ordre d’architecture par excellence, à l’origine des
autres, se caractérise par la solidité de ses formes et des
colonnes cannelées sans base ;
l’ionique se distingue par deux enroulements décoratifs de
chaque côté du chapiteau ;
le corinthien se reconnaît à sa feuille d’acanthe, du nom
d’une plante à feuilles très découpées.

Raconter l’acanthe
Une légende attribue l’invention de la feuille
d’acanthe en architecture à Callimaque vers -
400. Une mère a déposé une corbeille avec
quelques offrandes devant le tombeau de sa
fille et, pour les protéger, pose une tuile
dessus. Une acanthe germe alors sous la
corbeille. Ses tiges et ses feuilles poussent
tout autour et Callimaque apprécie l’effet
obtenu. De l’art brut avant l’heure ! La feuille
d’acanthe est restée jusqu’à nos jours le type
même de l’ornementation. Il est d’ailleurs
toujours drôle de constater que tout le monde
la reconnaît en pierre mais jamais dans la
nature.

Appelez-la « polis » !

La notion d’ordre architectural recouvre un ensemble


de proportions fondé sur le diamètre de la colonne, à
partir duquel se calcule tout le reste de l’édifice.
L’échelle pour un Grec varie d’un ordre à l’autre. Pour
une même hauteur, les colonnes doriques sont plus
rapprochées et plus grosses que les colonnes
ioniques. Et il en est de même pour ces dernières par
rapport aux corinthiennes.

Chaque polis (« cité » en grec) possède un, voire
plusieurs temples. Ils sont donc innombrables et
proposent plusieurs dispositions possibles : isolés
comme le temple de Poséidon au cap Sounion ou
groupés au sein de vastes enceintes comme
l’Acropole d’Athènes, celle d’Olympie ou encore de
Delphes, les hauts lieux de la culture grecque.

Bienvenue chez les dieux
Entourée d’une enceinte (ou peribolos en grec) qui
délimite le territoire sacré et le bois sacré (temenos),
voilà la demeure du dieu (naos) dont la façade est
généralement tournée vers l’est. Le plus souvent, le
temple est une salle en forme de rectangle, précédée
par le vestibule et les colonnades. Des marches
devant le soubassement mènent à l’édifice. Au-dessus
se trouve le portique qui, dans les plus grands
édifices, entoure tout le monument. De pierre ou de
marbre, ou encore de pierre à revêtement de marbre,
les colonnes soutiennent l’entablement, la partie juste
sous le toit, de marbre ou de bois.

Déformations professionnelles
Toute la partie haute des temples est alors décorée, il
faut imaginer des chéneaux peints et sculptés. Sur les
frontons ornés sont installées des sculptures. Les
Grecs se posent la question des déformations de la
perspective et dès le VIe siècle, ils effectuent des
corrections pour l’optique :
le stylobate, dernier palier du soubassement, adopte une
surface bombée ;
les lignes verticales s’inclinent légèrement vers l’intérieur ;
les lignes horizontales s’infléchissent doucement.
Le naos, saint des saints
À l’intérieur, le temple se divise en trois parties :
l’opisthodome, qui renferme le trésor, le pronaos, ou
vestibule, et le naos à proprement parler, le saint des
saints (appelé aussi cella en latin), où se trouve la
statue de la divinité à laquelle le temple est consacré.
Dans les grands temples, la cella, éclairée par
l’hypètre, une ouverture quadrangulaire au plafond,
est fréquemment divisée en trois par des colonnades.
Des nefs latérales supportent un étage d’où, comme à
Olympie pour la statue de Zeus par Phidias, les
visiteurs peuvent admirer le chef-d’œuvre du temple.
L’ensemble est relevé de couleurs vives, aujourd’hui
disparues, grâce à des fresques, des frises sculptées
et peintes, des ex-voto déposés par les fidèles. Le
temple grec ressemble à un temple hindouiste, aussi
coloré qu’une toile de cirque !

Acropole position
Le temple grec le plus célèbre est le Parthénon, le
« temple de la Vierge ». Celui dont nous voyons les
ruines date de Périclès, construit de - 454 à - 438 sur
l’Acropole d’Athènes. Ses architectes Ictinos et
Callicratès restent moins connus que Phidias, chargé
des sculptures et de superviser les travaux. Au cours
des siècles, le temple connut nombre de vicissitudes,
mais reste en assez bon état, même après que
l’empereur byzantin Justinien eut rassemblé dans sa
nouvelle capitale, Constantinople, les chefs-d’œuvre
de l’Antiquité récupérés dans toute la Grèce. En 304,
Démétrios Poliorcète, le « preneur de villes », s’y
installe avec des courtisanes. Les Turcs aussi y font la
bombe mais d’une autre manière : ils le transforme un
temps en poudrière.

D’or et d’ivoire
Le Parthénon est un temple dorique périptère, c’est-à-
dire entouré de tous ses côtés par une colonnade. Il
est bâti en marbre du Pentélique, le meilleur. Il repose
sur un soubassement à trois niveaux. La couverture
du toit est en marbre de Paros, de bonne qualité. De
forme rectangulaire, il mesure 69 mètres de long, 30,5
de large et 18 de haut. Le temple comporte les trois
parties habituelles. La cella est décorée sur trois côtés
d’un portique de colonnes doriques qui soutiennent
l’étage. Au fond à l’ouest, haute de 12 mètres, la
grande statue chryséléphantine d’Athéna, c’est-à-dire
en or et en ivoire.

Métope niveau
Les autres sculptures du temple ornent métopes et
frontons et se déroulent aussi sur une frise intérieure.
Les métopes sont les surfaces entre les colonnes de la
frise en haut du temple. Les frontons représentent à
l’est la naissance de la déesse et à l’ouest la dispute
d’Athéna et de Poséidon pour la possession de
l’Attique, la région d’Athènes. Les Athéniens doivent
choisir leur divinité favorite. Poséidon propose en
cadeau le cheval, symbole de combat. Athéna offre
l’olivier, symbole de prospérité et donc de paix,
conservé non loin, dans le temple de l’Érechthéion. Il
passe pour avoir miraculeusement échappé à
l’incendie des lieux par les Perses. On montre à côté
la source d’eau salée que Poséidon a fait surgir en
frappant le rocher de son trident.

Centaures et sans reproche
Les métopes de l’est ont pour sujet la lutte des dieux
contre les Géants révoltés, celles de l’ouest les
combats des Grecs contre les Amazones ; au sud,
l’élément le mieux conservé représente le combat des
Centaures et des Lapithes ; au nord apparaît la guerre
de Troie. La frise sculptée montre la procession des
Panathénées (voir Figure 5), les grandes fêtes en
l’honneur de la déesse. En face du Parthénon, sur la
colline de l’Acropole, le petit temple Érechthéion est
un chef-d’œuvre d’élégance. On y voit ces statues qui
supportent l’entablement sur leur tête, les fameuses
cariatides, appelées à une longue postérité.
Les temples sont les réalisations les plus
spectaculaires de l’architecture grecque mais il
subsiste aussi des portes monumentales comme les
propylées de l’Acropole, divers portiques comme à
l’agora d’Athènes, des stades et des théâtres.

Livraison à domicile
La frise représentant la procession des
Panathénées (voir Figure 5) part de la façade
postérieure et passe par les côtés sud et nord
pour arriver à l’est, sur la façade antérieure. La
procession peut être reconstituée à partir de
sculptures surtout conservées à Londres. À
l’ouest, ce sont les préparatifs et le départ :
sur leurs chevaux de Thessalie, de jeunes
cavaliers vont rejoindre leurs amis. Sur les
deux faces latérales, aux angles nord-ouest et
sud-ouest, la cavalcade forme la queue de la
procession.
Devant eux s’avancent les chars conduits par
des femmes. Un guerrier se tient debout
derrière la conductrice, sans doute une Niké
(ce n’est pas ce qu’un esprit mal intentionné
peut croire : niké veut dire victoire en grec, le
nom de la ville de Nice en provient). Devant
les quadriges, un chœur d’hommes et des
porteurs d’outres. Les victimaires conduisent
les animaux au sacrifice. Sur le côté sud, un
groupe de porteurs de rameaux correspond au
chœur des jeunes gens et des vieillards du
côté nord. À l’est, défilent des jeunes filles
athéniennes portant fioles et vases à vins, les
oenochoés, d’où « œnologue » en français
pour qualifier le spécialiste du vin. Devant
elles, viennent les jeunes filles de l’Attique,
précédées par les filles des métèques, les
étrangers à Athènes. Quatre magistrats sont
en tête de la procession qui apporte sa
nouvelle robe à la déesse. Tout ça est donc une
spectaculaire livraison à domicile !

Canons et poudre aux yeux : la sculpture


grecque

Au début du XIXe siècle, un certain lord Elgin (1756-


1841), ambassadeur en Turquie, a la mauvaise
habitude de rapporter des souvenirs de l’étranger. En
1807, il revient à Londres avec, dans ses bagages, les
sculptures du Parthénon. Présentées dans la capitale,
celles-ci suscitent une vive émotion chez les esthètes.
Et le British Museum finit même par les acheter en
1816. Selon l’usage du temps, on veut les restaurer et
on propose au très réputé sculpteur néoclassique
Canova de s’en charger. Heureusement, il refuse, au
motif que toucher à de tels chefs-d’œuvre, même
endommagés, relève du sacrilège.

Dans l’Antiquité grecque, les sculptures décorent les


temples avec abondance : bas-reliefs, hauts-reliefs ou
bien statues en ronde-bosse, c’est-à-dire dégagée de
la masse du support et ayant un relief complet. Le
haut-relief, lui, donne cette illusion mais ne se
détache pas entièrement du fond. Il constitue un
décor typiquement grec. Cependant, ce sont certaines
sculptures en ronde-bosse qui sont parmi les plus
célèbres des œuvres d’art mondiales : la Vénus de
Milo (voir Figure 6) et la Victoire de Samothrace.
Sur les traces de la
déesse mère
Bien avant l’avènement de l’art grec antique
tel que nous le connaissons, tout à fait aux
origines, les Cyclades offrent un autre type de
sculpture. On a retrouvé là des idoles en
marbre datant des IVe et IIIe millénaires.
Certaines de ces œuvres sont sans doute des
représentations des dieux. D’autres doivent
avoir un rôle funéraire et votif, puisqu’elles
représentent des fidèles en prière ou apportant
des offrandes. Elles sont de toutes tailles, de
quelques centimètres à 1,50 mètres, sinon
plus, comme le laisse supposer une tête
conservée au musée du Louvre. Ces statues
sont longtemps restées méconnues et il a fallu
les recherches et les conceptions artistiques
du XXe siècle pour que justice soit rendue à
leur beauté abstraite.

Comme plus tard dans l’art classique, elles
présentent déjà le souci des proportions :
quoique non figuratives, elles respectent des
canons, des règles dans la figuration du corps.
La hauteur totale de la statue peut être divisée
en quatre parties égales : un ensemble tête et
cou, le torse, une troisième partie constituée
du ventre et des cuisses, et enfin une autre
avec les mollets et les pieds. Autre rapport
mathématique, la plus grande largeur aux
épaules fait un quart de la hauteur.

Par leur puissance d’évocation, les sculptures
féminines rappellent celles de la préhistoire. Il
est plutôt séduisant de penser à un culte de la
déesse mère qui irait ainsi jusqu’à l’Artémis
d’Éphèse. Mais la filiation est évidemment loin
d’être prouvée entre ces idoles dont la
production s’arrête vers - 2100 et l’art
mycénien. Entre ces deux périodes, on parle
de siècles obscurs ou de Moyen Âge grec, dont
il ne subsiste que des vases.

Offrir avec le sourire : le kouros


Vers - 800 apparaissent des statuettes de bronze ou
d’argile en ronde-bosse. Les Grecs ont aussi la chance
de disposer d’un matériau comme le marbre. On date
de - 630 les premières grandes statues en marbre,
dites de style dédalique, comme la Dame d’Auxerre,
haute d’environ 60 centimètres. Puis apparaissent les
kouroï (au singulier kouros). Nus, les bras le long du
corps, le mouvement indiqué par la jambe qui avance,
ces kouroï ont parfois une fonction votive d’offrande à
une divinité quand d’autres sont placés sur des
tombes. Dans le temps, leurs dimensions sont de plus
en plus souvent celles d’un homme de grandeur
nature et le sourire particulier des premiers visages
devient moins figé. Le souci des proportions existe
déjà à cette époque, puisque on constate que la tête
du kouros est égale à la longueur du pied et que cette
longueur multipliée par 7,5 donne la hauteur de la
statue.

La statue dite le Cavalier Rampin date aussi de - 550.
Elle doit cette appellation au nom du donateur qui l’a
offerte au Louvre. Elle faisait partie d’un groupe de
cavaliers ; le buste et un fragment de cheval,
actuellement conservés au musée de l’Acropole, ont
été retrouvés ultérieurement. La barbe et la chevelure
sont traitées de façon très élaborée et la rigidité du
kouros a disparu : le visage se penche vers le
spectateur situé en contrebas du cheval. Le trou au
sommet de la tête est l’emplacement d’une tige
métallique, surmontée d’un disque, destinée en
quelque sorte à servir d’épouvantail (déjà à l’époque
on tient à éloigner les pigeons !).

On bronze, en Grèce

À partir du milieu du Ve siècle naissent les plus beaux


chefs-d’œuvre de la statuaire comme les marbres
d’Olympie, les métopes, frises et frontons du
Parthénon ou les cariatides de l’Érechthéion. Les
fondeurs grecs atteignent le sommet de leur art.
Malheureusement, aujourd’hui, les statues de métal
sont plus rares que celles de pierre, le métal ayant été
réutilisé depuis. Il ne nous reste pratiquement que le
Conducteur de char de Delphes, dit l’Aurige, ou le
Poséidon du musée d’Athènes.

L’histoire de l’art retient pourtant de nombreux noms,
tels Calamis, Myron, Pythagoras, Polyclète et surtout
Phidias, même si leurs travaux ne sont plus guère
connus qu’au travers des copies d’époque romaine.
Myron est réputé pour son Discobole, athlète lanceur
de disque qui montre une excellente connaissance de
l’anatomie. Aucune des œuvres maîtresses de Phidias
ne subsiste, ni la statue chryséléphantine d’Athéna
Parthénos, ni la statue de Zeus à Olympie.

Zeus en forme olympique
La Grèce antique des jeux Olympiques subsiste encore
dans tous les esprits. Avec l’oracle d’Apollon à
Delphes, le sanctuaire d’Olympie est le symbole d’une
civilisation commune.

Le sculpteur Phidias se fait bâtir dans l’enceinte du
temple un atelier spécial aux dimensions de la statue
colossale de Zeus, haute de 12 mètres. Elle passe
pour être le chef-d’œuvre de la statuaire antique,
l’une des Sept Merveilles du monde. Victime à
Athènes de jalousies, l’artiste gagne l’Olympie où les
travaux du temple battent leur plein. Bâti par Libon de
- 470 à - 457, le monument est dorique, avec la
colonnade habituelle. Ses dimensions sont
imposantes : 64 mètres sur 24,6. Rappelez-vous qu’on
n’a pas encore inventé les engins de travaux publics
et que la potion magique est réservée aux Gaulois !

Son pesant d’or

Après ce travail gigantesque, Phidias rentre à


Athènes. Ses compatriotes l’accusent d’avoir détourné
une partie de l’or destiné à la statue de l’Athéna
Parthénos. Chacun des éléments d’or pouvant se
détacher, cela nous renseigne sur la conception de
l’œuvre d’art et prouve aussi que le sculpteur se
doutait des manœuvres soupçonneuses de ses
concitoyens. Il en exige la pesée et peut ainsi justifier
de son travail. Mais la persécution ne s’arrête pas là,
car il est ensuite accusé d’impiété pour s’être
représenté en compagnie de Périclès, au milieu du
bouclier de la déesse. À notre époque, ce n’est pas si
grave : le cinéaste Alfred Hitchcock avait lui aussi
l’habitude d’apparaître dans ses œuvres, mais on ne
le lui a jamais reproché de façon aussi énergique !

Les voilés dévoilés


L’époque dite hellénistique commence avec le règne
d’Alexandre le Grand et dure jusqu’au Ier siècle de
notre ère. Vers - 400 travaillent Scopas, Lysippe,
remarquable portraitiste, et Praxitèle. Ces deux
derniers sont considérés, avec Phidias, comme les
plus importants sculpteurs grecs. Les artistes
s’intéressent alors beaucoup au corps, qu’ils
n’hésitent pas à représenter nu.

Un seul original
Praxitèle est passé à la postérité grâce à son
Aphrodite de Cnide. L’érudit romain Pline écrit que
l’on se rend dans cette ville rien que pour voir cette
œuvre. Pourtant, aller de Grèce en Asie Mineure ne
relève pas de la croisière d’agrément. La route est
longue et périlleuse, et il est conseillé à l’époque de
laisser quelque part ses dernières volontés avant de
hisser les voiles !

L’artiste réalise deux statues, l’une nue et l’autre


habillée. Il laisse le choix à ses commanditaires, les
insulaires de Cos, en précisant que chacune est au
même prix. Ils choisirent celle qui leur paraissait la
plus convenable et la plus sérieuse. Était-ce bien les
qualités à réclamer à la déesse de l’Amour,
Aphrodite ? Les habitants de Cnide, eux, achètent la
version nue et gagnent le gros lot de la célébrité !
Nous la connaissons encore aujourd’hui par les copies
romaines qui en subsistent.

Autre œuvre majeure, l’Hermès, qu’on peut admirer
au musée d’Olympie, est sans doute le seul original
conservé de Praxitèle. C’est aussi l’époque des
marbres de Xanthos, des bas-reliefs du Mausolée
d’Halicarnasse, de la Victoire de Samothrace et de la
Vénus de Milo (voir Figure 6).

Méli-Milo
En bonne logique mythologique, on devrait
appeler la célèbre Vénus de Milo (voir Figure
6) Aphrodite puisqu’elle est grecque. Trouvée
dans l’île de Milo en 1820, elle fut la cause
d’une vive concurrence entre la France et
l’Angleterre.

L’un des acteurs du transport de la statue vers
la France, le comte de Marcellus, fait cette
curieuse remarque : « Il fut démontré que la
statue chargée de vêtements, de colliers d’or
et de pendants d’oreilles a représenté la
Panagia (Sainte Vierge) dans la petite église
grecque dont j’avais vu les ruines à Milo. »

Démontré, pas tant que ça ! L’existence d’une
sainte Vénère est attestée dans la France du
Moyen Âge. Datant de - 100 environ, donc de
l’époque hellénistique, celle-ci est remarquable
par la beauté des traits qui évoquent les
grands sculpteurs classiques. Mais cet exemple
de la récupération des dieux antiques dans le
monde chrétien est une exception.

Une Victoire à en perdre la tête


C’est pour commémorer une victoire d’un des rois
surgis du dépècement de l’empire d’Alexandre que fut
sculptée la Victoire de Samothrace, celle dont le
peintre Cézanne dit : « Le sang qui fouette, circule,
chante dans les jambes, les hanches, tout le corps, il a
passé en torrent dans le cerveau, il est monté au
cœur, il est en mouvement, il est le mouvement de
toute la femme, de toute la statue, de toute la Grèce.
Quand la tête s’est détachée, allez… le marbre a
saigné ». Le marbre est devenu de chair et de sang.

Le style de cette statue ressemble à celui de Pergame
(vers - 180), capitale du royaume des Attalides née du
partage de l’empire d’Alexandre, dans l’actuelle
Turquie.

Pergame-boy
Pergame devient à partir de - 400 un haut lieu culturel
que ses souverains veulent transformer en nouvelle
Athènes. Le mot français « parchemin » vient
d’ailleurs de pergamina carta. Le Grand Autel de Zeus
est considéré comme un chef-d’œuvre de l’art
hellénistique. Une grande salle est consacrée à sa
restitution au Pergamonmuseum de Berlin. La frise
sculptée fait 120 mètres de long et représente la lutte
des dieux contre les Géants à l’assaut de l’Olympe, tel
l’ancêtre d’un jeu vidéo. On peut voir aussi dans cette
frise des allusions aux victoires des souverains de
Pergame sur les Galates.

Présents dans de nombreux récits, ces derniers, des


Celtes fondateurs d’Ankara, impressionnent beaucoup
les peuples de l’Antiquité. Nous avons transposé les
récits sur les Galates aux Gaulois d’Occident. Par
exemple, tout le monde sait que ces derniers ne
craignent qu’une chose : que le ciel leur tombe sur la
tête. En fait, ce sont les ambassadeurs galates auprès
d’Alexandre le Grand qui évoquent cette chute
impossible pour affirmer ironiquement qu’ils n’ont
peur de rien.

Les Sept Merveilles du


monde
Vers - 300, un opuscule de Philon de Byzance
désigne sept monuments qui font ou ont fait
l’admiration du monde antique, Sur les Sept
Merveilles du monde. Ce texte comporte six
feuillets consacrés chacun à un monument. Le
septième manque, mais il devait être consacré
au mausolée d’Halicarnasse évoqué dans
l’introduction. D’autres auteurs de l’Antiquité
évoquent différentes merveilles, mais c’est la
liste de Philon qui est citée à l’heure actuelle.
Elle contient :
Les pyramides d’Égypte : déjà une
antiquité à l’époque de Philon, et malgré tout
la seule merveille de la liste qui subsiste.
Les jardins suspendus et les murs de
Babylone : ces jardins sont peut-être
mythiques.
La statue de Zeus olympien par Phidias
(- 456) : emporté par l’empereur romain
Justinien à Byzance, il n’en reste rien
aujourd’hui.
Le colosse de Rhodes (vers - 300) : une
statue de bronze de 32 mètres de haut (à
peine moins haute que la statue de la Liberté,
de 15 mètres). Il fut détruit par un
tremblement de terre une soixantaine
d’années après sa construction et l’oracle de
Delphes en interdit la reconstruction. Huit
siècles après, un « ferrailleur » charge avec les
morceaux un millier de chameaux. Certains
plongeurs croient régulièrement retrouver des
blocs de la statue, oubliant qu’elle n’était pas
de pierre.
Le temple d’Artémis à Éphèse : il fut
incendié en 356 la nuit où naquit Alexandre le
Grand. L’incendiaire veut que son nom passe à
la postérité pour avoir commis un crime
énorme. Une loi interdit alors de prononcer son
nom sous peine de mort. C’est raté : on se
souvient encore d’Érostrate. Il est rebâti par
Alexandre le Grand, mais cette seconde
construction est utilisée pendant des siècles
comme carrière de pierre.
Le mausolée d’Halicarnasse (vers - 350) :
40 mètres de haut comme l’Arc de triomphe.
Pas mal pour une tombe ! Le marbre est passé
depuis dans les fours à chaux et le reste a été
utilisé comme carrière de pierre, en particulier
pour la construction du château fort de
Bodrum. La statue du roi Mausole se trouve à
Londres.
Le phare d’Alexandrie (- 290) : connu
grâce à un texte de Strabon, il fut détruit par
un tremblement de terre au XIVe siècle. On
pense que fort de Qaïtbay est bâti à son
emplacement, avec peut-être une partie de
ses pierres.

L’origine du mausolée
Le IVe siècle avant notre ère est également l’époque
du tombeau de Mausole à Halicarnasse en Carie
(actuelle Turquie), mort en - 353. Rarement souverain
a mieux mérité la réputation de tondre son troupeau
d’aussi près : il fait payer des taxes sur tout, et même
sur la chevelure ! Mais au moins l’argent fait-il l’objet
d’une utilisation intéressante : le tombeau est
renommé pour la beauté de ses décorations, comme
le quadrige de marbre qui surmonte l’édifice ou la
statue du roi Mausole. Considéré dans l’Antiquité
comme l’une des Sept Merveilles du monde, il repose
sur un soubassement rectangulaire et reprend le plan
d’un temple classique. Ce ne sont pas moins de 36
colonnes qui supportent une pyramide à 24 degrés.
De là dérive le mot mausolée pour désigner un
monument funéraire prestigieux.

La statue de Mausole a été retrouvée en 1856 par des
fouilleurs britanniques. Il est possible qu’elle ait été
sur le quadrige pour figurer l’apothéose de Mausole.
L’architecte romain Vitruve (vers - 30) attribue la
décoration du mausolée à divers artistes, dont
Praxitèle.

Mythe au logis : la peinture grecque

Les Grecs connaissent la peinture murale ainsi que


celle de chevalet et ils décorent aussi leurs
céramiques. Mais aujourd’hui, la peinture grecque
n’est plus guère représentée que par des fragments
ou quelques fresques macédoniennes, plus complètes.
Pour reconstituer cette peinture, il faut extrapoler à
partir des vases de céramique peints ou des copies
romaines. Les plus anciens peintres dont les noms
nous sont connus, Eumarées d’Athènes et Cimon de
Cléonées, sont actifs vers - 600.

Mon vieux rhyton


Les vases grecs ont longtemps été appelés à
tort « étrusques » car trouvés dans les
nécropoles de Toscane. L’usage de déposer
des offrandes dans les tombes en a préservé
un grand nombre. On les classe selon leurs
formes et leurs utilisations. Le banquet, ou
sumposion, est un élément fondamental de la
vie sociale, certes masculine. La
consommation presque sacrée du vin
nécessite une vaisselle particulière. Il faut des
amphores pour son transport, des hydries pour
l’eau, des cratères à vastes ouvertures pour le
mélange des deux, le vin étant alors une sorte
de sirop qu’il faut diluer. Il y a toutes sortes de
récipients à boire, comme les rhytons en forme
de corne ou de tête d’animal, ou les coupes,
de forme si appréciée des Grecs qu’ils
racontent que le potier, son inventeur, l’a
moulée sur le sein de sa bien-aimée.

Tous ces objets sont décorés de scènes
mythologiques, religieuses ou même érotiques.
On peut imaginer que le décor au fond des
coupes contribue au plaisir de la vider, comme
pour le saké servi dans les restaurants
asiatiques aujourd’hui. Parmi ces motifs, la
Gorgone dont l’œil pétrifie, reste très populaire
tout au long de l’Antiquité grecque. Selon les
époques, on parle de vaisselle à figures noires
ou rouges. D’abord les personnages sont
présentés de profil avec l’œil dessiné de face,
les hommes peints en rouge et les femmes en
blanc. À partir de - 600, l’œil aussi est de
profil, les corps de trois quarts, les détails
deviennent plus réalistes. Certains artistes
inventent l’ombre pour donner du relief.

Le siècle suivant est considéré comme
l’apogée, le grand siècle, de la peinture
grecque, plus particulièrement en Attique.
L’histoire retient les noms de Polygnote de
Thasos, Micon, Panaenos, Pauson et Apollodore
d’Athènes. Le grand bâtiment public de
Delphes, la Lesché, est décoré de fresques par
Polygnote. Elles sont célèbres durant toute
l’Antiquité, par leur représentation de la prise
de Troie et de la descente d’Ulysse aux Enfers.
Ce que l’on connaît de la peinture grecque
vient surtout d’érudits comme Pline l’Ancien ou
Pausanias, l’inventeur du guide de voyage, qui
racontent des anecdotes sur Apelle et Zeuxis,
les peintres les plus célèbres.

En premier Apelle
Apelle est le peintre le plus connu de l’Antiquité. Il
œuvre surtout autour de - 350. Alexandre le Grand ne
voulait pas d’autre portraitiste que lui.
Malheureusement, il n’est rien resté de son œuvre. On
n’en connaît que certains titres comme Vénus
Anadyomène, Les Trois Grâces, Alexandre tenant un
foudre, Alexandre entre Castor et Pollux, Artémis avec
un chœur de jeunes filles, Hercule. L’artiste est connu
pour avoir inventé un genre : l’allégorie, une forme
picturale où chaque élément peint développe une
idée. Par exemple, un oiseau désigne la liberté.

Forcer le trait

On peut même faire remonter jusqu’à lui, le peintre


Apelle, l’invention de la peinture abstraite. Lorsqu’il
rend visite au peintre Protogène, dans l’île de Rhodes,
ce dernier est absent. Comme une vieille esclave
s’informe du nom du visiteur, Apelle saisit un pinceau
et trace en diagonale un trait d’une grande finesse sur
un grand tableau encore non peint. À son retour,
Protogène voit ce trait et reconnaît qu’une seule main
est capable d’une telle prouesse. Il prend alors un
pinceau, et trace sur le trait d’Apelle un autre, d’une
autre couleur, si fin que la couleur du dessous
déborde de part et d’autre. Puis il sort en disant à la
vieille femme que si l’étranger passe à nouveau,
qu’elle lui montre ce second trait en lui disant : « Voilà
celui que vous êtes venu voir ! »

Apelle passe à nouveau. Tout de même surpris de voir
ce que Protogène a réussi, il reprend un pinceau et
trace un troisième trait au milieu des deux autres, ne
laissant plus de place pour une autre tentative !
Protogène s’avoue vaincu, reconnaît la virtuosité
d’Apelle et court le chercher au port de Rhodes. Ce
tableau, digne de Mondrian 2000 ans avant, est
quelque temps la propriété de Néron, avant de
disparaître dans l’incendie de Rome.

Sandale et scandale
Apelle a l’habitude d’exposer ses tableaux à
l’extérieur, à la vue de tous. Dissimulé un peu à
l’écart, il écoute les critiques du public. Dans un de
ses tableaux, il commet la maladresse d’omettre une
courroie à l’intérieur d’une sandale. Passant par là, un
cordonnier en fait la remarque. Le lendemain l’erreur
est réparée. Très fier, notre cordonnier se met alors à
critiquer la façon dont Apelle peint la jambe. Pas
content du tout, l’artiste s’écrie : « Cordonnier, pas
plus haut que la chaussure », c’est-à-dire « Ne te mêle
que de ce que tu connais. »

Apelle ne se gêne pas non plus de dire ce qu’il pense
à Alexandre le Grand, pourtant susceptible. À l’origine
d’un décret interdisant à tout autre peintre de le
portraiturer, le conquérant vient souvent voir son
artiste favori. Un beau jour qu’Alexandre le Grand
parle beaucoup de peinture et montre surtout qu’il n’y
connaît pas grand-chose, Apelle lui signale qu’il fait
beaucoup rire de lui les jeunes garçons qui préparent
les couleurs. Le génie permet beaucoup d’audace…

Tiens, voilà du raisin !


Vers - 400 naît un autre peintre, Zeuxis, qui fut élève
d’Apollodore et que les Anciens considèrent comme
l’inventeur de la perspective et du clair-obscur. Pour
prouver sa supériorité sur son maître, Zeuxis fait un
tableau d’athlète où il met tout son art et, en dessous,
cette inscription : « On le critiquera plus facilement
qu’on ne l’imitera. » Les artistes grecs ont déjà des
excentricités bien proches de celles de certains de nos
contemporains…

Zeuxis a en effet un petit côté Dalí (voir Chapitre 19).
À Olympie, il arbore sur son manteau des écussons
avec son nom brodé en lettres d’or. Puis – et c’est une
mégalomanie assez ahurissante, ou un sens dalien de
la publicité – il décide de ne plus mettre en vente ses
œuvres mais tout simplement de les donner. Car il
considère qu’aucun prix n’est assez élevé pour payer
son talent !

La légende rapporte qu’un matin il peint des raisins


dans une corbeille de façon si réaliste que les oiseaux
essaient de manger les fruits. On raconte qu’il fait
ensuite un enfant portant des raisins. Les oiseaux se
précipitent à nouveau, mais Zeuxis est furieux, car les
oiseaux auraient dû avoir peur du garçon…

Tant d’histoires courent sur des représentations si
réalistes que le spectateur s’y laisse prendre qu’à un
moment il faut bien admettre tout simplement la
logique du trompe-l’œil poussée jusqu’au paradoxe.
On devine en réalité dans cette histoire des raisins
une plaisanterie d’atelier que Pline aurait retranscrite
sérieusement.
Chapitre 5

À Rome, des goûts et des


couleurs : l’art étrusque et
romain

Dans ce chapitre :
Étrusques, stucs et trucs
L’invention de la voûte
Des toges mises en plis
Des trompe-l’œil

Dans l’Antiquité, il n’est pas rare que les villes


grecques fondent des colonies dans la partie
occidentale de la Méditerranée. Ainsi Phocée fonde-t-il
Marseille vers - 600. Quel amateur de football n’a
jamais entendu un présentateur parler des Phocéens
pour désigner les Marseillais ? L’Italie du Sud, quant à
elle, devient même la Grande Grèce vers - 700.
Aujourd’hui sur les lieux de l’ancienne ville grecque
Sybaris, sur le golfe de Tarente, la vie est si
voluptueuse que l’on nomme encore Sybarites les
veinards qui y sont en vacances toute l’année. La
Grèce antique est également en relation directe avec
l’Étrurie, qui correspond à peu près à l’actuelle
Toscane. Les Étrusques fondent à leur tour des
colonies, dont la plus célèbre est Rome.
Retour à l’Étrurie

Les rites de fondation de Rome, vers - 753, et ses


premiers princes sont étrusques. Un membre de la
famille royale de Corinthe, réfugié à Tarquinia, en
Étrurie méridionale, serait à l’origine de la dynastie
des Tarquins qui règna à Rome. La ville étrusque de
Caere, elle, a bâti un temple où sont exposées les
offrandes au dieu grec Apollon pythien. Ces deux
exemples prouvent bien que les Étrusques sont dans
la sphère d’influence grecque. C’est donc par le filtre
étrusque que l’art romain reçoit l’héritage de la Grèce.
Au final, la civilisation étrusque a fusionné avec la
civilisation romaine.

Des lettres à déchiffrer


Nous savons lire la langue étrusque mais nous
ne la comprenons pas. L’alphabet, qui a évolué
au cours des temps, est inspiré du grec ancien.
Nous devinons le sens des épitaphes « Ci-gît…
âgé de… » car ce n’est pas un genre littéraire
très innovant, mais nous avons quelques
textes un peu longs dont le sens nous
échappe : une borne, un livre sacré transformé
en bandelettes pour une momie égyptienne
(eh oui ! le recyclage ne date pas d’hier).

On oublie cependant trop souvent que nombre
de mots étrusques sont passés au français par
l’intermédiaire du latin, comme « fenêtre ».
Même un mot latin comme mundus, devenu
« monde » en français, est un mot étrusque. À
Rome, il désigne un puits à l’ouverture puante
censé être une ouverture de l’enfer. Pour les
amateurs de mots savants, ça s’appelle une
synecdoque, c’est-à-dire qui prend la partie
pour le tout. C’est dire par exemple « le mât
s’avançait jusqu’au port » pour évoquer
l’arrivée d’un navire. Et pour en revenir à
mundus, considérer le monde entier comme un
trou puant conduisant à l’enfer est tout de
même une sacrée figure de style !

Notons que tout le vocabulaire de la religion
provient de l’étrusque. Le panthéon latin tire
ses racines de la péninsule et ce n’est que plus
tard qu’il est assimilé au panthéon grec. Le
dieu étrusque Ani devient ainsi Janus à Rome
et donne son nom au mois de janvier.

Dans le domaine de l’art, l’ami d’Auguste,
Mécène, est étrusque. Son nom est devenu
synonyme de protecteur généreux des arts. Il
est aussi probable que l’Énéide de Virgile doit
certains traits à l’origine toscane de son
auteur. Maro, son nom de famille, est d’origine
étrusque, comme la plupart des noms des
personnages du chant virgilien.

Ils n’ont pas inventé la poutre :


l’architecture étrusque
Les plus anciennes constructions étrusques sont les
murailles des villes. Alors qu’en Grèce les pierres sont
toujours vues dans toute leur longueur, en Étrurie la
disposition varie. Les blocs sont disposés selon les
rangées dans le sens de la longueur ou dans celui de
la largeur. De face, on voit donc successivement des
blocs en rectangles et des carrés.

L’architecture, au fond, c’est tout simplement une


histoire de colonnes inspirées des troncs d’arbres et
de matériaux de couverture. On peut dire en effet que
jusqu’à l’époque romaine, l’architecture consiste en
des poutres à plat et des colonnes.

Les travaux de drainage et d’assainissement sont à


l’origine de la voûte, plus exactement de la voûte
appareillée. C’est-à-dire que le linteau à plat, une
poutre de pierre qui va d’une colonne à l’autre, est
remplacé par des pierres taillées de telle façon que,
placées les unes à côté des autres, elles demeurent
suspendues par l’effet de la pesanteur, décrivant un
arc de cercle, le tout sans ciment ! La voûte, c’est
comme le célèbre dessert tiramisu : il suffit
d’entasser. Il faut simplement faire dépasser le bord
des pierres qu’on empile. Celles-ci sont donc en saillie
les unes par rapport aux autres et les parois se
rapprochent jusqu’à se toucher en haut. On peut
ensuite rogner le bord des pierres.

La technique sert à lancer des ponts, à bâtir des
portes de ville ou à construire des souterrains. Le plus
connu des souterrains étrusco-romains reste… un
égout, le Cloaca Maxima, à Rome, où selon Pline on
peut faire passer un chariot rempli de foin !

Dans le plus simple appareil


L’architecture funéraire étrusque frappe également
l’imagination. En Étrurie se retrouve le même genre
de tombes qu’en Asie Mineure, où des façades de
tombeaux taillés dans la roche évoquent une
influence orientale.

Unité de façade
À Norchia, les façades des tombeaux sont inspirées de
l’architecture grecque. Les tombes sont
abondamment décorées et légendées. La partie
souterraine, creusée dans le roc ou bien maçonnée,
est constituée d’une ou de plusieurs chambres. Celles-
ci sont sobres, avec une banquette de pierre courant
le long des parois. La décoration est constituée de
pilastres, ces colonnes plates à demi enfoncées dans
le mur, et de frises. Elles offrent des peintures
remarquables, certaines tirées des mythes ou des
récits homériques, quand d’autres sont plus
prosaïques, comme des scènes de la vie courante (la
chasse, la table, les funérailles) d’un style pur et
élégant. Une autre facette du génie étrusque est plus
sombre et montre un réalisme inconnu des Grecs,
telle une scène de sacrifice humain.

La voie des urnes

Les bâtiments étrusques construits dans des


matériaux périssables ont disparu, mais nous ont tout
de même laissé de nombreuses antéfixes, ces
éléments en terre cuite polychrome qui servent de
protection et de camouflage au bord des rangées des
tuiles convexes, celles que nous appelons
« romaines ».

Les urnes funéraires sont des modèles réduits des
temples, probablement en bois, avec des colonnes en
pierre. Les conséquences techniques en sont que les
colonnes sont plus espacées, puisque la portée d’une
poutre en bois est supérieure à la portée d’une
architrave (poutre) de marbre. Comme la charpente
n’aurait pu supporter des frontons de marbre, les
statues sont donc en terre cuite, plus légère. Les
ordres sont cependant ceux de la Grèce (dorique,
ionique et corinthien), auquel s’en ajoute un autre,
plus sobre, appelé ordre toscan.

Un certain sens pratique : l’architecture


romaine

Le côté pratique est un aspect fondamental de la


culture romaine. Ainsi les Romains substituent-ils la
voûte aux poutres de pierre ou de bois. Ils étendent à
l’art ce procédé réservé à la voirie. Ils utilisent
principalement trois types de voûte :
en berceau, pour les couloirs par exemple ;
en arête, c’est-à-dire deux voûtes qui se coupent à angle
droit, qui servent à édifier des salles carrées ;
en hémisphère, c’est-à-dire en dôme, pour des salles rondes.
Ces voûtes sont conçues à partir d’un arc qui dessine
un demi-cercle dit arc en plein cintre.

L’horreur du vide
Les Romains bâtissent dans tous les pays conquis des
théâtres et des amphithéâtres, des thermes et des
prétoires, des hippodromes et des basiliques. C’est si
bon de se sentir chez soi, surtout à l’étranger !
Comme dans les bains publics, les thermes, ou
hammam si vous préférez, l’architecte utilise tous les
espaces vides et vraiment rien ne manque d’un point
de vue pratique : quel sens du fonctionnel !

Ça marche pour la plate-bande !
L’emploi de la voûte conduit à renforcer les piliers de
côté. Avec une poutre à plat, la poussée s’exerce
verticalement et la colonne est clouée sur place. La
portée des poutres, toujours limitée, détermine la
superficie du monument. Jusqu’alors, dès que l’on
veut édifier un bâtiment important, il faut bâtir une
forêt de colonnes comme à Karnak, en Égypte.
L’utilisation de la voûte permet à l’architecte romain
d’échapper à cette obligation. S’il a une vaste surface
à couvrir, il peut disposer des points d’appui
judicieusement répartis grâce à ses arcades. La
poussée s’exerce alors sur les parois, dont la masse
doit être suffisante pour résister. Ainsi, par exemple,
les murs du Panthéon à Rome ont 5 mètres
d’épaisseur ! En soutien intervient également la plate-
bande, la poutre qui repose sur deux colonnes. Cette
utilisation n’autorise enfin qu’une forme rectangulaire,
comme dans les temples grecs.

Tourner en rond
Longtemps, on a conservé avec vénération sur
le Palatin une hutte ronde, la cabane de
Romulus, le fondateur mythique de Rome. La
plus ancienne des divinités italiques, Vesta, la
vénérée et protectrice déesse de Rome, a
aussi un temple de forme arrondie. Cette
prédilection pour cette forme se retrouve dans
les constructions architecturales romaines. Il y
a toujours au moins une partie du bâtiment qui
est arrondie, que ce soit dans les
amphithéâtres, le sanctuaire de Vesta, le
mausolée de l’empereur Hadrien (que les
Modernes nomment le château Saint-Ange), le
Panthéon, imposant et impressionnant par son
dôme.

La civilisation romaine a laissé nombre de
monuments : des temples comme la Maison
carrée à Nîmes (voir Figure 9), des théâtres
comme celui d’Autun, des amphithéâtres
comme le Colisée (voir Figure 8). Les théâtres
sont en demi-cercle, et les amphithéâtres sont
ronds, servant à montrer les combats de
gladiateurs.

Opérer à chaux
Une des particularités de l’architecture romaine est le
célèbre mortier romain constitué de chaux mélangée
à du sable et des cendres volcaniques (dites
pouzzolanes), des pierres ponces ou des briques
pilées. Les particularités techniques de ce matériau,
apte à se consolider dans l’eau et bien adapté à la
construction des citernes et des aqueducs, ont
maintenu certains monuments en état jusqu’à nos
jours, comme le pont du Gard. Les Parisiens peuvent,
eux, visiter les thermes de l’empereur Julien
incorporés dans le musée de Cluny qui ont résisté aux
siècles et aux pots d’échappement.

Quatre variétés d’opus

On classe en quatre types principaux les appareils


architecturaux romains, selon les aspects différents de
leur maçonnerie. De façon chronologique :
l’opus incertum : les pierres sont mises de façon irrégulière ;
l’opus reticulatum : les pierres sont rangées en forme de filet,
ce réticule que nos grands-mères portaient au bal ;
l’opus lateritium, utilisé durant l’Empire : la maçonnerie est
formée de briques plus longues, plus larges et moins épaisses
que les briques actuelles. À la fin, la brique est dissimulée, les
murs sont recouverts d’une couche de stuc (un enduit
composé de plâtre, de blanc d’œuf, de colle et de poussière de
marbre), de peintures ou de plaques de marbre.
l’opus mixtum qui mêle lits de brique et de pierre.

L’architecture triomphale
Les ordres grecs dorique et ionique ont leur variante
romaine. Le chapiteau corinthien reçoit quant à lui
une décoration encore plus foisonnante, à tel point
que l’on parlera d’ordre composite. Rome veut-elle
ainsi se faire pardonner d’avoir rasé Corinthe ? La
notion d’ordre architectural entendue de la façon
grecque comme une harmonie de proportions est en
revanche abandonnée. De plus, à Rome, la colonne
n’est plus un soutien nécessaire comme en Grèce ou
en Étrurie. Du fait de la voûte, elle devient en effet
juste un élément de décoration.

Dans l’histoire de l’architecture occidentale, le Colisée


(voir Figure 8), en faisant se succéder sur trois
niveaux les ordres classiques grecs, a une énorme
influence sur toute l’architecture classique, jusqu’au
XXe siècle.

La colonne change de statut
Selon ce modèle, les dimensions de tous les ordres
sont les mêmes. Au besoin, si l’architecte a besoin
d’un étage supplémentaire, il ajoute des pilastres, ces
colonnes à demi insérées dans le mur. Les colonnes
ne sont donc plus qu’accessoires et décoratives. Ce
sont en effet les arcades du Colisée qui portent le
bâtiment.

Les Romains détachent d’autres éléments de
l’architecture grecque pour les plaquer sur leurs
propres constructions, sans que cela soit toujours
judicieux il faut bien l’avouer. Au Panthéon, par
exemple, on a copié un portique grec bien rectiligne
qu’on a accolé à un bâtiment romain bien rond. Le
résultat est surprenant… Et comment faire oublier,
par ailleurs, l’évidente inutilité de la colonne qui ne
porte plus rien ? En imaginant tout de même de lui
faire porter quelque chose ! L’architecte romain
invente le ressaut, une pierre en saillie sur laquelle on
place une statue.

Bataille navale
La colonne trouve également un nouvel usage en tant
que monument commémoratif. La plus ancienne à
Rome rappelle la victoire navale remportée sur les
Carthaginois en - 260. Elle est ornée des rostres pris à
l’ennemi, c’est-à-dire des éperons des navires qui se
trouvent à la proue. La ville de Saint-Pétersbourg
arbore deux colonnes qui en sont des reconstitutions.
À Paris, les lampadaires de la place de la Concorde en
sont également un rappel. La colonne Vendôme est,
elle, inspirée de la colonne Trajane, toujours debout,
érigée pour célébrer la victoire de l’empereur Trajan
sur les Daces, peuple de l’actuelle Roumanie.
Composée de 34 tambours de marbre blanc évidés,
elle s’élève à 40 mètres de hauteur.

Porter en triomphe
Comme les Romains sont un peuple conquérant et
guerrier, ils développent une architecture triomphale,
c’est-à-dire qu’ils érigent des monuments pour
commémorer les grandes victoires. Outre la colonne,
ce sont des trophées comme à La Turbie dans les
Alpes, ou des arcs de triomphe comme celui de
l’empereur Constantin à Rome.

Dans un premier temps, sous la République, les
décorations qui accueillent le général vainqueur sont
éphémères. À partir d’Auguste, ces arcades, que l’on
flanque peu à peu de deux autres plus petites, sont
construites en dur et se répandent dans tout
l’Empire : c’est l’arc de triomphe.

En bons thermes
La civilisation romaine est aussi celle de l’eau : les
thermes, ou bains publics, sont un élément
indispensable de la vie de la cité romaine. Pour y
conduire l’eau, les ingénieurs réalisent des exploits
techniques, comme le pont du Gard, et inventent de
savants systèmes de siphons.

Autre bâtiment dont le rôle est important, la basilique
tient lieu de bourse, de palais de justice et de
promenade couverte. C’est un grand bâtiment
rectangulaire, entouré de murs. Le tribunal siège dans
l’abside, l’extrémité en demi-cercle du bâtiment. C’est
le plan que les chrétiens du Moyen Âge reprendront
pour leurs lieux de culte.

Prendre le pli : la sculpture étrusque et


romaine
L’Apollon de Véies, élégant, souple et majestueux, au
sourire joyeux, est une des œuvres les plus
intéressantes de l’Antiquité. Elle prouve que les
Étrusques ne sont pas seulement les élèves des Grecs
et qu’ils sont eux aussi des maîtres. Les œuvres
étrusques peuvent être d’une étonnante modernité,
comme cette Aphrodite longiligne du Louvre
annonçant le sculpteur du XXe siècle Giacometti.

Le couvercle du sarcophage des époux (voir Figure 7)
provenant de Caere présentant deux personnages
allongés comme à un banquet nous indique que la
femme étrusque avait un statut privilégié dans le
monde antique très masculin. Ce sont des œuvres en
terre cuite, mais les Étrusques ont aussi la réputation
d’être les meilleurs fondeurs de bronze du monde.
Leur art ne subsiste pourtant plus guère qu’au travers
d’ustensiles domestiques comme des objets de
toilette ou des miroirs. Cependant, comme réussites
particulières qui nous sont parvenues, il faut noter la
statue grandeur nature dite de l’Orateur (Ier siècle), la
Chimère d’Arezzo (Ve-VI e siècles avant J.-C.) et la
célèbre Louve du Capitole (vers - 500), symbole de la
fondation de Rome, avec ses jumeaux Romulus et
Remus ajoutés à la Renaissance.

Le meilleur de l’Épire
La sculpture est d’abord un complément de
l’architecture : c’est une habitude que de charger les
monuments de bas-reliefs historiés. Ainsi, les 114
scènes de la colonne Trajane se déroulent en spirale.
Les scènes représentées sont souvent éloignées du
premier plan. En effet, les Romains utilisent une
convention simple : les personnages éloignés sont un
peu plus petits que ceux du premier plan et placés
dans la partie supérieure du cadre.

L’inconnu est au coin de la rue

Du IVe au IIe siècle avant J.-C., les Romains prennent


l’habitude de dresser des statues de pierre
honorifiques. Comme pour les rues de nos grandes
villes, on se demande parfois qui sont ces inconnus !
Caton se moque de cette habitude et refuse cet
honneur. Ces statues sont d’abord l’œuvre de
sculpteurs grecs. On peut penser que les artistes
grecs qui allaient dans un coin perdu comme Rome (à
l’époque, Rome n’est en effet que cela) ne devaient
pas être les meilleurs. Tout change après les guerres
contre la Grande Grèce et la Macédoine. Après la
campagne d’Épire (dans le nord de la Grèce) en - 187,
Fulvius Nobilior fait figurer à son triomphe 285 statues
de bronze et 230 statues de marbre, pas moins !
Devant l’afflux des commandes, Rome devient alors le
centre d’activité des sculpteurs grecs.

Un sport export

La belle sculpture romaine est en effet… grecque.


Mais comme les œuvres sont faites à Rome pour des
Romains, elles reçoivent un intitulé romain, par
exemple le Gladiateur combattant qu’on peut voir au
Louvre. D’ailleurs, ce n’est pas un gladiateur mais
plutôt un athlète pratiquant la « course armée », une
course avec un lourd bouclier. C’est une copie d’un
original en bronze, comme le montre le tronc d’arbre
qui sert d’appui à la jambe de l’homme. Inutile dans
une sculpture de marbre, ce tronc est un support
important pour une œuvre en bronze.

Deux autres chefs-d’œuvre grecs sont faits à Rome :
le Torse du Belvédère, représentant Hercule et signé
« Apollonios, fils de Nestor Athénien » et la Vénus de
Médicis, œuvre de Cléoménès à l’époque de
l’empereur Auguste.

Se payer sa tête : l’invention du portrait


Resté secondaire chez les Grecs, le portrait est la
sculpture romaine par excellence. L’origine de ce
phénomène tient à cette coutume qu’ont les riches
familles de faire paraître aux funérailles un acteur
revêtu des habits du défunt et portant un masque de
cire à sa ressemblance, parfois un masque mortuaire.
La vanité des familles aidant, ces masques deviennent
permanents, en pierre. Puis ce sont carrément des
statues en pied qui, à l’époque de César, pullulent sur
le Forum, la grande place de Rome, centre intellectuel
et politique. Sous l’Empire, chaque fois qu’il y a un
nouvel empereur, toutes les villes veulent son portrait
et celui de toute sa famille. Comme le marché est
immense, les ateliers pratiquent alors même le
préfabriqué : les corps sont faits à l’avance, il suffit
juste de rajouter une tête.

C’est très Commode
On peut distinguer deux catégories de portraits : les
portraits idéalisés et les portraits ordinaires. Dans les
idéalisés, il peut y avoir des statues en pied ou en
buste. Le personnage garde ses traits, mais se tient
dans la posture d’un héros nu, comme Achille par
exemple. Dans cette catégorie, on trouve les statues
d’empereurs ou d’impératrices, avec des attributs de
dieux, ou encore les très beaux portraits d’Antinoüs, le
favori d’Hadrien, représenté en Bacchus, en Apollon
et, pour qu’il n’y ait aucun doute, en Ganymède,
l’échanson des dieux dont Jupiter est amoureux. Parmi
les bustes idéalisés, il faut retenir également celui de
l’empereur Commode, le méchant du film Gladiator,
représenté en Hercule avec la peau d’un lion sur la
tête.

Je vous en pli !
Les portraits ordinaires, eux, montrent l’individu dans
sa vie ou dans l’exercice de ses fonctions, en toge ou
en armure. Les meilleurs datent des premiers temps
de l’Empire où, la mode n’étant pas à la barbe, les
artistes donnent le meilleur de leur talent dans
l’expression. Certaines statues sont réalisées dans des
marbres de couleurs différentes donnant une
polychromie naturelle. Les sculpteurs romains se
surpassent dans le rendu des drapés. Pour
comprendre ce goût, il faut se souvenir de
l’importance que la mode accordait au jeu des plis
dans le vêtement. L’écrivain romain Macrobe raconte
même que l’orateur Hortensius aurait voulu intenter
un procès à quelqu’un qui avait défait les plis de sa
toge maintenus par des nœuds cachés, en le
bousculant par mégarde.

La peinture… en trompe-l’œil !

Expression typiquement romaine, la mosaïque est


utilisée sur les revêtements comme sur les
pavements. Elle est constituée de petits carreaux qui,
par leur assemblage, produisent des œuvres de
multiples dimensions, proches de la sculpture et
semblables à la peinture.

Cependant, après les guerres puniques (de - 264 à -
146), Rome étend ses conquêtes militaires au monde
grec. Les triomphes romains amènent à Rome et les
œuvres et les artistes, comme prises de guerre. Dans
l’esprit romain, il y a un petit côté « parvenu »,
« collectionneur nouveau riche » plus intéressé par les
placements que par la beauté intrinsèque d’une
œuvre.

Vente aux enchères


Au cours du IIe siècle avant notre ère, la Grèce
et la Macédoine croient Rome trop occupée
avec Carthage pour continuer de les tenir sous
son joug et décident de se révolter à leur tour.
Quand Mummius les vainc en - 146, beaucoup
d’œuvres affluent à Rome, en particulier après
le pillage et la destruction de Corinthe. Pour
vendre son butin, il fait des lots et le roi Attale
de Pergame donne 600000 sesterces d’un
tableau d’Aristide représentant Bacchus.

Effaré de l’importance de la somme, le Romain
soupçonne qu’il y a dans ce tableau quelque
chose qui lui échappe. Du coup, malgré toutes
les plaintes d’Attale, selon le principe « si on
m’en propose autant, c’est que ça vaut bien
plus », il le garde et le dépose dans le temple
de Cérès. C’est le premier tableau étranger
rendu public à Rome. « La Grèce vaincue a
vaincu son fier vainqueur », dira le poète
Horace à propos de cette anecdote.
Un talent qui se monnaye
Nous savons par la littérature latine que les premiers
peintres ayant exercé à Rome sont des artistes grecs.
Quand ils ne sont pas prisonniers, ils y sont attirés par
l’argent. Et même si la monnaie romaine se nomme
« talent », ne voyez pas là l’origine de l’utilisation du
mot talent pour désigner les qualités d’un artiste !

Le premier peintre romain connu s’appelle Fabius, dit
Pictor (peintre en latin). Il a décoré en - 304 le temple
du Salut, rasé depuis. Remarquons que plusieurs
peintres romains réputés sont d’extraction illustre,
comme Turpilius qui est de la classe équestre, la
haute société plutôt à cheval sur les principes. On
peut penser que la mode étant à la Grèce, ils se sont
mis à cet art grec comme ils parlaient grec, en
intégrant des thématiques comme la guerre de Troie
par exemple.

Reportages de guerre

La peinture qui a le plus de succès auprès des


Romains est celle qui chatouille agréablement leur
vanité de conquérants du monde. On l’appellera plus
tard la peinture d’Histoire et elle sera le genre le plus
noble. Marcus Valerius Maximus bat en 265 en Sicile
les Carthaginois. Il montre au peuple romain un
tableau qui représente sa victoire. De la peinture
comme reportage de guerre !

Premier Romain à avoir pénétré dans Carthage lors de
l’assaut final, Mancinus exhibe sur le Forum un
tableau représentant la chute de la ville. Les
commentaires plusieurs fois répétés qu’il fait lors de la
présentation lui vaudront et la faveur des électeurs et
le poste de consul. Déjà de la peinture de
propagande !

Éros à vendre
Vers - 100, aux jeux donnés par Claudius Pulcher, le
public peut admirer un décor peint. Pline, selon cet
amour des Anciens pour la peinture criante de vérité,
raconte que les corbeaux sont trompés par la partie
qui représente des tuiles et veulent s’y poser.

Sous Auguste, le décor se perfectionne, avec ces
perspectives que l’on connaît bien grâce aux
peintures de Pompéi et d’Herculanum. Entre des
colonnades d’ordres divers, l’œil aperçoit des
architectures urbaines, des paysages à la fraîcheur
bucolique. C’est le règne de la peinture de genre :
nous voyons des Amours gambader partout. Non sans
humour, une scène montre une marchande vendant
des Éros mis en cage comme des oiseaux chanteurs,
thème qui aura du succès dans les siècles futurs.

Une peinture délavée

Grâce au Vésuve qui a enseveli certaines villes, nous


avons une idée précise de la peinture de chevalet
romaine. La lave du volcan a en effet préservé les
œuvres jusqu’aux fouilles archéologiques du XVIIIe
siècle. Leur redécouverte donna naissance à la
peinture moderne à travers le courant néoclassique
(voir Chapitre 13).

Les Mystères révélés
Certaines des peintures murales s’inspirent des chefs-
d’œuvre des maîtres grecs. D’autres adoptent une
vision plus personnelle : le portrait donne lieu à de
belles réussites, comme celui de cette jolie aristocrate
romaine cultivée, toute rêveuse à la recherche d’un
vers, tenant son calame devant ses lèvres, dit Portrait
de Sappho. Ces portraits peuvent aussi être peints en
frontispice aux livres-rouleaux. Un recueil d’images
publié par Varron en montre 700 d’hommes illustres. À
Pompéi, la conservation de ses peintures fait de la
célèbre villa des Mystères un symbole de l’Antiquité,
aussi important pour les spécialistes de l’art que pour
les historiens de la religion. Sans nous étendre sur les
différents styles pompéiens, évoquons les trompe-
l’œil, les colonnades décorées de guirlandes et divers
portraits.

Rite d’initiation
Dans l’une des pièces de cette villa des Mystères, un
spectacle surprenant pour la civilisation romaine, le
moins religieux des peuples dit-on souvent : nous
assistons à un rite d’initiation dionysiaque dans une
frise de 3 mètres de haut sur 17 mètres de longueur !
On suppose que la matrone représentée à l’entrée est
la grande prêtresse qui a commandé ces peintures.
Les personnages de la scène ont des traits pris sur le
vif et sont vraisemblablement des portraits.

Pline plaisante à propos d’un peintre de la même
époque nommé Arellius. Cet artiste donne aux
déesses qu’il peint les visages de ses maîtresses, de
sorte que ses tableaux sont plutôt la liste de ses
rendez-vous. Ce qui fait que, là encore, les scènes
religieuses sont l’occasion de portraits bien
ressemblants.
Un dieu pour chaque
occasion
Les Romains ont assimilé leurs principales
divinités aux dieux grecs. Ce tableau simplifie
et donne les fonctions généralement admises
et utiles pour comprendre la culture
européenne à partir de la Renaissance. Le
premier nom est grec, le second romain :
Aphrodite, Vénus : déesse de l’Amour. Son
animal favori est la colombe.
Apollon, Apollon : dieu de la Musique et
des Arts, du Soleil, de la Vérité et de la
Médecine.
Arès, Mars : dieu de la Guerre.
Artémis, Diane : déesse de la Chasse et de
la Lune.
Athéna, Minerve : déesse guerrière mais
aussi de la Sagesse. Son animal est la
chouette, parce qu’elle prend son envol dans
les ténèbres.
Déméter, Cérès : déesse des Moissons et
de la Fécondité. Elle préside aux mystères
d’Éleusis. Sa fille, Perséphone ou Proserpine,
est enlevée par le suivant.
Hadès, Pluton : dieu des Enfers.
Héphaïstos, Vulcain : dieu du Feu et des
Métaux. De son nom latin vient le mot
« volcan »
Héra, Junon : épouse de Zeus, déesse du
Mariage et protectrice des épouses légitimes.
On la montre toujours en train de pourchasser
les maîtresses de son mari infidèle. Son animal
est le paon.
Hermès, Mercure : divinité complexe, dieu
du Commerce et des Voleurs (y aurait-il un
rapport ?), inventeur de la musique, de
l’écriture et de la magie, tous domaines ardus,
dieu conducteur des âmes vers les Enfers et
messager des dieux, protecteur des
intersections. Protecteur des bergers, il est
souvent représenté avec un agneau sur
l’épaule (ce qui rappelle une autre religion).
Hestia, Vesta : déesse du Foyer. Un clergé
particulier lui était consacré à Rome, les
vestales, choisies parmi les filles des
meilleures familles de la ville. Elles devaient
entretenir à Rome un feu sacré qu’elles ne
devaient jamais laisser s’éteindre, sous peine
de mort.
Poséidon, Neptune : dieu de la Mer.
L’animal qui lui est consacré est le cheval.
Zeus, Jupiter : le plus grand des dieux. En
grec le « th » se prononce « Z ». Sous la forme
Theos, son nom est passé en français pour
créer les mots de la famille de « théologie »,
l’étude de Dieu.
Deuxième partie

Du sourire de l’ange à celui


de la Joconde : le Moyen
Âge et la Renaissance

Dans cette partie…



Les barbares ont-ils tout emporté sur leur passage ?
Heureusement, non ! Dans l’Occident médiéval subsistent
encore quelques îlots où l’héritage de l’Antiquité est
soigneusement préservé. Cocorico ! Les religieux français sont à
l’origine des deux arts médiévaux, le roman et le gothique,
traduits essentiellement dans les églises et cathédrales qui
surgissent alors un peu partout en Europe. Mais la Renaissance
se profile déjà à l’horizon, qui veut faire table rase du Moyen
Âge pour retrouver toute la splendeur de l’Antiquité gréco-
romaine.
Chapitre 6

Suivez la flèche : l’art


roman

Dans ce chapitre :
Des arcs et des flèches
Le roman étranger
Tout pour réaliser une fresque

En 313, l’empereur romain Constantin Ier garantit aux


chrétiens la liberté de culte par les édits de Milan
avant que Théodose Ier ne fasse du christianisme la
religion d’État en 380. Cette date charnière
correspond à l’essor de l’imagerie chrétienne qui
s’affranchit progressivement des modèles antiques
durant le Moyen Âge pour donner naissance à un art
spécifique qui se développe en France et en Europe
entre les IXe et XIIe siècles : l’art roman.

Un roman passionnant : l’architecture


Dans une certaine mesure, l’art roman est le dernier
jalon de la tradition antique :
il emprunte aux Romains l’usage de la colonne à
chapiteau et de l’arc en plein cintre ;
le plan des édifices s’inscrit dans la tradition des
basiliques paléochrétiennes (c’est-à-dire des
premiers chrétiens) d’Italie et de Rome.

S’ils en conservent certaines caractéristiques, les


sanctuaires romans se distinguent néanmoins à
maints égards de leurs prédécesseurs. Ainsi le plafond
en bois qui couvrait la nef des édifices paléochrétiens
est-il remplacé par une voûte de pierre. Construite
tout en longueur et soutenue par des piliers, la nef
principale est coupée perpendiculairement par une
nef plus petite, appelée le transept. Cette nef
transversale donne à l’édifice une forme de croix qui
rappelle la crucifixion du Christ.

C’est Byzance !
Né, comme son nom l’indique, à Byzance, l’art
byzantin s’étale sur une période qui dure de
330 à 1204 (date de la prise de Constantinople
par les croisés). Caractérisé, en architecture,
par la suppression de l’entablement (la partie
située au-dessus des colonnes), l’élévation de
coupoles et la décoration des chapiteaux par
des ornements linéaires, il exerce une
profonde influence sur l’art médiéval
occidental.

C’est en 330 que Byzance, rebaptisée
Constantinople en hommage à l’empereur
Constantin, devient la capitale de l’Empire
romain. En 476, le chef germain Odoacre
dépose le dernier empereur d’Occident,
Romulus Augustule, qui, par ironie du sort,
portait le nom du fondateur de Rome, et
envoie les insignes impériaux à Zénon,
empereur d’Orient.

Le rayonnement artistique de la nouvelle
capitale culmine avec le règne de l’empereur
Justinien (527-565). Emblématique de cette
période, la mosaïque de l’empereur et de
l’impératrice Théodora, à Ravenne, en Italie,
figure des personnages impériaux figés,
alignés au premier plan, sans parti pris de
réalisme. En architecture, le plus célèbre
monument de l’art byzantin est la basilique
Sainte-Sophie (532-537), bâtie sous le règne
de Justinien. Construite sur une base carrée,
elle comporte une coupole impressionnante de
33 mètres de diamètre et de 50 mètres de
haut. Mais l’âge d’or de la culture byzantine
s’achève en 1453 avec la prise de Byzance par
les Turcs qui, pour les historiens, marque
également la fin du Moyen Âge.

En voûté, c’est pas sorcier

C’est avec les bénédictins, principaux héritiers de la


culture antique, que s’établit le plan traditionnel des
abbayes romanes : autour d’un cloître bâti au flanc de
l’église et figurant le centre de la vie monastique sont
construits les autres bâtiments administrés par les
moines (ateliers, écoles, maison de l’abbé et des
hôtes, potager, cimetière, etc.). Située à Saint-Gall, en
Suisse alémanique, la première abbaye de ce type
connue remonte aux Carolingiens (VIIIe-X e siècles).

À l’abri derrière leurs épaisses murailles, les moines
conservent pieusement le patrimoine artistique de
l’Antiquité rescapé des invasions barbares. L’art
roman doit ainsi sa diffusion en France et en Europe à
deux ordres majeurs d’origine bourguignonne : l’ordre
de Cluny, fondé en 910, et celui de Cîteaux, fondé en
1098.

Suivez les ordres
Le prestige spirituel et intellectuel de l’ordre de Cluny
l’amène à édifier la plus vaste abbatiale d’Europe :
l’abbaye de Cluny qui rivalise en superficie avec la
basilique papale de Saint-Pierre de Rome. Réformé au
XIIe siècle par l’austère saint Bernard, l’ordre
cistercien n’admet en revanche aucun ornement,
sculpture ou vitrail coloré. Ce souci de rigueur est
poussé jusque dans la forme des églises qui ne
comportent pas d’abside, mais sont construites sur un
plan dit en croix latine, strictement quadrangulaire.

Mais, au-delà de leurs différences, ces religieux
s’accordent sur un point : il serait dangereux pour
l’équilibre d’un édifice de jeter sur la nef une large
voûte en plein cintre. Le poids risquerait de provoquer
l’écroulement de l’édifice. La solution consiste plutôt à
répartir les forces le mieux possible. On réduit alors la
largeur de la nef et on épaissit les murs en limitant les
ouvertures. Ceci explique la semi-obscurité qui règne
souvent dans les édifices romans.

Vers la lumière
Le mur supportant la voûte du sanctuaire roman
repose sur des arcades soutenues par des colonnes
adossées à des piliers, la voûte elle-même étant
renforcée au niveau des piliers par des arcs dits
doubleaux. Afin de d’accroître le volume intérieur et
de faire entrer davantage de lumière, les religieux
remplacent le mur sur arcades par des tribunes
situées au-dessus des collatéraux (les bas-côtés de la
nef). L’éclairage s’effectue par une série de baies
percées dans le mur à intervalles réguliers, comme à
Saint-Rémi de Reims.

À l’extérieur, les murs de l’église sont consolidés par
des contreforts qui neutralisent la poussée de la
voûte. Il arrive aussi que les religieux, toujours
préoccupés par la solidité de l’édifice, fassent la voûte
des bas-côtés presque aussi haute que celle de la nef,
comme à Notre-Dame-la-Grande de Poitiers.

Vers la fin du XIe siècle, certains architectes passent
du plein cintre à l’arc brisé, nouvelle forme importée
d’Orient et annonciatrice du gothique au siècle
suivant, toujours afin de limiter la poussée sur les bas-
côtés – l’abbaye de Cluny est la première à l’employer
en France. La nef centrale et les deux bas-côtés
présentent alors trois portes en façade, celle-ci se
trouvant flanquée de deux tours. Pour faire « riche »,
on ajoute deux autres tours au niveau du transept,
comme à Cluny ou à Saint-Germain-des-Prés.
L’intersection de la nef et du transept est couronnée
d’une tour terminée d’une flèche qui fait office de
clocher – de forme carrée comme à Cluny ou
polygonale comme à Saint-Sernin de Toulouse.

Les caractéristiques de l’architecture romane varient
aussi suivant les régions. Les églises bourguignonnes
de Cluny et de Vézelay se distinguent ainsi par
l’ampleur de leurs proportions. Tandis qu’à Saint-
Martin de Tours, détruite à la Révolution comme
Cluny, on notera par exemple la présence d’un
déambulatoire et de chapelles rayonnantes autour du
chœur.

Querelles de clochers à l’étranger


Un week-end en Normandie ?
Dans le sillage de Guillaume le Conquérant, les
concepteurs des abbayes romanes étendent leur
influence jusqu’en Angleterre. Les abbayes
normandes s’inspirent ainsi du plan bénédictin
ordinaire à absides décroissantes de part et d’autre de
l’abside principale. Mais les Normands privilégient
plutôt la grandeur architecturale au détriment du
décor sculpté. Aussi les façades des églises
normandes sont-elles souvent sobres et surmontées
d’immenses clochers latéraux, comme à Jumièges ou
à Saint-Étienne de Caen.

Outre l’ampleur des proportions, la beauté des églises


normandes réside aussi dans la présentation du mur
divisé en plusieurs niveaux et travées où les supports
se compliquent à plaisir. Difficile toutefois de couvrir
de tels édifices ! On n’y parvient qu’avec la création
d’un nouveau type de voûte : la voûte à croisées
d’ogives qui conduira au gothique.

Voyage en Italie
L’Italie du début du Moyen Âge affiche plusieurs
visages d’architecture :

byzantine à Venise, au nord et dans le


Basilicate ;
arabe au sud, en Campanie, Calabre et Sicile ;
paléochrétienne à Rome et dans le Latium ;
romane partout ailleurs, mais surtout en Toscane
et en Lombardie, avec des particularités locales.

C’est ainsi qu’en Toscane, on dissimule la structure de


briques des édifices sous des marbres éclatants
comme dans l’Antiquité (à San Miniato de Florence
par exemple) et que l’on remplace le clocher par un
campanile disposé à côté de l’église.

À cet égard, avec sa cathédrale (Duomo), son
baptistère, son campanile (Tour penchée) et son
cimetière (Camposanto) séparés les uns des autres,
Pise est assurément le haut lieu du roman italien. Les
arcades superposées de la façade de la cathédrale et
son superbe décor de marbre ont exercé leur
influence jusqu’au sud du pays. Les belles églises de
Lombardie à Milan, Come, Pavie et Modène assurent
ainsi à leur époque la réputation des architectes
italiens en Europe.

Les pèlerins ont-ils le bourdon ?
Le nord de l’Espagne, resté aux mains des chrétiens
après la conquête arabe du VIIIe siècle, se partage
entre l’art mozarabe (c’est-à-dire des chrétiens ayant
reçu des influences arabes) et la tradition romane
venue de France et d’Italie. Le monastère clunisien de
San Juan de la Pena, en Aragon, est le plus ancien du
genre dans la péninsule (IXe-X e siècles). La cathédrale
de Compostelle (Galice) reproduit aussi fidèlement le
plan et l’élévation des églises françaises : transept
très marqué, déambulatoire et chapelles rayonnantes,
portails ornementés.
Un coup d’œil au
tympan : la sculpture
romane
La beauté des édifices romans réside souvent
dans la finesse et la richesse de la décoration
de leurs chapiteaux et de leurs portails
sculptés et peints. Notre-Dame-la-Grande de
Poitiers (Poitou) possède ainsi une façade qui
constitue un véritable chef-d’œuvre de la
sculpture romane. Pour la réaliser, les moines
artistes se sont inspirés de l’Antiquité romaine
dont les bas-reliefs sont encore nombreux en
France à cette époque.

Le décor de colonnes et de pilastres entre les
grandes figures d’apôtres des églises Saint-
Gilles et Saint-Trophime d’Arles fait penser aux
frises des portiques d’un forum ou à des arcs
de triomphe romains. Loin de singer
l’Antiquité, l’artiste roman s’est plu à créer un
monde fantastique et mystérieux, peuplé de
monstres à deux têtes, de sirènes, de
centaures, de griffons, de démons, de lions et
autres motifs oniriques, qu’il répand à plaisir
dans les frises et les chapiteaux. À l’étrangeté
de ces motifs répond le grandiose des scènes
religieuses sculptées sur les tympans des
portails.

Un Christ glorieux – celui de l’Apocalypse –
occupe le plus souvent le centre de la
composition, afin de rappeler le fidèle à ses
devoirs chrétiens en lui inspirant la crainte du
Jugement dernier. Une vierge consolatrice
vient parfois contrebalancer cette imagerie
effrayante. Elle connaîtra un grand succès
durant la période gothique. Autour, sur
différents niveaux, une multitude de figures
humaines et animalières condamne le vice et
exalte la vertu.

Les ensembles sculptés sont d’autant plus
intéressants que la sculpture monumentale a
disparu d’Occident depuis les Mérovingiens.
Celle-ci tente de renaître autour de l’an 1000,
comme en témoignent les chapiteaux de Saint-
Bénigne de Dijon.

Plutôt que le relief en arrondi ou ronde-bosse
des Anciens, le sculpteur roman préfère un
relief aplati. Il conserve en revanche les figures
de face ou de trois quarts et le goût des
drapés. Le tympan de l’abbatiale de Moissac
près de Toulouse, achevé vers 1115, est
considéré comme le chef-d’œuvre de l’art
roman du Languedoc et comme l’une des plus
belles réalisations religieuses de tous les
temps. Il s’inspire des miniatures des
manuscrits, en l’occurrence de celles de
l’Apocalypse, enluminées dans le monastère
de Saint-Sever en Gascogne. Assis sur un
trône, la couronne impériale sur le front,
entouré de la silhouette farouche de quatre
animaux symboliques et accompagné par deux
anges démesurés, le Christ rayonne d’une
majesté surnaturelle. Il rappelle le Christ tout-
puissant (pantocrator) de la tradition
byzantine. Au-dessous et tout autour, les
vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse lèvent
vers lui la tête, attirés et éblouis par sa
splendeur.

La sculpture romane s’exprime aussi dans une
multitude de représentations de la Vierge en
majesté, assise sur un trône avec l’Enfant
Jésus sur ses genoux, de saints et de Christ en
croix, tous en bois polychrome.

Cheminant avec les pèlerins, le modèle français se


répand même jusqu’au Portugal, comme en atteste la
cathédrale de Coimbra, puis il franchit la Méditerranée
avec les croisés qui l’implantent en Terre sainte (voir
le Saint-Sépulcre de Jérusalem), ainsi qu’en Europe
centrale et orientale.

Fresque pareille : la peinture

La peinture romane s’illustre principalement dans


deux domaines : la décoration des églises et les
enluminures des manuscrits – ces dernières lui
assurant une diffusion bien plus importante que celle
de la sculpture. En effet, les figures romanes sont
rarement le fait d’un seul artiste, mais plutôt d’ateliers
ambulants se déplaçant dans toute l’Europe et restés
anonymes. La peinture romane pratique en outre deux
techniques parfois mixtes : la peinture à fresque et la
technique à sec.

Détrempe-toi !
Si la technique de la fresque (a fresco) permet de
peindre sur le mur frais, la technique de la détrempe
(tempera) consiste, elle, à peindre sur un mur sec
avec des pigments mélangés à un liant (œuf, cire,
huile, etc.). Les deux techniques nécessitent deux
couches d’enduit : la première égalise la surface, la
seconde reçoit la peinture. La fresque se conserve
mieux, car, en séchant, la chaux de l’enduit
emprisonne les pigments. On a parfois tenté un
compromis entre les deux procédés que l’on appelle a
semi fresco.

Plusieurs techniques ont été utilisées en divers
endroits de l’église Saint-Savin-sur-Gartempe en
Poitou, surnommée la chapelle Sixtine de l’art roman.
Sa nef de 460 mètres carrés (tout de même !) est
couverte de peintures représentant des scènes
bibliques et des figures de saints. Les couleurs sont
limitées (ocre jaune, ocre rouge, blanc, vert) mais leur
répartition donne un résultat impressionnant. Des
marques en creux de contours indiquent l’utilisation
de silhouettes découpées ou au pochoir. Cependant,
la plupart des figures ont été faites sans préparation,
rapidement, donc sans possibilité d’erreur !

Les teintes appliquées sur l’enduit perdant de l’éclat à
mesure que la chaux s’imbibe, il faut en effet passer
tout de suite plusieurs couches si l’on veut augmenter
la valeur des teintes. On peut néanmoins retoucher à
sec en ajoutant des hachures qui donnent alors une
impression de relief.
Merci d’être velue
Dans les fresques de l’église Saint-Savin-sur-
Gartempe (Poitou), un détail curieux attire l’œil
du visiteur : Ève est barbue ! Il y a bien eu
quelques saintes barbues, comme sainte
Wilgeforte dont le culte sous différents noms
est attesté de la France à la Cappadoce, en
Turquie, mais, dans ce cas précis, comment
expliquer cette curiosité ?

On a supposé que, en 1841, le restaurateur
indélicat des fresques n’avait pas compris le
sens des scènes représentées et avait affublé
Ève d’une barbe. D’autres avancent
l’explication suivante : l’artiste, songeant à la
Genèse, aurait mal interprété le verset : « Dieu
créa l’homme et la femme », qu’il aurait
compris ainsi : « Dieu le créa homme et
femme. » Alors, l’Adam primordial était-il
androgyne, c’est-à-dire des deux sexes à la
fois ? Hum, c’est une question plutôt rasoir,
que nous nous garderons bien de trancher ici…

Complètement enluminés
Les enluminures, c’est-à-dire les illustrations en
couleur destinées à décorer les anciens parchemins,
sont l’apanage des moines – comme dans le film Le
Nom de la rose tiré du roman d’Umberto Eco.
Associant des miniatures et des lettres peintes aux
couleurs vives, elles bénéficient, la circulation des
livres aidant, d’une large diffusion à travers l’Europe.

Le Moyen Âge voit également fleurir des productions
luxueuses comme la tenture de la Dame à la licorne
(voir Figure 10) que l’on peut apprécier comme de
véritables peintures. Dernier vestige de cette époque,
la célèbre tapisserie de Bayeux, longue de 70 mètres,
relate la conquête de l’Angleterre par Guillaume le
Conquérant.

Enfin, la décoration des églises romanes est


complétée par de somptueux vitraux colorés dont le
caractère translucide se veut l’expression de la
présence de Dieu sur Terre. Destinés aux fidèles qui
ne savent pas lire (soit l’immense majorité des gens à
cette époque), les vitraux retracent les récits bibliques
par l’image, comme de véritables bandes dessinées.
Les sols sont souvent pavés de très belles mosaïques
et, outre ces ornements, les églises romanes abritent
aussi de fabuleux trésors tels que des châsses et des
reliquaires en or ou émaillés contenant les reliques de
saints, des évangéliaires aux reliures d’ivoire ou d’or
relevés de pierres précieuses, ou des objets
liturgiques (ciboire, calice, crosse) en or ou en argent.
Chapitre 7

De plus en plus pointu : l’art


gothique

Dans ce chapitre :
Des cathédrales perdues dans les nuages
Le sourire aux anges
Le premier portrait individualisé

Le terme de gothique apparaît à la Renaissance pour


désigner avec mépris l’art « barbare » qui l’a
précédée. Les Goths font en effet partie de ces
peuplades germaniques qui ont ravagé l’Empire
romain au Ve siècle. À l’époque, il désigne tout le
Moyen Âge, car la distinction avec l’art roman ne date
que du XIXe siècle. Le gothique domine l’Europe du
XIIIe au XVe siècle, à travers ses monuments phares
que sont églises et cathédrales. Son « manifeste » est
l’église abbatiale de Saint-Denis.

Une langue de pierre : l’architecture

Comme le roman, le gothique est un art


essentiellement religieux, dominé par la haute
spiritualité du Moyen Âge. Toutefois, et contrairement
à lui, il n’est plus le fait d’architectes religieux mais
laïques. C’est en Normandie, connue à l’époque
romane pour ses constructions audacieuses, que l’on
situe la présence d’une nouveauté qui va tout
changer : la croisée d’ogives.

Des têtes chercheuses créent l’ogive


La croisée d’ogives dans les voûtes répond au souci
d’édifier des monuments toujours plus vastes à la
gloire de Dieu. Pour mieux repartir les charges, le
gothique trouve le moyen de consolider les arêtes
romanes par des ogives, c’est-à-dire des arcs se
coupant en croix.

Sur cette ossature de pierre sont construits les


compartiments de la voûte, qui se trouve ainsi divisée
en quatre parties indépendantes. Si l’une d’elle
fléchit, les autres peuvent rester intactes. Les
poussées de la voûte sont en effet canalisées par les
ogives vers les points d’appui que sont colonnes et
piliers. Les poussées exercées sur ces derniers sont
contrebalancées à l’extérieur par des arcs-boutants,
arcs en quart de cercle qui s’appuient sur de puissants
contreforts. L’équilibre des édifices gothiques naît
ainsi d’une lutte des forces que l’on cherche à
neutraliser entre elles : l’union de la croisée d’ogives
et de l’arc-boutant permet d’élever des cathédrales
toujours plus haut, en multipliant les points d’appui.

L’abbé attitude
Comme dans ce procédé de construction il est très
difficile de dissimuler les arcs-boutants, l’art gothique
va faire d’un élément technique un élément
esthétique. Du Beaubourg avant l’heure, en quelque
sorte ! Aux arcs doubleaux de l’art roman, le gothique
ajoute un arc nouveau de chaque côté sur le mur, le
formeret, qui prend sur lui une partie du poids de la
voûte.

La première cathédrale gothique naît en Île-de-France,
à Saint-Denis. Elle devient le prototype de toutes
celles qui suivront. Élevée à partir de 1140 par l’abbé
Suger, elle se veut grandiose par son architecture,
mais aussi par la magnificence de sa sculpture, de ses
vitraux et de son orfèvrerie. Bref, un chef-d’œuvre
total ! L’abbé considère en effet que la beauté est
nécessaire à l’homme, dont l’esprit est trop faible
pour contempler la Vérité nue. Aussi lui faut-il des
formes et des couleurs pour s’élever au divin.

Opération à chœur ouvert

Dans cette nouvelle conception de l’architecture


religieuse, l’organisation du chœur et de la façade est
novatrice. Dans le chœur, le déambulatoire (couloir de
promenade) à chapelles rayonnantes du roman est
dédoublé et bâti sur une crypte qui sert de
soubassement. C’est aussi à Saint-Denis
qu’apparaissent ces faisceaux de colonnettes autour
du pilier si caractéristiques des cathédrales gothiques.
Pour la première fois, la façade est organisée selon
trois niveaux et travées, en référence à la sainte
Trinité :
le portail gothique historié avec ses statues ;
les colonnes sur les côtés qui se prolongent dans les
voussures (c’est-à-dire dans les parties courbes au dessus des
portes) ;
le tympan en relief, peint de vives couleurs aujourd’hui
disparues.

Des idées lumineuses

L’innovation majeure de l’art gothique réside dans


l’importance donnée à la lumière. L’allégement de la
structure grâce aux croisées d’ogives permet la
multiplication des ouvertures ornées de vitraux
colorés. À l’instar de l’alliance du verre et du béton
dans les tours de Manhattan ou de La Défense il y a
quelques années, on imagine la sensation que procure
aux spectateurs de l’époque cette alliance prodigieuse
du verre et de la pierre ! Dans ces vitraux se déploient
des épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testaments,
de la vie du Christ, de la Vierge et des saints, ainsi
que des allusions à l’histoire ancienne ou
contemporaine. Ils constituent de vastes bandes
dessinées, destinées à l’éducation d’une population le
plus souvent analphabète.

À Sens unique
Après Saint-Denis, les autres cathédrales de France
ont cherché à faire toujours plus beau, plus grand et
plus haut. Ainsi, pour la cathédrale de Sens,
commencée vers 1140 et donc contemporaine de
celle de Saint-Denis, on surélève les bas-côtés afin de
faire entrer plus de lumière. Les voûtes sont en six
parties, à cause de l’alternance de piles fortes, piliers
avec colonnes et colonnettes, et de piles faibles,
simples colonnes. À Noyon (1150-1225) et à Laon
(achevée en 1215), on crée une architecture encore
plus aérienne et lumineuse. L’impression de puissance
du bâtiment s’accroît à l’extérieur par la présence de
sept tours, restées inachevées. En façade, la rosace
est augmentée afin d’occuper le centre du second
niveau.

En attendant Hugo
Notre-Dame de Paris, commencée en 1163, développe
des conceptions proches de la cathédrale de Laon.
Elle se distingue du plan de celle-ci par la disparition
de l’avant-nef, chère aux édifices romans et encore
présente à Saint-Denis. Autre nouveauté : un double
déambulatoire qui répond aux doubles bas-côtés de la
nef. Comme ceux-ci ont toutefois l’inconvénient
d’éloigner la source de lumière, pour remédier à cela,
les ouvertures de la nef s’allongent et d’immenses
rosaces sont percées dans le transept. Celles de
Notre-Dame sont les plus vastes de France ! La façade
est un véritable chef-d’œuvre de régularité et de
symétrie, un fait plutôt rare dans les cathédrales
gothiques. Une galerie aérienne relie en façade les
deux tours au-dessus, suivant un motif vu à Noyon.

Au XIXe siècle, l’écrivain Victor Hugo immortalise
Notre-Dame et Quasimodo, son célèbre bossu.
L’architecte Viollet-le-Duc restaure alors la cathédrale
et, fier de son œuvre, y installe sa propre statue, dans
la galerie des rois du portail !

Sourire aux anges


Commencée vers 1194, la cathédrale de Chartres
(voir Figure 11) est le point de départ du grand art
du XIIIe siècle. Avec elle disparaît la voûte en six
parties et les tribunes, ceci permettant de surélever la
hauteur des bas-côtés. Leurs ouvertures devenues
plus hautes accueillent plus de lumière et facilitent
l’agrandissement de celles de la nef. L’ensemble est
retenu à l’extérieur par de puissants arcs-boutants
superposés. La hauteur est portée à 37 mètres contre
30 à Notre Dame !

Reims reprend les nouveautés de Chartres, mais
ramène l’intérieur à de plus justes proportions. La
voûte, aussi portée à 37 mètres, semble plus haute
grâce à un artifice : la nef a été rétrécie. Reims
marque surtout un progrès dans la conquête de la
lumière, avec notamment en façade les trois roses qui
remplacent les tympans aveugles, illuminant ainsi
tout le bas de la cathédrale.

La tradition de décoration des vitraux se poursuit
jusqu’au XXe siècle avec le peintre Chagall. Reims
présente le type parfait de la baie gothique, divisée
par une fine colonnette dénommée meneau, qui est
surmontée du cercle léger d’une rose. Ce motif, déjà
connu à Chartres, a gagné ici en souplesse et en
raffinement. À l’extérieur, Reims charme à nouveau
par son élégance. Tout est fait pour donner plus de
grâce, de légèreté et de finesse à l’ensemble. La
sculpture se fait chaque fois plus présente : les trois
porches de la façade ont été amplifiés et peuplés
d’anges, de saints et de visions divines. De sorte que
l’on a surnommé Reims « la cathédrale des anges »
(voir Figure 12).

Bâtie à l’emplacement du baptême de Clovis, premier
roi franc chrétien, elle sera le lieu de couronnement
des rois de France jusqu’à Charles X.

Tout s’écroule
Amiens marque l’apogée de l’art des cathédrales.
Aussi large que celle de Reims, la nef est portée à 43
mètres de haut ! La lumière rentre pleinement dans
l’édifice par de vastes ouvertures. Consacrée à la
Vierge, la chapelle axiale, plus longue que toute autre,
a pu servir de modèle à la Sainte-Chapelle de Paris.
On retrouve en façade les porches de Laon, la galerie
des Rois de Notre-Dame de Paris et la richesse
décorative de Reims.

La course à la verticalité et à la lumière des
cathédrales gothiques trouve cependant ses limites à
Beauvais. On décide de porter la hauteur de la voûte
à 47 mètres ! Mais elle s’écroule. Reconstruite en
renforçant les arcs-boutants et en augmentant le
nombre de piliers, Beauvais s’arrête finalement au
niveau du chœur et du transept. La cathédrale subit
une dernière tentative par l’installation, au XVIe
siècle, d’une tour lanterne de 153 mètres, la plus
haute du monde chrétien… qui s’écroule à son tour,
marquant symboliquement la fin des prétentions
gothiques.

Premiers portraits
Comme pour l’art roman, la peinture de
l’époque gothique est d’abord et encore
l’enluminure, dont un exemple réputé est Les
Très Riches Heures du duc Jean de Berry (vers
1409).

Étoffe de soie blanche destinée à être
suspendue derrière un autel, le Parement de
Narbonne fait la transition entre l’enluminure
et le tableau. Charles V, roi de France de 1364
à 1380, et sa femme y sont représentés, déjà
peints comme de vrais portraits individuels.
L’initiale K pour Karolus, soit Charles, est
répétée tout le long de la broderie.

Le premier portrait à être traité
individuellement est celui de Jean le Bon, qui
régna de 1350 à 1364. C’est aussi l’une des
rares œuvres françaises sur bois du XIVe siècle
encore conservée. Le genre du portrait officiel
est alors lancé. Un autre portrait royal, celui de
Charles VII (1403-1461) montre les qualités de
portraitiste du premier grand peintre français,
Jean Fouquet (vers 1420-1480). Pour la
première fois, le roi n’est présenté ni en prière,
ni en donateur. Si le visage est de trois quarts,
le corps est de face. Deux rideaux encadrent le
personnage et forment un losange avec ses
bras. Cette composition géométrique
rencontre du succès puisqu’elle sera encore
utilisée au XVIe siècle pour le portrait de
François Ier. De nos jours, le portrait politique
remplit toujours sa fonction : le président de la
République a sa photo présente dans toutes
les mairies de France.
Le plein des sens : « La Dame à la
licorne »
Les tapisseries de La Dame à la licorne (voir Figure
10) sont redécouvertes au château de Boussac dans
la Creuse, en 1841, par Prosper Mérimée. Tissées au
XVe siècle, cinq tapisseries illustrent les cinq sens.
Une sixième intitulée À mon seul désir est plus
mystérieuse. Le commanditaire en serait Jean Le
Viste, proche du roi Charles VII. En 1882, le
collectionneur Edmond du Sommerard les achète et
en fait don à l’État, en même temps que l’hôtel des
abbés de Cluny (actuel musée de Cluny).

Les couleurs sont peu nombreuses mais suffisent,
dans l’élégance du décor, à créer des scènes qui
baignent dans un merveilleux poétique. La légende
attribua leur confection à un prince sarrasin en
captivité, sans doute à cause des croissants.
Chapitre 8

Elle ouvre des


perspectives : la
Renaissance

Dans ce chapitre :
L’architecture moderne
Être prisonnier de la matière
La peinture en relief

La Renaissance est l’importante rénovation culturelle


et artistique qui a lieu en Europe aux XVe et XVIe
siècles. Elle part d’Italie et la ville de Florence y joue
un rôle prépondérant. Des mécènes généreux comme
les Médicis attirent des artistes qui renouvellent l’art
occidental, et ce pour plusieurs siècles.

Dans les trois arts (architecture, sculpture, peinture),


la Renaissance rompt avec le Moyen Âge surtout
grâce à l’invention de la perspective, nouvelle
représentation de l’espace. Les Florentins créent à
cette époque ce qu’on a appelé le naturalisme
scientifique, c’est-à-dire une observation minutieuse
de la nature et la recherche des raisons des
apparences, tout en retrouvant les modèles antiques.
Les peintres fondent leur art sur leurs connaissances
aussi bien en anatomie qu’en perspective, définie
mathématiquement comme linéaire ou conique. On
établit que la ligne d’horizon est le plan qui passe par
l’œil du spectateur et que les différentes lignes
perpendiculaires se regroupent vers un même point
sur cette ligne, le point de fuite.

Enfin la vie de château : l’architecture


La Renaissance en architecture apparaît d’abord en
Italie, au quattrocento, qui correspond à notre XVe
siècle. La façon de dire peut intriguer car quattro
correspond à quatre ! L’expression française serait
« les années 1400 ». L’architecte Brunelleschi en
demeure la figure marquante.

Remettre un peu d’ordre : l’Italie

Grâce à ses grandes connaissances architecturales,


aussi bien des monuments antiques que gothiques,
Filippo Brunelleschi (1377-1446) révolutionne son art
pour tous les siècles à venir ! Il relève avec succès le
défi de la construction du dôme de la cathédrale
gothique de Florence par une astucieuse adaptation
de l’architecture antique intégrée au gothique. Il est le
véritable créateur de toute l’architecture moderne,
qu’il s’agisse des bâtiments prestigieux ou des
simples maisons d’habitation, en posant de nouveaux
principes de construction.

L’artiste invente également la perspective
mathématique ou linéaire qui permet, par le calcul
des proportions, de donner désormais à la peinture
une apparence de profondeur et de relief.

Un bouillonnement d’idées
En reprenant les inventions de Brunelleschi,
l’architecte Leon Battista Alberti (1404-1472) réussit
facilement à transformer les châteaux forts urbains
florentins en palais. L’artiste applique sur leurs
façades une superposition de pilastres qui
correspondent à chaque étage à un ordre grec, sur le
modèle du Colisée de Rome. Chaque architecte a
désormais une plus grande liberté dans le choix de
l’ornementation et des détails. Imitée de la Grèce
antique, une corniche très saillante remplace les
anciens créneaux et mâchicoulis, ces trous sous les
remparts qui permettaient de faire couler sur
d’éventuels agresseurs de l’eau bouillante ou de la
poix (et non pas l’huile, comme on l’entend souvent,
alors beaucoup trop chère).

Saint-Pierre de Rome
La basilique Saint-Pierre de Rome est l’église
centrale de la chrétienté. Sa coupole est
l’œuvre de Michel-Ange et sa façade, de
Maderna. Construit entre 1506 et 1614, le
bâtiment inaugure et consacre l’ordre
colossall, qui consiste à ériger une colonnade
unique de la base au sommet de l’édifice, au
lieu de superposer des ordres pour chaque
étage de l’édifice. Donato di Angelo Bramante
(1444-1514), qui conçoit le plan originel de la
basilique, dit qu’il veut faire « porter la coupole
du Panthéon d’Agrippa par les voûtes de la
basilique de Constantin », un programme qui
marque bien la référence au modèle antique.
Cependant, Bramante meurt avant que son
œuvre ne voie le jour.

Maure à Venise
Quelle plus belle avenue que celle du Grand Canal à
Venise ? Le palais vénitien est construit sur le même
plan carré à cour intérieure que le palais florentin,
mais comme il n’est pas une forteresse – la seule
muraille de Venise est sa flotte (c’est-à-dire ses
bateaux, pas l’eau) – le palais privilégie la décoration
de sa façade sur le canal. Comme en peinture, les
influences orientales et européennes donnent à
l’architecture vénitienne son charme particulier, avec
ses arcs surbaissés, ses fioritures du gothique
flamboyant et ses galeries à colonnettes. L’architecte
Andrea di Pietro, dit Palladio (1508-1580), adapte aux
façades vénitiennes les ordres antiques et crée à
Vicence et dans sa région des villas à colonnades
imitées de l’antique, comme celles que l’on voit dans
le film Autant en emporte le vent.

Un beau palais : la France

La Renaissance architecturale s’illustre surtout en


France. Jusqu’à la fin du XVe siècle, l’architecture
féodale militaire s’améliore sans cesse. En raison du
perfectionnement de l’artillerie, les remparts épais et
les hautes murailles perdent de leur importance
pratique. Des fenêtres peuvent alors être percées
dans les murailles, celles-ci devenant parfois même
inutiles. Par exemple, à Chaumont, toute une aile de
l’enceinte est supprimée pour dégager la vue sur la
Loire. Le château fort se transforme en palais.

Une princesse de la
Renaissance égarée au
XIXe siècle
À la mort d’Henri II, Catherine de Médicis
achète le château de Chaumont. Aux siècles
suivants, des financiers le transforment en
résidence luxueuse, pour hôtes prestigieux,
comme les écrivains Mme de Staël ou
Benjamin Constant.

En 1875, un certain Amédée de Broglie, pris
d’un sérieux béguin, épouse Marie Say, la fille
du roi du sucre et, qualité indéniable, la plus
riche héritière de France. Marie Say et son
époux transforment Chaumont en demeure de
rêve avec tout le confort moderne. En 1903, le
château est éclairé grâce à une centrale
électrique privée ! La vie se déroule en fêtes et
en spectacles, grâce au mari qui sait gérer ses
domaines. Les châtelains n’hésitent pas à faire
venir spécialement les acteurs de la Comédie-
Française ! Marie Say, qui a beaucoup voyagé,
qui est fort cultivée et pleine d’esprit, anime
ces lieux comme une de ces grandes dames
de la Renaissance. C’est un défilé permanent
d’hôtes de marque, jusqu’au maharadjah de
Kapurthala, qui lui offre, pour la remercier, un
éléphant auquel on est obligé de construire
une écurie sur mesure !

Château fort tout confort


Construit en 1467 par Jean Bourré, le ministre des
Finances de Louis XI, Le Plessis-Bourré (Maine-et-Loire)
mélange les styles comme à Chaumont. Ses douves et
son donjon lui conservent un aspect de forteresse,
vite démenti par les élégantes ouvertures dans les
murailles. La décoration intérieure est celle d’une
demeure confortable de la Renaissance, avec de
belles peintures inattendues. Certaines évoquent des
proverbes, des récits traditionnels, d’autres sont
alchimiques et l’une montre un curieux véhicule à la
fois l’ancêtre du char à voile et du skate-board.

Une vue imprenable
Le château d’Amboise est encore un mélange du
vieux style féodal et du nouveau style, par son donjon
conservé de l’ancienne forteresse. À cette époque, on
ne rase pas tout. On ajoute une agréable galerie à
partir de cette tour avec une belle terrasse qui domine
la Loire. Dans le même esprit, les villes transforment
leurs remparts en promenades, participant à la
naissance du boulevard, mot qui vient du néerlandais
bolwerc désignant le chemin de ronde.

Entre le gothique et le
classique
Le style Renaissance en architecture n’est pas
uniforme comme le prouvent les deux
exemples fort différents du palais de justice de
Rouen et du Louvre à quelques années
d’intervalle.

On reconnaît bien au palais de justice de
Rouen (1499-1550) les arêtes montantes du
style gothique, qui savent s’adapter aux lignes
horizontales des étages superposés. La
décoration est ici la plus exubérante qui soit,
juste à la fin du style flamboyant, où la pierre
est devenue de la dentelle.

À partir de 1546, François 1er confie à
l’architecte Pierre Lescot (1515-1578) la
reconstruction du Louvre à l’emplacement du
château fort entièrement rasé. Son aile sur la
cour Carrée rassemble en façade (voir Figure
19) les traits principaux qui feront la marque
et le succès de l’architecture française
classique au XVIIe siècle. Nettement marqué
par des corniches saillantes, chaque étage
reprend un ordre antique, comme au Colisée
de Rome, et les pilastres portent un
entablement comme le feraient des colonnes.
Pour rompre la monotonie de la façade,
l’artiste conçoit des pavillons en saillie avec un
fronton. Dans les intervalles entre les pilastres
de ces pavillons prennent place des statues.
Les bas-reliefs de l’attique, c’est-à-dire de
l’étage du haut, sont du sculpteur Jean Goujon.

L’esprit d’escalier
Construit pour François Ier, avec encore des éléments
du château féodal comme les quatre tours et les
chemins de ronde, le château de Chambord est
l’exemple d’un style nouveau d’origine italienne. Sa
réalisation nécessite près de 2 000 ouvriers et artisans
pendant près de trente ans !

À l’intérieur, l’escalier circulaire central à double
révolution est une invention géniale de Léonard de
Vinci, permettant à deux personnes de monter ou
descendre sans se rencontrer ! À la différence de
Chambord, bâti sur un plan régulier, Blois sera
constitué de bâtiments différents.

Un château de la Loire en Île-de-France
L’architecte Jean Bullant (1515-1578) travaille pour le
connétable Anne (prénom aussi masculin oublie-t-on
souvent) de Montmorency à Chantilly, et surtout à
Écouen où il élève vers 1553 l’aile nord du château. Il
s’agit d’un bâtiment carré à pavillons saillants suivant
la tradition décorative française. L’artiste marie le
sens du monumental et les effets plastiques en
élevant sur l’aile sud un avant-corps à ordre colossal,
c’est-à-dire des colonnes qui s’élèvent sur toute la
façade du bâtiment. Dans les vides entre ces colonnes
sont exposés les Esclaves de Michel-Ange, achetés par
le connétable, avant qu’ils ne rejoignent le Louvre. Sa
décoration en fait un des hauts lieux de la
Renaissance française du milieu du XVIe siècle, avec
douze superbes cheminées peintes et les dix
tapisseries qui relatent l’histoire de David et
Bethsabée.

L’art et la matière : la sculpture

La véritable rupture avec la statuaire gothique est


l’œuvre de Donatello (1386-1466). Pas évident
d’affronter un dragon ! Son Saint Georges (1415), bien
campé sur ses pieds, révèle par sa posture sa
détermination et les plis de son front confirment toute
l’énergie qu’il dégage. Nous sommes loin des statues
lisses et sereines du gothique, comme l’Ange de
Reims (voir Figure 12) ! Ainsi, la recherche des
détails montre qu’en sculpture aussi prévaut le
naturalisme scientifique.

La Renaissance se caractérise également par
l’émergence d’artistes compétents dans tous les
domaines des beaux-arts, comme Michel-Ange, sans
doute le plus prestigieux. Ses réussites en peinture et
en sculpture en font un génie universel.

D’un seul bloc : Michel-Ange


Le clergé de Santa Maria dei Fiori possède depuis
longtemps un énorme bloc de marbre de Carrare.
Plusieurs sculpteurs ont tenté de l’exploiter sans
succès. Michelangelo Buonarroti (1475-1564), dit
Michel-Ange, arrive et assure pouvoir en tirer une
figure d’un seul tenant sans aucune pièce de rajout.
Surgit le colossal David (1501-1504) destiné à l’entrée
du Palazzo Vecchio. Il s’agit du premier nu intégral de
la sculpture moderne exposé à la vue de tous et il
évoque clairement la statuaire grecque par son
énergique élégance.

Les sculptures les plus célèbres de Michel-Ange sont :
le relief de la Vierge à l’escalier (1491) dans laquelle il rompt
avec la tradition en montrant Marie de profil et Jésus de dos ;
le Bacchus qui témoigne de son goût pour l’antique ;
la Pieta de Saint-Pierre de Rome (1498-99), où le contraste
entre le cadavre du Christ, nu et horizontal, et la figure
accablée de la Vierge, de ses vêtements aux plis drapés, est
saisissant de virtuosité.

Les amoureux transis


Admirateur de l’Antiquité, le sculpteur Jean
Goujon (1510-1566) décore de bas-reliefs la
fontaine élevée par Pierre Lescot près du
cimetière des Innocents. Comme il faut
décorer l’intervalle entre les pilastres d’un
sujet en rapport avec une fontaine, le
sculpteur réalise des nymphes qui sont un
chef-d’œuvre du bas-relief, parfait
intermédiaire entre la sculpture et la peinture.
Dans les corps allongés des jeunes femmes est
visible l’influence des peintres italiens qui ont
introduit à Fontainebleau ce genre de beauté.
La Renaissance réussit à introduire cette grâce
même dans l’art funéraire : c’est le cas dans le
monument dit Les Trois Vertus ou les Trois
Grâces. Trois gracieuses jeunes femmes
portent l’urne contenant les cœurs de Henri II
et de Catherine de Médicis. Leur élégance et
leur charme en font un sommet de la sculpture
Renaissance.

Germain Pilon (1537-1590), lui, incorpore à
l’art renaissant le réalisme pathétique de l’art
gothique. À Saint-Denis, cela aboutit au
tombeau des mêmes Henri II et Catherine de
Médicis, où le gisant du Moyen Âge est devenu
le transii, le cadavre saisi dans les tourments
de la mort (voir Figure 22).
Prisonnier de la matière
Le talent de Michel-Ange lui vaut d’être appelé en
1505 par le pape Jules II qui lui confie la réalisation de
son tombeau et la décoration de la chapelle Sixtine.
Le premier projet s’égare dans des voies multiples et
finit bien loin des ambitions d’origine. L’artiste réalise
à cet effet son célèbre Moïse (voir Figure 16) censé
montrer la grandeur terrible du prophète et deux
esclaves qu’il ne peut replacer dans le projet final et
qui partent en France.

Ces figures sont au cœur des conceptions esthétiques


de Michel-Ange en sculpture : l’œuvre doit être
inscrite dans la matière et la tâche de l’artiste
consiste à l’en dégager, un peu à la manière d’un
accouchement. Le caractère non fini de ses
sculptures, le non finito, n’est pas dû à un artiste
submergé par les projets, mais à une volonté de le
laisser ainsi, prisonnier de la gangue de pierre comme
l’homme l’est de la matière.

Porter les cornes


La spectaculaire statue de Michel-Ange (voir
Figure 16) pour le tombeau du pape Jules II a
étonné des générations de touristes. Dans la
tradition iconographique chrétienne, Moïse est
représenté avec des cornes, qui deviennent
des branchages dans un curieux dessin du
musée Magnin de Dijon. Des spécialistes ont
même avancé la théorie d’une confusion avec
le dieu égyptien Amon porteur de superbes
cornes de bélier. En fait, la raison de la
présence des cornes sur la tête de Moïse est à
chercher dans les Écritures saintes.

Au IVe siècle, saint Jérôme entreprend de
donner une version en latin de la Bible, celle
qui est nommée la Vulgate, avec pour ambition
de la rendre plus conforme au texte original
hébreu. Bien plus tard, le concile de Trente,
désireux de se référer à un texte commode, la
déclare « authentique », mais sans pour autant
vouloir dire en cela que tous les détails en sont
exacts. En effet (et nous en revenons à nos
cornes) au chapitre XXXIV verset 29 de
l’Exode, Moïse reçoit les Tables de la Loi sur le
Sinaï (quand on en a fait l’escalade, on sait
qu’il a eu du mérite). Le texte hébreu de la
Bible dit : « Or il arriva que lorsque Moïse
descendait du Sinaï, tenant en sa main les
deux tables du témoignage, or dis-je, qu’il
descendait de la montagne, il ne s’aperçut
point que la peau de son visage était devenue
resplendissante pendant qu’il parlait avec
Dieu. » Or, le texte de la Vulgate utilise
cornuta, qui signifie « cornue ». Il est possible
que le contresens ait eu lieu sur la racine
hébraïque « KRN » ayant les sens de corne ou
rayon, comme il est tout aussi possible qu’il y
ait là une erreur de copiste où coronuta,
« couronnée », ait été lu cornuta !

Enfin un peu de profondeur : la peinture


Le foyer principal de la peinture de la Renaissance se
situe à Florence, en Italie, où se succèdent plusieurs
peintres de génie :
les derniers artistes de technique et d’inspiration
médiévales : durant la première moitié du XVe siècle vit Fra
Angelico de Fiesole qui couvre les murs de son couvent toscan
de peintures suaves ;
les grands naturalistes comme Masaccio (1401-1428) et
Uccello (1397-1475) : la première application de la perspective
mathématique en peinture est le fait de Masaccio dans sa
Sainte Trinité (vers 1425-28) à l’église Santa Maria Novella,
véritable peinture d’architecture tant elle présente de relief ;
les maîtres pleins de raffinement comme Botticelli.

Présent à l’Apelle :
Botticelli
Pour les peintres de la Renaissance, les dieux
de la Grèce constituent une importante source
d’inspiration. Botticelli (1447-1510), de son
vrai nom Sandro Filipeli, peint par exemple la
Naissance de Vénus. Peintre, sculpteur,
graveur : comme souvent à l’époque, son
talent a de multiples facettes. On voit toujours
à Florence, au musée des Offices, son
interprétation, d’après le texte de l’écrivain de
l’Antiquité Lucien, de la Calomnie du peintre
Apelle. L’artiste a donné ses propres traits au
peintre grec terrassé par la médisance. Cet
Apelle-là, contrairement à ce que l’on a pu
croire, n’est pas le plus célèbre peintre grec de
l’Antiquité, mais un homonyme. À cette source
d’inspiration qu’est l’Antiquité idéale, s’ajoute
l’inspiration religieuse : Botticelli peint de
nombreuses madones au charme délicieux.
L’artiste sait aussi renouveler l’inspiration
antique de façon originale avec le Printemps.
Au XIXe siècle encore, il inspire les
préraphaélites anglais et les symbolistes
français (voir Chapitre 17).

De quoi faire une Cène : Léonard de Vinci


La seule noblesse de Léonard de Vinci (1452-1519) est
celle du talent, car le « de » indique uniquement son
lieu de naissance, Vinci donc, près de Florence.
Ginevra de Benci, son premier portrait connu, est
peint vers 1474. Son Annonciation confirme son
pouvoir de créer des formes parfaites, lumineuses, et
de les placer dans un cadre naturel et ensorcelant.

Cène occupation
Envoyé à Milan par Ludovic le More, Léonard déploie
pour lui tous ses talents. Il n’est pas alors le vieillard
barbu que l’on connaît, mais un homme beau qui
pratique tous les arts du corps et de l’esprit. Pendant
cinq ans, le maître travaille à la statue équestre de
Francesco Sforza, qui ne fut pourtant jamais fondue.
Des dix-huit années passées à Milan, on n’a conservé
de sa peinture que quelques portraits comme la Dame
à l’Hermine et ses premiers chefs-d’œuvre : la
première version de la Vierge aux Rochers et, sur le
mur du réfectoire au couvent Santa Maria delle Grazie
à Milan, la Cène peinte de 1495 à 1497, en très
mauvais état aujourd’hui.
Un modèle de curriculum
vitæ
Voici un extrait d’une lettre de Léonard de
Vinci au duc de Milan Ludovic Sforza, dit le
More, en 1482, qui montre l’esprit du génie à
l’œuvre dans un tout autre domaine que les
beaux-arts. On n’a pas lu depuis lettre de
motivation plus convaincante.

« Très Illustre Seigneur,
« J’ai maintenant vu et bien examiné ce dont
sont capables ceux qui se donnent pour
spécialistes des machines de guerre ; le
principe et le fonctionnement de celles-ci ne
diffèrent en rien de l’usage courant. Aussi
tenterai-je, sans porter tort à personne, de
m’adresser à Votre Excellence pour lui
découvrir mes secrets et lui proposer de
réaliser, au moment qu’il lui plaira le mieux,
tout ce qui va être brièvement énuméré ci-
dessous :
« Je connais un modèle de ponts très légers et
solides, faciles à transporter. […]

« Si la bataille avait lieu sur mer, je possède
des modèles de nombreuses machines
parfaitement adaptées à l’attaque et à la
défense, et des vaisseaux qui résisteront au tir
des plus gros canons, à poudre et à fumée. […]

« Je fabriquerai des chars couverts, sûrs et
inattaquables, qui entreront dans les lignes
ennemies avec leur artillerie et enfonceront
toute formation de troupes, si nombreuse soit-
elle. L’infanterie pourra suivre, sans pertes et
sans obstacles. […]

« En temps de paix, je crois pouvoir donner
toute satisfaction, à l’égal de quiconque, en
architecture, en construction d’édifices publics
et privés, en adductions d’eau. En peinture, je
puis faire ce que ferait un autre, quel qu’il
puisse être. […]

« En outre, pourra être entrepris le cheval de
bronze qui sera la gloire immortelle et l’éternel
honneur du prince votre père, d’heureuse
mémoire, et de l’illustre maison des Sforza. Et
si l’un des points du programme énuméré
paraissait à d’aucuns impossible et irréalisable,
je me déclare prêt à en faire l’essai dans votre
parc ou en tout lieu qu’il plaira à Votre
Excellence à qui je me recommande en toute
humilité.

« Léonard de Vinci »

Douce France

La seconde période florentine de Léonard (1502-1506)
voit aussi sa confrontation avec le jeune et puissant
Michel-Ange pour la décoration de la salle du consul
du Palazzo Vecchio. Sa Bataille d’Anghiari devait faire
face à la Bataille de Cascina de son cadet mais les
deux œuvres restent inachevées. De retour à Milan en
1507, il peint les Saint Jean et Bacchus du Louvre.
Dépassé par les créations de Raphaël lors d’un
pénible séjour romain (1515-1517), l’artiste accepte
l’invitation du roi de France. Il apporte ses œuvres les
plus illustres à François Ier, d’où la présence de Sainte
Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus (1501) au Louvre et
surtout du portrait de Mona Lisa, la célèbre – le mot
n’est pas trop fort – Joconde (1505-1506, voir Figure
17). Outre le sfumato (effet vaporeux de flou
artistique) et ces paysages énigmatiques à l’arrière-
plan, Léonard crée là un nouveau style de figure, plus
souple et plus noble que les précédents.

L’esprit de chapelle

Michelangelo Buonarroti (1475-1564), dit Michel-Ange,


est à la fois peintre, sculpteur et architecte. Pour la
décoration de la chapelle Sixtine, le pape Jules II lui
confie la voûte, puis Paul III le mur du fond. C’est un
chef-d’œuvre absolu de la peinture tant par la
complexité de l’œuvre, la difficulté de sa réalisation
que la force impressionnante qui s’en dégage. La
voûte est d’une conception révolutionnaire, car pour
la première fois apparaît une architecture peinte dans
laquelle prennent place les figures, ainsi que
différentes scènes tirées de l’Ancien Testament au
centre. Ce type de décor connut par la suite un succès
prodigieux. Sur le mur, c’est le thème du Jugement
dernier, où l’on voit une humanité sans défense dans
sa nudité, tandis qu’un beau Christ musculeux fait au
centre la séparation entre les bons et les méchants.

L’ère d’un ange : Raphaël


Raffaello Santi, dit Raphaël (1483-1520), est à la
peinture ce que Mozart sera à la musique. Il naît à
Urbino, dans les délicieux paysages d’Ombrie. Ses
dons éblouissants lui permettent de s’établir dès l’âge
de 17 ans. De 1504 à 1508, Raphaël demeure à
Florence où il assimile avec la promptitude du génie
tout ce que les créations de Léonard peuvent lui
apporter.

Chambres à part
Ainsi, Raphaël décline les paysages mystérieux, le
sfumato, la combinaison des figures et la noblesse des
formes dans ses Vierge dans la prairie (1506) et
Vierge au chardonneret (1506), ainsi que dans La
Belle Jardinière (1507, voir Figure 18).

En 1508, il s’installe à Rome pour la décoration de
l’appartement de Jules II au Vatican. Il s’agit de quatre
salles où Raphaël doit déployer ses talents à grande
échelle, et ceci pas seulement à cause de leurs
proportions ! La Chambre de la Signature (1508-1511)
est connue pour ses fresques de La Dispute, de L’École
d’Athènes et celle du Parnasse. Le maître décore aussi
la Chambre d’Héliodore (1511-1514), celle dite de
l’Incendie du Borgo (1514-1517) et la salle de
Constantin (1520-1524), qui sera achevée par ses
élèves.

Deux angelots diablotins
Raphaël est dans le même temps l’auteur de tableaux
célèbres comme le portrait de Baldassar Castiglione
(1515). La Madone della Seggiola a un format rond dit
tondo. La Madone Sixtine, conservée aujourd’hui à
Dresde, est très connue pour les deux angelots dans
le bas du tableau. Leur poster fait fureur. Peints en
trompe-l’œil, ils ont l’allure de deux garnements qui
songent à faire une bêtise.

L’idéal de l’humaniste de la Renaissance est par
ailleurs de comprendre toute la culture de son
époque. Raphaël exerce l’architecture sous l’influence
de Bramante qu’il remplace après sa mort auprès du
pape. Son œuvre la plus importante, quoique
inachevée, est la villa Madama, villa à l’antique
organisée autour d’une vaste cour circulaire.

Haute en couleur : l’école vénitienne

Autre lieu prestigieux de la Renaissance, Venise voit


naître une école de peintres qui se caractérisera par
des toiles décoratives aux vastes dimensions où, pour
conserver le réalisme de la représentation, les artistes
rendent aux couleurs et à la lumière toute leur
intensité.

Le premier de ces peintres, Giorgio Barbarelli, dit
Giorgione (1477-1510), laisse une œuvre encore
difficile à cerner. Il reste de lui une vingtaine d’œuvres
sûres, dont la Tempête, dite aussi La Famille du
peintre, où, dans un paysage d’orage, une femme nue
allaite son enfant.

Comment devenir peintre


Les ateliers ambulants du Moyen Âge avaient
contribué à favoriser les échanges entre
artistes et une diffusion internationale du
gothique. Avec le développement des villes à
la Renaissance, les artistes, après avoir
démontré leur savoir-faire, s’y installent et
créent leurs guildes ou corporations, seules
habilitées à recevoir des commandes. Les
corporations veillent aux intérêts de leurs
membres et limitent la concurrence dans leur
ville aux seuls maîtres prestigieux invités par
des mécènes riches et puissants. Comme
l’artiste qui dirige une corporation peut
recevoir des apprentis, on assiste à la
naissance des écoles de peinture.

Celles-ci sont néanmoins très éloignées des
écoles des beaux-arts qui apparaîtront au XIXe
siècle. L’apprenti effectue en effet de menus
travaux, comme l’entretien du feu ou la
préparation des couleurs dans l’atelier, qui lui
permettent d’observer le peintre dans son
travail. Avec le temps, il peut participer
partiellement à une œuvre, jusqu’à se voir
confier son entière réalisation, sous l’œil
vigilant du maître qui a décidé de la
composition. Ainsi souvent les peintures sont-
elles des œuvres collectives nées des écoles
qui fleurissent un peu partout en Europe.

Adossée au mur

Le dernier tableau de Giorgione est la Vénus endormie
de Dresde, dont certaines parties sont d’un de ses
apprentis, nommé… Titien. Deux maîtres pour une
seule toile ! Tiziano Vecellio, dit Titien (1485-1576), a
le premier en Italie donné à la peinture à l’huile les
vastes dimensions de la peinture murale. Elles sont
ensuite marouflées, c’est-à-dire collées au mur. Un
bon exemple est la Présentation de la Vierge au
Temple, où Marie a les traits de Lavinia, la fille du
peintre. C’est l’aspect décorateur et peintre religieux
du Titien.

Une douce Violante

Titien a aussi une inspiration païenne, que l’on trouve
dans des tableaux comme Bacchanale ou Amour
sacré et amour profane où Vénus, assise sur le
sarcophage d’Adonis, plaide la cause du peintre
auprès la très belle Violante, qu’il aimait. La toile
baigne dans l’atmosphère du Songe de Poliphile de
Francesco Colonna, roman initiatique fort prisé à la
Renaissance. Elle permet de voir que Titien est un des
meilleurs portraitistes de toute la peinture et sait
insuffler à ses œuvres une vie profonde. Comme le
peintre est devenu l’intime des grands hommes de
son époque, ses toiles présentent aussi un
considérable intérêt documentaire en nous restituant
les traits des puissants de l’époque.

La remise du César
Depuis le Moyen Âge, la différence est
clairement établie entre les arts nobles dits
libéraux, comme la littérature, opposés aux
arts serviles, relevant d’une pratique manuelle.
À la Renaissance, le peintre-artisan souhaite
être reconnu et traité à l’égal du poète, et
commence à y parvenir comme le montre
l’anecdote suivante.

Titien est le peintre favori de Charles Quint, qui
a pourtant déjà à sa disposition le génial
Vélasquez. Le peintre a représenté l’empereur
assis dans une position méditative ou en tenue
de guerre, à cheval et en armure à la bataille
de Mühlberg où il bat les protestants
allemands. André Félibien (1619-1695), un des
premiers historiens de l’art, rapporte que Titien
est occupé à faire le portrait de Charles Quint
quand, par mégarde, il laisse tomber un de ses
pinceaux. L’empereur le ramasse. Titien est
vivement ému par ce grand honneur et s’écrie
qu’il n’est pas digne d’avoir un tel serviteur.
Charles Quint répond : « Le Titien mérite d’être
servi par des Césars. » Dans les Lettres de
l’Arétin, le même Charles Quint fait soulever
une table par ses courtisans. Titien s’y tient
debout et peut ainsi plus facilement retoucher
un tableau. Ces anecdotes soulignent le fait
que l’artiste est maintenant respecté par son
mécène et quasiment traité comme un égal.

Peindre les pieds dans l’eau



L’école vénitienne ne fut pas composée uniquement
de Vénitiens :
Corrège (1489-1534) vit à Parme, où il peint des scènes
mythologiques et des fresques comme son Assomption de la
Vierge (1526-1530) au dôme de Parme. Il doit aussi beaucoup
à Léonard de Vinci dans son Mariage de sainte Catherine où
Jésus passe un anneau au doigt de la sainte.
Véronèse (1528-1588), comme son nom l’indique, vient de
Vérone. Son travail plaît tant au Titien qu’il le désigne comme
son continuateur. Peintre de fresques puis de grands tableaux,
il sait intégrer dans sa peinture à l’huile les grandes
compositions architecturales. Le grand tableau de l’Académie
des beaux-arts de Venise montrant un banquet avec le Christ
lui vaut quelques soucis avec l’Inquisition. C’est le même sujet
que les Noces de Cana du Louvre (voir Figure 20).
Tintoret est lui de Venise et d’ailleurs son œuvre abondante y
est presque totalement restée. C’est une peinture vivante et
mouvementée, combinant le dessin de Michel Ange et la
couleur du Titien.

Un peu de pigment dans la vie : les pays


du Nord

Les pays du Nord apportent également leur


contribution à la Renaissance, notamment par
l’invention de la peinture à l’huile et celle de la
gravure. Ils donnent également le jour à de grands
artistes comme Dürer et Holbein en Allemagne ou
encore Bosch et Van Eyck chez les Flamands.

C’est polyptyque ! Les Flamands


Les frères Van Eyck, Jan et Hubert (mort en 1426),
sont les réalistes parfaits de l’école flamande. Ils
travaillent successivement au Polyptyque de l’Agneau
mystique à Gand, un tableau à plusieurs volets.
Œuvre mêlant réalisme et symbolisme, elle est le
point de départ de toute la peinture du Nord de
l’Europe.

Bosch renouvelle les thèmes religieux en développant
toute une imagerie originale de monstres.

Pris à témoin : Van Eyck
À une époque où chaque atelier fabrique ses
pigments, on attribue à Jan Van Eyck (1390-1441)
l’invention de la peinture à l’huile. Jusqu’à lui, le liant
utilisé est le blanc d’œuf qui sèche rapidement et ne
permet pas de retouche sur une peinture dite en
détrempe. En séchant moins vite, l’huile permet le
progrès considérable de pouvoir faire plusieurs
couches et surtout des retouches.

Outre la Vierge du chancelier Rolin (voir Figure 13)
de Van Eyck, le sobre mais intrigant le tableau dit des
Époux Arnolfini (titre sujet à caution) présente au
centre un miroir rond, surmonté de la signature du
peintre « Jan Van Eyck était ici ». L’artiste se pose-t-il
comme témoin de l’engagement des époux ? À mieux
y regarder, une image inversée de la scène apparaît
dans le miroir, avec le peintre de face en plein travail.
Déjà une mise en abîme, un tableau dans le tableau !

Renvoyé au bestiaire : Bosch
Un groupe de rock polonais ayant en 2006 décoré sa
pochette de disque de la représentation d’une œuvre
de Bosch s’est fait accuser de pornographie ! Preuve
en est que la puissance évocatrice de Jérôme Bosch
(1453-1516) est intacte cinq cents ans après ! Son
œuvre se caractérise par le mélange de personnages
fantastiques et imaginaires à des figures caricaturales
mais réalistes. Ses monstres sont animés, car il y a
chez l’artiste un souci assez extraordinaire de la
vraisemblance anatomique. Par exemple, ses poissons
ont des jambes très réalistes !

Trois en un
Le meilleur exemple de son œuvre est le triptyque dit
du Jardin des délices. Comme son nom l’indique, le
tableau est composé de trois parties mobiles. Les
panneaux fermés représentent la création du monde.
Une fois ouvert, on voit, entre le paradis et l’enfer, le
jardin des délices. La vision n’est pourtant pas celle
traditionnelle du jardin d’Éden d’Adam et Ève. Dans
un paysage lumineux vivent non pas deux
personnages, mais de nombreuses nudités radieuses,
enfermées dans des bulles transparentes.
L’interprétation symbolique est encore source de
discussions, entre alchimie et psychanalyse. En tout
cas, l’œuvre ne laisse jamais indifférent, Bosch ayant
voulu illustrer la lutte du bien et du mal.

Pierre le Drôle
Pieter Bruegel dit le Vieux ou l’Ancien (1525-1569) eut
aussi, selon la tradition, le surnom de Pierre le Drôle
(plaçons-nous sous sa protection) parce qu’il fit
sourire au moins une fois chacun de ses
contemporains. Une drôlerie qui ne va cependant pas
sans quelque amertume dans la Parabole des
aveugles. Peintre de la vie paysanne avec ses Noces
villageoises ou sa Danse des paysans, le maître donne
également des paysages, Chasseurs dans la neige par
exemple, dans lesquels il glisse parfois des anecdotes
humaines, comme dans La Journée sombre. D’ailleurs,
ses tableaux ont toujours une large vision, avec une
multitude grouillante de détails. Ce foisonnement
apparaît bien dans La Chute des anges rebelles où les
démons monstrueux évoquent Bosch.

Ça baigne dans l’huile : l’Allemagne


L’Allemagne aussi compte ses importants artistes. En
1505, à Venise, le Comptoir des Allemands est décoré
par des fresques de Titien et de Giorgione mais aussi
par la Fête du Rosaire de Dürer. On voit bien le
prestige qu’a acquis à cette époque l’artiste allemand
qui voyage dans toute l’Europe, de l’Italie au
Danemark, comme le fera aussi son compatriote
Holbein.

L’homme de la Renaissance n’avait pas tout à fait la


même conception des frontières que l’homme
moderne ; il avait en outre à sa disposition le latin,
une langue de culture connue de toute l’élite
intellectuelle européenne. De telles dispositions
favorisent les déplacements et les contacts entre
artistes de nationalités diverses, ainsi que la diffusion
des images par l’imprimerie.

Naissance de la gravure
Au milieu du XVe siècle, en Allemagne,
apparaît l’imprimerie, avec des conséquences
importantes dans le domaine de l’histoire de
l’art. Cette invention favorise en effet la
naissance de la gravure, toute proportion
gardée l’ancêtre de la carte postale actuelle, et
donc de la diffusion des images dans toute
l’Europe. D’abord réalisée à partir de planches
de bois dont les parties devant apparaître en
blanc sont creusées, cette première technique
disparaît peu après la création des caractères
mobiles d’imprimerie par Gutenberg. Une
seconde technique voit le jour, avec des
plaques de cuivre creusées au burin, qui
permet plus de précision dans le relief et le
rendu des détails. Les graveurs allemands les
plus célèbres sont Martin Schongauer (vers
1453-1491) et Dürer.

De l’importance de Dürer
Protégé de Charles Quint, le peintre et graveur
Albrecht Dürer (1471-1528) est souvent considéré
comme le plus grand peintre allemand. Il n’a exécuté
qu’un assez petit nombre de tableaux, dont plusieurs
autoportraits, mais c’est un dessinateur de génie dont
la richesse d’imagination est prodigieuse. Cette même
qualité se retrouve dans ses gravures, art qui
nécessite aussi une virtuosité technique sans failles,
comme le démontre La Mélancolie (voir Figure 15),
l’une des œuvres les plus connues de la culture
occidentale. Également sculpteur de petits ouvrages
en médaillons, le maître complète sa panoplie par ses
travaux d’architecte, des dessins et des traités
comme son Traité des fortifications (1517) et son
Instruction pour mesurer au compas et à la règle
(1525).

Holbein ça alors !
Avec Dürer, Holbein le jeune (1497-1543) est
considéré comme le plus grand peintre allemand. Il
est l’ami de l’humaniste Érasme, qui l’adresse à
Thomas More, l’auteur de L’Utopie, chez qui il vit trois
ans. Le peintre fait le portrait de ces deux humanistes,
qui, pour ces deux grands amis, aura le rôle de la
photo-souvenir d’aujourd’hui. Le portrait d’Érasme
montre bien le caractère méditatif du philosophe ;
celui de More l’intelligence rêveuse du penseur.

Holbein visite ainsi la Suisse, la France, l’Angleterre,
où il exécute diverses commandes, dont son plus
célèbre tableau, Les Ambassadeurs (voir Figure 14),
peint pour un château français et désormais à
Londres. Cette œuvre montre bien son savoir-faire du
portrait tout comme sa Vierge au bourgmestre Meyer
qui est, de plus, un bon exemple de son inspiration
religieuse aux attitudes simples et belles.
Troisième partie

Baroque, rococo et rocaille


ou la légende du roc : les
temps modernes (XVIIe et
XVIIIe siècles)

Dans cette partie…



Halte à la Réforme ! Pour contrer le protestantisme né en
réaction des dépenses fastueuses de l’Église à la Renaissance,
les papes catholiques des XVIIe et XVIIIe siécles dépensent
encore plus… Ainsi naît le baroque, promu dans toute l’Europe
avec force moyens – il s’agit tout de même de ramener toutes
les brebis égarées au bercail ! Ce style va se développer à
travers tout le continent, y compris dans les pays… de
confession protestante. Tour d’horizon.
Chapitre 9

Le souffle du barroco : la
floraison du baroque italien

Dans ce chapitre :
Une promenade dans Rome
Un Cavalier Bernin et un Caravage très cavalier
L’invention du clair-obscur et de la nature morte

Baroque provient du portugais barroco qui désigne en


joaillerie une perle de forme irrégulière. Il est employé
aux XVIIe et XVIIIe siècles comme synonyme
d’étrange, de bizarre, dans un sens parfois encore
utilisé de nos jours.

Né à Rome à la fin du XVIe siècle de la Contre-


Réforme (ou Réforme catholique), c’est-à-dire en
réaction à la Réforme protestante, l’art baroque règne
sur l’Europe au XVIIe et XVIIIe siècles. Il privilégie la
sensibilité sur le raisonnement :
en peinture, le goût est au trompe-l’œil, aux jeux de
perspective et à l’agitation des draperies ;
en sculpture, priorité aux courbes voluptueuses jusque sur
les tombeaux et aux drapés s’envolant : les statues semblent
gesticuler dans les fontaines ;
en architecture règne l’ordre colossal, avec les courbes des
colonnes torses.

Au XVIIIe siècle, l’outrance de ces caractères finit par


donner le rococo, appellation ironique trouvée par des
historiens d’art allemands du XIXe siècle pour
désigner l’art européen de cette période.

Quel rocaille !
Dans les différentes appellations, tout se
complique lorsque, au XVIIIe siècle, apparaît le
rocaille, un art purement français. Ce terme
inventé désigne l’art frivole et exubérant
originaire des salons de Versailles et de Paris, à
la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles. Il est
créé par analogie avec l’art des rocailleurs qui
décorent les grottes et les fontaines des
jardins avec des cailloux de toutes les couleurs
et des coquillages.

Ce style est né des boiseries et des corniches
faits par les ornemanistes, les dessinateurs
d’ornements, et se répand des châteaux aux
couvents. Le rocaille se caractérise par une
prédilection pour les courbes, l’asymétrie, la
profusion des ornements, tels feuillages,
animaux, personnages et puttii, les petits
anges tout joufflus.
Il était une foi : l’architecture

Le concile de Trente (1545-1563) réaffirme


l’importance de l’imagerie religieuse dans l’instruction
des fidèles. Le renouveau spirituel conduit à la
création d’ordres religieux dont le plus influent est
celui des jésuites. Il joue un rôle si important dans la
diffusion du baroque que ce dernier est bien souvent
appelé « style jésuite ». Beaucoup d’églises sont
bâties sur le modèle de leur maison mère, l’église du
Gesù de Rome.

Le triomphe de la Rome catholique s’exprime en
premier lieu dans l’architecture. Les papes veulent
renouer eux aussi avec la grandeur et la beauté de la
Rome antique. De Sixte Quint (1585-1590) à
Alexandre VII (1655-1676), ils veulent célébrer la
gloire de Dieu et de la papauté en édifiant des
monuments somptueux, églises, palais, villas ou
couvents, en réaction au protestantisme.

Le Bernin : la fontaine de l’Innocent


Hormis l’intermède du pape Innocent X (1644-1655)
qui lui préfère le sculpteur Francesco Borromini (1599-
1667), Gian Lorenzo Bernini, dit le Bernin (1598-1680)
est le chef incontesté du baroque romain au XVIIe
siècle.

Les Français, qui se piquent de parler les langues


étrangères sans les comprendre, n’ont pas traduit le
terme « Cavalieri » par « Chevalier » mais par
« Cavalier ». Ainsi, Gian Lorenzo Bernini est souvent
appelé le Cavalier Bernin. Il est considéré comme le
maître indiscutable du baroque romain, tant en
architecture qu’en sculpture, au point d’être à la Rome
du XVIIe siècle ce que Michel-Ange était à celle de la
Renaissance ! Son œuvre se caractérise par une
inspiration permanente, une maîtrise de la géométrie
et de la perspective alliées à un sens du grandiose et
du théâtral.

Le Bernin sculpte la fontaine du Triton de la place
Barberini (1640) et surtout celle des Quatre Fleuves
de la place Navone (1647-1651). Comme les papes
ont la manie de récupérer les obélisques antiques de
Rome, Innocent X en veut un au milieu de la place où
sa famille a son palais. Le Bernin conçoit le projet fou
et original de le suspendre dans le vide, posé sur le
rocher creusé d’une grotte. Il installe aux angles de
celle-ci les figures des quatre grands fleuves alors
connus (le Danube, le Gange, le Nil et le Rio de la
Plata) pour exprimer l’universalité de l’Église,
« catholique » signifiant en effet « universel ». Le
visage du Nil est dissimulé par un voile car on ignore
sa source. On persifle sur les bras levés de deux des
fleuves en se demandant s’ils craignent que la façade
de l’église d’en face s’écroule.

La dolce vita
La fontaine de Trevi est due au sculpteur
Nicolo Salvi (1697-1751). Elle est célèbre chez
les cinéphiles pour la scène du film La Dolce
Vita de Fellini. Anita Ekberg en rome… pardon,
en robe du soir y prend un bain de pieds, sous
les yeux enamourés du grand Marcello
Mastroianni.

La disproportion entre la dimension de la
fontaine et l’étroitesse de la place peut
surprendre. La fontaine est accolée à un palais,
ce qui explique sa hauteur. Bâtie de 1732 à
1762, elle oppose le classicisme de sa façade,
marqué par un arc de triomphe à la romaine,
et la scénographie baroque de ses groupes
sculptés. Neptune est au centre, debout sur
son char en forme de coquille, tiré par des
chevaux menés par des tritons au milieu des
rochers. Le tout dans un jaillissement de
marbre et d’eau.

Barbare Barberini
Parmi la multitude des palais édifiés à Rome à la
période baroque, il convient de distinguer le palais
Barberini (1628-1633) du pape Urbain VIII. Tous les
grands artistes italiens de l’époque y œuvrent :
Maderno, Bernin, Borromini et Pierre de Cortone pour
la décoration intérieure. Ce palais tient plutôt de la
villa, car les baies du troisième niveau présentent des
encadrements en perspective feinte, bien dans l’esprit
d’artifice du baroque. Non moins intéressant est l’effet
de rétrécissement du portique au rez-de-chaussée
pour sa virtuosité technique.

C’est à Saint-Pierre au Vatican que Bernin peut le
mieux mettre à profit ses talents. En 1624, le
sculpteur crée le splendide baldaquin du maître-autel
de la basilique. Sur ses fameuses colonnes torses,
colonnes tordues emblématiques de l’art baroque, il
dispose un dais de bronze. Ce noble matériau provient
des plaques de métal qui décoraient encore le
portique du Panthéon, grandiose monument de la
Rome antique. Ce vandalisme scandalise les Romains
qui ironisent sur le nom du pape Urbain VIII Barberini :
« Ce que les Barbares ne firent pas, les Barberini le
firent. » Bernin y exécute aussi en 1657 la fameuse
tribune censée contenir la chaire de saint Pierre, c’est-
à-dire le siège qu’occupe l’évêque. Le meuble de bois
et d’ivoire dans La Gloire du Bernin n’est en fait qu’un
trône carolingien !

Place à la bénédiction

Bernin se voit ensuite confier par le pape Alexandre


VII l’élaboration de la place devant la basilique, la
célèbre place Saint-Pierre (1656-1665). L’architecte
essaie la combinaison suivante :
un parvis en forme de trapèze s’élevant doucement depuis la
place vers la basilique ;
une place elliptique, en forme d’ovale, ordonnée autour de
l’obélisque situé au centre.
Une forêt de colonnes entoure l’ensemble. Elles sont
disposées ingénieusement sur quatre rangées, de
telle sorte qu’elles restent alignées depuis le centre
de la place. Elles contribuent aux effets d’ombre et de
lumière qui font sa beauté et sa théâtralité. Le tout
entend former les deux bras matériels entre lesquels
l’Église souhaite rassembler tous ses fidèles, telles les
brebis égarées par la Réforme protestante. Avec la
place du Capitole de Michel-Ange, il s’agit de la plus
grande réalisation urbaine de Rome. Pendant qu’il
parachève cette place, l’artiste travaille à la
réalisation de plusieurs églises et de l’escalier
d’honneur du palais pontifical, la Scala Regia (escalier
royal) du Vatican (1663-1666). Le goût de la
perspective et du théâtre est encore présent dans
cette combinaison de colonnes qui, en se rétrécissant
vers le fond, entend prolonger l’effet de profondeur de
l’escalier.

Explosif : une plastique dynamique


La sculpture romaine du XVIIe siècle est partagée
entre les tenants du calme et de la sagesse, en un
mot du classicisme, et ceux du dynamisme et de la
théâtralité du baroque. Les premiers sont représentés
par Stefano Maderno, François Duquesnoy et
Alessandro Algardi dit l’Algarde, les seconds par le
Bernin. À l’intersection de la sculpture et de
l’architecture, Bernin joue là encore un rôle majeur.

Vœux d’artifice
Comme Michel-Ange, Bernin est aussi un sculpteur de
génie, toutefois dans un style opposé. Son David
renouvelle le thème, le visage crispé, en plein
mouvement pour armer sa fronde. La virtuosité de
l’artiste est stupéfiante dans les groupes d’Énée et
Anchise, de l’Enlèvement de Proserpine, d’Apollon et
Daphné. Avec Bernin, tout est mouvement, brio et
théâtralité. Quand Pluton, le dieu des Enfers, enlève
Proserpine, le marbre devient vraiment chair : il faut
voir comment ses doigts s’enfoncent dans la peau,
comment Proserpine se défend et repousse le dieu
dont le visage se déforme sous la pression de la main.
À l’église Sainte-Marie-de-la-Victoire, le maître atteint
le summum de son art avec la très extraordinaire
chapelle de l’Extase de sainte Thérèse dans un
mélange savant de bronze, de stuc et de marbre.

Bernin berné
Bernin aborde tous les thèmes de la sculpture. Qu’ils
soient d’apparat ou plus réalistes, ses bustes du
cardinal Borghèse (1632), de Charles Ier d’Angleterre
(1636, détruit) lui valent de faire celui de Louis XIV à
Versailles, où il passe cinq mois en 1665. Comme son
projet de façade du Louvre reste dans les cartons, on
lui commande une statue équestre du roi. L’artiste a
déjà brillamment réalisé pour le Vatican celle de
l’empereur Constantin, avec la formule – inédite
jusqu’à lui – du cheval cabré.

Inutile de se cabrer !
Mais la nouveauté ne plaît pas à Louis XIV, qui fait
transformer la statue (voir Figure 28) en Marcus
Curtius, un jeune héros romain, par Girardon, le plus
fameux sculpteur français du moment, et l’exile au
bout de la pièce d’eau des Suisses de Versailles.
Remplacé par une copie, l’original est désormais à
l’abri dans l’Orangerie du château de Versailles.

L’œuvre connaît plus de succès au XXe siècle, puisque


l’architecte Pei la choisit pour être exposée devant la
pyramide du Louvre. Cette copie est fondue en plomb,
matériau ignoble et inimaginable pour un sculpteur de
la dimension et de la classe de Bernin ! Seul le
marbre, surtout blanc, celui de Carrare, trouvait grâce
à ses yeux.

Maderno : point d’orgue


Maderno (1576-1636) est surtout connu pour sa
statue couchée de Sainte Cécile face contre terre
(1600). Le plus souvent, la patronne des musiciens est
représentée avec un orgue portatif à cause d’une
mauvaise lecture des « Actes de sainte Cécile » : le
mot latin organis peut être traduit par orgue ou par
organe. On lui a ainsi attribué à tort l’invention de
l’orgue, quand son organe, sa voix, était glorifié !

Ici, les trois doigts ouverts à la main droite et le doigt
ouvert à la main gauche montrent la foi de la martyre
en La Trinité et en son unicité. Cependant, rien de
spectaculaire dans cette œuvre qui frappe par sa
sobriété dans l’attitude, le drapé du vêtement et la
coiffure, si ce n’est qu’elle influence les statues de
saints qui suivent.

Duquesnoy : taille mannequin


François Duquesnoy (1594-1643) doit sa réputation à
son Saint André, de 4,68 mètres, l’une des quatre
statues colossales de la croisée de la basilique Saint-
Pierre de Rome. À Sainte-Marie-de-Lorette, sa Sainte
Suzanne, plus petite, si on peut dire, de 2 mètres,
témoigne également d’un goût pour les drapés.
L’artiste est à la sculpture classique ce que son ami
Nicolas Poussin est à la peinture. Une tradition en fait
le fils du sculpteur du Manneken Pis de Bruxelles
(œuvre de Jérôme Duquesnoy). Évidemment père et
fils ne faisaient pas dans le même format…

Fréquentant Poussin et Duquesnoy, L’Algarde (1594-
1643) est à l’intersection des deux tendances de la
sculpture romaine. Le classicisme flagrant de ses
bustes tient à son travail sur la statuaire antique. Il a
de son vivant une réputation égale à celle de Bernin
au point de prendre sa place sous le pontificat
d’Innocent X. Originaire de Bologne, il subit aussi
l’influence des peintres Carrache.

Quels miracles ! La peinture


Rome voit surgir à la fin du XVIe siècle deux miracles
bien opposés : celui des Carrache et celui du
Caravage.

Une voie de Carrache ?


Les Carrache sont originaires de Bologne et font de
leur ville la grande école picturale de l’Italie au XVIIe
siècle. Ils donnent en effet naissance à une série de
peintres prestigieux qui ont pour noms : Guido Reni dit
le Guide, l’Albane, le Dominiquin, le Guerchin.

La famille Carrache se compose des frères Augustin


(1557-1602) et Annibal (1560-1609) et de leur cousin
Ludovic (1555-1619). Elle révolutionne l’art de
peindre, tant dans le domaine du chevalet que de la
peinture décorative. Comme Rome constitue le centre
névralgique de la peinture baroque, les Carrache y
travaillent à la décoration du palais Farnèse dont la
galerie en trompe-l’œil influence toutes celles des
palais européens. On doit aussi à Annibal le
renouvellement de la peinture de paysage. À travers
un thème mythologique ou religieux, il offre un
prétexte à une vaste représentation poétique et
idéalisée de la nature, par exemple en 1604 dans la
Fuite en Égypte. Un Français comme Poussin en sera
particulièrement marqué.
Leçon de ténèbres : le Caravage
Michelangelo Merisi (1573-1610) doit son surnom à
son lieu de naissance, Caravaggio en Lombardie. Le
Caravage fait l’autre révolution de la peinture
italienne, celle du clair-obscur, c’est-à-dire des jeux
d’ombre et de lumière, dans une vision sans
concession de la réalité. La force de sa peinture
connaît un succès prodigieux en Italie, mais aussi
partout en Europe : des peintres aussi fameux que le
Français Vouet ou l’Espagnol Vélasquez ont une
période caravagesque à leurs débuts. Arrivé à Rome
avant les Carrache, en 1592, en l’espace de deux ans
à peine, son génie le propulse au sommet de la
peinture romaine.

Naissance de la nature
morte
En 1607, le Caravage fuit Rome suite à une
rixe qui se termine par un meurtre dont on
l’accuse… Mais si son caractère n’est pas
facile, sa peinture est originale ! L’artiste crée
un nouveau genre pictural. Sa célèbre
Corbeille de fruits est en effet la première
nature morte de l’Histoire. La corbeille, comme
les fruits et les feuillages, sont si réalistes
qu’on peut presque les sentir ! Il prolonge ce
goût dans des tableaux avec personnages
Garçon à la corbeille de fruits, Bacchus,
Garçon mordu par un lézard, et Bacchus
malade, un autoportrait sans barbe. Dans ces
œuvres apparaissent déjà le cadrage serré, les
types populaires qui feront son succès. S’il
n’est pas encore question de clair-obscur,
l’ombre commence à apparaître dans le fond
du Bacchus.

On doit aussi au Caravage le thème célèbre
répandu au XVIIe siècle des personnages
assemblés pour un concert ou un jeu de
cartes, voire pour se faire dire la bonne
aventure. Comme la Corbeille de fruits, La
Diseuse de bonne aventure du Louvre est
figurée sur fond neutre. L’artiste innove encore
dans la peinture religieuse avec Le Repas
d’Emmaüs, où Jésus rompt le pain avec les
pèlerins qui l’ont accompagné, œuvre qui
devient une scène de taverne avec la servante
ridée et le patron bien enveloppé à l’arrière-
plan.

Les adolescents sont des anges


Le Caravage est aussi et surtout un peintre religieux,
initiant des thèmes qui connaîtront de grands succès,
tels que la Madeleine pénitente, la Mort de la Vierge
(voir Figure 21) ou la saisissante Judith décapitant
Holopherne. Il se voit confier de grands cycles
décoratifs dont les plus fameux sont ceux des
chapelles Contarelli à Saint-Louis-des-Français (1599-
1600) et Cerisi à Santa-Maria del Popolo (1600-1601).
Ils marquent l’évolution ténébriste du Caravage où, à
partir de La Vocation de saint Matthieu, la scène n’est
plus éclairée que par une seule source de lumière. Le
caractère non conventionnel du Caravage apparaît
encore dans Les Sept œuvres de miséricorde avec les
anges figurés non plus par des enfants joufflus et
potelés, mais par des adolescents dotés d’ailes
impressionnantes.

Le plus beau tableau du siècle
Accusé de meurtre à Rome, le Caravage s’enfuit à
Naples, puis à Malte où il assombrit encore ses toiles.
Par exemple, La Décollation de saint Jean-Baptiste de
la cathédrale de La Vallette (1608). Dans la pénombre
du cachot, le saint vient de mourir. Du sang qui coule
de sa gorge Caravage peint sa signature. Par la
disposition des personnages, les jeux d’ombre et de
lumière, on y a vu un des plus beaux tableaux du
siècle, sinon le plus beau. Mais Caravage s’attire à
nouveau des ennuis avec les chevaliers de Malte et
veut rentrer à Rome. Il s’arrête à Monte Argentario, en
Toscane, qui dépend du royaume de Naples. L’artiste
veut être un peu à l’écart des États pontificaux car il
n’a pas reçu leur grâce. Manque de chance, il est jeté
en prison. Sans doute par erreur, car il est libéré très
vite. Peu après, son cadavre est pourtant découvert
sur une plage.

La vengeance d’Artemisia
Artemisia Gentileschi (1593-1652) est une
artiste précoce. À seulement 17 ans, elle signe
Suzanne et les Anciens. Son père lui donne à
19 ans un professeur particulier nommé
Agostino Tassi qui la viole. S’ensuit un procès
humiliant puisque les juges décident de
soumettre l’accusatrice à la question pour
savoir si elle dit la vérité. Le paradoxe est
effrayant : torturée pour avoir voulu obtenir
justice ! Elle maintient malgré tout ses
accusations et son professeur est condamné à
un an de prison, puis à l’exil. Malgré ses doigts
écrasés dans les séances de torture, elle
devient un des meilleurs peintres de son
époque. Une parfaite utilisation du clair-obscur
caravagesque donne une atmosphère
particulière à son œuvre. Elle est aussi la
première femme à entrer à l’Académie des
beaux-arts de Florence.

Un écho de cet épisode dramatique de sa vie
subsiste dans son chef-d’œuvre conservé à la
galerie des Offices à Florence, Judith et
Holopherne (Holopherne est un général
assyrien que Judith tue pour sauver son
peuple). La tradition veut qu’elle donne les
traits de son agresseur Tassi à Holopherne et
les siens à Judith dans une éclatante
vengeance posthume. Sa vie est retracée dans
un film, Artemisia.
Chapitre 10

Un grand classique : la
France baroque

Dans ce chapitre :
De l’exubérance et du classique
Le prix de Rome
Le comble de l’architecte
La fête à Versailles

Au XIXe siècle, les premiers historiens de l’art


qualifient de baroque l’art des XVIIe et XVIIIe siècles,
en raison de ce qu’on lui trouve d’excessif,
d’exubérant ou d’artificiel. On oppose alors ce terme à
celui de classique, synonyme de clarté et de rigueur.
Le classique s’inspire en effet de l’esthétique de
l’Antiquité et de la Renaissance, avec ses lignes
régulières et son sens de la mesure.

Pourtant, les deux courants ne s’opposent pas. Ils sont


complémentaires. Comme le château de Versailles, un
bâtiment peut être classique à l’extérieur et baroque à
l’intérieur. De même, à l’image du peintre Poussin, un
artiste peut être tenté un moment par la voie de
l’exubérance pour finalement rentrer dans le rang des
règles classiques. Il peut même être baroque en
sculpture et classique en architecture, comme Bernin
à Rome.

Peinture fraîche !
Le retour de Rome du peintre Simon Vouet (1590-
1649) marque le renouveau de la peinture française.
Demeuré dans la Ville éternelle de 1613 à 1627, Vouet
est d’abord marqué par le courant caravagesque, pour
évoluer ensuite vers les formules baroques qu’il ne
devait plus abandonner.

Vouet a une belle carrière


Considéré comme le premier grand peintre français du
XVIIe siècle, Vouet est le seul baroque à proprement
parler. Sa Présentation au Temple pour le maître-autel
des jésuites de l’église Saint-Paul-Saint-Louis de Paris
(1641) en est un exemple évocateur par le
mouvement des figures et la vivacité des couleurs.
Premier peintre de Louis XIII, l’artiste est l’auteur de
nombreux décors de palais et d’hôtels particuliers,
hélas disparus. Il amorce ces décors composés de
panneaux peints encadrés de motifs sculptés, tels
qu’on peut les voir dans les Grands Appartements de
Versailles. L’intérêt de cette invention est que l’artiste
peut travailler au sol et non plus sur des
échafaudages. Vouet a même tenté d’introduire le
décor illusionniste romain en paysages et
architectures feintes.

Du Champaigne non pétillant


Le peintre Philippe de Champaigne (1623-1674),
Bruxellois d’origine, s’établit à Paris dès 1621 et
devient le portraitiste de Louis XIII et de Richelieu. Les
peintures sont celles reproduites dans nos livres
d’histoire et dont les visages frappent par leur
réalisme. Outre le portrait, l’artiste s’illustre dans la
peinture religieuse. Ses liens avec le milieu janséniste
de Port-Royal des Champs ne font que renforcer cette
inspiration religieuse, comme en témoignent les
figures assises et agenouillées de la mère Agnès et de
la fille du peintre dans un ex-voto de 1662. Artiste
baroque, Champaigne affectionne comme les peintres
du Nord le sens du détail et les compositions
élégantes dans lesquelles les belles architectures
prennent toute leur place. Il pratique volontiers un art
aristocratique non dénué de psychologie ou de
spiritualité.

L’éclosion d’un Poussin


Le courant baroque et le courant classique peuvent
parfois se recouper chez le même artiste. C’est ainsi
que les peintres Laurent de La Hyre (1606-1656),
Eustache Le Sueur et Sébastien Bourdon (1616-1671),
maîtres de l’école classique parisienne, sont d’abord
séduits par le baroque de Vouet et se rapprochent
ensuite du classicisme de Poussin. La nouvelle
génération de peintres, Le Lorrain, Le Brun et Mignard
par exemple, continue la tradition initiée par Nicolas
Poussin (1594-1665), l’autre grand maître de la
peinture française du XVIIe siècle.

Connaître ses classiques
Alors que Vouet fait carrière à Paris, Nicolas Poussin
(1594-1665) fait la sienne à Rome. Ce méditatif ne
peut vivre qu’au contact des antiquités et du climat
romain. On tente de l’opposer à Vouet lors de son
séjour à Paris en 1640-1642, mais l’agitation et les
intrigues de la cour de Louis XIII n’étaient pas pour
Poussin.

Rome à tout prix


Sous l’Ancien Régime, l’Académie royale de
peinture et de sculpture organise de nombreux
prix dont le plus prestigieux est le prix de
Rome. Créé en 1663, il choisit et récompense
les étudiants par un séjour de trois à cinq ans
à l’Académie de France à Rome, à la villa
Médicis, voyage et frais de pension à la charge
de l’État. Il concerne plusieurs catégories :
sculpture, architecture, estampe, composition
musicale et peinture, dans son genre le plus
noble, la peinture d’histoire. Obtenir le prix de
Rome dans cette catégorie est considéré
comme la porte ouverte vers la gloire. Mais
celle-ci est capricieuse, car nombre de lauréats
ont disparu des mémoires. Sans médisance
aucune, Léon Comerre, par exemple, ne reste
plus connu que des employés de la mairie du
VIe arrondissement de Paris, et encore, parce
qu’il a décoré ce bâtiment.

La renommée de ce prix était aussi grande à
l’étranger qu’en France. Tout au long du XIXe
siècle, les Salons de peinture et la remise du
prix de Rome étaient des événements
comparables au Festival de Cannes ou à la
cérémonie des Oscars. Mais il disparaît en
1968. Il ne s’ouvre aux femmes que fort tard :
la première – et la dernière – femme à obtenir
le prix de Rome est Odette Marie Pauvert en
1925. Inutile de dire que l’on peut s’amuser à
regarder la liste des écrivains refusés à
l’Académie et celle des peintres importants
recalés au prix de Rome, par exemple Gustave
Moreau, Degas et même Delacroix. David,
recalé quatre fois, envisage même le suicide.

Marqué à ses débuts par le mouvement baroque dans


Le Martyre d’Érasme (1628-29) ou L’Empire de Flore
(1631), son style évolue vers un classicisme de plus
en plus rigoureux où se manifeste un sens aigu de la
composition. Avant de peindre, l’artiste n’hésite pas à
mettre en scène ses tableaux à l’aide de personnages
de cire qu’il habille comme des poupées.
Profondément marqué par les reliefs antiques, il se
plaît aussi à représenter les figures de profil ou de
trois quarts, alignées en frise.

Dessin à dessein
Poussin avoue un goût prononcé pour le dessin qui
l’amène à privilégier celui-ci aux dépens de la couleur
si chère aux baroques. Il pratique une idéalisation des
formes et montre un intérêt profond pour la gestuelle
et l’expression faciale des figures. Le peintre fait appel
à des thèmes complexes et érudits tirés de l’Ancien
Testament, de l’histoire romaine antique ou de la
mythologie. Ainsi, l’art de Poussin parle plus à
l’intellect qu’au cœur et peut rebuter de prime abord.
Mais une fois les mérites de sa peinture intégrés, il
éblouit. Ses œuvres les plus illustres sont L’Inspiration
du poète (vers 1630), Les Bergers d’Arcadie (vers
1650, voir Figure 25), La Madone à l’escalier (1648),
ou Apollon et Daphné, sa dernière œuvre restée
inachevée.

L’invention du paysage
Jusqu’à Claude Gellée dit Le Lorrain (1660-
1682), le paysage n’est traité que comme un
arrière-fond nécessaire, avec tout de même de
belles réussites chez Dürer avec le Val d’Arco
ou La Joconde de Léonard. C’est cependant Le
Lorrain qui donne au paysage ses lettres de
noblesse en créant véritablement ce genre
pictural. Le peintre y développe le sens
classique de Poussin et porte ce genre réputé à
un très haut degré de perfection. Fasciné par
les paysages de ruines et la campagne
romaine, l’artiste exprime sa quête du paradis
perdu, d’un âge d’or assimilé au temps
idyllique de l’Antiquité. Ses couchers de soleil
comme Le Port (1641) sont stupéfiants de
beauté. Le Lorrain va influencer
considérablement l’art du paysage dans toute
l’Europe, de l’école de Barbizon aux
impressionnistes.

Un beau Le Brun pas ténébreux

La grande peinture académique pratiquée dans la


seconde moitié du XVIIe siècle pour Louis XIV et sa
cour a pour maître incontesté Charles Le Brun (1619-
1690). Son œuvre est immense, car il n’est pas
seulement peintre de chevalet mais aussi décorateur
et dessinateur de tapisseries et de meubles pour les
manufactures royales. Son tableau La Tente de Darius
(1661, voir Figure 29) fait date dans l’histoire de la
peinture française. C’est à partir de cette œuvre que
les contemporains de Louis XIV se disent : « Nous
avons atteint le niveau des Italiens. » Pour preuve, on
l’avait mise à Versailles en face des Pèlerins
d’Emmaüs de… Véronèse (et non de l’abbé Pierre).

Le Brun est aussi un peintre religieux. Il a beau être
classique, son pinceau devient facilement exubérant.
Le baroque en effet est bien apparent par le sens du
mouvement et des couleurs vives dans l’Adoration
des bergers (1685) ou dans le portrait du chancelier
Séguier au Louvre, sans parler de son travail pour la
galerie des Glaces du château de Versailles, dont la
restauration s’achèvera en 2007.

Cette peinture aux couleurs vives apparaît aussi chez
les peintres Nicolas de Largillière (1656-1676), qui se
caractérise par son réalisme, et Hyacinthe Rigaud
(1659-1743), qui incarne le portrait officiel à lui tout
seul. Ce dernier met au point la formule de la draperie
et du décor d’architecture à l’arrière-plan du
personnage, élément qui perdurera jusqu’au XIXe
siècle.
Un idéal royal
La Tente de Darius (voir Figure 29), première
commande royale de Le Brun, synthétise à elle
seule son idéal et celui de l’Académie royale :
une peinture à sujet antique réputé noble ;
la reprise de la règle des trois unités de la
tragédie classique : « en un jour, un lieu, une
action accomplie » ;
la bienséance des attitudes et l’expression
des figures censées traduire leur psychologie ;
l’importance donnée au dessin.
Le tableau devient le manifeste de la peinture
française, à tel point que Pierre Mignard, rival
de Le Brun et son successeur à la charge de
premier peintre du roi, tentera de faire mieux
sur le même sujet en 1689. Comme du nom de
ce peintre on a tiré « mignardise », ces petites
pâtisseries dont on ne fait qu’une bouchée, on
laissera le goût des visiteurs de l’Ermitage
décider si le pari est gagné…

Dans le flot mais hors courant


Difficile de rattacher les peintres qui vont suivre à un
style précis, tant ils ont leurs propres qualités ! En
France, la nature morte est alors un genre mineur,
voire décrié, tandis qu’elle est traitée avec respect
aux Pays-Bas, par exemple. Chardin va la porter très
haut. Disciple du Caravage, La Tour se joue de
l’obscurité dans ses toiles quand Watteau met en
scène la vie galante.

La Tour, un phare dans le clair-obscur

À l’écart des deux courants, classique et baroque,


Georges de La Tour (1593-1652) est le plus grand
peintre caravagesque français. On parle même parfois
de luminisme à son propos. Il est l’auteur de
nombreuses Nativités et de scènes religieuses
éclairées à la lueur d’une bougie, comme dans Saint
Joseph charpentier (1645), Saint Sébastien soigné par
sainte Irène (1649) ou la Madeleine pénitente (1642-
44). La Tour adopte un style tantôt descriptif, dans
lequel il s’emploie à détailler les rides du visage, et
tantôt stylisé, aux formes géométriques.
Contrairement au Caravage, son œuvre n’a rien de
tourmenté ou de sanguinolent, tout est calme et
sagesse.

Watteau, un libertin en pèlerinage


Quand on regarde les dates de Watteau (1684-1721),
on se rend compte qu’il a surtout vécu sous Louis XIV
mort en 1715. Il évoque pourtant à lui seul le climat
libertin de la Régence qui s’ensuit.

Le mot « libertin » n’a pas alors le sens érotique


actuel, il désigne celui qui a l’indépendance de
l’esprit, de la plume et, parfois aussi c’est vrai, des
mœurs. Le peintre est le créateur de la fête galante
avec son Pèlerinage à l’île de Cythère (1717, voir
Figure 32), peuplé de couples aimables au milieu
d’un paysage idyllique scandé d’arbres à hautes
frondaisons et baignant dans cette brume qui rappelle
le sfumato de Léonard de Vinci. Il peint aussi des
sujets de théâtre et de commedia dell’arte comme le
Gilles (1718) ou des thèmes réalistes comme
L’Enseigne de Gersaint, destinée à la boutique d’un
marchand de tableaux réputé qui l’héberge. Cette
inspiration libertine et poétique ouvre la voie à deux
autres maîtres de la peinture rocaille : François
Boucher (1703-1770, voir Figure 31) et Jean Honoré
Fragonard (1732-1806).

Chardin des délices


Jean Siméon Chardin (1699-1779) est un peintre
prolifique – on estime à plus de 1 000 le nombre de
ses toiles. Il s’illustre d’abord dans la scène de genre
au XVIIIe siècle, où alternent les thèmes de la vie
bourgeoise, de l’enfance, avec L’Enfant au toton (c’est
un jouet), et de la domesticité, Le Bénédicité (1740).
L’artiste est surtout le maître incontesté de la nature
morte, dite aussi la « vie silencieuse », ainsi que ce
genre est appelé en anglais (still life) ou en allemand
(Still-Leben). La fraîcheur des fruits et des légumes
représentés prouve qu’ils sont bien du Chardin !
Douceur et poésie peuvent se dégager de son œuvre
mais aussi un réalisme parfois jugé brutal comme
dans La Raie ouverte (voir Figure 30).

Une grâce mâtinée d’antique : la


sculpture classique et baroque
Type même du sculpteur classique, François Girardon
(1628-1715) se caractérise par l’art savant du modelé,
l’emploi de larges draperies à l’antique, la simplicité
de la présentation et la retenue émotionnelle des
figures, comme dans le tombeau de Richelieu à la
Sorbonne.

La molle volupté des chairs


Les œuvres les plus célèbres de Girardon sont dans
les jardins de Versailles : Apollon servi par les
Nymphes (1666) ou L’Hiver (1675). On lui doit aussi
les décors et plafonds de Vaux-le-Vicomte et ceux de
la galerie d’Apollon au Louvre, ainsi que des bustes et
des reliefs dont le Bain des Nymphes (1668-1670) de
Versailles que le peintre Renoir contemple longuement
en 1885, admirant la molle volupté des chairs.
Comme preuve de confiance, Louis XIV lui confie la
modification de sa statue équestre exécutée par
Bernin (voir Figure 28).

Le salon de la Guerre à Versailles


Antoine Coysevox (1640-1720) est lui aussi très
apprécié de Louis XIV. L’artiste fait le relief du salon de
la Guerre à Versailles. Ses effets baroques sont
sensibles dans les chevaux ailés de Mercure et de La
Renommée, autrefois placés aux abreuvoirs de Marly
et aujourd’hui à l’entrée des Tuileries. Ces effets se
manifestent aussi dans les figures du chœur de Notre-
Dame de Paris avec une Pieta, un Louis XIII, un Louis
XIV, qu’il réalise avec ses neveux les frères Coustou.
Coysevox conçoit aussi les opulentes draperies du
tombeau du cardinal de Mazarin à l’Institut et celui de
Colbert à Saint-Eustache, plus facile à visiter car
l’entrée est libre !

Les commandants Coustou


Les frères Nicolas (1658-1733) et Guillaume Coustou
(1677-1746) ouvrent la marche d’un XVIIIe siècle riche
en grands sculpteurs et, victimes de leur succès,
doivent honorer de nombreuses commandes.

Guillaume Coustou est l’auteur des Chevaux de Marly
(1743-1745, voir Figure 33), qui ont remplacé ceux
de Coysevox à Marly. Placés à la Révolution à l’entrée
des Champs-Élysées, ils y ont été remplacés par des
copies et les originaux sont au Louvre. Son fils,
Guillaume II Coustou (1716-1777), travaille pour la
marquise de Pompadour, protectrice des lettres et des
arts et femme de goût. Sa réputation va jusqu’à la
cour de Prusse, où Frédéric II lui commande les
statues de Mars et Vénus (1764).

Athlètes atlantes
D’abord décorateur de navires, le Marseillais Pierre
Puget (1620-1694) se fait connaître en sculptant les
atlantes à l’hôtel de ville de Toulon. Les atlantes sont
la version masculine des cariatides qui supportent des
éléments architecturaux. Fouquet le prend à son
service et, lors de la disgrâce du surintendant, l’artiste
est en Italie en train de sélectionner des marbres. Par
prudence, il y reste sept ans, s’y fait la main et le
ciseau et, en rentrant à Marseille, y applique ses
talents d’architecte et d’urbaniste. Le sculpteur
s’affirme également comme l’héritier baroque de
Michel-Ange en donnant ses Milon de Crotone ou
Persée délivrant Andromède.

Pigalle à sa place
Le sculpteur Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785)
est à bonne école avec Robert Le Lorrain
(1666-1743), célèbre pour Les Chevaux du
soleil, visibles à l’hôtel de Rohan, c’est-à-dire
aux Archives nationales. Ayant échoué au
concours du prix de Rome, il part à pied pour
l’Italie ! Il s’y lie d’amitié avec Guillaume II
Coustou.

La première œuvre de Pigalle est la Joueuse
d’osselets. En 1744, son morceau de réception
à l’Académie est Mercure rattachant ses
talonnières, dont le pendant est une Vénus,
commandée par Louis XV. Madame de
Pompadour, protectrice des artistes et des
littérateurs, le prend alors sous son aile et le
sculpteur donne les traits de sa bienfaitrice à
sa statue de L’Amitié. Pigalle s’adonne aussi à
la sculpture monumentale et réalise le
mausolée de Maurice de Saxe à Strasbourg et
le saisissant Tombeau du maréchal d’Harcourt
à Notre-Dame, où le défunt sort à moitié de la
tombe et fait signe à sa femme de le rejoindre.
Sa statue de Voltaire étonne, car le vieux
philosophe est nu, en référence à la statue
antique de Sénèque. Il fallait oser ! Cette
œuvre annonce déjà le néoclassicisme.

Le temps de l’Île enchantée :


l’architecture
Oscillant entre baroque et classicisme, l’architecture
de la première moitié du XVIIe siècle est marquée par
le très classique François Mansart (1598-1666) qualifié
en son temps de génie de l’architecture. On lui doit
notamment le château de Maisons-Laffitte, son chef-
d’œuvre, et le Val-de-Grâce à Paris. Il a
successivement pour rivaux les deux premiers
architectes du roi : Jacques Lemercier (1585-1654), à
qui l’on doit la chapelle de la Sorbonne, le château et
la ville de Richelieu en Poitou, et Louis Le Vau (1612-
1670), qui réalisa les châteaux de Vaux-le-Vicomte
(résidence de Nicolas Fouquet) et de Versailles.

Fouquet, mélange de banquier et de ministre des


Finances, se retrouve en prison en 1661 escorté par
d’Artagnan, pas celui du roman, celui de l’histoire.
L’animal de ses armoiries est l’écureuil, ce qui ne
l’empêche pas de faire deux mauvais placements :
l’un est d’offrir une trop belle fête au roi, l’autre est de
vendre sa charge de procureur général du roi, qui lui
aurait permis de bloquer les poursuites. Oui,
l’immunité parlementaire existait déjà ! Louis XIV, un
rien jaloux, veut faire mieux que Vaux-le-Vicomte, la
demeure du disgracié, et ce sera Versailles.

Un château fort beau


Au mois de mai 1664, pour montrer son désir de
« lancer » Versailles, Louis XIV y donne une première
grande fête, « Les Plaisirs de l’isle enchantée ». Le
thème est tiré de La Jérusalem délivrée (1580) du
Tasse. Le sujet en est la prise de Jérusalem par les
croisés et l’établissement d’un nouveau royaume sur
Terre avec l’autorité ferme de Godefroy de Bouillon et
la fin des infidèles. Tout un programme séduisant.

Le roi architecte
Sur Versailles devenue capitale administrative du
royaume en 1682 se focalise l’essentiel de la création
architecturale de la France, qu’il s’agisse des
bâtiments, des jardins, des décors, du mobilier ou de
l’urbanisme. Autour de Louis XIV se multiplient les
résidences, Marly pour lui et ses intimes, le grand
Trianon pour sa famille, la ménagerie pour ses
animaux.

La partie centrale actuelle du château enveloppe
l’édifice de Louis XIII. Les travaux commencent en
1661 sous la direction de Le Vau, qui meurt en 1670.
Si Hardouin-Mansart lui succède, le véritable
architecte est Louis XIV lui-même, car aucun détail ne
peut être adopté sans son approbation. Il dirige ainsi
les opérations du Grand Trianon (1687-1688).

La culture des jardins
On ne peut pas parler du château de Versailles sans
évoquer le parc d’André Le Nôtre (1613-1700), chef-
d’œuvre de l’art des jardins à la française. La déclivité
naturelle fournit déjà une belle perspective. Deux
grands parterres s’étendent devant le château et,
dans l’axe de la façade, une allée grandiose s’ouvre,
où se suivent bassins et parterres (le parterre d’eau et
le bassin de Latone), pour aboutir à une vaste pièce
d’eau en forme de croix appelée le canal. Le
labyrinthe végétal d’origine a disparu, mais la
restauration des autres a toujours lieu. Les fontaines
sont alimentées par un réseau d’aqueducs et un
savant jeu de canalisations.
Le comble de l’architecte
Quel est le comble de l’architecte ? C’est le
comble mansardé, ou mansarde, qui,
contrairement à ce que son nom pourrait
laisser entendre, ne doit rien aux Mansart.
François ou Jules-Hardouin en sont juste les
propagateurs. Il s’agit d’un comble bas avec
lucarnes recoupé par le haut, d’où cet aspect
de pente double. Disons que l’on a décidé à un
moment de limiter la hauteur des grands toits
à la française en inclinant leur partie
supérieure. À la place des greniers, on a
aménagé des espaces d’habitation, plus faciles
à chauffer, en ouvrant des lucarnes dans ces
toits auparavant aveugles. La première
apparition des combles mansardés a lieu dans
les hôtels particuliers parisiens au début du
XVIIe siècle.

Les Invalides : une sacrée pension


À Paris, Louis XIV veut marquer sa gloire par une série
de monuments. Les portes Saint-Denis (1672) de
François Blondel (1618-1686) et Saint-Martin (1674)
de Pierre Bullet (1639-1716) sont conçues comme de
véritables arcs de triomphe romains, symboles de ses
victoires récentes.

Louis XIV fait aussi bâtir l’hôtel des Invalides (1677-
1706), un vaste ensemble en damier, hôpital destiné à
ses vieux soldats.

Le dôme de Jules Hardouin-Mansart est un mélange de
classique et de baroque, érigé derrière un bâtiment
influencé par l’Escurial et dû à l’architecte Libéral
Bruant. Louis XIV veut aussi avoir sa place royale à
Paris avec statue équestre, ce sera la place Vendôme
(1685-1699), conçue à sa mesure par Hardouin-
Mansart. La colonne de Napoléon est en effet située à
l’emplacement de la statue en bronze du roi par
Girardon. La place offre une forme originale
octogonale. Comme pour la place des Vosges, seules
les façades sont érigées, le roi laissant aux particuliers
le soin de bâtir leurs hôtels par-derrière. Place des
Victoires (1685-1690), c’est un particulier, le maréchal
duc de La Feuillade, qui fait bâtir par Hardouin-
Mansart.

Un architecte oublié
Après François Mansart (1598-1666), le génie
de la dynastie, et Jules Hardouin-Mansart
(1646-1708), le grand architecte de Louis XIV,
Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne (1711-
1778), le petit-fils de Jules, perpétue la
tradition familiale. Il est l’auteur :
de la cathédrale Saint-Louis de Versailles
(1742-1754), premier grand chantier religieux
du règne de Louis XV ;
du monastère royal de Prouille (1746-1787,
détruit), berceau de l’ordre des dominicains ;
de l’impressionnant Hôtel-Dieu de Marseille
(1753, inachevé) qu’il veut aussi vaste que
celui de Lyon ;
de deux projets de places royales (Paris et
Marseille) ;
d’un projet de palais royal à Lisbonne (1756,
perdu) ;
d’un château en Allemagne (Jagersburg,
1752-1756, détruit) ;
de plusieurs maisons et hôtels à Paris et
Versailles ;
de châteaux en Île-de-France (Asnières,
Jossigny).
Cet architecte a le tort de naître adultérin en
un siècle où l’on ne transige pas sur la
naissance, et de travailler dans le rocaille, que
les partisans du néoclassicisme détestent. Une
conspiration du silence s’amorce dès l’arrêt de
son activité, située entre 1733 et 1756
environ, pour mieux conserver le souvenir de
ses aînés. Jalousie, quand tu nous tiens !
Chapitre 11

L’éveil du Siècle d’or : le


baroque espagnol

Dans ce chapitre :
Pleins feux sur le clair-obscur
Un pape tout rouge
La souffrance exaltée en sculpture
Les illusions de l’architecture

Le Siglo de Oro, le Siècle d’or, de la puissance et de


l’art espagnols va de la fin du XVIe jusqu’à la fin du
XVIIe siècle. Il est aussi celui de son déclin politique,
économique et diplomatique en Europe au profit de la
France de Louis XIV.

Avoir la vocation : la peinture

La peinture baroque espagnole affectionne les thèmes


religieux, mais elle sait aussi explorer et faire siennes
la nature morte et la peinture de genre. Cette dernière
dégage une atmosphère particulière en mettant en
scène la vie quotidienne des gens du peuple, paysans,
mendiants, enfants des rues. La vérité, l’âpreté et la
force expressive de la peinture espagnole,
éminemment moderne en son temps, explique qu’elle
reste incomprise et isolée du reste de l’Europe. Il faut
attendre le XIXe siècle et les razzias des troupes
napoléoniennes en Espagne pour qu’elle soit enfin
connue et appréciée. Le roi Louis-Philippe se constitua
une galerie de toiles espagnoles au Louvre, dispersée
en 1848. Puis, le génie de Vélasquez fascina un
peintre comme Manet.

Les premiers pas avec Ribalta et Ribera

Le peintre Francisco Ribalta (1565-1628) introduit le


clair-obscur caravagesque en Espagne après un séjour
en Italie vers 1610. Il est l’auteur d’un sublime Christ
prenant dans ses bras saint Bernard où les corps
puissants du Christ et du saint, violemment éclairés,
émergent de l’obscurité dans une vision resserrée,
tous les détails accessoires étant éliminés.

Recette à la napolitaine
Même si José de Ribera (1591-1652) vit
essentiellement à Naples en Italie à partir de 1615, il
reste fidèle à la manière espagnole. Un des très rares
peintres espagnols à être appréciés en Europe, ce
maître de l’école napolitaine adopte en effet le
ténébrisme caravagesque de Ribalta, son professeur.
L’artiste évolue ensuite vers les couleurs chaudes de
Venise, sans pour autant se départir de sa vision
brutale et sans concession des êtres et des choses, au
point que l’écrivain Théophile Gautier forgera de lui au
XIXe siècle l’image d’un « peintre d’abattoir » !

De beaux monstres
Ribera représente en effet des scènes plutôt
sanglantes comme le Martyre de saint Philippe (1630-
1639). De ses apôtres ou philosophes exposés dans
leur brutalité physique, il détaille sans complaisance
les rides des visages et des corps vieillissants. En
témoignent aussi ses nombreuses figures de saint
Jérôme, d’êtres difformes ou maltraités par la nature
comme sa Femme à barbe (1631) et son Mendiant au
pied bot (1652), toiles saisissantes de réalisme. Il est
aussi l’auteur, hormis un curieux duel entre femmes,
de scènes religieuses originales, telle son Assomption
de Marie-Madeleine (1636) qu’il figure comme celle de
la Vierge. Ribera est, avec Vélasquez et Goya, le grand
maître de la peinture espagnole.

Ne faites pas l’infant : Vélasquez

À Séville, sa ville natale, Diego Vélasquez (1599-1660)


réalise les chefs-d’œuvre qui en font le maître du
réalisme baroque espagnol. Marqué lui aussi à ses
débuts par le Caravage, il exploite les sujets
populaires et religieux avec une force d’évocation et
une vigueur du clair-obscur rares, loin de la brutalité
de Ribera comme le prouvent ses tableaux de la
Vieille faisant frire des œufs (1618), du Vendeur d’eau
de Séville (1620) qui n’a manifestement pas pour
clients les Buveurs (1628).

Miroir, miroir, qui est la plus belle ?
À son arrivée à Madrid, Vélasquez devient le peintre
attitré de la Cour. Cela lui permet d’aborder en toute
liberté des thèmes rares dans la peinture espagnole
comme le nu et les sujets mythologiques avec les
fameuses Fileuses (1644-1648) ou La Forge de Vulcain
(1630). Déjà impressionniste par la touche, le tableau
des Fileuses reprend le thème des Parques, les trois
sœurs qui veillent à la destinée des hommes. Mais le
maître l’utilise pour dépeindre une scène d’atelier de
tapisserie sous le règne de Philippe IV. On y voit bien
l’influence des œuvres de Titien et de Tintoret
conservées dans les collections royales espagnoles,
comme dans le nu de la sublime Vénus au miroir
(1644-1648).

Le roi des peintres et le peintre des rois
Véritable génie de la peinture universelle, Vélasquez
est considéré par Manet comme « le peintre des rois
et le roi des peintres ». Sa vision intimiste et originale
des souverains espagnols peut étonner : le roi Philippe
IV pose en simple chasseur, dépourvu de toute
majesté royale, quand les célèbres Ménines (1656,
voir Figure 26) montrent l’envers du décor au
moment des séances de pose de la princesse. Un fait
typiquement espagnol est de voir figurer dans toute
leur simplicité physique et morale les personnages,
comme le Bouffon Calabazas et le Nain Franciso
Lezcano, dit l’enfant de Vallecas, les philosophes
Ménippe et Ésope (vers 1640) présentés dans leur
aspect le plus misérable. Que dire encore des
émouvants portraits des infantes Marie-Thérèse et
Marie-Marguerite dans leurs robes à la mode du jour,
et dont Vélasquez a fixé l’image pour l’éternité ? C’est
l’image de ces infantes qui marquera le plus Manet.

De l’artiste vu par lui-même

Vélasquez aborde d’autres thèmes inédits ou rares


dans la peinture espagnole. L’artiste peint la scène de
la bataille de la Reddition de Breda (1634-1635) avec
sa fausse forêt de lances sur le côté droit. Les regards
se détournent de la scène pour observer le spectateur.
Le peintre s’est représenté dans son œuvre : on le voit
tout à droite.

Le maître aborde aussi le paysage dans les deux
grandioses vues de la villa Médicis à Rome, réalisées
au cours de ses séjours dans la Ville éternelle en 1630
et 1650, préfigurant l’art de Corot et de Pissarro. Les
impressionnistes sont fascinés par Mercure et Argus
(1659), l’une des dernières œuvres du peintre. La
vigueur de la touche, la couleur jetée sur la toile, les
empâtements, tout préfigure, deux siècles avant, leur
démarche avant-gardiste.

Le pape voit rouge
Vélasquez apparaît d’autant plus comme un artiste à
part dans la production picturale espagnole que les
thèmes religieux sont peu fréquents dans son œuvre :
un Christ en Croix (1632), au clair-obscur saisissant
entre fond sombre et corps en pleine lumière, et un
Couronnement de la Vierge (1640-1650), seule
composition véritablement baroque par le mouvement
tourbillonnant des nuées et des angelots. On notera la
prédilection de Vélasquez pour le rouge, bien visible
dans le magnifique portrait du pape Innocent X
(1650). Saisi par le réalisme de la toile, le pape se
serait écrié « Troppo vero ! », « C’est trop vrai »
comme on dit chez nous.

Le peintre du silence : Zurbarán


Né la même année que Vélasquez, Francisco Zurbarán
(1599-1664) fait la plus grande partie de sa carrière à
Séville car, venu à Madrid pour procéder à la
décoration du palais du Buen Retiro sur le thème des
travaux d’Hercule, il n’y a pas rencontré le succès
escompté.

Zurbarán est longtemps rejeté pour le caractère
statique de ses figures qualifiées de gothiques, la
raideur de ses formes prise pour une maladresse et,
en résumé, le caractère froid et peu séduisant de sa
peinture. Mais depuis – Cézanne et sa peinture étant
passés par là – on comprend ses recherches sur les
formes et on le considère, avec Vélasquez et Ribera,
comme un autre grand maître de la peinture
espagnole du siècle. Artiste modèle pour la rigueur de
sa géométrie, il sait rendre le volume comme peu
d’autres. Le ton est donné avec son magistral Christ
en croix.

Zurbarán est aussi connu pour ses natures mortes et
ses portraits de saintes vêtues à la mode sévillane du
XVIIe siècle, dont certaines portent l’objet de leur
supplice, comme cette sainte Agathe portant ses seins
sur un plateau, admirée par le poète Paul Valéry au
musée Fabre de Montpellier.

Le caravagisme voué aux ténèbres par la


nouvelle génération

Le milieu du XVIIe siècle marque pour Zurbarán le


déclin de son art, le ténébrisme caravagesque étant
passé de mode. Une nouvelle génération d’artistes
arrive sur la place sévillane.

Murillo, aimable et modeste
Formé dans le courant caravagesque, Bartolomé
Esteban Murillo (1617-1682) évolue très vite vers les
nouvelles formules italiennes. Il subit également les
influences flamandes de Rubens et de Van Dyck.
Peintre de la vie religieuse et de celle des pauvres et
des enfants, il met au point un style caractéristique
qui lui vaut un immense succès jusqu’au XIXe siècle.
Son œuvre se caractérise par une touche transparente
et des couleurs vaporeuses, reflets de son caractère
aimable et humble. La suavité de ses compositions
sur des thèmes populaires tels que le Jeune Mendiant
(1645), les Mangeurs de raisins et pastèques (1650)
ou les Enfants jouant aux dés (1650) lui vaut d’être
souvent représenté sur les boîtes de chocolats ! Dans
ces scènes, l’aspect misérable des enfants en haillons
tranche avec leur joie de vivre.

De nouveaux cycles
Murillo travaille aussi à d’importants cycles religieux,
tels ceux de Santa Maria la Blanca (1662), du couvent
des capucins (1665) ou de l’hôpital de la Charité
(1670-1671) prenant là le relais de Zurbarán. Il est le
peintre de tableaux de dévotion, surtout de la Vierge.
Le plus fameux est celui de L’Immaculée Conception
(1678) dite Immaculée Soult parce que emportée
d’Espagne par le maréchal Soult qui le conserve
jusqu’à sa mort en 1852, date à laquelle le Louvre
l’achète. Madrid le récupérera en 1940. Le peintre
laisse une image touchante du Christ enfant dans son
Bon Pasteur du Prado.

Faire des vanités sans vanité
À l’inverse de la sensiblerie sereine de Murillo, Juan de
Valdés Leal (1622-1690) déploie une peinture
mouvementée et passionnée, marquée par la violence
et la spontanéité de sa touche. Ses œuvres les plus
célèbres sont les deux toiles exécutées pour l’hôpital
de la Charité de Séville en 1672. Ces œuvres phares
du baroque espagnol valent à Valdés Leal le surnom
de « peintre de la mort » ! Pas franchement optimiste
pour un hôpital ! Dans l’une, intitulée In ictu oculi,
c’est-à-dire « en un clin d’œil », la mort, sous
l’apparence d’un squelette, se tient victorieuse au-
dessus de toutes les vanités, amas de richesses et de
symboles de pouvoir. Dans l’autre, Finis gloriae mundi,
les cadavres d’un évêque et d’un gentilhomme,
rongés par les vers, montrent que la mort réduit les
êtres à la même condition. « Vanité des vanités, tout
n’est que vanité » dit l’Ecclésiaste, c’est pourquoi on
parle de vanités à propos de ce genre de peintures.

Des horreurs de toute beauté : Goya

Comme Valdés Leal est le « peintre de la mort »,


Fransisco de Goya (1746-1828) est le « peintre des
ténèbres ». Un des artistes emblématiques de
l’Espagne, de formation baroque, Goya innove,
notamment dans la gravure, et annonce l’art
moderne. Après ses années de formation à Saragosse
et à Madrid, il se rend à Rome en 1771.

En mai, peins ce qu’il te plaît
De retour à Madrid, Goya mène une existence agitée –
on le retrouve même un soir avec un couteau planté
entre les épaules – et se fait pas mal de relations, du
torero à la comtesse de Benevente, tout en travaillant
de façon acharnée. En 1780, l’artiste est enfin reçu
membre de l’Académie de peinture et jouit de la
faveur des rois d’Espagne. Il aborde tous les genres :
les sujets religieux pour la cathédrale de Saragosse ;
le portrait avec ceux de la famille royale ;
les scènes de genre avec une Course de taureaux, une
Procession du vendredi saint, un Autodafé.
L’invasion de l’Espagne par la France en 1808 lui
inspire deux toiles, Dos de mayo et le Tres de mayo
qui dénoncent la guerre. Elles illustrent bien le style
de Goya : magie de la couleur et peinture par touches
épaisses, originalité des sujets et des personnages,
hardiesse de la composition.

Du courtisan à la courtisane

Avec la Maja nue, qui a pour pendant la Maja vêtue (la


maja étant une femme entretenue), Goya donne le nu
le plus connu de la peinture espagnole qui ne
connaissait guère que celui de la Vénus au miroir de
Vélasquez. On ne sait pas qui sert de modèle, mais si
on regarde attentivement le tableau, on a l’impression
que la chair suit trop les contours du vêtement, que le
nu est trop rigide. On devine que cette peinture n’a
pas eu de modèle déshabillé, mais a surgi de
l’imagination du peintre à partir de la version habillée.

Les gravures de Goya restent la partie la plus connue
de son œuvre : les Caprices, les Courses de taureaux,
les Désastres de la guerre. Pacifiste, Goya dénonce
guérilleros et militaires ; libéral, il travaille pour la
Couronne. À chaque fois, il a le don de se faire des
ennemis dans tous les camps. Il doit s’installer à
Bordeaux avec sa famille, où il meurt en 1828. Ce
n’est que soixante ans plus tard que sa dépouille
mortelle est rapatriée.

Les Caprices
Réalisée entre 1793 et 1798, la série des
Caprices est éditée pour la première fois en
1799. En 80 planches, Goya développe une
violente satire humaine et sociale, à travers
laquelle il entend dénoncer les travers et les
vices communs à tous les hommes. Véritables
miroirs des profondeurs de l’inconscient, de
nombreuses planches laissent entrevoir les
abîmes de l’âme qui dépassent de loin les
conventions habituelles de la satire sociale. La
vie, la mort, l’amour, la sexualité, la cupidité,
la vanité, la sottise et la cruauté prennent dans
les Caprices une dimension de violence
extrême. Dans l’introduction au recueil et dans
les légendes de ses images, l’auteur s’évertue
à mettre en évidence leur portée moralisatrice,
comme « Le sommeil de la raison engendre
des monstres. »

Goya fait retirer les Caprices de la vente après
quelques jours. Pour éviter les foudres de
l’Inquisition, l’artiste offre les planches et les
exemplaires restants à la chalcographie royale.

Un ciseau baroque : la sculpture


Jusqu’à l’arrivée des Bourbons au XVIIIe siècle, la
sculpture baroque espagnole est uniquement
religieuse. Réputés pour leur piété extrême, les
souverains espagnols contribuent à fixer l’image très
catholique du pays. La foi s’exprime notamment dans
l’art du retable qui concilie à merveille sculpture et
architecture.

Douleur en couleur
Tradition propre à l’Espagne, les chars de procession
des semaines saintes, dénommées pasos, mettent en
scène un épisode de la Passion du Christ, des images
de Marie en tant que Vierge de douleur ou mère du
Sauveur, ou des saints martyrs. Ces statues exaltent
la souffrance. L’émotion s’exprime par un rendu
minutieux des expressions des parties du corps et de
ses blessures, renforcé par l’usage de la couleur ou
polychromie. Les vêtements, les visages, le corps et le
sang sont peints afin d’impressionner davantage le
spectateur que ne l’aurait fait une statue en marbre
ou en bronze. Car, au contraire des autres pays
d’Europe, la sculpture baroque espagnole est
essentiellement en bois sculpté doré et polychrome,
selon un usage remontant à l’époque romane.

Un réalisme pathétique
Les deux grands foyers de la sculpture baroque
espagnole du XVIIe siècle sont la Castille avec
Fernández et surtout l’Andalousie avec le grand
Martinez Montanez à Séville. Installé à Valladolid,
Gregorio Fernández (1576-1636) soigne la
ressemblance des visages, surtout dans le traitement
minutieux de la chevelure. Ses œuvres, comme le
Christ gisant du couvent des Capucins du Prado
(1614) ou de la Piedad (1616), figure de paso,
témoignent du réalisme pathétique de ses sujets
religieux. On le considère comme un des premiers
sculpteurs européens de son temps.

Envie de plissé
Au même moment, Juan Martínez Montañés (1568-
1649) fait preuve de la même virtuosité et du même
pathétisme dans les œuvres qu’il destine aux églises
et couvents de Séville. Quand Fernández use dans le
corps du Christ ou des saints du canon lisse et étiré,
Montañés s’emploie, à l’instar de Michel-Ange, à
rendre la musculature et le plissé des chairs. Le
réalisme est à nouveau accentué par une polychromie
intense. Ses œuvres les plus connues sont les saints
Jérôme et Dominique pénitents, l’un en haut-relief
(1609-1613), l’autre en ronde bosse (1605), son Christ
de la clémence et surtout la Vierge de la Macarena
que l’on habille comme une poupée lors des
processions de la semaine sainte.

Une arrivée dans le


désordre
Même sans avoir eu une quinte flush en main,
chacun peut imaginer que « quint » signifie
cinq. Alors le désordre régnait-il et régnait-on
dans le désordre en Espagne ? En fait, Charles
Quint pratiquait le cumul des mandats : il était
roi d’Espagne et empereur du Saint Empire
romain germanique (qui d’ailleurs n’était ni
empire, ni saint, ni romain). Comme roi
d’Espagne, il était Charles Ier, et comme
empereur, il était le cinquième à s’appeler
Charles. C’est sous ce titre qu’il est passé à la
postérité.
La grande illusion : l’architecture
Séville puis Madrid sont les deux lieux majeurs de la
création artistique du Siècle d’or. L’architecture est
davantage religieuse que civile, car l’Église, qui
perçoit ses revenus en nature, a moins souffert des
difficultés économiques du pays que la monarchie. Le
commerce avec les Indes et les rentrées d’or et autres
métaux précieux des colonies des Amériques
accusent en effet sous le règne de Philippe IV (1621-
1665) une forte chute.

Une architecture à double face

Jusque vers 1640, l’architecture espagnole est


partagée entre une tendance austère, rigide dans ses
formes et assez pauvre en ornements au nord et au
centre, et une plus mouvante et décorative au sud et
à l’est. En Castille, le palais monastère de Philippe II,
l’Escorial (ou Escurial, 1563-1584), œuvre de Juan de
Herrera (1530-1597), est aussi austère qu’une
caserne. Le plan en gril influencera les Invalides de
Louis XIV (qui était espagnol par sa mère, c’est
l’occasion de le rappeler). La chapelle du Panthéon
des rois d’Espagne de l’église du palais et celle de
l’église des Bernardas d’Alcala de Henares mettent en
valeur l’architecte royal Juan Gómez de Mora.

Dans la première église, le contraste est saisissant
entre la rigueur classique des extérieurs et la
splendeur baroque de l’intérieur avec ses surfaces de
matériaux précieux et ses bronzes dorés. Le bâtiment
illustre bien la double face de l’architecture espagnole
au Siècle d’or. Pour l’architecture civile, on doit à Mora
la Plaza Mayor de Madrid (1617-1619).

La seconde église, celle de Bernardas, commencée
vers 1618, montre avec sa nef et ses chapelles ovales
inscrites dans un carré que la tradition italienne de
Vignole n’est pas oubliée. Il est intéressant de voir
comment la rotonde et la coupole ovales disparaissent
sous d’austères façades coiffées d’un lanternon,
comme s’il fallait dissimuler sous la rigueur de
l’extérieur la splendeur baroque de l’intérieur.

Recettes baroques
C’est assurément à l’intérieur des églises que
s’exerça le mieux le baroque espagnol, non
seulement par la prolifération des ornements à
la surface des bâtiments et des retables, mais
aussi dans la préciosité des matériaux
employés : or et couleurs à profusion, pendant
que le stuc et parfois le marbre masquent la
médiocrité du bâtiment en brique ou en
torchis. Le stuc est un mélange de blanc
d’œuf, de chaux, de plâtre et de poussière de
marbre. En Espagne, les motifs de stuc sont
dénommés yeserias de l’espagnol yeso, le
plâtre. En plus du retable, le baroque voit le
triomphe de deux autres éléments majeurs du
décor religieux espagnol : le sagrario et le
camarin. Le premier était destiné à la
conservation et à l’adoration du saint
sacrement dans un grand tabernacle, le
transparente. Le deuxième servait à la
vénération d’une relique ou d’une image
sainte. Ils pouvaient atteindre tous deux des
dimensions très importantes.
Difficile de garder la ligne
La cathédrale de Valladolid de l’architecte Juan de
Herrera, commencée en 1580, poursuivie ensuite du
XVIIe au XIXe siècle, reflète un esprit de plus en plus
baroque, s’éloignant progressivement de la pureté de
lignes souhaitée par son auteur. En Andalousie,
l’architecture civile ne présente pas de monument
notable, tant l’architecture religieuse domine cette
partie de l’Espagne.

Un petit coin d’Italie en Espagne
À partir de 1650, le baroque monte en puissance avec
l’arrivée d’artistes italiens et par l’envoi de projets
d’Italie. Un des meilleurs exemples d’importation est
le collegium regium de Loyola au pays basque en
1681, ensemble architectural bâti pour rendre
hommage au père fondateur de l’ordre des jésuites,
saint Ignace. L’un des plus impressionnants édifices
de cette période est sans doute la nouvelle cathédrale
de la ville, dite du Pilar, c’est-à-dire du pilier, puisque
censée être bâtie sur le pilier où la Vierge était
apparue à l’apôtre Jacques le Majeur, le saint patron
de l’Espagne. Felipe Sánchez vers 1675 fait une vaste
nef rectangulaire entourée de chapelles avec quatre
tours aux angles et une coupole au centre. À
l’extérieur, l’édifice adopte la tradition des édifices
sévères héritée de Herrera.

L’éclat de Grenade
Ces projets monumentaux se retrouvent en Galice,
avec l’enveloppe baroque de la très gothique
cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle entre
1649 et 1680, et la façade de la cathédrale de
Grenade érigée à partir de 1667. Là aussi, la pureté
des lignes des vastes arcades se combine à la
décoration baroque. La prolifération de l’ornement est
poussée à l’intérieur à un degré tel qu’elle vient à
masquer la structure du bâtiment comme à Santa
Maria la Blanca (1659) de Séville, ancienne synagogue
transformée en église et célèbre pour ses peintures de
Murillo.

Les retables adoptent des effets de plus en plus
scénographiques. Celui du maître-autel de la chapelle
de la Charité de Séville (1670) par Simón de Pineda
(1638-1691) est proprement délirant, car non
seulement la structure est envahie entre les colonnes
torses par l’ornementation mais l’on voit au centre
une grandiloquente mise au tombeau du Christ par le
sculpteur sévillan Pedro Roldán (1624-1700).

La boucle est bouclée : baroque contre


rocaille

La fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle voient


triompher le style churrigueresque. Il se caractérise
par sa richesse ornementale et celle de ses
matériaux, son mouvement, son aspect théâtral et
surtout ses motifs déchiquetés.

Ce style doit son nom aux frères Churriguera, famille


madrilène d’origine catalane : José Benito (1665-
1725), l’aîné et le plus célèbre, Joaquín (1674-1824) et
Alberto (1676-1750) L’aîné travaille essentiellement à
Madrid et à Salamanque, dont le maître-autel de
l’église de San Esteban (1693) est le plus grand de
l’époque et un des plus impressionnants par sa
décoration. On doit à Alberto la place la plus
ambitieuse et la plus harmonieuse du pays, la Plaza
Mayor de Salamanque (1728-1758).

Rejetant l’art baroque pratiqué dans le pays, le roi
Philippe V, petit-fils de Louis XIV, souhaite diffuser le
grand art monarchique de Versailles. Le palais de la
Granja, près de Ségovie, illustre merveilleusement
l’art français du XVIIIe siècle en Espagne. Les jardins,
avec leurs vases, statues, bassins, bosquets et allées
plantées en perspective, sont inspirés de Marly et de
Versailles. Le maître d’œuvre se nomme René Frémin
(1672-1744). Dans ce palais, Charles III crée un
cabinet de porcelaine à sujets chinois et à motifs
rococos qui, sous une autre forme, témoigne de cette
horreur du vide exprimée par le baroque espagnol. Ce
décor tranche avec la sobriété des lignes et de
l’ornementation des extérieurs demeurés dans la
tradition des façades en brique des Habsbourg du
XVIIe siècle dont est issu Charles Quint.

Avec l’arrivée sur le trône de Charles III en 1759, le
baroque laisse définitivement place au
néoclassicisme, comme en témoigne la porte d’Alcala
(1746-1778), traitée en arc de triomphe. La rigueur
est à nouveau de mise dans l’architecture espagnole :
la boucle est bouclée !

Les azulejos
Le mot vient de l’espagnol azull, bleu. Le
français dit parfois aussi zellige, de l’arabe
zallidj, mais l’utilise plutôt pour désigner les
petits éléments de la décoration arabe,
assemblages de carreaux de faïence à
dominante bleue. Bien qu’issue de la tradition
espagnole, le décor d’azulejos est
caractéristique du baroque portugais. Aux
décors géométriques multicolores de ces
carreaux de céramique de la tradition arabe,
les Portugais préfèrent des compositions
baroques peintes et cuites au four à haute
température dans l’esprit des faïences de
Delft, ou des porcelaines chinoises. On les
retrouve aussi bien aux façades qu’à l’intérieur
des églises ou des cloîtres des couvents que
dans les salons, les cours et les jardins des
palais. On est fasciné par la virtuosité des
artistes créateurs de ces ensembles bleu et
blanc constitués tel un puzzle par de multiples
carreaux. La double tradition de la talha, décor
portugais de bois de Brésil doré et sculpté, et
celle de l’azulejo espagnol ont donné l’église
de l’ancien couvent de Jésus d’Aveiro
(Portugal) dans le premier quart du XVIIIe
siècle.
Chapitre 12

Une perle, cette jeune fille :


le baroque dans les pays du
Nord

Dans ce chapitre :
Des Flamands rosses
Des natures mortes et des bons vivants
La Joconde du Nord
Le travail en atelier

Art catholique par excellence, puisque né dans et au


service de la Rome papale, le baroque provoque
tantôt l’enthousiasme, tantôt la méfiance. Il connaît
un bel épanouissement dans les pays à forte tradition
décorative comme la Belgique ou l’Allemagne. Dans
les pays de tradition protestante, il est plus civil que
religieux.

Sans mêler les pinceaux : les Pays-Bas


Quoique protestante, la Hollande cultive les tulipes et
l’esprit de tolérance, puisqu’elle admet les
catholiques, comme le peintre Vermeer qui demeure
dans le pays. Le baroque hollandais est aussi servi par
des artistes protestants venus de France après la
révocation de l’édit de Nantes (1685) et dont le plus
connu est le graveur et architecte français Daniel
Marot.

Sans signes extérieurs de


richesse : l’architecture
La Mauritshuis (ou maison de Maurice) à La
Haye, construite pour le prince Maurice de
Nassau, montre le goût de l’aristocratie
marchande pour les résidences dans le style
classique italien de l’architecte Palladio,
comme en Angleterre. L’élégance discrète de
ce style convient fort bien à cette classe
puritaine, soucieuse de ne pas montrer sa
réussite. Dans le domaine religieux, le
protestantisme refuse également toute
figuration et toute ostentation. Le baroque ne
transparaît donc que dans la conception du
plan. La Nieuwe Kerke (la Nouvelle Église) de
Haarlem (1649) présente la fusion originale de
deux croix grecques. Le baroque s’impose
notablement dans l’architecture civile de la
seconde moitié du XVIIe siècle sous l’effet du
rayonnement de l’art français de Versailles.
Principale figure, l’architecte Daniel Marot
(1663-1752) s’illustre dans les jardins de Het
Loo, ancien palais royal de Hollande, conçus
pour Guillaume III d’Orange et dignes de Le
Nôtre.
Mineurs et pourtant majeurs

Le XVIIe siècle est le siècle d’or de la peinture


hollandaise. Le phénomène est d’autant plus
surprenant si l’on considère les conceptions
iconoclastes du protestantisme. Outre le fait qu’il est
l’une des injures préférées du capitaine Haddock, le
mot iconoclasme signifie l’interdiction de toute
reproduction de la création divine. C’est pour cela que
la peinture hollandaise, sauf avec Rembrandt, se
contente des genres dits mineurs comme le portrait,
le paysage, la peinture de genre et la nature morte,
dans une prodigieuse abondance de talents. Elle
permet de donner libre cours à un sens de la couleur
et du réel quasi photographique, avec un souci
méticuleux du détail.

Hals, peintre du mouvement
Franz Hals (vers 1580-1666), quoique natif d’Anvers
en Belgique comme beaucoup d’artistes hollandais,
passe toute sa vie à Haarlem. Il s’illustre dans le
portrait, et surtout le portrait collectif, un genre très
apprécié au XVIIe siècle. Il innove en présentant les
personnages dans des attitudes non plus figées mais
animées. Hals est avant tout le peintre du
mouvement, de la vie, de la spontanéité. Ses portraits
sont traités d’une touche rapide, tour à tour fluide et
épaisse, habilement répartie, qui fera l’admiration de
Courbet.

La vigueur de ses œuvres s’exprime par des
éclairages puissants et une gamme de couleurs vives,
comme dans Le Cavalier souriant (1624), Le Banquet
des officiers du corps de Saint-Georges (1627) ou Le
Joyeux Buveur (vers 1620). Seules exceptions à la
règle, le Portrait de mariage d’Isaac Massa et Beatrix
van der Laen (1621) à la touche lisse et aux teintes
monochromes de noir ou de brun, et les Régentes de
l’hospice des vieillards (1664), gaies comme des
portes d’hôpital.

Les moulins, c’était mieux avant
Le peintre de paysage hollandais par excellence est
assurément Jacob Van Ruisdael (1628-1682). Le ciel
tourmenté occupe souvent une large part de la toile et
le paysage proprement dit, souvent avec des moulins,
se réduit au quart existant. Réaliste, doté d’un sens
certain de la composition, l’artiste sait peindre une
nature expressive et touchante avec une remarquable
transparence de l’air et de l’eau. Cette peinture de
paysage est composée aussi de marines et
d’architectures. Les premières ont pour maîtres les
Van de Velde père et fils et les autres Emmanuel de
Witte (vers 1615-1692).

Rembrandt, une preuve d’exigence


L’Espagne a Vélasquez, la Hollande a Rembrandt
Harmenszoon Van Rijn (1606-1669) que l’on préfère
appeler tout simplement par son prénom. Né à Leyde,
il passe l’essentiel de sa carrière à Amsterdam, en
s’illustrant dans presque tous les genres, y compris
les scènes bibliques et mythologiques. Sa manière
évolue au gré des bonheurs et des malheurs de sa vie.
À ses débuts l’artiste montre déjà une exceptionnelle
virtuosité technique et un anticonformisme qui se
traduit par un réalisme expressionniste caractérisé
par ce goût des tonalités brunes et blondes qui fait
son succès. Les œuvres sont brutales et provocantes,
avec pour chefs-d’œuvre de cette période Les Pèlerins
d’Emmaüs (1628) ou le Jérémie pleurant (1630).

La palette assure la galette
À partir de 1631 débute la seconde période, celle
baroque des jours heureux, marquée par le passage
de l’artiste de Leyde à Amsterdam et la rencontre
avec sa première femme, Saskia. L’artiste éclaircit sa
palette, se laisse séduire par le baroque de Rubens et
atteint son apogée, riche et célèbre. Son premier chef-
d’œuvre est la Leçon d’anatomie (1632). C’est aussi le
temps des nombreux portraits de son épouse
costumée en Flore, endormie, avec les enfants… Il n’y
a pas pénurie de modèles mais le peintre est
amoureux fou !

Influencé par celle de Rubens à Anvers, sa Descente
de croix, exécutée pour le prince d’Orange (1633),
prouve qu’il n’a pas abandonné la manière de ses
débuts. Le Festin de Samson (vers 1630) montre des
tonalités chaudes d’esprit vénitien et une animation
baroque des figures.

La ronde des jours
Les années 1640 voient une suite de drames : sa
femme meurt, ainsi que trois de ses quatre enfants, et
des déboires financiers surviennent. Ses compositions
se simplifient alors. Les chefs-d’œuvre de cette
époque sont la célèbre Ronde de nuit (1642) qui ne se
déroule d’ailleurs pas de nuit, une nouvelle version
des Pèlerins d’Emmaüs (1648) et L’Homme au casque
d’or (1648-1650). À partir de 1650, lors de la dernière
phase de son art, le peintre semble libéré de toute
convention. La touche est plus spontanée et le coloris
toujours aussi sobre et contrasté. De nouveaux décès
frappent Rembrandt, mais c’est pourtant la période de
ses plus grands chefs-d’œuvre, comme un feu
d’artifice avant la fin, avec la Bethsabée du Louvre,
(1654), Le Bœuf écorché (1655), le Saint Matthieu et
l’Ange (1661) et Le Syndic des drapiers (1662).

Le jour et la nuit
De son véritable titre La Compagnie du
capitaine Frans Banning Cocq, cette toile de
grand format (3,59 × 4,38 mètres), peinte en
1642, est conservée aujourd’hui au
Rijksmuseum d’Amsterdam. Elle fait partie des
chefs-d’œuvre de la peinture européenne. Le
titre La Ronde de nuit est on ne peut plus
trompeur, car c’est une scène de jour ! Le
vernis du tableau est à ce point assombri au
XIXe siècle que l’œuvre est ainsi baptisée.
Comme Les Méniness de Vélasquez, il s’agit
d’une scène anecdotique. Le tableau
représente la garde municipale d’Amsterdam
du capitaine Frans Banning Cocq, dans une de
ses rondes dans la ville. Il s’inscrit dans la
tradition du tableau de garde municipale,
fréquent dans la peinture hollandaise du XVIIe
siècle, et présente une variante des portraits
de groupe qu’elle affectionne, un peu comme
l’actuelle photo de classe.

L’originalité de l’œuvre réside dans son
animation des figures. Là où le genre du
portrait collectif préfère des personnages
immobiles autour d’une table, Rembrandt les a
placés ici en situation. Tout dans la
composition converge vers les deux figures
centrales. L’unité est obtenue par la répartition
de la lumière venant d’en haut à gauche et les
masses colorées. Les couleurs vont du blanc
au noir en passant par des touches brunes puis
ocre jaune et ocre rouge chères au peintre.
L’anecdote veut que certains gardes
municipaux payèrent l’artiste pour figurer dans
le tableau : la somme était plus ou moins
importante selon la place qu’ils occupaient
dans la composition.

Moi par moi


On ne peut pas parler de Rembrandt sans parler de
ses portraits, où il porte fort loin l’exploration du
genre. Aux portraits collectifs et individuels, il ajoute
la pratique de l’autoportrait (voir Figure 24) : jamais
peintre ne se peignit autant que lui ! Le phénomène
est unique à cette époque mais aussi dans toute
l’histoire de l’art. On le voit à tous les âges de la vie,
dans toutes les expressions, sous toutes les
expositions, claires ou sombres, et dans tous les
costumes, comme dans L’Autoportrait avec collerette
et toque (1629). Rembrandt est un artiste
antiacadémique qui sait rendre avec génie l’humanité
de ses personnages, sa poésie et sa vision particulière
des choses de la vie. Sa manière est unique,
empreinte d’une spiritualité et d’un intimisme qui le
distinguent des autres peintres hollandais.

Le silence est de mise : Vermeer


Silence ! Avec Johannes Vermeer (1632-1675), c’est la
peinture seule qui s’exprime. À la manière abrupte de
Rembrandt, l’artiste oppose une technique
impeccable, quasi photographique, qui est celle de la
tradition nordique depuis Van Eyck. Son œuvre est
admirable d’équilibre, de mystère et de poésie. Né à
Delft, Vermeer apparaît d’autant plus comme
l’antithèse de Rembrandt qu’il est totalement oublié
jusqu’au XIXe siècle. On sait peu de choses sur lui et
son œuvre se limite à une quarantaine de toiles
environ.

Un Vermeer du XXe
siècle, Van Meegeren
La redécouverte tardive de Vermeer et
l’absence d’œuvres connues sont à l’origine de
nombreuses controverses sur leur attribution,
ce qui facilite la mise en circulation de faux
tableaux.

Une des deux plus grosses fortunes d’Europe,
un armateur de Rotterdam, achète en 1941 la
Cène de Vermeer. Pour réunir la somme de 1
600 000 fl orins de l’époque (environ 10
millions d’euros), il vend un Goya, un Tintoret
et un Watteau. À la Libération, un certain Van
Meegeren est accusé d’avoir trahi sa patrie en
ayant vendu un Vermeer à Goering. Plutôt être
faussaire que traître, on a sa dignité ! Van
Meegeren affirme avoir vendu un faux qu’il a
lui-même confectionné et, pendant qu’il y est,
avoue en avoir peint d’autres dont la fameuse
Cène. Mais, ironie du sort, personne ne le croit.
Traître et mégalomane en plus ! Il est donc
obligé, pour appuyer ses dires, de peindre un
faux Vermeer en prison. Si on peut comprendre
que Goering, qui ne brillait pas par le goût, se
soit laissé duper, c’est tout de même plus
surprenant de la part des experts. La Cène est
franchement hideuse. En 1995, elle a été
vendue aux enchères au musée de Rotterdam
pour la somme de 54 000 euros, ce qui la rend
plus abordable même si elle reste toujours
aussi laide.

La laitière a du pot
Peintre des scènes d’intérieur, Vermeer se plaît à
représenter la femme, qu’elle soit paysanne, ouvrière
ou bourgeoise. Sont célèbres La Laitière (1660),
reprise depuis dans une célèbre publicité, La
Dentellière (1665-1670, voir Figure 27) ou La Jeune
Fille au verre de vin (1660). Des pièces mises en
perspective par le sol, par les murs ou une table
baignent dans une lumière douce venant d’une
fenêtre figurée ou suggérée. La particularité des
volets hollandais composés de quatre panneaux
permet au peintre de moduler la lumière en
combinant leur ouverture. L’artiste affectionne la
composition géométrique, soulignée par le carrelage
du sol et les murs blancs, par la présence d’un miroir,
d’une table, d’une fenêtre ou de tout autre élément
de décor.

La Joconde du Nord

À propos d’une femme-fleur, il convient de rappeler


que le même mot tülbend a donné « turban » et
« tulipe ». Ces jeunes femmes sont parfois peintes
pour elles-mêmes, indépendamment de tout décor,
dont La Jeune Fille à la perle (1660) est la plus
célèbre. Ce tableau est considéré comme la Joconde
du Nord en raison sa grande beauté. Et comme pour
Monna Lisa, on a également longtemps spéculé sur
l’identité de cette jeune fille. Elle fait partie des
portraits de fantaisie appréciés en Hollande au XVIIe
siècle. Son turban est un déguisement au même titre
que ceux qu’affectionne Rembrandt.

Vermeer est aussi le peintre de natures mortes
comme l’Allégorie de la peinture (vers 1665) et de
paysages dont l’exceptionnel paysage urbain de La
Venelle (1658). Le silence est encore ici de mise.

Un mausolée éloquent
pour le Taciturne
La sculpture évolue vers le baroque avec
Hendrick de Keyser (1565-1621) qui est aussi
architecte. Il fait l’essentiel de sa carrière à
Amsterdam et on lui doit le prodigieux
mausolée de Guillaume Ier le Taciturne à la
Nieuwe Kerk de Delft (1614-1623). En pierre
noire, marbre et bronze, ce mausolée subit lui
aussi l’influence française en s’inspirant du
tombeau de Henri II à Saint-Denis.

Artus Quellin I dit le Vieux (1609-1668)
originaire d’Anvers est considéré comme le
sculpteur le plus influent du baroque flamand.
Sa décoration de l’hôtel de ville d’Amsterdam
lui vaut la commande des bustes de presque
tous les notables de la ville.

Natures mortes et bons vivants : la


Belgique
Le XVIIe siècle est l’un des plus féconds de l’histoire
de cette partie de l’Europe. L’architecture et la
sculpture s’y manifestent avec une force et une
originalité qui rappelle l’Italie.

Anvers, un bel endroit


Comme Rome ou Paris, Anvers est l’un des
centres majeurs de la création baroque
européenne. La maison de Rubens à Anvers
est très emblématique des ambitions du
baroque flamand. Outre qu’elle abrite l’atelier,
les œuvres et les collections du génial peintre,
elle est bâtie dans l’esprit des palais italiens
que Rubens visite à Gênes, d’où le splendide
portique qui clôture la cour.

Sur le plan religieux, les édifices flamands sont
souvent de structure gothique mais le décor
est baroque, tant en façade qu’à l’intérieur,
comme celui délirant de l’église Saint-Charles-
Borromée à Anvers (1613-1625) qui s’inscrit
dans un plan inspiré du Gesù des jésuites de
Rome. À l’époque, la célébrité de l’édifice tient
au décor du plafond, malheureusement détruit
en 1718, et des toiles des retables, ces
constructions verticales placées sur un autel
ou en retrait et portant un tableau ou une
sculpture.

La sculpture baroque de Belgique est aussi
essentiellement religieuse, comme celle de
l’Espagne. La famille Quellin reste
indiscutablement le grand nom de ce style. Si
Artus I est parti de Hollande, Artus II son fils
fait carrière à Anvers et dans le reste du pays,
à Bruges et à Bruxelles, en donnant de
nombreux ensembles de goût très théâtral. On
retiendra surtout du sculpteur sa figure de
Dieu le père à Saint-Sauveur de Bruges (1682).
C’est dans les monuments funéraires et le
mobilier religieux, comme les chaires de
Sainte-Gudule de Bruxelles (1699) et de la
cathédrale de Malines (1673) que Artus II
manifeste le plus son talent.

Une palette de talents : Rubens

Figure emblématique de la peinture flamande, Pierre-


Paul Rubens (1577-1640) est, après Vélasquez et
Rembrandt, l’autre génie de la peinture européenne
du XVIIe siècle. La même fougue et la même vitalité
animent en effet ces trois créateurs inépuisables.

L’art et le politique
Peintre, Rubens est aussi architecte, graveur et
diplomate. Ses séjours à Rome, Madrid et Londres ne
sont pas seulement artistiques mais aussi politiques.
L’art une fois encore se met au service du pouvoir.
Après huit années passées en Italie, le maître revient
se fixer à Anvers. Comme tous les génies, Rubens
prend alors le contre-pied des tendances du moment :
à la peinture méticuleuse et plutôt sage de la tradition
flamande, il oppose de vastes compositions pleines de fougue
et de magnificence ;
au clair-obscur et au maniérisme du XVIIe siècle, il répond par
des compositions rythmées par la couleur.
Fils de fer s’abstenir
Travailleur infatigable, Rubens est un bon vivant et
aime les femmes. Il figure les formes les plus
plantureuses. L’art du peintre est une symphonie de
couleurs et de formes, un hymne à la joie de vivre.
Tous les souverains, princes et aristocrates de
l’Europe se reconnaissent dans sa peinture brillante et
emphatique. Maître des grands projets décoratifs, il
réalise la vie de Marie de Médicis pour le palais du
Luxembourg (1621-1625, voir Figure 23), une série
désormais mise en valeur au Louvre depuis
l’ouverture de l’aile Richelieu (1993).

Atelier de confection
Pour satisfaire toutes les commandes, il dispose d’un
important atelier où ses élèves pratiquent à sa
manière, Rubens apportant la touche finale. Bien sûr,
il y a tout le travail de composition du maître. L’artiste
n’est pas le seul à pratiquer de la sorte mais son cas
est le plus connu. On se demande en effet comment
un peintre aurait pu à lui seul assurer toutes ces
commandes d’œuvres aussi vastes et ambitieuses.
Une vie n’aurait pas suffi !

Femme joyeuse et veuve pudique

Rubens aborde brillamment tous les sujets et tous les


genres :
la peinture religieuse avec notamment une admirable
Descente de croix à la cathédrale d’Anvers ou son Adoration
des Mages (1625) ;
la peinture mythologique avec L’Enlèvement des filles de
Leucippe, une allégorie de l’élévation de l’âme vers la divinité ;
le portrait, avec ceux de deux de ses épouses, Isabelle de
Brandt et Hélène Fourment (cette dernière posa souvent pour
son époux, mais, devenue une veuve respectable, fit détruire
ses nombreux nus, dont il ne subsiste que La Petite Pelisse) ;
la scène de genre avec la Kermesse ;
le paysage avec Le Parc de Steen.
Avec Le Jardin d’amour, où le couple en train de
danser représente le peintre avec sa deuxième
femme, Rubens annonce Watteau.

Satyres dans tous les coins

Les maîtres ne manquent pas en Belgique à cette


époque. Évoquons au moins le spécialiste de la nature
morte qu’est Bruegel dit de Velours (1568-1625). Son
œuvre est remarquable par son sens du détail poussé
fort loin. La dynastie familiale des Teniers, elle,
s’illustre dans les scènes de genre. Le plus connu
d’entre eux est David II dit le Jeune (1610-1690). On le
dit maître du genre après Brouwer. Enfin, on retiendra
trois autres grands maîtres de la peinture flamande
dont Rubens fut le maître : Van Dyck, Jordaens et
Snyders.
Amoureux fou
Rubens a 53 ans quand il épouse Hélène
Fourment, une jeune fille de 16 ans. L’artiste
demande dans ses dernières volontés qu’à
côté de sa sépulture soit placé son tableau La
Madone aux saints, une huile sur panneau de
2,11 × 1,95 mètres. Lorsque Rubens meurt dix
ans plus tard, la veuve fait élever un tombeau
dans une chapelle de l’église Saint-Jacques
d’Anvers et y installe ce tableau. La tradition
veut, sans qu’il n’y ait aucune raison de la
mettre en doute, que l’artiste ait reproduit les
traits de sa famille. Il y a côte à côte ses deux
femmes, dont la belle Hélène figurée nue
jusqu’à la ceinture. Il y a aussi sa fille, sa nièce
qui a déjà posé pour le Portrait au chapeau de
paille, son père, son grand-père, sans oublier
son plus jeune fils sous les traits d’un ange
ravissant. Rubens lui-même s’y peint en saint
Georges terrassant le dragon, superbe, en
armure et triomphant même de la mort par
son génie.

Si beau Silène
Antoon Van Dyck (1599-1641) est le plus digne
continuateur de Rubens, quoique s’illustrant
principalement dans l’art du portrait. Il a réalisé
comme Holbein une bonne partie de sa carrière en
Angleterre, même s’il fut oublié de l’art anglais. Le
peintre pratique un art raffiné et fastueux, en donnant
une belle interprétation mythologique du satyre avec
Silène ivre soutenu par un faune et une bacchante.
Artiste brillant – il a déjà son atelier d’artiste
indépendant à 18 ans – il montre très tôt une habileté
technique et une sûreté de touche. Sa production de
portraits est considérable, près de 400 pour la seule
période anglaise sans que la qualité n’en souffre ! Le
plus fameux, représentant Charles Ier, est au Louvre.

À la vôtre !
Jacob Jordaens (1593-1678) naît et œuvre toute sa vie
à Anvers. Il collabore avec Rubens pendant vingt ans
mais sa peinture est moins ambitieuse et sensuelle
que celle du maître. Le peintre se plaît à opposer dans
ses compositions maigres et gros, jeunes et vieux,
tristes et joyeux, avec une prédilection pour les
mêmes thèmes si l’on en croit les cinq versions pour
Le Satyre et le Paysan et Le roi boit. Il représente sous
les traits du roi de la beuverie son beau-père Adam
Van Noort, le professeur de Rubens ! Ces tableaux
illustrent parfaitement sa peinture mouvementée, sa
truculence joviale voire triviale, dans une vaste
gamme colorée et sous une lumière fortement
contrastée. Jordaens sait s’émanciper de la tutelle de
Rubens pour se forger un style propre comme en
témoignent ses magnifiques Quatre Évangélistes
(1622).

Un œil de velours
Peintre animalier et de natures mortes, Franz Snyders
(1578-1657) est sans doute le plus grand peintre
flamand de ces deux genres. Il confère en effet à la
nature morte du rythme et du mouvement, en
élargissant l’espace et en disposant des motifs selon
des lignes de composition savamment calculées. On
retiendra surtout le splendide Marchand de gibier du
musée d’Oslo. Les animaux reposent sur un étal au
soubassement sculpté et les pattes du lièvre ou le cou
du canard qui pendent par-dessus donnent une
saisissante impression de relief, digne du trompe-l’œil.
Une peinture d’importation :
l’Angleterre
Si le XVIIe siècle est en Hollande le siècle de la
peinture, il est en Angleterre celui de l’architecture.
Les plus grands maîtres de l’architecture anglaise
travaillent en effet à cette époque. La peinture
anglaise du XVIIe siècle ne doit son salut qu’à l’arrivée
d’artistes étrangers, italiens, hollandais, flamands,
tant cet art était étranger au pays. Le premier qui se
rend à Londres, en 1629, et qui y vit jusqu’à sa mort,
en 1639, est Orazio Gentileschi avec sa célèbre fille
Artemisia.

L’architecture dans son


foyer
Père du classicisme anglais, Inigo Jones (1573-
1652) est le premier grand artiste anglais, tous
genres confondus, à s’être rendu en Italie et à
avoir pu étudier concrètement l’art antique et
celui de Palladio qu’il vénérait. Devenu
inspecteur des bâtiments du roi en 1615,
l’architecte réalise les plus grands monuments
de la monarchie dans la première moitié du
siècle, parmi lesquels la Maison de la reine à
Greenwich (1616-1635). Il ouvre la voie à
Christopher Wren (1632-1723), un des plus
grands architectes anglais, tant par la richesse
de sa personnalité que par l’excellence de son
œuvre. Non seulement architecte et
ambassadeur, l’artiste est aussi un des plus
grands savants de son temps au même titre
que Newton ou Pascal. Il peut ainsi appliquer à
l’architecture ses connaissances scientifiques,
dans une inspiration aussi bien italienne que
française. À la suite du terrible incendie de
Londres en 1666, Wren est chargé de la
reconstruction. L’architecte est l’auteur de
plusieurs églises de Londres dont la plus
célèbre demeure la cathédrale Saint-Paul, la
plus grande d’Europe après Saint-Pierre de
Rome.

Si l’on ne doit retenir qu’un nom dans la
sculpture anglaise des XVIIe et XVIIIe siècles,
c’est celui du Français originaire de Lyon,
Louis-François Roubillac (1695-1762). Il diffuse
en Angleterre les tombeaux à scénographie
baroque pratiqués en France, avec ceux du
duc John d’Argyll et de lady Nightingale à
l’abbaye de Westminster.

Il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir apparaître les


premiers grands peintres anglais dignes de ce nom.
En premier, Hogarth, à la fois peintre et graveur, qui
innove dans le ton donné à ses œuvres. Puis, marqué
par l’art hollandais du paysage et le style rocaille du
portrait français, Gainsborough concilie comme Van
Dyck les deux formules dans ses portraits
aristocratiques.

Hogarth, le peintre des carrières


William Hogarth (1657-1764) s’illustre en peignant et
en gravant des séries de sujets moraux sur un ton
satirique, une forme de peinture inédite en Europe
jusqu’ici. L’artiste y dénonce avec humour les travers
de l’Angleterre de son temps. Ses séries les plus
célèbres, composées comme des romans, sont La
Carrière d’une prostituée (1732) et La Carrière d’un
roué (1735), où il fait en huit planches la biographie
de Tom Rakewell. Un roué, c’est quelqu’un digne de
mourir du supplice de la roue. Igor Stravinsky s’est
inspiré de l’œuvre de Hogarth pour son opéra The
Rake’s Progress (1951), en français Le Libertin.

« La Carrière d’une
prostituée »
En 1732, l’année de La Carrière d’une
prostituée, Hogarth entre à l’Académie de
dessin fondée par James Turnhill. Celui-ci, en
regardant cette œuvre de son gendre, déclare
qu’un artiste qui sait faire une telle œuvre peut
entretenir une femme. Mais en homme avisé, il
précise bien… « sans dot ». C’est flatteur pour
Hogarth mais surtout économique pour le
beau-père !

Le peintre retarde très volontairement la
parution de son autre série, La Carrière d’un
roué, pour une raison surprenante mais
compréhensible : il attend une loi sur la
propriété intellectuelle, d’ailleurs encore
connue en Angleterre sous le nom de loi
Hogarth ; en France, c’est Beaumarchais qui se
battra pour cela.

Thomas Gainsborough, so british


Thomas Gainsborough (1727-1788) se spécialise dans
les portraits. On y retrouve l’élégance simple de la
pose du modèle, le caractère noble de la composition,
la délicatesse des couleurs, dans une touche si libre et
si légère, que l’on a l’impression que le pinceau
caresse la toile. Les personnages baignent dans une
brume à l’anglaise, inspirée du sfumato italien qui leur
confère un aspect préromantique. Ses œuvres les plus
connues sont ses Filles portant un chat et Robert
Andrews et sa femme (1748), portrait d’un jeune
couple de la noblesse terrienne, issue parfois
d’artisans et ne répugnant pas au négoce.

Le portrait peint par Gainsborough a, comme tout


chef-d’œuvre, plusieurs niveaux d’interprétation
possibles :
Historique, avec une allusion au mouvement des enclosures
(privatisation des terres communales) dans l’Angleterre du
XVIIIe siècle qui prive les paysans pauvres de leurs terres ;
Symbolique, si l’on voit dans les blés mûrs une promesse de
fécondité du mariage.

À l’est, encore du
nouveau
L’art baroque ne s’est pas arrêté aux portes de
l’Europe occidentale. L’Autriche fait par
exemple de Vienne une capitale baroque. On y
remarque la délirante colonne de la Peste
(1682-1694) qui n’a de colonne que le nom,
car il s’agit d’une grande pièce montée où les
figures s’agitent et se superposent au milieu
des nuées. Elle est érigée en mémoire des
victimes de la peste de 1679. C’est sans doute
l’un des monuments publics les plus théâtraux
d’Europe !

On se doit également d’évoquer Prague où les
Italiens dominent la création architecturale
jusque dans la deuxième moitié du XVIIe
siècle, période à laquelle Allemands et
Tchèques leur succèdent. Le pont Charles,
construit au XIVe siècle, est orné à partir de
1683 d’une série de statues baroques qui font
penser au pont Saint-Ange de Rome par
Bernin. Cette décoration a pour origine
l’érection (honni soit qui mal y pense, il s’agit
de la construction) de la statue en bronze de
saint Jean Népomucène, saint patron de la
Bohême. Cet exemple sera utilisé pour de
nombreux ponts dans toute l’Europe centrale.
Quatrième partie

Nunuches, nanars et
nénuphars : le XIXe siècle

Dans cette partie…



Nous allons parcourir un peu plus d’un siècle, en fait près de
cent cinquante ans, de l’histoire de l’art. Cette période
particulièrement bien remplie vous semblera certainement
familière, car nous aborderons les styles les plus célèbres.
Attention aux réactions en chaîne : chaque courant s’inscrit
contre celui (ou ceux) qui le précède (nt). Jamais le sentiment
d’appartenance à un style n’a été aussi fort ! Revue de détail.
Chapitre 13

Un éclairage au « néo » : le
néoclassicisme

Dans ce chapitre :
Vivre un retour à l’Antiquité sans changer de
chapitre
Faire la Révolution avec David
Visiter l’Arc de triomphe sans retenir son
Chalgrin

Lassé des courbes et contre-courbes du rocaille, le


milieu du XVIIIe siècle voit naître une aspiration à plus
de sobriété et de rigueur. Plusieurs événements
remettent alors l’Antiquité au goût du jour et
notamment :
la découverte des ruines de Pompéi et d’Herculanum en
1748 ;
la publication des premiers recueils de gravures de l’Italien
Piranèse sur les antiquités romaines en 1748, puis en 1751.

Ainsi s’ouvre l’ère du néoclassicisme, c’est-à-dire un


nouveau classicisme, différent de celui de la
Renaissance et du XVIIe siècle, qui s’étend jusqu’au
milieu du XIXe et dont l’Allemand Winckelmann,
auteur en 1755 de Réflexions sur l’imitation des
œvres grecques en peinture et en sculpture, définit le
fondement par la redécouverte de l’Antiquité érigée
en modèle idéal pour l’art.

Les toiles de David


Le peintre David est la figure emblématique du
mouvement néoclassique, reflet de son époque et des
bouleversements de la société française. Né sous
Louis XV à Paris en 1748, il traverse la Révolution
française et le Premier Empire avant de mourir en exil
à Bruxelles en 1825, sous Charles X.

Un peintre sous serment


Son grand-oncle, le peintre Boucher, le prend comme
élève et le confie en 1766 à Vien (1716-1809). Avec sa
célèbre Marchande d’amours (1763), Vien est
considéré comme le premier peintre néoclassique. Ce
délicieux tableau s’inspire d’une fresque
d’Herculanum découverte en 1759. Une marchande
propose à des jeunes femmes de petits Éros aussi
appétissants que de jolis petits poulets grassouillets.
Le décor est une reconstitution archéologique d’un
intérieur romain, établie à partir de vestiges
retrouvés. Vien fait aussi des essais de recettes
anciennes, peintures à l’encaustique et à la cire,
comme des cuisiniers s’essaient de nos jours à la
cuisine médiévale. Quand il est nommé directeur de
l’Académie de France à Rome, il emmène son élève
David dans la ville musée, à la découverte de l’art
antique.
Le Serment des Horaces
Trois frères romains, les Horaces, doivent
combattre trois frères albains, les Curiaces,
pour savoir qui de Rome ou d’Albe aura
l’hégémonie. Au cours du combat, deux
Horaces sont tués et trois Curiaces, plutôt
coriaces, blessés. Le dernier Horace fait mine
de s’enfuir, isole ainsi chaque Curiace lancé à
sa poursuite et les tue un par un. David a
choisi le moment où, avant le combat, les
Horaces jurent de vaincre ou de mourir pour
Rome.

La composition du tableau se distingue par :
une reconstitution méticuleuse des objets et
ameublement d’après des gravures de livres
d’archéologie ;
une construction fondée non plus sur la
courbe comme dans l’art rococo mais sur des
droites : colonnes et postures raidies des
personnages donnent une forte impression de
verticalité, renforcée par la position affaissée
du groupe des femmes ;
une disposition en frise, inspirée des bas-
reliefs antiques, appelée à un grand succès ;
un éclairage mettant bien en relief les
personnages au premier plan, comme sur une
scène de théâtre.
Le serment sur les épées évoque les
cérémonies initiatiques de sociétés secrètes
souvent fantasmées, comme la franc-
maçonnerie – le best-seller du siècle est alors
Sethos de l’abbé Terrasson, sur fond d’Égypte
et d’initiations imaginaires, adapté par Mozart
dans La Flûte enchantée.

Les œuvres suivantes de David ne démentiront
pas sa notoriété. Au Salon de 1787 La Mort de
Socrate, en 1789 Les Amours de Pâris et
d’Hélène, Les Licteurs rapportant à Brutus les
corps de ses fils illustrent tous le style
néoclassique où les personnages sont
présentés dans le cadre d’une Antiquité
renouvelée.

Un talent qui crève les yeux

En 1780, David revient à Paris pour être agréé à


l’Académie royale de peinture avec sa toile de
Bélisaire, un général byzantin victime de l’ingratitude
des puissants – l’empereur Justinien lui fit crever les
yeux, ce qui, pour les mauvaises langues, aurait pu
transformer ce militaire en critique d’art ! En 1783,
l’artiste reçoit la commande d’un tableau qui
représente Le Serment des Horaces (voir Figure 35),
exposé au Salon de 1785. David adopte alors le
« grand style » de la peinture d’histoire et fait siennes
les théories de Winckelmann. Dans son ouvrage, ce
dernier explique que la principale caractéristique de
l’art grec est une « une noble simplicité et une
grandeur sereine, tant dans la position que dans
l’expression ». Comme en art il est manifeste qu’on
adore les manifestes, la toile devient celui du
néoclassicisme.

Conventionnel seulement en politique
La Révolution française, qui survient peu après,
enthousiasme le peintre. En 1789, David fait un dessin
à la plume représentant le Serment du Jeu de paume,
transcrit sur une toile de 10 mètres sur 6,65 mètres,
restée à l’état d’ébauche. Les événements politiques
ne lui laissent pas le temps de l’achever, car le
principal personnage, Mirabeau, disparaît de l’Histoire.
Devenu membre de la Convention, David fait voter la
suppression de l’Académie de Rome, peut-être par
esprit de revanche étant donné qu’il a échoué quatre
fois avant de gagner le concours ! Il vote par la suite
la mort de Louis XVI.

Il faut être réaliste
Également à cette époque, David peint La Mort de Le
Pelletier de Saint-Fargeau, révolutionnaire assassiné.
La toile annonce déjà le réalisme et tranche avec les
théories du néoclassicisme. Le chef-d’œuvre de cette
veine réaliste est Marat assassiné de 1793, dont une
des copies de ses élèves est au Louvre. David se
détourne alors du modèle antique pour se faire
peintre de l’actualité. Son rôle politique s’accroît : il
organise plusieurs fêtes nationales, devient membre
des comités d’instruction publique et de sûreté
générale, et il préside même la Convention. Arrêté
quelque temps après la chute de Robespierre, il
entreprend ensuite son œuvre L’Enlèvement des
Sabines (1798), marquant un retour au néoclassicisme
et à l’Antiquité, avec des sujets moins risqués.
Ma petite entreprise
Le XIXe siècle est aussi le siècle marchand,
celui de la bourgeoisie triomphante. La
réussite sociale appartient à celui qui ose
investir. Le Père Goriot, roman de Balzac,
illustre parfaitement cette tendance. Les
marchands remplacent les mécènes.

Le statut de l’artiste change : il se veut
désormais libre et indépendant
financièrement. À l’orée des temps nouveaux,
David a tout compris : en 1799, il fait payer un
droit d’entrée au public pour voir L’Enlèvement
des Sabines. L’atelier d’artiste devient une
petite entreprise. David s’en explique dans un
fascicule fourni à l’entrée : il est en quelque
sorte l’inventeur du Petit Journal des grandes
expositions. Il déclare que le peintre a « droit à
l’existence économique et à l’échange ». Il est
presque impossible de comparer les prix de
l’époque avec la monnaie actuelle, car selon
l’étalon choisi, le prix du pain ou la journée de
travail, les écarts peuvent être considérables.
Mais si on estime raisonnablement à 0,50
euros le prix d’entrée, comme cette exposition
particulière dure cinq ans, L’Enlèvement des
Sabines a fait rentrer dans sa bourse plus
d’argent que ne lui en aurait rapporté une
commande !

David, un frondeur
L’actualité finit cependant par rattraper l’artiste. En
1797, David rencontre Bonaparte et commence un
portrait, jamais achevé, mais passant pour l’un des
plus ressemblants. En 1801, son Premier Consul
franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard
marque la victoire de Marengo. Si ce nom rappelle aux
gastronomes la recette du veau et du poulet, il
évoque plutôt le cheval pour les amateurs de
peinture : avec cette toile, David offre en effet un
portrait équestre idéalisé de Napoléon. Vision plus
historique, le Bonaparte franchissant les Alpes de Paul
Delaroche représente le futur Empereur frissonnant,
juché sur… un mulet : toute la différence entre la
propagande et la réalité !

Un sacré tableau

Devenu Empereur, Napoléon veut un peintre officiel,


comme les rois avant lui. Il choisit David et lui
commande quatre grandes compositions destinées à
orner la salle du Trône, dont deux seulement verront
le jour : Le Couronnement et La Distribution des Aigles
(1810). Le premier devint Le Sacre de l’empereur
Napoléon Ier et le couronnement de l’impératrice
Joséphine dans la cathédrale Notre-Dame de Paris le 2
décembre 1804, plus connu sous le nom de Sacre
(1805-1810).

Trop d’hommage
Lors de la première Restauration (1814-1815), l’ancien
régicide David juge prudent de se faire oublier. Il
réapparaît durant les Cent-Jours où il signe les Actes
additionnels. Après la Seconde Restauration (1815-
1830), il est condamné à l’exil. Il s’installe alors à
Bruxelles où il peint Amour et Psyché (1818),
Télémaque et Eucharis, La Colère d’Achille, Mars
désarmé par Vénus et les Grâces (1824), et une
réplique du Sacre pour Versailles (1821, voir Figure
34).

À sa mort à Bruxelles en 1825, la royauté, rancunière,
refuse que son cercueil passe la frontière. Ses restes
sont alors inhumés à Sainte-Gudule de Bruxelles.
Après sa disparition, l’aura artistique de David ne
perdra rien de sa vigueur, inspirant pendant trente
ans des peintres aussi divers que Jean Germain
Drouais, Anne Louis Girodet-Trioson, François Gérard,
Antoine Gros ou Jean Auguste Dominique Ingres.

Ingres attitude

Élève de David, Ingres (1780-1867) est pour ses


contemporains le chef de file du néoclassicisme, par
opposition à Delacroix et au romantisme – c’est
toutefois un jugement un peu réducteur, comme
disent les Jivaros. Si la persistance du goût pour
l’Antique, la composition très étudiée, l’importance du
dessin témoignent chez l’artiste de la veine
néoclassique, le jeu sur les lignes ondulantes,
l’allongement des formes lui donnent son propre style.
La Grande Odalisque, dont les critiques se plaisent à
souligner les trois vertèbres excédentaires et les bras
trop longs, en est un bon exemple.

L’art osé
À la mort de Raphaël, dont Ingres était un fervent
admirateur, on trouva dans les affaires du peintre le
portrait d’une belle jeune femme, une autre Joconde :
la Fornarina.

Épuisé au déduit
Vasari, le biographe des peintres de la Renaissance,
raconte qu’elle causa la mort de Raphaël en l’épuisant
au « déduit » (c’est-à-dire aux jeux amoureux, pour
ceux qui n’ont jamais écouté Brassens). S’inspirant de
cette anecdote, Ingres peint Raphaël et la Fornarina
lors de ses séjours à Rome entre 1806 et 1820. Dans
ce tableau, le modèle est assis sur les genoux de
l’artiste. Raphaël se retourne et regarde l’œuvre qu’il
est en train de faire. Cette scène d’atelier est à la fois
un hommage à l’œuvre et à la vie du peintre.

Œdipe sans complexe
La mythologie est également une source d’inspiration
et de réflexion pour Ingres, avec par exemple son
Œdipe et le Sphinx. Œdipe, en grec, signifie pied bot,
le boiteux. Dans l’angle droit du tableau, on aperçoit
bien un pied – un pied beau ? Mais le Sphinx lève une
griffe qui attire l’œil du spectateur sur le pied du fils
de Jocaste, posé sur le rocher, qui constitue le
véritable centre du tableau.

Ingres reprend la position adoptée par le berger de


Poussin pour déchiffrer une autre énigme Et in Arcadia
ego (voir Figure 25). Tous deux parlent avec la Mort.
Chez Poussin, celle-ci est représentée par une figure
féminine et chez Ingres, par le Sphinx. Le nom de ce
dernier vient du grec sphingein, étreindre. Pour les
Grecs, les dieux Éros et Thanatos, l’Amour et la Mort,
sont frères jumeaux.
Géométrie dans les
spasmes
L’imaginaire occidental du XIXe siècle
fantasme un Orient érotique. À tel point qu’il
n’est pas exagéré de dire que le voyageur est
un voyeur et l’orientalisme, la forme artistique
du voyeurisme. S’inscrivant dans cette veine,
la dernière grande œuvre d’Ingres est le Bain
turc (1863). Dans ce tableau, les courbes des
corps féminins créent une sensation de réalité
décalée – un peu, si l’on veut, comme dans Le
Fabuleux Destin d’Amélie Poulain ! Les
personnages sont entre la vie et le conte.
Autre détail surprenant dans ce harem, une
baigneuse a le visage de l’ange du Vœu de
Louis XIII. Érotisme sublimé ou croyance au
septième ciel ?

Complètement d’Ingres !
En 1811, 1812 et 1819, Ingres envoie son Œdipe, La
Grande Odalisque et Thétis suppliant Jupiter au Salon
de Paris où les œuvres sont accueillies avec le même
verdict insultant : de la peinture « gothique et
byzantine » ! Nul n’étant prophète en son pays, Ingres
rejoint alors l’Italie.

Rouge Senonnes
La période romaine du peintre est l’occasion de
superbes portraits, comme celui de Madame de
Senonnes (1814-1816, voir Figure 38), un des plus
beaux tableaux jamais exécutés. Dire que cette toile a
été récupérée chez un brocanteur ! Elle influença
aussi bien Picasso que Matisse. Une véritable tarte à
la crème pour l’histoire de l’art : Ingres est classé
dessinateur et non coloriste ! Pourtant, le rouge de la
robe présente toutes ses nuances. De plus, un miroir
permet de voir le modèle de dos, géniale idée de mise
en perspective développée à plusieurs reprises chez
Ingres. La légende veut qu’avant lui, un peintre italien
de la Renaissance avait parié de prouver la supériorité
de la peinture sur la sculpture en peignant le même
modèle sous tous les angles, y compris en jouant des
reflets dans l’eau, permettant au spectateur de voir le
sujet entièrement sans se déplacer.

Un vœu pieux
De 1820 à 1824, Ingres s’installe à Florence. Il peint
une variante de la Chapelle Sixtine, et Le Vœu de
Louis XIII (1820-1824) par lequel le roi consacre son
royaume à la Vierge. Le succès au Salon de 1824
amène le maître à revenir à Paris. Il donne les
portraits de Charles X et de M. Bertin, créant, comme
le souligne Baudelaire, l’impression qu’Ingres a toute
sa place parmi les réalistes ! En fait, l’artiste n’aime
pas beaucoup peindre des portraits de commande,
qu’il considère comme des travaux alimentaires. Mais
de la belle et timide Mademoiselle Rivière (1805) à
Madame Senonnes, la faim justifie les moyens !

En apothéose
Ingres peint aussi L’Apothéose d’Homère (1827)
initialement prévu pour décorer un plafond du Louvre.
Le Martyre de saint Symphorien, actuellement à la
cathédrale d’Autun, est un échec au Salon de 1834.
La critique reproche au peintre de n’avoir composé
son ensemble que comme une juxtaposition de
scènes. Il repart alors pour Rome, mais comme
directeur de l’Académie de France. Revenu en France
en 1841, le maître crée des vitraux pour la famille
d’Orléans, avant de se rallier au Second Empire qui lui
commande en 1853 une Apothéose de Napoléon Ier,
pour un plafond de l’Hôtel de Ville de Paris détruit en
1871, dont une esquisse subsiste au musée
Carnavalet.

Finir au violon
La photographie surréaliste la plus connue, le
portrait de Kiki de Montparnasse par Man Ray,
est inspirée de la Baigneuse dite de Valpinçon
ou de la joueuse de luth du Bain turc. C’est
une femme nue de dos, coiffée d’un turban.
Son corps évoque un instrument de musique
et la photographie s’intitule justement Le
Violon d’Ingres.

Le père musicien d’Ingres lui avait en effet
donné le goût de la musique. Pour payer ses
études à l’École des beaux-arts de Toulouse,
l’artiste joue pendant deux années à
l’Orchestre du capitole comme deuxième
violon. On prétend que s’il accepte bien les
critiques sur sa peinture, il supporte en
revanche très mal les remarques sur sa façon
de jouer. Depuis, l’expression « avoir un violon
d’Ingres » désigne un passe-temps, un hobby
auquel on aime consacrer ses loisirs. À la fin
de votre lecture, nul doute que vous direz :
« L’histoire de l’art, c’est mon violon
d’Ingres ! »
Copier l’inimitable : la sculpture
néoclassique

Le maître à penser du néoclassicisme, Winckelmann,


veut que l’artiste imite l’art grec pour « être
inimitable », paradoxe qui résume le tour de force à
réaliser. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, on considère l’art
grec comme le plus parfait de tous les temps. En
opposition à Bernin, les sculpteurs étudient les
œuvres retrouvées à Pompéi et Herculanum, sous les
cendres et la lave du Vésuve, surgies de terre comme
d’une civilisation extraterrestre. Ce style commence
en sculpture vers 1750. Les mouvements artistiques
ne progressent pas de la même façon dans toutes les
disciplines et ne suivent pas obligatoirement les
mêmes divisions du calendrier.

Où donc est Houdon ?


Jean-Antoine Houdon (1741-1828), élève du sculpteur
Pigalle, obtient le prix de Rome en 1761. En référence
à l’Antiquité, il représente son Voltaire drapé dans une
toge – ce qui, convenons-en, est plus respectueux
pour un vénérable philosophe que d’être représenté
avec des bigoudis !

Un écorché plutôt vif
Houdon sculpte un célèbre Saint Bruno pour l’église
Sainte-Marie-des-Anges, à Rome, qui tranche par sa
sérénité avec les effets baroques précédents. Toujours
dans la veine antique, Houdon expose avec succès au
Salon de 1771 un Morphée, dieu du sommeil célèbre
pour ses bras où l’on tombe toutes les nuits. Les
souvenirs de l’Antiquité fournissent aussi à son
inspiration une Vestale et une Minerve qui le rendent
célèbre, tout comme son Écorché aux multiples
reproductions en réduction, très remarqué. Sa Diane
se retrouve encore chez tous les antiquaires et dans
toutes les brocantes du dimanche. En 1777, Houdon
entre à l’Académie et, peu de temps après, est choisi
pour faire le buste de Washington.

En tournée américaine

Le sculpteur part alors à Philadelphie avec Benjamin


Franklin, l’Américain si populaire en France. Véritable
icône nationale en Amérique, sa statue de Georges
Washington se trouve toujours dans la rotonde du
capitole de Richmond. D’autres commandes
s’ensuivent : bustes de Catherine II, de Diderot, de
d’Alembert, de Turgot, la statue de Tourville. Nombre
de célébrités politiques posent aussi pour lui, de Louis
XVI à Napoléon Ier en passant par La Fayette et
Mirabeau, certains étant parmi les meilleurs bustes de
la sculpture française. En les voyant, on comprend
qu’on peut vraiment rendre le caractère intime d’un
modèle.

Canova : le sens de l’amour

Dans le même esprit que le Voltaire de Houdon,


Antonio Canova (1757-1822), le meilleur représentant
du style néoclassique, sculpte Napoléon nu. Il
l’idéalise en héros antique, mais la statue déplaît à
l’Empereur. Elle est alors acquise par son pire ennemi,
l’anglais Wellington, dans la maison duquel elle est
toujours exposée, à Londres !

À la différence de celle de son frère Napoléon, la
sculpture de Pauline Bonaparte, représentée en Vénus
couchée, est vivement appréciée. Pour une fois, les
flatteurs n’ont pas tort de juger le modèle plus joli que
la déesse. Canova ose, au mépris des reproches, dans
une Psyché jouant avec un papillon, inclure des
accessoires réels, coupe et aiguière en bronze, et
enduire la statue d’une peinture imitant la chair. Il
insuffle dans le marbre un peu de ce charme
voluptueux issu du XVIIIe siècle. Sa gloire européenne
lui apporte l’admiration des princes – c’est assez facile
– et celle des artistes contemporains – et ça, c’est
d’ordinaire quasiment impossible. De son œuvre
abondante, on retient encore le groupe L’Amour et
Psyché, actuellement au Louvre, pour sa poésie douce
et sensible.

Faire du neuf avec


l’ancien
Phryné remettant ses voiles de James Pradier
(1792-1852) perpétue le courant antiquisant.
Très symboliquement, ses deux premières
statues acquises par l’État sont sculptées dans
une colonne de marbre antique trouvée à
Véies. L’artiste sait en effet tirer parti de la
mythologie antique pour donner une œuvre
personnelle. Il se laisse parfois aller à la
facilité, comme avec ses versions habillées ou
nues de la même sculpture. Il joue même sur
la longueur des voiles pour certaines Pandore
qui sont pudiques ou impudiques, selon le
modèle et l’endroit où le spectateur se tient.
Les critiques jugent ainsi équivoque sa jeune
fille mordue par un serpent ou sa bacchante
dans les bras du satyre.

En revanche, ses sculptures monumentales
sont prestigieuses : les douze Victoires
entourant le tombeau de Napoléon aux
Invalides, sur la place de la Concorde les
statues représentant les villes de Lille et de
Strasbourg. Cette dernière a les traits de
Juliette Drouet, actrice et compagne de
Pradier, qui devient ensuite l’égérie de
l’écrivain Victor Hugo. Cette statue est
considérée comme hautement symbolique et
patriotique. De 1871 à 1918, elle est
certainement la statue la plus célèbre de
France, car elle porte un deuil permanent en
mémoire de l’Alsace-Lorraine annexée par
l’Allemagne.

L’internationale du style : l’architecture


néoclassique

En architecture, le néoclassicisme couvre la période


1750-1830. C’est la première fois en Europe, et dans
le monde qu’un style architectural se développe avec
une aussi belle unité. Caractérisée par son goût des
droites et des colonnes, par opposition aux courbes du
baroque, l’architecture néoclassique a voulu renouer
avec l’Antiquité en commençant par les formes
classiques des XVIe et XVIIe siècles qui avaient fait
son succès, dont et surtout celles de Palladio.

Adulée en Angleterre et aux États-Unis, celle-ci a servi
de modèle à Thomas Jefferson (1743-1826),
ambassadeur en France et futur président des États-
Unis, passionné d’architecture, pour sa maison de
Monticello. L’architecture néoclassique aux États-Unis
s’illustre surtout au Capitole et à la Maison Blanche
elle-même ! Autres exemples fameux du rayonnement
mondial du style : la grande cathédrale Saint-Isaac de
Saint-Pétersbourg et la porte de Brandebourg à Berlin.

Un Ange passe
En France, Ange Jacques Gabriel (1698-1782), premier
architecte du roi, est auréolé d’une solide réputation –
normal, quand on se prénomme Ange ! Cultivant le
mélange de la grande tradition classique française des
XVIe et XVIIe siècles et de l’Antiquité, il réalise l’École
militaire (1751-1787) et les pavillons de la place Louis
XV (1755-1775), actuelle place de la Concorde.
L’architecte s’inspire de l’aile Lescot et de la
colonnade de Perrault du Louvre (voir Figure 19),
référence absolue du style classique français. Bâti à la
demande de la marquise de Pompadour, le Petit
Trianon de Versailles est à la fois son chef-d’œuvre et
celui de l’architecture néoclassique française.

Ledoux, un vrai dur


Témoin de la maturité du style, Claude Nicolas Ledoux
(1736-1806) accomplit un retour à l’Antiquité gréco-
latine en remettant au goût du jour la colonne dorique
sans base, jugée plus « virile », et celle alternant
cubes et cylindres, créée par Palladio au XVIe siècle,
comme à la saline royale d’Arc-et-Senans en Franche-
Comté, projet tout à la fois de manufacture et de
nouvelle utopie avorté. Architecte de la ferme
générale chargé de collecter l’impôt pour le roi,
Ledoux édifie la barrière de l’octroi. Destinée à éviter
les fraudes, elle servait au prélèvement des taxes sur
toute marchandise rentrant dans Paris. Ce « mur
murant Paris qui rend Paris murmurant », comme
l’appellent les Parisiens, a disparu. Il en reste des
vestiges intéressants : les deux grands pavillons à
l’entrée du cours de Vincennes, ceux de la place
Denfert-Rochereau et la belle Rotonde à la station
Stalingrad.

Soufflot n’est pas jouer

À partir de 1758, Louis XV fait édifier l’église Sainte-


Geneviève, devenue le Panthéon, par l’architecte
Jacques-Germain Soufflot (1713-1780). Parmi les
premiers monuments caractéristiques du
néoclassicisme, sa façade à colonnes rappelle les
portiques des temples antiques. On retrouve ces
colonnes autour du dôme mais aussi et surtout à
l’intérieur, à la place des piliers traditionnels des
églises, élevées dans un souci de transparence et de
légèreté. Ce qui n’est pas sans poser, encore de nos
jours, des problèmes de stabilité ! Le goût des
colonnes gagne également les théâtres comme
l’Odéon et surtout le Grand Théâtre de Bordeaux, l’un
des plus beaux d’Europe.

Trop de Chalgrin
Jean-François Chalgrin (1739-1811) est passionné, lui
aussi, par l’architecture gréco-romaine. On lui doit
notamment l’église Saint-Philippe-du-Roule, le Collège
de France et le très bel hôtel du consulat des États-
Unis à Paris. En 1806, il est chargé de la construction
de l’Arc de triomphe de l’Étoile mais ne peut le
terminer. Œuvre de l’architecte Alexandre-Pierre
Vignon (1763-1828), la Madeleine est le premier
édifice religieux à ressembler à un véritable temple
antique. Sa conception intérieure répond au plan
basilical traditionnel des monuments paléochrétiens
et imite les thermes antiques par son éclairage à
coupoles.

Une Bourse de valeur


Aussi appelée palais Brongniart, du nom de son
architecte Alexandre Théodore Brongniart (1739-
1813), la Bourse de Paris est l’un des grands
monuments néoclassiques du début du XIXe siècle.
L’artiste fut également chargé de dessiner le
cimetière du Père-Lachaise, en application des
théories hygiénistes de l’époque.

Juste en face du musée d’Orsay, côté Seine, l’hôtel de
Salm (1783), actuel musée de la Légion d’honneur,
exploite également une idée caractéristique des
hôtels particuliers du nouveau style au XVIIIe :
l’ouverture des cours privées sur la rue par des
colonnes fermées de grilles. Désormais plus besoin de
dissimuler sa vie privée derrière de hauts murs !
L’entrée adopte la forme d’un arc de triomphe romain
et le grand salon sur le quai, surmonté de statues, a la
forme d’un temple grec. On n’oubliera pas l’arc du
Carrousel, version réduite de l’arc de Tibère à Rome,
dans la cour d’honneur du Louvre, par les célèbres
Charles Percier (1764-1838) et Léonard Fontaine
(1762-1853), architectes favoris de Napoléon qui leur
confia la réalisation de la rue de Rivoli.
Chapitre 14

Ce radeau me méduse : le
romantisme

Dans ce chapitre :
De la passion, du bruit et de la fureur
Suivre la Liberté de Delacroix
Se ronger les sangs avec Carpeaux
La renaissance du style gothique

Au début du XIXe siècle, la querelle des Anciens et


des Modernes recommence ! L’Ancien, le
néoclassique, prend ses sujets dans la civilisation
antique revisitée par le bon goût. Le Moderne, le
romantique, se flatte de rejeter le conventionnel, de
mettre en valeur le caractère des personnages et leur
expression. Avec pour maîtres mots passion et
couleur, ces jeunes nouveaux talents prétendent jeter
l’Antiquité gréco-romaine aux oubliettes !

Les peintres de l’ailleurs


En littérature, le romantisme commence avant la
Révolution française, autour de Goethe, avec le cercle
d’Iéna ; en art, il se développe en Europe durant la
première moitié du XIXe siècle. Une des meilleures
façons de définir ce mouvement est de décrire cette
perpétuelle soif d’aller voir ailleurs. C’est ainsi que
dans le domaine artistique, à Paris, les peintres
romantiques font scandale aux Salons annuels en
bouleversant la hiérarchisation des genres :

la peinture d’histoire s’ouvre aux sujets


contemporains ;
les scènes de genre sont peintes dans le format
noble de cette peinture d’histoire ;
les légendes nordiques ou les sujets orientaux
remplacent la mythologie gréco-romaine.

Un Gros qui suit plusieurs régimes


Le peintre Antoine Gros (1771-1835), comme souvent,
est un novateur sans le savoir, et un romantique
malgré lui. Quelle surprise de voir tous ces jeunes
gens se réclamer de lui ! Les Pestiférés de Jaffa
déclenchent un enthousiasme général ! Enfin un héros
contemporain : Bonaparte, à l’attitude messianique,
rappelle le rôle magique du roi guérissant les
écrouelles par l’imposition des mains. Le mythe de
Napoléon annonciateur providentiel d’un Nouveau
Monde est né.

Tous ego

Les grandes machines historiques comme La Bataille


d’Aboukir (1806), La Bataille d’Eylau, celles des
Pyramides ou de Wagram apparaissent pleines de
bruit et de fureur, romantiques en somme.
L’expédition en Égypte de Napoléon a ouvert les
portes de l’imaginaire orientaliste, à l’affût depuis les
Mille et Une nuits de Galland. Elle inspire à Gros Le
Combat de Nazareth avec pour héros le général Junot.
Bonaparte fait réduire de moitié les dimensions du
tableau – ce qui prouve qu’on peut être un grand
homme pour les historiens et avoir quand même de
petites faiblesses de jalousie… ou un ego
surdimensionné ! Vers 1812, l’Empereur charge en
effet Gros de représenter dans la coupole du Panthéon
plusieurs grands monarques : Clovis, Charlemagne,
Saint-Louis et… Napoléon bien sûr !

Quartiers de noblesse

À la Restauration, Gros reçoit l’ordre de substituer le


portrait de Louis XVIII à celui de Napoléon au
Panthéon. S’adapter à la politique est aussi un art, et
pas seulement à cause de la différence de tour de
taille entre les deux ! En récompense du bon
achèvement de ces peintures en 1825, Gros est fait
baron.

Tous ces jeunes gens romantiques, qui l’admirent et
se réclament de lui, l’effraient. Il effectue des portraits
intéressants de personnalités comme l’impératrice
Joséphine ou encore Louis XVIII, ainsi que de
véritables portraits individualisés de chevaux, comme
Le Cheval arabe du musée de Valenciennes, toile de
genre orientaliste. L’exotisme, là encore, séduit
Géricault et la jeune génération.

En 1835, l’artiste est retrouvé noyé à Meudon, sans
doute suicidé. À un moment de l’histoire de l’art où
tout était antique et où, en dehors du nu, on ne
concevait pas de peinture d’histoire, il fut moderne et
français – un tour de force !

Géricault, les tempêtes de la renommée


Parmi les admirateurs de Gros, Théodore Géricault
(1791-1824) est vite surnommé, ironiquement, « le
pâtissier de Rubens », à cause de sa manière de
travailler la matière picturale. Mort en pleine force de
l’âge à seulement 31 ans, il est la figure de l’artiste
maudit, frappé par la fatalité et empêché par le destin
d’exprimer tout son génie.

C’est pas mal, l’armée
Quand en 1812, Géricault expose son Chasseur de la
Garde, la fougue du modèle et l’éclat du coloris font
scandale, tout comme son Cuirassier blessé en 1814.
Même si cela semble extraordinaire, il est alors
révolutionnaire de peindre des militaires !

Un petit séjour en Italie lui permet de faire de


nombreux croquis d’après les maîtres de la
Renaissance. En voyant les œuvres de Michel-Ange, le
peintre se dit qu’il a raison de suivre cette voie de la
couleur éclatante. De retour à Paris en 1819, il se
lance dans la création du Radeau de la Méduse (voir
Figure 36). Afin de pouvoir s’astreindre au travail
sans être tenté par les plaisirs, l’artiste se rase la
moitié de la tête, s’interdisant ainsi de sortir en public.
Il travaille d’arrache-pied (le comble, pour un manuel).
La toile suscite de vives critiques et défraie la
chronique.

Ary, un ami qui vous veut


du bien
Ary Scheffer (1795-1858) peint La Mort de
Géricault, l’hommage de toute une génération
à son maître. Son tableau Les ombres de
Francesca da Rimini et de Paolo Malatesta
apparaissent à Dante et à Virgile utilise jusqu’à
l’absurde l’ondulation si chère au romantisme.
Comme quoi, même les œuvres mineures sont
parfois enrichissantes, car les caractéristiques
d’une époque y sont poussées jusqu’à la
caricature.

L’hôtel particulier du peintre dans le 9e
arrondissement de Paris est devenu le musée
de la Vie romantique. On peut y rêver de
George Sand et des musiciens Chopin et Liszt,
des écrivains Lamartine et Tourgueniev, des
peintres Delacroix ou Delaroche : Ary Scheffer
les reçoit dans son atelier de 1830 à sa mort.
C’est un de ces lieux attachants de Paris où
l’histoire est vivante.

Une chute fatale


Ne trouvant pas d’acquéreur, Géricault emporte le
tableau en Angleterre où il rencontre un vif succès. Il
en rapporte sa toile de course de chevaux Le Derby
de 1821 à Epsom. La parfaite fluidité du mouvement,
même au mépris du réalisme, en fait son tableau de
chevalet le plus achevé. L’artiste y ouvre les pistes
d’un travail sur la lumière qui rappelle le peintre
anglais Constable.

Géricault est aussi sculpteur. Son cheval écorché est


un véritable chef-d’œuvre d’anatomie. Également
cavalier passionné, il meurt des suites d’une chute de
cheval. Le nœud de sa chemise, hâtivement nouée
dans le dos, lui endommage la colonne vertébrale,
détail idiot aux conséquences tragiques.

Delacroix et la bannière
Après Géricault et Le Radeau de la Méduse, Delacroix
(1798-1863) sème à son tour l’inquiétude chez les
partisans des Anciens, très chagrins devant La Barque
de Dante (1822). Deux ans plus tard, c’est la
stupéfaction épouvantée pour ces classiques (« dont
la perruque frémissait », s’amuse Gautier) devant les
Scènes des massacres de Scio : au nom de la liberté
des peuples, les romantiques s’enthousiasment pour
la lutte de la Grèce moderne pour son indépendance.
Les Scènes au Louvre et La Grèce sur les ruines de
Missolonghi sont au XIXe siècle l’équivalent du
Guernica (voir Figure 55) de Picasso pour la guerre
d’Espagne au siècle suivant. Violence, exotisme,
sentiments généreux : tous les ingrédients sont
présents sans que Delacroix ne tombe dans
l’outrance.

Portrait de l’artiste en insurgé
Au Salon de 1827, Delacroix présente La Mort de
Sardanapale et Louis Boulanger un Mazeppa, motif
romantique plusieurs fois traité de l’insurgé condamné
à errer dans la steppe, attaché nu sur un cheval. La
même année, Ingres, avec son Apothéose d’Homère,
leur oppose sa profession de foi classique.

À peine survient la révolution de 1830 que Delacroix


fait La Barricade, plus connue actuellement comme La
Liberté guidant le peuple (1831, voir Figure 39),
rassemblant sous sa bannière tous les Gavroches du
pays. On voit souvent dans l’insurgé barbu qui brandit
un fusil un autoportrait du peintre. La Liberté a
longtemps orné les défunts billets de 100 francs.

La liberté prend l’air
En 1999, malgré les craintes exprimées sur la fragilité
de l’œuvre, La Liberté est envoyée au Japon. Exposée
lors d’une escale dans le Golfe, la poitrine de la
femme personnifiant la République est dissimulée
sous un voile, afin de ne pas choquer. Le rôle du nu
n’est en effet pas le même sous tous les cieux.
Cependant, même si cette liberté, à la poitrine nue,
généreuse et nourricière, arbore le bonnet républicain,
une nouvelle royauté va sortir des Trois Glorieuses,
celle de Louis-Philippe, le « roi-bourgeois ». Delacroix
et ces jeunes artistes romantiques sont des rebelles,
non des révolutionnaires : après l’insurrection ouvrière
de 1848, le peintre passe pour avoir participé aux
barrages dressés par quelques propriétaires bien-
pensants et destinés à arrêter les insurgés vaincus
fuyant Paris.

Quand l’art sent bon le


sable chaud
Certains des représentants les plus célèbres de
l’orientalisme sont des romantiques, comme
Delacroix, avec ses carnets dessinés au
moment de son voyage au Maroc en 1832.
Mais Ingres, le néoclassique, peint lui aussi un
Bain turc. Les réalistes, avec une
représentation quasi-photographique de
l’Orient, se transforment parfois en peintres de
reportages. L’Orient est donc un sujet qui
séduit les tenants de toutes les écoles. La
campagne d’Égypte l’a mis au goût du jour, et
la guerre d’indépendance de la Grèce prolonge
cet intérêt.

Il s’agit bien entendu d’un Orient fantasmé, où
les scènes de harem sont le prétexte à un
érotisme trouble, d’un académisme bien
souvent figé. Mais il y a aussi de brillantes
réussites comme celles d’un Alphonse Étienne
Nasreddine Dinet (1861-1929). Cet artiste
obtient une bourse de voyage en 1884 et part
en Algérie. Séduit, il y revient chaque année
avant de s’y installer définitivement en 1904. Il
se convertit ensuite à l’islam, prenant le nom
de Nasreddine.

Ses tableaux présentent tous les aspects de la
vie quotidienne avec une science remarquable
de la couleur et une prédilection pour la tribu
de Ouled Naïl (les « alouettes naïves » du
roman éponyme d’Assia Djebbar).

L’orientalisme continue à rencontrer de nos
jours un vif succès, avec des expositions sur
les voyages de Delacroix et de Matisse au
Maroc. La vogue a existé partout : en
Allemagne, en Italie, en Belgique ou en
Amérique. On trouve un décor oriental chez les
écrivains également, comme Dumas dans son
« château de Monte-Cristo » à Marly-le-Roi.
L’orientalisme perdure au XXe siècle avec
l’œuvre de Jacques Majorelle (1886-1962), le
fils de Louis Majorelle, célèbre ébéniste de
l’école de Nancy. À partir des années 1930,
l’artiste multiplie ses expériences sur la
couleur et effectue des recherches sur les
applications de poudres d’or et d’argent.
L’orientalisme continue ainsi de transcender
les clivages entre toutes les écoles artistiques.

Une sculpture de compromis

Contrairement à ce qui se passe pour la peinture, la


rupture en sculpture est nettement moins radicale.
Les genres se mélangent progressivement : de
formation classique, les sculpteurs intègrent le désir
romantique d’expression des sentiments et du
mouvement. François Rude (1784-1855) adopte le nu
héroïque de la statuaire antique dans sa sculpture de
l’Arc de triomphe, Le Départ des volontaires en 1792
dite La Marseillaise (1833-1836). Le Tombeau du
général Bonchamp (1822-1823), chef-d’œuvre de
David d’Angers, est la parfaite illustration du
compromis des styles : il concilie le nu et le drapé
antique au sentimentalisme romantique du geste de
pitié exprimé par la main droite. Un beau morceau de
bravoure : l’expression est idéale pour un général !

Attention d’Angers
Question facile : où est né, en 1788, Pierre Jean David,
dit David d’Angers ? Il obtient le prix de Rome de
sculpture en 1811 avec La Mort d’Épaminondas, un
général dont le décès marque la fin de la puissance de
Thèbes.

Son œuvre est d’un style souvent qualifié d’« élégant
et correct », adjectifs qualificatifs puisés dans les
comptes-rendus de Salons, vieillots mais plutôt bien
trouvés. Il obtient la gloire avec sa statue du Général
Foy au Père-Lachaise et sa Jeune Grecque sur le
tombeau de Marco Botzaris à Athènes, conçue dans
l’enthousiasme romantique pour le héros de la guerre
d’indépendance grecque.

À partir de 1830, sa fécondité étonne : en dix-huit
années de production « 40 statues, 75 bas-reliefs, 120
bustes, 38 statuettes, 30 médaillons de proportions
colossales et 500 portraits modelés dans des
médaillons de moyenne grandeur ». Les statues du
scientifique Cuvier, du marin Jean Bart, les bustes des
écrivains Hugo, Goethe ou Lamartine témoignent de
sa compréhension et de son intérêt pour ses illustres
contemporains. Ses médaillons contribuent aussi à lui
assurer une place dans l’art français : une véritable
galerie des célébrités, comme Bonaparte, Ney, le
peintre David, Auber… Pour son activité politique, il
est condamné à l’exil par le Second Empire.

Quand l’éléphant Barye


D’abord attiré par l’orfèvrerie, le sculpteur Antoine
Louis Barye (1795-1875) se passionne ensuite pour
l’observation des animaux du Jardin des Plantes.

Hippogriffe, plataniste et gavial
Barye s’inspire d’une légende chère aux romantiques
pour sculpter son Angélique et Roger montés sur
l’hippogriffe (1824). La réussite de l’hippogriffe et du
monstre, qui évoque plutôt un dauphin du Gange
appelé plataniste, augure du talent du futur sculpteur
animalier. En 1830, il frappe les esprits par une
sculpture empreinte de fougue romantique
représentant un Tigre dévorant un gavial puis, en
1832, par Le Lion et le Serpent. Le recours à la
mythologie lui permet de créer des groupes où
l’homme et l’animal s’affrontent mais aussi
fusionnent. Le héros lutte contre une créature qui lui
révèle sa part de sauvagerie.

Barye a de nombreuses commandes publiques :
quatre groupes pour la décoration du Louvre, les coqs
et le lion (1834) en relief figurant au pied de la
colonne de Juillet, place de la Bastille.

Un « fabricant de presse-papiers »

Popularisée par les tirages en nombre important du


fondeur Barbedienne, son œuvre connaît une
immense diffusion. Sa popularité a pu le faire qualifier
de « fabricant de presse-papiers » par des jaloux ! Y
compris dans ses créations de format réduit, son
talent reste expressif et intact : même quand il cueille
une pâquerette, Hercule reste un héros. C’est
également un des meilleurs sculpteurs animaliers
français. À la pointe de l’île Saint-Louis à Paris, sa
statue, disparue durant la Seconde Guerre mondiale,
n’a toujours pas été remplacée. Pour un sculpteur,
c’est un comble !

Carpeaux se ronge les sangs

Âmes sensibles s’abstenir ! Contrairement à ce qu’on


croit trop souvent, romantique n’a jamais rimé avec
fleur bleue ailleurs que dans certaines chansons. Pour
preuve, le roman Frankenstein de Mary Shelley est
une œuvre romantique !

Emmurés vivants
Par l’horreur même du sujet, Ugolin et ses enfants
(1860) pousse à l’extrême les sentiments du
spectateur. Le sujet est pris dans l’Enfer de Dante. En
1288, Ugolin de Gherardesca, tyran de Pise, est
enfermé dans la tour de Gualandi avec ses deux fils et
ses deux petits-fils. L’archevêque de Pise jette les clés
dans le fleuve Arno. Les prisonniers sont donc
condamnés à mourir de faim ! Ugolin pour survivre
aurait dévoré les cadavres de sa progéniture. Dante le
montre aux enfers rongeant un crâne et s’essuyant la
bouche avec les cheveux. La tour de Pise a aussi un
penchant… pour le gore !

Mais, les sculpteurs passant souvent d’un genre à
l’autre pour créer leur style propre, Carpeaux fait par
ailleurs un relief de Flore pour décorer le Louvre qui a
un charmant côté XVIIIe siècle.

Un génie qui fait couler beaucoup d’encre
Son œuvre la plus célèbre est le groupe de la Danse
(voir Figure 40) pour la façade de l’Opéra de Paris.
Elle fait couler beaucoup d’encre sous le Second
Empire entre 1866 et 1869. Au sens propre comme au
figuré, car un grincheux à la main pudibonde jette un
encrier sur la sculpture ! L’œuvre a aussi son
importance dans l’histoire du droit artistique puisque
Carpeaux poursuit avec succès des photographes qui
font commerce de reproductions de la sculpture
souillée, au titre du « droit moral de l’auteur » à voir
son œuvre présentée au public telle qu’il la voulait et
non dégradée.
L’original est depuis 1964 préservée de la pollution à
Orsay. La copie sur la façade de l’Opéra est l’œuvre de
Paul Belmondo : le nom vous dit quelque chose ?
Normal, c’est le père de Jean-Paul !

Une vie géniale


La femme qui donne ses traits au génie de la
Danse se nomme Hélène van Donning. Voilà
une personnalité hors du commun. Elle fait
d’abord chavirer bien des cœurs et tourner
beaucoup de têtes avant de convoler avec le
prince Yanco de Racocwitz. En même temps,
elle est l’égérie de Ferdinand Lassalle, le
célèbre socialiste allemand surnommé le
dandy rouge, théoricien et homme d’action.
Par amour, celui-ci se bat en duel jusqu’à la
mort avec Yanco. Ce dernier meurt peu après
de tuberculose. Après ces deux drames,
Hélène fait du théâtre, épouse un de ses
camarades dont elle se sépare, devient le
modèle préféré du peintre autrichien Hans
Makart et épouse le Russe Serge de Schevitch.
En 1867, elle rencontre Carpeaux à Paris. Le
sculpteur reconnaît immédiatement le sourire
de la danse. En 1911 (elle a alors 70 ans,
même si on dit qu’elle en a toujours 20), après
la mort de son mari, elle se suicide à Munich.

Autre figure de ce groupe, Anne Foucart, la fille
du maire de Valenciennes, a posé pour le buste
de la Rieuse. La petite histoire a aussi retenu
le nom de Mademoiselle Miette, le joli modèle
d’atelier devenue actrice qui pose pour la
figure de gauche (à la droite du génie).

Champion d’éclectisme : l’architecture


romantique
L’épuisement du néoclassicisme conduit l’architecture
du XIXe siècle à se tourner à nouveau vers le passé et
à mélanger les styles, dans ce qu’on appelle
l’éclectisme. Lorsque, devant la maquette de l’Opéra
de Paris, l’impératrice Eugénie demande à Charles
Garnier (1825-1898) dans quel style est l’édifice, il
invente, agacé : « C’est du Napoléon III ! »

Pour cet édifice commencé en 1862 et inauguré en
1875, le génial architecte n’hésite pas à mêler les
pavillons de Lescot et la colonnade de Perrault du
Louvre (voir Figure 19) aux façades de la place du
Capitole de Michel-Ange à Rome ! Afin de le protéger
de l’incendie, il l’édifie sur un lac immense. L’artiste
multiplie à plaisir la richesse des ornements et des
matériaux dans une espèce de vertige qui fascine
encore aujourd’hui. Le même vertige de colonnes, de
pilastres et d’ornements se retrouve au Palais de
justice de Bruxelles (1866-1883) par Joseph Poelaert,
preuve une fois encore que l’architecture parle un
langage international. On croirait ce bâtiment sorti
tout droit d’un film fantastique.

Nostalgie gothique
Comme l’Opéra de Paris, le Louvre de l’architecte
Hector Lefuel (1853-1875) cultive le goût de
l’ornement dont c’est ici en quelque sorte le chant du
cygne : le reflux s’amorce peu à peu pour aboutir à
l’architecture banale en béton du XXe siècle.

Parallèlement à l’éclectisme de l’architecture


classique, le XIXe siècle voit fleurir le néogothique et
le néorenaissant, voire le néoroman. Le premier s’est
manifesté dès la fin du XVIIIe siècle, mais il ne prend
réellement son essor que sous l’effet du mouvement
romantique. Ce style correspond à la nostalgie pour le
Moyen Âge esquissée par les écrivains et l’imagerie
fantastique qu’il véhicule, comme Chateaubriand dans
le Génie du christianisme (1802) ou Victor Hugo avec
Notre-Dame de Paris (1821).

Viollet-le-Duc, prince des architectes
On prend à ce point conscience de la valeur du
patrimoine médiéval qu’en 1873, Prosper Mérimée, un
romantique lui aussi, décide la création d’une
Commission des monuments historiques chargée de le
protéger et de le restaurer. Ce travail revient
notamment au célèbre Viollet-le-Duc (1814-1879), qui
se livre à une étude scrupuleuse de l’architecture
française du XIe au XVIe siècle, dont il fait un
Dictionnaire. Tous les ornements et statues de Notre-
Dame de Paris que l’on voit aujourd’hui sont de lui. On
lui doit aussi la restauration d’un grand nombre de
monuments de cette période : la basilique romane de
Vézelay ou encore les remparts de Carcassonne.

Un pastiche ?
Sa connaissance du Moyen Âge conduit Napoléon III à
confier à Viollet-le-Duc la restauration du château de
Pierrefonds (1857-1884) dont il fait un étonnant
pastiche médiéval. Ce retour au gothique entend
satisfaire un sentiment national que l’on retrouve plus
amplement en Angleterre et en Allemagne, quoique
ce style demeure français. Œuvre de Théodore Ballu
(1817-1855), l’église Sainte-Clotilde de Paris (1846-
1857) est le parfait exemple d’une église gothique
revue et corrigée par le XIXe romantique. Le roman
n’est pas oublié avec l’église Saint-Paul de Nîmes
(1838-50) et surtout la basilique du Sacré-Cœur de
Montmartre (1877-1923) par Paul Abadie (1812-84)
qui, suivant le climat éclectique de son temps, a mêlé
ce style au style byzantin. Ils sont fous ces
architectes !

Fallait le fer !

Le style néorenaissant, illustré par l’École des beaux-


arts de Paris (1832-1858) de Félix Duban (1797-1872),
est une sorte de retour aux sources du bon goût de la
Renaissance italienne face aux délires éclectiques du
temps. Henri Labrouste (1801-1875) entreprend la
bibliothèque Sainte-Geneviève (1844-1850) et la
Bibliothèque nationale (1855-75) à Paris. L’architecte
associe une façade néorenaissante en pierre sans
ordres à une architecture nouvelle pour les salles de
lecture, fondée sur l’emploi d’un matériau nouveau lui
aussi : le fer. Les fines colonnes qui soutiennent les
voûtes de ces salles rappellent l’élan et la virtuosité
technique de l’art gothique. Elles servent à la fois la
fonctionnalité et la beauté du bâtiment.

Comme le béton au XXe siècle, le fer, associé au
verre, est, avec le développement de la sidérurgie, le
matériau phare du XIXe siècle. Le premier monument
du genre est le fameux Crystal Palace de Londres, bâti
pour l’Exposition universelle de 1851 par Joseph
Paxton et détruit en 1936. Il inspire le Grand Palais de
Paris, construit pour l’Exposition de 1900, dernier
témoin de ce genre d’édifice en Europe.

Le fer est également employé pour des édifices civils
où l’on a besoin d’espace comme les gares Saint-
Lazare ou du Nord, et surtout les Halles (1851-1974)
de Victor Baltard (1805-1874), tristement détruites en
1971. Le fer entre aussi en religion, comme à l’église
Saint-Augustin (1860-71) à Paris, de Baltard encore,
où l’armature métallique a reçu un habillage de pierre,
de fer ou de verre. L’architecture n’arrête décidément
pas le progrès !
Chapitre 15

Tranches de l’art : le
réalisme et les pompiers

Dans ce chapitre :
Tenter de peindre vrai avec les réalistes
Des cours de paysage en pleine nature à l’école
de Barbizon
Hébert, un peintre à redécouvrir
Des pompiers sous le feu de la critique

Le XIXe siècle est décidément le siècle aux multiples


courants. À peine le romantisme triomphe-t-il
qu’apparaît déjà le réalisme, qui se veut le reflet de
son temps : adieu scènes exotiques, batailles épiques
et grande littérature, bonjour paysans bien de chez
nous ! À partir de 1848 se pose la question du
réalisme avec les peintres Millet dans ses tableaux
rustiques, Courbet, et Daumier qui caricature la classe
politique. Le rejet de l’idéalisation et la volonté de
rendre la réalité contemporaine telle que le peintre la
voit sont bien sûr vivement critiqués. Les peintres
pompiers poursuivent, quant à eux, la manière
académique longtemps apparue comme facilité et
paresse. Le pouvoir est ainsi rassuré et leurs œuvres
rencontrent un grand succès sous le Second Empire…
et chez les marchands de chocolats qui les
reproduisent à loisir sur leurs boîtes !

Le réalisme : un courant continu

Le terme, alors péjoratif, de « réaliste » apparaît en


1855. Cependant, dans l’art, rien n’est jamais tranché,
car le peintre néoclassique David est un remarquable
réaliste dans ses portraits. On reconnaît aussi dans ce
mouvement certaines des aspirations romantiques. Si
elle s’inscrit plus distinctement dans la seconde moitié
du XIXe siècle, la manière réaliste peut donc se
retrouver à toutes les époques. Le peintre Gustave
Courbet (1819-1877) résume le danger des
appellations rarement contrôlées dans le catalogue de
son exposition de 1859 : « Le titre de réaliste m’a été
imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 le
titre de romantique. Les titres en aucun temps n’ont
donné une idée juste des choses ; s’il en était
autrement, les œuvres seraient superflues. »

Courbet, un peintre droit


Figure majeure du réalisme, Courbet naît à Ornans en
1819. Après quelques exercices issus de souvenirs
littéraires, comme une Odalisque inspirée de l’écrivain
Victor Hugo, il donne en 1844 un autoportrait avec
son chien, dit L’Homme à la pipe, appelé aussi Portrait
de l’artiste Courbet au chien noir.

Un enterrement en grande pompe
La veine réaliste assure la réputation de Courbet : en
1849, c’est l’Après-dîner à Ornans. Le Salon de 1850-
1851 est un triomphe avec Un enterrement à Ornans,
Les Casseurs de pierre, Les Paysans de Flagey. Un
enterrement à Ornans (1849-1850, voir Figure 41)
fait scandale par son sujet et ses proportions. Seuls
les Ornanais sont satisfaits. Ils ont posé chacun leur
tour pour le peintre, avec fierté. L’artiste en effet
choisit le genre le plus noble, la peinture d’histoire,
pour représenter une scène de la vie quotidienne de
sa petite ville natale. L’enterrement d’un inconnu, en
présence d’une petite foule qui l’est tout autant,
rivalise avec Le Sacre de Napoléon ou Le Radeau de la
Méduse. Glorification de la petite histoire et
désacralisation des genres picturaux : Courbet secoue
l’édifice officiel.

Salut l’artiste !
La Rencontre ou Bonjour monsieur Courbet (1854)
montre comment une scène réaliste peut devenir
l’allégorie de l’art, quand le commanditaire s’incline
devant l’artiste. Courbet avait d’abord donné comme
titre La Fortune saluant le génie. Excusez du peu !

L’atelier du peintre, allégorie réelle déterminant une
phase de sept années de ma vie artistique est une
œuvre nettement moins réaliste. « Allégorie réelle »
est déjà un oxymoron. Cette figure de style littéraire
rapproche deux termes opposés pour créer un effet
saisissant, comme « avare généreux » ou « ordinateur
sans bogue ». Véritable démonstration des talents
multiples du peintre, le tableau mêle tous les genres
(paysage, nature morte, nu et portrait). Il présente
aussi la société à la manière des jugements derniers
du Moyen Âge, avec les mauvais à la gauche du
peintre et les bons à sa droite. Certains de ses amis
sont reconnaissables comme le poète Baudelaire, le
mécène Bruyas, le philosophe socialiste Proudhon, et
Champfleury.

L’origine du monde
Champfleury (1821-1899) est le principal animateur et
théoricien du mouvement réaliste. Il fait le lien entre
peinture et littérature. Le roman le plus célèbre, et
certainement le plus étudié à l’école, reste Madame
Bovary (1857) de Flaubert. Un « roman sur le rien »
selon la confession de son auteur, condamné pour
outrage aux bonnes mœurs. Courbet n’est pas en
reste dans ce domaine. L’Origine du monde exhibe un
sexe féminin en gros plan au format portrait. Acquis
récemment par le musée d’Orsay, il fait encore frémir
certains visiteurs. En 1994, sa reproduction en
couverture du roman Adorations perpétuelles de
Jacques Henric aboutit à la visite de la police chez
plusieurs libraires pour faire retirer les volumes des
vitrines !

Engagé politiquement sous la Commune, après
l’échec de celle-ci, Courbet préfère s’exiler en Suisse.
Il y meurt dans la misère, près de Vevey en 1877.

Ils sèment à la folie : de la caricature aux


paysans
Le réalisme s’est également illustré dans les
caricatures d’un Daumier, et dans les scènes
paysannes de Millet.

En cette ère industrielle et d’exode vers les villes, la
nostalgie de la vie à la campagne permet aux paysans
de trouver leur place dans l’art.

Daumier très Honoré

En 1832, la collaboration d’Honoré Daumier (1808-


1879) au journal La Caricature marque le début de
son engagement politique. Il y dessine un Gargantua
qui représente le roi Louis-Philippe avalant de gros
budgets. Cela lui vaut six mois ferme !

La réputation toujours actuelle de l’artiste en fait le
père de la caricature politique et le grand-père des
Guignols de l’info. Son plus célèbre dessin transforme
la tête de Louis-Philippe en une superbe poire.
Daumier caricature tous les travers de la société louis-
philipparde, puis de celle de Napoléon III, dit le Petit :
Les Assassins de la rue de Vaugirard, Les Juges des
accusés d’avril, La Pêche aux actionnaires, Les Bons
Bourgeois.

Un supplément d’âne
Après la révolution de 1848, Daumier pense quelque
temps abandonner la caricature. Il démontre alors
qu’il est aussi un peintre et un paysagiste de premier
ordre. Comme Courbet, l’artiste représente les scènes
de la vie quotidienne dans les grands formats de la
peinture d’histoire, comme son Convoi funèbre au
Père-Lachaise. En 1849, le peintre présente au
concours public une figure symbolique La République
nourrit ses enfants et les instruit, et une œuvre
librement inspirée des fables de La Fontaine Le
Meunier, son fils et l’âne au Salon. À noter aussi un
tableau plein de force, aujourd’hui au musée d’Orsay,
Les Voleurs et l’âne (1858). En définitive, Daumier
donne à cette époque deux de ses meilleurs recueils
de dessins Les Idylles parlementaires et Les
Représentants représentés.

Devenu aveugle en 1875, il meurt misérable quatre
ans plus tard. Sa postérité concerne les peintres
Degas, Toulouse-Lautrec, Rouault et
l’expressionnisme.

Millet : du grain à moudre

Jean-François Millet (1814-1875) mène la vie d’un


jeune paysan normand, comme berger dans son
enfance, puis laboureur. Son obstination et la
certitude de sa vocation le conduisent vers le peintre
académique Delaroche en 1838. Seulement deux ans
plus tard, l’artiste est accepté au Salon, même si
plusieurs années de misère le contraignent à faire des
portraits à bas prix ou des enseignes de magasin. Ce
n’est qu’en 1848 que sa situation s’améliore enfin. Le
peintre expose au Salon Un Vanneur. D’accord, à ce
moment Millet est fatigué des vannes et des avanies
de la vie, mais il s’agit seulement du portrait d’un
paysan tamisant son grain. La toile d’origine est
malheureusement détruite mais des variantes
subsistent. Elle marque le point de départ de sa
manière réaliste.

L’heure de l’angélus
Millet se retire alors à Barbizon, village qui devient
célèbre pour son école, non pas le bâtiment en face
de la mairie, mais le courant de peintres de paysage.
Ses tableaux du monde paysan assurent sa célébrité,
dans la tradition des frères Le Nain, peintres
redécouverts grâce aux travaux de Champfleury. Les
Glaneuses, peintes en 1852, entrent au Louvre en
1892. L’Angélus (1858-59) est une des toiles les plus
populaires du siècle dont la reproduction figure dans
toutes les chaumières. Les dessins et les admirables
pastels de Millet feront l’admiration de peintres
comme Van Gogh, Pissarro et Seurat.

Un bon bol d’air : paysages et petits


maîtres

Le réalisme se conjugue encore dans l’art du paysage,


redécouvert à travers les peintres Corot et l’école de
Barbizon. La nouveauté consiste à suivre l’exemple du
peintre anglais John Constable qui, dès 1800, emporte
avec lui son chevalet pour peindre en pleine nature.
Au-delà des grands maîtres du courant, Rosa Bonheur
et Friant méritent d’être redécouverts.

Corot : la contrefaçon sans façon


Camille Corot (1796-1875), surnommé « bonhomme
Corot », échappe de justesse au pire « Corot pieds »
avec sa fâcheuse tendance à se laisser parfois
marcher sur les extrémités inférieures. Il reçoit une
formation artistique classique lors de plusieurs séjours
en Italie d’où naissent quelques vues avec ruines
antiques. L’artiste passe cependant la plupart de sa
vie à Fontainebleau ou à Ville-d’Avray, à saisir la
campagne dans des toiles au charme pénétrant et aux
ciels sereins (on ne dit pas cieux pour les tableaux). À
y regarder de plus près, ses paysages se peuplent
souvent de figures mythologiques. Plaisirs du soir,
exposée au Salon de 1875 à titre posthume avec Les
Bûcheronnes et Biblis, est toujours considérée comme
l’une de ses meilleures toiles. La belle Clairière (voir
Figure 37) est significative de son œuvre.

Il y a bien plus de tableaux signés Corot sur le marché
de l’art que l’artiste n’en a jamais peint ! Sa signature
en majuscule, « COROT », est volontairement facile à
reproduire. Ainsi est-il difficile de trouver en France un
musée des Beaux-Arts qui n’expose pas une de ses
toiles. Ses tableaux sont fort recherchés à la fin de sa
vie. Pour aider quelques peintres dans la misère, Corot
n’hésite pas à signer leurs toiles ou à reconnaître pour
vraies les croûtes qu’ils avaient réussies à placer !
C’est un cas unique de désintéressement, avec un
sens aigu de l’humour et une façon ironique de ne pas
se prendre au sérieux.

Barbizon, une école


buissonnière
Contrairement aux Pays-Bas et à la Belgique
où il occupe une place à part entière, le
paysage est un genre mineur en France, à tel
point qu’il disparaît au tournant du XVIIIe
siècle. Le paysage renaît en Allemagne avec
Caspar Friedrich, en Angleterre avec William
Turner ou John Constable, et en France avec
des peintres qui font école. Barbizon est un
hameau de Seine-et-Marne, sur la commune
de Chailly-en-Bière. Un tel nom ne peut que
donner soif, et dès le début du XIXe siècle, des
peintres, venus chercher inspiration, détente
et grand air, s’y installent.

Théodore Rousseau en 1846 est rejoint par
Narcisse Diaz, Jean-François Millet et Constant
Troyon. Corot y plante son chevalet et s’y
impose comme un maître. Cette nouvelle
génération renouvelle la vision du paysage
français, quittant ses ateliers pour observer la
nature sur le vif. Elle est aussi à l’origine du
mouvement le plus célèbre du siècle, et
probablement de toute l’histoire de l’art :
l’impressionnisme. L’auberge Ganne,
actuellement transformée en musée, devient
un des hauts lieux de la peinture.

Rien que du bonheur

Rarement le terme « réaliste » n’aura été aussi


mérité : Marie Rosalie, dite Rosa Bonheur (1822-1899)
n’hésite pas à fréquenter les abattoirs pour
perfectionner ses connaissances en anatomie. Pour
des raisons pratiques, elle souhaite porter des
pantalons. Les femmes doivent alors demander une
autorisation préfectorale pour enfiler ce vêtement
exclusivement masculin ! Il faut attendre l’action de
l’archéologue Jeanne Dieulafoy en 1908 pour que le
port du pantalon soit autorisé aux femmes, à
condition de tenir un cheval ou un guidon de vélo à la
main. En attendant, c’est un pinceau que tient Rosa
Bonheur, avec talent : veaux, vaches, cochon…
criants de vérité.

Elle se spécialise en effet dans les scènes
campagnardes et animalières. Formée par son père,
lui-même peintre, elle voit à 18 ans son premier
tableau accepté au Salon ! Cinq ans plus tard, l’artiste
obtient une récompense. En 1848, une première
médaille annonce son triomphe à l’exposition de
1855. Deux de ses œuvres sont célèbres à juste titre :
le Marché aux chevaux (Salon de 1853) et le
Labourage nivernais (Salon de 1849). Ce dernier
présente une composition originale en diagonale. Son
succès, jusqu’aux États-Unis, est considérable. Le
peintre est décoré de la Légion d’honneur par
l’impératrice Eugénie à une époque où cette
distinction était quasiment masculine. Peintre de
grosses bêtes, mais pas grosse tête du tout, elle est
longtemps directrice d’une école gratuite de dessin
pour jeunes filles.

Friant de peinture
Émile Friant (1863-1932) obtient le second prix de
Rome à 20 ans, avec une bourse pour voyager en
Italie et en Tunisie. Pourtant, le discrédit de la peinture
académique le frappe encore. Cette injustice se fonde
sur ses portraits, rappelant le peintre Alexandre
Cabanel, et sur ses allégories. Cependant, Friant est
aussi un réaliste saisissant. Il démontre bien que les
étiquettes ne sont jamais évidentes ailleurs que dans
un catalogue de mode vestimentaire. Depuis la
rénovation du musée de Nancy, il connaît un regain de
faveur sous couvert de régionalisme. Les amateurs
l’englobent dans la notoriété de l’école de Nancy et le
goût croissant du public pour les œuvres d’art en
verre de Daum et Gallé rejaillit sur lui.

Sa façon de saisir des vagabonds, des lutteurs ou sa
propre mère épluchant un navet sale est pleinement
réaliste. Le public des visiteurs du musée de Nancy
accorde toujours son attention à son Idylle sur la
passerelle, et se demande si la jeune fille croit ce que
son amoureux lui raconte. La Toussaint lui vaut les
honneurs du Salon de 1889. Sur la droite du tableau,
une famille en deuil s’avance dans un bloc compact
d’habits noirs, sur fond de neige. À gauche, un
mendiant aveugle dans le froid serre sa sébile. Au
centre, la fillette va donner une obole au vieil homme,
reliant encore le monde des vivants à celui du presque
mort.

Un hymne aux ouvriers : la sculpture


réaliste
Plus tardive que la peinture, la sculpture réaliste ne
rencontre que peu d’adeptes. L’artiste Daumier
applique également à la sculpture son talent de
caricaturiste. Le musée d’Orsay possède une série
complète de terres crues colorées représentant
hommes politiques, magistrats et littérateurs, qui
parfois sont les trois ensemble. Cependant, les
sculpteurs Dalou et Meunier savent apporter leur
contribution à la veine réaliste, notamment par
l’introduction du thème de l’ouvrier dans l’histoire de
l’art.

Dalou : on retrousse les manches

Jules Dalou (1838-1902) est élève de l’École des


beaux-arts et de maîtres comme le sculpteur
Carpeaux. Au Salon de 1870, il présente une
Brodeuse, statue grandeur nature en vêtement
contemporain. L’artiste exécute au cimetière du Père-
Lachaise en 1891 la statue de Victor Noir (1848-
1870), un journaliste assassiné à 22 ans par un cousin
de l’Empereur. Dalou sculpte un gisant impressionnant
de réalisme qui donne lieu à un culte moderne de
fécondité : les femmes désirant un enfant viennent
encore frotter le gisant à un endroit précis que « ma
mère m’a défendu de nommer ici », comme dit
Brassens. Dans son monument à Delacroix, l’allégorie
de l’art ne dépare pas le remarquable buste. Le
sculpteur fait d’autres bustes simples mais fort beaux,
comme cette tête d’enfant endormi à la National
Gallery de Washington.

Les amateurs de manifestations parisiennes peuvent
admirer à la Nation le monument intitulé Le Triomphe
de la République, une allégorie qui a du souffle. Son
inauguration en 1899 est l’occasion d’une importante
manifestation ouvrière, en quelque sorte en
remerciement à l’auteur du Monument aux ouvriers. À
partir de 1889, Dalou va sur le terrain pour réaliser
des croquis dans tous les endroits où l’on travaille,
mais le projet ne verra jamais le jour.
Il devait mesurer plus de 30 mètres de haut et être
surmonté d’un paysan retroussant ses manches. Seul
celui-ci sera terminé et exposé après la mort du
sculpteur, créant une forte impression.

Meunier va au charbon
Le peintre et sculpteur Constantin Meunier (1831-
1905) se préoccupe également du monde ouvrier.
Comme il habite en Belgique, une région propice,
Meunier va au charbon. La vie des mineurs devient
sur le tard sa source d’inspiration. Ses fondeurs et ses
puddleurs, ouvriers métallurgistes, sortent de la mine,
blêmes et musclés. Ils animent ces bas-reliefs sans
misérabilisme et s’imposent en sculptures si réalistes
que l’on parle même de « naturalisme ». D’ailleurs,
Paris lui commande une statue du père de cette
doctrine littéraire, Émile Zola, qui orne son boulevard.
Aux Expositions universelles de 1889 et de 1900, il
obtient le Grand Prix. Le Grisou (1888), où une vieille
femme se penche sur le cadavre d’un mineur tué par
ce gaz explosif, danger mortel permanent, évoque
avec raison une pietà laïque : Meunier adapte la figure
traditionnelle de la mère du Christ à la modernité du
thème de l’ouvrier.

Les peintres pompiers : paix à leurs


cendres
Décidément, la critique se moque beaucoup. C’est elle
qui qualifie les peintres dont les personnages romains
sont sévèrement casqués de pompiers, et le terme
fait fortune. Avec Les Romains de la décadence
(1848), tableau aux proportions imposantes, Thomas
Couture rétablit la hiérarchie des genres picturaux et
la conception de la peinture à vocation morale.

En haut de l’échelle

L’ouverture en 1986 du musée d’Orsay a permis de


sortir de l’oubli des réserves ces peintres longtemps
méprisés. Par exemple, plus personne ne savait où
était rangée la grande toile de 4 mètres sur 7 peinte
par Fernand Cormon inspirée de la Légende des
siècles d’Hugo et intitulée Caïn, figurant une caravane
d’hommes vêtus de peaux de bêtes. Cependant,
aucun des noms qui vont suivre ne figure dans
l’édition de poche du Dictionnaire des grands peintres
paru chez Larousse en 1988. Le paradoxe des
pompiers réside dans le fait qu’ils sont autant décriés
en France qu’appréciés des connaisseurs étrangers.

« Une âme de prix de Rome avec un œil de
photographe »
La citation est de l’écrivain Octave Mirbeau, sans pitié
pour Alexandre Cabanel (1823-1889) qui suit le cursus
habituel des honneurs : prix de Rome en 1845,
professeur à l’École des beaux-arts et membre de
l’Académie des beaux-arts à partir de 1863.

L’artiste sait pourtant gagner les faveurs du public et
des critiques par des peintures religieuses comme La
Mort de Moïse ou Aglaé et Boniface, tableau inspiré du
peintre Ary Scheffer. Sa Naissance de Vénus, « une
sorte de pâte d’amande rose et blanche » comme en
salive Zola, présentée au Salon de 1863, est
immédiatement acquise par Napoléon III. Sans être
gage de talent, la publicité d’un prestigieux acheteur
contribue au succès. Cabanel est par ailleurs un
remarquable dessinateur, utilisant une palette de
couleurs subtile. Portraitiste hors pair, il peint toute la
bonne société de son siècle en dépassant ce genre
conventionnel. Le portrait de la comtesse Keller
(1873), exposé au musée d’Orsay, vaut le
déplacement.

Lepage à la cour des grands
Jules Bastien Lepage (1848-1884) suit l’enseignement
de Cabanel. Il est l’auteur de fort beaux portraits de
quelques fort belles personnes. En 1874, le peintre
expose La Chanson du printemps et le Portrait du
grand-père, inspirés de sa Meuse natale. Il donne
encore en 1877 Les Foins, une des meilleures
peintures naturalistes.
Admirateur de Millet et des primitifs autant que de
Courbet et de Manet, l’artiste est aussi connu pour la
lucrative spécialité des portraits de célébrités comme
l’actrice Sarah Bernhardt. Lepage est même invité par
le prince de Galles. Ayant perdu sa santé pendant la
guerre de 1870, il meurt à l’âge de 36 ans, laissant le
sentiment qu’il n’avait pas atteint toute sa mesure.

Sous le sabot d’un cheval


La mesure n’est pas le fort de l’artiste Aimé
Morot (1850-1913). Il exhibe deux lions
apprivoisés dans son atelier de peintre, ce qui
ne manque pas de chien. Issu d’un milieu
modeste, il réussit une carrière de peintre de
personnalités : son portrait de Gustave Eiffel a
fait le tour des éditeurs. Il a épousé la fille du
peintre Jean-Léon Gérôme, célébrité
spécialisée dans l’érotisme orientalisant et le
péplum déshabillé. Sa Bataille de Reichshoffen
lui assure une grande réputation. L’artiste
débute au Salon de 1873 et gagne le prix de
Rome la même année. Devenu membre de
l’Institut en 1898, il enseigne à l’École des
beaux-arts et reçoit le grand prix de
l’Exposition universelle de 1900.

Ses fréquents voyages en Orient et son esprit
curieux lui font adapter de nouvelles
techniques à la représentation du cheval en
mouvement. Depuis la domestication de
l’animal, soit depuis cinq mille ans, jamais
personne n’avait pu dessiner ou peindre un
cheval au galop ressemblant à la réalité. Il faut
imaginer sur toute la planète, à toutes les
époques, le nombre incalculable de dessins, de
gouaches, d’aquarelles, de gravures et de
gribouillis ayant le galop pour sujet. Il a fallu
attendre Morot et ses charges de cavalerie
pour enfin parvenir à un résultat probant !

L’important, c’est l’art rose

Adolphe William Bouguereau (1825-1905) est le type


même du peintre académique et pompier honni
durant tout le XXe siècle. Maître du léché dans ses
compositions allégoriques et mythologiques, il réalise
des peintures décoratives transparentes qui assurent
sa gloire, dont la Naissance de Vénus est le sommet.
Sa Vierge aux anges évoque en revanche un amas de
coton hydrophile ! En 1865, suite à un contrat exclusif,
Bouguereau inonde le marché anglo-saxon d’érotisme
imberbe et de mièvrerie sentimentale jusqu’en 1887,
soit environ 200 toiles ! Il donne tout de même un
ensemble de peintures religieuses intéressantes : la
Vierge de consolation pour la mort de son fils, les
grandes décorations d’églises parisiennes, le plafond
du théâtre de Bordeaux, où se révèlent ses talents de
dessinateur. Adversaire farouche du mouvement
impressionniste, il est un partisan tout aussi résolu de
l’admission des femmes dans les institutions
artistiques.

Hébert, un pestiféré ?
« Ce jeune homme […] a peut-être une âme. » Le
compliment n’est pas mince quand on sait qu’il vient
de l’écrivain Stendhal (1783-1842) lui-même ! Antoine
Auguste Ernest Hébert (1817-1869) fait partie des
artistes académiques et officiels qui sont excellents
sans être pompeux. À Paris, en 1835, il entre dans
l’atelier de David d’Angers qui lui conseille de
préparer avec Delaroche le prix de Rome, qu’il obtient
en 1839. Le peintre expose ensuite au Salon des toiles
inspirées de son séjour italien, d’autres orientalistes,
d’autres encore de peinture d’histoire, Le Tasse en
prison visité par Expilly, gentilhomme dauphinois ou
réalistes, comme sa Paysanne de Guérande battant
son beurre.

Le mauvais air
Exposée en 1850, La Mal’aria provoque une profonde
sensation. Au musée du Luxembourg, le musée d’Art
moderne de l’époque, la notice précise : « Dans ce
tableau d’une tristesse pénétrante, Hébert nous
montre une famille italienne de la campagne de Rome
fuyant la mortelle contagion. C’est une des meilleures
toiles de l’artiste. Une barque glisse sur les eaux
dormantes des marais Pontins, entre des rives plates,
sous un ciel embrumé de vapeurs pestilentielles, et
portant une pauvre famille plus ou moins atteinte par
l’influence délétère ; à l’avant, un homme robuste,
jambes et bras nus, dirige la barque à l’aide d’une
longue perche. ». La Mal’aria s’écrit maintenant sans
l’apostrophe – comme entracte d’ailleurs – et signifie
en italien le mauvais air.

Portraits à redécouvrir
Souvent peints sur fond vert un peu à la manière des
vieux maîtres français, les nombreux portraits
d’Hébert sont parmi les meilleurs du siècle, pourtant
fécond en ce domaine. Son type féminin, aux yeux
alanguis et cernés, se ramène presque toujours à
l’Italienne atteinte de la malaria. Même s’il n’a peut-
être pas suffisamment varié ses sujets, le peintre
annonce le symbolisme avec son Ophélie rêveuse, et
l’art moderne avec son portrait de madame Rostand.

L’artiste exécute aussi le modèle de la mosaïque du
Panthéon. Son premier biographe, Joséphin Péladan,
raconte avoir lui-même servi de modèle. Deux musées
lui sont consacrés : l’un à La Tronche en Isère et
l’autre à Paris. Il ne reste plus qu’à espérer que la
renommée qu’Hébert avait de son vivant retrouve de
son éclat, et que la visite de ce musée y aura
contribué.

Des lisses léchés


Entre succès auprès de leurs contemporains, timide
reconnaissance aujourd’hui ou au contraire
consternation, d’autres peintres laissent une trace
mitigée dans l’histoire de l’art.

Ma palette ! On m’a volé ma palette !
Il y a trois frères Flandrin : Auguste, né et mort à Lyon
(1804-1843), l’aîné, professeur à l’École des beaux-
arts de sa ville natale. Peintre de paysages, le cadet,
Jean-Paul (1811-1902), accompagne Ingres et son
frère Hippolyte (1809-1864) à Rome. Ce dernier est le
plus connu. Élève d’Ingres, il obtient le prix de Rome
en 1832 pour un sujet mythologique, Thésée reconnu
par son père dans un festin.

Dès ses premières peintures, Hippolyte Flandrin
montre son goût pour des sujets d’inspiration
religieuse : Saint Clair guérissant des aveugles, Jésus
appelant à lui les petits enfants, Mater dolorosa. Il
décore plusieurs édifices religieux dans la tradition
des primitifs italiens : chapelle Saint-Jean, église Saint-
Séverin, cartons pour les vitraux de Saint-Germain-
des-Prés. À Saint-Vincent-de-Paul, les critiques de
l’époque complimentent son travail qu’ils qualifient de
« panathénées chrétiennes ». Le peintre fait aussi de
nombreux portraits, plutôt conventionnels, qualificatif
adapté à l’ensemble de son œuvre. Son Jeune homme
nu assis au bord de la mer (1836), qu’on peut voir au
Louvre, prouve un sens de ce que les sculpteurs
appellent le modelé.

Un pompier à contre-
emploi
Pour faire une différence entre les peintres
pompiers décriés à tort comme Bastien Lepage
ou Alexandre Cabanel et les mauvais
pompiers, prenons l’exemple de Paul Baudry
(1828-1886). En 1850, ce peintre remporte le
prix de Rome sur un sujet beau comme
l’antique : Zénobie trouvée sur les bords de
l’Araxe. Le peintre a très tôt les honneurs
officiels. Son envoi de dernière année à Rome
est constitué de deux toiles : Le Supplice d’une
vestale et La Fortune et le Jeune Enfant. Cela
prouve que Baudry, s’il n’a guère de talent, a
au moins des lectures. Il veut une fois sortir de
l’ornière de la peinture douceâtre et commet
pour le Salon de 1861 Charlotte Corday qui
vient d’assassiner Marat, dont le seul mérite
est de prouver que les baignoires sont
dangereuses pour Marat, Claude François et
les peintres sans inspiration. Baudry fait
encore quelques portraits qui sont le meilleur
de son œuvre et la décoration de plusieurs
endroits où généralement on évite d’aller,
comme l’Opéra et la Cour de cassation.

Des temps désargentés lui inspirent une grande peur


des dépenses inutiles. Quand, en 1848, l’artiste
travaille aux peintures murales de Saint-Paul de
Nîmes, un de ses élèves tombe de l’échafaudage. Le
premier cri de Flandrin est : « Ah ! Ma palette ! » Son
obsession de l’argent le rend toutefois lucide : « Dans
l’industrie et le commerce, l’argent, le gain est le
souverain but ; dans les arts, il n’est qu’un moyen. »

Des peintres sans histoire

Ernest Meissonier (1815-1891) passe pour un


illustrateur de livres d’histoire, voire un peintre de
figurines en plomb. Son succès commence avec des
scènes populaires de la vie quotidienne, à peine
déguisées d’un vernis historique comme La Rixe
(1865). La campagne d’Italie, au cours de laquelle le
peintre suit l’état-major de Napoléon III, lui donne
l’idée d’une nouvelle épopée napoléonienne. Il se crée
un musée d’armes et d’armures de toutes les époques
qui lui servent à garnir toute une série de toiles
militaires, avec une véritable obsession du rendu du
détail.

Les scènes de genre comme Dolce farniente
assurèrent au peintre Franz Xavier Winterhalter (1806-
1873) le succès. Il devient le peintre attitré des cours
royales et impériales de toute l’Europe de 1834 à
1870. Même le maharadjah Duleep Singh pose pour
lui. L’artiste réussit des portraits de personnalités
comme celui de madame Rimsky-Korsakoff. L’
Impératrice Eugénie entourée de ses dames
d’honneur (1855) est certainement sa toile la plus
connue.

Gérôme et la mise en
abîme
Jean-Léon Gérôme (1824-1904) est à la fois
peintre et sculpteur et propose un intéressant
va-et-vient entre les deux. Surtout connu pour
son œuvre orientaliste où il dépasse l’érotisme
conventionnel, l’artiste crée un remarquable
jeu de miroirs entre des œuvres qui se
répondent et se rappellent. Ce procédé, appelé
mise en abîme, sera beaucoup repris par la
suite.

Gérôme présente au Salon de 1890 le marbre
polychrome d’une femme qui symbolise la cité
de Tanagra, où des archéologues ont
découvert des centaines de statuettes
féminines. Elle tient dans sa main une
statuette dite « danseuse au cerceau ». Un
autoportrait le représente en train de sculpter
ce marbre. La statuette de la danseuse est
ensuite reprise dans une toile intitulée
Sculpturae vitam insufflat pictura (La peinture
insuffle la vie à la sculpture) où une jeune
Grecque de Tanagra colorie des statuettes. Le
jeu sur les rapports entre le sculpteur et le
peintre met en abîme la représentation de
l’œuvre et l’œuvre elle-même.

L’artiste soutient aussi l’innocence du
capitaine Dreyfus et peint entre 1895 et 1899
une série sur la Vérité. Hélas ! La Vérité nue,
qui sort du puits du musée de Cluny un
martinet à la main, ne frôle pas le ridicule, elle
est en plein dedans. Même si Émile Zola s’est
moqué de l’œuvre du peintre, pas rancunier,
Gérôme, en 1902, est un des premiers
souscripteurs pour le monument à l’écrivain
défenseur de Dreyfus.

La sculpture académique

Plus tardive que la peinture du même courant, la


sculpture académique se fait pourtant une place à
part entière en fin de siècle. Pour la désigner, on
utilise parfois l’expression « style Falguière ». La
République proclamée en 1870 passe force
commandes publiques et la sculpture envahit les
édifices et les rues.

Falguière, un style diplomatique


Dans ce contexte, Alexandre Falguière (1831-1900)
réalise L’Asie (1878), visible sur le perron du musée
d’Orsay, les monuments à Saint-Vincent-de-Paul
(1879), à Pasteur (1900), au cardinal Lavigerie (1898),
l’homme du ralliement à la République. Ces sculptures
montrent un solide métier. Il fait des statues élégantes
comme sa Danseuse de 1896, qui représente nue la
célèbre demi-mondaine Cléo de Mérode, et son Poète
monté sur Pégase d’une grâce particulière. Certaines
de ses œuvres sont fort classiques comme son
Tarcisius, martyr chrétien. L’artiste a un succès
immense dû à son métier, et à son art de ne pas
heurter.

Frémiet, père de King Kong ?


Neveu de François Rude, Emmanuel Frémiet (1824-
1910) naît dans une famille ouverte aux arts. Élève
surdoué, il entre à 13 ans à l’École des arts décoratifs.
Il se forme à l’observation des animaux au Jardin des
Plantes, comme Barye avant lui. Employé par l’École
de médecine, le sculpteur effectue le moulage des
pièces qui entrent au musée anatomique Orfila. Pour
se faire la main, il faut parfois avoir l’estomac bien
accroché ! L’artiste donne diverses sculptures
animalières qu’il transpose curieusement dans son
célèbre Gorille enlevant une femme, médaille
d’honneur au Salon de 1888. Il n’est pas impossible
que Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, les
réalisateurs de King Kong (1933), aient pu en voir une
des reproductions très répandues.

Frémiet est aussi connu pour deux œuvres célèbres :


l’archange qui domine le mont Saint-Michel et la
statue équestre de Jeanne d’Arc, rue de Rivoli à Paris.

Clésinger, un provocateur
Fatigué de courir après la gloire, le sculpteur Jean-
Baptiste Auguste Stello Clésinger (1814-1883) décide
de faire scandale au Salon de 1847. Il y présente deux
bustes et deux statues dont la Femme piquée par un
serpent. La morsure de celui-ci est un alibi pour
montrer un orgasme féminin spectaculaire. Pire,
l’artiste montre un moulage et non une sculpture. La
provocation paie et assure sa célébrité. Clésinger
recommence l’année suivante, mais cette fois avec
une véritable sculpture, une Bacchante couchée. Le
public est ravi de se réjouir les yeux, et les critiques
hurlent à l’impudeur ! Gendre de George Sand, il fait
son buste en 1847.

À la fin de sa vie, le sculpteur a pour compagne, et


pour modèle, Berthe de Courrière, personnage haut
en taille et en couleur. Clésinger donne ses traits à
l’effigie de Marianne. Elle devient par la suite la
compagne de l’écrivain Remy de Gourmont. Leur
sépulture au Père-Lachaise où ils reposent, en ménage
à trois post mortem, inspirerait toujours quelques
sorciers amateurs.
Chapitre 16

Une peinture d’impression :


l’impressionnisme et sa
postérité

Dans ce chapitre :
Déjeuner sur l’herbe avec Manet
Peindre en série comme Monet
Des points en suspension pour le néo-
impressionnisme
Prêter l’oreille aux maux de Van Gogh

En 1874, la première exposition impressionniste réunit


29 participants et 165 toiles. Devant le tableau de
Monet Impression, soleil levant, Leroy, journaliste au
Charivari, ironise : « Impression, je me disais bien qu’il
y avait de l’impression là-dedans. » Au mot
« peinture », les dictionnaires de l’époque donnent en
effet cette définition : « Peinture d’impression :
dénomination un peu solennelle mais fréquemment
employée cependant, pour désigner la vulgaire
peinture en bâtiment. » Dès 1877, le terme est repris
par les intéressés eux-mêmes, au fond pas
mécontents de l’appellation. Noter l’inconstance des
choses, la nature éphémère des sensations est une
tendance constante en art. La peinture se prête bien à
cela par l’étude de la lumière.

Du Salon des refusés à


l’impressionnisme
En art comme en science, il n’y a pas de génération
spontanée. On peut parler de préimpressionnisme
pour certains peintres comme Adolphe Monticelli
(1824-1886) ou Johan Barthold Jongkind (1819-1891),
à propos de qui Monet avoue : « C’est à lui que je dois
l’éducation de mon œil. » Louis Hilaire Carrand (1821-
1899) est aussi un remarquable précurseur. En
peignant des paysages lumineux en pleine pâte, le
Lyonnais annonce la nouvelle peinture, même s’il
meurt oublié de tous. À l’opposé, Félix Ziem (1821-
1911), un Turner franco-polonais, a de son vivant un
vif succès. Ses toiles impressionnistes avant l’heure
ont alors une cote comparable à celles de Picasso
aujourd’hui ! Contrairement à ce que l’on croit trop
souvent, l’impressionnisme a déjà un public.

L’industrie au secours de
l’art
Durant le XIXe siècle, la recherche industrielle
permet des progrès en chimie. Lefranc invente
en 1850 le tube de zinc – toujours cher aux
écoliers – qui remplace la vessie de porc pour
la conservation de la peinture. Emporter ses
couleurs hors de l’atelier devient alors possible
et le chevalet, plus léger, est facilement
transportable. Jusqu’ici, le peintre demandait à
ses apprentis d’enduire la toile avec du blanc
de craie, ou de plâtre mêlé à de la colle, pour
faire le fond. Maintenant le tableau est vendu
tout apprêté. L’artiste peut donc désormais
aller peindre directement « sur le motif »,
c’est-à-dire sur le terrain, en plein air. L’Anglais
Constable (1776-1837) avait montré le chemin
dès les années 1800. Par ailleurs, des
littérateurs comme Goethe et des scientifiques
comme Chevreul étudient les couleurs. Les
peintres s’emparent de leurs remarques.

Déjà dans le bain avec Manet


Certains artistes vont se retrouver rattachés au
mouvement des Indépendants comme le peintre
Édouard Manet (1832-1883). Le 1er mai 1863 s’ouvre
un « Salon des refusés » au Palais de l’industrie, en
parallèle au Salon dit officiel, à l’emplacement du
Grand Palais actuel. Mais les refusés ne sont pas de
dangereux subversifs, car Napoléon III en personne
l’inaugure. La tradition veut qu’il ait fait semblant de
ne pas voir la toile de Manet intitulée Le Bain, connue
à l’heure actuelle sous l’appellation du Déjeuner sur
l’herbe (voir Figure 43).

Tomber des nus
Dans un pique-nique, il y a toujours quelqu’un qui
oublie quelque chose : sur un fond vert foncé, une
femme qui a oublié ses vêtements est assise auprès
de deux hommes habillés. Le spectateur classique
connaît la nudité mythologique comme une vision
idéale du beau. Or, la nature morte du premier plan
du Déjeuner tire cette femme vers le seul déshabillé :
le nu blafard n’est ainsi qu’un prétexte de couleur
pour attirer l’œil.

Il s’agit d’une adaptation moderne du Concert
pastoral de Titien, attribué à l’époque à Giorgione. Le
visage de Victorine Meurent et le corps de Suzanne, la
femme de Manet, ont servi de modèles d’atelier
transposés dans un paysage.

Zola, critique d’art


Le célèbre auteur du cycle romanesque des
Rougon-Macquart est également un amateur
de beaux-arts. Outre son amitié d’enfance
avec Cézanne, Zola se lie avec de nombreux
peintres auxquels il apporte son soutien, par le
biais d’articles de presse notamment. Il n’est
donc pas étonnant de trouver des
reproductions de leurs œuvres en couverture
des éditions de poche de ses romans. Il se
murmure pourtant que l’écrivain est plus
apprécié pour sa réputation que pour la
justesse de son goût. Cependant, son analyse
du Déjeuner de Manet est lucide : « La femme
nue du Déjeuner sur l’herbe n’est là que pour
fournir à l’artiste l’occasion de peindre un peu
de chair. Ce qu’il faut voir dans le tableau, ce
n’est pas un déjeuner sur l’herbe, c’est le
paysage entier, avec ses vigueurs et ses
finesses, avec ses premiers plans si larges, si
solides, et ses fonds d’une délicatesse si
légère ; c’est cette chair ferme modelée à
grands pans de lumière, ces étoffes souples et
fortes, et surtout cette délicieuse silhouette de
femme en chemise qui fait dans le fond, une
adorable tache blanche au milieu des feuilles
vertes, c’est enfin cet ensemble vaste, plein
d’air, ce coin de la nature rendu avec une
simplicité si juste, toute cette page admirable
dans laquelle un artiste a mis tous les
éléments particuliers et rares qui étaient en
lui. » (Édouard Manet, 1867)

Du Brésil à l’Espagne
Manet forme son œil en allant voir dans leur pays
d’origine les vieux maîtres hollandais et italiens, avant
de découvrir l’art japonais. Élève du peintre Thomas
Couture (1815-1879), il réagit contre la manie du
détail des pompiers et leur préfère l’école réaliste.

Le Salon accepte en 1865 Olympia, au sujet classique


de l’odalisque à l’esclave. Là encore, il n’y a pas le
prétexte d’une scène orientaliste, mais le réalisme
d’une femme nue. L’apport de Manet à la peinture
moderne tient dans cette suppression des ombres
opaques par la juxtaposition de tons tranchés et
l’exaltation de la lumière. La palette du peintre
n’utilise que peu de couleurs, dont le noir
paradoxalement, pour traduire cette lumière.

La peinture espagnole exerce sur son œuvre une
réelle influence. C’est surtout le cas de Vélasquez,
comme Le Fifre, peint sur un fond uni, le démontre.
Goya inspire à l’artiste Le Balcon mettant en scène sa
belle-sœur, Berthe Morisot, peintre elle-même.
Impressions de femmes
La dame du Balcon, Berthe Morisot (1841-
1895), épouse Eugène Manet, le frère du
peintre. C’est la seule femme de la première
exposition impressionniste. Ses œuvres ont un
charme joyeux, car l’artiste sait peindre les
bons moments de l’existence, les petits
bonheurs simples. Récemment, l’enchère
record pour une de ses toiles a atteint plus de
5 millions d’euros, ce qui met tout de même le
petit moment de bonheur quotidien à une
somme rondelette. Elle assure aussi le lien
entre Manet et Monet.

Mary Cassatt (1844-1926) est américaine et
s’installe en France en 1870. Elle contribue à
faire connaître le mouvement impressionniste
dans son pays natal. Elle participe à quelques-
unes des expositions impressionnistes, mais
est généralement présentée comme un peu en
marge du mouvement en raison de son souci
des formes précises, qui la rapproche de
Degas. Dessinatrice hors pair, elle réalise des
portraits féminins qui séduisent et ses
nombreuses Scènes de maternité assurent son
succès.
Degas collatéral
Edgar Degas (1834-1917) participe à la fameuse
première exposition de 1874 surtout par amitié. Il
n’est pas en effet techniquement un impressionniste,
il en demeure à la marge. Sa peinture le classe plutôt
du côté du pur réalisme, comme avec le Bureau de
coton à la Nouvelle-Orléans, ou du naturalisme cher à
Zola avec L’Absinthe (1876).

Des toiles bien cadrées
À la recherche de nouvelles formules, la découverte
de l’art japonais révèle à Degas une nouvelle
conception de l’espace. Passionné de photographie, il
s’interroge sur la représentation objective du monde
en intégrant cette nouvelle technique dans le choix du
cadrage des scènes représentées. Dans cet état
d’esprit, il peint jockeys et chevaux, intérieurs de
théâtre, ateliers de danse et blanchisseuses. Ses
études de ballerines sont magistrales.

Il pratique la délicate technique des monotypes, des


tirages uniques de peintures sur plaque métallique,
qui forceront l’admiration de Picasso. Artiste complet,
il sait aussi avoir recours aux différents procédés de
gravure, comme l’eau-forte et la pointe sèche.

Le tub de l’été
Le pastel convient aussi à merveille à Degas qui aime
travailler vite. Ce moyen particulièrement adapté
permet de retoucher sans laisser de repentirs visibles,
c’est-à-dire de traces des essais antérieurs. À partir de
1880, il donne ses pastels de femmes à la toilette. Le
Tub (1886) représente trop souvent, pour beaucoup,
tout Degas, à tort ! Il n’hésite jamais à se remettre en
question, s’acheminant comme dans Le Jockey blessé
à une vision du monde résumé en un dérisoire
manège de chevaux de bois.

L’artiste s’adonne aussi à la sculpture. De son vivant,


il n’y eut que sa Petite Danseuse (voir Figure 47) qui
fut exposée. Cette œuvre est alors révolutionnaire car
elle est habillée comme une poupée ! À sa mort, on
trouva près de 150 figures en cire dans son atelier.

Avé Cézanne

L’accent du Sud résonne fort dans la cour du collège


Bourbon à Aix-en-Provence. Un grand prend la
défense d’un petit. Naît à ce moment-là une grande
amitié entre les deux garçons. Et c’est bien ainsi que
deux figures du XIXe siècle, le petit Émile Zola et le
grand Paul Cézanne, se sont rencontrés, dans une
cour de récréation.

La montagne Sainte-Victoire
L’aisance de sa famille assurée par un père banquier
apporte à Cézanne (1839-1906) son indépendance. En
1872, l’artiste peint avec Pissarro à Auvers-sur-Oise
où, bien sûr, il rencontre Van Gogh. Ses amitiés
l’incitent à participer à la première exposition
impressionniste. Cependant, comme Degas, Cézanne
suit son propre itinéraire en abandonnant l’esthétique
impressionniste car, plus que vers la vibration de la
lumière, il veut aller à la « structure des choses » :
l’agencement des formes et des volumes, la
géométrie dans l’espace. De son acharnement naît
une œuvre emblématique, aussi vaste et haute que la
montagne Sainte-Victoire (voir Figure 53) qui l’a tant
inspiré.

5 % d’inspiration et 95 % de transpiration
Cézanne est considéré comme l’un des grands
précurseurs de la modernité, annonçant le cubisme
dans ses natures mortes. À ce sujet, le maître
conseille dans une lettre adressée au peintre Émile
Bernard : « Traitez la nature par le cylindre, la sphère,
le cône, le tout en perspective… » Picasso lui rend
ainsi hommage : « Il est notre Père à tous. »

Dans ses dernières années, l’artiste peint au moins
trois versions des Baigneuses en grand format. Sans
pourtant jamais faire poser de modèles nus dans son
atelier, il a une vision charnelle de la nature. La
disposition en pyramide marie les corps des femmes
aux arbres. Génie laborieux, Cézanne se tourmente.
Jamais une œuvre ne lui semble achevée. Avant de
mourir, il confie enfin son sentiment d’avoir fait des
progrès…

Time is Monet
En 1874, le célèbre photographe Nadar (de son vrai
nom Félix Tournachon) prête ses locaux pour une
exposition. Quelques artistes jeunes et moins jeunes
créent « une société anonyme coopérative d’artistes
peintres, sculpteurs, graveurs, à capital et personnel
variable », afin de proposer « des expositions libres,
sans jury et sans récompense honorifique ».

L’impressionnisme, qui veut peindre « ce qu’il voit »,


est un aboutissement du réalisme, avec la reprise de
sujets contemporains, comme la thématique des
loisirs en bord de fleuve, et la disparition progressive
du sujet prétexte. Ce courant se définit également par
ses procédés picturaux : ses empâtements, ses
couleurs mises pures, avec des oppositions de
couleurs primaires et complémentaires. Beaucoup de
peintres importants ont eu une période
impressionniste mais, au sens strict, les seuls vrais
sont Monet, Sisley et Pissarro.

Pas de noir pour Monet !


« Pas de noir pour Monet ! » s’écrie en effet son ami
intime Georges Clemenceau venu le veiller à Giverny
en 1926. Il enlève le drap funèbre, prend un rideau
aux couleurs éclatantes et le jette sur le cercueil.

Alger soleil d’Orient

Toute sa vie, Claude Monet (1840-1926) redécouvre la


couleur. Au Havre, il commence par dessiner quelques
portraits charges, des caricatures. L’artiste se lie vers
1860 avec un certain nombre de jeunes peintres :
Pissarro, Bazille, Renoir, Sisley, la fine fleur des futurs
impressionnistes. Il découvre alors les toiles de Manet
et pratique la peinture de plein air dans la forêt de
Fontainebleau. La révélation se produit lors de son
service militaire en Algérie : « Les impressions de
lumière et de couleur que je reçus là-bas ne devaient
que plus tard se classer : mais le germe de mes
recherches futures y était », avoue-t-il dans
l’autobiographie qu’il donne au Journal Le Temps.

Et la lumière fut

Monet peint sa propre version d’un Déjeuner sur


l’herbe et, en 1866, obtient au Salon un grand succès
avec La Dame à la robe verte. Il est à l’origine du plus
célèbre mouvement pictural et de son appellation :
« J’avais envoyé [à l’exposition de 1874] une chose
faite au Havre, de ma fenêtre, du soleil dans la buée
et au premier plan quelques mâts de navires
pointant… On me demande le titre pour le catalogue,
ça ne pouvait vraiment pas passer pour une vue du
Havre ; je répondis : “Mettez Impression”. On en fit
impressionnisme et les plaisanteries s’épanouirent. »
Ainsi, le port normand devient un prétexte où la forme
disparaît dans les effets de lumière.

Serial painter
En 1883, Monet emménage définitivement dans sa
maison de Giverny, dans l’Eure, qu’il achète trois ans
plus tard. Le peintre peut alors faire creuser le bassin
aux nymphéas. La maison est à l’heure actuelle un
musée qui lui est consacré, où l’on peut encore
admirer le superbe jardin. Monet travaille par séries :
25 meules, entre 1888 et 1891 ;
24 peupliers ;
la cathédrale de Rouen en 1892 ;
les matinées sur la Seine et les ponts japonais jusqu’en 1898.
Les Nymphéas

Monet étudie ainsi la variation de la lumière et les


changements de couleur selon le moment de la
journée. Il peint de même des vues de la Tamise et se
consacre à la série la plus connue de tableaux de
l’histoire de la peinture : les Nymphéas (voir Figure
46). Ses études sur les nymphéas cherchent à
capturer l’instant. Les œuvres se multiplient : 48
versions entre 1904 et 1906 ! En 1913, le maître fait
construire son atelier dans son jardin, juste face au
bassin. Le ciel disparaît de la toile et les motifs
annoncent l’abstraction. De 1916 à 1926, il se
consacre aux 12 panneaux présentés au musée de
l’Orangerie, réouvert en 2006. Pourtant souffrant
d’une cataracte qui l’affecte profondément, Monet
peint jusqu’à son dernier souffle.

Des paysages bien Sisley


Anglais de France, le peintre Alfred Sisley (1839-1899)
constitue en quelque sorte le chaînon manquant entre
les peintres anglais de paysage, comme Constable ou
Turner, et les impressionnistes.

Vers 1864-1865, beaucoup d’artistes se rencontrent


dans la forêt de Fontainebleau. Pour être vendu, un
paysage se doit en effet d’en provenir. On voit ainsi
certains marchands, sans scrupules et sans
connaissance particulière en botanique, intituler
« Paysage de Barbizon » de jolies vues… remplies
d’oliviers !

Mais Sisley préfère peindre l’ouest de Paris, avec son
Allée de châtaigniers à La Celle-Saint-Cloud, un
paysage encore dans le goût de Corot.

À cause de la guerre de 1870, Sisley retourne quelque
temps à Londres : de cette période date sa toile Les
Régates à Molesey. Il s’installe ensuite à nouveau en
France, à Marly-le-Roi, Sèvres ou Louveciennes dont la
lumière douce d’Île-de-France et les paysages
l’inspirent. Il donne ainsi cette superbe Barque
pendant l’inondation à Port-Marly où, avec une touche
plus élargie, la lumière et l’eau vibrent à l’unisson. Si
Monet a la cathédrale de Rouen, Sisley a l’église de
Moret-sur-Loing, près de Fontainebleau, où il s’installe
en 1879. Cette église fit l’objet d’une vingtaine de
toiles à différentes heures.
Constable et Turner
Au Salon de 1824, La Charrette de foin de John
Constable (1776-1834) est particulièrement
remarquée, et d’abord par le jury qui lui
décerne la médaille d’or. Le peintre Delacroix
est tellement impressionné par la façon dont
l’artiste anglais peint ses paysages, par sa
juxtaposition de couleurs pures, qu’il refait
l’arrière-plan des Massacres de Scio. Constable
a peut-être plus contribué au développement
de l’école française de paysage qu’à celui de la
peinture anglaise, sans jamais avoir quitté son
île natale !

Alors que John Constable peint en plein air,
Joseph Turner (1775-1851) travaille en atelier à
partir d’esquisses. Plutôt précoce, il expose
son premier tableau à 15 ans. Il faut
cependant attendre l’année 1807 pour voir son
originalité avec son Lever de soleil dans la
brume et Didon construisant Carthage.
L’artiste y montre encore sa dette envers le
peintre Claude Lorrain mais, à partir de là, il va
continuer de rendre le plus bel éclat de la
couleur. Il affirme de façon permanente son
amour de la lumière, comme dans ses scènes
de Venise, au détriment des formes lui
reprocheront certains amateurs.

Les deux artistes anglais sont également
considérés comme des précurseurs de
l’impressionnisme.

Pissarro : l’effet, rien que l’effet


Camille Pissarro (1830-1903) est né à Saint-Thomas
dans les Antilles danoises, devenues les îles Vierges
américaines. Arrivé à Paris en 1855, il se lie avec
Corot puis avec Monet. Son tout premier envoi
accepté par le Salon est un Paysage à Montmorency à
une époque où la banlieue était verte. Mais éconduit
en 1861 et encore en 1863, le peintre participe à la
fameuse première exposition impressionniste du Salon
des refusés en 1874.

De 1872 à 1884, lors de sa période dite de Pontoise,
Pissarro se révèle aussi peintre de la campagne
française. Dès 1886, il expérimente le néo-
impressionnisme avec Signac et Seurat. Sa célébrité
se confirme avec ses vues de Paris : Boulevard des
Italiens ; Paris, matin, effet de soleil, ou Place du
Théâtre-Français, effet de pluie. L’artiste exerce une
véritable influence sur la peinture moderne avec ses
études de Marchés à Rouen (qui n’ont rien de
commercial) et avec sa belle série des Quais de la
Seine. Ceux-ci sont peints sous toutes les lumières
possibles, mais surtout avec des points de vue sans
cesse variés.

Pissarro fonde une véritable dynastie de peintres, de
ses enfants à son arrière-petite-fille, Lélia, née en
1963, avec tous nos vœux de bonheur en attendant la
suite.
Fauchés comme les blés
Si Manet est un grand bourgeois, et si Cézanne
jouit d’une fortune personnelle, tous les
artistes proches de l’impressionnisme, dont les
œuvres s’arrachent à grand prix aujourd’hui,
ne roulent pas sur l’or. Van Gogh ne vend
jamais rien, la légende le fait maudit et
miséreux, même s’il bénéficie toute sa vie du
soutien matériel de son frère Théo. Sisley
commence dans l’opulence et aide un moment
un Renoir dans le besoin. Mais la guerre de
1870 lui fait tout perdre. Succès et argent lui
feront alors défaut jusqu’à sa mort.

Comme Monet refuse d’entrer aux Beaux-arts,
son père lui coupe les vivres. Commence alors
une vie difficile avec des hauts et des bas.

Courbet, qui voit en lui un disciple, le dépanne
un moment. Bazille lui achète les Femmes au
jardin. Le peintre doit cependant fuir ses
créanciers et continue de faire appel à ses
amis : Caillebotte, Zola… Manet lui rend les
Femmes, échangées au père de Bazille contre
le portrait de ce dernier peint par Renoir. Il lui
achète plusieurs tableaux en 1879. En
attendant le succès, tout le monde ne peut pas
gagner à la loterie comme Armand Guillaumin
(1841-1927) ! Enfin, en 1889, Monet est
reconnu. La même année, il ouvre une
souscription pour donner à l’État l’Olympia de
Manet, bel hommage à cet aîné généreux.
Renoir tout en couleur
Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) est natif de
Limoges, ce qui prédispose à commencer dans la
décoration de céramique. À Paris, il rencontre Monet
et Sisley, et devient un des artistes les plus en vue
parmi les impressionnistes, avec deux toiles devenues
célèbres, Le Moulin de la Galette et La Balançoire (voir
Figure 48).

Vers 1880, son style devient en quelque sorte plus
classique avec Madame Charpentier et ses enfants,
accueilli très favorablement au Salon. Renoir peint
alors le Déjeuner des canotiers, toile reproduite
depuis sur tous les calendriers. Ses contemporains,
qui ont l’œil, n’hésitent pas à le déclarer
« continuateur des maîtres du XVIIIe siècle ». Peintre
de la chair féminine, de la lumière éclatante et rieuse,
il réalise des baigneuses qui rappellent en effet Ingres
et Rubens. Mais il prend aussi les membres de sa
famille comme modèles, ainsi qu’en témoigne le
célèbre portrait de son fils, le cinéaste Jean Renoir.

C’est un coloriste qui sait être violent ou délicat.
Peintre à la production importante, Renoir demeure
fécond jusqu’à la fin. Atteint de paralysie, il se fait
attacher ses pinceaux aux doigts et bander les mains
pour éviter les écorchures.

Tranquille comme Bazille


Renoir réalise en 1867 un Frédéric Bazille peignant à
son atelier et Bazille réalise un Portrait de Renoir. Ces
deux toiles se répondent en symbole de leur amitié.
La même année, Frédéric Bazille (1841-1870) lance
l’idée de montrer à part les toiles refusées au Salon
officiel mais il n’en verra jamais la réalisation, car il
meurt au champ d’honneur lors de la guerre franco-
prussienne.

De commerce agréable, l’artiste se lie d’amitié avec


Monet, Renoir et Sisley, fréquente aussi Cézanne,
Pissarro, Guillaumin. Quel carnet d’adresses ! En
1863, Monet et Bazille travaillent ensemble sur le
motif et sur les variations de la lumière sous les arbres
dans la forêt de Fontainebleau. Toujours en plein air,
l’artiste peint en 1868 une des premières toiles
impressionnistes, Pêcheur à l’épervier. Le tableau est
refusé par le jury du Salon, sans doute parce que
l’homme au filet est dans un cadre contemporain et
non dans une arène romaine où il aurait fait un
superbe gladiateur.

Un legs qui fait du bruit


Le peintre Gustave Caillebotte (1848-1894) a
un style qui le ferait classer parmi les
naturalistes, notamment avec Les Raboteurs
de parquet (1875). Doté d’une fortune
personnelle, il aide ses amis impressionnistes
et se constitue une collection remarquable.
Son nom est associé à un legs dont il faut
relativiser le scandale. Renoir, son exécuteur
testamentaire, se heurte au peintre Gérôme
qui pense que Cézanne, Manet, Monet et
Pissarro « déshonorent » les cimaises (murs de
salles d’exposition). Contrairement à une
légende répandue, le legs est accepté par
l’État. Mais comme une partie doit être
déposée à Compiègne, les héritiers trouvent
que cela ne correspond pas à l’intégralité du
testament, dont les termes sont pourtant
mesurés : Caillebotte veut en effet que le
public s’habitue à la nouvelle peinture et que
ses héritiers conservent la garde des tableaux.
Faut-il supposer les héritiers pas mécontents
d’une telle aubaine ? Une commission en
sélectionne une partie. Le reste, acheté par le
docteur Barnes, enrichit la prestigieuse
collection de ce célèbre américain.

Diviser pour mieux régner : le néo-


impressionnisme
Le néo-impressionnisme va encore plus loin dans les
oppositions de couleurs. En se mélangeant, les
couleurs primaires et complémentaires, celles de l’arc-
en-ciel, reproduisent la lumière blanche. La couleur
complémentaire du rouge est le vert, celle du bleu est
l’orangé, celle du jaune le violet.

Le chimiste Eugène Chevreul (1786-1889) devient en
1824 directeur des teintureries à la manufacture des
Gobelins à Paris. Il est amené à étudier les couleurs
pour en tirer des applications pratiques sur les
tapisseries. La liste de ses travaux est
impressionnante, mais ce qui retient l’attention des
peintres est son texte De la loi du contraste simultané
des couleurs (1839). Pour simplifier la théorie, le
mélange se fait dans l’œil du spectateur et non plus
sur la palette. La dernière exposition de 1886
symbolise l’émergence d’un nouvel impressionnisme
plus scientifique : Monet, Renoir et Sisley sont
absents, remplacés par Gauguin, Signac et Seurat.

Seurat en pointillé

Georges Seurat (1859-1891) invente le pointillisme ou


divisionnisme : il juxtapose des points de couleur pour
reconstituer une couleur principale et des formes par
une sorte d’illusion d’optique. Sa toile Une baignade à
Asnières, refusée en 1884 au Salon et exposée en
1885 au Salon des indépendants, est l’emblème de
cette nouvelle technique. L’artiste cherche « une
formule de peinture optique ». Un dimanche après-
midi à la Grande Jatte est le véritable manifeste du
néo-impressionnisme.

Seurat commence ses paysages en plein air et les
poursuit à l’atelier, tant les recherches techniques
sont contraignantes. C’est le critique d’art Félix
Fénéon qui baptise ce pointillisme néo-
impressionnisme. Autour du peintre, quelques amis
adoptent ses recherches comme Henri – Edmond
Cross ou Paul Signac. Ses dessins en noir et blanc sont
une pure réussite virtuose. Il disparaît très jeune, à
l’âge de 31 ans.

Signac, apôtre du
divisionnisme
Lorsque Seurat meurt, il laisse derrière lui des
regrets… et un fidèle disciple en la personne
de Paul Signac (1863-1935). Son Quai de
Clichy (1887) est digne du maître. Aisé, cet
autodidacte incite Pissarro père et fils à
s’adonner un temps au pointillisme. Marin
accompli, il s’installe à Saint-Tropez où il invite
de nombreux peintres, contribuant à la
réputation naissante du petit port méridional.
En 1899, le peintre écrit D’Eugène Delacroix
au néo-impressionnisme qui devient un
véritable traité de la couleur pour Matisse,
Braque, Kandinsky… Homme de son temps,
président des Artistes indépendants, Signac
encourage les nouveaux courants comme le
fauvisme ou le cubisme.

Pâte à modeler : Van Gogh

Vincent Van Gogh meurt en 1890 à 37 ans, n’ayant


commencé à peindre que dix ans plus tôt ! Durant sa
vie, il n’a aucun succès. L’artiste devient fou et se
suicide. La reconnaissance vient ensuite et fait de
celui qui a bouleversé toute la peinture moderne le
peintre le plus cher du monde : le Portrait du docteur
Gachet (1880) a été vendu 71 650 000 euros en 1990
aux États-Unis !

Né en 1853, Van Gogh est le fils d’un pasteur
hollandais. Après des études de théologie et divers
métiers, il s’installe dans le Borinage en vue
d’évangéliser les mineurs. La découverte de la misère
lui fait prendre conscience que l’art peut apporter un
peu de beauté et de consolation à l’humanité
souffrante.

Du prédicateur à l’artiste
L’arrêt de sa vocation religieuse pousse Van Gogh à
reprendre ses crayons et à développer ses talents
d’enfance. Ses premières œuvres rendent un
hommage sincère aux petites gens et aux paysans :
« Pour moi, ce n’est pas Manet qui est le peintre
extrêmement moderne, mais Millet, qui pour
beaucoup de gens ouvre des perspectives
lointaines. » En 1886, l’artiste rejoint à Paris son frère
Théo, introduit dans les milieux de l’art. Il rencontre
les peintres qui renouvellent la sensibilité moderne,
comme Toulouse-Lautrec, Pissarro, Seurat et surtout
Gauguin. De cette époque datent ses vues de Paris et
de la banlieue parisienne : Montmartre, Suresnes,
Chatou, Asnières. L’artiste fait des autoportraits et le
portrait du pittoresque Père Tanguy, un marchand de
couleurs généreux avec les artistes fauchés, et des
natures mortes comme Les Livres jaunes.

Cherche asile chez les fous

Van Gogh s’installe ensuite à Arles, où la lumière


méditerranéenne l’enchante. Il invite Gauguin à venir
le retrouver, dans l’espoir de fonder une colonie
d’artistes créant loin de l’agitation parisienne. On
retrouve l’influence de l’ami dans certaines toiles
comme La Salle de danse à Arles ou La Promenade.
De cette époque date La Vigne rouge, la seule œuvre
exposée de son vivant. C’est là aussi que l’artiste
peint certaines de ses plus célèbres œuvres comme
Les Tournesols et La Nuit étoilée. Mais le 24 décembre
1888, l’amitié tourne au drame : il tente de tuer
Gauguin et dans son accès de démence se tranche
l’oreille (Autoportrait à l’oreille coupée). Après un
séjour à l’asile de Saint-Rémy- de-Provence, le peintre
s’installe à Auvers-sur-Oise.

La fin à Auvers-sur-Oise
Van Gogh est accueilli par le docteur Gachet, ami et
admirateur des impressionnistes. Il poursuit ses
expériences en dépassant l’impressionnisme et le
néo-impressionnisme, et en intégrant l’apport du
japonisme. Il crée cette fluidité caractéristique, ces
mouvements qui déforment église (voir Figure 51) ou
champs de blés, le faisant apparaître comme le
précurseur du fauvisme ou de l’expressionnisme par
ce style aux couleurs vives. Ses tourbillons de
couleurs font de son œuvre la plus marquante de l’art
moderne.

Pris d’une crise d’angoisse, il se suicide en 1890. Il
repose au cimetière d’Auvers-sur-Oise, aux côtés de
Théo, son frère, ami et soutien financier durant toute
sa vie. À côté d’eux se trouve la tombe de Norbert
Goeneutte (1854-1894), peintre et graveur, artiste en
marge de l’impressionnisme. Que le passant ait aussi
une pensée pour cet oublié, qui a su peindre de bien
jolies femmes.

Toulouse-Lautrec, Albi-Montmartre
Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) descend d’une
véritable famille noble. Né à Albi, il entre aux Beaux-
arts de Paris en 1882. S’il est rattaché au mouvement
impressionniste, c’est plus par ses amitiés que par son
style. Excellent peintre animalier, la postérité retient
surtout ses descriptions du Paris des maisons closes
et des cabarets.

Suite à deux chutes stupides, il reste infirme. Les
ennuis continuent quand l’artiste s’inscrit dans
l’atelier du peintre académique Léon Bonnat (1833-
1922) avec qui il ne s’entend pas, bien qu’aucun des
deux ne soit sourd ! Dans celui de Fernand Cormon
(1845-1924), où il reste cinq ans, il rencontre des
figures qui deviendront ses amis comme Émile
Bernard ou Van Gogh.

À partir de 1884, Toulouse-Lautrec s’installe dans son


propre atelier, côtoyant la vie et les lieux mal famés
de Montmartre. Dans le cabaret du chansonnier
Aristide Bruant, il expose ses premières œuvres et
publie dans son journal ses premiers dessins. Peintre
de figures comme la Goulue ou Valentin le Désossé, il
expose au Salon des indépendants et à Bruxelles en
1890, avec Van Gogh. Un an plus tard, l’artiste se
lance dans la lithographie et donne alors ses lettres
de noblesse à l’affiche, par exemple avec celle du
Moulin-Rouge représentant la Goulue. Toute sa vie,
Lautrec a une production abondante : gravures,
portraits, dessins. Il peint même un décor de baraque
foraine pour la Goulue qui souhaite changer de métier.

Autre originalité, sentimentale celle-ci, puisque sans
se dévoiler, l’artiste va suivre jusqu’à Lisbonne une
inconnue entrevue sur un navire. Il meurt en 1901, à
37 ans, de maladie, d’épuisement et de génie.
Chapitre 17

Ne ratez pas la
correspondance : le
symbolisme

Dans ce chapitre :
De curieuses figures, du sage professeur Moreau
à Gauguin l’aventurier
Tomber dans le panneau avec Puvis de
Chavannes
Voyager en Europe et à Tahiti avec Gauguin
Aimer à la folie avec Camille Claudel

Le symbole se fonde sur une correspondance entre


deux objets dont l’un généralement appartient au
monde physique et l’autre au monde moral. Le
symbolisme ne consiste pas à créer des listes de
laborieuses allégories, mais à faire sentir des affinités,
des liens. Tout a été reproché aux peintres
symbolistes : ne pas avoir été impressionnistes, l’avoir
été, ne pas avoir été académiques, l’avoir trop été !
Car ce courant est un état d’esprit et non une école.
Même l’un de ses meilleurs représentants, Gauguin,
n’a pas l’impression d’en faire partie et, à l’occasion,
ironise en parlant de « cymbalisme » : en avant la
musique !
La décadence moderne
Publié dans Le Figaro du 18 septembre 1886, le
manifeste du poète Jean Moréas est l’acte de
naissance du symbolisme littéraire. Auparavant, la
critique parlait plutôt de « décadents », y mêlant les
poètes Baudelaire, Rimbaud et Mallarmé. En peinture
aussi, certains artistes sont fatigués du matérialisme
et du naturalisme ambiants, dont les équivalents
aujourd’hui seraient le tout-pour-le-fric et la
téléréalité.

La France, d’où démarre ce mouvement, est


représentée par des figures prestigieuses comme
Gustave Moreau, Odilon Redon ou Paul Gauguin, et le
groupe des nabis en est une variante. Il se répand
ensuite dans toute l’Europe. Sa postérité est
importante, notamment avec le surréalisme.

Le seigneur des panneaux


Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), élève de
Delacroix ? Son Jean Cavalier jouant le choral de
Luther au chevet de sa mère mourante (1851) le
prouve. Mais il ne l’a été que quinze jours ! Après trois
mois également chez Thomas Couture, il trouve
rapidement sa propre voie et donne de grands
panneaux décoratifs.

Décors raccords

Puvis de Chavannes décore de nombreux endroits,


dont les musées d’Amiens (1861-1865), de Marseille
(1867-1869) et de Lyon (1883-1886). Les toiles
peintes à l’atelier sont marouflées, c’est-à-dire collées
sur un support avant leur mise en place. Comme
l’habitude est de mettre dans les étages les
collections de peinture, les panneaux sont dans les
escaliers. L’artiste veut mettre en condition le
spectateur pour les œuvres d’art qu’il va voir. Il
décore aussi le Panthéon à Paris de (1874-1878). Il
faut remarquer que le peintre donne à sainte
Geneviève, patronne de Paris, les traits de son épouse
et inspiratrice, la princesse Cantacuzène qui, une fois
n’est pas coutume, devient bergère…

La lumière des teintes

Puvis opère la synthèse entre le romantisme de


Delacroix et le classicisme d’Ingres. Certains de ses
nus sont incontestablement inspirés des célèbres
baigneuses de ce dernier. Son œuvre originale par la
touche offre de savantes nuances dans le coloris et
l’harmonie des teintes. Un tableau comme Le Pauvre
Pêcheur (1881, voir Figure 42) a un grand
retentissement : Seurat lui rend hommage dans une
de ses toiles, Maillol le copie, Van Gogh et Gauguin
l’admirent, Picasso s’en inspire. La renommée de
Puvis de Chavannes est telle qu’un banquet est offert
en son honneur en janvier 1895. Tout le monde est là,
quels que soient les courants artistiques et littéraires,
Gauguin, Renoir ou Mallarmé, près de 550 personnes
sous la présidence de Rodin.

Mort au mythe Gustave !


Après trois ans d’études aux Beaux-Arts, Gustave
Moreau (1826-1898) séjourne en Italie de 1857 à
1859, où il rencontre Degas. Il pratique ensuite la
grande peinture, celle d’histoire, et interprète à sa
façon l’iconographie mythologique dans Œdipe et le
Sphinx (1864) et Orphée (1865).

Un succès à en perdre la tête
Toute la jeune génération d’écrivains l’admire et le
symbolisme se l’approprie. L’écrivain et journaliste
incisif Jean Lorrain entretient une correspondance
avec lui. Joséphin Péladan, romancier et critique d’art,
lui écrit son admiration et le prie de participer à ses
Salons. Huysmans, dans le manuel de l’esthète
décadent À rebours (1884), en fait une description
enthousiaste, parle de « mystique en plein Paris » et
écrit des pages inoubliables sur L’Apparition (1876,
voir Figure 44). La tête coupée et dégoulinante de
sang de saint Jean-Baptiste est offerte à Salomé,
danseuse orientale recouverte de lourds bijoux. Ainsi,
la fille du roi Hérode devient un des personnages
emblématiques de la fin du siècle.

Franc mage blanc


L’écrivain suédois August Strindberg propose
Joséphin Péladan pour le Nobel de littérature !
Fécond auteur de romans – près de 8 000
pages pour sa suite de la Décadence latine –,
d’ouvrages de philosophie occulte et
d’innombrables articles de critique d’art,
Péladan marque son époque. Son roman
L’Initiation sentimentale est pillé par
D’Annunzio dans L’Enfant de volupté, un
classique en format de poche présent dans
toutes les gares italiennes. Non seulement
l’écrivain est copié, mais aussi moqué pour son
dandysme et son catholicisme pittoresque.
Outre des chroniques de salons toujours
pleines d’intérêt, il sait faire parler de lui dans
la presse : à une époque où les termes
hébraïques sont très « tendance » il se fait
appeler le Sâr, le « prince » en hébreu (le
prénom Sara, « princesse », est encore fort
courant).

Péladan fonde un ordre de la Rose-Croix, un
cercle de discussion plutôt qu’une secte. Ses
Salons artistiques connaissent un vif succès.
Tout n’y est pas bon : quelques amis imposés
par des mécènes sont aussi exposés. On peut
ainsi se moquer d’une Tête présentée par un
certain Deneux…

Mon dieu, quelle heure est-il ?


Moreau est manifestement surpris et un peu gêné par
l’admiration de tous ces jeunes gens un rien
encombrants. Il continue son œuvre en solitaire, sans
que cela l’empêche de devenir le professeur de
nombreuses célébrités.

Le peintre sait revisiter la mythologie gréco-romaine


de façon imprévue et maniériste dans des paysages
impossibles. On cite souvent la moquerie de Degas : il
met « des chaînes de montres aux dieux de
l’Olympe », même si elle prouve surtout que Degas
n’avait rien compris au charme onirique des toiles de
Moreau. Sa peinture visionnaire séduira aussi bien
Dalí que Breton, qui raconte avoir eu une de ses plus
grandes émotions artistiques au musée Gustave
Moreau. Cet ancien hôtel familial et atelier de l’artiste
est certainement un des endroits les plus envoûtants
de Paris.

Redon dense
Odilon Redon (1840-1916) est un artiste multiforme
qui utilise de façon originale le dessin, l’estampe et la
peinture.

Il crèche dans une étable !
Il est initié à la gravure par le curieux Rodolphe
Bresdin (1822-1885) qui vit dans une étable peuplée
de toutes sortes d’animaux et, à Paris, dans un grenier
qu’il transforme en jardin avec sources. Graveur de
génie, il gagne sa vie en vendant ses œuvres, qu’il tire
avec du cirage et une brosse à souliers. Les
brocanteurs les renégocient comme des épreuves
originales de Rembrandt ! À bonne école, Redon se
fixe à Paris, rencontre Corot et voyage en Hollande
pour admirer Rembrandt sur place. L’année 1879 voit
la publication de son premier album de lithographies
intitulé Le Rêve. À la recherche de « la beauté
humaine avec le prestige de la pensée », il trouve
l’impressionnisme « trop bas de plafond » et pas
seulement parce que le ciel est gris !

Une soumission docile

De 1883 à 1889, en signe de deuil après la mort de


son premier fils Jean, Redon ne se consacre plus qu’à
la lithographie en noir et blanc. Il appelle d’ailleurs
« Noirs » l’ensemble de son œuvre, fusains et
lithographies. Pour mettre « la logique du visible au
service de l’invisible », l’artiste utilise le pastel,
méthode qu’il pousse à la perfection avec des effets
d’une rare intensité. Il décore la bibliothèque de
l’abbaye de Fontfroide, propriété de son ami Gustave
Fayet, dont on ne dira jamais assez le rôle de mécène,
y compris pour Gauguin.

Les peintres nabis et d’autres comme Paul Sérusier,
Édouard Vuillard, Maurice Denis lui consacrent une
exposition d’ensemble en 1899. Une célèbre formule
de Redon annonce déjà le surréalisme et le XXe
siècle : « Rien ne se fait en art par la volonté seule.
Tout se fait par la soumission docile à la venue de
l’inconscient. »

En dehors de nos frontières


Le symbolisme gagne du terrain chez nos voisins. Il se
répand dans toute l’Europe : en Allemagne avec
Friedrich Maximilian von Klinger ou Franz von Stuck ;
en Belgique avec Jean Delville et Fernand Khnopff ; en
Suisse avec Ferdinand Hodler ; aux Pays-Bas et en
Indonésie avec Jan Toorop, artiste aux figures
humaines oniriques dans un enchevêtrement végétal.

Symbolisme germanique : von Stuck,


Böcklin
L’œuvre des symbolistes de culture germanique
comme l’Allemand von Stuck ou le Suisse Arnold
Böcklin est fort admirée de leur vivant. Mais il faut
attendre la fin les années 1970 pour leur
redécouverte.

Arnold Böcklin (1827-1901), malgré une exposition
récente au musée d’Orsay, ne survit guère dans les
mémoires que par les copies qu’en a faites Giorgio De
Chirico. Il sait pourtant créer un univers étrange et
obsédant, en renouvelant la mythologie gréco-
romaine. Les cinq versions de son Île des morts (1880-
1886) aux cyprès funèbres sont toujours
abondamment reproduites.

Le peintre Franz von Stuck (1863-1928) ne dépare pas


dans l’étrangeté : dans sa toile Le Péché, une belle
tentatrice dénudée porte un boa autour du cou,
l’animal en chair et en peau, sans truc en plume.
L’œuvre sert encore à d’innombrables adaptations de
pochettes de DVD. Mais le peintre est déjà victime du
show-business depuis les années 1930. Quand, en
effet, Walt Disney rassemble bon nombre d’ouvrages
d’art européens, von Stuck y figure en bonne place et
certains paysages inquiétants et les jeunes faunes de
Fantasia lui doivent quelque chose.

Les primitifs tardifs


Partant des mêmes constats que ceux des
réalistes français, naît à Londres en 1848 la
confrérie des préraphaélites. Selon eux,
Raphaël, à l’origine de l’idéalisation, est
responsable de l’éloignement progressif de la
peinture par rapport à la vie. Pour y remédier,
il faut revenir à une manière de peindre
d’avant Raphaël et devenir ainsi préraphaélite.
Ils entrent également en réaction contre une
société victorienne rigoureuse, bourgeoise et
industrielle. Les peintres préraphaélites vont
donc chercher leurs sujets dans le passé :
légendes saxonnes, Bible et chevalerie du
Moyen Âge. Dante Gabriel Rossetti (1828-
1882) est à l’origine de ce mouvement. On lui
doit La Rencontre de Dante et de Béatrice
(1859).

À ses côtés, Sir Edward Burne-Jones (1833-
1898) annonce le symbolisme, avec par
exemple sa Roue de la fortunee (1883). La
dénonciation des valeurs bourgeoises et du
progrès industriel trouve aussi son illustration
chez William Morris (1834-1896) qui décore
l’Oxford Union de scènes de la légende du roi
Arthur. L’artiste ouvre en 1861 un atelier de
décoration qui contribue au développement
dans toute l’Europe de l’art nouveau des
années 1890 et 1900 et sera à l’origine du
mouvement Arts and Crafts. Ces ateliers sont
une réaction artisanale et humaine à
l’industrialisation et à la division du travail.
L’homme est au centre de l’atelier qui décline
des activités à l’ancienne : papier peint, livres
illustrés, vitrail…

Difficile cependant d’être primitifs au XIXe
siècle : les préraphaélites ne font que passer
et laissent à la postérité un héritage contrasté.
Outre le symbolisme, le mouvement Arts and
Crafts poussé à ses extrêmes donne les
décorateurs d’intérieur pour l’industrie de luxe
et le design : « dessin » et « dessein, plan,
esquisse », le terme désigne dans les années
1960 une esthétique des objets de tous les
jours. Leur concepteur, à la fois artiste et
ingénieur, s’emploie à rendre l’objet beau et
pratique d’utilisation. Un exemple célèbre est
la bouteille en verre de Coca-Cola, créée en
1915 par le Français Raymond Loewy.

D’un pays plat tonique


La Belgique est une terre d’élection du symbolisme.
Certains des meilleurs représentants de ce courant en
littérature sont Maurice Maeterlinck ou Georges
Rodenbach ; en peinture, Jean Delville comme auteur
de grandes toiles allégoriques pendant que Fernand
Khnopff (1858-1921) apporte une touche hyperréaliste
qui mène droit au cauchemar, dans ses visions de
villes désertes ou ses personnages fantomatiques de
femmes voilées et troublantes.

La Suisse n’est pas en reste avec Ferdinand Hodler,
l’un de ses rares peintres à être reconnu
internationalement, qui invente le parallélisme.

Idole de la perversité
Jean Delville (1867-1953) reprend des thèmes
religieux ou allégoriques en leur donnant un éclairage
étrange. Son Idole de la perversité est une œuvre
significative saluée par ceux qui furent appelés les
décadents, et les anciens élèves de philo apprécieront
l’auteur d’une École de Platon.

Le peintre participe aux Salons de la Rose-Croix qui
font découvrir des talents représentatifs d’un courant.
Il y a chez lui un réel sens du mouvement et un souffle
épique. Le sublime d’une époque frise souvent le
ridicule de la suivante. Delville, parfois à la limite, y
échappe pourtant. Le Triomphe de Satan,
hallucination sous-marine avec homme-pieuvre et
entrelacs de corps féminins, rappelle le dessinateur de
science-fiction Philippe Druillet.

Cimes organisées

Ferdinand Hodler (1853-1918) évolue de


l’académisme au symbolisme avec Les Las de vivre
(1892), Les Âmes déçues (vers 1895). Considérée
comme « obscène » à l’exposition municipale de
Genève, La Nuit rencontre le plus vif succès à Paris au
Salon du Champ-de-Mars ! Le peintre séjourne
d’ailleurs deux mois dans la capitale et y donne son
Autoportrait parisien. La Nuit est remarquable pour un
procédé nommé le parallélisme, que Hodler utilise
abondamment. Il le définit comme « toute sorte de
répétition de forme, associée à des répétitions de
couleurs ». Ses peintures monumentales et ses
paysages de montagne donnent une forte
expressivité, en mêlant structures parallèles et
nuances de couleurs, parfois ramenées à la
monochromie. L’artiste crée aussi certaines des
œuvres les plus angoissantes de toute la peinture, en
se faisant le témoin de la lutte contre la mort, dans la
série consacrée à l’agonie de sa compagne en 1915.

Sacré Gauguin !

La vie de Gauguin peut faire croire que les destins


hors pair sont héréditaires : sa mère était la fille de
Flora Tristan, prestigieuse figure du socialisme
utopique et du féminisme, originaire du Pérou.
Pourtant né à Paris, Paul Gauguin (1848-1903) passe
une partie de son enfance au Pérou (1851-1855),
avant de revenir en France. En 1865, il s’engage dans
la marine comme pilotin, élève officier, et voyage
dans le monde entier jusqu’en 1871, année où
l’artiste devient agent de change par une relation de
sa mère. En 1873, gagnant fort bien sa vie, il se marie
avec une Danoise qui lui donne des enfants et… des
soucis. Il collectionne les tableaux impressionnistes et,
sur les conseils de Pissarro, se met lui-même à la
peinture. Un premier paysage, accepté au Salon de
1876, connaît déjà un beau succès. Sa vocation
tardive devient toute sa vie : le peintre abandonne
son travail lucratif et sa famille !

Pause à Pont-Aven
Gauguin ne tient pas en place ! Ses escapades à
Rouen (1884) et au Danemark (1887) sont
entrecoupées d’escales bretonnes. À l’automne 1888,
après un séjour tumultueux auprès de Vincent Van
Gogh à Arles, le peintre retourne en Bretagne. C’est à
n’en pas douter dans cette région qu’est né le peintre
Gauguin. Les touristes encombrent déjà les rues de
Pont-Aven, aussi se retire-t-il au Pouldu, dans une
auberge au bord de la mer, face au large, de 1889 à
1890.

Son style et son influence font naître l’école de Pont-


Aven. De ses séjours intermittents, celui de juin à
octobre 1888, avec Émile Bernard et sa sœur
Madeleine, est décisif. De cette époque date La Vision
après le sermon, étape importante de la modernité,
où l’inspiration mêle les estampes japonaises et les
calvaires bretons. Élève de l’académie Julian, un
certain Sérusier peint sous la direction de Gauguin et
sur le couvercle d’une boîte de cigares le tableau culte
de toute une génération d’artistes, celle des nabis : Le
Paysage du bois d’Amour. Tous les ouvrages d’art
citent le légendaire commentaire : « des couleurs
pures en un certain ordre assemblées » !

Des errances
Gauguin retrouve à nouveau son instinct d’errance
vers des cieux plus lointains. Comme l’avion et le club
Med ne sont pas encore inventés, aller à la
Martinique, avec son grand ami Charles Laval (1887)
ou à Tahiti (1891-1893) constituent de véritables
équipées. Entre ces voyages, il fréquente les cercles
symbolistes parisiens, avant de retourner à Tahiti de
1895 à 1901.

Gauguin cryptozoologue
Françoise Dumont, conservateur du musée
d’Art moderne et d’art contemporain de Liège
en Belgique, Jean-Jacques Barloy, ornithologue,
et Michel Raynal, cryptozoologue (étude des
espèces inconnues) se trouvent un point
commun dans leurs disciplines en Gauguin. Le
peintre passe les dernières années de sa vie
dans l’île de Tahiti où il donne en 1902 Le
Sorcier d’Hiva-Oa, ou Le Marquisien à la cape
rouge. Gauguin peint dans un angle de son
tableau un chien attrapant un volatile. Nos
spécialistes s’interrogent sur la présence de
cet oiseau mystérieux pas encore classifié aux
Marquises. La toile de Gauguin apporte peut-
être aussi la cause de la raréfaction, sinon de
la disparition de cet oiseau aptère, c’est-à-dire
sans ailes. Trouver une trace de cet oiseau
inconnu fort recherché est moins spectaculaire
que d’avoir la preuve de l’existence du yéti,
mais cela est presque aussi extraordinaire
pour nos scientifiques. L’art trouve donc
parfois une utilité à laquelle on ne s’attendait
pas.

Tahiti, c’est fini !


Quand Gauguin arrive à Tahiti (voir Figure 45),
malade et déprimé, l’art tahitien est bien moribond.
Les missionnaires sont passés par là et ont renversé
les tikis, les statues sacrées. Le peintre va en sauver
l’esprit et y puiser un renouvellement de couleurs et
de sensations pour l’art moderne. De cette époque
date son chef-d’œuvre D’où venons-nous ? Que
sommes-nous ? Où allons-nous ?

Soutenu par quelques amis comme Gustave Fayet,
l’artiste sort de la gêne financière mais pas des
tracasseries de l’administration et des autorités
religieuses, jusqu’à sa mort aux Marquises dans l’île
d’Hiva-Oa, le 8 mai 1903. Un nouveau destin
posthume l’attend, grâce au peintre Georges Daniel
de Monfreid (1856-1929), le père de l’écrivain
aventurier. Ami fidèle, bailleur de fonds et confident, il
contribue en tant qu’exécuteur testamentaire à faire
connaître l’œuvre de Gauguin.

Des faux airs de


Gauguin ?
L’un des premiers disciples, Charles Laval
(1861-1894), voyage et manie la pelle et la
pioche avec Gauguin. Les travaux forcés, ça
crée des liens : tous deux se retrouvent au
Panama en train de creuser le canal avant de
rejoindre la Martinique. Laval épouse
Madeleine, la sœur d’Émile Bernard, pour
laquelle Gauguin éprouve un penchant. Elle
l’accompagne au Caire, soigne sa tuberculose,
dont l’artiste meurt en 1894. Elle-même
l’attrape et décède en 1895. L’œuvre de Laval,
peu nombreuse car il était perfectionniste, est
mise aux enchères à sa mort. De bons esprits,
historiens d’art et commissaires-priseurs,
pensent qu’elle figure à l’heure actuelle
frauduleusement sous la signature de Gauguin.

Merci Bernard

L’œuvre d’Émile Bernard (1868-1941) a eu de


nombreux aspects : orientaliste, réaliste, symboliste.
Entré en 1884 à l’académie Cormon où il rencontre
Toulouse-Lautrec et Van Gogh, le peintre est renvoyé
en 1886 ! Pour se consoler, il fait un voyage en
Bretagne, alors véritable terre d’accueil des artistes. Il
expérimente différentes techniques, impressionnisme
ou pointillisme, et rêve d’introduire le symbolisme en
peinture. Imprégné de mysticisme, l’artiste cloisonne
ses plans colorés comme en vitrail. Gauguin s’inspire
de son travail et fait de la gravure avec lui.

On retient son nom surtout pour ses écrits et sa
correspondance avec de nombreux artistes, une
source importante d’informations pour les historiens
de l’art. Hélas, Émile Bernard n’occupe absolument
pas la place qu’il mérite dans l’art français,
notamment pour son œuvre tardive. À redécouvrir.

Le penseur et la vague : Rodin et Camille


Claudel

Auguste Rodin (1840-1917) est un bon exemple du


génie allié au travail. Il se forme avec Barye, le
sculpteur animalier, et avec Albert Carrier-Belleuse
(1824-1887), le sculpteur des femmes-fleurs. Enfant
du peuple, il confie : « La nécessité de vivre m’a fait
apprendre toutes les parties de mon métier. J’ai fait la
mise au point, dégrossi des marbres, des pierres, des
ornements, des bijoux chez un orfèvre. »

Le maître ne sait pas résister au charme féminin : il
séduit et se laisse séduire. Il a une relation
tumultueuse avec son élève Camille Claudel (1864-
1943), la sœur du poète Paul Claudel. Cette femme
sculpteur voit, ces dernières années, son œuvre
revenir au premier plan.

L’homme dans tous ses états


Rodin se fait remarquer des critiques par l’Homme au
nez cassé (1864), puis, au fil du temps, par de
nombreux bustes de célébrités comme Antonin Proust,
ministre des Beaux-arts en 1881 (c’est-à-dire ministre
de la Culture bien avant Malraux), du sculpteur Dalou
ou de Victor Hugo.

Le Penseur
En 1877, Le Vaincu est présenté au Salon de 1880
sous le titre de L’Âge d’airain. En 1900, la version en
plâtre devient L’Homme qui s’éveille. Cette œuvre
déclenche un premier scandale. Le modelé est si bien
fait, l’œuvre si vivante, que le public ne croit pas à
une sculpture mais à un moulage.

L’œuvre de sa vie doit être une porte monumentale
commandée par l’État pour une salle du musée des
Arts décoratifs. Le sujet est inspiré de « L’Enfer » de
Dante. Rodin, tel Michel-Ange dont il puise la vigueur
du modelé, crée divers groupes mais l’œuvre
définitive ne voit jamais le jour. Chacun de ces
fragments est une sculpture particulière : Ugolin et
ses enfants, Francesca et Paolo de Rimini qui, réalisé
en marbre, devient Le Baiser, et surtout Le Penseur
(voir Figure 49), statue exposée un moment devant
le Panthéon puis transportée au musée Rodin.

Le bourreau de travail
Rodin s’occupe dans le même temps de trois
monuments :
pour Calais en 1895, le groupe des Bourgeois, où chaque
figure est campée dans une attitude originale ;
la statue du peintre Bastien Lepage pour la ville de
Damvillers en 1889 ;
la statue du peintre Claude Gellée dit le Lorrain pour Nancy
en 1892.
De 1890 à 1900, trois autres monuments sont
destinés au continent américain, dont la statue du
général Lynch pour les États-Unis. À côté de ces
prestigieuses commandes, Rodin n’échappe pas à la
polémique comme avec la statue de Balzac,
commandée par la Société des gens de lettres et
finalement refusée. Pendant l’Exposition universelle
de 1900 à Paris, Rodin fait construire un pavillon où il
expose plus de 200 œuvres ! En 1906, il renvoie son
secrétaire, le grand écrivain autrichien Rainer Maria
Rilke (1875-1926) qui appelle Rodin « le maître
inépuisable ». Pas rancunier, Rilke reste son ami et lui
conseille de louer l’hôtel Biron, près des Invalides,
devenu l’actuel musée Rodin.

La passion selon Camille : de


l’incompréhension à la folie

L’écrivain Octave Mirbeau disait qu’elle avait du


génie. Le sculpteur Camille Claudel (1864-1943) a su
se libérer de l’influence de Rodin pour donner avec
Les Causeuses ou La Vague une œuvre puissante et
originale. Ses études d’après nature savent se hisser
jusqu’au plus pur symbolisme.

Entrée dans l’atelier de Rodin, elle est la proie d’une
douloureuse passion pour lui qui est à l’origine de ses
œuvres les plus poignantes. L’artiste entend
poursuivre la sculpture là où Michel-Ange l’a laissée !
Son talent l’amène à traiter des matériaux que n’ose
aborder son maître, tel l’onyx. L’année 1892 marque
un tournant dans leur relation passionnelle et dans
son art, dont l’originalité est jalousée et incomprise.
Débute alors une lente déchéance vers la folie qui
l’envahit définitivement à partir de 1906. Elle rejoint
le panthéon des artistes géniaux et maudits, après
avoir créé des œuvres éternelles comme L’Abandon ou
L’Âge mûr, et survécu dans certaines sculptures de
Rodin, pour lesquelles elle a posé. Isabelle Adjani, qui
a avec le sculpteur une ressemblance frappante,
donne au cinéma une remarquable interprétation de
l’artiste.
Cinquième partie

L’aventure continue : du
début du XXe siècle à nos
jours

Dans cette partie…



Au travers de ses nombreux courants artistiques, le XXe siècle
semble poser une question centrale : les limites entre chaque
domaine des beaux-arts – peinture, sculpture, architecture – ne
méritent-elles pas d’être repoussées ? Les critiques parlent par
exemple de « sculpture étendue ». Non pas étalée par terre
(quoique…) mais au sens où cet art ne se réduit plus à des
techniques traditionnelles comme le moulage ou la taille
directe. De l’Héraclès archer de Bourdelle ou des nus de Maillol
à L’Homme qui marche de Giacometti ou plus radicalement au
ready-made de Duchamp, l’art devient un défi aux conventions,
tourne le dos à la figuration, utilise tous les matériaux et n’a de
cesse d’envahir l’espace. Attendez-vous à bien des surprises !
Chapitre 18

D’art et d’essais : le temps


des avant-gardes (1905-
1914)

Dans ce chapitre :
Des fauves en liberté
Des artistes qui jouent aux cubes
Un bateau en plein Paris
De la sculpture comme dessin dans tous les sens
Wright, un architecte magicien

L’art moderne surgit au début du XXe siècle avec une


série d’avant-gardes qui opèrent de grandes ruptures.
Cependant, ces ruptures ne se font pas n’importe
comment, elles s’intègrent dans le long chemin de
l’histoire de l’art. Ainsi Georges Duthuit, critique d’art
et gendre de Matisse, dit qu’on ne peut pas
comprendre la peinture de ce peintre et des fauves
sans avoir assimilé l’art byzantin. Les peintres
cubistes, eux, admirent Francisco de Zurbarán ou Paul
Cézanne, et poussent plus avant leur géométrisation
des formes. En sculpture et en architecture, les
recherches mènent à une simplification et une
spiritualisation des œuvres.
Quand les fauves s’exposent

Mouvement du début du siècle, le fauvisme pratique


la simplification des formes et des perspectives, la
juxtaposition des tons et couleurs purs avec une
prédilection pour le rouge. Il n’en reste pas moins
fidèle aux genres traditionnels que sont la nature
morte, le portrait ou le paysage. L’abandon du relief
et des ombres amène nombre des artistes de ce
courant à pratiquer l’art du vitrail, véritable éloge de
la lumière et des couleurs.
On compte parmi eux Henri Matisse, André Derain,
Albert Marquet, Georges Rouault, Kees Van Dongen, et
le Douanier Rousseau. On se croirait au musée de
l’Ermitage à Saint-Pétersbourg où l’abondance des
toiles françaises signées de ces noms suscitent
toujours l’étonnement des touristes. Même si Louis
Valtat (1869-1952) a une influence trop oubliée sur
beaucoup d’eux, et en particulier sur Matisse, c’est
cependant ce dernier qui fait figure de chef de file du
mouvement.

En piste !
En peinture, le XXe siècle débute très
précisément le 17 octobre 1905 ! Ce jour-là, le
Gil Blas, une feuille républicaine littéraire et
mondaine—toute ressemblance avec des
journaux actuels est un hasard — fait paraître
un bien ironique compte-rendu du dernier
Salon d’automne. Son auteur, le journaliste
Louis Vauxcelles, décrit ce qu’on voyait dans la
salle VII sous la verrière du Grand Palais : « Au
centre de la salle, un torse d’enfant et un petit
buste en marbre, d’Albert Marque qui modèle
avec une science délicate. La candeur de ces
bustes surprend au milieu de l’orgie des tons
purs : Donatello chez les fauves. »

Dans la grande tradition du critique inventeur
malgré lui, Vauxcelles, qui n’est plus connu
que pour ce bon mot (et un autre que l’on
verra plus bas), avoue qu’il a entendu la
blague d’un visiteur inconnu. Le mouvement et
le nom sont alors lancés : en piste !

D’un ton rougissant : Matisse


Le peintre Matisse est né en 1869 au Cateau-
Cambrésis où il a un musée et est décédé en 1964 à
Nice où il a un autre musée : il ne se doutait
certainement pas qu’il serait tant « à musée » après
sa mort. Il fait des séjours au Maroc qui lui inspire sa
série des Odalisques, dont L’Odalisque à la culotte
rouge (voir Figure 50), et des Intérieurs lumineux. Un
moyen de comprendre Matisse est de regarder les
œuvres qu’il achète malgré des finances modestes :
des estampes japonaises (on pouvait encore en
trouver pour pas trop cher), une étude de Cézanne,
une Tête de garçon de Gauguin et un plâtre de Rodin.
L’art oriental apparaît radicalement autre ; sans avion
et sans télé, le Japon est alors véritablement une
autre planète.

Papiers gouachés très réussis
Duthuit est byzantinologue, spécialiste de l’art
byzantin. Imaginez la tête de la maman à qui son
fiston dit : « Plus tard je serai byzantinologue ! » Il
compare judicieusement l’Intérieur aux aubergines
(1911) de Matisse avec l’Apparition de saint Marc à
Venise (vers 1340), dont les taches et formes donnent
le même résultat sur les grandes nappes colorées. Le
motif et les couleurs prédominent sur le relief, avec
une disparition des ombres. Le maître s’intéresse en
effet aux autres traditions artistiques que celles de
l’Occident, comme l’art musulman, dont La Danse
(1911) avec la guirlande des danseuses, par ses
arabesques harmonieuses, en est l’exemple parfait. La
même interrogation sur l’art sacré le conduit à
décorer entièrement la chapelle de Vence. Toujours en
quête, il se tourne à la fin de sa vie vers des collages
de papier gouaché.

Cyprès du miracle
« Les idées ne suffisent pas, il faut le miracle »,
s’exclame André Derain (1880-1954), peintre, graveur
et sculpteur, qui aura foi en ce qu’il fait toute sa vie. À
l’académie Carrière, il rencontre Maurice de Vlaminck
(1876-1958) et Matisse. Ensemble ils se tournent vers
le fauvisme. L’artiste est aussi avec Georges Braque
et Pablo Picasso un des découvreurs de « l’art tribal »,
appelé aujourd’hui « l’art premier ». Ami de Guillaume
Apollinaire (qui connaissait tout le monde), Derain
illustre les récits de L’Enchanteur pourrissant. Jusqu’à
la Première Guerre mondiale, le peintre est de toutes
les expériences artistiques, avant de se tourner
ensuite vers une peinture figurative où il fait chanter
la couleur dans des toiles simples, comme déjà dans
Les Cyprès (1905).
Un fauve en cave : Rouault

Georges Rouault (1871-1958) voit le jour à Paris, enfin


façon de parler, car il naît dans une cave à Belleville
pendant la « semaine sanglante » de la Commune de
Paris (21-27 mai 1871) ! De l’extérieur proviennent les
bruits des combats et passe un unique rai de lumière.
Le peintre dit que c’est ce souvenir qui apparaît dans
certaines de ses toiles. Son solide talent de
dessinateur provient de son maître Gustave Moreau,
dont il sera d’ailleurs le premier conservateur des
collections léguées à l’État. Si l’artiste reste à l’écart
du fauvisme au sens strict, son œuvre en est pourtant
une des meilleures illustrations, avec toutefois des
différences, notamment dans son utilisation des
couleurs sombres et sa volonté moralisatrice. Rouault
peint par touches brillantes en couches superposées
et, d’un trait noir, cerne les figures, faisant ainsi
d’autant mieux resplendir la couleur, en souvenir du
vitrail médiéval.

Fréquentant l’abbaye de Ligugé, Rouault fait de
nombreuses toiles à sujets religieux comme des Ecce
homo, « voici l’homme », expression utilisée par
Ponce Pilate pour présenter le Christ à la foule. Peut-
être parce qu’il se sent lui-même proche de la fin, le
peintre fait le bilan de son travail à 67 ans. Comme
certaines de ses œuvres lui apparaissent imparfaites,
il intente une action en justice contre les héritiers de
son marchand de tableaux, le célèbre Ambroise
Vollard, pour les récupérer.

Un procès retentissant (1939-1947) fait jurisprudence
dans la démonstration de la liberté de l’artiste par
rapport à son œuvre. Une fois ses 300 tableaux
récupérés, pensez-vous que Rouault les modifie,
comme d’habitude les peintres font des repentirs, des
retouches sur leurs toiles ? Eh bien, non, il les détruit !
Un coup à déclencher un infarctus chez un
commissaire-priseur !

La modernité entre en fraude avec le


Douanier
Au fameux Salon d’automne de 1905, le naïf Douanier
Rousseau (1844-1910) expose sa toile Le Lion ayant
faim, qui est peut-être à l’origine du terme fauvisme.
Mais en peignant ce qu’il croit voir, Henri Rousseau
n’est ni douanier, ni naïf. Son art modeste
d’autodidacte est salué par ses contemporains qui
voient en lui un exemple d’artiste affranchi de la
tradition.

Un peintre du dimanche
Le Douanier Rousseau doit son surnom à son travail à
la barrière de l’octroi, où il est chargé de percevoir la
taxe sur les marchandises entrant dans Paris. Le
peintre est dit « naïf », car il est à la rencontre de
deux courants :

les arts et traditions populaires des peintres


d’enseignes, d’ex-voto (on a longtemps dit
« peinture d’ex-voto » pour désigner une croûte),
des artisans sans aucune prétention ;
les peintres populaires du dimanche, style
chevreuils dans les sous-bois et place du Tertre à
Montmartre.

Rousseau a tellement foi en son talent qu’il prend sa


retraite à 49 ans pour se consacrer entièrement à son
art.

Reçu à l’Élysée
Le poète Apollinaire le lance dans le monde de l’art et
toute la jeune génération d’artistes, un peu blagueurs,
est alors invitée chez le Douanier. Cependant, il
pouvait aussi se moquer des moqueurs. Ses nouveaux
amis lui font croire qu’il est invité à l’Élysée. Quand
les farceurs lui demandent comment cela s’est passé,
il raconte malicieusement son aventure : « Quand je
suis arrivé, le Président était en discussion avec de
hautes personnalités. Il est sorti pour me dire en me
tapant gentiment sur l’épaule : « Mon vieux Rousseau,
tu n’es pas en tenue pour rentrer à l’Élysée. Mais ne
t’inquiète pas, j’aime bien ce que tu peins. » »

Il faut voir de lui Moi-même portrait-paysage (1890),
Le Rêve (1910), où, en plus d’une authentique vision
personnelle, la végétation des serres du Jardin des
Plantes devient grandiose, ainsi que La Charmeuse de
serpents (1907, voir Figure 54) qui revisite le thème
symboliste de la femme et du serpent.

Boronali : le coup de
l’âne
Au Salon de 1910, une marine plutôt
intéressante est exposée. Le Bénézit, l’ouvrage
de référence par excellence, le gigantesque
répertoire des artistes de tous les pays et de
tous les temps, donne le nom du créateur,
Boronali, qui réussit à la vendre 400 francs-or
quand un Dufy vaut deux pièces de cent sous.

Qui est ce Boronali ? L’écrivain Roland
Dorgelès fournit la réponse dans son livre
Bouquet de Bohème : « Je songeais bien à
lancer un peintre imaginaire, mais ce n’est
encore qu’un projet confus. Il me manquait
l’essentiel : une trouvaille, une mystification,
une blague énorme, qui rangerait d’un seul
coup les rieurs de mon côté. Brusquement,
sans chercher, cela me vint à l’esprit : faire
peindre un animal ! ». Le père Frédé, le patron
du cabaret Le Lapin agile possède un âne.
Parfait, pas besoin de dressage comme pour
un chien savant ! L’âne des fables s’appelant
Aliboron, l’anagramme (la recomposition des
lettres) fournit le nom : Boronali, avec un air
italien qui en fait un parfait futuriste. Le
canular atteint le grandiose avec le
« Manifeste de l’école excessiviste » qui fleure
bon le pastiche de Marinetti, le chef de file du
mouvement futuriste : « Holà grands peintres
excessifs, mes frères. Holà ! pinceaux
rénovateurs. Brisons la palette archaïque et
posons les principes de la peinture de demain.
Notre formule sera l’excessivisme. L’excès en
art est une force [ça, c’est superbe !]. Le soleil
n’est jamais trop ardent, le ciel trop vert, la
mer trop rouge. Place au génie de
l’éblouissement ! Dévastons les musées,
piétinons les routines, faisons un feu de joie
avec les chefs-d’œuvre […] Réchauffons l’art
dans l’étreinte de nos bras fumants ! »

Évidemment, les bernés refuseraient de croire
au coup de l’âne. Donc il faut aller chercher un
huissier pour un constat « à la fois zoologique
et pictural ». La scène vaut le déplacement. On
attache un pinceau à la queue de l’âne Lolo
qui, gavé de choux et de carottes, manifeste
son contentement en agitant son appendice
caudal. Il termine même en musique puisque
le père Frédé se met à la guitare pour
l’encourager. Et c’est ainsi que naît Et le soleil
s’endormit sur l’Adriatique. On voit même une
chose encore plus extraordinaire à
Montmartre : l’huissier paye sa tournée.

Forcer le trait : l’expressionnisme

L’influence des fauves se fait aussi sentir en dehors


de la France, sur le mouvement allemand en
particulier. L’expressionnisme est un courant qui se
développe dans les pays germaniques, surtout en
Allemagne, de 1900 à 1925. Il met en avant la
subjectivité, donc la sensibilité individuelle, en
réaction à la transcription objective des
impressionnistes. Parmi les inspirateurs de ce
mouvement figure en bonne place le peintre
norvégien Edvard Munch.

Du dernier cri : Munch


Venu d’un impressionnisme mâtiné de symbolisme,
Edvard Munch (1863-1944) se crée un style particulier
qu’on pourrait qualifier d’expressionniste. Son œuvre
plonge ses racines dans les thèmes décadents du
symbolisme, en particulier la peur morbide de la
femme, comme elle est exprimée dans Vampire
(1893).

Munch expose en 1889 à Oslo 110 œuvres, avant un
séjour à Paris jusqu’en 1892 où il fréquente l’atelier de
Bonnat. Gauguin au café Volpini et l’impressionnisme
deviennent des sources d’inspiration, mais l’artiste
choisit de s’installer à Berlin. Son œuvre
caractéristique est son célèbre Cri dont il fait une
cinquantaine de versions. Un personnage sur un pont
laisse échapper un cri dont on ne connaît pas la cause
et, jusqu’au paysage, toute l’œuvre semble participer
à cette angoisse par le jeu des courbes qui convergent
vers la bouche du sujet.

Une terrible dépression frappe d’ailleurs Munch en
1905 et brise son élan. « La maladie, la folie et la mort
sont les anges noirs qui ont veillé sur mon berceau et
m’ont accompagné toute ma vie », conclura-t-il.

Célibataire endurci
En 1898, Munch rencontre une jeune fille, Tulla
Larsen, qui veut l’épouser. Le peintre refuse,
gêné qu’elle soit plus riche que lui. Un jour,
des amis viennent le prévenir de la mort de
Tulla. Munch rentre dans la chambre mortuaire
et voit le cadavre sur le lit. Brusquement la
morte se redresse ! Pensons à l’émoi de cet
artiste qui a peint La Vampire ! Tulla pensait
créer un choc salutaire chez l’artiste, en lui
faisant prendre conscience de ses sentiments.
Ben voyons ! Cris, dispute. Un coup de feu,
parti d’on ne sait où, atteint Munch à la main
gauche. Mais c’est surtout son orgueil qui est
blessé, car il ne se mariera jamais !

Une nouvelle façon de faire le pont : Die


Brücke
Les expressionnistes s’attachent aux souffrances
humaines, notamment la difficulté à vivre en ville –
déjà ! Les angoisses humaines s’expriment dans les
déformations physiques des personnages, comme
dans la caricature mais sans l’aspect humoristique.

Les artistes éprouvent aussi le désir d’aller vers
l’avenir et d’y découvrir de nouvelles possibilités : à
cet égard le nom Die Brücke, qui signifie « le pont »,
est significatif de la volonté de laisser la tradition sur
l’autre rive. Ce nom fait aussi songer à cette légende
du film muet Nosferatu (1922) de Murnau : « Après
qu’il a franchi le pont, les fantômes vinrent à sa
rencontre. »

Outre Munch, les jeunes peintres se réclament d’Emil
Nolde (1867-1956), artiste isolé dont la touche
colorée, toute en suggestion, les séduit. Les
expressionnistes découvrent également les arts
africains et océaniens dont Ernest Kirchner (1883-
1970) reprendra à loisir le thème de la femme nubile.
Le terme expressionniste leur est donné tardivement,
en 1911.

La guerre de Sezession autrichienne


Pour des gens qui admettent les recherches des
artistes cubistes ou abstraits, les œuvres de la
Sezession autrichienne sont les pires productions
« début de siècle », à ranger avec les académiques et
à vite oublier. Le public est choqué par les
déformations expressionnistes des corps représentés
dans des tons tranchés.

Mais attention, il s’agit d’une « sécession » qui a tout
de même de nombreuses passerelles vers les hautes
sphères : l’empereur d’Autriche vient visiter la
première exposition. Les commandes de mécènes ne
manquent pas, ce qui prouve que ces artistes ne sont
pas si en rupture avec leurs origines qu’une pieuse
légende dorée pourrait le faire croire.

Les peintres autrichiens Egon Schiele et Oskar
Kokoschka sont les deux plus importants de ce
mouvement, avec Gustav Klimt.

Vienne 1900
Les œuvres du décorateur et peintre Gustav Klimt
(1862-1918) sont typiques de la Sezession viennoise,
de ce que les Français et les Belges appellent l’art
nouveau, les Allemands Modern Stil et les Autrichiens
Jugendstil, alors que les Américains n’appellent pas
mais achètent. Dans les années 1960, quand le
musée de Strasbourg achète les dessins préparatoires
de Klimt à la frise du palais Stoclet de Bruxelles, c’est
un tollé en France. Cette œuvre passait encore pour le
sommet du mauvais goût et du kitsch !

Le travail de l’artiste plonge ses racines dans la
Vienne 1900 sur laquelle règnent les dieux jumeaux
Éros et Thanatos, l’amour et la mort : le lourd
manteau d’or qui enveloppe le couple enlacé dans le
Baiser provient des églises baroques, où les
squelettes des saints portent le même. Les fins de
siècles se ressemblent, les débuts de siècles aussi :
peut-être est-ce pour cela que l’œuvre de Klimt est si
populaire à l’heure actuelle.

Interdit aux mineurs : Schiele

À la mort de Klimt, c’est Egon Schiele (1890-1918) qui


devient la figure de proue de l’avant-garde viennoise.
Apparaît alors vraiment le style expressionniste des
corps contorsionnés aux vêtements multicolores, avec
la touche propre à l’artiste qui ajoute des mains
disproportionnées ou des yeux exorbités. Le scandale
se met de la partie quand Schiele est condamné à
trois semaines de prison pour avoir laissé une mineure
voir ses œuvres. Le juge ordonne même qu’un dessin
soit brûlé dans la salle du tribunal !

Proche de ce style, il y a Kokoschka. Mais si la vie de
Schiele est brève et intense, celle de Kokoschka, de
1886 à 1980, est intense et longue, peuplée
d’activités diverses. Iil est à la fois peintre et auteur
de théâtre, professeur à l’Académie de Dresde et
voyageur.

Vienne décadente
Planent sur cette fin de l’Autriche-Hongrie les
dieux jumeaux Éros et Thanatos. Ce n’est pas
pour rien que la psychanalyse est née à
Vienne ! Freud installe son cabinet au loyer
bien au-dessus de ses moyens dans un
immeuble bâti sur l’emplacement du
Burgtheater détruit par un incendie en 1881.
La ville s’est profondément émue de cette
catastrophe qui a frappé la haute société
viennoise. L’impératrice d’Autriche Elisabeth,
dite Sissi, meurt assassinée par un désespéré
de la société. Surnommée « l’impératrice de la
solitude », elle est la plus belle femme
d’Europe, une des plus torturées moralement
aussi : anorexique, épuisant toute sa suite
dans de longues courses en montagne,
entourée d’amoureux, de malheurs et de
drames, comme la mort étrange de son fils à
Mayerling. Nous sommes bien loin de
l’interprétation de Romy Schneider dans le
célèbre film !

Dans la toile de Klimt La Mort et la Vie, un
squelette ricanant veille et observe, tel qu’un
ange de la mort le ferait sur l’impératrice et
son empire. Lors de la première rencontre avec
le peintre, l’impératrice fait des anneaux. Elle
est vêtue d’une robe de soie noire à longue
queue, ornée de plumes d’autruche, noires
elles aussi. « Suspendue aux cordes, elle
faisait un effet fantastique, comme d’un être
entre l’oiseau et le serpent », spectacle qui
évoque Le Péché de Franz von Stuck, chef de
la sécession munichoise, ou bien L’Idole de la
perversité de Jean Delville, un autre peintre
symboliste et décadent.

Toutes ces femmes cruelles et fatales peuplent
l’art, Judith, Hérodiade souvent confondue
avec sa fille Salomé. L’affiche de Klimt pour la
première exposition de la sécession viennoise
de 1898 montre un Thésée nu et athlétique qui
tue le Minotaure. La censure exige que la
nudité du héros grec soit couverte, ce qui est
astucieusement fait. Éros rhabillé, Thanatos le
dieu de la mort va régner sans partage à partir
d’août 1914.

Adultes, ils jouent encore aux cubes !

En France, des peintres comme Picasso et Braque sont


fascinés par l’utilisation des couleurs chez les fauves.
Ils n’ont cependant pas renoncé au volume, et la
redécouverte de l’œuvre de Cézanne après sa mort en
1906 va leur montrer la voie. Souvenez-vous de
l’extrait de la lettre du maître à Émile Bernard
l’exhortant à traiter la nature de façon géométrique :
Picasso et Braque vont continuer son travail et créer
le cubisme, mouvement qui est encore considéré de
nos jours par le grand public comme marquant le
départ de l’art moderne.

Alors, on se Braque ?
« M. Braque est un jeune homme fort audacieux. […]
Il méprise la forme, réduit tout, sites et figures et
maisons, à des schémas géométriques, à des cubes. »
Notre ami le critique Vauxcelles a encore frappé :
l’appellation cubisme est née !

Lorsque Georges Braque (1882-1963), peintre,
sculpteur et graveur, revient du Midi en 1908 avec ses
Maisons à l’Estaque, il essuie un refus du Salon
d’automne. Sous le parrainage d’Apollinaire, l’artiste
montre alors ses toiles à la galerie Daniel-Henry
Kahnweiler, marchand promis à un bel avenir. Cette
exposition va tout simplement être à l’origine du
mouvement cubiste.

En 1907, au Bateau-Lavoir, Braque rencontre Picasso,


avec lequel il partage ses recherches. Ils participeront
tous les deux à la première grande exposition d’art
moderne aux États-Unis, à l’Armory Show, une
armurerie de New York en 1913. Durant la Première
Guerre mondiale, Braque est mobilisé et grièvement
blessé sur le front. L’artiste est célèbre pour ses
natures mortes et ses « papiers collés », les cubistes
s’illustrant en effet par l’intégration de matières
diverses à leur peinture. Il a réalisé les vitraux de
l’église de Varengeville-sur-Mer, le tabernacle de celle
d’Assy, et également les médaillons de la salle des
Étrusques, seule décoration intérieure du XXe siècle
au Louvre.

Pas d’angle mort : Picasso


En 1852, Ingres peint une Vénus à Paphos, œuvre
remaniée et peut-être inachevée. Si le modèle pose
de trois quarts, le buste est peint de face dans une
perspective impossible. Le tout donne un portrait
précubiste qui ne peut que séduire le peintre Pablo
Picasso (1881-1973), monument sur lequel veillent
des héritiers attentifs, et pour cause, car il est de
presque toutes les révolutions picturales du siècle !
Picasso peint alors ses sujets de telle façon que leurs
angles doivent être vus de tous les côtés en même
temps.

Des demoiselles d’avant le festival

1907 est une date importante pour… la viticulture


certes, avec la révolte des vignerons du Languedoc
contre la bibine, mais aussi pour l’histoire de l’art avec
Les Demoiselles d’Avignon. C’est la première grande
toile cubiste, sous influence des arts primitifs.

Le cubisme lui-même va évoluer jusqu’à la quasi-
disparition du sujet. Picasso, pour mieux ancrer ses
travaux au réel, va y incorporer différents matériaux.
Braque et Picasso en 1907 et 1908 se voyaient tous
les jours et ont créé une sorte de symbiose. Mais si on
parle de mouvement cubiste, c’est parce qu’ils ne
sont pas restés isolés.

Toujours en mouvement
Robert Delaunay (1885-1941), Albert Gleizes (1881-
1953) et Fernand Léger (1881-1955) vont exposer au
Salon des indépendants en 1911 et se faire connaître.
Alors que Braque et Picasso sont parvenus à une
peinture presque monochrome marron et gris, le
cubisme de Léger va jouer sur les oppositions entre
couleurs et entre formes, par exemple Contraste de
formes en 1913, tout comme celui de Delaunay dans
ses combinaisons multicolores.

Le Bateau-Lavoir
L’immeuble de la rue Ravignan (place Émile-
Goudeau aujourd’hui) est construit
bizarrement à cause de la dénivellation du
terrain. Pour aller au deuxième étage sur cour,
il faut prendre un escalier et descendre un
étage depuis la rue : logique, non ? Et on
aurait voulu que les artistes respectent les
règles ! C’est au Bateau-Lavoir que nombre
d’artistes ont leur atelier au début du XXe
siècle : Picasso par exemple y loge de 1904 à
1908, et crée Les Demoiselles d’Avignon.

Le nom de bateau est dû à l’aspect étrange de
la construction, plutôt un assemblage de
poutres et de planches. Pour « lavoir », les avis
sont partagés : parce qu’il y n’a qu’un seul
robinet ? Ou parce que, comme les autres
bateaux-lavoirs, il n’a aucune chance de
voguer, les seuls à prendre le large étant les
artistes fauchés.

Rodages contre Rodin : la sculpture


Rappelez-vous, le mot fauvisme est né d’une
comparaison avec une sculpture néoclassique. Il est
intéressant de constater que l’organisateur de
l’exposition de 1905 n’a pas craint le mélange ! La
sculpture semble « retarder » sur l’évolution de la
peinture, peut-être parce que Rodin a encore une
présence écrasante : tous les sculpteurs d’Europe
viennent se former chez lui ! Ainsi Bourdelle, Maillol et
Pompon passent-ils par l’atelier du maître, pour tenter
ensuite de dépasser cette tradition qu’il incarne avec
tant de talent.

Du dessin dans tous les sens


Il était une fois à Montauban un instituteur de bonne
composition. Il surprend un jour un de ses élèves, le
petit Antoine, en train de le caricaturer. Comme il
pressent des dons exceptionnels, il l’encourage dans
sa vocation artistique.

Quel Bourdelle !
Le nom du jeune prodige ? Antoine Bourdelle (1861-
1929), qui deviendra le sculpteur du Héraclès archer
qui orna tant de nos cahiers d’écriture. Pour lui, « la
sculpture n’est pas autre chose que du dessin dans
tous les sens ». Lors de ses études à Paris, l’artiste
vend des illustrations pour ajouter quelques sous à la
pension accordée par la ville de Montauban, où il est
né en 1861, d’un père ébéniste. Le sculpteur est
toujours fier et de ses origines modestes et du métier
paternel, car il revendique la noblesse du travail et le
goût du matériau noble.

Bourdelle fait très tôt une série de sculptures sur le
compositeur allemand Beethoven qui prouve que, s’il
n’a pas encore trouvé sa voie, il connaît déjà la
musique.

Il est de toutes les tailles

Pour gagner sa vie, Bourdelle devient aussi praticien


chez Rodin de 1893 à 1904. Le praticien est la
personne chargée de tailler la pierre ou le marbre
pour réaliser une œuvre conçue auparavant par le
sculpteur. Vous ne pensiez tout de même pas que
c’était Rodin qui passait des heures à manier le ciseau
pour dégrossir un bloc ?

Son Héraclès archer lui vaut la gloire au Salon de
1909. Ses autres œuvres monumentales, le
Monument aux morts de Montceau-les-Mines comme
son Monument à Alvear à Buenos Aires (1923) ou la
Vierge à l’offrande (1919) assurent sa renommée.
Après sa mort, un certain discrédit est jeté sur son
travail jugé trop grandiloquent et, comme souvent,
l’artiste subit un temps de purgatoire avant que la
postérité ne lui rende sa juste place.

Augmenter le volume
L’artisanat est la première étape de l’art, une vérité
que confirme François Pompon. Fils d’ébéniste comme
Bourdelle, il est également praticien chez Rodin et
chez les sculpteurs les plus réputés de l’époque. En ce
début de siècle, Aristide Maillol poursuit lui aussi une
œuvre figurative avec de savantes études de
volumes.

L’artiste en Maillol
La découverte de Gauguin en 1889 ouvre de
nouveaux horizons à Aristide Maillol (1861-1944). Le
peintre tient à la fois des préraphaélites et des nabis,
avec une série de femmes de profil. Son idéal féminin
va changer de gabarit et passer de la taille 38 à la
taille 54 dans ses œuvres sculpturales visibles lors
d’une promenade au jardin des Tuileries (ce qui
prouve encore une fois que Paris est un des plus
beaux musées à ciel ouvert). Le musée que lui a
consacré son ancien modèle, Dina Vierny, est aussi à
découvrir à Paris.

C’est le Pompon !
On sait que François Pompon (1855-1933) travaille au
Sculpteur et sa Muse (1894-1895) de Rodin ou à La
Vague (1897-1902) de Camille Claudel. Dès le début
du siècle, il montre un intérêt particulier pour la
sculpture animalière, en vogue depuis Barye. Au
Jardin des Plantes, le sculpteur commence ses
modèles sur son établi portatif, avant de les
parachever dans son atelier. « C’est le mouvement qui
détermine la forme, ce que j’ai essayé de rendre, c’est
le sens du mouvement. » Ainsi, son ours est tellement
épuré que l’on dirait de l’art magique esquimau !
Représenté grandeur nature, l’Ours blanc rend célèbre
son créateur en 1922 au Salon d’automne.
Imperturbable et considérant la gloire avec modestie,
Pompon continue son œuvre jusqu’à sa mort en 1933.

Une architecture habitée


L’architecture, en matière d’innovation, n’est pas en
reste à la charnière du XIXe et du XXe siècle. Une
figure prend le pas sur toutes les autres : Franck Lloyd
Wright (1867-1959).

Lorsqu’on parle de lui, on pense Guggenheim Museum
(1943) et Maison sur la cascade (1936-1939). Il s’agit
en effet de deux des bâtiments les plus connus de
l’architecture moderne. Mais regardons mieux la date
de naissance de leur concepteur : la modernité dont il
est porteur remonte bien plus loin !

Autodidacte qui sait se conduire


Quand Wright arrive à Chicago en 1887, on est encore
en train de rebâtir la ville détruite par le grand
incendie de 1871. Un ingénieur à la vocation
d’architecte a ici des possibilités ouvertes, l’ingénieur
permettant à l’architecte de mieux comprendre les
contraintes techniques dues à l’utilisation intensive
des structures métalliques.

En 1889, à l’âge de 20 ans, Wright se construit une


demeure à Oak Park, une « maison d’architecte »
selon l’expression consacrée pour dire qu’il y inclut
certaines conceptions originales comme :

les lignes horizontales ;


l’éclairage zénithal, par le toit, solution que l’on
retrouvera dans ses autres créations et dans les
conceptions des futurs musées.

La petite maison dans la prairie


Wright veut une demeure agréable à vivre, créée pour
un habitant et pas seulement un fantasme de
technicien. Il dit bien qu’il privilégie une architecture
« pratique dans tous ses détails, l’expression
authentique d’une puissance directement appliquée à
un but ». En 1893, l’artiste s’installe à son compte et
sa première commande est la maison Winslow,
construite autour d’un arbre. Puis ce seront les
« maisons de la prairie » aux toits plats en pente
douce, aux lignes horizontales et aux verres colorés. Il
sait aussi inclure à son travail très moderne des
éléments de l’architecture néoclassique ou même
italianisante, à la Palladio.

Refuser de tenir le Paris
Certains font naître l’architecture moderne en 1894
parce que c’est l’année où Franck Lloyd Wright refuse
d’aller à l’École des beaux-arts de Paris, étape
obligatoire du cursus d’un architecte américain. C’est
peu flatteur pour notre orgueil national, mais cela
montre chez le jeune homme une certaine idée de la
libre création. Ses « maisons de la prairie » illustreront
ses théories et son savoir-faire : intégrer l’architecture
à son milieu en privilégiant l’habitat (maison Willits,
maison Fricke). Il sait se jouer des contraintes du
climat, il varie les hauteurs de plafond, il utilise de
grandes baies pour la lumière, intègre et utilise les
possibilités offertes par les nouvelles technologies
comme l’électricité.

Wright l’Enchanteur
Wright est un homme toujours capable de se remettre
en question, caractéristique de l’artiste véritable. En
1909, il quitte tout, travail et famille, pour voyager en
Europe.

Exploitation agricole
Il y rencontre toutes les avant-gardes architecturales
de l’époque. En 1910, à Berlin, il travaille sur ce qui
sera nommé le portfolio Wismuth, sorte de manifeste
dessiné de l’architecture. En 1911, l’architecte crée un
complexe qui regroupe une ferme et des habitations
pour la famille et le personnel, et qui va devenir, plus
qu’une exploitation agricole, un lieu de vie évolutif et
vivant comme une plante. Il le nomme Taliesin, du
nom du prophète celtique plus connu sous celui de
Merlin l’Enchanteur. Il sera rebâti en effet plusieurs
fois jusqu’à devenir une communauté quasi
monastique.

Franchir le mur d’Uson

Homme sachant manier le paradoxe, autre


caractéristique du véritable créateur, Wright sait
utiliser l’architecture traditionnelle, avec l’Imperial
Hotel de Tokyo (qui devait résister aux tremblements
de terre) ou des demeures de Los Angeles inspirées
des pyramides mayas. On parle à propos de ses
maisons belles, fonctionnelles et évolutives de
« maison usonienne ». Il ne s’agit pas de désigner un
lieu parfaitement insonorisé, mais d’un néologisme,
usonien, dérivé d’Usona pour United States of North
America.
Chapitre 19

Au-delà du réel : naissance


de l’abstraction (1914-1940)

Dans ce chapitre :
Déguster du blanc de blanc
Prendre la « Klee-Duchamp »
La différence entre quelques kilos de métal et un
Oiseau

Le peintre Georges Braque écrivait au poète


Guillaume Apollinaire : « La peinture est de plus en
plus proche de la poésie, maintenant que la
photographie l’a libérée du besoin de raconter une
histoire. » Peu à peu, en effet, la peinture a quitté la
traditionnelle figuration pour tendre à l’abstraction,
véritable aboutissement de la modernité au début du
siècle.

Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, Paris est la
capitale internationale des arts où tous les artistes
viennent œuvrer. On créa d’ailleurs l’expression
« école de Paris » plus pour marquer cette période
que pour désigner un style. Durant tout ce chapitre,
les styles et les expériences foisonnent !
Finie, la figuration

On pourrait presque dire que l’abstraction a existé de


tout temps : vous souvenez-vous d’Apelle et de son
concours de traits ? L’abstraction s’est vraiment
développée au XXe siècle, au point qu’elle apparaît
comme une de ses caractéristiques ; elle est pourtant
née d’un lent processus de schématisation et l’étape
vers l’abstraction représentée par Turner au siècle
précédent est significative, avec Crimson Clouds où
sur un fond clair se détachent cinq traînées rouges.

Blanc de blanc
L’art du XXe siècle a eu l’équivalent d’une
attaque cérébrale et ne s’est toujours pas
remis de son Carré noir sur fond blanc ou
Quadrangle (vers 1913) et de son Carré blanc
sur fond blanc (1918). Avec Vassily Kandinsky
et Piet Mondrian, Kazimir Malevitch (1878-
1935) est le pionnier de l’art abstrait. Le
peintre parle de suprématisme pour désigner
ce courant voulant faire disparaître les formes.
À partir de 1910, il participe aux expositions de
l’avant-garde russe, celle du Valet de Carreau
en 1910 et celle dite de la Queue d’âne, en
hommage à Boronali et, sur l’invitation de
Kandinsky, à la deuxième exposition en 1912
du groupe Der Blaue Reiter. Sa peinture
monochrome atteint les limites de
l’abstraction. Il ne s’agit pas là d’un canular
mais de l’aboutissement d’une logique
artistique où le tableau n’est plus qu’une
allusion au tableau.

N’y mettre que les formes

L’œuvre d’art ne cherche plus à exprimer une


ressemblance, mais une forme, une idée ou une
sensation. La tradition veut que Kandinsky ait
découvert l’abstraction par une toile « d’une
extraordinaire beauté embrasée d’un rayonnement
intérieur », en fait une de ses propres œuvres mise à
l’envers ! Comme le physicien Newton et sa pomme,
après l’éclair de génie, ce sont des années de labeur
pour découvrir la gravitation universelle.

Déjà à l’origine du groupe Der Blaue Reiter en 1911,
Vassily Kandinsky (1866-1944), peintre d’origine russe
naturalisé allemand puis français, théorise dans son
livre Du spirituel dans l’art un événement marquant.
Le premier, il inscrit au dos d’une ses œuvres
« aquarelle abstraite » en 1910, bientôt suivi par le
Russe Malevitch et le Néerlandais Mondrian. Robert
Delaunay (1885-1941) et Frantisek Kupka (1871-
1957), symboliste et tchèque, avec une solide
formation artistique (autrement dit, pas un Tchèque
sans provision) sont aussi sur la même voie. Kupka,
par exemple, s’intéresse à ces curieux appareils qui
préfigurent le cinéma, aux noms rigolos comme le
praxinoscope ou le chronophotographe de Marey en
forme de fusil – idéal pour se faire tirer le portrait –
afin de rendre mouvement et lumière.

Klee pour s’ouvrir à l’abstraction


Au XIXe siècle, la difficulté est de faire rentrer
certaines personnalités hors pair, comme Picasso par
exemple, dans les moules préétablis des écoles
cataloguées par la critique. Symbolisme, cubisme,
expressionnisme, abstraction, le peintre suisse Paul
Klee (1879-1940) passe de l’un à l’autre avec
bonheur.

« L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible »,


déclare-t-il. Vous pourrez le citer en réponse à tous
ceux qui un jour ou l’autre vous fatigueront à répéter
dans une exposition d’art contemporain : « Ça ne
ressemble à rien. »

Le Cavalier bleu
Klee participe aux activités du groupe Der
blaue Reiter (Le Cavalier bleu), composé
notamment de Franz Marc (1880-1916),
August Macke (1887-1914) et Kandinsky. Mais
pourquoi ce nom ? Il provient de Franz Marc
qui aimait les chevaux et de Kandinsky qui
aimait les cavaliers. Le nom du mouvement
n’est donc pas dû, comme on le croit souvent,
à la toile homonyme de Kandinsky, ni de La
Tour aux chevaux bleus ou du Cheval bleu de
Franz Marc. Pourquoi des chevaux bleus ? Il
existe des chevaux et il existe du bleu ; si Dieu
a été distrait en oubliant de faire des chevaux
bleus, il est possible à l’artiste d’y remédier.

Esquisses pédagogiques
Artiste indépendant, Klee subit l’influence de l’Orient
lors d’un voyage en Tunisie en 1914. Dans son journal,
il précise : « La couleur me tient je n’ai plus besoin de
la poursuivre […] moi et la couleur ne faisons qu’un.
Je suis peintre. »

Walter Gropius, fondateur du Bauhaus, y appelle Klee
comme chargé de cours de la section tissage en 1921,
avant qu’il n’accepte la chaire de technique picturale
à Düsseldorf, dont les nazis le chasseront en 1933 en
parlant à son propos d’« art dégénéré ». Son travail
d’enseignant lui a inspiré ses Esquisses pédagogiques
de 1925, année où il rejoint le surréalisme.

Une fin dépouillée
De sa première éducation musicale – ses parents
étaient musiciens, il avait lui-même épousé une
pianiste – il a conservé le goût des comparaisons
entre la peinture et la musique, goût partagé avec
Kandinsky pour lequel un beau rouge devait sonner
comme un clairon. L’œuvre de Klee est multiforme,
monochrome ou éclatante de lumière et de couleur.
Dans ses dernières années, il intègre à sa peinture
signes, idéogrammes et chiffres, voulant faire
fusionner langage et peinture et il va vers un
dépouillement et un intérêt pour ce qui n’est pas
encore nommé « art brut ».

C’est Léger mais ça pèse


De retour de la guerre, Fernand Léger (1881-1955)
cherche aussi à créer une peinture représentative du
monde moderne sous d’autres formes figuratives.
L’artiste a détruit ses œuvres de jeunesse, « les Léger
d’avant Léger » comme il disait. C’est une position qui
se défend, même légalement depuis Rouault, chacun
étant maître de son œuvre.

La vie quotidienne
En 1904, Léger dit que le choc initial pour lui fut les 42
toiles de Cézanne exposées au Salon d’automne. À
partir de 1907, il rencontre les grands noms de la
peinture comme Delaunay, Soutine, Chagall,
Modigliani. Il a sa période cubiste mais cherche des
voies personnelles. Cependant, la grande fracture
pour toute sa génération est la Première Guerre
mondiale. Léger est mobilisé dès le 2 juillet 1914. De
cette période date la série de croquis pris sur le vif
retraçant la vie militaire. La Partie de cartes, peinte en
1917 après qu’il a été gazé, est présentée par Léger
comme le premier tableau où il a pris son sujet dans
la vie quotidienne.

Un canon de toute beauté

Léger découvre pendant la guerre la beauté de la


machine et l’importance des formes géométriques qui
ne sont parfaitement réalisées que par l’industrie
humaine. « Je fus ébloui par une culasse de 75
ouverte au soleil […] elle m’en a plus appris pour mon
évolution plastique que tous les musées du monde.
Revenu de la guerre, j’ai continué à utiliser tout ce
que j’avais senti au front. » Le rond de cette culasse
de canon se retrouve souvent dans son œuvre, par
exemple dans Les Disques (1918). La figure humaine,
que Léger réintroduit dans la peinture, est elle aussi
soumise aux formes géométriques. L’artiste inclut
dans son œuvre la mécanique, si présente dans le
monde contemporain, ainsi que des éléments
industriels comme des pans d’échafaudages, des
fragments d’architecture ou de réclames.

La grande parade
Léger pratique aussi l’art monumental de la peinture
murale, en décorant par exemple pour Le Corbusier le
pavillon de l’Esprit nouveau à l’Exposition de 1925. Le
front populaire l’amène à de grandes scènes réalistes.
Il raconte que la vue de jeunes dockers se baignant
dans le port de Marseille a déclenché « tout le reste »,
acrobates, musiciens, cyclistes. C’est aussi la dernière
vision qu’il emporte de France, puisqu’il assiste à
cette scène du pont du paquebot qui l’emmène aux
États-Unis jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre
mondiale. De retour, il donne une toile importante La
Grande Parade inspirée par le cirque, le « pays des
cercles en action » selon Léger (pensez à la culasse
de 75 de l’année 1917). À la fin de sa vie, il explore
les possibilités de la céramique à Biot, où d’ailleurs un
musée lui est consacré. Léger eut le souci de
transcrire la réalité, mais dans un style figuratif.

À chacun son dada

Selon la tradition, le mot « dada » a été trouvé au


hasard dans le dictionnaire, pour donner naissance en
1916 à Zurich au dadaïsme. C’est ainsi que quelques
personnalités comme l’écrivain Tristan Tzara (1896-
1963) et l’artiste Arp réagissent contre la guerre,
tournant l’art en dérision dans un souci d’abstraction
dépouillée.

Plusieurs cordes à son Arp


Quand le sculpteur et peintre français Jean ou Hans
Arp (1887-1966) naît à Strasbourg, l’Alsace est
allemande. Il rencontre Kandinsky à Munich et
participe au groupe Der Blaue Reiter, surtout par un
travail pictural. Puis, à Zurich, l’artiste effectue ses
tout premiers collages. Essentiellement sculpteur, il
ne cessera cependant jamais d’arpenter les routes de
la création sous d’autres formes, comme avec ses
« papiers déchirés » et une œuvre graphique
importante. « Si quelqu’un a des oreilles, qu’il voie, si
quelqu’un a des yeux, qu’il entende ! » dit-il dans
Jours effeuillés. Il participe à Paris, dans les années
d’après-guerre, aux activités du groupe surréaliste. On
peut aujourd’hui admirer ses travaux à la fondation
Arp à Clamart.

Des aquarelles en carrés et rectangles


On ne peut pas parler d’Arp sans souligner le rôle
important dans l’art moderne d’une des artistes les
plus intéressantes du moment, le peintre et sculpteur
Sophie Täuber (1889-1943), qui fut sa femme à partir
de 1922. Laissons Arp la présenter dans Jours
effeuillés : « En décembre 1915, j’ai rencontré à
Zurich Sophie Täuber qui s’était affranchie de l’art
conventionnel. Déjà en 1915, elle divise la surface de
ses aquarelles en carrés et rectangles qu’elle
juxtapose de façon horizontale et perpendiculaire. Elle
les construit comme un ouvrage de maçonnerie. Les
couleurs sont lumineuses, allant du jaune le plus cru
au rouge, ou bleu profond. »

Tourner en dérision
Déjà en 1913, Marcel Duchamp s’illustre avec
son premier ready-made, qui consiste en un
simple assemblage d’objets manufacturés, afin
de se moquer de la création artistique, déjà
sacro-sainte ! L’artiste se reconnaît dans le
dadaïsme et participe au groupe de New York
avec Man Ray et Francis Picabia, selon une
tendance plus critique.

Le dadaïsme est bref, mais sa descendance
féconde. Tzara dissout formellement le groupe
en 1922. De sa rencontre avec Philippe
Soupault et André Breton et de l’éclatement du
groupe dadaïste surgit le surréalisme.

Si quelqu’un a su incarner dada et rester fidèle
à son esprit anti-tout – et même anti-dada – ce
fut bien Picabia. Il faut pour s’en convaincre
lire les pamphlets mordants et savoureux de
sa revue 391.

Enfin capitale : l’école de Paris

L’expression « école de Paris » a été inventée dans les


années 1920 par André Warnod (1885-1960), critique
d’art au Figaro, pour baptiser un groupe informel de
peintres vivant dans la capitale autour de la Ruche à
Montparnasse et du Bateau-Lavoir à Montmartre. Il
s’agit en effet plus d’une période que d’un
mouvement.

Premiers de la classe
Sur ces années de création fertile, de nombreux
artistes arrivent de tous les horizons géographiques :
du Japon (Léonard Foujita) à la Biélorussie (Chaïm
Soutine) en passant par la Bulgarie (Jules Pascin) et
l’Italie (Amedeo Modigliani). On y trouve encore
d’autres noms très connus tels Kees Van Dongen,
Marc Chagall, Ossip Zadkine, Moïse Kisling, Juan Gris,
Piet Mondrian et Pablo Picasso (qui décidément est à
classer partout).

En somme, du début du siècle à la fin des années


1930, cette école contribue à faire de Paris la capitale
mondiale des arts. L’intérêt de cette « école » est
d’avoir été ouverte à toutes les expériences et à
toutes les recherches ayant marqué l’art du siècle.

Voir Paris et mourir
Amedeo Modigliani (1884-1920) a une réputation
tragique d’artiste maudit. Pour le romanesque, notez
que son grand amour Jeanne Hébuterne se suicide le
lendemain de sa mort. En 1906, après avoir étudié les
beaux-arts en Italie, l’artiste s’installe à Paris et, dès
1908, expose au Salon des indépendants avec les
fauves. Sa première exposition à la galerie Berthe Weil
est fermée pour « outrage à la pudeur ».

Modigliani est aussi sculpteur, avec des œuvres aux
visages allongés à l’ovale pur. On y voit l’influence de
l’art africain baoulé pour le travail en grands pans
lisses ; dans ces portraits de femmes à longs cous, n’y
a-t-il pas aussi quelques souvenirs de l’art khmer ?

De fort beaux bois
Le cubisme influence aussi les sculpteurs de l’école de
Paris. Les Russes Alexander Archipenko (1887-1964),
Ossip Zadkine (1890-1967) et le Lituanien Jacques
Lipchitz (1891-1973) appliquent les principes de
Braque et de Picasso à leur œuvre tridimensionnelle.
Zadkine montre bien comment la tradition, chez lui la
sculpture romane, peut vivifier la création avant-
gardiste. Son atelier de la rue d’Assas a été
transformé en musée, ainsi que celui des Arques, dans
le Lot, où sont exposés de fort beaux bois, comme La
Ville détruite (1947-1954).

Chagall rit
Né en Russie, Marc Chagall (1889-1985) s’installe en
France en 1910. Mobilisé dans son pays, il sera après
la révolution d’Octobre un temps commissaire du
peuple aux Beaux-arts. Sa source d’inspiration est la
tradition et le folklore juif, marquant son œuvre au
coin du merveilleux poétique. Le charme coloré de son
travail lui valut des commandes prestigieuses, tels le
siège de l’ONU à New York, le Parlement israélien.

L’académique Jules-Eugène Lenepveu (1819-1898) n’a
pas eu de chance, car ce sont ses principaux travaux,
l’escalier Daru du Louvre et son plafond de l’Opéra,
qui ont été recouverts ! Malraux, en 1964, commande
en effet à Chagall un plafond pour l’Opéra Garnier.
Celui-ci y représente neuf ballets et opéras, comme La
Flûte enchantée de Mozart ou Roméo et Juliette de
Berlioz.

On raconte à ce propos une anecdote amusante sur le


peintre, qui a le mérite de souligner sa modestie.
Chagall descend de son échafaudage et va déjeuner
dans un bistrot du quartier, comme il en existait
encore à l’époque. À midi, le petit peuple parisien
d’employés et de prolos vient y déjeuner. Chagall et
son fils s’installent à côté d’ouvriers. La blouse pleine
de taches, il est pris pour un peintre en bâtiment et
l’un d’eux lui demande : « Tu fais un chantier par
ici ? » Et Chagall de répondre : « Je refais un plafond. »

Un artiste qui tombe à pic : Picabia


Le père de Francis Picabia (1879-1953), consul de
Cuba en France, envoie un jour au Salon des artistes
français une toile de son fils intitulée Vue de
Martigues. Non seulement celle-ci est reçue, mais
également primée. Picabia s’inscrit alors à l’École des
arts décoratifs, fréquente l’École du Louvre et
l’Académie Humbert, où il a comme condisciples Marie
Laurencin et Georges Braque.

La peinture impressionniste lui est révélée par Sisley
et Pissarro en 1897-1898. Il y excelle et sa première
exposition en 1905 est un triomphe. Mais il sait ne pas
s’enfermer dans un genre.

Attrape-moi si tu peux !

Plus jeune, Picabia répond à son grand-père, un


passionné qui lui affirme que la photographie
remplacerait la peinture : « On pourra tout
photographier mais pas les idées que j’ai dans la
tête. » Et des idées et des convictions, il en a
quelques-unes ! Une fortune personnelle l’aide à
pouvoir les développer. L’abstraction est une façon
d’illustrer ces idées impossibles à photographier. Sa
rencontre avec Duchamp vers 1911 est décisive pour
sa propre inspiration. Avant la guerre de 1914, il fait
un séjour aux États-Unis, où il est accueilli en
représentant de l’avant-garde européenne. Fasciné
par les couleurs et le rythme des villes américaines, il
peint à son retour de grandes toiles comme Catch as
catch can (Attrape comme tu peux), le nom d’une
lutte-spectacle qui eut son heure de gloire.

Orage mécanique
Picabia déclare à ce moment : « New York est la seule
ville cubiste au monde, la cité futuriste. Elle exprime
la pensée moderne dans son architecture, sa vie, son
esprit. » Cet attrait pour la modernité symbolisée par
la mécanique et la vitesse aboutissent à la
reproduction d’épures techniques comme Voilà la
femme (1915) et Voilà la fille née sans mère. Picabia
peut en même temps présenter ses recherches
abstraites avec Volucelle, pur jeu graphique, et offrir
des tableaux d’Espagnoles. Il peut passer de nus
quasiment décalqués dans des revues légères, en
précurseur de l’hyperréalisme, à des peintures
abstraites. En 1948, il participe à une exposition de la
Non-Figuration psychique avec Hans Hartung, Georges
Mathieu et Camille Bryen, un mouvement éphémère
mais qui révèle le perpétuel bouillonnement d’idées
dans lequel il vivait.

Art magique et magie de l’art : le


surréalisme
Par les temps qui courent, il n’y a rien de plus
horripilant que l’emploi commun du mot
« surréaliste » pour signifier « irréel ». Le « surréel » –
le mot surréalisme lui-même vient d’Apollinaire – est
ce qui est derrière le réel immédiat sans être du
domaine du divin (c’est une aspiration habituelle de
l’homme que de se poser ce genre de question dès
qu’il a l’estomac rempli). Pour ou contre, le XXe siècle
s’est défini à partir du surréalisme. Tous les artistes
importants ont fait partie du groupe ou ont gravité
autour.

C’est manifeste !
Les Manifestes sont des textes dont l’onde de
choc continue à agir. Le surréalisme est tout
d’abord un mouvement littéraire né après la
Première Guerre mondiale que rejoint toute
une pléiade d’artistes. L’écriture automatique,
caractéristique du mouvement, a ses racines
dans les pratiques spirites, même si l’attirail
des tables tournantes est abandonné. Leur
conception de la beauté moderne provient des
Poésies de Lautréamont (1870) : « beau
comme la rencontre sur une table de
dissection d’un parapluie et d’une machine à
coudre ». Résolument moderne, le mouvement
cherche à intégrer les dernières recherches de
la psychologie, avec la découverte de
l’inconscient à laquelle se rattache la pratique
de l’automatisme, l’exploration du rêve, la
valeur accordée au hasard et l’engagement
politique.

Le surréalisme veut modifier radicalement le
monde, il parvient en tout cas à modifier
largement notre vision de l’art. Un
rassemblement de personnalités aussi
passionnées et aussi fortes que Philippe
Soupault, Louis Aragon ou André Breton ne
pouvait que produire des étincelles. Jusqu’à la
mort de ce dernier, en octobre 1966, l’histoire
du groupe surréaliste est jalonnée de coups
d’éclat, de coups de gueule et de coups de
pied au derrière. Il y eut une véritable
Internationale surréaliste et tout l’art
contemporain en dérive plus ou moins. Art des
enfants, art des fous, arts primitifs, art naïf,
c’est le mérite de Breton que d’avoir su unifier
ces aspirations dans une vision harmonieuse
du monde, un « Art magique » pour reprendre
le titre d’un de ses derniers livres, peut-être le
plus important.

En tenue de Gala : Dalí


Le mouvement fut certainement l’école de formation
intellectuelle et artistique la plus brillante et la plus
mouvementée du siècle. Parmi les noms que l’on
rattache au surréalisme, même si leur appartenance
n’a duré qu’un temps, il y a Dalí. Il y rencontre Gala
Eluard, la femme du poète, qui ne tarde pas à le
rejoindre et à devenir sa muse.

Touche-à-tout
Peintre, sculpteur, cinéaste et écrivain espagnol,
Salvador Dalí (1904-1989) est une personnalité
décriée mais qui a fait des recherches intéressantes. Il
prouve que l’académisme n’est jamais mort : il
resurgit toujours. L’artiste touche à tout : au cinéma il
a travaillé pour Hitchcock sur les décors de La Maison
du docteur Edwards et même pour Disney en 1946 sur
le film Destino.

Il est certain qu’il eut le sens de la publicité. En 1955,
devant faire une conférence à la Sorbonne, il arrive
dans une Rolls noire et jaune remplie de choux-fleurs.
« Un chou, c’est un chou », aurait pu dire Breton qui
reprochait déjà à Dalí ses rapports avec l’art, trop
tournés vers le gain, et qui l’avait surnommé Avida
Dollars, un anagramme de Salvador Dali.

Paranoïa critique
Il appelle paranoïa critique la vieille méthode de
reproduire les images suscitées par le hasard, comme
les taches sur un mur où l’on voit un visage. Les
artistes préhistoriques savaient déjà tirer parti des
reliefs de la paroi, comme le rappelle Léonard de Vinci
dans son Traité de la peinture.

Pour que tout colle :


Ernst
Il faut se souvenir de la vague chauvine qui
suit la Première Guerre mondiale pour
apprécier à sa juste valeur la participation de
Max Ernst (1891-1976) au mouvement
français. Il invente en 1925 la technique du
frottage : une mine de graphite qui court sur
une surface quelconque laisse apparaître des
figures curieuses, assez proche de ce que
Léonard de Vinci écrivait sur l’interprétation
des taches. L’artiste crée aussi de surprenants
collages à partir de gravures animées. La
création se fait en effet à partir d’éléments
extérieurs, des gravures par exemple, pour en
faire un montage créant une œuvre originale à
partir d’éléments faits par un autre ! C’est la
même démarche que celle de Duchamp avec
son Égouttoir (voir Figure 56) qui devient une
œuvre d’art. À partir de 1934, Ernst sculpte,
s’adonnant entièrement à cet art en trois
dimensions, lui qui avait cherché à intégrer
l’espace dans ses tableaux en y incorporant
des objets, par exemple une barrière. Il fut un
temps l’époux de Peggy Guggenheim, dont le
musée à Venise est remarquable par son cadre
et ses collections. Max Ernst ne manquait pas
d’humour, il devint Satrape du Collège de
Pataphysique en 1952, ce qui est, par rapport
aux titres de Dalí, une distinction tout à fait
honorable.

Sa période surréaliste cesse à la fin des années 1930,


où ses prises de position en faveur de Franco et de
Hitler conduisent à son exclusion du mouvement. Ses
idées politiques ne l’empêchent pas de vivre aux
États-Unis de 1940 à 1948. Il a offert au grand public
une vision très édulcorée des thèmes surréalistes, de
Chirico à Ernst, mais en conservant le choc qui surgit
du rapprochement incongru entre deux objets.

Il est à craindre que sa célébrité soit plus en rapport
avec son apparition dans une pub pour le chocolat
Lanvin, que pour son talent. Être décoré par Franco de
la Croix d’Isabelle la catholique et devenir marquis de
Pubol, c’est une fin curieuse pour un artiste d’avant-
garde.

Prendre la clé Duchamp


Selon Marcel Duchamp (1887-1968), « le grand
ennemi de l’art, c’est le bon goût ». En 1912, il
présente le Nu descendant un escalier au Salon des
indépendants de Paris. Duchamp marque l’art par une
réflexion simple : c’est l’artiste qui décide de ce qui
est ou n’est pas œuvre d’art.

Made in Duchamp

La Roue de bicyclette de 1913 posée sur un tabouret


de cuisine inaugure les ready-mades. Désormais, tout
objet manufacturé peut être déclaré œuvre d’art et
une postérité trop sérieuse tarira le filon. Un simple
bidet renversé baptisé La Fontaine sera refusé à la
douane américaine et par une institution artistique à
laquelle l’artiste en fait don. Il présente ensuite La
Mariée mise à nu par ses célibataires, et en 1942 à
New York, il est parmi les organisateurs de l’exposition
surréaliste. Un de nos ready-made préférés est celui
que l’artiste offre à sa sœur en cadeau de mariage,
vivement recommandé pour son faible coût : « un
manuel de géométrie à mettre sur son balcon de sorte
que le vent tourne les pages et choisisse les
problèmes que le temps se chargerait de résoudre ».

Sacrée Kahlo !
Proche du surréalisme, Frida Kahlo est une
artiste mexicaine (1907-1954, voir Figure 52).
Trotsky fut séduit par son charme et Breton,
qui disait d’elle qu’elle était « un ruban autour
d’une bombe », admira son œuvre picturale.
Avoir su séduire deux hommes d’une telle
envergure n’est pas rien, sans parler de son
mari Diego Rivera, grande figure du
mouvement muraliste qui voulait par sa
peinture de fresques enseigner l’art et
l’histoire au peuple. Souvent ses autoportraits
et ses peintures puisent dans le fonds
mythologique des cultures amérindiennes. Par
le choc des images, elle donne une œuvre
personnelle et surréaliste.

LHOOQ
Pas mal non plus dans le genre humoristique : la
Joconde avec une moustache intitulée LHOOQ (les
auteurs signalent qu’il faut épeler les lettres et
conseillent d’éviter de le faire à voix haute, surtout en
public). Il faut savoir que Marcel Duchamp fut joueur
d’échecs, une activité qui se rapproche beaucoup de
l’art par ses savantes combinaisons. Sur sa tombe à
Rouen figure cette épitaphe : « D’ailleurs, c’est
toujours les autres qui meurent. » On pourrait dire
sans exagérer que tout l’art moderne et contemporain
provient du ready-made de Duchamp.

Nom d’une pipe : Magritte


Un violoniste de génie, à qui on demandait son secret,
répondait : « J’ai horreur du violon. » René Magritte
(1898-1967) est peut-être un bon peintre parce qu’il
n’éprouve pas de plaisir à peindre ! C’est la distance
de ses toiles qui fait que le spectateur éprouve un
choc. L’esprit est assez proche de celui du collage et
fait surgir entre les objets des rapports inattendus,
allant parfois jusqu’à l’illusion d’optique. Le peintre
sait en effet prendre l’image au piège des mots.

Une de ses célèbres toiles représente une pipe et la
légende dit : « Ceci n’est pas une pipe. » Cela
surprend le spectateur qui se dit : « Mais si, ceci est
une pipe » jusqu’à ce qu’il s’amuse de son erreur en
se disant : « Mais au fond, c’est vrai, ceci est l’image
d’une pipe. »

Dans la mythologie grecque, Pandore avait en garde
une boîte et l’interdiction de l’ouvrir. Évidemment la
jeune fille passa outre, et l’ouvrit. Les maladies qui y
étaient enfermées se répandirent alors sur le monde.
L’art, c’est un peu une boîte de Pandore. Mais qu’y a-
t-il à l’intérieur : de la beauté, de la lucidité, de
l’inquiétude ? Magritte raconte qu’à côté de son
berceau, il y avait une caisse fermée, qu’il reproduira
dans certaines de ses toiles. Il aurait bien voulu savoir
ce qu’il y avait à l’intérieur et de cette interrogation
vient son goût pour le mystère.

Un Miró qui a de l’œil


Catalan, Joan Miró (1893-1983) a partagé son activité
entre la France et l’Espagne. Lié avec Picasso, Pierre
Reverdy, figure du Paris intellectuel des années 1920,
et Tristan Tzara, il fait partie du mouvement dada. Son
exposition de 1925 est ensuite un temps fort du
surréalisme. Le point d’orgue en sera ses Intérieurs
hollandais où sur des à-plats de couleur apparaissent
arabesques et motifs mi-familiers, tel un chien, ou mi-
fantastiques comme cet ectoplasme musicien. Sa
série des Constellations a illustré le dernier recueil
d’André Breton de 22 gouaches accompagnant les 22
proses poétiques. Miró utilise aussi le collage, inventé
par Ernst. Lithographe, céramiste, sculpteur, il explore
les diverses voies de la création. L’artiste s’essaye
aussi à la peinture murale aux États-Unis, à Cincinnati,
et à l’université de Harvard. En 1956, il décore le
siège de l’Unesco à Paris.
Une sculpture d’étendue
Outre l’intéressante œuvre sculptée de peintres
comme Picasso, Miró ou encore Duchamp, les
principaux sculpteurs de cette période donnent dans
l’étendue, de l’araignée de Bourgeois à l’oiseau de
Brancusi. Ce dernier est le fondateur de la sculpture
moderne par ses recherches formelles qui
abandonnent l’héritage de Rodin, tout en
s’acheminant vers l’abstraction.

Ça ne manque pas de
relief : la sculpture
abstraite
Il n’y a pas que la peinture dans l’abstraction,
il y a aussi des sculptures abstraites. Après
tout, si on y songe, chez Michel-Ange, les
œuvres inachevées cherchent déjà à ne jouer
que sur la suggestion. Le Russe Vladimir
Tatline (1885-1953) sculpte ses Reliefs, ses
Contre-reliefs et ses Reliefs d’angle. Cette
sculpture rêve même d’être monumentale et
architecturale : Tatline fait un Projet de
monument à la Troisième Internationale qui est
la maquette de 25 mètres d’un immeuble rêvé
de 400 mètres de haut.

Le terme se décline en abstraction
géométrique, à laquelle on rattache Mondrian
ou Victor Vasarely ou en abstraction lyrique où
prend place Kandinsky. Le public habitué en
Occident à quelques milliers d’années de
représentation du réel et plutôt déshabitué de
l’utilisation des symboles a du mal à retrouver
quelque chose comme des fleurs, surtout
déformées par des cubistes.

Un Ray de lumière
Man Ray (1890-1976) est certes connu pour son talent
de photographe, mais il a également une activité très
intéressante de peintre, lui qui disait : « Je peins ce
que je ne peux pas photographier. » Mêlé à tout le
mouvement intellectuel d’entre-deux-guerres, il sut
toucher le grand public par une œuvre où
s’entremêlent la peinture, l’objet-sculpture (ou ready-
made) et photographie.

Bourgeois mais artiste


Née en 1911 à Paris, Louise Bourgeois s’installe à New
York en 1938. Elle a fait partie de la mouvance
surréaliste, fréquentant Breton, Duchamp, Miró… Mais
c’est son exposition en 1966 qui la fait vraiment
découvrir. Peintre, dessinatrice, sculpteur, l’artiste a
de nombreuses rétrospectives de son œuvre, comme
en 1985 à Paris. Laissez-vous aller à contempler
Maman, une sculpture de bronze, d’acier inoxydable
et de marbre représentant une araignée avec son sac
d’œufs. Ses dimensions monumentales (9,27 × 8,91 ×
10,24 mètres) font qu’il n’est pas sûr que tous les
spectateurs y voient une image rassurante de la
maternité ! L’exemple de Bourgeois montre bien
comment le surréalisme féconde encore l’art d’après-
guerre.
Aux martyrs d’Oradour
L’Espagnol Apel. les Fenosa (1899-1988) naît avec un
prénom célèbre le prédisposant à la peinture, mais il
choisit la sculpture ! Objecteur de conscience, il
s’exile en France à partir de 1920, où il rencontre
Picasso et Max Jacob. Sa première exposition a lieu
tout de même à Barcelone en 1929, puis l’artiste fuit à
nouveau l’Espagne après la victoire franquiste.

Auteur d’œuvres de petit format, l’artiste réalise son
chef-d’œuvre, le monument Aux martyrs d’Oradour
qui est enfin installé à Oradour-sur-Glane, ce village
du Limousin qui est à la France ce que Guernica est à
l’Espagne. Fenosa avait rédigé cette légende pour
cette femme dont les flammes dévorent les jambes.
« Ici/Des hommes/firent à leur mère/Et à toutes les
femmes la plus grave/injure/Ils n’épargnèrent pas les
enfants. »

Juste un baiser : Brancusi

En 1927, un scandale rend le Roumain Constantin


Brancusi (1876-1957) célèbre. Sa sculpture en bronze
poli, l’Oiseau dans l’espace, est arrêtée par les
douanes américaines. Elles refusent de la laisser
rentrer au motif que ce n’est pas une œuvre d’art,
mais du métal passible d’acquitter une taxe
d’importation de 200 dollars. La presse américaine
pose la question : « Est-ce de l’art ? » Le procès qui
s’ensuit est celui de l’art moderne. Mais en 1928
Brancusi obtient gain de cause : son œuvre n’est pas
un tas de ferraille, mais bien une œuvre d’art !

Dès 1907, avec Le Baiser représentant deux blocs
s’enlaçant, Brancusi cherche à conserver au matériau
sa forme originale, prenant ainsi à contre-pied la
volonté de Michel-Ange d’accoucher l’œuvre de la
pierre. Il privilégie la forme ovale, intègre le socle à la
sculpture et renouvelle la polychromie de la sculpture
par l’utilisation de matériaux différents. Le sculpteur
travaille sur les formes géométriques comme La
Colonne sans fin (1920) pour renouveler la notion de
dynamique, avec des formes simples : « La simplicité
n’est pas un but dans l’art, mais on arrive à la
simplicité malgré soi en s’approchant du sens réel des
choses. »

Marchands d’utopie : l’architecture


moderne
Au XIXe siècle, le poète anglais William Morris,
fondateur du mouvement Art and Crafts, voulait déjà
que l’art réponde aux besoins de la société, en
abolissant la distinction avec l’artisanat. Dans le cadre
de la reconstruction d’après la Première Guerre
mondiale surgit le Bauhaus, une école d’architecture
désireuse de concilier dans une nouvelle vision
artistique les arts plastiques, l’artisanat et l’industrie.

Quant à Le Corbusier, il renoue avec les grandes
ambitions humanistes de créer une échelle de
proportions pour en tirer une harmonie visuelle qui
guide la création de l’architecte vers une radieuse
utopie.

Des hauts et des bas : le Bauhaus


Le Bauhaus est cette école d’architecture et d’arts
appliqués qui constitue une révolution dans
l’architecture du XXe siècle. L’expression allemande
signifie « la maison de la construction ». Son
fondateur, Walter Gropius (1883-1969), prend pour
exemple les chantiers des cathédrales du Moyen Âge.

L’esprit de synthèse
Les architectes du Bauhaus rejettent les détails
ornementaux. Ils veulent retrouver la simplicité et la
pureté d’une architecture classique, et en même
temps réaliser la synthèse de l’industrie, des arts et
de l’artisanat. L’époque se prête bien à la création
d’éléments préfabriqués. Le but est de créer une
harmonie entre l’esthétique et la technique.

Parmi les enseignants, il y a les noms les plus
importants du moment comme Kandinsky, de 1922 à
1933, Klee, Mies van der Rohe ou Moholy-Nagy de
1923 à 1928, qui créa ensuite en Amérique le New
Bauhaus. On parlera d’International Style, style
international vous l’avez compris, à propos de la
version américaine du Bauhaus : blanc, gris, beige ou
noir, avec des plans de niveau ouverts, des façades
lisses et des formes de cubes.

Inversion des valeurs

La postérité des idées et des formes est parfois


inattendue : autant le style du premier Bauhaus était
dans la mouvance du grand renouveau socialiste et
révolutionnaire qui suit la révolution allemande de
1918-1923, autant le style international passe pour
l’incarnation du capitalisme triomphant. Tout passe…
Et la gloire du monde, et les idées des architectes.
L’influence de cette école se fait aussi sentir dans les
arts plastiques, comme le constructivisme, ce style
qui regroupe toutes les tendances de l’art abstrait
géométrique.

La Cité radieuse : Le Corbusier


Charles-Édouard Jeanneret-Gris (1887-1965) prend le
surnom de Le Corbusier pour se différencier d’un
cousin, lui-même architecte. Il fait de 1907 à 1911 son
tour d’Europe comme auparavant les jeunes artistes
faisaient leur voyage en Italie. L’artiste fut peintre,
mais soucieux de montrer son autonomie et de se
démarquer du cubisme, il crée son propre
mouvement, le purisme, appellation un rien
ambitieux.

Une architecture en cinq points
De ses expériences architecturales de 1922 à 1929
demeurent la maison Cook à Boulogne-sur-Seine
(1926), la villa Stein à Garches (1927) ou la villa
Savoye à Poissy (1929), qui reste sa construction la
plus célèbre, et la cité Frugès à Pessac près de
Bordeaux.

Le Corbusier théorise cinq points pour une
architecture nouvelle :
pilotis ;
toit-jardin ;
plan libre ;
fenêtre en longueur ;
façade libre.
À partir de 1945, il se fait le champion de l’habitat en
hauteur et de l’utilisation du béton avec deux
réussites d’« unités d’habitation » – qui n’ont rien à
voir avec des barres hideuses – à Marseille en 1945 et
Rezé, à côté de Nantes, en 1952.

Toute une ville
Outre la chapelle de Ronchamp, Le Corbusier peut
montrer non seulement ses talents d’architecte mais
aussi d’urbaniste en créant une ville entière,
Chandigarh, la nouvelle capitale du Pendjab. Les avis
sont toujours partagés. Pour certains, les utopies
devraient rester sur le papier ; pour d’autres, c’est
une réussite architecturale conforme à la fameuse
charte d’Athènes : « Habiter, travailler, se recréer,
circuler », en ayant su s’adapter aux conditions
climatiques indiennes. Universellement admirée
comme un maître, son œuvre est pourtant mal
accueillie du public et nombre de ses projets sont
refusés.

En toute proportion
Le Corbusier est aussi l’auteur d’une œuvre théorique
importante. En 1948, son premier essai Le Modulor
porte sur les modules architecturaux et leurs rapports
avec les mesures de l’homme, dans un souci d’établir
des proportions harmonieuses entre habitat et
habitants. Le Modulor présente aussi un moyen de
dépasser les deux systèmes de mesure auxquels se
heurte un architecte, le système anglo-saxon et le
système métrique.

Suit, en 1955, La parole est aux usagers, titre peut-
être risqué quand on songe à la réception défavorable
de certains projets par des habitants surtout désireux
de retrouver leur cadre de vie d’avant-guerre. Le
Corbusier en dit : « La nature est mathématique, les
chefs-d’œuvre de l’art […] expriment les lois de la
nature et ils s’en servent. » Mais il ne s’agit pas
seulement de recherches abstraites, car Le Corbusier
pense aussi à la « normalisation », aussi importante
pour l’harmonie que pour l’urgence de la
reconstruction.
Chapitre 20

Un temps phare : l’art


moderne de 1940 à 1960

Dans ce chapitre :
Paris sera toujours Paris
Avoir Pignon sur rue
De l’art brut de brut

À la première Biennale de Paris en octobre 1959,


Malraux présente Paris comme le « phare éternel des
arts ». Le ministre de la Culture ne craignait pas
l’emphase… Mais il est vrai qu’à cette date, la capitale
n’a pas démérité depuis des décennies, accueillant
des artistes venus de tous les coins de l’Europe et du
monde. Les figures des avant-gardes de la première
moitié du siècle – Picasso, Chagall, Léger, Matisse… –
sont alors reconnues.

Faire chanter la peinture : l’abstraction


lyrique
En 1941, en pleine guerre, l’exposition « Vingt
peintres de tradition française » à la galerie Braun
montre que la modernité est déjà une tradition ! Il y a
là Alfred Manessier (1911-1993), Édouard Pignon
(1905-1993), Jean Bazaine et Maurice Estève.

Abstraction d’origine contrôlée

Jean Bazaine (1904-2001) se revendique de la non-


figuration, tout en critiquant l’art abstrait dans ses
Notes sur la peinture d’aujourd’hui (1948) : « Il faut se
situer à l’intersection de toutes les sensations, de tous
les sentiments : là où réside le secret de l’univers.
C’est pourquoi je refuse l’abstraction pure. » Cette
position est assez représentative des peintres qui vont
suivre, car, lors du triomphe de l’abstraction
géométrique, certains artistes se lancent dans de
nouvelles recherches.

Tout feu tout flamme
À sa première exposition personnelle en 1932, Jean
Bazaine reçoit déjà les encouragements du peintre
Pierre Bonnard. Puis il expose de 1942 à 1948 à la
galerie Louis Carré en compagnie de Charles Lapicque
(1898-1988), Estève et Jacques Villon (1875-1963), de
son vrai nom Gaston Duchamp, le frère de Marcel
Duchamp, et de Raymond Duchamp-Villon (1876-
1918). À partir de 1950, l’artiste veut rendre la nature
par une peinture de hachures pleine de couleurs,
agitée de flammes, emplie d’espaces de lumière dans
Orage au jardin et Dans l’arbre ténébreux. Il a aussi
réalisé d’importantes œuvres monumentales comme
la mosaïque à l’Unesco (1960), sur le paquebot encore
appelé France (1961) ou à la Maison de la radio
(1963).

Estève avec deux ailes
Maurice Estève (1904-2001), lui, a « l’impression de
partir en voyage dans un monde inconnu ». Belle
déclaration pour qui veut être artiste. Ce sont Chardin,
Corot et Courbet qui lui font découvrir sa vocation. À
23 ans, il fait le chemin contraire de Picasso en
partant pour l’Espagne diriger un atelier de dessin
dans une fabrique de tissus. En 1937, l’artiste décore
le pavillon de l’Aviation pour l’Exposition
internationale de Paris, avant d’être de la fameuse
exposition de 1941 à la galerie Braun.

Estève aborde tous les grands mouvements picturaux
du siècle, puis trouve son propre chemin. Son Trophée
de 1952 témoigne d’un style entre abstraction et
figuration, aux couleurs vives. En 1986, l’exposition
aux galeries nationales du Grand Palais et la création
l’année suivante de son musée à Bourges consacrent
son œuvre.

À bientôt j’espère
Paul Rebeyrolle (1926-2005) s’installe à Paris
dès la Libération et s’initie à la peinture en
fréquentant salons et expositions. Il participe à
des expositions mais sans passer par
l’enseignement des Beaux-Arts, préférant
rester autodidacte et indépendant. En réaction
aux événements de Hongrie et aux positions
du Parti communiste face à la guerre d’Algérie,
le peintre le quitte en 1956 comme bon
nombre d’intellectuels. Sa toile intitulée À
bientôt j’espère est le signe de cette rupture.
Retiré à la campagne, il consacre sa vie à ses
recherches, en conservant son engagement
politique, comme en témoignent les titres
évocateurs Guérilleros, Coexistences, Les
Prisonniers ou Clones. Ses onze grandes toiles
exposées à la galerie Maeght en 1972
s’intitulent Les Chiens – le chien est l’exemple
animal de la victime – et sont une synthèse
entre le « réalisme expressionniste » de ses
débuts et ses recherches plus récentes avec
l’incorporation de divers matériaux. Rebeyrolle
confiait à un journaliste : « Le plus grand des
génies ne fait pas des chefs-d’œuvre tous les
jours, mais de temps en temps un tableau
indispensable. »

Réunion d’informels
À la même période, en 1947, l’exposition
« L’Imaginaire » de la galerie du Luxembourg lance
officiellement l’abstraction lyrique, où s’illustreront
Hans Hartung, Georges Mathieu, Pierre Soulages. On y
rattache les peintres informels, comme Jean Dubuffet
ou Jean Fautrier. La critique d’art crée également le
terme de tachisme que l’on retrouve parfois pour
désigner tous ces peintres teintés de surréalisme et
refusant l’abstraction géométrique.

Travail au noir
Installé aux Baléares depuis 1932, le peintre Hans
Hartung (1904-1989) crée ses premières Taches
d’encre. Il incarne l’abstraction lyrique en 1947 avec
ses toiles dramatiques. On parle souvent à son propos
de peintre « du noir et de la couleur », quand Pierre
Soulages (né en 1919) se voit défini comme le peintre
« du noir et de l’outrenoir ». Ses œuvres jouent en
effet avec des motifs sombres sur des surfaces
colorées, recréant une calligraphie personnelle. Par
exemple, un ensemble de peintures, constitué de
toiles recouvertes de la même teinte noire mais à la
technique d’application différente, fait que la lumière
joue avec les stries ou les épaisseurs.

Supporter de la
figuration
À côté de la non-figuration, la peinture
figurative revient avec des artistes comme
André Fougeron (1913-1998) ou Nicolas de
Staël (1914-1955). Ce dernier, ébloui par un
match de football, expose Parc des Princes au
Salon de mai, en 1952. Son retour à la
figuration fait scandale.

De formation classique à l’Académie royale
des beaux-arts de Bruxelles, le peintre voyage
en Europe et en Afrique du Nord, où d’ailleurs il
retournera après s’être engagé comme
beaucoup de Russes dans la Légion étrangère.
Installé à Marseille, de Staël rencontre divers
artistes surréalistes et s’interroge sur la
peinture figurative. Il y a une influence
expressionniste dans son œuvre, due à un
travail de la matière en pleine pâte. Préoccupé
par ses recherches, l’artiste se suicide en
1965, laissant une œuvre considérable : son
catalogue paru en 1968 donne plus de 1 000
références.

Revenir de l’enfer
Sculpteur, graveur, illustrateur, Jean Fautrier (1898-
1964) passe pour être venu à l’abstraction par
l’enfer ! Pas de panique, il s’agit de la commande que
lui passe Malraux pour illustrer L’Enfer de Dante. Ses
Otages en 1945 aboutissent à la notion d’informel,
bientôt reprise par le plasticien et écrivain Jean
Dubuffet (1901-1985) qui mélange également
l’abstraction et les éléments figuratifs. « L’art ne vient
pas se coucher dans les lits qu’on a faits pour lui. »
L’artiste s’interroge sur le sens de la culture, jusqu’à
arrêter toute activité artistique. Il découvre cependant
l’art brut, cet art que pratiquent ceux qui ne sont pas
des professionnels (médiums, fous, vous et nous) et
fonde alors à New York la Compagnie de l’art brut
avec Breton.

Entre l’Hourloupe

L’Hourloupe (1963), le chef-d’œuvre de Dubuffet, est


né d’un gribouillage, un de ces dessins griffonnés en
téléphonant. Pourquoi ce mot bizarre ? L’artiste
répond : « Je l’associais à « hurler », « hululer »,
« loup », « Riquet à la Houppe » et le titre Le Horla du
livre de Maupassant inspiré d’égarement mental. »
Sur un fond noir, et on pense au miroir noir des
magiciens, il découvre une vision nouvelle. Quelques-
unes de ses déclarations rappellent celles des
futuristes italiens : « Le peu de goût que je ressens
pour ces morgues d’embaumement que sont les
musées. Leur nom déjà, avec sa référence à l’imbécile
notion gréco-latine des muses dit assez quel vent les
pousse. Je suis fort persuadé de l’action stérilisante
des pompes culturelles. »

Symbole du siècle :
Picasso
Immense et divers, à l’image du XXe siècle et
de ses bouleversements, Pablo Picasso est
déjà à Paris en 1900, alors âgé de 19 ans. On
parle pour sa jeunesse plus particulièrement
de deux périodes, la « bleue » en 1904 et la
« rose », de 1904 à 1907 (rien à voir avec des
couleurs « garçon » et « fille »). Puis sous
l’influence de l’art nègre ou des sculptures des
Ibères, ce peuple de l’Espagne antique, il
change sa manière et va vers une œuvre plus
schématique et essentielle. Le cubisme est né
de ces recherches sur le volume et a donné
Les Demoiselles d’Avignon. Mais Picasso ne se
réduit pas à ce courant, il expose un temps
avec les surréalistes. Breton parle de sa
peinture « convulsive ». L’apogée de son
œuvre est sans doute Guernica (voir Figure
55) avec nombre d’œuvres qui en sont
déclinées comme La Femme qui pleure. Après
la guerre, c’est La Joie de vivre qui montre
l’autre face de Picasso, éternel chercheur et
découvreur de merveilles.
Bande à part : quelques artistes dans le
siècle
Nous allons ici découvrir des individualités
difficilement rattachables à un mouvement, ou qui ont
su faire œuvre d’originalité. On peut dire qu’à un
moment ou à un autre, ces artistes ont accompagné
le surréalisme, ou tout au moins été influencés par lui.
Les fortes personnalités ont du mal à rentrer dans des
cases bien déterminées !

La recréation commence : Balthus


Balthazar Klossowski de Rola, dit Balthus (1908-2001),
a un père critique d’art, ce qui lui permet d’être
plongé dans ce monde tout petit. Ainsi, il rencontre
Raymond Roussel, André Derain et Pierre Bonnard, un
peintre dont l’influence a plus marqué son époque
qu’on ne le croit.

Balthus peint dès l’âge de 16 ans et rencontre en
Suisse le poète Rilke qui fait publier ses premiers
dessins et les préface (Mitsou : quarante images,
1921). Il fait sa première exposition en 1934. Aussi
bien apparenté au réalisme fantastique allemand (Dix,
Grosz, Beckmann) ou à celui du groupe Forces
nouvelles (1935) qu’au surréalisme, il se lie
également avec l’écrivain Antonin Artaud et le
sculpteur Alberto Giacometti.

Après 1940, l’artiste crée ce qu’on a appelé l’érotisme
intimiste de Balthus, où il lie l’audace érotique à la
rigueur classique de la composition. Le peintre laisse
une œuvre qui met mal à l’aise en restant fascinante,
car ses modèles expriment un érotisme froid assez
angoissant. Directeur de l’Académie de France à Rome
de 1961 à 1977, la grande culture picturale de
Balthus, jamais étalée, a cependant marqué son
œuvre, sans plagiat ni citation, mais en recréation.

Des remarques originales : Alechinsky


Né en 1927, Pierre Alechinsky figure dès 1945 dans la
Jeune Peinture Belge. De 1948 à 1951, agit le groupe
Cobra, dont le nom est créé à partir des premières
lettres de Copenhague, Bruxelles et Amsterdam,
constitué de jeunes artistes d’Europe du Nord qu’il
rejoint. Sensible aux nouvelles tendances, l’artiste est
séduit un temps par l’action painting, ce mouvement
aux frontières imprécises qui met l’accent sur l’action
de peindre.

Alechinsky s’intéresse aussi à la gravure et à la


calligraphie, auxquelles il consacre même un film
intitulé Calligraphie japonaise (1955). L’influence
orientale se fait sentir dans toute son œuvre abstraite,
notamment par l’utilisation de la technique du support
posé horizontalement sur le sol. L’artiste n’hésite
jamais à se remettre en question, en adoptant par
exemple, lors de son séjour aux États-Unis en 1965, la
technique de la peinture acrylique qui lui sert
d’ailleurs à créer des tableaux entourés de
« remarques originales », c’est-à-dire de motifs en
noir ou en couleurs.

Quand on a un rendez-vous au ministère de la Culture,
l’attente dans le salon est déjà enrichissante, car c’est
Alechinsky qui l’a décoré.
En corps torturés : Bacon

Autre figure à part de l’art moderne, le peintre


britannique Francis Bacon (1909-1992) quitte sa
famille à 16 ans pour rejoindre Londres, puis Berlin et
Paris. La visite d’une exposition de Picasso lui montre
la voie et il réalise dans l’enthousiasme ses premières
œuvres, dessins et aquarelles.

À 20 ans, de retour à Londres, Bacon expose ses
toiles. Il a aussi une carrière de décorateur d’intérieur.
Mais le peintre devient très vite célèbre et peut à
partir de 1944 se consacrer entièrement à son œuvre
aux corps torturés. Ses personnages montrent des
corps et des visages déformés qui, à travers les
incessants mouvements de la décomposition,
recherchent une unité. Ses mondes clos veulent
symboliser la destinée humaine loin de toute
harmonie. Il part souvent d’un motif iconographique
préexistant, comme l’Autoportrait de Van Gogh, Le
Pape Innocent X de Vélasquez ou encore utilise la
femme hurlante du film Le Cuirassé Potemkine
d’Eisenstein lorsque le landau avec un enfant à
l’intérieur dévale les escaliers d’Odessa.

Avec auteurs : Moretti


Les œuvres du peintre et sculpteur d’origine
italienne Raymond Moretti (1931-2005)
figurent parmi les plus réputées. Il a réalisé par
exemple pour le joaillier Vacheron la montre la
plus chère du monde au nom si grec, la
Kallista, du grec kalos, le beau. Pendant une
vingtaine d’années, l’artiste a fait la une du
Magazine littéraire ! Non pas en tant
qu’écrivain, mais comme illustrateur.

On lui doit ainsi toute une galerie de portraits
contemporains des grands auteurs. Moretti
crée aussi la grande croix occitane qu’il y a sur
la place du Capitole à Toulouse et la grande
fresque de 200 mètres carrés du Forum des
Halles retraçant l’histoire de l’humanité.

Sans format lissé : Rothko

Marc Rothko (1903-1970), de son vrai nom Marcus


Rothkowitz, est américain d’origine russe. Max Weber,
le peintre ami de Picasso, l’initie aux novateurs que
sont Matisse et Cézanne. Mais sachant puiser à toutes
les sources de l’art, Rothko montre aussi son
admiration pour Rembrandt.

Durant la grande crise de 1929, il travaille au Federal
Art Project (Works Progress Administration) mais sans
sombrer dans le réalisme dit social et garde sa propre
inspiration.

À partir de 1940, l’œuvre de Marc Rothko est marquée
par le surréalisme européen à une époque où
justement les surréalistes rejoignent les États-Unis.
Les formes abstraites de ses toiles se simplifient, les
formats grandissent. À partir de 1950, dans ses vastes
toiles apparaissent deux ou trois rectangles bien
significatifs, par exemple cette toile de 1957 intitulée
Red, White, Brown, (Rouge, blanc, brun) de 2,50
mètres sur 2, tout de même. Une toile rouge, un
rectangle blanc aux bords effrangés en bas, un autre
rectangle brun qui semble disparaître peu à peu dans
le rouge en haut. En 1969, il entame une série de
tableaux en noir et gris, Black on grey, avant de se
suicider en 1970 dans son atelier de New York.

L’esprit de synthèse : Zao Wou-ki


Zao Wou-ki naît à Pékin en 1920 et s’installe à Paris en
1948. Il fréquente alors l’atelier d’Othon Friesz et
l’École des beaux-arts, et rencontre Soulages,
Hartung, Giacometti, Maria Elena Vieira da Silva.

Dès 1950, le poète Henri Michaux écrit Lecture de huit
lithographies de Zao Wou-ki en commentaire de ses
premières œuvres, bel hommage qui vous pose
immédiatement son homme. Zao Wou-ki subit
l’influence de Cézanne, ce qui lui permet de voir d’un
autre œil la nature chinoise : « C’est Cézanne qui
m’aida à me trouver moi-même, à me retrouver
peintre chinois. » Puis l’influence de l’œuvre de Paul
Klee le conduit à l’abstraction.

Naturalisé français en 1964, avec l’appui de Malraux


dont il a été l’illustrateur, Zao Wou-ki n’a cessé
d’obtenir des distinctions honorifiques aussi bien en
France qu’à l’étranger. Il est toujours tentant d’ironiser
sur les artistes revêtus de l’habit vert des
académiciens, mais il est certain que son œuvre
réussit une bonne synthèse entre la tradition orientale
et l’abstraction lyrique occidentale.

Une sculpture en marche


« Tout n’est qu’apparence, non ? » Ce n’est pas
comme on pourrait le croire la parole d’un
philosophe, mais l’interrogation inquiète du
peintre et sculpteur suisse Alberto Giacometti
(1901-1966) à propos de l’art. L’obtention des
honneurs, comme le grand prix de la sculpture
de la Biennale de Venise en 1962, ou le grand
prix national des arts en France en 1965, ne
fait pas le bonheur. Car si l’artiste est primé,
l’homme est déprimé, voire plongé dans
l’angoisse. Son style reconnaissable s’en
ressent, Giacometti étire ses œuvres. Sur une
armature de métal, il monte un corps d’argile
qui donne un aspect grenu. Cet étirement
évoque aussi bien certaines œuvres de
l’Étrurie antique que la statuaire africaine.

La conquête de l’espace : l’architecture


On assiste à la naissance des villes modernes, d’abord
à Amsterdam, et surtout en Allemagne, avec le
Bauhaus qui pose la question du logement social.
L’architecture se veut désormais rationnelle, c’est-à-
dire concilier l’espace, les contraintes de construction
et d’habitation, au détriment de l’ornementation.

Grand ensemble : Mies van der Rohe

Nous sommes maintenant habitués à la vision de ces


tours aux parois de verre ou de ces bâtiments
universitaires dépouillés, mais lorsque Mies van der
Rohe invente notre environnement « minimaliste » et
industriel entre 1950 et 1960, c’est nouveau et tout à
fait révolutionnaire.

Naissance de l’esthétique industrielle
Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969) est un
architecte américain d’origine allemande né à Aix-la-
Chapelle. Avant la Première Guerre mondiale, il
travaille dans des cabinets d’architecture ou de
création de mobilier. De 1921 à 1925, l’artiste dirige la
section d’architecture du Groupe de novembre. Il
s’intéresse aussi aux travaux du groupe De Stilj dont
fait partie Mondrian. En 1926, Rohe édifie le
monument en hommage à Karl Liebknecht et Rosa
Luxemburg, détruit par les nazis, et l’année suivante
avec d’autres architectes d’avant-garde, dont Walter
Gropius et Le Corbusier, la cité Weissenhof à
Stuttgart. Créé pour l’Exposition internationale de
Barcelone (1928-1929), son pavillon de l’Allemagne
frappe les esprits des visiteurs par le dépouillement
absolu de l’intérieur, la structure d’acier et la
circulation déterminée par des écrans.

Le moins pour le plus

En 1930, Rohe succède à Gropius à la tête du


Bauhaus, jusqu’en 1933, année de sa fermeture par le
nouveau pouvoir nazi. Comme beaucoup d’autres, il
se réfugie alors aux États-Unis. Nommé directeur du
département d’architecture à l’Institut de technologie
de l’Illinois (IIT), il réalise ses nouveaux bâtiments
(1942-1943). L’architecte a de nombreuses
commandes, comme la Commonwealth Promenade et
l’Esplanade à Chicago (1953-1957), le Seagram
Building à New York (1954-1958), le Federal Center de
Chicago (1959-1964) le Dominion Center de Toronto
(1963-1968), sans oublier la maison Farnsworth à Fox
River (1945-1950). Sa devise est un paradoxe
significatif : « C’est le moins qui en fait le plus »
(traduction libre de « Less is more »).

Nature et découverte : Aalto


Outre les coureurs automobiles et les rennes, en
Finlande, il y a aussi l’architecte Alvar Aalto (1898-
1976) qui rompt avec les formes néoclassiques
toujours présentes dans son pays. En 1927, il
s’installe à Turku, la ville la plus ouverte à la
modernité et à son architecture en harmonie avec la
nature, privilégiant la lumière et les matériaux nobles
comme la pierre, le bois et la brique, au moment où
triomphe le béton.

À Turku, Aalto crée un immeuble en dalles
préfabriquées qui le rattache au Bauhaus. Après la
guerre, il crée un style personnel qui veut renouveler
ce style international. Par exemple, en 1948,
l’architecte conçoit le plan d’urbanisme de Rovaniemi,
la ville qui se situe au cercle polaire. Sans beaucoup
bâtir en dehors de la Finlande, il acquiert pourtant une
renommée internationale.

Pour l’anecdote, on raconte qu’Alvaar Aalto était une


telle gloire nationale que quand il devait prendre
l’avion, la Finnair, la compagnie aérienne de Finlande,
retardait ses vols jusqu’à ce qu’il soit à bord. Ce qui
reviendrait à demander à un horloger suisse de
fabriquer un coucou qui ne donne pas l’heure !
Chapitre 21

Le bout de l’art ? L’art


contemporain depuis 1960

Dans ce chapitre :
La fin des beaux-arts
L’irruption de l’artiste dans l’œuvre
Art contemporain ou art « comptant pour rien » ?
L’architecture contemporaine

Jusqu’au début des années 1960, on considérait


encore que l’art se divisait en trois domaines :
architecture, peinture et sculpture. Cette subdivision
avait cependant déjà été un tantinet chamboulée,
notamment par l’incorporation de différentes matières
dans les collages cubistes (papier journal, carton…).
Puis les recherches et expériences du début du siècle
sont devenues courantes. Dans l’art contemporain,
tout matériau peut être utilisable : ferraille, rebuts,
etc.

Des mouvements comme le pop art et son intérêt


pour le banal ou le nouveau réalisme seront
probablement classés par les historiens de l’art des
temps à venir comme une variante du réalisme, parmi
la peinture de Courbet, le cubisme de Braque ou
Picasso et même le réalisme socialiste.

Raconter un pop art

Au début des années 1960 apparaît le pop art. Les


thèmes sont pris dans la vie quotidienne et leur
banalité, voire leur vulgarité, en font tout l’intérêt. On
les détourne et les répète. Le spectateur étonné se
demande : « Comment peut-on me faire croire que
quelque chose fabriqué à des milliers d’exemplaires
est une œuvre d’art ? » Mais l’image au XXe siècle est
partout, diffusée à l’envi par de multiples canaux. La
répétition et la reproduction automatique – plus rien à
voir avec la gravure des siècles précédents – doivent
donc être intégrées à l’art.

Quelles soupes ! Warhol


Le premier, Roy Lichtenstein (1923-1997) reproduit,
avec le savoir-faire d’un peintre méticuleux, une
vignette de bande dessinée à la taille d’un tableau,
jusqu’à faire apparaître la trame de la BD, appelée
maintenant « pixels » en informatique, avec I know
how you must feel, Brad (Ah ! Brad je sais ce que tu
peux ressentir). Une autre façon amusante
d’interpeller le spectateur consiste à braquer sur lui
un revolver, comme dans Pistol.

La grande figure du pop art avec, lors de sa première


exposition, 52 tableaux représentant des boîtes de
soupe, est Warhol, l’un des créateurs de ce
mouvement et l’un de ceux qui firent des États-Unis
l’autre patrie de l’art moderne.

Fils de pub
Andy Warhol (1928-1987) mène deux carrières à la
fois, celle de publicitaire et celle d’artiste. Doit-on dire
avec amusement qu’en fait c’était la même ? En
1968, son sens de la publicité se retourne contre lui
quand la féministe Valerie Solanas lui tire dessus et le
manque. Cela a servi à assurer la renommée de
Warhol, de Solanas (unique adhérente et militante du
groupe SCUM, initiales de Society for Cutting Up Men,
ce qui ne se traduit pas par décence) et de multiplier
la valeur du portrait de Marilyn qui a écopé des balles
– 14 millions d’euros ! D’ailleurs, à ce prix-là, c’est
l’éclatante faillite de ceux qui croyaient que la
sérigraphie allait détruire le statut de l’œuvre d’art
unique et signée de la main du maître.

Standardisation à la chaîne
Les sérigraphies de Warhol tirées en plusieurs
exemplaires se veulent le symbole d’une Amérique
vouée à la standardisation. Ses séries de portraits de
Liz Taylor (voir Figure 57), de Marilyn et ses boîtes de
soupe Campbell font partie des icônes du XXe siècle,
comme le père Noël et la bouteille de Coca-Cola. À
ceux qui s’insurgeaient en disant qu’il y avait là
disparition de l’artiste qui n’avait rien transformé, Roy
Lichtenstein rétorquait : « L’art ne transforme pas, il
donne forme tout simplement. » Warhol, quant à lui,
prophétisait que « tout le monde aura un jour son
quart d’heure de gloire. » Avec la télévision et le
développement des chaînes, c’est plus facile !

Au pop niveau
Keith Haring (1958-1990) est l’auteur de ces
personnages à tête ronde que les touristes arborent
sur leurs tee-shirts aux abords du Louvre. L’artiste
commence par peindre sur les murs du métro de New
York, ce qui lui vaut d’être embarqué au poste, sans
que l’histoire ne dise s’il en a profité pour peindre les
murs de ses cellules. En tout cas, il va faire une
carrière internationale. Par exemple, on peut voir en
France sa fresque à l’hôpital Necker. Ayant appris qu’il
a le sida en 1987, Haring consacre alors talent et
énergie à lutter contre la maladie. C’est une des
figures les plus attachantes du pop art.

Élu pape

Tom Wesselman (1959-1993), le « pape du pop art »,


ajoute à ses premiers collages différents éléments en
relief, comme Max Ernst avant lui, et aboutit à une
maison de poupées grandeur nature. La réalité fait
irruption dans le décor, dans cet « environnement
sculptural », par l’intermédiaire d’une radio ou d’un
téléphone qui sonne par intermittence. Déjà au XVIIe
siècle, le théâtre baroque pratique la mise en abyme,
par exemple dans Le Véritable Saint Genest de Rotrou,
où les acteurs regardent saint Genest jouer une pièce
de théâtre. Il y a ainsi une pièce de théâtre à
l’intérieur de la pièce. Du coup, le spectateur se
demande : « Et moi, qui me regarde ? » C’est ce
malaise que doit faire surgir la sonnerie du téléphone
dans certaines réalisations de la série de Wesselmann
Great American Nude (1964).

Artistes en herbe
Deux autres artistes, George Segal (1924-2000) dit le
fermier philosophe, et Jeff Kienholz (1927-1994), font
aussi des environnements sculpturaux. Segal fait un
bar et une laverie automatique remarqués, avant de
revenir à la peinture en 1993. Ses personnages sont
en plâtre, ceux de Kienholz sont des mannequins de
récupération ou fabriqués à partir de rebuts, ce qui,
pour les conservateurs de musée, pose des problèmes
de restauration, comme avec Movie House.

En France, Martial Raysse, né en 1936, est considéré
comme un maître du pop art. Il rajoute quelques
néons à des œuvres célèbres d’Ingres ou de Gérard,
cherchant à tourner en dérision les produits de la
société moderne, comme Warhol avec ses portraits de
baigneuses. Raysse fut peut-être le premier artiste
contemporain à obtenir une telle renommée au milieu
des années 1960.

Aux rebuts : le nouveau réalisme

Le 27 octobre 1960 a lieu dans l’atelier de Klein la


« Déclaration constitutive du nouveau réalisme ». Il
faut noter que malgré quelques millions d’années et
de personnes à qui l’on a dit : « Soyez donc un peu
réalistes ! », le réalisme n’en finit jamais d’être
nouveau. Les signataires veulent un art en prise
directe avec le réel (refrain connu), par opposition à la
peinture abstraite en vogue à l’époque. En bons
enfants de Duchamp et de ses ready-mades, ils
prônent l’utilisation d’objets manufacturés, un art de
l’assemblage et de l’accumulation dans lequel
s’illustrera le sculpteur Arman. Ce manifeste est signé
Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Martial
Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Jacques de la
Villeglé, sous l’œil attendri du critique d’art Pierre
Restany. S’y adjoignent en 1961 quelques noms
prestigieux de l’art contemporain César, Niki de Saint
Phalle et Christo en 1963. Le mouvement se dissout
en 1970.

Faute de frappe : Arman


Après des études aux Arts décoratifs de Nice et à
l’École du Louvre (on n’y forme pas les artistes : il
voulait devenir commissaire-priseur), Arman part
enseigner à Madrid. À votre avis, les arts déco ou bien
l’histoire de l’art ? Ni l’un ni l’autre, car il est
embauché comme professeur de judo ! Remarquez
que ce n’est pas du temps perdu pour un artiste, car
le judo apprend à avoir l’échine souple et à se relever
quand on est à terre.

Le polyester, c’est coton

De retour en France en 1951, Arman est influencé par


l’œuvre de Nicolas de Staël, de Serge Poliakoff et de
Kurt Schwitters. De son vrai nom Armand Fernandez,
Arman (né à Nice en 1928) se fait un nom en perdant
son « d », oublié sur une brochure d’expo et jamais
repris. En 1959, il réalise ses premières
« accumulations » et ses premières « poubelles »
compressées, avant de laisser de plus en plus de
place au polyester à partir de 1964. Comme il se
passe toujours quelque chose dans la vie d’Arman,
retenons en 1969 une exposition itinérante des
accumulations de voitures Renault.

Problème de stationnement en ville
En 1982, pour le parc de la Fondation Cartier à Jouy-
en-Josas, Arman réalise une accumulation de 18
mètres de haut composée de 60 voitures enchâssées
dans du béton, Long Term Parking, et en effet, voilà
une solution d’avenir pour régler le problème du
stationnement en ville ! L’artiste a droit aux honneurs
officiels (Ordre national du mérite, Commandeur des
arts et lettres, Légion d’honneur) et aux commandes
tout aussi officielles. Le grand public l’a véritablement
découvert en allant prendre le train à la gare Saint-
Lazare : devant le bâtiment, deux accumulations, la
première de valises, Consigne à vie, et la seconde
d’horloges, L’Heure de tous.

Envoyez la soudure : César


À l’époque industrielle, il n’a y a rien d’anormal à
jouer du chalumeau et faire de la soudure. Le
sculpteur César (1921-1998) s’est donc spécialisé
dans ses soudures, montrant un net talent dans la
transformation de la ferraille en or. Ses automobiles
compressées ont affolé tous les maniaques de la
rayure sur leur carrosserie.

À partir de 1970, César enseigne à l’École nationale
supérieure des beaux-arts. Au carrefour de la Croix-
Rouge, dans le 6e arrondissement de Paris, se dresse
un Centaure. Devinez l’endroit où César a placé sa
balayette pour illustrer une expression populaire bien
connue ? Mais nous restons là dans le domaine de la
provocation gentillette, ce qui fait qu’il reçoit en 1988
le prix Rodin. Il est d’ailleurs le seul sculpteur à être
connu de la France entière, à cause de sa création du
trophée du cinéma. Tout le monde du coup dit
maintenant un César. Et si vous voulez jouer au prof
de français, retenez qu’un nom propre utilisé pour un
objet (pas toujours propre), ça se nomme une
antonomase.

Cible émouvante : Niki de Saint-Phalle


D’abord mannequin pour de prestigieux magazines de
mode, Niki de Saint-Phalle entame une carrière
artistique en inventant un procédé qui lui assure
célébrité et engouement du public. Les spectateurs
tirent à la carabine sur des sacs suspendus remplis de
peinture, qui éclaboussent des sculptures disposées
en dessous.

Les préoccupations propres de Niki de Saint-Phalle
(1930-2002), comme la performance, la participation
du public à la création de l’œuvre d’art et le hasard,
rejoignent les questions d’une grande partie des
artistes contemporains.

Ses « Nanas », femmes aux formes généreuses
multicolores, amusantes et amusées, sont
éblouissantes de fraîcheur et de naïveté. Même si
certaines sont imposantes, cela n’a pas empêché un
exemplaire d’une tonne et de 3 mètres de haut de
disparaître après une exposition (la police pense à une
fugue). Sa Fontaine Igor Stravinsky créée avec son
mari Jean Tinguely, à côté du musée Beaubourg, est
devenue par l’affluence et la force des choses un
monument parmi les plus visités.

Cette bande
s’autodétruira…
Le sculpteur suisse Jean Tinguely (1925-1991)
épouse Niki de Saint-Phalle et la rejoint au sein
des nouveaux réalistes. Il fonde avec Yves
Klein l’art cinétique, du grec kiné signifiant
« mouvement », des machines amusantes un
rien dadaïstes, faites de rebuts. Ça gémit, ça
grince et ça éclabousse. L’artiste a un côté
grand enfant, en jouant aux Indiens autour de
grands totems ornés de crânes. Il réalise avec
sa femme et une quinzaine d’artistes Le
Cyclop à Milly-la-Forêt. Les téléphiles
nostalgiques du feuilleton Mission impossible
songeront avec émotion à cette œuvre de
Tinguely, Hommage à New York, présentée en
1960 au Museum of Modern Art, puisqu’au
bout d’une demi-heure, l’œuvre était conçue
pour s’autodétruire.

Plutôt emballant : Christo et Jeanne-


Claude
Il y a des couples célèbres comme Roux et
Combaluzier, Lagarde et Michard ou encore Christo et
Jeanne-Claude. Leur œuvre a suscité beaucoup
d’emballement et il y a de quoi, car elle consiste
justement à emballer des objets puis des monuments
et ensuite des sites naturels.

Christo Javacheff, né en 1935, Américain d’origine
bulgare, et Jeanne-Claude de Guillebon emballent le
Pont-Neuf en 1985. Dans le genre Guiness des
records, ce n’est pas mal, avec 40876 mètres de toile
et 13076 mètres de filins. Voir aussi l’empaquetage du
Reichstag, avec 100 000 mètres carrés de toile.

C’est une interprétation à grande échelle du désir
d’appropriation d’objets préfabriqués comme le
voulaient les nouveaux réalistes. Cette forme d’art,
prenant le paysage comme nouveau support, se
nomme aussi land art. Les artistes élèvent une
barrière de nylon de 3 mètres de haut sur 40
kilomètres de long à côté de San Francisco. En 1990, il
installe 1 340 parasols bleus dans un paysage au
Japon, puis les mêmes en jaune aux États-Unis l’année
suivante.

Un bleu au bout du
rouleau : Klein
Yves Klein (1928-1962) peint dès 1948 des
monochromes, et de 1951 à 1954 en utilisant
des rouleaux pour éliminer toute interprétation
personnelle, la plus minime soit-elle. À partir
de 1957, l’artiste n’utilise plus que le bleu.
« Le bleu n’a pas de dimension, il est hors
dimension, tandis que les autres couleurs,
elles, en ont… Toutes les couleurs amènent
des associations d’idées concrètes […] tandis
que le bleu rappelle tout au plus la mer et le
ciel, ce qu’il y a de plus abstrait dans la nature
tangible et visible. »

Il dépose d’ailleurs en 1960 une formule de
bleu : l’IKB, l’International Klein Blue. En
janvier de la même année, l’artiste veut
dépasser la notion de couleur et montrer qu’il
est possible d’occuper l’espace en dehors du
support. Il organise une performance avec son
premier Saut dans le vide à partir du premier
étage. Pas d’inquiétude il n’y a pas de bobo,
c’est une œuvre d’art, pas un suicide. Dans sa
série des Anthropométries, des modèles
féminins nus s’enduisent le corps de peinture
bleue et en se roulant laissent leurs
empreintes sur du papier blanc. En plus de son
bleu, Klein a inventé le pinceau humain,
modèle non breveté donc d’utilisation libre
pour animer toute soirée un peu coincée.

À la recherche de la performance
Les surréalistes Breton, Aragon et Soupault avaient
organisé le 13 mai 1921 le « procès Barrès », où
l’auteur de L’Ennemi des lois, le chantre de
l’individualisme, rallié à l’Union sacrée et au
conformisme, est mis en accusation « pour attentat à
la sûreté de l’esprit ». Il n’est pas interdit d’y voir ce
qui sera plus tard appelé performance.

Pour faire simple, on appelle performance artistique


une ou plusieurs actions devant un public et en temps
réel (une définition proche de celle d’un numéro de
cirque). Afin de communiquer ses intentions, l’artiste
peut faire appel à divers supports et à différents
moyens. Les gestes sont détournés de leur sens
habituel pour remettre la réalité en question.

Drôles de coups de pot : action painting et


quelques autres
Dans la performance, un élément essentiel est la
nature éphémère de la prestation. Le peu de durée
des créations était déjà une particularité de certaines
cultures, comme la peinture de sable ou les peintures
de guérison, dites hozho, des Indiens navajos. À noter
que l’œuvre d’art éphémère est parfois filmée pour lui
assurer une pérennité : est-ce de la triche ?

L’action painting met l’acte physique de peindre au


cœur de l’œuvre d’art. Même involontaire, le résultat
de la création reflète l’état intellectuel et moral du
créateur. C’est la reprise de la notion de hasard
objectif des surréalistes, mâtiné de subconscient.

Le style est une supercherie !
Jackson Pollock (1912-1956) se met au centre de la
toile étendue au sol, puise de la peinture dans des
pots et la projette dans une sorte de danse. Proche de
lui, Willem de Kooning (1904-1997), peintre
néerlandais naturalisé américain, s’installe en 1926 à
New York. Il crée avec Jackson Pollock l’action
painting. « Le style est une supercherie », déclare-t-il
en étalant la peinture à grands coups de brosse. On
connaît surtout de lui sa série de femmes intitulée
Women. À partir de 1969-1970, il explore la sculpture
en bronze.

Barnett Newman (1905-1970) et ses grandes toiles
monochromes aux couleurs saturées striées de fines
rayures a eu une influence très importante sur tout
l’art moderne et contemporain, en particulier sur l’art
minimaliste.

Bien combiné
Robert Rauschenberg (né en 1925) montre bien la
disparition du cloisonnement entre peinture et
sculpture avec ses combine paintings : « J’appelle
mon travail des combines, c’est-à-dire des œuvres
combinées, des combinaisons. Je veux ainsi éviter les
catégories. Si j’avais appelé peintures ce que je fais,
on m’aurait dit que c’étaient des sculptures, et si
j’avais appelé cela des sculptures, on m’aurait dit qu’il
s’agissait de bas-reliefs ou de peintures. » Parmi ces
combine paintings, on peut retenir les significatifs Bed
en 1955, œuvre constituée de draps et de couvertures
trempés dans de la peinture, ou Monogram (1959), un
beau bouc à longues cornes empaillé avec un pneu
autour de lui.

Plus de dimensions
Le happening mêle l’action théâtrale à l’œuvre
dans un souci permanent d’occuper les quatre
dimensions de l’espace. La peinture est
bidimensionnelle malgré quelques tentatives –
restées insatisfaisantes parce que trop
élémentaires – de lui donner une troisième
dimension en peignant une boîte ou un cube.
D’accord, certains appellent ça de la sculpture.
La sculpture est tridimensionnelle et c’était
déjà la préoccupation de Calder que d’arriver à
déployer ses sculptures dans les quatre
dimensions : hauteur, largeur, profondeur et le
temps (mais si, la quatrième dimension
existe ! nous ne sommes pas dans Twilight
zone, la fameuse émission américaine
fantastico-science-fictionesque au titre français
La Quatrième Dimension). Tinguely a certes
placé des moteurs sur ses œuvres mais celui
qui laisse son nom attaché à l’art « cinétique »
(à ne pas confondre avec le cinéma) est Pol
Bury (1922-2005) qui eut des réussites comme
Ponctuations érectiles et des œuvres sachant
utiliser l’élément du mouvement par
excellence, l’eau.

Divers mouvements voient ensuite le jour
comme l’Op Art, abréviation d’optical art, dont
les représentants sont Victor Vasarely (1908-
1997) ou François Morellet (né en 1926).
Sympathique, mais les illusions et les jeux
d’optique ne sont amusants qu’un temps.

Épouser la performance aujourd’hui


La performance n’en finit pas de se renouveler. Un
bon exemple est celui de Tsuneko Taniuchi, qui vit et
travaille à Paris depuis 1987. Elle s’expose en robe de
mariée dans la vitrine d’un magasin parisien
(d’ailleurs pas loin de Filles du Calvaire – un nom
prémonitoire ?) en 2002 et propose au public de
l’épouser (performance toujours en cours).

Maurizio Cattelan, né en 1961, est un artiste italien
connu pour ses performances et ses statues en cire de
Hitler, de Picasso ou du pape Jean Paul II, qui se font
chacun écraser par une météorite. Il a également
creusé lui-même sa tombe (mais il en est ressorti).
L’artiste a accompli notre performance préférée entre
toutes celles du siècle en déguisant en gros lapin rose
le propriétaire d’une galerie parisienne pendant des
semaines !

L’art comptant pour rien


Depuis Marcel Duchamp, l’artiste décide que tel objet,
par exemple un urinoir ou un pont emballé, est un
objet d’art. Mais qui décide que telle personne est un
artiste et telle autre pas ? Qui fait l’artiste ? Le
marchand qui décide qui il va présenter à un
acheteur ? Il semble y avoir là une contradiction,
puisque ce n’est plus seulement l’objet d’art lui-même
qu’on achète.

Faire le moins, c’est un


plus
Les grands ancêtres de l’art contemporain,
Duchamp et Malevitch, voulaient chacun à leur
façon donner un « contenu artistique
minimal ». On peut en retenir de prime abord
(ne pas lire « déprime d’abord », il y a des
idées dans le minimal) la sculpture posée sur
le sol. (Enfin… nous disons sculpture pour nous
faire comprendre : les minimalistes pensaient
qu’ils prolongeaient la peinture dans la
troisième dimension.) La « sculpture » occupe
le même espace que le spectateur et non plus
un espace à part, sacralisé, par sa pose sur un
socle. Les artistes représentatifs de cette idée
sont Robert Morris (né en 1931) et Donald Judd
(1928-1994). Pour ce dernier, l’œuvre d’art est
« une chose, une chose entière ». Il est le
concepteur de meubles et de boîtes en
planches. Ces boîtes par exemple sont, comme
beaucoup d’œuvres minimalistes, désignées
comme « Sans titre », pour signifier l’absence
de référence et de composition.
L’art de rien : Ben
« Rien à dire », a-t-on pu voir un jour sur un tee-shirt,
devise signée Ben. Mais même le fait de dire « rien »,
c’est déjà dire quelque chose. Il y a là une aporie, une
apparente contradiction dans les mots. Pour faire
simple, pour Ben, on demande à l’artiste de créer, pas
de parler.

Après une enfance promenée de la Suisse à l’Égypte
en passant par la Turquie, Ben (né en 1938) arrive à
Nice où il rencontre Arman et Klein. Évidemment, il
aurait pu les croiser au tabac du coin, « bonjour,
bonsoir ». Mais ce ne fut pas le cas et leur rencontre a
eu des conséquences importantes pour l’art moderne.
Lors d’une célèbre conférence sur « Tout et Rien », il
vend sa chemise non pas à un pauvre homme
heureux, mais à Arman. Son œuvre est une réflexion
sur les rapports entre la vie et l’art. Comme Claes
Oldenburg en 1961 avait transformé son atelier en
magasin, The Store, Ben crée une réplique de
magasin qui est une sculpture-installation-assemblage
(on appelle ainsi des sculptures de divers matériaux)-
collage.

Kitsch et choc : Koons et Lavier


Pour illustrer le charme de son élégance désinvolte,
Bertrand Lavier déclare en 2002 : « Mon luxe est de
faire croire que je ne fais rien. » L’artiste prend à la
lettre le langage : « peindre une table » ne consiste
pas à la représenter sur une toile, mais à mettre de la
couleur sur cet objet. Évidemment, s’il avait pris
comme exemple « peindre la tour Eiffel », ça aurait eu
une autre ampleur !

Autre sympathique artiste, Jeff Koons travaille à la
bourse de New York pour gagner sa vie, en
commençant sa carrière d’artiste. On pourrait ironiser
en disant que de nos jours Bourse et art font
particulièrement bon ménage. Héritier de dada et de
Duchamp, avec un zeste inévitable d’Andy Warhol, il
est devenu l’artiste en vogue des années 1980 aux
États-Unis, en donnant ses lettres de noblesse au
kitsch.

Exposer un lapin
Né en Pennsylvanie en 1955, Jeff Koons crée
notamment Puppy, chien de plâtre décoré de fleurs,
des sculptures de Michaël Jackson et de la panthère
rose. Il investit l’univers des jouets, utilise des ballons
et des lapins qu’il enferme dans du plexiglas.

L’artiste a épousé la Cicciolina, actrice italo-hongroise
de film porno, chanteuse, élue au parlement italien et
douée d’une indéniable présence, d’un grand sens de
la communication et… d’une poitrine pour le moins
généreuse ! Il a réussi le tour de force assez
extraordinaire dans son genre de faire une sculpture
en céramique de la Cicciolina en train d’enlacer la
panthère rose et de la vendre (la sculpture) plus de
1,7 million d’euros !

Art et manutention

Né en 1949, Bertrand Lavier illustre parfaitement au


XXe siècle la fameuse définition de Lautréamont sur
les rencontres insolites. Sur un classeur métallique
destiné à ranger à plat des plans ou des feuilles de
dessin, l’artiste installe un dévidoir de rouleau de
papier kraft avec lame de coupe (pour ceux qui
n’auraient pas tout compris : il met sur une grosse
boîte métallique un rouleau de papier marron avec un
grand machin qui sert à le couper). Il baptise le tout
Manutan/Kind, publicité gratuite, car c’est le nom de
la marque qui lui a vendu les objets, et il expose le
tout au musée de Grenoble depuis 1987. Tout l’art du
siècle a reposé sur le choc des images tel que défini
par Lautréamont et appliqué par les surréalistes,
comme Lavier en fait la démonstration.

En plein dans le décor : l’art hors les


murs

L’art contemporain est donc un art réaliste, puisqu’il


plonge ses racines dans le réel, surtout le plus banal.
Le spectateur peut être désorienté par le rôle de
l’artiste et sa présence, désormais considérés comme
partie intégrante du résultat. Un pas de plus, et la
question va se poser de savoir si l’œuvre doit avoir
une forme ou bien si l’important n’est plus le résultat –
autrement dit, l’œuvre d’art – mais l’acte de faire
l’œuvre. On peut penser à cela en voyant dans le film
Shining l’écrivain joué par Nicholson taper son roman
à la machine. À la fin, on voit que c’est toujours la
même lettre de l’alphabet qui a été tapée sur les
centaines de feuillets. Tout repose sur l’acte d’écrire.
À partir de là se pose aussi la question de savoir si
l’art doit être fait dans ou en dehors de la galerie ou
du musée.
Cache-cache
Œuvre emblématique du land art, la Spiral
Jetty est créée en 1970 par Robert Smithson
dans le Grand Lac salé en Utah. C’est une
grande jetée de terre en forme de spirale, sur
500 mètres en bordure du lac. L’œuvre avait
disparu sous l’eau et vient de ressurgir. Ce
monument a la particularité de ne pas être
facile à trouver ! À tel point qu’une artiste
américaine a fait de sa recherche une œuvre
sonore. Dans sa quête de la Spiral Jetty, elle a
même enregistré ses disputes avec son
partenaire. La prochaine fois que vous vous
perdez et qu’une voix acide vous rappelle que
le cerveau humain n’est pas un GPS, pensez à
l’œuvre sonore que vous pourriez faire.

L’envie de découcher : Sophie Calle


Si un des reproches adressés à l’art contemporain est
de se prendre trop au sérieux, ce n’est pas le cas de
Sophie Calle, née en 1953. Elle photographie des
inconnus ou des amis dans son lit, joue sur la
découverte de l’intime. L’artiste a même envoyé son
lit à un jeune homme abandonné par sa fiancée pour
qu’il y fasse en quelque sorte une convalescence
amoureuse.

Partager son lit
Le poète Francis Ponge disait que la poésie, c’est
comme l’amour, ça se fait dans un lit. Dans une
conférence, Sophie Calle confirme que c’est la même
chose pour l’art : « Je voulais que mon lit soit occupé
vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme ces
usines où on ne met jamais la clé sous la porte. J’ai
donc demandé aux gens de se succéder toutes les
huit heures pendant huit jours. Je prenais une
photographie toutes les heures. Je regardais dormir
mes invités. […] Une des personnes que j’avais
invitées à dormir dans mon lit et que j’avais
rencontrée dans la rue était la femme d’un critique
d’art. Quand elle est rentrée chez elle, elle a raconté à
son mari qu’elle était venue dormir huit heures dans
mon lit et il a voulu voir de quoi il s’agissait. Et c’est
comme ça que je suis devenue artiste. »

Double je
La vie et l’œuvre doivent être mêlées, cette
« interactivité » est une des composantes
permanentes de l’art contemporain. Dans sa soif de
découverte de l’intimité des autres, Sophie Calle ne
manque ni d’imagination ni de persévérance. Elle fut
strip-teaseuse et femme de ménage (tous les
fantasmes machistes incarnés en une personne), tour
à tour subissant et pratiquant le voyeurisme. Ce
mélange entre réalité et fiction s’applique encore
quand Paul Auster s’inspire de Sophie Calle pour créer
le personnage de Maria dans Leviathan, pendant que
Sophie Calle se met en scène à la façon de Maria dans
sa série de photographies Double jeu.

Drôle de zèbre : Buren


L’art « hors les murs » est aussi un art conceptuel, où
s’est illustré Daniel Buren, né en 1938. En mars 1970,
il fait apposer dans les coins des affiches publicitaires
du métro des affichettes avec des rayures bleu et
blanc.

Ces fameuses rayures sont irrésistiblement associées
au nom de Buren. Il explique lui-même : « Je n’expose
pas des bandes rayées, mais des bandes rayées dans
un certain contexte », ce qui va de soi quand on
pense au Palais-Royal où il a installé ses fameuses
colonnes en 1985. La polémique concernant la
récupération d’un lieu prestigieux fut balayée par tous
les gamins de Paris et les enfants des touristes – le jeu
n’a pas de frontières – qui se sont appropriés cette
œuvre d’art en l’escaladant. C’est inattendu mais cela
prouve que l’œuvre a été adoptée et adaptée.

De bonnes installations
Dans ce que les critiques ont appelé « art attitude » à
propos de l’exposition de 1969 « Quand les attitudes
deviennent forme », on regroupe des artistes classés
dans l’art minimal, le land art ou l’art conceptuel.
Ainsi, l’attitude de l’artiste prédomine, en une des
rares applications pratiques de la théorie des
ensembles qui se recoupent.

L’installation est le terme utilisé pour désigner des
œuvres éphémères qui empruntent à tous les arts, y
compris à la vidéo, et qui s’apparentent à la
performance, les machines et les ustensiles en plus.

Barcelo Barcelona

Miquel Barcelo est né à Majorque en 1957. Arrivé à


Paris, il s’intéresse à l’art brut et utilise divers
matériaux (cendres, boue, sable ou matières
organiques). Il participe à la Dokumenta de Cassel en
1982, une véritable consécration dans le monde de
l’art contemporain, qui lui donne ensuite accès aux
plus grands musées : Pompidou, la Fondation Maeght,
la Gallery Leo Castelli à New York. On a parlé de lui
comme d’un « jeune prodige » de la peinture
figurative. En 1987, Barcelone lui consacre une
exposition qui fait date en Espagne. Il pratique aussi
bien une peinture aux larges perspectives que des
architectures sombres (2h30 gare du Nord). Un
événement important est la révélation du Mali en
1988. « Un nettoyage total des références », dira
l’artiste qui séjourne depuis régulièrement en pays
dogon. Barcelo s’initie ainsi à l’art de la céramique. Un
retour à la terre réussi.

Messager initiatique
Vivant et travaillant à Malakoff, Annette Messager
(née en 1943) a obtenu le Lion d’or à la Biennale de
Venise 2005. Elle y a monté une installation inspirée
de Pinocchio, avec un parcours initiatique pour
montrer que si l’homme est une marionnette, celle-ci
en retour peut devenir humaine. Le tout se termine
par un trampoline – ce qui prouve que l’important
dans l’art, c’est bien de s’envoyer en l’air ! Ne
détestant pas un zeste de provocation, l’artiste
montre la place de la femme dans la société, à travers
ses œuvres Annette Messager, femme pratique,
Annette Messager, collectionneuse. Il faut aussi voir
ses Chimères, des photographies découpées et
retouchées qui aboutissent à une fresque
impressionnante.

Le mot de la fin ?

Toujours plus loin : une fois dehors, tout peut être art.
C’est ce qu’affirme Judd : « Si quelqu’un dit que c’est
de l’art, c’est de l’art. » En 1968, quand son
installation de cordes et de pieux au Windham
College, Hay, Mesh, String est détruite, Laurence
Weiner (né en 1940) se dit qu’il peut simplement
suggérer l’œuvre. Ainsi, il expose une liste de
matériaux. La littérature serait-elle l’extrême
aboutissement de l’art ?

L’artiste fait, mais il faut un spectateur. En définitive,
c’est pour lui que l’artiste travaille et c’est par lui qu’il
existe. Ainsi, Lawrence Weiner appose cet
avertissement dans ses expositions : « 1°) L’artiste
peut construire le travail. 2°) Le travail peut être
fabriqué (par quelqu’un d’autre). 3°) Le travail peut ne
pas être réalisé. Chaque proposition étant égale et en
accord avec l’intention de l’artiste, le choix d’une des
conditions de présentation relève du récepteur à
l’occasion de la réception. »

Arrivés là, nous quittons les rives du réalisme pour
aboutir à une vision spiritualiste, ce qu’en termes
savants on appelle le solipsisme : le monde extérieur
n’existe pas, il n’existe que parce que j’ai l’illusion
qu’il y a quelque chose. Il n’existe qu’à travers moi,
tout est subjectif.

L’art à venir
L’art contemporain a de nos jours le statut dont
jouissait l’art académique à la fin du XIXe siècle. Il est
financé par des commandes publiques ou des
entreprises mécènes, et il faut se demander s’il n’a
pas perdu sa capacité de transgression. En regardant
leurs dates de naissance, on remarque que beaucoup
des créateurs contemporains sont morts ou ont
dépassé l’âge canonique – au sens propre, car l’âge
canonique est celui que la règle ecclésiastique, le
canon, fixe pour les servantes de curé et cet âge est…
40 ans !

L’importance des médias et leur souci de découvrir le
génial créateur de demain projettent souvent sur le
devant de la scène des personnalités spectaculaires,
mais sont-elles pour autant des artistes ?

Nouvelles technologies

L’art a toujours eu des inventeurs : voulant créer un


art total qui serait une synthèse de tous les arts, le
peintre hongrois Mihály Munkácsy (1844-1900) faisait
jouer de la musique derrière ses tableaux avant
l’invention du cinéma. Les artistes de la prochaine
génération auront sans doute bien des idées. Les
casques tridimensionnels pourront introduire le
spectateur dans le spectacle, l’art vaudou a bien su
réutiliser les débris industriels et en tirer
d’éblouissants résultats. Le renouveau de l’art ne
viendra peut-être pas des artistes « officiels » ou
officieux, mais de créateurs qui ne savent pas qu’ils
font de l’art (même brut).

Les beaux-arts de nouveau à l’affiche ?

Il peut aussi y avoir un renouveau des beaux-arts car


il n’est pas sûr du tout que la peinture soit morte.
Dans une exposition récente sur l’art contemporain
africain, le commentateur répétait : « L’art
contemporain, ce n’est plus de la peinture. » Les
réussites les plus manifestes étaient pourtant les
toiles de Cheri Samba et les dessins coloriés de
Frédéric Bruly Bouabré, artiste à qui parlent les dieux
de l’Afrique et les esprits inspirés.

Yves Klein en 1958 présenta à Paris, à la galerie Iris
Clert, une exposition intitulée Le Vide, une pièce nue
aux murs blancs. L’art, comme la nature selon le
philosophe Aristote, a horreur du vide. Faisons donc
confiance aux jeunes artistes pour le remplir. Comme
pour éviter le terme « actualité », la science historique
parle d’« histoire immédiate », alors vive l’art
immédiat !

Un nouveau monde à bâtir :


l’architecture contemporaine

Par rapport aux excentricités des arts plastiques


durant la seconde moitié du XXe siècle, l’architecture
contemporaine peut paraître bien sage : après tout,
un bâtiment doit avoir une utilité. Si une œuvre sans
œuvre reste une œuvre, un bâtiment sans mur et sans
toit s’appelle du plein air ou du camping à la belle
étoile, pas de l’architecture.

L’influence de Le Corbusier fut mondiale : un de ses
collaborateurs fut Kunio Maekawa qui eut lui-même
pour élève Kenzo Tange durant la Seconde Guerre
mondiale. Il faut également mentionner les œuvres de
Jean Prouvé et de Jean Nouvel.

Un Nobel qui n’a pas de prix : Tange


Kenzo Tange (1913-2005) devient membre en 1946 de
l’Agence pour la reconstruction du Japon. Il dessine le
plan de la nouvelle Hiroshima et obtient une
renommée internationale pour son Mémorial de la
paix. En 1964, l’architecte bâtit deux stades couverts
pour les jeux Olympiques, et réalise le Theme Building
à l’Exposition internationale d’Osaka en 1974.
L’ensemble de son œuvre est honoré en 1987 par
l’équivalent du prix Nobel d’architecture, le Pritzker
Architecture Prize.

Inutile de sauter dans le premier avion pour Tokyo
pour admirer l’œuvre de Tange, il vous suffit d’aller à
Paris ou à Nice. Eh oui, en apprenant cela, vous venez
de rentabiliser l’achat de ce livre ! Si vous êtes
Parisien, rendez-vous à la place d’Italie, où il a
construit l’immeuble et le cinéma du centre Galaxie. À
Nice, l’artiste a fait le musée des Arts asiatiques en
1998. Le choix a été astucieux – même si on n’a pas
demandé un architecte égyptien pour la pyramide du
Louvre (voir Figure 58). Kenzo Tange a conçu un
projet autour de deux formes géométriques
fondamentales dans la culture japonaise : le carré,
symbole de la Terre, et le cercle, symbole du ciel.

C’est Prouvé !
Fils du célèbre ébéniste nancéien Victor Prouvé (1858-
1943), Jean Prouvé (1909-1984) est ingénieur et
designer, ainsi qu’enseignant adulé. Sachant allier
l’utilisation du verre et du métal, il collabore avec la
designer Charlotte Perriand (1903-1999) aussi bien
pour l’ameublement de la résidence universitaire Jean
Zay à Antony (les anciens étudiants de l’endroit
seraient étonnés d’en connaître la valeur actuelle !)
que pour un projet de maison saharienne en 1958.

Prouvé a aussi collaboré avec de prestigieux
architectes comme Oscar Niemeyer pour le siège du
PCF ou avec Jean de Mailly pour le CNIT à la Défense.
Sa construction la plus connue reste la Maison du
peuple à Clichy datant des années 1937-1939. Il
préside aussi le jury chargé de sélectionner les projets
du futur Centre Pompidou qui sera bâti par Renzo
Piano et Richard Rodgers. Il s’intéresse à l’utilisation
de nouveaux matériaux, comme le prouvent ses
stations-service cylindriques Total ou les panneaux de
façade de l’université de Lyon-Bron. Il ne déteste pas
non plus les défis techniques comme la structure du
parc omnisport de Bercy.

Quel Nouvel ?
En 2002, Jean Nouvel (né en 1945) a reçu trois
récompenses internationales prestigieuses que sont le
prix Borromini, la médaille d’or du Royal Institute of
British Architects et le Praemium Imperiale décerné à
Tokyo. Dès 1971, il est l’architecte de la Biennale de
Paris. Il est très intéressé par le monde du théâtre et
de la scénographie.

Parmi ses œuvres, il faut citer :
la maison Dick à Saint-André-les-Vergers dans l’Aube (1976) ;
le centre médico-chirurgical du Val-Notre-Dame à Bezons
(Val-d’Oise, 1976) ;
le collège Anne-Franck à Antony (Hauts-de-Seine, 1978) ;
l’Institut du monde arabe sur les bords de la Seine (1987) ;
et le musée du quai Branly, ouvert en juin 2006, inspiré des
maisons sur pilotis des peuples minoritaires du Vietnam.
Sixième partie

Aux pays des merveilles :


les arts non européens

Dans cette partie…



Inutile de vous munir de votre passeport pour traverser cette
partie, l’art n’a pas de frontières. Du cercle polaire aux déserts
d’Afrique, quels que soient les conditions de vie et les matériaux
disponibles, l’être humain travaille les formes, les couleurs et
les supports, bâtit selon des aspirations culturelles variées, en
un mot il crée. De l’Asie aux Amériques, des îles océaniques aux
montagnes de la cordillère des Andes, vous êtes convié à un
petit tour d’horizon aux quatre coins du monde des arts
appelés, faute de mieux, non européens. Préparez-vous à être
immergé dans des mondes mystérieux…
Chapitre 22

Chefs-d’œuvre en périple :
l’Asie

Dans ce chapitre :
Du nord au sud, de la Chine et du Japon à l’Inde
et l’Indochine
Des milliers d’années et des milliards d’hommes
Une philosophie devenue religion
Des jeux de mains sans jeux de vilains

L’Asie est réputée pour sa grande finesse artistique et


exerce depuis très longtemps une fascination sur les
Occidentaux. Les codes culturels y sont un peu
différents de ceux en vigueur dans nos civilisations,
mais l’art de cette partie du monde ne nous est pas
totalement inconnu pour autant. Les artistes de la fin
du XIXe siècle, par exemple, ont remis au goût du jour
l’Extrême-Orient, et plus spécialement le Japon.

Laissez-vous guider à travers le continent, nous allons
emprunter les ponts japonais, fouiller le sol de Chine,
étudier les positions du Bouddha, avant d’être
accueillis en Inde à bras ouverts…
Soleil levant : l’architecture de la Chine
et du Japon

Quel est le seul monument visible depuis l’espace ? Si


vous répondez – comme c’est l’usage – la Grande
Muraille de Chine, vous avez perdu ! En effet, elle
n’est pas plus visible que les grandes pyramides
d’Égypte. Pour vous remettre d’une telle révélation,
voici quelques éléments d’informations sur
l’architecture et les pratiques artistiques d’Extrême-
Orient.

Défense de faire le mur


La construction de la Grande Muraille de Chine
s’étend de - 500 au XVIIe siècle. Mais en dehors de
cette exception, l’architecture chinoise et extrême-
orientale n’a pas connu – c’est le cas de le dire – de
travaux pharaoniques. Et la Grande Muraille elle-
même n’est, à bien des endroits, qu’un simple mur qui
n’effraierait pas un cheval mongol court sur pattes.
Elle sert généralement plutôt à concrétiser la frontière
et fait office de barrière pour empêcher les troupeaux
de divaguer, c’est-à-dire de trop se disperser et de se
perdre, et ainsi de devenir un motif d’affrontement
entre tribus nomades et empire chinois. C’est en
somme une vaste clôture de fils barbelés sans fils
barbelés…

Circulez, il n’y a rien à voir

On s’étonne parfois, et jusqu’à remettre en cause son


séjour en Chine, que Marco Polo (1254-1324) n’en
parle pas dans son Livre des merveilles. (Marco Polo,
rappelons-le, est ce voyageur qui a quitté Venise
pendant vingt-quatre ans en ne fermant pas le robinet
de sa baignoire. On a vu le résultat…) Si le Vénitien ne
parle pas du monument si prestigieux aux yeux de
chaque Occidental, la raison est toute simple : la
partie la plus spectaculaire de cette Grande Muraille,
la plus visitée aujourd’hui et dont l’image est la plus
popularisée (vaste escalier, hautes tours) est plus
tardive, ne datant que de la dynastie Ming (1368-
1644). À son époque, il n’y avait donc pas de quoi
s’émerveiller.

Manque de pont
En dehors de ce monument utile, en Extrême-Orient,
la pierre comme matériau n’a guère été utilisée que
pour la construction de quelques ponts. Sur le Tokaido
– la voie qui traversait tout le Japon – les bacs étaient
souvent préférés aux édifices en dur, cela dans le but
de pouvoir maîtriser les déplacements de population,
les empêcher au besoin, comme dans le cas d’une
troupe armée en route pour un coup d’État. À l’entrée
d’Hiroshima par exemple, il n’y avait que trois ponts,
dont l’étroitesse rendait impossible toute charge de
cavalerie.

En architecture, c’est le bois qui prédominait. La


fragilité de ce matériau a généré l’habitude de rebâtir
à intervalles réguliers les monuments, à l’identique.
Cela entraîne une perception différente de l’âge d’un
bâtiment : un guide asiatique présente une pagode
comme étant du XIVe siècle, même si un incendie l’a
réduite en cendres il y a soixante ans et qu’elle a été
entièrement refaite.
C’est stupafiant
Autrement dit, on n’envisage pas l’architecture de la
même manière en Asie qu’en Occident. Un Viollet-le-
Duc asiatique ne reconstitue, ni ne crée une copie,
encore moins fait-il un faux, il réincarne. Il faut peut-
être voir là une conception de l’univers et une attitude
intellectuelle en accord avec le bouddhisme.
D’ailleurs, la pagode dériverait du stupa indien, ce
monument tumulus censé à l’origine abriter une
relique du Bouddha. Et c’est là peut-être l’origine de
toute l’architecture asiatique.

La forme du stupa est inspirée par deux des attributs
traditionnels du moine bouddhiste :
le bol à aumônes retourné pour la forme du dôme ;
la robe de moine repliée pour les trois marches conduisant au
stupa.
Tibet or not Tibet
Le stupa a abouti à d’innombrables variations en Asie
depuis que l’empereur indien Ashoka au IIIe siècle a
popularisé ce type de construction. Depuis le temps
que le dalaï-lama se promène sur la planète et qu’on
s’intéresse au bouddhisme, vous savez qu’au Tibet,
cet édifice, avec sa forme caractéristique de bulbe,
s’appelle un chorten. Les plus remarquables sont :
celui de Sanchi en Inde ;
celui de Bodnath à Katmandou, qui date du XIVe siècle ;
celui de la pagode Shwedagon à Rangoon, en Birmanie ;
et celui qui a le record de hauteur de 127 mètres à Nakhon
Pathom, en Thaïlande.
Dieux à tous les étages

Cependant, une pagode n’est pas nécessairement


bouddhiste, elle peut également être taoïste, voire les
deux à la fois. Il n’y a qu’à songer au panthéon
bouddhique qui intègre tous les cultes, un peu comme
la religion romaine antique. Cela aboutit à ce mélange
japonais de bouddhisme et de shintoïsme chez le
même croyant. À l’heure actuelle, le terme de pagode
est réservé aux constructions d’Extrême-Orient et
d’Asie du Sud-Est. Ces monuments religieux en forme
de tours polygonales sont divisés en plusieurs étages,
parfois quinze, qui représentent les cieux superposés
à la Terre, où les Bodhisattvas, les futurs Bouddhas,
attendent l’heure de leur incarnation. Sans cesse
rebâtis, ces monuments sont éternels, même s’ils sont
transitoires pour une vision occidentale.

Une peinture au rouleau


La conception éphémère de l’architecture entraîne
aussi d’autres habitudes de décoration. Les édifices
destinés à être reconstruits une fois par génération ne
sont donc pas décorés de fresques ou de peintures
murales, ni de grands tableaux sur toile.

La peinture utilise trois sortes de supports :
les rouleaux verticaux, les kakemonos japonais ;
les rouleaux horizontaux, les makimonos ;
les paravents.

Présentez vos papiers !

Les conditions matérielles induisent évidemment


d’autres habitudes artistiques. Quel est le point
commun entre rouleaux et paravents ? Tous les deux
se referment et se replient. Le papier et la soie,
matériaux privilégiés, ne supportent pas la lumière,
alors qu’elle est indispensable pour mettre en valeur
la peinture à l’huile occidentale. Ainsi, on n’expose
pas en permanence les peintures au mur et on ne
jouit de l’œuvre d’art qu’à des moments privilégiés.
(De là découle l’expression qui invite à partager une
intimité pas seulement esthétique : « Viens voir mes
estampes japonaises. ») S’il n’y a que peu de
portraits, le rouleau horizontal se prête bien en
revanche à la forme narrative.

Prenons par exemple l’histoire du Bouddha. Elle est
représentée avec des traits qui rappellent parfois nos
occidentales tentations de saint Antoine. L’art du
paysage atteint des sommets de raffinement.
Certaines de ces peintures savent jouer de la
blancheur de la feuille. Le trait suggère les contours et
le vide devient paysage. L’abstraction est presque là,
à portée de pinceau.

Le Japon aussi développe une pratique artistique qui
doit beaucoup au bouddhisme et plus
particulièrement à ce bouddhisme zen qui fait de l’art
un aboutissement personnel et intérieur. L’art zen
repose sur le dépouillement et l’admiration de la
nature. Le « jardin » zen du temple de Ryon-ji en est
un bon exemple, car il n’est pas véritablement un
jardin mais une surface de graviers, savamment
ratissée, avec quelques pierres qui émergent. Le tout
tient à la fois du tableau, de la sculpture et de la
performance.

Viens voir mes estampes japonaises


La peinture orientale qui a marqué l’imaginaire
occidental est la peinture japonaise de l’ukiyo-e,
apparue à la fin du XVIIe siècle mais florissante
jusqu’à la fin du XIXe siècle. Traduite par « images du
monde flottant » ou par « images du monde
éphémère et mouvant », cette expression concerne
un monde en dehors de la société respectable. Les
modèles des peintres et graveurs sont ainsi des
acteurs de kabuki, le théâtre japonais, ou des geishas,
les courtisanes de plus ou moins haute volée. Le
vocabulaire français familier a la même notion avec
« zonard », celui qui vivait naguère dans la « zone »
qui s’étendait aux limites de Paris après les
fortifications.

Aux japonais absents
Le genre de l’ukiyo-e est constitué de peintures et
d’estampes xylographiques, c’est-à-dire imprimées à
partir de planches gravées en bois. La peinture
japonaise ne suit pas les mêmes voies grandioses que
la peinture occidentale. La souplesse du pinceau et la
douceur de la gravure sur bois conviennent bien à
l’expression des aspects fugaces de la nature ou au
mouvement gracieux de l’animal. Les noms les plus
marquants sont ceux d’Utamaro, de Hokusai et de
Hiroshige.

Les mangas ne datent pas d’hier
Le peintre Kitagawa dit Utamaro (1753-1806) fait des
prodiges en représentant des insectes et toutes sortes
d’animaux, mais il est surtout célèbre pour sa série
des Maisons vertes sur Yoshiwara, le Pigalle d’Edo
(ancien nom de Tokyo).

Hokusai (1760-1869) laisse plus de 30000 dessins,
dont on retient sa série de 15 volumes, Manga (sorte
d’encyclopédie d’images). Et comme la mode des
mangas ne date pas d’aujourd’hui, on remarque son
importante influence sur des artistes occidentaux
comme Degas ou Van Gogh. Dans son propre pays,
l’artiste a pour successeur Utagawa Ichiyusai, dit
Hiroshige (1797-1858). L’expression « images du
monde éphémère » convient particulièrement à son
œuvre qui dépeint la nature. À son tour, ce peintre
influence des artistes occidentaux comme Whistler ou
Toulouse-Lautrec.

Mise en terre… cuite : la sculpture

Le 29 mars 1974, on fait en Extrême-Orient une


découverte extraordinaire qui bouleverse nos idées
sur la sculpture chinoise. Ce jour-là, des paysans qui
creusent un puits dans la province du Shanxi, dans le
nord de la Chine, mettent au jour une statue de
guerrier de terre cuite. Les archéologues nous
révèlent ensuite l’armée qui protège le dernier repos
de Qin Shi Huangdi (mort en - 210, soit une centaine
d’années après Alexandre le Grand). Cet empereur est
celui qui a fondé la grande dynastie Qin, dont le pays
tire son nom (devenu Chine en français).

De vraies fosses
Le tumulus qui renferme la sépulture a 50 mètres de
haut et un périmètre de 6 kilomètres. Pour l’instant,
les archéologues chinois n’ont pas encore pénétré
dans le tombeau lui-même. Lorsqu’ils le feront, on
pourra sans doute ajouter un chapitre assez étonnant
à ce livre, un peu comme si on avait découvert la
tombe inviolée d’un grand pharaon comme Ramsès II,
alors que nous sommes déjà éberlués par celle d’un
roitelet comme Toutankhamon ! Le plus inattendu,
c’est que nous savons par un historien ce qu’il y a à
l’intérieur.

À tombeau ouvert
Historien, Sima Qian (- 145 à - 86) a la
mauvaise idée de se faire l’avocat d’un officier
accusé de trahison envers l’empereur Wu Di
(vers - 100). Or ce dernier a une façon bien à
lui de considérer les droits de la défense : il
laisse à l’avocat improvisé le choix entre les
bourses ou la vie, être castré ou être décapité.
Sima Qian survit à l’opération et nous laisse
une histoire de la Chine, où il raconte que
700000 hommes ont contribué à bâtir le
tombeau. Ils creusent à travers trois niveaux
d’eaux souterraines, coulent du bronze et
installent les sarcophages. Des pièges sont
évidemment installés pour prévenir toute
intrusion.

Ce tombeau devait être à l’image de l’univers.
Au plafond est représentée la voûte céleste et
au sol une gigantesque carte de l’Empire est
tracée ! Du mercure remplit les fleuves et des
arbres et de la végétation sont plantés pour
recréer un paysage. Pour représenter le pays,
des artisans transportent des modèles de tous
les bâtiments de l’Empire. Objets précieux et
raretés accompagnent aussi l’empereur pour
son dernier voyage. Les concubines sans
enfants sont sacrifiées, ainsi que les bâtisseurs
qui connaissaient les secrets des pièges.

La tête de l’emploi
Les archéologues mettent à jour cinq fosses dont une
vide. De la première – la plus grande, 230 mètres de
long, 62 de large et 5 de profondeur – ils dégagent
plus de 1 000 guerriers, une trentaine de chevaux et
des chars. On estime qu’il y a encore des milliers de
statues enfouies qui attendent sans remuer un cil la
suite des travaux. Les soldats debout font près de 2
mètres, ceux agenouillés environ 1,20 mètres. Chaque
visage est un portrait individualisé et l’équipement est
rendu avec un réalisme remarquable. La deuxième
fosse contiendrait plus d’un millier de statues dont
seule une centaine a été dégagée. Dans la troisième
fosse se trouvent 68 guerriers et un char, peut-être
l’état-major. La quatrième est vide, sans doute
inachevée. Certains fouilleurs se sont demandés si
elle n’avait pas été conçue pour des sacrifices
humains. Dans la cinquième fosse, on a trouvé deux
chars de bronze.

L’armée de terre
Découverte unique dans l’histoire de l’art, cette
armée en terre cuite est la preuve d’une véritable
industrie de la sculpture. On pourrait croire qu’ensuite
elle a un développement extraordinaire, en particulier
l’art du portrait comme le laisseraient supposer les
visages, tous différents, de ces gardes. Il n’en est
rien ! De façon générale, l’imitation de la nature n’est
pas considérée comme le but de l’art oriental. Nous
ne trouverons ensuite plus guère que des statuettes,
comme celles d’animaux qui ont l’air si vivants ou de
danseuses pleines de grâce, et une abondante
production de bouddhas.

Comme ça sanscrit
Après la conquête d’Alexandre, l’influence
hellénistique perdure avec le royaume du
Gandhara au nord de l’Inde (actuellement une
partie de l’Afghanistan) florissant du Ier au VIIe
siècle. Jusqu’à cette époque, le Bouddha n’est
pas représenté avec un visage humain. Les
sculpteurs du Gandhara sont les premiers à le
faire en lui donnant les traits d’Alexandre le
Grand dans des figurations inspirées des
statues d’Apollon. Toutes les représentations
actuelles du Bouddha, y compris au Japon, en
dérivent. À l’opposé, nous connaissons en
Occident un saint Josaphat qui n’est autre que
Bouddha devenu saint, car le mot sanscrit
Bodhisattva est devenu Boudasaff en arabe
puis Iodasaf en géorgien, pour devenir
finalement Josaphat.

Jeux de mains
Chaque Bouddha apparaissant sur Terre a des
marques physiques particulières, 32 selon la tradition,
par exemple la protubérance crânienne (ushnisha),
une touffe de poils entre les sourcils (urna), la roue de
la Loi sur la plante des pieds et sur la paume des
mains, de longs bras dont les extrémités atteignent
les genoux, ou bien encore la chevelure bouclée.
Après un examen rapide dans le métro ce matin, nous
sommes encore quelques-uns à devoir nous
réincarner !

Les gestes du Bouddha correspondent à un code bien
précis, un peu comme les attributs des saints dans le
christianisme, la roue pour sainte Catherine ou le
cochon pour saint Antoine.

Têtes d’hilare
Il ne faut pas oublier que le mystique connu en
Occident sous le nom de Bouddha n’est que
l’un d’entre eux, le Bouddha historique nommé
Siddharta Gautama. Les récits traditionnels du
Buddhavamsa (l’histoire du Bouddha) disent
que 24 autres Bouddhas l’ont précédé. Après
lui, il y aura le Bouddha de l’Avenir, Maitreya,
très souvent représenté dans les pays
d’Extrême-Orient sous un aspect ventripotent
et hilare. Il montre ainsi son optimisme pour
l’avenir, mais comme il doit naître 5 000 ans
après la mort de Gautama, on a encore le
temps de voir venir. D’ici là, il aura peut-être
perdu sa bonne humeur en voyant ce que les
hommes peuvent se faire entre eux !

Avec Maitreya, cinq de ces Bouddhas sont plus
particulièrement vénérés. Ils ont une
localisation géographique ou astronomique
bien précise et sont abondamment représentés
sous toutes les formes, sculptures ou
peintures. Voici quelques indices pour les
reconnaître sans regarder les étiquettes dans
les vitrines :
Celui de l’Ouest, le plus vénéré, est
Amithaba, nommé Amida au Japon. Il
correspond au soleil couchant et symbolise la
sagesse, la miséricorde et la compassion, en
consolant et délivrant les êtres de leur
souffrance.
Le Bouddha de l’Est, Akshobhya
l’Inébranlable, subjugue les passions
démoniaques et manifeste le pur esprit de
l’éveil sans souillure. Il correspond au soleil
levant et sa couleur est le bleu, son attribut le
foudre et sa monture l’éléphant. On lui prête
les vertus de la vacuité, c’est-à-dire du vide
intérieur, une vertu pratiquée involontairement
par de nombreuses personnes !
Ratnasambhava, « issu du diamant », règne
dans le Sud. Sa couleur est le jaune, son
attribut le diamant et sa monture le cheval ou
le lion.
Amogasiddhi l’Incorruptible règne dans le
Nord. Sa couleur est le vert, ses attributs sont
l’épée ou un double foudre, sa monture est
l’aigle.
Au Zénith règne Vairocana, seigneur
omniscient, lumière universelle. Sa couleur est
le blanc, son attribut le disque solaire et sa
monture le dragon. Il est souvent représenté
assis sur un trône soutenu par des lions, avec
un geste bien caractéristique qui n’appartient
qu’à lui : il tient ses deux mains devant sa
poitrine et la droite serre totalement l’index
levé de la main gauche.
Des variantes
Certains pays ont développé une iconographie
particulière. On trouve par exemple en Birmanie des
représentations sculptées du Bouddha en train de
marcher. Quelques représentations du Bouddha
couché sont réputées, par exemple au Japon – la
plupart du temps, il s’agit du Mahaparinirvana (qui
n’est pas un retour du groupe de Kurt Cobain, mais
une moins réjouissante extinction définitive). Plus
couramment, on représente surtout le Bouddha
debout ou assis.

On a pris l’habitude de considérer certains gestes et
certaines attitudes comme caractéristiques de
miracles précis ou de d’épisodes particuliers de la
biographie du Bouddha, valables pour les différents
arts asiatiques et aussi pour l’art classique indien.
Mais attention, si le Bouddha historique est né en
Inde, l’Inde n’est plus bouddhiste depuis le XIIe siècle.
La religion a en effet quitté le pays qui l’a vu naître
pour se répandre dans toute l’Asie et, d’une moindre
façon, en Occident.

Du grain à mudrâ

Les gestes codifiés des mains, mudrâ en sanscrit,


qu’on traduit souvent par « sceau », permettent en
effet de reconnaître les divers Bouddhas ou des
épisodes de la vie de Gautama. Vous pouvez oublier
les termes sanscrits et retenir les positions en
français, afin d’impressionner les gosses la prochaine
fois que vous irez au musée Guimet :
Dhyâna mudrâ, sceau de la méditation : le Bouddha est
assis à l’indienne, le buste droit, les deux mains à plat l’une sur
l’autre. Les doigts allongés peuvent former avec les pouces un
triangle mystique, symbole du feu spirituel.
Abhaya mudrâ, sceau de l’absence de crainte : le bras
est levé, la paume de la main droite est tournée vers l’avant
(un peu comme on dirait « Halte-là »), la main gauche est
tendue vers le sol. L’épisode de la vie de Bouddha auquel il se
rapporte est l’attaque de l’éléphant Nalagiri envoyé contre lui
par son cousin Devadatta. Dans la vie courante, pour tout un
chacun, afin d’éviter une réincarnation prématurée, la fuite est
conseillée.
Varadra mudrâ, sceau de la charité, du don, de la
générosité : le bras droit est pendant, la paume de la main
ouverte, en symbole de la promesse du Bouddha de se
consacrer au salut des hommes.
Vitarka mûdra, sceau du raisonnement, de
l’argumentation ou de l’enseignement : la main est à
hauteur de la poitrine comme dans l’Abhaya mudrâ mais avec
le pouce et l’index joints. Le rond formé par le pouce et l’index
forme un 6 avec les autres doigts (comme pour dire : « C’est
aux petits oignons, je ne vous dis que ça ! »). La main gauche
tient le bord du vêtement. Toutefois, cela dépend des pays, car
en Thaïlande les deux mains font le mudrâ. Au Japon, six
significations sont possibles selon la disposition des doigts :
que de chinoiseries !
Vairocana mudrâ, le sceau de la sagesse,
caractéristique de Vairocana : le Bouddha du Zénith tient
ses deux mains devant sa poitrine et la main droite serre
totalement l’index levé de la main gauche. Le « poing de la
sagesse » représente la connaissance dissimulée sous les
apparences.
Dharmachakra mudrâ, sceau de la roue de la Loi :
c’est le geste de l’imperturbabilité et du rejet des passions. Les
deux mains sont ramenées devant la poitrine, la main droite
fait un 6 avec les doigts, la gauche appuie l’extrémité des
doigts contre la paume de la main droite.
Bhûmisparsa mudrâ, sceau de toucher la terre, dit
aussi « de la prise de la terre à témoin », une position
très fréquente : le geste est toujours accompli par le
Bouddha assis, la main droite est allongée sur la cuisse droite,
les doigts tendus vers le sol, l’autre main posée sur les jambes
repliées, la paume tournée vers le ciel. L’épisode en relation
avec ce geste est la tentation du Bouddha par les trois filles de
la démone Mara symbolisant la passion, le désir et le plaisir. La
déesse Vasumdarhi vint à son secours et déclencha un
tremblement de terre qui les fit fuir. Ce mudrâ « de prise de la
terre à témoin » prouve qu’une prise de terre est indispensable
dans toute situation électrique.
Lotus en position

Les attitudes corporelles du Bouddha, les asanas, sont


aussi codifiées que les gestes des mains. Debout, on
parle le plus souvent de stanaka asana. Le Bouddha
est de face, jambes légèrement écartées, faisant le
geste de l’Abhaya. Bien connue de tous, la dhyana
asana est la position du lotus. Souvent évoqué, le
lotus est, à l’image de l’être humain, capable de
s’épanouir en ayant ses racines dans la boue. La
plante des pieds du Bouddha a la roue de la Loi
comme marque de naissance. Ces attitudes se
retrouvent aussi bien dans l’iconographie que dans la
sculpture, de l’Inde à la Chine ou au Japon.

Spécialiste de l’universel : l’Inde

L’art indien a quelque chose d’une vision totale du


monde. Selon une légende très révélatrice, on dit
qu’un roi indien voulut apprendre de son miniaturiste
l’art de peindre. « Bien sûr, répondit le peintre, mais
pour apprendre à peindre, il faut d’abord apprendre la
sculpture afin de bien apprécier les volumes. » Le
sculpteur sollicité expliqua, lui, au roi qu’il devait
d’abord comprendre gestes, postures et mouvements
et pour cela étudier la danse. Évidemment, comme
vous pouvez vous en douter, la danse nécessite une
bonne compréhension du rythme, donc de la musique.
Et la musique tire son origine de la poésie … Le roi
comprit alors que, pour pratiquer une discipline
artistique, il fallait les connaître toutes. Cette histoire
donne le ton de l’art indien.

La première civilisation de l’Indus date de - 3000. On a


retrouvé à Mohenjo-Daro et à Harappa des statuettes
de diverses pierres ou de bronze à cire perdue. Ce
procédé consiste à faire d’abord une statue de cire.
On l’entoure d’un moule dans lequel on verse le métal
en fusion. Le métal prend la forme de la cire qui
s’évapore sous l’effet de la chaleur : simple et génial.
Il faut signaler les sceaux qui représentent des
animaux d’origine indienne et quelques personnages
dont un dieu que l’on croit parfois apparenté à Shiva.
Sur ces sceaux qui rappellent ce genre d’objets
mésopotamiens, figurent des inscriptions dans une
écriture toujours pas déchiffrée à ce jour.

Hindoue en dur : l’architecture


L’Inde n’est jamais celle que l’on croit. Le monument
le plus visité de l’Inde, le Taj Mahal (voir Figure 60)
n’est pas hindouiste comme on serait tenté de le
croire, mais musulman. En effet son bâtisseur est un
souverain moghol, descendant du fameux conquérant
Tamerlan (1336-1405), resté célèbre pour ses
pyramides bâties avec un matériau original : des têtes
fraîchement coupées. Moghol est une autre façon de
dire mongol, mais le terme s’applique
particulièrement à la civilisation musulmane de l’Inde.

Jouer à Shah

Homme de culture, mais n’aimant pas la concurrence


(il fait tuer tous ses frères), Shah-Jahan (1592-1666)
fait bâtir une merveille architecturale près d’Agra, en
souvenir de sa femme la sultane Nour-Djihan. Morte
en couches, elle lui avait demandé de lui bâtir un
tombeau dont la beauté ferait passer son nom à la
postérité. Placé sur un socle de 5,50 mètres de haut,
le tombeau comporte deux étages. Coiffé de coupoles
d’inspiration persane, il est en marbre blanc avec des
incrustations de pierre qui dessinent des motifs
floraux. Le tout aux proportions parfaites, à tel point
qu’il est surnommé « le rêve de marbre ». À
l’intérieur, on peut voir deux sarcophages, mais les
corps reposent dans des caveaux en dessous. Shah-
Jahan avait rêvé pour lui d’en bâtir un semblable de
pierre noire. Il n’en a pas eu le temps car il fut
renversé et emprisonné par son fils (qu’il avait omis
de tuer : on ne peut pas penser à tout).

Un pilier très affranchi

Si les archéologues savent que l’occupation humaine


n’a jamais cessé, il faut attendre les IIe et IIIe siècles
pour trouver des monuments de quelque importance
comme les piliers commémoratifs isolés. Ashoka,
l’empereur converti au bouddhisme vers - 300, en fait
aussi élever, ornés de bas-reliefs et surmontés
d’animaux sculptés. Le plus beau d’entre eux,
conservé au musée de Sarnat près de Bénarès, est
devenu le symbole de l’Union indienne, à tel point
qu’il apparaît sur les timbres-poste.

Aux quatre points cardinaux
En grès merveilleusement poli, le plus bel exemple
d’art maurya (de la dynastie du même nom, entre -
320 et - 185) représente quatre lions adossés qui, à
l’origine, supportaient la roue de la Loi. Ils reposent
sur un entablement rond où sont sculptés les animaux
qui symbolisent les quatre points cardinaux : le lion, le
buffle, le cheval et l’éléphant. Entre ces animaux, il y
a la roue solaire, la même que l’on voit sur le drapeau
de l’Union indienne.

De cette époque datent également les grottes
bouddhiques décorées. La caractéristique en est
l’imitation dans la pierre des charpentes de bois des
maisons traditionnelles. Taillées dans le roc comme de
véritables cathédrales troglodytes comportant même
un stupa, ces grottes n’ont plus rien à voir avec les
modestes ermitages des moines bouddhistes ou
jaïnistes.

Une architecture en creux
Pour l’Inde, la période classique est celle qui s’étend
du IVe au VIe siècle, sous l’empire gupta. La
décoration des grottes atteint son apogée à Ajantha.
L’architecture est là inversée : si d’habitude, pour
faire un bâtiment, on entasse des matériaux, ici
durant des siècles on creuse ! Toutes les parois ont
été sculptées en ronde bosse d’animaux, de divinités
et, ce qui étonne toujours les Occidentaux, de couples
amoureux. Le site est constitué d’une trentaine de
grottes et de monastères souterrains dont la
décoration s’est étendue sur une dizaine de siècles.

Un lieu aux cultes

Au siècle suivant, cette tradition se perpétue à Ellora.


Les 34 grottes creusées dans la roche sont
bouddhistes, hindouistes ou jaïnistes, un peu comme
si dans une abbaye on avait installé aussi une
mosquée et une synagogue ! La comparaison donne
tout de suite une idée de la différence de civilisation.
La grotte la plus remarquable du site d’Ellora abrite le
sanctuaire renommé de Kailasa. Il rappelle le mont
Kailash dans l’Himalaya, la demeure de Shiva, la
montagne sacrée des hindouistes qui, manque de
chance, se trouve en territoire chinois ! Les fidèles ont
voulu le recréer ici à partir d’un rocher. La superficie
de ce temple de deux étages creusé dans une carrière
fait deux fois celle du Parthénon d’Athènes !

Des mains du Bouddha aux bras de


Ganesh : la sculpture
L’histoire de la sculpture indienne ne commence
qu’avec le bouddhisme. Cette école donne une
abondante production de statues du Bouddha et des
événements de son passage sur Terre. Elle évolue
ensuite vers cet art indien exubérant si
caractéristique qui multiplie bras, jambes et têtes.
L’art classique indien est l’art gupta dont l’apogée est
le règne de Chandragupta II (prononcez :
Tchandragoupta), de 375 à 415.

Dans les territoires soumis à l’autorité des rois
Kushana gréco-indiens à cheval sur le nord du
Pakistan et l’est de l’Afghanistan (toutes régions où
l’on ne trouve plus guère de bouddhistes, et encore
moins de Grecs) un style particulier va naître, appelé
gréco-bouddhique ou encore art du Gandhara, du nom
de cette province qui vit son développement.

Gandhara
C’est un art bouddhique très particulier et
profondément original, créé à partir d’apports
successifs et inattendus : syriens, parthes, romains et
indiens. L’influence grecque est évidente dans les
visages au nez rectiligne dans le prolongement du
front – le fameux profil grec –, les drapés à l’antique et
les coiffures des Bodhisattvas. Dans la décoration, elle
se manifeste par l’utilisation de la feuille d’acanthe et
par les sujets mythologiques. L’art parthe qui
privilégie la présentation frontale y transparaît dans
les alignements des bouddhas et des donateurs eux-
mêmes vêtus à la mode parthe, en bottes souples,
pantalons et tuniques.

Défense d’y voir
Les magnifiques ivoires du Gandhara qui proviennent
de Begram, conservés au musée de Kaboul, ont
disparu dans les guerres récentes. On peut toujours
espérer les voir revenir puisqu’on sait qu’ils n’ont pas
été détruits. En attendant cette résurrection, il est
possible d’en voir en France au musée Guimet. C’est
dans cet art que pour la première fois apparaissent
des figurations du Bouddha. Il faut insister sur cet art,
car l’iconographie créée à ce moment-là va se
transmettre en Chine et jusqu’au Japon le long de la
route de la soie, qui unissait la Méditerranée à la
Chine.

Plein les bras
Les scènes sculptées à Ellora et celles d’Elephanta
(VIIe siècle) puisent dans le fonds mythologique du
Ramayana et du Mahabharata, les grandes épopées
indiennes toujours racontées sur la scène au cours de
grandes fêtes apparentées aux mystères médiévaux.
La représentation des divinités hindouistes est bien
particulière avec leurs multiples bras. Ces membres
répétés sont là pour indiquer les différents attributs du
dieu, permettant de reconnaître l’être divin des
multiples créatures humaines ou démoniaques qui
l’entourent. Chacune de ses mains porte un attribut
symbolisant l’un de ses pouvoirs.

Une mémoire d’éléphant
Prenons l’exemple de Ganesh, le populaire dieu à tête
d’éléphant, maître et protecteur des arts et de la
littérature. Le plus souvent, il a quatre bras, pouvant
se multiplier jusqu’à seize (non, ce n’est pas pour
mieux serrer les mains de ses adorateurs). Il a quatre
bras car c’est lui qui créa les quatre sortes d’êtres, les
quatre castes et dévoila les quatre vedas, c’est-à-dire
les voies de la connaissance. Ces mains tiennent :
la massue qui exprime sa force ;
l’aiguillon à éléphant qui montre sa capacité à diriger les
forces sauvages ;
une défense cassée qui lui a servi de stylet pour écrire la
Bhagavad Gitâ ;
le gâteau en forme de boule, le gulab djamon, la récompense
destinée à celui qui cherche la vérité, et le côté alléchant de
l’hindouisme pour les amateurs de cuisine indienne.

Notre position sur le yoga


amoureux
Imprégnés de près de 2 000 ans d’une religion
et d’une civilisation où le sexe est toujours
dissimulé, les Européens sont frappés par les
frises érotiques tantriques, dont les plus
célèbres sont à Khajuraho. Le tantrisme
propose diverses pratiques érotiques ou
ésotériques pour atteindre la divinité, en une
sorte de yoga amoureux. Il se retrouve dans
les diverses religions, tels le bouddhisme,
l’hindouisme ou le jaïnisme. On trouve des
scènes sur les temples qui évoquent plus les
réunions de travail avec stagiaire d’un ancien
Président d’un grand pays ami que la façade
d’un sanctuaire…

C’est une mystique de l’amour physique
certes, mais certains scènes de zoophilie sont
plutôt bizarres, même si on a voulu y voir des
souvenirs d’antiques rites de fertilité. Certains
fidèles pensent que c’est à cause de la déesse
de la Foudre : comme elle est très pudique,
elle détourne les yeux et manque sa cible.
Excellent paratonnerre !

Des miniatures grandeur nature : la


peinture
La peinture indienne a su utiliser tous les supports :
fresques, feuilles de palme ou papier. Selon les
sources littéraires, toute personne bien née pouvait
peindre un portrait mais, de l’art pictural ancien, il ne
nous reste que des fresques ou des miniatures.

Cet art indien extrêmement raffiné n’est pas un art
réaliste aux yeux des Européens : les Anglais des
XVIIIe et XIXe siècles reprochaient aux miniatures
mogholes leur manque de perspectives ou trouvaient
qu’une statue chola (de la dynastie du même nom)
comme la très belle Parvati était trop déhanchée avec
une taille trop mince et une poitrine trop grosse. Soit
dit en passant, ces jeunes gens avec des plumes dans
le dos qui volètent sur les nuages et qu’on appelle des
anges sont-ils pour autant plus réalistes ?

Ajantha
Les grottes sculptées d’Ajantha sont aussi peintes
avec des fresques. Elles ont été redécouvertes au
début du XIXe siècle par des soldats anglais partis à la
chasse au tigre. Quoique bien endommagés, les
fragments restant montrent le raffinement de cette
peinture. La scène la plus complète est celle qui
présente un roi et sa suite se rendant avec des
musiciens vers un arbre sacré, peut-être le figuier du
Bouddha. La scène présente des visages parfaitement
individualisés, dans un monde vivant et foisonnant.
Les peintures sur les plafonds sont probablement
faites à l’imitation de celles des palais, tant on a
l’impression d’encadrements en trompe-l’œil, avec un
bestiaire saisi sur le vif comme cet éléphant parmi les
lotus.

Art total

Nous possédons encore des peintures sur feuilles de


palmier qui illustrent des textes religieux. Par
exemple, celle de l’école Gujarat, État de l’ouest de
l’Inde. Dans celle-ci, une caractéristique est
frappante : les personnages sont de profil mais les
deux yeux sont apparents. Ce premier support en
longueur explique aussi l’habitude persistante de
disposer les scènes en long, l’une au-dessus de
l’autre.

L’Inde a aussi développé en la peinture des râgamâlâ
un art miniaturiste très particulier. Le raga est la
forme musicale classique, mais on joue tel ou tel
morceau selon l’humeur et l’heure de la journée. Le
musicien doit en même temps s’inspirer non
seulement du texte mais aussi de la miniature. L’Inde
tente ainsi de créer un art où littérature, musique et
peinture forment un tout.

Vraiment cinghalais
L’influence de l’Inde, et plus particulièrement
du bouddhisme cinghalais, s’est fait sentir sur
la péninsule indochinoise. Cela transparaît bien
dans cet art inattendu du royaume du
Champa, en plein centre du Vietnam, qui nous
a laissé de hautes tours en briques avec
quelques sculptures figurant les divinités
hindouistes et les danseuses apsara au musée
de Da Nang. Elles sont curieusement
encastrées dans les murs. Puis les Chams, qui
étaient d’origine indonésienne, ont vu leur
civilisation disparaître. À l’heure actuelle, leurs
descendants vivent au Laos et sont convertis à
l’islam. Il surent vers 850 créer un art original
où se sont fondues les influences chinoises et
indonésiennes.

Leurs adversaires khmers du Cambodge ont
créé un des arts les plus prestigieux de l’Asie,
dont les premiers monuments datent du début
du VIIe siècle. L’apogée de l’architecture
khmère est le site d’Angkor, bâti du IXe au XVe
siècle, qui constitue un des plus grands
ensembles monumentaux du monde. À
l’origine, la ville est fondée autour du temple
de Phnom Bakheng. La capitale terrestre est la
réplique de la demeure céleste. Le temple est
la montagne sacrée, le mont Meru, qui se
dresse au centre du monde. Les grands
réservoirs qui servent à l’irrigation, longs de 8
kilomètres et larges de 2, figurent l’Océan
primordial. Cette invention du temple-
montagne est une caractéristique khmère.

Cette capitale est en fait une addition de villes
et de temples. Angkor Vat est un ensemble
monumental de 850 mètres sur 1 kilomètre,
dont l’édifice principal est une pyramide à trois
étages aux galeries abondamment décorées et
dominée par cinq tours en forme de lotus. Les
Chams ayant conquis cette capitale vers 1180,
Javayarman VII, parfois surnommé le Louis XIV
khmer, fit bâtir Angkor Thom centré sur le
temple du Bayon, avec ses énormes portraits
de pierre le représentant. Au XVe siècle, les
Khmers transfèrent leur capitale plus au sud.
Les Français redécouvrent ces temples en
1860 avec, parmi eux, le fils de Carpeaux. Ce
sont les archéologues de l’École française
d’Extrême-Orient qui dégagent une partie du
site. Interrompus par les guerres récentes, les
travaux ont repris : pour l’instant, sur un total
estimé de 600 temples, seule une centaine ont
pu être dégagés.
Chapitre 23

Nouveaux mondes, arts


anciens : les Amériques et
l’Océanie

Dans ce chapitre :
Igloo, igloo, igloo : ils sont des nôtres !
Se promettre de se faire la guerre
Rêver sa vie et vivre un rêve

Les arts des Amériques et d’Océanie ne marchent


évidemment pas tous sous la même bannière, loin
s’en faut. Mais ils ont en commun d’avoir, à un
moment ou à un autre, frappé l’imaginaire occidental
et éveillé sa curiosité. Au cours de l’histoire, quand les
Européens n’ont pas détruit les œuvres lors de leurs
conquêtes, ces arts lointains n’ont cessé de fasciner
ceux qui les découvraient. La fonction magique ou
religieuse de ces objets ou encore le mystère qui
plane autour de certaines réalisations de civilisations
disparues n’y sont évidemment pas pour rien, mais
plus sûrement encore faut-il considérer la puissance
esthétique de ces œuvres et le rôle central qu’elles
jouent dans les différentes cultures.
Cap au Grand Nord
La civilisation du Grand Nord ne compte pas que des
igloos perdus dans des conditions extrêmes. Où qu’il
soit, même dans des endroits aux climats invivables,
l’homme est artiste. Bien évidemment, les peuples
nomades ne vont pas concevoir des objets trop lourds
à emporter. Ils vont plutôt sculpter et orner les objets
de la vie quotidienne.

Rester de glace devant


l’eskimo
Les populations peuplant le Grand Nord et le
Groenland se désignent elles-mêmes par le
terme Inuit qui veut dire « les hommes ». Le
mot eskimo vient du cri, non pas l’exclamation
mais la langue cri, qui appartient à l’algonquin,
un groupe de langues amérindiennes. Eskimo
signifie « mangeur de viande crue ».

Quel rapport avec le bâtonnet glacé des salles
de cinéma ? En 1922, le cinéaste irlandais
Robert Flaherty donne un excellent
documentaire ethnologique, Nanouk
l’Esquimau (eskimo ou esquimau, les deux
orthographes existent en français). Nanouk, le
surnom du héros chasseur, signifie « ours
blanc ». Le film a été tourné sur la côte nord-
est de la baie d’Hudson et n’est pas un
documentaire tel qu’on les réalise à l’heure
actuelle : Nanouk fait, disons, une série de
démonstrations, devant la caméra et porte un
pantalon groenlandais mais le résultat n’est
pas paternaliste ou condescendant. Ce film, à
voir dès que la dernière page de ce livre est
fermée, a bénéficié à sa sortie en salle d’une
grande campagne de lancement. Outre des
affiches spectaculaires, la firme Pathé a lancé
alors ce qu’on appelle maintenant un concept
marketing : le bâtonnet entouré de crème
glacée et de chocolat, devenu depuis le
symbole des salles obscures !

Tchoukes : à vos souhaits !

L’art des peuples du Grand Nord inclut aussi bien l’art


des Tchoukes de Sibérie que celui des Sames, autre
nom des Lapons d’Europe du Nord. Les civilisations de
ces peuples circumpolaires, dans des conditions de
vie quasiment impossibles, sont assez proches.

Les Inuits ou Eskimos sont chasseurs quand les
Lapons et les Tchoukes sont éleveurs de rennes
(fournisseurs officiels du père Noël), mais leurs
croyances reposent sur le même chamanisme où
l’homme peut voyager dans l’au-delà. Si la religion
chrétienne est passée par là, au Groenland ou au
Canada par exemple, les croyances anciennes
subsistent encore.

Chez certains de ces peuples, le chaman utilise un
masque pour passer dans le monde des esprits. Si
Lewis Carroll parle de l’autre côté du miroir pour son
Alice au pays des merveilles, faut-il dire de l’autre
côté de la glace pour des Inuits ? Chaque objet ayant
une importance magique (flûte, tambour, masque
chez les peuples sibériens), jamais le terme surréaliste
d’« art magique » n’aura été plus approprié.

L’art adoucit les morses : les Inuits


Le musée des Beaux-Arts du Canada expose des
œuvres de créateurs inuits. À partir des matériaux
traditionnels issus de la chasse comme l’os, l’ivoire de
cachalot ou de narval, ou en utilisant la pierre ou le
bois, ils ont su créer un art original de sculpture.

À la masse
Depuis le début du XXe siècle et plus encore depuis
1950, les conditions de vie des Inuits ont
considérablement changé en raison de la
sédentarisation. Ils sont passés de l’arc à la carabine
et du traîneau attelé de chiens à la moto-neige …
Traditionnellement, les Inuits partent à la chasse avec
des statuettes à la ressemblance du gibier. Par la
simplification des masses, cet art résout certains des
problèmes esthétiques que s’étaient posés les artistes
occidentaux. Pour avoir à l’esprit une représentation
des œuvres inuit, vous pouvez aller voir le travail de
Pompon, le sculpteur français du XIXe siècle.

Esprits frappeurs
Chez les Inuits, les esprits immatériels et dangereux
sont appelés tupilek. Depuis les années 1930, ils leur
ont donné une forme sculptée, à la demande
d’Occidentaux qui voulaient connaître l’apparence de
ces esprits suscités par la magie. Ce ne sont pas pour
autant des créations bâtardes à ranger du côté des
productions de souvenirs touristiques. Ces œuvres ont
séduit les surréalistes et sont parmi les plus curieuses
créations de l’art magique. Elles montrent aussi
comment une civilisation évolue.

S’adapter à la réalité

L’art permet à certaines familles du Grand Nord


canadien de vivre de ses revenus. Il y a donc dans
cette société un véritable statut d’artiste qui permet
en même temps de maintenir vivante la culture inuit.
Sont apparus aussi, s’ajoutant à la sculpture, des
activités comme la lithographie, la peinture ou la
joaillerie. Les thèmes traditionnels présents à travers
le bestiaire témoignent qu’il s’agit bien de culture
inuit et non d’acculturation. Les artistes puisent dans
les mythes et les contes. Il n’y a guère de sculpture
sur la planète qui possède ce charme onirique,
comme né d’un rêve. Ce qui n’empêche pas les
artistes inuit d’être ancrés dans la réalité : ils disent
de leur art que c’est une « imitation de la réalité ».

Les Indiens à la file : l’Amérique du Nord


En Amérique du Nord, on rencontre les peuples
amérindiens. Leurs structures sociales sont fort
différentes les unes des autres : il y a les Indiens des
plaines nomades et chasseurs comme les Sioux, les
peuples agriculteurs et villageois du Sud comme les
Hopis ou encore les pêcheurs d’Alaska.

Cérémonie surprise

C’est dans la zone de la côte nord-ouest de l’Amérique


du Nord, au bord du Pacifique, que l’art amérindien a
connu son plus beau développement. Il n’y a qu’à voir
les grands mâts totémiques du peuple haida ou les
masques les plus élaborés, confectionnés dans tous
les matériaux possibles et pouvant représenter
plusieurs personnages ou tout au moins plusieurs
visages d’une divinité. Articulés et animés, ils
s’ouvrent et laissent apparaître un autre masque sous
le premier. Surprise garantie au cours de la
cérémonie ! Le masque du corbeau, par exemple,
s’ouvre pour laisser apparaître une face humaine.

Tout est bon dans le bison
Les Indiens des plaines ont une structure tribale et
nomade. La dernière des guerres indiennes est
récente : Geronimo se rend en 1886 et meurt en
1909, il n’y a pas un siècle. À titre de comparaison,
Picasso est né en 1881. Très tôt, les Européens
collectionnent leurs objets, à titre de curiosités. Louis
XVI possède plusieurs peaux de bison avec des
pictogrammes, une forme d’écriture composée de
dessins. Ces peuples nomades privilégient des formes
d’art que l’Occident qualifierait d’artisanat, tels les
broderies symboliques ou les tomahawks décorés.

Peindre sur le sable

Un peuple du sud des États-Unis, agriculteur et


sédentaire, celui des Hopis, est réputé pour ses
kachinas, des petites poupées de bois qui
représentent les esprits. Par leur diversité, par leur
mélange d’art naïf et magique, ces objets ont fasciné
les surréalistes. Leurs voisins les Navajos pratiquent
aussi une forme d’art éphémère par la peinture sur
sable, l’iikaah. Il y a là un petit côté « performance »
puisque le vent les dispersera. Ces peintures aux
formes géométriques sont les portes par lesquelles les
dieux viennent sur terre. Pour éviter tout mauvais
usage, elles doivent être détruites, quoique, à l’heure
actuelle, certains artistes s’inspirent de ces formes
pour des créations permanentes.

En attendant Colomb : les arts


précolombiens
Bien avant la découverte de l’Amérique par
Christophe Colomb en 1492 et l’arrivée des
Espagnols, plusieurs cultures élaborées se sont
succédé en Amérique centrale et du Sud. La conquête
a abouti à la destruction de nombreuses œuvres
d’art : toute la rançon exigée pour la libération de
l’Inca, le souverain d’essence divine, a été fondue.
Pendant des mois, des caravanes ont apporté tous les
objets en métal précieux, il y en aurait eu plusieurs
dizaines de mètres cubes.

Se tourner vers l’Olmèque

La culture olmèque, vers - 1000 environ, est souvent


appelée la culture mère de l’Amérique centrale. Elle
est caractérisée par de grandes têtes rondes de
plusieurs tonnes. Il n’en subsiste de nos jours que dix-
sept. Ces têtes ont été sculptées sans l’aide d’aucun
outil de métal et transportées sur des dizaines de
kilomètres par des peuples qui n’utilisaient pas la
roue !

Il s’agit de portraits de princes. Ils ont un air
étrangement africain et certains sont coiffés d’un
casque rappelant celui des tankistes de la seconde
guerre mondiale (probablement une protection lors de
ce jeu de ballon sacré qui se pratique avec les
hanches).

Le mystère est que cet art est parfaitement abouti ; il
nous en reste également des « autels » en pierre de
plusieurs tonnes, à fonction inconnue, mais aussi des
sculptures de petite taille, comme dans une sépulture
faite de colonnes de basalte à La Venta, en pierre ou
jade. Peu de documents subsistent, mais nous savons
que ce peuple a inventé un calendrier et une écriture
que les Mayas ont par la suite améliorés.

Masques précolombiens
On reconnaît les dieux à leurs masques. Par
exemple, au Mexique, trois éléments
permettent d’identifier le dieu de la pluie
Tlaloc :
les yeux cernés comme par des montures de
lunettes ;
sur la lèvre, des motifs en volutes (les
Indiens ne portent pas moustaches, ce sont
deux serpents entrecroisés) ;
quatre crocs.
Xipe Totev, notre « seigneur l’écorché », porte
une peau humaine comme un vêtement et sur
sa face on voit les lèvres du dieu derrière le
masque : c’est le même déguisement que
dans le film Massacre à la tronçonneuse. Sur le
dos ou sur la poitrine apparaissent les coutures
(là, on pense au Silence des agneaux). Le dieu
le plus connu est Quetzalcóatl, le serpent à
plumes, parti vers l’est en promettant de
revenir. À l’arrivée de Cortès, les Aztèques
crurent au retour du dieu. La particularité de
cet art est l’utilisation de la volute comme
dans un délire rococo.

À voir Mayas partir

Les Mayas, ces cultivateurs de maïs qui créent des


pyramides, ont tout réinventé de l’autre côté de
l’Atlantique : la voûte, l’écriture, les mathématiques
et, tant qu’ils y étaient, l’astronomie et le zéro ! De
cette fascinante civilisation, il ne nous reste que
quatre manuscrits. Elle dure de 300 à 900 environ,
puis disparaît rapidement sans qu’on connaisse les
raisons de cette disparition.

La structure princière, la religion axée sur un
souverain avec des temples et des autels sacrés
placés sur des pyramides sont des traits qui évoquent
la Mésopotamie. Édifices les plus connus, les
pyramides entourent une grande place sur trois ou
quatre côtés. Parfois, elles ont pu servir de tombeaux,
comme à Palenque. La décoration de la pierre tombale
est caractéristique de cet art d’Amérique centrale : un
foisonnement où le végétal peut se fondre dans la
chair et des personnages qui portent de hautes coiffes
emplumées. Une luxuriance qui permet d’imaginer un
cosmonaute sur la pierre qui représente l’arbre de vie.

Aztèques saignants
Des grandes civilisations disparues ne subsiste que la
ville de Teotihuacan, bâtie vers - 100. Les Aztèques y
arrivent près de mille ans après la chute. Très
impressionnés, ils appellent Teotihuacan « l’Avenue
des dieux » et ils y placent tout bonnement la
naissance du soleil et de la lune.

Un peuple oublié

On ignore quel peuple vécut à Teotihuacan. Ce fut la


plus grande ville du monde précolombien. Elle
comptait deux pyramides, dont celle du soleil bâtie en
une seule fois, avec plus de 200 sacrifiés en dessous.
Ce peuple décore ses temples, mais curieusement on
ne voit pas de grandes statues, uniquement des
statuettes en pierre de diverses couleurs et de beaux
« masques » à fonction inconnue. Des fresques à
dominante ocre ont été retrouvées avec cette
décoration en volutes caractéristiques. Quand le
sculpteur veut représenter la parole, on a l’impression
de voir un de ces mirlitons des farces et attrapes qui
se déroulent quand on souffle dedans.

Faites la guerre
En 1256, le peuple aztèque bâtit Tenochtitlan en un
lieu marécageux sur le territoire des Olmèques. De
1350 à 1500, la ville lacustre (c’est-à-dire sur l’eau) et
ses jardins flottants compte jusqu’à plusieurs
centaines de milliers d’habitants.

Les Aztèques puisent leur art dans les peuples
précédents, comme celui de Teotihuacan, avec la
reprise des pyramides sacrificielles. Les dieux
sanguinaires sont en effet vénérés à travers une
sculpture massive, dont la statue de Caoatlicue,
déesse de la mort, est un bon exemple. Les Aztèques
déploient également leurs talents dans l’art
monumental avec le Grand calendrier, pierre de 4
mètres de diamètre, qui décrit les cosmogonie et
cosmographie (mythes de l’origine de la vie et
description des astres) aztèques. On trouve aussi des
œuvres d’orfèvrerie ou de céramique.

Cette civilisation présente le trait inattendu d’être la


seule dans l’histoire où des cités ont passé entre elles
des traités où elles se promettent… de se faire la
guerre régulièrement ! Absurde ? Pas vraiment :
c’était la seule façon de se procurer des victimes pour
les sacrifices sanglants qui permettaient de régénérer
le soleil.

Incas à part
Autres civilisations disparues, les peuples
précolombiens des Andes laissent un héritage
artistique important. Dès - 2000, on a trace d’industrie
métallurgique dans les civilisations andines. L’art de
l’orfèvrerie parvient alors à son sommet (normal, dans
les Andes). Chose restée incompréhensible, les
peuples précolombiens développent une science
métallurgique élaborée mais ne passent pas à la
fabrication d’outils de métal.

La poterie, un tour de
force
Avant les Incas, nous connaissons d’autres
cultures parmi lesquelles il faut remarquer la
civilisation de Paracas vers - 1000. On a
découvert des tombes en forme de puits
renfermant de nombreuses céramiques
polychromes, dont les couleurs sont
mélangées à de la résine. Cette civilisation est
surtout connue pour ses remarquables mantos,
les étoffes très décorées qui enveloppent les
momies des hauts personnages. Ils mesurent
2,5 mètres sur 1,20 et sont de couleurs vives,
tissés en coton, laine ou cheveux, avec de
savantes broderies reprenant des motifs
mythologiques.

Vers - 600, la culture nazca prend le relais.
Même absence de statuaire et même
abondance de textiles et de céramiques. On
voit assez souvent des vases au goulot double
relié par une anse. Il faut rappeler que
l’Amérique précolombienne ne connaît pas le
tour de potier. La fabrication de poterie se fait
alors à partir de colombins, des boudins
d’argile que l’on superpose et que l’on modèle.

La culture mochica a livré en 1988 une tombe
intacte, celle dite du seigneur de Sipan. Une
activité de survie dans la région étant le
pillage des tombes, la trouvaille est
extraordinaire. Le mort était couvert de bijoux
de métaux précieux, de turquoises. Ses
épouses et ses serviteurs l’avaient
accompagné dans son dernier voyage. Les
Mochicas bâtissent aussi des temples de
brique en forme de pyramides en degrés, dont
l’un atteignit près de 50 mètres de haut !

Des statuettes bien polies


En 1891, la découverte du « trésor des Qimbayas »
(IVe-XIV e siècle) révèle 121 pièces qui sont offertes à
l’Espagne par le gouvernement colombien. Ces objets
réalisés en alliage d’or et de cuivre représentent des
personnages réalisés à la cire perdue. Les surfaces
sont si soigneusement polies que les statuettes
donnent l’impression d’être en or pur. Il s’agit de
personnages d’une parfaite sérénité dans des
attitudes hiératiques et dignes ou de poporos, les
récipients destinés à recevoir la chaux. Celle-ci se
consomme alors avec les feuilles de coca, pour en
activer les principes actifs. Dans les tombes, on trouve
du mobilier funéraire comme des bijoux, des insignes
de chefs indiens appelés caciques, des ornements de
nez (une mode à relancer), des statuettes d’animaux
ou d’hommes nus assis sur de petits bancs.

Au sommet des Andes
Ayant atteint son apogée avant d’être détruit par les
Espagnols, l’Empire inca se caractérise par le fait que
l’écriture y était inconnue. C’est surprenant dans une
civilisation qui avait su par ailleurs créer un réseau de
routes et une administration efficace, des égouts et
des rues pavées.

Les Incas bâtissaient en pierres colossales et
laissèrent des constructions imposantes comme le
Machu Pichu. Les quipus – des cordelettes tressées
par lesquelles les messagers transmettaient les ordres
et les volontés de l’Inca aux provinces – n’ont pas
encore livré tous leurs secrets. Quelques rares
statuettes en argent donnent une idée de ce qu’a pu
être la rançon de l’Inca que les conquistadors ont
fondue.

Résultat supérieur : Haïti


Pour André Malraux, le peuple haïtien est un peuple
de peintres. Haïti présente les particularités
historiques d’être la première République noire et
d’offrir une religion originale, le vaudou, un mélange
de rites africains et chrétiens. Mais cette rencontre
n’est pas seulement un simple collage de deux
choses, car le résultat est supérieur et différent des
deux parties de la somme.

Du bidon
Par un panthéon particulier, le vaudou a été une
source d’inspiration remarquable. La rencontre des
deux cultures européenne et africaine a donné la
culture haïtienne, comme pour l’art moderne la
beauté naît de la rencontre de deux objets éloignés.
C’est sans doute pourquoi le surréalisme a été séduit
par l’art haïtien. Cet art a une peinture étonnante et
comprend également une sculpture intéressante et
inattendue, née des croix de cimetières et
s’apparentant à l’art brut. Le bosmetal par exemple
découpe un bidon de fuel et l’aplatit. De ce rectangle
de métal naissent des silhouettes reprenant la
mythologie vaudou ou des personnages haïtiens.

Une vierge attend des jumeaux
Une grande toile de Ismaël Saincilus représente, née
d’un coquillage comme la Vénus de Botticelli, une
Vierge Marie tenant dans ses bras deux enfants
porteurs d’auréoles. Ce sont à la fois les jumeaux
sacrés yorubas, mais également le Christ avec
Thomas Didyme, le saint Thomas des chrétiens, celui
que la tradition ésotérique présente comme son
jumeau humain. « Thomas » signifie d’ailleurs jumeau
en araméen, la langue du Christ, et « Didyme »
jumeau en grec. La Vierge africaine évoque les
vierges noires inspirées en Europe par la déesse
Cybèle mais aussi Yemaha Olokoum, la grande déesse
africaine qui règne sur la mer. Les mythes se
rencontrent, se fécondent et permettent de rêver.

Ça nourrit pas son homme
La reconnaissance internationale de cet art se fait
quand un certain Dewitt Peters arrive dans l’île. Il
fonde là un centre artistique avec de jeunes artistes
haïtiens. Certains veulent y voir une perte de
spontanéité, mais rien n’est moins sûr quand on
songe à la source vivifiante qu’a été cette école, par
laquelle la plupart des grands peintres haïtiens sont
passés. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas l’art haïtien
de demeurer véritablement populaire, car nombre de
ces artistes doivent gagner leur vie par d’autres
moyens.

Jean-Michel Basquiat (1960-1988), une des grandes
figures new-yorkaises de la peinture contemporaine, a
une partie de ses racines en Haïti et son œuvre s’en
inspire.

Petit point à l’ordre du jour : l’Océanie


Un minuscule point sur la carte frappe l’imagination.
En 1929, les surréalistes dessinent une carte du
monde en figurant les pays selon leur créativité
artistique et leur importance pour la conception
surréaliste du monde. Ainsi, l’île de Pâques a la même
taille que l’Afrique !

Les yeux de Pâques


Sur la petite île de Pâques perdue dans l’Océan
pacifique se dresse un témoignage étonnant de
création artistique. La sculpture et le transport de
gigantesques statues pesant plusieurs tonnes laissent
pantois, ce sont les moai ou géants. On trouve aussi
des sculptures filiformes dans des bois torturés qui
montrent des hommes amaigris aux grands yeux
hallucinés. Là encore, nous sommes dans un art
magique.

Crochet sculpté
La sculpture océanienne comporte des statues et des
masques, confectionnés dans les mêmes matériaux,
bois ou fougères arborescentes, taillés dans la matière
même, mais aussi des œuvres constituées de
vanneries ou de tissus (tapas) recouvrant une
armature. L’art de la sculpture, comme en Afrique, s’y
applique à de nombreux objets comme les pirogues
ou les poteaux des maisons. Une particularité de l’art
océanien est le crochet sculpté aux nombreuses
variations ; cet ustensile sert, dans les cases de
Nouvelle-Guinée par exemple, à suspendre les
marchandises aux poutres pour les protéger des
animaux.

Locataire invisible

Les objets sont dans cette culture chargés de mana,


de force magique. L’Océanie abonde en petites
sculptures utilisées comme talismans. Un très bel
exemplaire est conservé à Paris. Il était visible au
musée des Arts africains et océaniens et sera
prochainement exposé au musée du quai Branly. Haut
de 35,5 centimètres et large de 15,8, il est entouré
d’histoires fabuleuses. À l’origine, son propriétaire le
dirige vers le village où il va traiter des affaires. Un
ethnologue le « récolte » en 1949 et les voisins du lieu
où il l’avait rangé se seraient plaints du bruit que
faisait quelqu’un dans la demeure pourtant inhabitée !

Flûte !

Autre élément habituel mais à la dénomination


souvent inappropriée : le masque. En effet, on
regroupe sous ce même vocable les sculptures qui
sont placées comme protection sur des demeures et
les masques à proprement parler qui sont portés dans
des cérémonies. On appelle aussi masque de flûte des
flûtes tellement décorées qu’elles disparaissent sous
une accumulation hétéroclite d’ornements. Un bel
exemple à l’élaboration caractéristique provient de la
collection Félix Fénéon, le critique d’art ami des
pointillistes du XIXe siècle. L’instrument de musique
se constitue d’un os enfermé dans une vannerie,
recouvert d’une pâte épaisse dans laquelle des
coquillages insérés dessinent un visage. Cheveux
humains, plumes de casoar, canines de porc dans le
nez complètent la face, en un résultat saisissant. De
tels objets ont littéralement fasciné les artistes
européens.

Un mot sur le tatouage


Les langues océaniennes ont donné peu de
mots au français. Un des rares est
« tatouage », un art à part entière – après tout
il y a bien un body art et songez aux femmes-
pinceaux de Klein – à fonction, là encore,
magique. Chaque tatouage est unique, indique
l’appartenance clanique et le rang social. Les
motifs se retrouvent sur les autres supports
artistiques. On y voit des courbes, des points,
des volutes, d’autres formes stylisées comme
des soleils ou des étoiles, avec la particularité
de ne pas être enfermés dans un cercle ou un
cadre. Ces formes peuvent elles-mêmes
générer d’autres figures.

Rêve général : l’Australie et les


aborigènes
L’Océanie est une véritable poussière d’îles. La plus
importante est l’Australie. Peuplée depuis 40 000 ans
à l’arrivée des Blancs, elle prouve que l’art apparaît
avec l’homme. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la
culture aborigène est vouée peu à peu à la disparition.
Comme la mort d’un aborigène n’intéresse alors
personne, un ethnologue astucieux fait passer une loi
protégeant les peuples aborigènes comme « des
animaux en voie de disparition » ! Ce qui contraint
paradoxalement le gouvernement à assurer un
minimum de protection.

La vie est un songe

La particularité de la pensée aborigène est la


croyance que ce monde-ci est une projection du vrai
monde, le temps des rêves. Les chemins que suivent
les nomades sont la réplique dans le désert des routes
de l’autre monde. Sous le signe de la magie, l’art
aborigène crée une passerelle entre ces mondes.

Les styles et les formes sont très différents d’une
région à l’autre, étant donné la taille du pays et la
variété de la population. On estime à 700 le nombre
de langues parlées à l’arrivée des Européens ! Chaque
aborigène, pour entretenir des relations avec d’autres
groupes, pratiquait une dizaine de langues ou
dialectes.

Bardon pour tout

Les supports de la peinture sont très variables, allant


du corps humain à la roche, et peuvent être
éphémères comme le sol dans le désert central. Les
formes traditionnelles ont été traduites depuis une
quarantaine d’années sur des supports plus
conventionnels. Ainsi, on fait partir le renouveau de la
peinture aborigène des années 1970, au cours
desquelles les murs de l’école de Papunya sont
recouverts de peintures murales. Saluons au passage
le professeur de dessin Geoffrey Bardon qui en a
donné l’impulsion.

L’art contemporain des aborigènes australiens est
présent au musée du quai Branly, dans l’édifice
même, puisque huit artistes décorent une des façades
et certains plafonds. On peut y voir la reprise de cette
tradition française de confier à des artistes la
décoration de monuments, exactement comme à la
galerie des Glaces de Versailles ou au Louvre.
Chapitre 24

Un croissant très fertile :


l’Orient ottoman et le
monde arabe

Dans ce chapitre :
Mahomet, Averroès et des califes bien à leur
place
Les secrets des mosquées dévoilés
Des miniatures livresques aux châteaux du
désert

De l’Espagne à l’Inde, l’art islamique est une des plus


belles réussites humaines et nous allons en voir ici
quelques exemples. D’une dynastie à l’autre, l’art
ottoman et arabe offre tout un univers d’arabesques
et de couleurs, de visions enchanteresses au milieu du
désert. Le plus souvent, il s’agit d’art religieux. Et si le
mot islam signifie « soumission à Dieu », l’art
islamique, parfois soumis en cela à de stricts interdits,
n’en est pas moins une leçon de tolérance, dans sa
manière d’intégrer toutes les influences et sources
étrangères, avec poésie et sensibilité.
De solides fondations
Les ancêtres des Arabes, les Nabatéens, ont à leur
actif des réussites artistiques remarquables, comme le
site de Pétra, une ville entière en plein désert, dotée
d’un savant réseau de canalisations et de vastes
salles creusées dans le roc. Une mission
archéologique travaille en ce moment en Arabie
Saoudite à Madaïn Salih, où il y a une autre cité
fondée par le même peuple. Le résultat sera peut-être
la révélation d’une autre Pétra, à 400 kilomètres au
nord de Médine.

Arrête tes bétyles !


Le peuple des Nabatéens constitue une civilisation
arabique avant la naissance de l’islam. Le dieu de
Pétra se nomme Dousarès et les Nabatéens pratiquent
le culte des bétyles (des pierres sacrées). Lorsqu’ils
quittent le site de Pétra, peut-être emportent-ils
l’élément central du culte. Or, il y a toujours une
pierre sacrée très célèbre dans une grande ville de
pèlerinage de cette région… Mais loin de nous l’idée
d’émettre une nouvelle hypothèse historique, capable
d’éveiller bien des susceptibilités. Ce serait comme
affirmer aux chrétiens qu’un certain nombre de leurs
reliques ont une origine pas très catholique !

Kaaba remplie de dieux


La Grande Mosquée de La Mecque abrite
l’immense Kaaba, un cube de pierre, qui
protège la pierre noire sacrée (un bétyle
probablement d’origine météorite) recouverte
d’un tissu noir.

La maison de Dieu est à l’origine une véritable
auberge espagnole : outre trois déesses
principales, elle abritait en effet plus de 360
divinités ! La Mecque se situant à mi-chemin
de l’Arabie du sud et de la Palestine byzantine,
au carrefour des pistes menant au Yémen, en
Égypte, en Syrie et en Mésopotamie, elle fut
d’abord un lieu de passage, qui devint vite un
lieu de culte pour tous les voyageurs. Et
chacun y apportait son dieu.

L’an 1 commence en 622


Le 24 septembre 622, le prophète Mohammed,
nommé Mahomet en français, et ses compagnons
fuient La Mecque pour Médine. Le calendrier
musulman adopte cette date comme point de départ
de la chronologie islamique. L’année 622 est dite de
l’hégire, mot qui signifie « émigration ». L’Islam est
actuellement en 1384. Donc, si vous vous rendez dans
un pays islamique, pensez à retarder votre montre de
622 ans et presque dix mois – sacré décalage horaire !
Pour éviter l’usage abusif d’une calculatrice, toutes les
dates qui suivent sont exprimées dans la chronologie
occidentale.

Prophète en son pays
Le clan familial de Mahomet fait partie des tribus des
qurach (littéralement « requin ») qui ont conquis La
Mecque au Ve siècle. Né vers 570, Mahomet est placé
en nourrice chez les nomades du désert. Cette
pratique subsiste encore de nos jours pour des raisons
de santé – faire respirer aux enfants le grand air – et
pour tisser des liens entre familles étrangères, les
frères de lait devenant comme des frères de sang. Il
devient rapidement orphelin et son enfance
mystérieuse est entourée de légendes et de tragédies.

Il reçoit la révélation du Coran entre 610 et 613.


Persécuté dans sa foi, il s’installe à Médine avec ses
fidèles. Chef religieux, politique et militaire, il reprend
La Mecque en 629-630. Ne sachant ni lire, ni écrire, il
enseigne le Coran oralement à des fidèles de plus en
plus nombreux. Le nabi, le prophète, se nomme
Mohammed, c’est-à-dire le béni, le loué. La
transcription en Mahomet prête à confusion puisqu’il
dérive de ma houmid, qui veut dire le non-béni. Quelle
mauvaise manie bien française que de traduire les
noms propres !

Qu’a dit le hadith ?
L’islam à ses débuts apparaît aux Byzantins comme
une secte chrétienne de plus : les observateurs
politiques ont encore parfois de nos jours des analyses
aussi originales et pertinentes. En un siècle, les
armées musulmanes conquièrent cependant un vaste
territoire en forme de croissant. On voit souvent là
l’origine de cet emblème en coupe ouverte.

De l’Espagne à l’Indonésie, l’art y tient une place de
choix : un des hadiths, parole du Prophète rapportée
par la tradition, dit : « Dieu est beau, il aime la
beauté. »

Calife jusqu’halali
Mahomet n’a rien prévu pour sa succession. Les
fidèles se mettent d’accord pour désigner en 632 Abu
Bakr, son compagnon préféré, qui devient le premier
calife. (Au passage, un mot d’explication sur l’élément
de nom Abu : les musulmans sont si fiers d’avoir un
fils qu’à la naissance de leur premier, ils peuvent
changer leur nom en Abu qui signifie « père de ».) En
634, Omar le remplace. Son successeur, appelé
Othman (644-656), est celui qui fait la première
édition du Coran. Mais ne la cherchez pas chez les
bouquinistes, elle demeure introuvable.

Écriture soignée
Une des composantes de l’art du monde arabe
est l’adaptation de l’écriture à la décoration.
Cette science de l’écriture s’appelle la
calligraphie. L’Occident a séparé l’image – la
peinture – du signe et a pratiqué une imitation
du réel. L’Orient, lui, a tenu à faire du signe
une image à part entière. L’écriture acquiert
ainsi un caractère sacré. La calligraphie y est
un art plus prisé que la peinture. Un prince
oriental se doit de la maîtriser et d’avoir une
belle écriture.

Il en existe deux types :
le naskhii, de type cursif (les lettres
s’imbriquent les unes dans les autres pour
donner des motifs souvent appelés
arabesques) ;
le coufique, de type anguleux, plus
géométrique.
Des artistes contemporains savent encore faire
œuvre originale en alliant modernité et
tradition calligraphique, comme Mehdi Qotbi.

La mosquée démasquée

Le mot français mosquée vient de l’arabe masjid qui,


à l’origine, désigne tout lieu où l’on prie. La première
est édifiée à Médine par le Prophète. Le bâtiment est
conçu selon un plan octogonal, une forme
géométrique récurrente dans l’art architectural
islamique. Il résulte de la combinaison de deux carrés
concentriques, c’est-à-dire inscrits dans le même
cercle. L’octogone dessine une étoile et se démultiplie
lui-même en étoile à seize branches. Il est le lien entre
l’Univers et l’homme, entre le macrocosme et le
microcosme, du grec cosmos désignant le monde.
Remarquez au passage que si l’homme fait partie du
« grand monde », il est déjà un « petit monde » à lui
tout seul.

Prêche à la ligne
Avec une cour centrale et une fontaine destinée aux
ablutions, le plan de toutes les autres mosquées
dérive de l’octogone, à de rares exceptions près. Le
centre religieux qu’est la mosquée est aussi un
endroit où on peut traiter ses affaires. Ces bâtiments
présentent un ensemble de mosaïques, de sculptures
et de fresques qui montrent bien également comment
l’art islamique se crée à partir des influences
hellénistiques.

Le muezzin appelle à la prière d’une tour appelée


minaret. À l’origine, ce mot désigne un endroit où il y
a du feu et de la lumière, le manara. Le tout premier
muezzin s’appelait Bilal. (Manara et Bilal… Ne serions-
nous pas en pleine bande dessinée ?) Au moment de
l’appel, les fidèles doivent se tourner vers La Mecque
pour la prière.

Vers quelle ville sainte se tourner ?
Dans le mur de la mosquée, une niche appelée le
mihrab leur indique la direction. Le mirhab est
l’endroit où l’on prêche : c’était la chaire à degrés du
Prophète, avant de devenir ensuite le trône du calife.

Au début du prêche du Prophète, les fidèles priaient
en direction de Jérusalem. À partir de 624, ils se
tournent vers La Mecque. Mais Jérusalem reste une
ville sainte et devient le second grand pèlerinage de
l’islam. La mosquée du Dôme du Rocher s’y élève sur
l’emplacement du temple de Salomon. Considéré
comme le centre du monde, le rocher sacré marque
l’emplacement où Adam a été créé et d’où Mahomet
est monté aux cieux, sur sa jument centaure, Al-
Bouraq, une sorte de sphinx à tête de femme. Extases
et ascensions demeurent en effet le monopole des
souverains, magiciens, sages et mystiques.

Hautement califés : les Omeyyades


Contemporain du grand-père de Mahomet, Omaya est
le chef d’une des tribus qui gouvernent La Mecque.
Son clan est puissant et riche, lui-même est à l’origine
de la dynastie qui portera son nom, les Omeyyades
(632-750), qui constitue une période artistiquement
féconde, notamment en raison du développement de
l’architecture religieuse.
Damas, ton univers impitoyable
L’art islamique suit l’évolution politique et le
déplacement géographique du monde musulman. Les
califes Omeyyades créent, dans la mouvance
syrienne, les premières mosquées : Basra (665) et
Koufa (670) en Irak, et al-Aqça à Jérusalem, en face de
celle dite du Dôme du Rocher (même quand on n’est
jamais allé en Terre sainte, on connaît cette dernière,
pour l’avoir vu régulièrement aux informations
télévisées). Ils s’installent ensuite à Damas et
construisent la Grande Mosquée, référence de l’art
musulman : grande cour, minaret, salle de prières à
trois nefs coupées transversalement par une autre nef
qui conduit au mihrab. À cet emplacement se
succèdent tous les cultes : araméen, romain,
chrétien… Le mausolée de saint Jean-Baptiste s’y
trouve toujours.

Les princes se font aussi bâtir des qsars, sortes de
châteaux du désert, même si dans certains cas leur
utilité n’est pas seulement de villégiature. Par
exemple, dans l’actuelle Jordanie, le qsar al-Kharana,
bâtiment en ruine dont les sculptures sont conservées
au Pergamon de Berlin, a sans doute servi à la fois de
forteresse et de caravansérail (auberge pour les
caravanes du désert). Le mur d’enceinte est fort bien
conservé, avec ses tours arrondies. Un astucieux
système de meurtrières assure l’air climatisé et les
étages conservent un intéressant décor de frises.

Un paradis sur les marécages

Au début du VIIIe siècle, un calife décide de bâtir la


plus belle des mosquées. Le premier architecte voit
son oeuvre et sa réputation s’effondrer. Un deuxième
accepte de relever le défi, mais à une condition :
l’absolue liberté de manœuvre. Il commence les
travaux, met en place des piliers, puis disparaît
pendant un an. Imaginez la rage du calife qui le fait
rechercher en vain ! Cet héroïque inventeur de
l’année sabbatique réapparaît enfin pour reprendre sa
tâche. Enfoncés dans le sol marécageux, les piliers
ont enfin trouvé leur assise ! Le même principe a
d’ailleurs servi pour le Sacré-Cœur de Montmartre. Ce
qui reste de la décoration d’origine laisse rêveur : les
mosaïques représentent la splendeur de la Damas
omeyyade et l’assimile au jardin d’Eden.

Amra, un témoignage en
voie de disparition
Le calife omeyyade Oualid Ier se bâtit au VIIe
siècle le qsar Amra, réputé pour son
architecture et sa décoration. Ce bâtiment
reste un des plus intéressants témoignages de
l’art islamique. À l’extérieur, il n’est pas
spectaculaire. De pierre jaunâtre avec un
curieux toit composé de trois demi-cylindres, il
est à l’origine un pavillon de chasse à l’onagre.
(Il n’est pas malpoli de préciser que l’onagre
est un ongulé qui se place entre l’âne et le
cheval.) Comme l’Orient conserve l’usage
romain des thermes, Amra abrite un hammam,
avec un ensemble unique au monde de
peintures et de mosaïques. Hélas, quoique
classées par l’Unesco, elles sont en triste état.
On y voit les rois vaincus par les Omeyyades :
byzantin, perse, wisigoth, éthiopien, indien et
d’autres non identifiables.

L’art omeyyade est essentiellement un art du
Proche-Orient né des conditions de la conquête
et des traditions existant déjà sur place. Ceci
dit, la dernière salle nous fait quitter ce monde
pour les cieux, avec une voûte céleste et les
signes du zodiaque. Le tout forme un
ensemble plutôt sympathique et rafraîchissant
dans la chaleur du désert. Il rappelle que l’art
islamique est aussi un art hédoniste, qu’il peut
être tourné vers le plaisir : certaines des
peintures d’Amra représentent des nudités.
L’une d’entre elles évoque plutôt, selon la
plaisanterie de plusieurs générations de
guides, la position préférée d’un missionnaire
en dehors du prêche…

Ziggourats pour ne pas se tromper


Inventeurs de la faïence, les Abbassides, dynastie qui
commence vers 750 et qui fait donc suite à celle des
Omeyyades, bâtissent à Samarra, en Irak, l’imposante
mosquée d’Abu Dulaf à l’enceinte de briques, et
plusieurs palais fortifiés comme celui d’al-Djausak
Khakani, construit par le calife al-Mutasim. L’édifice le
plus curieux de Samara est le minaret de la mosquée
d’Al-Mutawaki, avec son escalier extérieur en spirale,
haut de 52 mètres. L’influence de ce monument est
plutôt inattendue : les premiers voyageurs européens
ont assimilé sa forme hélicoïdale à la tour de Babel.
À la place du calife : les successeurs
L’extension du monde islamique continue. En réaction
au calife de Bagdad, la dynastie des Fatimides
s’installe en Égypte. Les Seldjoukides, quant à eux, se
posent en Asie Mineure au XIe siècle. Durant la même
période, des Omeyyades venus de Syrie s’illustrent
aussi en Espagne.

Fatimides mais sans complexe


Les Fatimides (909-1171) se nomment ainsi du fait de
leur prétention à être les descendants de Fatima, la
fille de Mahomet. Si leur règne n’est pas aussi brillant
qu’ils le souhaitent, ils laissent à la postérité un art
raffiné.

Ils fondent notamment la ville du Caire, où se trouve,
comme un fait exprès, la mosquée d’al-Azhar,
commencée en 970. Elle est la plus ancienne
université au monde en fonctionnement et son cheikh
est encore aujourd’hui l’autorité religieuse la plus
importante du pays.

L’architecture des Fatimides est marquée par l’usage


du bois, traité comme un matériau précieux, avec
différentes essences sculptées à la manière de l’ivoire.
Cela donne des pièces d’une grande finesse, mais
aussi d’une grande fragilité. De nombreux
témoignages de leur savoir-faire nous ont été transmis
lors d’échanges avec les croisés.
Faucons et vrais
chasseurs
Les Fatimides sont de véritables amateurs de
chasse, à pied ou à cheval. Ils dressent
faucons et guépards pour les accompagner. La
chasse se pare de toutes les vertus sanitaires :
outre l’exercice physique, elle donne de
l’entrain et elle éloigne les maladies. Elle
sollicite parfois toute l’armée du calife et peut
alors durer des mois ! Plaisir et manœuvres
militaires : qui a dit qu’on ne pouvait pas
joindre l’utile à l’agréable ? Les proies
recherchées sont en priorité les grands
prédateurs (lion, tigre, panthère…). Mais le
fretin (antilope, gazelle, onagre…) est aussi
parfois au menu.

Seldjoukides, pour vous séduire


Les Seldjoukides (1037-1300) sont une dynastie
dominante de l’Orient musulman. Les chroniqueurs
des croisades les appellent souvent les Turcs, peut-
être par souci de simplification, en raison de leur nom
à coucher dehors, même sous une tente. Leur style se
caractérise par une synthèse des influences iranienne,
syrienne et arménienne, par un usage quasi exclusif
de la pierre.

Ce choix de matériau explique la pérennité des
monuments seldjoukides. La qualité de la taille entre
également en ligne de compte : l’habileté des artistes
se traduit par de beaux reliefs sculptés, avec parfois
des jeux de contraste entre pierres de tons différents,
dits ablaq. Le travail ablaq était alors on ne peut plus
officiel…

L’art funéraire commence à se développer à cette
époque. De formes géométriques variées (carré,
rectangle ou polygone), les mausolées se distinguent
grâce à leur dôme en pyramide ou en cône. Une autre
particularité à retenir est la présence de deux étages :
la crypte, où est enterrée la dépouille mortelle
uniquement protégée d’un linceul, et l’étage
supérieur, où se place le cénotaphe, un cercueil vide.

Qui a eu cette idée folle


un jour d’inventer
l’école ?
Non, ce n’est pas Charlemagne, mais, en
Islam, le vizir Nizam al-Mulk. Un des devoirs de
la religion islamique est de transmettre les
connaissances. Pour cette raison, les
mosquées sont aussi des lieux
d’enseignement. Cependant, le vizir
seldjoukide susmentionné jugea bon de créer
spécifiquement un « lieu où l’on étudie », la
madrassa, bâtiment séparé de la mosquée. La
première madrassa est fondée à Bagdad en
1066. On y prie mais on peut également y
étudier les mathématiques, la grammaire, la
médecine, aussi bien que le droit et
l’astronomie. Souvent attenante à la mosquée,
elle contribue à transformer progressivement
le lieu de culte en véritable complexe
architectural avec thermes, lieu de retraite
spirituelle, mausolée… Cela n’est pas sans
rappeler l’abbaye de Cluny et les forteresses
de foi et de savoir du Moyen Âge occidental.

Un art Maure bien vivant : l’Espagne


Les Omeyyades d’Espagne descendent de la grande
dynastie de Syrie décimée au IXe siècle. Elle fut
remplacée par de petits royaumes indépendants
(1031-1091). L’architecture omeyyade se distingue ici
par l’emploi, souvent heureux, d’arcs en fer à cheval.
Les pierres dont ils sont formés, les claveaux, sont de
couleurs alternées. Dans les mosquées, le mihrab
constitue désormais une pièce à part entière, décorée
de stuc sculpté et de mosaïque à fond d’or.

Cordoue au cordeau
La mosquée sans doute la plus spectaculaire s’élève à
Cordoue, en Andalousie. Agrandie par quatre califes
différents entre 785 et 987, elle s’étend sur 1,5
hectare. De proportions gigantesques, elle est bâtie
avec près de 19 nefs et 850 colonnes provenant de
monuments antiques. Son mihrab, là encore traité
comme une pièce indépendante, comporte des
inscriptions en mosaïque de verre de Byzance. Après
la prise de Cordoue par les croisés en 1236, la
mosquée devient un lieu de culte chrétien. Son centre
sera détruit au XVIe siècle pour accueillir une
véritable cathédrale mélangeant les styles roman,
gothique et baroque.

Libérateurs en pension
Ensuite vient l’art des Almoravides et des Almohades
qui regroupent la production islamique en Espagne
(1056-1147) et au Maghreb (1130-1269). Les
Almoravides, au départ confrérie de moines guerriers
puis dynastie berbère, fondent Marrakech en 1062 et
visent la conquête du Sénégal quand ils sont appelés
au secours de Tolède. Ils s’y installent jusqu’en 1147,
année où les Almohades, autre dynastie berbère issue
d’un mouvement réformiste, prennent le pouvoir. Le
côté pratique de cette civilisation consiste à faire
comprendre aux guerriers farouches qu’eux aussi
peuvent prendre du bon temps : une fois une ville
libérée, ils peuvent s’y reposer quelques années avant
de songer à en occuper une autre.

Paix et prospérité favorisent le développement des


arts et des sciences. À leur cour vit en effet ibn Ruchd,
plus connu sous le nom d’Averroès (1126-1198).
Médecin, philosophe et commentateur d’Aristote,
Averroès oppose les opinions rationnelles aux dogmes
religieux… et se met ainsi très vite toutes les religions
à dos ! Il est le héros du très beau film de Youssef
Chahine, Le Destin (1997).

Un bon plan !
Dans les endroits conquis, le plan architectural arabe
est appliqué. Les nefs sont soit :

perpendiculaires à la qibla (le large mur où se


trouve le mihrab, face auquel prient les fidèles) ;
en T, avec arcs en fer à cheval ;
à plusieurs lobes, avec piliers carrés et minarets
à plan carré également (tous ceux qui ont bu un
thé à la menthe à la mosquée de Paris voient de
quoi il s’agit).

On conserve la forme des minarets marocains, les


dynasties almoravide et almohade régnant des deux
côtés de ce pays. La mosquée des Libraires à
Marrakech est dans le même style. À Séville, on peut
encore admirer la Giralda (XIIe siècle), seul élément
qui subsiste de la Grande Mosquée, avec des étages
baroques ajoutés au minaret. L’Alcazar de Séville
(XIVe siècle) est aussi en partie une construction
almoravide, dont la riche décoration évoque des
souvenirs d’oasis verdoyantes.

L’Alhambra à portée de main
On ne peut parler de la présence musulmane en
Espagne sans parler d’un des plus beaux palais du
monde, l’Alhambra de Grenade. Le royaume d’al-
Andalous tombe en 1492. Cet événement passe
quasiment inaperçu car un certain Christophe Colomb
découvre la même année l’Amérique. (Certes, il
croyait être arrivé en Inde, la géographie n’étant pas
son fort, mais ceci est une autre histoire…) En près de
deux siècles, les artistes décorateurs ont eu le temps
de faire de l’Alhambra un exemple de l’apogée de l’art
arabe, véritable synthèse réussie des cultures latine,
grecque byzantine et wisigothique. La décoration
actuelle de certains intérieurs espagnols, les liserés de
céramique et les soubassements azulejos si fréquents
dans les salles de bains par exemple, en découle.

Regards persans
L’extension de l’Islam dans d’autres régions du monde
diversifie ses arts. Les mosquées iraniennes ont un
plan particulier apparu sous la dynastie seldjoukide au
Xe siècle, par exemple celle du Shah à Ispahan,
certainement une des plus belles villes au monde.
Ouverte sur un côté, la grande salle voûtée s’appelle
iwan et les dômes sont recouverts de céramique.

Drôles de trames
Pour des raisons évidentes, les peuples
nomades ne peuvent s’encombrer de mobilier
trop imposant. La pièce d’ameublement la plus
importante est le tapis, un sol isolant et
décoratif, facilement transportable. Passé dans
toute la civilisation arabo-musulmane, il a
acquis le prestige du tableau de maître en
Occident. Un tapis est constitué de deux
parties :
tout d’abord les fils horizontaux et verticaux :
les horizontaux forment la trame et les
verticaux forment la chaîne ;
ensuite, les motifs, dessinés par les nœuds. Il
existe deux types de nœud : le symétrique, dit
turc, et l’asymétrique, dit persan. Ensuite,
c’est un peu comme en musique : avec sept
notes, Beethoven fait une symphonie, et le fils
du voisin un boucan d’enfer. Avec deux nœuds,
du poil de chameau ou de la laine et à peine
quelques milliers d’heures de travail, naissent
des merveilles. Le kilim, par exemple, est un
tapis tissé si fin qu’il peut être admiré sur ses
deux surfaces. Le sumak, lui, s’apparente aux
tapisseries. Le plus ancien tapis retrouvé, dit
de Pazyrik, date du IVe ou Ve siècle avant J.-C.
Il a été découvert gelé dans le sud de la
Sibérie. Ainsi pouvez-vous en déduire qu’en
cas d’absence prolongée, il est vivement
conseillé de conserver ses tapis dans un
congélateur.

Les Ottomans savent faire la vaisselle


Les Ottomans sont réputés pour faire atteindre à l’art
de la céramique son apogée. Leur Empire s’étend du
Caucase à l’Algérie, du XIVe siècle jusqu’à la Première
Guerre mondiale, et se perpétue dans la Turquie
actuelle. Sur une aussi longue période et sur un
territoire immense apparaît un foisonnement culturel,
avec notamment le développement de l’art du livre
(une grande importance est donnée à la calligraphie
et à l’enluminure) et une grande production de
céramiques, comptant par exemple les chefs-d’œuvre
d’Iznik, qu’on peut admirer au musée d’Écouen en Île-
de-France.

Retirez le portrait !
La peinture islamique est considérée comme
art abstrait par les uns et comme purement
illustratif par les autres. En fait, la vérité est
entre les deux : c’est un art figuratif qui suit
des règles géométriques. Pour la plupart des
gens, la représentation humaine est interdite
par l’islam. La dernière conséquence fut la
destruction des bouddhas de Bamiyan il y a
tout juste quelques années. L’interdiction est à
vrai dire reprise d’un des dix commandements
bibliques. Pardon aux admirateurs de Cecil B.
DeMille et de Moïse, mais s’il y a un
commandement totalement oublié, c’est bien
le deuxième ! Le discrédit religieux repose
surtout sur l’interprétation du verset 43 de la
sourate 3 du Coran, inspirée des dix
commandements. C’est d’ailleurs Jésus-Christ
qui est mis en scène : « Je viens vers vous
accompagné de signes du Seigneur ; je
formerai d’argile la représentation d’un
oiseau ; je soufflerai dessus, et par la
permission de Dieu, l’oiseau sera vivant. »
Selon une interprétation, représenter un être
vivant serait se prendre pour un dieu.
L’abandon de la représentation humaine
provient sans doute d’une influence de la crise
iconoclaste (littéralement « briser les
images ») qui secoue l’empire byzantin
pendant cent vingt ans aux VIIIe et IXe siècles.
Dans la tradition islamique, le Prophète a
détruit de son propre bâton les idoles de la
Kaaba. Mais quand il ordonne d’effacer des
peintures païennes, il en excepte un tableau
du Christ et de la Vierge Marie ainsi qu’un
autre représentant Abraham, peut-être par
solidarité entre prophètes.
L’interdiction n’est donc pas évidente.

Corne d’or en abondance


Tous ces trésors artistiques sont en quelque sorte
condensés en un endroit : Istanbul. Déjà ce nom est
toute une histoire. Il vient du grec Eis ten Polis, « vers
la ville », la désignant comme la Ville par excellence.
Sainte-Sophie, le monument byzantin le plus célèbre,
a été convertie au culte musulman en 1453 lors de la
prise de Constantinople par les Turcs. Avec la
mosquée de Bajazet et la mosquée Suleymanie, elle
domine la Corne d’Or, panorama d’Istanbul toujours
séduisant, à tel point que le peintre et graveur
germanique Lorich, diplomate occasionnel, en fait en
1559 un dessin à la plume de plus de 10 mètres de
long !

Un architecte Sinan rien
Le plus célèbre architecte ottoman est Sinan (1491-
1588). Un rapide calcul mental montre qu’il vit
presque centenaire, un record quand on a
d’importantes responsabilités auprès de princes
successifs et susceptibles. L’artiste donne sa
physionomie à la ville avec la mosquée des Princes et
surtout la mosquée Suleymanie, symbole du règne de
Soliman le Magnifique (1520-1566). Sinan s’inspire de
Sainte-Sophie et réalise son œuvre de 1550 à 1557.
Entourée de quatre minarets, la nef centrale est
surmontée d’une coupole. Le diamètre est de 26,5
mètres pour une hauteur de 53 mètres.

En patte d’éléphant

Exotisme oblige, ce que les architectes européens


appellent arc formeret, ou arc doubleau, est appelé ici
patte d’éléphant et supporte le tout. Pour preuve des
compétences de Sinan, les tremblements de terre
fréquents dans cette région n’ont pas fait bouger un
carreau de céramique ni une pierre du bâtiment. Son
œuvre a servi ensuite de modèle à d’innombrables
mosquées dans tout l’Empire. À proximité immédiate,
dans Istanbul, s’élève la mosquée du sultan Ahmet
dite mosquée Bleue (1609-1616), avec deux minarets
de plus. Une coupole doublée de demi-coupoles
recouvre la salle de prières.

Mamelouks d’enfer !
L’origine des mamelouks mérite d’être contée.
Mamelouk veut dire « esclave » en arabe. Ces
esclaves, surtout originaires du Caucase, formaient au
départ la garde des sultans. Se croyant très astucieux,
les sultans avaient mis en place ce système afin
d’être protégés par des hommes qui leur devaient
tout (honneurs, carrière, etc.) et dont ils pensaient par
conséquent pouvoir être sûrs. Manque de chance, les
chefs de leur garde se dirent un jour qu’ils pouvaient
très bien s’assurer eux-mêmes le nécessaire pour
vivre, et même le superflu. Ils prirent donc le pouvoir.
C’est ainsi que se formèrent à plusieurs reprises des
dynasties mameloukes.

La particularité de ces dynasties est que les enfants
des mamelouks et des femmes du pays ne participent
pas au pouvoir. La couche dirigeante est donc en
perpétuel renouvellement, au travers de nouvelles
recrues. Ce système politique perdure jusqu’au XIXe
siècle et leur massacre final par Mehemet Ali, un vice-
roi qui n’aimait pas beaucoup d’éventuels candidats à
un coup d’État.

L’art des mélanges

Le terme d’art mamelouk désigne la création


artistique d’Égypte et de Syrie entre 1250 et 1517.
Cet art se caractérise par une architecture
monumentale à la décoration foisonnante et un
abondant travail du métal et du verre. Les Mamelouks
ont construit environ un millier de monuments à
grande échelle au Caire. Est-ce une ostentation
destinée à faire oublier leur passé d’esclaves ? On
remarque un curieux goût pour l’asymétrie : par
exemple, les portails sont décentrés et les minarets à
fûts superposés. Les apports de l’Occident et les
influences subies sont nombreux, car les prises de
guerre, comme la porte de l’église de Saint-Jean-
d’Acre, sont recyclées. À tel point que nous ne savons
toujours pas si certains objets d’art ont été fabriqués
en Égypte ou bien en Occident et envoyés en Orient
pour être incrustés.

Point de différence

Un bon exemple de ces objets appréciés en Occident


est conservé au Louvre. Au XVIIIe siècle, on lui donne
le nom de bassin ou baptistère de Saint Louis. On y
voyait un souvenir de la captivité du roi de France en
Égypte. En fait, il date du début du XIVe siècle. Ce
n’est pas un baptistère, même s’il a eu cet usage pour
quelques rois de France et pour le fils de Napoléon III.
Il n’a pas non plus appartenu à Saint Louis. Y a-t-il
encore une autre mauvaise nouvelle ? Non, c’est juste
un objet étonnant. Il est en laiton martelé, incrusté
d’argent et d’or, entièrement ornementé. Ce chef-
d’œuvre signé Muhammad ibn Zayn renseigne sur les
liens entre les deux civilisations : en écriture arabe, il
n’y qu’un malheureux petit point de différence entre
Orient et Occident, entre rharb et arab.
Chapitre 25

Ni primitif, ni premier : l’art


africain

Dans ce chapitre :
L’art tribal, vestige de civilisations anciennes
Les masques tombent
L’art africain entre tradition et modernité

L’art africain, au sens où on l’entend généralement,


concerne surtout l’Afrique subsaharienne, c’est-à-dire
les parties occidentale et centrale du continent. Les
peuples de pasteurs nomades et les peuples de
chasseurs-cueilleurs qui ne peuvent pas s’encombrer
d’un lourd fardeau lors de leurs déplacements ont
privilégié certaines formes d’art comme le tissage ou
les peintures rupestres du Kalahari. Mais à ces
exceptions près, l’art africain est surtout représenté
par la sculpture sous toutes ses formes : décoration
de portes de case et de sièges, statues en ronde
bosse ou masques, etc.

Les premiers sont les derniers


Les ethnologues ont longtemps considéré l’art africain
comme de l’artisanat et les œuvres du continent noir
comme de simples objets fonctionnels. L’appellation
d’« art nègre », lourde de connotions racistes, a
disparu. Pour la même raison, l’expression « arts
primitifs » est peu à peu tombée en désuétude. Cette
expression est d’ailleurs impropre, puisqu’elle sert
également à désigner des objets parfois plus récents
que les œuvres d’art occidentales qui sont exposées
dans nos musées ! Le plus ancien masque africain
conservé, exposé au musée de l’Homme, date ainsi
du XVIIIe siècle. Trouvé, pour l’anecdote, sur un
bateau négrier, il fut étiqueté « Louisiane » en
référence à l’État esclavagiste du sud des États-Unis.

L’art tribal, un mot nouveau…

L’expression « arts premiers » qui désigne désormais


l’art africain cache mal un côté politiquement correct
qui n’est pas totalement dénué d’arrière-pensée. Elle
tend d’ailleurs à disparaître. L’expression « arts
magiques » paraît plus appropriée. Les objets d’art
africain sont en effet traditionnellement destinés à
l’accomplissement des rites magiques ; si l’intention
esthétique n’est pas absente, leur efficacité supposée
prime sur leur beauté. Mais cette appellation peut
prêter à confusion. On lui préférera donc ici
l’expression « arts tribaux », traduction de l’anglais
tribal art, qui paraît plus adaptée dans la mesure où
l’on regroupe sous cette étiquette les arts des
peuples :
sans écriture (la plupart du temps) ;
non occidentaux (Lascaux n’est pas une manifestation d’art
tribal) ;
animistes (généralement).
Démêler le vrai du faux
La question de la dénomination mise à part,
l’amateur d’art africain se heurte à une autre
difficulté. Dans la mesure où celui-ci ne répond
pas aux canons occidentaux, comment
distinguer le vrai (une véritable œuvre d’art,
originale et unique) du faux (un vulgaire
attrape-nigaud, reproduit en série pour les
touristes) ? Dès le XVIe siècle, apparaissent en
Afrique des objets destinés aux voyageurs
occidentaux. Pour preuve, on voit dans le
tableau La Mort de la Vierge de Lopes
Gregório, conservé à Lisbonne, une de ces
cuillères dites « afro-portugaises »
prétendument emblématiques de l’art africain
– en réalité, de vulgaires « faux » convoités par
tous les musées !

Jusque dans les années 1940, des objets sans
valeur sont fabriqués spécialement pour flatter
le goût des populations coloniales, surtout
composées de fonctionnaires, de militaires et
d’agents commerciaux. Ainsi le célèbre
masque « d’ethnie indéterminée » ayant
appartenu au peintre André Derain vaut-il
aujourd’hui une petite fortune. En fait, une
pièce médiocre ayant appartenu à une
collection célèbre a plus de valeur qu’une belle
pièce d’origine mais n’ayant pas eu la même
postérité. Allez comprendre !

À l’heure actuelle, on continue de fabriquer
des objets, des masques notamment, qui,
selon leur usage, peuvent être considérés
comme « faux » s’ils repartent directement
dans les bagages d’un touriste, mais comme
« vrais » s’ils ont déjà été utilisés pour des
rituels. Il y aussi le cas des objets « mis en
nourrice », selon l’image consacrée, que
l’amateur découvre « comme par hasard »
chez un vieux paysan. Aux siècles passés, les
bergers de la campagne romaine pratiquaient
déjà cette activité lucrative aux dépens des
artistes et des fils de famille venus parfaire
leur éducation en faisant leur « voyage en
Italie ».

… pour une civilisation ancienne

La culture Nok (de - 700 à 300) montre, s’il fallait


encore en donner la preuve, que l’Afrique a développé
une civilisation et un art florissants bien avant la
colonisation. Sur le plateau de Jos au Nigeria, on a
retrouvé des fragments de statues en terre cuite
charriés par le courant. Leur style présente les
caractéristiques suivantes :
des yeux dont le bas est en forme de losange aux angles
arrondis et le haut en forme de demi-cercle (cet œil évoque
assez celui des masques yoruba dits gelede) ;
un trou rond pour la pupille de l’œil et oreilles, narines et
bouche perforées ;
un front large et un nez droit à large narine ;
des coiffures stylisées, parfois surmontées d’une petite
« toque » percée d’un trou, peut-être pour y mettre une plume.
Dans la ville d’Ife (Bénin), sans doute bâtie à l’époque
de la fondation légendaire de Rome, vers - 750, on a
trouvé au début du XXe siècle une série de têtes
splendides. Elles sont en terre cuite ou en bronze, et
datent des alentours du XIVe siècle. Elles ne
ressemblent pas aux autres productions de l’art
africain, car elles sont de style réaliste, naturaliste
même, avec ses visages frappants de vérité. Surtout,
elles ne sont pas des fragments. Elles s’arrêtent au
bas du cou et n’ont jamais fait partie d’une statue.
Rarement artiste a réussi de tels portraits, se
rapprochant à certains égards de l’art grec. Par quoi
l’on vérifie une nouvelle fois qu’il ne faut pas se fier
aux idées toutes faites.

L’oba en haut
Les effigies funéraires d’Ifé sont à rapprocher
des têtes des ancêtres du Bénin, dites têtes
d’oba, terme qui désigne le souverain chez les
Yorubas. Elles servent à orner les tombeaux
royaux. La tradition rapporte qu’à l’origine, il
s’agit de faire en terre cuite ou en métal le
portrait décapité de l’ennemi vaincu. L’oba
envoie au successeur du raccourci une
réplique à titre de rappel des risques encourus.
Le style évolue pour donner au XIXe siècle des
têtes très ornées avec colliers, coiffes et
parures.

Quand les Anglais conquièrent le royaume du
Bénin et la ville du même nom en 1897, ils
s’emparent de tous les biens de l’oba. Le butin
constitue la plus grande vente aux enchères
d’art africain de tous les temps : plus d’un
millier de plaques de bronze, à l’origine de
plusieurs grandes collections européennes,
sont dispersées.

Bas les masques !

« Masque » vient du latin masca qui veut dire sorcière


(d’où dérive également le mascara qui sert aux
femmes à se faire un masque de beauté – comme si
elles en avaient besoin…). On voit par là que le
masque entretient un rapport étroit avec le surnaturel
et, plus spécifiquement, avec l’au-delà. Dans toutes
les civilisations, celui qui met un masque passe en
effet « de l’autre côté ». Élément fondamental de la
culture locale (même s’il est plus répandu dans l’ouest
que dans l’est de l’Afrique), le masque africain met
ainsi en contact l’homme avec le monde des esprits.

Mais à la différence de nos masques de carnaval,
ultimes survivances en Europe de rites magiques, le
masque africain désigne non seulement la partie
sculptée en bois, mais aussi le costume du porteur.
Certains masques se portent par exemple sur le front
comme les masques gouro, mais l’on trouve aussi des
cimiers (c’est-à-dire pour le haut de la tête, comme un
chapeau en quelque sorte) comme les ty wara (voir
Figure 59), des heaumes comme chez les Mendé,
tandis que d’autres sont encore portés au moyen de
bâtons. Les Makonde d’Afrique orientale, pour qui les
hommes descendent d’une statue devenue vivante,
ont encore des masques de corps aux formes
féminines, et les Dan, ou Yacouba, de Côte d’Ivoire, se
servent de masques dans des courses où les
participants se les passent comme des relais.

Tous les modèles, et toutes les tailles


Il faut distinguer principalement quatre types de
masques africains :

Les masques d’initiation : placés sous la


garde d’anciens ou de dignitaires, ils sont l’objet
d’interdits stricts et nourris avec des sacrifices. Ils
ne sont sortis que rarement. Par exemple, le Grand
Masque dogon n’est montré que tous les soixante
ans lors des fêtes du Sigui. Jamais porté, il sert
aussi d’autel.
Les masques de « sociétés » : ils
appartiennent à des groupes de femmes ou
d’hommes et reçoivent des sacrifices. Ils ne sont
utilisés et parfois détruits après usage que par les
membres des confréries.
Les masques liés à des rites agricoles : ils
ne sont pas aussi secrets que les autres. Les
cimiers ty wara bambara appartiennent à ce
groupe.
Les masques portés seulement lors des
cérémonies : ils sont utilisés lors des fêtes
publiques animées par les jeunes gens et
auxquelles tous assistent (à la fois des rituels et
des divertissements). On peut y rattacher les
masques dits de course des Dan.
En revanche, leurs formes sont infinies. Elles peuvent
évoquer un simple pendentif, mais peuvent aussi
avoir un aspect monumental comme le masque nimba
de Guinée, qui pèse 60 kilos et que les danseurs
portent sur leurs épaules. Mais quelles que soient sa
forme et sa région d’origine, le masque exprime
toujours tout un ensemble de symboles en rapport
avec la cosmologie (la place de l’homme dans
l’univers).

Un symbolisme magique

Si le masque représente un homme ou un animal, il


renvoie à un mythe. Par exemple, le masque dogon
kanaga représente un oiseau. La face comprend le
bec et la langue. Au-dessus, une structure de bois
montre les ailes. Pour l’initié, c’est certes un oiseau,
mais aussi plus que cela, car les bras qui le
surmontent sont ceux du Créateur montrant la terre
d’une main, les cieux de l’autre. La danse du masque
rappelle la vibration du monde, car quand le masque
se penche, il se crée un lien entre le ciel et la terre.
C’est aussi l’insecte d’eau qui attache la barque
descendue des cieux à l’origine du monde. Dans cette
arche (on pense à Noé), il y avait les ancêtres de tous
les êtres vivants.

Ce masque incarne aussi le renard pâle, animal
mythique du peuple dogon. Il est représenté les
quatre pattes en l’air pour implorer le Créateur. Il est
bien sûr stylisé, la structure ressemble une croix de
Lorraine dont les planchettes perpendiculaires au bout
de chaque bras dessinent fort bien un animal. Lorsque
la face du masque est divisée en deux cavités, celles-
ci représentent les deux morceaux du placenta. L’un
forme la terre et se dessèche, l’autre couvre les
graines dérobées au ciel et leur permet de germer. Le
renard tient ici le rôle du héros civilisateur Prométhée
de la mythologie grecque. Les graines dérobées sont
représentées par des pointillés sur tout le masque. Et
les initiés n’ont sans doute pas tout dit !

On trouve encore de nombreux exemples de tels
masques en Afrique :
Les cimiers ty wara font partie des plus belles
réalisations artistiques. Ils sont portés par une société
d’initiation bambara qui regroupe hommes et femmes. Elle
commémore Chi Wara, être multiforme né de la terre et d’un
serpent, tenant de l’homme et de l’animal, fourmilier et
antilope. Le cimier est fixé à une coiffe en paille maintenue par
une mentonnière. Les danseurs sont là encore intégralement
recouverts et ils dansent par couples dans les champs aux
semailles. Les modèles se distinguent en mâles et femelles.
Les masques dan de Côte d’Ivoire ont pour principale
caractéristique le renfoncement des yeux dessinés en
demi-cercle, dans un visage au pur ovale. Certains de
leurs masques sont de petite taille (environ 15 centimètres) et
ne sont pas destinés à être montrés en public. Au contraire des
masques faciaux chargés d’amener protection et force à la
communauté, ces petits masques sont personnels. Ils
s’apparentent à ceux que l’on désigne comme « masques de
course » et qui servent de relais que les jeunes gens se
passent lors de courses.
Les heaumes mendé de Sierra Leone appartiennent à
des sociétés féminines dites bundu ou sande. Ils sont
portés par les jeunes filles qui viennent d’effectuer une retraite
de plusieurs mois en forêt et représentent des esprits de la
fécondité. Ils figurent l’idéal de la beauté féminine : une petite
bouche et, au-dessus d’un visage en losange, une coiffure très
savamment élaborée, bien souvent ornée, dégageant un vaste
front. Le masque reçoit une peinture noire luisante considérée
comme un signe de santé. Il incarne un esprit des eaux qui a
dévoilé les secrets de la médecine et de la magie aux membres
de l’association.
Les masques punu aux faces blanches sont
saisissants. Les artistes européens du début du siècle ont
parfois cru ces masques asiatiques à cause des yeux bridés et
de leur sérénité hautaine, mais ils proviennent de l’ethnie
punu, au sud-ouest du Gabon. Leur lourde coiffure à coques,
très élaborée, est celle des femmes punu. Ils portent au front
un losange constitué de neuf petits losanges qui représentent
les neuf clans et incarnent l’esprit de jeunes filles mortes
protégeant la communauté des forces maléfiques. Ils sont
portés par les membres de la confrérie moukouyi.

Les figures de reliquaires


fang et kota
Pour protéger les cendres des ancêtres, les
Fang, présents principalement au Gabon et en
Guinée équatoriale, sculptent sur leurs urnes
funéraires des figurines reconnaissables au
prolongement arrière qui leur permet de
s’enfoncer dans le réceptacle.

Les Kota confectionnent également des figures
de reliquaires caractéristiques avec un corps
humain stylisé constitué des bras et des
épaules, qui s’inscrit tout entier dans un
losange. L’artiste exploite avec virtuosité
toutes les possibilités de ce petit espace.
L’art africain aujourd’hui
L’art africain n’est pas mort avec l’arrivée des colons,
loin s’en faut. Et en dépit des difficultés actuelles de
l’Afrique, il continue heureusement d’évoluer, entre
tradition et modernité.

Considéré comme l’un de ses plus prestigieux
représentants, le sculpteur sénégalais Ousmane Sow
a connu un succès considérable avec son exposition
en plein air sur le pont des Arts au printemps 1999. Sa
sculpture doit quelque chose à la tradition africaine
par certains sujets comme les lutteurs ou ces visages
expressifs qui viennent des têtes d’Ife et de la
stylisation savante des masques mendé. Mais c’est
aussi une sculpture africaine qui a assimilé Rodin,
Bourdelle et l’art brut de Dubuffet.

Autre figure de l’art contemporain africain, Cheri
Samba, d’abord peintre d’enseignes dans son village
du Congo, donne une traduction moderne de la
tradition picturale dont il est l’héritier. Sa peinture,
dans un style naïf agrémenté de textes narratifs dans
le tableau, donne des tranches de vie et une
savoureuse satire sociale.

Tenant de l’art brut, l’artiste Bruly Bouabré, lui, est
persuadé que les esprits lui parlent et aurait enchanté
(au sens propre) André Breton qui aurait retrouvé en
lui le véritable esprit surréaliste.

À une époque où l’Afrique vit et travaille aussi en


dehors de l’Afrique, de nombreux autres artistes
s’approprient tous les formes d’art moderne, y
compris avec la technique vidéo. L’exposition « Africa
remix » sur l’art contemporain africain, montrée à
Düsseldorf, à Londres, à Paris et à Tokyo, est un
exemple parmi d’autres de la vitalité de l’Afrique en
matière d’art et de l’audience universelle de ses
productions.
Septième partie

La partie des dix

Dans cette partie…



Habitués de la collection « Pour les Nuls » ou simples
découvreurs, voici la traditionnelle partie des dix ! Sans même
avoir à vous munir de billet, vous visiterez d’abord ces temples
de la beauté que sont les musées : dix des plus prestigieux
d’entre eux vous ouvrent leurs portes ! Ce n’est bien sûr que le
manque de place qui nous a obligés à écarter de ce palmarès
des lieux aussi remarquables que Beaubourg ou la galeries des
Offices. (Nous vous recommandons néanmoins vivement de les
visiter.) Vous pourrez ensuite vous approcher des chefs-d’œuvre
de la peinture et vous approprier leurs secrets, avant de
découvrir enfin des inconnus qui ont pourtant laissé des œuvres
fort célèbres. Alors, en rang par dix ! Pour la visite des dix
grands musées, l’analyse de dix chefs-d’œuvre et la découverte
de dix artistes injustement méconnus, c’est par là. Suivez le
guide !
Chapitre 26

Dix grands musées à visiter

Dans ce chapitre :
Les plus beaux musées
Des chefs-d’œuvre du monde entier

Le premier musée du monde est créé au XVIIIe siècle,


en 1732 plus exactement, à Alexandrie, en Égypte. Le
terme à consonance latine de museum apparaît,
quant à lui, en 1765. L’ambition de ces nouveaux
établissements est de rassembler des œuvres choisies
selon leur intérêt historique, technique, scientifique et
artistique pour les classer, les conserver (c’est-à-dire
les préserver des ravages du temps) et, enfin, les
présenter au public. En France, il faut attendre la
Révolution pour assister à l’ouverture du Louvre
(1793), qui est à l’heure actuelle le musée le plus
visité du monde.

En verre et contre tous : le Grand


Louvre
Créé par un décret de la Convention du 27 juillet
1793, le musée du Louvre accueille les collections
royales (tableaux, sculptures, tapisseries et mobilier)
rassemblées par François Ier et Louis XIV, complétées
par les œuvres d’art confisquées ou acquises par
Napoléon et par d’innombrables achats ou legs
ultérieurs (des donations privées et des acquisitions
financées par l’État ou la Société des amis du Louvre).

C’est à François Ier que l’on doit l’intégration aux
collections royales des tableaux de Raphaël et de
Léonard de Vinci, dont la célébrissime Joconde (voir
Figure 17), devenue l’emblème du musée, mais c’est
à Dominique Vivant Denon, nommé directeur général
des musées par Napoléon, que l’on doit la création et
le véritable essor du Louvre tel que nous le
connaissons.

Bâti sur l’ancienne forteresse médiévale de Philippe


Auguste transformée par Charles V en demeure
habitable, puis remodelé par l’architecte Pierre Lescot
et ses successeurs, le Louvre moderne s’apparente à
une véritable usine : 2 000 personnes y travaillent,
deux millions de repas y sont servis chaque année et
le bâtiment qui abrite plus de 25 000 œuvres de tous
les temps et de tous les pays comprend lui-même 15
kilomètres de galeries et près de 100 000 mètres
carrés de carreaux de fenêtres, de vitrines et de
verrières !

Organisé en plusieurs départements scientifiques
(Antiquités égyptiennes, grecques et romaines,
Antiquités orientales, Peinture, Arts graphiques,
Sculpture, Objets d’art et Arts premiers), le musée a
été totalement réaménagé depuis les années 1980.
En 1989 est inaugurée la très controversée pyramide
du Louvre (voir Figure 58), conçue par l’architecte
américain d’origine chinoise, Ieoh Ming Pei. Construite
dans la cour Napoléon et desservant l’entrée du
musée, cette structure d’acier et de verre
monumentale mesure 21 mètres de haut et couvre 2
000 mètres carrés.

La pyramide de Pei est au centre du Grand Louvre
imaginé par François Mitterrand dès 1981. En son
temps, ce vaste projet de restauration fut jugé
mégalomane et excessivement moderniste. Mais il
semble aujourd’hui faire l’unanimité, comme en
atteste le succès croissant du musée qui accueille de
nos jours plus de 7 millions de visiteurs par an !

En gare ! Le musée d’Orsay

Situé sur la rive gauche de la Seine, le musée d’Orsay


est installé depuis 1986 dans l’ancienne gare de la
ligne de chemin de fer Paris-Orléans. Ce musée est
dévolu à l’art du XIXe siècle, de la révolution de 1848
à la guerre de 1914. Il fait ainsi le lien entre les
collections du Louvre et celles du musée national d’Art
moderne de Beaubourg (Centre Pompidou). Comme le
Louvre, il entend couvrir tous les champs de la
création, accordant une place d’honneur à la
photographie, née avec lui au XIXe siècle.

Construit entre 1898 et 1900 par l’architecte Victor
Laloux, le bâtiment est réaménagé par l’Italienne Gae
Aulenti à partir de 1980. De part et d’autre d’une
vaste nef contenant quelques belles pièces
représentatives, comme le groupe des Quatre parties
du monde de la fontaine de l’Observatoire par
Carpeaux (1873), se déploient sur plusieurs niveaux
(et même demi-niveaux) les différentes collections.

La partie phare du musée est consacrée aux
impressionnistes et à la peinture de la fin du XIXe et
du début du XXe siècle (néo-impressionnistes, fauves
et quelques nabis). Là, on admirera à la lumière
naturelle, pas toujours très flatteuse, les œuvres de
Degas, de Monet, de Renoir, de Van Gogh ou de
Gauguin. À ne pas rater, la salle de l’ancien restaurant
de l’hôtel de la Gare, l’un des plus luxueux du Paris de
la Belle Époque.

Que de chefs-d’œuvre ! La National


Gallery
Contrairement à d’autres musées européens, la
National Gallery de Londres n’est pas issue de
collections royales ou impériales. Elle est fondée en
1824 par l’acquisition et l’ouverture au public de la
collection du courtier maritime John Julius Angerstein,
dont le portrait est… au Louvre. La collection
s’enrichit de donations et, en 1838, est inauguré le
bâtiment qui donne sur Trafalgar Square.

À l’heure actuelle, le musée comporte près de 2 200
tableaux. C’est peu en comparaison du Louvre, mais
ces œuvres sont toutes d’un intérêt remarquable. Le
parti pris muséologique de la National Gallery consiste
en effet non pas à présenter des collections à valeur
de témoignage historique, comme dans les musées
français, avec une qualité variable, mais uniquement
des chefs-d’œuvre.

Ces collections s’étendent du Moyen Âge, avec les
primitifs italiens et nordiques, au XXe siècle, avec
Matisse et Picasso. L’enrichissement constant des
collections a conduit le musée à s’agrandir, la
dernière extension en date étant celle, controversée,
de l’architecte américain Robert Venturi en 1991.
Parmi les chefs-d’œuvre à ne pas manquer, notons La
Bataille de San Romano d’Uccello, Les Époux Arnolfini
de Van Eyck, Le Baptême du Christ de Piero della
Francesca, Les Ambassadeurs d’Holbein (voir Figure
14), La Vénus au miroir de Vélasquez ou encore
Charles Ier à cheval de Van Dyck.

Permettez-nous enfin une mention spéciale aux toiles
du Français Claude Gellée dit le Lorrain et de l’Anglais
Turner. Ce dernier, dans son testament, a exigé que sa
toile Didon fondant Carthage soit accrochée entre
L’Embarquement de la reine de Saba et Le Mariage d
Isaac et Rébecca, deux œuvres du Lorrain, bel
hommage de Turner à ce peintre lumineux. La
peinture française est d’ailleurs bien représentée,
depuis Poussin jusqu’à Matisse, en passant par
Chardin, Corot et Monet. N’oublions pas non plus un
peintre anglais méconnu en France mais fort
intéressant, Joseph Wright of Derby, auteur d’Une
expérience sur un oiseau dans une pompe à vide (sic)
où c’est la science qui est le sujet de l’art et le
prétexte à d’excellents portraits.

Les Alte et Neue Pinakothek de Munich


Une pinacothèque est aux tableaux ce qu’une
bibliothèque est aux livres. Inaugurée en 1836 par le
roi Louis Ier de Bavière, la Alte Pinakothek (Ancienne
Pinacothèque) de Munich a ainsi pour origine les
collections des anciens ducs et rois de Bavière depuis
la Renaissance. Installée dans un bâtiment
néoclassique en forme de H, œuvre de Leo von
Klenze, restauré après la Seconde Guerre mondiale,
elle constitue avec sa voisine, la Neue Pinakothek
(Nouvelle Pinacothèque), l’une des collections de
peintures les plus importantes au monde.

Les collections de la Alte, pour les intimes, vont du
Moyen Âge à la fin du XVIIIe siècle et couvrent toutes
les principales écoles européennes. Sa réputation
tient notamment à ses collections italiennes (Léonard,
Titien, Raphaël), à ses nombreuses toiles de Rubens,
ainsi qu’aux œuvres de Grünewald et de Dürer, dont
les célèbres Autoportrait au manteau de fourrure et
Les Quatre Apôtres.

La Neue Pinakothek, fondée en 1846, prend le relais,
puisque ces collections couvrent la période allant de
la fin du XVIIIe au début du XXe siècle. Le XIXe siècle
y est particulièrement bien représenté depuis David
jusqu’à Van Gogh, en passant par Turner, Goya,
Degas, Monet, Manet, Rude, Cézanne et Gauguin –
toutes les légendes du siècle ! Le début du XXe siècle
est illustré par les symbolistes, les nabis et le
Jugendstil, c’est-à-dire l’Art nouveau allemand.

Le Kunsthistorisches Museum de Vienne


Contrairement aux deux précédents, ce musée n’est
pas uniquement un musée de peinture. Comme le
Louvre, il dispose d’un important fonds archéologique
et comprend, en outre, un cabinet des Monnaies et
médailles.

Toutes ces collections sont issues de celles des
empereurs d’Autriche, de fouilles, de dons et
d’acquisitions. Si, comme dans beaucoup de musées,
la peinture italienne est bien représentée, ce sont
surtout les écoles flamandes et hollandaises qui font
sa gloire. On admirera notamment les nombreuses
œuvres de Pieter Bruegel dont la Tour de Babel, la
Jeune Vénitienne de Dürer ou le grand Autoportrait de
Rembrandt.

Le musée du Prado à Madrid


Inauguré en 1819, le musée du Prado est installé dans
un édifice classique dessiné en 1785 par l’architecte
Jean de Villanueva. Comme beaucoup de musées, le
Prado a fait l’objet de nouvelles extensions ces
dernières années afin de pouvoir exposer ses très
riches collections de peintures. On ira également
visiter les collections de son annexe, la Casa del Buen
Retiro, vestige du palais du même nom, et son
magnifique plafond du Salon central par Luca
Giordano.

Essentiellement axée sur les écoles italienne et
flamande, le Prado doit aussi sa réputation à sa
collection de toiles espagnoles du XIVe au XIXe siècle,
la première du monde. Les deux génies de la peinture
espagnole, Goya et Vélasquez, disposent chacun de
leur salle. Les Ménines de Vélasquez (voir Figure 26)
sont même généralement considérées comme le chef-
d’œuvre du musée.

On ne manquera pas non plus les œuvres de Ribera,
Zurbarán et Murillo, dont la grande Immaculée Soult.
Ce nom lui vient de son propriétaire initial, le
maréchal français du Premier Empire, Jean de Dieu
Nicolas Soult, qui la conserva jusqu’à sa mort en
1852, date à laquelle elle fut acquise par le musée du
Louvre. Par la suite, Pétain l’échangea à Franco contre
un portrait de l’infante Marie-Thérèse de Vélasquez,
qui finalement n’est pas de lui mais de son atelier.
Quand on vous dit que l’art réserve bien des
surprises !

Les collections italiennes du Prado sont riches
d’œuvres vénitiennes de Giorgione, Titien, Tintoret et
Véronèse, artistes favoris des rois Charles Quint et
Philippe II. Enfin, et serait-on tenté de dire surtout, le
Prado peut s’enorgueillir de posséder la plus riche
collection d’œuvres du génial Jérôme Bosch, l’auteur
du fameux Jardin des délices.

Pour papautés : les musées du Vatican


La cité du Vatican à Rome constitue un État
indépendant et un ensemble touristique unique au
monde. Si la chapelle Sixtine et les chambres de
Raphaël sont les grands moments du pèlerinage, on
ne peut manquer cependant les nombreux autres
musées de la cité papale :
Le musée Pio-Clementino d’antiquités grecques et
romaines est installé dans l’ancien palais du Belvédère depuis
la Renaissance. Parmi les chefs-d’œuvre dont il faut emporter
la vision : l’Apollon et Le Torse du Belvédère ; le Laocoon, le
groupe le plus copié de l’art occidental, la Vénus de Cnide et
l’Antinoüs.
Le Musée égyptien et des Antiquités orientales, fondé par
le pape Grégoire XVI, est aménagé en 1839, à partir des
œuvres recueillies au temple d’Isis du Champ de Mars de
Rome. Il s’agit d’œuvres égyptiennes ramenées par les
Romains ou provenant de fouilles archéologiques des XIXe et
XXe siècles.
Le Musée étrusque, créé en 1837 par le même pape,
rassemble le produit des fouilles effectuées vers 1830 en
Étrurie méridionale, l’actuelle Toscane.
La Pinacothèque, composée de 18 salles, fait partie des
plus importants musées d’Italie. Les collections formées par les
papes depuis le XVe siècle s’étendent du XIIe au XVIIe siècles.
On peut y admirer notamment trois œuvres de Raphaël, le
Couronnement de la Vierge (dit Retable Oddi), la Madone de
Foligno et La Transfiguration ; le Saint Jérôme de Léonard de
Vinci ; La Descente de Croix du Caravage ; ou encore Le
Martyre de saint Érasme de Poussin.
Le musée Chiaramonti de sculptures antiques de toutes
sortes, de toutes qualités et de toutes origines donne à voir
notamment des sculptures animalières étonnantes.
Le Musée grégorien profane, divisé en quatre sections
consacrées à la sculpture romaine antique, offre une
présentation moderne aux beaux effets lumineux.
Le Musée chrétien, installé dans un bâtiment construit en
1963-1970, rassemble des pièces issues des catacombes et
des basiliques paléochrétiennes, c’est-à-dire celles des
premiers chrétiens (IIIe—IVe siècles), avec de nombreux
sarcophages.
Le Musée missionnaire ethnologique, inauguré par le
pape Pie XI en 1927 et réaménagé sous Paul VI (1963-1978),
évoque les grandes religions du monde (islam, bouddhisme,
hindouisme).
Le Musée historique, aménagé en 1973 dans un bâtiment
souterrain, rassemble les carrosses et voitures des papes, ainsi
que les armes et uniformes d’anciens corps d’armée.

Le Rijksmuseum d’Amsterdam
Ce Musée national est créé en 1808 par le frère de
Napoléon, Louis Bonaparte, alors roi de Hollande. Il est
installé depuis 1885 dans un bâtiment de briques
rouges néogothique, œuvre de l’architecte Petrus
Josephus Hubertus Cuypers. Il est à la peinture
hollandaise ancienne (XVe—XVIIe siècles) ce que le
Prado est à la peinture espagnole. Outre la peinture,
on trouve là de très belles collections de sculptures et
d’objets d’art hollandais. Les artistes à ne pas
manquer sont Frans Hals, Rembrandt avec La Ronde
de Nuit, et Vermeer avec La Laitière descendue des
étiquettes de yaourts.

L’Ermitage de Saint-Pétersbourg
Ouvert en 1852 dans les bâtiments du Grand Ermitage
et du Nouvel Ermitage de la « ville de Pierre », le
musée s’est étendu après la révolution de 1917 au
palais d’Hiver. Comme le Louvre et le MET de New
York (voir plus loin), c’est un musée pluridisciplinaire :
outre la peinture, on y trouvera des salles d’art
préhistorique, antique, oriental et russe.

La collection de peintures est la première du monde
avec celle du Louvre. Elle s’étend du XVe siècle au
XXe siècle. Toutes les grandes écoles européennes –
italienne, française et nordique notamment – y sont
représentées. On retiendra Le Jeune Homme au luth
du Caravage, La Madone Litti de Léonard de Vinci, Le
Sacrifice d’Abraham de Rembrandt et la Danse de
Matisse. L’art français est aussi représenté par des
œuvres de Poussin, Lorrain, Watteau, Fragonard,
Boucher, Chardin, et par des sculptures de Falconet et
Houdon, pour les XVIIe et XVIIIe siècles, et de Monet,
Renoir, Degas, Gauguin, Cézanne pour le XIXe.

L’Ermitage est aussi un fabuleux cabinet de dessins
de peintres, d’architectes, de sculpteurs
ornemanistes, surtout français. Des extensions sont
actuellement en cours pour satisfaire la présentation
des collections incroyables de ce musée, à l’échelle de
l’immense Russie.

Un MET de choix : le Metropolitan


Museum de New York
Créé en 1870 par un groupe d’artistes et de mécènes
soucieux de rivaliser avec les musées européens, le
MET est, après le Louvre et l’Ermitage, le plus vaste
musée du monde. Divisé en 19 départements, le
musée s’efforce de couvrir l’ensemble de la création
artistique universelle, rien de moins ! On y trouve
ainsi les arts africain, océanien et précolombien, des
antiquités du monde entier, une section d’armes et
armures, une collection d’instruments de musique.

L’art européen est largement représenté, de tous les
styles et toutes les époques, avec 3 000 peintures et
plus de 60 000 sculptures et objets d’art divers. Pour
mettre en appétit le visiteur, voici quelques
exemples : La Mort de Socrate de David, Les Cyprès
de Van Gogh ou Les Joueurs de cartes de Cézanne, et
pas moins de 34 Monet. Depuis 1987, un espace
consacré à l’art du XXe siècle est aménagé sur trois
étages, avec Picasso, Klee, Pollock et Warhol. Copieux,
on vous dit !
Chapitre 27

Les dix toiles à ne pas


manquer

Dans ce chapitre :
Dix chefs-d’œuvre inoubliables
Un témoignage vivant du génie humain

Comment dresser une liste des plus belles œuvres


d’art lorsque tant de chefs-d’œuvre existent ?
Impossible ! Dix « Parties des dix » n’y suffiraient pas.
Par défaut, voici donc dix tableaux célèbres classés
par ordre chronologique, choisis de façon
nécessairement subjective parmi la multitude parce
qu’ils sont représentatifs de leur époque, parce qu’ils
sont remarquables pour leur perfection technique, ou
encore parce qu’ils répondent à certaines questions
que se pose tout homme sur sa condition (dès lors
qu’il a l’esprit ouvert, et le ventre plein).

Un peu d’humeur noire : la


« Mélancolie »
Le mot mélancolie est composé de deux mots grecs,
melanos (noir) et kholé (bile). Selon Aristote, la bile
est l’une des quatre humeurs qui régissent le corps
humain. Noire, elle est une source féconde de création
pour les artistes. Réalisée en 1514, la Mélancolie du
peintre et graveur allemand Albrecht Dürer (voir
Figure 15) est ainsi l’une des œuvres les plus
commentées de la culture occidentale, tant sa
signification est riche.

La gravure représente un personnage désœuvré,
plongé dans un état dépressif. On peut y voir une
allégorie de l’artiste. Dans la tradition classique, la
mélancolie est en effet considérée comme la synthèse
de deux états extrêmes, le génie et la folie,
caractéristiques de la création. André Breton parlera
ainsi de « point suprême », c’est-à-dire le lieu de
fusion des contraires, dans le Second Manifeste du
surréalisme. Dans la gravure de Dürer, ce fameux
« point suprême » est symbolisé par la meule de
pierre percée d’un trou.

À un deuxième niveau de lecture, la gravure
développe aussi le thème du temps (Saturne, Kronos
en grec, est la divinité tutélaire de la mélancolie et du
temps dans le panthéon antique). Dans un fouillis
d’objets hétéroclites, on distingue ainsi plusieurs
objets évocateurs, comme la cloche qui rythme la
journée, le soleil qui se couche, la chauve-souris qui
prend son envol, indiquant ainsi que le soir approche,
ou encore la balance et le sablier qui marquent
l’écoulement des heures.

La gravure abonde également en symboles
alchimiques : le creuset sur le feu, la pierre
polygonale, le couteau igné (du latin igneus, feu) à la
lame en forme de flamme, le carré magique à somme
34 (autrement appelé carré de Jupiter), ou encore le
chien couché en boule, dans lequel on peut voir une
référence à l’Ouroboros (le serpent qui se mord la
queue des alchimistes).

Le petit alchimiste
Science des éléments en devenir à l’époque du
Moyen Âge, l’alchimie est également une
mystique reposant sur la croyance que les
métaux mûrissent sous terre, qu’ils sont liés
par affinités aux astres, que le microcosme est
lié au macrocosme et que l’homme est à mi-
chemin entre les deux.

Le rôle de l’alchimiste est de parachever la
création divine en accélérant le processus de
mûrissement des métaux, et notamment en
transformant le plomb, matière vile, en or,
matière pure, grâce à la pierre philosophale.

L’œuvre contient encore de nombreuses allusions à


caractère autobiographique, notamment le carré dans
lequel Dürer a inscrit la mention « 1514 », date de la
création de l’œuvre, mais aussi de la mort de sa mère.
L’ange manie par ailleurs un compas d’architecte,
évocation discrète des travaux intellectuels de
l’artiste qui rédigera en 1525 un traité d’architecture
intitulé Instruction pour mesurer au compas et à la
règle.

La gravure peut enfin se livrer à une interprétation
religieuse, l’échelle, le rabot, les tenailles, le marteau
et les clous évoquant la passion du Christ.

Gardons le sourire : « La Joconde »

Conservé au musée du Louvre, le fameux Portrait de


Monna Lisa, ou Joconde pour les intimes (voir Figure
17), peint par Léonard de Vinci vers 1503-1506, est
sans aucun doute le tableau le plus connu – et le plus
photographié ! – au monde. Mais en dépit de sa
notoriété, celui-ci n’a pas encore livré tous ses
secrets.

Et d’abord, qui est au juste la Joconde ? Une femme,
un androgyne, un autoportrait de Léonard déguisé ?
On a fait toutes sortes d’hypothèses fantaisistes avant
que les historiens d’art ne s’accordent sur le fait qu’il
s’agissait de madame Lisa Gherardini del Giocondo –
monna (ou mona) étant l’abréviation de madonna
(madame), qui est devenu madone en français.

Née en 1479, Lisa Gherardini épouse en 1495


Francesco del Giocondo, un notable florentin. Vasari,
le biographe des peintres de la Renaissance, écrit en
1540 : « Léonard entreprit pour Francesco del
Giocondo le portrait de Monna Lisa, sa femme ; il y
travailla quatre ans et le laissa inachevé. » Vasari
nous apprend également que Léonard fit venir des
musiciens pour distraire son modèle pendant les
longues séances de pose, ce qui lui fit prendre ce
sourire si connu et si doux.

Si vous marchez en regardant le tableau, vous avez
l’impression que les yeux de la Joconde ne quittent
pas les vôtres. En effet, le portrait n’est pas
immobile : l’épaule droite est un peu en retrait par
rapport à la gauche, le visage est de face et le corps
de trois quarts, comme si le modèle esquissait un
mouvement vers le peintre, position qui anime
discrètement tout le tableau.

Léonard a laissé des Carnets où l’on retrouve pensées
et conseils. Sur la posture des portraits, l’indication du
maître rappelle l’attitude de la Joconde : « Fais
toujours ta figure de telle façon que la direction de la
tête ne soit pas la même que celle du buste. » Une
autre remarque révèle le secret du mystérieux
sourire : « Il faut fermer de temps à autre le coin droit
de la bouche d’un mouvement vif et ouvrir le coin
gauche en un sourire secret. » Entraînez-vous devant
un miroir pour épater vos amis !

Il est curieux de voir la façon dont la postérité s’est
emparée de l’œuvre que Napoléon Ier avait même
accrochée au mur de sa chambre à coucher. Au XIXe
siècle, les littérateurs projettent sur elle leurs
fantasmes en y voyant l’image de la femme belle et
perverse. Volée en 1911, la Joconde nourrit un
feuilleton policier dans lequel le jeune mouvement
cubiste est soupçonné. Retrouvée, elle devient le
symbole des collections nationales. Nommé ministre
de la Culture par le général de Gaulle, André Malraux
la transforme en ambassadrice de la culture française.

Mais en dépit de son immense célébrité, la Joconde


demeure un paradoxe permanent : elle est tellement
connue que les artistes du XXe siècle comme Dalí ou
Duchamp la tournent sans cesse en dérision… ce qui
la rend encore plus populaire ! Le privilège des plus
grandes stars, moquées et adulées à la fois.

Une réception mortelle : « Les


Ambassadeurs »
Exposés à la National Gallery de Londres, Les
Ambassadeurs de Hans Holbein le Jeune (voir Figure
14) représentent Jean de Dinteville (l’homme à la
fourrure à gauche) et Georges de Selve, évêque de
Lavaur (à droite). Sous les apparences d’un double
portrait assez classique, ce tableau recèle de
nombreux mystères. Qui sont ces deux hommes ?
Quelle est leur fonction ? Quels sont ces objets posés
entre eux ? Et que signifient-ils ?

La scène se passe en 1533. Cette période agitée est
marquée par les querelles religieuses qui divisent
l’Europe. Jean de Dinteville est le représentant de
François Ier, parrain de la fille de Henri VIII
d’Angleterre, à Londres. Georges de Selve eut pour sa
part un rôle diplomatique non négligeable auprès du
pape et de Charles Quint. Il représente la France à la
diète de Spire en 1529 par un discours sur la
réunification confessionnelle.

Le recueil de cantiques situé sur l’étagère du bas du
tableau fait-il allusion à l’unité des chrétiens menacée
par les guerres de religion ? On y a reconnu deux
chants luthériens, dont une version allemande du Veni
Creator, pourtant de tradition catholique. De même,
on peut voir dans le crucifix à demi caché dans l’angle
gauche du tableau une allusion à la vérité chrétienne
obscurcie par les querelles entre catholiques et
protestants. Le tableau fourmille ainsi d’allusions non
élucidées.
Ce portrait s’apparente également au genre des
vanités, qui renvoie à la formule de l’Ecclésiaste
(« Vanité des vanités, tout est vanité ») sur la brièveté
de la vie humaine et la futilité des biens terrestres.
Les deux personnages sont des hommes de pouvoir
influents, leurs vêtements sont riches, leur mobilier
précieux. Mais le peintre semble indiquer que leur
situation dans le monde n’est qu’une illusion au
regard de leur condition mortelle. Le travail du temps
est clairement inscrit dans le tableau : sur l’étagère du
haut, on distingue un cadran solaire disloqué dont les
trois faces indiquent des heures différentes ; sur
l’étagère du bas, on aperçoit aussi des instruments de
musique, art éphémère par excellence, dont un luth à
la corde cassée.

Un autre objet renvoie explicitement à cette


symbolique du temps. Si l’on s’approche du bord du
tableau, on s’aperçoit en effet que la mystérieuse
masse blanche posée de manière oblique entre les
deux personnages est une tête de mort. Ce procédé
de déformation des objets s’appelle une
anamorphose. À l’origine, le tableau était accroché
au-dessus d’une porte dans la grande salle où avaient
lieu les banquets au château de Polisy. Ainsi, les
invités du château du seigneur de Dinteville pouvaient
apprécier la vanité des plaisirs terrestres en levant la
tête.

À la noce ! « Les Noces de Cana »


En juillet 1573, l’Inquisition interroge le peintre Paolo
Caliari, dit Véronèse : « Quelle est votre profession ?
– Je peins et fais des figures.
– Avez-vous connaissance des raisons pour
lesquelles vous avez été appelé ?
– Je puis bien me les imaginer. »
Véronèse vient en effet de peindre une Cène pour le
prieur du couvent Santi Giovanni. Les inquisiteurs
voient dans les hallebardiers allemands une allusion à
l’hérésie protestante. Ils reprochent aussi au peintre
de représenter des êtres vulgaires issus du petit
peuple et même des chiens, qui n’ont, selon eux, pas
à figurer dans une peinture religieuse comme la Cène.
Véronèse se défend en expliquant que lorsqu’il lui
reste de la place, il peint les personnages selon sa
fantaisie, par exemple ce cuisinier qui vient voir si les
convives sont contents.

À cette époque, l’Église catholique maintient l’usage
des images religieuses, contrairement à la Réforme
protestante, mais en fixant toutefois de rigoureuses
limites de convenance aux peintres. Heureusement
pour Véronèse, le gouvernement de Venise, jaloux de
son indépendance, ne laisse pas les coudées franches
à l’Inquisition papale, ce qui permet au peintre de s’en
tirer avec juste l’obligation « de corriger et amender
son tableau ». On peut dire qu’il a eu chaud, car
d’autres furent brûlés pour moins que ça !

Rebaptisé Le Repas chez Lévi, le tableau mis en cause
se trouve toujours aujourd’hui à Venise, à la Galleria
dell’Academia. Mais le problème aurait pu survenir
pour les Noces de Cana (voir Figure 20), peint en
1562-1563, qui relate un épisode biblique. Le Christ
est invité à un repas de mariage où le vin vient à
manquer. Sur les instances de sa mère, Jésus
transforme alors l’eau en vin.

À l’origine, le tableau est prévu pour le couvent des
bénédictins de San Giorgio Maggiore. Véronèse opte
pour une peinture sur toile, car l’humidité de Venise
est préjudiciable aux fresques. Le décor architectural
surplombe une terrasse, elle-même située au-dessus
des convives. La toile est coupée en deux et la
balustrade délimite les mondes spirituel et matériel, le
céleste et le terrestre. Le Christ occupe bien le centre
de la toile comme dans les représentations
traditionnelles. L’agneau que l’on découpe évoque
aussi la Pâque juive et annonce le dernier repas, la
Cène, que le Christ prendra avec ses disciples.

Le vin, qui est aussi le sang du Christ, est ici examiné
attentivement par un échanson, le préposé au service
du vin qui n’est autre que le propre frère du peintre.
Bon nombre de convives sont des contemporains, par
exemple à droite les commanditaires bénédictins du
tableau. Nous reconnaissons encore les traits des
musiciens qui composent le petit orchestre : Titien en
joueur de basse, Véronèse lui-même, en musicien
habillé de blanc, et son voisin, le Tintoret.

Décès mystique : « La Mort de la


Vierge »
Le peintre Poussin disait du Caravage qu’il était né
pour détruire la peinture. En fait, on peut considérer
qu’il ne la détruit pas, mais qu’il la renouvelle de
façon radicale. La vie de Merisi il Caravaggio, dit le
Caravage en français, rappelle celle du poète François
Villon. Mauvais garçon pour le poète, querelleur pour
le peintre, assassin lors d’une rixe pour les deux. Mais
en dépit de cette existence peu chrétienne, certains
poèmes de Villon semblent écrits par un religieux, et
certaines toiles du Caravage, peintes par un mystique
épris de pureté.

Avec La Mort de la Vierge (1605-1606) (voir Figure
21), le Caravage pousse fort loin le réalisme qui lui est
cher. Le modèle ayant servi à peindre la Vierge, au
ventre gonflé et couchée dans un lit trop court dont
dépassent ses pieds nus, est une noyée, simple
femme du peuple dont la rumeur faisait même une
prostituée. Le rideau rouge suspendu au-dessus de la
scène, en lieu et place du traditionnel nuage des
scènes de dormition (événement de la mort de la
Vierge, au cours duquel elle s’élève au ciel) rive
également la Vierge au monde terrestre,
hypothéquant sa future assomption.

Les deux apôtres se tenant de chaque côté du cadre


créent deux lignes parallèles qui soutiennent une
diagonale constituée par les apôtres affligés penchés
sur le corps de la Vierge. Leurs crânes, éclairés par
une lumière venant de la gauche qui met en valeur le
visage de la morte, suivent la même oblique que
l’ombre sur le mur. Le corps de la Vierge est disposé
sur une perpendiculaire au tiers de la hauteur du
tableau, respectant la disposition usuelle jugée
harmonieuse de la ligne d’horizon sous les deux tiers
supérieurs du tableau. Marie-Madeleine est effondrée,
son dos courbé se place dans l’alignement dessiné par
le bras de la morte et semble soutenir cette dernière,
en accentuant la perspective de son corps.

Le Caravage a consacré cinq ans de sa vie à ce
tableau. Mais jugé excessivement réaliste, celui-ci fut
finalement refusé par son commanditaire, le clergé de
l’église Santa Maria della Scala, en dépit de la finesse
de sa réalisation. On peut désormais le voir au Louvre.
Conseil de famille : « Les Ménines »
Conservé au musée du Prado à Madrid, le tableau des
Ménines de Diego Vélasquez (1656) (voir Figure 26)
représente les dames d’origine noble de la cour
espagnole qui servaient la reine et ses filles, les
infantes. Aussi connue sous le nom La Famille de
Philippe IV, cette toile fut considérée comme un chef-
d’œuvre du vivant même du peintre. Un contemporain
parle d’ailleurs à son propos de « théologie de la
peinture » au sens de tableau définitif et
extraordinaire.

Une fois admis dans l’ordre militaire et religieux de
Santiago en 1659, Vélasquez retoucha le tableau en
s’y représentant en habit de Santiago. Son admission
ne se fit pas sans difficulté, car les candidats ne
devaient pas être de sang maure ou juif et ne
devaient jamais avoir pratiqué le commerce, dernière
condition plutôt difficile à remplir pour un artiste ! Il
fut toutefois considéré que le peintre de la Cour ne
vendait pas, mais donnait ses toiles au souverain qui
le remerciait par des largesses.

Au premier plan, le spectateur voit l’infante


Marguerite et sa suite dans l’atelier du peintre. Puis, il
aperçoit au fond un miroir dans lequel deux
personnages apparaissent. Ce sont le roi et la reine
qui s’y reflètent. Le regard passe alors au peintre qui
vient de lever son pinceau de la toile qu’il exécute et
qui le regarde. Ce spectateur se rend compte alors
qu’il est à la place du roi et de la reine en train de
poser, et qu’ainsi, il devient le modèle de Vélasquez !
Picasso, fasciné, a fait une quarantaine de
représentations de cette toile qui est l’illustration de la
création artistique en cours.
Propagande impériale : « Le Sacre »
Peint en 1806-1807, Le Sacre de Jacques Louis David
(voir Figure 34), de son vrai nom Sacre de
l’empereur Napoléon Ier et couronnement de
l’impératrice Joséphine à Notre-Dame de Paris le 2
décembre 1804, est un mélange de reportage et de
propagande : reportage, car le tableau relate un fait
historique connu et que tous ses personnages sont
aisément reconnaissables, et propagande car il
théâtralise et sublime le geste de Napoléon
couronnant Joséphine et s’octroyant ainsi le rôle sacré
du dispensateur de l’onction.

Peintre officiel de l’Empereur, David doit arranger un
peu la vérité. Ainsi, la mère de Napoléon, qui ne s’est
en réalité pas rendue à la cérémonie, figure tout de
même assise dans une tribune. De même, pour éviter
de froisser les sœurs de Napoléon qui portaient la
traîne de Joséphine, le peintre ne les a pas
représentées en train d’effectuer cette corvée, mais
un peu en arrière. La légende veut en effet qu’elles
aient tenté de faire trébucher la future impératrice !
En revanche, au nom du réalisme, l’artiste s’est refusé
à mettre une perruque à l’oncle Fesch.

David raconte que, lorsqu’il peint son tableau, le Tout-
Paris défile dans son atelier. Chacun veut figurer sur la
toile sur laquelle on reconnaît notamment
Cambacérès et Lebrun, consuls avec Bonaparte,
Talleyrand, indispensable depuis la Révolution, et
Murat, au centre. Y figurent aussi les enfants issus du
premier mariage de Joséphine, Hortense et Eugène,
promis à un grand destin. Autour de Napoléon
s’assemblent ses maréchaux – qui donneront leur nom
aux boulevards de la petite ceinture parisienne. Le
peintre s’est aussi représenté dessinant dans son
carnet de croquis : il se tient dans la tribune, au-
dessus de Letizia Bonaparte, la mère de l’Empereur.

Le tableau est organisé à partir du point central qu’est


la grande croix d’or, sommet d’une pyramide
constituée par Joséphine et l’Empereur délimitant un
espace sacré au milieu de la toile. Tous les regards
sont légèrement dirigés vers le bas, sur la couronne
tenue en l’air. Le style néoclassique est mis au service
de l’histoire contemporaine, les grandes voûtes et
l’architecture solennelle du décor de la cérémonie
étant empruntés à la Rome antique dont s’inspire
l’Empereur. Pour finir, une devinette : la version
présentée dans l’iconographie est celle du château de
Versailles ; il y a une seule différence avec la version
du Louvre, savez-vous laquelle ? (Réponse : la robe
rose d’une des suivantes.)

Un naufrage qui a fait couler beaucoup


d’encre : « Le Radeau de la Méduse »
Dévoilée au public en 1819, cette toile de Théodore
Géricault (voir Figure 36) fut d’emblée un
événement. Considérez la fascination mêlée d’horreur
provoquée par le livre Les Survivants qui raconte
l’histoire de ces joueurs de rugby sud-américains
bloqués dans les Andes par un accident d’avion et
ayant mangé les cadavres de leurs compagnons
décédés pour survivre ; ajoutez-y le succès du film
Titanic en pensant à la scène où les passagers se
battent pour embarquer sur des canots de sauvetage
au nombre insuffisant ; multipliez le tout par cent, et
vous aurez une petite idée de l’accueil qui fut fait au
Radeau de la Méduse.

Le tableau relate un fait divers célèbre. Envoyé par le
gouvernement de la Restauration pour reprendre
possession de la ville de Saint-Louis au Sénégal,
restituée à la France en 1815, La Méduse a pour
capitaine Duroy de Chaumareys, un de ces émigrés
qui ont fui la Révolution. Navigateur improvisé, il se
révèle rapidement un capitaine totalement
incompétent. Le bateau s’échoue sur le banc d’Arguin
au large de l’Afrique le 2 juillet 1816. Quelque 149
personnes prennent alors place à bord d’un radeau
bricolé à partir des mâts et des planches du navire. Au
bout d’une douzaine de jours à la dérive, il n’en reste
plus que 15 !

Pour survivre, les naufragés ont dû se nourrir des
cadavres de leurs anciens compagnons, brisant ainsi
un des plus forts tabous de la civilisation occidentale.
La version définitive de Géricault se déroule au
moment où les naufragés vont être secourus. Les
contemporains peuvent mettre des noms sur les
personnages représentés. Corréard, qui publiera la
relation hallucinante du naufrage, tend le bras et
montre au chirurgien Savigny adossé au mât le
bateau L’Argus venu les secourir.

Le naufrage d’une société


Le naufrage de La Méduse suscita en son
temps de vives polémiques. Les républicains
interprétèrent l’événement comme le symbole
du naufrage de l’Ancien Régime : dès que des
émigrés incapables « reprennent la barre » (de
l’État), ça tourne à la catastrophe.

Pour l’historien Michelet, c’est la société
française tout entière qui est embarquée sur le
radeau. Les maux et les travers humains les
plus redoutables sont en effet représentés
dans ce naufrage : lâcheté du commandement
qui abandonne le radeau, querelle entre les
passagers, ingratitude, cruauté, etc.

Présenté au Salon de 1819, le Radeau de la Méduse


marque l’avènement du mouvement romantique
caractérisé par des sujets empruntés « aux
circonstances » – comme on dit alors avec mépris –,
par le pathétique de l’expression, par l’éclat de la
couleur et la hardiesse du dessin. Le nu de la beauté
antique fait place au nu torturé de la modernité. Une
tradition veut que Delacroix ait posé pour l’un des
personnages couchés dont n’aperçoit pas le visage.
Plus curieusement, même s’il a du plaisir à peindre
son tableau, Géricault ne « prend pas son pied » : ses
personnages portent des chaussettes ou ont leurs
pieds dissimulés. Il aurait eu en effet quelques
difficultés à les représenter !

En voie de disparition
Réalisé à partir de schistes bitumineux, Le
Radeau de la Méduse se dégrade et se noircit
inexorablement. À l’origine, il étonnait
pourtant par l’éclat de ses couleurs.

L’œuvre conserve cependant son caractère
dérangeant. Le musicien Hans Werner Henze
(né en 1926), qui passe pour le plus grand
compositeur contemporain d’opéras, donne en
1968 à Hambourg un Radeau de la Méduse
composé à la mémoire de Che Guevara. La
grande cantatrice Edda Moser y incarne le rôle
de la Mort, Dietrich Fischer-Dieskau, celui de
Jean-Charles, le soldat noir bien réel que l’on
voit sur le tableau. Devant l’enthousiasme
général et bruyant suscité par les
représentations, la police intervient et des
poursuites sont engagées !

Arrivée dans l’étang : « Les Nymphéas »


Le poète Mallarmé confia un jour au journaliste Jules
Huret : « La vie est faite pour aboutir à un beau
livre. » Ainsi pourrait-on dire que pour Claude Monet,
figure emblématique de l’impressionnisme, la vie est
faite pour aboutir à un beau tableau. Pour le peintre
installé à Giverny, le « jardin d’eau » rempli de
nymphéas (du nom latin du nénuphar à fleurs
blanches) de sa villa constitue en effet une
inépuisable source d’inspiration (voir Figure 46). Il
travaille sur ce thème de 1899 à 1926.

Il y a quelque chose de la philosophie zen dans cette
étude permanente du même sujet et cette forme
épurée de réalisme en vertu desquelles un objet
insignifiant peut devenir une représentation de tout
l’univers, comme le peintre le confie : « J’ai dressé
mon chevalet devant cette pièce d’eau qui agrémente
mon jardin de fraîcheur : elle n’a pas deux cents
mètres de tour et son image éveillait chez vous l’idée
de l’infini. » Le travail patient d’observation se double
d’une dimension métaphysique. L’eau est la surface
sur laquelle le ciel se reflète et elle représente
l’affleurement des profondeurs souterraines, entre ciel
et enfer. À travers ses irisations, le peintre essaie,
comme les baroques, de capter l’aspect toujours
changeant du monde.

La conception d’un jardin artificiel témoigne aussi
d’une influence japonisante. Ces toiles forment un
décor et recréent la nature : « La tentation, écrit
Monet, m’est venue d’employer à la décoration d’un
salon ce thème des nymphéas : transporté le long
des murs, enveloppant toutes les parois de son unité,
il aurait procuré l’illusion d’un tout sans fin, d’une
onde sans horizon et sans rivage ; les nerfs surmenés
par le travail se seraient détendus là, selon l’exemple
reposant de ces eaux stagnantes, et, à qui l’eût
habité, cette pièce aurait offerte l’asile d’une
méditation paisible au centre d’un aquarium fleuri. »
Cette pièce dont le peintre rêvait existe désormais :
c’est le musée de l’Orangerie.

Les horreurs de la guerre : « Guernica »


Durant l’Occupation, Pablo Picasso resté à Paris reçoit
la visite d’un officier allemand qui s’intéresse à l’art
moderne – que le Reich qualifiait d’« art dégénéré ».
En avisant une reproduction de Guernica (voir Figure
55) accrochée au mur, le militaire demande au
peintre : « C’est vous qui avez fait ça ? – Non, c’est
vous ! », répond Picasso.

Petit retour en arrière. Le 26 avril 1937, la petite ville
de Guernica (7 000 habitants), haut lieu historique de
l’indépendance basque, est rasée par l’aviation de la
légion Condor, le corps expéditionnaire nazi au service
de Franco. C’est la première fois qu’une ville est
délibérément écrasée sous des bombes, On compte
près de 1700 morts et 800 blessés. Les objectifs
« stratégiques » comme le pont de Guernica ou l’usine
d’armes ne sont pas atteints, mais les colonnes de
fuyards sont mitraillées. La guerre d’Espagne est alors
pour l’Allemagne qui teste son armement une sorte de
répétition générale de la Seconde Guerre mondiale :
Guernica préfigure la destruction de Rotterdam en
1940, puis celles d’innombrables cités.

L’émotion suscitée par le massacre est vive. À la
demande du gouvernement républicain, Picasso
réalise un tableau commémorant cet événement
tragique. Cette toile grand format est en noir et blanc
pour mieux souligner que toutes les couleurs de la vie
ont disparu. En la peignant, Picasso a présent à
l’esprit les deux grandes toiles accusatrices que sont
le Tres de Mayo de Goya et La Grèce sur les ruines de
Missolonghi de Delacroix : le tableau de Goya lui
inspire le personnage hurlant les deux bras levés,
dans la posture de l’insurgé face au peloton
d’exécution ; le tableau de Delacroix montre une belle
jeune femme désespérée sur un tas de décombres,
duquel émerge le pied d’un des défenseurs grecs, un
motif que l’on retrouve dans la partie droite de
Guernica.

D’autres symboles sont reconnaissables dans le
tableau de Picasso. Le taureau Minotaure (un thème
récurrent chez le peintre admirateur de corrida)
évoque la force brutale, tandis que le cheval, au flanc
transpercé par une lance comme le Christ sur la Croix,
représente le peuple espagnol. La scène centrale est
par ailleurs encadrée par deux hurlements : celui de
l’homme inspiré de Goya et celui de la femme qui,
avec son enfant mort sur les genoux, est représentée
à la manière d’une pietà, la Vierge pleurant le Christ
mort. D’abord conservé à New York, le tableau rejoint
l’Espagne en 1981. Il est aujourd’hui exposé au Centre
d’art Reina Sofia.
Chapitre 28

Dix artistes français en exil

Dans ce chapitre :
Faire carrière à l’étranger
Des Français oubliés

Comme dit l’adage, nul n’est prophète en son pays.


Ce chapitre recense dix artistes français ayant
travaillé dans des pays étrangers et souvent
injustement méconnus en France. Des œuvres aussi
diverses que la statue de Pierre le Grand à Saint-
Pétersbourg, la grande statue du Pain de sucre à Rio
de Janeiro, la statue de la Liberté à New York et le plan
de la ville de Washington ont en effet en commun
d’avoir été conçues… par des Français ! Qui a dit que
le génie français s’exportait mal ?

Frémin, des châteaux en Espagne

Après avoir obtenu le prix de Rome en 1694, le


sculpteur René Frémin (1672-1744) accède à la
célébrité à son retour en France avec la statue de La
Samaritaine à Paris. Cette dernière orne alors une
fontaine éponyme construite sur le Pont-Neuf, elle-
même à l’origine du nom du célèbre grand magasin –
il n’en reste aujourd’hui plus rien.

En 1721, dans son désir de concurrencer les fastes de
Versailles, le roi Philippe V d’Espagne commande à
Frémin la décoration des jardins de la Granja,
résidence royale située près de Ségovie. Le sculpteur
s’exécute et construit la fontaine d’Andromède,
d’après un projet de Lebrun, qui rappelle les plus
belles oeuvres de la Renaissance italienne, mais aussi
ce chef-d’œuvre de la statuaire qu’est la fontaine des
Grenouilles, immense ensemble de plantes,
d’animaux et de figures.

Falconet, à l’âge de Pierre


Voulant élever une statue équestre à la gloire de
Pierre le Grand, fondateur de la ville de Saint-
Pétersbourg, Catherine II de Russie s’adresse à son
ami, l’écrivain français Denis Diderot, qui lui
recommande alors son compatriote, le sculpteur
Étienne-Maurice Falconet (1716-1791), qui arrive en
Russie en 1766.

Perfectionniste à l’extrême, l’artiste passe dix mois à
façonner l’œuvre. Comme il veut saisir à la perfection
l’attitude du cheval qui se cabre, il fait même élever
une butte qu’un général russe, de la même taille que
le défunt tsar (deux mètres !), gravit sur sa monture
au galop. Ne voulant négliger aucun détail, le
sculpteur fait exécuter la manœuvre des centaines de
fois !

Le visage de la statue, modelé sur le masque
funéraire du tsar, est réalisé par la jeune élève de 18
ans du sculpteur, Marie-Anne Collot. Pour le socle,
l’impératrice commande un bloc de… 2 mètres sur
12 ! On choisit une pierre frappée par la foudre, selon
la légende, dont le tsar aurait fait son poste
d’observation au moment de choisir l’emplacement de
sa future capitale. Compte tenu de ses dimensions
hors normes, on invente un procédé particulier pour
l’acheminer à Saint-Pétersbourg : une charrette de
cuivre qui roule sur des boules de métal – l’ancêtre du
roulement à billes.

En 1833, Alexandre Pouchkine écrit « Le Cavalier
d’airain », le plus célèbre poème de toute la littérature
russe, en hommage au symbole national qu’est la
statue mythique de Pierre le Grand à Saint-
Pétersbourg.

Saly, c’est du propre !


Élève du grand Guillaume Coustou, Jacques François
Joseph Saly (1717-1776) est reçu à l’Académie royale
de peinture et sculpture en 1751. Il réalise alors la
statue pédestre de Louis XV de la place royale de
Valenciennes, sa ville natale. Inaugurée en 1752, la
statue est détruite durant la Révolution.

Comme ses talents suscitent la jalousie de ses
concitoyens, il répond en 1753 à l’invitation de
Frédéric V, roi de Danemark et de Norvège, qui lui
commande une statue à son effigie. Érigée sur la
place d’Amalienborg en 1768, cette statue est l’œuvre
majeure de Saly, nommé directeur de l’Académie de
Copenhague. Elle a été payée par la Compagnie de
l’Orient et aurait coûté 1,5 million de riksdalers (une
fortune pour l’époque). Les guides danois la
présentent comme l’une des trois plus belles statues
équestres au monde.

Vallin de La Mothe : des monuments


d’hiver
L’architecte Vallin de La Mothe (1729-1800) arrive en
Russie en 1759 pour enseigner l’architecture à la
toute nouvelle Académie des beaux-arts de Saint-
Pétersbourg. Artiste à la mode, il devient rapidement
l’architecte français attitré de la Grande Catherine. Il
réalise notamment le pavillon du Petit Ermitage,
mitoyen du palais d’Hiver, et décore les deux salons
chinois de la résidence impériale de Peterhof,
surnommée le Versailles de la Baltique.

Mais il est surtout le concepteur de plusieurs
monuments importants de Saint-Pétersbourg, comme
l’Académie des beaux-arts (le premier bâtiment
jamais construit pour accueillir une école d’art),
l’église Sainte-Catherine, la Halle du commerce ou
Gostiny Dvor (l’un des plus beaux bâtiments de la
Perspective Nevski), l’arche de la Nouvelle Hollande,
ou encore les palais Tchernychev, Razoumovski et
Youssoupov où, dans un salon du rez-de-chaussée,
Félix Youssoupov et le prince Dimitri assassinèrent
Raspoutine en 1916.

L’Enfant, un plan capital


Engagé volontaire en 1777 dans les troupes de La
Fayette lors de la guerre d’Indépendance des États-
Unis, Pierre Charles L’Enfant (1754-1825) veut mettre
ses talents d’architecte au service de la jeune
démocratie américaine. Ainsi, il conçoit le plan de sa
nouvelle capitale, Washington, située au bord du
fleuve Potomac, centre géographique et symbolique
du pays. Fasciné comme beaucoup par ce fleuron de
l’architecture moderne, L’Enfant s’inspire du plan de
Versailles, caractérisé par :

l’absence de centre véritable ;


des avenues longues et spacieuses ;
des rues rectilignes et aérées ;
des bâtiments ordonnancés par rapport à un
monument phare ;
des plans symétriques.

L’Enfant intègre à son plan les monuments


emblématiques de la République américaine : le
Capitole, la Maison-Blanche et le monument dédié à
George Washington, premier président des États-Unis.
Au final, cela donne un plan géométrique avec des
avenues en « tridents », des rues parallèles et
perpendiculaires coupées par des avenues obliques
donnant sur des places rondes. Sur les principales
avenues ont été rassemblés les ministères, les
bâtiments officiels, administratifs et diplomatiques.

Refusant tout compromis dans l’organisation de « sa »
ville, L’Enfant est démis de ses fonctions – ah ! les
caprices de L’Enfant… Il n’en reste pas moins célèbre
aux États-Unis où son nom est associé à l’édification
de la première ville moderne. La « carrière
américaine » de cet obscur architecte parisien est
aussi un bel exemple de l’engouement international
pour l’art français au XVIIIe siècle.
Bartholdi, en toute Liberté
Connue dans le monde entier, la statue de la Liberté
(de son vrai nom La Liberté éclairant le monde) est
l’œuvre du sculpteur français Frédéric-Auguste
Bartholdi (1834-1904). Cadeau de la France à
l’Amérique, elle célèbre le centenaire de la
Déclaration d’indépendance de 1776. Érigée en 1886
à l’entrée du port de New York, la statue colossale est
en lames de cuivre battu montées sur une structure
métallique due au célèbre Gustave Eiffel – un homme
qui avait décidément plusieurs « tours » dans son sac.

Tombé depuis dans un relatif anonymat, Bartholdi est
un sculpteur au talent reconnu, auteur d’autres
monuments à redécouvrir comme le Lion de Belfort,
les chevaux de la fontaine des Terreaux à Lyon et les
plans du palais Longchamp à Marseille. Il est aussi
connu à l’étranger pour un autre monument, La Suisse
secourant les douleurs de Strasbourg, érigé à Bâle.

Cordier, tout mais Pacha


Commandée au grand sculpteur orientaliste français
Charles Cordier (1827-1905), la statue équestre du
vice-roi d’Égypte, Ibrahim Pacha, scelle l’amitié qui
unit la France et l’Égypte au XIXe siècle. (En 1869,
l’inauguration du canal de Suez, œuvre de l’ingénieur
Ferdinand de Lesseps, marque l’apogée de ces bonnes
relations.)

Natif de Cambrai, Cordier a toute sa vie nourri une
grande passion pour l’Afrique, où il meurt en 1905, à
Alger. Le sculpteur élabore des figures d’Afrique du
Nord ou d’Afrique noire et se distingue par l’originalité
de sa démarche, qui consiste notamment à introduire
de la couleur dans les froides figures en pierre, en
marbre ou en bronze de son époque. Il emploie pour
cela de l’onyx, du porphyre et d’autres pierres de
couleur. Il est à ce point épris de culture exotique qu’il
construit une villa de style égyptien à Orsay, dans
l’Essonne. Rasée en 1962, elle subit en cela le même
sort que le Palais rose de Boni de Castellane, les
peintures de la bibliothèque de l’École des arts et
métiers de Gérôme et, à la Bastille, l’entrée de métro
de Guimard, qui sont détruits à cette époque sous
couvert de modernité…

Landowski, si tu vas à Rio…


En 1922, le Brésil commande au sculpteur Paul
Landowski (1875-1961) une statue monumentale pour
célébrer le centenaire de l’indépendance du pays.
Après plusieurs aléas, le Christ de Rio n’est finalement
inauguré qu’en 1931, après que l’on a dû faire appel
au soutien du Vatican pour combler le manque de
fonds. Construite au sommet du pic de Corcovado,
cette statue monumentale mesure 30 mètres et pèse
1 145 tonnes. Surplombant la ville qui s’étend en
contrebas, elle est constituée de « pastilles » de pierre
à savon (ça ne glisse pas) posées sur une structure en
béton armé.

Comme Bartholdi un siècle plus tôt, Landowski est le


sculpteur monumental français du XXe siècle. Pour qui
n’a pas prévu d’aller à Rio, il y a moyen de se consoler
en allant voir les œuvres de Landowski à Paris : les
sculptures des fontaines du Trocadéro et de la porte
Saint-Cloud, la statue d’Édouard VII en face du théâtre
du même nom dans le quartier de l’Opéra et la statue
Sainte Geneviève du pont de la Tournelle derrière
Notre-Dame (1928). Pour des générations de gamins,
l’arrière de cette sculpture a évoqué la fusée de Tintin
en couverture de l’album On a marché sur la lune.

Lachaise se fait la malle


Quoique né à Paris et formé en France par René
Lalique, Gaston Lachaise (1886-1935) est souvent
considéré comme un sculpteur… américain ! Arrivé en
1906 aux États-Unis, il commence sa carrière à Boston
et la finit à New York, où il meurt. Sa renommée tient
au caractère bien fini et poli de ses œuvres,
principalement des bustes et des statues de nus
féminins en bronze, inspirés des formes de son
épouse américaine et dont l’anatomie évoque les
œuvres de Rubens ou Maillol.

Deuxième artiste à se voir consacrer de son vivant
une exposition rétrospective au musée d’Art moderne
de New York en 1935, son travail donne lieu à de
nombreux hommages dans les musées américains
jusque dans les années 1970. Ses œuvres les plus
connues sont La Femme debout du Metropolitan
Museum de New York (1932) et La Mouette,
monument dédié aux gardes-côtes. Mais qui s’en
souvient « chez nous » ?

Tissot, à l’heure anglaise


Jacques Joseph Tissot (1836-1902) a très tôt une
attirance pour tout ce qui est anglais, au point
d’angliciser son prénom, qu’il transforme en James, et
d’aller faire carrière à Londres. Artiste éclectique, il
exploite tous les genres (peinture religieuse,
d’histoire, scènes de genre, portraits, paysages,
marines) et tous les modes picturaux et graphiques
(aquarelle, pastel, gravure et même vitrail). Sa
carrière en Angleterre commence au début des
années 1870. Il se fait vite une réputation de mondain
en peignant dans une technique académique précise
des scènes historiques, bibliques ou galantes sur fond
de Moyen Âge.

L’artiste peint également et surtout des jeunes
femmes de la bonne société qu’il habille élégamment,
fixant ainsi l’image de la vie anglaise victorienne,
avec parfois aussi quelque fine ironie dans ses
portraits, comme avec cette élégante au bras d’un
vénérable vieillard cherchant du coin de l’œil son
soupirant dans la foule. Frappé d’une crise mystique
dans les années 1880, Tissot se livre dans la seconde
moitié de sa vie à la peinture religieuse et à
l’illustration de la Bible. Ami de Degas, il partage alors
sa vie entre Londres et Paris. Il laisse une œuvre très
variée et attachante, surtout exposée dans les
musées – devinez quoi – anglo-saxons !
Index

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2 h 30 gare du Nord

A
À bientôt j’espère
a semi fresco, procédé dit,
Aalto, Alvar
Abadie, Paul
Abandon, l’
Abbassides, dynastie des
ablaq
aborigène, art,
Abraham
Absinthe, l’
abstraction lyrique
Abu Dulaf, mosquée d’
Academia, Galleria dell’
Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg
Académie royale des beaux-arts
académisme
acanthe, feuille d’
accumulations
Achéménides
Acropole d’Athènes
acropole de Mycènes
action painting
Adamson, Richard
Adoration des bergers, l’
Adoration des Mages, l’
Africa remix, exposition
africain, art
Agamemnon,
Agathe, sainte
Âge d’Airain, l’
Âge mûr, l’
Aggadé
Aglaé et Boniface
Ajantha, grottes d’
Akhenaton
Akshobhya
Al-Aqça, mosquée d’
al-Azhar, mosquée d’
Albane, l’
Alberti, Leon Battista
Alcala, porte d’
Alcazar de Séville, palais de l’
al-Djausak Khakani, palais d’
Alechinsky, Pierre
Alembert, buste de d’
Alexandre entre Castor et Pollux
Alexandre le Grand
Alexandre tenant un foudre
Algarde, Alessandro Algardi dit l’
Algérie
Alhambra de Grenade, palais de l’
al-Kharana, qsar
Allée de châtaigniers à La Celle-Saint-Cloud, l’
Allégorie de la peinture, l’
allégorie
Allemagne
Al-Mamoun
Almohades, dynastie des
Almoravides, dynastie des
Al-Mutawaki, mosquée d’
Altamira, grotte d’
Alte Pinakothek (Ancienne Pinacothèque)
Ambassadeurs, les
Amboise, château d’
amérindien, art
Amérique centrale
Amérique du Nord
Amérique du Sud
Âmes déçues, les
Amiens
Amithaba
Amitié, l’
Amogasiddhi
Amon-Ré
Amour et Psyché par Canova
Amour et Psyché par David
Amour sacré et l’Amour profane, l’
Amours de Pâris et d’Hélène, les
Amra, qsar
anamorphose
Ange de la cathédrale de Reims, l’
Angélique et Roger montés sur l’hippogriffe
Angélus, l’
Angerstein, John Julius
Angkor, temple d’
Anne-Franck (Antony), collège
Annette Messager
Annette Messager, collectionneuse
Annette Messager, femme pratique
Annonciation, l’
antéfixe
Anthropométries
Antinoüs
Antiquité
Antonin Proust, buste d’
Anubis
Anvers
Apelle
Aphrodite de Cnide, l’
Aphrodite,
Apollinaire, Guillaume
Apollodore
Apollon de Véies, l’
Apollon du Belvédère, l’
Apollon et Daphné
Apollon servi par les Nymphes
Apollon
Apollon, galerie d’
Apollonios, fils de Nestor Athénien
Apothéose d’Homère, l’
Apothéose de Napoléon Ier, l’
Apparition de saint Marc, l’
Apparition, l’
Après-dîner à Ornans, l’
arc brisé
Arc de triomphe, l’
arc en fer à cheval
arc formeret
arc-boutant
Arc-et-Senans, saline royale d’
Archange Saint-Michel
arche de la Nouvelle Hollande, l’
Archers, frise des
Archipenko, Alexander
Architecte à la règle, l’
architrave
Aréaréa (Joyeusetés)
Arès
Argyll, tombeau du duc John d’
Aristote
Arles
Arman, Armand Fernandez dit
Armory show, exposition de l’
Arp, Jean ou Hans
art attitude
art nouveau
Artaud, Antonin
Artémis avec un chœur de jeunes filles
Artémis d’Éphèse, temple d’
Artémis
Arts and Crafts, mouvement
Arts premiers, musée des
asana
Ashoka
Asie, l’
Assomption de Marie-Madeleine, l’
Assouan, barrage d’
Assy, église d’
Assyrie
Astarté (ou Ishtar)
Atelier du peintre, allégorie réelle déterminant une phase de
sept années de ma vie artistique, l’
Athéna Parthénos
Athéna
Athènes
atlantes
Attale de Pergame
Attique
Auguste, empereur
Aulenti, Gae
Australie
Autodafé,l’
Autoportrait à l’oreille coupée
Autoportrait au manteau de fourrure
Autoportrait avec collerette et toque
Autoportrait par Rembrandt
Autoportrait parisien
Autriche
Autun, cathédrale d’
Auvers-sur-Oise
Aux martyrs d’Oradour
Averroès
Aztèques
azulejos

B
Babel, tour de
Babylone
Babylone, jardins suspendus de
Bacchanale
Bacchante couchée
Bacchus malade
Bacchus par le Caravage
Bacchus par Léonard de Vinci
Bacchus par Michel-Ange
Bacchus
Bacon, Francis
Bagdad
Baigneuse dite de Valpinçon
Bain des Nymphes, le
Bain turc
Baiser par Brancusi, le
Baiser par Klimt, le
Baiser par Rodin, le
Bajazet, mosquée de
Balançoire, la
Balcon, le
Baldassar Castiglione
Ballu, Théodore
Baltard, Victor
Balthus, Balthazar Klossowski de Rola dit
Balzac
Bamiyan
Banquet des officiers du corps de Saint-Georges, le
Baptême du Christ, le
Baptistère de Saint Louis
Barbedienne
Barberini, palais
Barbizon, école de
Barcelo, Miquel
Bardon, Geoffrey
Barnes, docteur
baroque, art
Barque de Dante, la
Barque pendant l’inondation à Port-Marly
Bartholdi, Frédéric-Auguste
Barye, Antoine Louis
Basquiat, Jean-Michel
Basra, mosquée de
Bastet
Bastien-Lepage, Jules
Bataille d’Aboukir, la
Bataille d’Anghianri, la
Bataille d’Eylau, la
Bataille de Cascina, la
Bataille de Reichshoffen, la
Bataille de San Romano, la
Bataille de Wagram, la
Bataille des Pyramides, la
Bateau-Lavoir, le
Baudry, Paul
Bauhaus
Bazaine, Jean
Bazille, Frédéric
Beckmann, Max
Bed
Belgique
Bélisaire
Belle Jardinière, la
Belmondo, Paul
Ben, Benjamin Vautier dit
Bénédicité, le
Bénézit
Bénin
Bergers d’Arcadie, les
Bernard, Émile
Bernardas d’Alcala de Henares, église des
Bernin, Giovanni Lorenzo Bernini, dit le Cavalier Bernin ou le
Bethsabée
bétyle
Bibliothèque nationale
Biblis
Biennale de Venise
Birmanie
Black on Grey
Blaue Reiter, Der
Blois, château de
Blondel, François
Bodhisattvas
Bodnath, chorten de
body art
Bœcklin, Arnold
Bœuf écorché, le
Bohême
boîtes de soupe Campbell
Bon Pasteur, le
Bonaparte franchissant les Alpes
Bonaparte, Napoléon
Bonaparte, Pauline
Bonchamp, tombeau du général
Bonheur, Rosa
Bonnat, Léon
Borghèse, buste du cardinal
Boronali
Borromini, Francesco
Borromini, prix
Bosch, Jérôme
bosmetal
Botticelli, Sandro Filipepi dit
Boucher, François
Bouddha
bouddhisme
Bouffon Calabazas
Bouguereau, Adolphe William
Boulanger, Louis
Boulevard des Italiens
Bourdelle, Antoine
Bourdon, Sébastien
Bourgeois de Calais, les
Bourgeois, Louise
Bourré, Jean
Bramante, Donato di Angelo
Brancusi, Constantin
Brandebourg, porte de
Braque, Georges
Bresdin, Rodolphe
Bretagne
Breton, André
British Museum
Brodeuse
Brongniart, Alexandre Théodore
Brongniart, palais
Bruant, Libéral
Brücke, Die
Bruegel, Jan dit Bruegel de Velours
Bruegel, Pieter dit le Vieux ou l’Ancien
Bruly Bouabré
Brunelleschi, Filippo
brut, art
Bryen, Camille
Bûcheronnes, les
Buen Retiro, palais du
Bullant, Jean
Bullet, Pierre
Bureau de coton à la Nouvelle-Orléans
Buren, Daniel
Burne -Jones, Sir Edward
Bury, Pol
Buveurs, les
byzantin, art

C
Cabanel, Alexandre
Caere
Caillebotte, Gustave
Caïn
Calamis
Calle, Sophie
Callicratès
calligraphie
Callimaque
camarin
Camposanto de Pise
Canada
Canova, Antonio
Caoatlicue
Capitole de Washington
Capitole, place du
Caprices, les
Capucins, couvent des
Caravage, Michel Angelo Merisi dit le
cariatides
Carnac, alignements de
Carnarvon, Lord
Carpeaux, Jean-Baptiste
Carrache, Annibal
Carrache, Augustin
Carrache, Ludovic
Carrand, Louis Hilaire
Carré blanc sur fond blanc
Carré noir sur fond blanc ou Quadrangle
Carrier-Belleuse, Albert
Carrière, académie
Carrière d’un roué
Carrière d’une prostituée
Carrousel, arc du
Carter, Howard
cartouche
Cassatt, Mary
Casseurs de pierre, les
Catch as catch can
Catherine II
Cattelan, Maurizio
Caucase
Causeuses, les
Cavalier d’airain, le
Cavalier Rampin, le
Cavalier souriant, le
Cène, la
Centre médico-chirurgical du Val-Notre-Dame à Bezons
Cérès
César
Cézanne, Paul
Chagall, Marc
Chalgrin, Jean-François
cham, art
chamanisme
Chambord, château de
Champa
Champaigne, Philippe de
Champfleury, Jules Husson dit
Champollion, Jean-François
Chancelier Séguier, statue du
Chandigarh
Chanson du printemps, la
Chantilly, château de
chaouabti, statuaire
Chapelle Sixtine par Ingres, la
Chardin, Jean Siméon
Charité de Séville, hôpital de la
Charles Ier d’Angleterre, buste de
Charles Ier à cheval
Charles III d’Espagne
Charles Quint
Charles VII
Charles X
Charles, pont
Charrette de foin, la
Chartres, cathédrale de
Chasseur de la Garde, le
Chasseurs dans la neige, les
Chaumont, château de
Chauvet, grotte
Chéops
Cheri Samba
Cheval arabe, le
Cheval bleu, le
Chevaux de Marly, les
Chevaux du soleil, les
Chevreul, Eugène
Chiens, les
Chimère d’Arezzo
Chimères
Chine
chorten, temple
Christ de la Clémence, le
Christ en Croix de Vélasquez, le
Christ en Croix de Zurbarán, le
Christ gisant
Christ prenant dans ses bras Saint Bernard, le
Christo, Christo Javacheff dit
Churriguera, Alberto
Churriguera, Joaquín
Churriguera, José Benito
Chute des anges rebelles, la
cinétique, art
cire perdue
classique, art
Claudel, Camille
claveaux
Clemenceau, Georges
Cléoménès
Cléopâtre
Clésinger, Jean-Baptiste Auguste Stello
Clones
Clovis
Cluny, abbaye de
Cluny, musée de
Cobra, groupe
Coexistences
Coimbra, cathédrale de
Colbert, tombeau de
Colère d’Achille, la
Colisée
Collège de France
Collegium regium
Collot, Marie-Anne
Colonne sans fin, la
colonne torse
colossal, ordre
Colosse de Rhodes, le
Combat de Nazareth, le
combine paintings
Commonwealth Promenade
composite, ordre
Comtesse Keller, marquise de Saint-Yves d’Alveydre, la
conceptuel, art
Concert pastoral, le
Consigne à vie
Constable, John
Constantin, empereur
Constantinople
Constellations
constructivisme
contemporain, art
Contraste de formes
contrefort
Contre-reliefs
Convoi funèbre au Père-Lachaise
Cook, maison
Coran
Corbeille de fruits, la
Cordier, Charles
Cordoue
corinthien, ordre
Cormon, académie
Cormon, Fernand
Corot, Camille
Corrège, Antonio Allegri dit le
Cortone, Pierre de
Côte d’Ivoire
coufique, écriture
Courbet, Gustave
Couronnement de la Vierge (dit Retable Oddi), le
Couronnement de la Vierge, le
Course de taureaux, la
Courses de taureaux, les
Coustou, Guillaume II
Coustou, Guillaume
Coustou, Nicolas
Couture, Thomas
Coysevox, Antoine
Cri, le
Crimson Clouds
croisée d’ogives
Cross, Henri – Edmond
Crystal Palace
cubisme
Cuirassier blessé
cunéiforme, écriture
Curtius, Marcus
Cuvier, statue de
Cuypers, Petrus Josephus Hubertus
Cyclop, le
Cyprès, les

D
D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme
D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?
dada
dadaïsme
Dalí, Salvador
Dalou, Jules
Damas
Dame à l’hermine, la
Dame à la licorne, la
Dame à la robe verte, la
Dame d’Auxerre, la
Dame de Brassempouy, la
dan, masques
Dans l’arbre ténébreux
Danse des paysans, la
Danse par Carpeaux, la
Danse par Matisse, la
Danseuse, la
Daumier, Honoré
David d’Angers, Pierre Jean David
David et Bethsabée
David par Le Bernin
David par Michel-Ange
David, Jacques Louis
De Brandt, Isabelle
De Chirico, Giorgio
De Kooning, Willem
De la loi du contraste simultané des couleurs
De Stilj, groupe
déambulatoire
Déclaration constitutive du nouveau réalisme
Décollation de saint Jean-Baptiste, la
Degas, Edgar
Déjeuner des canotiers, le
Déjeuner sur l’herbe par Manet, le
Déjeuner sur l’herbe par Monet, le
Delaroche, Paul
Delaunay, Robert
Delphes
Delville, Jean
Déméter
Demoiselles d’Avignon, les
démotique, écriture
Dendérah, temple de
Denis, Maurice
Dentellière, la
Départ des volontaires en 1792 dite La Marseillaise, le
Derain, André
Derby de 1821 à Epsom, le
Désastres de la guerre, les
Descente de Croix par le Caravage, la
Descente de Croix par Rembrandt, la
Descente de Croix par Rubens, la
design
Destino
détrempe
Diane,
Diane par Houdon
Diderot, buste de
Didon fondant Carthage
Dieulafoy, Jeanne
Dinet, Alphonse Étienne Nasreddine
Dinteville, Jean de
Diseuse de bonne aventure, la
Disney, Walt
Dispute, la
Disques, les
Distribution des Aigles, la
divisionnisme
Dix, Otto
Djéser
dogon, art
Dokumenta de Cassel
Dolce farniente
dolmen,
dôme de la cathédrale de Florence
Dôme du Rocher, mosquée du
Dominion Center
Dominiquin, Domenico Ziamperi dit le
Donatello
dorique, ordre
Dörpfeld, Wilhelm
Dos de Mayo
Double jeu
Dousarès
drapé
Drolling, Martin
Drouais, Jean Germain
Du spirituel dans l’art
Duban, Félix
Dubuffet, Jean
Duchamp, Marcel
Duchamp-Villon, Raymond
Dufrêne, François
Duquesnoy, François
Dürer, Albrecht
Duthuit, Georges

E
Ecce homo
éclectisme
École d’Athènes, l’
École de Platon, l’
École des beaux-arts de Paris
École militaire
Écorché, l’
Écouen, château d’
Édouard VII, statue d’
Église d’Auvers-sur-Oise, l’
Égouttoir, l’
Égypte
égyptien, art
Eiffel, Gustave
Élam
Éléphantine, île d’
Éleusis, mystères d’
Elgin, Lord
Ellora, grottes d’
Eluard, Gala
Embarquement de la reine de Saba, l’
Empire de Flore, l’
en épargne, procédé dit
en ronde-bosse, sculpture
Énée et Anchise
Enfant au toton, l’
Enfants jouant aux dés, les
Enfer, l’
Enlèvement de Proserpine, l’
Enlèvement des filles de Leucippe, l’
Enlèvement des Sabines, l’
enluminures
Enseigne de Gersaint, l’
entablement
Enterrement à Ornans, l’
Époux Arnolfini, les
Érechthéion, temple de l’
Ermitage, musée de l’
Ernst, Max
Éros
Esclaves, les
Escorial
Eskimo
Espagne
Esplanade à Chicago
Esquisses pédagogiques
estampes xylographiques
Estève, Maurice
estompe, technique de l’
États-Unis
Euphrate
expressionnisme
Extase de sainte Thérèse, l’
Extrême-Orient

F
Falconet, Étienne
Falguière, Alexandre
fang, art
Farnèse, palais
Fatimides
Fautrier, Jean
fauvisme
Fayet, Gustave
Federal Art Project (Works Progress Administration)
Federal Center
Félibien, André
Femme à barbe, la
Femme debout, la
Femme piquée par un serpent, la
Femme qui pleure, la
Femmes au jardin, les
Fénéon, Félix
Fenosa, Apel.les,
Fernández, Gregorio
Festin de Samson, le
Fête du Rosaire, la
Fifre, le
Fileuses, les
Filles portant un chat, les
Finis gloriae mundi
Flandrin, Auguste
Flandrin, Hippolyte
Flandrin, Jean-Paul
Florence
Foins, les
Fontaine d’Andromède, la
Fontaine des Grenouilles, la
Fontaine Igor Stravinsky, la
Fontaine, la
Fontaine, Léonard
Fontainebleau, forêt de
Font-de-Gaume, grotte de
Fontfroide, abbaye de
Forces Nouvelles, groupe
Forge de Vulcain, la
Fougeron, André
Foujita, Léonard
Fouquet, Jean
Fouquet, Nicolas
Fourment, Hélène
Foy, statue du général
Fragonard, Jean Honoré
François Ier
Franklin, Benjamin
Frédéric Bazille peignant à son atelier
Frémiet, Emmanuel
Frémin, René
fresque
Friant, Émile
Friedrich, Caspar
Friesz, Othon
frise
fronton
frottage
Frugès, cité
Fuite en Égypte, la

G
Gabriel, Ange Jacques
Gachet, docteur
Gainsborough, Thomas
Galice
Gandhara
Ganesh
Ganymède
Garçon à la corbeille de fruits, le
Garçon mordu par un lézard, le
Gard, pont du
Garnier, Charles
Gauguin, Paul
Gavrinis, site de
gelede
Genève
Gentileschi, Artemisia
Gentileschi, Orazio
Georges-Pompidou, centre
Gérard, François
Géricault, Théodore
Gérôme, Jean-Léon
Gesù, église du
Giacometti, Alberto
Gilgamesh
Gilles
Ginevra de Benci
Giordano, Luca
Giorgione, Giorgio Barbarelli dit
Giralda de la Grande Mosquée de Séville
Girardon, François
Girodet-Trioson, Anne Louis
Girsu
gisant
Giverny
Gizeh, pyramides de
Glaces, galerie des
Gladiateur combattant, le
Glaneuses, les
Gleizes, Albert
Goeneutte, Norbert
Goethe, Johann Wolfgang von
Goethe, buste de
Gómez de Mora, Juan
Gorille enlevant une femme
gothique, art
Goujon, Jean
Goulue, la
gouro, masques
Goya, Francisco
Grand Autel de Zeus, le
Grand calendrier, le
Grand Nord
Grand Palais
Grand Théâtre de Bordeaux
Grand Trianon, château du
Grande Muraille de Chine
Grande Odalisque, la
Grande Parade inspirée par le cirque, la
Granja, jardins de la
Granja, palais de la
Great American Nude
grec, temple
Grèce sur les ruines de Missolonghi, la
Grégoire XVI
Grenade, cathédrale de
Gris, Juan
Grisou, le
Groenland
Gropius, Walter
Gros, Antoine
Grosz, George
Groupe de novembre
Gudéa
Guerchin, le
Guérilleros
Guernica
Guggenheim Museum
Guggenheim, Peggy
Guide, Guido Reni dit le
Guillaume III d’Orange
Guillaume Ier le Taciturne
Guillaume-le-Conquérant
Guillaumin, Armand
Guinée
gupta, art

H
Hadès
Hadrien
haida, art
Hains, Raymond
Haïti
haïtien, art
Halicarnasse, mausolée d’
Halle du commerce (Gostiny Dvor)
Halles de Paris, les
Hals, Franz
Hammourabi
happening
Harappa
Harcourt, tombeau du maréchal d’
Hardouin-Mansart de Sagonne, Jacques
Hardouin-Mansart, Jules
Haring, Keith
Hartung, Hans
Hathor
hathorique, colonne
Hatshepsout
Hay, Mesh, String
Hébert, Antoine Auguste Ernest
hégire
Hélène de Troie
Henri II et Catherine de Médicis, tombeau d’
Henri VIII
Henze, Hans Werner
Héphaïstos
Héra
Héraclès archer
Herculanum
Hercule par Apelle
Hermès par Praxitèle
Hermès
Hérodote
Herrera, Juan de
Hestia
Heure de tous’
hiéroglyphe
Hiroshige, Utagawa Ichiyusai dit
Hiver’
Hodler, Ferdinand
Hogarth, William
Hokusai, Katsushika
Holbein le Jeune, Hans
Hollande
Hommage à New York
Homme à la pipe dit aussi Portrait de l’artiste Courbet au
chien noir’
Homme au casque d’or’
Homme au nez cassé’
Hopis
Horus
Houdon, Jean-Antoine
Hourloupe’
hozho, peintures
Hugo, buste de Victor
Humbert, académie
Huysmans, Joris-Karl
hyperréalisme
hypètre
hypogée

I
I know how you must feel, Brad
Ictinos
idéogramme
Idole de la perversité, l’
idoles des Cyclades
Idylle sur la passerelle, l’
Idylles parlementaires, les
Ife
iikaah, peinture
IKB (International Klein Blue)
Île des morts, l’
Imhotep
Immaculée Conception dite Immaculée Soult
Impératrice Eugénie entourée de ses dames d’honneur, l’
Imperial Hotel
Impression, soleil levant
impressionnisme
In ictu oculi
Incas
Inde
Indochine
informels, peintres
Ingres, Jean Auguste Dominique
Innocent X
Inspiration du poète, l’
installation
Institut du monde arabe
Instruction pour mesurer au compas et à la règle
Intérieur aux aubergines, l’
Intérieur d’une cuisine
Intérieurs hollandais
Intérieurs lumineux
International Style
Inuits
ionique, ordre
Irak
Iran
Ishtar, porte d’
Isis
Isis, temple d’
islamique, art
Istanbul
Italie
iwan
Iznik

J
Japon
japonisme
Jardin d’amour, le
Jardin des délices, le
Jean Cavalier jouant le choral de Luther au chevet de sa mère
mourante
Jean Népomucène, saint
Jeanne d’Arc
Jeanne-Claude, Jeanne-Claude de Guillebon dite
Jefferson, Thomas
Jérémie pleurant
Jérôme, saint
jésuite, style
Jésus appelant à lui les petits enfants
Jeune Fille à la perle, la
Jeune Fille au verre de vin, la
Jeune Grecque sur le tombeau de Marco Botzaris, la
Jeune Homme au luth, le
Jeune Homme nu assis au bord de la mer, le
Jeune Mendiant, le
Jeune Peinture Belge, la
Jeune Vénitienne, la
Jockey blessé, le
Joconde, la
Joie de vivre, la
Jones, Inigo
Jongkind, Johan Barthold
Jordaens, Jacob
Jordanie
Joueurs de cartes, les
Joueuse d’osselets, la
Journée sombre, la
Joyeux Buveur, le
Judd, Donald
Judith décapitant Holopherne
Judith et Holopherne
Jugendstil
Jules II
Julian, académie,
Jumièges, abbaye de
Junon
Jupiter
Justinien

K
Kaaba
kachinas, poupées
Kahnweiler, Daniel-Henry
kakemonos, rouleaux
kanaga, masque
Kandinsky, Vassily
Khephren
Kermesse, la
Keyser, Hendrick de
Khajuraho, temple de
Khnopff ; Fernand
Khorsabad, palais de
Kienholz, Jeff
Kirchner, Ernest
Kisling, Moïse
Klee, Paul
Klein, Yves
Klimt, Gustav
Klinger, Max
Kokoschka, Oskar
Koons, Jeff
kota, art
Koufa, mosquée de
kouros, statue
Kunsthistorisches Museum de Vienne
Kupka, Frantisek

L
L’Enfant, Pierre-Charles
La Fayette, marquis de
La Hyre, Laurent de
La Mecque
La parole est aux usagers
La République nourrit ses enfants et les instruit
La Tour, Georges de
La Turbie, trophée de
La Vallette, cathédrale de
La Villeglé, Jacques de
Labourage nivernais, le
Labrouste, Henri
Lachaise, Gaston
Lagash
Laitière, la
Laloux, Victor
Lamartine, buste d’Alphonse de
land art
Landowski, Paul
Laocoon
Laon, cathédrale de
Lapicque, Charles
Largillière, Nicolas de
Las de vivre, les
Lascaux, grotte de
Laurencin, Marie
Laval, Charles
Lavier, Bertrand
Le Brun, Charles
Le Caire
Le Corbusier, Charles-Édouard Jeanneret-Gris dit
Le Lorrain, Claude Gellée dit
Le Lorrain, Robert
Le Nain, frères
Le roi boit
Le Sueur, Eustache
Le Tasse en prison visité par Expilly, gentilhomme dauphinois
Le Vau, Louis
Leal, Juan de Valdés
Leçon d’anatomie, la
Lecture de huit lithographies de Zao Wou-ki
Ledoux, Claude Nicolas
Lefuel, Hector
Léger, Fernand
Lenepveu, Jules-Eugène
Léon X,
Léonard de Vinci
Leroi-Gourhan, André
Les ombres de Francesca da Rimini et de Paolo Malatesta
apparaissent à Dante et à Virgile
Lesché de Delphes
Lescot, Pierre
Lever de soleil dans la brume
LHOOQ
libéraux, arts
Liberté éclairant le monde, la
Liberté guidant le peuple, la
Libraires, mosquée des
Lichtenstein, Roy
Licteurs rapportant à Brutus les corps de ses fils, les
Ligugé, abbaye de
Lion ayant faim, le
Lion de Belfort, le
Lion et le Serpent, le
Lions, porte des
Lipchitz, Jacques
Lisbonne
Livre des Merveilles, le
Livre des morts, le
Livres jaunes, les
Long Term Parking
Longchamp, palais
Lorich
Los Angeles
Louis XI
Louis XIII
Louis XIV
Louis XVI
Louis XVIII
Louis-XV, place (actuelle place de la Concorde)
Louis-Philippe
Louve du Capitole, la
Louvre, musée du
Louxor
Lynch, statue du général
Lyon
Lysippe
M
Maât
Machu Pichu
Macke, August
Madaïn Salih
Madame Charpentier et ses enfants
Madame de Senonnes
Madeleine pénitente par de La Tour, la
Madeleine pénitente par le Caravage, la
Madeleine, église de la
Mademoiselle Rivière
Maderna ou Maderno, Carlo
Maderno, Stefano
Madone à l’escalier, la
Madone aux saints, la
Madone de Foligno, la
Madone della Seggiola, la
Madone Litti, la
Madone Sixtine, la
Madrid
Maekawa, Kunio
Maeterlinck, Maurice
magdalénienne, époque
Maghreb
Magritte, René
Mahabharata, le
Maillol, Aristide
Maison carrée de Nîmes
Maison de la reine
maison Dick
Maison du docteur Edwards, la
Maison du peuple de Clichy
maison Farnsworth
maison Fricke
Maison sur la cascade
maison Willits
maison Winslow
Maison-Blanche
Maisons à l’Estaque
Maisons vertes
Maitreya
Maja nue, la
Maja vêtue, la
Majorelle, Jacques
Makart, Hans
makimonos, rouleaux
Makonde
Mal’aria, la
Malevitch, Kazimir
Malines, cathédrale de
Mallarmé, Stéphane
Malraux, André
Maman
mamelouk, art
Man Ray
Manessier, Alfred
Manet, Édouard
Manga
Mangeurs de raisins et pastèques, les
Manifestes du surréalisme
Manneken Pis
Mansart, François
mantos, étoffes
Manutan / Kind
Mara
Marat assassiné
Marc, Franz
Marchand de gibier, le
Marchande d’amours, la
Marché aux chevaux, le
Mardouk
Mariage d’Isaac et Rébecca, le
Mariage de sainte Catherine, le
Mariée mise à nu par ses célibataires, la
Marie-Marguerite d’Espagne
Marie-Thérèse d’Espagne
Marilyn, portraits de
Marly, château de
Maroc
Marot, Daniel
marouflées, toiles
Marquises, îles
Marquisien à la cape rouge, le
Marrakech
Mars désarmé par Vénus et les Grâces
Mars et Vénus
Mars
Marseille
Martinez Montanez, Juan
Martyre de saint Érasme, le
Martyre de saint Philippe, le
Martyre de saint Symphorien, le
Masaccio, Tommaso di ser Giovanni Cassai dit
masque de flûte
masque
mastaba
mât totémique
Mater dolorosa
Mathieu, Georges
Matisse, Henri
Mauritshuis (ou maison de Maurice)
maurya, art
Mausole
maya, art
Mazarin, tombeau du cardinal de
Mazeppa
Médicis, Catherine de
Médicis, famille
Médine
mégalithe
Mehemet Ali
Meissonier, Ernest
Mélancolie, la
Memphis
mendé, art
Mendiant au pied bot, le
menhir
Ménines, les
Mercure et Argus
Mercure par Coysevox
Mercure rattachant ses talonnières
Mercure
Mésopotamie
Messager, Annette
métope
Metropolitan Museum
Meunier, Constantin
Meunier, son fils et l’âne, le
Michaux, Henri
Michel-Ange, Michelangelo Buanarroti dit
Mignard, Pierre
mihrab
Millet, Jean-François
Milon de Crotone
minaret
Minerve
Minerve
Ming, dynastie des
minimalisme
Mirabeau
Mirbeau, Octave
Miró, Joan
mise en abîme
Mitsou : quarante images
moai, statues
Mochica
Modigliani, Amedeo
Modulor, le
Mohammed
Mohenjo-Daro
Moholy-Nagy, Laszlo
Moïse
momie
Mona Lisa
Mondrian, Piet
Monet, Claude
Monfreid, Georges Daniel de
monochrome
Monogram
monotype
Montagne Sainte-Victoire, la
Monticelli, Adolphe
Montmartre
Montmorency, Anne de
Monument à Alvear, le
Monument aux morts de Montceau-les-Mines
Moreau, Gustave
Morellet, François
Moret-sur-Loing, église de
Moretti, Raymond
Morisot, Berthe
Morot, Aimé
Morphée
Morris, Robert
Morris, William
Mort d’Épaminondas, la
Mort de Géricault, la
Mort de la Vierge par le Caravage, la
Mort de la Vierge par Lopes Gregório, la
Mort de Le Pelletier de Saint-Fargeau, la
Mort de Moïse, la
Mort de Sardanapale, la
Mort de Socrate, la
Mort et la Vie, la
mosquée
Mouette, la
Moulin de la Galette, le
Movie House
Moyen Âge
mozarabe, art
mudrâ
Munch, Edvard
Munkácsy, Mihály
Murillo, Bartolomé Esteban
Museum of Modern Art
Mycènes
mycénien, art
Mykérinos
Myron
mythologie égyptienne
mythologie gréco-romaine
mythologie vaudou

N
Nabatéens
Nabis, groupe des
Nabuchodonosor II
Nadar, Félix
Nagada Ier
Nain Franciso Lezcano, dit l’enfant de Vallecas, le
Naissance de Vénus par Botticelli, la
Naissance de Vénus par Bouguereau, la
Naissance de Vénus par Cabanel, la
Nakhon Pathom, chorten de
Nanas, les
Nancy, musée de
Nanouk l’Esquimau
naos
Naples
Napoléon III
naskhi, écriture
National Gallery de Londres
nature morte
navajo, art
nazca, art
némès
néoclassicisme
néogothique
néo-impressionnisme
néorenaissant
néoroman
Neptune
Neue Pinakothek (Nouvelle Pinacothèque), la
New Bauhaus
New York
Newman, Barnett
Niemeyer, Oscar
Nieuwe Kerk de Delft
Nieuwe Kerk de Haarlem
Nigeria
Nightingale, tombeau de Lady
niké
Nil
nimba, masque
Ninive
Nippur
Noces de Cana, les
Noces villageoises, les
Noir, gisant de Victor
nok, art
Nolde, Emil
non finito
non-figuration psychique
Notes sur la peinture d’aujourd’hui
Notre-Dame de Paris, cathédrale
Notre-Dame-la-Grande de Poitiers, cathédrale
Nour-Djihan
nouveaux réalistes
Nouvel, Jean
Noyon, cathédrale de
Nu descendant un escalier
Nuit étoilée, la
Nuit, la
Nymphéas, les

O
oba, tête
obélisque
Observatoire, fontaine de l’
Océanie
Odalisque à la culotte rouge par Matisse, l’
Odalisque par Boucher, l’
Odalisque par Courbet, l’
Odalisque par Ingres, l’
Odéon, théâtre de l’
Œdipe et le Sphinx par Ingres
Œdipe et le Sphinx par Moreau
oenochoé
Oiron, château d’
Oiseau dans l’espace, l’
Oldenburg, Claes
Olmèques
Olympia
Olympie
Omeyyades
Op Art (Optical Art)
Opéra de Paris, l’
Ophélie rêveuse
opisthodome
opus incertum
opus lateritium
opus reticulatum
Orage au jardin, l’
Orangerie, musée de l’
Orateur, l’
orientalisme
Origine du monde, l’
ornemanistes
Orphée
Orsay, musée d’
Osiris
Otages, les
Ottomans
ouchebtis, statues
Ours blanc, l’
Outa-Napishtim

P
pagode
Palais de justice de Bruxelles
Palladio, Andrea di Pietro dit
Panthéon de Rome
Papunya, école de
Pâques, île de
Parabole des aveugles, la
Paracas
parallélisme
paranoïa critique
Parc de Steen, le
Parc des Princes
Parement de Narbonne, le
pariétal, art
Paris
Paris, école de
Paris, matin, effet de soleil
Parnasse, le
Parthénon, temple du
Partie de cartes, la
Pascin, Jules
pasos, chars
pastel
Pausanias
Pauvert, Odette Marie
Pauvre Pêcheur, le
pavillon de l’Esprit nouveau
Paxton, Joseph
Paysage à Montmorency
Paysage du bois d’Amour, le
Paysanne de Guérande battant son beurre
Paysans de Flagey, les
Péché, le
Pêcheur à l’épervier
Pei, Ieoh Ming
Péladan, Joséphin
Pèlerinage à l’île de Cythère, dit L’Embarquement pour
Cythère, le
Pèlerins d’Emmaüs par Rembrandt, les
Pèlerins d’Emmaüs par Véronèse, les
Penseur, le
Percier, Charles
Père Tanguy, le
performance
Pergame
peribolos
Périclès
période bleue
période rose
périptère
Pérou,
Perrault, colonnade de
Perriand, Charlotte
Perse
Persée délivrant Andromède
Perséphone (Proserpine)
Persépolis
Perspective Nevski
perspective
Pestiférés de Jaffa, les
Peterhof, résidence impériale de
Petit Trianon, château du
Petite Danseuse, la
Petite Pelisse, la
Pétra, site de
pharaon
phare d’Alexandrie
Phidias
Philadelphie
Philae, temple de
Philippe II d’Espagne
Philippe IV d’Espagne
Philippe V d’Espagne
Philon de Byzance
Phryné remettant ses voiles
Piano, Renzo
Picabia, Francis
Picasso, Pablo
pictogramme
Piedad
Piero della Francesca
pierre de Rosette
Pierre le Grand
Pierrefonds, château de
Pieta de Coysevox, la
Pieta par Michel-Ange, la
Pigalle, Jean-Baptiste
Pignon, Édouard
Pilar, cathédrale du
pilastre
Pilon, Germain
Pineda, Simón de
Piranèse
Pissarro, Camille
place des Vosges
Place du Théâtre-Français, effet de pluie
Plaisirs du soir
Plaza Mayor de Madrid
Plaza Mayor de Salamanque
Plessis-Bourré, château du
Pline
Pluton
Poelaert, Joseph
Poète monté sur Pégase, le
point de fuite
pointillisme
Poliakoff, Serge
Polisy, château de
Pollock, Jackson
Polo, Marco
polychromie
Polyclète
Polygnote de Thasos
Polyptyque de l’Agneau mystique, le
Pompadour, marquise de
Pompéi
pompiers, peintres
Pompon, François
Ponctuations érectiles
Pont-Aven
Pont-Neuf, emballage du
pop art
Port, le
portfolio Wismuth
Portrait au chapeau de paille, le
Portrait d’Érasme
Portrait de Charles X
Portrait de Madame Rostand
Portrait de mariage d’Isaac Massa et Beatrix van der Laen
Portrait de monsieur Bertin
Portrait de Renoir
Portrait de Sappho
Portrait de Thomas More
Portrait du Docteur Gachet
Portrait du grand-père
Port-Royal des Champs, abbaye de
Poséidon
Poséidon
Poubelles
Pouchkine, Alexandre
Poussin, Nicolas
Pradier, James
Prado, musée du
Prague
praticien
Praxitèle
précolombien, art
préhistoire
Premier Consul franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-
Bernard, le
premiers, arts
préraphaélites, confrérie des
Présentation au Temple, la
Présentation de la Vierge au Temple, la
Princes, mosquée des
Printemps, le
Prisonniers, les
Pritzker Architecture Prize
procès Barrès
Procession du vendredi saint, la
Projet de monument à la Troisième Internationale, le
Promenade, la
pronaos
propylées de l’Acropole
Protogène
Prouvé, Jean
Psyché jouant avec un papillon
Ptah, demeure de
Ptolémée V Épiphane
Puget, Pierre
Punu
purisme
putti, ange
Puvis de Chavannes
pylône
pyramide du Louvre
pyramide
Pythagoras

Q
qibla
Qin Shi Huangdi
Qotbi, Medhi
Quai de Clichy
Quatre Apôtres, les
Quatre Évangélistes, les
Quatre Fleuves, fontaine des
quattrocento
Quellin, Artus I dit le Vieux et Artus II
Quetzacóatl
Queue d’âne, exposition de la
quipus

R
Raboteurs de parquet, les
Radeau de la Méduse, le
râgamâlâ, peinture
Raie ouverte, la
Ramayana, le
Ramsès II
Raphaël et la Fornarina
Raphaël, Raffaello Santi dit
Ratnasambhava
Rauschenberg, Robert
Ravenne
Raysse, Martial
Razoumovski, palais
ready-made
réalisme socialiste
réalisme
Rebeyrolle, Paul
Red, White, Brown
Reddition de Breda, la
Redon, Odilon
Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques en peinture et
en sculpture
Régates à Molesey, les
Régentes de l’hospice des vieillards, les
Reichstag, empaquetage du
Reims, cathédrale de
Reliefs d’angle
Reliefs
Rembrandt, Rembrandt Harmenszoon Van Rijn dit
Renaissance italienne
Renaissance
Rencontre de Dante et de Béatrice, la
Rencontre ou Bonjour monsieur Courbet, la
Renoir, Pierre-Auguste
Renommée, la
Repas chez Lévi, le
Repas d’Emmaüs, le
repentir
Représentants représentés, les
Restany, Pierre
retable
Rêve, le
Reverdy, Pierre
Révolution française
Ribalta, Francisco
Ribera, José de
Richelieu, cardinal de
Richmond, capitole de
Rieuse, la
Rigaud, Hyacinthe
Rijksmuseum d’Amsterdam
Rilke, Rainer Maria
Rixe, la
Robert Andrews et sa femme
rocaille
rococo
Rodgers, Richard
Rodin, Auguste
Roldán, Pedro
Romains de la décadence, les
romantisme
Rome
Rome, prix de
Romulus et Remus
Ronchamp, chapelle de
Ronde de nuit, La Compagnie du capitaine Frans Bonning
Cocq dite la
Rossetti, Dante Gabriel
rostre
Rothko, Marcus Rothkowitz dit Marc
Rouault, Georges
Roubillac, Louis-François
Roue de bicyclette, la
Roue de la fortune, la
Rouen, cathédrale de
Rouen, palais de justice de
Rousseau, Henri dit le Douanier
Rousseau, Théodore
Rubens, Pierre-Paul
Ruche, cité de la
Rude, François
Ryon-ji, temple de

S
Sacre de l’empereur Napoléon Ier et le couronnement de
l’impératrice Joséphine dans la cathédrale Notre-Dame de
Paris le 2 décembre 1804, le
Sacré-Cœur de Montmartre, basilique du
Sacrifice d’Abraham, le
sagrario
Saincilus, Ismaël
Saint André
Saint Bruno
Saint Clair guérissant des aveugles
Saint Jean
Saint Jérôme par Léonard de Vinci
Saint Joseph charpentier
Saint Matthieu et l’Ange
Saint Phalle, Niki de
Saint Sébastien soigné par sainte Irène
Saint-Ange, château
Saint-Ange, pont
Saint-Augustin, église
Saint-Bénigne de Dijon
Saint-Charles-Borromée, église
Saint-Denis, église abbatiale de
Saint-Denis, porte
Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus
Sainte Cécile
sainte Geneviève, statue de
Sainte Suzanne
Sainte Trinité
Sainte-Catherine, église
Sainte-Clotilde de Paris, église
Sainte-Geneviève (devenue le Panthéon), église
Sainte-Geneviève, bibliothèque
Sainte-Gudule, église
Sainte-Marie-de-la-Victoire, église
Sainte-Marie-de-Lorette, église
Sainte-Marie-des-Anges, église
Sainte-Sophie, cathédrale
Saint-Étienne de Caen, abbaye de
Sainte-Victoire, montagne
Saint-Germain-des-Prés, abbaye de
Saint-Gilles, église
Saint-Isaac de Saint-Pétersbourg, cathédrale
Saint-Jacques-de-Compostelle, cathédrale de
Saint-Jean-d’Acre, église de
Saint-Louis de Versailles, cathédrale
Saint-Louis-des-Français, église
Saint-Martin de Tours
Saint-Martin, porte
Saint-Paul de Nîmes, église
Saint-Paul, cathédrale
Saint-Paul-Saint-Louis, église
Saint-Pétersbourg
Saint-Philippe-du-Roule, église
Saint-Pierre de Rome, église
Saint-Pierre, place
Saint-Rémi de Reims, église
Saint-Sauveur de Bruges, église
Saint-Savin-sur-Gartempe, église de
Saint-Sépulcre de Jérusalem, église du
Saint-Sernin de Toulouse, basilique
Saint-Trophime d’Arles
Salle de danse à Arles, la
Salm, hôtel de (actuel musée de la Légion d’honneur)
Salon d’automne
Salon des artistes français
Salon des indépendants
Salon des refusés
Salon du Champ-de-Mars
Saly, Jacques
Samaritaine, la
Samarra
same (ou lapon), art
San Esteban, église de
San Giorgio Maggiore, couvent des Bénédictins de
San Juan de la Pena, monastère de
San Miniato de Florence
Sánchez, Felipe
Sanchi
Santa Maria del Popolo, église
Santa Maria della Scala, église
Santa Maria delle Grazie, église
Santa Maria la Blanca de Séville, église
Santa Maria Novella, église
Santi Giovanni, couvent dei
Saqqarah
sarcophage des époux
sarcophage
Sargon II
Satyre et le Paysan, le
Saut dans le vide
Saxe, mausolée de Maurice de
Say, Marie
Scala Regia du Vatican
Scènes des massacres de Scio
Scheffer, Ary
Schiele, Egon
Schliemann, Heinrich
Schongauer, Martin
Schwitters, Kurt
Scopas
Scribe accroupi, le
Sculpteur et sa Muse, le
Sculpturae vitam insufflat pictura (La peinture insuffle la vie à
la sculpture)
Seagram Building
Segal, George
Seldjoukides
Selve, Georges de
Sémiramis
Sénégal
Sept Merveilles du monde
Sept Œuvres de miséricorde, les
sérigraphie
Serment des Horaces, le
Serment du Jeu de paume, le
Sérusier, Paul
serviles, arts
Seth
Seurat, Georges
Séville
Sezession autrichienne
Sforza, famille
sfumato
Shah, mosquée du
Shah-Jahan
Shwedagon, pagode
Sibérie
Siddharta Gautama
Siglo de oro (Siècle d’or espagnol)
Signac, Paul
Sigui, fêtes du
Silène ivre soutenu par un faune et une bacchante
Sima Qian
Sinan
Sioux
Sisley, Alfred
Sixte Quint
Sixtine, chapelle
Smithson, Robert
Snyders, Franz
Soliman le Magnifique
solipsisme
Sorcier d’Hiva-Oa, le
Soufflot, Jacques-Germain
Soulages, Pierre
Soupault, Philippe
Soutine, Chaïm
Sow, Ousmane
Sparte
Sphinx, le
Spiral Jetty
Spoerri, Daniel
Staël, Nicolas de
stèle des Vautours
Stoclet, palais
Stonehenge, site de
stuc
stupa, temple
stylobate
Suger, abbé
Suisse secourant les douleurs de Strasbourg, la
Suleymanie, mosquée
Sumer
suprématisme
surréalisme
Suse, ruines de
Suzanne et les Anciens
symbolisme
Syndic des drapiers, le
Syrie

T
tabernacle
Taches d’encre
tachisme
Tahiti
Taj Mahal
talha
Taliesin
Tange, Kenzo
Taniuchi, Tsuneko
tapas
tapis
tapisserie de Bayeux
Tarcisius, martyr chrétien
Tarquin
Tarquinia
Tatline, Vladimir
Täuber, Sophie
Tchernychev, palais
tchouke, art
Télémaque et Eucharis
temenos
Tempête, la
Ten Liz Taylor
ténébrisme caravagesque
Teniers, David
Tenochtitlan
Tente de Darius, la
Teotihuacan
Terreaux, fontaine des
Thaïlande
Thanatos
The Store
Thèbes
Theme Building
Théodose
thermes
Thésée reconnu par son père dans un festin
Thétis suppliant Jupiter
tholos, tombes à
Thot
Tigre dévorant un gavial
Tigre
tikis, statues
Tinguely, Jean
Tintoret, Jacopo Robusti dit
Tissot, Jacques Joseph dit James
Titien, Tiziano Vecellio dit
Tlaloc
Tokaido
tomahawk
Toorop, Jan
Torse du Belvédère, le
Toscane
totémisme
Toulouse-Lautrec, Henri de
Tour aux chevaux bleus, la
Tour de Babel, la
tour penchée de Pise
Tournesols, les
Tourville, statue de
Toussaint, la
Toutankhamon
Traité de la peinture
Traité des fortifications
Trajane, colonne
transi
Trente, concile de
Tres de mayo
Très Riches Heures du duc Jean de Berry, les
trésor d’Atrée, tombe du
trésor des Qimbayas
Trevi, fontaine de
tribal, art
Triomphe de la République, le
Triomphe de Satan, le
triptyque
Tristan, Flora
Triton, fontaine du
Troie
Trois Grâces, les,
Trois Vertus ou les Trois Grâces, les
trompe-l’œil
Trophée
Troyon, Constant
Tub, le
tumulus
Tupilek
Turgot, buste de
Turner, William
ty wara, cimier
Tzara, Tristan

U
Uccello, Paolo
Ugolin et ses enfants par Carpeaux
Ugolin et ses enfants par Rodin
ukiyo-e, peinture
Un dimanche après-midi à la Grande Jatte
Un vanneur
Une baignade à Asnières
Une expérience sur un oiseau dans une pompe à vide
Ur
uraeus, serpent
Urbain VIII
Ur-Ningirsu
Uruk
usonienne, maison
Utamaro, Kitagawa dit

V
Vague, la
Vairocana
Valentin le Désossé
Valet de Carreau, exposition du
Valladolid, cathédrale de
Vallée des Rois
Vallin de La Mothe
Valtat, Louis
Vampire
Van de Velde, père et fils
Van der Rohe, Mies
Van Dongen, Cornelis Theodorus Marie dit Kees
Van Donning, Hélène
Van Dyck, Antoon
Van Eyck, Hubert
Van Eyck, Jan
Van Gogh, Théo
Van Gogh, Vincent
Van Meegeren
Van Ruisdael, Jacob
Varengeville-sur-Mer, église de
Vasarely, Victor
Vatican, musées du
vaudou, art
Vauxcelles, Louis
Vaux-le-Vicomte, château de
Vélasquez, Diego
Vence, chapelle de
Vendeur d’eau de Séville, le
Vendôme, place
Venelle, la
Venise
Venturi, Robert
Vénus
Vénus à la corne, la
Vénus à Paphos
Vénus Anadyomène
Vénus au miroir, la
Vénus de Cnide, Aphrodite dite la
Vénus de Lespugue, la
Vénus de Médicis, la
Vénus de Milo, la
Vénus endormie, la
Vénus par Pigalle
Vermeer, Johannes
Véronèse
Versailles
Vesta
Vestale, la
Vézelay, basilique de
Victoire de Samothrace, la
Vide, le
Vieille faisant frire des œufs, la
Vieira da Silva, Maria Elena
Vien, Joseph Marie
Vienne
Vierge à l’escalier, la
Vierge à l’offrande, la
Vierge au bourgmestre Meyer, la
Vierge au chardonneret, la
Vierge aux anges, la
Vierge aux rochers, la
Vierge dans la prairie, la
Vierge de consolation, la
Vierge de la Macarena, la
Vierge du chancelier Rolin, la
Vierny, Dina
Vietnam
Vigne rouge, la
Vignole
Vignon, Alexandre-Pierre
villa des Mystères
villa Madama
villa Médicis
villa Savoye
villa Stein
Villanueva, Jean de
Ville détruite, la
Villon, Gaston Duchamp dit Jacques
Vingt peintres de tradition française, exposition
Viollet-le-Duc, Eugène Emmanuel
Vision après le sermon, la
Vitruve
Vlaminck, Maurice de
Vocation de saint Matthieu, la
Vœu de Louis XIII, le
Voilà la femme
Voilà la fille née sans mère
Voleurs et l’âne, les
Vollard, Ambroise
Voltaire par Houdon
Voltaire par Pigalle
Volucelle
Von Stuck, Franz
Vouet, Simon
voûte appareillée
Vue de Martigues
Vue du Val d’Arco
Vuillard, Édouard
Vulcain

W
Warhol, Andy
Warnod, André
Washington
Washington, George
Watteau, Antoine
Weber, Max
Weiner, Laurence
Weissenhof, cité
Wellington, duc de
Wesselman, Tom
Westminster, abbaye de
Wilgeforte, sainte
Winckelmann, Johann Joachim
Winterhalter, Franz Xavier
Witte, Emanuel de
Women
Wren, Christopher
Wright of Derby, Joseph
Wright, Franck Lloyd

X
Xipe Totev
yacouba, art

Y
Yemaha Olokoum
yeserias, motifs
yoruba, art
Youssoupov, palais
Yoyotte, Jean

Z
Zadkine, Ossip
Zao Wou-ki
zen, art
Zeus
Zeuxis
Ziem, Félix
ziggourat
Zola, Émile
Zurbarán, Francisco
Zurich
1
Reproduction des
peintures de la
grotte de Lascaux
(vers 15 000 av. J.-
C.), pastel de
Maurice Thaon
(1941-1942).
Musée des
Antiquités
nationales, Saint-
Germain-en-Laye

2
Tête féminine dite
Dame de
Brassempouy,
ivoire (vers 21 000
av. J.-C.). Musée
des Antiquités
nationales, Saint-
Germain-en-Laye


3
Gudéa assis, diorite
(vers 2150 av. J.-
C.). Musée du
Louvre, Paris

© photo RMN - Christian Jean

4
Masque funéraire
de Toutankhamon,
cornaline, lapis-
lazuli, or, pâte de
verre et turquoise
(vers 1361-1342
av. J.-C.). Musée du
Caire, Égypte


5
Détail de la frise
des Panathénées
(vers 440 av. J.-C.),
photographie de
Jean-Baptiste Louis
Gros (1850). Fonds
photographique du
musée d’Orsay,
Paris

© photo RMN - Hervé Lewandowski

6
Vénus de Milo,
marbre (vers 100
av. J.-C.). Musée du
Louvre, Paris

© photo RMN - Daniel Arnaudet / Jean Schormans


7
Sarcophage des
époux, terre cuite
(vers 600 av. J.-C.).
Musée du Louvre,
Paris

© photo RMN - Hervé Lewandowski

8
Le Colisée de Rome
(Ier siècle),
peinture d’Achille
Etna Michallon
(vers 1822). Musée
du Louvre, Paris


9
La Maison carrée
de Nîmes (vers l’an
5), photographie
d’Édouard Denis
Baldus (1851).
Fonds
photographique du
musée d’Orsay,
Paris

10

Tenture dite de La
Dame à la licorne,
haute lisse, laine et
soie (1484-1500).
Musée National du
Moyen Âge-
Thermes de Cluny,
Paris
11
Cathédrale de
Chartres (XIIe
siècle), le portique
du Midi,
photographie de
Charles Nègre (vers
1857). Fonds
photographique du
musée d’Orsay,
Paris

© photo RMN - Hervé Lewandowski


12
Moulage de l’Ange
de la cathédrale de
Reims (seconde
moitié du XIIe
siècle). Musée des
Monuments
français, Paris

© photo RMN - René-Gabriel Ojéda


13
Jan Van Eyck,
La Vierge du
chancelier Rolin,
huile sur bois (vers
1436). Musée du
Louvre, Paris

© photo RMN - Christian Jean


14
Hans Holbein le
Jeune,
Les Ambassadeurs,
huile sur bois
(1533). National
Gallery, Londres

© National Gallery Collection, by kind permission of the Trustees of the National


Gallery, London / CORBIS
15

Albrecht Dürer,
La Mélancolie,
gravure (1514).
Musée du Louvre,
Paris
Détail (15)

16
Michel-Ange,
Moïse, Tombeau de
Jules II, marbre
(1513-1516). Église
de Saint-Pierre-aux-
Liens, Italie


17
Léonard de Vinci,
La Joconde, portrait
de Monna Lisa,
huile sur bois (vers
1505). Musée du
Louvre, Paris


18
Raphaël,
La Belle Jardinière,
huile sur bois
(1507). Musée du
Louvre, Paris

19
Palais du Louvre, la
façade Lescot et le
pavillon de
l’Horloge (vers
1550), lavis de
Jacques Le Mercier
(vers 1640). Musée
du Louvre, Paris

© photo RMN - Gérard Blot


20

Véronèse,
Les Noces de Cana,
huile sur toile
(1562). Musée du
Louvre, Paris
Détail (20)

21

Le Caravage,
La Mort de la
Vierge, huile sur
toile (1605-1607).
Musée du Louvre,
Paris
22
Germain Pilon,
Monument
funéraire d’Henri II
et de Catherine de
Médicis, bronze et
marbre (1563-
1572). Basilique de
Saint-Denis, Saint-
Denis

© photo RMN - Bulloz

23

Rubens,
La Naissance de
Louis XIII à
Fontainebleau, le
27 septembre
1601, huile sur toile
(1622-1625).
Musée du Louvre,
Paris
24
Rembrandt,
Portrait de l’artiste
à la toque et à la
chaîne d’or, huile
sur bois (1633).
Musée du Louvre,
Paris


25

Nicolas Poussin,
Les Bergers
d’Arcadie dit aussi
Et in Arcadia Ego,
huile sur toile (vers
1638-1640).
Musée du Louvre,
Paris
26
Vélasquez,
Les Ménines, huile
sur toile (1656).
Musée du Prado,
Madrid

Détail (26)


27
Vermeer,
La Dentellière,
huile sur toile (vers
1669-1670). Musée
du Louvre, Paris

Détail (27)

28
Le Bernin,
Statue équestre de
Louis XIV
transformée en
Marcus Curtius,
marbre (1671-
1674). Musée des
Châteaux de
Versailles et de
Trianon, Versailles
29
Charles Le Brun,
La Famille de
Darius aux pieds
d’Alexandre dit La
Tente de Darius,
huile sur toile (vers
1660). Musée des
Châteaux de
Versailles et de
Trianon, Versailles

30

Jean-Baptiste
Chardin,
La Raie, huile sur
toile (vers 1725).
Musée du Louvre,
Paris
31
François
Boucher,
L’Odalisque, huile
sur toile (1745).
Musée du Louvre,
Paris

© photo RMN - Daniel Arnaudet

32
Jean-Antoine
Watteau,
Embarquement
pour Cythère, huile
sur toile (1717).
Musée du Louvre,
Paris


33
Guillaume
Coustou (père),
Chevaux retenus
par un palefrenier
dits aussi Chevaux
de Marly, marbre
de Carrare (1740-
1745). Musée du
Louvre, Paris

© photo RMN - René-Gabriel Ojéda


Détail (32)

34
Jacques Louis
David,
Sacre de
l’empereur
Napoléon Ier et
couronnement de
l’impératrice
Joséphine dans
l’église Notre-Dame
de Paris, 2
décembre 1804,
huile sur toile
(1808-1812).
Musée des
Châteaux de
Versailles et de
Trianon, Versailles

© photo RMN - Peter Willi


Détail (34)


35
Jacques Louis
David,
Le Serment des
Horaces, huile sur
toile (1784). Musée
du Louvre, Paris

© photo RMN - Gérard Blot / Christian Jean

36

Théodore
Géricault,
Le Radeau de la
Méduse, huile sur
toile (1819). Musée
du Louvre, Paris
37
Jean-Baptiste
Corot,
La Clairière,
souvenir de Ville-
d’Avray, huile sur
toile (1872). Musée
d’Orsay, Paris

© photo RMN - Hervé Lewandowski


38
Dominique
Ingres,
Portrait de Mme de
Senonnes, huile sur
toile (1814). Musée
des Beaux-arts de
Nantes, Nantes

© photo RMN - Gérard Blot


39
Eugène
Delacroix,
Le 28 juillet 1830 :
la Liberté guidant
le peuple, huile sur
toile (1830). Musée
du Louvre, Paris


40
Jean-Baptiste
Carpeaux,
La Danse, pierre
d’Échaillon (1865-
1869). Musée
d’Orsay, Paris

41

Gustave Courbet,
Un enterrement à
Ornans, huile sur
toile (1849-1850).
Musée d’Orsay,
Paris
42
Puvis de
Chavannes,
Le Pauvre Pêcheur,
huile sur toile
(1881). Musée
d’Orsay, Paris

43

Édouard Manet,
Le Déjeuner sur
l’herbe, huile sur
toile (1863). Musée
d’Orsay, Paris
44
Gustave Moreau,
L’Apparition, huile
sur toile (vers
1876). Musée
Gustave Moreau,
Paris


45

Paul Gauguin,
Arearea
(Joyeusetés),
huile sur toile
(1892). Musée
d’Orsay, Paris

46
Claude Monet,
Les Nymphéas,
étude d’eau : les
Deux Saules, huile
sur toile (1914-
1918). Musée de
l’Orangerie, Paris

© photo RMN - droits réservés


47
Edgar Degas,
Petite Danseuse de
14 ans ou Grande
Danseuse habillée,
bronze, fonte à la
cire perdue, patiné,
satin, tulle (1881).
Musée d’Orsay,
Paris

48
Auguste Renoir,
La Balançoire, huile
sur toile (1876).
Musée d’Orsay,
Paris

49
Auguste Rodin,
Le Penseur, bronze
(1880). Musée
Rodin, Paris

© photo RMN - Bulloz


50
Henri Matisse,
Odalisque à la
culotte rouge, huile
sur toile (1921).
Collection Walter-
Guillaume, musée
de l’Orangerie,
Paris

© photo RMN - Thierry Le Mage


51

Vincent Van
Gogh,
L’Église d’Auvers-
sur-Oise, huile sur
toile (1890). Musée
d’Orsay, Paris
52
Frida Kahlo,
The Frame dit aussi
Portrait de l’artiste,
huile sur bois,
verre, aluminium
(vers 1937-1938).
Musée national
d’Art moderne-
Centre Georges-
Pompidou, Paris

© INBA Mexico & Banco de Mexico Museum Trust © photo CNAC / MNAM dist. RMN -
Jean-Claude Planchet
53

Paul Cézanne,
La Montagne
Sainte-Victoire,
aquarelle, crayon,
gouache, papier
blanc (1900-1902).
Musée du Louvre,
DAG (fonds Orsay),
Paris

54
Henri Rousseau
dit Le Douanier,
La Charmeuse de
serpents, huile sur
toile (1907). Musée
d’Orsay, Paris

© photo RMN - droits réservés


55
Pablo Picasso,
Guernica,
photographie de
Dora Maar (1937).
Musée Picasso,
Paris


56
Marcel Duchamp,
L’Égouttoir, fer
galvanisé (1914,
réplique de 1964).
Musée national
d’Art moderne
Centre Georges-
Pompidou, Paris

57
Andy Warhol, Ten
Liz Taylor,
huile et laque sur
toile, procédé
sérigraphique
(1963). Musée
national d’Art
moderne-Centre
Georges-Pompidou,
Paris

© ADAGP © photo CNAC / MNAM dist. RMN - droits réservés


58

Vue extérieure de
la pyramide du
Louvre (1985-
1989). Musée du
Louvre, Paris

59
Cimier de masque
d’antilope
Bambara, bois, fer
(1850-1900).
Musée national
d’Art moderne-
Centre Georges-
Pompidou, Paris

© ADAGP
© photo CNAC / MNAM dist. RMN - droits réservés
60
Porte d’entrée du
Taj Mahal (1631-
1648). Musée
national des Arts
asiatiques-musée
Guimet, Paris

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