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LIVRE DE L’ÉLÈVE

e
XVe - XVIIe SIÈCLES HISTOIRE 10
SCIENCES HUMAINES
ET SOCIALES - CYCLE 3

XVIIIe - XIXe SIÈCLES

À TRAVERS LE TEMPS

LIVRE DE L’ÉLÈVE
10e
ISBN 978-2-88500-397-0
HISTOIRE

Cataro 051045 - 2020


CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES
© Shutterstock/Spatuletai. Ht droite : © Shutterstock/Naty-Li. Bas gauche : © Keystone/Gaetan Bally. Page 132. © Archives cantonales de Sarnen/E-
codices/A02CHR003-446 et 447. Page 133. Ht droite : © Staatsarchiv Schwytz. Milieu droite : © Akg-Images. Bas gauche : © Keystone/ Robert Boesch.
Bas droite : © Musée national suisse, Zurich, INV : M-15457. Page 134. Ht droite : Domaine public/Bibliothèque nationale suisse/Collection Gugelmann
Rédaction en chef Suzanne Schoeb (responsable),
GS-GUGE-LORY-B-16. Bas gauche : Domaine public. Bas droite : © Bridgeman-Images. Page 135. Ht gauche : © Gottfried Keller-Stiftung, Bundesamt
Nadine Fink (conseillère scientifique), für Kultur, Bern, Depositum im Kunstmuseum Bern, INV : Nr. G0843. Ht droite : Collection particulière. Milieu gauche : © Keystone/Fabrice Coffrini. Bas :
François Walter (conseiller scientifique), © Keystone/Jean-Christophe Bott. Page 136. Ht droite : © Keystone/Urs Flueeler. Bas : © Journal Le Confédéré. Page 137. Ht droite : © Palais fédéral,
Sandro Cesa, Sandrine Codourey, Sébastien Cudré. Berne/Béatrice Devenes. Bas : © Palais fédéral, Berne/Béatrice Devenes. Page 138. Ht droite : Domaine public/Library of Congress. Milieu droite :
© Médiathèque du Valais, Martigny/ François Fumex, INV : 046ph-00358. Bas droite : © Hemis/Alamy. Page 139. Ht gauche : Domaine public. Ht droite :
Domaine public/Library of Congress. Milieu droite : Collection particulière. Bas droite : Domaine public. Page 140. Ht gauche : © Kunstmuseum Bern,
Contributions rédactionnelles Anne Bourban, Marco Cicchini, Laurence Cicco, INV : Nr. G1151. Ht droite : © La Collection/Artothek. Bas gauche : Collection particulière. Bas droite : Domaine public. Page 141. Ht droite : Collection
Delphine Debons, Bernard Gasser, Michel Nicod, particulière. Milieu gauche : Collection particulière. Milieu droite : © Bibliothèque de Genève, INV : 37003A. Bas milieu : Collection particulière. Page 142.
Ht droite : © CICR/Thierry Gassmann. Ht gauche : Collection particulière. Bas gauche : © CICR/Fédération/J. Perez. Page 143. Ht droite : CC Alessandro
Béatrice Rogéré-Pignolet. Gallo/Wikimedia. Bas gauche : © Musée national suisse, Zurich, INV : LM-117302356. Page 146. Ht gauche : © BNF, Paris. Ht droite : © Leemage/Photo
Josse. Milieu gauche : Collection particulière. Bas droite : © Kharbine-Tapabor. Bas gauche : © Musée d’ethnographie, Neuchâtel, INV : MEN III.C.2977.
Appui didactique et scientifique Pierre-Philippe Bugnard. Page 148. Domaine public. Page 149. Domaine public. Page 150. Ht droite : ©Akg-Images. Gauche : © Leemage/Lee. Page 151. Ht droite : Collection
particulière. Bas gauche : © Leemage/Photo Josse. Bas droite : © Getty Images/Hulton Archives. Page 152. Ht gauche : Domaine public. Ht droite :
© Bridgeman-Images. Bas : CC David Livingstone Centre/University of Glasgow. Page 153. Ht droite : © MRAC Tervuren, INV : EO.1966.69.1 Gauche :
Validation et arbitrage Carole Angeloz, Alejandro Berrios, Sandro Cesa, © Hemis/Alamy. Bas droite : © OPM-France. Page 154. Ht gauche : Domaine public. Bas droite : Domaine public. Page 155. Ht gauche : © Leemage/
Alexandre Coppey, Jacques Diacon, Yves Diacon, MP. Droite : © Hemis/Alamy/Alpha Stock. Bas gauche : Collection particulière. Page 156. Domaine public. Page 157. Ht milieu gauche : © BNF, Paris. Ht
Sandrine Ducaté, Marc-André Egger, Fausta Ferrari, droite : © Leemage. Bas droite : © Man-Ray Trust/2018, ProLitteris, Zurich. Page 158. © MRAC Tervuren, INV : HO.0.1.3753. Page 159. © MRAC Tervuren,
Valérie Piazzalunga Jaillot, Claude Rebetez, Myriam Rebetez- INV : HO.0.1.3419. Page 160. © Musée national de l’Éducation/Réseau Canopé, INV : 1985-00331. Page 161. Fond : © BNF, Paris. Page 162. Ht droite :
CC Hakeem.gadi/Wikimedia. Milieu gauche : © Angélique Colté. Milieu : CC Fubar Obfusco/Wikimedia. Bas droite : © Shutterstock/Todoric. Page 163.
Giauque, David Rey, Christian Scaiola, Anne-Catherine Speck, Ht droite : © BNF, Paris. Bas gauche : © La vie parisienne à travers les âges, Jacques Milley, 1965.Société continentale d’éditions modernes illustrées/
François Sulliger, Julien Tschopp. DR. Page 164. © BNF, Paris. Page 165. Ht droite : © Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, Paris. Bas gauche : © Leemage/Photo Josse.
Page 166. Ht gauche : © Bridgeman-Images. Droite : © BNF, Paris. Bas gauche : CC Roger Price/Wikimedia. Page 167. Ht droite : © Musée d’art et d’histoire,
Recherche iconographique Nathalie Lasserre. Neuchâtel, inv : H3480. Bas : © Keystone/Roger-Viollet. Page 168. Collection particulière. Page 169. Ht gauche : CC Wellcome collection. Ht droite :
Domaine public. Bas gauche : CC Wellcome collection. Bas droite : Collection particulière. Bas : Domaine public/ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv/
Photoglob AG (Zürich)/Ans_02080. Page 171. Droite : © Shutterstock/Khlungcenter. Gauche : © Shutterstock/Gabor Tinz.
Cartographie GeoAzimut Sàrl, Fribourg. Si malgré nos recherches il nous a été impossible de retrouver les ayants droit d’une image publiée, la CIIP s’engage à conserver durant 3 ans à partir
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excusons par avance des erreurs ou omissions involontaires.
Conception graphique, Hot’s Design Communication SA, Bienne.
mise en pages et illustrations
Relectures Annick Andujar, Luc Braillard, Christine Ligonie, Steve Richard.

Réalisation UMER – Unité des moyens d’enseignement romands,


Secrétariat général de la CIIP.

ISBN 978-2-88500-397-0

CATARO 051045

Édition 1

Copyright Neuchâtel, 2020 © CIIP, Conférence intercantonale


de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin,
Faubourg de l’Hôpital 68, case postale 556,
2002 Neuchâtel.
www.ciip.ch

Tous droits réservés pour tous les pays.

Impression Atar Roto Presse SA, Satigny

Nous remercions vivement toutes les personnes qui ont participé à l’élaboration de ce moyen.
Pour faciliter la lecture du document, le masculin générique est utilisé pour désigner les personnes des
deux sexes. Lorsqu’une distinction est faite, il s’agit d’une nuance entre les hommes et les femmes qui
se doit d’être mise en évidence.
Il arrive que l’appellation des pays et les limites des frontières territoriales ne fassent pas l’objet d’un
consensus international. Les choix pour cet ouvrage se basent sur l’état de reconnaissance officielle de
la Confédération helvétique. Des précisions sont données sur le site de l’enseignant.
SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES - CYCLE 3

e
HISTOIRE 1O
Livre de l’élève
CLÉS DE LECTURE : REPÈRES

Au début de chaque thème du livre se trouvent une double page présentant le cadre
géographique et temporel ainsi que les apprentissages visés par le thème et une double
page d’introduction du thème.

Numéro
Cadre Apprentissages visés
et titre
géographique par l’étude du thème
du thème
général

Texte de
contextualisation
et carte(s) qui
introduisent le thème.

Amorce
qui permet d'entrer
dans le thème en
se questionnant.

Frise chronologique sur laquelle on trouve :


– l es dates et périodes importantes du thème ;
–d  es illustrations figurant dans le thème.

Vignette Couleur
du thème de la
période

Sources qui illustrent


les problématiques du thème
et permettent de réaliser
les activités. Ce peut être une
image, une carte ou un texte.
Elles sont numérotées
et légendées.

2
CLÉS DE LECTURE : CODES

VOLUMEN
Rouleau composé d’un
Renvois dans le livre de l’élève assemblage de feuillets
(de papyrus ou de
parchemin).
Renvoi à un mot-clé, par ex : VOLUMEN
Définition d’un terme central du thème.

Renvoi à un mot sous texte, par ex : brasse BRASSE : ancienne mesure de longueur
Explication d’un mot utile à la compréhension d’un texte. égale à environ 1,60 m.

Renvoi au lexique, par ex : Citoyen(ne)H


Définition du mot donnée en page 172 du livre.

Renvois dans les fiches de l’élève


Renvoi vers le livre, par ex : logo p. 70, doc 6.
Indication des page(s) ou document(s) que tu dois consulter dans le livre.

Renvoi vers une feuille annexe :


Utilisation d’une feuille annexe vierge pour réaliser l’exercice.

Renvoi vers la feuille « Nos Constats » :


Utilisation d’une feuille « Nos Constats » ou d’une feuille vierge pour réaliser l’exercice.

Renvoi vers la frise générale :


Utilisation de la frise chronologique générale figurant à la fin des fiches élèves.

Autres éléments graphiques pour se repérer


La source textuelle : texte original, parfois adapté, Le portrait : présentation d'un personnage central
qui contient une légende permettant de connaître en lien avec le thème.
son origine.

13 12 GUTENBERG (vers 1400-1468)

« Une bonne chemise de toile changée tous les jours Johannes Gutenberg met au point la
vaut, à mon avis, le bain quotidien des Romains. » typographie avec l’aide de deux asso-
Martin Lister, médecin, A Journey to Paris In the Year 1698 ciés. Vers 1450, il ouvre à Mayence le
(Un voyage à Paris durant l’année 1698). premier atelier d’imprimerie, qui pro-
duira notamment la Bible à 42 lignes.
Cinq ans plus tard, suite à un procès, Guten-
berg perd son matériel d’imprimerie, mais conti-
nue de former de nouveaux artisans.

La rubrique Le savais-tu ? : brève information


complémentaire au thème.

ses soldats, la
Au retour de
m bo urse à la Suisse
France re
12 ,1 millions de
la somme de
francs.

3
PRÉFACE

Premier ouvrage d’Histoire commun à toute la Suisse romande, ce moyen d’enseignement


pour le degré secondaire I est le fruit d’une longue élaboration, à laquelle ont contribué
nombre d’enseignants, référents et responsables des cantons romands.
Le Plan d’études romand détermine depuis 2011 les objectifs d’apprentissage de la sco-
larité obligatoire pour tous les cantons francophones. Le domaine Sciences humaines et
sociales offre une approche nouvelle de la Géographie et de l’Histoire, où le question-
nement est au centre et où l’élève est invité à interroger des sources (images, textes,
graphiques) afin de cerner une problématique. Il est ensuite du ressort de l’enseignant
de dresser, avec ses élèves, les constats issus de leurs réflexions. Tout comme en Géo-
graphie et en Sciences de la nature, l’Histoire traite de sujets qui peuvent être sensibles
et convoque nombre de connaissances transversales ; elle apporte des éclairages sur des
valeurs fortes, ainsi que sur des questions de société, contribuant ainsi à l’Éducation à la
citoyenneté. Celle-ci doit permettre à l’élève de mieux comprendre le rôle des individus
et des collectivités, de prendre conscience des enjeux de société, des conditions du
vivre ensemble face à de multiples problématiques actuelles. Elle couvre notamment
la compréhension et l’exercice des droits politiques, les droits humains, les différences
interpersonnelles, et porte un regard analytique et le recul sur des événements d’actualité.
L’étendue des périodes étudiées au cycle 3 est plus vaste qu’auparavant, intégrant l’His-
toire suisse à l’Histoire mondiale ; des contenus nouveaux sont introduits et d’autres,
habituellement en usage dans certains cantons, sont abandonnés. Les capacités de com-
préhension et d’abstraction des élèves du secondaire I d’une part, les limites de la dotation
horaire d’autre part ont nécessité d’opérer des choix parmi les sujets possibles, de retenir
des thématiques essentielles, l’exhaustivité restant utopiste. Ces thématiques se veulent
porteuses de sens pour les élèves afin de les préparer à appréhender l’époque contem-
poraine dans laquelle ils vivent ; de plus elles s’appuient sur le travail réalisé au primaire,
qui aborde déjà ces périodes historiques selon des aspects liés à la vie quotidienne et à
l’organisation sociale.
Les sources et les visions présentées tiennent compte des progrès de la recherche his-
torique et des terminologies actuelles. Cette nouvelle collection de moyens d’enseigne-
ment s’appuie abondamment sur du matériel numérique et audiovisuel mis à disposition
des enseignants sur une plateforme informatique. Les cantons peuvent la compléter de
documents spécifiques à l’histoire locale ou régionale.
L’étude en classe des divers thèmes n’est pas obligatoirement linéaire, ce qui permet à
l’enseignant d’effectuer des choix quant à la manière d’aborder la matière, en fonction de
ses élèves, de ses propres choix didactiques, et parfois de l’actualité. Un fascicule Outils,
Démarches et Références (ODR) est également remis à l’élève pour la durée du cycle, afin
d’appuyer les aspects méthodologiques des Sciences humaines et sociales auxquelles
appartient l’Histoire.

4
TABLE DES MATIÈRES

e
HISTOIRE 1O
XV e- XVIIe siècles 
1 Les trois révolutions du livre  6-19
2 Humanisme et Renaissance  20-33
3 L’Europe à la rencontre du monde  34-49
4 Les réformes religieuses au XVIe siècle  50-65
5 La construction de l’État au XVIIe siècle  66  -81

XVIII e- XIXe siècles


6 Des Lumières au bulletin de vote 82  - 95
7 L’âge industriel 96-113
8 1848 : naissance de la Suisse moderne 114-127
9 Construire l’identité de la Suisse moderne 128-143
10 Regards sur la colonisation : l’exemple de l’Afrique  144-159


À TRAVERS LE TEMPS
11 L’hygiène, de l’Antiquité à nos jours 160-171

Lexique 172-175

5
1

LES TROIS RÉVOLUTIONS


DU LIVRE

CORÉE
PA

EMPIRE
CHINOIS

MER
DU
NORD

SAINT EMPIRE
ROMAIN
OCÉAN GERMANIQUE
ATLANTIQUE
Mayence
FRANCE
SUISSE

ESPAGNE ÉTATS
ITALIENS

MER
MÉDITERRANÉE

OCÉAN
INDIEN

1455
Vers 200 av. J.-C. 1150 Dès le XIIIe siècle Gutenberg achève
Premiers parchemins Premiers moulins Diffusion l’impression
105 à papier du papier de la première
Papier à base de chiffons en Europe en Europe Bible à 42 lignes
(Chine)

Manuscrits

Imprimerie

1100 1200 1300 1400 1500


Ier siècle XIIIe siècle XIVe siècle Vers 1450
Du volumen au codex Impression avec Premiers ateliers Atelier d’imprimerie
caractères mobiles d’imprimerie de Gutenberg
en bois (Chine) (Corée) à Mayence

6
APPRENTISSAGES VISÉS
EN ÉTUDIANT CE THÈME, TU APPRENDRAS À :
– distinguer les trois révolutions du livre ;

OCÉAN
– décrire les caractéristiques de chacune d’elles ;
PACIFIQUE
– décrire et comparer les étapes pour réaliser un livre à différentes
époques ;
– expliquer le rôle de l’imprimerie dans la diffusion des idées ;
– comparer l’accès aux livres aux différentes époques.

AU TRAVERS DU THÈME, TU APPRENDRAS AUSSI


PROGRESSIVEMENT À :
– analyser l’évolution d’un mode de production (de livres) sur
la longue durée (de l’Antiquité à aujourd’hui) ;
– analyser les conditions d’apparition et de diffusion d’une invention
(l’imprimerie, le livre numérique) ;
– analyser un même phénomène (l’imprimerie) à différentes échelles
(locale, régionale, internationale : Europe, Asie) et à différentes
époques (de l’Antiquité à aujourd’hui) ;
– argumenter et débattre sur des enjeux de société ici et ailleurs
(place et rôle du livre dans la société d’hier et d’aujourd’hui).

Vers 1800
Machine
à fabriquer Vers 1840
le papier Papier à base
en continu de bois

Numérique

1600 1700 1800 1900 2000


Vers 1840 1885 1992
Imprimerie Linotype Première
avec une liseuse
rotative

7
1

Tablettes de cire romaines, IIIe siècle.

Le Sūtra du Diamant, frontispice, le plus ancien ouvrage


imprimé, complet et daté, qui soit conservé, encre sur
papier, 868, Chine.

« Deux chanoines lisant dans une bibliothèque »,


détail d’une enluminure tirée de Jacques Legrand,
Livre de bonnes mœursH, vers 1490.

Liseuse électronique et livres en papier, XXIe siècle.

Une histoire de livres


« Des divers instruments de l’hom-
me, le plus étonnant est sans doute
le livre. Les autres sont des exten-
sions de son corps. Le microscope,
le télescope sont des extensions
de sa vision. Le téléphone est une
extension de sa voix ; nous avons ensuite la charrue
et l’épée, extensions de son bras. Mais le livre, c’est
Couverture d’un roman de science- autre chose : le livre est une extension de la mémoire
fiction, Livre de Poche, Hachette
Jeunesse, 1998. et de l’imagination. »
 Jorge Luis Borges, écrivain argentin, Borges oral, 1980.

8
Les trois révolutions du livre
De tout temps, les êtres humains ont ressenti le besoin de communiquer. Ils ont échangé
oralement puis, sous l’effet de différentes contraintes, ils ont ressenti la nécessité de
fixer leurs propos sur divers supports.
Un morceau de bois, un coquillage, une roche, une tablette de cire peuvent servir de
support. Comme la quantité de messages à transmettre augmente au fil du temps et que
la distance à parcourir s’allonge, il faut trouver quelque chose de pratique à manier et
à transporter. Des premiers rouleaux de papyrus jusqu’aux livres numériques, plusieurs
étapes vont révolutionnerH l’histoire du livre, apporter des changements rapides et impor-
tants dans la sociétéH. Le nombre de lecteurs augmentant, il faut produire plus et plus vite.
En effet, écrire à la main ou graver des textes sur du bois prend du temps. L’invention de
l’imprimerie, puis celle des caractères mobiles permettent de répondre à la demande, du
moins jusqu’à l’âge industriel (XIXe siècle). Dès lors, rotatives puis ordinateurs s’unissent
pour répondre à un besoin de communiquer d’une ampleur jusque-là inconnue.

L’imprimerie en Europe vers 1500


MER
Premiers centres d’impression DU
Nouveaux centres d’impres- NORD
sion à partir de 1470
Voies commerciales
Centres universitaires

Cologne
OCÉAN Mayence
Paris
ATLANTIQUE
Nuremberg
Strasbourg Augsburg
Bâle

Venise

Poligno MER
MER NOIRE
MÉDITERRANÉE Subiaco
Rome
Séville Naples

0 500 1000 km

Diffusion de l’imprimerie ailleurs dans le monde


Afrique Asie Amérique
Maroc, 1516 Goa (Inde), 1557 Mexico, 1529
Égypte, 1822 Macao (Chine), 1588 Lima (Pérou), 1584
Nagasaki (Japon), 1590 Cuenca (Équateur), 1626
Côte Est américaine, 1638-1693

9
1

Première révolution : du volumen au codex

Le papyrus, fabriqué à partir d’une plante égyptienne, apparaît au IIIe millénaire avant J.- C. Il est le support
d’écriture le plus courant jusqu’au VIIe siècle. Les premiers livres de l’Histoire se présentent sous forme d’un
rouleau de feuilles de papyrus assemblées et enroulées autour de bâtons de bois ou d’ivoire : le VOLUMEN.

Entre le Ier et le IVe siècle, on commence à relier sur le le papyrus ; il est utilisé du VIIe au XVIe siècle. Le papier,
côté des feuilles de papyrus pour former des livres une invention chinoise du début du IIe siècle, se répand
appelés CODEX. Ceux-ci ont l’avantage d’être plus en Europe, en passant par le monde musulmanH, mais
maniables et moins encombrants que les volumens, seulement autour du XIIIe siècle. Avec l’invention de
même si on trouve encore des rouleaux au Moyen Âge. l’imprimerie, il devient, dès le XVe siècle, le principal
Grégoire le Grand, papeH vers l’an 600, observait qu’il support de l’écrit.
avait fait tenir en six codex une œuvre qui occupait
trente-cinq volumens.
1
Le succès des codex est lié à l’emploi du parchemin, une
peau préparée pour l’écriture, qui se développe dès le
IIe siècle av. J.-C. à Pergame (Asie mineure). En Europe,
le parchemin, plus solide, remplace progressivement

VOLUMEN
Rouleau composé d’un
assemblage de feuillets
(de papyrus ou de
parchemin).

« Carte de l’Atlantique » de Pedro


Reinel, navigateur portugais,
2 parchemin, 1504-1505.

L’une des plus anciennes copies conservées de l’Odyssée d’Homère,


rouleau de papyrus, encre noire, fin du IIIe siècle av. J.-C.

CODEX
Livre manuscrit
composé de feuillets
(de papyrus ou de
parchemin, puis de
papier), reliés
sur le côté.
« Étudiants en droit à l’Université de
Bologne », détail d’une enluminure,
Italie, XIVe-XVe siècles.

10
Les trois révolutions du livre

Le travail des copistes


Au Moyen Âge, les livres sont manuscrits, c'est-à-dire écrits à la main et recopiés en
fonction des demandes. Ce travail est réalisé principalement par des moinesH dans des
scriptoriums, des ateliers de copie situés dans les monastères. Les textes sont aussi parfois
illustrés par des enluminuresH. Les moines copient surtout la BibleH et des livres religieux,
mais aussi des textes littéraires de l'Antiquité. Dès le XIIe siècle, des ateliers de copistes
laïcs se développent en même temps que les universités. Les livres aux sujets non religieux
(grammaire, droit, etc.) et les textes littéraires (romans de chevalerie, poésie, etc.) vont
prendre de plus en plus d'importance. Un bon copiste écrit environ cinq à six feuillets par
jour, soit cent quatre-vingts à deux cents mots par heure.

4 5
Le dur travail du copiste
« Faites attention à vos doigts ! Ne les
posez pas sur mon écriture ! Vous ne
savez pas ce que c'est que d'écrire !
C'est une corvée écrasante : elle vous
courbe le dos, vous obscurcit les yeux,
vous brise l'estomac et les côtes. Prie
donc, ô mon frère, toi qui lis ce livre,
prie pour le pauvre Raoul... »
Inscription d’un moine de l’abbaye
Saint-Aignan d’Orléans (F).

« Moines copistes dans un scriptorium », enluminure tirée du Livre


des Jeux, rédigé à la demande d’Alphonse X de Castille, XIIIe siècle.

6
« C’est une noble tâche que de copier des livres
sacrés, et le scribe ne manquera pas sa récom-
7
pense. Il est préférable d’écrire des livres que de
planter des vignes ; celui-là entretient son ventre,
celui-ci son âme. »
Inscription placée dans le scriptorium du
monastère de Saint-Martin de Tours (F),
écrite par le poète Alcuin (735-804).

partir de
est fabriqué à
Le parchemin ou to n, ch èvre ou
x (m
peaux d’animau matière beaucoup
e
veau). C’est un solide que le papy-
so uple et pl us
plus re recto-
pporter l’écritu oduit
rus, qui peut su un pr
ant, c’est
verso. Cepend du ch es se d’Anjou
, la
cher. Vers 1360 ns et trois sacs de
to
donne 200 mou échange d’un livre
et de se ig le en
bl é
de prières !

« Lancelot blessé passant


le pont de l’Épée,
combattant deux lions
et un léopard, puis
combattant Méléagant »,
enluminure tirée de
Lancelot du Lac, 1344.

11
1

Deuxième révolution : du livre manuscrit au livre imprimé

Le travail des copistes s’avère long, complexe et il peut engendrer des erreurs. Cela ne permet donc qu’une
multiplication limitée des ouvrages. C’est Gutenberg qui, au milieu du XVe siècle, propose une solution à ces
difficultés.
Le procédé de l’IMPRIMERIE est connu en Extrême- forte pression des caractères encrés sur la feuille, est
Orient (Chine et Corée principalement) dès le VIIIe inconnu. En Europe aussi, on imprime par xylographie :
siècle. On utilise pour cela des bois gravés selon la le plus ancien bois gravé conservé date du XIVe siècle.
technique de la xylographie. Des caractères mobiles en
argile sont utilisés pour la première fois au XIe siècle en
Corée, ceux en métal sont produits en Chine dès le XIVe
siècle. Cependant, l’usage de la presse, qui exerce une IMPRIMERIE
Ensemble de tech-
niques permettant de
reproduire en grande
8 quantité des écrits ou
des images sur des
supports.

« Intérieur d’une imprimerie », dessin collé sur panneau de bois, XVIIe siècle.

Toutefois, Johannes Gutenberg est bien à l'origine de la typographie 9


moderne. Durant une quinzaine d'années, probablement entre 1435 et
1450, il va perfectionner des moyens existants et réunir des techniques
(la presse, les caractères mobiles en plomb, l'encre, le papier, etc.) pour
mettre au point le procédé typographique. Cela permet de produire plus
rapidement et à moindre coût des livres en plusieurs exemplaires.

XYLOGRAPHIE : technique permettant d’imprimer des textes


et des images à partir de planches de bois gravées.
CARACTÈRES MOBILES : pièces portant en relief un signe
typographique, assemblées pour composer un texte « L’atelier d’imprimerie, pressier et
à imprimer. encreur », gravure sur bois tirée de
Jost Amman, Le Livre des métiers,
TYPOGRAPHIE : technique d’impression réalisée à l’aide de Francfort (D), 1568.
caractères en relief assemblés et organisés pour former la
mise en page, puis encrés.

12
Les trois révolutions du livre

10 11

Caractères typographiques en plomb rangés dans Balles à encrer les caractères de plomb.
une casse et modèle d’une phrase composée.

12 GUTENBERG (vers 1400-1468)

Johannes Gutenberg met au point la


typographie avec l’aide de deux asso-
ciés. Vers 1450, il ouvre à Mayence le
premier atelier d’imprimerie, qui pro-
duira notamment la Bible à 42 lignes. Cinq
ans plus tard, suite à un procès, Gutenberg
perd son matériel d’imprimerie, mais continue
de former de nouveaux artisans.

13
Éloge de l'imprimerie
« Que d'actions de grâce ne vous rendront pas le monde littéraire et
chrétienH ! N'est-ce pas une grande gloire pour votre Sainteté d'avoir
procuré aux plus pauvres la facilité de se former une bibliothèque à peu
de frais et d'acheter pour vingt écus des volumes corrects que, dans le
temps, on pouvait à peine obtenir pour cent [écus] quoique remplis de
fautes de copistes. Sous votre pontificat, les meilleurs livres ne coûtent
guère plus que le papier et le parchemin. Maintenant on peut acheter
un volume moins cher que ne coûtait autrefois sa reliure. »
Dédicace au pape Paul III, introducteur de l’imprimerie à Rome,
par Giovanni Andrea Bussi, évêque d’Aléria (1466-1475).

tent
primeurs se met de
Les ouvrieHrs im s qu estions
po ur de
en grève Ainsi
Contexte d'une invention thme de travail. de
salaire ou de ry pl ai gn en t
, ils se
Le développement de l’imprimerie moderne répond à de nouveaux à Paris, en 1571 50 fe ui lles par
er 26
devoir imprim iller
besoins. Les villes se développent en Europe et le monde de l’écrit quitte s oblige à trava
jour, ce qui le ur es .
vingt he
les monastères pour se répandre dans la société. À la fin du Moyen Âge, debout durant
le développement du commerce, de l’administrationH et des universités
provoque une augmentation des besoins en formulaires et en livres. Le
goût de la lecture se répand également dans de nouvelles couches de
la société, notamment dans les classesH aisées de la population urbaine,
faisant progresser la demande de livres. On cherche donc un moyen de
reproduire rapidement des écrits, en grand nombre et à coût plus bas.

13
1

Les premières impressions


Les premiers imprimés sortis de l’atelier de Gutenberg sont des travaux simples à réaliser,
pour lesquels la demande est forte et qui peuvent donc rapporter de l’argent : livres des-
tinés aux étudiants (grammaires latines, livres de droit, textes d’auteurs antiques), textes
religieux (formulaires d’indulgencesH, livres de prières), calendriers, horoscopes, etc.
En parallèle, Gutenberg se lance dans l’ambitieux projet d’imprimer une bible de grand
format. La Bible à 42 lignes, appelée ainsi en raison du nombre de lignes par page, aurait
été réalisée entre 1452 et 1455.

14
La Bible de Gutenberg en chiffres
Environ 180 Bibles en deux volumes ont été imprimées (145 sur papier et 35 sur vélin).
Cela représente 3 à 5 ans de travail. Un copiste aurait mis 1 an pour réaliser une copie
manuscrite !

Dimensions : 31 x 45 cm.  haque exemplaire en vélin


C
nécessite 170 peaux de veau.
Un exemplaire complet compte
1286 pages.  ne Bible sur vélin pèse 22,5 kg
U
et celle sur papier 13,5 kg.
Une page contient 42 lignes, soit
environ 2500 caractères par page.
Pour leur réalisation, il a fallu environ
50 000 feuilles de papier
et 11 000 feuillets de vélin.

À ce jour, il ne reste plus que 49 exemplaires


connus, dont 21 complets.

L'imprimerie va permettre une plus grande production et diffusion de livres, mais seule
une minorité de la population y a accès. En effet, vers 1450, 10 à 15 % de la population
d'Europe occidentale sait lire et écrire ; ce sont principalement des personnes vivant dans
les villes. Au XVIe siècle, on estime que 8 millions de personnes (4 %) auraient possédé
des livres. Les textes littéraires, notamment les romans écrits dans les langues populaires,
connaissent un succès grandissant. Certains livres jusqu’alors manus-
crits sont imprimés et connaissent de nombreuses réimpressions.
16

15 CHARLOTTE GUILLARD (vers 1480-1557)

À Paris, Charlotte Guillard mène


une brillante carrière de typo-
graphe : devenue veuve pour la
seconde fois, elle administre seule
pendant vingt ans son atelier. Sous sa
direction, son imprimerie s’empare du mar-
ché des textes juridiques et religieux. La variété
des ouvrages imprimés témoigne des vifs débats
de son siècle.

VÉLIN : parchemin précieux, pour lequel on utilise une peau


de veau, plus lisse et plus fine que le parchemin ordinaire. Une page de la Bible à 42 lignes attribuée
LANGUES POPULAIRES : langues, autres que le latin, parlées par le peupleH. à Gutenberg, parchemin, 1455.

14
Les trois révolutions du livre

17 Genre de livres
publiés entre 1450 et 1500. Pourcentages calculés sur environ 40 000 titres.

30 % 18 Production de livres en Europe


Textes
littéraires Au Moyen Âge Quelques milliers
10 % 1450-1500 20 millions
Textes
juridiques 1500-1600 200 millions

ste a
45 % 10 % un moine copi
5% Au Moyen Âge,
n tro is m oi s pour
Textes religieux Textes scientifiques Autres besoin d’enviro
s.
écrire 200 page de
e
èc le , av ec la presse
Au XV si ut im pr im er 300e
pe
Gutenberg, on III
. À la fin du XV ,
Vers 1530-1550, le livre trouve sa forme actuelle. La langue se codifie et pages par jour l’h eu re et
0 pages à
siècle, c’est 20 ut imprimer envi-
les règles de grammaire se fixent par l'influence des correcteurs et com- pe
aujourd’hui, on à l’heure !
s
positeurs des ateliers d'imprimerie (accents, paragraphes, ponctuation, ron 15 000 page
stabilisation de l'orthographe et de la forme des lettres, etc.).

Le livre, un objet dangereux ?


La multiplication des livres imprimés va les rendre plus accessibles car
moins chers. De plus en plus de gens savent lire et achètent des livres. 19
Ils peuvent ainsi avoir directement accès aux sources du savoir et les
idées nouvelles se répandent plus rapidement dans la population. Les
autorités de l’époque vont donc chercher à contrôler les imprimeurs et
la production des livres.
Ainsi, au début du XVIe siècle, Martin Luther et les autres réformateursH
vont abondamment utiliser l’imprimerie pour faire circuler leurs idées.

20

« Colporteur de livres », gravure


sur bois tirée du recueil
Cris de Paris, anonyme,
XVIe siècle.

Pour freiner la diffusion d’idées jugées dangereu-


ses, les gouvernementsH vont alors contrôler la pro-
duction des livres en les soumettant à la censureH.
On va jusqu’à brûler les ouvrages interdits dans
d’énormes autodafés et condamner les imprimeurs
à la prison ou à la peine de mort. Afin d’éviter la
censure, des auteurs font imprimer leurs livres hors
de leur pays, notamment à Genève ou à Bâle.
« Autodafé de livres protestants en Hollande, en 1535 »,
gravure de Jan Luyken tirée du Miroir des Martyrs, 1685.

AUTODAFÉ : destruction publique de livres par le feu.

15
1

Troisième révolution : du livre imprimé au livre numérique


Aux XVIIIe et XIXe siècles, grâce à une meilleure alimentation et aux progrès de la médecine, la population
mondiale augmente fortement. Dès lors, comment répondre aux nouveaux besoins de communication ? Avec
la mécanisationH, les machines améliorent la productivitéH. Aux XXe et XXIe siècles, l'arrivée de l'informatique
va transformer la vie des humains, désormais reliés au monde entier en quelques clics de souris.

Le monde du livre n’échappe pas à tous ces change-


ments. Pendant plus de 400 ans, la technique d'im-
pression mise au point par Gutenberg va perdurer. Il 21
faut attendre les XIXe et XXe siècles pour que l'impri-
merie connaisse deux nouvelles évolutions. La pre-
mière sous l'impulsion des machines et la seconde,
de l'électronique.
En 1885, la Linotype permet de composer des lignes
de texte à partir d’un clavier. La machine crée un moule
et y verse du métal fondu pour fabriquer une ligne-
bloc. Les lignes sont ensuite assemblées en une forme
correspondant aux dimensions de la page. À la fois
machine à écrire et petite fonderie, la Linotype rend
inutiles les caractères mobiles en métal.

Une Linotype, son clavier et une ligne-bloc


de texte, vers 1900.

22

Une rotative en 1889.

Dès le milieu du XIXe siècle, la rotative per- 23


met d'automatiser l'impression d'un grand
nombre de pages en très peu de temps. Le
travail de l'imprimeur consiste principale-
ment à piloter la machine (charger le papier,
encrer, contrôler la tension du papier, véri-
fier la qualité de l'impression, etc.).
De nos jours, la composition d’un document
se fait à l’aide d’un ordinateur, puis son
impression est réalisée en quatre couleurs
(quadrichromie) sur une rotative ou sur une
presse offset.

ROTATIVE : machine composée de


cylindres et servant à imprimer, Rotatives offset de l’imprimerie Ringier, Adligenswil (LU), 2018.
notamment des journaux.

16
Les trois révolutions du livre

Produire un livre À partir du XIXe siècle, les formes du livre se diversi-


fient : des « beaux livres » richement illustrés en cou-
24 Les étapes de fabrication leurs aux livres de poche, le choix est immense. On
Étape 1 : rédaction du manuscrit. trouve également des LIVRES NUMÉRIQUES, à consulter
Étape 2 : relecture, correction et illustration. par exemple sur des liseuses, ou des livres interactifs
Étape 3 : impression du livre. qui proposent des compléments d’information, des
Étape 4 : distribution. images, des sons ou des vidéos.

Auteur 25

Édition
1

Illustration

Iconographie1

2
Vojtěch KubaŠta, Le bateau
de Christophe Colomb (Santa
PAO 2
María), livre animé, 1961.
Correction

3
26

Photogravure3
Impression

Reliure

Distribution
1
 Iconographie : 4
recherche d’images,
d’illustrations.
2
 PAO : publication assistée
Livres de poche
par ordinateur. Librairie
brochés.
3
 Photogravure : préparation
des plaques d’impression.

© Mon Quotidien, pour les 10 -14 ans :


10 minutes de lecture chaque jour,
http://www.monquotidien.fr
27

LIVRE
NUMÉRIQUE
Liseuse OU ÉLECTRONIQUE
électronique. Livre destiné à être lu
sur un écran (ordinateur,
tablette, liseuse, télé-
phone portable,
etc.).
LISEUSE : micro-ordinateur destiné
à la lecture de livres ou de documents
numériques préalablement téléchargés
et stockés dans sa mémoire.
BROCHÉ : livre dont les feuillets sont
encollés et non cousus pour obtenir
une reliure rapide et peu coûteuse.

17
1

Diffuser un livre
Le tirage des livres augmente dès la fin du XIXe siècle. Le phénomène des best-sellers
apparaît, avec La Case de l’Oncle Tom de Harriet Beecher Stowe ou la série des aventures
de Heidi écrites par Johanna Spyri, rapidement traduits en de nombreuses langues.
L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la cultureH
(UNESCO) estime que, de nos jours, près d’un million de nouveaux titres
sont publiés chaque année dans le monde. les plus ven-
rmi les livres Pa tre
se trouvent en
dus au monde Co ran, Ha rry
et le
autres : la Bible de s An neaux
ig ne ur
Potter, Le Se
ce.
et Le Petit Prin

28 Nouveaux titres publiés dans le monde en 1999

EUROPE

ASIE

AMÉRIQUE

CARTE EN ANAMORPHOSE : AFRIQUE


carte qui déforme la réalité
La taille du territoire indique
pour illustrer l’importance
la proportion des nouveaux OCÉANIE
d’un phénomène. Ici, si un
livres qui ont été publiés.
pays publie un plus grand
nombre de nouveaux titres
que la moyenne mondiale,
sa surface sera plus grande,
et inversement.

Aux XIXe et XXe siècles, en Europe, le niveau de vie augmente, la scolarité devient obliga-
toire. Les prix ayant tendance à baisser, les livres deviennent plus accessibles. On les trouve
en libre accès dans les bibliothèques qui, au cours du XXe siècle, deviennent souvent
des médiathèques ; on les achète en librairie, au supermarché, chez les bouquinistes ou
sur internet. Un très grand nombre d’ouvrages a été numérisé. En 2019, la bibliothèque
virtuelle Google Books comptait plus de 25 millions de livres. On peut ainsi emporter
avec soi sa bibliothèque « personnelle » grâce à son téléphone portable, sa liseuse ou sa
tablette numériques.
De nouvelles formes de bibliothèques sans livres voient le jour. Elles proposent aux usa-
gers des ressources uniquement numériques. Des tablettes, des liseuses et des consoles
de jeux sont mises à disposition du public.

BEST-SELLER : livre à forte vente, grand succès de librairie.


MÉDIATHÈQUE : lieu où sont rassemblés et où peuvent
être consultés différents médias sur des supports variés
(bande magnétique, disque, film, papier, etc.).
BOUQUINISTE : vend des livres anciens ou d’occasion.

18
Les trois révolutions du livre

29 30

Vue actuelle de la salle de lecture de la Bibliothèque Première bibliothèque sans livres imprimés,
Sainte-Geneviève inaugurée en 1851, Paris (F). San Antonio, Texas (USA), 2013.

Accorder des droits aux auteurs


Avant le XVIIIe siècle, l'écrivain vit grâce à ses ressources personnelles ou à celles d'un
A T
PLAGI
mécèneH. Seul l'imprimeur, souvent éditeur et libraire, gagne de l'argent en vendant un livre.
Le droit pour un écrivain de vivre de son travail et
de bénéficier d'une protection de son œuvre se met
31
lentement en place durant les XIXe et XXe siècles :
c'est le droit d'auteur. En Suisse, ce droit est protégé
par une loiH de 1992. Elle précise qu'une œuvre est
protégée durant 70 ans après la mort de son auteur
et 50 ans pour les logiciels. Celui qui publie une
œuvre sans autorisation est puni d'une peine de
prison d'un an au plus ou d'une amende.
Avec l'arrivée d'internet, ce droit est remis en cause,
surtout dans les pays en développement. Ceux-ci y
voient un frein à l'accès aux savoirs, car les connais-
sances ne sont pas toutes disponibles gratuitement.

Censurer, encore de nos jours ?


32 33

Le 30 décembre 2001 à Alamogordo, aux États- Des résidents de Winnipeg (Canada) demandent
Unis, des centaines d'exemplaires d'Harry Potter à une librairie de leur ville de retirer la bande des-
furent brûlés. « Ce Potter est le diable, il détruit les sinée Tintin en Amérique de ses rayons, rapporte
gens ». Le pasteurH et ses paroissiens avouèrent Radio-Canada, le lundi 16 mars 2014, car elle ali-
plus tard n'avoir jamais ouvert un livre mettant mente les stéréotypes. Les Indiens sont présen-
en scène ce garçon. tés comme des êtres sauvages et dangereux, des
êtres que l'on doit craindre.
 Adapté de BBC Mundo, 2002, cité par Fernando Báez,
Histoire universelle de la destruction des livres, Paris, 2008.  Adapté de Benoît Zagdoun, Francetv Info, 17 mars 2015.

34
Le nouveau maire de Venise, Luigi Brugnaro, a interdit 49 livres pour
enfants, dont des ouvrages sur les familles homoparentales, le racisme,
le handicap. Les réactions sont vives. CEN
[…] La petite casserole d'Anatole, sur le thème du handicap, l'intemporel
SUR
Petit-bleu et petit-jaune, où deux amis, l'un jaune, l'autre bleu, deviennent
verts au contact l'un de l'autre, ou encore Ernest est malade, de la série
Ernest et Célestine, figurent sur la liste de ces 49 titres censurés.
É
 Adapté de Bluewin-Info, 9 juillet 2015.

19
2

HUMANISME ET RENAISSANCE

MER
DU
NORD

SAINT
EMPIRE
OCÉAN Flandres

ATLANTIQUE
FRANCE
SUISSE

Florence

Constantinople
ÉTATS
ITALIENS

MER
MÉDITERRANÉE

Vers 1350 1434-1494 Vers 1450


Début de Domination Atelier
l’humanisme des Médicis d’imprimerie
en Italie à Florence de Gutenberg

Humanisme

Famines et peste Renaissance italienne et flamande

1300 1400
1434
Van Eyck 1453
peint Prise de
Les époux Constantinople
Arnolfini par les Turcs

20
APPRENTISSAGES VISÉS
EN ÉTUDIANT CE THÈME, TU APPRENDRAS À :
– expliquer les principaux apports des humanistes dans l’éducation
et dans différents domaines des sciences (astronomie, mécanique,
médecine, etc.) ;
– décrire les caractéristiques d’un prince de la Renaissance ;
– décrire les caractéristiques des œuvres de la Renaissance
(peintures, sculptures, architecture) ;
– distinguer une œuvre médiévale d’une œuvre de la Renaissance.

AU TRAVERS DU THÈME, TU APPRENDRAS AUSSI


PROGRESSIVEMENT À :
– analyser les conséquences de la redécouverte des textes et de l’art
de l’Antiquité ;
– repérer des traces du passé dans le présent ;
– analyser une œuvre iconographique (peinture, fresque, gravure).

OCÉAN
1543
Publication
INDIEN
Vers 1506 1517 des livres
De Vinci Début 1533 de Copernic 1633
peint de la Holbein et de Vésale Procès
La Joconde Réforme peint Les de Galilée
Ambassadeurs

Renaissance française

1500 1600
1492 1515-1547 1584
Arrivée de Règne de Mort de
Christophe François Ier Pierre de Ronsard
Colomb
en Amérique

21
2

Léonard de Vinci, « L’Homme de


Vitruve », dessin sur papier, 1492.

Version géante de l’Homme de Vitruve,


réalisée par John Quigley sur la banquise
arctique pour Greenpeace, Norvège, 2011.

« Vis aérienne », ancêtre de l’hélicoptère,


tirée des Carnets de Léonard de Vinci,
dessin sur papier, vers 1487-1490.

Un hélicoptère en vol.

« Études du fœtus dans l’utérus », tirées


des Carnets de Léonard de Vinci, dessin
sur papier, vers 1511-1513.

Échographie prénatale de contrôle


à trois mois, image médicale, 2019.

22
Humanisme et Renaissance
Dans l’Europe du XVe siècle, l’Italie et les Flandres sont des régions commerçantes,
riches et très dynamiques dans les domaines culturelH, artistique et scientifique. À cette
époque, de nombreux intellectuels, les humanistes, considèrent les œuvres de l’Anti-
quité comme des modèles.
En Italie, puis dans le reste de l’Europe, les humanistes lisent et traduisent les textes de
l’Antiquité. Ils sont convaincus de la capacité de l’être humain à s’améliorer par la connais-
sance et l’éducation. Selon eux, il est possible de mener une vie heureuse, sans attendre
le paradis. Sans remettre en cause la supériorité de Dieu ou l’autorité de l’ÉgliseH, ils vont
défendre cette nouvelle vision de l’Homme, en le plaçant au centre de leurs œuvres et de
leurs recherches.
En s’inspirant de ce qui a été réalisé durant l’Antiquité (textes, statues, monuments, etc.),
les humanistes font progresser les sciences et inventent de nouvelles formes artistiques.
En sciences, leurs observations de la nature et leurs expériences permettent de faire des
découvertes importantes, notamment en médecine et en astronomie. Dans le domaine des
arts, les humanistes redécouvrent des œuvres de l’Antiquité et les imitent, en premier lieu
en Italie où les vestiges romains sont particulièrement nombreux.
Alors que, pendant des siècles, les œuvres d’art ont représenté principalement des scènes
religieuses, à partir du XVe siècle, les artistes ajoutent des sujets empruntés à la mytholo-
gie gréco-romaine. Ils réalisent aussi de très nombreux portraits, rendant hommage à des
individus et célébrant ainsi la grandeur de l’Homme. Ce renouveau de l’art, qui fait d’une
certaine façon renaître l’Antiquité, sera appelé la Renaissance.

L’humanisme et la Renaissance en Europe


MER DU ROYAUME
IRLANDE NORD DU DANEMARK

ROYAUME PRUSSE
Foyer de la
D’ANGLETERRE Renaissance flamande
Oxford
Londres Rotterdam
Bruges
Berlin
OCÉAN Anvers ROYAUME
ATLANTIQUE Wittenberg
DE POLOGNE

Paris SAINT EMPIRE


Foyer de la
Renaissance française
Strasbourg Prague Cracovie

Val de Loire Bâle

ROYAUME Budapest
DE FRANCE
ROYAUME
DE HONGRIE
ROYAUME Padoue Venise
DU Montpellier Milan
PORTUGAL Bologne
Salamanque
Foyer de la
Madrid Florence Renaissance italienne
Barcelone
MER
NOIRE
MER
ROYAUME Rome EMPIRE
D’ESPAGNE MÉDITERRANÉE OTTOMAN Constantinople
Séville ROYAUME
DE NAPLES
Naples

L’HUMANISME LA RENAISSANCE
0 250 500 km Limites du Saint Empire Mayence: invention de Foyer de la Renaissance
Frontières en 1500 env. l’imprimerie
Capitale de la Renaissance
Interactions Diffusion de l’imprimerie
Autre centre
Grand centre d’imprimerie de la Renaissance
Grande université Diffusion de la Renaissance
Université Résidence princière avec
château de la Renaissance

23
2

L’humanisme
Convaincus des capacités de l’Homme à s’améliorer, notamment par l’accès au savoir, les humanistes de la
Renaissance s’intéressent à tout : les lettres, les arts, les sciences et les techniques. Pour se former, ils se rendent
là où se trouve la connaissance (universités, bibliothèques, etc.).

L’HUMANISME encourage l’échange de connaissances. Ce savoir antique a été transmis par les moinesH copistes
Ainsi les humanistes voyagent et s’invitent mutuelle- des monastères médiévaux. Il a été enrichi par les
ment, formant un réseauH dans lequel s’échangent les contacts avec les Arabes en Espagne (al-Andalus) et
idées, mais aussi les livres et les textes de l’Antiquité. en Sicile, ainsi qu’avec les savants byzantins venus se
réfugier en Italie après la prise de Constantinople par
les Turcs, en 1453.
1 Voyages d’Érasme de Rotterdam
MER DU
NORD
ANGLETERRE
HUMANISME
Oxford Mouvement intellectuel
européen né en Italie
Rotterdam
Londres au XIVe siècle, centré sur
Louvain l’Homme, qui peut se
Aix-la-Chapelle
perfectionner grâce
Cambrai
Mayence à la raison.
Paris SAINT EMPIRE 2
Orléans
Fribourg-en-Brisgau
Bâle
FRANCE

Lyon Milan
Venise

Bologne

Florence

MER MÉDITERRANÉE Rome


ITALIE

0 250 500 km

Villes dans lesquelles Érasme a vécu Correspondants d’Érasme Édouard Hamman, Enfance de Charles QuintH, une lecture
Villes dans lesquelles Érasme a séjourné Principaux voyages d’Érasme, à Bruxelles en 1511, huile sur toile, 1863.

L’éducation de l’esprit et du corps


Forts de leur savoir, les humanistes tentent parfois de conseiller les souverainsH. En effet,
pour ces intellectuels, « on ne naît pas homme, on le devient ». Selon cette phrase d’Erasme
(1469-1536), célèbre humaniste des Pays-Bas, une grande importance est accordée à la
transmission des connaissances et plus particulièrement à l’éducation.

3
jours un pro-
« Il y a un siècle, la barbarie régnait partout en Europe. Maintenant Il existe de nos
pé en nommé
l’homme apprend à se connaître. […] Maintenant, l’homme s’élève gramme euro
us qu i pe rmet aux
vraiment au-dessus de l’animal par son âme et son langage qu’il Erasm tuer une
d’ eff ec
perfectionne. Les lettres [ l’étude des textes] ont repris leur véritable étudiants es dans
ét ud
année de leurs
mission qui est de faire le bonheur de l’homme, de remplir sa vie un autre pa ys .
de tous les biens. Courage ! Elle grandira, cette jeunesse qui, en ce
moment, reçoit une bonne instruction : [...] elle entrera dans le conseil
des rois ; elle administrera les affaires de l’ÉtatH. »
 Étienne Dolet (1509-1546), auteur et éditeur français,
Commentaire sur la langue latine, 1536.

24
Humanisme et Renaissance

4 5
Gargantua s’éveillait donc vers quatre heures du matin. […]
Il était habillé, peigné, coiffé, habillé et parfumé ; durant ce
temps, on lui rappelait les leçons du jour d’avant. Pendant
trois bonnes heures, ensuite, on lui faisait la lecture. Alors,
[lui et son maître] sortaient […] et jouaient à la balle, à la
paume, s’exerçant galamment le corps comme ils avaient
exercé leurs âmes. […] Au début du repas, on lui lisait quelque
histoire plaisante des anciennes prouesses jusqu’à ce qu’il
eût pris son vin. Puis, on continuait la lecture, parlant de
[…] l’efficacité de tout ce qui leur était servi à table. […] Cela
fait, on apportait des cartes, non pour jouer, mais pour y
apprendre mille petites gentillesses et inventions nouvelles,
toutes inspirées de l’arithmétique.
Adapté de François Rabelais (1494-1553), La vie très horrifique
du grand Gargantua, père de Pantagruel, 1534.

6
Je ne veux pas qu’on emprisonne ce garçon. Je ne veux pas
qu’on l’abandonne à l’humeur mélancolique d’un furieux
maître d’école. […] Ce n’est pas assez de raidir l’âme ; il lui
faut aussi raidir ses muscles. Les jeux et les exercices seront
une bonne partie de l’étude : la course, la lutte, la musique,
la danse, le maniement des chevaux et des armes. […] Ce Gustave Doré, « L’éducation de Gargantua »
n’est pas une âme, ce n’est pas un corps qu’on dresse, c’est d’après Rabelais, gravure sur bois, 1854.
un homme […].
Adapté de Michel de Montaigne (1533-1592),
« De l’institution des enfants », Essais, I, chap. 26, 1595.

La production des humanistes est ainsi très variée : à côté des livres religieux, des textes
antiques et des traités scientifiques, la poésie et les pièces de théâtre connaissent un grand
succès. À partir du XVe siècle, de plus en plus de ces écrits sont rédigés dans la langue du
peupleH pour toucher plus de monde.
Aujourd’hui, plusieurs de ces œuvres de la Renaissance sont encore célèbres : les pièces
de théâtre Roméo et Juliette, Hamlet ou Macbeth de William Shakespeare (1564-1616), Les
Amours de Pierre de Ronsard (1524-1584), L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, etc.

7 MARGUERITE DE NAVARRE (1492-1549)

Sœur du roi de France François Ier,


Marguerite de Navarre joue un rôle
important en diplomatie et anime la
vie de la cour, notamment grâce à sa
solide éducation humaniste. Elle pro-
tège plusieurs artistes et est elle-même écri-
vaine. Son œuvre la plus célèbre est l’Heptaméron,
un recueil de nouvelles.

25
2

Les sciences
Dans une perspective humaniste, la méthode scientifique est basée sur l’observation et
l’expérimentation. Les découvertes scientifiques se manifestent en médecine, en astrono-
mie, en mécanique, en optique, en cartographie, en architecture, etc. L’imprimerieH favorise
leur diffusion.

La mesure du monde
Les mathématiciens remplacent de plus en plus les chiffres romains par les chiffres
indo-arabes, introduits en Europe dès l’an 1000, dont l’usage facilite le commerce et les
sciences. Dès le début du XVe siècle, les Européens cherchent à mesurer le monde, pour
mieux le maîtriser. Ce principe s’applique autant à la peinture qu’à la cartographie, l’as-
tronomie, la mesure du temps (horloge mécanique), l’architecture, etc.

Les progrès en astronomie


8
Nicolas Copernic (1473-1543), mathématicien et astronome,
développe et défend la théorie de la rotation de la Terre autour
du Soleil. Peu avant sa mort, il publie un ouvrage qui résume
ses découvertes. Ce livre sera plus tard interdit par l’Église de
Rome parce qu’il remet en question la théorie selon laquelle la
Terre est immobile au centre de l’univers.

« Système du monde de
Nicolas Copernic », planche
coloriée tirée d’Andreas
Cellarius, Harmonia
Macrocosmica, 1660.

Représentation du cosmos selon le système héliocentri-


que : au centre du système se trouve le Soleil entouré des
quatre faces de la Terre, encerclées à leur tour par les
signes du zodiaque.

9
GÉOCENTRISME HÉLIOCENTRISME
hérité d’Aristote et de Ptolémée défendu par Copernic, Galilée...

Soleil
Vénus
Terre le grand
Selon Galilée, «
Vénus
Lune
re de la na tu re était
liv
Soleil ns la la ng ue des
Terre écrit da les, la
Lune s ce rc
Mercure Mars Mercure
Mars droites, de étrie
ue de la gé om
lang ue s. »
at hé m at iq
et des m
Saturne Jupiter Jupiter
Saturne

En 1610, après de nombreuses observations au télescope, Galilée (1564-1642), un savant


italien, défend publiquement la théorie de Copernic. Il publie en 1632 le Dialogue sur les
deux grands systèmes du monde où il prend parti pour la théorie de l'héliocentrisme. Cela
lui vaudra d’être placé en résidence surveillée, semi-prison dont il ne peut pas sortir mais
où il a le droit de poursuivre ses recherches.

HÉLIOCENTRISME : conception du monde qui place


le Soleil (et non la Terre) au centre de l’univers.

26
Humanisme et Renaissance

Une nouvelle vision du corps humain


L’enseignement de la médecine reposait encore sur les descriptions de Galien, un méde-
cin romain du IIe siècle. En 1539, André Vésale, médecin de l’empereur Charles Quint, est
autorisé à pratiquer quelques dissections sur des cadavres de condamnés. Il peut ainsi,
dans son ouvrage La Fabrique du corps humain, corriger les erreurs de Galien. La circulation
sanguine est décrite par l’Espagnol Michel Servet vers 1553 ; le Français Ambroise Paré
met au point, dès 1540, la ligature des artères, qui permet d’éviter les hémorragies lors
des amputations.

10 11 ANDRÉ VESALE (1514-1564)

Médecin fameux et humaniste, connu


pour ses travaux révolutionnaires sur
la dissection du corps humain, Vésale
est aujourd’hui considéré comme le
père de l’anatomie moderne. Après des
études en France, il perfectionne son savoir en
voyageant et en se mettant au service de différents
princes européens.

12

« Planche anatomique
d’un torse féminin »,
gravure sur bois tirée
d’André Vésale,
De humani corporis
fabrica, 1543.
« Représentation des veines et des
artères », d’après Galien (129-216),
médecin grec, enluminure sur par-
chemin tirée du Manuscrit Ashmole
399, vers 1292.

L’amour de la recherche
Léonard de Vinci illustre bien la soif de savoir de son époque puisqu'il est à la fois peintre,
architecte, ingénieur militaire, mathématicien, inventeur, anatomiste, etc.

13
« J’ai imaginé toutes ces machines parce que j’étais possédé, comme tous les hommes
de mon temps, par une volonté de puissance. J’ai voulu dompter le monde. Mais
j’ai voulu aussi passionnément connaître et comprendre la nature humaine, savoir
ce qu’il y avait à l’intérieur de nos corps. Pour cela, des nuits entières, j’ai disséqué
des cadavres, bravant ainsi l’interdiction du papeH. Rien ne me rebutait. Tout, pour
moi, était sujet d’étude. La lumière, par exemple, pour le peintre que j’étais, que de
recherches passionnantes ! [...] Ce que j’ai cherché finalement, à travers tous mes
travaux, et particulièrement à travers ma peinture, ce que j’ai cherché toute ma vie,
c’est à comprendre le mystère de la nature humaine. »
 Léonard de Vinci (1452-1519), Carnets, XVIe siècle.

27
2

À la cour des princes


Au XVIe siècle, plusieurs souverains souhaitent diriger le destin de l’Europe : Henri VIII, roi d’Angleterre ; Fran-
çois Ier, roi de France ; Charles Quint, roi d’Espagne et empereur du Saint Empire romain germanique, ainsi que
Soliman Ier, sultan ottoman. Les coursH de ces princes, traditionnellement composées de noblesH et de conseil-
lers, s’ouvrent et accueillent des humanistes réputés. La famille des Médicis, qui dirige Florence, en est un très
bon exemple. Progressivement, les États se modernisent : administration centralisée, contrôle renforcé de la
population, augmentation des impôtsH.

La rivalité entre les souverains pour dominer l’Europe respecter. Des humanistes rédigent des manuels de
se manifeste aussi par l’évolution de la cour : courti- savoir-vivre expliquant la culture et le raffinement
sans de plus en plus nombreux, présence d’artistes, nécessaires à la vie à la cour.
fêtes somptueuses, règles et attitudes codifiées et à

14 15

Portrait d’un courtisan


«Je veux que notre courtisan soit né noble et de
bonne famille [...]. Sa principale et vraie profes-
sion doit être celle des armes. Qu'il soit très fier
et agressif quand il sera devant les ennemis ; mais
sinon, qu'il ne soit pas orgueilleux mais humain,
modéré et posé. Je veux qu'il soit instruit au moins
dans les humanités et qu'il connaisse la langue
latine mais aussi la langue grecque, à cause des
nombreuses et diverses choses divinement écrites
dans cette langue. Qu'il pratique les poètes tout
aussi bien que les orateurs et les historiens et qu'il
soit habile à écrire en vers et en prose, principale-
ment dans notre langue vulgaire. »
Baldassare Castiglione (1478-1529), écrivain
et diplomate italien, Le Parfait Courtisan, 1528.

Hans Holbein le Jeune, Les Ambassadeurs, peintre


allemand du roi Henri VIII, proche d’Érasme, huile
sur bois, 1533.

François Ier
Durant son règne (1515-1547), le royaume de France est agrandi et l’unification se ren-
force, en particulier avec l’Édit de Villers-Cotterêts (1539) imposant l’usage du français
pour tous les actes officiels (textes royaux, registres paroissiaux, etc.). François Ier gouverneH
sans demander leur avis aux grands seigneurs, justifiant ses choix par la formule « car tel
est notre plaisir », ce qui signifie que ses décisions sont définitives.

16
Il y a des pays plus fertiles et plus riches, telles la Hongrie et l'Ita-
lie, il y en a de plus grands et de plus puissants, telles l'Allemagne
et l'Espagne, mais nul n'est plus uni, plus facile à manier que la
France. Voici sa force : unité et obéissance. En somme, la volonté
du roi est tout désormais, même dans l'administration de la justice.
ADMINISTRATION CENTRALISÉE :
Car il n'y a personne qui oserait obéir à sa conscience et contredire
gestion de la totalité d’un État le monarqueH. Les Français honorent leur roi avec un sentiment si
à partir d’un seul centre. profond qu'ils lui ont donné non seulement leurs biens et leur vie,
HUMANITÉS : formation scolaire où mais leur honneur et leur âme.
l’étude des langues, des littératures Adapté de Marino Cavalli (1500-1573), fonctionnaire et diplomate vénitien,
latines et grecques est essentielle. Rapport de l’ambassadeur de Venise, 1546.
LANGUE VULGAIRE : langue courante
(autre que le latin) parlée par
l’ensemble de la population.

28
Humanisme et Renaissance

Les Médicis
La famille des Médicis est considérée comme un symbole de la réussite tant financière que
politiqueH de la Renaissance. Beaucoup d’entre eux sont les MÉCÈNES d’artistes célèbres,
dont Botticelli, qui les représentent dans leurs œuvres. Florence est alors considérée
comme la capitale de la Renaissance. Cette famille de banquiers qui dirige Florence pen-
dant un siècle, puis fonde le Grand-Duché de Toscane, compte trois papes et deux reines
de France, Catherine et Marie de Médicis. Toutefois, à Florence, son pouvoir s’est établi
par la violence, la corruptionH et l’exil forcé de ses adversaires.

17
MÉCÈNE
Personne qui aide
financièrement un
artiste et qui lui
commande des
œuvres.


 Dans cette œuvre figurent plu-


 sieurs membres de la puissante
  famille de Médicis : Laurent (le
Magnifique)  ; Cosme (l’Ancien)
 ; Pierre  ; Jean  et Julien .
Botticelli s’est représenté à l’ex-
trême droite du tableau .

Sandro Botticelli, L’Adoration des mages, temperaH sur bois, vers 1476.

18
Laurent de Médicis, dit le Magnifique (1449-1492)
« Laurent de Médicis songea ensuite à rendre sa cité plus grande et plus belle. Comme elle
renfermait beaucoup d'espaces dépourvus d'habitations, il fit tracer sur ces terrains de
nouvelles rues pour y construire des bâtiments, ce qui la rendit plus belle et plus grande.
Grâce à lui, la ville, chaque fois qu'elle n'était pas en guerre,
était perpétuellement en fête, assistant à des tournois, à des 19
cortèges où l'on représentait les événements et les hauts
faits de l'Antiquité. Son but était de maintenir l'abondance
dans la patrieH, l'union parmi le peuple et de voir la noblesse
honorée. Il chérissait et s'attachait tous ceux qui excellaient
dans les arts ; il protégeait les gens de lettres. […] Laurent
faisait surtout ses délices de la musique, de l'architecture,
de la poésie. »
Nicolas Machiavel (1469-1597), penseur humaniste,
t cette
Histoires florentines, vers 1520. édicis a offer man
Laurent de M su lta n ot to
80, au
médaille, en 14 enté en empereur
re prés
Mehmed II, de l’ar-
ur le remercier frère
sur un char, po r de so n
eurtrie
restation du m
Julien.

EXIL FORCÉ : expulsion d’une personne hors de sa patrie.

29
2

La Renaissance artistique
L’humanisme se manifeste également en peinture, en sculpture, en architecture. Au début du XVe siècle, les
artistes florentins et flamands s’inspirent pour leurs œuvres des formes de l’Antiquité, tout en perfectionnant
de nouvelles techniques. Cette RENAISSANCE des arts, qui se diffuse progressivement dans le reste de l’Europe,
est favorisée par des familles fortunées qui protègent les artistes.

À la Renaissance, le développement des arts et des auxquels ils passent des commandes. Dans les contrats,
lettres est soutenu par de nombreux mécènes : les les commanditaires peuvent demander une esquisse de
princes, les souverains, l’Église, les nobles mais aussi les l’œuvre et imposer les conditions de réalisation.
riches bourgeoisH. Ils aident financièrement les artistes

20

« Francesco, prieur de l'hôpital, s'en remet à Domenico Ghirlandaio et


le charge de peindre un panneau […] ; Domenico doit peindre ce tableau
entièrement de sa propre main, selon le modèle dessiné sur le papier,
RENAISSANCE avec les personnages et de la manière qui sont indiqués, dans tous les
Courant artistique né détails selon ce que moi, Fra Bernardo juge le mieux ; et sans s'écarter
en Italie au XVe siècle
et qui se répand dans de la manière de la composition de ce dessin. Il doit peindre le tableau
toute l’Europe au tout entier à ses propres frais avec des couleurs de bonne qualité et de la
XVIe siècle. poudre d'or sur les ornements comme il se doit […]. Il doit avoir achevé
et livré ce tableau d'ici trente mois. Il recevra pour prix de ce tableau […]
115 gros florins s'il me semble à moi, Fra Bernardo, qu'il les vaut. »
 Comptes de l’Hôpital des Innocents, Florence (I), 1485.

La peinture
21

Michel-Ange, La Création d’Adam, détail de la fresque du plafond de la chapelle Sixtine, Rome (I), vers 1511.

Si les artistes de la Renaissance imitent l’Antiquité, ils innovent également. Les peintres,
par exemple, utilisent dorénavant la perspective. Ils construisent leurs tableaux selon des
règles mathématiques autour d’un point vers lequel convergent les lignes de fuite (le point
de fuite). Plus les personnages sont éloignés, plus leur taille diminue. Ainsi,
ces éléments donnent au spectateur une impression de profondeur. Par ail- a (1431-1506)
Andrea Mantegn procès pour
leurs, les scènes représentées, religieuses ou mythologiques, sont intégrées en
s’est trouvé
e dix des douze
dans des paysages réalistes. Enfin, la beauté du corps humain est célébrée n’avoir peint qu ’il manquait
pa rce qu
par la représentation de corps nus. apôtres s
représenter le
d’espace pour
douze.
FLORIN : monnaie utilisée à Florence.

30
Humanisme et Renaissance

22

23

« Annonciation », enluminure sur Piero della Francesca, L’Annonciation,


parchemin tirée du Psautier de Saint- huile et temperaH sur bois, vers 1469.
Alban, vers 1130-1145.

Les peintres flamands comme Jan van Eyck (1390-1441) sont les premiers à maîtriser la
technique de la peinture à l’huile. Cette invention permet d’obtenir d’excellents résultats
au niveau de la brillance et de l’éclat des couleurs. Elle facilite la réalisation de tableaux
de petite taille destinés à une clientèle privée. Les œuvres des peintres flamands sont
ainsi très appréciées en Italie, en Espagne et au Portugal.

25
24
Jan van Eyck commença à réfléchir afin de trouver le moyen
de faire une sorte de vernis qui sécherait à l'ombre, sans
qu'on soit obligé de mettre la peinture au soleil. Après avoir
expérimenté beaucoup de choses, l'huile de lin et l'huile de
noix, bouillies avec d'autres mélanges, lui donnèrent le ver-
nis désiré. La renommée de l'invention s'étant répandue en
Flandres, en Italie et ailleurs, fit naître chez les artistes un très
grand désir de savoir par quel moyen il communiquait tant de
perfection à son œuvre.
Adapté de Giorgio Vasari (1511-1574), peintre, architecte et écrivain toscan,
Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, Florence (I), 1568.

Jan Van Eyck, Portrait des époux


Arnolfini, huile sur bois, 1434.

Les artistes flamands du XVe siècle bénéficient aussi de la traduction et


de l’édition d’ouvrages de savants arabes, notamment sur l’optique. La
maîtrise de la fabrication du verre leur permet de réaliser des miroirs. Ce
signe extérieur de richesse est souvent représenté dans les tableaux fla-
mands. Sa présence permet au peintre, par l’image qui s’y reflète, d’ajouter OPTIQUE : science relative
une profondeur au tableau. à la lumière et à la vision.

31
2

Le portrait : symbole de la réussite sociale


Au XVIe siècle, les portraits se multiplient. Les familles riches, sans titre de noblesse, imitent
l’aristocratieH et affichent ainsi leur réussite sociale. Les commanditaires imposent parfois
la présence de personnes de leur entourage dans l’œuvre. Sandro Botticelli (1445-1510)
représente à plusieurs reprises Simonetta Vespucci (1453-1476), épouse de Marco Ves-
pucci et maîtresse de Julien de Médicis, qui est considérée comme la plus belle femme
de son époque.

26 27

Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus, tempera sur bois, vers 1485.

Sandro Botticelli, Simonetta Vespucci,


tempera sur bois, vers 1480-1485.

Le peintre représenté dans son œuvre


À la Renaissance, les autoportraits connaissent également un fort développement. Albrecht
Dürer (1471-1528) est un des premiers artistes à en réaliser. Ses voyages en Italie lui per-
mettent d’introduire plus tard en Allemagne certaines innovations comme la perspective.
Il doit surtout son succès à ses gravures, dont l’imprimerie permet une large diffusion.

28

Sur ce tableau sont représentés le pape et


l'empereur couronnés par la Vierge et l'en-
fant Jésus, avec un autoportrait du peintre
(en haut à droite).

ROSAIRE : guirlande de roses


qui couronne habituellement
la Vierge. Ici, guirlandes
couronnant l’empereur
Albrecht Dürer, La Fête du Rosaire, huile sur bois, 1506. Maximilien et le pape Jules II.

32
Humanisme et Renaissance

L'architecture
Comme la peinture, l’architecture opère un 29
retour vers l’antique. Le traité de l’archi-
tecte Vitruve, d’époque romaine, inspire les
artistes de la Renaissance. L’un des chefs-
d’œuvre de l’architecture italienne est
la coupole du dôme de Florence, réa-
lisée de 1420 à 1436, sous la direc-
tion de Brunelleschi. Il s’agit de la
première coupole construite depuis
l’Antiquité. Rues droites, formes géo-
métriques et édifices symétriques
redessinent les villes.

Le dôme de Florence, cathédrale Santa Maria del Fiore, 1296-1436.

30

La Cité idéale, panneau attribué à Fra Carnevale, huile et tempera sur bois, 1480-1484.

Ces nouvelles tendances en architecture gagnent la France dès le début des guerres
d’Italie (1494-1559). Les châteaux de la Loire, dont celui de Chambord, construit par
le roi François Ier, mélangent des
éléments antiques et médiévaux, 31
comme la présence d’un donjon et
de tourelles d’escaliers.
Pour son projet, le roi fait venir Léo-
nard de Vinci à sa cour en 1516.
Il lui demande de concevoir des
projets d’architecture et d’organiser
ses fêtes en échange d’une somme
confortable de 1000 écus d’or par
année et d’un château, celui du
Clos Lucé.

Façade nord-ouest du château de Chambord,


construit entre 1519-1547 par François Ier.

33
3

L’EUROPE À LA RENCONTRE
DU MONDE
EMPIRE
AZTÈQUE

Tenochtitlan

Mayas
OCÉAN
PACIFIQUE

BAHAMAS
CUBA

ANGLETERRE
OCÉAN
ATLANTIQUE
Allemagne FRANCE
ROYAUMES
Constantinople INDIENS
ESPAGNE
PORTUGAL EMPIRE OTTOMAN

MER
MÉDITERRANÉE

EMPIRE
INCA EMPIRES
ET ROYAUMES O
AFRICAINS IN

Machu
Picchu
Cuzco

OCÉAN
ATLANTIQUE

Vers 1000 1511


Vers 1445 Prise de
Fondation d’une colonie Fondation de la
à Terre-Neuve (Canada) Tenoch-
ville de Machu titlan
par l’Islandais Leif Erikson Picchu

Empire aztèque

Empire inca

Exploitation des colonies

1400 1500
1271-1295 1453 1492 1498 1519-1522 1534-1535
Voyage et Prise de Arrivée Arrivée Tour du 1re expédition
séjour de Constanti- de Colomb de Vasco monde de de Cartier
Marco Polo nople aux de Gama Magellan au Canada
en Chine Bahamas en Inde

34
JAPON
APPRENTISSAGES VISÉS
EN ÉTUDIANT CE THÈME, TU APPRENDRAS À :
OCÉAN
PACIFIQUE
– décrire les conditions (techniques, politiques, économiques,
scientifiques) qui ont permis les grandes expéditions maritimes ;
– décrire les échanges entre les Européens et les peuples d’Amérique
EMPIRE
CHINOIS et d’Asie ;
– décrire les étapes de la conquête des empires amérindiens ;
– expliquer l’évolution du commerce à l’échelle mondiale avant
et après 1492 (première mondialisation) ;
– distinguer les conséquences de la « découverte » de l’Amérique
selon différents points de vue (européens, amérindiens, etc.).

ROYAUMES
INDIENS AU TRAVERS DU THÈME, TU APPRENDRAS AUSSI
PROGRESSIVEMENT À :
– comparer et analyser des représentations d’un même événement
(la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb)
à différentes époques ;
– analyser la vision d’un peuple (les Amérindiens, les Européens :
Espagnols, Portugais) par un autre peuple à l’aide de diverses
sources (textuelles, iconographiques) ;
OCÉAN – comparer la représentation d’un même espace (le globe terrestre/
INDIEN
la Terre) à différentes époques ;
– argumenter autour de différentes interprétations d’un fait historique
que les Européens appellent les Grandes Découvertes.

1697
1572 Conquête
Dernière de la dernière
révolte inca de cité maya
Tupac Amaru

lonies

1600 1700
1585 1602 1616-1642 Vers 1825
Premières Fondation de la Expéditions Indépendance des
colonies Compagnie anglaise hollandaises colonies espagnoles
anglaises des Indes et de la dans le et portugaises
en Amérique Compagnie hollan- Pacifique d’Amérique
du Nord daise des Indes

35 35
3

Diagramme du globe terrestre selon Martin Behaim (1459-1507),


cartographe et navigateur allemand.

« Planisphère de Cantino », représentant


les découvertes portugaises, 1502.

Produits du Nouveau-Monde : haricots, pommes de


terre, cacao, manioc, tomates, hévéa, vanille, courges,
maïs, etc.

Amérindiens brésiliens Kayapó et Pataxó lors d’une mani-


festation devant le Congrès, Brasilia (BR), novembre 2015.

36
L’Europe à la rencontre du monde
Les échanges commerciaux entre l’Europe et l’Asie existent depuis l’époque romaine.
Au début du XVe siècle, ils sont aux mains des Vénitiens. Le récit du voyage de Marco
Polo (1254-1324), publié sous le nom de Livre des Merveilles du Monde et décrivant les
richesses extraordinaires de l’Asie, fait rêver les Européens.
Après la prise de Constantinople (l’actuelle Istanbul) par les Turcs en 1453, les Européens
cherchent de nouvelles routes pour atteindre ces contrées merveilleuses sans passer par
l’intermédiaire des marchands musulmansH. Ils souhaitent aussi convertir de nouvelles
populations au christianismeH. De grandes expéditions, rendues possibles grâce à diverses
innovations techniques, sont alors organisées à travers l’Atlantique : elles conduisent les
navigateurs européens, jusqu’alors habitués à la Méditerranée, à l’exploration des océans.
Les découvertes s’enchaînent en quelques années. Les Portugais, avec Vasco de Gama,
parviennent à contourner l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance et arrivent en Inde en
1498. Les Espagnols, avec Christophe Colomb en 1492, cherchent à atteindre l’Asie en
passant par l’ouest.
Ces voyages permettent aux Européens de découvrir des terres et d’entrer en contact
avec des peuplesH dont ils ignoraient l’existence. Après l’arrivée de Christophe Colomb en
Amérique (aux Bahamas) en 1492, les Espagnols découvrent les EmpiresH aztèque et inca
dont ils vont entreprendre la conquête, alors que les Portugais s’installent sur les côtes
du Brésil. Cette colonisation s’accompagne d’échanges commerciaux à l’échelle mondiale.

L’élargissement du monde connu des Européens

EUROPE
AMÉRIQUE
DU NORD
OCÉAN
PACIFIQUE OCÉAN
MOYEN-ORIENT ASIE
NORD ATLANTIQUE
NORD

OCÉAN
AFRIQUE PACIFIQUE

AMÉRIQUE OCÉAN
DU SUD INDIEN
OCÉAN
OCÉAN ATLANTIQUE
PACIFIQUE SUD AUSTRALIE
SUD

OCÉAN AUSTRAL

Terre connue des Européens vers 1400 Terre connue vers 1550
Océan connu des Européens vers 1400 Océan connu vers 1550

37
3

Le monde hors de l’Europe jusqu’en 1492


Au XVe siècle, de grandes civilisationsH s’épanouissent en dehors du continent européen : l’Empire ottoman,
plusieurs empires ou royaumes africains, l’Empire chinois ou, en Amérique, les Empires aztèque et inca.

À cette époque, les Européens sont déjà en concur- arabes et ensuite indiens, et traversé par la flotte chi-
renceH avec les Turcs pour la domination de la Médi- noise de l’amiral Zheng He (vers 1371-1433). De l’autre
terranée. Ils sont par contre peu présents dans l’océan côté de l’océan Pacifique, à l’écart de ces grands axes,
Indien. Principal lieu d’échanges commerciaux, celui-ci prospèrent les sociétésH amérindiennes.
est dominé par des réseauxH de marchands juifs, puis

1 Les grandes civilisations au XVe siècle

Europe Empire
ottoman Beijing
Constantinople
OCÉAN Japon
Empire
PACIFIQUE OCÉAN Le Caire perse Chine
NORD ATLANTIQUE Sultanat des Ming
Sultanat de Dehli
Empire aztèque NORD mamelouk OCÉAN
Royaumes PACIFIQUE
Tenochtitlan Mayas Empire Kanem- indiens
du Mali Aden
Bornou Royaumes sud-asiatiques
Vijayanagar
Abyssinie
Equateur
Port de Malacca

Empire
Royaume Majapahit
Cuzco de Kongo
OCÉAN
Empire INDIEN
inca Zimbabwe
OCÉAN OCÉAN
PACIFIQUE ATLANTIQUE
SUD SUD

Le monde familier des Européens Les grands empires inconnus du continent américain Les grands axes commerciaux

Les puissances économiques hors Europe Les empires ou royaumes africains Les plus grandes villes

L’Empire ottoman, puissance méditerranéenne


L'expansion ottomane en mer Méditerranée donne naissance à un immense empire qui
contrôle les voies commerciales entre l'Europe et l'Inde. Cet empire est l’adversaire de
certains ÉtatsH européens, tout en étant
le partenaire commercial des villes 2
italiennes, en particulier de Venise.
Constantinople, conquise par les Turcs
en 1453, en est la capitale.

« Vue d’ensemble de Constantinople en 1580 », gravure tirée de


Civitates Orbis Terrarum, atlas des villes du monde, 1572-1617.

38
L’Europe à la rencontre du monde

Les empires et royaumes d'Afrique


L’histoire des peuples d’Afrique subsaharienne est encore mal connue. Durant tout le
Moyen Âge, l’Afrique fournit la plus grande partie de l’or mondial. De grandes puissances
se développent dans la région du Sahel (Empires du Ghana, du Mali, etc.) et atteignent
leur apogée entre le VIIIe et le XVIe siècle. À partir du VIIIe siècle, un empire arabo-
musulman contrôle une bonne partie du bassin méditerranéen. Grâce à leurs caravanes
de dromadaires, les marchands arabes et berbères relient les rives de la Méditerranée
à l’Afrique de l’Ouest à travers le Sahara. Ils amènent le sel dont manquent les Africains
et l’échangent contre de l’or, de l’ivoire
et des esclavesH. Sur la côte de l’océan
3
Indien, des cités marchandes sont en
contact avec les navigateurs arabes,
indiens et chinois avec lesquels elles font
commerce d’or, d’ivoire et d’esclaves en
contrepartie d’étoffes, de perles de verre
et de céramiques. Le royaume d’Abys-
sinie, déjà converti au christianisme
au IVe siècle, est en déclin depuis le
Xe siècle. Vers 1440, les Portugais sont les
premiers Européens à avoir des contacts
directs avec les producteurs d’or de la côte
occidentale de l’Afrique. Ils achètent l’or
en faisant commerce d’esclaves capturés
« Kanga Moussa, empereur du Mali, tenant une pépite d’or », tiré
dans le golfe de Guinée. d’Abraham Cresques, Atlas catalan, dessin à la plume, XIVe siècle.

Des empires prospères en Asie


L’immensité de l’Asie permet à plusieurs grands ensembles de se distinguer. Chacun jouit
d’une civilisation raffinée, dispose d’une administrationH efficace et d’une agriculture
productive. L’Empire chinois de la dynastieH des Ming est le plus important au XVe siècle.
Deux siècles après la description qu’en a faite Marco Polo dans son Livre des Merveilles du
Monde, Beijing, la capitale, est l’une des plus grandes villes du monde. En Inde et dans le
Sud asiatique, d’autres États prestigieux contrôlent d’importants territoires. Ils participent
tous aux échanges commerciaux qui les relient aux côtes de l’Afrique et aux sociétés
islamisées de l’Arabie et de la Perse.

5 Z
 HENG HE (1371-1433)
Jeune musulman
capturé à l’âge
de 13 ans lors de
l’invasion de sa province,
Zheng He est intégré à la cour
impériale chinoise. Il y gravit les
Porte de l’Harmonie Suprême, deuxième porte principale échelons, jusqu’à être nommé
située au sud de la Cité interdite, Beijing (CN), XVe siècle.
amiral. C’est à ce titre qu’il prend
la tête de grandes expéditions
SUBSAHARIENNE : située au sud du désert du Sahara. dans tout l’océan Indien en vue
APOGÉE : ici, le plus haut niveau atteint par un pays, d’échanges commerciaux.
une civilisation.
BERBÈRES : peuple originaire d’Afrique du Nord.

39
3

Des civilisations millénaires en Amérique


En Amérique du Sud, en Amérique centrale ainsi qu’au Mexique, plusieurs peuples se
succèdent depuis le IIe millénaire av. J.-C., parmi lesquels les Olmèques, les Mayas, les
Aztèques et les Incas. Ils descendent d’ancêtres communs, venus d’Asie il y a au moins
40 000 ans par le détroit de Béring, alors franchissable grâce aux glaciations. Ils ont chacun
leur organisation politiqueH et sociale, une religionH polythéiste et leurs coutumesH. Les
Empires aztèque et inca sont très étendus.

Les Mayas
Les Mayas occupent une zone allant du sud-est du Mexique (Yucatán) au Honduras, en pas-
sant par le Guatemala et le Belize. Ils ne constituent pas véritablement un empire dirigé par
un souverainH, mais s’organisent plutôt en cités-États disposant chacune de son propre sys-
tème de gouvernementH. Les Mayas, qui ont une grande maîtrise de l’astronomie, ont mis
au point des calendriers perfectionnés.
Leur écriture compte plus de 1000  signes
mais, comme la plupart des codexH ont 6
été détruits en 1562, elle n'est pas
encore complètement déchiffrée. Leur
civilisation se distingue aussi par une
architecture monumentale, notamment
des templesH-pyramides, des palais, des
observatoires, etc. Au XVe siècle, la civi-
lisation maya est en déclin et les grands
centres ont été abandonnés par leur
population depuis longtemps.

7 Pyramide de Kukulcán, Chichén Itzá,


Yucatan (MX), IX-XIIe siècle.

Observatoire astronomique de Chichén Itzá,


Yucatan (MX), IX-XIIe siècle.

« Le dieu Quetzalcóatl »,
enluminure tirée du Codex
de Madrid, XIIe-XVe siècle.

40
L’Europe à la rencontre du monde

L'Empire aztèque
Les Aztèques se sont établis dans le haut plateau central du Mexique où ils ont fondé
leur capitale, Tenochtitlán (l'actuelle Mexico), en 1325. Tribu de guerriers, ils conquièrent
rapidement un vaste territoire. La société aztèque est dominée par un empereur, entouré
de prêtres et de noblesH. Son administration se fait au moyen d'une écriture particulière.
Les Aztèques vivent essentiellement de l'agriculture (maïs, haricots, pommes de terre,
etc.) et du commerce. Pour éviter que leurs nombreux
dieux ne perdent leurs forces, ils les « nourrissent »
9
en leur offrant du sang humain. Ils sacrifient ainsi
différentes victimes, des prisonniers de guerre, des
esclaves, des enfants.

10

« Sacrifice humain devant le temple de Tenochtitlán »,


enluminure tirée du Codex Durán, 1576-1581.

« Plan de la cité aztèque de Tenochtitlán (Mexico)


et schéma du golfe de México », réalisés par un
compagnon de Hernán Cortés, 1524.

L'Empire inca
Basé le long de la cordillère des Andes, l’Empire inca est dirigé par un souverain au pou-
voir absolu, l’empereur, le « fils du Soleil », considéré comme d’origine divine. Les Incas
vivent surtout de l’agriculture qu’ils pratiquent sur
des terrasses aménagées aux flancs des montagnes. 11
Leurs outils sont en bois et en pierre. Ils élèvent des
lamas, des alpagas et travaillent les métaux précieux
(or, argent, cuivre). Ce sont d’excellents bâtisseurs.
La discipline est très stricte : le travail au service de
l’empire est obligatoire. Pour honorer leurs dieux, les
Incas leur consacrent des offrandes, plus rarement
des sacrifices, parfois humains.

Machu Picchu,
cité sanctuaire
inca, Pérou,
XVe siècle.

POINTS COMMUNS ENTRE LES DIFFÉRENTS PEUPLES AMÉRINDIENS :


– Une agriculture basée sur des céréales – Pas d’outils en fer.
et des plantes inconnues en Europe. – Connaissances étendues en
– Peu d’animaux domestiques (lamas, mathématiques et en astronomie.
dindes, chiens, etc.), pas de chevaux. – Navigation peu développée.
– La roue n’est pas utilisée. – Constructions monumentales.

41
3

L'élargissement du monde connu des Européens


Depuis l’Antiquité, les civilisations asiatiques sont à la source du commerce des épices (poivre, cannelle, mus-
cade, safran, girofle, gingembre, etc.). L’origine lointaine de ces produits, leur rareté et leur prix en font une
denrée de luxe très recherchée par les Européens. La prise de Constantinople par les Turcs en 1453 risque de
couper la route terrestre qui mène aux ports de l’océan Indien où se rencontrent les commerçants des deux
parties du monde. Pourquoi ne pas essayer d’éviter cette difficulté en cherchant un accès maritime ?

Au XVe siècle, les Européens poursuivent leurs avan- de plus en plus lointaines. Atteindre les Indes par la
cées techniques dans le domaine de la navigation. En mer ne paraît alors plus impossible. Les navigateurs
s’inspirant de l’évolution de la caraque depuis le Moyen portugais cherchent un passage par l’est, en tentant
Âge, les Portugais mettent au point un nouveau navire, de contourner le continent africain, alors que les Espa-
la caravelle, qui est un voilier de petite taille, léger, gnols misent plutôt sur la direction de l’ouest.
rapide et très maniable. Des cartes nautiques de plus
en plus précises (comme les portulans), la boussole,
l’astrolabe permettent aux marins de mieux se repérer 12
et s’orienter. La plupart de ces innovations favorisent
des expéditions aventureuses pour des destinations

Représentation de la
Victoria, caraque de
Fernand de Magellan,
premier bateau à avoir
accompli la navigation
autour du globe, détail
d’une carte d’Abraham
Ortelius, Theatrum Orbis
Terratum, 1590.

CARAQUE : grand navire à coque arrondie, l'un des


premiers navires européens à pouvoir s'aventurer
sur les océans.
PORTULAN : carte de navigation servant à repérer
les ports et les dangers qui les entourent.

13
Martin Behaim, marin et artiste de Nuremberg, se met
au service du Portugal et participe à une expédition
le long des côtes de l’Afrique en 1484-1485. Le
globe terrestre qu’il réalise ensuite, le plus
ancien connu, reflète l’état des connais-
sances de son époque : l’Amérique n’y
figure pas et l’océan Indien, encore lar-
gement inexploré, est représenté ouvert
au sud, avec quelques îles semées
au hasard. Ce tracé de la Terre, géo-
graphiquement imprécis, s’appuie
encore beaucoup sur des sources
antiques, telles que La Géographie
de Ptolémée, et des récits médié-
vaux (dont celui de Marco Polo).

Le globe terrestre de Martin


Behaim, 1492, copie en
plâtre peint datant de 1847.

42
L’Europe à la rencontre du monde

Les grandes expéditions européennes


Les voyages s’enchaînent. En 1487, les Portugais atteignent le cap de Bonne-Espérance,
à la pointe de l’Afrique. En 1498, Vasco de Gama poursuit dans cette voie et parvient aux
Indes. En 1500, Cabral accoste au Brésil en cherchant à contourner l’Afrique en partant
loin au large.
Au service des rois d’Espagne, Christophe 14
Colomb, un navigateur génois, part en 1492
avec trois bateaux pour chercher une route par Je vous écris cette lettre, pour que vous sachiez que je
l’ouest, vers l’Asie. Il débarque sur une île des suis arrivé aux Indes en vingt jours. L’île Espagnole est
Bahamas, convaincu d’être arrivé aux Indes. une véritable merveille. La terre en est si belle qu’elle
Il entreprendra encore trois expéditions. En semble également appropriée pour semer et cultiver,
1519, Magellan franchit, à la pointe sud du pour élever n’importe quelle classe de bétail, ou pour
construire des villes et des villages. Il y a beaucoup de
continent américain, le détroit qui lui per-
grandes rivières, dont l’eau est excellente ; et la plupart
met d’accéder à l’océan Pacifique et qui porte
d’entre elles charrient de l’or. Les habitants de cette île
désormais son nom. Malgré son décès aux Phi-
ne connaissent pas le fer, ni l’acier ; ils ne possèdent pas
lippines, son expédition revient à Séville, son d’armes et ne savent pas s’en servir.
point de départ, en 1522 : le premier tour du
 Adapté de la première lettre des Indes
monde est réalisé et son journal de bord est de Christophe Colomb, éditée en 1493.
publié en plusieurs langues dès 1526.

15 Voyages de quelques grands navigateurs

EUROPE
AM É R I Q U E ASIE
DU NORD
MOYEN-ORIENT

OCÉAN
OCÉAN PACIFIQUE
ATLANTIQUE AFRI Q UE
OCÉAN
PACIFIQUE
Equateur

AM É R I Q U E
D U SU D OCÉAN
INDIEN

AU S T R A L I E

Cap de
Bonne-Espérance

Détroit de
Magellan OCÉAN AUSTRAL

Christophe Colomb (1492-1493) Pedro Alvares Cabral


0 (1500-1501)
2000 km

Jean Cabot (1497-1498) Fernand de Magellan (1519-1522)


Vasco de Gama (1497-1498) Jacques Cartier (1534-1542)

D’autres États participent à ce mouvement. Au service du roi d’Angleterre, Jean Cabot


atteint les côtes de l’Amérique du Nord en 1497 et 1498. Quant à Jacques Cartier, c’est
pour le compte de la couronne française qu’il accoste au Canada, à l’embouchure du fleuve
Saint-Laurent, en 1535.
phie de Ptolé-
15 07 , on ré édite La Géogra gée vers 150
En di
géographique ré l’Amérique.
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43
3

Les conquistadors face aux peuples amérindiens


Après la découverte de l’Amérique par les Européens débute une phase de conquête. Au début du XVIe siècle, des
aventuriers et des hommes de guerre se lancent à l’assaut des terres où vivent les civilisations amérindiennes.

Ceux que l’on appelle les conquistadors s’emparent aussi des rivalités importantes existant entre les divers
rapidement et par la violence de territoires immenses. peuples amérindiens.
Ils bénéficient de la supériorité de leur armement, mais

La conquête du Mexique
Après avoir entendu parler des richesses en or du Mexique, l’Espagnol Hernán Cortés, qui
a passé quatorze années à Cuba, décide d’envahir l’Empire aztèque, peuplé de 20 mil-
lions d’habitants. En 1519, il est reçu par l’empereur Moctezuma à Tenochtitlan, capitale
de l’Empire aztèque. L’empereur est fait prisonnier, puis tué et son territoire soumis aux
Espagnols.

16 LA MALINCHE   ( vers 1502-1529 ) 17

Esclave des Mayas, « Quand ils offrirent aux Espagnols des colliers
Malinche est offerte au d’or, et quand ils leur eurent fait ces présents,
conquistador Hernán leur visage s’éclaira, grande fut leur joie, ils
étaient aux anges. »
Cortés. Elle devient sa
Bernardino de Sahagún (vers 1500-1590), missionnaireH
compagne et lui donne un fils. franciscain espagnol, Codex de Florence (ouvrage interdit
Elle est aussi son interprète lors sur ordre du roi d’Espagne), vers 1575.
de la conquête de l’Empire aztèque. Son nom
est aujourd’hui symbole de trahison, mais elle
est aussi parfois vue comme la « mère » du
Mexique moderne et métissé.
19

18
Paroles de Moctezuma rapportées
Un conquistador espagnol reçoit de l'or :
par Cortés
– L’Inca : Vous mangez cet or ?
« Quelques-uns nous ont assuré que vous étiez – L’Espagnol : Cet or, nous mangeons.
des dieux, que des bêtes farouches vous obéis-
saient, que vous teniez les foudres entre vos
mains, et que vous étiez assoiffés d’or. Cepen-
dant je reconnais que vous êtes des hommes
comme nous. Ces bêtes qui vous obéissent
sont, à mon avis, de grands cerfs que vous avez
apprivoisés. Ces armes qui ressemblent à la
foudre sont des tuyaux d’un métal que nous ne
connaissons pas, dont l’effet est pareil à celui
de nos sarbacanes. Nous savons que le prince à
qui vous obéissez descend de notre dieu Quet-
zalcoatl. Une prophétie dit qu’il est allé conquérir
de nouvelles terres à l’est et qu’il a promis que
ses descendants reviendraient. »
Hernán Cortés, première lettre à l’empereur Charles QuintH
sur la découverte et la conquête du Mexique, mars 1521.
« Un conquistador espagnol recevant des présents
en guise de rançon de l’empereur Atahualpa »,
dessin à l’encre tiré de Guamán Poma de Ayala,
chroniqueur inca, La Première Nouvelle Chronique
et le Bon Gouvernement, 1615.

CONQUISTADOR : mot espagnol qui désigne un


conquérant de l’Amérique centrale et du Sud.

44
L’Europe à la rencontre du monde

Le prêtre Bartholomé de Las Casas est célèbre pour sa dénonciation des massacres commis
par les Espagnols à travers son principal ouvrage Très brève relation de la destruction des
Indes, interdit par l'Inquisition espagnole en 1659.

20
Alors que les Indiens étaient si bien disposés à leur égard, les chrétiens ont envahi ces
pays tels des loups enragés qui se jettent sur de doux et paisibles agneaux. Et comme tous
ces hommes qui vinrent d’Espagne étaient assoiffés de richesses, ils détruisirent ces pays.
[…] Voici les causes pour lesquelles, dès le commencement, furent tuées tant et tant de
personnes : en premier lieu, tous ceux qui sont venus ont cru que, s'agissant de peuples
infidèles, il leur était loisible de les tuer ou de les capturer, de leur prendre leurs terres, leurs
biens et leurs domaines, sans en faire aucune conscience de ces choses ; en second lieu, ces
mêmes infidèles étaient les êtres les plus doux et les plus pacifiques du monde, totalement
dépourvus d'armes ; à quoi s'est ajouté que ceux qui sont venus, ou la plupart d'entre eux,
étaient le rebut de l'Espagne, un ramassis de gens convoiteux et pillards.
Adapté de Bartolomé de Las Casas (1474-1566), prêtre dominicain et historien,
Très brève relation de la destruction des Indes, 1552.

La conquête du Pérou
De 1531 à 1533, Francisco Pizarro conquiert l’Empire inca. L'empereur inca Atahualpa
accueille les Espagnols, cependant il est arrêté ; une rançon est payée, mais il est mis à
mort. Par la suite, la résistance inca se développe dans tout le pays, et les Espagnols, assié-
gés dans la ville de Cuzco, se retrouvent dans une situation difficile. Mais lorsque Túpac
Amaru, neveu d’Atahualpa et dernier empereur inca, est décapité en 1572, la résistance
à la domination espagnole cesse.

21

22
« Laissez-nous donc mourir, laissez-nous donc périr,
car nos dieux déjà sont morts. Vous nous dites que
nos dieux ne sont pas vrais. C'est une parole nouvelle
que vous nous dites ; elle nous trouble, elle nous cha-
grine... Car nos ancêtres, ceux qui ont été, ceux qui
ont vécu sur Terre, n'avaient pas coutume de parler
ainsi... Et maintenant nous détruirions l'ancienne
règle de vie ? Nous ne pouvons pas rester indifférents,
nous ne pouvons vraiment pas le croire, nous ne l'ac-
ceptons pas pour vérité, même si cela vous offense. »
Bernardino de Sahagún (vers 1500-1590), missionnaire
franciscain espagnol, compte rendu de rencontres entre
missionnaires et prêtres aztèques, vers 1564.

« La capture de Túpac Amaru, dernier fils de


l’empereur inca, en 1572 », dessin à l’encre tiré
de Guamán Poma de Ayala, chroniqueur inca,
La Première et Nouvelle Chronique INQUISITION : tribunal religieux créé
et le Bon Gouvernement, 1615. au XIIIe siècle par l’Église catholique
pour combattre les hérésiesH.

45
3

L’exploitation de l’Amérique
Suite aux conquêtes sur le continent américain, les Espagnols dominent les Antilles ainsi que l’Amérique
centrale et andine. Les Portugais, quant à eux, occupent les côtes du Brésil. L’exploitation des richesses de ces
nouvelles possessions se met en place.

Les Européens créent une administration pour gouver- service de leurs conquérants et se voient imposer une
ner les régions du nouveau continent. Ils s’approprient autre culture (religion, langue, etc.). Victimes de mala-
les terres et les mines d’or et d’argent. Les populations dies et de mauvais traitements, elles disparaissent
amérindiennes se retrouvent obligées de travailler au progressivement.

Des conversions forcées


Dès le début de la conquête, les missionnaires brûlent les textes (autodafés) et les objets
sacrés, détruisent les temples aztèques ou incas pour construire des églises. Ils entre-
prennent ensuite la conversion des élites au christianisme, éduquant les enfants dans
des couvents pour les couper de leurs traditions. Le succès des missionnaires résulte de
l’utilisation des langues locales et de la protection qu'ils offrent aux Amérindiens face aux
sévices des conquistadors. Mais les conversions restent souvent superficielles.

23

Les codex rédi


gés par des Am
et par des m érin
issionnaires dé diens
les Empires crivent
inca ou aztè
conquête espa que et la
gnole. Illustré
sés avec l’aide s et réali-
d’artistes amér
dénoncent les indiens, ils
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populations lo étaient
représentent cales. Ils
des
pour notre conn sources précieuses
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précolombienne ssance des culturesH
s.

« Autodafé d’objets sacrés »,


dessin à l’encre tiré du Codex
de Tlaxcala, XVIe siècle.

Le choc microbien
Les populations amérindiennes sont touchées par des mala- 24
dies venues d’Europe, d’Afrique et d’Asie (grippe, choléra,
petite vérole ou variole, rougeole, paludisme, etc.). Elles n’ont
aucune défense immunitaire contre ces maladies nouvelles ;
c’est un « choc microbien ». En Europe, grâce aux échanges avec
l’Asie et l’Afrique, les populations ont de meilleures défenses
immunitaires ; cela leur permet de mieux résister aux microbes
venus d’Amérique. À l’arrivée de Christophe Colomb, 4 millions
d’Amérindiens habitaient les îles des Antilles. Cinquante ans
plus tard, ils avaient disparu. Avant 1492, on estime à plus de
25 millions le nombre d’Amérindiens peuplant le Mexique. Ce
chiffre tombe à environ 1 million en 1605. Au Pérou, durant
la même période, on passe d’environ 10 millions d’individus
à 1 million. « L’arrivée de la petite vérole », enluminure
tirée du Codex de Florence, 1575-1577.

46
L’Europe à la rencontre du monde

25
« Les pustules qui recouvraient les gens étaient horribles à voir ; beaucoup de gens en
mouraient, d'autres mouraient de faim ; la famine régnait et c'était chacun pour soi.
Sur certaines personnes, les pustules apparaissaient de façon sporadique et toutes ne
souffraient pas aussi grandement. Certains échappaient même à la mort. Toutefois, les
visages de la plupart étaient définitivement ravagés par ces pustules qui donnaient à
la peau une apparence rugueuse. Certains perdaient un œil ou devenaient aveugles. »
Bernardino de Sahagún (vers 1500-1590), missionnaire franciscain espagnol,
Codex de Florence (ouvrage interdit sur ordre du roi d’Espagne), vers 1575.

L'exploitation des Amérindiens 26


Au choc microbien s'ajoute l'exploitation de la main-d’œuvre amérin-
dienne : des milliers d’Amérindiens sont forcés à travailler dans les grands
domaines agricoles que les Européens ont créés, dans les mines d’or ou
d’argent. Mais beaucoup vont préférer risquer les châtiments des Espa-
gnols et fuir leur village, plutôt que de subir de mauvais traitements et
mourir des maladies dues à l’intoxication au mercure.

27
« On donna ainsi des Indiens à chaque chrétien sous prétexte qu'il
les instruirait dans la foi catholiqueH [...]. Le soin qu'ils prirent des
Indiens fut d'envoyer les hommes dans les mines pour en tirer de
l'or, un travail intolérable ; quant aux femmes, ils les plaçaient aux
champs, dans les fermes, pour qu'elles labourent et cultivent la
terre, ce qui est un travail d'hommes très rude. Ils ne donnaient
à manger aux uns et aux autres que des herbes et des aliments
sans consistance [...]. Les hommes moururent dans les mines
d'épuisement et de faim... »
« Scènes de tortures infligées aux
Bartolomé de Las Casas, prêtre dominicain et historien, Indiens refusant de se soumettre
Très brève relation de la destruction des Indes, 1552. aux Espagnols », dessin tiré de
Guamán Poma de Ayala, chroniqueur
inca, La Première et Nouvelle Chro-
nique et le Bon Gouvernement, 1615.
28
« Les Indiens demandent, de par leur nature et dans leur propre intérêt, à être placés
sous l'autorité des princes ou d'États civilisés et vertueux, dont la puissance, la sagesse
et les institutionsH leur apprendront une morale plus haute et un mode de vie plus digne.
Comparez ces bienfaits dont jouissent les Espagnols – prudence, invention, […] huma-
nité et religion – avec ceux de ces hommelets si médiocrement humains, dépourvus de
toute science et de tout art, sans monument du passé autre que certaines peintures aux
évocations imprécises. Ils n'ont pas de loisH écrites mais seulement des coutumes, des
traditions barbares. Ils ignorent même le droit de propriété. »
Juan Ginés de Sepúlveda (1490-1573), humanisteH et historiographe
de Charles Quint, Des justes causes de la guerre, 1544.

Le métissage culturel
Après leur conquête, les grandes civilisations disparaissent, mais les survivants aztèques
et incas convertis au christianisme gardent leur mode de vie, certaines de leurs coutumes
et parfois leur religion, tout en adoptant les mœursH et la langue des Espagnols. Certains
descendants de Moctezuma vont même occuper des fonctions administratives pour les
Espagnols. Chez les Incas, la transmission de l’héritage passait en grande partie par les PUSTULE : bouton
contenant du pus.
femmes, raison pour laquelle de nombreux capitaines espagnols vont épouser des nobles
SPORADIQUE : qui
incas pour acquérir des terres. C’est ainsi qu’apparaît un métissage culturel qui a permis se produit parfois,
la conservation d'une partie de la culture amérindienne jusqu’à nos jours. de temps à autre.

47
3

Un réseau commercial à l'échelle du globe


L’exploitation des richesses du Nouveau-Monde favorise le développement des échanges. L’Europe se retrouve
au cœur du commerce mondial. Les ports de l’Atlantique, comme Séville et Lisbonne, et de la mer du Nord,
comme Amsterdam et Anvers, jouent un rôle essentiel car ils reçoivent les produits d’Amérique et d’Asie.

Deux grands EMPIRES COLONIAUX naissent : celui amérindienne locale étant décimée par les maladies,
de l’Espagne, avec ses COLONIES d’Amérique et les c’est en Afrique que les puissances coloniales vont
Philippines ; celui, plus maritime, du Portugal, avec le chercher l’importante main-d’œuvre nécessaire à l’ex-
Brésil et divers comptoirs sur les côtes africaines et ploitation des mines, des plantations de canne à sucre
asiatiques. Les Provinces-Unies des Pays-Bas créent et ou de coton dans les colonies. Les esclaves sont ven-
exploitent également un vaste réseau de colonies et de dus en Amérique, puis les navires repartent chargés de
comptoirs. D’autre part, les Anglais et les Français vont produits rares, généralement à destination de l’Europe.
s’installer durablement en Amérique du Nord à partir Ce trafic où les esclaves sont considérés comme de la
de la première moitié du XVIIe siècle. La population marchandise constitue la traite atlantique.

29 Les empires coloniaux européens au XVIIe siècle


et les principales routes maritimes

Fourrures

Nouvelle-France
Épices,
Tabac, EMPIRE cotonnades,
teintures EMPIRE soieries, CHINE
Louisiane PERSE Nagasaki
Argent, teintures, Canaries OTTOMAN teintures Soieries, thé
cacao, café, Indes occidentales
sucre, coton EMPIRE Macao
CUBA Cap- MOGHOL Calcutta
Vert Bombay
SÉNÉGAL
Acapulco Gorée Goa Manille
Nouvelle-
Grenade Or, Esclaves Indes orientales
cacao
BRÉSIL
MOZAMBIQUE Épices,
Argent ANGOLA sucre, café
Or, diamants,
cacao, café,
sucre

Possessions européennes Flux commerciaux


de l’Espagne du Royaume-Uni Traite atlantique Grandes routes Terres inconnues en 1600
maritimes
du Portugal des Provinces-Unies Ligne de partage de Tordesillas (1494)
Sucre Principaux produits
de la France Ligne de partage de Saragosse (1529)

EMPIRE
COLONIAL H répar-
Ensemble des territoires esillas, le pape
TraitéH de Tord ols et les
qu’un État s’est approprié En 1494, par le le s Es pa gn
découvrir entre ns l’Atlantique. Le
sur la quasi-totalité tit les terres à da
tra çant une ligne e ligne
du globe. Portugais en
ss e, en 1529 , fixe une second ités,
Trai té de Sa ra go ci fiq ue . Ce s tra
fois dans le Pa ent
de partage, cette Anglais et les Français, exprim
pa r le s de .
contestés iner le mon
péenne de dom
la volonté euro

COMPTOIR : port établi par un État pour y faire du commerce.


TRAITE ATLANTIQUE : voir thème 10, page 148.

48
L’Europe à la rencontre du monde

L'échange colombien
Au milieu de ce développement commercial, des plantes, des animaux et des microbes
vont circuler entre les continents américain et européen. Cet échange biologique, appelé
ÉCHANGE COLOMBIEN, qui concernera aussi l’Asie, va entraîner une diffusion et une
uniformisation des plantes cultivées à l’échelle mondiale. Toutefois, l'adoption des nou-
velles cultures ne se fait pas au même rythme : si le maïs est introduit dès 1550 en
Italie, la culture de la pomme de terre ne va se développer qu'au XVIIIe siècle en
Europe. En Chine, par contre, le maïs et la pomme de terre sont cultivés dès
le XVIe siècle. Ces nouvelles cultures permettent une croissance démogra-
phique car elles réduisent les famines. ÉCHANGE
COLOMBIEN
Échange biologique (plantes,
x soldats animaux et microbes) entre
ait réservée au
cons om m at ion du cacao ét ap rè s un conquis- les différents continents
La gorantes. D’
pour se s ve rt us revi ge r to ute une après la découverte
peut voya
’on en a bu, on nourri- de l’Amérique par
tador , « lorsqu ue et sans av oi r be so in de
né e sa ns fa tig t de m on na ie : un les Européens.
jour ca cao servaien
s fève s de nt ai ne .
ture » Le e une ce
fèves, un esclav
lapin valait dix

ORGANISMES EUROPE, AFRIQUE ET ASIE AMÉRIQUE 30


COLONIE Animaux Vache, âne, poule, chèvre, cheval, Dinde, canard de Barbarie,
Territoire conquis, cochon, lapin, mouton, etc. cochon d’Inde, etc.
administré, exploité
et parfois peuplé Plantes Orge, café, avoine, canne à sucre, Pomme de terre, maïs, haricot,
par une puissance blé, etc. cacao, manioc, chicle (base du
étrangère. chewing-gum), hévéa (caout-
chouc), courge, patate douce,
tabac, tomate, vanille, etc.

Le Japon et la Chine à l'écart des échanges ?


Si, dès le milieu du XVIe siècle, le Japon s’ouvre au commerce européen grâce aux pre-
miers contacts avec les Portugais et les Espagnols, il va très vite se refermer ; vers 1640,
le shôgun (le dirigeant) ordonne l’expulsion des Européens. Quant à la Chine, elle résiste
aux tentatives d’invasions. Les Portugais obtiennent toutefois l’autorisation de créer un
comptoir à Macao en 1557. Quelques missionnaires s’établissent en Chine. Ils apprennent
le chinois, adoptent le costume chinois et adaptent le christianisme à la culture chinoise.
Mais, comme la Chine n’a pas besoin des produits des Européens, elle limite leur présence
afin de protéger son marché intérieur.

31 32
Les Fo-Lang-ki [les Portugais]
se sont montrés violents et
ont enfreint les lois ; ils ap-
portent des marchandises
pour faire le commerce […].
En outre, […] s’ils séjournent
longtemps, on peut soup-
çonner qu’ils espionnent. Il
convient donc de les expulser
tous.
Adapté du ministre chinois
des rites, vers 1522.

« L’arrivée des Portugais au Japon au XVIe siècle », panneau


d’un paravent, or et couleurs sur soie, Tokyo (JP), XVIIe siècle.

49
4

LES RÉFORMES RELIGIEUSES


e
AU XVI SIÈCLE

Édimbourg MER
DU
NORD

Londres
Wittenberg

Paris

OCÉAN
ATLANTIQUE Zurich

Trente
Genève

Madrid Rome

Centres de diffusion :
de la Réforme protestante MER
de la Réforme catholique
MÉDITERRANÉE

1517 1564
Vers 1450 1492 Thèses de 1536 Temple
Atelier 1478 Arrivée de Martin Luther, 1525 Réforme à calviniste
d’imprimerie Création de Colomb en début de la Réforme Genève, Neu- « de Paradis »
de Gutenberg l’Inquisition Amérique Réforme à Zurich châtel et Vaud à Lyon (F)

Humanisme

Concile de Trente

Affrontements religieux

1450 1500 1550


1492 1529-1531 1572
1054 Prise de Grenade, Guerres de Massacre
Schisme d’Orient dernière posses- Kappel (CH) de la Saint-
(Église orthodoxe) sion musulmane Barthélemy
en Europe

50
APPRENTISSAGES VISÉS
EN ÉTUDIANT CE THÈME, TU APPRENDRAS À :
– expliquer l’origine et la diffusion des réformes religieuses
du XVIe siècle ;
–d
 istinguer les caractéristiques du protestantisme de celles
du catholicisme ;
–e
 xpliquer les réactions de l’Église catholique ;
– expliquer l’influence de la religion sur la vie quotidienne.

AU TRAVERS DU THÈME, TU APPRENDRAS AUSSI


PROGRESSIVEMENT À :
– analyser les conséquences à court, moyen et long terme
d’un événement (les réformes religieuses) ;
– analyser un document iconographique selon les trois temps
(temps représenté, temps représentant, temps de visionnement) ;
– analyser différents moyens de propagande religieuse
(protestantisme, catholicisme) ;
– analyser la gestion de la diversité religieuse à différentes époques
(hier et aujourd’hui, ici et ailleurs) ;
– produire différents types de frises chronologiques.

1572
ssacre 1598 1685
Saint- Édit de Révocation de
élemy Nantes (F) l’Édit de Nantes

Règne de Louis XIV

Guerre de Trente Ans

1600 1650 1700


Style baroque 1656 1712
Première Deuxième guerre
guerre de de Villmergen.
Villmergen Paix nationale
(CH) d’Aarau (CH)

51
4

« On doit travailler […] à rendre


[notre temps] conforme aux
ordonnancesH de l’Église, et à
réformer tout ce qui s’y trouve
défectueux. »
Charles Borromée,
archevêque de Milan (1538-1584).

Les protestants expulsés de Locarno traversent


les Grisons en hiver, huile sur toile, Suisse, 1555.

Le Sac de Lyon par les Réformés calvinistes en 1562,


attribué à Antoine Caron (1521-1599), huile sur
bois, vers 1565.

Monument international de la Réformation (ou mur


des Réformateurs), érigé à Genève en 1917.

« Pour l’amour de Dieu, faites quelque chose de


courageux ! », timbre anniversaire commun à la
Suisse et à l’Allemagne, pour fêter les 500 ans
de la Réforme, 2019.

52
Les réformes religieuses au XVIe siècle
Comme d’autres religionsH, l’histoire du christianismeH connaît des moments de diver-
gences, d’orientations différentes. De l’Antiquité au XVIe siècle, les communautés chré-
tiennes s’opposent sur des questions d’organisation, d’idées ou de pratiques religieuses.
Ces désaccords entraînent parfois des séparations au sein de l’ÉgliseH et la création de
nouveaux courants religieux : au XIe siècle, ils conduisent à la naissance de l’Église ortho-
doxe et, au XVIe siècle, à la Réforme protestanteH.
L’idée humanisteH du retour aux sources existe aussi dans le domaine religieux. Dès le
XVe siècle, certains chrétiens demandent de revenir au message de la BibleH, qui prône
notamment une vie simple et modeste, alors que l’Église accumule les richesses et néglige
la formation des curés, trop souvent ignorants. En 1517, un moineH allemand, Martin
Luther, conteste l’autorité du papeH et dénonce publiquement la vente des indulgencesH,
qui assurent aux croyants leur place au paradis contre une somme d’argent. C’est le début
de la Réforme protestante.
Grâce notamment à l’imprimerieH, les idées de Luther se diffusent largement. Ainsi, le curé
de Zurich, Ulrich Zwingli, parvient en 1519 à convaincre les autorités que des changements
sont nécessaires. Six ans plus tard, le protestantisme devient la religion officielle de la ville.
En Suisse romande, ce sont, entre autres, Guillaume Farel et Jean Calvin qui introduisent
la Réforme dans les années qui suivent.
Pour lutter contre le protestantisme, mais aussi pour répondre aux attentes exprimées par les
catholiquesH eux-mêmes, le pape introduit une série de changements au sein de l’ÉgliseH ;
la Réforme catholique, parfois nommée Contre-Réforme, débute en 1545.
Dès le milieu du XVIe siècle, un principe politiqueH est appliqué : « Tel prince, telle reli-
gion ». Il signifie que la religion d’un peupleH est nécessairement celle de son souverainH.
Alors que de nombreux ÉtatsH adoptent la Réforme, d’autres restent attachés à l’Église
catholique, et c’est aussi le cas pour les cantonsH suisses. Ces divisions vont provoquer
dans toute l’Europe une longue période d’intolérance religieuse et de guerres sanglantes
au nom de la religion entre le XVIe et le XVIIe siècle.

La diffusion de la Réforme (XVIe siècle)


ROYAUME
DE
ROYAUME NORVÈGE ROYAUME
D’ÉCOSSE DE
SUÈDE
MER
DU ROYAUME
IRLANDE NORD DU
DANEMARK
ROYAUME
D’ANGLETERRE
Londres PAYS- PRUSSE
BAS
Berlin

Anvers
OCÉAN Wittenberg
Paris
ATLANTIQUE Nuremberg

La Rochelle
ROYAUME Bâle SAINT EMPIRE
DE FRANCE Luthériens

Bordeaux Zurich Calvinistes


Genève HONGRIE
Anglicans
Trente
Principaux foyers de
ROYAUME diffusion de la Réforme
DU Montpellier ÉTATS protestante
PORTUGAL Madrid DE Axes de propagation
L’ÉGLISE de la Réforme protestante
Lisbonne ROYAUME Catholiques
Rome
D’ESPAGNE Centres de la
ROYAUME Réforme catholique
MER DE
Axes de propagation
MÉDITERRANÉE NAPLES
de la Réforme catholique
Frontières en 1589
Limites du Saint Empire
0 500 1000 km

53
4

La Réforme protestante
À la fin du Moyen Âge, l’Europe est marquée par de nombreux changements. D’une part, son horizon s'est élargi
avec les explorations lointaines, d’autre part, de nouvelles découvertes scientifiques remettent en cause la
place de la Terre et de l'Homme dans l'univers.

Le 31 octobre 1517, Martin Luther, un moine allemand, Rome), les abus de l’Église et la corruptionH du clergéH.
affiche 95 thèses sur la porte de l’église de Wittenberg, Il remet en cause l’autorité du pape et prône un retour
en Saxe ; ce sont des arguments contestant la puissance à la simplicité de l’Église d’origine et aux enseigne-
des indulgences (dont le revenu est principalement ments du texte biblique.
destiné à l’édification de la basilique Saint-Pierre de

1 2
Certaines idées nouvelles commencèrent à se répandre, dirigées d’abord
contre l’autorité de l’Église romaine. Ce poison pestifère trouva son ori-
gine en Allemagne, dans la province de Saxe, avec les prédications de
Martin Luther […]. Le pape avait distribué dans le monde entier de très
amples indulgences qui pouvaient non seulement être utiles à ceux qui
sont encore en vie, mais offraient la possibilité de libérer des peines du
purgatoire les âmes des défunts. Tout cela n’avait en soi ni la moindre
vraisemblance ni la moindre autorité, car il était notoire qu’on ne les
accordait que pour extorquer de l’argent […]. En outre, les commissaires
dépêchés pour percevoir cet argent – dont la plupart achetaient le droit
de le faire – avaient, en bien des lieux, provoqué indignation et scandale,
surtout en Germanie où l’on voyait nombre de ces envoyés vendre à vil
prix ou jouer dans les tavernes (la remise des indulgences).
Adapté de Francesco Guicciardini (1483-1540), historien
et homme politique florentin, Histoire d’Italie, 1537-1540.
Lucas Cranach l’Ancien, Martin
Luther, huile sur panneau, 1529.

Le pape lui ordonne de se rétracter, ce que Luther refuse de faire. En 1520, il est exclu de
l'Église. Luther est protégé par plusieurs princes allemands qui refusent aussi le pouvoir
du pape, mais pour des raisons politiques. Ainsi encouragé, il organise une nouvelle Église
chrétienne, fondée sur ses thèses, qui prendra le nom d’Église protestante ou réformée.

3 4
Après ces débuts, […] Luther commença peu à peu à ôter les
images des églises, à dépouiller de leurs biens les domaines
ecclésiastiques, à permettre aux moines et aux moniales ayant
prononcé leurs vœux de se marier […] ; il niait aussi que le pouvoir
du pape s’étendît hors de l’évêché de Rome et affirmait que tout
évêque avait dans son diocèse la même autorité que le pape dans
celui de Rome ; il méprisait toutes les décisions des conciles et
les décrets des papes, et s’en tenait à l’Ancien Testament, […], à
tout ce que l’on comprend sous le nom de Nouveau Testament
[…] mais en donnant à ces écrits un sens nouveau et dangereux
grâce à des interprétations inouïes. Et la folie de cet homme et
de ses partisans ne s’arrêta pas là, mais suivi – peut-on dire
– par presque toute la Germanie […] il alla jusqu’à s’attaquer
Lucas Cranach le Jeune, Martin Luther et aux sacrements de l’Église, à mépriser jeûnes, pénitences et
les réformateurs de Wittenberg, avec leur confessions […].
protecteur le prince électeur Jean-Frédéric I  er Cette doctrine se répandit en bien des lieux, même hors de Ger-
de Saxe, huile sur bois, vers 1543.
manie, parce qu’elle libérait les hommes de nombreuses règles,
établies pour le salut de tous par […] l’Église […] et les saines
interprétations des saints docteurs, et permettait donc à tous
une forme de vie presque libre, qui faisait de chacun son propre
arbitre.
PURGATOIRE : dans la tradition catholique, Adapté de Francesco Guicciardini (1483-1540), historien
lieu où les âmes des défunts se purifient et homme politique florentin, Histoire d’Italie, 1537-1540.
avant d’entrer au paradis.
VIL PRIX : prix très bas.

54
Les réformes religieuses au XVI e siècle

5 6
86. Et encore : pourquoi le Pape, n'édifie-t-il pas la basi-
lique de Saint-Pierre de ses propres deniers, plutôt
qu’avec l’argent des pauvres fidèles, puisque son sac est
aujourd’hui plus gros que celui des plus gros riches ?
 Adapté de Martin Luther (1483-1546), théologien
et réformateur religieux, Les 95 thèses, 1517.

La basilique Saint-Pierre du Vatican, Rome (I),


construite entre 1506 et 1626.

7 Les principales caractéristiques de l’Église catholique à la fin du Moyen Âge

DOCTRINE CÉLÉBRATION ORGANISATION


Le salut est assuré par la foi La messe est célébrée L’organisation du clergé
et les bonnes actions. en latin par un prêtre est hiérarchique
La source de la foi est la dans une église. (le pape, aidé par
Bible, écrite en latin. Seul le les cardinaux, les
Les églises sont ornées
prêtre peut l’interpréter. évêques, les prêtres).
de sculptures et de
Il y a sept sacrementsH : bap- peintures pour glorifier Le pape est le chef de
tême, eucharistie, pénitence, Dieu et instruire l’Église.
confirmation, mariage, ordi- les fidèles.
Les membres du clergé
nation, onction des malades.
font vœu de célibat.
Vénération de la Vierge
et des saints.

LA
RÉFORME
Ensemble des mouvements et
Une nouvelle Église des idées amenés par des réfor-
Puisque toute réconciliation entre les partisans de la RÉFORME et le pape mateurs issus de l’Église catho-
lique. La Réforme conduit à
semble impossible, les réformés, à la suite de Luther, mettent en place leurs la formation des Églises
propres Églises. La Bible est leur seule référence : chaque croyant doit pouvoir protestantes au
la lire et l’interpréter librement. Les réformateurs vont ainsi la traduire dans les XVIe siècle.
différentes langues régionales. Les protestants conservent les seuls sacrements
institués par Jésus et attestés dans la Bible : le baptême et l’eucharistie. Les Églises
protestantes ne connaissent pas de hiérarchie. Tous les croyants doivent participer
à la transmission de la parole de Dieu. Cependant, il existe certaines fonctions particu-
lières dont celle de pasteurH. Celui-ci est en
charge de la communauté et de son ensei- 8
gnement ; il commente la Bible lors des
cultesH  et célèbre les sacrements. Comme
les enseignants du XVIe siècle, il porte une
robe noire et peut se marier.

SALUT : accès à la vie éternelle et au paradis Martin Luther prêchant, détail de l’autel de l’église de Torslunde par l’École
promis aux chrétiens après la mort. hollandaise, temperaH sur panneau de bois, Copenhague (DK), 1561.

55
4

La diffusion de la Réforme
Les écrits de Luther sont rédigés en allemand, la langue parlée par le peuple. Ils bénéfi-
cient par ailleurs de l’invention de l’imprimerie. Ses idées se diffusent ainsi rapidement.
Des souverains et des États décident d’adopter la religion réformée, d’autres réaffirment
leur foi catholique. En Angleterre, le roi Henri VIII décide en 1534 de devenir le chef
de sa propre Église, l’Église anglicane, qui sera rattachée au protestantisme.
Inspiré par les idées de Luther, le curé de Zurich, Ulrich Zwingli, commence à prêcher
la réforme de l’Église catholique. En 1523, les autorités organisent une « dispute » 10
l’opposant à des représentants de l’évêque. Il s’agit d’un débat public utilisant des
arguments tirés de la Bible. Le but est de convaincre les autorités de la supério-
rité de sa foi. Zwingli l’emporte, il est autorisé à introduire des changements.

ULRICH ZWINGLI (1484-1531) 9

Aumônier des troupes glaronnaises, il est


marqué par les horreurs des champs de
bataille. Nommé curé de Zurich en 1519,
il fait interdire la vente des indulgences, le
culte des saints et dénonce publiquement
dans ses sermons les abus du clergé. Sous son
influence, Zurich interdit le service mercenaireH, c’est
le premier acte de la Réforme, adoptée par ce canton en
1525. Zwingli est excommunié par le pape. Aumônier des
troupes zurichoises, il est tué sur le champ de bataille lors
de la deuxième guerre de Kappel.

Statue de Guillaume Farel, érigée


sur l’esplanade de la collégiale
de Neuchâtel en 1875.

À la demande de Berne, Guillaume Farel (1489-1565), un réformateur français, prédicateur


passionné, contribue à l’adoption de la Réforme à Neuchâtel, à Genève et dans le Pays
de Vaud. Une dispute se tient notamment à Lausanne en octobre 1536. Les protestants,
menés par Guillaume Farel et
Pierre Viret, sont victorieux. Les 11
autorités civiles annoncent le
passage du Pays de Vaud à la
Réforme le 19 octobre 1536,
sans demander l’avis de la
population.

AUMÔNIER : prêtre au service d'un


groupe (armée, prison, hôpital, etc.).
EXCOMMUNIER : exclure de l’Église,
de la communauté chrétienne. François Bocion, La Dispute religieuse de Lausanne, huile sur toile, 1857.

56
Les réformes religieuses au XVI e siècle

Sous l’impulsion de Guillaume Farel, les autorités politiques de la ville 12


de Genève adoptent la Réforme en 1536 pour des motifs religieux, mais
aussi politiques. Genève est une RépubliqueH indépendante. Elle est régu-
lièrement menacée par la Savoie qui souhaite l’annexer. En adoptant la
Réforme, Genève se démarque de la Savoie, restée catholique, et s’allie
à Berne, devenue protestante.

La dernière atta
que
conquérir Genève du duc de Savoie pour
se déroule dans
11 au 12 décembr la nu
e 1602 : à l’aide d’é it du
les Savoyards es chelles,
caladent les re
pénètrent dans mparts et
la ville. Les Gene
viennent à repo vois par-
us
victoire est com ser les ennemis. Cette
mémorée chaque
Genève lors de la an
Fête de l’Escalade née à
.

Dès 1541, Jean Calvin (1509-1564), un réformateur français ayant fui


les persécutions contre les protestants, organise la nouvelle Église. Afin
de faire de Genève une cité modèle, vivant conformément à la Réforme, « Jean Calvin à 53 ans », gravure
de René Boyvin (vers 1525-1598),
il collabore avec le gouvernementH  pour rédiger des loisH civiles et poli- Genève, 1562.
tiques qui contrôlent les mœursH et la vie de la population.

13
Chacun est tenu de venir les dimanches écouter la parole de Dieu ainsi que les autres jours où
ils pourront être libres, sous peine d’être repris par la justice.
Nul ne doit jurer ni blasphémerH le nom de Dieu sous peine de baiser terre la première fois, la
seconde fois de baiser terre et de payer trois sous, et la troisième d'être mis en prison trois jours.
Que personne n’aille dans la ville passé neuf heures sans chandelle sous peine d’être mis en
prison vingt-quatre heures.
Que personne n'aille danser, sinon aux noces, ni chanter des chansons malhonnêtes, ni se
déguiser, porter des masques ou faire des mômeries sous peine de payer soixante sous et d’être
mis en prison trois jours au pain et à l’eau.
Que chacun soit tenu de révéler aux magistrats ceux ou celles qu’on aura trouvé délinquants
à ces articles.
 Adapté de Jean Calvin, Ordonnances sur les mœurs, 1547.

14
24. Puisque Jésus-Christ […] nous a ordonné de nous adresser directement à son
père en son nom, nous croyons que tout ce que les hommes ont inventé quant à
l’intercession des saints n’est que ruse de Satan pour les détourner de la manière
de bien prier. Nous considérons le purgatoire, les vœux monastiques, les pèleri-
nages, les indulgences, l’interdiction de se marier comme des erreurs.
Adapté de Jean Calvin, Confession de foi dite de La Rochelle, texte écrit en 1559, remanié
puis adopté après sa mort par les Églises réformées de France, en 1571.

INTERCESSION : médiation auprès de Dieu.

57
4

De nouveaux lieux de culte et une nouvelle Bible


Les protestants se réunissent dans de nouveaux lieux de culte, généralement appelés des
templesH. Souvent, il s’agit d’anciennes églises catholiques transformées, dépouillées
de leurs ornements et où le prédicateur est plus proche des fidèles. Lieux de rassemble-
ment de la communauté religieuse, les temples protestants qui se construisent ensuite se
démarquent des églises catholiques notamment par une architecture sobre et l’absence de
décoration intérieure. La musique joue toutefois un rôle important lors des célébrations.

15 16

Jean Perrissin, Temple calviniste de Lyon nommé Intérieur du temple de Chêne, Chêne-Bougeries (GE),
« le temple de Paradis », huile sur toile, 1570. construit en 1758.

Conformément aux idées des humanistes, les réformateurs souhaitent le retour aux sources,
donc aux langues et aux manuscrits originaux pour les auteurs de l’Antiquité grecque ou
romaine. La lecture de la Bible étant au cœur de la foi protestante, elle est traduite en
langue populaire pour permettre à chaque fidèle de la comprendre.

17
Dans ma traduction de la Bible, je me suis efforcé de parler un allemand pur et
intelligible. […] La femme, les enfants, les bourgeoisH sur la place publique, voici les
docteurs qu’il faut consulter ; c’est de leur bouche qu’il faut apprendre comment on
parle, comment on interprète : après cela ils vous comprendront et ils sauront vous
parler leur langue […].
Adapté de Luther d’après Luther, fragments extraits de ses œuvres par G. A. Hoff, 1887.

18

La Bible d’Olivétan
C’est la première fois qu’une traduction française prend pour point de
départ les textes originaux en hébreu et en grec. Cette bible, préfacée
par Calvin, éditée à Neuchâtel, paraît en 1535 et connaît un succès
durable.

58
Les réformes religieuses au XVI e siècle

Une meilleure instruction


Comme les réformateurs encouragent la lecture personnelle de la Bible, ils soutiennent
l’éducation et l’apprentissage de la lecture. Pour cela, ils favorisent le développement
des écoles.

19
Les fonctions publiques ne doivent être confiées qu’aux plus savants. […] Dans les monas-
tères, on ne sait plus le latin, à peine l’allemand : il faut une meilleure instruction ! Qu’on
envoie au moins les enfants une heure ou deux par jour à l’école ; qu’ils emploient le
reste à soigner la maison et à apprendre quelque métier. Il doit aussi y avoir des écoles
pour les filles […].
Tout l’or du monde ne saurait suffire à récompenser un bon instituteur. […] Pour moi,
il n’y a pas de charge sur terre que je remplirais plus volontiers que celle d’instituteur ;
car, après l’œuvre du pasteur, pas d’œuvre plus belle ni plus importante que la sienne.
[…] N’est-il pas vrai qu’on réussit plus rarement à convertir de vieux pécheurs qu’à faire
entrer les enfants dans la bonne voie ? C’est pendant qu’ils sont jeunes et flexibles qu’il
faut plier les arbres.
Adapté du « Traité sur l’éducation adressé aux Conseillers des villes allemandes (1524) »,
Luther d’après Luther, fragments extraits de ses œuvres par G. A. Hoff, 1887.

20 21
Il y eut beaucoup d'enfants ; auxquels il [le pasteur] montrait
non seulement à lire et à écrire, mais sa religion, leur faisant
tous les jours un ou deux sermons. De quoi ils étaient fort
étonnés, car jamais n'avaient entendu telle doctrine : laquelle
chose les enfants racontaient à leurs pères et mères, les inci-
tant à venir écouter cet homme, car il enseigne, disaient-ils,
tout autrement que les prêtres et autres n'ont l'habitude de
faire. Et au récit de ces enfants, plusieurs hommes et femmes
allaient l'écouter prêcher en cette salle, les uns par curiosité
et moquerie, les autres pour être instruits […]. Le nombre de
ceux-ci augmentait grandement de jour en jour.
Adapté d’Antoine Froment (1509-1581), réformateur et pasteur genevois,
Ferdinand Holder, Calvin et les professeurs Actes et gestes merveilleux de la cité de Genève, 1532-1536.
dans la cour du collège de Genève, huile
sur toile, vers 1883.

22

12. [...] [Tous les écoliers doivent se retrouver au temple] les dimanches Les cours commen
ça
aux sermons de huit heures [du matin] et du soir, et au catéchisme ; à 6 h du matin en ient
été, à
les jeudis au sermon de huit heures. Assis à leurs places, il faut qu’ils 7 h en hiver, jusq
u’à
écoutent le sermon attentivement et avec grand respect. Ils se poursuivaie 9 h.
nt de
midi jusqu’à 16
13. Il faut aussi qu’il y ait un maître (un régent) dans chaque temple. Il h, avec
une heure de pa
use en
faut qu’il y soit à l’heure, afin de surveiller son groupe, et de noter les silence pour le re
pas.
absents. Ceux qui se seront mal comportés pendant l’office seront
châtiés au collège le lendemain selon leur faute. [...]
21. Le samedi qu’ils révisent leur semaine le matin. [...] De trois à quatre
heures [...] qu’on les prépare au sermon qui devra être traité le len-
demain au catéchisme et que le maître le leur explique selon leur
niveau. [...]
Adapté des Ordonnances ecclésiastiques de l’Église de Genève.
Item, l’ordre des escoles de ladite cité [1541], Genève, 1609. CATÉCHISME : instruction
religieuse dans la religion
chrétienne.

59
4

Genève, Rome protestante et ville refuge


Avec la fondation du Collège et de l’AcadémieH de Genève (1559) ainsi qu’une abondante
impression de livres à destination de toute l’Europe, la ville devient la « Rome protestante »,
la capitale spirituelle du protestantisme. Elle attire de nombreux étudiants venant d’États
réformés.
C’est aussi, comme Bâle, une ville refuge. Dès 1550, des protestants persécutés en France
ou en Italie viennent à Genève. La plupart retournent chez eux lorsque les troubles cessent
ou poursuivent leur route, mais certains s’établissent de manière durable dans la cité. Un
organisme d’entraide, la Bourse française de Genève, est créé pour leur venir en aide.
L’organisation de la ville est boule-
versée par cet afflux, toute la sur-
23 Évolution de la population genevoise aux XVIe et XVIIe siècles
face constructible à l’intérieur des
Source : Alfred Perrenoud, La population de Genève
murailles est mise en chantier. Cette Habitants du XVIe siècle au début du XIXe siècle, 1979.
augmentation de la population pro-
25 000
voque des tensions liées aux pro-
blèmes de ravitaillement, d’habitat et
d’emploi. 20 000

15 000

10 000

5000

0
Année 1500 1520 1540 1560 1580 1600 1620 1640 1660 1680 1700

24
Dès 1561, se retiraient aussi les étrangers de Genève dans 25
leur pays, les uns pour retrouver leurs biens, les autres espé-
rant avoir meilleur moyen de vivre, et plusieurs par grande
légèreté. En 1562, à la suite de l’Édit du roi, une grande partie
de ceux qui encore demeuraient à Genève, se fiant à cette
permission et liberté, retournèrent en leur pays avec femme
et enfants.
Adapté de Michel Roset (1534-1613), Chroniques de Genève,
publiées en 1854 d’après le manuscrit original.

L’afflux d’artisans étrangers suscite la méfiance, voire l’hostilité de


certains citoyensH qui craignent cette concurrenceH. Malgré ces réti-
Au centre, maison surélevée au XVIe siècle,
cences, les autorités locales laissent s’installer ces réfugiés qui vont place du Bourg-de-Four, Genève.
permettre le développement économique et culturelH de Genève.
Artisans, marchands ou intellectuels amènent leur savoir-faire et
le développent dans leur nouvelle patrieH.
L’imprimerie, la banque, l’industrie de la soie, l’orfèvrerie ou l’horlogerie connaissent un
essor important. Le français remplace progressivement le franco-provençal comme langue
parlée dans la ville.

LÉGÈRETÉ : imprudence.
ÉDIT DU ROI : ordre donné par le roi de France. En 1562,
il s’agit d’un édit de tolérance envers les protestants.

60
Les réformes religieuses au XVI e siècle

Divers moyens pour convaincre


Catholiques et protestants tentent chacun de défendre leur foi avec passion. Ils recourent
à différents moyens : des prêches publics, des disputes, des images et des textes largement
diffusés grâce à l’imprimerie. Les mots qu’ils échangent avec leurs adversaires, comme
leurs actes, peuvent être violents. Ainsi, les protestants bannissent des églises les figures
des saints qui, selon eux, détournent les fidèles de la « vraie foi ». Par endroits, autels,
sculptures et peintures sont endommagés, détruits ou déplacés.

26 27

Erhard Schön,
« Le diable jouant de la
cornemuse », gravure
sur bois, Gotha (D),
XVIe siècle.
« Le pape et le diable », caricature anonyme,
Utrecht (NL), XVIe siècle.

28 29
Mais Dieu dit qu’on ne doit pas s’incliner, se
prosterner, s’agenouiller, allumer des cierges
ou brûler de l’encens devant ces images.
Adapté de Ulrich Zwingli, Brève
instruction chrétienne, 1523.

« Une scène d’iconoclasme à Zurich en 1524 », enluminure


de Heinrich Thomann, tirée de Heinrich Bullinger,
Reformationschronik, Zurich, 1564.

30
31 MARIE DENTIÈRE (1495-1561)
[ Il ] était une moine abbesse fausse, ridée, et
à la langue diabolique, ayant un mari et des Convertie aux idées de la
enfants, nommée Marie Dentière, qui se mêlait Réforme luthérienne vers
de prêcher, et de pervertir les gens pleins de 1524, elle prêche contre le
dévotion. [ Pour ] convertir les religieuses, elle célibat et participe à la ferme-
ne tenait pas compte des critiques, et disait : ture de couvents pour femmes.
« Hé pauvres créatures ! Si vous saviez qu'il À Genève, elle s’oppose à Farel et
fait bon être auprès d'un joli mari, et comment Calvin, affirmant que les hommes et les femmes
Dieu l'a agréable. sont égaux quant à leur capacité à interpréter
Adapté de Jeanne de Jussie (1503-1561), religieuse, les textes sacrés et à réfléchir à la théologie.
Le Levain du calvinisme ou l'Histoire mémorable du Ses opinions et ses arguments indignent les
commencement de l'hérésieH de Genève, 1611.
protestants comme les catholiques, ses textes
sont censurésH. Son nom ne sera gravé sur le
mur des Réformateurs à Genève qu’en 2003.

ICONOCLASME : destruction de statues, d’images religieuses.


DÉVOTION : grande piété, attachement profond à la religion.
L’A AGRÉABLE : l’approuve.

61
4

La Réforme catholique
Vers le milieu du XVIe siècle, plusieurs papes et hauts responsables se rendent compte qu’il faut renforcer l’or-
ganisation de l’Église et supprimer des abus ou pratiques discutables. Grâce à cette Réforme catholique, l’Église
veut rassurer les catholiques ébranlés par les critiques des réformés et limiter la diffusion du protestantisme.

En 1545, le pape réunit un concile dans la ville de 32


Trente, au nord de l'Italie. Le concile, qui dure près de
20  ans, prend toute une série de mesures qui concer-
nent la doctrine. Les dogmes, ainsi que les pratiques
religieuses du clergé et des laïcs sont précisés. En
parallèle se développe l'art baroque, qui débute à
Rome, répondant à l'un des objectifs du Concile de
Trente, celui de rétablir les « images » (tableaux, statues
de saints, etc.) et leur rôle dans la religion catholique.

À l’origine, le Conc
ile de Trente veut
de préserver l’uni tenter
té de l’Église en
des théologiens invitant
luthériens mais
ont déjà été exco ceux-ci
mmuniés et, com
craignent pour me ils
leur vie, ils refu
venir à Trente. sent de

Session du concile de l’Église dans la cathédrale


de Trente (I), copie d’un original de l’époque par
un artiste suisse en 1769, huile sur toile, 1545.

33
Des dogmes
La vieille édition de la Vulgate (Bible en latin), approuvée dans l’Église même par le long
usage de tant de siècles, doit être tenue pour authentique […], et que personne n’ait l’audace
[…] de la rejeter sous quelque prétexte que ce soit. Session IV, 8 avril 1546.
Le saint concile enseigne […] que, dans le sacrement de la sainte Eucharistie, après la consé-
cration du pain et du vin, notre Seigneur Jésus Christ […] est vraiment […] contenu sous
l’apparence de ces réalités. Session XIII, 11 octobre 1551.
Si quelqu’un dit qu’il n’y a pas dans l’Église catholique une hiérarchie instituée par une
disposition divine, composée d’évêques, de prêtres et de ministres : qu’il soit anathème
(excommunié). Session XXIII du 15 juillet 1563.
Les fidèles doivent aussi vénérer les saints […] ; par eux, Dieu accorde de nombreux bienfaits
aux hommes. On doit avoir et garder, surtout dans les églises, les images du Christ, de la
Vierge Marie Mère de Dieu et des autres saints, et leur rendre l’honneur et la vénération qui
leur sont dus. Session XXV du 3 décembre 1563.
Désirant […] corriger les abus qui s’y sont glissés, […] le saint concile statue […] que doivent
être absolument abolis tous les déplorables trafics d’argent en vue d’obtenir des indulgences.
Session XXV du 4 décembre 1563.
Adapté de Giuseppe Alberigo (dir.), Les Conciles œcuméniques,
tome II - 2 : Les Décrets (Trente à Vatican II), 1994.

34
Le saint concile statue ce qui [doit] être gardé, concernant la vie, l’honnêteté, la
conduite et les connaissances des clercs, et ce qui doit être prohibé concernant
CONCILE : réunion de le luxe, les festins, les danses, les jeux de hasard, les amusements et toutes
l’ensemble des évêques. choses répréhensibles quelles qu’elles soient, ainsi que les affaires du siècle…
DOGME : ici, principe Session XXII du 17 septembre 1562.
religieux proclamé comme Adapté de Giuseppe Alberigo (dir.), Les Conciles œcuméniques,
une vérité fondamentale tome II - 2 : Les Décrets (Trente à Vatican II), 1994.
et incontestable.
STATUER : décider.

62
Les réformes religieuses au XVI e siècle

Une meilleure instruction


L’ordre des jésuitesH est chargé de l’éducation religieuse au service de la Réforme catho-
lique. En Suisse, plusieurs collèges sont fondés entre 1574 et 1734 (Lucerne, Fribourg,
Brigue, etc.). À Porrentruy, l’enseignement dispensé au
Collège des jésuites, fondé en 1591, est une formation 35
littéraire, philosophique et théologique. Des écoles de
filles sont également ouvertes par des religieuses, entre
autres à Fribourg, dès 1634. Cet enseignement contribue
à élever le niveau intellectuel et culturel ; il crée aussi un
nouveau clergé, mieux formé et plus discipliné.

« Vue du séminaire, du collège et une partie du château


de Porrentruy », attribué à Simon le Barbouilleux, dessin
aquarellé, Porrentruy (JU), 1793.

De nouvelles mesures
À Fribourg et en Valais, cantons restés catholiques, les autorités politiques prennent rapi-
dement des mesures pour éviter la propagation des idées réformées : les étrangers sont
surveillés, les livres brûlés, les conversations dans les auberges écoutées et une profession
de foi publique est exigée. En cas de refus, on est condamné à une amende, voire à l'exil.

36
Aucun protestant ne pourra occuper une charge publique. Sont exceptés ceux qui se
réconcilieront avec l'Église catholique. À tous ceux du pays qui persisteraient dans
l'erreur, est fixé le terme de deux mois pour quitter le canton.
Il est défendu aux pères et mères, tuteurs, parents et toute personne du pays, d'en-
voyer leurs enfants ou jeunes gens aux écoles protestantes.
Adapté des mesures prises par l'évêque de Sion, Adrien II de Riedmatten (1550-1613),
pour s'opposer efficacement au protestantisme.

Des églises d’un style différent


Le style baroque est l’expression de la démesure, du grandiose. Ce sentiment est renforcé
par l’utilisation de matériaux très coûteux et par la taille impressionnante des édifices.
L’objectif est de provoquer l’émotion chez les croyants, de les éblouir et donc de les
séduire en leur prouvant au travers de cet art que le catholicisme est une grande religion.

37 38 39

Église Santa Croce, Riva San Vitale (TI), érigée entre 1588- Église du Gesù, Rome (I), construite entre 1568-1584.
1592, considérée comme le premier édifice baroque en Suisse.

63
4

Les affrontements religieux en Europe


Du début du XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les divisions entre catholiques et protestants déstabilisent
toute l’Europe car elles entraînent des guerres civiles et religieuses, dont la guerre de Trente Ans (1618-1648).
Les États recherchant l’unité de religion sur leur territoire exigent parfois des conversions forcées. L’oppression
des minorités religieuses engendre un phénomène d’émigration, sur le continent puis en dehors.

En France, entre 1561 et 1598, des troubles et des d’oppression des protestants reprend vingt ans plus
famines sont liés aux guerres de religion ; par sa vio- tard et se poursuit durant un siècle. En 1685, Louis XIV
lence, le 24 août 1572, jour de la Saint-Barthélemy, révoque l’Édit de Nantes, ce qui met fin à l’existence
marque les mémoires. En 1598, pour apaiser le pays, légale du protestantisme en France et provoque l’exil
le roi Henri IV signe l’Édit de Nantes, un compromis qui de nombreux protestants vers les territoires réformés,
définit les droits des protestants et met fin aux guerres dont Genève et Bâle, mais aussi vers les coloniesH bri-
de religion. La politique de réunification religieuse et tanniques d’Amérique ou l’Afrique du Sud par exemple.

40 41
Par les rues, une bande succédait à l’autre, sur-
tout au quartier des libraires. Plusieurs de ces
derniers furent précipités du haut de leur maison
dans le feu où flambaient les livres. Les femmes
avec leurs enfants étaient traînées vers la Seine,
percées de coups et jetées dans le fleuve. […]
Bref, le carnage se prolongea du dimanche
24 août jusqu’au lendemain ; passé 10 000 créa-
tures, hommes et femmes, jeunes et vieux furent
égorgés en vingt-quatre heures. […]
On imprima sur ordre du roi un écrit expliquant
pourquoi il avait fait périr l’amiral et les autres
huguenots de Paris, à savoir parce qu’ils avaient
comploté contre les jours du roi de France […] et
des chefs catholiques ; quant à l’idée d’extirper les
huguenots et leur religion, elle ne lui était jamais
François Dubois, Le Massacre de la Saint-Barthélemy, venue.
huile sur bois, vers 1572-1584. Adapté des Mémoires de Luc Geizkofler : Tyrolien 1550-1620,
étudiant allemand à Paris en août 1572, 1892.

42 43
En l’an 1698, dans notre village, on fouillait (les
maisons) pour voir s’il y avait des armes, des
livres. Si on en trouvait, on condamnait aux
galères ou à l’amende. […] On faisait venir le
monde à la messe, par amende, par garnison
de soldats ou à coups de bâton. […] On forçait
petits et grands à confesser, à communier et on
donnait des billets à ceux qui avaient fait leur
devoir comme on appelait.
Adapté de « Mémoires de Jean Gaubert »,
Journaux camisards (1700 -1715).

Godefroy Engelmann, « Les nouveaux missionnairesH »,


gravure protestante montrant une conversion forcée,
Paris (F), estampe d’après un dessin de 1686.

RÉVOQUER : annuler (un acte juridique).


HUGUENOT : protestant français.
CAMISARD : paysan ou artisan protestant, qui se rebelle
en réaction aux persécutions.

64
Les réformes religieuses au XVI e siècle

Les conflits religieux en Suisse


Au XVIe siècle, la Suisse des XIII cantons connaît également des divisions religieuses :
progressivement Zurich (1525), Berne et les villes de Bienne (1528), Bâle et Schaffhouse
(1529), la partie sud de l’évêché de Bâle, dont La Neuveville, l’Erguël et la seigneurie de
Moutier-Grandval (1530-1531), Genève, le Pays de Vaud et Neuchâtel (1536) adoptent
la Réforme. D’autres régions restent
catholiques, comme la partie nord de 44 Répartition confessionnelle en Suisse vers 1700
l’évêché de Bâle, Fribourg ou le Valais.
Des paroisses mixtes confessionnel- Mulhouse Waldshut
Kadelburg
Schaffhouse
Constance

lement sont tolérées en Argovie, Thur- Bâle Rheinfelden


Frauenfeld

govie, à Saint- Gall et dans le Pays de


Laufenburg Baden
Saint-Gall
Porrentruy Laufon Wil

Vaud. Mais les limites ne sont pas


Zürich
Olten
Delémont
Bremgarten Appenzell
figées : ainsi la région de Laufon, par Soleure
Zoug
Rapperswil
Sursee
exemple, acquise à la Réforme, rede- Bienne
Lucerne Mels
e Näfels
vient catholique à la fin du XVI siècle. Landeron
Berne
Rigi
Schwyz
Mastrils
Stans Untervaz Zizers
Schüpfheim
Sarnen
Altdorf Coire
Fribourg

Romont
Régions catholiques Andermatt

Régions réformées Lausanne


Bulle Realp

Régions confessionnellement mixtes Faido

Romont Couvents et hospices Brigue

Frontières actuelles de la Suisse Sion

Frontières des XIII cantons et pays alliés Genève Saint-


Maurice
Locarno
Bigorio

Lugano

Mendrisio

0 50 100 km

Du XVIe siècle au XVIIIe siècle, la Suisse connaît quatre séries de conflits (les deux guerres
de Kappel, en 1529 et 1531, et les deux guerres de Villmergen, en 1656 et 1712), entre
cantons catholiques (300 000 habitants) et protestants (700 000 habitants). Chaque guerre
est ponctuée par un traitéH de paix appelé Paix nationale.
Enfin, en 1712, la Paix nationale d’Aarau instaure la parité confessionnelle. Cela signifie que
l’on veillera désormais à ce que les protestants comme les catholiques aient les mêmes
droits dans les bailliages communs.

45
Un épisode célèbre de la première guerre de Kappel (1529)
« Une fois, plusieurs braves compères des cinq cantons prirent un grand baquet de lait et le posèrent à cheval sur
la frontière, criant aux Zurichois qu’ils avaient là un bon seau de lait, mais pas de pain pour mettre dedans. Alors
accoururent quelques bons gars zurichois avec du pain et en firent des morceaux qu’ils mirent dans le lait. Et
s’assirent les uns et les autres, chacun sur son terrain, et mangèrent ensemble. Mais si l’un dépassait le milieu du
baquet pour prendre un morceau, ceux de l’autre camp lui frappaient la main par farce, disant : « Broute sur ton ter-
rain ». Et il s’échangea beaucoup de ces plaisanteries,
lesquelles le bourgmestre de Strasbourg, Jean-Jacques 46
Sturmen, qui était un des arbitres, les ayant entendues
s’écria : « Vous Confédérés, vous êtes d’étranges gens ;
quand même vous avez noise ensemble, vous restez
pourtant unis, et n’oubliez jamais la vieille amitié. »
Henri Bullinger (1504-1575), réformateur, Chronique, vers 1550.

XIII CANTONS : Zurich, Berne, Lucerne, Uri, Schwytz, Unterwald,


Glaris, Zoug, Bâle, Fribourg, Soleure, Schaffhouse, Appenzell
ainsi que leurs alliés (Bienne, Genève, Valais, Saint-Gall, etc.).
Voir p. 117.
BAILLIAGE COMMUN : territoire administré par plusieurs cantons. Albert Anker, La Soupe au lait de Kappel, huile sur toile, 1869.

65
5

LA CONSTRUCTION DE L’ÉTAT
e
AU XVII SIÈCLE

MER
DU
NORD

PROVINCES-
Londres UNIES

SAINT
EMPIRE
OCÉAN Versailles
Vienne
ATLANTIQUE
CORPS
HELVÉTIQUE

Venise

MER
MÉDITERRANÉE

1172 1642
Le Grand Conseil Première
devient l’organe révolution
souverain de la en Angleterre
République de Venise

Conflits religieux Guerre de Trente Ans

1532
1575 1600 1625
Publication du
traité politique 1598
Le Prince Édit de Nantes
de Machiavel

66
APPRENTISSAGES VISÉS
EN ÉTUDIANT CE THÈME, TU APPRENDRAS À :
– identifier les caractéristiques d’un État souverain ;
– déterminer les compétences et le rôle d’un État moderne ;
– distinguer divers régimes politiques et leurs caractéristiques
concernant l’exercice du pouvoir ;
– définir les bases des relations diplomatiques entre les États.

AU TRAVERS DU THÈME, TU APPRENDRAS AUSSI


PROGRESSIVEMENT À :
– analyser des éléments de la mise en scène du pouvoir ;
– analyser le message contenu dans les monuments
ou objets du passé ;
– argumenter sur l’exercice du pouvoir et le rôle de l’État.

1689-1702 1707
1649 Règne de Union des royaumes
Exécution 1688-1689 Guillaume  III d’Angleterre et
de Charles I er Glorieuse et de Marie II d’Écosse, qui deviennent
en Angleterre Révolution d’Angleterre le royaume de
en Angleterre (jusqu’en 1694) Grande-Bretagne

Règne de Louis XIV

1650 1675 1700


1648 1682
Paix de Louis XIV et la
Westphalie cour s’installent
au château de
Versailles

67
5

Le soleil, emblème de Louis XIV, détail de


la grille royale du château de Versailles,
reconstituée en 2008.

30 couronnes
bernoises, 1699.

Hyacinthe Rigaud, Louis XIV en costume


de sacre, huile sur toile, 1701.

Demi-couronne
à l’effigie de
Guillaume III
et de Marie II
d’Angleterre,
1689.

Château de Schönbrunn, construit vers 1696,


Vienne (AT), de nos jours.

68
La construction de l’État au XVIIe siècle
Vers 1600, l’Europe est progressivement divisée en États indépendants, soumis à des
formes de gouvernementH très diverses. Le modèle d’un empireH unique qui domine des
territoires immenses, tel l’Empire romain, n’existe plus.
Les territoires sont plus délimités qu’avant et chaque État y affirme son pouvoir à travers
l’armée, la justice, les impôtsH ou la frappe de la monnaie qui sont exclusivement entre
ses mains. L’État devient une source d’unité face aux profondes divisions religieuses pro-
voquées par la RéformeH.
La puissance et la prospérité de ces États ne sont toutefois pas égales : au début du
XVIIe siècle, les monarchiesH française et britannique s’affirment, tout comme la République
des Provinces-Unies (Pays-Bas actuels), alors que la monarchie espagnole décline et que
la République de Venise perd sa suprématie commerciale et maritime. Les principales
routes maritimes européennes, jusqu’alors centrées sur la Méditerranée, se déplacent
vers l’Atlantique.
Malgré les différences de religionH, de puissance, de formes de gouvernement, et en dépit
des ravages de la guerre de Trente Ans (1618-1648), les relations entre les États européens
s’établissent sur de nouvelles bases avec la Paix de Westphalie en 1648.
Aux portes de l’Europe, des empires s’étendent encore sur d’immenses territoires. L’Empire
ottoman recouvre une grande partie du sud-est de l’Europe et domine tout le sud de la
Méditerranée.

Les régimes politiques en Europe vers 1700


Saint-Pétersbourg
Stockholm

MER ROYAUME Riga


DU DE
NORD SUÈDE
EMPIRE DE
RUSSIE
PROVINCES-
ROYAUME DE UNIES
GRANDE-BRETAGNE
ET D’IRLANDE ROYAUME
Lübeck
DE
Hambourg
POLOGNE
Londres Brême
Amsterdam Berlin
ÉTATS DU
SAINT EMPIRE ROMAIN
GERMANIQUE
Paris Nuremberg
OCÉAN Strasbourg Vienne
ATLANTIQUE Ulm
ROYAUME
DE FRANCE CORPS
AUTRICHE
HELVÉTIQUE
MER
Genève Venise
SAVOIE
NOIRE
RÉPUBLIQUE EMPIRE
DE VENISE
OTTOMAN
RÉPUBLIQUE
ROYAUME DE GÊNES
DU Rome
PORTUGAL Madrid
ROYAUME
ROYAUME DE NAPLES
D’ESPAGNE

MER
MÉDITERRANÉE
0 500 1000 km

Les régimes politiques★


Monarchie
République parlementaire
Limites du Saint Empire
Monarchie absolue romain germanique

69
5

L’affirmation de l’État
À partir du XVIe siècle, le terme ÉTAT apparaît dans les différentes langues européennes pour décrire une nou-
velle manière de penser l’organisation politique. L’État devient progressivement une autorité indépendante
qui fonctionne sans l’intervention d’un pouvoir extérieur, comme celui du papeH ou de l’empereur.

Le Prince, rédigé en 1513 et publié la première fois en et censuréH par l’ÉgliseH catholique en 1559, l’ouvrage
1532, est un traité politique de l’humanisteH florentin est pourtant diffusé, traduit et commenté dans toute
Nicolas Machiavel (1469-1527). Ce livre devient une l’Europe. « Se montrer machiavélique » est même de-
référence pour ceux qui étudient le pouvoir étatique car venu une expression courante.
il décrit comment développer et renforcer la puissance
de l’État, par tous les moyens possibles. Jugé immoral

L’autorité de l’État est renforcée ÉTAT


Autorité souveraine
Depuis la fin du Moyen Âge, les autorités souveraines prennent sous leur contrôle qui gouverne une
un certain nombre de droitsH, comme celui de frapper la monnaie, de rendre la population sur
justice, de prélever des impôts ou d’entretenir une armée permanente. un territoire
délimité.
1

2
La souveraineté est […] inséparable
de l’État, car si elle lui était ôtée, ce
ne serait plus un État.
Adapté de Charles Loyseau,
Traité des seigneuries, Paris, 1608.

Thomas Hobbes (1588-1679), Léviathan, frontispice d’Abraham Bosse


représentant l’État selon les instructions de l’auteur, Londres, 1651.

SOUVERAINETÉ
Pouvoir suprême d’une
personne ou d’un État
qui s’applique sur
Dès le XVIIe siècle, la SOUVERAINETÉ d’un État repose sur le contrôle de ces droits un territoire.
et amène ainsi des changements :
– les premières machines à « frapper » la monnaie apparaissent au XVIe siècle.
Elles remplacent définitivement la fabrication de pièces à l’aide d’un marteau, telle
qu’elle était pratiquée depuis l’Antiquité. Ce rôle étant réservé à l’État, la production
de fausse monnaie peut être punie de mort ;
– un nouvel impôt est parfois mis en place. En 1695, par exemple, Louis XIV lève un impôt
individuel afin de financer sa guerre contre l’Angleterre et les Provinces-Unies ;
– rendre la justice est un rôle réservé à l’État souverain. La vengeance privée, notamment
le duel, est ainsi interdite.

LÉVIATHAN : dans la Bible, le Léviathan est une créature


dotée d’une puissance exceptionnelle.

70
La construction de l’État au XVII e siècle

3 4

« Frappe de la monnaie au balancier à vis », gravure tirée de l’Encyclopédie « La taxe par teste (1695) », gravure tirée
sous la direction de Diderot et d’Alembert, Paris (F), vers 1750-1790. du Recueil de modes, Paris (F), 1750.

Aux XVIe et XVIIe siècles, le pouvoir étatique sur la sociétéH s’accroît, il


5
est de plus en plus centralisé et situé là où se trouvent les autorités.
Dans des domaines où l’État n’intervenait pas auparavant, de nouvelles
institutionsH sont créées, qui ont des conséquences importantes pour
les populations, parfois jusqu’à nos jours.
De nombreux États, par exemple, prennent en charge l’assistance aux
pauvres, tâche accomplie jusque-là uniquement par l’Église. Toutefois,
cette aide peut s’accompagner de l’enfermement ou de la mise au
travail forcé.

6
Les inspecteurs des pauvres devront fournir de l’occupation aux per-
sonnes mariées ou non mariées qui n’ont pas les moyens de vivre ou
de travailler, en leur procurant une provision de laine, chanvre, lin, fil, fer
et autres marchandises et étoffes nécessaires pour les mettre au travail.
Ils pourront récolter l’argent nécessaire pour secourir les boiteux, inva-
lides, aveugles, vieillards et autres pauvres incapables de travailler.
Les inspecteurs des pauvres devront mettre en apprentissage tous les
enfants des miséreux qui seront jugés incapables de subvenir à leurs
besoins ; ils pourront mettre de force les enfants en apprentissage, où
il leur paraîtra convenable, jusqu’à ce que les garçons aient atteint l’âge
de 24 ans, les filles 21 ans, ou soient sur le point de se marier.
 Adapté de la Loi sur les pauvres (Poor Law), adopté
sous le règne d’Elisabeth Ire, Angleterre, 1601.

Hans Gieng, fontaine de la Justice,


Berne, 1543.

INSPECTEUR DES PAUVRES : personne qui récolte


un impôt dont il redistribue le montant aux pauvres.

71
5

Les régimes politiques des États

Les États se distinguent selon la manière d’attribuer et d’exercer le pouvoir. Plusieurs modèles existent au
XVIIe siècle : la MONARCHIE absolue, la monarchie parlementaire et la république.

Depuis l’Antiquité, les régimes politiques des États sont par une ou plusieurs personnes, qui prennent les dé-
définis selon le nombre et la qualité de celui ou ceux cisions seules ou sous le contrôle d’un Parlement. De
qui gouvernent et selon les limites que l’on donne aux plus, la façon de nommer les membres d’un Parlement
différents pouvoirs. Ces pouvoirs peuvent être détenus varie d’un État à l’autre.

La monarchie absolue
En Europe, la monarchie absolue se développe dans la continuité de la MONARCHIE
monarchie centralisée de la RenaissanceH. En France, à la fin du XVIe siècle, Régime politique où le
le pouvoir du roi s’impose pour maintenir l’unité du royaume déchiré par les pouvoir est exercé par
conflits religieux entre protestants et catholiques. L’absolutisme atteint son une seule personne,
sommet sous les règnes de Louis XIII et de son premier ministre Richelieu, puis généralement un roi
ou une reine.
surtout sous Louis XIV. Le roi gouverne sans partager son pouvoir et prend seul
les grandes décisions : il écarte les grands
seigneurs et les parlements (cours de jus- 7
tice), mais il est entouré de ministres qui le
conseillent. Il doit toutefois respecter les
lois fondamentales du royaume comme les
règles de la succession royale, héréditaire
et masculine. Une reine ne gouverne que
lorsque son fils est trop jeune pour régner.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, de nombreux
pays d’Europe adoptent cette forme de
gouvernement.

8
Mais l’on demande si le roi peut faire
seul tous ces changements de loisH
et d’ordonnancesH, de sa seule auto-
rité. L’on répond que cela est incon- Louis XIV et les conseillers d’État, huile sur toile, anonyme,
testable, parce que le roi est seul sou- château de Versailles (F), XVIIe siècle.
verain dans son royaume.
 Adapté de Pierre-Cardin Le Bret,
De la souveraineté du roi, 1632.

9 10
Les rois sont seigneurs absolus. […] Quelque mau- Il y a plus de 1200 ans que la France a des rois : mais
vais que puisse être un prince, la révolte de ses ces rois n’ont pas toujours été absolus comme ils le
sujetsH est toujours un crime. Dieu, qui a donné sont aujourd’hui. Leur autorité n’a jamais été limitée
des rois aux hommes, a voulu qu’on les respecte par des lois écrites, comme celles des rois d’Angle-
comme ses lieutenants, se réservant à lui seul le terre et d’Espagne, mais elle a été modérée par des
droit d’examiner leur conduite. Sa volonté est que coutumesH anciennes […].
quiconque est né sujet obéisse sans discussion.
Adapté du cardinal de Retz, Mémoires,
Adapté de Mémoires de Louis XIV, 1666. rédigés entre 1675-1677, publiés en 1717.

LIEUTENANT : ici, signifie « représentant ».

72
La construction de l’État au XVII e siècle

La monarchie parlementaire
En Angleterre, depuis 1215 et l’adoption de la Grande CharteH (Magna carta), le roi ou la
reine a des pouvoirs limités par un PARLEMENT de noblesH et de représentants des villes.
Le XVIIe siècle est toutefois marqué par des tentatives manquées de mettre en place
une monarchie absolue.
Jacques Ier, puis son fils Charles Ier, veulent gouverner sans l’aide du Parlement.
PARLEMENT
Assemblée de représen-
Cette volonté provoque une guerre civile que l’on qualifie parfois de première tants du peuple, mandatés
révolutionH anglaise. En 1649, Charles Ier est condamné pour trahison contre pour une durée limitée
l’Angleterre. Il est exécuté et la monarchie prend fin. à la suite d’élections, qui
délibèrent et prennent
Quelques années plus tard, en 1660, la monarchie est restaurée avec des souve- des décisions (pouvoir
rains partisans de la monarchie absolue. Toujours opposé à ces tentations absolu- législatif).
tistes, le Parlement, soutenu par la population, provoque une révolution en 1688,
que les Anglais nomment la Glorieuse Révolution. Le texte de la Déclaration des
droits (Bill of Rights) impose la monarchie parlementaire qui existe encore de nos jours.

11
L’État monarchique est la chose suprême sur cette terre, car les rois ne sont pas seule-
ment les lieutenants de Dieu sur terre, assis sur le trône de Dieu, mais Dieu lui-même
les appelle des dieux. […] De même qu’il est blasphématoireH de discuter les œuvres de
Dieu, il est interdit de discuter ce qu’un roi peut faire dans l’étendue de son pouvoir. […]
Je n’accepte pas que mon pouvoir soit discuté.
 Adapté du discours au Parlement de Jacques Ier, le 21 mars 1610.

12 13
1. Le Parlement signale très humblement
à notre souverain seigneur le roi [...] que
vos sujets ne peuvent être contraints à
payer des taxes sans le consentement du
Parlement. [...]
3. Il est aussi arrêté et établi, par le statut
de la Grande Charte des libertés d’Angle-
terre, qu’aucun homme libre ne pourra
être arrêté ou mis en prison […] si ce n’est
en vertu d’une sentence légale. […]
Adapté de la Pétition des droits
(Petition of Right) remise au roi par
le Parlement le 7 juin 1628.

« Les deux chambres du Parlement réunies à l’occasion d’un


procès », gravure de Wenceslas Hollar, gravure, 1641.

14
1. Que l’autorité royale suspende les lois ou l’exécution des lois sans le
consentement du Parlement est illégal […].
4. Qu’une levée d’argent pour la Couronne sans l’accord du Parlement est
illégale.
6. Que la levée et l’entretien d’une armée dans le royaume, en temps de paix,
sans le consentement du Parlement, sont contraires à la loi.
8. Que les élections des membres du Parlement doivent être libres.
13. Qu’enfin, pour remédier à tout reproche et pour l’élaboration des lois, le
Parlement devra être fréquemment réuni.
 Adapté de la Déclaration des droits (Bill of Rights), adoptée par le Parlement en 1689.

73
5

La république
Au XVIIe siècle, les RÉPUBLIQUES sont plus rares. Le pouvoir y est détenu par des assem-
bléesH de personnes généralement élues parmi des élites aristocratiquesH .

15

RÉPUBLIQUE
Régime politique dans
lequel la souveraineté
est exercée par des
représentants élus
(par opposition à
la monarchie).

« Vue à vol d’oiseau de Venise et des îles voisines »,


gravure de Matthäus Merian l’Ancien, vers 1640.

La République de Venise, édifiée sur les eaux de la mer Adriatique, devient au cours
du Moyen Âge une grande puissance maritime qui s’étend jusqu’aux portes de l’Asie.
Son régime politique, sa stabilité et sa longévité suscitent l’admiration en Europe ; elle
est appelée la République Sérénissime.
Elle comprend trois principaux conseils : le 16
Grand Conseil, le Collège et le Sénat. L’au-
torité souveraine de Venise est détenue par
le Grand Conseil. Celui-ci vote pour prendre
les décisions importantes, pour élire les
magistrats et pour choisir le doge. Seuls
les membres des familles nobles de la ville
ont accès au Grand Conseil, excluant ainsi la
plus grande partie de la population.

Joseph Heintz le Jeune, Salle du Grand Conseil de Venise,


huile sur toile, vers 1678.

17
L’autorité du doge est si limitée qu’il ne peut rien faire sans le Sénat. C’est pourquoi,
dans les cérémonies publiques, on voit toujours après le doge un noble qui porte
devant le Sénat une épée dans son fourreau, pour signifier que toute la puissance
de l’État est entre les mains des sénateurs. […]
Dans les cérémonies, le doge est toujours magnifiquement vêtu de soie bordée
d’or et d’argent. Dans cet équipage, il s’attire la vénération du peupleH qui respecte
toujours les marques extérieures de grandeur. Le Sénat l’accompagne toujours pour
éviter que le doge paraisse être un souverain aux yeux du peuple et des étrangers.
Adapté de Nicolas Amelot de la Houssaye, secrétaire d’ambassade
DOGE : chef élu de à Venise en 1669, Histoire du gouvernement de Venise, Paris, 1676.
l’ancienne République
de Venise (ou de Gênes).

74
La construction de l’État au XVII e siècle

Les régimes politiques dans le Corps helvétique


L’expression « Corps helvétiqueH », utilisée pour désigner l’ensemble formé par les treize
cantons et leurs alliés, trouve son origine dans le nom des Helvètes ; ce terme, redécouvert
par les humanistes, est appliqué aux Confédérés. À part les principautés ecclésiastiques
et celle de Neuchâtel qui se rapprochent des régimes monarchiques, la république est la
forme d’organisation la plus représentée, parfois démocratiqueH , souvent aristocratique.

Républiques des cantons à Landsgemeinde


À Uri, Schwytz, Unterwald, Glaris, Zoug et Appenzell, la démocratie s’exerce dans des
assemblées souveraines, en allemand des Landsgemeinde, ouvertes aux hommes en état
de porter une arme, dès l’âge de
14 ans. Dans les Ligues grises (Gri- 18
sons) et la République des dizains
du Valais, un ensemble complexe
d’assemblées locales et de conseils
partagent le pouvoir. Mais partout
l’autorité est réellement exercée
par une minorité : paysans riches,
marchands ou aubergistes.

« Disposition de la Landsgemeinde » à Zoug, , détail tiré de


la carte Helvetia, Rhaetia, Valesia, eau-forte, Bâle, 1698.

Républiques corporatives : des villes à corporations


19
Dans les cantons-villes de Zurich, Bâle, Schaffhouse ainsi que dans les
villes alliées de Saint-Gall et de Bienne, les bourgeoisH, regroupés dans
des organisations professionnelles (les corporations de métiers), dominent
la vie politique. Les campagnards, eux, n’ont pas le droit de fonder une
entreprise ou de faire du commerce. Pour accéder à des charges électives,
les candidats doivent verser de fortes sommes d’argent.

Jetons de vote
des corporations
des bateliers et
des tanneurs,
Zurich, 1713.
20
1.
BOURGEOIS
PRIVILÉGIÉS Républiques aristocratiques : des villes à patriciat
Dans les cantons-villesH  de Berne, Lucerne, Fribourg, Soleure ainsi
2. que dans la ville alliée de Genève, quelques familles dominent les
AUTRES BOURGEOIS institutions ; elles forment ce qu’on appelle le patriciat. À Berne,
(non privilégiés)
par exemple, 77 familles dirigent la vie politique, 23 à Lucerne et
71 à Fribourg (c’est-à-dire 1% de la population).
3.
HABITANTS DE LA VILLE, 1. Bourgeois privilégiés de la ville ou patriciens qui ont
NON-BOURGEOIS
tous les droits politiques.
2. B
 ourgeois non privilégiés écartés de la vie politique,
qui ont le monopoleH de certaines activités.
4.
SUJETS 3. H
 abitants de la ville (non-bourgeois), qui ont un droit
d’habitation.
4. Sujets des campagnes et des petites villes.
5. ÉTRANGERS
5. Étrangers, uniquement tolérés.

75
5

La représentation du pouvoir
Quelle que soit leur forme, les États se doivent d’afficher leur puissance et surtout leur indépendance. Ils
frappent leur propre monnaie et font construire des bâtiments ou monuments qui impressionnent à la fois le
peuple et les visiteurs étrangers.

Dans les monarchies ou les républiques, les construc- palais-vitrine qui expose aux yeux de tous la puissance
tions prestigieuses servent l’intérêt de l’État. En de Louis XIV, le Roi Soleil. Cet édifice remporte un tel
France, c’est le rôle du château de Versailles, véritable succès qu’il sera imité par de nombreux autres États.

Dans la monarchie absolue : l’exemple français


En 1660, Louis XIV lance la transformation d’un ancien pavillon de chasse en un majes-
tueux château, à Versailles, à l’écart de Paris. Le château de Versailles n’a pas de fonction
protectrice, comme le château fort médiéval. Louis XIV
veut en faire le symbole de la puissance française aux 21
yeux du monde et de l’affirmation de l’autorité royale
sur ses sujets et la noblesse.
L’immense chantier dure près de trente ans car les
travaux d’architecture et d’aménagement des jardins
sont gigantesques. Pour les concevoir, le roi fait appel
à des architectes et artistes célèbres. En 1684, 22 000
personnes ainsi que 6000 chevaux y travaillent
quotidiennement.

22

Pierre Patel, Vue du château de Versailles et des jardins prise


de l’avenue de Paris, huile sur toile, Versailles (F), 1668.

Le roi, la courH et le gouvernement s’installent à Ver-


sailles à partir de 1682. La somptueuse demeure
accueille certains jours jusqu’à 10 000 personnes.
De grands spectacles ou des fêtes se déroulent par-
fois sur plusieurs jours. La vie à Versailles s’organise
autour du roi et tout doit contribuer à célébrer sa
gloire : assister au lever ou au repas du roi est un privi-
La galerie des Glaces avec ses 357 miroirs et son plafond lègeH. Les nobles, soumis à des règles strictes, vivent
peint par Charles Le Brun, château de Versailles (F).
ainsi dans une « cage dorée ».

24
23 ATHÉNAÏS DE MONTESPAN (vers 1640-1707)

Remarquée à la cour du roi pour la


vivacité de son esprit et sa beauté,
Mme de Montespan deviendra l’une des
plus célèbres favorites de Louis XIV, dont
elle aura sept enfants. Protectrice des écrivains,
notamment La Fontaine et Molière, elle maîtrise
parfaitement les règles de la cour et influence
même le roi.

Le Bernin et François Girardon, Louis XIV sous


MARCUS CURTIUS : héros de la mythologie les traits de Marcus Curtius, statue équestre,
romaine qui se sacrifie pour sauver Rome. marbre, Versailles (F), 1677.

76
La construction de l’État au XVII e siècle

Dans la monarchie parlementaire : l’exemple anglais


La souveraineté anglaise est pleinement représentée lorsque sont réunis, en un même
lieu, le monarque et le Parlement (les lords et les députésH). La cérémonie d’ouverture du
Parlement, qui rassemble les deux Chambres, se déroule chaque année de façon très solen-
nelle. Elle a lieu dans la Chambre des Lords car, depuis les guerres civiles, le monarque
anglais n’a plus l’autorisation d’entrer dans la Chambre des communes.

25

26

« Le roi Guillaume III d’Orange-Nassau siégeant


avec le Parlement », gravure, vers 1689.

core, lorsque la
Aujourd’hui en
te au Parlement,
reine est présen y soit séques-
le
afin d’éviter qu’el tenu en otage
t re
trée, un député es
l de Buckingham.
dans le palais roya
La reine Elisabeth II ouvrant une session
du Parlement, photographie, 2015.

Dans la république : l’exemple vénitien


À Venise, une grande démonstration réunissant tous les personnages importants de l’État
a lieu chaque année : la cérémonie du « Mariage du doge avec la mer », la Sensa. Le jour
de l’Ascension, le doge et les membres du
Sénat embarquent dans le Bucentaure, une
galère richement décorée. Au milieu de l’eau, 27
le doge jette un anneau de mariage, après avoir
reçu une bénédiction des autorités religieuses.
C’est une manière de demander symbolique-
ment à la mer une protection pour les navires
de Venise.

CHAMBRE DES LORDS : partie du Parlement


occupée par des représentants de la noblesse.
CHAMBRE DES COMMUNES : à l’époque, partie
du Parlement occupée par des représentants
des personnes aisées du peuple, bourgeois Francesco Guardi, Le Départ du Bucentaure vers le Lido de Venise, le
des villes. jour de l’Ascension (détail), huile sur toile, Paris (F), vers 1775-1780.

77
5

L’art d’impressionner les ambassadeurs


Lorsqu’un royaume ou une république souhaitent entrer en contact avec un autre État,
ils envoient sur place un représentant que l’on nomme « ambassadeur ». On confie aux
ambassadeurs de multiples tâches, allant de la simple prise de contact jusqu’à la décla-
ration de guerre ou des négociations de paix. Les États qui accueillent les ambassadeurs
le font généralement avec une coûteuse mise en scène dans le but de les impressionner.

28 29
Le 18 juin, trois ambassadeurs du roi de Siam, […] étant arrivés
à la rade de Brest, furent reçus par le sieur Descluseaux. […]
À leur entrée, ils furent salués de plus de soixante volées de
canon, auquel celui du château répondit. Ils trouvèrent à leur
descente, sur le bord de la mer, la bourgeoisie sous les armes.
On les conduisit dans la maison du roi, où ils furent logés avec
leur suite, […] jusqu’à l’arrivée du sieur Stolf, gentilhomme ordi-
naire de la maison du roi, qui avait amené un maître d’hôtel
pour leur traitement et pour la dépense qu’on serait obligé de
faire pendant tout leur séjour en France.
Adapté des Mémoires du baron de Breteuil (1648-1728),
introducteur des ambassadeurs de Louis XIV.

30
Le droit d’ambassade étant inséparable de la souveraineté, et
cette sorte de relation ne se faisant qu’entre des souverains, il
faut en conclure que le prince, ou l’État qui reçoit l’ambassadeur,
doit être souverain aussi bien que celui qui l’envoie.
 Adapté de Abraham de Wicquefort (1606-1682), diplomate,
L’Ambassadeur et ses fonctions, 1676-1682.

« Présents offerts par Kosa Pan (ambassadeur


du roi de Siam) à Louis XIV », gravure tirée de
Almanach royal pour l’année 1687, Paris (F), 1686.

31

SIAM : ancien nom Giovanni Antonio Canal dit Canaletto, Entrée du comte Gergy, ambassadeur de France au
de la Thaïlande. Palais ducal de Venise (Palais des doges), huile sur toile, Saint-Pétersbourg (RU), 1726.

78
La construction de l’État au XVII e siècle

Les artistes au service du pouvoir 32


Accueillir des ambassadeurs dans des lieux prestigieux ou impres-
sionner le peuple par des édifices ou des œuvres d’art nécessite
le travail d’artistes et d’artisans qui se mettent au service de l’État.
Cette volonté de marquer les esprits passe aussi par des spectacles.
Lorsque Louis XIV reçoit les ambassadeurs du Siam, il leur propose
plusieurs divertissements, dont une représentation du Bourgeois
gentilhomme de Molière. La pièce de théâtre, que Molière a créée
avec Jean-Baptiste Lully, mêle très habilement comédie, danse et
musique.

33 JEAN-BAPTISTE LULLY (1632-1687)

Jean-Baptiste Lully rejoint très


jeune la cour de Louis XIV, où ses
dons pour les instruments et la danse
le font remarquer. Sa proximité avec le roi,
qui va jusqu’à danser un ballet avec lui, lui permet
d’obtenir la responsabilité de la musique royale.

« La cérémonie turque », frontispice


du Bourgeois gentilhomme, gravure
d’après Pierre Brissart, 1682.

À Versailles, les jardins qui éblouissent tant les visiteurs français ou étrangers sont l’œuvre
du jardinier André Le Nôtre, secondé par de nombreux corps de métier, tels les fontainiers.
Afin de le remercier pour son travail, le roi anoblit Le Nôtre. Louis XIV apprécie à tel point
ses jardins qu’il en propose un guide de visite, rédigé de sa propre main.

34 35
Ici repose le corps d’André Le
Nostre, Chevalier de l’Ordre de
Saint-Michel, Conseiller du Roi,
Contrôleur général des bâtiments
de Sa Majesté, Arts et Manufac-
tures de France, et préposé à l’em-
bellissement des jardins de Ver-
sailles et autres Maisons Royales.
[...] Il répondit en quelque sorte
par l’excellence de ses ouvrages à
la grandeur et à la magnificence du
Monarque qu’il a servi et dont il a
été comblé de bienfaits. La France
n’a pas seule profité de son [génie].
Tous les Princes de l’Europe ont
voulu avoir de ses élèves et il n’a
point eu de concurrent qui lui fut
comparable. Vue aérienne de l’orangerie du château de Versailles, 2009.
Adapté de l’épitaphe d’André
le Nôtre (1613-1700), jardinier
du roi de 1645 à 1700.

ANOBLIR : donner un titre de noblesse.


ÉPITAPHE : inscription gravée sur un tombeau
en souvenir du défunt.

79
5

Un siècle de fer
Au XVIIe siècle, l’Europe ne connaît que quelques années de paix. La guerre affecte ainsi la société et transforme
les relations entre les États.

La guerre de Trente Ans (1618-1648) débute à Prague pourtant catholique. Parmi les combattants, on compte
par une querelle entre protestants et catholiques. de nombreux mercenairesH, des soldats de métier sou-
Elle implique ensuite la plupart des puissances euro- vent indisciplinés. Le conflit est marqué par des mas-
péennes, opposant le camp de l’empereur catholique sacres et des pillages ; il ravage en particulier le Saint
du Saint Empire et de l’Espagne, soutenu par le pape, Empire romain germanique qui perd environ un quart
au camp des États allemands protestants, de la Suède, de sa population. Partout en Europe, l’augmentation des
des Provinces-Unies et, à partir de 1635, de la France, impôts causée par les guerres provoque des révoltes.

36

« La maraude », gravure tirée de Jacques Callot, Les Misères


et les Malheurs de la guerre, Nancy (F), 1633.

37
Le premier soin qu’eurent ces reîtres fut de mettre leurs chevaux à l’écurie,
ensuite chacun eut sa tâche particulière à remplir, dont chacune n’annonçait
que désastre et perdition. [...] Il y en eut d’autres qui parcoururent la maison
de haut en bas, même le coin discret ne fut pas à l’abri […] ; d’autres faisaient
de gros ballots de draps, habits et toute sorte d’objets d’usage domestique
comme s’ils voulaient monter un marché aux puces ; quant à ce qu’ils ne
pensaient pas emporter, ils le mettaient en pièces.
Adapté de Hans Jakob C. von Grimmelshausen (1622-1676),
Les Aventures de Simplicius Simplicissimus, 1669.

38
En 1646 [dans la ville de Naples sous domination espagnole, on] imposa
une nouvelle taxe sur les fruits qui s’étendait à toutes les sortes de fruits,
les fruits secs comme les fruits frais […]. Le peuple innombrable, déjà
accablé de nombreuses taxes, ne pouvait tolérer cette taxe […]. Il supplia
le vice-roi […] de la supprimer. Alors, tout en promettant qu’il abolirait
entièrement cette taxe, le vice-roi se retira dans son palais. […]
Une nuit, tout frémissant et grondant de colère parce que la promesse
tardait, le peuple mit le feu à la baraque, située sur la place du Mercato,
où l’on percevait ladite taxe, baraque qui, par la suite, fut reconstruite,
le même incident s’étant deux fois produit. On ne manqua pas non plus
de placarder, aux endroits les mieux en vue de la ville, des écrits remplis
des doléancesH populaires et des fières protestations contre les admi-
nistrateurs publics.
Adapté de Alessandro Giraffi, La Révolution à Naples :
les dix jours de Masaniello, 1648.
REÎTRE : soldat à cheval, grossier et brutal.
VICE-ROI : représentant du roi d’Espagne.
PLACARDER : afficher.

80
La construction de l’État au XVII e siècle

La Paix de Westphalie
Quatre années de négociations sont nécessaires pour trouver des compromis et résoudre
les conflits. Les dernières rencontres, réunissant les représentants des grands États d’Eu-
rope, ont lieu en Westphalie, région du nord de l’Allemagne durement touchée. En octobre
1648, les traitésH négociés sont publiés et la Paix
de Westphalie met fin à la guerre de Trente Ans. 39
Pour la première fois, les relations entre États sont
définies, dans le respect de la souveraineté de cha-
cun : chaque État exerce le pouvoir sur son propre
territoire ; aucun État n’est supérieur aux autres.
Ce principe s’applique aux États européens mais
aussi à ceux d’autres continents. Ces traités sont à
la base du système international actuel qui repose
sur l’égalité des États face à la justice.

« Messagers de paix en Westphalie, 1648 »,


tract de l’époque, gravure sur bois coloriée.

40 L’Europe des Traités de Westphalie (1648)

ROYAUME
DE
SUÈDE
MER EMPIRE DE
ROYAUME
D’ECOSSE DU RUSSIE
ROYAUME
NORD DE
Postillon annonçant la signature
DANEMARK des traités de paix de 1648.
ROYAUME PRUSSE
D’IRLANDE ROYAUME
DE
ROYAUME
PROVINCES- BRANDEBOURG POLOGNE
D’ANGLETERRE
UNIES
Bien que les cant
SAINT ons suisses
ne combattent
EMPIRE Bohême pas direc-
tement dans la
guerre de
OCÉAN Trente Ans, ils
sont men-
ATLANTIQUE tionnés dans les
Tra
Wes tp ha lie. Co ités de
ROYAUME
CORPS Autriche
DE FRANCE HELVÉTIQUE m m e le s
MER Provinces-Unies
Savoie VENISE EMPIRE , ils béné-
OTTOMAN NOIRE ficient désormais
d’
tut particulier qu un sta-
ÉTATS ITALIENS
ÉTATS i
DE naît leur « pleine recon-
lib
mais sans recevo erté »,
L’ÉGLISE
ROYAUME
DU ir encore
PORTUGAL ROYAUME la qualité d’État
D’ESPAGNE
ROYAUME
DE souverain.
NAPLES

MER
MÉDITERRANÉE ROYAUME
DE
SICILE

EMPIRE
CHÉRIFAT DE OTTOMAN
MARRAKECH

0 500 1000 km

Limites du Saint Empire romain germanique


Possessions des Habsbourg d’Autriche
Possessions des Habsbourg d’Espagne

Vingt ans après les Traités de Westphalie, l’Europe connaît toutefois de nouveaux conflits,
en raison notamment des ambitions de Louis XIV, qui cherche à étendre son territoire en
direction du Saint Empire. Dès la fin du XVIIe siècle, grâce à leurs ambassadeurs, les États
négocient afin de diminuer les enclaves sur leurs territoires et obtenir un tracé régulier ENCLAVE : territoire
des frontières. indépendant se
trouvant à l’intérieur
des frontières d’un
autre État.

81
6

DES LUMIÈRES
AU BULLETIN DE VOTE

TREIZE COLONIES
BRITANNIQUES
D’AMÉRIQUE

OCÉAN ROYAUME-UNI
ATLANTIQUE
SAINT
EMPIRE
FRANCE
SUISSE
Milan

MER
MÉDITERRANÉE

1752 1776 1789


1689 Début de l’édition Déclaration Déclaration des 1804
Bill of rights de l’Encyclopédie d’indépen- droits de Sacre de 1
(GB) de Diderot et dance des l’homme l’empereur Con
d’Alembert États-Unis et du citoyen Napoléon V

Siècle des Lumières

1700 1800
1762 1768-1787 1789-1799 1799-1815
Publication de Révoltes Révolution Conquêtes
Du contrat social populaires française et guerres
de J.-J. Rousseau en Europe napo-
léoniennes

82
APPRENTISSAGES VISÉS
EN ÉTUDIANT CE THÈME, TU APPRENDRAS À :
– décrire les apports des idées des Lumières à propos des droits
de chaque être humain ; OCÉAN
PACIFIQUE
– décrire les causes du mécontentement populaire et ses demandes
de changement ;
– expliquer les circonstances ayant permis d’inscrire des principes
de droit dans la loi de plusieurs pays ;
– identifier et analyser les combats menés pour que le suffrage
soit vraiment universel.

AU TRAVERS DU THÈME, TU APPRENDRAS AUSSI


PROGRESSIVEMENT À :
– analyser l’évolution des idées et des attentes de divers acteurs
sociaux ;
– comparer des sources parfois contradictoires et en identifier
les arguments respectifs ;
– analyser différents moyens pour s’exprimer et revendiquer
des droits ;
– argumenter et débattre sur les droits fondamentaux.

OCÉAN
1848 INDIEN 1893
4 1832 Naissance de Premier droit
de 1815 Première pétition l’État fédéral. de vote accordé
ereur Congrès de féministe Suffrage universel aux femmes en
éon Vienne en Angleterre (masculin) en France Nouvelle-Zélande

1900
Dès 1830
1815-1830 Révolutions
Restauration en Europe

83
83
6

Jean Huber, Un dîner de philosophes,


huile sur toile, Oxford (GB), vers 1773.

Felice Donghi (1828-1887), Les Barricades sur le


corso di porta Vercellina à Milan, le 22 mars 1848,
huile sur toile, Milan (I), XIXe siècle.

« Suffragettes et Policemen », L’Œil de la police,


hebdomadaire illustré, Paris (F), 1914.

« Être libre, ce n’est pas seu-


lement se débarrasser de ses Landsgemeinde à Glaris, 5 mai 2013.
chaînes ; c’est vivre d’une façon
qui respecte et renforce
la liberté des autres. »
Nelson Mandela, Un long chemin vers
la liberté, 1994.

84
Des Lumières au bulletin de vote
En Europe, aux XVIIe et XVIIIe siècles, des mouvements sociaux contestent l’autorité du
roi et les privilègesH de la noblesseH. De nombreuses émeutes urbaines et révoltes pay-
sannes éclatent, notamment face aux fréquentes augmentations des impôtsH et des taxes.

Parallèlement, des penseurs, les philosophes, diffusent un nouvel idéal de sociétéH dans
lequel les pouvoirs du roi seraient limités par des loisH, dont l’élaboration serait soumise
à l’accord de la population. Ils mettent en avant les sciences et la raison, créent des aca-
démiesH scientifiques afin de développer la recherche. Ce modèle se diffuse en Europe.
Certains monarquesH s’ouvrent aux idées dites « des Lumières », d’autres sont inquiets et
comptent bien les combattre.
En France, ces nouvelles idées se heurtent à l’absolutisme. En 1789, la Révolution fran-
çaise marque la fin de la monarchie absolue. La Déclaration des droits de l’homme et
CITOYEN
du CITOYEN introduit de nouveaux droits et les déclare universels. Personne qui a
Dix ans plus tard, Napoléon Bonaparte, un général des armées françaises, prend le des droits politiques,
pouvoir. Il bâtit un empireH en Europe, où il impose certains principes de la révolution. en particulier le droit
de voter et d’être
Il est vaincu et exilé en 1815. La monarchie est alors restaurée dans les pays où elle élue.
avait été remise en cause.
Toutefois, les exclus du système continuent de revendiquer plus de droits, dont celui de
participer au gouvernementH ou l’indépendance de leur pays. La lutte sera longue pour
que les idées défendues par les Lumières soient appliquées et réellement universelles.
Cette lutte se poursuit aujourd’hui encore dans certains pays.

Circulation des Lumières en Europe


Uppsala Saint-Pétersbourg

Stockholm
MER
DU NORD Riga
Glasgow

Édimbourg Copenhague

Cambridge Berlin
Amsterdam
Londres La Haye Göttingen Halle

Leipzig

Paris Vienne
OCÉAN
ATLANTIQUE

Ferney Genève
Padoue MER
Venise NOIRE
Turin
Bologne
Florence
Montpellier Sienne

Madrid Rome
MER
Lisbonne MÉDITERRANÉE 500 km
Naples

La diffusion des Lumières Les voyages de...


Grandes académies scientifiques Grands foyers des Lumières Voltaire (1694-1778)
Université dynamiques Rousseau (1712-1778)
Foyers secondaires
Éditions de journaux scientifiques et philosophiques Diderot (1713-1784)
Limites du Saint Empire romain germanique

85
6

Penser une société nouvelle


Le mouvement des Lumières se diffuse en Europe au XVIIIe siècle. Les philosophes qui s’y rattachent souhaitent
« éclairer » le monde par la raison, en faisant usage d’un esprit critique. Ils recommandent une stricte séparation
du religieux et du politiqueH. Ils développent la méthode scientifique, se posent des questions sur la politique,
l’économieH et la vie en société.

Les penseurs critiquent les privilèges et l’inégalité de au service de son peupleH et qu’il gouverne selon les
la société des trois ordres. Ils combattent l’absolutisme principes de la raison et de la morale. Pour imaginer
et cherchent à limiter les pouvoirs du monarque. La un système politique susceptible de remplacer la mo-
plupart des penseurs des Lumières ne condamnent narchie absolue, les philosophes français observent
pas la monarchie, mais ils pensent que ce système ne d’autres régions d’Europe comme l’Angleterre et certains
peut fonctionner qu’à condition que le souverainH soit ÉtatsH allemands.

1 2
Ose savoir ! Aie le courage de te servir de [Les prétentions des prêtres] se sont établies en
ton propre entendement ! Voilà la devise des raison de l’ignorance des peuples, de la faiblesse
Lumières. [...] Pour répandre ces Lumières, il des souverains et de l’adresse des prêtres ; ces
n’est rien requis d’autre que la liberté ; et [...] derniers sont souvent parvenus à se maintenir
faire usage public de sa raison dans tous les dans leurs droits usurpés. […] Il n’en est point
domaines. ainsi des contrées éclairées par les lumières de
Adapté d’Emmanuel Kant, la raison et de la philosophie, le prêtre n’y oublie
Qu’est-ce que les Lumières ?, 1784. jamais qu’il est homme, sujetH et citoyen.
Adapté de « Prêtres », Encyclopédie, sous la direction
de Diderot et d’Alembert, vers 1750-1790.

3
« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut
que [...] le pouvoir arrête le pouvoir [...]. Tout serait
perdu si le même homme, ou le même corps […]
des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois
pouvoirsH : celui de faire des lois, celui d’exécu-
ter les résolutions publiques, et celui de juger les
crimes ou les différends des particuliers. »
4
Charles Louis de Montesquieu,
De l’esprit des lois, 1758.

De nouveaux espaces de débats


Les idées des Lumières touchent l’Europe ainsi que l’Amérique du
Nord. Elles se répandent à travers les voyages des philosophes et
grâce aux nouveaux lieux de réunion qui favorisent les discussions.
Avec l’essor de l’imprimerieH, la diffusion des livres et de la presse
est en pleine expansion. Dès le XVIIIe siècle, les journaux et autres
écrits se multiplient avec des caricatures ou des articles engagés,
souvent critiques. Ces outils permettent de diffuser les idées nou-
velles, de débattre, d’argumenter.
Quelques femmes scientifiques sont reconnues pour leurs travaux,
mais elles sont généralement exclues des sociétés savantes. Tou-
tefois, des femmes, modernes et intellectuelles, accueillent dans
leur salon personnalités politiques, lettrés et scientifiques des deux
sexes et de toutes conditions. Elles entretiennent une abondante
correspondance avec tout ce que l’Europe compte d’esprits ouverts.
« Des nouvellistes dans un jardin public
écoutent la lecture d’une gazette »,
caricature, Paris (F), vers 1780.
ESPRIT CRITIQUE : désigne une capacité à s’interroger sur la réalité ou
la probabilité de faits prétendus, ainsi que sur leurs interprétations.
TROIS ORDRES : clergé, noblesse, tiers état (voir p. 89).
ENTENDEMENT : faculté intellectuelle de comprendre, de juger.

86
Des Lumières au bulletin de vote

Tout individu a des droits


Les penseurs des Lumières développent l’idée que tout individu a des droits liés à sa
nature humaine : il les reçoit à la naissance et ne peut les perdre. Parmi les plus importants
se trouvent la liberté de penser par soi-même, la liberté de croyance, l’égalité devant la loi,
le droit de se réunir, le droit d’exprimer ses opinions. Ces droits naturels sont consi-
dérés comme des DROITS FONDAMENTAUX et toute personne qui en est privée
peut les exiger. Cette manière de penser a influencé le mouvement de révolte
des Treize coloniesH américaines appartenant à la Grande-Bretagne. En
1776, leur indépendance donnera naissance aux États-Unis d’Amérique.
DROITS
FONDAMENTAUX
Ensemble des libertés (indi-
5 viduelles et collectives) et des
« Le pacte fondamental substitue [...] une égalité morale et légi- pouvoirs liés à une personne.
Les droits fondamentaux con-
time à ce que la nature avait pu mettre d’inégalité physique cernent chaque être humain.
entre les hommes […] ; pouvant être inégaux en force ou en Les droits politiques, eux,
génie, ils deviennent tous égaux par conventionH et de droit. » sont liés à la fonction
Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, 1762. de citoyen.

6 7
« Nous tenons pour évidentes pour
elles-mêmes les vérités suivantes :
tous les hommes sont créés égaux ;
ils sont doués par le Créateur de cer-
tains droits inaliénablesH ; parmi ces
droits se trouvent la vie, la liberté et
la recherche du bonheur. Les gou-
vernements sont établis parmi les
hommes pour garantir ces droits, et
leur juste pouvoir émane du consen-
tement des gouvernés. »
Préambule de la Déclaration
d’indépendance des États-Unis,
12 juin 1776.

John Trumbull, La Présentation du texte final de la Déclaration d’indépen-


dance au Congrès américain, huile sur toile, Washington (USA), 1818.

Les réactions des monarques


En France, la monarchie craint la diffusion des idées nouvelles, comme celles qui
figurent dans l’Encyclopédie, consacrée à toutes les formes de la connaissance et
des sciences. Sans être considérées comme des appels à la rébellion, elles sont
jugées suffisamment dangereuses pour être poursuivies en justice. Leur publica-
tion étant interdite, les impressions se font à l’étranger. Les philosophes risquant
l’emprisonnement choisissent parfois l’exil. Ailleurs, certains monarques s’ouvrent
à ces idées nouvelles et accueillent les penseurs des Lumières. Ils réforment la
justice, abolissent la torture ou accordent la liberté religieuse à leurs sujets ; ils
continuent toutefois à gouverner avec une très grande autorité. Catherine II de
Russie et Frédéric II de Prusse sont les plus connus de ces « despotes éclairés ».

Encyclopédie ou Dictionnaire
raisonné des sciences, des arts
ÉGALITÉ MORALE : concerne la dignité, et des métiers, sous la direction
le respect, la liberté. de Diderot et d’Alembert,
DESPOTE : souverain prenant des décisions Neuchâtel, 1765.
incontestables, sans tenir compte de l’avis d’autrui.
87
6

Revendiquer un changement
Les élites intellectuelles ne sont pas les seules à souhaiter un changement dans la manière de gouverner.
L’ensemble de la population subit une situation économique toujours plus difficile et développe un fort senti-
ment d’injustice, notamment en matière d’impôts. Dès les années 1770, dans toute l’Europe, la tension monte
et des révoltes populaires éclatent.

Divers moyens sont mis en œuvre pour obtenir plus de les acteurs politiques ont plusieurs solutions, allant de la
pouvoir, affirmer des droits ou acquérir plus d’égalité. simple formulation de leurs souhaits à la révolte armée.
Pour faire accepter leurs revendicationsH aux dirigeants,

9 Révoltes populaires en Europe entre 1768 et 1787

Glasgow MER
DU NORD
ROYAUME-UNI SUÈDE
1782 RUSSIE
Newcastle DANEMARK
Dublin
Liverpool Manchester
1787
Sheffield
1775
Nottingham
Bristol Birmingham
PROVINCES- PRUSSE
Exeter Londres UNIES
1768-82 1780 Lille
POLOGNE
Douai Valenciennes SAXE
Beauvais
Cambrai
Paris
Rennes
1785 Nancy 1775
OCÉAN
ATLANTIQUE 1775 BAVIÈRE
Neuchâtel
Zurich
FRANCE Genève AUTRICHE
Fribourg
Lyon
1781-82 1784
1786
Grenoble

Aix
PORTUGAL
Toulon
EMPIRE
ESPAGNE MER Troubles urbains OTTOMAN
MÉDITERRANÉE
Révoltes paysannes
ROY. DE
NAPLES

10 11
« Par le nombre des émeutes urbaines et des
révoltes paysannes, la Suisse apparaît comme la
région la plus conflictuelle du Saint Empire germa-
nique ! Si l’on admet une quarantaine de conflits
pour la période 1700-1784 […], on constate que la
moitié d’entre eux sont dirigés contre l’arbitraire
des aristocratiesH urbaines et qu’un bon tiers est
constitué de révoltes paysannes. Cette culture du
conflit et de la résistance ouverte révèle à quel
point la sensibilité aux inégalités économiques,
sociales et politiques est vive. »
François Walter, Histoire de la Suisse, 2010.

Joseph Husson, Exécution de Pierre Péquignat et de ses


compagnons Pierre Riat et Fridolin Lion à Porrentruy, le
ARBITRAIRE : pouvoir ou autorité d'une 31 octobre 1740, huile sur toile, Porrentruy (JU), 1890.
personne ou d'un groupe qui n'est pas
limité par des règles.

88
Des Lumières au bulletin de vote

Faire part de ses revendications


Afin d’éviter de nouvelles révoltes, les autorités proposent parfois aux communautés de
lister leurs demandes et d’exprimer ainsi leurs doléancesH (ou représentations). C’est le
cas à Fribourg après les troubles de 1781 ou en Valais en 1790.

12
Votre Paroisse d’Arconciel a reçu non seulement un pardon général, mais encore des
marques signalées de la bonté vraiment Paternelle de vos Souveraines Excellences.
[…] Elle avoue sa confusion, que quelques-uns de ses membres séduits par les belles
paroles avaient suivi les rebelles. […] Cependant, puisque vous voulez bien lui per-
mettre de vous faire d’humbles représentations, deux choses surtout lui sont à cœur
[de changer] : l’augmentation des charrois, la diminution du sel [pouvant être acheté].
Adapté de Troubles de 1781, Archives de l’État de Fribourg, mai 1781.

En France, confrontée à l’opposition des parlementsH provinciaux, la monarchie n’arrive


plus à trouver les ressources financières nécessaires à la conduite de l’État. En 1788, l’im-
passe est telle que le roi Louis XVI est contraint d’accepter la convo-
cation des États généraux du royaume. Venant de toutes parts, des 14
cahiers de doléances sont alors rédigés, recueillant les témoignages et
demandes des trois ordres. L’assembléeH du tiers état, qui représente
98% de la population, fait part des difficultés qu’il rencontre.

13
Sire, nous sommes accablés d’impôts de toutes sortes ; nous
vous avons donné jusqu’à présent une partie de notre pain, et
il va bientôt nous manquer si cela continue. […] Nous payons la
taille, et le clergé et la noblesse rien de tout cela. Pourquoi donc
est-ce que ce sont les riches qui paient le moins et les pauvres
qui paient le plus ? Est-ce que chacun ne doit pas payer selon son
pouvoir ? Sire, nous vous demandons que cela soit ainsi, parce
que cela est juste.
Adapté du Cahier de doléances de Culmont, Haute-Marne (F), 1789.

15 Assemblée des États généraux, mai 1789 « Faut espérer que ce jeu-là finira bientôt »,
une paysanne porte sur son dos une noble
TIERS ÉTAT CLERGÉH NOBLESSE et une femme du clergé, gravure, Paris, 1789.
(1 voix) (1 voix) (1 voix)

16
578 291 270 Qu’est-ce que le Tiers-État ? Tout.
députés députés députés
Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans
l’ordre politique ? Rien.
Que demande-t-il ? À y devenir
quelque chose.
Adapté de l’abbé Sieyès,
ASSEMBLÉE ASSEMBLÉE ASSEMBLÉE pamphlet publié en janvier 1789.
du TIERS ÉTAT du CLERGÉ de la NOBLESSE

LE TIERS ÉTAT LE CLERGÉ LA NOBLESSE CHARROI : ici, corvée de transport de marchandises.


environ 27 millions environ 170 000 environ 300 000 TAILLE : impôt payé seulement par le tiers état.
de personnes personnes personnes
PAMPHLET : court écrit critique, souvent violent.

89
6

Des révoltes à la révolution


Les États généraux sont réunis par le roi de France pour régler la crise financière. Ils étudient les cahiers de
doléances, mais les représentants du tiers état sont minorisés par le clergé et la noblesse lors des votes. En
effet, chaque ordre n’a qu’une voix, quel que soit le nombre de personnes représentées.

Mécontents, les représentants du tiers état décident de 17


se réunir, contre l’avis du roi, dans une salle séparée
(la salle du Jeu de Paume). Ils y entreprennent, selon
l’exemple américain, la rédaction d’une constitutionH
en vue d’une nouvelle organisation de la société. En
effet, ils sont conscients qu’il est indispensable d’ins-
crire le changement souhaité dans le droit et qu’il soit
validé par des représentants de la population.
Certains membres du clergé et de la noblesse rejoignent
le tiers état et forment une Assemblée nationale consti-
tuante. En préambule à la Constitution, ils rédigent la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans
laquelle sont inscrits les principes de liberté, d’égalité
et de fraternité.
Jacques Louis David, Le Serment du Jeu
de Paume, le 20 juin 1789, dessin, 1791.

18 Extraits de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789

Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l'ignorance,
l'oubli ou le mépris des Droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption
des Gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables
et sacrés de l'Homme [...].
Art. 1er Les hommes naissent et Art. 2 Le but de toute association Art. 4 La liberté consiste à pou-
demeurent libres et égaux en politique est la conservation des voir faire tout ce qui ne nuit pas à
droits. Les distinctions sociales droits naturels et imprescriptibles autrui : ainsi, l'exercice des droits
ne peuvent être fondées que de l'Homme. Ces droits sont la naturels de chaque homme n'a
sur l'utilité commune. liberté, la propriété, la sûreté, et de bornes que celles qui assurent
la résistance à l'oppression. aux autres Membres de la Socié-
té, la jouissance de ces mêmes
droits. Ces bornes ne peuvent
être déterminées que par la Loi.

19 Prendre les armes


Face aux démonstrations de force du pouvoir, qui
n’entend pas ses revendications, la population
prend les armes pour combattre. Des événements
tels que la prise de la Bastille marquent les esprits
et deviennent les symboles de la lutte révolution-
naire, même s’ils ne sont pas toujours à l’origine
du changement.

La Prise de la Bastille le 14 juillet 1789 et l’arrestation IMPRESCRIPTIBLE : qui ne peut


de monsieur de Launay, huile sur toile, 1798. disparaître, ni être supprimé.

90
Des Lumières au bulletin de vote

Le mouvement de contestation oblige le roi à accepter la nouvelle constitution. Il entraîne


aussi la RÉVOLUTION française qui met fin à la monarchie absolue ainsi qu’aux privilèges
de la noblesse et du clergé. L’Assemblée nationale introduit de nombreuses réformes de
la société mais les mouvements populaires se poursuivent. Parmi les acteurs importants
de la Révolution se trouvent les « sans-culottes », des artisans, ouvriers et petits
commerçants. Ils réclament l’égalité politique, une baisse des prix, un impôt sur
les riches. Pour se faire entendre, les sans-culottes se réunissent dans leurs quar-
tiers et dans les clubs. Là, ils discutent, rédigent des pétitions qu’ils vont porter RÉVOLUTION
Changement brusque
aux représentants du peuple. S’ils ont l’impression que les hommes politiques et violent du régime
ne les écoutent pas, ils prennent les armes et participent à des insurrections. politique d’un État, qui
entraîne une transfor-
mation profonde de
20 la société.

Les femmes jouent un rôle non négligeable. Elles se


regroupent dans des clubs féminins comme la Société
des citoyennes républicaines révolutionnaires, fon-
dée par Pauline Léon, chocolatière et Claire Lacombe,
actrice. Elles sont actives lors de la manifestation
contre l’augmentation du prix du pain, qui oblige le
roi à quitter Versailles pour Paris ; c’est la Marche des
femmes. Elles revendiquent aussi leurs droits, comme
Jean-Baptiste Lesueur, Club patriotique Olympe de Gouges qui rédige la Déclaration des droits
de femmes, gouache, Paris (F), 1791.
de la femme et de la citoyenne. Mais celle-ci ne sera
jamais débattue à l’Assemblée nationale.

21
Article 1. La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits.
Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité
commune.
Le nom donné au
x « sans-
Article 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fon- cu lo tte s » vi en
t du fa it
damentales ; la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit qu’ils portent un
pantalon
également avoir celui de monter à la tribune […]. long et non un
e culotte
(pantalon s’arrêta
nt
Extraits de Olympe de Gouges (1748-1793), genou) et des ba sous le
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791. s de soie
comme la bourge
oisieH ou
la noblesse.

Les excès de la Révolution


Ces vives tensions sociales et politiques engendrent un climat de violence : massacres
de prisonniers, régions contre-révolutionnaires dévastées, nobles exécutés à la suite
de procès bâclés. Des rivalités déchirent les camps au sein même des révolutionnaires
qui, tour à tour, prennent le pouvoir. Les condamnations à mort se succèdent, on compte
jusqu’à 20 000 personnes guillotinées, dont le roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette.
La Terreur, qui a duré un peu plus d’un an, est la période la plus sombre de la Révolution.

22
Après que [la foule] eut massacré tous les prêtres renfermés
dans le cloître, elle commença le massacre des prisonniers
INSURRECTION : soulèvement armé ou par cent cinquante-six soldats suisses [gardes du roi], enfer-
révolte contre le pouvoir en place. més à l’Abbaye, dont pas un n’a été sauvé. Vint ensuite le tour
ÉCHAFAUD : estrade sur laquelle on procé- des autres prisonniers.
dait aux exécutions par décapitation. Adapté de François Jourgniac de Saint-Méard,
TRIBUNE : emplacement élevé, estrade d’où Mon agonie de 38 heures, 1792.
l’orateur s’adresse à une assemblée.
GUILLOTINER : décapiter avec une guillotine.

91
6

De Napoléon à la Restauration
La Révolution est menacée de l’intérieur par des royalistes qui souhaitent le retour d’un roi, et à l’extérieur par
l’ensemble des souverains inquiets de voir leur peuple suivre cet exemple. Durant cette période de troubles,
un général, Napoléon Bonaparte, stabilise la situation. Il passe ainsi pour l’homme providentiel et en profite
pour prendre de plus en plus de pouvoir, jusqu’à se faire couronner empereur.

Homme à deux visages, il lance des réformes liées aux en Espagne. Cependant, les idées de la Révolution
idées de la Révolution mais se lance aussi dans des telles que la suppression de la féodalité, l’égalité ou
conquêtes qui feront d’innombrables victimes à tra- l’application du Code civil le suivent et imprégneront
vers les batailles ou l’occupation de territoires, comme durablement l’Europe, même après sa défaite.

23
Article 1. Le Gouvernement de la RépubliqueH est confié à un Empereur, qui prend le
titre d’Empereur des Français.
Article 53. Le serment de l’Empereur est ainsi conçu :
– « Je jure de maintenir l’intégrité du territoire de la République, de respecter et de faire
respecter les lois du Concordat et la liberté des cultesH ; de respecter et faire respecter
l’égalité des droits, la liberté politique et civile […] ; de gouverner dans la seule vue de
l’intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. »
Extraits de la Constitution de l’an XII (1804).

24 25 La France domine l’Europe, 1812


À propos de la campagne de Russie :
On a vu des hommes gelés dans toutes MER
DU
les positions imaginables. […] En ce mois NORD
de décembre 1812, le thermomètre était EMPIRE
PRUSSE
RUSSE
tombé à –28° durant deux jours : il est
facile d’imaginer l’effet qu’un froid pareil
dut produire sur des hommes affamés,
mal vêtus et harassés de fatigue. Une ÉTATS EMPIRE
OCÉAN
grande partie de ces malheureux eurent ATLANTIQUE EMPIRE ASSOCIÉS D’AUTRICHE
des membres gelés ou moururent sur les FRANÇAIS MER
NOIRE
routes et aux bivouacs, brûlés d’un côté,
gelés de l’autre […].
Adapté du capitaine Abraham
Rosselet, de Douanne (BE), 1857.
MER
MÉDITERRANÉE

0 500

26

27

« Le corps expéditionnaire français emporte les richesses


de l’Helvétie en 1798 », eau-forte, Zurich, 1799. « Un grand chef »,
monument
Napoléon
CONCORDAT : ici, accord organisant les rap- Bonaparte,
ports entre les différentes religions et l’État. Varsovie (PL),
2011.
AN XII : l'an I débute le jour de proclamation
de la République (22 septembre 1792).

92
Des Lumières au bulletin de vote

Restauration et révoltes populaires


À la chute de Napoléon, les monarchies victorieuses réorganisent l’Empire français et créent
la Sainte Alliance pour remettre en place l’Ancien Régime et contrer les nouvelles révoltes qui
risqueraient d’apparaître. Le Congrès de Vienne, en 1815, est le symbole de cette reprise en
main. Cependant, au cours du XIXe siècle, les peuples
réclament plus de droits ou parfois l’indépendance,
28
comme en Pologne. En 1830, une vague de soulève-
ments se répand ainsi dans toute l’Europe. Des barri-
cades sont construites pour mener le combat mais peu
de révoltes aboutissent.

29 Après le Congrès de Vienne, 1815

MER
DU
NORD
EMPIRE
RUSSE
PRUSSE

OCÉAN EMPIRE
ATLANTIQUE FRANCE D’AUTRICHE
« Le pâté indigeste », caricature sur
MER le Congrès de Vienne, gravure, 1815.
NOIRE

30
MER
MÉDITERRANÉE
0 500

31

Michel Delaporte, « L’ordre règne


à Varsovie », lithographie, Paris (F),
1831.

Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, huile sur toile,


Paris (F), 1830.
32 VICTOR HUGO (1802-1885)

Écrivain, artiste et homme politique français.


Parmi ses romans figure Les Misérables mettant
en scène les injustices sociales et les barricades
de 1830. Gavroche, personnage de ce roman, est
parfois associé au jeune garçon du tableau de Delacroix.
Banni suite au coup d’État de 1851, Hugo reste en exil durant
vingt ans, proclamant : « Quand la liberté rentrera, je rentrerai ».

93
6

Le droit de vote pour tous ?


Le droit de vote accordé aux citoyens est l’un des principaux acquis de la période révolutionnaire. Il permet de
participer pleinement au fonctionnement d’un État démocratiqueH. Le système longtemps en vigueur reste
cependant celui du SUFFRAGE censitaire. Celui-ci attribue le droit de vote selon la fortune, calculée à partir d’un
impôt appelé le cens.
Le droit de vote est donc réservé à la population aisée. femmes, membres du clergé, certaines confessions reli-
D’autres critères sont établis, notamment un âge mini- gieuses selon les pays, militaires, criminels et habitants
mum. En 1848, la France est le premier pays à instaurer des colonies. Ces exclusions restent nombreuses dans
le suffrage dit universel. Il sera rapidement à nouveau le monde durant le XIXe siècle. Mais la lutte pour les
restreint, avant de s’établir définitivement en 1875. droits civiques continue et mène notamment à l’aboli-
Malgré la mise en place du suffrage universel, bien tion de l’esclavageH.
des catégories sont encore exclues du droit de vote :

33 Ça, c’est pour l’ennemi du dehors, pour SUFFRAGE


le dedans, voici comment l’on combat Désigne le vote mais aussi
loyalement les adversaires ... la manière dont il est orga-
nisé. Le suffrage dit « univer-
sel » est tout d’abord exclusi-
vement masculin, avant
d'être étendu au droit
de vote des femmes.

34
Le suffrage universel suppose deux conditions :
d’abord, que la masse des citoyens aura la
volonté du bien général, plutôt que de ses inté-
rêts particuliers ; puis, qu’elle aura une connais-
sance du bien général suffisante pour imprimer
à la politique une bonne direction. […] Or, c’est à
l’éducation qu’il appartient de réaliser [ces deux
conditions].
Adapté de Alfred Fouillée, philosophe,
La Philosophie du suffrage universel, 1884.
Louis Marie Bosredon, « Suffrage universel :
le vote ou le fusil », gravure, Paris (F), 1848.

35
Le matin de l'élection, tous les électeurs, c'est-à-dire
toute la population mâle au-dessus de vingt ans,
se réunirent devant l'église. Tous ces hommes se
mirent à la file deux par deux, suivant l'ordre alpha-
bétique. […] Nous ne laissions derrière nous que
les enfants et les femmes ; nous étions en tout cent
soixante-dix. Arrivés au haut de la colline qui domine
Tocqueville, on s'arrêta un moment […]. Je rappe-
lai à ces braves gens la gravité et l'importance de
l'acte qu'ils allaient faire ; je leur recommandai de ne
point se laisser accoster ni détourner par les gens,
qui, à notre arrivée au bourg, pourraient chercher à
les tromper ; mais de marcher sans se désunir […]
jusqu'à ce qu'on eût voté.
Adapté de Alexis de Tocqueville, Gabriel Gostiaux, « Suffrage universel : bureau de
philosophe politique, Souvenirs, 1848. vote en Bretagne », lithographie, fin du XIXe siècle.

94
Des Lumières au bulletin de vote

La longue lutte des femmes pour l’accès à la citoyenneté


Malgré le combat de nombreuses femmes, ni les philosophes ni les révolutionnaires du
XVIIIe siècle n’ont envisagé de leur accorder le droit de vote. Les États-Unis et le Royaume
Uni sont les pionniers du mouvement féministe qui revendique l’égalité et dénonce l’op-
pression que subissent les femmes. À partir de 1865, des femmes, surnommées les Suffra-
gettes, se regroupent et manifestent, réclamant le suffrage pour toutes et tous. Ce droit,
acquis dès 1893 en Nouvelle-Zélande, puis en Australie, sera accordé progressivement
dans le reste du monde. En Europe, la Suisse, l’Espagne et le Portugal ne l’accordent
qu’après 1970.
36
[…] C’est cependant au vote politique, si péniblement conquis, que les hommes doivent
l’heureux changement qui les réunit sous les mêmes lois ; c’est le vote politique qui a fait
cesser une partie des criants abus qui dégradent la société ; c’est grâce au vote politique,
autrement dit « suffrage universel » (mot illusoire aussi longtemps que les femmes n’y
participeront pas) qu’ont eu lieu les progrès et les améliorations sociales. […] La conclu-
sion naturelle est donc celle-ci : nous réclamons le droit de vote parce que nous sentons la
nécessité d’avoir nos idées représentées dans les Conseils, dans les Commissions ; parce
que nous aussi voulons être des citoyennes et partager la tâche des citoyens – nos frères.
Adapté d’un discours de Marie Goegg-Pouchoulin en 1868, citée par Susanna Woodtli,
Du féminisme à l’égalité politique. Un siècle de luttes en Suisse (1868-1971), Lausanne, 1977.

37
a. Hector Denis (socialisteH) b. Charles Woeste (catholique) :
Il n’y a personne qui osera soutenir un seul ins- En principe, je ne suis pas sympathique au droit
tant que la capacité de la femme soit insuffisante de suffrage des femmes. J’estime que, de même
pour justifier son intervention dans l’adminis- que le gouvernement de la maison appartient, en
trationH locale. [...] Voyez dans quelle mesure les règle générale et surtout, à la femme, de même
femmes participent à l’industrie, au commerce et le gouvernement de la cité appartient à l’homme.
aux professions libérales (comme médecins ou avo- Les mœursH, les traditions, les nécessités de la
cates par exemple), et vous apprécierez l’importance famille retiennent la femme au foyer domestique et
de la place qu’elles occupent dans la vie économique l’écartent du forum (espace destiné aux assemblées
et intellectuelle de la nationH […]. publiques, aux débats politiques) [...].
Adapté de la séance plénière de la Chambre des représentants de Belgique, Annales parlementaires, 4 avril 1895.

38

39 ÉMILIE GOURD (1879-1946)

Née à Genève en 1879, Émilie


Gourd est l’une des figures les
plus marquantes du féminisme
suisse. Elle s’investit dans diffé-
rents domaines en lien avec la
condition des femmes : assurance
maladie, assurance maternité, formation des
« Pourquoi la Femme doit voter », photographie, vers 1920. filles, égalité des salaires, accès des femmes à
toutes les fonctions et surtout, l’obtention du
droit de vote des femmes en Suisse.

95
7

L’ÂGE INDUSTRIEL

GRANDE-
BRETAGNE
1840
1850 1860 1880
1870

OCÉAN
ATLANTIQUE

MER
MÉDITERRANÉE

1764 1801
Machine Métier à tisser
à filer Jenny Jacquard

Perfectionnement des machines textiles


1re révolution industrielle

1700 1800
1500-1769
Élaboration 1712 1769 1786 1802
de la machine Invention du Machine à vapeur Construction de Lois sur les
à vapeur moteur à vapeur de J. Watt la Fonderie royale manufactures
du Creusot (GB)

96
APPRENTISSAGES VISÉS
EN ÉTUDIANT CE THÈME, TU APPRENDRAS À :
– identifier et expliquer les circonstances ayant permis l’apparition
de l’âge industriel en Europe ;
– identifier et décrire les caractéristiques de l’industrialisation ;
– expliquer les résistances et les peurs face à l’industrialisation ;
– identifier et expliquer les conséquences de l’industrialisation
selon différentes dimensions (sociale, culturelle, économique
et politique).

AU TRAVERS DU THÈME, TU APPRENDRAS AUSSI


PROGRESSIVEMENT À :
– comparer différentes sources textuelles (notamment des sources
secondes), iconographiques sur un même thème (industrialisation) ;
– analyser des témoignages et mettre en évidence leur intérêt ;
– comparer la diffusion de découvertes scientifiques et technologiques
à différentes échelles ;
– analyser les conséquences à court, moyen et long terme d’un
processus (industrialisation) à différentes échelles (locale, régionale
et internationale).

1877 1882
1825 1838 1848 Loi fédérale Inauguration
Ligne de chemin de Bateau à Naissance de concernant du tunnel du
fer à vapeur pour vapeur trans- l’État fédéral le travail des Saint-Gothard
voyageurs (GB) atlantique fabriques
1885
Automobile
à essence

Construction des grandes lignes ferroviaires


en Europe
2e révolution industrielle

OCÉAN
1900

es
1817-1818
1re vague
d’émigration
1834
Moissonneuses
1850 - 1855
2e vague
d’émigration
1880 - 1893
3e vague
d’émigration
INDIEN
ures de Suisses mécaniques et de Suisses de Suisses
batteuses

97
7

Joseph Reichlen, « Tresseuses de paille à Gruyères »,


lithographie, 1892.

Lionel Walden, Les docks de Cardiff,


huile sur toile, Paris, 1894.

Lewis Hine, Enfants travaillant dans une filature à Macon


(Géorgie), photographie, Washington (USA), 1909.

« Fabrique de papier de Serrières », chromo-


lithographie, Neuchâtel, vers 1892.

Annonce d’une agence générale pour l’émigration publiée


dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel, le 25 août 1883.

98
L’âge industriel
De tout temps, les sociétésH ont fabriqué les outils qui leur étaient nécessaires. Durant
l’Antiquité, de nombreux ateliers existent dont la production est parfois très importante.
Au Moyen Âge, les chantiers des cathédrales utilisent des pierres taillées en série et des
machines déjà sophistiquées. Toutefois, au même moment, le système de production de
biens manufacturés est plus performant en Chine qu’en Europe : la fabrication de fer et
d’outils métalliques y est plus développée.
À partir du XVIe siècle, grâce à leurs expéditions maritimes, les Européens tissent des
liens commerciaux avec le monde entier. Ils achètent ainsi des matières premières qui
leur manquent : du coton, du bois, du sucre, du blé, etc. Pour leur alimentation, mais aussi
pour leur confort, les Européens consomment un grand nombre de produits provenant de
Chine et d’Inde. En trois siècles, grâce à leur dynamisme, ils rattrapent une partie de leur
retard sur les plans scientifique, technique et commercial.
L’essor scientifique et économique est favorisé par les avancées du siècle des
Lumières. Philosophes et savants recherchent des loisH expliquant les phé-
nomènes naturels et tentent des expériences pour les démontrer. La mul-
tiplication des idées, en ce qui concerne la politiqueH, l’économieH, le
développement commercial et scientifique, favorise l’INDUSTRIALISATION INDUSTRIALI-
de l’Europe. La Suisse, au centre de l’Europe et ouverte au monde, par- SATION
ticipe à cet essor. Développement de
l’industrie dans
un État, une
région.
L’Europe industrielle vers 1890
NORVÈGE

SUÈDE

MER MER
DU NORD BALTIQUE
ROYAUME-UNI
Liverpool Manchester EMPIRE RUSSE

Berlin
Varsovie
Londres
ALLEMAGNE
Ruhr
Lille Cologne
BELGIQUE
Saxe
Silésie
OCÉAN Paris Bohême
Lorraine
ATLANTIQUE Munich Vienne
Zurich
Le Creusot EMPIRE AUSTRO-HONGROIS
FRANCE Genève SUISSE

Milan
Lyon

Barcelone MER ITALIE


ESPAGNE
MÉDITERRANÉE SECTEURS INDUSTRIELS
0 500 km Textile
Sidérurgie
Régions industrielles
Principaux ports
Grandes places financières

99
7

De nouvelles sources d’énergie


Au cours du XIXe siècle, la population européenne augmente fortement. En Suisse, elle passe de 2,2 millions
d'habitants en 1837 à 3,75 millions en 1910, grâce aux progrès de l’agriculture, de l’alimentation et de l’hy-
gièneH. La demande de biens augmente, on produit plus, plus vite et moins cher. Tout cela est possible grâce
à de nombreuses innovations techniques, entre autres les machines et les moteurs, qui fonctionnent avec de
nouvelles formes d’énergie.

Dès le Moyen Âge, le minerai de charbon est utilisé Dès 1880, l'électricité est progressivement utilisée pour
lorsque le bois et le charbon de bois viennent à man- l'éclairage, les transports (tramway) et les communica-
quer. Le défrichement progressif des forêts amène une tions (télégraphe, téléphone).
augmentation de sa consommation dès le XVIIIe siècle.
Ainsi, au XIXe siècle, il devient une source d’énergie 1 Deux révolutions industrielles
importante, aux côtés de l’énergie animale, hydraulique
ou éolienne, puis des autres énergies fossiles comme le 1re MÉCANISATION 2e PRODUCTION
gaz et le pétrole, dès 1859. Les sources traditionnelles DE L’INDUSTRIE DE MASSE
d’énergie continuent à être largement utilisées jusqu’en Charbon et machine Electricité et pétrole
à vapeur
1900. Par ailleurs, l'emploi très large du charbon suscite
un débat : on craint déjà d'en épuiser les ressources.

1800 1900

Force hydraulique
2 3

Scie et moulins de Sarreyer (VS). « Moulin hydraulique d’une usine textile »,


dessin, Springfield, Ohio (USA), 1875.

Machine à vapeur
Une série d'inventions donne naissance à la machine à vapeur, qui est perfectionnée
en 1769 par un Écossais, James Watt. Les premières machines à vapeur actionnent les
pompes évacuant l’eau des puits dans les mines. À la fin du XVIIIe siècle, elles actionnent
des bateaux à vapeur, puis dès 1804, les premières locomotives. L’invention de Watt se
diffuse rapidement, car elle répond à un besoin : disposer d’une machine permettant de
construire des usines là où l’énergie hydraulique n’est pas disponible. De plus, elle per-
met d’augmenter encore la capacité des transports sur terre et sur mer. Dans l’agriculture
comme dans l’industrie, la machine à vapeur contribue à augmenter la production.

4 La machine à vapeur de Watt

Piston Balancier
En brûlant, le charbon chauffe l’eau dans
le bas de la chaudière : elle se transforme
Vapeur
d’eau en vapeur d’eau.
C A Eau
D’abord (temps 1), la vapeur entre dans
Charbon le bas du cylindre et fait monter le piston.
Puis, (temps 2) la vapeur entre en haut du
D B cylindre et fait descendre le piston (le reste
de vapeur est rejeté dans le condensateur).
Les clapets A, B, C et D sont actionnés très
Condensateur Cylindre Chaudière rapidement, le piston est donc animé d’un
recueille mouvement très rapide, qui est transformé
la vapeur d’eau Roue
par le balancier en mouvement rotatif qui
et la transforme
en eau. Temps 1 : B et C ouverts – A et D fermés. actionne la roue.
Temps  2 : A et D ouverts – B et C fermés.

100
L’âge industriel

Extraction du charbon

5 6
Il avait beau tordre le cou, renverser
la nuque : elles [les gouttes] battaient
sa face, s’écrasaient, claquaient sans
relâche. Au bout d’un quart d’heure, il
était trempé, couvert de sueur lui-même,
fumant d’une chaude buée de lessive. Ce
matin-là, une goutte, s’acharnant dans
son œil, le faisait jurer. Il ne voulait pas
lâcher son havage, il donnait de grands
coups, qui le secouaient violemment
entre les deux roches, ainsi qu’un puce-
ron pris entre deux feuillets d’un livre,
sous la menace d’un aplatissement com-
plet. […] Et il semblait que les ténèbres
fussent d’un noir inconnu, épaissi par les
poussières volantes du charbon, alourdi
par des gaz qui pesaient sur les yeux.
Adapté de Émile Zola (1840-1902),
Germinal, 1885.

« Coupe d’une mine de charbon », dessin tiré de


The Illustrated London News, 31 mars 1906.

Production d’électricité et innovations


Dépourvue de charbon, la Suisse recourt principalement à l’énergie hydraulique pour
actionner les moteurs, s’éclairer (éclairage électrique) ou se déplacer (tramway électrique).
À Genève, c’est l’énergie hydraulique qui permet de pomper l’eau et d’alimenter les fon-
taines, maisons et usines de la ville. À Lausanne, la première installation hydro-électrique
de Suisse est inaugurée en 1882, pour alimenter l’hôpital cantonal.

7 8 Quelques inventions

1800 – Pile électrique


1826 – Photographie
1834 – Armoire frigorifique
1844 – Télégraphe électrique
1876 – Téléphone
1877 – Phonographe
1879 – Ampoule électrique
1892-1895 – Cinématographe
Bâtiment des Forces Motrices, carte postale, Genève, 1903.

9
M. l’ingénieur Raoux ayant bien voulu inviter la Société à assister aux
essais du nouvel éclairage électrique de l’hôpital cantonal [de Lausanne],
l’assembléeH se transporte d’abord au local des machines dynamo-
électriques, système Edison, situé en Couvaloup, puis au nouvel hôpital
cantonal. Deux machines, actionnées par l’eau de Bret, suffisent à fournir
l’électricité suffisante à l’éclairage de tout l’hôpital. La transmission de
l’électricité jusqu’à l’hôpital se fait au moyen de câbles souterrains. Cet
éclairage, très bien combiné et fort réussi, fait honneur à la Société suisse
d’électricité, et fut beaucoup admiré par tous les assistants.
HAVAGE : technique qui Adapté du Bulletin de la Société des ingénieurs et architectes, Lausanne, décembre 1882.
consiste à entailler le
charbon dans une mine.

101
7

Le développement des transports


Depuis le Moyen Âge, les voies de communication connaissent une lente amélioration. Grâce aux différentes
innovations, elles bénéficient d’un rapide développement à partir du XVIIIe siècle.

En France, l’acheminement du courrier nécessite des la Grande-Bretagne exploite déjà plus de 10 000 km de
routes élargies et améliorées. Le temps de trajet entre voies ferrées. Destiné d’abord au transport du charbon
les grandes villes est réduit de moitié entre 1750 et et des marchandises, le chemin de fer s’étend rapide-
1770. Ainsi, le prix du transport diminue et la quantité ment au transport des passagers. Les premières lignes se
de marchandises transportées augmente. Le chemin de développent, reliant centres urbains, mines de charbon
fer amplifie ce phénomène. Quand la première ligne de et régions industrielles. Leur financement va de pair
chemin de fer (25 km) est inaugurée en Suisse en 1847, avec le développement des banques.

10 Évolution du réseau ferroviaire européen


11
« Chacun des voyageurs du wagon
MER DU NORD où nous étions assis exprimait à sa
manière ses impressions. Celui-ci
Berlin s’étonnait que, malgré tant de rapi-
Bruxelles
dité, il lui fût aussi aisé de respirer que
Londres
Lille s’il eût marché sur terre à pas lents ;
celui-là s’extasiait à la pensée qu’il
Paris
Vienne
ne sentait aucun mouvement ; il lui
Réseau ferré Bâle
semblait être assis dans sa chambre ;
OCÉAN
en 1840 un autre faisait remarquer qu’il était
ATLANTIQUE
en 1880 Lyon
Turin impossible d’avoir le temps… de
Noeuds ferroviaires Bordeaux
reconnaître les traits d’un ami. De plus
graves déclaraient incalculables les
Rome
bienfaits de cette invention. »
MER
MÉDITERRANÉE Brindisi
Magazine Le Magasin pittoresque (F), 1837.

0 500 1000 km

12
En Europe, en 18
45, les lignes
atteignent 23 00
0 km et, en 1900,
plus de 282 000
km.

13 Construction du réseau ferroviaire suisse

Schaffh ouse

Bâle
Winterthur Jean-Louis Beuzon, « Les Premiers Chemins
St-Gall
de fer », lithographie, vers 1830.
Olten Zurich
ont
ém ure Wattwil
Del Sole Lu
ce
La Chaux-de-Fonds rne
Zoug
Neuchâtel
14
Berne Langnau Glaris
n
Sa rne Altdorf Coire Scuol
Fribourg Thoune Engelberg
Spiez
ne
an

St-Gothard
us
La

St-Moritz

Sierre
Sion Bellinzo
Brigue ne
Genève

Réseau ferroviaire en 1870


Réseau ferroviaire en 1914
« Inauguration des chemins de fer à Saint-Imier »,
Lignes alpines en 1914
gravure, Jura bernois, 29 avril 1874.

102
L’âge industriel

Les nouveaux défis en matière de transport


Des hommes politiques tels qu’Alfred Escher encouragent le développement du réseauH
ferroviaire suisse. On construit d’abord grâce à des capitaux privés : onze compagnies tra-
vaillent sans plan d’ensemble jusqu’en 1865. La ConfédérationH organise alors les Chemins
de fer fédéraux (CFF) en rachetant, au début du XXe siècle, les cinq principales compagnies.
Le relief accidenté de la Suisse nécessite de bâtir des ponts et ceux-ci doivent être sus-
ceptibles de supporter le poids des trains et de leurs marchandises. Les ponts en acier
répondent le mieux à ce besoin, car ils résistent effica-
cement au vent. Les travaux de Gustave Eiffel révolu- 16
tionnent ce type de pont et favorisent la multiplication
des viaducs ferroviaires.

15
« Les rails se rapprochent de la Suisse de tous
côtés mais les projets présentés prévoient de la
contourner. Elle risque ainsi de se retrouver isolée
et de constituer un triste ermitage au milieu de
l’Europe. »
Alfred Escher, président du Conseil national
et directeur de la Compagnie du chemin
de fer du Gothard, le 12 novembre 1849.

Viaduc de Grandfey (FR), construit en 1862,


carte postale, XIXe siècle.

17 GUSTAVE EIFFEL (1832-1923)


Eiffel étudie l’ingénierie à une époque
où l’acier devient fondamental dans la
construction. Diplômé en 1855, spécialisé
dans la métallurgie, il bâtit des ouvrages
métalliques dans le monde entier et réalise,
pour l’Exposition universelle de 1889, la célèbre tour
qui porte son nom.

Les navires à vapeur


En Europe, à partir du XVIIIe siècle, le nombre de navires construits est multiplié par deux.
Les bateaux sont plus gros, leur équipage est réduit, les routes maritimes plus sûres et le
transport moins coûteux. En Suisse, une navigation de plaisance se développe sur les lacs.
Edward Church, ami de Robert Fulton, l’inventeur du bateau à vapeur, en est l’instigateur.

18 19
« Appelé l’année dernière à visiter les bords de
votre lac, je ne pouvais considérer sans un senti-
ment de surprise toutes les facilités que la nature
a déployées autour de vous pour la navigation
nouvelle, et voir d’autre part une nationH libre,
éclairée, ingénieuse, placée au centre de l’Europe,
demeurer jusqu’à présent privée de ce bienfait
des sciences et des arts, tandis que par une
bizarrerie inconcevable, plus de cinq cents de
ces bateaux répandent la grande découverte de
Fulton dans les quatre parties du monde. »
Edward Church, consul des États-Unis d’Amérique, 1822.
« Le bateau à vapeur Guillaume Tell sur le lac
Léman devant Genève », gravure, 1823.

ERMITAGE : ici, lieu isolé.

103
7

Les effets de l’industrialisation


Dans l’industrie textile, plusieurs inventions, dont le métier Jacquard (1801), entraînent la mécanisation du
tissage. Celle-ci amène une demande accrue de fil et le filage se mécanise à son tour avec la Spinning Jenny,
une machine à filer inventée déjà en 1764. Le besoin de main-d’œuvre s’accroît. Apparaissent alors des filatures
actionnées par un moulin hydraulique, puis par une machine à vapeur.

En Suisse, l’industrialisation se développe surtout dans usines de plus en plus importantes sont construites.
le « triangle d’or » (Bâle, Saint-Gall, Zurich) et le long du On compte 18 entreprises de plus de 500 ouvriers
Jura. Les industries se situent aussi dans quelques lo- dans la région bâloise. Les secteurs économiques qui
calités ou régions des cantonsH de Vaud, Genève, Berne fournissent le plus d’emplois sont : la construction, le
et Glaris. Elle touche faiblement Fribourg, la Suisse cen- textile, les machines (chemin de fer, etc.), l’horlogerie,
trale, le Valais, les Grisons et le Tessin. Dans les centres l’alimentation (chocolat, lait condensé, farine lactée)
urbains comme Zurich, Winterthour, Baden ou Bâle, des et la chimie (colorants et produits pharmaceutiques).

20 21

« Fileuse utilisant la Spinning Jenny », premier métier à filer Ouvrières dans une usine de filature, Arbon (TG),
mécanique inventé en 1764 par James Hargreaves, gravure, photographie, fin du XIXe siècle.
XVIIIe siècle.

Pour lutter contre


les importations
en Grande-Breta de tissu
gne, les fabrique
22 Textiles importés d’Asie en Europe qui se fait en Inde s imite
et produisent leur nt ce
par la Compagnie anglaise des Indes orientales tissu, appelé « in propre
diennes ». En 18
de 1695 à 1864, en milliers de pièces. tour, la Suisse ac 01, à son
hète des machine
aux Britanniques. s à tisser

5000

4000
23
3000

2000

1000

0
1695 1725 1755 1815 1835
– – – – –
1725 1755 1785 1834 1864

« Le hall de montage de l’usine de machines Escher Wyss,


à Zurich, dans le Nouveau Moulin », gravure, 1875.

104
L’âge industriel

Face aux innovations


Dans toute l’Europe, on s’enthousiasme et on s’interroge sur le bienfait des innovations.
Le développement des industries, la pollution due à l’emploi massif du charbon, ainsi que
la transformation du paysage inquiètent peu à peu. L’industrialisation de l’Europe, triom-
phante pour certains, ne se fait pas sans heurts, faillites ou souffrances. Les innovations
successives rencontrent des résistances, animées par des craintes diverses.

24
Birmingham est une ville des plus curieuses de l’Angleterre par l’activité de ses manufactures et
de son commerce. […] Avec ces vastes ateliers où l’on fabrique les pompes à vapeur, ces machines
étonnantes, les lamineries de cuivre sans cesse en activité, de tôle et de fer, cette partie si étendue,
si variée qui occupe […] plus de trente mille bras oblige l’Europe entière et une partie du Nouveau-
Monde à s’approvisionner ici.
C’est l’abondance du charbon qui a fait ce nouveau miracle et a produit au milieu d’un désert aride
une ville de quarante mille habitants, qui vivent au sein de l’aisance et de toutes commodités de la vie.
Adapté de Barthélemy Faujas de Saint-Fond, géologue et vulcanologue,
Voyage en Angleterre, en Écosse et aux îles Hébrides…, 1797.

25
Là-bas, devant nous, un nuage s’élève, tout noir, opa- 26
que, qui semble monter de la terre. […] C’est la fumée
du Creusot. Cent cheminées géantes vomissent dans
l’air des serpents de fumée noire […] ; tout cela […]
couvre la ville, emplit les rues, cache le ciel. […] Une
poussière de charbon voltige, pique les yeux, tache
la peau, macule le linge. Les maisons sont noires,
[…] les vitres poudrées de charbon. Une odeur de
cheminée flotte, contracte la gorge, oppresse la poi-
trine, et parfois une âcre saveur de fer […] coupe la
respiration. C’est le Creusot. Entrons dans l’usine de
MM. Schneider. Quelle féerie ! C’est le royaume du
Fer, où règne sa majesté le Feu !
Adapté de Guy de Maupassant, « Petits Voyages,
Le Creusot », Gil Blas, le 28 août 1883. « Vue de la fonderie et cristallerie du Creusot »,
gravure, vers 1820-1830.

27
[Les artisans] constatent qu’une seule machine, surveillée par une personne adulte et ser-
vie par cinq ou six enfants, fait autant de besogne que trente hommes travaillant à la main
selon l’ancienne méthode. […] L’introduction de ladite machine aura pour effet presque
immédiat de priver de leurs moyens d’existence la masse des artisans.
Adapté de la pétition des peigneurs de laine, extrait du journal de
la Chambre des communes (Parlement de Londres), 1794.

28

29 THERESE KRUPP (1790-1850)


En 1826, elle reprend les usines
en difficulté financière que son
mari lui a laissées. Elle redresse
l’entreprise, qui profite ensuite de
l’essor des chemins de fer en Alle-
magne, dans les années 1850. Après sa mort,
son fils en fera l’un des plus grands complexes
d’aciéries du monde.
« Les usines Krupp », gravure sur bois, Essen (D), vers 1865.

105
7

Les mouvements de population


L’âge industriel est marqué par l’exode rural, d’importants déplacements de population de la campagne vers
les villes. Par ailleurs, de nombreux Européens sont amenés à migrer vers d’autres continents.
Au XVIIIe siècle, la population européenne s’accroît de des techniques agricoles augmente la productivi-
50 % , elle double encore au siècle suivant. Les progrès téH mais diminue les besoins en main-d’œuvre.
en matière d’hygiène et de médecine mettent progressi- La population rurale, trop nombreuse, doit chercher du
vement fin aux grandes épidémies. La population trouve travail dans les fabriques, plus proches des villes. Les
à se nourrir grâce à la généralisation de la culture de la nouveaux venus s’installent dans les quartiers popu-
pomme de terre. Avec la MÉCANISATION, l’amélioration laires, plutôt pauvres.

30
MÉCANISATION
Emploi généralisé de la
machine pour remplacer
l’usage de la force
humaine et augmenter
la production.
31

« Agriculture et labourage », gravure tirée


de Encyclopédie, sous la direction de Diderot
et d’Alembert, vers 1750-1790.

« Moissonneuse-batteuse à vapeur », dessin tiré


de The Illustrated London News, 1861.
32
Une population plutôt jeune, célibataire, peu qualifiée s’en-
tasse dans des logements surpeuplés. Tous espèrent y trouver 33 Population européenne
un emploi sûr et s’y marier, signe de la réussite et de l’inté-
en millions
gration.
500 422
Adapté de François Walter, Histoire de la Suisse, Neuchâtel, 2010. mio
400
265
mio
e 300
34 L’extension de la ville de Paris au XIX siècle 195
mio
200

100

0
Trinité Buttes Chaumont 1800 1850 1900
St-Augustin Boulevard Hausmann
Palais de Opéra Caserne du
Bois l’Industrie Bibliothèque Château d’Eau
de Nationale Principaux quartiers
L’extension de la ville
Boulogne Halles
Louvre Limite de Paris avant 1859 Quartiers d’affaires
Nouvelle limite de la ville
Préfecture de police après 1859 Quartiers bourgeois★
e
in

Quartiers populaires
Se

Travaux effectués sous le Second Empire


(1852-1870) Banlieue
Voies nouvelles
Principaux édifices construits
Bois ou agrandis
de
Vincennes Gares et voies de chemin de fer
Parc Montsouris
Espaces verts aménagés
0 1km

106
L’âge industriel

Nova Friburgo, un exemple d’émigration des Suisses


En 1815, une éruption volcanique en Indonésie est à l’origine d’une « année sans été ».
La chute de température dans tout l’hémisphère Nord a pour conséquences de mauvaises
récoltes qui entraînent des famines. Les cantons suisses encouragent l’émigration vers des
coloniesH. En 1816, un accord est trouvé entre la Suisse et le roi du Portugal, désireux de
peupler ses colonies du Brésil. Il autorise et pousse même des colons suisses à venir s’établir
au nord de Rio. 2006 personnes partent, espérant un
avenir meilleur. Cependant, après l’attente du bateau 35
dans des camps de fortune en Hollande, la traversée et
la longue marche au Brésil, seuls 1617 colons arrivent à
destination. Fondée dans des conditions difficiles, Nova
Friburgo compte aujourd’hui plus de 100 000 habitants.

36 Nombre de migrants par canton sur les premiers


bateaux pour Nova Friburgo

Fribourg 830 Genève 3


Berne/Jura 500 Argovie 143
Valais 160 Lucerne 140
Vaud 90 Soleure 118
« Vaisseaux de fortune pour trouver meilleure fortune »,
Neuchâtel 5 Schwytz 17 Fribourgeois émigrant au Brésil, ex-voto, gouache,
Fribourg, 1819.

37
38
« Quelques-uns purent connaître exactement
l’endroit où leur petit domaine est situé, mais
la plupart n’en savaient encore rien ; les subdivi-
sions n’étant pas faites, et à travers les bois aussi
touffus, dans une situation qui ne consiste que
de collines et de ravins, elles seront un ouvrage
considérable […]. »
Journal de Pierre Schmidmeyer,
parti pour Nova Friburgo, 29 juin 1821.

39
« La Suisse connaît à partir de 1847 de mauvaises
récoltes auxquelles s'ajoutent une baisse des prix
des produits agricoles et l'apparition progressive
du chômage dans le secteur industriel. La men-
dicité se développe dans les villes. De plus, l'in-
terdiction du service étranger en 1848 laisse les
anciens mercenairesH sans travail et met les auto-
rités suisses dans l'embarras. Après avoir vécu
une première vague migratoire entre 1817 et 1818,
la Suisse voit une partie de ses enfants émigrer
nombreux, d'abord vers les États-Unis, le Brésil
et la Russie, puis vers l'Argentine, l'Uruguay et le
Paraguay entre 1850 et 1855. La dernière grande
vague migratoire se situe aux alentours de 1880
et 1893. »
notrehistoire.ch

Extraits d’une liste d’objets nécessaires pour l’émi-


EX-VOTO : tableau placé dans une égliseH gration à Nova Friburgo, établie par les autorités
à la suite d’un vœu ou en remerciement. fribourgeoises, 1819.

107
7

L’industrialisation et l’urbanisme
En Europe, alors que les campagnes se dépeuplent, les villes génèrent un grand nombre d’emplois et attirent
ainsi les populations rurales les plus modestes. De nouveaux défis s’imposent aux autorités en matière de
sécurité et d’hygiène.
Entre 1888 et 1910, la population suisse augmente prestigieux, des espaces verts mais également des épice-
de 73 % en zone urbaine contre 7 % en zone rurale. ries de quartier. Le secteur tertiaire se développe et crée
L’espace urbain grandit et voit surgir des constructions de nouveaux métiers. Les populations ouvrières, quant
et des aménagements de toutes sortes : des bâtiments à elles, s’établissent dans des quartiers surpeuplés.

40 Plan de Genève en 1864 41 Genève vers 1900

0 200 400 600m

La population double entre 1843 (29 289 hab.) et 1910 (58 337 hab.).

43
42
« De pareils bouges, il n’y a pas besoin de le dire, sont des
terrains merveilleusement préparés pour le développement et
la prolifération des germes infectieux. L’expérience a du reste
démontré que c’est presque toujours par là que débutent
les épidémies. Ces habitations ne sont donc pas seulement
une honte pour une ville ; elles constituent un danger public
auquel l’autorité a mission de parer. »
Dr Louis Guiraud, Manuel pratique d’hygiène Rue Rousseau,
à l’usage des médecins et des étudiants, 1890. quartier
populaire de
Saint-Gervais,
photographie,
Genève, vers
1900.

44 45

Jacques Élysée Goss, architecte, « Façade principale Intérieur d’un magasin Coop : « L’épicerie où l’on trouve
du Grand-Théâtre », gravure, Genève, 1880. de tout », photographie, Strasbourg (F), vers 1910.

108
L’âge industriel

L’urbanisme lié à l’industrie horlogère


Les villes comme Le Locle ou La Chaux-de-Fonds se développent de façon très organisée. Les
immeubles d’habitation comportent des ateliers. On les repère encore aujourd’hui par leurs
fenêtres serrées du dernier étage, tournées vers le soleil. Pour avoir suffisamment de lumière,
le plan de la ville est lui-même adapté par une dis-
position de barres plutôt que d’îlots, urbanisme peu 46
fréquent au XIXe siècle. Le patron de l’usine loge par-
fois dans un bel immeuble, mais toujours à proximité
de son lieu de travail et du logement des ouvriers. La
séparation entre quartiers bourgeois et populaires
est moins marquée qu’ailleurs. Les usines servent
parfois d’image de marque, d’où leur architecture
soignée.

47

Immeubles ouvriers avec ateliers au dernier étage, rue des Fleurs,


La Chaux-de-Fonds (NE), construits au milieu du XIXe siècle.

48

Terrasse / Jardin

Terrasse / Jardin
Ouvriers dans un atelier d’horlogerie à La Chaux-
Rue

de-Fonds (NE), photographie, début du XXe siècle.

Rue
49 Excavage
Remblayage

Barre d’immeubles construite en pente


afin de mieux capter la lumière.

En-tête de la marque horlogère Moser, carte postale, Le Locle (NE), 1914.

´
50 Répartition de la population au Locle, fin du XIXe siècle

Habitat ouvrier
Usine
Immeuble mixte,
habitat ouvrier et atelier
Immeuble mixte, habitat patronal
et unité de production
Habitat patronal

0 100 200 m

109
7

À l’origine des industries, les entrepreneurs


À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, les entrepreneurs ne sont pas encore des spécialistes. Ce sont en
général des marchands-fabricants sans formation particulière. Au début de l’âge industriel, n’importe qui ou
presque peut s’improviser entrepreneur.
Il suffit pour cela de disposer d’un peu d’argent, sou- avoir le sens de l’organisation et du travail, être capable
vent fourni par la famille ou les proches, de trouver un d’inventer ou de perfectionner des machines et savoir
terrain bien situé pour y installer une petite fabrique aussi vendre ses produits. Il faut surtout fournir beau-
au fil d’une rivière, de recruter quelques ouvriers et coup d’efforts et avoir un peu de chance.
d’avoir un peu d’imagination. Mais pour réussir, il faut

51
Heinrich Kunz, su
rnommé
En fait, les débuts de l’industrialisation furent sévèrement « roi des filateurs
»
sélectifs. […] Les crises économiques furent fatales à un grand nerkönig), est co (Spin-
nsidéré,
vers 1850, comm
nombre d’entreprises. De sorte que les industriels qui surent e l’e
preneur le plus im ntre-
se maintenir […] purent affermir leur empire. portant
de la branche en
Europe.
Adapté de Jean-François Bergier, Histoire économique Il dirige personn
elle
de la Suisse, Lausanne (VD), 1984. ses neuf fabrique ment
s.

Durant la seconde moitié du XIXe siècle, la nécessité de combiner compétences tech-


niques et commerciales s’impose. Des scientifiques ou des ingénieurs s’associent
parfois avec des négociants pour fonder des entreprises. Le développement des
industries exigeant des capitaux de plus en plus importants, les industriels
font appel à des banquiers ou fondent leur propre banque. Cette évolution
CAPITALISME
entraîne un écart croissant entre ceux qui n’ont que leur force de travail et Organisation économique
ceux qui possèdent les capitaux et les moyens de production. C’est ce que et sociale où les capitaux et
l’on appelle le CAPITALISME. les moyens de production
(mines, usines, infrastruc-
tures, etc.) appartiennent
52 à des propriétaires
privés.

Des personnages tout-puissants


Alfred Escher (1819-1882) est un Zurichois, libéral puis radical, qui joue
un rôle très important sur le plan politique et économique. Il est l’exemple
même du dirigeant qui réalise des projets de grande envergure. Une de
ses principales préoccupations est de développer les transports en Suisse
afin de faciliter le développement économique. Persuadé de la nécessité
d’avoir une liaison Nord-Sud passant par la Suisse, il œuvre pour le perce-
ment du tunnel ferroviaire du Gothard. Pour assurer le financement de la
construction des chemins de fer, il crée le Crédit Suisse.

53

En raison du cumul de ses charges politiques, du lien entre


ses fonctions politiques et économiques, et du recours au
Richard Kissling, monument commé- pouvoir pour protéger les intérêts de ceux qui possédaient la
moratif d’Alfred Escher, place de la
Gare, Zurich, 1889. richesse et le savoir, Escher essuya de bonne heure les feux
de la critique. […] Les classesH sociales désavantagées s’éle-
vèrent massivement contre le « système Escher » à partir de
1860. […]
Adapté de Markus Bürgi, « Alfred Escher »,
Dictionnaire historique de la Suisse, 2005.

110
L’âge industriel

54
L’esprit visionnaire d’Escher se manifestait dans sa faculté de com-
prendre les [relations] entre les phénomènes, plutôt que dans l’ap-
plication des mesures de détail. Escher […] redoubla d’efforts pour
obtenir l’École polytechnique [à Zurich]. Il savait que les sciences
techniques seraient déterminantes pour l’avenir du pays. Il était
simultanément membre de nombreux organes politiques influents et
dirigeait de grandes entreprises. […] Il siégeait dans d’innombrables
commissions et connaissait ses dossiers à fond. Alfred Escher ne
réussissait ce tour de force qu’en travaillant avec acharnement, voire
jusqu’à l’épuisement.
Adapté de Joseph Jung, historien, « Visionnaire
et entrepreneur », Magazine du Crédit Suisse, 2006.

L’économie a le soutien du monde politique


En 1848 naît la Suisse moderne. Plusieurs mesures sont prises au niveau fédéral pour créer
un espace économique commun à toute la Suisse. La première École polytechnique fédérale,
au service de la science et de l’industrialisation, s‘ouvre à Zurich en 1855. De nouvelles lois
sont promulguées pour encourager le développement des chemins de fer, pour protéger les
ouvriers, les marques et les inventeurs.

Les relations avec les travailleurs


Bien des industriels songent surtout à augmenter leur bénéfice, pour le réinvestir dans
l’entreprise et la développer, sans se soucier du sort des ouvriers, au risque de renforcer
les tensions sociales. D’autres se montrent paternalistes et, parce qu’ils ont compris que la
production des ouvriers dépend d’un relatif bien-être, ils leur fournissent une nourriture
et un logement convenables. Ils créent ainsi avec leurs employés un rapport d’autorité, de
respect mais aussi de dépendance.
Les industries grandissant, elles nécessitent une administrationH plus importante. Une
autre catégorie de travailleurs se développe alors, celle des employés de bureau.

À Zurich, Auguste
Weidmann
(1842-1928) cré
e une crèche,
55 un hôpital, une
caisse d’assu-
rance vieillesse
et survivants
pour ses ouvriers.

56
1. Respect de Dieu, propreté et ponctualité sont
les règles d’une maison bien ordonnée.
2. Dès maintenant, le personnel sera présent
si possible de 6 h du matin à 6 h du soir. Le
dimanche est réservé au service religieux.
Chaque matin, on dit la prière dans le bureau
principal.
3. Chacun est tenu de faire des heures supplé-
mentaires si la direction le juge utile.
Une employée de bureau de poste, Zurich,
entre 1905 et 1923. 7. Il est permis de prendre de la nourriture entre
11 h 30 et 12 h. Toutefois, le travail ne doit pas
être interrompu.
Extrait d’un règlement de bureau, France,
deuxième moitié du XIXe siècle.

111
7

Le monde ouvrier et les luttes sociales


La vie quotidienne des familles d’ouvriers se déroule dans des conditions très difficiles, que ce soit sur le lieu
de travail ou en dehors. Ces situations engendrent des tensions et contestations qui prendront des formes
diverses et se prolongeront durant le XXe siècle.
Attirées par les emplois créés par les usines ou se très dures, sont parfois dénoncées par des associations,
regroupant près des mines de charbon, les personnes des syndicatsH, des politiciens ou dans des œuvres
s’entassent dans des quartiers surpeuplés, propices à d’auteurs tels que Victor Hugo ou Émile Zola.
la misère sociale. Les conditions de travail, elles aussi

57
Les fenêtres ferment mal ; les poêles sont si mauvais qu’ils chauffent difficilement
mais répandent beaucoup de fumée dans les pièces. […] La mère doit aller travailler
et ne peut donc pas faire très attention à son intérieur, et même si elle fait des efforts,
elle manque de temps et de moyens. […] Les enfants traînent dans l’appartement ou
dans les rues et sont toujours sales ; ils manquent des vêtements nécessaires pour
se changer plus souvent, et il n’y a pas suffisamment de temps et d’argent pour les
laver fréquemment.
Adapté de A. Schneer, Sur les conditions d’existence des classes laborieuses à Breslau (PL), 1844.

58

59

Intérieur d’un logement ouvrier, photographie,


Zurich, avant 1909.

60
Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient
Le cours de la rivière Birsig dans le centre de Bâle (actuelle-
qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; ment Falknerstrasse). Vue de l’arrière des maisons de l’époque
[…] mais je suis de ceux qui pensent et qui affir- avec, suspendus aux façades, des cabanons de bois renfermant
ment qu’on peut détruire la misère. des cabinets d’aisances, photographie, Bâle, 1895.
[…] Je dis que ce sont là des choses qui ne doivent
pas être ; je dis que la société doit dépenser toute
sa force, toute sa sollicitude, toute son intelli- 61
gence, toute sa volonté, pour que de telles choses
ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un « Le revenu par habitant passe de 560 francs par
pays civilisé, engagent la conscience de la société an en 1850, à près de 1200 en 1910, chiffres glo-
tout entière. baux qui cachent bien sûr des disparités. »
Adapté de Victor Hugo (1802-1885), « Si prodigieux qu’ait pu être le progrès indus-
« Détruire la misère », discours à l’Assemblée triel au XIXe siècle, il ne doit pas tromper. Il a
nationale, Paris, 9 juillet 1849.
enrichi la Suisse. Il n’a pas fait le bonheur de
tous les Suisses. »
Jean-François Bergier, Histoire économique
de la Suisse, Lausanne (VD), 1984.

112
L’âge industriel

Des luttes syndicales pour améliorer les conditions de vie


Les richesses engendrées par l’industrialisation sont mal réparties et provoquent de
grandes inégalités, amplifiées par des conditions de travail très dures. La main-d’œuvre,
abondante, est très mal payée puisque les machines permettent d’engager des ouvriers
sans qualification pour un travail pénible et répétitif. Afin de protester contre leurs condi-
tions de travail, ceux que l’on
appelle les « prolétaires » se 62
mettent en grèveH malgré les La grève apparaît déjà au XVIIIe siècle, comme en témoigne l'exemple
risques de répression, avec d’une grève dans une fabrique d’indiennes de Bâle en 1794. Et si
l’aide de syndicats ou de partis leur nombre progresse lentement au cours de la première moitié du
politiques. Les premières lois XIXe siècle, la situation change sensiblement à partir des années 1860.
sociales, inspirées du SOCIA- Avec la croissance d’une classe ouvrière soumise à des conditions de
LISME , sont adoptées dans la travail extrêmement dures, le recours aux débrayages devient en effet
seconde moitié du XIXe siècle, de plus en plus fréquent. De sorte qu’au début du XXe siècle, avec une
notamment pour limiter le tra- pointe de près de 300 grèves en 1907 et deux grèves générales (à Genève
en 1902 et à Zurich en 1912), de tels mouvements atteignent un premier
vail des enfants.
pic. Ainsi, à comparer avec la Grande-Bretagne où l’on compte quelque
900 grèves en 1911 pour une classe ouvrière dix fois plus nombreuse,
on constate que la Suisse ne se distingue nullement en ce domaine des
autres pays industrialisés.
Adapté de Hans U. Jost, « À propos de l’histoire des grèves en Suisse »,
Cercle d’études historiques de la Société jurassienne d’émulation, 2006.
SOCIALISME
Mouvement politique qui
lutte contre l’exploitation
des ouvriers et les inéga-
lités sociales, vise l’intérêt
collectif avant les 63
intérêts privés. « Contrairement à ce que l'on pourrait croire,
on observe entre 1880 et 1914 un taux de grève
plus élevé dans certains districts campagnards
ou dans de petites villes que dans les agglomé-
rations de Bâle et Zurich. […] Souvent, les reven-
dicationsH étaient multiples : elles portaient sur
le salaire, sur la durée du travail, sur les droits
syndicaux. De graves tensions pouvaient appa-
64
raître ; les autorités faisaient appel à la police,
voire à l'armée (qui intervint trente-huit fois). »
Bernard Degen, « Grèves », Dictionnaire
historique de la Suisse, 2012.

65

« La foule en colère incendia une filature et un atelier


de tissage mécanique à Ober-Uster », lithographie,
Berne, 1832.

DÉBRAYAGE : grève de courte durée (quelques heures). Jules Adler, Grève au Creusot, huile sur toile, Pau (F), 1899.

113
8

1848 : NAISSANCE
DE LA SUISSE MODERNE

SUISSE

MER
MÉDITERRANÉE

Dès 1513
Confédération des 1798-1803 1803-1813
XIII cantons ou République Acte de 1813-1830
Corps helvétique helvétique Médiation Restauration

Révolution
française

1750 1800
1776 1789 1815
Déclaration Déclaration des Congrès de
d’indépendance Droits de l’homme Vienne
des États-Unis et du citoyen

114
APPRENTISSAGES VISÉS
EN ÉTUDIANT CE THÈME, TU APPRENDRAS À :
– identifier et analyser les principales étapes de la construction
de la Suisse moderne ;
– identifier les caractéristiques du nouvel État fédéral ;
– expliquer le fonctionnement des institutions de la Suisse moderne ;
– identifier et expliquer les conséquences de la création de l’État
fédéral selon différentes dimensions (sociale, culturelle,
économique).

AU TRAVERS DU THÈME, TU APPRENDRAS AUSSI


PROGRESSIVEMENT À :
– comparer différentes sources textuelles et iconographiques
sur un même thème (la naissance de la Suisse moderne) ;
– analyser les conséquences immédiates et à plus long terme
d’un événement (1848) à différentes échelles (cantonale,
fédérale et internationale).

1858
1847 1848 Premier syn- 1877
0 1830-1848 Guerre du Naissance de dicat national Loi sur les
on Régénération Sonderbund l’État fédéral (livre et papier) fabriques

R
Unité allemande
Unité italienne

1850 1900

RANÉE
1830 1848
Révolutions Révolutions en Europe,
en Europe le Printemps des
peuples

115 Épreuve 2
8

« La Suisse ne ressemble
à aucun autre État. »
Napoléon Bonaparte, « Lettre aux
délégués des cantons suisses » du
10 décembre 1802.

Heinrich Jenny, « Combat entre troupes fédérales


et soldats du Sonderbund devant Meierskappel
le 23 novembre 1847 », lithographie, Berne.

Détail du dôme du Palais fédéral, avec la devise Unus


pro omnibus, omnes pro uno (Un pour tous, tous pour
un), Berne.

« Feuille commémorative de l’entrée en vigueur


de la Constitution le 12 septembre 1848 » (détail),
lithographie, Berne.

Tôle peinte par Benjamin Vautier pour le pavillon officiel


de la Suisse à l’Exposition universelle de Séville (E), 1992.

116
1848 : naissance de la Suisse moderne
Avant 1798, le territoire suisse ne constitue pas encore un véritable ÉtatH. Appelé Corps
helvétiqueH, il est composé de treize cantonsH ou États indépendants avec chacun sa
frontière, son armée, ses poids, ses mesures, son service postal et son organisation poli-
tiqueH. Ces treize cantons aux ambitions très différentes ont signé entre eux toute une
série d’accords, notamment pour s’entraider en cas d’attaque et nommer un médiateur
lors de conflits. En aucun cas, en vue de fonder un État.
Certains cantons s’agrandissent soit par achat de terres, soit par les armes. Ces territoires
ainsi conquis deviennent des pays sujetsH. Un bailliH vient y prélever les impôtsH et rendre
la justice.
Parfois, plusieurs cantons administrent ensemble un territoire : ce sont les bailliagesH com-
muns, lesquels se situent notamment en Argovie, en Thurgovie et dans le sud des Alpes.
Des alliances sont aussi conclues entre les cantons et d’autres territoires indépendants
(villes ou communautés rurales) qui souhaitent obtenir une protection contre d’éventuels
ennemis extérieurs. Ces territoires, comme Genève, Neuchâtel, le Valais et les possessions
du prince-évêque de Bâle, sont considérés comme des « pays alliés ».
Les ambassadeurs des cantons et de certains pays alliés se rencontrent à la Diète. Ils
prennent des décisions communes concernant la gestion des bailliages communs, les
traitésH de guerre et de paix, ainsi que le maintien de l’ordre.
La Suisse avant 1798 est donc une association (fédération) d’États souverainsH sans pou-
voir central fort. Deux événements retentissants vont la pousser à devenir un véritable
État au sens moderne du terme : l’indépendance des États-Unis et la RévolutionH française.

Le Corps helvétique au XVIIe siècle


Schaffhouse

Bâle Thurgovie
Comté
de Saint-Gall
Baden
Zurich Abbaye
de
Évêché St-Gall Appenzell
FRANCE de Bâle Argovie
Soleure Rapperswil AUTRICHE
Bienne Zoug
Lucerne
Principauté
de Schwytz Sargans
Neuchâtel Berne Glaris
Unterwald
Uri
Fribourg Tarasp
Abbaye
d’Engelberg Ligues grises (Grisons)
Pays
de Vaud Léventine

Bailliages
République italiens
du Valais Valteline
Genève
Dizains du
Bas-Valais
SAVOIE
VENISE
MILAN

0 50 100 km
Les XIII cantons et leurs sujets
Les pays alliés et leurs sujets

Les bailliages communs


Frontières des XIII cantons et pays alliés

Frontières actuelles de la Suisse

117
8

Vers la création d’un État (1798-1848)


Avant 1798, les cantons suisses restent très indépendants et ne souhaitent pas former un État qui les réunirait
tous. L’intervention de la France va considérablement modifier ce mode de fonctionnement.
En 1798, dans plusieurs territoires du Corps helvétique, helvétique. Elle inscrit dans la CONSTITUTION les idéaux
des mouvements révolutionnaires contestent l’ordre révolutionnaires de liberté, d’égalité et de fraternité,
établi. Sous prétexte d’apporter la liberté aux Suisses, ainsi que la séparation des pouvoirsH et la désignation
la France intervient militairement. L’ancienne organisa- d’un gouvernementH central fort appelé Directoire.
tion politique disparaît, remplacée par la RépubliqueH

1 La République helvétique en 1798


Schaffhouse
CONSTITUTION
Fricktal
Thurgovie Recueil des loisH
RÉPUBLIQUE
FRANÇAISE Bâle
Zurich SAINT EMPIRE fondamentales
Département Soleure
Baden
Argovie
Säntis ROMAIN
GERMANIQUE
d’un État.
du Mont-
Terrible

Lucerne Linth
Neuchâtel Berne
Waldstätten

Fribourg Grisons
Léman Oberland
Bellinzone

Lugano La Suisse sous la République helvétique


Département
du Léman
Valais Neuchâtel (Prusse)
République française
Saint Empire romain germanique
0 50 100 km RÉPUBLIQUE CISALPINE Frontières de la République helvétique
Frontières actuelles de la Suisse

2
Art. 1 L a République helvétique est une et indivisible. Il n'y a plus de frontière entre les cantons
et les pays sujets.
Art. 5 La liberté naturelle de l'homme est inaliénableH ; elle n'est restreinte que par la liberté
d'autrui.
Art. 6 La liberté de conscience [appartenance religieuse] est illimitée.
Art. 7 La liberté de la presse dérive du droit d'acquérir de l'instruction.
Adapté de la Constitution de la République helvétique, 12 avril 1798.

3 Organisation de la République helvétique


Cette nouvelle
ÉLECTION PAR LE PEUPLE H forme d’organisa-
tion politique très
centralisatrice rompt
GRAND nomme
CONSEIL DIRECTOIRE TRIBUNAL totalement avec la
élisent HELVÉTIQUE tradition d’auto-
8 membres 5 membres
par canton nomie des villes
SÉNAT 1 président
4 membres 19 préfets et communautés
par canton t
élisen ( un par canton ) rurales.
dirige
rédigent Armée
les 19 préfets
tranche
( un par canton )
LOIS les recours
Fonctionnaires
Ambassades
Police
LÉGISLATIF EXÉCUTIF JUDICIAIRE

118
1848 : naissance de la Suisse moderne

L’Acte de Médiation : un retour au fédéralisme


La jeune République helvétique cause de nombreux mécontentements. La tension entre
ceux que l’on appelle les fédéralistes et leurs adversaires, les centralisateurs, est grande.
Des coups d’État ainsi que des conflits armés se succèdent. En 1803, Napoléon Bonaparte,
soucieux d’éviter une guerre civile, saisit l’occasion pour imposer sa médiation.

4 5 La Suisse de l’Acte de Médiation en 1803


Royaume
du Grand Duché
Wurtemberg de Bade
La Suisse ne ressemble à aucun autre Grand Duché
de Bade Schaffhouse

État soit par la situation géogra- Thurgovie


phique, soit par cette extrême diffé- EMPIRE
FRANÇAIS Bâle Zurich
rence de mœursH qui existe entre ses Département
Argovie A.R.
Appenzell ROYAUME
Soleure
différentes parties. La nature a fait du Haut-
Rhin
I.R.
Saint-Gall
DE BAVIÈRE

votre État fédératif, vouloir la vaincre Lucerne


Zoug

n'est pas d'un homme sage. Principauté


de Neuchâtel
Schwytz
Glaris

Berne Nidwald
Adapté de la « Lettre de Napoléon Obwald
Uri
aux délégués des cantons suisses », Grisons
Fribourg
10 décembre 1802. Vaud

Tessin

Genève République du Valais,


Département puis Département du Simplon
du Léman (1810) ROYAUME
D’ITALIE

0 50 100 km
Les dix-neuf cantons
6 Frontières de la Suisse de 1803
L'Helvétie, en proie aux dissensions, était menacée de dissolution : elle Frontières actuelles de la Suisse
ne pouvait trouver en elle-même les moyens de se reconstituer. L'an-
cienne affection de la nationH française pour ce peuple recommandable,
la demande des cantons démocratiquesH, le vœu du peuple helvétique
tout entier, nous ont fait un devoir d'interposer notre médiation entre les
partis qui le divisent.
 Adapté de l’Acte de Médiation, 19 février 1803.

7
Art. 3. I l n'y a plus en Suisse ni pays sujets, ni privilègesH de lieux, de naissance, de
personnes ou de familles.
Art. 4. Chaque citoyenH suisse a la faculté de transporter son domicile dans un autre
canton, et d'y exercer librement son industrie ; il acquiert les droitsH politiques
conformément à la loi du canton où il s'établit.
Art. 12. Les cantons jouissent de tous les pouvoirs qui n'ont pas été expressément
délégués à l'autorité fédérale.
Art. 25. Chaque canton envoie à la Diète un députéH.
 Extraits de l’Acte de Médiation, 19 février 1803.

L’intervention de Napoléon Bonaparte aboutit à une nouvelle organisation politique : l’Acte


de Médiation, qui est le résultat d’un compromis. Pour satisfaire les fédéralistes, les dix-
neuf cantons restent souverains mais, en contrepartie, pour plaire aux centralisateurs, ils
délèguent une part de leur pouvoir à une assembléeH nommée DIÈTE FÉDÉRALE. Celle-ci
décide, entre autres, des déclarations de guerre, des traités de paix et d’alliance ; elle
conclut également les traités de commerce, nomme un général et règle les conflits DIÈTE
entre cantons. De nombreux acquis sont maintenus : l’égalité devant la loi, la liberté FÉDÉRALE
d’industrie et la suppression des douanes intérieures. Désigne, jusqu’en
1848, les assemblées
des députés des
FÉDÉRALISTES : souhaitent que les cantons gardent un maximum d’autonomie. cantons.
CENTRALISATEURS : souhaitent un gouvernement central fort qui prenne des décisions
appliquées par tous les cantons.
DIX-NEUF CANTONS SOUVERAINS : d’anciens pays sujets deviennent des cantons
(Argovie, Tessin, Thurgovie et Vaud), tout comme deux pays alliés : Grisons et Saint-Gall.

119
8

La Restauration et ses conséquences


En 1813, les troupes de Napoléon sont battues par les armées alliées des États euro-
péens (Prusse, Autriche, Angleterre et Russie). Napoléon est vaincu, puis exilé sur une île.
L’organisation de la Suisse selon l’Acte de Médiation s’écroule. Les Suisses sont toujours
partagés entre les progressistes, défenseurs des idées issues de la Révolution française
et leurs opposants qui veulent conserver les solutions héritées du passé. Mais, sous la
pression des puissances victorieuses réunies au Congrès de Vienne entre 1814 et 1815,
ils s’accordent pour assurer leur indépendance en adoptant le Pacte fédéral. Les cantons
se constituent en Confédération suisse.
Celle-ci accueille trois nouveaux cantons : 8
Genève, Neuchâtel et le Valais. Désormais,
ce sont vingt-deux cantons souverains qui
assument en commun la défense du pays
et l’ordre intérieur. Chaque canton dispose
d’une totale liberté de s’organiser. Les
libertés individuelles sont restreintes, le
pouvoir revient aux anciennes élites diri-
geantes (aristocratiesH locales et bourgeoi-
siesH des villes). La Diète, sans pouvoir réel,
réunit les délégués des cantons.

Jean Dubois (1789-1849), Arrivée des Suisses au Port-Noir le 1er juin


1814, aquarelle, Genève. Genève fête son rapprochement avec la Confé-
dération en accueillant les troupes de Fribourg et de Soleure.

9
[L’ Autriche, la France, la Grande-Bretagne, le Portugal, la Prusse et la Russie recon-
naissent] la neutralitéH perpétuelle (éternelle) de la Suisse et lui garantissent l'intégrité
et l'inviolabilité de son territoire dans ses nouvelles limites. Ils reconnaissent [...] que
la neutralité et l'inviolabilité de la Suisse et son indépendance de toute influence étran-
gère sont dans les vrais intérêts de la politique de l'Europe entière.
Adapté de la Déclaration des puissances signataires de la Déclaration de Vienne, 20 novembre 1815.

Après 1830, durant la période de la Régénération, les partisans des idées nouvelles ( les
libéraux, puis les radicaux ) accèdent au pouvoir dans certains cantons qui modernisent
leur constitution ; ils souhaitent aussi un changement à l’échelle nationale. Les cantons
plus conservateurs se sentent menacés dans leur liberté. Pour défendre leur vision de la
société, certains d’entre eux se regroupent en 1845 au sein d’une alliance séparée : le
Sonderbund.

10
Art. 1 Les cantons de Lucerne, Uri, Schwytz, Unterwald, Zoug, Fribourg et le Valais,
pour protéger leurs droits souverains et territoriaux, s’engagent, au cas où l’un ou
l’autre serait l’objet d’une agression, à repousser en commun cette agression par
tous les moyens à leur disposition, en se conformant au Pacte fédéral de 1815 ainsi
qu’aux anciens traités.
Texte de l’Alliance du Sonderbund, 1845.

LIBÉRAUX : adhérents d’une tendance politique qui défend les


libertés individuelles et la démocratie.
RADICAUX : adhérents d’une tendance politique qui défend une
démocratie plus égalitaire et un État qui a plus de pouvoir.

120
1848 : naissance de la Suisse moderne

La Diète, où dominent les libéraux, vote la dissolution du Sonderbund, jugé incompatible


avec le Pacte fédéral, ainsi que l’expulsion des jésuitesH, très influents dans les cantons
catholiques et opposés aux idées progressives.

11
Discussion entre l’ambassadeur de France en Suisse, M. de Boislecomte, et Ulrich
Ochsenbein, futur conseiller fédéral, le 4 juin 1847.
– La grande majorité des habitants veut la dissolution du Sonderbund et l’expulsion
des jésuites de toute la Suisse. Il faut que cette volonté de la majorité soit satisfaite.
– Mais c’est la guerre civile, lui dis-je.
– On doit préférer un mal moindre que la présence des jésuites en Suisse. Au reste,
il n’y aura peut-être pas de guerre du tout ; il est fort possible qu’une fois se voyant
condamnés par la majorité, ils se soumettent. S’ils ne le font pas, il faudra bien que
la guerre décide.
Adapté de François Guizot, ministre des Affaires étrangères en France,
Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps, 1857-1867.

La guerre civile est inévitable. Menée par 12


le général Dufour, qui donne aux troupes
de l’armée fédérale des recommanda-
tions fermes pour prévenir les excès, la
guerre ne dure que trois semaines, avec
de faibles pertes. Elle voit la victoire des
partisans des idées nouvelles, bien déci-
dés à créer un État plus démocratique et
plus centralisé.


Le sommet le plus éle
Sui sse (46 34 m) a été
de
r
rebaptisé Pointe Dufou
du
en 1863 , en l’honneur
général. « Combat de Lunnern (ZG) du 7 novembre 1847 pendant la guerre
du Sonderbund », vue du côté confédéré, lithographie, vers 1848.

13

Claude Bulliard, Siège de la ville de Fribourg par l’armée fédérale, représenté en poya, huile sur bois, 1847.

14 GUILLAUME HENRI DUFOUR (1787-1875)

Homme politique, ingénieur, militaire et géo-


graphe, il sert d’abord dans l’armée française
sous Napoléon. En 1847, il s’illustre lors de la
guerre du Sonderbund, s’efforçant de minimiser les
pertes humaines. Dufour est également connu pour avoir
réalisé la première carte officielle de la Suisse et imposé
le modèle du drapeau national.

121
8

1848, la Suisse existe


Avant même le dénouement de la guerre du Sonderbund, la Diète nomme une commission en vue de réformer
les institutionsH suisses et de donner au pays une constitution.
En un temps record, une proposition de texte est rédi- constitution, soumise au peuple, est acceptée à 72,8 %,
gée, s’inspirant de la Constitution américaine et de la par quinze cantons et un demi-canton. Datée du 12 sep-
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de tembre 1848, la Constitution fédérale organise la Suisse
1789. moderne en un État fédératif. Il faudra cependant en-
La Constitution de 1848 est rédigée en trente et un core de nombreuses années pour que les changements
jours par dix-huit personnes, alors qu’il a fallu six mois soient appliqués et acceptés, en particulier par certains
pour rédiger la Constitution américaine. La nouvelle cantons conservateurs.

15 Constitution américaine (1787) Constitution suisse (1848)

PROPRIÉTAIRES BLANCS LES PLUS RICHES LE PEUPLE


élisent élisent élit

GRANDS ASSEMBLÉE CONSEIL


CONGRÈS élit FÉDÉRAL
vote les lois ÉLECTEURS FÉDÉRALE
et le budget 7 conseillers
élisent fédéraux
CONSEIL
CHAMBRE NATIONAL
DES nomme 111 conseillers
COUR (1 représentant pour TRIBUNAL
REPRÉSENTANTS SUPRÊME 20  000 hab.) FÉDÉRAL
1 représentant élit
pour 30  000 hab. veille au
respect de la 11 juges
Constitution.
CONSEIL fédéraux
9 juges DES ÉTATS nommés
Président nommés à vie 44 conseillers pour 3 ans
SÉNAT élu pour 4 ans par le président (2 par canton)
2 sénateurs avec l’accord
par État du Sénat.

LÉGISLATIF EXÉCUTIF JUDICIAIRE LÉGISLATIF EXÉCUTIF JUDICIAIRE

Nouveaux droits pour les citoyens


16
Tous les Suisses sont égaux devant la loi. Il n'y a en Suisse ni sujets ni CONFÉDÉRATION
privilèges de lieux, de naissance, de personnes ou de familles. Désigne l’ensemble des
cantons réunis. Confédéra-
– Tout Suisse est tenu au service militaire. tion suisse : nom officiel de
– La CONFÉDÉRATION garantit à tous les Suisses de l'une des la Suisse en tant qu’entité
politique à partir
confessions chrétiennesH, le droit de s'établir librement dans toute de 1803.
l'étendue du territoire suisse.
– Tout citoyen d'un canton est citoyen suisse.
– La liberté de la presse est garantie.
– Le droit de pétition est garanti.
– A droit de voter tout Suisse âgé de vingt ans révolus.
– La Constitution fédérale peut être révisée en tout temps.
Extraits de la Constitution de 1848.

és
Les oubli s vaga-
e s fe m mes, le et les
L s
s pauvre
bonds, le s sont privés du
m né
conda
vote.
ÉTAT FÉDÉRATIF : État souverain composé de droit de
plusieurs territoires qui conservent une partie
de leur indépendance mais qui délèguent
certaines tâches au gouvernement central.

122
1848 : naissance de la Suisse moderne

Nouveaux devoirs pour l’État


17
– La Confédération a pour but d'assurer l'indépendance de la patrieH contre l'étranger,
de maintenir la tranquillité et l'ordre à l'intérieur, de protéger la liberté et les droits des
Confédérés et d'accroître leur prospérité commune.
– La Confédération se charge de l'administrationH des postes dans toute la Suisse.
– La Confédération exerce tous les droits compris dans la régale des monnaies. Les Can-
tons cessent de battre monnaie ; elle est frappée par la Confédération seule.
Extraits adaptés de la Constitution de 1848.

Le choix d’une capitale


18
Il faut encore trouver une ville pour installer le gou-
vernement. Trois villes souhaitent devenir la capitale :
Zurich, Berne et Lucerne. Lucerne est au centre de la
Suisse. Zurich dispose de bonnes infrastructures. Berne
se trouve à proximité de la Suisse francophone, de plus,
elle s'engage à mettre gratuitement des bâtiments
administratifs à disposition.
C’est Berne qui est choisie avec une assez large majo-
rité. Dans un esprit typiquement confédéral visant à la
recherche de l'équilibre, on promet à Zurich le siège
de l'École polytechnique fédérale et à Lucerne, une
autre future institution fédérale : le Tribunal fédéral.
Il faudra attendre 1875 pour que le Tribunal fédéral Carl Durheim, « Le premier Palais fédéral à Berne
se réunisse de façon permanente. À ce moment, c’est construit entre 1852-1857 », lithographie, 1860.
une ville de Suisse romande, Lausanne, qui est choisie
comme siège.

La première session du ParlementH est saluée par la population. Après un service religieux
catholique et protestant, les députés se retrouvent pour un repas de fête.

19
« La ville prenait de plus en plus un air de fête en se parant de tout l’éclat de la plus
brillante illumination dont on n’ait jamais vu le spectacle en Suisse. Plusieurs maisons
avaient arboré d’immenses drapeaux aux couleurs de la Confédération. La foule de tout
âge et de tout sexe parcourait les rues. »
Gazette de Lausanne, 8 novembre 1848.

20

« Banquet d’ouverture de la première réunion du Parlement », Chambre


du peuple au théâtre de Berne, gravure, 6 novembre 1848.

123
8

Accueil des idées nouvelles en Europe et dans le monde


En 1830, dans plusieurs pays, des citoyens européens se sont opposés à leur gouverne-
ment et ont réclamé, entre autres, le droit de vote, le respect de leurs droits, la fin des
privilèges et un développement économique. Des soulèvements ont lieu : parfois, débou-
chant sur de nouveaux droits ; souvent, réprimés dans la violence.
Dix-huit ans plus tard, en 1848, de nouvelles révoltes éclatent, d’abord à Paris. Puis, durant
une période nommée le Printemps des peuples, des rassemblements populaires accom-
pagnés d’émeutes ont lieu dans toute l’Europe, exprimant à nouveau l’opposition aux
gouvernements conservateurs. Les revendicationsH semblent acceptées, mais rapidement
les conservateurs reprennent le pouvoir.
Ces révolutions ont détourné l’attention 21
des gouvernements français, prussien
ou autrichien, qui, sinon, seraient peut-
être intervenus en Suisse pour freiner
le processus de changement en cours.
De nombreux opposants aux régimes en
place sont expulsés et trouvent refuge
en Suisse. D’autres États, comme les
États-Unis, glorifient la Suisse, seul pays
qui ait réussi sa révolution démocratique
en 1848. Pour la première fois de son
histoire, la Suisse a pu s’organiser elle-
même en se donnant une constitution
et ce sont désormais les citoyens qui
détiennent la souverainetéH.
« Barricade sur la Breite Strasse du 18 et 19 mars 1848 », lors des combats
dans les rues de Berlin, lithographie, Berlin (D), vers 1848-1850.

22 23
« Il n'y a pas moyen de douter que l'intervention « La République des États-Unis a de quoi être
étrangère ne provoque, en Suisse, la plus forte fière de sa sœur, la seule en Europe centrale,
répulsion. Le sentiment de l'indépendance natio- qui se comporte avec autant de correction et de
nale y est général et énergique. Mais si l'inter- dignité. La Suisse confère le plus haut degré de
vention se montrait, le cri qui s'élèverait serait crédit au système de démocratie. […] Elle est un
celui de la résistance. Conservateurs et radicaux exemple, jour après jour, pour le monde euro-
le pousseraient. Et les difficultés de l'intervention péen, des beautés pratiques de nos propres
en seraient infiniment aggravées. » institutions. »
François Guizot (1787-1874), ministre des Affaires Ambrose Dudley Mann (1801-1889), diplomate
étrangères en France, Mémoires pour servir du Gouvernement américain à Berne, 1850.
à l’histoire de mon temps, 1858-1867.

24

Dans les années 1848 et 1849, la Suisse se vit surchargée d’une grande masse de réfugiés
qui, suite aux événements politiques survenus en Italie et en Allemagne, vinrent chercher
un refuge en le territoire de la Confédération. On ne pouvait leur refuser l’asileH en partie
par des considérations humanitaires. Le Conseil fédéral dut astreindre les cantons à les
prendre en charge mais prit des mesures (expulsion, accélération des départs contre une
indemnité) pour qu’ils ne dussent pas le faire trop longtemps. En 1849, le nombre de
réfugiés dépassait le chiffre de 11 000 ; actuellement 500.
Adapté de La Feuille fédérale, 1851.

124
1848 : naissance de la Suisse moderne

La Suisse se construit, de 1848 à 1910


Un État centralisé se met en place. La Confédération gère progressivement les tâches que tout État fort doit
assumer. Elle se charge également d’assurer la protection des personnes les plus faibles.
À partir de 1848, la Confédération est seule souveraine l’organisation militaire et les transports. Dans les autres
dans des domaines comme la politique extérieure (à domaines, les cantons conservent leur souveraineté
l’égard de l’étranger), la poste, les douanes, la monnaie, ou la partagent avec la Confédération.

25

Les droits des citoyens


Dès 1848, toute modification de
la Constitution doit être votée par
le peuple. Dès 1874, si un nombre
suffisant de citoyens le demande,
le peuple peut se prononcer sur
une décision déjà prise par le
Parlement (référendum), ou, dès
1891, sur une modification de la
Constitution (initiative).

L’armée
Dès 1874, le principe du service
militaire obligatoire instauré Les poids et mesures
par la Constitution fédérale de Dès 1851, les unités de mesures
1848 est appliqué avec rigueur. sont unifiées selon une base déci-
La Confédération se charge de male. En 1876, la Suisse adopte
la formation, de l’équipement le gramme et le mètre tels qu’ils
et de l’armement, tandis que les ont été établis par le Bureau inter-
cantons s’occupent notamment national des poids et mesures à
de l’habillement, de l’entre- Paris.
tien du matériel et des cours de Vers un État
gymnastique.
centralisé
La monnaie
Dès 1850, une monnaie unique
remplace toutes les monnaies
locales. Dès 1907, la
Banque nationale suisse
La poste imprime l’ensemble
La prise en main de la poste par des billets de
l’État fédéral se fait presque sans banque.
opposition. Les PTT (poste, télé-
phones, télégraphes) sont chargés
de transporter les voyageurs, les
lettres, les colis,
les messages ou L’heure
même de l’argent. Chaque localité définissait l’heure
en fonction du soleil, ce qui causait
un décalage qui pouvait atteindre
18 minutes. En 1853, l’heure de
Berne devient la norme pour l’en-
semble du territoire.

125
8

Le renforcement des droits sociaux


Dès 1840, des lois cantonales protègent les ouvriers. Elles visent à leur offrir des condi-
tions de travail sûres et hygiéniques ; des règles en matière de salaire et de durée du
travail ; des assurances en cas de maladie ou d’accidents. Ce n’est qu’en 1877, suite à
un référendum (52 % de oui), qu’une loi sur les fabriques permet à la Confédération de
légiférer sur le plan suisse. Cette loi visant à empêcher les abus patronaux s’explique par
la crise économique qui prive les ouvriers de leur travail et accentue les tensions sociales.

26
La durée du travail régulier d'une journée ne doit pas excéder onze heures. Elle est réduite
à dix heures la veille des dimanches et des jours fériés. Cette durée du travail doit être
comprise entre 5 heures du matin et 8 heures du soir [en été], et entre 6 heures du matin
et 8 heures du soir pendant le reste de l'année. On accordera aux ouvriers, au milieu de
la journée de travail, un repos d'une heure au moins pour leur repas.
Après et avant leurs couches, il est réservé un temps de huit semaines en tout, pendant
lequel les femmes ne peuvent être admises au travail dans les fabriques.
Les enfants au-dessous de quatorze ans révolus ne peuvent être employés au travail dans
les fabriques. Pour les enfants depuis le commencement de la quinzième année jusqu’à
seize ans révolus, le temps réservé à l’enseignement scolaire et religieux et celui du travail
dans la fabrique ne doivent pas, réunis, excéder onze heures.
Extraits de la loi fédérale concernant le travail des fabriques, 23 mars 1877.

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la pauvreté est pour l’es- 27


sentiel prise en charge par les œuvres caritatives,
l’ÉgliseH ou la famille. Avec l’industrialisation et l’ac-
croissement de la population dans les villes, ainsi que
l’émergence du mouvement ouvrier, la question de la
pauvreté revient aux pouvoirs publics.
En 1899, une loi est votée au Parlement qui prévoit
pour la première fois l’obligation de s’assurer contre
les accidents pour une majorité de salariés. Présentée
en votation populaire, elle est largement refusée par
près de 70 % des votants. Il faudra plusieurs tentatives
pour qu’elle soit acceptée.
Albert Anker, La Soupe des Pauvres à Ins,
huile sur toile, 1893.
28
L’assurance accidents suisse, la première grande œuvre sociale du pays, répondait aux
problèmes sociaux apparus au cours de la seconde moitié du XIXe siècle à la suite de
l’industrialisation. Durant cette période, de nombreuses familles ont sombré dans la
pauvreté. En effet, la plupart des salariés n’étaient pas protégés lorsqu’ils n’étaient plus
en mesure de travailler en raison d’une maladie ou d’un accident.
Adapté de Les 100 ans de la Suva (assurance accidents), suva.ch, 2018

29 MARIE GOEGG-POUCHOULIN (1826-1899)

Traversant le siècle en militant pour le droit des


femmes et le pacifisme, elle fonde notamment,
en 1869, l’Association internationale des femmes,
une organisation qui prône l’égalité. Elle déclare :
« Je suis convaincue que nous sortirons un jour vic-
torieuses de notre lutte qui n’a d’autre but que d’assurer
partout le règne de la justice, la liberté, l’instruction et le
ŒUVRE CARITATIVE : organisation privée bonheur pour tout ce qui est un être humain. »
qui aide les personnes les plus démunies.

126
1848 : naissance de la Suisse moderne

Les syndicats
S’ils ont besoin d’un soutien financier, les ouvriers peuvent s’adresser à une des nom-
breuses sociétés d’entraide. Pour faire entendre leurs revendications, ils ont recours aux
syndicatsH : des organisations de personnes travaillant dans la même branche qui luttent
pour leurs droits. Le premier syndicat national, en 1858, est le Syndicat du livre et du
papier. Dès 1880, poussés par le besoin d’améliorer leurs conditions de vie, les ouvriers se
regroupent par métiers comme les vitriers, les conducteurs de locomotives ou les porteurs
de dépêches postales. Puis ces syndicats fusionnent pour augmenter leur force de pression
lors des grèvesH ou des négociations. Ainsi naissent l’Union syndicale suisse (USS, 1880),
les fédérations des travailleurs du textile (1903), des ouvriers de l'alimentation
(1904) ou des ouvriers des communes et des cantons (1905).

30
31
er
Le 1 mai 1886, à Chicago, une
grève en faveur de la journée de
8 heures est lancée par les syndi-
cats. Le mouvement dure plusieurs
jours et finit dans la violence : on
compte une dizaine de morts.
En 1889, le Congrès de la IIe Inter-
nationale socialiste décide de
faire du 1er mai un jour de lutte
à travers le monde pour revendi-
quer la journée de 8 heures. Cette
date a été choisie en mémoire des
événements de Chicago.

Drapeau du Syndicat Ruban du 1er mai, Zurich, 1893.


des ouvriers ferblantiers, Mouvement pour les 8 heures
Vevey-Montreux, 1901. 8 heures de travail / 8 heures de loisirs/
8 heures de sommeil.

Les « partis » politiques


Dans la seconde moitié du XIXe siècle, il n’existe pas encore de partis politiques au sens
moderne du terme, mais des communautés de pensée et d’action. On en distingue deux
principales :
– une communauté libérale-radicale qui souhaite garantir les libertés individuelles, pro-
mouvoir un pouvoir central fort et un système économique dans lequel l’État intervient
le moins possible. Elle donne naissance au Parti radical démocratique (PRD) en 1894 ;
– une communauté conservatrice qui considère avec un certain scepticisme les innovations
sociales amenées par le progrès matériel et qui défend le fédéralisme. Nommée Parti
populaire catholique dès 1894, elle est à l’origine du futur Parti démocrate chrétien
(PDC) dès 1970.
Une troisième communauté naît avec la création du Parti socialiste suisse (PSS) en 1888.
Parti des travailleurs, il soutient entre autres la lutte des classesH, le droit de grève et
l’étatisation de l’économieH.

32
12. Gratuité des soins médicaux et pharmaceutiques. Création de nom-
breux hôpitaux. SanatoriumsH pour les maladies des voies respira-
toires et pour les maladies nerveuses. Gratuité des soins médicaux à
domicile. Maisons de convalescence. Gratuité des accouchements et
des soins à donner aux accouchées. Asiles pour incurables.
13. Assurance contre les conséquences économiques de la maladie, de
l'accident, de l'invalidité, de la vieillesse et de la mort. Assurance mobi-
SOCIÉTÉ D’ENTRAIDE : par lière obligatoire. Asiles pour invalides, infirmes et vieillards.
exemple, la Société suisse du Extraits du programme du Parti socialiste suisse, 1904.
Grütli (1838) qui propose une
aide en cas de maladie.

127
9

CONSTRUIRE L’IDENTITÉ
DE LA SUISSE MODERNE

Prairie
du Grütli
Berne
SUISSE

MER
MÉDITERRANÉE

1291 1315
Plus ancien Bataille de
pacte Morgarten. 1386 1515
d’alliance Pacte de Bataille de Bataille de
retrouvé Brunnen Sempach Marignan

Confédération des VIII cantons Confédération des XIII cantons

1300 1400 1500 1600


1307
Selon la tradition, date du
soulèvement des Waldstaetten
contre les Habsbourg
(Serment du Grütli)

128
Construction d’une identité suisse

APPRENTISSAGES VISÉS
EN ÉTUDIANT CE THÈME, TU APPRENDRAS À :
– identifier les différents mythes fondateurs et expliquer leur
utilisation politique lors de la création de la Suisse moderne ;
– identifier les intentions des différents acteurs dans le projet
de fédérer les Suisses ;
– expliquer et analyser le rôle de la montagne et de la vie rurale
dans la construction de l’image de la Suisse ;
– expliquer le rôle du tourisme et de l’humanitaire comme
« cartes de visite » de la Suisse à l’étranger.

AU TRAVERS DU THÈME, TU APPRENDRAS AUSSI


PROGRESSIVEMENT À :
– analyser et comparer les stéréotypes associés à différents États
(la Suisse et d’autres pays) ;
– évaluer la fiabilité et l’objectivité d’une source textuelle
(récits traditionnels et textes d’historiens, témoignages) ;
– confronter des éléments mythiques aux éléments historiques
à l’aide de sources textuelles ;
– analyser différentes manifestations de la mémoire (mythes
fondateurs, commémorations) au service de la construction /
de l’histoire d’un État (la Suisse moderne) ;
– formuler des hypothèses sur le rôle des commémorations
à différentes époques (au XIXe siècle, aujourd’hui).

1891
1648 1803 1815 1848 Première
Paix de Acte de Pacte Constitution Fête nationale
Westphalie Médiation fédéral fédérale (1er août)

II cantons Confédération des XXII cantons


République
helvétique

1700 1800 1900


1863
1786 1815 Création du Comité
Première Congrès de international
ascension du Vienne de secours aux
Mont-Blanc par militaires blessés
H. B. de Saussure (Croix-Rouge)

129 Épreuve 2
9

Collection de timbres rassemblant les symboles


de la Suisse.

« Bienvenue en Suisse », quelques


symboles de la Suisse, selon une
dessinatrice du XXIe siècle.

Hall d’entrée du bâtiment principal du Palais fédéral, Berne, 2011.

130
Construire l’identité de la Suisse
moderne
Les habitants de la Suisse ne parlent pas tous la même langue, n’ont pas la même religion
et vivent dans des contextes très différents (villes, campagnes, vallées, montagnes).
Après avoir élaboré une ConstitutionH et mis en place un gouvernementH, l’enjeu est de
créer un lien social et de façonner une IDENTITÉ commune. Les mythesH fondateurs de
l’ancienne ConfédérationH et les paysages des Alpes vont servir de référence.
Au XIXe siècle, toutes les nations sont confrontées au même phénomène : le sen-
timent national se développe en phase avec une redécouverte du passé. Cette
recherche de racines est renforcée par le fait que certaines nations se trouvent IDENTITÉ
intégrées à des empiresH (Empire austro-hongrois, Empire russe) ou ne forment Caractéristiques qui nous
pas encore un ÉtatH unique (cas de l’Allemagne et de l’Italie). De nombreux distinguent comme individu
ou comme faisant partie
peuplesH vont lutter pour obtenir leur indépendance et former des États- d’un ensemble différent des
nations. Ainsi l’Italie, en 1861, et l’Allemagne, en 1871, proclament leur uni- autres. L’identité nationale
fication. Les tensions accompagnent les aspirations des peuples et favorisent est le sentiment qu’ éprouve
la montée du nationalisme, qui est alimenté par des références à un passé une personne à faire
partie d’une nation.
glorieux.

Hauts lieux liés aux traditions SH


et aux débuts du tourisme BS TG

BL AG ZH
JU 4 AR
SO AI

2 ZG 3 SG
1 1 SZ
Berne LU 2 2
NE (capitale) 2 GL 5
3 4 3
2 NW
1 1
1 BE OW
3
1
FR UR GR
VD 4 3
2 5 1
3

1 3 TI
2
GE 2 VS
6 3
7

Statues de Tell Batailles Fêtes Sanatoriums


1 - Altdorf (UR) 1 - Sempach (LU), 1386 1 - Unspunnen (BE) 1 - Leysin (VD)
2 - Lausanne (VD) 2 - Morat (FR), 1476 2 - Bienne (BE) 2 - Montana (VS)
3 - Lugano (TI) 3 - Morgarten (ZG), 1315 3 - Vevey (VD) 3 - Davos (GR)
4 - Stans (NW)
Mythes fondateurs Stations thermales Sommets
Chapelles de Tell 1 - Grütli (UR), 1307 1 - Yverdon-les-Bains (VD) 1 - Massif du Gothard
1 - Chemin creux (SZ) 2 - Brunnen (SZ), 1315 2 - Lavey-les-Bains ( VD) 2 - Rigi (SZ), 1798 m
2 - Sisikon (UR) 3 - Sarnen (OW), 1470 3 - Loèche-les-Bains (VS) 3 - Eiger (BE), 3970 m
3 - Bürglen (UR) 4 - Baden (AG) 4 - Mönch (BE), 4107 m
5 - Bad Ragaz (SG) 5 - Jungfrau (BE), 4158 m
6 - Cervin (VS), 4478 m
7 - Pointe Dufour (VS), 4634 m
ÉTAT-NATION : État souverain dont la population est réunie notamment
par une histoire, une langue, des coutumesH et des traditions communes.
NATIONALISME : exaltation du sentiment d’appartenance à une communauté
nationale et mouvement politique qui s’en réclame.

131
9

Les mythes fondateurs


Après 1848, il s’agit de dépasser le sentiment d’appartenance des habitants de la Suisse à leur seul cantonH
pour qu’ils adhèrent au projet de construire un État fédéral.

L’un des moyens pour que le peuple suisse se pense histoire et légende, tels que le Pacte de 1291 ou le Livre
comme une NATION est d’inscrire les origines du nouvel blanc de Sarnen (1470). De ce passé ressurgissent des
État fédéral dans un passé lointain. Cette longue his- lieux symboliques ou des héros auxquels les Suisses
toire s’ancre dans une série de récits à mi-chemin entre peuvent s’identifier.

1
« Une fois la Suisse inventée restait encore à NATION
fabriquer les Suisses ! » Ensemble des personnes
François Walter, Histoire de la Suisse, Neuchâtel, 2010.
vivant sur un même territoire
ayant en commun l’origine,
l’histoire, la cultureH, les tra-
ditions, parfois la langue et
constituant une commu-
nauté politique.

3
Alors, secrètement, les Confédérés […]
convinrent qu’à Noël, ils iraient apporter
au seigneur vœux et étrennes […].
Lorsque ceux qui étaient à l’intérieur
de la maison seraient en nombre
suffisant pour maintenir les portes
ouvertes, [les autres] devaient se dres-
ser et leur venir en aide […]. Mais à
l’heure où on amenait les cadeaux, le
maître était à l’église […]. Les Confédé-
rés traversèrent les douves […], esca-
ladèrent le bâtiment par l’arrière et
s’en emparèrent. Le vacarme parvint jus-
qu’à l’église, les seigneurs prirent peur
et s’échappèrent vers la montagne, et
quittèrent le pays.
Adapté de la traduction du Livre blanc de Sarnen,
Le Livre blanc de Sarnen,
par Jean-Daniel Morerod, Guillaume Tell et
Archives cantonales de
la Libération des Suisses, 2010.
Sarnen (OW), 1470.

4
Un récit qui unit les Confédérés
« Il faut se souvenir que la Confédération a failli imploser plusieurs fois au milieu du
XVe siècle. Il y a eu des tensions entre Zurich et les autres Confédérés, il y a eu les
guerres de Bourgogne. La Confédération vit des moments de doutes. Elle a besoin
d’une histoire de solidarité et d’alliance et elle va l’écrire. Elle se constitue un ciment
national. »
Bernard Wuthrich, « Les mythes servent de guide de bon gouvernement »,
Le Temps, interview de l’historien Jean-Daniel Morerod, 2010.

132
Construire l’identité de la Suisse moderne

Le Pacte de 1291
Le document connu sous le nom de Pacte de 1291 est une charteH qui renouvelle une
alliance entre trois vallées alpines : Uri, Schwytz et une vallée d’Unterwald. Elles sont consi-
dérées depuis le XVe siècle comme le berceau
de la Confédération et souvent désignées sous 5
le nom de Waldstaetten (États forestiers). Daté
du début août 1291 mais rédigé plus tard, au
début du XIVe siècle, ce texte est l’un des nom-
breux exemples d’alliance que les communau-
tés du Saint Empire romain germanique avaient
l’habitude de sceller dans le but d’assurer leurs
droitsH et leur sécurité.
Comme il ne mentionne aucun lieu, ni nom ni
événement précis, on pourra lui rattacher au
XIXe siècle toute une série d’épisodes légen-
daires : les exploits de Guillaume Tell, le serment
de la prairie du Grütli, la révolte des Waldstaetten,
la destruction des châteaux qu’occupent les bail-
lisH. Le Pacte de 1291 devient ainsi un document
fondateur. Il sert aussi à justifier le choix de la
date du 1er août pour célébrer, en 1891, une pre-
mière fête à l’occasion du 600e anniversaire pré-
sumé de la Confédération. Elle deviendra ensuite
la Fête nationale. Le Pacte de 1291 ou Pacte fédéral, Musée des Chartes fédérales,
bâtiment construit spécialement pour le Pacte fédéral, Schwytz (SZ).

La prairie du Grütli : le berceau de la Confédération 6


D’après le Livre blanc de Sarnen, les premiers Confédérés se seraient retrouvés
sur la prairie du Grütli (ou Rütli en allemand : « petite prairie ») pour prêter ser-
ment d’assistance mutuelle et organiser la révolte contre les baillis. La tradition
situait cet événement en 1307. Dès le XVIIe siècle, la prairie devient un lieu de
mémoire patriotiqueH et de réunion ; à la fin du XVIIIe siècle, elle est associée
aux idées de liberté et d'identité nationale. En 1859, la SociétéH suisse d'uti-
lité publique (SSUP) l'achète afin d'y empêcher la construction d'un hôtel et
la donne, en 1860, à la Confédération comme « bien national inaliénableH ».
Depuis 1891, une fête commémorative y est organisée le 1er août.

Johann Heinrich Füssli, Les trois


Confédérés prêtant serment sur le
Grütli, huile sur toile, Zurich, 1780.

Drapeau suisse formé par des enfants


pour la Fête du 1er Août sur la prairie
du Grütli, 2012.

Billet de 5 thalers de la Northampton Bank,


Pennsylvanie (USA), 1836.

133
9

Guillaume Tell
L’histoire de ce héros mythique est évoquée pour la première fois à la fin du XVe siècle
par différentes chroniques. Depuis le XVIe siècle, de multiples illustrations et des spec-
tacles célèbrent celui qui aurait bravé et tué le
tyran Gessler. De nombreuses chapelles sont 9
érigées sur les lieux présumés des événements.
En 1804, le grand poète dramatique Friedrich
Schiller compose une pièce de théâtre qui
connaît un grand succès en Europe. Peu après,
le compositeur Gioacchino Rossini s’en ins-
pire pour composer un opéra. Le personnage
emblématique de Guillaume Tell rassemble
les Suisses autour des valeurs attribuées aux
populations montagnardes : courage, vertus
civiques, sens de la liberté, attachement à l’in-
dépendance. Des statues sont édifiées aussi
bien à Altdorf qu’à Lausanne et Lugano.

Gabriel Lory et Johann Hürlimann, La chapelle de Guillaume Tell sur


le lac des Quatre-Cantons, où l’on célèbre chaque année une fête reli-
gieuse en mémoire des événements de 1307, aquarelle, XIXe siècle.

Arnold de Winkelried
Même s'il est moins populaire que Guillaume Tell, Arnold de Winkelried est l'un des héros
fondateurs de la Suisse. D'après la légende, son sacrifice lors de la bataille de Sempach
aurait permis aux Suisses de remporter la victoire contre les Habsbourg (1386).

10
« […] Alors un homme seul conjure cet orage. Mais si, par cet exploit, la Suisse tout entière
Arnold de Winkelried, la gloire d’Unterwald, Conquit la liberté, la gloire et le repos,
S’avance au premier rang et de ses mains puissantes Que ne doit-elle point à ce fameux héros
Embrassant un faisceau de piques menaçantes, À ce fier Winkelried, en qui tout intéresse,
Les baisse et, dans le flanc de l’épais bataillon, Dont la force, l’ardeur, le courage et l’adresse,
Montre à tous ses soldats un facile sillon. La présence d’esprit et l’intrépidité
Tandis que ce héros d’immortelle mémoire Aux dépens de ses jours l’a mise en sûreté ? »
Périt chargé de coups, mais plus couvert de gloire,
Poème tiré de A. M. Chappuis, Narration en vers
De l’espace entr’ouvert le Suisse a profité, de dix-huit principaux traits de l'histoire de Suisse,
Et du corps ennemi harcelant le côté, et mélanges curieux de littérature légère, d'histoire
Porte dans tous ses rangs la mort et le carnage. […] naturelle et de morale agréable, Lausanne, 1796.

11 12

« La bataille de Sempach le 9 juillet 1386 », enluminure tirée Konrad Grob, Mort de Winkelried à Sempach,
de Diebold Schilling le Jeune, Chronique illustrée de Lucerne, huile sur toile, 1878.
1513.

134
Construire l’identité de la Suisse moderne

Des fêtes qui rassemblent


Dans la première moitié du XIXe siècle, de nombreuses sociétés organisent des fêtes
fédérales qui permettent de célébrer l'unité du pays en réunissant tous les Suisses. Durant
ces festivités sont organisés des concours, réservés aux hommes, et des banquets pen-
dant lesquels sont prononcés des discours politiquesH. Les fêtes d'Unspunnen de 1805
et 1808 ont une grande portée symbolique : pour la première
fois, les Jeux des bergers prennent une dimension nationale 14
et patriotique. Toutes ces fêtes sont aussi un moyen pour
les villes qui les accueillent de célébrer la vie rurale et les
traditions de la Suisse.

13

Fête fédérale de gymnastique du 8 au 13 juillet


1909, carte postale, Lausanne, 1909.

Élisabeth Vigée-Lebrun, Fête des bergers suisses à


Unspunnen, le 17 août 1808, huile sur toile, 1808.

Une célébration romande : la Fête des vignerons


En 1797, la première Fête des vignerons, dont l’objet est de rendre hommage aux métiers
de la vigne, est organisée à Vevey. D’abord modeste, cette célébration devient progressi-
vement un événement majeur en Suisse romande. Le spectacle, qui ne se déroule qu’une
fois par génération, met notamment en scène le travail de la terre, la traite et la parade
des vaches, les chants des armaillis, les bergers. Il consacre, émotion à l’appui, les valeurs
que l’on associe au monde agricole et plus
15 généralement à l’identité suisse : modestie,
goût pour les traditions et l’histoire (comme
celle du mercenariat, célébrée par la marche
des Cent-Suisses).

Le ranz des vaches,


pendant la Fête 17
des vignerons,
Vevey (VD), 1999. « Depuis les hauteurs de la ville, de
l’église Saint Martin, [la Confrérie des
vignerons] conduit ses membres, suivis
16
des vignerons-tâcherons et de nombreux
curieux, le long des rues de Vevey jusqu’au
bord du lac, où un frugal banquet est servi
à chacun. Musique, chants et danses
ponctuent ce joyeux cortège qui fait halte
sur les petites places et sous les fenêtres
des notables. Au cours des XVIIe et XVIIIe
siècles, la parade s’enrichit. Des musi-
Parade des ciens y participent, des petites figurines,
Cent-Suisses,
Vevey (VD), 2019.
dites « marmousets », sont portées en
procession ; et des jeunes gens jouent les
rôles de Bacchus, dieu du vin, et de Cérès,
déesse des blés et des moissons. »
JEUX DES BERGERS : compétitions regroupant notamment la lutte fetedesvignerons.ch, 2019.
suisse, le lancer de la pierre et le hornuss (un jeu de batte).
FRUGAL : modeste.

135
9

La Fête du 1er Août


Célébrée une première fois de manière solennelle en 1891, la Fête nationale est organisée
régulièrement depuis 1899. Elle est un jour férié depuis 1994. De nos jours, le 1er Août
reste un moment de rassemblement et de commémoration.

18 19
Message du Conseil fédéral à l’AssembléeH
fédérale con-
cernant l’organisation d’une fête séculaire nationale en
mémoire de la Confédération (1er août 1291).
Monsieur le président et messieurs,
La Confédération suisse, qui réunit les populations des
vingt-deux cantons, doit son origine à l'alliance perpétuelle
conclue le 1er août 1291 entre les citoyens d'Uri, de Schwyz et
d'Unterwalden, en vue de se protéger contre leurs ennemis
externes, d'augmenter leur liberté et leur indépendance et
de maintenir le droit et le bon ordre. […]
Il est clair et évident pour tout Confédéré que ce jour doit
être fêté. Cette fête sans pareille pour notre pays sera une Discours du 1er Août par Madame la conseil-
fête nationale générale à laquelle doivent prendre part lère fédérale Micheline Calmy-Rey, prairie
toutes les populations de la Suisse et tous les membres de du Grütli, 2011.
la Confédération sans distinction des langues ni des confes-
sions.
Jamais les Confédérés n'ont eu le bonheur de fêter cette journée. À chaque retour de cette fête sécu-
laire, pendant les derniers siècles, des circonstances défavorables ont empêché de le fêter en com-
mun. L'année 1891, nous l'espérons, trouvera les Confédérés dans un état qui leur permettra de célé-
brer, en mémoire de l'an 1291, date à laquelle remonte l'origine de leur liberté et de leur indépendance,
une grande et digne fête fédérale. […]
Adapté du message du président et du chancelier de la Confédération, le 14 décembre 1889.

20

Appel du Comité National Suisse


pour la fête du 1erAoût
Première page Lorsque – il y a bien des siècles – nos pères se réunirent,
du journal un premier août, au bord d’un lac verdâtre, entre des
Le Confédéré, prairies et des cimes neigeuses, ils étaient [préparés] pour
édition du la lutte, leurs fronts étaient soucieux. Ils auraient inspiré
30 juillet 1924. la crainte, si l’amour de la patrie n’avait pas resplendi sur
leurs visages ; ils n’en voulaient du reste, qu’aux ennemis
de leur sol natal.
Ce foyer, restreint à son origine, s’est développé ; il est
devenu la Suisse d’aujourd’hui. Mais nombre de ses en-
fants émigrèrent, exercèrent leur influence bien au-delà
de nos frontières politiques, et le caractère national en
reçut une empreinte de cosmopolitisme. Parfois, en des
heures difficiles, l’opiniâtreté de nos ancêtres, leur ten-
dance à protester avec véhémence, paraissent renaître.
Un autre sentiment l’emporte néanmoins de beaucoup,
un sentiment que chacun de nous connaît, et qui se
manifeste de jour en jour d’une façon touchante : c’est
l’amour du Suisse pour les Suisses, et, en particulier, pour
ceux qui vivent hors de la patrie, sur un sol étranger dont
ils partagent les destinées.

136
Construire l’identité de la Suisse moderne

Le Palais fédéral
Semblable à un grand livre d’images illustrant les thèmes fondateurs, le Palais fédéral a été
construit en trois étapes : entre 1852 et 1857, l'aile ouest ; entre 1888 et 1892, l'aile est ;
puis entre 1894 et 1902, l'élément central constitué par le Palais du Parlement, inauguré
par l'Assemblée fédérale le 1er avril 1902.

21
Le Palais du Parlement, un reflet de la Suisse
95 % des matériaux utilisés viennent des différentes
régions suisses. Trente-huit artistes de toutes les régions
du pays l’ont décoré.
Trois thèmes emblématiques sont représentés : 
l’histoire nationale, les fondements constitu- 

tionnels de la Confédération et la diversité
culturelle et matérielle de la Suisse (poli-
tique, géographique, professionnelle).

 Croix fédérale dorée.


 Statues symbolisant (de g. à dr.) :
le pouvoirH exécutif, l'indépendance 
politique, le pouvoir législatif.
 Griffons symbolisant la force (à g.)
et l'intelligence (à dr.).
 Clefs de voûte symbolisant  
le courage, la sagesse et la force.
 Allégorie de la liberté.
 Allégorie de la paix.
Façade nord du Palais fédéral, Berne.

22


 
 
Charles Giron,
 Le lac des Quatre-
Cantons, le berceau
de la Confédération,
peinture murale de
la salle du Conseil
national, Palais
fédéral, Berne, 1901.

 Statue de Guillaume Tell.  Corniche avec les armoiries des 59 plus importantes communes de la Suisse
en 1902.  La bourgade de Schwyz au pied du massif des Mythen.  L’Ange de la Paix (dans le nuage, une
femme ailée tenant un rameau d’olivier).  La prairie du Grütli.  Le lac des Quatre-Cantons.  Statue de
Gertrud Stauffacher, qui aurait convaincu son mari Werner de s’allier avec Walter Fürst et Arnold de Melchtal.

137
9

La montagne, une image idéalisée de la Suisse


Arrière-plan omniprésent de l’imagerie helvétique, la montagne est un élément essentiel des mythes et de
l’histoire suisse. Elle a favorisé la construction d’une identité commune et la création d’un imaginaire qui
s’étend bien au-delà des frontières de la Suisse.
Perçues pendant des siècles comme un facteur d’isole- devient une vitrine de la Suisse : un art de vivre, fait
ment et de danger, les montagnes suisses vont connaître de tranquillité et de simplicité. Un doux cliché dont la
grâce au tourisme puis au sport une constante amé- Suisse peine encore aujourd’hui à se distancier.
lioration de leur réputation. Avec Heidi, la montagne

Le tourisme 23
Le tourisme en Suisse se développe dès la fin du XVIIIe siècle. Les progrès
des transports, en particulier de la navigation à vapeur, puis du chemin
de fer, contribuent à son essor au XIXe siècle. De nombreux hôtels de luxe
sont construits, d’abord à proximité des lacs, puis dans des stations d’alti-
Rigi Kulm tude ; ils attirent une riche clientèle européenne. Durant les années 1870,
ne
Stanz les médecins encouragent le séjour à la montagne. Des lieux de cure se
Sarnen
développent, notamment à Davos, Leysin et Montana ; des sanatoriumsH
y sont construits.
ndenwald

24 Olten

Rigi Kulm
ucerne Rigi Kulm
Neuchâtel Lucerne
Stanz En train
Stanz
À pied Pontarlier
Sarnen
En dilligence Brienz
Sarnen
aken En bateau Spiez
Grindenwald Interlaken
Grindenwald
0 50 km
Lauterbrunnen
Gemmi Pass
Leukerbad
Leuk Trajet du premier L’hôtel Bären et le glacier, Grindelwald
En train
À pied
Genève
Sion voyageEnde train groupe (BE), photochrome, vers 1890.
En dilligence Martigny en Suisse,
À pied
organisé
En dilligence
En bateau
par Thomas
En bateau
Cook,
0 50 km
Chamonix du 26 juin au
Mer-de-Glace
15
0 juillet 1863. 50 km

Jemima Morrell, une participante du premier voyage organisé pour des touristes anglais,
raconte ses impressions dans son journal.

25 26
e
8 jour : lundi 6 juillet 1863
« À Lauterbrunnen, nous abandonnons notre
voiture, ne comptant dès lors que sur nos
jambes et nos alpenstocks. Puis, sacs au dos,
nous tenons tête aux propositions scanda-
leusement élevées d’un essaim de guides.
Devant notre détermination, ceux-ci reconsi-
dèrent finalement leurs prix. L’un d’entre eux
l’emporte, qui devient à la fois notre guide et
notre porteur, et notre paquetage ingénieu-
sement agencé dans une sorte de chaise en François Fumex, Cordée sur le glacier du Findelen,
bois sur ses épaules, nous voilà partis. [...] Zermatt (VS), photographie, vers 1900.
Après la dernière escalade, nous faisons halte
devant le merveilleux panorama. À gauche la
Jungfrau et ses satellites couverts de neige, à 27 SIR ARTHUR CONAN DOYLE (1859-1930)
droite Interlaken assoupie dans le soleil – le
château d’Unspunnen, les collines –, les lacs Il sert dans l’armée britannique en tant
de Thoune et de Brienz. » que médecin et rédige des nouvelles qui
connaissent un succès planétaire. Pas-
Jemima Morrell (1832-1909), Voyage dans les Alpes sionné par le sport, il découvre en Suisse
en 1863 : carnet de route, édité en 1995.
les montagnes et le ski, dont il devient un
infatigable promoteur. C’est en Suisse, dans les
chutes escarpées du Reichenbach, qu’il fait mourir son
ALPENSTOCK : canne à bout ferré servant plus fameux personnage : Sherlock Holmes.
aux excursions en montagne.

138
Construire l’identité de la Suisse moderne

28 29

Le sanatorium de Leysin et le pic Chaussy en hiver (VD),


photochrome, vers 1890.

30

Friedrich Hugo d’Alési, « Mont-Cervin, Mont-


Rose », affiche touristique pour le chemin de
fer Viège-Zermatt (VS), 1895.

Touristes au sommet du Rigi (SZ) avec le premier train à cré-


maillère d’Europe (1871), carte postale, début du XXe siècle.

Des conditions difficiles


Les voyageurs rapportent aussi une vision plus sombre, celle des difficultés rencontrées
par la population des hautes vallées alpines : pauvreté et atteintes physiques. Près de 90%
32
souffrent d’un goitre (ou cou enflé) et 2% de crétinisme, dont on ne connaît pas l’origine
avant le début du XXe siècle. Des médecins suisses seront pionniers dans le traitement et
la prévention de ces maladies. À partir de 1922, le simple ajout d’iode dans le sel va les
faire reculer puis disparaître en quelques années.

31
4e jour : Sion-Leukerbad (jeudi 2 juillet 1863)
« Si luxuriante que soit la végétation et pittoresques que soient
les paysages, nous remarquons ici quantité de crétins et de goi-
treux qui font peine à voir. En vérité, ce magnifique canton a la
singularité d’être l’un des plus misérables et des plus mélan-
coliques de l’Europe du Nord. La superstition, l’ignorance, la
misère et le manque d’hygièneH, s’ajoutant à l’insalubrité d’une
vallée étroite et basse, sont les causes de cette flagrante infor-
tune. » « Jeune homme atteint
Jemima Morrell (1832-1909), Voyage dans les Alpes d’un goitre et de crétinisme »,
en 1863 : carnet de route, édité en 1995. gravure, Turin, 1848.

Le terme médica
l de cré-
GOITRE : augmentation du volume de la thyroïde, tinisme est né
en Valais
provoquée par le manque d’iode dans l’alimentation. au XVIII e siècle
et dérive
de l’expression
CRÉTINISME : malformations physiques et retard « pauvre
chrétienH ».
mental dus au manque d’iode, qui entraîne un
mauvais fonctionnement de la thyroïde.

139
9

La vie à la montagne à travers les arts


Dès le XIXe siècle, la montagne et la vie rurale sont des sujets privilégiés des peintres
suisses, qui en donnent une image idéalisée et émouvante. Les valeurs rurales sont ainsi
durablement associées à l'identité suisse.

33

34

Albert Anker, Grand-père raconte une histoire,


huile sur toile, 1884.

35 Ferdinand Hodler, L’Eiger, le Mönch et la Jungfrau


dans le soleil du matin, huile sur toile, 1908.

Heidi
La première édition du roman Heidi de Johanna Spyri paraît en 1880. Le
succès de son roman va faire de ce personnage fictif un symbole de la
Suisse à l'étranger en véhiculant une image idéalisée de la Suisse, celle
des montagnes et du monde agricole. En 1997, la région de Walenstadt
(SG) se proclame Heidiland et la petite ville de Maienfeld (GR) propose le
« village de Heidi ».

36 JOHANNA SPYRI (1827-1901)


Couverture du roman Heidi, illustra-
tion de Charles E. Jodelet, Éditions Ayant reçu une éducation fondée sur des
Flammarion, 1937. valeurs conservatrices, Johanna Spyri se voit
confier l’instruction de ses jeunes sœurs. Elle
se consacre à la littérature, qu’elle étudie en
autodidacte. À partir de 1877, elle rédige seize
ouvrages destinés aux enfants. Heidi reste le roman le
plus lu de la littérature suisse.
AUTODIDACTE : personne qui
s’est instruite par elle-même.

140
Construire l’identité de la Suisse moderne

La montagne et la publicité 37
Avec le succès touristique, l'image de la Suisse devient indis-
sociable de la montagne. Celle-ci est rapidement associée
aux produits suisses, comme le chocolat au lait.

Plaque publicitaire émaillée pour le chocolat


au lait Kohler, signée Géo Blott, 1898.
Les expositions nationales
La première grande exposition nationale est organisée à Zurich en 1883 ; les suivantes
auront lieu tous les 15 ou 25 ans. Elles servent de vitrines aux innovations technologiques
et aux entreprises du pays. En 1896, à Genève, un « Village suisse », qui prétend repré-
senter la vie dans les Alpes, va attirer plus d’un million de visiteurs. Devant ce succès, un
nouveau « Village suisse » sera construit pour l’Exposition universelle de Paris en 1900.

38 39

Fred Boissonnas, La rue du Village, souvenir du


« Village suisse », photographie, Genève, 1896.
Le « Village suisse » à l’Exposition nationale suisse, à Genève,
carte postale, 1896.

40

stré de
du Journal officiel illu rant
Cinquante numéros iss e so nt éd ités du
le su
l’Exposition nationa Le dernier
dent l’événement.
les mois qui précè : « No s lecteurs
par ces mots
numéro se termine l [… ] a fid èleme nt rempli
rna
pourront dire si le Jou retracé avec conscience
s’il a
son programme et tation na-
la grande manifes
[…] le tableau de nn é la pre uv e nouvelle
e a do
tionale où la Suiss de so n es prit de
travail et
de sa puissance de
solidarité ».
rédacteur général
Alexandre Gavard,
de l’exposition.

Couverture du Journal officiel illustré


de l’Exposition nationale suisse,
Genève, 1896.

141
9

La Suisse et l’action humanitaire


Depuis la fin du XIXe siècle, des œuvres d’entraide privées interviennent pour venir en aide aux populations
touchées par les conflits ou les catastrophes. Cette action est encouragée et soutenue par le gouvernement
suisse, en particulier durant les deux guerres mondiales. L’aide humanitaire fait aujourd’hui partie de l’image
de la Suisse.
En cas de conflit, sa qualité d’État neutreH permet à la les prisonniers des puissances en guerre et s’engage à
Suisse d’assurer le rôle de médiateur auprès des diffé- les soigner et à les nourrir en attendant la résolution
rents belligérants. Dans certains cas, la Suisse accueille du conflit.

La Croix-Rouge
En 1859, Henry Dunant, un homme d'affaires genevois en voyage en 41
Italie, est témoin de la bataille de Solferino et des conditions terribles
dans lesquelles sont laissés les soldats blessés ; il leur porte les pre-
miers secours. De retour à Genève, il décide de fonder, en 1863, avec
quatre autres Genevois (Gustave Moynier, les docteurs Appia et Maunoir,
et le général Dufour), le Comité international de secours aux militaires
blessés, qui devient, en 1876, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR). En août
1864, une première conventionH est signée à Genève par quatorze États européens : c'est
le début du droit humanitaire international.

42 Premier brassard de la Croix-Rouge,


porté en 1864 par le Dr Louis Appia,
délégué par le Comité international
de secours aux blessés durant
la guerre entre la Prusse et le
Danemark, CICR, Genève.

43

La première Convention de Genève


Article 1. Les ambulances et les hôpitaux mili-
taires seront reconnus neutres, et, comme tels,
protégés et respectés par les belligérants, aussi
Les Deux Croix, carte postale, 1914.
longtemps qu'il s'y trouvera des malades ou des
blessés.
La neutralité cesserait si ces ambulances ou ces
hôpitaux étaient gardés par une force militaire.
44
Art. 2. Le personnel des hôpitaux et des ambu-
lances, comprenant l'intendance, le Service
de santé, d'administrationH, de transport des
blessés, ainsi que les aumôniers, participera au
bénéfice de la neutralité lorsqu'il fonctionnera,
et tant qu'il restera des blessés à relever ou à
secourir. [...]
Art. 7. Un drapeau distinctif et uniforme sera
adopté pour les hôpitaux, les ambulances et
les évacuations. Il devra être, en toutes circons-
tances, accompagné du drapeau national.
Les trois emblèmes, Musée international Un brassard sera également admis pour le per-
de la Croix-Rouge, photographie, Genève. sonnel neutralisé, mais la délivrance en sera lais-
sée à l'autorité militaire. Le drapeau et le bras-
Le 8 mai, date de l’anniversaire d’Henry Dunant, on sard porteront croix rouge sur fond blanc.
célèbre partout dans le monde la Journée mondiale Extrait de la première Convention de Genève, 1864.
de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Il y a quatre
emblèmes officiels sur les drapeaux du CICR : la croix
rouge (1864), le croissant rouge (utilisé depuis 1876
par les pays musulmansH), le lion-et-soleil rouge
(choisi en 1876 par la Perse) et le cristal rouge (sym-
bole neutre adopté en 2005, peu utilisé).
BELLIGÉRANT : qui participe à une guerre.

142
Construire l’identité de la Suisse moderne

Les soldats internés de la guerre franco-allemande de 1870


En 1871, la France perd une guerre contre le Royaume de Prusse qui veut unifier les ter-
ritoires germaniques afin de former un empire allemand. Pour éviter que son armée soit
emprisonnée, le général français Charles-Denis Bourbaki demande l’autorisation d’entrer
sur le territoire suisse. Armements, munitions et
matériel sont déposés à la frontière, plus de 87 000 46
soldats français sont internés dans les différents
cantons durant un mois et demi.

45
La guerre franco-allemande est le pre-
mier grand conflit armé avec lequel est
confrontée la jeune organisation. Dans
cette épreuve du feu, la Croix-Rouge fait
un pas de géant. […] Dès le début de la
guerre, le général suisse Hans Herzog
appelle les médecins militaires suisses
et les autorise à soutenir les soldats. En
1870, 146 médecins et 40 étudiants en
médecine participent à cette mission. Le
Conseil fédéral encourage cette action « Le réconfort apporté aux soldats français épuisés, par
tout en veillant à ce que les médecins la population suisse lors de leur arrivée aux Verrières (NE) »,
détail du Panorama Bourbaki, installation, Lucerne, 1881.
interviennent pour les deux parties bel-
ligérantes.
Adapté de bourbakipanorama.ch

47
« Pendant plusieurs jours, il y eut beaucoup plus de Français en
ville que d’habitants. Nos autorités civiles et militaires étaient
débordées. […] Les hommes valides étaient dirigés sur la Suisse
allemande où on les cantonnait ; les nombreux malades restaient
à Neuchâtel. »
« Souvenirs de Magdeleine de Perregaux (1838-1919), née Montmollin »,
1871-1971 : centenaire de l’armée du général Bourbaki en Suisse, 1971.

48

ses soldats, la
Au retour de
urse à la Suisse
France rembo
,1 millions de
la somme de 12
francs.

INTERNÉ : en temps de guerre, militaire


Hébergement improvisé des troupes de Bourbaki, chapelle ou civil étrangers, placé dans des camps
des Terreaux, photographie, Lausanne (VD), 1871. gérés par l’armée.
CANTONNER : installer des troupes en
un lieu où leurs activités sont limitées.

143
10

REGARDS SUR LA COLONISATION :


L’EXEMPLE DE L’AFRIQUE
Londres Berlin
Bruxelles
OCÉAN Paris
ATLANTIQUE

MER
TUNISIE MÉDITERRANÉE

ALGÉRIE

Gorée
SÉNÉGAL
A F R I Q U E
GUINÉE ÉTHIOPIE
SIERRA LEONE
DAHOMEY
CÔTE (BÉNIN) NIGERIA
LIBERIA D’IVOIRE
GHANA
KENYA

CONGO ZANZIBAR
Brazzaville TANGANYIKA
(TANZANIE)

MOZAMBIQUE
ZAMBIE

XVe siècle 1833 1848


Premiers comptoirs Abolition de Abolition de
portugais sur les côtes l’esclavage (GB) l’esclavage (F)
africaines

Apogée des empires coloniaux britannique et français


Restauration, puis Régénération

Règne de Victoria
Du XVIe au XVIIIe siècle, premiers empires coloniaux en Amérique et comptoirs en Afrique et en Asie

1750 1800 1850


1783 Vers 1826
Indépendance Indépendance de la
des 13 colonies plupart des colonies
britanniques en Amérique
d’Amérique

144
APPRENTISSAGES VISÉS
EN ÉTUDIANT CE THÈME, TU APPRENDRAS À :
– identifier les arguments des Européens pour justifier
la colonisation ;
– identifier les acteurs de la colonisation et du commerce triangulaire ;
– déterminer les principales caractéristiques du système colonial ;
– comparer le regard que les colons et les colonisés portent
les uns sur les autres.

AU TRAVERS DU THÈME, TU APPRENDRAS AUSSI


PROGRESSIVEMENT À :
– comparer des sources parfois contradictoires et en identifier
les points de vue respectifs ;
– comparer et analyser les représentations que chacun se fait
de l’Autre ;
– analyser les stéréotypes dans une publicité ;
OCÉAN
INDIEN – examiner les conséquences à court, moyen et long terme
de la colonisation.

Les Mascareignes

1896
Village nègre 1931 1958
1884 -1885 à l’Exposition Dernière Exposition Village congolais à
Conférence nationale suisse coloniale internationale l’Exposition universelle
de Berlin à Genève à Paris de Bruxelles

égénération

Indépendance de la plupart
des pays africains

1900 1950
1895
1884 Création de 1910 1914-1918
Conquête l’Afrique occiden- Création de Troupes coloniales
du Togo et du tale française. l’Afrique lors de la Première
Cameroun par équatoriale Guerre mondiale
l’Allemagne Protectorat britan- française
nique au Kenya

145
10

Le Globe Trotter, hebdomadaire


français illustré, 1902.

Convoi d’esclaves en Afrique, huile sur toile,


vers 1878.

Visite du ministre des Colonies au roi d’Allada au Dahomey


(actuel Bénin), carte postale, vers 1909.

Image publicitaire offerte avec les tablettes


de chocolat des Gourmets, vers 1900.

Mouhlati, Léopard dévorant un Anglais, sculpture


yingoué en bois, Mozambique, vers 1896.

146
Regards sur la colonisation :
l’exemple de l’Afrique
À la fin du XVIIIe siècle, le système colonial européen en vigueur depuis deux siècles
connaît une importante crise dont les causes sont multiples. Les treize coloniesH britan-
niques d’Amérique du Nord proclament leur indépendance et deviennent les États-Unis
en 1783, ce qui marque un tournant décisif. En 1826, l’Espagne perd toutes ses colonies
d’Amérique du Sud et le Brésil gagne son indépendance vis-à-vis du Portugal.
À partir de 1870, les ÉtatsH européens, Grande-Bretagne et France en tête, cherchent de
nouveaux débouchés économiques et des matières premières à exploiter. De ce fait, leur
appétit de conquête s’intensifie et les regards se tournent vers l’Asie et l’Afrique. Agrandir
son empire colonialH est alors un signe de puissance économique, mais aussi politiqueH,
militaire et culturelleH. Cette politique d’expansion territoriale, appelée « impérialisme »,
se traduit par une volonté de domination non seulement sur des territoires et leurs res-
sources, mais aussi sur les populations qui y vivent. Elle repose aussi sur une conviction :
les valeurs de la civilisation européenne doivent être diffusées. Malgré ces caractéristiques
communes, les situations coloniales sont différentes d’une région à l’autre et les rapports
entretenus entre colonisateurs et colonisés complexes.

Les empires coloniaux au début du XIXe siècle

Empire russe

Empire
ottoman

Grande Bretagne
France
Italie
Allemagne
Belgique
Pays-Bas
Portugal
Les empires coloniaux au début du XXe siècle Espagne
États-Unis
Empire russe Japon
Pays sans domina-
tion coloniale
Empire
ottoman

147
10

L’esclavage

Pratiqué depuis l’Antiquité, l’esclavageH à grande échelle n’est pas propre à la période coloniale. Toutefois,
les anciennes colonies d’Amérique et les empires coloniaux du XIXe siècle n’ont pu fonctionner que grâce aux
esclaves africains, une main-d’œuvre abondante et bon marché.

Le système qui s’est mis en place dès le XVIe siècle une main-d’œuvre très importante. Les colons euro-
connaît, aux XVIIIe et XIXe siècles, une ampleur sans péens et les populations locales n’étant pas en nombre
précédent. Deux TRAITES ont coexisté : une traite suffisant, on se tourne vers l’Afrique. La traite atlantique
atlantique dirigeant les esclaves vers l’Amérique et s’intègre dans un vaste système d’échanges nommé
une traite orientale conduisant les esclaves vers les « commerce triangulaire ».
empires musulmansH. Les immenses plantations du
Nouveau-Monde (Amériques et Caraïbes) nécessitent
TRAITE
Commerce ou trafic
1 La traite atlantique régulier dans lequel
des captifs sont consi-
OCÉAN
ATLANTIQUE
dérés comme de la
NORD marchandise.

OCÉAN
INDIEN

2 Le rythme de la traite atlantique


Esclaves
embarqués Expéditions
en mio 6 18 000
16 000
OCÉAN OCÉAN 5
PACIFIQUE ATLANTIQUE 14 000
SUD SUD
4 12 000
10 000
3
8 000
Commerce triangulaire. 2 6 000
4 000
Commerce entre colonies portugaises (Angola-Brésil). 1
2 000
0 0
1563- 1601- 1701- 1801-
Périodes 1600 1700 1800 1866

Esclaves : 31698 469803 4808607 2633278


Un système à grande échelle Expéditions : 156 1729 17108 8240
En Afrique, des réseauxH de capture et de vente organisés par des marchands africains
conduisent les captifs jusqu’aux ports dans lesquels les marchands européens viennent
se « ravitailler ». La plupart des pays européens, y compris ceux qui n’ont pas de politique
coloniale, comme la Suisse, participent à ce « commerce », par exemple
en produisant des marchandises spécialement destinées à l’Afrique, en 4
organisant des transports ou en investissant dans ce commerce

3
Les bâtiments [des trois armateurs vaudois] appareillent de
Marseille vers Mascareignes. Là, ils vendent leur cargaison [vin,
tabac, pommades, tissus, etc.] avant de s’approvisionner en
esclaves au Mozambique. Lors d’une escale au Cap, le navire Ville
de Lausanne arrive avec 550 noirs, le Pays de Vaud lui succède avec
485 esclaves. Ces captifs seront vendus aux Antilles. De ces îles,
les navires ramènent café, cacao et sucre en Europe.
Adapté de Olivier Pavillon, « Un commerce maritime
à capitaux suisses », revue Passé simple, 2019.

ARMATEUR : propriétaire d’un ou plusieurs navires « Marchand d’esclaves de Gorée (Sénégal) »,


marchands ou de pêche. gravure tirée de Jacques Grasset de
Saint-Sauveur, Encyclopédie des voyages,
LES MASCAREIGNES : archipel de l’océan Indien formé de 1796.
trois îles principales : La Réunion, l’île Maurice et Rodrigues.

148
Regards sur la colonisation : l’exemple de l’Afrique

5
Un marchand me vendit […] pour 172 coquillages […] à une riche veuve. […] Six ou sept
mois après ma capture, j’arrivai à la côte maritime. […]. L’étroitesse de l’endroit ainsi
que la chaleur du climat, ajoutées aux passagers du bateau qui était tant encombré de
monde que chacun avait à peine l’espace pour se retourner, nous étouffaient presque.
[…]. Un jour, deux de mes compatriotes enchaînés l’un à l’autre, préférant la mort à
une telle vie de misère, passèrent à travers les filets et sautèrent à la mer.
Adapté de Olaudah Equiano ou Gustavus Vassa l’Africain,
La passionnante autobiographie d’un esclave affranchi, 1789.

7
Un sujet qui fait débat
Les bénéfices de l’esclavage sont tels qu’il semble, à l’époque, impos-
sible de le remettre en cause. Au mieux cherche-t-on à limiter les abus.
Au XVIIIe siècle, des abolitionnistes, proches des penseurs des Lumières,
commencent à dénoncer l’esclavage.

6
On dit, pour excuser l'esclavage des Nègres achetés en Afrique, que
ces malheureux sont ou des criminels condamnés au dernier supplice,
ou des prisonniers de guerre, qui seraient mis à mort s'ils n'étaient
pas achetés par les Européens.
D'après ce raisonnement, quelques écrivains nous présentent la traite
des Nègres comme étant presque un acte d'humanité. Mais […] en
supposant qu'on sauve la vie des Nègres qu'on achète, on ne com-
met pas moins un crime en l'achetant, si c'est pour le revendre ou le
réduire en esclavage.
Adapté de Nicolas de Condorcet,
Réflexions sur l’esclavage des Nègres, 1781.

Affiche annonçant une vente aux


enchères d’esclaves arrivant de Sierra
Leone à bord du navire Dembia,
Charleston (USA), 1769.

Abolition : des paroles et des actes ?


En 1794, la France abolit une première fois l’esclavage, au nom des idéaux révolution-
naires. Napoléon annule le décret en 1802. Le trafic se poursuit tout au long du XIXe siècle
et culmine en 1829 avec 100 000 esclaves embarqués. Malgré l’abolition officielle (1833
au Royaume-Uni, 1848 en France, 1865 aux États-Unis), la pratique perdure : la Conférence
de Berlin renouvelle l’interdiction en 1885. Mais sur le terrain, on recense de nombreux
cas de travail forcé, jusqu’à la fin de l’époque coloniale. Hommes, femmes et enfants sont
réquisitionnés et soumis à des travaux exténuants pour lesquels ils ne sont pas, ou à
peine, payés. Toute tentative de fuite ou de désobéissance est punie de manière violente
et disproportionnée.
8
Le matériel humain recruté [pour la construction de la ligne de chemin de fer
Congo-Océan] n’était plus de première qualité. Comme les moyens de transport
et de ravitaillement n’avaient pas été améliorés, le déchet augmenta. Les chalands
auraient pu s’appeler des corbillards et les chantiers des fosses communes. Le
détachement de Gribingui perdait 75 % de son effectif. […] « Il faut accepter le
ABOLITIONNISTE : sacrifice de 8000 à 10 000 hommes, disait M. Antonietti, ou renoncer au chemin
partisan de la suppression de fer. » Le sacrifice fut plus considérable. À ce jour, cependant, il ne dépasse pas
de l’esclavage. 17 000. Et il ne reste plus que 300 km de voie ferrée à construire.
CHALAND : bateau à Adapté d’Albert Londres, Terre d’ébène : la traite des noirs, 1929.
fond plat, normalement
destiné au transport des
marchandises.
149
10

À la conquête de l’Afrique

Les puissances européennes se réunissent à Berlin, de novembre 1884 à février 1885, afin de discuter des
conditions de la colonisation de l’Afrique et d’atténuer les rivalités. Le règlement adopté assure la liberté de
commerce et de navigation dans certaines zones, définit les conditions nécessaires pour revendiquer l’occupa-
tion de nouveaux territoires, reconnaît des droitsH aux populations locales et interdit l’esclavage.

Forts de ces quelques règles, les États européens l’Allemagne. Dans les faits, l’établissement des nou-
poursuivent leur course aux territoires dans un esprit velles frontières n’est pas aisé ; elles sont souvent
de concurrenceH marqué. De nombreux traitésH sont fixées en fonction de données géographiques, en ne
signés pour délimiter les frontières des colonies. La tenant que très partiellement compte des anciennes
Grande-Bretagne en signe cent quarante-neuf avec limites établies par les populations locales. Certaines
la France, trente avec le Portugal, vingt-cinq avec de ces frontières posent encore problème de nos jours.

9 10
Article 6
Toutes les Puissances exerçant des droits de souverainetéH ou
une influence dans lesdits territoires s’engagent à veiller à la
conservation des populations indigènesH et à l’amélioration
de leurs conditions morales et matérielles d’existence […].
La liberté de conscience et la tolérance religieuse sont expres-
sément garanties aux indigènes comme aux nationaux et aux
étrangers.
Acte général de la Conférence africaine signée à Berlin, 26 février 1885.

La Conférence de Berlin, sous-titrée : « À chacun


11 sa part, si l’on est sage. » Otto von Bismarck
partageant le gâteau africain, caricature de
Draner tirée de L’Illustration, janvier 1885.

12
« La première forme de la colonisation, c’est celle qui offre un
asileH et du travail au surcroît de population des pays pauvres
ou de ceux qui renferment une population exubérante. [...]
Mais il y a une autre forme de colonisation, c’est celle qui
s’adapte aux peuplesH qui ont, ou bien un excédent de capi-
taux, ou bien un excédent de produits. [...] Les colonies sont
pour les pays riches un placement de capitaux des plus avan-
tageux.[...] Dans la crise que traversent toutes les industries
européennes, la fondation d’une colonie, c’est la création d’un
débouché. [...]
Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire
ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit
vis-à-vis des races inférieures [...] parce qu’il y a un devoir pour
« La délimitation des nouvelles frontières franco-
allemandes au Congo : les commissaires français elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures. »
et allemand opérant dans la forêt marécageuse Jules Ferry, « Les fondements de la politique coloniale »,
de la vallée de la Lobaye », illustration tirée de discours à l’Assemblée nationale, Paris, 28 juillet 1885.
Le Petit Journal, France, 1913.

150
Regards sur la colonisation : l’exemple de l’Afrique

13
Les réactions locales
Les États européens conquièrent des territoires habités
par des populations locales déjà organisées politique-
ment. Si certains souverains locaux collaborent avec les
colonisateurs, qui leur assurent souvent une protection
face à des tribus rivales, d’autres refusent cette ingé-
rence. Tout au long de la période coloniale, les mou-
vements de résistance prennent différentes formes :
combat armé, refus de se soumettre aux règles colo-
niales, attitude d’opposition aux colonisateurs. Certains
conflits durent des décennies, mais la supériorité de
l’équipement militaire des Européens l’emporte.
« Combat de Dogba entre le corps expéditionnaire
du général Dodds et les troupes du roi Behanzin »,
Dahomey (actuel Bénin) », gravure, 1892.

14
Pendant la visite que me firent les chefs chez (le roi) Makoko, je leur expliquai que le but
que se proposaient les Blancs en établissant des villages était de tenir ouvertes les routes
par lesquelles les marchandises viendraient dans le pays. Et il fallait que ces villages fussent
situés au bord des rivières parce que les Blancs allaient venir avec des pirogues marchant
avec le feu. [...] Je fis à Makoko présent de dix-huit brasses de bonne étoffe, de glaces et
d’un collier [...]. Makoko se montra satisfait et il me donna, à son tour, cinquante brasses
d’étoffe européenne et trois cents pièces d’étoffe du pays. […] Puis se tournant vers moi, il
me dit : « Tu es venu ici nous apporter des paroles amies, tu as vécu parmi nous et tu nous
as fait oublier tout ce que nous avions entendu des Blancs : aussi ceux qui viendront après
toi seront les bienvenus et pourront s’établir dans le pays s’ils le désirent. »
Adapté de Henri Brunschwig, historien français, « Correspondance
de Brazza », Brazza, l’explorateur, Paris-La Haye, 1972.

L’administration coloniale
Une administrationH coloniale se met en place. En théorie, deux modèles existent : selon le modèle français, les
populations locales devraient progressivement être intégrées à la population de la métropole. Celle-ci gère donc
directement la colonie. Selon le modèle britannique, les populations locales devraient apprendre à se gouver-
nerH comme les Européens, la métropole laisse en place les pouvoirs locaux mais les encadre. Dans la pratique,
ces modèles sont rarement appliqués tels quels. Les situations sont très
15 diverses selon les pays mais, quel que soit le type d’administration, les
populations colonisées sont soumises aux loisH établies par les coloni-
sateurs et ne disposent pas, en règle générale, de droits politiques. Les
colonisateurs ne sont toutefois pas présents sur l’ensemble du territoire.
Dans certaines zones reculées, leur venue est même exceptionnelle.
Les chefs locaux conservent alors le pouvoir.

16

Frédéric Regamey, Les Délégués des colonies


et Monsieur Jules Ferry (détail), huile sur toile,
1892.

INGÉRENCE : intervention d’un État dans


les affaires intérieures d’un autre État.
BRASSE : ancienne mesure de longueur Les administrateurs coloniaux et leurs messagers
égale à environ 1,60 m. indigènes à Lagos (Nigeria), photographie, vers 1910.

151
10

L’attrait de l’Afrique

L’intérêt pour l’Afrique a précédé les ambitions des responsables politiques. Explorateurs, scientifiques,
missionnairesH, militaires, artistes sont attirés par ces régions encore inconnues et les populations qui y vivent.

Les récits et relevés cartographiques, décrivant les se côtoient : l’une affirmant un devoir de transmettre
ressources des régions explorées, ouvrent la voie le progrès, les droits de l’homme et les valeurs chré-
aux militaires et aux commerçants. Tous contribuent, tiennes ; l’autre soutenant que les peuples colonisés
sous diverses formes, à légitimer l’idée que l’Europe doivent être éduqués afin de servir la métropole.
détient une « mission civilisatrice ». Deux conceptions

17 PIERRE SAVORGNAN DE BRAZZA (1852-1905) 18


Explorateur français d’origine italienne, il
explore, dès 1875, le fleuve Gabon, puis le
Congo où il gagne l’estime des populations
indigènes. Le traité signé avec le roi des Tékés
place le royaume sous protection française, la
capitale de l’actuel Congo-Brazzaville porte son nom.
En 1905, les autorités françaises lui demandent d’établir
un rapport sur les conditions de vie des colonies. Ce rap-
port, jugé trop critique, ne sera jamais publié.

19

« Les colonies françaises », couverture de


cahier scolaire, lithographie de Georges
Dascher, vers 1900.

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Notes cartographiques tirées du journal de voyage de David la peur mais pe oi » dit Rudyard
qu
Livingstone, 1868. Cette carte dessinée correspond à la Zambie su découvrir de
actuelle. Kiplin g.

20
Il ne suffit pas pour prêcher l’Évangile […] de se promener avec une bibleH sous le bras.
On doit chercher surtout à créer des relations commerciales […] afin d’amener les tribus
à sentir qu’elles ont tout à gagner à n’avoir que de bons rapports entre elles. […] Les suc-
cès commerciaux qu’on pourrait obtenir […] répandraient avec le temps les avantages de
la civilisation, sur une bien plus vaste échelle que les efforts exclusivement religieux et
intellectuels […]. Il faudrait toutefois s’occuper également de l’instruction des indigènes
[…] : car la civilisation et le christianismeH ne peuvent pas se propager l’un sans l’autre ;
en fait ils sont inséparables.
Adapté de David Livingstone, médecin, missionnaire et explorateur écossais, Explorations
dans l’intérieur de l’Afrique australe et voyages à travers le continent de 1840 à 1856, 1877.

152
Regards sur la colonisation : l’exemple de l’Afrique

La diffusion de la religion chrétienne est également un élément important du projet 22


colonial. Les missions catholiques et protestantes travaillent généralement en bonne
entente avec l’administration coloniale. Dans bien des cas, les missionnaires sont seuls
sur le terrain et s’improvisent enseignants ou médecins. Ils participent non seulement à
la christianisation des sociétésH colonisées, mais également à la mission civilisatrice que
s’attribue l’Europe. Souvent proches des populations locales, certains développent une
profonde compréhension des indigènes avec lesquels ils vivent. Ils contribuent à préserver
leurs traditions et à défendre leurs droits. D’autres missionnaires cherchent à leur faire
oublier leur culture et à les transformer à l’image des Européens.

21
Si l’œuvre scientifique du père Bittremieux est importante, son
influence morale le fut plus encore car les Européens puiseront
dans ses œuvres une connaissance des Noirs et une grande
sympathie pour eux. Les Congolais verront conservées et codi-
fiées par le père Bittremieux les données éparses de leurs cou-
tumesH et même de leur langue.
Adapté de Biographie coloniale belge,
Académie royale des sciences coloniales, 1958.

Statuette du père Léo


Bittremieux (1880-1946),
23 bois et verre, Mayombe
(Congo), début du
XXe siècle.

24

Sœurs missionnaires de Notre-Dame des Apôtres


soignant les malades en Afrique, carte postale, 1930.

Classe en plein air dans une mission du Nigeria,


Les Annales de la Propagation de la Foi, photo-
graphie, 1935.

Dans un premier temps, l’éducation est laissée aux missionnaires des ordres religieux.
Ensuite, la nécessité de former les populations pour pouvoir servir l’État colonial s’impose.
Dans les colonies françaises, l’enseignement du français est une priorité. Des sous-officiers,
militaires européens ou indigènes deviennent instituteurs.

25
« Pour transformer les peuples primitifs de nos colonies, pour les rendre le plus possible
dévoués à notre cause et utiles à nos entreprises, nous n’avons à notre disposition qu’un
nombre très limité de moyens et le moyen le plus sûr, c’est de prendre l’indigène dès
l’enfance, d’obtenir de lui qu’il nous fréquente assidûment et qu’il subisse nos habitudes
intellectuelles et morales pendant plusieurs années ; en un mot, de lui ouvrir des écoles
où son esprit se forme à nos intentions. »
Georges Hardy, inspecteur des écoles en Afrique-Occidentale Française (AOF), 1917.

153
10

Exploiter les colonies


La révolutionH industrielle a démultiplié les capacités de production des puissances européennes, Grande-
Bretagne en tête. Celles-ci doivent s’assurer d’avoir suffisamment de matières premières et des acheteurs pour
leurs produits. Les colonies sont avant tout exploitées dans cette optique. Même des pays non colonisateurs
s’intéressent à ce nouveau marché.
Dans la plupart des pays colonisés d’Afrique comme De grandes entreprises se développent, gérant des
d’Asie, les colons représentent moins de 1 % de la territoires entiers et soumettant à une exploitation
population. En 1913, ce pourcentage est dépassé uni- extrême les ressources naturelles et humaines. Des
quement en Afrique du Sud pour l’Empire britannique, colons viennent également en Afrique pour créer une
en Algérie et en Tunisie pour l’Empire français. Bien affaire, souvent une plantation plus ou moins vaste.
que fortement minoritaires, les colons concentrent Ils engagent alors des travailleurs indigènes en tant
les richesses et le pouvoir politique dans leurs mains. qu’ouvriers agricoles et pour les tâches domestiques.

26

« Carte de l’Empire britannique avec représentation des routes commerciales »,


illustration de Walter Crane, lithographie, 1886.

27
« J’étais hier dans l’East-End (quartier ouvrier 28 VICTORIA (1819-1901)
de Londres), et j’ai assisté à une réunion de
personnes sans travail. J’y ai entendu des Reine du Royaume-Uni de
discours forcenés. Ce n’était qu’un cri. Du Grande-Bretagne et d’Irlande
pain ! Du pain ! […] Je me sentis encore plus (dès 1837), reine du Canada
convaincu qu’avant de l’importance de l’impé- (dès 1867), ainsi qu’impéra-
rialisme […] pour sauver les quarante millions trice des Indes (dès 1876) et reine
d’habitants du Royaume-Uni d’une guerre d’Australie (dès 1901). L’époque victorienne
civile meurtrière. Nous, les colonisateurs, marque une période de profonds change-
devons conquérir des terres nouvelles afin d’y ments au Royaume-Uni et une rapide expan-
installer l’excédent de notre population, d’y sion de l’Empire britannique.
trouver de nouveaux débouchés pour les pro-
duits de nos fabriques et de nos mines. »
Cécil Rhodes, premier ministre du Cap (Afrique
du Sud), extrait du journal Neue Zeit, 1898. IMPÉRIALISME : politique d’un État qui
cherche à étendre sa domination sur
d’autres peuples ou d’autres territoires.

154
Regards sur la colonisation : l’exemple de l’Afrique

Les conditions de travail

29 30
« [Mon mari] emploie six Blancs à la ferme […] ; il « Les natives [indigènes] sont ma principale
y avait quelque chose de touchant à voir ces gens source d’intérêt ici ; mais je crois que je suis à
sans foyer et sans famille, dont plusieurs sont cer- peu près la seule dans la région à être vraiment
tainement ici depuis bien longtemps, faire l’im- dans ce cas. Sur ce point, les Anglais sont étran-
possible pour me faire la fête. » gement bornés ; ils n’auraient jamais l’idée de les
Karen Blixen (1885-1962), exploitante de plantation, considérer comme des êtres humains. […] Les
Lettres d’Afrique, lettre écrite le 20 janvier 1914 indigènes, qui sont à bien des égards plus intel-
à son arrivée au Kenya. ligents qu’eux, en profitent mais il ne peut s’ins-
taurer aucune compréhension ni collaboration. »
Karen Blixen, Lettres d’Afrique,
lettre écrite le 1er avril 1914.
31

32

Karen Blixen devant sa maison au Kenya


dans les années 20, photographie.

33

Détenues travaillant sur les routes, enchaînées ensem-


ble par le cou, Dar es Salaam (Tanzanie), photographie,
entre 1890-1927.

34
20 mai 1905. [...] Nous visitons un poste où 275
Noirs arrachent des herbes à caoutchouc d’où l’on
extrait le précieux latex. Ces travailleurs, dits volon-
taires, ont été amenés [...] à ce poste, sans savoir
où ils allaient, sans savoir quel travail ils allaient
entreprendre. Ils se plaignent du travail, trop dur,
de la nourriture, insuffisante [...]. Leurs livrets [de
Travaux forcés en Guinée pour la construction du travail] renferment cette mention : « Le contrat
chemin de fer entre Conakry et Kankan, photo- sera résilié sans aucune indemnité de résiliation,
graphie prise par le gouvernement français, carte
postale, vers 1904.
lorsque, pour un motif quelconque, le travailleur
ne rendra plus de services à la compagnie. » Avis
à ceux qui se blesseraient ou qui tomberaient
malades au service de la généreuse société !
Adapté de Félicien Challaye, philosophe et journaliste fran-
çais, Souvenirs sur la colonisation, 1935. Il a accompagné
Savorgnan de Brazza lors de son enquête en 1905.

155
10

La représentation de l’Autre
Les récits des explorateurs, qui allient exotisme et bravoure, rencontrent un vif succès et contribuent à forger
des images stéréotypées des contrées lointaines. Les populations locales y sont dépeintes soit comme des êtres
primitifs et violents soit, au contraire, comme de « bons sauvages », simples et naïfs.

Dès les premières expéditions du XVIe siècle, la coloni- Ces théories présentent les Européens comme une race
sation attire toutes sortes de voyageurs, de géographes, supérieure, ayant de ce fait des droits envers des races
de naturalistes et d’anthropologues qui s’activent à dites inférieures, et quelques devoirs, dont celui de les
découvrir le monde. Au XIXe siècle en particulier, ils amener à la CIVILISATION. Cette justification pseudo-
rêvent de percer les énigmes des régions encore inex- scientifique, contestée, débouche sur de nombreux
plorées, d’être les premiers à les parcourir et d’en dres- excès.
ser le relevé cartographique. Le regard européen est
influencé par certains ouvrages qu’à l’époque on consi-
dère comme scientifiques. Ceux-ci classent l’humanité CIVILISATION
en différentes racesH, chose choquante aujourd’hui. Ensemble des valeurs
(intellectuelles, spirituelles,
35 artistiques), des connais-
sances scientifiques et des
réalisations techniques qui
caractérisent une société
à un moment de
son histoire.

36
« La nature a fait une race d’ouvriers. C’est la race chinoise
d’une dextérité de main merveilleuse, sans presque aucun
sentiment d’honneur ; gouvernez-la avec justice, elle sera
satisfaite ; une race de travailleurs de la terre, c’est le Nègre :
soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l’ordre ; une
race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Que
chacun fasse ce pour quoi il est fait et tout ira bien. »
Ernest Renan, La Réforme intellectuelle et morale, Paris, 1871.

37
« Les anthropologistes après avoir divisé les types humains
en trois groupes […] ont unanimement admis la doctrine
de l'inégalité morale et intellectuelle de ces divers groupes.
En vain cherche-t-on dans la plupart de leurs ouvrages une
[explication] sur une question aussi grave. On ne la rencontre
nulle part. Pourtant, ils raisonnent généralement comme s'il
s'agissait d'un fait si bien démontré qu'il n'y eût nulle néces-
sité de lui chercher un fondement scientifique. »
Anténor Firmin, homme politique et intellectuel haïtien,
De l’égalité des races humaines (Anthropologie positive), Paris, 1885.
« L’échelle des races humaines et de leurs
parents inférieurs », illustration tirée de Josiah
Nott et George Gliddon, anthropologues améri-
cains, Types of Mankind, 1854.
En déformant volontairement les illustrations,
38
les Noirs y sont présentés comme une espèce « Le christianisme, la science, le commerce peuvent transfor-
intermédiaire entre l’homme et le chimpanzé.
mer leur état social. On ne saurait croire avec quelle facilité
le Nègre, même le plus dégradé et le plus abruti en appa-
rence, s’assimile à notre civilisation. Instruisez-le, éduquez-le
et vous verrez quels progrès étonnants il fera dans les arts,
dans les lettres et dans les sciences. Annoncez-lui l’évan-
gile des droits de l’homme : il fondera au bout de quelques
années des États florissants et stables. »
Abbé Charles Raemy, « L’Afrique d’après les explorations
ANTHROPOLOGISTE, ANTHROPOLOGUE : modernes », conférence donnée à Fribourg en 1882.
spécialiste qui étudie l’être humain
et ses comportements en société.

156
Regards sur la colonisation : l’exemple de l’Afrique

39
« [...] Races supérieures ? Races inférieures, c’est bientôt dit ! Pour ma part,
j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants allemands démon-
trer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-
allemande parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand.
Depuis ce temps, je l’avoue, j’y regarde à deux fois avant de me retourner
vers un homme et vers une civilisation, et de prononcer : homme ou civili-
sation inférieurs. »
Georges Clémenceau, homme politique français, « La colonisation est-elle
un devoir de civilisation ? », discours à la Chambre des députés, le 31 juillet 1885.

Un spectacle exotique
Au XIXe siècle, dans les pays colonisateurs mais aussi ailleurs, notamment en Suisse, des
expositions coloniales vantent le rôle civilisateur des colons. Elles mettent en scène les
richesses naturelles des régions soumises.
Dans de vastes reconstitutions de villages 40 41
exotiques, hommes, femmes et enfants
amenés d’Afrique et d’Asie sont exhibés.
Attirant partout un public nombreux et
curieux, elles constituent souvent la pre-
mière rencontre avec l’Autre. On assiste
aussi à la naissance d’une imagerie popu-
laire et caricaturale, notamment au travers
de la publicité.

« Le continent noir au parc de Édouard Bernard, « Le savon qui


Plaisance de Genève », Villages blanchit tout », affiche publici-
nègres, affiche de l’Exposition taire pour le savon La Perdrix,
nationale suisse, 1896. vers 1910.

Le regard des artistes


Au début du XXe siècle, des artistes occidentaux sont fascinés par l’art africain, sa force
d’évocation, ses lignes simples et son dépouillement. Ils achètent des masques, reven-
diquent une place au Musée du Louvre pour ces chefs-d’œuvre exotiques. L’art africain,
mais aussi asiatique ou océanien devient une nouvelle source d’inspiration.

42 43
« C’est par une grande audace du goût que l’on
est venu à considérer ces idoles nègres comme
de véritables œuvres d’art. Le présent album
aidera à reconnaître […] qu’on se trouve ici en
présence de réalisations esthétiques auxquelles
leur anonymat n’enlève rien de leur ardeur,
de leur grandeur, de leur véritable et simple
beauté. »
Guillaume Apollinaire, poète et critique
d’art français, préface de Sculptures nègres.
À propos de l’art des noirs, 1917.

Man Ray, Noire et Blanche, tête de Kiki de Montparnasse


à côté d’un masque yoruba, photographie, 1926.

157
10

Regard africain sur le colonisateur et la colonisation


Le regard que les Africains portent sur les colonisateurs est fortement influencé par l’at-
titude de supériorité et de domination de ceux-ci. Ce comportement entraîne principale-
ment un sentiment de rejet et de crainte. Les mœursH des Européens et leurs agissements
étonnent, suscitent la peur chez certains, sont moqués par d’autres, la moquerie devient
un moyen de résistance. Malgré tout, une partie de la population manifeste une certaine
admiration pour la culture occidentale ou choisit de collaborer avec le colonisateur et en
retire des avantages (promotion sociale, débouchés professionnels, etc.). Au contact des
colons, les artistes africains se mettent également à représenter cet Autre, l’homme blanc.
Leurs œuvres expriment les rapports complexes que les colonisés entretiennent avec les
colons, entre soumission, rébellion et moquerie.

44
« Certaines personnes sages se sont réunies pour se concerter sur ce
qu’il fallait faire à propos de l’installation des Blancs dans le pays. Tous
étaient d’accord que les Blancs ne pouvaient pas rester et demeurer ici.
45
Car les Blancs n’étaient que des hommes morts qui, il y a très longtemps,
vivaient dans nos forêts. Mais, à leur mort, ils sont allés au lieu où sont
les morts, où ils ont changé de peau (comme le font certains serpents)
pour recevoir des corps blancs. »
« Les souvenirs de Yosefi Ndibu, moniteur à Kingoyi, 1928 »,
La Mémoire du Congo. Le temps colonial, 2005.

46
« Le soleil du désastre s’est levé à l’Occident,
Embrassant les hommes et les terres peuplées
[…]
La calamité chrétienne s’est abattue sur nous
Comme un nuage de poussière.
Au commencement, ils arrivèrent
Statuette de colon
Pacifiquement, avec chicotte (fouet),
Avec des propos tendres et suaves. Côte d’Ivoire, bois,
début du XXe siècle.
Nous venons commercer, disaient-ils,
Réformer les croyances des hommes,
Chasser d’ici-bas l’oppression et le vol, 47
Vaincre et balayer la corruptionH. Si le mzungu peut être admiré, il reste […] un
Nous n’avons pas tous perçu leurs intentions « animal étrange », dont il est parfois difficile de
Et maintenant nous voilà leurs inférieurs. cerner les agissements et les motivations. Sou-
Ils nous ont séduits à coups de petits cadeaux vent pressé, il se met rapidement en colère, c’est
l’homme du sasa hivi (tout de suite, maintenant !)
Ils nous ont nourris de bonnes choses. […]. L’organisme du mzungu étant moins adapté
Mais ils viennent de changer de ton. » au continent africain, il est souvent malade, ce
El Hajj’ Ommar, poète du nord du Ghana, vers 1875, qui nécessite parfois de le transporter en litière.
cité par Jacques Bouillon, Le XIXe siècle et ses racines, 1981. Il arrive même qu’il décède en route. Le courage
[…] n’est pas toujours au rendez‑vous. Passionné
de chasse, l’Européen‑type rentre souvent bre-
douille, quand il ne préfère pas, devant le danger,
prendre les jambes à son cou : « Feu ! Les buffles
ont alors chargé, se précipitant vers nous. Voyant
cela, le Docteur Röver jeta son fusil et se réfugia
dans un arbre. »
Adapté de Nicole Carré, De la côte aux confins.
Récits de voyageurs swahilis, 2014.
MZUNGU : en swahili, désigne
l’homme blanc, mot formé à partir
des mots « étrange » et « vertige ».

158
Regards sur la colonisation : l’exemple de l’Afrique

Les récits de voyage de Selim bin Abakari font partie des rares témoignages d’Africains
découvrant le monde occidental. Cet homme éduqué, né dans une famille fortunée de
Zanzibar, est durant douze ans le serviteur attitré d’un officier allemand. Avec lui, il parti-
cipe, à la fin du XIXe siècle, à l’exploration et à la conquête de territoires africains. Il voyage
également en Europe, puis en Russie et en Asie centrale.

48
a) Pour ce qui est du caractère, les b) À Samara (Russie), les gens c) Durant ce trajet en Sibérie, les
Russes sont plus frustes que les étaient saisis de voir un homme gens, lorsqu’il voyait mon maître,
autres Blancs, qui sont travailleurs, noir. Ils disaient que j’étais le pre- le saluaient, mais jamais autant
éduqués et disciplinés. À mon avis, mier qu’ils voyaient. Je suis parti que moi. Ils me saluaient comme
les Russes sont bien des Blancs, me promener et ils fuyaient à mon si j’étais un roi, parce qu’ils
mais ils sont largement à la traîne approche, pensant que c’était le voyaient mon maître blanc comme
de leurs voisins. […] Les gens n’ont diable lui-même qui était descendu eux, alors qu’ils n’avaient jamais
aucun goût pour l’étude, en cela, par chez eux ! vu un Noir comme moi. Et de fait,
ils ressemblent à des broussards ! ils pensaient que cette expédition
Et cela ne résulte pour moi que de était la mienne.
la paresse.
Adapté de Selim bin Abakari, « Mon voyage en Russie et en Sibérie, que je fis en compagnie de mon maître
le docteur Bumiller », tiré de Nicole Carré, De la Côte aux confins. Récits de voyageurs swahilis, 2014.

49

Paul Mampinda, Scène


à l’appareil photographique,
aquarelle, 1933.
L’artiste représente la société
européenne du temps colonial
dans des scènes stylisées,
il dépeint ainsi le mode
de vie des Blancs.

La critique africaine sur la colonisation se fait largement entendre dès la première moitié
du XXe siècle.

50
J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de
niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes,
des cultures piétinées, d’institutionsH minées, de terres confisquées, de religions assassinées,
de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.
On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de
chemin de fer. Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux
qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de mil-
lions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à
la sagesse. Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe
d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir [...].
On m’en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d’hectares d’oliviers
ou de vignes plantés. Moi, je parle d’économiesH naturelles, d’économies harmonieuses et
viables, d’économies à la mesure de l’homme indigène désorganisées, de cultures vivrières
détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul
bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières.
Adapté de Aimé Césaire, poète et homme politique
martiniquais, Discours sur le colonialisme, essai, 1950. FRUSTE : grossier,
qui manque de
délicatesse.

159
11

L’HYGIÈNE, DE L’ANTIQUITÉ
À NOS JOURS
1

« Les Commande-
ments de la santé »,
Comité national
de défense contre
la tuberculose,
buvard publicitaire,
vers 1955.

160
APPRENTISSAGES VISÉS
EN ÉTUDIANT CE THÈME, TU APPRENDRAS À :
– expliquer la notion d’hygiène et son évolution en lien avec
les découvertes scientifiques ;
– décrire les pratiques liées à l’hygiène (privée et publique)
à différentes époques ;
– décrire les politiques mises en place pour favoriser la santé ;
– décrire l’influence de l’hygiène sur l’habitat et les villes
à différentes époques.

AU TRAVERS DU THÈME, TU APPRENDRAS AUSSI


PROGRESSIVEMENT À :
– mener une enquête historique en utilisant des sources textuelles
et iconographiques ;
– analyser les conséquences à court, moyen et long terme de
l’évolution de la notion d’hygiène ;
– analyser l’influence des grandes épidémies (choléra, tuberculose,
etc.) sur l’évolution de l’hygiène selon les trois durées (courte,
moyenne et longue) ;
– formuler des hypothèses sur les conséquences de découvertes
scientifiques (vaccins, médicaments, techniques médicales, organes
artificiels, etc.).

161
11

L’hygiène, de l’Antiquité à nos jours


Le mot HYGIÈNE dérive du nom de la déesse grecque Hygie dont l’étymologie vient du grec ancien, hugieinós
(bon pour la santé), qui était la déesse de la santé et de la propreté. Fille d’Asclépios, le dieu de la médecine,
Hygie symbolise la prévention alors que sa sœur Panacée est la déesse guérisseuse reliée au traitement
médical et aux médicaments.
Il existe :
– une hygiène privée (prendre soin de sa santé) ;
HYGIÈNE
– une hygiène publique (mesures mises en place par l’ÉtatH et les services Ensemble de pratiques
publics pour garantir la santé de la population). et de mesures destinées
à conserver ou améliorer
la santé, à éviter l’appari-
tion et la transmission
des maladies.
Antiquité
Les grands principes de l’hygiène sont connus dès l’Antiquité. Le bain est
répandu chez les Égyptiens, les Hébreux, les Assyriens, les Perses et les
Chinois. Il est souvent pratiqué lors des cérémonies religieuses comme
geste symbolique de purification. 2
Chez les Grecs, grands adeptes de sports, les bains sont situés près du
gymnase.
Chez les Romains, les thermes sont gratuits ; ils mêlent toutes les couches
de la population. On s’y lave, on s’y repose, on y fait du sport, on se cultive
dans les bibliothèques contiguës, on y rencontre ses amis et on peut aussi
y traiter des affaires ou se restaurer.
Les Romains ont aussi mis en place un système d’amenée d’eau (aqueduc),
des toilettes publiques (latrines) et des réseauxH d’égouts (cloaques).
SALVOM LAVISSE, « Se laver
est bénéfique », mosaïque
des bains publics de Sabra-
3 4 tha (Libye), Ve siècle av. J.-C.

Restitution des bains de Nasium, ville Latrines romaines à Ostie, port de la Rome
de la Gaule romaine dans la Meuse (F), antique situé à l’embouchure du Tibre (I),
fin du Ier siècle av. J.-C. IVe siècle av. J.-C.

Le hammam, appelé aussi « bain turc », remonte à l’époque où l’Em- 5


pire romain s’étendait jusqu’en Orient. Les bains gréco-romains
inspirent l’architecture et la pratique de ces bains de vapeur.
Ceux-ci se développent dans les villes arabo-musulmanesH, après
l’avènement de l’islam au VIIe siècle, car les préceptes religieux
recommandent une hygiène minutieuse. La pratique du hammam,
liée à l’expansion géographique de l’islam, se poursuit au fil des
siècles.

GYMNASE : ensemble d’équipements sportifs Hammam construit par Ali Gholi Agha,
dont dispose chaque cité grecque. Ispahan (Iran), 1713.

162
L’hygiène, de l’Antiquité à nos jours

Moyen Âge 6
En Europe, durant les derniers siècles du Moyen Âge
comme durant l’Antiquité, l’hygiène est un art de vivre :
on se lave pour être propre, mais aussi pour prendre
du bon temps. On se rend aux étuves, bains publics
mixtes où l’on se baigne nu. À la fin du XVe siècle, les
bains publics acquièrent mauvaise réputation et fer-
ment peu à peu. On les accuse d’être des foyers de
transmission de maladies (peste, syphilis). L’ÉgliseH voit
aussi ces lieux de plaisir d’un mauvais œil. Il n’existe
pas de système d’égouts. L’eau est puisée à la fontaine,
à la rivière ou amenée par des porteurs d’eau.

e
soit remis « Scène d’étuve », enluminure tirée de
la m o d e des bains is é s. Il s
Il semble
que r les Cro Valère Maxime, Faits et Dits mémorables,
e u r e n O ccident pa ment l’Empire vers 1475-1480.
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Occident ce
7
« Il faut un cuveau où l’on fait la lessive et où de
temps en temps on peut prendre un bain d’eau
très chaude. »
Marie-Thérèse Lorcin, « Des paysans retrouvés :
les vilains du XIIIe siècle d’après quelques textes
en langue d’oïl », Cahiers d’histoire, 2000.

MAISONS PARISIENNES AU MOYEN ÂGE (COUPE)

2 2 La rue est conçue pour éviter la pluie.


3 3 1. Caniveau central.
2. Encorbellement qui élargit les maisons.
3. « Corbeaux », poutres qui soutiennent les
encorbellements.

4 4 4. « Haut-du-pavé », où marchent les passants.


1
5. Soupiraux.
5 5
6 6. Caves.
6

Extrait de J. Milley, D. Brelingard et L. Mazoyer,


« La Vie parisienne à travers les âges », 1965.

ÉTUVE : salle pour bains de vapeur.


SYPHILIS : infection sexuellement transmissible.

163
11

XVIe- XVIIIe siècle : une toilette à sec


Dès le XVIe siècle, dans la bonne sociétéH , on ne se lave plus que les mains avec de l’eau,
mais on prend malgré tout grand soin de son hygiène. On se « lave » en s’essuyant, se
parfumant, se frictionnant et en changeant souvent de linge, généralement blanc.
Les outils de la toilette sont nombreux : miroirs, onguents, cure-
dents, cure-oreilles, cure-ongles, etc. 9
Le mot « toilette », qui désigne tout d’abord l’étoffe (la toile)
qui recouvre la table où l’on pose les ustensiles de soin, va
s’appliquer désormais au rite du changement de linge. Cette
toilette n’est pas intime, elle se fait en présence de domes-
tiques, de visiteurs. « On dit qu’on rend visite à quelqu’un à sa
toilette, quand on le vient entretenir pendant qu’il s’habille ou
se déshabille ».
 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1690.

10
« Bains et étuves et leurs séquelles, qui échauffent le
corps et les humeurs, qui débilitent nature et ouvrent
les pores, sont cause de mort et de maladie. »
Thomas Le Forestier, médecin, Le Régime
contre épidémie et pestilence, 1495.

11
« Le bain, hors l’usage de la médecine en une pres-
sante nécessité, est non seulement superflu mais très
Robert Bonnart, « Dame de qualité à sa
dommageable aux hommes. Le bain extermine le corps toilette », gravure sur bois, XVIIe siècle.
et, le remplissant, le rend susceptible de l’impression
des mauvaises qualités de l’air. Les corps plus lâches
sont les plus maladifs et de plus courte vie que les 12
fermes. Le bain emplit la tête des vapeurs… Il tue le
« Les enfants nettoient leur face et leurs
fruit dans le ventre des mères, même lorsqu’il est
yeux avec un linge blanc, cela décrasse
chaud. »
et laisse le teint et la couleur dans la
Théophraste et Eusèbe Renaudot, médecins, constitution naturelle. Se laver avec de
Recueil général des questions traitées es
conférences du Bureau d’adresses, 1655. l’eau nuit à la vue, engendre des maux de
dents et des catarrhes, appâlit le visage et
le rend plus susceptible de froid en hiver
et de hasle en été. »
13 « La Civilité nouvelle contenant la vraye et parfaite
instruction de la jeunesse, pour apprendre à prier
« Une bonne chemise de toile changée tous les jours Dieu, les bonnes mœurs, à bien lire et écrire
vaut, à mon avis, le bain quotidien des Romains. » l’orthographe [sic], et généralement ce que la
jeunesse doit sçavoir pour pratiquer la vertu et
Martin Lister, médecin, A Journey to Paris In the Year 1698 éviter les vices », anonyme, 1671.
(Un voyage à Paris durant l’année 1698).

Les plus démunis, à la ville comme à la campagne, se lavent dans un seau d’eau froide
ou chaude, ou se baignent dans les rivières et fontaines. Ils ne peuvent s’offrir du savon.
Alors ils utilisent une plante, la saponaire, qui mousse lorsqu’on la frotte sous l’eau et
permet de nettoyer la peau.

HUMEURS : composant liquide du corps humain. CATARRHE : terme médical ancien, qui
correspond ici à rhume ou grippe.
DÉBILITER : diminuer les forces physiques.
HASLE (HÂLE) : bronzage.
OUVRIR LES PORES : on pensait que, lors d’un bain, la peau se
détendait, libérant ainsi des espaces entre les pores ; on craignait
que l’eau sale ne rentre dans le corps ou que du liquide corporel ne
passe dans l’eau et n’affaiblisse l’organisme.

164
L’hygiène, de l’Antiquité à nos jours

XIXe-  XXe siècles : propre en ordre


Dès le XIXe siècle, les connaissances du corps humain et de la transmission des maladies
se précisent. L’eau ne fait plus peur. Au contraire, elle devient l’élément de base d’une
bonne hygiène.
Les scientifiques et les médecins formulent des recommandations 14
comme le lavage des mains et la toilette quotidienne à l'eau et au
savon pour éliminer bactéries, microbes ou virus. Ces instructions
sont diffusées autant dans les classes d'école que dans la cour de
récréation et dans les familles. Les cures thermales se développent
conformément aux règles énoncées par des hygiénistes.
La fin du siècle marque le développement des salles de bains et
des toilettes dans les logements, en lien avec le développement
de l'eau courante dans les maisons.

Une eau bienfaisante pour tous


La population urbaine ne cesse de croître ; la promiscuité devient
source de propagation des maladies infectieuses (tuberculose).

15
« Le peupleH sale est une menace, c’est de lui que viennent
les épidémies, sa maladie coûte cher à la communauté. Il vit
mal, il travaille mal, il se laisse aller. Propre, il gêne moins, de
plus il est domestiqué. C’est pour la classeH laborieuse que Octave Tassaert, « Les Préludes de la toi-
l’on construit des logements simples mais salubres, que l’on lette : le verrou », lithographie illustrant
ouvre des bains publics. » le besoin d’intimité, XIXe siècle.

Geneviève Heller, « Propre en ordre », Habitation et vie


domestique, 1850-1930 : l’exemple vaudois, 1979.

16 17
« L’individu qui s’est lavé, qui s’est
débarbouillé, marche d’un pas alerte,
le visage frais, l’esprit dispos, il peut
très réellement produire mieux et plus
vite. »
« La toilette du matin », Le Conteur Vaudois,
29 avril 1893.

18
« Le degré de bien-être, le degré de
civilisationH et aussi le degré de santé
d’une ville se mesurent à la quantité
d’eau consommée par habitant. Cette
consommation doit être poussée
dans les classes moyennes et dans
Alfred Stevens, Le Bain, dit aussi La Femme
les classes ouvrières. »
au bain, huile sur toile, 1874. « Eaux, force, lumière », rapport de
la commission au Conseil communal
de Lausanne, 1897.
PROMISCUITÉ : fait de vivre dans un espace petit, très restreint
et donc pas adapté au nombre de personnes qui y vivent.
MALADIE INFECTIEUSE : maladie provoquée par la transmission d’un
micro-organisme : virus, bactérie, parasite, champignon, protozoaire.

165
11

19 20

« Pour être propre, on se lavera, une ou deux fois par jour au moins,
les parties découvertes, mains, visage, cou, plus accessibles que les
autres aux souillures extérieures, ainsi que les pieds et les régions
péri-anale et génitale ; tous les huit jours au minimum, on prendra
un bain complet. »
Dr J. Weill-Mantou, Hygiène à l’usage des
écoles normales primaires, Paris, 1906.

21

Maximilien Luce, L’Homme à sa toilette,


huile sur toile, 1886. Un des rares
tableaux représentant un homme se
lavant.

22
« Se lever tôt. Au saut du lit, faire rapidement un lavage froid de tout le
corps, suivi de cinq à dix minutes de gymnastique. Faire soigneusement
la toilette de ses ongles, et de ses cheveux. Mettre sa literie à l’air avant
de quitter sa chambre. Profiter de chaque occasion, tout le long du jour,
pour faire quelque bonne marche et respirer du bon air. Prendre ses Raymond Tournon, « La salle de bain
repas régulièrement en évitant de grignoter entre deux des sucreries idéale », affiche publicitaire, Paris,
malsaines. Se coucher tôt, après s’être soigneusement brossé les dents 1901. À cette époque, le salaire
et avoir changé de chemise. Laisser sa fenêtre ouverte pendant la nuit. » d’un ouvrier était de 5  frs par jour.

Fanny-Marie Grand, Chez nous, manuel d’éducation ménagère dédié aux jeunes
filles des écoles primaires et des écoles ménagères, Lausanne, 1933.

23 24
Les Japonais, jusqu’au milieu du XIXe siècle,
n’ont pas souffert des diverses maladies épidé-
miques connues en Europe, à part la variole.
Cette situation est essentiellement due à leurs
habitudes d’hygiène et aux contacts limités avec
les animaux. Le Japon est riche en torrents de
montagne et sources chaudes et comme la reli-
gionH shintoïste insiste sur la pureté physique,
les bains à domicile ou dans les établissements
privés faisaient partie du quotidien. L’eau était
surtout consommée sous forme bouillie, pour le
thé. Les rares étrangers étaient impressionnés
par la propreté immaculée des lieux d’aisance et
Salle de bains dans l’hôtel particulier La Casa Milà de par le traitement sanitaire des eaux usées.
l’architecte avant-gardiste Antoni Gaudí, Barcelone (E), Adapté de Maddison Angus, économiste et historien
début du XXe siècle. britannique, L’Économie mondiale : une perspective
millénaire, OCDE, 2001.

166
L’hygiène, de l’Antiquité à nos jours

Pour améliorer l’hygiène, mise en place d’un réseau d’égouts


Suite aux épidémies de choléra de 1832, 1849 et 1854, il est démontré que les eaux
usées sont un vecteur aggravant de propagation de la maladie qui se transmet par les
vomissures et les diarrhées. Les eaux usées souillaient et contaminaient l'eau puisée par
les porteurs d'eau et consommée par la population.
26
25
Art. 59. Dans la ville, chaque maison doit posséder pour
évacuer les eaux des latrines et des lavoirs, ou un canal
fermé joignant l’égout public, si la chose est possible
sans trop de frais, ou, en cas d’impossibilité, une fosse
imperméable couverte [fosse septique].
Règlement de police des constructions, Lausanne, 1902.

27
« Sans parler du choléra qui s’éloignera peut-être encore
une fois, il y a certaines maladies depuis longtemps
connues (typhus, fièvre nerveuse, etc.) dont le dévelop-
pement est incontestablement favorisé par des dispo-
sitions vicieuses des lieux d’aisances ou des égouts. »
Geneviève Heller, « Propre en ordre », Habitation et vie
domestique, 1850-1930 : l’exemple vaudois, Lausanne, 1979.

Georges Grisel, Le pont des Petites Bouche-


ries vu du pont des Boutiques, aquarelle et
gouache, Neuchâtel, 1844.

28

Coupe d’une maison


montrant l’installation
du tout-à-l’égout
à Paris, vers 1900.

167
11

Ouverture de buanderies publiques

29
« Dans les familles où une cuisine et une chambre, souvent même une seule chambre,
constituent tout l’appartement, où père, mère et enfants vivent à l’étroit, dans la
gêne, combien de difficultés la femme ne trouve-t-elle pas pour laver le linge de la
famille ? Combien de peines et de dépense pour monter l’eau, la chauffer avec du
bois fort cher ! Que d’inconvénients résultant de la présence de ce linge dégouttant
sur le plancher, s’y séchant mal et entretenant une humidité froide, préjudiciable à
la santé des enfants et même à celle des parents ! Nous voudrions offrir à celle qui
apporterait son linge pour le laver, l’eau bouillante, l’eau froide, le sel de soude, avec
une installation convenable, un mode de séchage prompt, des fers chauds, etc. »
Rapport sur un projet […] Bains et buanderie à Vevey, Archives communales de Vevey, 1877.

L’hygiène à l’école
30
« La pratique nous prouve que souvent la famille reste inférieure à la tâche qui
lui est dévolue. Alors c’est l’école qui doit sans hésiter entreprendre cette croi-
sade pour la bonne cause. L’en-
seignement de l’hygiène, comme
31
introduction à l’hygiène sociale,
doit former un point important du
programme de toutes les écoles.
[...] Il faut que l’enfant ait horreur
de la malpropreté. [...] Que l’école
donc apprenne à l’enfant, par la
pratique, la nécessité des bains. »
« L’enseignement pratique de l’hygiène
dans les écoles ménagères », Congrès
international d’enseignement ménager,
Fribourg, 1908.

Enseignement de l’hygiène à l’école, Anderlecht (B), 1900.

À partir de 1895, l'enseignement de « l'économie domestique à donner à la femme » est


introduit en Suisse. Il est proposé, puis rendu obligatoire aux jeunes filles à la fin de la
scolarité obligatoire.

32
De l’hygiène
L’air se trouve partout dans les habitations, mais l’essentiel est de savoir s’il est
pur ou chargé de miasmes. La respiration, les odeurs de cuisine, les émanations de
toute espèce, sont autant de causes de la viciation de l’air. Il est donc urgent, dans
l’intérêt de la santé, d’ouvrir les fenêtres des chambres que l’on habite. Il faut se laver
régulièrement […] non seulement la figure mais au moins tout le haut du corps ; l’eau
DÉGOUTTANT :
fraîche est un [élément] précieux et gratuit qui donne force et santé. qui s’égoutte.
Adapté de J. Béchet, Guide d’économie domestique à l’usage des jeunes filles, MIASME : « mauvais
manuel scolaire utilisé dès 1884 par le canton de Vaud. air », émanation censée
causer maladies et
épidémies.

168
L’hygiène, de l’Antiquité à nos jours

Soins et prévention
Vers 1900, presque chaque canton possède un hôpital cantonal. La pratique de la vac-
cination se répand. Des médecins émettent l’idée que les pays de montagne sont des
« lieux de cure naturels » : les malades atteints de
tuberculose sont soignés dans des sanatoriumsH par 33
des cures d'air, de soleil et de lumière. La médecine
développe aussi l'hydrothérapie, des bains thermaux
sont prescrits pour presque toutes les maladies.

34

Karl Lips, « Hôpital de l’Île, à Berne »,


lithographie, avant 1910.

35

Jules Scalbert, « Un médecin vaccine un enfant dans une


clinique, des mères et des enfants attendent, à l’arrière-plan,
un homme prélève du sérum sur une vache », photogravure,
1890.

36

Cure de soleil en hiver, clinique du docteur Auguste


Rollier, carte postale, Leysin (VD), 1909.

37

VACCINATION : injection de virus


Publicité pour Leysin (VD) affaiblis (parfois prélevés sur les
vantant ses atouts climatiques, animaux) donnant une maladie
affiche signée Jacomo, 1930. bénigne qui préserve de la maladie
mortelle. Son nom vient de la
« variole des vaches », la vaccine.
HYDROTHÉRAPIE : ensemble des
traitements basés sur l’utilisation
Intérieurs des thermes, photographie de l’eau (forme liquide ou gazeuse),
colorée, Loèche-les-Bains (VS), vers 1900. à des températures variables.

169
11

XXIe siècle
Depuis le XXe siècle, le sens du mot « hygiène » s’élargit. On ne parle plus seulement de
« l’ensemble des soins de propreté corporelle » qui contribue à garder une bonne santé,
mais de « tout ce qu’il convient de faire pour la préserver et pour l’améliorer. » Elle est
devenue une branche de la médecine.
Sur le plan individuel, pour rester en bonne santé, se laver ne suffit plus. Il est conseillé
d’appliquer toute une série de mesures comme manger sainement, pratiquer un sport,
surveiller son poids et procéder à des contrôles médicaux réguliers.
De plus, la politiqueH de santé publique évolue. Grâce aux progrès des sciences et des tech-
niques médicales, aux médicaments et aux vaccins, aux assurances maladies, l’espérance
de vie ne cesse de croître. Enfin, si l’un des organes (cœur, rein, poumon, etc.) ou même
un membre sont défectueux, il est possible d’essayer de les « réparer » grâce à la chirurgie
ou, dans les cas plus graves, de les remplacer par une des nombreuses greffes possibles.

L’hygiène et la prévention à l’école

38
OBJECTIFS DE L’ÉCOLE
CM 36 — Exercer des savoir-faire culinaires et équilibrer son alimentation en appliquant les règles
d’hygiène, de sécurité et de comportement à l’égard des autres et de l’environnement.
Mise en pratique de règles d’hygiène :
– corporelle (lavage des mains, cheveux attachés, etc.)
– matérielle (tablier, linge, ustensiles, plan de travail, etc.)
– alimentaire (emballage, stockage, etc.).

CM 35 – Distinguer les particularités des nutriments et étudier leurs rôles dans l’alimentation en identi-
fiant les besoins en nutriments nécessaires au maintien d’une bonne santé.

CM 31 – Reconnaître les pratiques sportives favorables à l’amélioration de sa condition physique et de


son capital santé.
– Connaissance des bienfaits d’une pratique sportive régulière et équilibrée sur la santé.
– Identification et analyse des besoins physiologiques (nourriture, hydratation, repos, sommeil, mouve-
ment, etc.) et des principes d’hygiène corporelle.
Extraits du Plan d’études romand, Neuchâtel, 2010-2016.

39 40
Trop de produits sucrés dans les automates « Les découvertes dans le domaine de la bio-im-
placés en milieu scolaire pression avancent à pas de géant. Le 2 août 2019,
Une enquête du magazine Mieux Choisir met une étude publiée dans la revue Science expose
en évidence la surabondance de boissons et une nouvelle technique par laquelle une équipe
aliments sucrés dans les distributeurs présents de chercheurs américains a réussi à fabriquer la
au sein des écoles secondaires romandes. Mais valve cardiaque d’un cœur à l’aide d’une impri-
les choses bougent dans certains cantons. mante 3D. [...] Cette avancée scientifique est un
En Suisse romande, il existe un consensus à espoir important pour les personnes malades, en
l’échelon de l’enseignement primaire, où ces attente d’une greffe cardiaque. »
automates sont bannis. Ce n’est pas le cas à Alice Vitard, usinenouvelle.com, 2019.
l’échelon du secondaire I et II […].
Adapté du magazine Mieux Choisir, Fédération romande
des consommateurs, RTS Info, octobre 2018.

170
L’hygiène, de l’Antiquité à nos jours

Le revers de la médaille
L’évolution de notre mode de vie durant le XXe siècle n’a pas que des effets positifs. Cer-
taines mesures garantissant une bonne santé sont aujourd’hui remises en cause. En outre,
le changement climatique, qui provoque un déplacement des espèces animales, amène
l’apparition de nouvelles maladies dans nos régions

41 42
Aujourd’hui, plus de 100 ans après la démocra- La résistance aux antibiotiques constitue aujour-
tisation du gant de toilette, les spécialistes affir- d’hui l’une des plus graves menaces pesant sur
ment qu’être trop propre réduirait les défenses la santé mondiale. Elle peut frapper n’importe
immunitaires et augmenterait les risques de qui, à n’importe quel âge, dans n’importe quel
développer des allergies, ou de faire de l’asthme. pays. Dans la seule Union européenne, on
Certaines bactéries sont en effet responsables de estime que les bactéries résistant aux anti-
maladies graves, voire mortelles, mais d’autres biotiques sont responsables chaque année de
sont en revanche utiles pour apporter des vita- 25 000 décès, avec des coûts s’élevant à plus de
mines à l’intestin, protéger la peau, favoriser la 1,5 milliard de dollars en frais de santé et pertes
digestion. En somme, s’il est mauvais dans cer- de productivitéH. Nous devons de toute urgence
tains cas, le microbe est également bénéfique à changer la manière dont nous prescrivons et
la survie de l’espèce humaine. Alors comment utilisons les antibiotiques, dans le monde entier.
trouver le bon équilibre ? Adapté de l’OMS, Résistance aux antibiotiques,
Adapté de atlantico.fr novembre 2015.

43
Après le canton de Genève récemment, la présence du
moustique-tigre est désormais signalée en Valais. Un
spécimen a été trouvé en ville de Monthey, annoncent
mercredi les autorités. […] Le spécimen de moustique-
tigre signalé à Monthey ne permet pas, à ce stade, de
considérer qu’il s’agit d’une installation durable de cette
espèce dans le canton. Cependant, il faudra probable-
ment envisager cette éventualité pour un avenir proche,
souligne le canton.
Adapté de « La présence du moustique-tigre signalée
en Valais par les autorités », RTS, octobre 2019.

44 45
Certaines maladies tropicales comme le virus Zika
ou la dengue pourraient devenir une réalité sous
nos latitudes. Selon des chercheurs américains, le
réchauffement climatique pourrait inciter les mous-
tiques à migrer vers le nord, emmenant avec eux
leurs maladies.
Les conclusions présentées par les scientifiques
dans une étude parue cette semaine sont alarmistes.
Ce siècle encore, près d’un milliard de personnes
supplémentaires pourraient être exposées […].
Adapté de « Avec le réchauffement, les moustiques (et leurs
maladies) pourraient migrer vers le nord », RTS, avril 2019.
« Seul un quart des individus piqués par une tique
contrôlent les symptômes », RTS, mai 2019.

171
LEXIQUE
MOTS Mots-clés thème No Thème No

A-B CHARLES QUINT 2, 3


ACADÉMIE 4, 6 Roi d’Espagne et empereur du Saint Empire romain germa-
1. Société savante dont les membres se consacrent à une nique, le souverain le plus puissant d’Europe de la première
spécialité des lettres, des arts, des sciences, etc. moitié du XVIe siècle.
2. Établissement d’enseignement de niveau universitaire, CHARTE 5, 9
destiné principalement au domaine théologique, à la for- Au Moyen Âge, document écrit précisant les droits et les de-
mation des pasteurs. voirs d’une communauté. À l’Époque moderne, constitution
ADMINISTRATION 1, 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10 d’un pays accordée par un souverain.
Ensemble des services et des fonctionnaires chargés de la CHRISTIANISME / CHRÉTIEN 1, 3, 4, 8, 9, 10
gestion d’un État. Religion monothéiste pratiquée par les chrétiens, fondée sur
ARISTOCRATIE / ARISTOCRATE 2, 5, 6, 8 la personne et l’enseignement de Jésus-Christ.
Classe sociale privilégiée, exerçant le pouvoir de manière CITOYEN, CITOYENNE 4, 6, 8, 9
souvent héréditaire. Dès le XVIIIe siècle, se confond avec la Personne ayant des droits politiques, en particulier le droit
noblesse. de voter et d’être élue.
ASILE 8, 10 CIVILISATION 3, 10, 11
Lieu où l’on peut se réfugier pour se mettre à l’abri d’un Ensemble de valeurs (intellectuelles, spirituelles, artistiques),
danger et trouver protection. Se dit également d’un établisse- des connaissances scientifiques et des réalisations tech-
ment où sont recueillies des personnes malades ou sans abri. niques qui caractérisent une société à un moment de son
ASSEMBLÉE 5, 6, 7, 8, 9, 10 histoire.
1. Réunion, dans un même lieu, d’un nombre plus ou moins CLASSE SOCIALE 1, 7, 8, 11
important de personnes. Ensemble de personnes partageant certains critères liés à
2. (Politique) Ensemble de représentants, de députés, qui la position dans la société (éducation, revenus, profession).
délibèrent pour prendre certaines décisions. Les classes sociales sont hiérarchisées ; elles sont parfois en
BAILLI / BAILLIAGE COMMUN 4, 8, 9 conflit, on parle dans ce cas de lutte des classes.
Représentant de l’autorité sur un territoire déterminé (ap- CLERGÉ 4, 6
partenant aux cantons, aux pays alliés ou dépendant des Ensemble des religieuses et des religieux (clercs) de l’Église
Habsbourg). catholique.
Un bailliage commun est un territoire administré par plu-
CODEX 1, 3
sieurs cantons.
Livre manuscrit composé de feuillets (de papyrus ou de par-
BIBLE 1, 4, 5, 10 chemin, puis de papier), reliés sur le côté.
Livre sacré des chrétiens comprenant l’Ancien et le Nouveau
COLONIE / COLONISATION 3, 4, 6, 7, 10
Testament.
Territoire conquis, administré, exploité et parfois peuplé par
BLASPHÉMER / BLASPHÉMATOIRE 4, 5 une puissance étrangère.
Ne pas respecter quelque chose de sacré. La colonisation est l’extension, par la création de colonies, de
BOURGEOIS / BOURGEOISIE 2, 4, 5, 6, 7, 8 la souveraineté d’un État sur des territoires situés en dehors
Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, habitant aisé de ses frontières nationales.
d’un bourg, d’une ville, qui a obtenu certains privilèges. CONCURRENCE 3, 4, 10
La bourgeoisie devient une classe sociale à partir de l’âge Compétition, rivalité d’intérêts entre plusieurs personnes
industriel. qui poursuivent un même but.
C CONFÉDÉRATION 7, 8, 9
CANTON 4, 5, 7, 8, 9 1. Union d’États qui s’associent tout en gardant leur souve-
En Suisse, État bénéficiant d’une part de souveraineté. raineté.
L’ensemble des cantons forme la Confédération suisse. 2. Désigne l’ensemble des cantons réunis. Confédération
Un canton-ville est un État dans lequel la souveraineté sur suisse : nom officiel de la Suisse en tant qu’entité politique
l’ensemble du territoire est détenue par la communauté des à partir de 1803.
bourgeois de la ville-capitale.
CONSTITUTION 6, 8, 9
CAPITALISME 7 Recueil des lois fondamentales d’un État.
Organisation économique et sociale où les capitaux et les
moyens de production (mines, usines, infrastructures, etc.) CONVENTION 6, 9
appartiennent à des propriétaires privés. Accord, pacte conclu.
CATHOLICISME / CATHOLIQUE 3, 4, 5, 6, 8, 10 CORPS HELVÉTIQUE 5, 8
Religion chrétienne pratiquée par les catholiques, qui recon- Nom donné à l’ensemble formé par les treize cantons et leurs
naissent l’autorité du pape. alliés, utilisé dès le XVIIe siècle et jusqu’en 1798.
CENSURE 1, 4, 5 CORRUPTION 2, 4, 6, 10
Action de contrôle qui vise à interdire la publication ou la Action de corrompre, c’est-à-dire d’amener une personne
diffusion d’une œuvre. S’oppose à la liberté d’expression. à agir de façon malhonnête par des cadeaux ou de l’argent.

172
LEXIQUE
o o
MOTS Mots-clés thème N Thème N

COUR / COURTISAN 2, 5 ESCLAVAGE / ESCLAVE 3, 6, 10


Ensemble des personnes qui vivent dans l’entourage d’un État de personnes non libres, propriété d’un maître qu’elles
souverain. servent, pouvant être vendues et achetées.
COUTUME 3, 5, 9, 10 ÉTAT 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11
Règle non écrite. Autorité souveraine qui gouverne une population sur un
CULTE 4, 6 territoire délimité.
1. Ensemble des cérémonies, des rituels par lesquels on rend G
hommage à Dieu ou à des divinités.
GOUVERNER / GOUVERNEMENT 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10
2. Nom donné aux offices religieux chrétiens protestants ou Exercer le pouvoir politique sur un pays, un peuple. Ensemble
évangéliques. des personnes qui dirigent la vie politique d’un État.
CULTURE / CULTUREL 1, 2, 3, 4, 9, 10 GRÈVE 1, 7, 8
Ensemble des connaissances, des savoir-faire, des traditions, Arrêt temporaire et collectif du travail en signe de protesta-
des coutumes qui caractérisent une société. tion, entraînant un retrait de salaire. Utilisé comme moyen
D de pression envers les employeurs.
DÉMOCRATIE / DÉMOCRATIQUE 5, 6, 8 H
Régime politique où la souveraineté appartient à l’ensemble
HÉRÉSIE 2, 4
des citoyens qui l’exerce directement (démocratie directe) ou
Doctrine, opinion qui diffère des croyances établies, condam-
la délègue à des représentants (démocratie représentative).
née par l’Église catholique.
DÉPUTÉ 5, 6, 8
HUMANISME / HUMANISTES 2, 3, 4, 5
Membre élu d’un Parlement.
Mouvement intellectuel européen, né en Italie au XIVe siècle,
DIÈTE FÉDÉRALE 8 centré sur l’Homme, qui peut se perfectionner grâce à la raison.
Désigne jusqu’en 1848, les assemblées des députés des Penseurs de ce mouvement.
cantons.
HYGIÈNE 7, 9, 11
DOLÉANCES 5, 6 Ensemble de pratiques et de mesures destinées à conserver
Plainte ou réclamation. ou améliorer la santé, à éviter l’apparition et la transmission
DROITS (FONDAMENTAUX) 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 des maladies.
Ensemble des libertés (individuelles et collectives) et des I-J
pouvoirs liés à une personne. Les droits fondamentaux
concernent chaque être humain. Les droits politiques, eux, IDENTITÉ 9
sont liés à la fonction de citoyen. Caractéristiques qui nous distinguent comme individu ou
comme faisant partie d’un ensemble différent des autres.
DYNASTIE 1, 3 L’identité nationale est le sentiment qu’éprouve une per-
Succession au pouvoir de personnes d’une même famille sonne à faire partie d’une nation.
(empereurs, rois, princes, etc.).
IMPÔT 2, 5, 6, 8
E Somme prélevée par l’État pour financer les dépenses pu-
ÉCHANGE COLOMBIEN 3 bliques.
Échange biologique (plantes, animaux et microbes) entre les
IMPRIMERIE 1, 2, 4, 6
différents continents survenus à la suite de la découverte
1. Ensemble de techniques permettant de reproduire en
de l’Amérique par les Européens.
grande quantité des écrits ou des images sur des supports.
ÉCONOMIE 6, 7, 8, 10 2. Établissement, lieu où l’on imprime des livres, des journaux.
Ensemble des activités de production, de distribution, de
consommation et d’échanges de biens (matériels ou imma- INDIGÈNE 8
tériels) et de richesse dans une société. 1. Qui est né dans le pays où il vit.
ÉGLISE 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11 2. Qui appartient à un groupe existant dans un pays avant
(Majusc.) Institution regroupant l’ensemble des croyants, sa colonisation (par opposition aux populations d’origine
généralement l’Église chrétienne. européenne).
(Minusc.) Bâtiment, lieu de culte, où une communauté se De nos jours, souvent remplacé par le mot « autochtone ».
réunit. INDULGENCE 4, 1
EMPIRE 3, 5, 6, 9, 11 Pour les chrétiens, réduction ou annulation de la peine liée
État ou ensemble d’États, de grande dimension, gouverné aux péchés avant l’entrée au paradis.
par une impératrice ou un empereur. INDUSTRIALISATION 7
EMPIRE COLONIAL 3, 10 Développement de l’industrie dans un État, une région, dû
Ensemble des territoires qu’un État s’est approprié sur la à la mise au point de nouvelles techniques de production.
quasi-totalité du globe.
INSTITUTION 3, 5, 8
ENLUMINURE 1, 2, 3, 4, 9, 11 Structure sociale ou politique mise en place par la Consti-
Lettre peinte ou miniature ornant des manuscrits. tution, les lois, les règlements ou les coutumes d’un État.

173
LEXIQUE
MOTS Mots-clés thème No Thème No

JÉSUITES 4, 8 O-P
Ordre religieux (Compagnie de Jésus) fondé en 1534, actif ORDONNANCE 4, 5
dans la diffusion de la foi catholique. Il joue un rôle important Règlement.
dans l’enseignement supérieur des régions catholiques ; il
organise aussi de nombreuses missions pour convertir des PAPE 1, 2, 3, 4, 5
peuples non chrétiens. Chef de l’Église catholique et évêque de Rome.
L PARLEMENT 5, 6, 8
Assemblée de représentants du peuple, mandatés pour une
LIVRE NUMÉRIQUE (OU ÉLECTRONIQUE) 1
durée limitée à la suite d’élections, qui délibèrent et prennent
Livre destiné à être lu sur un écran (ordinateur, tablette,
des décisions (pouvoir législatif).
liseuse, téléphone portable, etc.).
PASTEUR 1, 4
LOI 1, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10
Dans l’Église protestante, personne responsable d’une pa-
Règle juridique établie par une autorité souveraine qui
roisse.
s’applique à tous les individus d’un État.
PATRIE / PATRIOTIQUE 2, 4, 8, 9
M « Pays des pères », pays où l’on est né ou dont on est citoyen
MÉCANISATION 1, 7 et pour lequel on a un attachement affectif. Communauté,
Emploi généralisé de la machine pour remplacer l’usage de nation à laquelle on a le sentiment d’appartenir.
la force humaine et augmenter la production.
Qui exprime un fort attachement à la patrie.
MÉCÈNE 1, 2 PEUPLE 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11
Personne qui aide financièrement un artiste et lui commande 1. Ensemble de personnes vivant en société sur un même
des œuvres. territoire et unies par des liens culturels, des institutions
MERCENAIRE 4, 7 politiques (par ex : le peuple suisse).
Soldat de métier, qui s’engage pour de l‘argent dans une 2. Ensemble des citoyens d’un pays par rapport aux gouver-
armée étrangère. nants (par ex : un élu du peuple).
MISSIONNAIRE 3, 4, 10 3. Le plus grand nombre, la masse des gens, par opposition
Prêtre, pasteur ou laïc qui a pour mission de diffuser la aux classes possédantes, à la bourgeoisie (par ex : une per-
religion chrétienne. sonne issue du peuple).
MŒURS 1, 3, 4, 6, 8, 10 POLITIQUE 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Manière de vivre, coutumes, usages propres à chaque société. 1. Qui se rapporte au gouvernement d’un État : la manière
de gouverner, l’organisation des pouvoirs, la conduite des
MOINE 1, 2, 4 affaires publiques.
Religieux chrétien vivant en communauté dans un monastère,
un couvent ou une abbaye. 2. Actions prévues ou mises en œuvre en vue d’atteindre un
objectif préalablement fixé.
MONARCHIE / MONARQUE 2, 5, 6
Régime politique où le pouvoir est exercé par une seule POUVOIRS (séparation des) 6, 8, 9
personne, généralement un roi ou une reine héréditaire. Les trois pouvoirs sont : le pouvoir législatif (proposer, dis-
cuter, voter les lois), le pouvoir exécutif (faire appliquer les
MONOPOLE 5 lois et administrer un État) et le pouvoir judiciaire (faire
Contrôle exclusif de l’État ou d’une entreprise sur le marché. respecter les lois).
MUSULMAN 1, 3, 9, 10, 11 PRIVILÈGE 5, 6, 8
Personne qui pratique la religion de l’islam. Conforme aux 1. Avantage, faveur accordée à quelqu’un.
règles de l’islam. 2. (Au pluriel) Droits et obligations particuliers dont béné-
MYTHE 9 ficient la noblesse et le clergé, mais aussi d’autres commu-
Récit à caractère merveilleux, ou à la réalité déformée, am- nautés (villes ou métiers).
plifiée par l’imagination populaire ou littéraire. Le mythe PRODUCTIVITÉ 1, 7, 11
se construit sur des événements plus ou moins historiques. Rapport entre la production (en quantité) et les moyens
N utilisés pour la produire.
NATION / NATIONAL 6, 7, 8, 9 PROTESTANTISME / PROTESTANT 1, 4, 5, 8, 10
Ensemble des personnes vivant sur un même territoire, Une des principales branches du christianisme avec le ca-
ayant en commun l’origine, l’histoire, la culture, les traditions, tholicisme et l’orthodoxie. Le protestantisme est l’ensemble
parfois la langue et constituant une communauté politique. des groupements issus, directement ou non, de la Réforme.
NEUTRALITÉ / NEUTRE 8, 9 Qui appartient à la religion réformée (luthérien, calviniste,
Pour un État, fait de ne pas participer à une guerre menée anglican, huguenot, etc.)
par d’autres États. R
NOBLE / NOBLESSE 2, 3, 5, 6 RACE HUMAINE 10
Sous l’Ancien Régime, personne qui, par sa naissance ou par Notion introduite au XIXe siècle pour affirmer une hiérarchie
décision du souverain, possède des terres et des privilèges. entre groupes humains. Ce terme n’est plus utilisé car il n’est
Classe sociale constituée par les nobles. pas pertinent. En effet, la diversité génétique est beaucoup

174
LEXIQUE
o o
MOTS Mots-clés thème N Thème N

plus importante entre les individus d’une même population 3. Ensemble de personnes qui se réunissent pour des activités
qu’entre groupes ethniques différents. ou des intérêts communs (gym, chant, histoire locale, etc.).
RÉFORME / RÉFORMATEUR / RÉFORMÉ 1, 4, 5 SOUVERAINETÉ / SOUVERAIN 2, 5, 6, 8, 10
Ensemble des mouvements et des idées, amenés par des Pouvoir suprême d’une personne (le souverain, la souveraine)
réformateurs issus de l’Église catholique. La Réforme conduit ou d’un État, qui s’applique sur un territoire.
à la formation des Églises protestantes au XVIe siècle. État (ou canton) souverain : État qui se dirige lui-même, qui
RELIGION 2, 3, 4, 8, 10, 11 n’est pas soumis à un autre.
Ensemble de croyances, de pratiques et de règles morales SUFFRAGE 6
partagées par un groupe, une communauté. Désigne le vote mais aussi la manière dont il est organisé. Le
RENAISSANCE 2, 5 suffrage dit « universel » est d’abord exclusivement masculin,
Courant artistique né en Italie au XVe siècle, qui se répand avant d’être étendu au droit de vote des femmes.
dans toute l’Europe au XVIe siècle. SUJET 5, 6, 8
RÉPUBLIQUE 4, 5, 6, 8 1. Personne soumise à une autorité souveraine, qui la protège
Régime politique dans lequel la souveraineté est exercée et à laquelle elle doit fidélité et obéissance.
par des représentants élus (par opposition à la monarchie). 2. Pays ou territoire gouverné et administré par un canton,
un pays allié ou par plusieurs cantons (bailliages communs).
RÉSEAU 2, 3, 7, 10, 11
Ensemble d’éléments (de personnes) reliés entre eux et qui SYNDICAT / SYNDICAL 7, 8
permettent les échanges. Organisation qui a pour objet la défense des salariés, en
particulier en ce qui concerne les conditions de travail ou
REVENDICATION 6, 7, 8 les salaires.
Fait de réclamer ce que l’on considère indispensable et être
un droit. T-V
RÉVOLUTION 1, 5, 6, 7, 8, 10 TEMPERA 2, 4
1. Transformation importante et rapide qui entraîne des effets Technique de peinture utilisant un liant, généralement à
de longue durée dans les domaines politique, économique, base d’œuf.
social et culturel (révolution industrielle, numérique, etc.). TEMPLE 3, 4
2. Changement brusque et violent du régime politique d’un 1. Lieu, sanctuaire où l’on célèbre le culte d’une ou plusieurs
État, qui entraîne une transformation profonde de la société. divinités (par ex. temple inca).
S 2. Bâtiment du culte de l’Église réformée (temple protestant).
SACREMENT 4 TRAITE 3, 10
Rite chrétien qui a une dimension sacrée. Les sept sacre- Commerce ou trafic régulier dans lequel des captifs sont
ments de l’Église catholique sont : considérés comme de la marchandise.
– le baptême, qui marque l’entrée d’une personne dans la TRAITÉ 3, 5, 8, 10
communauté des chrétiens ; Acte juridique par lequel des États établissent des règles et
– l’eucharistie (la communion), partage du pain et du vin prennent des décisions communes.
consacrés par le prêtre et devenus le corps et le sang du VOLUMEN 1
Christ ; Rouleau composé d’un assemblage de feuillets (de papyrus
– le sacrement de réconciliation (appelé aussi pénitence) : le ou de parchemin).
chrétien reconnaît ses péchés et en demande le pardon, qui
lui est donné par le prêtre ;
– la confirmation qui renouvelle l’engagement du baptême ;
– le mariage, qui unit un chrétien et une chrétienne comme
époux et épouse ; ABRÉVIATIONS
Pays Cantons suisses
– l’ordination, qui donne aux prêtres le pouvoir d’exercer leur
AOF Afrique occidentale française AG Aarau
fonction sacrée ; BE Berne
D Allemagne
– l’onction des malades, sacrement des malades et des mou- AT Autriche FR Fribourg
rants administré pour les aider à supporter leurs souffrances. BR Brésil GE Genève
CN Chine GR Grisons
SANATORIUM 8, 9, 11 JU Jura
DK Danemark
Établissement spécialisé dans le traitement de la tuberculose E Espagne LU Lucerne
sous ses différentes formes, situé dans un climat propice. USA États-Unis NE Neuchâtel
F France NW Nidwald
SOCIALISME / SOCIALISTE 6, 7
GB Grande-Bretagne OW Obwald
Mouvement politique qui lutte contre l’exploitation des ou- SG Saint Gall
IR Iran
vriers et les inégalités sociales, vise l’intérêt collectif avant I Italie SZ Schwytz
les intérêts privés. JP Japon TI Tessin
MX Mexique TG Turgovie
SOCIÉTÉ 1, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
NL Pays-Bas UR Uri
1. Ensemble de personnes vivant sur un territoire, organisé par VS Valais
PL Pologne
des règles, des valeurs et divisé en groupes (ordres, classes). RU Russie VD Vaud
2. Synonyme d’entreprise. ZG Zoug

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CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES

Couverture. Ht droite : Domaine public. Gauche : © Musée d’art et d’histoire, Neuchâtel/MahN ST 901. Bas droite : Domaine public/ETH-Bibliothek
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gauche : Domaine public. Ht droite : © Leemage/Electa. Milieu : © Bridgeman-Images. Bas droite : © Bridgeman-Images. Page 32. Ht gauche : Domaine
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Zurich, INV : LM-GU3126 et AZ-3502. Page 76. Milieu gauche : © OnlyFrance/Christophe Lepetit. Ht droite : © Leemage/Aisa. Bas gauche : Domaine
public. Bas droite : Domaine public. Page 77. Ht gauche : Domaine public. Ht droite : © AFP/Arthur Edwards. Bas droite : Domaine public. Page 78. Ht
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mondial, 1770-1804, Pierre-Yves Beaurepaire et Sylvia Marzagalli, cartographie Guillaume Balavoine, Éditions Autrement, 2016. Bas droite : © Musée
de l’Hôtel-Dieu/Porrentruy/Jacques Bélat. Page 89. © BNF, Paris. Page 90. Ht droite : © Leemage/Luisa Ricciarini. Bas gauche : © Leemage/Photo Josse.
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Page 93. Ht droite : Domaine public. Bas gauche : © Leemage/Luisa Ricciarini. Milieu droite : © BNF, Paris. Bas droite : Domaine public.
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Sozialarchiv. Page 98. Ht gauche : © Musée gruérien, Bulle. Ht droite : Domaine public. Milieu gauche : © Lewis Hine, Library of Congress. Bas droite :
© Bibliothèque publique et universitaire, Neuchâtel. Bas gauche : © Journal l’Express, samedi 25 août 1883. Page 100. Gauche : © Musée de Bagnes/
Charly Rappo. Milieu : © American Textile History Museum, Lowell, Massachusetts. Page 101. Ht droite : © Mary-Evans/Illustrated London News. Gauche :
Domaine public. Page 102. Ht gauche : D’après Nicolas Verdier et Anne Bretagnolles, in « l’extension du réseau des routes de poste en France », mai
2007. Milieu droite : © RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne)/Daniel Arnaudet. Bas droite : © Mémoires d’ici, Centre de documentation du Jura
bernois, INV : chemer92. Page 103. Ht droite : Collection particulière. Milieu : Domaine public. Bas gauche : Domaine public. Page 104. Ht gauche :
© Rue-des-Archives/Mary Evans. Ht droite : © Historisches Museum Schloss Arbon/DR. Bas droite : Domaine public. Page 105. Droite : © Leemage/
Photo Josse. Bas gauche : © Akg-Images. Bas droite : © Hemis/Alamy/Bilwissedition Ltd. Page 106. Ht gauche : © Leemage/Heritage Images. Ht droite :
© Istock. Page 107. Ht droite : © Musée d’art et d’histoire, Fribourg (MAHF), INV : 2010-898. Bas droite : © Archives de l’État, Fribourg, INV : CH AEF
Émigration au Brésil 39.3. Page 108. Ht gauche : © Swisstopo : autorisation : BA17039. Ht droite : © Swisstopo : autorisation : BA17039. Milieu droite :
© Centre d’iconographie genevoise. Bas gauche : © Domaine public. Bas droite : Courtoisie Jean-Pierre Hessig. Page 109. Ht gauche : © Bibliothèque
de la Ville de La Chaux-de-Fonds, INV : P3-0741. Ht droite : © Villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle/Aline Henchoz. Milieu gauche : Collection par-
ticulière. Bas : © Villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle/Service technique/Secteur géomatique. Page 110. Courtoisie Roland Zumbühl. Page 111.
© Musée national Suisse, INV : LM-100171-9. Page 112. Gauche : © Collection Roland Gretler/ Gretler Panoptikum zur Sozialgeschichte, Zürich. Droite :
© Schweizerisches Sozialarchiv, photo Höflinger. Page 113. Gauche : © Bibliothèque de la bourgeoisie, Berne, INV : Gr_C_340. Droite : © Leemage/
Bridgeman-Images/Pro Litteris, Zurich, 2020. Page 116. Ht gauche : © Shutterstock/Uncle Leo. Ht droite : © Bibliothèque nationale suisse, Berne. Milieu
gauche : © Palais fédéral, Berne. Bas gauche : © Ben Vautier/2019, ProLitteris, Zurich. Bas droite : Domaine public. Page 120. © Bibliothèque de Genève,
INV : 45m 1814 01. Page 121. Ht droite : Domaine public. Milieu : © Musée Gruerien, Bulle, INV : IG-7908. Bas milieu : © Bibliothèque de Genève, INV : 0168.
Page 123. Ht droite : Domaine public. Bas : © Le Parlement suisse. Page 124. © Akg-Images. Page 125. Bas gauche : Domaine public. bas droite : © Cgb.fr/
Eric Prignac. Page 126. Ht droite : Domaine public. Bas milieu : © Archives de l’État, Berne, INV : V Frauenzentrale 331. Page 127. Ht gauche : © Musée
cantonal d’archéologie et d’histoire, Lausanne. photo : Fibbi-Aeppli. Ht droite : © Schweizerische Sozialarchiv/F 0b-0001-223. Page 130. Ht gauche :

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CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES
© Shutterstock/Spatuletai. Ht droite : © Shutterstock/Naty-Li. Bas gauche : © Keystone/Gaetan Bally. Page 132. © Archives cantonales de Sarnen/E-
codices/A02CHR003-446 et 447. Page 133. Ht droite : © Staatsarchiv Schwytz. Milieu droite : © Akg-Images. Bas gauche : © Keystone/ Robert Boesch.
Bas droite : © Musée national suisse, Zurich, INV : M-15457. Page 134. Ht droite : Domaine public/Bibliothèque nationale suisse/Collection Gugelmann
Rédaction en chef Suzanne Schoeb (responsable),
GS-GUGE-LORY-B-16. Bas gauche : Domaine public. Bas droite : © Bridgeman-Images. Page 135. Ht gauche : © Gottfried Keller-Stiftung, Bundesamt
Nadine Fink (conseillère scientifique), für Kultur, Bern, Depositum im Kunstmuseum Bern, INV : Nr. G0843. Ht droite : Collection particulière. Milieu gauche : © Keystone/Fabrice Coffrini. Bas :
François Walter (conseiller scientifique), © Keystone/Jean-Christophe Bott. Page 136. Ht droite : © Keystone/Urs Flueeler. Bas : © Journal Le Confédéré. Page 137. Ht droite : © Palais fédéral,
Sandro Cesa, Sandrine Codourey, Sébastien Cudré. Berne/Béatrice Devenes. Bas : © Palais fédéral, Berne/Béatrice Devenes. Page 138. Ht droite : Domaine public/Library of Congress. Milieu droite :
© Médiathèque du Valais, Martigny/ François Fumex, INV : 046ph-00358. Bas droite : © Hemis/Alamy. Page 139. Ht gauche : Domaine public. Ht droite :
Domaine public/Library of Congress. Milieu droite : Collection particulière. Bas droite : Domaine public. Page 140. Ht gauche : © Kunstmuseum Bern,
Contributions rédactionnelles Anne Bourban, Marco Cicchini, Laurence Cicco, INV : Nr. G1151. Ht droite : © La Collection/Artothek. Bas gauche : Collection particulière. Bas droite : Domaine public. Page 141. Ht droite : Collection
Delphine Debons, Bernard Gasser, Michel Nicod, particulière. Milieu gauche : Collection particulière. Milieu droite : © Bibliothèque de Genève, INV : 37003A. Bas milieu : Collection particulière. Page 142.
Ht droite : © CICR/Thierry Gassmann. Ht gauche : Collection particulière. Bas gauche : © CICR/Fédération/J. Perez. Page 143. Ht droite : CC Alessandro
Béatrice Rogéré-Pignolet. Gallo/Wikimedia. Bas gauche : © Musée national suisse, Zurich, INV : LM-117302356. Page 146. Ht gauche : © BNF, Paris. Ht droite : © Leemage/Photo
Josse. Milieu gauche : Collection particulière. Bas droite : © Kharbine-Tapabor. Bas gauche : © Musée d’ethnographie, Neuchâtel, INV : MEN III.C.2977.
Appui didactique et scientifique Pierre-Philippe Bugnard. Page 148. Domaine public. Page 149. Domaine public. Page 150. Ht droite : ©Akg-Images. Gauche : © Leemage/Lee. Page 151. Ht droite : Collection
particulière. Bas gauche : © Leemage/Photo Josse. Bas droite : © Getty Images/Hulton Archives. Page 152. Ht gauche : Domaine public. Ht droite :
© Bridgeman-Images. Bas : CC David Livingstone Centre/University of Glasgow. Page 153. Ht droite : © MRAC Tervuren, INV : EO.1966.69.1 Gauche :
Validation et arbitrage Carole Angeloz, Alejandro Berrios, Sandro Cesa, © Hemis/Alamy. Bas droite : © OPM-France. Page 154. Ht gauche : Domaine public. Bas droite : Domaine public. Page 155. Ht gauche : © Leemage/
Alexandre Coppey, Jacques Diacon, Yves Diacon, MP. Droite : © Hemis/Alamy/Alpha Stock. Bas gauche : Collection particulière. Page 156. Domaine public. Page 157. Ht milieu gauche : © BNF, Paris. Ht
Sandrine Ducaté, Marc-André Egger, Fausta Ferrari, droite : © Leemage. Bas droite : © Man-Ray Trust/2018, ProLitteris, Zurich. Page 158. © MRAC Tervuren, INV : HO.0.1.3753. Page 159. © MRAC Tervuren,
Valérie Piazzalunga Jaillot, Claude Rebetez, Myriam Rebetez- INV : HO.0.1.3419. Page 160. © Musée national de l’Éducation/Réseau Canopé, INV : 1985-00331. Page 161. Fond : © BNF, Paris. Page 162. Ht droite :
CC Hakeem.gadi/Wikimedia. Milieu gauche : © Angélique Colté. Milieu : CC Fubar Obfusco/Wikimedia. Bas droite : © Shutterstock/Todoric. Page 163.
Giauque, David Rey, Christian Scaiola, Anne-Catherine Speck, Ht droite : © BNF, Paris. Bas gauche : © La vie parisienne à travers les âges, Jacques Milley, 1965.Société continentale d’éditions modernes illustrées/
François Sulliger, Julien Tschopp. DR. Page 164. © BNF, Paris. Page 165. Ht droite : © Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, Paris. Bas gauche : © Leemage/Photo Josse.
Page 166. Ht gauche : © Bridgeman-Images. Droite : © BNF, Paris. Bas gauche : CC Roger Price/Wikimedia. Page 167. Ht droite : © Musée d’art et d’histoire,
Recherche iconographique Nathalie Lasserre. Neuchâtel, inv : H3480. Bas : © Keystone/Roger-Viollet. Page 168. Collection particulière. Page 169. Ht gauche : CC Wellcome collection. Ht droite :
Domaine public. Bas gauche : CC Wellcome collection. Bas droite : Collection particulière. Bas : Domaine public/ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv/
Photoglob AG (Zürich)/Ans_02080. Page 171. Droite : © Shutterstock/Khlungcenter. Gauche : © Shutterstock/Gabor Tinz.
Cartographie GeoAzimut Sàrl, Fribourg. Si malgré nos recherches il nous a été impossible de retrouver les ayants droit d’une image publiée, la CIIP s’engage à conserver durant 3 ans à partir
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Conception graphique, Hot’s Design Communication SA, Bienne.
mise en pages et illustrations
Relectures Annick Andujar, Luc Braillard, Christine Ligonie, Steve Richard.

Réalisation UMER – Unité des moyens d’enseignement romands,


Secrétariat général de la CIIP.

ISBN 978-2-88500-397-0

CATARO 051045

Édition 1

Copyright Neuchâtel, 2020 © CIIP, Conférence intercantonale


de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin,
Faubourg de l’Hôpital 68, case postale 556,
2002 Neuchâtel.
www.ciip.ch

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Impression Atar Roto Presse SA, Satigny

Nous remercions vivement toutes les personnes qui ont participé à l’élaboration de ce moyen.
Pour faciliter la lecture du document, le masculin générique est utilisé pour désigner les personnes des
deux sexes. Lorsqu’une distinction est faite, il s’agit d’une nuance entre les hommes et les femmes qui
se doit d’être mise en évidence.
Il arrive que l’appellation des pays et les limites des frontières territoriales ne fassent pas l’objet d’un
consensus international. Les choix pour cet ouvrage se basent sur l’état de reconnaissance officielle de
la Confédération helvétique. Des précisions sont données sur le site de l’enseignant.
LIVRE DE L’ÉLÈVE
e
XVe - XVIIe SIÈCLES HISTOIRE 10
SCIENCES HUMAINES
ET SOCIALES - CYCLE 3

XVIIIe - XIXe SIÈCLES

À TRAVERS LE TEMPS

LIVRE DE L’ÉLÈVE
10e
ISBN 978-2-88500-397-0
HISTOIRE

Cataro 051045 - 2020

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