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La Biologie pour les Nuls

© Éditions First-Gründ, 2011. Publié en accord avec Wiley


Publishing, Inc.

« Pour les Nuls » est une marque déposée de Wiley


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Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et


strictement réservée à l’usage privé du client. Toute
reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou
onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement
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L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle.
L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à
ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions
civiles ou pénales.
ISBN numérique : 9782754034388
Dépôt légal : octobre 2011

Directrice éditoriale : Marie-Anne Jost-Kotik


Édition : Christine Cameau
Correction : Jacqueline Rouzet
Dessins : SaT
Mise en page et couverture : Stéphane Angot
Production : Emmanuelle Clément

Éditions First-Gründ
60, rue Mazarine
75006 Paris – France
Tél. : 01 45 49 60 00
Fax : 01 45 49 60 01
E-mail :firstinfo@efirst.com
Internet : www.pourlesnuls.fr
À Anne-Laure, Salomé, Nathanaël et Romane
À Sieglinde, Gwendoline, Noémie et Guerric
À propos des auteurs
Olivier Dautel est professeur agrégé de sciences
de la vie et de la Terre en classe préparatoire
BCPST-VÉTÉRINAIRE au lycée Henri-Poincaré de
Nancy. Formateur pendant plus de dix ans au
CAPES et à l’agrégation externe de SVT, il est
maintenant formateur pour l’agrégation interne de
SVT.

Jean-Yves Nogret est professeur agrégé de


sciences de la vie et de la Terre au lycée Henri-
Poincaré de Nancy et titulaire d’un DEA
d’entomologie de l’université de Jussieu. Après
avoir enseigné en classe préparatoire aux instituts
de formation en masso-kinésithérapie pendant dix
ans, il est actuellement formateur pour
l’agrégation interne de SVT et enseignant en
classe préparatoire au concours de médecine. Il
est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages
paramédicaux aux éditions Foucher et collabore
avec le CNED de Lyon. Il a également écrit un
ouvrage de vulgarisation scientifique sur les
Insectes aux éditions de la Serpenoise, qui a reçu
en 2011 le prix de l’Académie des sciences de
Lorraine.
Remerciements
Un grand merci à Sylvaine Linden et à Catherine
Rigaud pour leur travail de relecture et pour leurs
remarques toujours judicieuses. Elles ont
parfaitement endossé le costume de « Nuls ».
Merci à Olivier Dequincey, d’avoir relu et
aiguillonné les simples « biologues » que nous
sommes. Merci à Cathy Hirsinger pour sa relecture
vigilante et ses conseils sur la choucroute.

Merci à Sat pour la qualité de ses illustrations, sa


spontanéité, sa grande patience et son
imagination débordante (débridée !).

Merci à Christine Cameau pour son travail de


lecture et relecture attentive et sa disponibilité.

Merci à Martine Kotik de nous avoir lancés dans


cette belle aventure et à Marie-Anne Jost-Kotik de
nous avoir fait confiance.

Merci à tous ceux qui de près ou de loin ont


contribué à ce livre et sans qui rien n’aurait été
possible.

Merci à nos élèves et étudiants, passés et


présents, sans lesquels notre « pédadingologie »
serait restée au point mort.

Et une pensée toute particulière à nos épouses et


enfants pour leur soutien sans faille.
La Biologie Pour les Nuls

Sommaire
Page de titre
Page de Copyright
Dédicace
À propos des auteurs
Remerciements
Introduction
À qui s’adresse ce livre ?
À propos de ce livre
Les conventions utilisées dans ce livre
Comment ce livre est organisé
Première partie : Partir de rien… ou presque
Deuxième partie : La vie s’organise
Troisième partie : La vie explose
Quatrième partie : À la conquête de la
planète
Cinquième partie : Que vient faire l’Homme
dans tout cela ?
Sixième partie : La partie des Dix
Les icônes utilisées dans ce livre
Et maintenant, par où commencer ?

Première partie - Partir de rien… ou


presque
Chapitre 1 - L’origine de la vie
Histoire d’eau
Une molécule à tout faire
Une molécule aimante
À la vie à la mort
Une recette de grand-mère : la soupe
primitive
Atmosphère… atmosphère
David Vincent avait raison
L’œuf, la poule et les bactéries
De la soupe à la pizza
Un scénario de bulles…
La partition de l’ADN
Protéines et acides aminés, les perles de la
vie
L’enzyme au logis
Une grande sœur plus petite
La poule ou l’œuf : ni l’un ni l’autre !
Lorsque fumer ne tuait pas
Pleins gaz !
Un carburateur bien mal réglé
Se diviser pour mieux régner
Soyons modestes !
Chapitre 2 - La grande bleue
De carbone et de lumière
À la conquête du Soleil
Le vert dicte
Les premières bouffées d’oxygène
Pas de soupe en entrée mais du dioxyde de
carbone au dessert
Respirer ou mourir, il faut choisir
La Terre du rouge au bleu
Le danger vient de l’oxydant
Volte-face
Elles cassent du sucre sur le dos des
cyanobactéries
Les enzymes : des ciseaux bien affûtés
Un moteur presque propre
Respiration et photosynthèse : l’entente
cordiale
C’était le temps des bactéries
Chapitre 3 - Des cellules à noyau
Une pour toutes et toutes pour une !
Une membrane au bord de la déprime
La cellule s’agrandit : de la chambre
d’étudiant au F2
Deux nouvelles recrues : la mitochondrie et le
chloroplaste
De la bougie à la chaudière
De l’énergie à revendre
Un passager clandestin ?
L’arrivée du chloroplaste
Une activité débordante
Un noyau, ça donne la pêche !
Un metteur en scène bien enveloppé
Un scénar sur l’ADN : l’affaire du collier de
la reine
Des chiffres et des lettres
Là où il y a du gène, il y a des protéines
Un messager nucléaire
Décodage
Un nouveau règne
Chapitre 4 - D’une génération à l’autre
Un partage équitable
Des cerceaux magiques
Trois modèles de duplication
Une réplication en fermeture Éclair
Chromosomes et mitose
Les chromosomes entrent en scène
La mitose : un menuet pour chromatides
Fifty-fifty
La cellule a des yeux
Ça tourne rond pour la cellule !
Mutations, sexe et diversité
Un air mutin
Une mère, un père, des paires
La méiose : du menuet au slow langoureux
Les débuts de la reproduction sexuée
Elle ne brasse pas que de l’air !
L’explosion des protistes

Deuxième partie - La vie s’organise


Chapitre 5 - Unis pour la vie : les organismes
pluricellulaires
Chez les algues, l’union fait la force
Vivre à la colle
Volvox populi, Volvox dei
Une première explosion de vie
Ediacara, un diamant pour la science
Les éponges se font mousser
L’été des méduses (et des Anémones !)
Le sexe s’étoffe
Le temps des copains
Chapitre 6 - La vie s’endurcit
Tommot, ça sonne dur !
Coquilles ou pacotilles
Le calcaire, c’est de la pierre !
Les plus grands cimetières du monde
Les massifs coralliens : un pouvoir
tentaculaire
Des récifs dinosauriens…
Construire, toujours construire
L’anatomie de Bikini
La naissance d’un atoll
Des eaux chaudes et transparentes
Une peur blanche
Le temps des récifs
Troisième partie - La vie explose
Chapitre 7 - Le Big Bang de la vie
Des plans et des plantages à Burgess Pass
Burgess king
La vie est belle…
Des plans d’épargne
Des Vers plats et des plats divers
Trois couches pour un Ver plat
Fécondation à la hussarde
Des Aliens !
On en fait tout un plat…
Des anneaux peu banals
Un jeu de construction
Cours de dissection accéléré
À plumes et à poils
L’art de la métamorphose
De terre et de sang
Ventre mou prend son pied
Une tête, une coquille, quel pied !
Des lamelles branchées
L’estomac dans les talons
Ventre mou cherche cuirasse
Une fois brisée la carapace
La mue lui va si bien
Les Trilobites ont pris l’ère
Les Crustacés se serrent la pince
Ils cachent bien leur jeu
Le club des cinq
Il ne manque pas de piquant
Une étoile vorace à s’en estomaquer
Un concombre immergé
La vie se déchaîne
Chapitre 8 - Les algues s’imposent
Des algues aux rythmes endiablés
Le thalle s’étale
Vertes, brunes ou rouges, les couleurs ont
de la profondeur
Les algues ont la côte…
Une sexualité un poil compliquée
Avec Spirogyre et Fucus, rien de superflu
Avec la Laitue de mer, ça tourne au
vinaigre
Antithamnion nous ouvre les portes du
Panthéon
Faux frères… fausses sœurs
Les algues à la conquête des océans
Chapitre 9 - Les Vertébrés s’installent
Premier de Chordés : Pikaia
Le saut à la chorde
Quelles larves, ces Tuniciers !
Des poissons sans mordant
Des poissons cuirassés
Du poisson sans arêtes
Les dents de la mer sont des grands mous
C’est fin, le Requin !
Les Raies ne sont pas des Chimères…
Y a pas d’arêtes dans le bifteck, mais…
Disséquons le Gardon
La farce du poisson
Une fécondation sans étreinte amoureuse
Le poisson a du cœur et de l’ouïe
Du poisson au menu

Quatrième partie - À la conquête de


la planète
Chapitre 10 - Les plantes se mettent au sec
Une mise au sec en cinq sec ?
Des algues en cale sèche
Les plantes jouent les dures…
Les plantes se font entuber
La Terre se met au vert
Vous prendrez bien une petite mousse !
Un bain moussant
La fronde des fougères contre les terres
émergées
Les fougères ont du cœur
Quand les fougères allaient au charbon
Ils poussent comme des champignons !
Sous le règne du champignon
Des champignons, du sol au plafond
Mi-anges…
… mi-démons
Des forêts fascinantes
Chapitre 11 - Six pattes et plus pour découvrir le
monde
Des Vers à pieds
Mille pattes, vraiment ?
Une VMC incorporée
Le groupe des méchants : les Arachnides
Il file dard dard, le Scorpion
Elle file comme une fusée, l’Araignée
Les Acariens nous font tiquer
Les Insectes : des Arthropodes très z’ailés
Tout dans la tête
Ailes et pattes
Dans leur plus simple appareil
Les faits Papillons
Des forêts grouillantes
Chapitre 12 - À quatre pattes sur le sol
Des os pour la sortie des eaux
Il était une fois des poissons-grenouilles,
très très moches…
Prendre sa vessie pour un poumon
Pas question de grenouiller
Ils sont plus vieux qu’on ne le crôa
Nus et humides
La Grenouille à grande bouche
Du cœur au ventre
L’œuf qui voulait se faire aussi gros qu’une
Grenouille
Les reptiles sortent de l’œuf
Les œufs interdits
La mode des écailles revient en force
Les Dinosaures : un règne sans partage
Des pattes aux œufs
Chapitre 13 - Des êtres à poils et à plumes
Une météorite méritée ?
Quand les Dinosaures ne sont plus…
… les Souris dansent
Avec les Mammifères, les mamelles, c’est aux
poils !
Avec les Marsupiaux, l’affaire est dans la
poche
Les Placentaires se regardent le nombril
Les Monotrèmes, c’est le cloaque
Un cœur en quatre quarts
Les Mammifères brassent de l’air
Ils ont le sang chaud !
Ils ont attrapé la grosse tête
La plume est dans le vent
Un air léger
Ils en ont dans le ventre
De vrais papa et maman poules
Entre ciel et terre
Chapitre 14 - Le langage des fleurs
Les Gymnospermes sentent le sapin
Des spermatozoïdes à la recherche de
l’ovaire
Les Gymnospermes résolument modernes
Avec les fleurs, c’est le bouquet
Les enfants d’Hermaphrodite
La fable de la fleur et de l’Abeille
La graine au bois dormant
De l’ovaire, c’est le fruit qu’on fit
Elles sortent du bois
L’histoire de Floc ou le cycle de l’eau
Le pouvoir des fleurs

Cinquième partie - Que vient faire


l’Homme dans tout ça ?
Chapitre 15 - Un Quaternaire pour lui tout seul
Les singeries de l’Homme
Entre l’enfer et le paradis
Ils font les Singes
Du signalement au portrait-robot
À la recherche de nos ancêtres
Le squelette : le jeu des différences
Toumaï et Orrorin
Le ciel de Lucy est rempli de diamants
Les Australopithèques cèdent la place aux
Homo
Les « Homo habilis » ont la grosse tête
L’« Homo erectus » quitte le nid
Neandertal : le gentil Homme des cavernes
J’ai les crocs, magnons…
Un Mammifère crée l’événement
Chapitre 16 - Un chef d’orchestre sans partition
Transformation vs sélection
Le cou de la Girafe vu par un transformiste
La sélection naturelle : marche ou crève !
Entre Pois et Souris : les débuts de la
génétique
Mendel et ses Petits Pois
Cuénot et ses Souris
Sutton et ses Sauterelles
Et Morgan découvrit les X-Mouches
La génétique d’hier à demain
Et l’histoire continue… avec ou sans nous

Sixième partie - La partie des Dix


Chapitre 17 - Dix records animaux
L’animal le plus lourd de la planète
L’animal le plus rapide au sol
Le Mammifère marin le plus rapide
Le plus grand Oiseau
L’Oiseau le plus rapide dans les airs
Le Serpent le plus long
L’animal terrestre le plus grand
Le battement d’ailes le plus rapide
L’animal terrestre le plus gros
Le poisson le plus grand
Chapitre 18 - Dix records chez les plantes
L’arbre le plus vieux
L’arbre le plus large
L’arbre le plus haut
Les feuilles les plus vieilles
La plus grande fleur
La plante à la croissance la plus rapide
La plante la plus meurtrière
Le fruit qui sent le plus mauvais
La plante la plus rapide
La plante la plus sobre
Chapitre 19 - Dix associations intimes et
durables
Pension complète pour Fourmis
La Termite est un gîte
La brosse à dents du Crocodile
Le champignon et l’Orchidée
Un Bernard pas si ermite que cela
La Guêpe et le Figuier
La lumière des grands fonds
La traite des Pucerons
Luzerne, Trèfle et bactéries
Le Clown et son Anémone
Index
Introduction

Vous voulez en savoir plus sur l’Anémone de mer


et son poisson-clown, sur la marche de l’Oursin,
sur la sexualité du Scorpion, ou sur la Grenouille
venimeuse ?
Vous aimeriez pouvoir répondre à votre petit-
neveu qui vous harcèle de questions : « Qui était
là en premier, l’œuf ou la poule ? » ; « Les
dinosaures, ils sont morts de quoi ? » ; « C’est qui
le plus gros animal qui a existé sur la Terre ? » ; «
La tomate, c’est un fruit ou un légume ? » ; « Est-
ce que c’est vrai que l’homme descend du singe ?
» Vous avez ouvert le bon livre !
En effet, la biologie, c’est tout simplement l’étude
de la nature, présente comme passée.
Nous essaierons, tout au long de ce livre, de vous
transmettre notre passion pour la biologie, en
suivant la recommandation de Stephen Jay Gould :
« La nature parle directement à ceux qui
l’observent sans idées préconçues ; pour écrire de
façon accessible à des non-scientifiques, il faut
être clair, éviter le jargon professionnel, et
essayer de faire sentir la fascination des faits et
l’intérêt des théories. »
Nous voulons vous montrer que la biologie est
accessible à tous, à partir du moment où le regard
porté sur la nature est curieux et passionné. Nous
allons simplement vous aider à jeter un regard
objectif, sans complaisance excessive, sans
tomber dans le voyeurisme ou le misérabilisme.
Nous tenterons de faire renaître chez vous cet
émerveillement enfantin ressenti devant tout
animal ou végétal rencontré près de chez soi,
dans les rues, les jardins, les parcs, les prés et les
bois.
Protéger la nature, c’est d’abord bien la connaître.
Tant d’erreurs ont été commises par « amour
sincère ». Il est parfois nécessaire de tuer pour
protéger. Nous pensons qu’il faut connaître pour
comprendre, comprendre pour aimer, aimer pour
protéger !
La biologie est donc l’affaire de tous, elle permet à
chacun d’entre nous de s’approprier la nature.
Ceci en toute connaissance, sans idée préconçue,
afin d’éviter que les extrémistes de tout bord
confisquent la nature et s’en servent, en jouant
sur nos peurs, en nous prenant pour des « nuls »,
car toutes les peurs se nourrissent de l’ignorance.
À qui s’adresse ce livre ?
On est toujours le « nul » de quelqu’un ! Ce livre
s’adresse à tous ceux pour qui les araignées sont
des sales bestioles. À tous ceux pour qui les
plantes carnivores ont des dents. À tous ceux qui
n’osent pas poser la question « Est-ce que le
crapaud est le mâle de la grenouille ? » par
crainte de passer pour des « nuls ».
Vous pensez que la biologie est ennuyeuse. Tout
documentaire animalier est pour vous la solution
idéale pour lutter contre les insomnies. Nous
voulons vous transmettre notre enthousiasme et
tenter de changer votre regard sur la biologie.
Beaucoup d’entre vous sont réfractaires aux noms
scientifiques ainsi qu’aux termes techniques
gorgés de grec et de latin. N’ayez pas peur !
Beaucoup de ces termes ont été éliminés et pour
ceux qui restent, faites-nous confiance, nous les
avons décodés.
Les passionnés, comme les initiés, trouveront
dans La Biologie pour les Nuls à la fois les notions
de base de la biologie, mais aussi des
compléments d’information en biologie cellulaire
et moléculaire, biologie du développement et
génétique, associés à de nombreux détails et
anecdotes que nous serons heureux de partager
avec vous.
À propos de ce livre
Ce livre parle peu du corps humain, car même si
l’Homme n’est pas un étranger dans la nature, il
en fait simplement partie : ce n’est qu’un être
vivant parmi de très nombreux autres. C’est
pourquoi vous n’y trouverez que très peu de
biologie humaine ; pour cela nous vous invitons à
vous procurer Le Corps humain pour les Nuls de
Patrick Gepner.
C’est donc à l’égal de tous les autres êtres vivants
que l’Homme sera traité dans ce livre. Ainsi, notre
histoire de la vie passera par l’apparition et par
l’évolution de l’Homme. Mais attention ! Si notre
histoire de la vie s’achève avec l’Homme, c’est
parce que l’Homme est le seul être vivant dont
l’existence influence profondément le cours de
l’évolution. Nous vous expliquerons que l’Homme
n’est pas le point final et abouti de cette histoire
et que l’apparition de la vie n’est pas linéaire,
mais qu’elle est le fruit de nombreux chemins
évolutifs discontinus.
Le propre de l’Homme est de classer les choses
qui l’entourent, mais nous savons combien il est
ennuyeux pour le commun des mortels de visiter
les cases dessinées par « ceux qui savent ». C’est
pourquoi cet ouvrage est écrit comme un roman
d’aventure, celle de la vie. Vous la verrez
apparaître, progresser, résister, rebondir,
s’émanciper, etc.
Mais comme disait notre illustre empereur : « Un
bon croquis vaut mieux qu’un long discours. »
C’est pourquoi La Biologie pour les Nuls est
émaillé de nombreuses illustrations dont le ton
humoristique n’a rien à envier à la précision
scientifique.
Les conventions utilisées dans ce
livre
Dans cet ouvrage, vous serez peut-être étonné de
trouver des noms français de groupes d’êtres
vivants, écrits avec une majuscule (par exemple :
Singes ou Mammifères). Rassurez-vous, il ne s’agit
nullement d’un stratagème pour donner plus
d’importance à la biologie ! Nous avons
simplement appliqué les règles en vigueur. Celles-
ci stipulent que lorsque nous avons affaire à un
groupe homogène, dans lequel tous les êtres se
ressemblent beaucoup car issus d’un seul ancêtre,
alors il a suffisamment de noblesse pour porter la
majuscule. En revanche, lorsqu’un groupe
comporte des êtres d’allures proches mais
d’origine différente, alors il n’a le droit qu’à la
minuscule. Ainsi, nous parlerons des algues aux
origines multiples et des Mammifères issus d’un
ancêtre commun.
Comment ce livre est organisé
Ce livre n’est pas organisé comme un cours, il
raconte une histoire, celle de l’apparition de la vie
depuis son émergence à la sortie des eaux, des
premiers multicellulaires aux grands Dinosaures
du Jurassique, des premières algues aux plantes à
fleurs et des premiers Mammifères à l’Homme
moderne.
Ce livre n’est cependant pas un long catalogue ! Il
doit être envisagé comme un voyage
d’exploration dans le temps qui vous permettra
d’étudier chaque groupe au fur et à mesure de
son apparition ainsi que les adaptations
nécessaires à sa survie dans un milieu qui évolue.
Laissez-nous vous servir de guides !
Ce n’est pas non plus un diaporama des espèces
les plus spectaculaires, mais c’est l’occasion de
nombreuses rencontres parfois lointaines et
souvent très proches. Nous n’allons pas
uniquement vous les décrire et les montrer, mais
nous vous expliquerons ce qu’ils mangent,
comment ils respirent et se reproduisent, ou s’ils
se déplacent, comment ils rampent, marchent,
sautent, nagent ou volent.
La Biologie pour les Nuls est divisé en six parties,
dont la traditionnelle partie des Dix. Nous vous
proposons, à travers 19 chapitres, de suivre l’«
histoire de la vie », de ses premiers balbutiements
jusqu’à l’entrée en scène de l’Homme sur la Terre.
Première partie : Partir de
rien… ou presque
Cette partie révèle les balbutiements de la vie. Il y
a 3,8 milliards d’années, naissait la première unité
de vie, la première cellule, l’ancêtre commun à
tous les êtres vivants de la Terre.
Nous verrons que les premières formes de vie
n’étaient que de simples et minuscules bactéries.
Mais malgré leur aspect chétif, elles ont accompli
des prouesses titanesques. Elles ont repeint la
Terre en bleu en libérant dans le ciel des quantités
astronomiques d’oxygène et, après l’invention de
la photosynthèse, elles ont inventé la respiration.
Deuxième partie : La vie
s’organise
Née dans le chaos, il y a environ 4,5 milliards
d’années, notre planète s’est progressivement
assagie, permettant à la vie de se développer à sa
surface. Mais il serait vain de croire que cet
apaisement l’a transformée en un cocon douillet.
L’histoire de la vie n’est pas un long fleuve
tranquille ; elle est marquée par des catastrophes
répétées auxquelles les êtres vivants ont dû faire
face.
Pour faire face aux caprices climatiques, les
cellules vont réagir en se regroupant. C’est ainsi
que de multiples êtres étranges vont naître et
envahir les océans de la planète.
Troisième partie : La vie
explose
Nous sommes à – 528 millions d’années et la vie
s’apprête à nous offrir l’une de ses plus belles
avancées : le Big Bang de l’évolution animale !
Après une domination sans partage des êtres
vivants solitaires, la vie a résisté aux turbulences
et aux sautes d’humeur de notre planète, en
s’associant en colonies, puis en êtres vivants
pluricellulaires. Les algues, les premières,
montreront le chemin de la terre ferme et seront
suivies par les animaux. Vertébrés et poissons
apparaissent et se diversifient, démontrant des
capacités d’adaptation hors pair.
Quatrième partie : À la
conquête de la planète
Au Silurien puis au Dévonien, il y a plus de 450
millions d’années, les végétaux se sont aventurés
sur la terre ferme. Leurs premiers représentants
restent encore très proches du milieu aquatique,
notamment pour leur reproduction. Ils vont
profiter du climat chaud et humide du Carbonifère
pour s’étendre et transformer une partie des
continents en forêts luxuriantes.
De plus en plus hardis et s’adaptant à la vie sur
Terre, chacun essaiera de se faire sa place au
soleil, malgré le règne hégémonique des
Dinosaures pendant quelques millions d’années.
Finalement, las de se combattre, plantes et
animaux inventeront bien avant nous le concept
de l’entente cordiale.
Cinquième partie : Que vient
faire l’Homme dans tout cela ?
Depuis le début de l’ère tertiaire, les Mammifères
et les Oiseaux se sont considérablement
diversifiés, profitant de la disparition de leurs
voisins reptiliens plutôt encombrants. La Pangée,
ce grand continent unique, n’existe plus et les
continents nés de sa fracturation sont à peu près
à la place qu’ils occupent actuellement.
Le monde s’est couvert, sur terre et dans l’air, de
poils et de plumes. Parmi les poilus, certains êtres
au pouce opposable et aux gros yeux vont évoluer
lentement au sein des forêts : ce sont les Primates
et notre aventure va bientôt débuter…
Sixième partie : La partie des
Dix
C’est la partie que vous retrouvez dans tous les
ouvrages de la collection… « Pour les Nuls ».

Celle qui nous permet d’aborder dix points qui


nous tiennent à cœur mais qui n’ont pu s’intégrer
dans les cinq parties précédentes. Vous trouverez
donc ici dix records animaux et dix records chez
les plantes spectaculaires, mais aussi dix
associations naturelles entre des animaux et des
végétaux, qui font réfléchir à la notion de partage
équitable…
Les icônes utilisées dans ce livre
Au fil de votre lecture, vous trouverez des icônes
dans la marge. Elles vous signalent des passages
plus compliqués, ou plus légers, des expériences
que vous pouvez réaliser vous-même, des
anecdotes étonnantes ou croustillantes, ou des
points importants à surtout retenir. Les voici :

Vous êtes perdu dans le temps ? Grâce à cette


icône, faites le point ! Aucun grain de sable ne
doit perturber votre voyage.

Cette icône signale des éléments importants, les


dates clés, les grands moments… s’il ne fallait
retenir que quelques points de La Biologie pour les
Nuls, ce serait ceux-là !

Amusons-nous d’un détail croustillant de la


reproduction d’un Ver. Étonnons-nous de
l’utilisation alimentaire, industrielle ou médicale
d’une particularité animale ou végétale, comme la
présence de plus en plus importante des algues
dans nos « yaourts ».

Maintenant que nous avons vu les notions de base


: allons un peu plus loin ! Votre curiosité vous
démange… laissez-vous tenter !
La biologie est une science de l’observation et de
l’expérimentation. Un grand nombre
d’expériences sont assez simples à réaliser à la
maison, dans le jardin ou au cours d’une balade
en forêt ou en bord de mer. Certaines sont à
réaliser en famille et d’autres en classe.

Parfois, si c’est nécessaire, nous passerons à


l’échelle cellulaire ou moléculaire. Nous ferons
aussi appel à la génétique, à la biologie du
développement ou à la physiologie animale
comme végétale. Accrochez-vous !
Et maintenant, par où commencer ?
La Biologie pour les Nuls est conçu comme un
roman d’aventure… l’aventure de la vie ! Vous
n’êtes pas obligé d’effectuer la totalité du voyage
d’une traite, vous pouvez vous arrêter où vous
voulez, ou prendre le train de l’évolution en
marche car chaque étape est passionnante. À
chacune de ces étapes, vous pourrez facilement
vous repérer dans le temps grâce à l’échelle des
temps que vous trouverez sur le cahier central du
livre (voir figure A), mais aussi à l’horloge de la vie
(figure C) sur laquelle nous situons, à chaque fin
de chapitre, les événements ramenés à une
échelle plus facile à appréhender : le cadran de 12
heures.
Vous pouvez ainsi lire cet ouvrage de différentes
manières. Les férus d’aventure pourront
éventuellement se passer des encarts afin de lire
d’une seule traite le roman de la vie. Ceux qui
cherchent des renseignements précis peuvent
rentrer dans l’ouvrage à n’importe quel chapitre à
l’aide de l’index et du sommaire détaillé. Les
méticuleux, quant à eux, trouveront à chaque
page de quoi étancher leur soif de connaissance
et stimuler leur imagination.
Première partie

Partir de rien… ou presque

Dans cette partie…

Nous verrons que si la vie est apparue sur Terre, c’est grâce
à la position privilégiée de notre planète dans le système
solaire. Car cette position a mis en place des conditions de
pression et de température permettant la présence de l’eau
liquide.

L’eau liquide a servi de bouillon de culture durant le premier


milliard d’années de la Terre. Et c’est dans ce bouillon que
les briques de construction de la vie sont apparues. Dans ce
bouillon liquide, quelles ont été les premières formes de vie
? Comment celles-ci se sont-elles modifiées et ont-elles
donné naissance à d’autres formes, et à quel moment
chacune est-elle apparue ?

Parallèlement, l’atmosphère primitive a évolué et s’est


progressivement oxygénée en relation directe avec les
premières formes de la vie.
Chapitre 1

L’origine de la vie
Dans ce chapitre :
Il n’y a pas de vie sans eau
Les origines possibles des molécules de la
vie
La construction de la première cellule
La vie de la première bactérie

« La vie est apparue dans un petit étang chaud,


dans lequel il y avait un riche bouillon. »
Charles Darwin
Pour retracer l’histoire de l’apparition de la vie sur
Terre, il faut faire un bond prodigieux en arrière de
près de 4 milliards d’années. Le système solaire,
alors âgé de 500 millions d’années environ,
compte, parmi ses huit planètes fraîchement
formées, un astre dont la taille et la distance au
Soleil lui permettront d’accueillir la vie.
Histoire d’eau

Située à 150 millions de kilomètres de son étoile


et d’un rayon de 6 378 kilomètres, la Terre semble
défier les lois du hasard. Plus petite, elle aurait été
incapable de retenir son atmosphère,
indispensable au maintien de l’eau liquide à sa
surface (comme notre Lune et Mercure). Plus
grosse, elle aurait été gazeuse comme Saturne et
Jupiter, ce qui est totalement incompatible avec la
présence d’eau liquide.

Figure 1-1 :
L’orbite des huit
planètes du
système solaire.

Sa distance au Soleil la situe dans une zone où la


température est suffisamment basse pour que la
planète ne soit pas une fournaise et suffisamment
élevée pour que l’eau puisse exister à l’état
liquide (zone d’habitabilité dans laquelle on trouve
également la planète Mars).
Que d’eau ! Que d’eau ! Eh oui, car la vie et l’eau
sont indissociables.
Une molécule à tout faire
L’eau fait tellement partie de notre quotidien
qu’on en oublierait presque ses multiples qualités
qui la rendent indispensable à la vie telle que
nous la connaissons.

En effet, l’eau est avant tout un très bon solvant


qui dissout un grand nombre de corps ioniques (le
sel de cuisine par exemple) ainsi que certaines
substances organiques (comme le sucre). Cette
propriété fait de l’eau le véhicule privilégié de
substances variées. Sa viscosité faible permet les
déplacements en son sein (même si progresser
dans l’eau est plus contraignant que dans l’air).
L’écart important entre son point de fusion et son
point d’ébullition lui permet de rester liquide dans
une large gamme de températures : l’eau gèle à 0
°C et bout à 100 °C au niveau de la mer.
Citons également pour compléter cette fiche
signalétique d’une molécule exceptionnelle : un
coefficient de dilatation élevé, une chaleur latente
de vaporisation la plus élevée de toutes les
substances et la tension superficielle la plus
élevée de tous les liquides.
Une molécule aimante
L’eau est une molécule exceptionnelle, car les
molécules d’eau s’attirent un peu comme des
aimants. On dit que l’eau est une molécule
polaire. Cette attraction est si forte, que l’eau
forme comme un film continu à sa surface.
Marcher sur l’eau… un
miracle ?
Le film constitué par la surface de l’eau est
suffisamment résistant pour permettre à
certains Insectes de marcher sur l’eau… En
effet, l’eau, molécule polaire, est attirée
par toutes les molécules polaires, y
compris elle-même. Cette force
d’attraction entre molécules d’eau (on
parle alors de cohésion) est responsable
du phénomène de la tension superficielle
de l’eau.
Pour le voir, regardez simplement une toile
d’araignée dans la rosée du matin : c’est la
tension superficielle qui fait perler l’eau sur
les fils. Si vous êtes un lève-tard, penchez-
vous simplement au-dessus d’un étang :
observez les Insectes (Gerris, Hydromètre)
qui marchent sur l’eau. Ce n’est pas un
miracle ! Penchez-vous davantage ! On
voit nettement le creux provoqué à la
surface de l’eau par chacune de leurs
longues pattes, car la tension superficielle
de l’eau est plus grande que la force
exercée par le poids de l’Insecte. Chez ces
Insectes de la famille des Punaises, la
tension superficielle est favorisée par la
présence à l’extrémité des pattes de
sécrétions grasses.
Le test de l’épingle
Pour épater vos enfants ! Remplissez un
verre d’eau à ras bord et déposez
délicatement à la surface une fine épingle
de couturière : l’épingle coule
instantanément. Faites de même avec une
épingle que vous aurez roulée une
trentaine de secondes entre vos doigts
(donc imprégnée des sécrétions grasses de
votre peau) et, ô miracle, l’épingle flotte !

Dans la molécule d’eau(H2O), l’atome d’oxygène


crée deux liaisons O-H. Dans chaque liaison O-H,
l’oxygène et l’hydrogène partagent des électrons,
mais en les attirant plus ou moins fortement.
Cette attraction par un atome des électrons d’une
liaison est appelée électronégativité. Plus un
atome est électronégatif, plus il attire fortement
vers lui les électrons partagés.
Si les deux atomes associés dans une liaison sont
identiques, donc d’électronégativité égale, les
électrons de la liaison ne se déplacent pas plus
vers un atome que vers l’autre : la liaison est alors
non polarisée.
Dans le cas de l’eau, l’oxygène est beaucoup plus
électronégatif que l’hydrogène : chaque liaison O-
H est donc polarisée. Ainsi, bien que la molécule
d’eau reste globalement électriquement neutre,
l’oxygène porte deux « mini-charges » négatives
et chaque hydrogène porte une « mini-charge »
positive. C’est pourquoi l’on dit que l’eau est une
molécule polaire.

Figure 1-2 : L’eau,


une molécule
polaire.

Comme deux aimants qui s’attirent par leurs pôles


opposés, deux molécules d’eau s’associent par
leurs extrémités de « mini-charge » opposée. Il
s’établit alors une liaison hydrogène entre les
molécules d’eau. Les liaisons hydrogène sont peu
résistantes et éphémères (temps de vie moyen :
10-11 s), c’est pourquoi on les qualifie de liaisons
faibles.
Mais comme elles sont très nombreuses, leur effet
est cumulatif et elles sont responsables de la forte
attraction des molécules d’eau. Cette attraction
explique les propriétés exceptionnelles de l’eau.
À la vie à la mort
Avant d’envisager différentes hypothèses quant à
l’origine de la vie, posons-nous cette question
essentielle digne d’un sujet de philo du
baccalauréat : Qu’est-ce que la vie ?
Selon Bichat (médecin et biologiste français), « la
vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la
mort » ; alors qu’est-ce que la mort ? Pour le Petit
Robert, c’est « la cessation définitive de la vie ».
Nous voilà bien avancés !
Que nous proposent les scientifiques actuels pour
résoudre ce problème ? Là encore les avis sont
très partagés et chacun y va de sa petite idée
personnelle. Celle qui semble la plus aboutie et
qui répond aux idées que nous développerons
dans cet ouvrage est celle de la NASA : « La vie
est un système chimique autoentretenu soumis à
une évolution darwinienne. » Pas de panique ! Les
clés pour comprendre ce jargon scientifique vont
bientôt vous être confiées.
Une recette de grand-mère :
la soupe primitive
Dans le premier quart du XXe siècle, un
biochimiste russe, Alexandre Oparin, et un
biochimiste anglais, John Haldane, ont fait
indépendamment l’un de l’autre la même
hypothèse : les composés organiques à l’origine
de la vie ont été fabriqués dans l’atmosphère
terrestre et se sont accumulés dans l’océan
primitif ; c’est la théorie de la soupe prébiotique
(du grec bios : la vie).
Si Haldane et Oparin s’accordent pour considérer
que cette atmosphère primitive devait renfermer
de la vapeur d’eau, de l’ammoniac et de l’acide
sulfureux, pour Haldane, les molécules organiques
se seraient formées à partir du dioxyde de
carbone, alors que pour Oparin, c’était le méthane
qui dominait l’atmosphère primitive.
Dans les deux cas, tous ces constituants n’ont pu
réagir entre eux qu’en présence d’énergie. Cette
énergie a pu être fournie par les impacts de
météorites, les rayons du soleil et les orages.
Figure 1-3 : La
naissance de la
soupe primitive.
H2O : vapeur
d’eau, NH3 :
ammoniac, H2S :
acide sulfureux,
CO2 : dioxyde de
carbone,CH4 :
méthane.

En 1953, un chimiste américain, Stanley Miller,


abonda dans le sens du Russe (preuve que la
science dépasse les clivages idéologiques) en
réalisant une expérience demeurée célèbre. Il
démontra qu’à partir des conditions simulées de
la Terre de l’époque, on obtient d’importantes
biomolécules comme les acides aminés
(constituants de base des protéines). La théorie
de la soupe prébiotique était donc plausible.
En 1953, S. Miller teste l’hypothèse d’Oparin. Il
utilise un modeste montage en verre scellé
imaginé par son directeur de thèse H. Urey (prix
Nobel de physique en 1934 pour sa découverte
des isotopes et qui s’intéressa aussi à la formation
des planètes). Miller considère que l’atmosphère
primitive renfermait de la vapeur d’eau (H2O), de
l’ammoniac (NH3), de l’hydrogène (H2) et du
méthane (CH4). Des décharges électriques
simulent les éclairs des orages.
Cette expérience a produit quatre acides aminés
et d’autres composés comme l’acide acétique et
lactique et même quelques acides aminés,
comme la norvaline, n’existant pas dans les
protéines actuelles.

Figure 1-4 :
L’expérience de
Miller.
D’autres scientifiques vont reproduire cette
expérience en changeant les proportions des gaz
et la source d’énergie. Ils ont pu ainsi produire dix-
sept des vingt acides aminés présents dans les
protéines actuelles et même de l’adénine qui est
un constituant de base de l’ADN (molécule
porteuse de nos gènes). Les molécules centrales
de la vie ont donc pu se former dans l’atmosphère
de la Terre primitive et donner la soupe
prébiotique.
Atmosphère… atmosphère

L’atmosphère de la Terre primitive était très


différente de la nôtre et elle devait être une
source d’atomes d’hydrogène, de carbone,
d’azote et d’oxygène pour les premières
biomolécules. Si tous les scientifiques s’accordent
pour penser que les trois derniers atomes étaient
principalement apportés par les gaz volcaniques,
l’origine de l’hydrogène reste problématique.
Pourquoi y a-t-il problème ? Actuellement, c’est
l’eau et les plantes qui fournissent gracieusement
l’hydrogène à l’atmosphère. En effet, les plantes
vertes arrachent l’hydrogène de l’eau grâce à la
chlorophylle et à l’énergie solaire (c’est une des
étapes de la photosynthèse – voir chapitre 2).
Mais ni les plantes ni la chlorophylle n’existaient
sur la Terre primitive. D’où venait l’hydrogène de
l’atmosphère primitive ?
Cette question est importante car les
biomolécules renferment, en moyenne, près de
deux fois plus d’hydrogène que de carbone et
trois fois et demie plus d’hydrogène que
d’oxygène.
Une réponse nous est peut-être apportée par les
énormes quantités de fer ferrique accumulé sous
forme de gigantesques dépôts appelés BIF (pour
Banded Iron Formations ou formations de fer
rubanées). En effet, l’eau, en présence de fer
ferreux, et sous l’effet des UV solaires, donne un
atome d’hydrogène et du fer ferrique. Les BIF
accumulées dès – 3,8 milliards d’années sont la
preuve d’énormes productions de fer ferrique et
d’hydrogène sur la Terre primitive (voir chapitre
2).
David Vincent avait raison
Les expériences de Miller, aussi séduisantes
soient-elles, n’ont pas conquis l’ensemble de la
communauté scientifique pour deux raisons : il n’y
a aucune certitude quant à la composition de
l’atmosphère primitive et les acides aminés
obtenus ne sont pas représentatifs de tous les
acides aminés naturels. Mais alors d’où
proviennent les premières molécules du vivant ?
En 1969, un étrange objet extraterrestre s’est
écrasé à Murchison, en Australie. Sans être le
point de départ d’un épisode de la série culte «
Les Envahisseurs », cette météorite apporta un
éclairage nouveau sur l’origine de la vie. Elle
contenait en effet plus de 70 acides aminés dont
huit entrent dans la composition des protéines,
ainsi que de nombreux autres composés
organiques. La vie viendrait-elle de l’espace ?

Deux nouvelles théories virent alors le jour :

L’exogenèse qui suppose que les


molécules élémentaires à l’origine de la vie
ont été apportées sur Terre par les
bombardements cosmiques : météorites,
comètes ou poussières interstellaires ;
La panspermie qui suppose que la vie
n’est pas arrivée sur Terre sous forme de
ces molécules élémentaires, mais qu’elle a
été directement apportée sous forme
d’êtres vivants déjà organisés, des micro-
organismes, par les bombardements
cosmiques.
Les Envahisseurs sont
parmi nous…
Si la panspermie est de nouveau à la mode
grâce, notamment, aux romans Le Premier
Jour et La Première Nuit du romancier
français Marc Levy, l’idée selon laquelle la
vie sur Terre provient du cosmos n’est pas
nouvelle. En effet, dès le Ve siècle av. J.-C.,
le philosophe Anaxagore la suggère. Elle
est reprise et développée à la fin du XIXe
siècle par Richter, puis par Lord Kelvin et
même Pasteur. Ce dernier tenta, sans
succès, d’isoler des micro-organismes de
météorites. L’hypothèse est même
poussée à son paroxysme par Crick, l’un
des découvreurs de la structure de l’ADN
(prix Nobel de médecine en 1962), qui,
dans les années quatre-vingt-dix, suggère
que la vie est arrivée sur Terre dans un
vaisseau spatial en provenance d’une
lointaine civilisation.
Pour les croyants en une des religions
monothéistes, l’origine de la vie fait
intervenir un dieu tout-puissant. Toutes ces
croyances, respectables, ne sont pas
scientifiquement vérifiables. C’est pourquoi
les scientifiques préfèrent envisager
d’autres origines, qui sont des modèles
éprouvés par de nombreuses expériences
et par les 3,5 milliards d’années d’archives
paléontologiques.
Mais laissons la parole au Parlement
européen qui a justement et sagement
adopté, le 4 octobre 2007, le texte suivant
: « Il ne s’agit pas d’opposer croyance à
science, mais il faut empêcher que la
croyance s’oppose à la science. »
L’œuf, la poule et les bactéries
L’origine des molécules organiques est en partie
résolue, mais le mystère de la vie reste entier car
tout cuisinier vous le dira : avoir les bons
ingrédients est une chose, les cuisiner en est une
autre.
De la soupe à la pizza

Qu’elles soient d’origine terrestre ou spatiale, les


molécules de la soupe prébiotique ne sont que les
« briques » élémentaires de la vie, des éléments
simples qu’il faut absolument assembler pour
obtenir les macromolécules (molécules de grande
taille) prêtes à fonctionner.
Tout comme une pizza ne peut être cuisinée si les
ingrédients restent dispersés, les macromolécules
n’ont pu apparaître qu’après mise en contact de
ces « briques » élémentaires.
L’eau étant un solvant très efficace, elle est très
peu propice au rapprochement. Les scientifiques
ont donc recherché des surfaces minérales
capables de concentrer les « briques »
élémentaires. Les expériences pratiquées
montrent que les argiles sont de bonnes
candidates.
Les argiles, très abondantes encore aujourd’hui au
niveau des marais, des lagunes, ont donc pu,
grâce à leurs feuillets chargés, absorber les «
briques » élémentaires de la vie. Des
biomolécules fonctionnelles, de grande taille, ont
ainsi pu se former, par étapes successives, dans
des conditions totalement abiotiques (c’est-à-dire
sans intervention d’êtres vivants). Voilà donc
notre pâte à pizza ! Il n’y a plus qu’à déposer les
ingrédients sur cette pâte argileuse, et notre pizza
est prête à cuire ! Vous voulez goûter ?
Faire cuire une pizza en dehors d’un four est
fortement déconseillé car ses ingrédients
n’interagissent pas correctement. Il en est de
même pour les réactions chimiques qui
caractérisent la vie : elles doivent se dérouler
dans un espace clos.
Cette étape de la vie fut certainement la plus
simple à modéliser car de nombreuses molécules
forment spontanément un feuillet au contact de
l’eau (les lipides par exemple). Il n’est donc pas
difficile d’imaginer que certains de ces feuillets,
en se repliant sur eux-mêmes, ont délimité des
microgouttelettes.
Dans ces volumes limités, les ingrédients les plus
réactifs de la pizza ont été emprisonnés, donc
concentrés et protégés du milieu environnant.
Un scénario de bulles…
Comment ces microgouttelettes ont-elles pu se
former à partir des molécules organiques simples
?

Un des scénarios part de l’observation de l’écume


des vagues en bord de mer. Les rivages de la Terre
primitive étaient très certainement agités donc
écumeux et bombardés par les UV solaires. Les
bulles étaient projetées dans une atmosphère
riche notamment en dioxyde de carbone et en
méthane (voir figure 1-5) :
1. Des éruptions volcaniques sous-marines rejettent des
gaz enfermés dans des bulles ;
2. Les gaz concentrés dans les bulles réagissent en
formant des molécules organiques simples ;
3. Après un temps de résidence, les bulles atteignent la
surface, puis explosent, libérant leur contenu dans
l’atmosphère ;
4. Bombardées par des radiations ultraviolettes, des
éclairs et d’autres sources d’énergie, les molécules
simples provenant des bulles réagissent en formant des
molécules organiques plus complexes ;
5. Les molécules organiques complexes, emportées par la
pluie, rejoignent la mer, où elles pourront de nouveau
être enfermées dans des bulles et entrer dans un
nouveau cycle.
Figure 1-5 : La
formation des
microgouttelettes.

Si la majorité des chercheurs s’accorde


actuellement sur ce scénario des bulles, le
désaccord persiste quant à leur nature. Étaient-
elles limitées par des lipides ou des protéines ?
Ainsi les chercheurs appellent-ils ces bulles des
microsphères, des protocellules, des protobiontes,
des proténoïdes, des micelles, des liposomes ou
coacervats, selon leur composition, lipidique ou
protéique, et la manière dont elles se forment.
Quelle que soit la nature exacte de ces bulles,
elles ont dû être extrêmement nombreuses dans
les océans primitifs (des milliards dans un dé à
coudre). Elles se formaient spontanément, et la
plupart éclataient rapidement, mais certaines ont
pu fusionner, intégrer par hasard des
macromolécules fonctionnelles, leur permettant
par exemple d’utiliser le glucose comme source
d’énergie.
Ces dernières devenaient alors suffisamment
volumineuses pour se diviser en deux bulles «
filles » semblables à leur bulle « mère ». La
transmission d’un caractère à une descendance
s’est donc produite : la vie a ainsi débuté !
Des yeux dans la soupe
!
Si l’on s’interroge sur la nature exacte des
microgouttelettes, on imagine qu’elles
aient pu être des coacervats, appelés plus
communément liposomes, car les lipides
forment spontanément dans l’eau des
feuillets en se repliant sur eux-mêmes.
Cette spontanéité est due à la même
propriété des lipides, qui fait que des
gouttelettes d’huile ont tendance à se
regrouper dès que vous vous arrêtez de
remuer votre vinaigrette.
En effet, les lipides présentent une
extrémité, ou tête, polaire et une ou
plusieurs extrémités, ou queues, apolaires.
La tête polaire peut donc s’associer par
liaisons hydrogène à l’eau : elle est
qualifiée d’hydrophile (du grec hydro, qui
signifie « eau » et philein, « aimer »). En
revanche, les queues apolaires, qui ne
peuvent pas s’associer avec l’eau, se lient
entre elles grâce à d’autres types de
liaisons faibles. Puisque les lipides sont à la
fois hydrophiles et hydrophobes, on les
qualifie d’amphiphiles.
Ainsi, au contact de l’eau (ou de tout
liquide hydrophile, comme le vinaigre), les
lipides forment une monocouche : tête
hydrophile dans l’eau et chaînes
hydrophobes pointant vers l’air. Si le milieu
est agité, ils s’associent en micelles de 20
nanomètres de diamètre, et si les lipides
sont en concentration suffisante, en
vésicules à bicouche : les liposomes, qui
peuvent fusionner et mesurer plusieurs
centaines de micromètres de diamètre.
Les coacervats ou liposomes, comme
l’écrivait Oparin, ont ainsi pu former des «
yeux dans la soupe » primitive.
La partition de l’ADN
Tout le monde a entendu parler de l’ADN (acide
désoxyribonucléique). C’est la molécule fétiche
des séries télévisées actuelles, celle que l’on
recherche sur le lieu d’un crime et qui permettra
de confondre l’auteur du méfait. Pour comprendre
son importance, imaginons une symphonie qui
doit être jouée par un orchestre. Chaque musicien
a devant lui une partition constituée d’une suite
de notes qu’il transforme en sons à l’aide de son
instrument. L’ensemble des sons émis par chacun
des instruments constitue un ensemble
harmonieux donnant vie à l’œuvre interprétée.
La molécule d’ADN est la partition et les notes
sont appelées nucléotides. Les musiciens sont
appelés ribosomes ; ils ressemblent grossièrement
aux personnages du dessin animé « Barbapapa »
avec une petite tête toute ronde et un gros corps
sphérique. Ces petites structures vivant dans la
cellule sont capables de déchiffrer la partition de
nucléotides en donnant naissance à des molécules
appelées protéines.
Jouez aux experts avec
vos enfants : observez
de l’ADN !
Ingrédients : 2 cuillères à café de sel de
cuisine (sans magnésie) ; eau
déminéralisée ; 2 gouttes de vinaigre ; 1
oignon ; gaze et coton ; alcool à brûler.
Matériel : 2 verres de 25 cl ; film étirable ;
1 pilon (ou un pot de yaourt en verre) ; 1
entonnoir.
Extraction :
1. Verser les 2 cuillères à café de sel dans
le premier verre de 25 cl.
2. Remplir ce verre au quart avec de l’eau
déminéralisée.
3. Chauffer au four à micro-ondes pour
dissoudre le sel. Y ajouter 2 gouttes de
vinaigre.
4. Émincer un oignon dans un petit
saladier (sous l’eau si vous ne voulez
pas pleurer…).
5. L’assaisonner d’une moitié de la
préparation d’eau salée et vinaigrée
(l’autre moitié ne sera pas utilisée).
6. Broyer l’oignon avec un mortier et un
pilon ou avec le pot de yaourt.
7. Filtrer le broyat obtenu à travers 6
épaisseurs de gaze dans un entonnoir
puis presser fortement pour extraire
l’essentiel du liquide.
8. Filtrer le liquide obtenu sur du coton,
au-dessus du second verre.
9. Faire couler très lentement et
délicatement 20 cl (200 cm3) d’alcool à
brûler (environ les 3/4 du verre) sur la
paroi du verre incliné. Le fermer avec
du film étirable.
Incliner, plusieurs fois, lentement le verre.
Au bout d’environ 15 minutes, une
substance blanche, en forme de pelote, se
forme dans l’alcool au contact des deux
liquides… C’est bien de l’ADN que vous
avez sous les yeux !
Protéines et acides aminés,
les perles de la vie

Une protéine est un collier dont chaque perle est


une petite molécule appelée acide aminé. Il
n’existe que 20 acides aminés différents dans la
nature et pourtant on recense une infinité de
protéines. Si vous disposez de 20 couleurs
différentes de perles mais d’autant de perles que
vous voulez, vous pouvez construire une infinité
de colliers.
L’astuce pour arriver à un tel résultat est de jouer
sur le nombre et l’ordre dans lequel ces perles se
suivent. Il en va de même pour les acides aminés
qui forment une protéine.
Les protéines sont des briques dont l’assemblage
permet la construction des principales structures
cellulaires. Mais pour cela il faut qu’elles aient de
l’épaisseur. Posez un collier de perles très fines
bien à plat devant vous et vous obtenez une
simple ligne, à peine visible. Pour mieux voir ce
collier, vous allez le replier plusieurs fois sur lui-
même. Il y perdra de la longueur mais gagnera en
épaisseur.
Il en va de même pour la protéine. Certains acides
aminés vont créer des liens avec d’autres acides
aminés plus ou moins proches. Ces liens vont
entraîner le repliement sur elle-même de la chaîne
protéique et la formation d’une structure en trois
dimensions. Sans épaisseur, pas de vie !
L’enzyme au logis
La particularité d’une chaîne d’acides aminés,
comparée à un collier de perles, est que,
lorsqu’elle se replie sur elle-même, elle prend
toujours la même forme alors que le collier ne se
repliera jamais de la même façon. Le nombre
d’acides aminés ainsi que l’ordre dans lequel ils
sont rangés déterminent la forme que prendra au
final la molécule. Cette forme est capitale car la
construction d’une cellule ressemble à un puzzle
dont les pièces doivent s’emboîter de manière
précise.
Parmi les protéines, certaines, appelées enzymes,
sont indispensables aux réactions qui se déroulent
dans une cellule. Il s’agit toujours de colliers
d’acides aminés mais la forme qu’ils prennent
lorsqu’ils sont repliés leur permet d’attirer une
autre molécule, de nature différente avec laquelle
ils s’associent intimement.
Pour comprendre le fonctionnement d’une
enzyme, imaginons qu’une partie de cette
protéine dessine une serrure. Seule une clé de
forme complémentaire pourra entrer dans cette
serrure et actionner le mécanisme d’ouverture.
Mais, dans une enzyme, c’est la serrure qui agit
sur la clé.
Elle peut la casser en plusieurs morceaux, la
souder à une autre clé, bref, lui faire subir mille et
un sévices.
Les enzymes ont la
banane !
Vous avez certainement vécu la mauvaise
expérience de voir devenir toutes noires,
des bananes que vous aviez eu la
mauvaise idée de placer dans votre frigo.
Voilà une belle preuve de l’efficacité des
enzymes !
En effet, la banane est un fruit tropical, qui
n’a supporté, avant de se retrouver
enfermée dans votre frigo, que la chaleur
du soleil. Sous l’effet du froid, toutes les
membranes des cellules se disloquent, et
une enzyme, au doux nom de
polyphénoloxydase, s’en échappe. Dans
une cellule de banane intacte, cette
enzyme est enfermée dans un
compartiment : elle est bien isolée des
molécules qu’elle transforme : les tanins.
Sous l’effet du froid, les tanins et l’enzyme
se retrouvent en contact, et les tanins sont
transformés en produits brun foncé, qui
noircissent les bananes. Ainsi, pour ne pas
être victime de l’efficacité de cette
enzyme, il faut conserver les bananes au-
dessus de 10 °C.
Une grande sœur plus petite
La molécule d’ADN a une sœur plus petite et plus
simple appelée ARN (acide ribonucléique). Elle
aussi peut être assimilée à une partition, mais
pour jouer des morceaux courts, couplets ou
refrains de chanson, et en aucun cas une œuvre
symphonique. Les cellules primitives n’avaient
pas besoin de grandes partitions pour être
dirigées ; c’est la raison pour laquelle les
scientifiques pensent que la molécule d’ARN est
certainement plus ancienne que l’ADN. Dans cette
cellule primitive, pas question d’y trouver nos «
Barbapapas » pour jouer la partition inscrite dans
l’ARN. Ils étaient remplacés par des enzymes
connaissant un peu le solfège de l’époque. Sans
les enzymes, pas de lecture de partition, et sans
partition, pas d’existence des enzymes.
La poule ou l’œuf : ni l’un ni
l’autre !
Voilà un beau paradoxe digne de celui de l’œuf et
de la poule : on ne peut obtenir d’ADN ou d’ARN
sans protéines et on ne peut pas non plus obtenir
de protéines sans l’ADN et l’ARN. Comme il est
fort peu probable que les trois types de molécules
soient apparus simultanément, le problème s’est
longtemps posé.

Dès 1982, deux Américains, T. Cech et S. Altman,


qui obtinrent le prix Nobel de chimie pour ces
travaux, montrèrent que des ARN, les ribozymes,
jouaient le rôle d’enzymes dans les ribosomes.
Depuis, on a retrouvé cette activité chez de
nombreux autres ARN (les ARNr, les ARNsn et les
ARN interférents – prix Nobel de médecine 2006).
Ainsi non seulement les ARN portent l’information
génétique, mais ils assurent également la
synthèse des protéines.
Mais l’idée de faire de l’ARN le constituant
principal de la vie primitive se heurtait encore à
un problème : les constituants de l’ARN étaient
impossibles à synthétiser en laboratoire sans
utiliser… de l’ARN.

Une équipe du Prix Nobel de médecine 2009, J.


Szostak, y est parvenue, en partie, récemment.
Jusqu’à présent personne ne réussissait à
assembler les trois ingrédients des ARN : la base
(C, G, A ou U), le ribose (un sucre) et l’acide
phosphorique. Pour réussir, les chimistes ont
commencé par assembler les précurseurs de C et
du sucre. Ils ont ainsi formé une première brique
élémentaire d’ARN : un ribonucléotide. Puis ils ont
observé que, sous l’action des ultraviolets, un
deuxième ribonucléotide se formait spontanément
à partir du premier. La synthèse d’ARN, dans les
conditions de l’atmosphère primitive, sans autre
intervention que les UV, semble donc possible.
La poule ou l’œuf : ni l’un ni l’autre ; mais tout a
commencé par un monde d’ARN !
Lorsque fumer ne tuait pas

À l’époque où apparaissait cette première forme


de vie, l’atmosphère terrestre avait une
composition très différente de celle qui nous est
aujourd’hui si familière.
Très riche en dioxyde de carbone et totalement
dépourvue de dioxygène, elle ne comportait pas la
fameuse couche d’ozone qui nous protège des
méchants UV solaires. Ces radiations ultraviolettes
détruisant l’ADN jusqu’à une profondeur de 10
mètres sous l’eau, les premières cellules ont dû
trouver refuge dans les profondeurs océaniques.
Mais plus on descend et plus il fait froid, ce qui ne
favorise pas les réactions chimiques. Ainsi, en
haut la température est agréable mais c’est
mortel ; en bas on est protégé mais figé !
La réponse à ce mystère réside peut-être tout au
fond des océans. C’est à la fin des années
soixante-dix que des sous-marins d’exploration
des profondeurs abyssales ont découvert les
fumeurs noirs : de grandes cheminées posées sur
le fond océanique et crachant une eau à 350 °C
chargée en minéraux. Leur plus grande surprise
fut de découvrir des formes de vie associées à ces
structures. De véritables écosystèmes miniatures
dont les bactéries sont le premier maillon.

En effet, au niveau de ces sources hydrothermales


actives, l’eau de mer froide (la température du
fond des océans est en moyenne de 2 °C) pénètre
dans la jeune croûte océanique très fissurée.
Cette eau se réchauffe en profondeur, au
voisinage des chambres magmatiques existant
sous ces dorsales, et remonte à la faveur d’autres
fissures. L’eau chaude (jusqu’à 350 °C) est ainsi
expulsée, à plus de 10 mètres de haut, et les
particules et les sulfures, qu’elle a arrachés au
passage aux roches de la croûte océanique, se
déposent et forment des cheminées. On parle de
fumeurs noirs, car l’eau chaude sous pression est
chargée en particules sombres.
Ces sources hydrothermales, a priori
inhospitalières, sont le lieu de prolifération
d’étonnants Vers géants blancs et rouges
écarlates, les Vestimentifères, et de « moules »
décolorées géantes. Cette véritable oasis de vie
repose sur l’association de ces animaux avec des
bactéries capables d’utiliser les sulfures et
thermophiles, c’est-à-dire capables de résister aux
hautes températures (jusqu’à près de 100 °C !).
On dit que ces bactéries vivent en symbiose (du
grec sym qui signifie : avec et bio qui signifie : la
vie) avec ces animaux. Ces derniers sont les
proies de Crustacés décolorés géants (Crabes et
Galathées) et des poissons.
Figure 1-6 :
Autour de la
cheminée…

Pour certains chercheurs, les fumeurs noirs, qui


étaient déjà présents il y a 3,8 milliards d’années,
seraient le « four de la pizza primitive », c’est-à-
dire les premières oasis de la vie.
Pleins gaz !
Les premières cellules n’ont jamais été retrouvées
mais on suppose qu’elles étaient d’une grande
simplicité. Constituées d’une membrane
entourant un volume liquidien appelé cytoplasme
dans lequel baignait un fragment d’ARN ou d’ADN
(porteur de l’information génétique). Elles
devaient donc ressembler aux bactéries actuelles
les plus rudimentaires.

Figure 1-7 :
L’organisation
schématique d’une
bactérie.

Mais de quoi se nourrissaient-elles dans ce monde


à peine ébauché ? Beaucoup de scientifiques
pensent qu’elles puisaient les éléments nutritifs
dans l’eau du bain, dans la soupe primitive.
Elles faisaient entrer les molécules organiques
dans leur cytoplasme et les cassaient à l’aide
d’enzymes, en molécules plus simples pour en
tirer l’énergie nécessaire à leur métabolisme
(ensemble des réactions chimiques de chaque
cellule nécessaires à la vie).
Dans cette atmosphère très riche en dioxyde de
carbone et sans oxygène, toutes ces réactions se
faisaient par fermentation. Un procédé de
dégradation des molécules peu efficace, libérant
des gaz, mais suffisant pour la survie de ces
premières bactéries dans un monde sans
concurrence.
Ces bactéries ont fermenté les composés
organiques simples présents dans la soupe
primitive, comme des acides (acétiques,
formiques) et des alcools (méthanol). Aujourd’hui
les fermentations existent encore, mais comme la
soupe primitive a évidemment disparu, les
bactéries des fermentations utilisent d’autres
molécules organiques, qui sont produites par
d’autres êtres vivants.
Par exemple les bactéries lactiques actuelles
(utilisées depuis des temps très anciens pour la
fabrication des yaourts et des fromages)
fermentent les sucres présents dans le lait de
vache, chèvre, brebis, etc. Cette fermentation
produit de l’énergie sous forme d’un intermédiaire
(que l’on retrouve chez tous les êtres vivants
actuels) : l’ATP (adénosine triphosphate). L’ATP est
comme une batterie rechargeable, cette molécule
stocke à court terme l’énergie, qui sert ensuite à
faire tourner toute la machinerie cellulaire de la
bactérie.
Un carburateur bien mal réglé

D’autres bactéries primitives n’utilisaient pas le


carbone apporté par les composés organiques
simples présents dans la soupe, mais le CO très
abondant dans l’atmosphère primitive. Elles
avaient alors besoin en 2 plus d’un autre composé
minéral oxydé présent dans la soupe : un nitrate,
un sulfate ou un carbonate.
Toutes ces bactéries libéraient des gaz en plus de
l’ATP. Les bactéries utilisant les nitrates libéraient
du diazote ou de l’ammoniac (celui qui donne
l’odeur aux produits que nous utilisons pour
déboucher les canalisations…). Les bactéries
utilisant les sulfates libéraient du sulfure
d’hydrogène (celui qui donne l’odeur d’œuf pourri
aux « boules puantes »…). Les bactéries utilisant
les carbonates libéraient du méthane (celui qui
parfume la bouse des vaches…).
Les descendants de toutes ces bactéries existent
encore actuellement. Par exemple, le méthane est
appelé « gaz des marais », car les descendantes
des bactéries primitives, utilisant les carbonates,
se sont réfugiées, depuis l’accumulation de
l’oxygène dans l’atmosphère, dans des milieux de
vie anaérobies (c’est-à-dire sans oxygène).
Comme quoi, même avec un carburateur mal
réglé de mobylette pétaradante, on peut coloniser
toute la planète !
Se diviser pour mieux régner
Une des principales caractéristiques de la vie est
l’autoreproduction indispensable à la pérennité
d’une espèce face à l’usure irrémédiable de ses
individus. Les bactéries n’y font pas exception et
elles en ont même fait leur spécialité, en se
multipliant très rapidement. Elles nous permettent
d’imaginer le premier passage de une à deux
cellules sur notre planète.
En effet, quand la nourriture abonde, la bactérie
synthétise ses constituants en grande quantité, ce
qui provoque son allongement. Lorsqu’elle atteint
une taille critique, sa paroi semble céder et
s’enfoncer dans le cytoplasme en direction d’une
autre zone affaissée. Leur rencontre provoque leur
fusion et dessine, petit à petit, une limite de
séparation (appelée « septum » par les
scientifiques, du latin septum, cloison), entre deux
volumes à peu près identiques. On obtient ainsi
deux cellules filles identiques. Ce phénomène est
appelé division binaire ou scissiparité.

C’est ainsi que les bactéries actuelles occupent


tous les milieux, des plus favorables aux plus
extrêmes, et qu’elles ont débuté leur règne, sur
l’ensemble de l’océan primitif, il y a 3,8 milliards
d’années.
Figure 1-8 :
Schéma de la
division d’une
bactérie mère en
deux bactéries
filles.
Soyons modestes !

Née il y a 4,55 milliards d’années, la Terre est en


fin de compte restée peu de temps inhabitée… À
l’échelle des temps géologiques bien entendu.
Pour se faire une idée plus précise du temps
écoulé depuis la naissance de notre planète,
utilisons une représentation plus parlante :
l’horloge de la vie (voir figure C du cahier central).
C’est très simple ! Le temps écoulé depuis la
formation de la Terre est ramené à une période de
12 heures. La Terre a été formée à minuit (0 h 00)
et aujourd’hui il est midi (12 h 00).
Situons quelques événements de ce chapitre sur
cette horloge :

0h00 : Le Soleil et les planètes qui


l’entourent, dont la Terre, se forment. Cela
se passe dans un bras latéral de la Voie
lactée. Il s’est écoulé environ 10 milliards
d’années depuis le Big Bang.
1h33 : L’activité volcanique et le
bombardement météoritique intenses
créent les premières roches. La plus
ancienne, retrouvée à Acasta dans l’ouest
du Canada, s’est formée il y a 4,03 milliards
d’années.
1h58 : Les plus vieilles roches
sédimentaires, retrouvées à Isua dans
l’ouest du Groenland, se forment. Elles
datent de 3,76 milliards d’années. Elles
nous indiquent la présence d’eau donc de la
soupe primitive ! Mais on n’y trouve aucune
trace de vie sous forme fossile.
2h45 : Les premiers fossiles de bactéries,
retrouvés dans les roches sédimentaires
dans le nord-ouest de l’Australie et dans le
Swaziland en Afrique du Sud, datent de 3,5
milliards d’années.

Il a donc fallu attendre 2 h 45 (environ 1 milliard


d’années) pour qu’apparaisse la vie alors que
l’Homme n’apparaîtra seulement que trois
minutes avant midi !
Nous venons de voir que les travaux des
géologues, des astronomes, des chimistes et des
biologistes ont montré que la naissance de la vie
n’a rien à voir avec le petit étang calme de
Darwin. Mais y aura-t-il suffisamment de soupe
pour tout le monde ?
Chapitre 2

La grande bleue
Dans ce chapitre :
La colonisation des océans par les
bactéries
L’origine de l’oxygène dans l’atmosphère
Les grands principes de la photosynthèse
L’apparition de la respiration

« Le […] succès de la vie a de tout temps été la bactérie. »


Stephen Jay Gould
Quoi de plus familier qu’un ciel bleu azur ? Il s’agit
pourtant d’une singularité dans notre système
solaire. Ainsi Vénus, notre sœur jumelle, se cache
derrière d’épais nuages et Mars, moins pudique,
nous dévoile un sol d’un rouge profond.
Mais notre planète n’a pas toujours été drapée de
bleu ciel. Nous allons voir que l’histoire de notre
atmosphère est intimement liée à l’histoire de la
vie.
De carbone et de lumière

Dans les premiers instants de la Terre, l’air était


un mélange irrespirable de dioxyde de carbone et
de vapeur d’eau. Cette dernière formait d’épais
nuages que les rayons solaires ne pouvaient
transpercer. Il faisait donc nuit noire à la surface
de notre planète et les premières bactéries étaient
peut-être d’incurables noctambules aquatiques.
Les scientifiques pensent que le refroidissement
progressif de la surface du globe a permis à cette
vapeur d’eau de retomber sous forme de pluie
dans l’océan primitif. La couverture nuageuse se
serait alors amincie et les rayons du soleil
auraient fini par la percer. La lumière pénétra
alors dans les océans.
La lumière, cette nouvelle source d’énergie,
inépuisable, ne laissa pas toutes les bactéries
primitives indifférentes.
À la conquête du Soleil
Passer de la fermentation à la photosynthèse pour
une bactérie, c’est un peu comme passer d’un
chauffage au fioul à un chauffage solaire pour
notre habitation. Il faut modifier toutes les
infrastructures afin de les adapter à la nouvelle
source d’énergie. Mais, en ces temps primitifs, ces
grands travaux sont indispensables. En effet, la
prolifération des bactéries primitives à
fermentation épuise petit à petit la soupe
primitive.
Certaines bactéries ont ainsi développé un
capteur solaire, capable de convertir l’énergie
lumineuse en énergie chimique. Parmi tous les
capteurs synthétisés par les bactéries, c’est la
chlorophylle qui se révéla la plus efficace.

Certaines bactéries ont développé d’autres


capteurs solaires : ce sont les bactéries
sulfureuses vertes et les bactéries sulfureuses
pourpres. Elles ne possèdent pas une vraie
chlorophylle mais un autre capteur : la
bactériochlorophylle. Ces bactéries utilisaient
l’énergie lumineuse pour réduire le sulfure
d’hydrogène (H2S – très abondant dans
l’atmosphère primitive), ce qui libérait
suffisamment d’énergie pour transformer ensuite
le dioxyde de carbone (CO2 – très abondant
également) en petites molécules du vivant. Non
seulement elles ne produisaient pas d’oxygène,
mais ce gaz constituait pour elles un élément
toxique !
Pour certains scientifiques, ces bactéries étaient
des pionnières. Elles existaient autour de 3,4
milliards d’années, avant l’apparition de la
chlorophylle : elles seraient donc les ancêtres des
bactéries possédant de la chlorophylle : les
cyanobactéries. Pour d’autres, ces bactéries et les
cyanobactéries vivaient ensemble, mais petit à
petit, les cyanobactéries les ont surpassées. Ainsi
les bactéries sulfureuses ne se retrouvent
actuellement que dans des milieux particuliers,
sans oxygène, comme les marais.
Le vert dicte
Il y a environ 3 milliards d’années avant de
devenir la star des chewing-gums, la chlorophylle
était déjà la reine de la lumière dans le monde des
bactéries. Pourquoi un tel succès ?
La molécule de chlorophylle ressemble
grossièrement au cerf-volant de notre enfance : un
corps en forme de losange (que l’on appelle le
noyau) et une longue queue. Le noyau contient du
magnésium (la même substance que dans les
anciens flashs des appareils photo), très sensible
à la lumière.
Les Martiens existent ?
En 1996, David Mac Kay découvre dans
une météorite, des formes fossilisées
évoquant fortement des bactéries. Cette
météorite, qui porte le doux nom de
ALH84001, a été récupérée en 1984 dans
les glaces de l’Antarctique. Elle se serait
formée il y a 4,5 milliards d’années sur
Mars, et serait arrivée sur Terre après un
voyage de 16 millions d’années dans
l’espace.
Cette météorite fit sensation car elle
semblait renfermer des fossiles de
bactéries particulières appelées
nanobactéries (en raison de leur petite
taille). Celles-ci sont connues sur Terre
dans des milieux extrêmes (comme les
sources d’eau très chaude).
La vie aurait donc pu exister sur Mars.
Comme sur Terre, les bactéries ont pu être
la forme de vie pionnière sur la planète
rouge, habitant des poches d’eau
souterraines au début de l’histoire de cette
planète. Ainsi les Martiens ont peut-être
bien existé… Mais, sous cette forme, il y a
peu de risque pour qu’ils aient cherché à
nous envahir.
Lorsque la chlorophylle est éclairée, son noyau se
met à vibrer. Il vibre si fort qu’il en perd une petite
particule très riche en énergie que l’on appelle un
électron. Celui-ci est attrapé par des voisins peu
scrupuleux qui refusent de le rendre à la
chlorophylle. Privée de cet électron, elle reste très
excitée et cherche désespérément autour d’elle
une molécule plus faible à qui elle pourrait
chaparder de quoi se calmer.

Figure 2-1 : La
molécule de
chlorophylle.

C’est la molécule d’eau qui en fait les frais. La


molécule de chlorophylle, sans aucune pitié, la fait
littéralement voler en éclats, afin de lui dérober
un électron. Il se forme alors de l’oxygène gazeux
(du dioxygène disent les scientifiques car il est
formé de deux atomes d’oxygène : O2).
Cette réaction, qui forme de l’oxygène gazeux,
constitue la première étape de la photosynthèse.
Les bactéries capables de réaliser la
photosynthèse sont encore vivantes actuellement
: ce sont les cyanobactéries.
La photosynthèse pour
les Nuls 1/2
La première étape de la photosynthèse a
besoin directement de lumière : c’est
pourquoi on l’appelle phase claire. Mais
elle a aussi besoin d’eau car l’eau redonne
à la chlorophylle les électrons que la
lumière lui a arrachés.
La molécule d’eau en perdant ses
électrons (e-) se fragmente en oxygène
gazeux et en hydrogène (proton H+) selon
: 2H2O → 4e + O2 + 4 H+. La molécule
d’eau subit donc une décomposition
(appelée oxydation car elle perd ses
électrons) sous l’effet indirect de la lumière
: c’est pourquoi on parle de photolyse de
l’eau.
Les électrons arrachés à la chlorophylle et
les protons venant de l’eau permettent
ensuite de fabriquer deux molécules riches
en énergie utilisable par la cellule : l’ATP et
le TH (le transporteur d’hydrogène).
D’autres pigments photosynthétiques (des
carotènes par exemple) ainsi que des
protéines participent également à cette
réaction.
La chlorophylle, ayant récupéré ses
électrons aux dépens de l’eau, peut à
nouveau capter l’énergie lumineuse. Ainsi,
durant cette première phase de la
photosynthèse, l’énergie lumineuse est
convertie en énergie utilisable : c’est
pourquoi on parle également de phase
photochimique.
Les premières bouffées
d’oxygène
C’est au Zimbabwe et en Australie occidentale
que des scientifiques ont découvert des roches
très curieuses, en forme de mille-feuille. Leur âge,
estimé entre 3,5 et 2,7 milliards d’années, en
faisait les plus vieilles traces de vie jamais
découvertes.
Mais leur surprise ne s’arrêta pas là. En effet, ces
mille-feuilles étaient des stromatolithes, fabriqués
par des bactéries capables de réaliser la
photosynthèse : les cyanobactéries (ou
cyanophycées), appelées autrefois plus
poétiquement « algues bleues ».
Les stromatolithes, terme qui littéralement signifie
« tapis de pierre » car en grec strôma signifie
tapis et lithos signifie pierre, sont des mille-feuilles
de plusieurs dizaines de centimètres de haut,
mais dont chaque feuille ne mesure pas plus d’un
millimètre.
Ces mille-feuilles continuent à se former de nos
jours, dans des eaux peu profondes, par exemple
sur les plages australiennes de Shark Bay.
Grâce à la photosynthèse des cyanobactéries,
notre atmosphère s’est enrichie lentement en une
molécule totalement inédite dans le système
solaire : l’oxygène gazeux.

L’observation d’un stromatolithe actuel permet de


comprendre le mode de formation de ces
structures. Seule sa partie superficielle est vivante
et couverte de longs filaments fins de
cyanobactéries. Lorsque celles-ci réalisent la
photosynthèse, elles provoquent la formation de
calcaire (car il y a absorption de dioxyde de
carbone) et de fer oxydé (car il y a production
d’oxygène). Or, afin de protéger leurs longs
filaments fins des rayons UV, les cyanobactéries
fabriquent un gel collant. Celui-ci piège le calcaire
et le fer oxydé. Il se forme alors des dépôts qui
recouvrent la couche de cyanobactéries et les
tuent en grand nombre en les privant de lumière.
Certaines réussissent à se faufiler au-dessus de
cette couche et forment alors un nouveau tapis
vivant. C’est reparti pour un tour !
Ainsi couche après couche, un mille-feuille se
forme où alternent calcaire, fer oxydé et filaments
morts. Le tout finit par prendre la forme d’un
coussin rocheux.
On retrouve cette organisation en mille-feuilles,
même si elle est souvent difficile à lire, dans les
stromatolithes fossiles. Ce qui prouve que les
cyanobactéries ont été très abondantes dans
l’océan primitif, il y a 2,7 milliards d’années.
Figure 2-2 :
Structure
schématique d’un
coussin et détail
d’un filament de
cyanobactéries.
Pas de soupe en entrée mais
du dioxyde de carbone au
dessert
L’objectif de la photosynthèse n’est absolument
pas de produire de l’oxygène gazeux : celui-ci
n’est qu’un déchet dont il faut se débarrasser.
Pour comprendre l’intérêt de cette réaction, il faut
revenir à l’électron perdu par la chlorophylle et à
ses voisins peu scrupuleux qui l’ont conservé. Loin
d’être des égoïstes notoires, ceux-ci vont
véhiculer cette particule riche en énergie jusqu’à
une usine de production de matière organique.
La matière organique est caractéristique du
monde vivant, par opposition à la matière
minérale qui constitue les roches et les océans qui
nous entourent.
Steak-os-scope
Si vous faites cuire un steak, il s’en dégage
de la vapeur d’eau pendant une durée
relativement longue. Votre morceau de
viande se réduit alors de manière
considérable et occupe moins de la moitié
de son volume initial. La matière vivante
est donc constituée d’une part importante
d’eau ; plus de 60 % pour un steak et
jusqu’à 95 % pour une tomate.
Si vous continuez la cuisson, le reste de
votre steak devient noir et brûle : c’est la
matière organique qui est ainsi détruite. En
fin de combustion, il reste des cendres
grises, incombustibles.
Si vous pratiquez la même expérience
avec un os, vous observerez les mêmes
étapes. Mais le tas de cendres final sera
plus épais, car l’os est formé d’une part
plus importante de minéraux comme le
calcium.
La matière minérale, par opposition à la
matière organique, regroupe donc l’eau et
les cendres.

Si nous devions représenter une molécule


organique sous forme d’un personnage de dessin
animé (voir figure 2-3), nous lui ferions un
squelette tout en carbone (symbolisé par des C) et
des habits constitués d’oxygène (symbolisé par
des O), d’hydrogène (symbolisé par des H), plus
parfois de l’azote (symbolisé par des N) et du
soufre (symbolisé par des S).
Mais où a-t-il bien pu trouver le carbone
indispensable à son squelette ?

Figure 2-3 : La
matière organique
en habit d’arlequin.

Pour les premières bactéries primitives à


fermentation la réponse était simple : il suffisait
de puiser, dans la soupe primitive, les molécules
organiques déjà fabriquées ! Mais, petit à petit,
cette soupe primitive s’épuisait : la vie allait donc
vers une impasse.
Pour les cyanobactéries, la source de carbone
indispensable fut le dioxyde de carbone
atmosphérique. Le pari était osé car il fallait
capturer un gaz et l’intégrer dans une molécule
organique solide. Le secret : utiliser l’énergie de la
lumière… Ce qui nous ramène à notre électron.
Pour fabriquer le squelette d’une molécule
organique, il faut souder les carbones entre eux.
Chacun sait que pour souder deux objets, il faut
apporter de l’énergie sous forme de chaleur. Mais,
dans une cyanobactérie, cette énergie n’est pas
de nature thermique mais chimique. En effet, c’est
l’électron arraché à la molécule de chlorophylle
par la lumière qui fournit indirectement l’énergie
indispensable à la soudure des carbones : c’est la
deuxième étape de la photosynthèse.
La photosynthèse pour
les Nuls 2/2
La première étape de la photosynthèse a
fourni deux molécules riches en énergie :
l’ATP et le TH. La seconde étape de la
photosynthèse, appelée cycle de Calvin,
utilise ces deux molécules. Au cours de ce
cycle, le dioxyde de carbone fournit les C
pour le squelette de la molécule organique
et les O pour une partie des habits. Les H,
apportés par le transporteur (TH), viennent
compléter l’habillage. Le tout est soudé
grâce à l’énergie fournie par l’ATP. Il se
forme ainsi une molécule organique issue
du monde minéral : un sucre simple à trois
carbones.
Cette seconde phase, ne dépendant pas
directement de la lumière, est appelée
phase sombre. Elle réalise par une série de
réactions chimiques la transformation du
carbone minéral (apporté par le dioxyde de
carbone atmosphérique) en carbone
organique (sucre simple) : c’est pourquoi
on la nomme aussi la phase chimique.
La phase « claire » et la phase « sombre »
sont complémentaires car les produits
synthétisés par la première (ATP et TH)
sont utilisés par la deuxième. On peut
résumer ces deux étapes en une équation :
on obtient alors l’équation globale de la
photosynthèse.
Pour la découverte de cette phase «
sombre », Calvin est entré dans la lumière
en recevant le prix Nobel de chimie en
1961.

Figure 2-4 :
L’équation globale
de la
photosynthèse.

Ainsi, molécule après molécule, le dioxyde de


carbone est utilisé pour fournir les éléments
nécessaires à la synthèse de la matière organique.
Ce gaz, si toxique pour nous, est devenu, entre
3,5 et 2,7 milliards d’années, l’aliment préféré des
cyanobactéries. La photosynthèse, qui comporte
deux étapes, a permis aux bactéries de
s’affranchir de la soupe primitive. La vie avait
trouvé un second souffle.
Respirer ou mourir, il faut choisir
Sans concurrence et disposant de ressources
alimentaires quasiment inépuisables, nos petites «
algues bleues » se sont multipliées de manière
vertigineuse. Elles ont même quitté leur support
de calcaire et de fer (le stromatolithe), pour
s’aventurer seules dans l’immensité de l’océan
originel.
Le dioxygène allait bientôt se répandre dans l’eau
et dans l’air, assénant le coup de grâce à la
domination des bactéries primitives à
fermentation.
La Terre du rouge au bleu

Les scientifiques estiment que de – 3,5 à – 2,4


milliards d’années, tout le dioxygène libéré par les
cyanobactéries réagissait immédiatement avec le
fer présent en solution dans l’eau des océans (le
fer ferreux). On peut encore observer cette
réaction lorsqu’on laisse un objet en fer au contact
de l’eau et de l’oxygène de l’air : il rouille (il donne
du fer ferrique). Rendu plus dense que l’eau par
cette réaction, le fer ferrique s’est déposé au fond
des océans, donnant naissance à de gigantesques
gisements.

En effet, entre – 2,8 et – 2 milliards d’années, de


gigantesques dépôts marins riches en fer oxydé
se sont déposés : les BIF (Banded Iron Formations
– formations de fer rubanées). Dans ces dépôts,
on trouve une alternance de couches riches et
pauvres en magnétite. La magnétite (Fe3O4) est
un oxyde de fer responsable de l’aimantation
naturelle, d’où son nom, car en grec magnes
signifie aimant. Mais surtout, cet oxyde de fer ne
se forme qu’en condition oxydante : le dioxygène
était donc bien présent dans les océans à cette
époque. Mais l’existence de couches pauvres
indique que le dioxygène n’était présent qu’en
infimes et irrégulières quantités.
Le dépôt des BIF montre un maximum autour de –
2,4 milliards d’années. Ce pic d’abondance est
expliqué par la prolifération des cyanobactéries.
Celles-ci auraient libéré d’énormes quantités de
dioxygène dans les océans, piégeant tout le fer
océanique dans ces dépôts.
L’océan primitif devait regorger de fer en solution,
car on estime à plus de 600 000 milliards de
tonnes la quantité de minerai de fer qui s’est
formé par ce processus.
Quel aspect pouvait bien avoir notre planète à
cette époque ? Elle devait certainement
ressembler à une immense boule de rouille, d’un
rouge encore plus prononcé que sa voisine Mars.
Une fois tout le fer marin oxydé, l’oxygène a pu
enfin se répandre dans l’eau des océans et dans
l’atmosphère. Ce n’est que 1,4 milliard d’années
plus tard que son taux atteindra les 20 % mesurés
actuellement.

Une des preuves de l’oxygénation de l’atmosphère


nous est fournie par de vastes dépôts
continentaux et rouges : les Red Beds (les lits
rouges ou formations rouges). Ces formations,
âgées d’environ 2 milliards d’années, se sont
déposées sur le premier continent. Elles sont
rouges car elles sont riches en hématite. Cet autre
oxyde de fer indique aussi des conditions
oxydantes, donc la présence de dioxygène dans
l’atmosphère. La quantité de dioxygène reste très
modeste, puisqu’on estime qu’elle est 200 fois
inférieure à la quantité actuelle.
Cet enrichissement progressif, a permis (à partir
de – 2,4 milliards d’années) à la couleur du ciel de
passer progressivement du rose au bleu, et à celle
des océans, du rouge au bleu-vert, que nous leur
connaissons aujourd’hui.
Le danger vient de l’oxydant
Lorsque les premières formes de vie sont
apparues, le dioxygène était totalement absent
des océans. Elles n’avaient donc rien prévu pour y
faire face.
Il est difficile pour nous d’imaginer que l’oxygène
puisse être un poison. Et pourtant, il est très
toxique pour les êtres spécialisés dans la
fermentation. L’arrivée massive de ce gaz oxydant
a provoqué la première grande crise écologique
de l’histoire de la Terre. Les scientifiques l’ont
nommée : « la Grande Oxydation » ou « la
catastrophe de l’oxygène ». Les cyanobactéries
allaient-elles faire disparaître toutes les autres
formes de vie ?
Certaines bactéries primitives trouvèrent refuge
dans des milieux dépourvus de dioxygène
(appelés milieux anaérobies), comme le fond des
marécages par exemple, où nous pouvons encore
trouver leurs descendantes. Mais les plus
malignes d’entre elles transformèrent cet ennemi
en un allié au pouvoir redoutable.
Volte-face
Pour les chimistes, le dioxygène de l’air est un
comburant, c’est-à-dire un corps qui permet à un
autre corps, appelé combustible, de brûler en
dégageant de la chaleur. Lorsqu’une allumette
brûle, le dioxygène se mélange spontanément
avec le bois (le combustible) et la température de
la flamme permet à la combustion de
s’autoentretenir.
Asphyxiée dans un
embouteillage
Frottez une allumette et jetez-la,
délicatement pour ne pas qu’elle s’éteigne,
dans une petite bouteille. L’allumette
brûlera entièrement.
Recommencez l’opération, mais cette fois,
bouchez la bouteille aussitôt après y avoir
jeté l’allumette enflammée. L’allumette
s’éteindra rapidement car elle ne pourra
plus brûler lorsque tout le dioxygène de
l’air présent dans la bouteille aura été
consommé. C’est pourquoi le dioxygène
est appelé un comburant.

Pour nos bactéries primitives, pas question


d’utiliser le dioxygène pour entretenir une
flamme, car il aurait fallu alors développer une
chambre de combustion pour contrôler la réaction
(comme dans le moteur à explosion combustion
pour contrôler la réaction (comme dans le moteur
à explosion de notre voiture).
La combustion devait être beaucoup plus douce
afin qu’il n’y ait ni flamme ni explosion. Elle devait
être également plus lente afin que l’énergie
libérée soit récupérable et utilisable par la cellule.
La respiration cellulaire venait de naître. Nous la
détaillerons un peu plus loin.
Les cyanobactéries ont ainsi vu leur statut passer
de pollueur à pourvoyeur de comburant : le
dioxygène.
Et le combustible alors ? Que peut-on « brûler »
dans un moteur cellulaire ?
Pour nos bactéries, le choix du combustible était
limité car leurs ancêtres avaient pillé sans
vergogne la soupe primitive (voir chapitre 1). La
soupe onctueuse primitive n’était plus qu’un « jus
de chaussettes » insipide. Il ne restait donc plus
qu’une source disponible : la matière organique
fabriquée par les cyanobactéries. Les bactéries
non photosynthétiques allaient retourner la
situation à leur avantage.
Elles cassent du sucre sur le
dos des cyanobactéries
Parmi toutes les molécules synthétisées par les
cyanobactéries, les sucres tiennent une place
importante. En effet, ils sont produits directement
par la photosynthèse. Il n’est pas certain que les
premières bactéries utilisant le dioxygène aient
choisi le glucose pour se lancer dans la
respiration, mais c’est actuellement la molécule la
plus utilisée comme combustible.

Le glucose est un sucre simple. Le plus souvent, il


est associé au fructose (nommé ainsi car on le
trouve dans les fruits) et il donne le saccharose, le
sucre de table, que nous connaissons bien (extrait
de la betterave ou de la canne à sucre). Le
glucose possède un squelette formé de six
carbones reliés entre eux par des liaisons riches
en énergie. Comment récupérer l’énergie de ces
liaisons ? En les cassant tout simplement.
Figure 2-5 : Le
glucose.

Au sein de la molécule de glucose, les liaisons


sont de type covalentes. Une liaison covalente est
très stable et particulièrement solide, car les deux
électrons, mis en commun, forment un doublet qui
produit une force d’attraction mutuelle entre les
deux atomes.
Si on parvient à casser une liaison covalente
carbone-carbone, une quantité importante
d’énergie est libérée et devient disponible, par
exemple, pour fabriquer une autre liaison
covalente. Si elle n’est pas récupérée, l’énergie
sera dissipée sous forme de chaleur.
Pour casser les liaisons entre les carbones du
glucose, il existe deux manières : la manière forte
à l’aide d’une flamme par exemple, et la manière
douce à l’aide d’enzymes.
La première est impossible à réaliser dans une
cellule pour les raisons déjà évoquées dans le
paragraphe précédent : la cellule n’est pas une
chambre de combustion. Penchons-nous donc sur
la deuxième.
Les enzymes : des ciseaux
bien affûtés
Nous avons déjà parlé des enzymes dans le
chapitre 1. Ce sont des protéines indispensables
au fonctionnement cellulaire. On les retrouve
partout où des transformations chimiques sont
nécessaires.
Mais attention, à chaque enzyme sa tâche. Il y a
des enzymes qui coupent et des enzymes qui
soudent. Intéressons-nous aux premières.
Pour nous faire une idée de l’activité de ces
enzymes, imaginons que chacune d’elles soit une
paire de ciseaux, dont la forme des lames est
adaptée à un objet de taille précise. La première
paire de ciseaux ne peut couper l’objet que s’il est
entier. La deuxième paire ne peut couper l’objet
que s’il a été réduit par la première paire. La
troisième paire que s’il a été réduit par la
deuxième paire, etc. Les enzymes agissent donc
les unes après les autres et dans un ordre strict.
Les bactéries qui se sont lancées dans la voie de
la respiration cellulaire ont ainsi développé une
panoplie d’enzymes nécessaires à la destruction
progressive de la molécule de glucose. Grâce à
ces enzymes, elles vont réduire progressivement
la taille du squelette de ce sucre jusqu’à son
dernier carbone. Pour chaque carbone supprimé,
de l’énergie est libérée et récupérée.
Mais que vient faire le dioxygène dans ce
processus ?
Un moteur presque propre
Pour bien comprendre l’importance du dioxygène
dans la respiration, il faut faire un tout petit peu
de chimie. Oh trois fois rien, ne vous inquiétez pas
!!!
La formule chimique du glucose (C6H12O6) nous
indique qu’il est composé de 6 atomes de
carbone, de 12 atomes d’hydrogène et 6 atomes
d’oxygène (voir figure 2-5). Lorsque les enzymes
s’attaquent au squelette de ce sucre, elles le
découpent comme le feraient des ciseaux. Il se
dégage du dioxyde de carbone, c’est-à-dire du
carbone et de l’oxygène.
Il reste donc les atomes d’hydrogène et c’est là
que le dioxygène gazeux intervient. Il va se
couper en deux et associer chacun de ses atomes
d’oxygène à deux atomes d’hydrogène provenant
du glucose. On obtient une molécule avec deux
atomes d’hydrogène pour un atome d’oxygène.
Cela ne vous dit rien ? Il s’agit de la molécule
d’eau bien entendu.

Produire de l’énergie en utilisant le dioxygène : le


déchet de la photosynthèse ; voilà le secret de la
respiration cellulaire ! Mais ce moteur bactérien,
inventé il y a plus de 2 milliards d’années, ne
rencontrerait qu’un succès modéré actuellement
en raison d’une production importante de dioxyde
de carbone. Pourtant son rendement est excellent
si on le compare aux moteurs actuels, puisque
plus de 40 % de l’énergie du glucose est
récupérée grâce à la respiration contre 25 % de
l’énergie de l’essence pour un moteur de voiture.
Respiration et photosynthèse
: l’entente cordiale
Grâce à la respiration, non seulement les
bactéries ont appris à domestiquer le dioxygène,
mais surtout elles ont découvert une source
d’énergie, qui allait leur permettre de réaliser des
prouesses inédites. En effet, produire plus
d’énergie permet d’aller plus vite, plus loin, de se
déplacer quand le milieu devient hostile, de
chercher sa nourriture au lieu d’attendre qu’elle
passe à sa portée, etc.
Pour certains scientifiques, la séparation entre le
monde animal et le monde végétal serait apparue
à ce moment précis. Les cyanobactéries pouvaient
rester immobiles car l’énergie solaire était
omniprésente (monde végétal ?). Les bactéries qui
respiraient ont dû apprendre à se mouvoir pour
chercher leur nourriture (monde animal ?).
Loin de s’opposer, ces deux mondes en formation
ont installé les bases d’un ensemble cohérent où
la matière pouvait circuler d’un être à l’autre :

Le dioxygène produit par les


cyanobactéries était consommé par les
bactéries qui respiraient ;
Le dioxyde de carbone prélevé dans
l’atmosphère par les cyanobactéries était
relâché dans cette même atmosphère par
les bactéries qui respiraient ;
La matière organique (comme le glucose)
synthétisée par les cyanobactéries était
consommée par les bactéries qui
respiraient.

Mais cette entente ne s’arrêta pas là, car au beau


milieu de cet univers de bactéries où
l’indépendance était la règle, certaines décidèrent
de tenter la vie en association. L’union fait la force
?

Figure 2-6 : Le «
premier » cycle du
carbone et de
l’oxygène ,il y a
environ 2 milliards
d’années.
Les bactéries des
ténèbres
La majorité des êtres vivants respirent et
consomment en permanence du
dioxygène. L’apport de dioxygène dans
l’atmosphère est donc indispensable. Près
de la moitié de cet apport est réalisée par
la photosynthèse dans les océans.
Jusque dans les années quatre-vingt, on
pensait que cette photosynthèse était
principalement réalisée par les algues
marines. Mais depuis, des bactéries
photosynthétiques ont été découvertes
dans les océans tropicaux. Leur nom est
barbare, Prochlorococcus et
Synechococcus, mais elles assureraient à
elles seules 40 % de la production de
dioxygène sur Terre. Leur force est de
renfermer des chlorophylles particulières,
capables de capter les quelques rayons
lumineux encore présents à 200 mètres de
profondeur (alors qu’au-delà de 30 mètres,
c’est la nuit noire pour tous les autres). Les
scientifiques pensent que ces
superbactéries photosynthétiques seraient
des descendantes des cyanobactéries
anciennes.
C’était le temps des bactéries

Sur la Terre née il y a 4,55 milliards d’années (à 0h


00), il a fallu attendre 2 h 45 (il y a environ 3,5
milliards d’années) pour qu’apparaisse la vie. Bien
qu’on ne dispose d’aucun fossile, tous les
scientifiques pensent que les bactéries ont été les
premiers êtres vivants.
Situons les événements majeurs de ce chapitre
sur l’horloge de la vie (voir figure C du cahier
central) :

3h02 : Certaines bactéries sont devenues


capables de capter cette source d’énergie
inépuisable : la lumière. Ce sont les
bactéries sulfureuses vertes et les bactéries
sulfureuses pourpres.
4h50 : Les cyanobactéries, des bactéries
capables de réaliser la photosynthèse,
créent en bord de mer des stromatolithes.
Des fossiles de stromatolithes ont été
découverts au Zimbabwe et en Australie
occidentale : leur âge moyen est estimé à
2,7 milliards d’années.
5h34 : Le dioxygène libéré par les
cyanobactéries passe progressivement des
océans dans l’atmosphère.
6h43 : Le dioxygène libéré permet à de
nouvelles bactéries d’apparaître : des
bactéries qui respirent. Ces bactéries
respiratoires coexistent avec les
cyanobactéries et les descendantes des
bactéries sulfureuses vertes et les bactéries
sulfureuses pourpres.

Les bactéries ont donc occupé seules notre


planète, de 2 h 45 à 6 h 43, c’est-à-dire pendant
1,5 milliard d’années, soit 4 heures sur les 12
heures de notre « horloge de la vie ». Présentes
partout, même dans les milieux les plus
inhospitaliers, les bactéries représentent
actuellement une masse supérieure à celle de
tous les autres êtres vivants. Hier, comme
aujourd’hui, parole de bactérie : « Je suis le roi du
monde ! »
Chapitre 3

Des cellules à noyau


Dans ce chapitre :
La création d’un noyau protecteur
La domestication des mitochondries
Les grands principes de la respiration
La domestication des chloroplastes
La synthèse des protéines
L’émergence de nouvelles formes de vie

« Les bonbons devraient avoir un noyau


pour que l’on puisse les sucer plus longtemps. »
Ylipe
Imaginons un instant un observateur qui, de
l’espace, aurait assisté à la formation de notre
système solaire, il y a 4,5 milliards d’années, et
qui viendrait le revisiter 2,5 milliards d’années
plus tard. Nul doute qu’il serait intrigué par une
planète, entourée d’un halo bleu et partiellement
couverte d’étendues bleu verdâtre saupoudrées
de pourpre : la Terre. Comment cette coquette a-t-
elle pu se farder de la sorte ?
Sur le sol, rien d’intéressant : les mêmes cailloux
que sur les autres planètes rocheuses. Mais dans
l’eau, un bouillonnement de vie. En effet, une
multitude de micro-organismes, les bactéries, a
pris possession des eaux et ne semble pas
disposée à partager son territoire. Pourtant, au
sein même de ce peuple bactérien, une nouvelle
forme de vie est en train de naître : la cellule à
noyau.
Une pour toutes et toutes pour une !

Pour comprendre les phénomènes qui vont mener


à cette nouvelle forme de vie, il faut plonger dans
les océans d’il y a un peu plus de 2 milliards
d’années, au Précambrien (nom donné par les
scientifiques à la longue période allant de la
formation de la Terre jusqu’à l’apparition des
formes de vie complexes – voir figure A du cahier
central).
Depuis leur apparition, les bactéries ont fait
preuve d’une imagination débordante et
présentent désormais de multiples visages (voir
chapitre 2).
Leur nombre est devenu si impressionnant que, si
l’on se fie à leur densité actuelle, chaque goutte
d’eau de l’océan précambrien en contenait
jusqu’à 100 000 ! Rien d’étonnant donc à ce que
certaines bactéries voisines aient décidé de vivre
en collocation.
Une membrane au bord de la
déprime
La bactérie ancestrale avait une structure très
simple, que nous pouvons comparer à un ballon
de baudruche rempli d’eau où flotte le matériel
génétique : une molécule d’ADN.

La membrane du ballon rend bien compte de la


souplesse de la membrane plasmique limitant une
bactérie (voir chapitre 1, figure 1-7). Pour certains
scientifiques, cette membrane se serait enfoncée,
comme lorsque l’on appuie avec ses deux doigts
sur un ballon de baudruche mal gonflé, pour faire
en sorte qu’ils se touchent.
Ainsi, il y a 1,9 milliard d’années, la membrane
plasmique de la bactérie ancestrale aurait formé
des replis internes, des invaginations. Petit à petit,
ces invaginations étroites et fragiles se seraient
séparées mécaniquement du bord de la
membrane. Elles ont alors formé dans le
cytoplasme des compartiments, des poches, de
formes variées. Celles qui étaient proches de la
molécule d’ADN ont fini par l’entourer, ne laissant
que quelques espaces permettant à celle-ci de
rester en contact avec le cytoplasme : le noyau
était né !
Le noyau renferme le matériel génétique, un
trésor à protéger par tous les moyens ! Les autres
poches, plus éloignées de l’ADN, ont emballé des
portions du cytoplasme et y ont formé d’autres
compartiments.

Figure 3-1 :
L’origine possible
du noyau, il y a 1,9
milliard d’années.

Avec l’arrivée de ces compartiments, les tâches


indispensables à la survie de la cellule ont pu être
distribuées et séparées. Certains ont été enrôlés
pour synthétiser les éléments indispensables au
fonctionnement de la cellule : les réticulums et
l’appareil de Golgi. D’autres ont été désignés pour
servir d’éboueurs : les lysosomes, etc. Le
fonctionnement de la cellule a ainsi gagné en
efficacité.
Figure 3-2 : Les
réticulums
endoplasmiques et
l’appareil de Golgi.

Tous ces compartiments sont limités par une


membrane située à l’intérieur de la cellule : on
parle d’endomembrane. La plupart d’entre eux,
comme les lysosomes, les réticulums et l’appareil
de Golgi, sont limités par une seule
endomembrane. D’autres, moins nombreux,
comme le noyau, sont limités par deux
endomembranes ; c’est pourquoi on parle aussi
d’enveloppe nucléaire. Dans les deux cas, tous
ces compartiments, qu’ils soient limités par une
ou plusieurs endomembranes, sont appelés
actuellement des organites.
La grande bagarre de «
don Camillo »
Camillo Golgi (1843-1926) a dû se bagarrer
pendant de nombreuses années pour
imposer sa découverte de l’organite qui
porte maintenant son nom : l’appareil de
Golgi. En effet, dès 1898, ce médecin
italien observe cet organite en forme de
croissant, d’où bourgeonnent de
nombreuses vésicules. Mais la technique
de coloration qu’il a inventée, à base de
nitrate d’argent et de bicarbonate de
potassium, et qu’il appelle la « reazione
nera » (réaction noire) est révolutionnaire.
Ainsi, pendant de nombreuses années, la
structure et l’existence même de l’appareil
de Golgi resteront débattues, certains
contemporains de Camillo Golgi les
considérant comme de simples artefacts
de la coloration.
Et si Golgi reçut en 1906 le prix Nobel de
médecine, ce n’est pas pour cette
découverte, mais pour ses travaux sur la
structure du système nerveux. Ainsi, ce
n’est que dans les années cinquante,
grâce aux microscopes électroniques, que
l’existence de l’appareil de Golgi sera
définitivement confirmée.
La cellule s’agrandit : de la
chambre d’étudiant au F2
Un nouveau cap décisif venait d’être franchi par la
vie ! Pour comprendre son importance, imaginons
que la cellule bactérienne ancestrale soit une
chambre d’étudiant.
Elle contient tout ce qu’il faut pour vivre, mais
dans une seule pièce : un seul compartiment. Les
cours (le « matériel génétique » de l’étudiant) y
sont en danger constant : tous les étudiants qui
ont cuisiné dans leur chambre savent que des
projections d’huile peuvent atteindre facilement
ces cours. Les étudiants savent aussi que la
proximité immédiate du frigo et de leurs cours
limite très sérieusement l’efficacité des révisions.
L’emménagement dans un appartement de type
F2 permet de mettre les cours, dans une autre
pièce, loin de la cuisine, donc loin de tout danger
et de toute tentation.
Le noyau devint ainsi la pièce maîtresse, le cocon
douillet de la molécule d’ADN. Le cytoplasme
accueillait, quant à lui, la « machinerie cellulaire »,
sorte d’usine à fabriquer plus efficacement, grâce
aux autres compartiments, tout ce dont la cellule
avait besoin pour vivre, voire plus.

L’ensemble des cellules à noyau est appelé les


eucaryotes, du grec eu, vrai, et karyon, noyau. Par
opposition, l’ensemble des cellules sans noyau,
c’est-à-dire toutes les bactéries, est appelé les
procaryotes, car en grec pro signifie avant et
karyon signifie noyau. En effet, la vie s’est
contentée dans un premier temps d’une petite
chambre bactérienne avant de déménager dans
un F2 avec noyau !
Les acaryotes… Les
quoi ?
Les acaryotes, du préfix a- dans le sens
privatif et du grec karyon qui signifie
noyau, regroupent l’ensemble des
parasites intracellulaires obligatoires des
êtres vivants. Ces parasites ne se
multiplient qu’à l’intérieur de cellules
vivantes. Comme leur nom l’indique, ils ne
renferment pas de noyau, mais également
aucun autre compartiment, ni ribosome, et
s’ils sont entourés parfois d’une
membrane, ils l’ont volée à la cellule
parasitée. Ils sont uniquement constitués
d’un ADN ou d’un ou plusieurs ARN,
protégés par des protéines formant une
capsule protectrice.
Les acaryotes sont plus communément
appelés les virus (du latin virus, poison). Ils
attaquent aussi bien les cellules
procaryotes : on les appelle alors
bactériophages (car phagein en grec
signifie manger ; exemple : le
bactériophage T4), que les cellules
eucaryotes (exemple : le virus du sida ou
HIV et le VMT ou virus de la mosaïque du
tabac).
Deux nouvelles recrues : la
mitochondrie et le chloroplaste
Il y a 2 milliards d’années, au milieu d’un monde
bactérien en pleine effervescence, sont apparues
des cellules plus complexes. Loin d’être de
véritables innovations, elles sont le résultat d’un
bricolage hasardeux de la nature, qui a associé
des éléments déjà existants.
Avec elles, la vie va prendre un virage décisif, qui
mettra fin à l’hégémonie bactérienne.
De la bougie à la chaudière
Notre étudiant est satisfait de son changement de
domicile. Il peut désormais s’organiser de manière
plus rationnelle. Oui mais voilà, chauffer, éclairer
et entretenir un F2, au volume plus grand, est plus
coûteux en énergie.
Les besoins énergétiques de notre cellule,
désormais compartimentée, sont allés dans le
même sens. Il lui fallait donc trouver une source
d’énergie plus importante que la simple
fermentation des bactéries ancestrales (voir
chapitre 1).
L’observation des cellules eucaryotes actuelles
nous montre que cette énergie est fournie par une
multitude de petits organites particuliers : les
mitochondries. Celles-ci réalisent la respiration
cellulaire, source importante d’énergie (voir figure
E du cahier central).
De l’énergie à revendre
Comme pour les bactéries étudiées dans le
chapitre précédent, il n’est pas certain que les
premières cellules eucaryotes renfermant des
mitochondries utilisaient le glucose, mais c’est
actuellement la molécule la plus couramment
utilisée par la respiration. Comment la
mitochondrie respire-t-elle le glucose ?

Dans un premier temps (1), le glucose


donne deux molécules de pyruvates et
deux molécules riches en énergie : l’ATP et
le TH (le transporteur d’hydrogène). Ce
premier temps constitue la glycolyse, qui
comporte dix enzymes et qui se déroule en
dehors de la mitochondrie.
Dans un deuxième temps (2), le pyruvate
est dégradé au cours du cycle de Krebs,
faisant intervenir huit enzymes de la
matrice mitochondriale. Ses carbones lui
sont arrachés un à un et l’énergie libérée
permet de former à nouveau de l’ATP et des
molécules de TH. Les carbones arrachés
sont expulsés sous forme de CO2.
Dans un troisième temps (3), les TH
formés précédemment donnent leurs
électrons et leurs protons à une chaîne dite
respiratoire. Cette chaîne, insérée dans la
membrane interne de la mitochondrie,
comporte six complexes protéiques.
Dans un dernier temps (4), les électrons
cédés par les TH passent de complexe en
complexe jusqu’à un dernier destinataire :
l’oxygène gazeux. Cette transmission
d’électrons permet d’expulser des protons
(H+) dans l’espace intermembranaire de la
mitochondrie. Leur accumulation les force à
retourner vers la matrice. Pour ce retour, un
seul couloir leur est permis : celui de l’ATP
synthase insérée dans la membrane
interne. En traversant ce couloir (5), ils
activent cette enzyme qui synthétise de
l’ATP. Une fois revenus dans la matrice, ces
protons sont capturés par l’oxygène,
associés aux électrons, et forment de l’eau.
Ainsi, la respiration consomme de
l’oxygène gazeux et du glucose, et elle
rejette du dioxyde de carbone et de l’eau.
De plus, elle forme une grande quantité
d’ATP : 36 molécules d’ATP par glucose
consommé. Toute cette ATP est ensuite
fournie gracieusement à la cellule (6), sans
aucune négociation de prix, quelle
générosité !
Figure 3-3 : La
mitochondrie : la
centrale nucléaire
de la cellule.
Un chauffage central…
La synthèse de 36 molécules d’ATP par
molécule de glucose, représente 38 % de
l’énergie contenue dans le glucose. Le
reste d’énergie contenue dans le glucose
est libéré sous forme de chaleur. On peut
être surpris par ce modeste rendement,
mais la respiration dans les mitochondries
reste plus efficace que le rendement d’un
moteur à essence, qui ne dépasse pas 25
%. Chez quelques plantes et animaux, ce
rendement diminue fortement. En effet, la
production d’ATP chute, car la
mitochondrie produit uniquement de la
chaleur.
Ainsi, quelques plantes de la famille des
Aracées (plantes tropicales cultivées
comme plantes d’intérieur comme les
Anthuriums, les Spathiphyllums ou fleurs
de lune) maintiennent leurs fleurs à une
température très élevée. Cette chaleur
provoque l’évaporation de molécules
odorantes, qui attirent les insectes
pollinisateurs. Un bel exemple est donné
par l’Arum titan, fleur d’Indonésie,
gigantesque, qui du fait des odeurs qu’elle
produit, est appelée aussi la « fleur
cadavre ».
Un passager clandestin ?
Une étude approfondie des mitochondries révèle
qu’elles sont entourées de deux membranes et
qu’elles contiennent de l’ADN circulaire, comme
les bactéries. De plus, une mitochondrie a environ
les dimensions d’une bactérie (1 à 3 micromètres
– voir figure I du cahier central). De là à imaginer
qu’il s’agissait d’anciennes bactéries, il n’y avait
qu’un pas !
Les scientifiques l’ont franchi, en formulant la
théorie endosymbiotique.

Nous avons vu dans le chapitre précédent que, il y


a un peu plus de 2 milliards d’années, certaines
bactéries ancestrales avaient acquis la capacité
de respirer. La plupart des scientifiques supposent
que, il y a environ 1,8 milliard d’années, l’une
d’entre elles aurait été absorbée par une cellule à
noyau. La bactérie y aurait trouvé les éléments
indispensables à sa survie et une protection. En
échange de cet habitat douillet, la bactérie aurait
continué à produire de l’énergie sous forme d’ATP,
la molécule énergétique universelle, qu’elle aurait
fournie en échange, à la cellule à noyau.
Les deux cellules y auraient donc trouvé leur
compte. C’est pourquoi on parle de symbiose, car
c’est une association à bénéfice réciproque.
Comme dans notre cas, l’un des deux partenaires
de l’association est contenu dans l’autre
partenaire, on parle plus particulièrement
d’endosymbiose.
Les mitochondries sont entourées de deux
membranes (voir figure 3-3). La présence des
deux membranes s’expliquerait aussi par
l’endosymbiose.
La membrane externe proviendrait de la
membrane plasmique de la cellule à noyau,
récupérée au moment de la pénétration de la
bactérie dans le cytoplasme. La membrane
interne, quant à elle, proviendrait de la membrane
de la bactérie capturée.
L’ADN circulaire serait un souvenir de la période
de vie libre de la bactérie. Il est resté dans la
bactérie capturée. Et malgré l’endosymbiose cet
ADN reste encore partiellement actif et il est
indispensable au bon fonctionnement de la
mitochondrie.
Ni libre ni soumise…
La mitochondrie a son propre ADN, appelé
ADNmt, son propre système de
transcription et de traduction, qui dérivent
de la bactérie respiratoire qui a été
capturée, il y a environ 1,8 milliard
d’années, par une cellule eucaryote
fermentaire. L’ADNmt est fonctionnel, mais
la plus grande partie des protéines,
nécessaires au fonctionnement de la
mitochondrie, est en fait produite dans le
cytoplasme, à partir de l’ADN contenu
dans le noyau de la cellule eucaryote.
En effet, l’endosymbiose provoque de
nombreuses transformations, qui affectent
tant la cellule eucaryote hôte que la cellule
bactérienne capturée. Mais, la plus
importante est le transfert de gènes de la
bactérie vers la cellule hôte. On estime
que plus de 90 % du génome de la
bactérie a été transféré dans le noyau de
l’hôte (quelques gènes ont pu même être
perdus au cours du transfert). Ces
transferts de gènes ont permis à la cellule
hôte de contrôler en grande partie la
mitochondrie.
Quelques protéines restent tout de même
codées par les gènes de l’ADNmt. C’est le
cas de certaines des protéines de la chaîne
respiratoire. Ainsi, certaines maladies
génétiques graves chez l’Homme, comme
des myopathies, sont dues à des
mutations dans l’ADNmt. L’indépendance
de la mitochondrie est donc toute relative ;
c’est pourquoi on parle d’organite semi-
autonome.
L’arrivée du chloroplaste
L’énigme de l’origine des mitochondries ainsi
résolue, les scientifiques se sont très logiquement
dit que d’autres organites avaient pu suivre le
même chemin. Or, dans certaines cellules
eucaryotes actuelles, en plus des mitochondries,
on trouve des organites de couleur verte,
capables de réaliser la photosynthèse : les
chloroplastes (voir figure F du cahier central).
Une observation minutieuse montre qu’ils sont
entourés également de deux membranes et qu’ils
possèdent aussi leur propre matériel génétique
sous forme d’une molécule d’ADN circulaire. Tout
ceci a encore un air bougrement bactérien !

Figure 3-4 : Un
colocataire
généreux : le
chloroplaste.
La théorie endosymbiotique comprend donc une
étape supplémentaire ! Après avoir capturé une
bactérie réalisant la respiration, certaines cellules
à noyau, plus boulimiques que les autres,
capturèrent une bactérie réalisant la
photosynthèse.

Cette capture aurait eu lieu il y a environ 1,5


milliard d’années. Ces bactéries, appelées les
cyanobactéries, étaient très abondantes,
puisqu’elles avaient colonisé les océans primitifs
1,5 milliard d’années auparavant (voir chapitre 2).
Il s’agissait également d’une symbiose, car en
échange du gîte et du couvert, cette nouvelle
locataire apportait dans ses bagages un trésor : la
photosynthèse. C’est-à-dire la capacité d’utiliser
l’énergie du soleil pour fabriquer, à partir de
dioxyde de carbone et d’eau, des molécules
comme le glucose, tout en libérant de l’oxygène
gazeux. Glucose et oxygène : deux produits si
chers à la mitochondrie ! (Voir chapitre 2.)
Une histoire de
poupées russes ?
Le noyau, comme la mitochondrie et le
chloroplaste, est entouré de deux
membranes. Alors pourquoi ne pas
imaginer que le noyau soit né aussi d’une
endosymbiose ?
Il est communément admis que
l’apparition du noyau serait le résultat
d’une symbiose, il y a environ 2 milliards
d’années, entre une bactérie fermentaire
produisant de l’hydrogène et une bactérie
qui produisait du méthane (gaz qui
parfume délicatement la bouse de vache).
Puis des transferts entre génomes se
seraient déroulés et, seules certaines
caractéristiques de l’une et de l’autre
bactérie auraient été ensuite conservées.
Cette hypothèse, qui s’appuie sur
l’existence de telles associations
aujourd’hui dans les marais, est
actuellement très controversée. La
formation du noyau à partir d’invaginations
de la membrane plasmique est la plus
couramment admise (voir figure 3-1).
Certains scientifiques vont plus loin et
pensent que d’autres structures
rencontrées dans les cellules eucaryotes
actuelles sont d’origine endosymbiotique.
Ainsi, les cils et les flagelles proviendraient
d’une symbiose avec des bactéries
ancestrales proches des spirochètes
actuelles. De même, les lysosomes
proviendraient d’une symbiose avec
d’autres bactéries ancestrales spécialisées,
aujourd’hui disparues.
Une activité débordante
Retournons voir notre étudiant ayant emménagé
dans son beau et grand F2. Il est maintenant bien
installé dans son nouvel appartement, à l’abri des
déconvenues énergétiques. Il se rend compte
rapidement que de nouvelles perspectives
s’offrent à lui : il va pouvoir personnaliser chaque
pièce, la spécialiser sans déborder dans une autre.
Il pourra, à volonté, modifier la configuration de
son nouvel appartement et tenter des expériences
inédites, qu’il n’aurait jamais imaginées dans sa
chambre d’étudiant.
Il est possible actuellement de se faire une idée
de cette extraordinaire richesse en observant au
microscope une goutte d’eau prélevée dans un
étang. On y découvre un incroyable assortiment
de micro-organismes semblant tout droit sortis
d’un cerveau délirant !
En effet, en plus de nombreuses bactéries, on
observe de nombreux protistes. Pour cela, un
microscope optique est nécessaire, car ce sont
tous des unicellulaires, leur taille est donc très
réduite : de l’ordre du dixième de millimètre (voir
figure E du cahier central).
Certains, comme la paramécie, sont couverts de
cils, ce qui leur permet de se déplacer activement
et de capturer les autres protistes dans un
entonnoir lui aussi cilié. D’autres, comme le
ceratium, se propulsent dans l’eau grâce à un long
flagelle, réalisent la photosynthèse et sont
entourés d’une armure de cellulose. Mais cette
armure ne les empêche pas d’être mangés par la
paramécie ou par une amibe. L’amibe, bien que
dépourvue de cils et de flagelle, se déplace
activement en déformant sa membrane plasmique
qui produit de longs prolongements. Ces
prolongements sont appelés des pseudopodes, du
grec pseudo, faux, et podos, pied. Ils lui
permettent à la fois de se déplacer mais aussi de
capturer des proies.
Les protistes montrent actuellement une énorme
diversité de formes, de couleurs, de lieux de vie,
de modes de vie.

Les premiers observateurs, comme Haeckel en


1866, rangèrent tous ces micro-organismes dans
un seul groupe : ils les appelèrent les protistes,
car en grec protistos signifie le premier de tous.
En effet, ils pensaient qu’ils avaient devant eux
les premiers organismes vivants, à l’origine de
tous les autres. Depuis nous avons découvert,
qu’auparavant, les bactéries ont dominé la
planète (voir chapitre 2).
On peut grossièrement séparer les protistes en
deux catégories. Ceux qui ne contiennent que des
mitochondries et ceux qui contiennent des
mitochondries et des chloroplastes :

Les premiers sont incapables de fabriquer


les sucres dont ils se nourrissent et sont
nécessairement égoïstes et chapardeurs. Ils
sont qualifiés d’hétérotrophes (du grec
hetero, autre, et trophein, nourrir) ;
Les deuxièmes nourrissent leurs propres
mitochondries avec les sucres synthétisés
grâce à la photosynthèse des chloroplastes.
Autonomes et même altruistes, ils sont
qualifiés d’autotrophes (du grec auto, soi-
même, et trophein, nourrir).
Un noyau, ça donne la pêche !
Il ne suffit pas d’avoir de bons acteurs pour faire
un film réussi. Il faut aussi leur donner des
consignes précises, les cadrer, organiser leurs
interventions, etc. Bref, les diriger !

Dans la cellule à noyau, chaque compartiment


s’est spécialisé et a acquis une relative
autonomie. Chacun d’entre eux remplit un rôle
précis, mais devant aussi s’harmoniser avec celui
des autres, pour que la cellule puisse fonctionner
correctement. Mais qui joue le rôle du metteur en
scène cellulaire ?
Un metteur en scène bien
enveloppé
De nombreuses expériences portant sur le noyau
montrent que, non seulement, celui-ci est
indispensable à la survie d’une cellule, mais qu’il
contrôle son fonctionnement et son devenir. Voilà
donc notre metteur en scène !
Tout est bon dans le
noyau…
En 1960, le biologiste anglais John Gurdon
réalise une expérience sur des Xénopes.
Ce sont des Crapauds de forme aplatie,
originaires d’Afrique, qui vivent
essentiellement dans l’eau, ne remontant
à la surface que pour respirer. Ils ont
l’avantage d’être faciles à élever et de se
développer rapidement.
Ces animaux sont habituellement de
couleur brun-vert, mais certains individus
sont albinos, donc non colorés. Le
caractère « coloration ou non » se
transmet de génération en génération.
Seules les cellules de la peau sont
colorées, ce n’est pas le cas des autres
cellules de l’organisme. Gurdon réalise la
manipulation suivante : il prélève des
ovules non fécondés, pondus par des
femelles colorées, puis il retire leur noyau
(on parle d’énucléation). Puis, dans chaque
ovule énucléé, il introduit le noyau d’une
cellule de l’intestin, prélevée chez un
têtard albinos. Sur 54 ovules ainsi
préparés, Gurdon a obtenu 30 têtards
albinos.
Gurdon a donc montré que le noyau
contient l’information génétique et toute
l’information ! Ainsi, même le noyau d’une
cellule différenciée, c’est-à-dire une cellule
d’un organe, conserve la totalité de
l’information qui se trouvait dans la cellule-
œuf. On peut donc obtenir un être vivant
complet, et en parfaite santé, en prenant
le noyau de n’importe quelle cellule
différenciée.

Le noyau est entouré d’une enveloppe formée de


deux membranes et c’est le plus gros
compartiment de la cellule. Il communique avec
les autres compartiments de la cellule par des
trous, qui ponctuent son enveloppe et que l’on
appelle des pores nucléaires. Reste à découvrir
maintenant le scénario sur lequel il se fonde pour
diriger ses acteurs.
Un scénar sur l’ADN : l’affaire
du collier de la reine
Munissons-nous d’un très bon microscope,
pouvant grossir de 200 fois à 250 000 fois (voir
figure I du cahier central). Rapprochons-nous d’un
noyau et pénétrons dans ses profondeurs.

En grossissant 200 fois, nous voyons que le noyau


est beaucoup plus foncé que le liquide qui
l’entoure (le cytoplasme). Que contient-il de si
dense ?
Traversons maintenant son enveloppe en
grossissant 15 000 fois. Nous voyons apparaître
une substance formant des taches plus ou moins
foncées et aux contours mal définis : c’est la
chromatine. Son nom, donné par les premiers
observateurs, provient du fait qu’elle se colorait
facilement car en grec chroma signifie couleur.
Passons maintenant aux choses sérieuses et
poussons notre microscope dans ses dernières
limites. Le noyau est grossi 250 000 fois et le
spectacle est très étonnant. D’immenses colliers
de perles s’entrelacent sur notre écran. À quoi
correspondent-ils ?
La simple observation ne suffit plus et il nous faut
faire appel aux chimistes, plus précisément aux
chimistes des molécules de la vie : les
biochimistes. Ils nous apprennent que chaque
perle de ces colliers est constituée de protéines.
Ils nous apprennent aussi que le fil qui relie ces
perles est une immense molécule d’ADN (voir
figure D du cahier central).
Nous tenons le support de notre scénario : c’est
l’ADN. Mais, dans cette longue molécule enroulée
en collier, comment ce scénario est-il écrit ?

La molécule d’ADN est formée de deux chaînes de


nucléotides enroulées en hélice. Les deux chaînes
de la molécule d’ADN sont reliées entre elles par
des liaisons hydrogène, fragiles, établies entre
deux nucléotides placés face à face. Seul A peut
s’associer avec T, seul C peut s’associer avec G.
Tous ces détails ont été découverts par Jim Watson
et Francis Crick, à partir des expériences de
diffraction aux rayons X de Rosalind Franklin.
Cette technique consiste à bombarder une
molécule par un faisceau de rayons X. Quand les
rayons rencontrent un atome de la molécule
testée, leur trajet est modifié (diffracté) et le
spectre ainsi obtenu est photographié. La
photographie ressemble aux ondulations créées
par un caillou lancé dans une mare, et son
analyse (affaire de spécialistes…) renseigne sur la
forme en trois dimensions de la molécule.
J. Watson et F. Crick ont reçu, en 1962, le prix
Nobel de médecine pour ces travaux, qui ont été
qualifiés de « la plus grande réussite scientifique
de notre siècle ». Rosalind Franklin aurait
vraisemblablement été associée à ce prix si la
maladie ne l’avait prématurément emportée.
Cette structure, aussi jolie soit-elle, ne ressemble
en rien à un message. Il faut donc poursuivre
notre enquête.
Le Nobel de la double
hélice
Ce sont les biochimistes qui nous ont
révélé la nature de la molécule d’ADN. Ils
ont découvert qu’elle n’était formée que
de quatre éléments : quatre nucléotides,
qu’ils ont appelés A, T, C et G. Ils furent
intrigués par le fait qu’il y avait toujours
autant de T que de A, et autant de C que
de G. Ils en ont déduit que T était toujours
associé à un A et que C était toujours
associé à un G.
Se saisissant de ces données et des
résultats d’expériences de cristallographie,
Jim Watson et Francis Crick élaborèrent un
modèle de la molécule d’ADN qui allait leur
valoir le prix Nobel de médecine en 1962 :
la molécule d’ADN est formée de deux
brins enroulés en double hélice.
Des chiffres et des lettres
Revenons aux nucléotides A, T, C et G. L’analyse
de n’importe quelle partie de la molécule d’ADN
révèle un joyeux bazar : les nucléotides semblent
alterner de manière totalement aléatoire.
Certains scientifiques, dont Francis Crick, ont
suggéré qu’il s’agissait d’un message codé et ont
orienté leurs recherches en ce sens. Afin de
comprendre leur découverte, il nous faut partir du
résultat du décodage de l’ADN : les protéines.
Nous avons vu au chapitre 1 qu’elles sont formées
d’acides aminés et qu’il n’existe, actuellement
dans la nature, que 20 acides aminés différents. Si
la séquence d’ADN dicte d’une façon ou d’une
autre la composition de la protéine, comment,
avec quatre lettres différentes (A, T, C et G), coder
20 mots différents (les 20 acides aminés) ?
La solution qui s’impose mathématiquement est
de prendre les lettres trois par trois ; on obtient
ainsi 64 possibilités. C’est beaucoup plus qu’il
n’en faut pour 20 acides aminés. Il fallut toute
l’ingéniosité de quatre scientifiques, Francis Crick,
Sydney Brenner, Leslie Barnett et Richard Watts-
Tobin, pour démontrer, dans les années soixante,
que la logique mathématique s’appliquait à la
lecture de l’ADN.
Figure 3-5 : Un
dictionnaire permet
de traduire l’ADN
en protéine.
Les mathématiques au
secours de la
grammaire
L’alphabet de nucléotides de l’ADN
comprend quatre lettres : A, T, C et G.
L’alphabet protéique en comprend 20 : les
20 acides aminés. Il existe donc un code
de correspondance entre ces deux
langages. Pour bien comprendre ce code,
faisons un peu de mathématiques… très
peu je vous rassure !
Préparons trois urnes. Dans chaque urne,
plaçons des boules de quatre couleurs
différentes. Chaque couleur symbolise
l’une des quatre lettres : A, T, C et G.
Procédons au tirage des boules : dans
l’urne 1, on tire les boules une par une ;
dans l’urne 2, on tire les boules deux par
deux, et dans l’urne 3, on tire les boules
trois par trois. Comptons maintenant le
nombre de combinaisons différentes que
nous pouvons réaliser pour chaque urne.
Dans l’urne 1, le tirage ne nous permet
d’obtenir que 41, c’est-à-dire quatre
combinaisons ; ce qui est nettement
insuffisant. Dans l’urne 2, le tirage ne nous
permet d’obtenir que 42, c’est-à-dire 16
combinaisons ; ce qui reste insuffisant pour
coder les 20 acides aminés. Dans l’urne 3,
le tirage nous permet d’obtenir 43, c’est-à-
dire 64 combinaisons ; ce qui est plus que
nécessaire !

Ils établirent qu’un groupe de trois lettres de


l’ADN (les nucléotides) correspondait à un des 20
acides aminés. Ils nommèrent triplet ou codon cet
ensemble de trois nucléotides. Mais, me direz-
vous, à quoi servent les 44 triplets en trop ?
Eh bien, ils correspondent tous à un acide aminé
(mis à part trois d’entre eux dont nous reparlerons
ultérieurement). Donc, si un triplet correspond à
un acide aminé et un seul, un acide aminé peut
correspondre à plusieurs triplets (ou codons).
L’ensemble des correspondances entre les 64
triplets de nucléotides et les 20 acides aminés est
regroupé dans un tableau et porte le nom de code
génétique.

Figure 3-6 : Le
code génétique.
Un codon comporte trois nucléotides qui sont lus
dans l’ordre indiqué par le tableau. Par exemple,
GCA code pour l’alanine. Ainsi, dans le tableau, la
première lettre, G, se retrouve dans la colonne
Première lettre, la deuxième lettre, C, est dans la
colonne Deuxième lettre et la troisième, A, dans la
colonne Troisième lettre.
La plupart des acides aminés sont codés par deux,
trois ou quatre codons ; par exemple l’alanine est
codée par quatre codons (GCU, GCC, GCA et GCG)
qui ne diffèrent que par la troisième lettre.
Comme un acide aminé peut correspondre à
plusieurs codons, le code génétique semble donc
bégayer, on dit que le code génétique est
dégénéré ou redondant.
Ainsi, le scénario suivi par notre metteur en scène
nucléaire est écrit dans l’ADN, sous forme d’un
code à quatre lettres : le code génétique. Ce code
génétique est donc le dictionnaire permettant de
traduire le langage en quatre lettres de l’ADN en
un langage à 20 lettres des protéines. Pourquoi «
génétique » ? Nous allons le découvrir bientôt.
Un dictionnaire
universel… oui… mais
non
Le code génétique est le même chez
presque tous les êtres vivants actuels.
Ainsi les quatre codons GCU, GCC, GCA et
GCG correspondent à l’alanine chez les
bactéries, la Pâquerette, le Requin ou
l’Homme.
Au cours de ces vingt dernières années, la
détermination de la séquence des
nucléotides de l’ADN des mitochondries et
des chloroplastes a montré que leur code
génétique était légèrement différent. Par
exemple, le codon UAG, qui est en principe
un codon stop, code chez ces deux
organites pour un acide aminé : le
tryptophane. Le code génétique n’est donc
pas totalement universel et constitue peut-
être une preuve supplémentaire de
l’origine endosymbiotique des
mitochondries et des chloroplastes. Ces
petites différences seraient des traces de
leur mode de fonctionnement avant leur
capture…
Là où il y a du gène, il y a des
protéines
Nous savons maintenant que notre scénario est
écrit avec quatre lettres, que l’ordre dans lequel
ces quatre lettres sont placées détermine le sens
du message et qu’il faut prendre ces quatre
lettres, trois par trois, pour décoder ce message.
Mais il est impossible de tourner un film en une
seule prise, un scénario doit nécessairement être
découpé en scènes.

Le message porté par la molécule d’ADN est ainsi


découpé en séquences, que l’on appelle des
gènes. Pour simplifier, disons qu’un gène
renferme l’information nécessaire pour la
synthèse d’une protéine. Sachant qu’il faut trois
nucléotides (trois lettres) pour un acide aminé,
une protéine de 150 acides aminés nécessite le
décodage, sur l’ADN, d’un message de 450
nucléotides (450 lettres). En fait le gène est un
peu plus long, car il faut un codon signalant le
point de départ du gène et un codon signalant sa
fin. Ainsi, dans le cas présent, cela fait six
nucléotides de plus, soit un message de 456
lettres.
Nous voilà en possession du message et de son
principe de décodage : notre problème semble en
passe d’être résolu. Oui mais le gène est enfermé
dans le noyau, alors que son usine de décodage
est dans le cytoplasme. Alors comment transite
l’information ?
Un messager nucléaire
Imaginons qu’un acteur soit sur un plateau de
tournage et attende avec impatience son texte.
Notre metteur en scène, un peu trop « enveloppé
», ne pouvant quitter sa chambre, un coursier est
embauché. Son rôle est crucial car la copie qu’il
transmet à l’acteur doit être rigoureusement
identique au texte original, fourni par le metteur
en scène.
Dans la cellule, ce coursier s’appelle l’ARN
messager (que l’on abrège par ARNm). Il est la
copie d’un gène, à la différence près que, comme
tout ARN, le nucléotide T est remplacé par le
nucléotide U.
Sa synthèse est complexe et nécessite la
présence de nombreuses enzymes (les protéines
actives de la cellule – voir chapitre 1). Certaines
sont là pour ouvrir la molécule d’ADN, d’autres
pour la refermer, d’autres enfin pour souder les
nucléotides entre eux. Bref, toute une équipe
d’ouvriers spécialisés, qui réalisent un travail de
grande précision, appelé transcription.
Figure 3-7 : La
transcription assure
la synthèse d’un
intermédiaire :
l’ARN messager.

Dans un premier temps, l’équipe


d’ouvriers repère le début du gène à copier
et s’y fixe. Ils séparent les deux brins de la
molécule d’ADN et ils utilisent l’un de ces
brins comme modèle. Pour construire la
molécule d’ARNm, ils disposent de
nucléotides libres, c’est-à-dire des lettres A,
U, C et G en liberté dans le noyau.
L’étape suivante consiste à placer en face
des nucléotides du brin à copier, les
nucléotides complémentaires. La règle est
toujours la même : en face de A je place un
U, en face de T je place un A, en face de G
je place un C et en face de C je place un G.
Il suffit alors de souder entre elles ces
nouvelles lettres au fur et à mesure qu’elles
arrivent.
L’équipe d’ouvriers se déplace pas à pas
tout le long du gène et réalise ainsi une
copie conforme de celui-ci. Un signal à la fin
du gène oblige les ouvriers à se séparer, ce
qui libère l’ARNm.
L’ARN messager fabriqué est alors prêt
pour le grand voyage : passer du noyau au
cytoplasme. L’ARNm est donc bien le
coursier, qui emporte, vers le plateau de
tournage, la copie exacte du texte fourni
par le metteur en scène.
Décodage
L’ARN messager quitte le noyau en passant par
les pores nucléaires dont nous avons déjà parlé. Il
se retrouve ainsi dans le cytoplasme, où la
machinerie cellulaire est capable de décoder son
message et de le transformer en protéine. Ce
décodage et cette transformation sont appelés la
traduction.
L’unité de fabrication des protéines est le
ribosome. Nous l’avons déjà rencontré au chapitre
1. Chaque ribosome est composé de deux sphères
de tailles différentes (une petite et une grande
sous-unité disent les spécialistes). Il ressemble
grossièrement aux Barbapapas de notre enfance,
avec une petite tête toute ronde et un gros corps
sphérique.

L’activité du ribosome ne commence que lorsqu’il


a trouvé, sur l’ARNm, le début du gène. Ce point
de départ de la traduction est indiqué par le codon
AUG, c’est pourquoi il est appelé le codon
initiateur (voir figure 3-6). Le ribosome prend alors
l’ARNm en sandwich, entre sa petite et sa grande
sphère, afin de bien l’immobiliser. Il fait ensuite
venir dans sa petite sphère l’acide aminé, qui
correspond au codon AUG. Selon le code
génétique, ce codon correspond à la méthionine.
Le ribosome se déplace ensuite de trois
nucléotides (trois lettres) sur l’ARNm : il se place
alors sur un second codon. Il fait ensuite venir
l’acide aminé correspondant à ce deuxième
codon. Enfin, il soude la méthionine à ce
deuxième acide aminé et il poursuit sa lecture de
l’ARNm, en se déplaçant sur les trois nucléotides
suivants.
Cette opération se répète de très nombreuses fois
et, codon après codon, la chaîne d’acides aminés
soudés les uns aux autres devient une protéine.
Cette synthèse prend fin lorsque le ribosome
rencontre sur l’ARNm un des trois codons stop du
code génétique (voir figure 3-6). Ces trois codons
ne codent pour aucun acide aminé. Sans nouvel
acide aminé à souder, le ribosome se décroche de
l’ARNm et il libère la protéine qu’il a
soigneusement assemblée. C’est la fin de la
traduction.
La protéine obtenue peut servir à construire la
cellule ou à la faire fonctionner.

Figure 3-8 : De
l’ADN à la protéine.
Le clan des ARN…
L’ARN messager est le coursier de la
cellule, car il assure le transfert de
l’information entre l’ADN nucléaire et la
traduction cytoplasmique. D’autres ARN
interviennent au cours de la traduction.
Les ARNr, pour ARN ribosomaux qui,
comme leur nom l’indique, sont intégrés
dans les ribosomes. En effet, les ribosomes
sont composés d’eau, de protéines et
d’ARNr. Ces derniers sont fondamentaux
car ils permettent, notamment, de souder
les acides aminés entre eux par une liaison
covalente spécifique, appelée liaison
peptidique. C’est en effet un des ARNr qui
catalyse cette réaction. C’est avec leur
découverte que l’on a montré, pour la
première fois, que les enzymes n’étaient
pas toutes des protéines. Les ARNt, pour
ARN de transfert, sont, quant à eux,
spécialisés dans le transfert des acides
aminés. Ce sont eux qui apportent
jusqu’aux ribosomes, l’acide aminé qui est
ensuite intégré à la protéine en cours de
synthèse. Ils sont les garants de la validité
de la traduction, car, avec les ribosomes,
ils reconnaissent le bon acide aminé
correspondant au codon.
Il existe aussi d’autres ARN, comme les
ARNsn et les ARN interférents (prix Nobel
de médecine 2006) qui n’interviennent pas
directement dans la transcription et la
traduction mais qui jouent des rôles
fondamentaux dans la régulation de la
synthèse des protéines.
Un nouveau règne
Les gènes, les ARN messagers, les ribosomes, la
transcription, la traduction ; en un mot, une
grande partie de ce que nous avons vu dans ce
chapitre existe chez les bactéries (voir chapitre 2).
Mais chez elles, tout se passe dans le même
compartiment. C’est rapide, mais c’est souvent
très confus.
A contrario, à l’image d’un metteur en scène
dirigeant son plateau de tournage, le noyau de la
cellule eucaryote contrôle le fonctionnement
harmonieux des différents compartiments du
cytoplasme. Chacun peut ainsi se spécialiser,
s’adapter et améliorer le fonctionnement de la
cellule : le ribosome n’est qu’un simple traducteur
du scénario codé ; l’ARNm est le coursier. Les
protéines synthétisées sont, elles, les acteurs qui,
par leurs multiples activités et propriétés (pour un
acteur on parlerait de talents), assurent les
fonctions nécessaires à la réussite du film : dans
notre cas, la vie cellulaire.

Sur la Terre, née il y a 4,55 milliards d’années (à


0h 00), il a fallu attendre 2 h 45 (il y a environ 3,5
milliards d’années) pour qu’apparaisse la vie. Les
bactéries ont ensuite occupé seules notre planète,
de 2 h 45 à 6 h 43, c’est-à-dire pendant 1,5
milliard d’années. Mais au cours des 2 heures et
26 minutes suivantes, c’est-à-dire durant les 800
millions d’années suivantes, un nouveau règne
voit le jour : celui des cellules à noyau, les cellules
eucaryotes.
Situons ces événements sur l’horloge de la vie
(voir figure C du cahier central) :

7h00 : Dans certaines bactéries, un


compartiment emprisonnant la molécule
d’ADN, le noyau, se forme. La première
cellule eucaryote est née.
7h17 : Apparition des mitochondries par
endosymbiose entre une bactérie
respiratoire et une cellule eucaryote
ancestrale.
8h08 : Apparition des chloroplastes par
endosymbiose entre une cyanobactérie
photosynthétique et une cellule eucaryote
ancestrale respiratoire.
9h09 : Les protistes apparaissent, se
diversifient et colonisent tous les océans de
la planète.

Les cellules à noyau sont donc nées et, bien


qu’étonnamment inventives, elles restent
constituées d’une cellule unique et isolée dans
l’immensité océanique. Mais, le matériel
génétique, bien à l’abri dans son noyau, va
pouvoir se développer et ouvrir de nouvelles
perspectives à la vie. Ce n’est que le début d’un
nouveau règne : celui des eucaryotes…
Chapitre 4

D’une génération à l’autre


Dans ce chapitre :
La réplication de l’ADN
Les chromosomes et la mitose
La reproduction sexuée et la méiose
L’explosion des protistes

« Pour réussir, il n’est jamais très bon


de faire exactement comme les autres. »
Dominique Glocheux
Il y a 1,9 milliard d’années, naissaient timidement
les cellules à noyau. À cette époque, les bactéries
sont partout, dans tous les milieux. Pour se faire
une idée de leur densité, imaginons que vous
vouliez faire quelques brasses dans une piscine
totalement remplie de baigneurs. La nage y est
pratiquement impossible. Vos déplacements sont
chaotiques, vos trajectoires incertaines. Écœuré,
vous prenez la sage décision de partir. Ce n’était
pas une bonne idée de venir à cette heure-ci et
vous tenterez votre chance plus tard.
Pour nos cellules à noyau, il n’est bien entendu
pas question de revenir plus tard. Elles doivent se
faire une place dans ce monde hostile ou
disparaître. C’est la dure loi de la vie !
Un partage équitable
Lorsqu’une usine s’agrandit en créant de
nouvelles unités de production, le chef du
personnel doit recruter un nombre plus important
d’ouvriers qualifiés. Il en a été de même pour la
cellule à noyau. Le développement de ses
compartiments n’a pu se mettre en place que
grâce à de nouvelles protéines spécialisées, de
nouveaux ouvriers qualifiés.
Nous avons vu dans le chapitre précédent qu’à
chaque protéine correspond un gène (voir chapitre
3). Donc, plus une cellule présente de protéines
différentes, plus son nombre de gènes est
important. Poussons plus loin notre raisonnement
: l’ADN étant le support des gènes, plus le nombre
de gènes est important, plus la molécule d’ADN
est longue.
Une molécule
encyclopédique
Les cellules eucaryotes (les cellules à
noyau) contiennent plus d’ADN que les
cellules procaryotes, qui elles-mêmes en
contiennent beaucoup plus que les virus
(voir chapitre 3). En effet, la molécule
d’ADN humaine est 2 000 fois plus longue
que celle d’une bactérie, 500 fois plus que
celle de la levure du boulanger et neuf fois
plus que celle du riz. Pour s’en donner une
idée plus concrète, imaginons que chaque
lettre de l’ADN (A, T, C ou G), qui code
chaque gène, corresponde à une lettre
d’un mot. La molécule d’ADN d’une
bactérie s’écrit alors en une encyclopédie
de 1 000 pages, alors que celle de
l’Homme occupe toute une bibliothèque !
La molécule d’ADN humaine est cependant
cinq fois plus petite que celle du blé et on
peut s’étonner que l’Homme, qui se prend
parfois pour un prince charmant, ait un
génome dix fois moins long que celui de la
vilaine Grenouille. La complexité d’un être
vivant tient donc à la fois dans son nombre
de gènes, mais aussi dans la manière dont
ces gènes sont exprimés. De la même
manière, avec les 88 notes d’un piano, on
peut écrire Frère Jacques, comme un
concerto de Mozart…
L’apparition des cellules à noyau s’est donc
accompagnée d’un allongement progressif de la
molécule d’ADN. En s’enroulant sur elle-même de
nombreuses fois, un peu à la manière d’une pelote
de laine, cette molécule aux mensurations peu
communes a pu continuer à tenir totalement dans
le noyau. Mais que faire de cette pelote d’ADN lors
de la division cellulaire ?
Pour répondre à cette question, les scientifiques
ont commencé par l’étude d’une cellule plus
simple : la bactérie.
Des cerceaux magiques
La division de la bactérie, c’est-à-dire le passage
de une à deux cellules est simple à comprendre si
l’on ne s’intéresse qu’à sa membrane. La bactérie
s’allonge puis se scinde en deux par son centre
(voir chapitre 1). Mais que devient la molécule
d’ADN lors de cette division ?
Chez la bactérie, la molécule d’ADN est circulaire
et ressemble grossièrement à un cerceau.
Lorsqu’elle se divise, la bactérie prend des allures
de magicienne : un deuxième cerceau apparaît
lentement en se décalant du cerceau de départ.
Ainsi, lorsque la bactérie est suffisamment
allongée pour se couper en deux, il y a deux
cerceaux bien distincts à se partager.
Les analyses montrent que chaque bactérie fille
reçoit une molécule d’ADN circulaire
rigoureusement identique à la molécule de départ
présente dans la bactérie mère. Mais alors,
comment s’est formée cette deuxième molécule ?
D’où vient ce deuxième cerceau ?

Pour que la division d’une bactérie mère donne


deux bactéries filles identiques entre elles et
renfermant les mêmes caractères que la bactérie
mère, il faut que l’ADN de la bactérie mère soit
copié, puis que chaque copie se répartisse dans
chaque fille.
Figure 4-1 : La
division d’une
bactéries’accompa
gne de la
duplication de son
chromosome.

Cette copie de l’ADN s’effectue parallèlement à la


séparation progressive de la bactérie mère, et
chaque cerceau baigne dans le cytoplasme de
chaque bactérie formée. Mais comment être
certain que chaque cerceau soit la copie parfaite
du cerceau présent au départ dans la bactérie
mère ?
Trois modèles de duplication
Nous sommes en 1958. Cela fait cinq années que
Watson et Crick ont montré que la molécule d’ADN
est constituée de deux brins formant une double
hélice (voir chapitre 3). Mais la manière dont on
passe d’une molécule d’ADN à deux molécules
d’ADN identiques reste un mystère. Trois
hypothèses sont avancées pour expliquer la
duplication de l’ADN, trois modèles diraient les
scientifiques.

Selon le premier modèle, l’ADN « mère »


reste intact et donne naissance à une
molécule d’ADN « fille ». C’est le modèle
conservatif car la molécule d’ADN « mère »
est conservée intacte.
Selon le deuxième modèle, la molécule
d’ADN « mère » s’ouvre en deux et chacun
de ses brins donne naissance à une
nouvelle molécule d’ADN. C’est le modèle
semi-conservatif car chaque molécule « fille
» ne conserve que la moitié de la molécule
« mère ».
Selon le troisième modèle, la molécule «
mère » se fragmente en petits morceaux et
les deux molécules « filles » prennent
naissance à partir de ces fragments
additionnés de nouveaux morceaux. C’est
le modèle dispersif car aucun brin n’est
conservé intact.
Figure 4-2 : Les
trois modèles
possibles de la
duplication de
l’ADN.

En blanc : brin de la molécule d’ADN « mère » ; en


grisé : brin d’ADN nouvellement synthétisé.
Rappel : chaque molécule d’ADN est formée de
deux brins.
Ce sont deux scientifiques américains, Matthew
Meselson et Franklin Stahl, qui ont, en 1958, levé
le voile sur ce mystère grâce à une série
d’expériences demeurées célèbres.

Ils cultivent des bactéries pendant plusieurs


générations, de manière synchrone, dans un
milieu contenant de l’azote lourd (15N) et les
transfèrent sur un milieu contenant de l’azote
léger (14N). Des échantillons de bactéries sont
prélevés à différents moments correspondant à
une, deux, trois… divisions. Leur ADN est, chaque
fois, extrait, placé dans la solution de chlorure de
césium et centrifugé. La position de l’ADN est
repérée, dans le tube de centrifugation, par une
bande sombre. Plus la bande se rapproche du fond
du tube, plus l’ADN est lourd.
Au bout d’une génération, on obtient une seule
bande d’ADN de densité intermédiaire entre celle
de l’ADN14N et celle de l’ADN15N : la molécule
d’ADN est donc hybride. On peut donc, dès cette
première observation, rejeter le modèle
conservatif. Après deux générations, ils observent
deux bandes. Une de densité intermédiaire due
aussi à un ADN hybride et une de densité encore
plus faible : d’ADN léger. Ceci permet d’éliminer le
modèle dispersif. Ainsi, seul le modèle semi-
conservatif permet d’expliquer les résultats
observés.
L’ingéniosité de Meselson et Stahl a permis de
démontrer que la duplication de l’ADN se déroulait
selon le modèle semi-conservatif. Mais ce modèle
ne résout que partiellement notre problème car
les mécanismes précis de cette duplication restent
à découvrir.
Une réplication en fermeture
Éclair
Imaginons que la molécule d’ADN soit une
fermeture Éclair fermée. Les multiples liens créés
entre les maillons opposés permettent à ce
dispositif de maintenir fermement associés deux
morceaux de tissu. Grâce à la tirette, nous
actionnons le curseur qui fait sauter un à un les
liens qui unissaient les deux rubans de tissu. Nous
avons ainsi réduit lentement la solidité d’une
liaison forte en l’attaquant progressivement et
méthodiquement.

La molécule d’ADN tire aussi sa solidité de la


multitude de liaisons faibles qui unissent les
nucléotides de chaque brin. Séparer les deux brins
l’un de l’autre en une seule opération est
totalement impossible. C’est la raison pour
laquelle, à l’instar d’une fermeture à glissière,
l’ouverture de la molécule d’ADN s’effectue de
manière progressive et méthodique.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que la
délicate opération de transcription était réalisée
par un ensemble d’enzymes. Nous les avions alors
comparées à une équipe d’ouvriers spécialisés
(voir chapitre 3, figure 3-7).
La synthèse d’une nouvelle molécule d’ADN,
appelée réplication de l’ADN, fait également appel
à un groupement d’enzymes. Bien entendu, il ne
peut s’agir exactement des enzymes de la
transcription. Pour la réplication, le recrutement
doit faire appel à des ouvriers spécialisés dans le
déroulement de la molécule d’ADN, dans son
ouverture et dans la soudure de nouveaux
nucléotides.

Figure 4-3 : La
réplication de l’ADN
fonctionne un peu
comme une
fermeture Éclair.
Chromosomes et mitose
Chez la bactérie, on trouve deux équipes
complètes d’ouvriers spécialisés qui vont réaliser
la réplication.
La division d’une bactérie est rapide car son ADN
circulaire est simple à répliquer. Mais alors,
comment se débrouille la cellule eucaryote avec
sa pelote d’ADN de plusieurs centimètres de long
?
Les chromosomes entrent en
scène
Si nous observons au microscope une cellule
eucaryote en division, nous constatons que son
noyau subit d’importantes modifications.
L’enveloppe nucléaire qui le délimitait disparaît
lentement pendant que la chromatine, décrite
dans le chapitre précédent, se regroupe par
paquets de plus en plus denses (voir chapitre 3).
Ces derniers finissent par s’individualiser et
prennent alors une forme en croix caractéristique
: les chromosomes. Ce premier temps est appelé
prophase et une petite présentation s’impose.

Le mot chromosome – formé à partir de chromo,


la couleur, et soma, le corps – signifie
littéralement « corps coloré ». Il a été introduit en
1888 par le biologiste allemand Wilhelm von
Waldeyer-Hartz pour désigner des éléments du
noyau se colorant facilement. Un chromosome est
formé de deux bâtonnets réunis par une attache
plus ou moins centrale. Ces deux bâtonnets sont
les chromatides et leur point d’attache est le
centromère (voir figure D du cahier central).
Chaque espèce possède un nombre précis de
chromosomes dans chacune de ses cellules. Par
exemple, toutes les cellules des Souris en
possèdent 40, toutes les cellules des Vaches 60,
toutes les cellules des Hommes 46.
Mais certaines espèces présentent le même
nombre de chromosomes. C’est le cas du Cobaye
et du Cheval (64), du Tabac, du Lièvre, de la
Pomme de Terre et du Chimpanzé (48). Pour
distinguer deux espèces il faut donc examiner
chaque chromosome, noter sa taille, la position de
son centromère (central ou décalé), etc.
On appelle caryotype l’arrangement des
chromosomes d’une cellule, car karyon en grec
signifie noyau. Dans un caryotype les
chromosomes sont classés par tailles, du plus
grand au plus petit. C’est la bannière d’une
cellule, sa carte d’identité.
En rang par deux !
Chaque cellule humaine renferme 46
chromosomes. En se basant sur la taille
des chromosomes, la place du centromère
et la position des bandes sombres que l’on
peut voir sur les chromatides, on distingue
chez l’Homme 23 types de chromosomes
différents. Chaque type étant présent en
deux exemplaires, on dit que le caryotype
humain comporte 23 paires de
chromosomes homologues. On écrit
souvent 2n=46, pour indiquer qu’il existe
dans chaque cellule deux lots (n) de
chromosomes homologues.
Ce caryotype est identique quelle que soit
son appartenance ethnique ou son origine
géographique, mais il diffère tout de même
en fonction du sexe. En effet,
contrairement à la femme, chez l’homme
la 23e paire de chromosomes est formée
d’un grand et d’un petit chromosome : ce
sont les chromosomes sexuels et ils sont
désignés par XY (chez la femme : XX).
On réalise parfois un caryotype du fœtus
afin de diagnostiquer une maladie
chromosomique, c’est-à-dire une anomalie
du nombre ou d’allure d’un chromosome.
Pour cela, des cellules fœtales sont
prélevées, le plus souvent, par ponction du
liquide amniotique (amniocentèse entre 16
et 17 semaines de grossesse). Une des
anomalies ainsi détectable est la trisomie
21, c’est-à-dire que le caryotype montre
non pas deux chromosomes 21
homologues, mais trois.
La mitose : un menuet pour
chromatides
Pour se repérer dans une cellule, les scientifiques
la comparent à un globe terrestre et distinguent
ainsi chez elle un équateur et deux pôles.

Dans un deuxième temps, les chromosomes se


déplacent en direction de l’équateur de la cellule
et s’y alignent horizontalement. Ils forment alors
une bande sombre dénommée plaque équatoriale.
À cet instant, les deux chromatides, encore liées
l’une à l’autre par le centromère, sont situées de
part et d’autre de cet équateur imaginaire, c’est la
métaphase.
Mais cet alignement est de courte durée car très
rapidement les centromères se fissurent et
chaque chromatide d’un même chromosome
migre vers le pôle opposé de la cellule. Il se forme
ainsi deux lots égaux de chromatides. Ce ne sont
plus des croix mais des bâtons en « V » qui sont
observables. C’est l’anaphase.
Ayant atteint les pôles de la cellule, les
chromatides se décondensent et se transforment
à nouveau en chromatine. Les bâtons
disparaissent sous forme de fins filaments
enchevêtrés. Pendant ce temps, une nouvelle
enveloppe nucléaire s’est reformée autour de
chaque lot ; c’est la télophase. La division des
chromosomes est terminée.
Figure 4-4 : La
mitose.
Micro mais costauds…
Les déplacements des chromosomes
durant la mitose sont permis grâce à des
tubes, très fins (leur diamètre est à peine
dix fois plus gros que celui de l’ADN) et
très longs : les microtubules. En début de
mitose, ils sont très courts et prennent une
forme en étoile, d’où leur nom d’aster
(figure 4-4). Rapidement, ils s’allongent et
les deux asters s’éloignent vers chaque
pôle de la cellule mère. Les microtubules
forment alors un réseau en forme de
tonneau : le fuseau de division.
Dans ce fuseau, certains microtubules
permettent l’allongement de la cellule
mère (durant l’anaphase) puis à celle-ci de
se couper en deux (durant la télophase).
Les autres sont attachés par une de leurs
extrémités au chromosome au niveau du
centromère. Ainsi, en métaphase, chaque
chromosome est attaché à deux
microtubules ; ils le tirent ou le poussent,
jusqu’à ce que le chromosome soit
parfaitement aligné avec les autres.
Après fissure du centromère, chaque
chromatide se retrouve alors attachée à un
seul microtubule. Or celui-ci se raccourcit
rapidement, au niveau de son point
d’attache. Ainsi, chaque chromatide issue
du même chromosome migre en sens
opposé vers un pôle de la cellule, point
d’attache en tête et bras traînant en
arrière (d’où leur forme en « V »). Le
déplacement des chromatides est
synchrone et la vitesse ne dépend pas de
la taille des chromatides : 1
micromètre/min-1 environ. Ça décoiffe !

Au cours de cette chorégraphie chromosomique,


la cellule mère s’est allongée et pendant que les
noyaux se reforment, elle se coupe en deux,
donnant naissance à deux cellules filles. Chacune
d’elles possède son propre noyau et dans ce
noyau, une moitié de chaque chromosome de la
cellule de départ. C’est là tout le secret de cette
division appelée mitose.
Fifty-fifty
Les premiers observateurs de la mitose n’ont pu
saisir l’importance de cette division que lorsque
les gènes ont été découverts. Il est donc
important de refaire une mise au point sur ce que
nous savons d’eux.

Un gène est une séquence d’ADN codant pour une


protéine précise (voir chapitre 3). Or, le
chromosome est constitué en partie d’ADN. Le
chromosome comporte donc des gènes. Pour être
plus précis, les études montrent qu’une
chromatide d’un chromosome comprend une très
longue molécule d’ADN représentant des milliers
de gènes.
Au début de la mitose, les chromosomes sont à
deux chromatides rigoureusement identiques.
Chacune d’elles comporte donc les mêmes gènes.
En fin de mitose, les deux chromatides de chaque
chromosome se sont séparées l’une de l’autre et
ont rejoint une cellule fille différente.
Chacune de ces cellules filles possède ainsi des
chromatides identiques, donc des gènes
identiques. On dit qu’elles sont génétiquement
semblables. C’est la raison pour laquelle la mitose
est qualifiée de reproduction conforme.
Ail ! Ail ! Ail !
L’observation de chromosomes demande
un peu d’efforts et de matériel. Pour le
matériel biologique : c’est assez simple.
Placez un bulbe d’ail dans un petit verre
d’eau, de manière à ce que seule sa base
baigne dans le liquide. Pour cela vous
pouvez traverser de part en part le bulbe
avec un cure-dent, et poser le cure-dent
sur les bords du verre. Le bulbe développe
des racines en quelques jours. Coupez la
pointe d’une jeune racine, à environ 5
millimètres de l’extrémité et déposez-la
dans un récipient. Vous voyez nettement,
juste sous la pointe, une petite tache
sombre ; c’est cette tache qui nous
intéresse, car c’est là que les nombreuses
cellules en mitose permettent la croissance
rapide de la racine.
Il faut maintenant préparer le produit qui
va colorer les chromosomes : le carmin
acétique. Pour cela, dans un mélange 50 %
d’eau distillée et 50 % d’acide acétique
(que vous pouvez remplacer par du
vinaigre blanc), versez une pincée de
carmin d’alun en poudre. Portez à
ébullition pendant cinq minutes, puis filtrez
à l’aide d’un filtre à café. Ajoutez le liquide
rose-rouge obtenu dans le récipient et
laissez agir pendant quatre heures. Vous
pouvez gagner du temps en chauffant le
tout, au bain-marie, pendant 20 minutes.
À l’aide d’une pince, récupérez la pointe de
racine et placez-la sur une lame. Ajoutez
aussitôt une goutte de carmin acétique
froid. Laissez agir de nouveau cinq
minutes. Recouvrez ensuite d’une lamelle
et appuyez doucement sur la lamelle
(attention, fragile !) pour aplatir
l’échantillon. Observez alors la préparation
obtenue au microscope.
Vous avez le bonheur d’observer des
chromosomes ! Qui plus est, en mitose !
Vous pouvez même, avec un peu de
chance, y retrouver toutes les étapes
données par la figure 4-6. Vos efforts sont
récompensés !

Lorsqu’une cellule vient de se diviser, elle contient


des chromosomes à une chromatide. Or, lorsque
cette même cellule débute la mitose suivante, elle
présente des chromosomes à deux chromatides.
D’où vient cette nouvelle chromatide ?
La cellule a des yeux
Lorsqu’une cellule eucaryote n’est pas en train de
se diviser, elle est dite en interphase. Son
observation à l’aide d’un microscope grossissant
400 fois environ montre une cellule à l’apparence
calme. Serait-elle au repos ?
Bien au contraire, c’est une cellule très active. Elle
réalise quantité de synthèses nécessaires à son
fonctionnement et de nombreux messagers
transitent entre son noyau et son cytoplasme. Si
l’on veut découvrir l’origine d’une nouvelle
chromatide, c’est sur le noyau qu’il faut focaliser
notre observation.

Munissons-nous d’un microscope grossissant plus


de 100 000 fois et observons un filament de
chromatine pendant toute la durée de
l’interphase. Durant les premières heures, celle-ci
est calme et aucun changement n’est décelable.
Puis d’étranges phénomènes font leur apparition.
La chromatine semble se dédoubler par endroits
en formant des structures ressemblant à des
yeux. D’abord étroits, ces « yeux » s’étirent
symétriquement par leurs deux bords et finissent
par se rejoindre, donnant naissance à deux
filaments de chromatine. Pour finir, tout redevient
calme jusqu’à la prochaine mitose.
Les scientifiques ont analysé les phénomènes qui
donnaient naissance aux « yeux » observés. Ils
ont découvert qu’il s’agissait d’une zone de
réplication de la molécule d’ADN, qui fonctionnait
de la même manière que celle des bactéries, à
quelques légères exceptions près (quelques
ouvriers spécialisés diffèrent). Pourquoi des «
yeux de réplication » chez la cellule eucaryote et
pas chez la bactérie ?
L’explication est relativement simple : chez la
bactérie, l’ADN est court et l’équipe d’ouvriers,
très active, peut répliquer plus de 1 000 paires de
nucléotides à la seconde. Un seul point de départ
de réplication suffit pour qu’en quelques dizaines
de minutes tout soit dupliqué.
Chez une cellule eucaryote, en revanche, l’ADN
est beaucoup plus long et morcelé en plusieurs
chromosomes. La vitesse de réplication a été
évaluée à une centaine de paires de nucléotides
par seconde. Il faudrait donc plusieurs jours pour
tout dupliquer à partir d’un seul point de départ
de réplication. Une telle cellule ne se multiplierait
pas assez rapidement pour survivre dans un
milieu hostile.
Les scientifiques ont ainsi découvert que, malgré
plus de 10 000 points de départ sur l’ADN humain,
sa réplication nécessitait tout de même huit
heures de travail !
Ça tourne rond pour la cellule !

L’interphase est la période entre deux mitoses et


elle est découpée en trois parties : deux parties
calmes et une partie active. Les scientifiques ont
donné aux deux parties calmes l’initiale G, en
référence au mot Gap, qui en anglais signifie
intervalle. La phase active a été nommée S, en
référence au mot Synthèse, car c’est la phase de
réplication, donc de synthèse d’ADN.
L’interphase se déroule donc selon l’ordre suivant
: G1 →S→G2. Si l’on intègre la mitose (notée M)
dans cet enchaînement, on obtient donc : G1 → S
→ G2 →M→G1 →S→G2 →M→G1 →S→G2 → M → etc.
Cette succession caractérise le cycle cellulaire
d’une cellule eucaryote.

Figure 4-5 : Le
cycle cellulaire ou
comment tourner
rond pour une
cellule.
La durée du cycle cellulaire varie d’une espèce à
l’autre et d’un type cellulaire à l’autre. Des
cellules humaines en culture se divisent environ
toutes les 24 heures tandis qu’une levure mettra
seulement 90 minutes à faire le tour de son cycle.
Mutations, sexe et diversité
La cellule eucaryote se divise donc par mitose.
C’est un peu lent mais d’une grande fiabilité. À
partir d’une cellule souche, on obtient après
quelques générations, quelques cycles cellulaires,
un très grand nombre de cellules rigoureusement
identiques. Ce groupe de cellules est qualifié de
clone car elles partagent toutes les mêmes gènes,
le même patrimoine génétique.
L’étude des traces laissées par les protistes (voir
chapitre 3) montre, qu’il y a environ 1,2 milliard
d’années, de très nombreuses espèces
cohabitaient déjà. Comment cette diversité a-t-
elle pu apparaître chez des cellules pratiquant la
mitose ?
Mutation, sélection et
adaptation : trois mots
clés…
Malgré l’existence de mécanismes de
contrôle, la réplication commet des
erreurs, qui ne sont pas corrigées. Ces
erreurs sont des modifications d’un seul ou
de quelques nucléotides : on parle de
mutations ponctuelles. Les mutations
ponctuelles sont aussi provoquées par des
agents mutagènes.
Ces agents mutagènes sont naturels ou
artificiels, et ce sont, soit des facteurs
physiques (variations de température,
rayons d’origine cosmique ou géologique
comme les UV, les rayons X, α, β, γ), soit
des facteurs chimiques (acide nitreux).
Ainsi, les UV déforment la double hélice
d’ADN ; les rayons Xy provoquent des
cassures. Les variations de température
favorisent le départ de A ou G.
Ces agents mutagènes étaient encore plus
actifs il y a environ 1 milliard d’années. En
effet, la couche d’ozone, qui nous protège
actuellement de la majeure partie des UV
solaires, n’existait pas encore. L’activité
volcanique était intense et libérait, dans
les océans, des acides ; elle pouvait aussi
réchauffer rapidement l’eau d’un lac ou
d’une rivière. Les roches radioactives,
sources de rayons α, β ou γ, étaient plus
abondantes. L’environnement dans lequel
vivaient les protistes était donc propice à
l’accumulation de mutations.
Cette accumulation a été mortelle pour un
grand nombre de protistes, il y a eu
sélection. Mais en changeant le message
de l’ADN, elle a pu parfois provoquer la
synthèse de nouvelles protéines,
permettant alors, à certains protistes, de
coloniser un nouveau milieu de vie. Ces
protistes mutants ont pu y prospérer sans
concurrence, il y a eu adaptation. Trois
mots clés semblent donc expliquer
l’explosion des protistes : mutation,
sélection et adaptation !
Un air mutin
Nous savons qu’un gène comporte l’information
nécessaire à la synthèse d’une protéine et que
cette information repose sur une séquence précise
d’ADN (voir chapitre 3). Si la séquence d’ADN est
modifiée, alors l’information est également
modifiée. Imaginons une œuvre musicale devant
être recopiée. Le changement d’une seule note,
lors d’une copie, donne naissance à une nouvelle
partition !
Ces modifications de l’ADN portent le nom de
mutations (du latin mutare, changer). Elles se
produisent souvent lors de la réplication, par
exemple lorsqu’un ouvrier se trompe de
nucléotide dans la construction du nouveau brin. Il
apparaît ainsi une nouvelle copie du gène, très
proche de l’original. Les scientifiques ont nommé
allèles les différentes copies d’un gène, du grec
allêlôn : l’un l’autre.
De la même manière qu’une nouvelle partition
peut donner naissance à une nouvelle mélodie, un
nouvel allèle peut donner naissance à une
nouvelle protéine. Cette nouvelle mélodie peut
être une catastrophe auditive ou bien un air
flatteur pour les tympans. Il en est de même pour
la nouvelle protéine : elle peut être néfaste pour la
cellule ou lui apporter de nouvelles qualités. Les
mutations sont susceptibles de modifier les
cellules qui les portent ; elles sont donc une
source de diversité. Est-ce la seule ?
Une mère, un père, des paires
L’étude des protistes actuels montre des
différences importantes dans leurs assortiments
de chromosomes. Certains possèdent des
chromosomes en un seul exemplaire alors que
d’autres les présentent en deux exemplaires.
Ainsi, dans ce dernier cas, chaque chromosome
possède un double, un jumeau, dans la même
cellule. On qualifie de diploïdes les êtres
possédant deux jeux de chromosomes, et
d’haploïdes ceux ne possédant qu’un jeu de
chromosomes.
Pour certains scientifiques, les paires de
chromosomes rencontrées chez certains protistes
seraient le résultat de la première fécondation,
c’est-à-dire de la première rencontre entre deux
cellules de sexes opposés : une cellule donneuse,
qualifiée de mâle, et une cellule receveuse,
qualifiée de femelle. Voilà l’origine hypothétique, il
y a environ 1 milliard d’années, de la sexualité !
Par la suite, cette sexualité s’est
considérablement améliorée. Certains protistes
ont fabriqué des cellules spécialisées dans le
transport des chromosomes : les cellules sexuelles
ou gamètes. Le gamète mâle, en provenance du
protiste mâle, achemine des chromosomes
jusqu’au gamète femelle, produit par le protiste
femelle. L’union de ces gamètes, ou fécondation,
donne naissance à une cellule qualifiée d’œuf (ou
de cellule-œuf).
On découvre dans cette cellule-œuf des paires de
chromosomes, ce qui signifie que les gamètes ne
contenaient qu’un chromosome de chaque paire.
L’apparition de la sexualité s’est donc
accompagnée d’un processus permettant de
diviser par deux le nombre de chromosomes lors
de la fabrication des gamètes, c’est la méiose.
La méiose : du menuet au
slow langoureux

Prenons un protiste ayant fait le choix de la


reproduction sexuée, et observons-le à l’aide d’un
microscope grossissant quelques centaines de
fois. Lorsque celui-ci décide de fabriquer des
gamètes, ses chromosomes réalisent une
chorégraphie en deux parties, différente de la
mitose, et que les scientifiques ont nommée
méiose.
« Slow chromosomique », la méiose se divise en
deux parties :

Une première division composée des


stades prophase 1, métaphase 1, anaphase
1 et télophase 1. Elle est appelée division
réductionnelle, car elle réduit le nombre de
chromosomes ;
Une seconde division composée des
stades prophase 2, métaphase 2, anaphase
2 et télophase 2. Plus classique, elle
rappelle la mitose et est appelée division
équationnelle.
Première division de la méiose
Dans un premier temps, les chromosomes
identiques se cherchent et se collent l’un à l’autre
sur toute leur longueur. Cette étreinte torride est
si parfaite que nous ne voyons plus que la moitié
du nombre de chromosomes de départ.
Puis c’est la séparation : ils se quittent en glissant
lentement leurs chromatides l’une contre l’autre.
Celle-ci semble d’autant plus cruelle que parfois
leurs chromatides restent entrecroisées jusqu’aux
derniers instants de leur séparation. Ce premier
temps de la division est appelé prophase, même
s’il diffère de celui observé lors de la mitose. On
lui attribue le chiffre 1 pour signaler qu’il y aura
une deuxième prophase un peu plus tard.
Par la suite, semblant résignés, les chromosomes
de chaque paire se placent de part et d’autre de
l’équateur fictif, déjà rencontré au cours de la
mitose. Ils dessinent alors un trait épais, une
plaque équatoriale. C’est la métaphase 1.
Vient ensuite l’anaphase 1, l’ascension vers les
pôles. Notre microscope nous révèle que ce sont
des chromosomes entiers qui se déplacent et non
des chromatides isolées comme lors de la mitose.
Une fois arrivés à destination, les chromosomes
restent apparents et il ne se forme pas
d’enveloppe nucléaire autour d’eux.
La télophase 1 est donc simplement marquée par
la séparation du cytoplasme de la cellule mère en
deux parties. C’est donc une cloison étanche qui
met fin à l’histoire de nos amants désunis.
Seconde division de la méiose
La première partie de la méiose a vu la séparation
des paires de chromosomes. Les deux cellules
filles ne comportent ainsi que la moitié du nombre
de chromosomes de départ. À partir d’une cellule
mère diploïde, nous obtenons deux cellules filles
haploïdes. C’est la raison pour laquelle la première
partie de la méiose est appelée division
réductionnelle.
La deuxième partie de la méiose est plus
classique et reprend les phases de la mitose.

Figure 4-6 : La
méiose pour une
cellule à quatre
chromosomes à
deux chromatides
chacun.
Les débuts de la reproduction
sexuée
Les premiers gamètes produits par les protistes ne
devaient pas montrer de dimorphisme sexuel
important : les gamètes mâles et femelles
devaient être assez semblables et se déplacer
tous les deux l’un vers l’autre. Au cours du temps,
une séparation de taille et de mobilité s’est petit à
petit imposée. Les gamètes femelles sont devenus
de plus en plus gros et ont perdu leur mobilité. Les
gamètes mâles, quant à eux, ont vu leur taille se
réduire et ont développé des outils pour se
déplacer rapidement, comme les cils et les
flagelles.
Le sexe : pour quoi
faire ?
Les protistes vivaient dans un
environnement très mutagène. Or, on sait
que durant la prophase 1 de la méiose,
l’étreinte entre chromatides est si torride
que les chromosomes d’une même paire
se chevauchent et échangent des
fragments : on parle de crossing-over ou
enjambements. Il y a donc modification de
l’association d’allèles portée par chacun
des chromosomes. Ainsi, les deux
chromosomes de chaque paire après la
méiose sont différents des deux
chromosomes de départ, on dit qu’ils sont
recombinés.
Cette recombinaison au cours de la méiose
permettrait, parfois, de réparer une portion
d’ADN abîmée. En effet, si deux
chromosomes sont mutés pour des gènes
différents, le processus de recombinaison
permet de restaurer le chromosome
ancestral, non muté, tout en produisant un
chromosome doublement muté, qui pourra
être éliminé. La recombinaison méiotique
constituerait donc un mécanisme de
réparation de l’ADN, car elle éliminerait
certaines mutations trop néfastes, qui
s’accumuleraient au cours des générations
successives, si la mitose était la seule voie.
La méiose et par conséquent la
reproduction sexuée seraient donc le
produit d’un processus de réparation de la
molécule d’ADN.
Elle ne brasse pas que de l’air
!

La méiose est ainsi le complément indispensable


de la fécondation : la méiose sépare les paires de
chromosomes et la fécondation les rassemble à
nouveau.
Cette alternance permet de maintenir constant le
nombre de chromosomes de l’espèce, de
génération en génération. Mais la mitose le fait
très bien également. Alors quel est l’intérêt de
l’existence de la méiose, si coûteuse en temps et
en énergie ?
Pour répondre à cette question, revenons aux
gènes. Nous savons qu’ils sont portés par les
chromosomes et qu’ils peuvent prendre
différentes formes appelées allèles. L’étude
attentive de deux chromosomes d’une même
paire montre que ceux-ci ne portent jamais
exactement les mêmes allèles. Ce qui signifie que,
bien qu’ayant la même forme, ils sont
génétiquement différents.

Considérons deux paires de chromosomes au


cours de la méiose : une paire de chromosomes
que nous appellerons A1 et A2, génétiquement
différents ; et une paire de chromosomes B1 et B2
génétiquement différents également. À la
métaphase 1, lorsque les chromosomes d’une
même paire se placent de part et d’autre de
l’équateur de la cellule, nous pourrions avoir d’un
côté A1 et B1, et de l’autre côté, A2 et B2. Mais
nous pourrions avoir également A1 et B2 d’un
côté, et A2 et B1 de l’autre. Nous voyons bien qu’il
y a deux possibilités de mélange des
chromosomes, c’est-à-dire que l’on peut obtenir
quatre gamètes génétiquement différents. On
appelle brassage chromosomique cette capacité
qu’a la méiose de mélanger les paires de
chromosomes.

Figure 4-7 : À
chacun son lot.
Des maths à
l’équateur…
Considérons trois paires de chromosomes
subissant la méiose : A1/A2, B1/B2 et
C1/C2. À la métaphase 1, les
combinaisons, de part et d’autre du plan
équatorial sont : A1-B1-C1, A1-B1-C2, A1-
B2-C1, A1-B2-C2, A2-B1-C1, A2-B1-C2, A2-
B2-C1, A2-B2-C2. Soit huit gamètes
différents.
Ainsi, le nombre de combinaisons
augmente très fortement avec le nombre
de paires de chromosomes. Poussons un
peu plus loin notre raisonnement, en
faisant appel à des mathématiques
simples : avec deux paires de
chromosomes nous avons obtenu quatre
possibilités, soit 22 ; avec trois paires de
chromosomes nous avons obtenu huit
possibilités, soit 23 ; donc avec n paires de
chromosomes nous devrions obtenir 2n
possibilités. Pour l’espèce humaine, avec
ses 23 paires de chromosomes, nous
avons donc 223, soit 8 388 608
possibilités. Cela fait beaucoup de
gamètes possibles !
De plus, pour former la cellule-œuf, la
rencontre des gamètes obéit aux lois du
hasard. Ce qui signifie qu’aucun gamète
n’est programmé à l’avance pour
rencontrer un autre gamète précis. Les
statisticiens nous apprennent que dans ce
cas, on multiplie le nombre de possibilités.
Dans le cas de l’Homme, l’un des 223
gamètes mâles possibles rencontre au
hasard l’un des 223 gamètes femelles
possibles, soit 223 x 223 donc (un peu de
maths encore !) 223 + 23 = 246 = 70 368
744 177 664 cellules-œufs possibles (plus
de 70 000 milliards). On atteint des chiffres
qui dépassent largement le nombre d’êtres
humains ayant existé sur Terre !

Ce sont donc deux gamètes génétiquement


différents qui se rencontrent et qui mettent en
commun leurs chromosomes. Ils donnent ainsi
naissance à un individu qui ne ressemble ni au
père ni à la mère. C’est un curieux mélange des
deux. La méiose et la fécondation créent donc de
la diversité.
Dans un monde en perpétuel changement, la
diversité des individus est un avantage pour une
espèce. Lorsque tous les individus d’une espèce
sont identiques, la moindre modification dans leur
milieu de vie peut entraîner leur disparition pure
et simple. A contrario, dans une espèce
génétiquement variée, il se trouvera toujours
quelques individus qui s’adapteront à ces
nouvelles conditions. L’espèce sera sauvée !
L’explosion des protistes

Sur la Terre, née il y a 4,55 milliards d’années (à


0h 00), il a fallu attendre 2h45 (il y a environ 3,5
milliards d’années) pour qu’apparaisse la vie.
Après avoir occupé seules notre planète, les
bactéries ont été rejointes, vers 7 h 00, par les
cellules à noyau, les cellules eucaryotes. Durant
les 2 heures et 26 minutes suivantes, les cellules
eucaryotes se diversifient et inventent notamment
les mitochondries et les chloroplastes. Un
nouveau règne débute alors, celui des protistes,
qui dans un environnement hostile et changeant,
vont faire preuve à leur tour d’une imagination
prolifique.
Repérons-nous sur l’horloge de la vie (voir figure C
du cahier central) :

De 9h09 à 9h45 : La colonisation de


tous les océans de la planète par les
protistes s’amplifie. Ils prolifèrent en
inventant une nouvelle forme de
multiplication : la reproduction conforme ou
mitose.
9h45 : Apparition chez certains protistes,
de la méiose, des gamètes mâles et
femelles donc d’une nouvelle forme de
reproduction, source de diversité : la
reproduction sexuée.
En inventant la mitose puis la reproduction
sexuée, les protistes se sont rapidement imposés
à la surface de notre planète et ont mis fin à l’ère
des bactéries. Même si les protistes ont laissé très
peu de traces fossiles, on estime que certains
d’entre eux sont à l’origine des animaux, des
plantes, mais aussi des champignons que nous
connaissons aujourd’hui. Mais la volonté de vivre
ensemble allait encore modifier ce nouvel ordre
mondial.
Deuxième partie

La vie s’organise

Dans cette partie…

Pour les bactéries et les premières cellules à noyau, la vie


fut un long fleuve tranquille durant près de 2 milliards
d’années. Puis, une accélération fulgurante de l’histoire de
la vie viendra bousculer l’ordre établi. Lorsque le climat perd
la boule, c’est la vie qui trinque, et sa disparition pure et
simple n’est jamais bien loin…

Pour ceux qui resteront, la vie ne sera pas toute rose, car
rien n’est définitivement acquis sur notre planète. Ces
turbulences vont pousser certains organismes à développer
des systèmes de protection, d’autres des armes pour se
défendre ou attaquer. Nous verrons ainsi la vie s’organiser,
avec ses proies et ses prédateurs, dont le perpétuel combat
oblige à rivaliser d’ingéniosité.

Notre voyage se poursuit depuis les collines douces et


chaudes d’Australie jusqu’aux steppes froides de Sibérie.
Suivez le guide !
Chapitre 5

Unis pour la vie : les


organismes
pluricellulaires
Dans ce chapitre :
Les algues forment des colonies
La faune d’Ediacara : des éponges et des
Cnidaires
Sexe et nourriture chez les pluricellulaires

« Le fardeau supporté en groupe est une plume. »


Proverbe maure

Née dans le chaos, il y a environ 4,5 milliards


d’années, notre planète s’est progressivement
assagie, permettant à la vie de se développer à sa
surface. Mais il serait vain de croire que cet
apaisement l’a transformée en un cocon douillet.
L’histoire de la vie n’est pas un long fleuve
tranquille ; elle est marquée par des catastrophes
répétées auxquelles les êtres vivants ont dû faire
face. Mais c’est dans l’adversité que se révèlent
les vrais amis !
En effet, pour faire face aux caprices climatiques,
les cellules vont réagir en se regroupant, en
montant des entreprises où chacune apportera
son savoir-faire. Ce ne seront d’abord que des PME
obéissant à des organigrammes de tâches peu
élaborées. Premières à s’installer, elles testeront
toutes les alternatives, exploreront tous les
possibles. C’est ainsi que de multiples êtres
étranges vont naître et envahir les océans de la
planète.
Mais la bulle Internet nous a démontré que la
multiplicité de petites entreprises concurrentes
n’était pas viable. Seules les plus performantes
s’en sortent, souvent en écrasant les autres. C’est
la loi de la concurrence. Pour nos premiers êtres
organisés, pas de lois économiques, mais la
sélection naturelle, impitoyable, véritable rouleau
compresseur de l’inadapté. Ainsi nous verrons que
de nombreux essais ont totalement disparu sans
aucune descendance, et que nous devons une
fière chandelle à certains concours de
circonstances d’avoir su préserver leurs traces
jusqu’à nous.
Chez les algues, l’union fait la force

Il y a 1,1 milliard d’années environ, la plupart des


terres émergées étaient regroupées en une seule
masse continentale. Les scientifiques l’ont
nommée Rodinia, ce qui en russe signifie « terre
mère ». Vers – 750 millions d’années, ce
supercontinent se fragmente en huit morceaux qui
partent à la dérive (ils se ressouderont 470
millions d’années plus tard en donnant la Pangée).
Cette histoire géologique pourrait sembler
anecdotique pour la vie si elle n’était pas à
l’origine d’une des premières crises majeures de
son histoire. Le scénario imaginé par les
scientifiques est digne d’un film catastrophe de
série B.

La fragmentation du supercontinent Rodinia aurait


donné naissance à de nombreux bras de mer. Or,
plus les côtes sont nombreuses, plus la vapeur
d’eau dégagée est importante et plus les pluies
s’abattant sur les continents le sont aussi. Ces
pluies auraient entraîné avec elles de grandes
quantités de dioxyde de carbone présent dans
l’atmosphère, ce qui aurait fait baisser
considérablement l’effet de serre. La Terre se
serait alors refroidie à un point tel que presque
toute sa surface se serait retrouvée couverte de
glace.
C’est la théorie de la snowball Earth, autrement
dit de « la Terre boule de neige ». La planète bleue
serait alors devenue la planète blanche. Comment
les protistes ont-ils pu résister à de telles
conditions ?
Vivre à la colle
De nombreux chercheurs estiment que c’est en se
regroupant que les organismes unicellulaires ont
pu résister à des conditions difficiles. Mais passer
d’une cellule à un groupe de cellules organisées
n’est pas une mince affaire.
Imaginons l’exemple de plusieurs boulangers
assurant seuls l’ensemble des tâches nécessaires
au bon fonctionnement de leur boulangerie. Ils
décident un jour de se regrouper, pour créer
ensemble une grande boulangerie. Pour que celle-
ci tourne bien, chacun d’entre eux ne fera plus
qu’une partie du travail. Il se spécialisera dans les
viennoiseries, dans le pétrissage, dans les pains
spéciaux, etc. À chacun sa fonction.
Ce partage des tâches s’est certainement produit
quand certains êtres unicellulaires ont commencé
à vivre en communauté. Mais les scientifiques ne
peuvent se contenter d’imaginer ; il leur faut des
preuves ou à défaut des modèles. C’est dans le
monde des algues vertes que ceux-ci pensent
avoir trouvé la solution.
Ils ont observé que certaines algues vertes
unicellulaires vivent en colonies d’importance très
variable. Certaines ne sont constituées que de
quelques individus tous identiques. D’autres sont
plus élaborées et montrent une certaine
coordination entre les individus qui les composent.

En effet, chez certaines algues vertes


unicellulaires, les cellules filles formées par la
division d’une cellule mère ne se séparent pas et
restent associées de manière permanente,
formant une colonie.
Les Scenedesmus (voir figure 5-1 A) sont des
colonies très simples, formées de quatre cellules
associées entre elles par un ciment, appelé
mucilage, collant deux parois voisines. Toutes les
cellules de la colonie sont identiques, même si
parfois, les deux cellules latérales portent deux
longues pointes. Après deux divisions de chaque
cellule, la nouvelle colonie formée est libérée par
destruction partielle du mucilage. Les colonies de
Pandorina (5-1 B) renferment également un petit
nombre d’algues (4, 8, 16 ou 32), agglutinées en
une petite sphère dans un mucilage.
Contrairement aux Scenedesmus, les algues
périphériques sont flagellées ce qui permet à la
colonie de se déplacer activement.

Figure 5-1 : A.
Scenedesmus
forme une colonie
simple ; B.
Pandorina forme
une colonie plus
grosse et mobile.
Ces deux colonies, que nous pouvons croiser
aujourd’hui dans les eaux douces, nous donnent
une bonne idée de ce qui s’est produit il y a
environ 700 millions d’années.
Il est ainsi possible, qu’au départ, quelques
individus issus de la division d’une même cellule
mère soient restés groupés, au lieu de se
disperser comme de coutume (voir chapitre 4).
Cette association a très bien pu être la
conséquence d’un engluement dans un mucilage,
une sorte de gelée fabriquée par les cellules
végétales elles-mêmes.
Voilà nos cellules regroupées ; il faut désormais
qu’elles apprennent à vivre ensemble.
Volvox populi, Volvox dei
L’étape suivante serait illustrée par des algues
appelées Volvox. De forme globulaire, elles sont
constituées de l’association de 10 000 à 20 000
cellules. Parmi ces cellules, une minorité s’est
spécialisée dans la reproduction : elles peuvent se
diviser et former d’autres colonies (voir encadré
ci-dessous). Les autres assurent deux fonctions
vitales pour le groupe : sécrétion de substances
protectrices et motricité.
Nous sommes donc face à une première division
du travail. Mais pour que celle-ci perdure, elle doit
nécessairement être plus avantageuse que la vie
en solitaire.
Figure 5-2 :
Volvox : un sacré
pot de colle !

Les cellules qui composent le Volvox ressemblent


beaucoup à celles de certaines algues
unicellulaires solitaires, les Chlamydomonas.
Celles-ci se font très facilement attraper et gober
par des prédateurs plus rapides et plus gros
qu’elles. Leur association en Volvox les rend moins
vulnérables car, d’une part le prédateur est
découragé par la taille de l’ensemble, et d’autre
part la colonie nage mieux qu’un individu isolé et
peut aller chercher sa nourriture plus loin.
Le sexe pour survivre !
Certaines cellules d’une colonie de Volvox,
les plus grosses et sans flagelle, appelées
gonidies, sont spécialisées dans la
reproduction de la colonie. Chaque gonidie
donne, par mitose, une sphère creuse de
cellules, isolée de la colonie mère par un
mucilage épais. Les cellules de cette
sphère différencient des flagelles, puis la
sphère se retourne en doigt de gant,
formant une colonie fille. Enfin, le mucilage
entourant la colonie fille est détruit et la
jeune colonie s’éloigne de la colonie
parentale. Après plusieurs
bourgeonnements de ce type, la colonie
parentale meurt.
Mais la colonie de Volvox réalise une fois
par an une reproduction sexuée (le plus
souvent dans une mare peu profonde à la
fin de l’été). En effet, chez certaines
colonies, appelées mâles, la gonidie donne
des cellules mobiles et flagellées : les
spermatozoïdes. Chez les autres, les
femelles, la gonidie donne une cellule plus
grosse, bien ronde et non mobile :
l’oosphère. Les spermatozoïdes nagent
activement jusqu’à une oosphère, qu’ils
fécondent : il se forme alors une cellule-
œuf ou zygote. Ce zygote, libéré par la
colonie femelle, est entouré d’une paroi
épaisse qui le protège de la sécheresse et
du froid. Au printemps, lorsque la pluie
alimentera de nouveau la mare, il se
débarrassera de sa coquille et donnera
naissance à une nouvelle colonie de
plusieurs milliers de cellules.

L’observation des cellules motrices d’un Volvox au


cours de ses déplacements montre qu’un certain
nombre d’entre elles poussent en sens contraire.
La colonie se dirige donc dans la direction choisie
par la majorité de ses cellules. Un bel exemple
d’élection à la proportionnelle !
Ainsi, il ne semble pas exister de véritable
coordination entre les cellules du Volvox. C’est la
raison pour laquelle certains scientifiques ne le
considèrent pas comme un véritable organisme.
Quoi qu’il en soit, cette algue fournit un bon
modèle permettant de comprendre la manière
dont certains protistes ont pu, il y a environ 700
millions d’années, se regrouper et former les
premiers organismes à plusieurs cellules, les
pluricellulaires.
On carbure aux
algues…
Une algue verte coloniale, de la même
famille que Volvox, appelée Botryococcus
braunii met les chercheurs en ébullition,
car la colonie peut accumuler jusqu’à 80 %
de son poids sec en hydrocarbures. Ces
hydrocarbures, fabriqués grâce à la
photosynthèse (voir chapitre 2), sont
stockés dans le mucilage de la colonie. Ils
aideraient la colonie à flotter, mais surtout
ils sont chimiquement identiques à
l’essence, au diesel et au kérosène.
D’ailleurs, ces hydrocarbures sont
retrouvés dans certains pétroles et
charbons exploités aujourd’hui.
Cette algue coloniale est donc une
excellente candidate pour la production de
biocarburants, mais sa croissance est
lente, les quantités produites restent donc
faibles. Pour rendre sa prolifération plus
rapide, on essaie de la modifier
génétiquement afin de rendre la
production rentable. Mais la route est
encore longue et le chemin semé
d’embûches…
Une première explosion de vie
Le passage d’une colonie montrant une certaine
spécialisation des cellules à un véritable
organisme n’a jamais été observé. Les
scientifiques doivent donc se contenter de
modèles, de scénarios. Certains petits malins
diront : « Quand on aura découvert le chaînon
manquant, le problème sera réglé. »
Oui mais voilà, le chaînon manquant, cet être
chimérique qui serait un mélange de l’ancien et
du nouveau n’existe pas. En effet, l’étude des
fossiles, ces restes d’êtres disparus, montre que la
vie avance souvent par bonds, parfois prodigieux.
Imaginons que nous lisions un livre et que nous
arrivions à la fin d’un chapitre. En tournant la
page, nous découvrons une nouvelle histoire, avec
de nouveaux personnages. Aucune transition,
aucun message de l’auteur ne nous permet de
comprendre ce saut brutal dans le récit.

Il y a environ 600 millions d’années, la période de


la « Terre boule de neige » prenait fin. La fonte
des glaces allait révéler une étonnante explosion
de vie, sans commune mesure avec celle de la
période précédente. Un saut de page si important
que les scientifiques n’ont pour l’instant qu’une
explication très incertaine à lui apporter.
Quand les calottes sont
cuites…
Entre – 750 et – 600 millions d’années, la
Terre s’est recouverte de glace à trois
reprises. À l’issue de ces trois épisodes, la
calotte glaciaire était beaucoup plus
importante qu’aujourd’hui. Les chercheurs
restent divisés sur son étendue, mais le
scénario le plus catastrophique est celui de
températures proches de – 50 °C, avec
tous les continents recouverts de glace,
mais aussi une grande partie des océans
jusqu’à de grandes profondeurs. Les
calottes glaciaires s’étendaient
pratiquement jusqu’à l’équateur. Durant
cette période, les bactéries, les protistes et
les premières algues habitant notre
planète ont dû subir un grand stress
écologique, car les zones propices à la vie
étaient très réduites. Leur seul refuge était
le fond des océans. Il semble même que
pendant plusieurs millions d’années, la
photosynthèse, pourvoyeuse d’oxygène, se
soit quasiment arrêtée. Un choc pour tous
les accros à ce gaz !
Heureusement, la fragmentation de La
Rodinia a créé de nombreux volcans. Leur
dégazage a progressivement renversé la
situation, car le dioxyde de carbone qu’ils
rejettent s’est accumulé dans
l’atmosphère, recréant un effet de serre.
L’augmentation des températures est alors
devenue suffisante pour faire fondre les
glaces. La fonte des glaces en relâchant
brutalement le stress a alors enclenché
une explosion de la diversité de la vie
comme celle trouvée à Ediacara.
Ediacara, un diamant pour la
science
Les collines d’Ediacara, situées en Australie
méridionale, recèlent un trésor scientifique
inestimable. Le géologue australien Reg Sprigg y
adécouvert, en 1946, les traces les plus anciennes
d’organismes pluricellulaires. Inutile de vous
précipiter vers des agences de voyages pour
visiter ce lieu mythique. Une fois sur place votre
déception serait grande : aucun animal fossilisé,
juste des empreintes de taille modeste laissées
dans la roche. Seul l’œil d’un géologue averti
pouvait y déceler les restes d’organismes à corps
mou.
De nombreux spécialistes se sont attaqués à
l’interprétation de ces traces et ont proposé des
représentations, des dessins plus ou moins
artistiques. On peut y reconnaître certains êtres
peuplant encore nos rivages comme les éponges
et les méduses que nous développerons ensuite.
Mais d’autres ne ressemblent à rien de connu, ce
qui démontre qu’à la fin de la période appelée
Précambrien, la vie avait déjà explosé sous des
formes diverses et variées.

Le site d’Ediacara est exceptionnel car on y trouve


des organismes ressemblant, soit à des méduses
(voir figure 5-3 A), soit à d’autres Cnidaires
modernes comme les coraux mous (B), ou encore
à des Arthropodes nus (peut-être des ancêtres des
Trilobites que nous verrons dans le chapitre 7) ou
à des Vers annélides (C) (peut-être des ancêtres
des Vers marins). Mais surtout, il est exceptionnel
car certains (D, E) ne ressemblent à aucun animal
connu. On a donné le nom de Vendobiotes à ce
groupe d’organismes énigmatiques, car la période
où cette faune a vécu, entre – 600 et – 550
millions d’années, est appelée le Vendien.
Il semble que l’organisation des Vendobiotes
ressemblait un peu à celle d’un matelas
pneumatique ; en effet ces animaux étaient très
plats, subdivisés en boudins formant un
matelassage. Les plus grands mesuraient 1 mètre
de long pour une épaisseur de 5 millimètres
seulement : pour un matelas, quel manque
d’épaisseur ! Mais cela devait permettre à
l’oxygène d’atteindre tous les tissus. L’absence de
squelette nous obligeant à raisonner uniquement
sur les empreintes de ces animaux, il faut tout de
même rester prudents dans nos interprétations.
Figure 5-3 :
Reconstitution et
détails de la faune
d’Ediacara.

Depuis cette découverte, une vingtaine de sites


comportant les mêmes organismes ont été mis au
jour sur les cinq continents. Ediacara est donc une
vitrine exposant les êtres qui peuplaient les mers
d’il y a environ 560 millions d’années. Elle est
considérée par les spécialistes comme une étape
importante de l’évolution de la vie.
Le Gabon a-t-il bon ?
Des fossiles exceptionnels ont été
découverts, près de Franceville au Gabon,
en juillet 2010. Nombreux (près de 450),
de formes et de dimensions très diverses
(jusqu’à 24 centimètres), leur analyse
semble indiquer une croissance
coordonnée caractéristique des
organismes pluricellulaires. Mais surtout,
ils ont été découverts dans des roches
datées de 2,1 milliards d’années. Cette
découverte reculerait donc d’environ 1,5
milliard d’années l’apparition des
pluricellulaires ! Faut-il pour autant revoir
entièrement la chronologie des
événements expliqués dans ce livre ?
Certainement pas, car pour certains
scientifiques, les fossiles gabonais ne
seraient que de simples assemblages de
procaryotes, des films bactériens, comme
la « mère » que l’on observe à la surface
du vinaigre. Pour d’autres, ces formes de
vie n’ont rien à voir avec celles trouvées
plus tard à Ediacara ou avec celles que
nous connaissons aujourd’hui. En effet, on
peut imaginer qu’il y a 2,1 milliards
d’années, dans des « oasis » où les
bactéries productrices d’oxygène se
concentraient, des formes de vie
complexes aient vu le jour. Puis, les
conditions idéales de l’oasis se sont
dégradées et elles ont simplement disparu
sans descendance, laissant pour seules
traces ces fossiles.
Et il faudra attendre 1,5 milliard d’années
pour que la nature, remettant sur le métier
son ouvrage, permette l’apparition de
nouvelles formes de vie plus élaborées, qui
cette fois ont résisté. En effet, comme le
suggère A. El-Albani, responsable de
l’équipe ayant découvert ces fossiles, « Il
n’y a aucune raison pour que l’histoire de
la vie soit linéaire, comme nous avons
tendance à la raconter ».
Les éponges se font mousser
Dans les collines d’Ediacara, certaines traces
suggèrent que les éponges faisaient partie des
premiers animaux pluricellulaires. Nous disons
bien animaux, car contrairement à l’appellation «
Éponge 100 % végétale » trouvée dans certains
rayons droguerie, l’éponge fait partie du règne
animal. Pour vous en convaincre, une petite
description s’impose.

Si vous coupez une éponge en deux, vous ne


trouvez aucun organe, juste des cavités de tailles
différentes reliées les unes aux autres par des
passages étroits en forme de tubes. L’utilisation
du microscope révèle que chacune de ces cavités
est délimitée par deux couches de cellules,
séparées par de ces cavités est délimitée par
deux couches de cellules, séparées par une gelée,
appelée mésoglée. La couche externe, appelée
ectoderme, est formée de cellules au rôle
protecteur. La couche interne, appelée endoderme
est constituée de cellules munies d’une petite
collerette et d’un flagelle. Grâce au mouvement
de leur flagelle, ces cellules sont capables de
créer un mouvement d’eau au sein de la cavité, ce
qui permet d’y renouveler l’oxygène et d’y
acheminer de la nourriture.
Dans la gelée située entre les deux couches, on
trouve un certain nombre de cellules au rôle bien
défini. Certaines sécrètent la gelée, d’autres
fabriquent de petites aiguilles appelées spicules
qui renforcent la structure de l’éponge. D’autres
encore, en forme de tuyaux, permettent de faire
passer de l’eau à travers les deux couches de
cellules.
Filtrer pour manger
Ce panorama ne serait pas complet sans parler
des cellules mobiles au sein de la gelée. En
fonction des besoins, elles sont capables de se
transformer en cellules assurant la nutrition de
l’éponge, en cellules capables de se contracter et
de rétrécir certaines parties de l’éponge et même
en cellules assurant la reproduction de l’éponge.
Une polyvalence bien utile lorsque l’on vit fixé sur
un support.
Un filtre à particules…
Les éponges sont majoritairement marines,
même si quelques-unes vivent en eaux
douces. Bien que leur corps ne présente
aucune symétrie, leur forme la plus simple
est celle d’une amphore, à fond plat, fixée
par sa base sur un rocher ou du bois
immergé. La paroi de l’amphore est percée
de nombreux trous, les pores inhalants, et
le sommet de l’amphore porte un orifice
unique exhalant : l’oscule. L’éponge est
ainsi traversée par un courant d’eau, qui
entre par les pores inhalants et ressort par
l’oscule.
La paroi de l’amphore est formée de deux
couches de cellules séparées par la
mésoglée. La couche externe est
composée d’une seule couche de cellules
aplaties et jointives : les pinacocytes qui
sont recouverts d’une fine cuticule. Entre
les pinacocytes s’ouvrent les pores
inhalants, formés par les porocytes, qui
permettent l’entrée d’eau. La couche
interne tapisse toute la cavité gastrale (ou
atrium) et elle est composée d’une seule
couche de cellules de grande taille, portant
un long flagelle et une collerette apicaux :
les choanocytes. Ils créent le courant d’eau
dans l’atrium, ce qui permet la capture de
particules alimentaires dans la collerette,
mais aussi, la circulation de l’oxygène.
La mésoglée forme une gelée qui unit les
deux couches. On y trouve d’autres
cellules ; des scléroblastes, qui sécrètent
les spicules ; des amibocytes qui
distribuent les particules alimentaires
capturées ; des collencytes étoilés qui
fabriquent la mésoglée ; des myocytes qui
sont capables de se déformer par
contractions ; des petites cellules
nerveuses légèrement ramifiées et des
archéocytes, plus grosses, qui sont
capables de redonner tous les autres types
de cellules y compris des cellules
reproductrices.

Les éponges sont des filtres à particules très


efficaces, mais leur rôle écologique dans les
écosystèmes tropicaux ne s’arrête pas là ; en
effet, elles servent de nourriture et d’abri à de
nombreux autres animaux. Ces animaux fragiles,
à la croissance lente, doivent donc être respectés
et surveillés.
Figure 5-4 :
L’éponge : un filtre
à particules pas si
simple !

L’éponge est un organisme car elle est formée


d’une association de cellules spécialisées qui ne
pourraient vivre seules, isolées. Incapable de
réaliser la photosynthèse et se nourrissant de
matière déjà fabriquée, l’éponge est bien un
animal. Oui mais quel animal ! Le plus primitif qui
soit avec ses deux petites couches de cellules
collées l’une à l’autre par une gelée. Il n’est pas
étonnant dans ces conditions que les premiers
observateurs l’aient rangée chez les végétaux.
Ne la raillons pas trop tout de même, car certaines
éponges comportent des cellules capables de
transmettre des informations d’une cellule à
l’autre, donc des cellules nerveuses. Or, comme
nous le verrons plus tard, cette acquisition est une
étape très importante vers la vie animale telle que
nous la connaissons. Un peu de respect donc pour
cette mollassonne un poil nerveuse !
Des éponges végétales
?
Les éponges marines sont des animaux,
existants depuis 570 millions d’années
environ, utilisés comme éponges de
toilette depuis plus de deux millénaires par
les Crétois puis les Grecs. Elles sont
appréciées, car elles ne contiennent pas de
spicules, en effet ces petites aiguilles sont
remplacées par une protéine élastique : la
spongine. Elles sont douces au toucher et
elles sont capables d’absorber 30 fois leur
masse en eau. L’éponge naturelle de
toilette est donc le squelette d’éponges
marines particulières (le plus souvent
Hippospongia communis) lavé, stérilisé et
éventuellement blanchi.
Depuis les années trente, on fabrique des
éponges artificielles à partir de bois. Le
bois est déchiqueté finement, puis par
traitements chimiques, on obtient une pâte
que l’on chauffe dans des moules. Après
démoulage, il faut encore sécher,
éventuellement colorer et renforcer en
ajoutant d’autres fibres végétales ; il ne
reste plus qu’à découper aux dimensions
voulues. Ces éponges sont capables
d’absorber environ 15 fois leur masse
d’eau. L’éponge est donc un parfait
exemple de produit naturel copié par
l’industrie ; aujourd’hui, 75 millions
d’éponges « végétales », car fabriquées à
partir de bois, sont consommées en France
chaque année.
L’éponge végétale naturelle existe tout de
même ! En effet, les fruits d’une plante
appelée Luffa peuvent être utilisés comme
éponge. Originaire d’Inde, cette plante
tropicale grimpante ou rampante produit
des fruits dont la forme rappelle celle
d’une courgette, car elle appartient à la
même famille : celle des Cucurbitacées
(comme le potiron, le melon, la pastèque).
Le fruit doit être tout d’abord vidé de sa
pulpe et de ses graines, blanchi puis
séché. On obtient une éponge souple et
exfoliante. Le luffa entre actuellement
dans la confection de textiles « absorbants
» comme des serviettes-éponges, gants et
disques pour le nettoyage du visage. La
production d’éponge naturelle végétale
reste encore très confidentielle…
L’été des méduses (et des
Anémones !)
À côté des empreintes d’éponges et autres
animaux simples du site d’Ediacara, Reg Sprigg a
découvert des traces circulaires qu’il a
interprétées comme des empreintes d’ombrelles
de méduses.
Ainsi ces terreurs des baigneurs existaient déjà il
y a 560 millions d’années et semblent avoir peu
évolué depuis cette époque ! Pour avoir traversé
ainsi le temps, il faut croire que ce groupe est une
réussite. Observons-le de plus près.
Vous avez dit Cnidaires ?

Les méduses font partie du groupe des Cnidaires,


mot issu du grec knidê qui signifie ortie, par
allusion aux brûlures infligées par un contact avec
cette plante. On y trouve également les
Anémones de mer et les coraux (ces derniers
seront traités dans le chapitre suivant). La forme
fondamentale des Cnidaires est celle d’un sac
formé de deux couches de cellules collées l’une à
l’autre par une gelée appelée mésoglée. Deux
couches de cellules, cela ne vous rappelle rien ?
Cette simplicité de structure proche de certaines
plantes leur a valu d’être appelés Zoophytes par
les premiers naturalistes, ce qui signifiait «
animaux-plantes ».
Les Cnidaires sont, comme les éponges, quasi
exclusivement marins. Ils ressemblent à un
tonneau dont la cavité interne, ou cavité
gastrique, communique cette fois par un orifice
unique : la bouche, qui est entourée de
tentacules.
Les Cnidaires libres ont une forme en ombrelle et
sont appelés méduses (figure 5-5A). Les Cnidaires
fixés à un support ont une forme en tonneau et
sont appelés polypes (B). Même si au premier
coup d’œil ils semblent très différents, il suffit de
retourner le polype (le tonneau) à l’envers et de
l’aplatir un peu, pour lui donner une forme
d’ombrelle. On obtient devinez quoi : une méduse.
Il faut tout de même tirer un peu sur la bouche,
car chez la méduse elle est placée à l’extrémité
d’une sorte de trompe : le manubrium.
L’ombrelle porte un petit bord en dentelle appelé
vélum. Sa mésoglée est si épaisse, que la cavité
gastrique se réduit à des canaux qui se prolongent
jusqu’à l’extrémité des tentacules.

Figure 5-5 : Un
vilain petit tonneau
et une belle
ombrelle.
Des harpons pour se nourrir
Revenons au sac. Celui-ci entoure une sorte de
gros estomac appelé cavité gastrique vers lequel
l’animal pousse toute la nourriture qu’il capture.
Le reste de l’animal est organisé de manière à
remplir cet estomac. Ainsi, les Anémones de mer ,
fixées sur le fond de l’eau à l’aide d’une ventouse,
ont des tentacules assez courts, orientés vers la
surface. Inversement, les méduses, flottant à la
surface, ont de très longs tentacules orientés vers
le fond.
Chez ces deux animaux, les tentacules entourent
la bouche appelée pharynx et leur travail consiste
à envoyer les proies capturées vers cette
ouverture. Pour capturer leur proie, ces
charmantes bestioles disposent d’une arme
redoutable : des centaines, voire des milliers de
harpons empoisonnés. Ceux-ci sont projetés en
une fraction de seconde dès qu’une proie entre en
contact avec un tentacule. Ils se fixent sur la proie
et, à la manière d’une microseringue
hypodermique, injectent un venin, qui la paralyse.
Le déploiement du harpon est considéré comme le
mouvement le plus rapide du monde animal.
Impossible donc d’y échapper !
À l’aide d’un tel dispositif, l’animal prend une part
active dans son alimentation. Il ne se contente
plus de filtrer l’eau à la manière des éponges mais
va à la rencontre de sa nourriture. Mais tout cela
demande une certaine coordination des cellules.
Si ces dernières agissent chacune pour leur
compte, c’est la zizanie et l’organisme meurt
rapidement. Pour faire face à une telle demande,
les Cnidaires ont développé un système nerveux
et musculaire. Oh, juste une ébauche, quelques
cellules allongées reliées les unes aux autres. Mais
c’est déjà un début et cela ne fera que se
complexifier par la suite.
Les relations s’enveniment…

Les méduses et les polypes des Cnidaires, comme


les éponges, sont limités par deux couches de
cellules séparées par la mésoglée. Mais ces
cellules sont plus complexes et sont davantage
spécialisées. Ainsi, la couche externe renferme
des cellules propres aux Cnidaires : les cnidocytes,
qui sont très abondantes au niveau des
tentacules. Chaque cnidocyte renferme une
capsule spéciale ou cnidocyste et porte un cil
court, qui dépasse vers l’extérieur, le cnidocil. La
capsule, fermée par un opercule, contient un
liquide urticant et un long filament creux enroulé
en spirale. Lorsqu’une proie frôle un tentacule,
elle touche de nombreux cnidocils, ce qui
provoque la rupture de l’opercule ; le filament se
déroule alors brusquement, s’enfonce dans la
proie et lui injecte le liquide urticant. Un cnidocyte
ne sert qu’une seule fois, mais il est vite remplacé
; ainsi un polype en possède en moyenne 25
000…
Figure 5-6 : Les
cnidocytes : des
harpons venimeux.

L’efficacité des cnidocystes est à la fois due à la


forme en harpon du filament injecteur et au
liquide urticant injecté paralysant pour les petites
proies, irritant et allergisant pour les plus grosses.
Certaines méduses peuvent même être mortelles
pour l’Homme, car le liquide venimeux contient,
soit de l’hypnocine provoquant la paralysie
musculaire et respiratoire, soit de la thalassine
provoquant dépression et arrêt cardiaque, soit de
la congestine provoquant des vomissements et
des troubles respiratoires conduisant à la mort…
La faune d’Ediacara, bien que magnifiquement
variée, ne comportait que des organismes
constitués de deux couches de cellules appelées
feuillets. Chez les éponges chacun des feuillets
n’est qu’une juxtaposition de cellules aux
fonctions différentes. Chez les Cnidaires, ces
cellules sont liées entre elles et constituent donc
de véritables tissus. Mais deux couches, ça n’est
pas bien épais. Pas assez en tout cas pour donner
naissance à de véritables organes.
Le sexe s’étoffe
Il est bien difficile en regardant une éponge
d’imaginer que cet être puisse avoir une
quelconque sexualité. Et pourtant, c’est le cas.
Nous avons vu dans la description d’une éponge
que certaines cellules de la gelée étaient capables
de se transformer en cellules reproductrices.
Certaines deviennent des spermatozoïdes
flagellés, qui seront libérés dans l’eau
environnante. D’autres, plus grosses, deviendront
des cellules sexuelles femelles, des ovules, et
resteront ou non dans l’animal.
La fécondation, c’est-à-dire la rencontre entre un
spermatozoïde et un ovule, peut se produire dans
l’eau ou dans un individu en fonction du type
d’éponge. Quoi qu’il en soit, elle donne naissance
à un bébé nageur, la larve, à qui incombe la
lourde tâche de trouver un lieu propice à la survie
de l’adulte. Une fois ce lieu découvert, elle s’y fixe
et subit une transformation la faisant ressembler à
une éponge miniature.

Cette étape, appelée métamorphose, est une


innovation importante pour la vie car elle permet
aux êtres qui la pratiquent de pouvoir vivre sous
deux formes, souvent très différentes. Chez les
éponges, la larve est la forme mobile, celle qui
permet la colonisation, la dissémination de
l’espèce. L’adulte est la forme qui se nourrit,
grandit, et prépare la nouvelle génération.
Elles jettent l’éponge…
Chez les éponges, la reproduction sexuée
donne une larve mobile, ballottée par les
courants marins, qui permet aux éponges,
alors que ce sont des animaux fixés,
d’envahir des territoires très éloignés. À un
moment cette larve tombe au fond, subit
la métamorphose et se fixe à son tour
définitivement. La colonisation de
nouveaux territoires peut être aussi
réalisée, chez de nombreuses éponges, par
multiplication asexuée. En effet, elles
forment une multitude de petits
bourgeons, qui se détachent et partent eux
aussi à l’aventure. Certains de ces
bourgeons, appelés gemmules, peuvent
même résister à des conditions de vie
défavorables grâce à une capsule
protectrice.
Les éponges sont probablement les seuls
animaux pouvant être bouturés comme
des plantes. Cette qualité est utilisée pour
produire en nombre suffisant, sans épuiser
les gisements naturels, les éponges de
toilette. Ainsi, l’éponge est découpée en
cubes de quelques centimètres, qui sont
enfilés sur des fils de fer galvanisés, puis
aussitôt placés dans une eau bien aérée et
propre, en semi-obscurité, à quelques
mètres de la surface. Il faut alors attendre
environ cinq ans, pour que chaque cube
(avec une perte maximale de 10 %) donne
une éponge de taille commercialisable
(autour de 30 centimètres de diamètre).

Chez les Cnidaires, on retrouve cette alternance


de deux formes, mobile et immobile. La forme fixe
est appelée polype et ressemble grossièrement à
une Anémone de mer. La forme mobile est la
méduse que nous connaissons. Chez les Cnidaires,
c’est la méduse qui porte la culotte, ou plutôt les
culottes car si certaines fabriquent des
spermatozoïdes, d’autres fabriquent des ovules.
Ces cellules sexuelles, ou gamètes, libérées dans
l’eau, finissent par se rencontrer et de leur union
naît un œuf. C’est la fécondation.
De cet œuf éclôt une larve, joliment nommée
planula à cause de sa forme plate (du latin planus,
plan). Après s’être laissé ballotter par les vagues
au sein du plancton, elle se fixe sur un support et
donne naissance au polype, la forme fixée. Celui-ci
ne fabrique pas de cellules sexuelles, mais
bourgeonne en donnant naissance à de
minuscules méduses qui, armées de leur harpon
venimeux (voir figure 5-6), partent à l’aventure
vers le grand large. La boucle est bouclée.
Avec leurs formes méduse et polype, les Cnidaires
ont inventé la double identité : deux organismes
différents pour une même espèce, l’un mobile,
l’autre fixé. De quoi méduser un poisson-clown !
Le temps des copains

Sur la Terre, née il y a 4,55 milliards d’années (à


0h 00), il a fallu attendre 2h 45 (il y a environ 3,5
milliards d’années) pour qu’apparaisse la vie. Les
bactéries, rejointes vers 7 h 00 par les cellules à
noyau, les cellules eucaryotes, ont occupé la
planète. Pendant les trois heures qui ont suivi, les
cellules eucaryotes, dans un environnement
changeant, ont donné naissance aux protistes, qui
à leur tour ont dominé le monde. Ces protistes se
pensaient définitivement installés ; mais, vers 10
h 30, la vie sur Terre a failli disparaître, emportée
par des bouleversements climatiques. Le salut est
venu des colonies : entre copains, on est plus fort
!
Situons les événements majeurs de ce chapitre
sur l’horloge de la vie (voir figure C du cahier
central). Sur celle-ci, comme dans les chapitres
précédents, la Terre a été formée à minuit (0 h 00)
et aujourd’hui il est midi (12 h 00).

De 10h24 à 10h48 : La Terre subit trois


épisodes glaciaires intenses. Il semble que
ces glaciations ont été quasi globales ; on
parle de « Terre boule de neige ».
À 10h31 : Apparition des premières
algues vertes coloniales.
À 10h56 : À la fin de la dernière
glaciation, apparition d’une nouvelle faune
découverte à Ediacara. On y trouve les
premières éponges, les premiers Cnidaires,
mais aussi des animaux originaux sans
lendemain.

Les éponges, et plus encore les colonies d’algues


vertes, ne sont que des juxtapositions de cellules,
mais ces cellules sont déjà spécialisées dans la
nutrition, le mouvement ou la reproduction. Chez
les Cnidaires, les cellules forment de véritables
tissus, certes très minces, mais les cellules
assurent de nouvelles fonctions, encore plus
complexes, comme la coordination ou la prédation
et la défense. On est encore très loin des
véritables organes, mais les colonies d’algues, les
éponges et les Cnidaires sont les premières
pierres des êtres vivants pluricellulaires.
Chapitre 6

La vie s’endurcit
Dans ce chapitre :
La faune tommotienne
Les premiers squelettes et coquilles
Les premiers récifs
Les récifs coralliens

« Construire peut être le fruit d’un travail long et acharné.


Détruire peut être l’œuvre d’une seule journée. »
Winston Churchill
Aussi belles soient-elles, les collines d’Ediacara ne
sont qu’un cimetière. Mais quel cimetière ! L’un
des plus improbables qui soient ! En effet, les
fossiles qui la parsèment sont des traces de
parties molles d’êtres vivants (voir chapitre 5). Or,
celles-ci disparaissent rapidement à la mort de
l’individu car leur décomposition est totale. Que
s’est-il passé à Ediacara ?
Les traces laissées à Ediacara ne sont pas de vrais
fossiles d’organismes, mais des empreintes.
Lorsque vous jouiez à faire des moulages de vos
héros préférés, vous remplissiez de plâtre une
forme en caoutchouc. Une fois le plâtre sec, vous
passiez au démoulage en retournant la forme
comme un gant et le tour était joué.
À Ediacara, ce sont les bactéries qui ont joué le
rôle du moule en caoutchouc. En effet, ces
charmants microbes sont si nombreux à la surface
de certains fonds océaniques, qu’ils forment un
véritable tapis. Ce dernier peut, sous certaines
conditions, coller ensemble les sédiments, ces
restes de roches et d’êtres vivants qui se
déposent au fond des océans. Ainsi durcis, tous
les reliefs sont conservés… dont ceux laissés par
les êtres morts. Le tour est joué, l’être vivant
passe à la postérité, un masque mortuaire
bactérien en guise de pierre tombale.
Les empreintes laissées sur le site d’Ediacara sont
donc le résultat d’un concours de circonstances
exceptionnelles. Le passage à la postérité est
donc plus sûr lorsqu’on possède des parties dures.
Tommot, ça sonne dur !
L’étape suivante de la vie nous oblige à quitter les
collines douces et chaudes d’Ediacara pour
plonger dans les steppes froides de Sibérie. C’est
en effet à proximité de Tommot, une petite ville de
la république de Sakha en Russie, que les plus
vieilles traces de tissus durs fabriqués par des
êtres vivants ont été découvertes. Il faut croire
que Tommot, ça sonne moins bien qu’Ediacara,
car les scientifiques ont préféré utiliser l’adjectif
tommotienne pour qualifier cette faune.
Coquilles ou pacotilles
La faune tommotienne datée de – 530 millions
d’années, est surnommée la « faune à petites
coquilles ». Il faut dire que le tableau de chasse
n’est pas spécialement excitant : de minuscules
calottes (voir figure 6-1 A), aiguilles (6-1 B), lames
ou arcs de cercle. Les spécialistes sont très
partagés quant à leur interprétation. Ce sont peut-
être des animaux bien connus qui les ont
fabriqués mais qui manquaient encore un peu de
pratique. Ou alors ces coquilles habillaient des
êtres inédits, ayant disparu sans laisser de
descendance.

Figure 6-1 :
Tommot : des
piécettes en forme
de calotte (A) ou
d’aiguille (B).

Quoi qu’il en soit, elles témoignent de la capacité


de certains animaux de cette époque à pouvoir
synthétiser une coquille protectrice. Mais alors,
comment expliquer cette soudaine créativité ?
Pour répondre à cette question, nous pourrions
commencer par analyser les coquilles
tommotiennes. Mais hélas, ce sont des fossiles, et
leur composition a été fortement modifiée lors de
leur passage à la postérité.
Le calcaire, c’est de la pierre !
Pour mener notre enquête, appliquons le vieil
adage : « Le présent est la clé du passé. » Les
géologues le connaissent mieux sous l’appellation
du principe de l’actualisme, qui postule que les
processus qui se sont exercés par le passé
s’exercent encore de nos jours. Choisissons un
exemple actuel.
Si on vous dit coquille, vous répondez Escargot,
mais il ne nous intéresse pas car il est terrestre et
serait donc un très mauvais modèle. Il nous faut
un Mollusque aquatique, la Moule par exemple.

Figure 6-2 :
L’organisation
d’une coquille de
Moule.

La coquille de la Moule actuelle est un assemblage


intime de carbonate de calcium (le calcaire qui se
dépose dans nos bouilloires) et de protéines (dont
nous avons déjà parlé dans les chapitres
précédents). Le tout est sécrété par l’organisme
lui-même.
Où la Moule trouve-t-elle le calcium ? Tout
simplement dans l’eau qui l’entoure. Les océans
de l’époque tommotienne devaient donc en
fournir suffisamment pour qu’un être vivant puisse
le concentrer dans une armure.
Une petite mousse ?
Comment montrer qu’une coquille est
composée de carbonate de calcium ? C’est
assez simple : régalez-vous de moules
marinières et gardez quelques coquilles
vides. Dans un magasin de bricolage,
procurez-vous un flacon d’acide
chlorhydrique. Il suffit ensuite de verser
quelques gouttes d’acide chlorhydrique sur
la coquille, du côté de la nacre. Il y a alors
production d’une grande quantité de
mousse. Cette mousse est en fait du
dioxyde de carbone, coloré en blanc
laiteux par du chlorure de calcium. On dit
que le carbonate de calcium fait
effervescence à l’acide. On peut résumer
la réaction observée par cette petite
équation :
carbonate de calcium + acide
chlorhydrique → dioxyde de carbone + eau
+ chlorure de calcium
Si vous versez l’acide sur la face noire de
la coquille, vous n’observerez pas
d’effervescence. En effet, la coquille de
carbonate de calcium est protégée par une
couche brunâtre, de nature protéique,
appelée le périostracum, qui ne réagit pas
avec l’acide. Pour observer le dégagement,
il vous suffit de gratter avec la pointe d’un
couteau ce périostracum. Cette
observation est valable pour toutes les
coquilles : de l’Escargot à l’Huître, en
passant par le Bigorneau ; mais aussi sur
la carapace de Crabe, Crevette ou
Langoustine. Dans tous les cas, réalisez
cette petite manipulation en prenant
quelques précautions, car l’acide
chlorhydrique est concentré et très
agressif. Avant de vous en servir, portez
des protections (gants et lunettes). Vous
pouvez le diluer, mais il faut toujours
verser l’eau en premier et diluer
doucement l’acide dans l’eau. Et, bien
évidemment, pas question de boire cette
petite mousse !

En analysant les couches géologiques de la


période tommotienne, on a découvert que la
composition chimique des océans avait changé
par rapport aux périodes précédentes. Ils étaient
notamment plus riches en phosphore, strontium,
soufre et… calcium. Nous tenons un début de
réponse. Mais les faits sont têtus, car pour
fabriquer sa coquille, la Moule utilise le dioxygène
dissous dans l’eau. Où en était notre atmosphère
à cette époque ?
Les estimations donnent le chiffre de 16 % de la
teneur actuelle en dioxygène. C’est peu mais tout
juste suffisant, d’après les scientifiques, pour
élaborer une coquille. Les principaux ingrédients
étaient donc présents dans les océans de
l’époque. Mais la synthèse d’une coquille, ça ne
s’improvise pas ; il faut de nouvelles enzymes, de
nouveaux gènes (voir chapitre 1). Qui a dessiné
ces nouveaux plans ? Qui a engagé cette nouvelle
équipe d’ouvriers ?
Sur ce point les avis sont partagés, car la coquille
est apparue en même temps que d’autres tissus
durs et de manière quasi simultanée dans
différents groupes d’êtres vivants.
L’énigme de la
coquille…
La fabrication d’une coquille est une totale
innovation. En effet, dans un premier
temps, une trame de glucides, plus ou
moins ramifiée, est fabriquée par l’appareil
de Golgi (voir chapitre 3). Cette trame est
ensuite imprégnée de calcium grâce au
réticulum endoplasmique. Cette innovation
demande l’acquisition de nouvelles
enzymes, comme l’anhydrase carbonique
ou des phosphatases alcalines. La
première enzyme permet de transformer le
dioxyde de carbone en bicarbonate (en
présence d’eau) et les secondes sont
notamment indispensables à la
minéralisation des os.
Comment cette innovation est-elle
apparue simultanément (à l’échelle des
temps géologiques c’est-à-dire en
quelques dizaines de millions d’années…)
chez des êtres vivants très différents ?
Pour certains scientifiques, les êtres
vivants attendaient tous patiemment que
les quantités de calcium et d’oxygène dans
l’eau soient suffisantes. Pour d’autres, un
virus aurait modifié des gènes de
nombreuses espèces, comme ceux codant
pour les phosphatases, lors d’une
épidémie mondiale. Qui a raison ? Nous ne
le saurons certainement jamais.

Depuis la découverte du site de Tommot, des


fossiles portant des traces de minéralisation ont
été découverts dans des sites contemporains de
la faune d’Ediacara. Ces découvertes remettraient
donc en cause l’antériorité de la faune
tommotienne dans l’invention de la coquille. Quoi
qu’il en soit, l’incorporation de minéraux dans les
tissus va faire école et donner naissance,
quelques millions d’années plus tard, à de
magnifiques et incroyables constructions
animales.
Les plus grands cimetières du monde
Les scientifiques ont été un peu caricaturaux en
surnommant la faune tommotienne la « faune à
petites coquilles », car elle recèle d’autres trésors
de taille beaucoup plus respectable : des massifs
de 1 à 2 mètres de hauteur sur quelques mètres
de large. Ils ont été construits par des êtres
vivants, certainement du groupe des éponges,
que les scientifiques ont nommés Archaeocyathes.
Il s’agit en fait des premières bioconstructions de
grande ampleur. Elles préfigurent ce que seront
les récifs coralliens que nous connaissons
actuellement.
Les massifs coralliens : un
pouvoir tentaculaire
Quittons notre récit chronologique pour nous
intéresser aux plus grandes bioconstructions de la
planète : les massifs coralliens. Ce sont de
véritables murailles rivalisant avec les plus grands
édifices bâtis par l’Homme. Sceptique ? Alors
jouons à un jeu télévisé bien connu : « Je
m’étends sur plus de 2 600 kilomètres, ma
superficie avoisine celle de l’Allemagne, je peux
être vue de l’espace, je suis formée de plus de 2
000 îles et de près de 3 000 récifs, je suis
considérée comme la plus grande structure
vivante sur Terre et suis parfois même qualifiée de
plus grand animal du monde. Je suis ? Je suis ?…
Je suis ?… La Grande Barrière de corail d’Australie
! » Mais qui a bien pu construire un tel monument
?
Une étude rapide d’un massif corallien montre que
seule sa surface est vivante. L’énorme majorité de
l’édifice est constituée de squelettes calcaires
accumulés, plus exactement empilés, en direction
de la lumière. Il s’agit donc d’un gigantesque
cimetière. Mais à qui appartiennent ces dépouilles
?
Des récifs dinosauriens…

Les récifs existaient déjà au temps des


Dinosaures, mais ils n’étaient pas l’œuvre des
mêmes animaux que les récifs actuels ; en effet,
ils étaient construits par des Rudistes. Les
Rudistes ont proliféré dans les mers chaudes et
peu profondes de la fin du Jurassique et du
Crétacé (entre – 150 et – 66,5 millions d’années).
Ils ont disparu à la fin du Secondaire, en même
temps que les Dinosaures, il y a 65 millions
d’années (voir chapitre 10).
Les Rudistes étaient des Lamellibranches, comme
les Huîtres et les Moules (voir chapitre 7). Leur
corps était donc protégé par une coquille à deux
valves : une valve gauche mobile, et une valve
droite fixée. La plupart des Rudistes présentaient
une valve gauche réduite à un chapeau mobile ou
opercule, et une valve droite de grande taille
(jusqu’à 70 centimètres de diamètre). L’ensemble,
de forme conique, était d’une grande solidité
grâce à un squelette de carbonate de calcium très
épais. Certains d’entre eux étaient solitaires, mais
d’autres vivaient en colonie, fixés sur les fonds
marins. Ils étaient parfois en si grand nombre
qu’ils formaient des récifs denses et étendus.
Si vous souhaitez en voir de vos propres yeux :
pas besoin de mettre un maillot de bain ! Nous
vous conseillons une petite balade dans le Var,
dans le petit village médiéval du Castellet (pas
très loin de Bandol et de ses vins). Sur la place
centrale du village, allez regarder de près une
curieuse fontaine du XIXe siècle, entièrement faite
de Rudistes. Les bâtisseurs de la fontaine ne sont
pas allés les chercher très loin, car le village est
construit sur une couche de calcaire récifal à
Rudistes, épaisse de 25 mètres, bien visible
directement sous les remparts de la ville.

Figure 6-3 : La
diversité des
Rudistes. Les
Rudistes récifaux
(Hippurites) ont
une forme en cône.
Construire, toujours
construire
Examinons de plus près la surface d’un massif
récifal actuel. Elle est couverte de millions de
minuscules tentacules qui disparaissent à la
moindre alerte. Ce mouvement d’ensemble donne
l’impression que nous avons affaire à un seul et
même organisme. En nous approchant encore un
peu, nous découvrons avec étonnement que ces
tentacules appartiennent à de minuscules
Anémones de mer, isolées chacune dans un petit
tube calcaire.
Ainsi, ce sont de minuscules Cnidaires (voir
chapitre 5) qui bâtissent de tels édifices. Ils ont
été nommés Hexacoralliaires car leur énorme
bouche est entourée de six tentacules. Ils se
fabriquent une armure protectrice en calcaire,
considérée comme un squelette externe ou
exosquelette. La croissance d’un massif corallien
est très lente, de 1 à 3 millimètres par an. Elle
s’explique par le refus des Hexacoralliaires fils de
vivre dans la maison de leur père. En fils indignes,
ils préfèrent se bâtir une demeure sur la dépouille
de leur géniteur. Génération après génération les
squelettes s’accumulent et le massif s’agrandit.
Figure 6-4 :
L’organisation du
corail.
L’anatomie de Bikini
La naissance d’un atoll

On observe actuellement dans les océans trois


types de récifs, appelés biohermes par les
géologues. Ces récifs diffèrent uniquement par
leur forme : les récifs frangeants, les récifs
barrières et les atolls.
Les récifs frangeants forment une muraille,
généralement peu large, qui borde les côtes plutôt
abruptes. Ils en sont séparés par un lagon très
étroit et peu profond.
Les récifs barrières, comme la Grande Barrière
australienne ou celle de Nouvelle-Calédonie, sont
plus larges et plus complexes. Ils sont parallèles à
la côte et séparés de celle-ci par un bras de mer
ou lagon large (plusieurs kilomètres) et peu
profond (50 mètres maximum). Ils sont
interrompus au niveau de passes, qui permettent
la communication entre lagon et océan.
Les atolls sont des îles entièrement coralliennes.
Le récif de corail a une forme d’anneau, plus ou
moins complet et se situe en pleine mer, loin des
côtes. L’anneau, dont le diamètre peut atteindre
plusieurs dizaines de kilomètres, entoure un lagon
de faible profondeur. L’anneau récifal ne dépasse
le niveau de la mer que de quelques mètres
(maximum 10 à 15 mètres).
Ce type de récifs, très spectaculaire, naît au
départ sur les pentes escarpées d’un volcan : il
forme, dans un premier temps, un récif frangeant.
Puis au fur et à mesure de son refroidissement,
comme un soufflé au fromage que vous sortez du
four, le volcan s’affaisse. Les coraux de la base du
récif, entraînés plus profondément, meurent, car
les conditions de température, de lumière et de
salinité ne leur sont plus favorables. Mais, au
sommet du récif, de nouveaux coraux prolifèrent,
et le récif forme une barrière.
L’île volcanique poursuit son lent enfoncement
sous son propre poids et est usée par le vent et la
pluie, tandis que le récif corallien qui l’entoure
croît. Ainsi, plus l’île s’enfonce, plus le lagon
s’élargit. Lorsqu’il n’y a plus aucune trace du
volcan englouti, l’île continue d’exister sous la
forme d’un atoll, qui porte quelques îlots de sable,
les motus. Les atolls, comme celui de Bikini, sont
donc le dernier stade émergé de cette évolution,
et ils ont jusqu’à 10 millions d’années. Leur bord
externe est abrupt, battu par les vagues de
l’océan, et les coraux, à l’origine de l’édifice, y
prolifèrent. Le côté lagon est occupé par de belles
plages plantées de cocotiers…
Figure 6-5 :
Naissance d’un
atoll.
Des eaux chaudes et
transparentes
Atoll, récif corallien, lagon… vacances, avion,
tropiques. Ces mots sont associés dans notre
esprit pour une raison toute simple : la grande
majorité des coraux ne vivent que dans les eaux
chaudes et transparentes.
Pourquoi cette injustice ? À cause de petites
algues répondant au doux nom de Zooxanthelles
et dont les Hexacoralliaires ne peuvent se passer.
Pourquoi cette dépendance ? À cause d’un
phénomène dont nous avons déjà parlé : la
symbiose (voir chapitre 3).

L’observation au microscope d’un Hexacoralliaire


révèle que son organisme héberge un être
inattendu, une algue unicellulaire. Que fait-elle là
? De la photosynthèse comme toute bonne algue
qui se respecte. Elle synthétise donc de la matière
organique et dégage de l’oxygène (voir chapitre
2), deux éléments dont son hôte raffole. Mais qui
dit symbiose, dit réciprocité. Que reçoit notre
algue en échange ?
Le gîte et le couvert tout simplement. Pour la
Zooxanthelle, l’intérieur d’un Hexacoralliaire est
un milieu stable qui la met à l’abri des prédateurs.
Son alimentation, elle la doit à l’activité prédatrice
de son hôte, qui en bon Cnidaire, capture des
proies à l’aide de ses minuscules harpons, les
cnidocytes (voir chapitre 5), et les digère dans son
énorme cavité gastrique. La petite algue grignote
quelques miettes de ce repas ce qui suffit
amplement à son modeste appétit.
À tout bien considérer, il semble que le Cnidaire
pourrait vivre sans son algue symbiotique. Mais
les mers tropicales sont pauvres en plancton
animal, ou zooplancton, dont se nourrit l’animal. Il
ne peut couvrir que 10 à 20 % de ses besoins
énergétiques par la simple prédation. L’apport de
sucres par sa locataire est donc une bénédiction.
Deuxième point important, plus l’eau est chaude
et moins elle contient de dioxygène dissous, c’est
une loi physique. Grâce à son algue
photosynthétique, le Cnidaire possède une source
interne de ce gaz vital, une bonbonne d’oxygène
en quelque sorte.
À chacun son algue !
Les coraux vivent en symbiose avec des
Zooxanthelles, mais ils ne sont pas les
seuls à héberger ces algues. En effet, les
belles couleurs irisées de nos Anémones
de mer (Actinia equina, Anemonia sulcata)
ont pour origine les mêmes pensionnaires.
C’est le cas aussi de certains
Lamellibranches, comme le Bénitier
(Tridacne) qui entrouvre légèrement ses
deux valves pour inonder de lumière ses
locataires.
D’autres algues peuvent vivre en symbiose
avec des animaux. Des algues vertes,
comme les chlorelles, s’associent avec
d’autres Cnidaires, comme l’Hydre, ou
avec une Planaire marine, d’un beau vert
profond : Convoluta roscofensis, que vous
pouvez trouver sur les côtes bretonnes
autour de Roscoff. Les algues rouges et les
diatomées (algues unicellulaires à
enveloppe siliceuse) bien que vivant plus
rarement en symbiose peuvent être
trouvées dans Convoluta convoluta, une
autre Planaire. Plus souvent, c’est une
cyanobactérie (bactérie photosynthétique
– voir chapitre 2) qui remplace l’algue
verte. On la retrouve par exemple dans
Halichondria panicea, une éponge.
Chez tous ces animaux, l’algue ou la
cyanobactérie est capturée par les cellules
de l’endoderme. Elle y est enfermée dans
une membrane de capture, appelée
membrane de phagocytose, car en grec
phagein signifie manger. L’association des
deux partenaires est donc très intime :
c’est pourquoi on parle d’endosymbiose
(voir aussi chapitre 3).

La contrepartie de cette association, c’est


l’obligation pour l’Hexacoralliaire de vivre dans
des lieux où la lumière et la température sont
suffisantes pour la survie de sa locataire : des
eaux entre 20 et 28 °C et d’une grande clarté,
donc pauvres en particules en suspension,
piégeuses de rayons solaires.
Une peur blanche

Plus de 93 000 espèces appartenant à différents


groupes (éponges, Vers, Crevettes, Crabes,
poissons, Oursins, Étoiles de mer, Requins, algues,
etc.) tirent profit des récifs coralliens, ce qui
constitue la biodiversité la plus élevée de la
planète. Ils sont donc considérés à juste titre
comme des oasis de vie. Sensibles aux
changements de températures et aux variations
du niveau des océans, tout bouleversement
climatique important peut mettre un terme à leur
existence.
En effet, face à un stress prolongé, les coraux
rejettent activement leurs zooxanthelles. Ce stress
est parfois naturel : élévation de la température
de l’eau, forts coefficients de marée, prolifération
d’un prédateur. Mais, le plus souvent, il est
malheureusement dû à l’Homme : pollutions,
surexploitation, apport de sédiments troublant
l’eau lié à la déforestation ou à l’agriculture,
réchauffement global de l’atmosphère et des
océans.

Le départ des algues symbiotiques provoque


aussitôt la perte de la couleur des coraux : il y a
blanchiment des coraux. Celui-ci n’est que la
conséquence visible du rejet, car il entraîne
ensuite un ralentissement de la croissance, de la
capacité de reproduction et de résistance aux
maladies. Ainsi, si le stress ne dure que quelques
semaines, il affecte uniquement les zones peu
profondes des récifs et il est réversible. Mais s’il se
prolonge, le blanchiment touche alors les colonies
les plus profondes, et les récifs meurent. Ils sont
ensuite progressivement envahis par les algues
qui les remplacent. On estime qu’actuellement,
déjà 80 % des coraux des îles Maldives sont
touchés et les plus pessimistes annoncent leur
disparition totale vers 2100…
Le temps des récifs

Sur la Terre, née il y a 4,55 milliards d’années (à


0h 00), il a fallu attendre 2 h 45 (il y a environ 3,5
milliards d’années) pour qu’apparaisse la vie.
Pendant quasiment les huit heures qui ont suivi,
les bactéries, les cellules à noyau (les cellules
eucaryotes), et les protistes ont successivement
dominé le monde. Puis, en s’organisant en
colonies, ils ont survécu à d’intenses
bouleversements climatiques. Mais vers 10 h 35,
des conditions climatiques plus propices ont
permis à la vie de franchir une nouvelle étape : les
premiers animaux à squelette font leur apparition,
suivis rapidement des premiers récifs.
Ces premiers récifs ont été construits par les
Archaeocyathes, alors que plus tard ce sont des
Rudistes, puis des Hexacoralliaires qui s’en
chargeront. Ainsi, la bioconstruction des récifs est,
par son ampleur et sa permanence, un trait
marquant de l’histoire de la vie. C’est également
un bel exemple de convergence morphologique,
car tous ces animaux constructeurs ont adopté
une forme très proche : celle d’un cône. Si les
récifs d’Archaeocyathes et de Rudistes ont
naturellement disparu, il ne faudrait pas que les
récifs actuels, des Hexacoralliaires, disparaissent
beaucoup trop vite par la seule action de
l’Homme.
Situons l’événement majeur de ce chapitre sur
l’horloge de la vie (voir figure C du cahier central)
:

10h35 : Apparition de la faune


tommotienne ; les premiers animaux à
squelette et les premiers récifs s’imposent.

Les petites coquilles de Tommot, aussi


insignifiantes soient-elles, constituent un pas
décisif de l’évolution des animaux qui allait les
mener, des millions d’années plus tard, jusque sur
la terre ferme. Mais ne nous emballons pas ! Il
nous reste quelques étapes à découvrir avant cet
épisode.
Troisième partie

La vie explose

Dans cette partie…

La vie peut se comporter comme un groupe d’enfants


enfermés plusieurs heures dans une salle de classe. Ils sont
bourrés d’énergie à dépenser et trépignent sur leur chaise à
l’approche de la récréation. La sonnerie libératrice provoque
une véritable explosion et tous se précipitent vers la porte
de sortie. Une fois dehors, ils partent en courant dans toutes
les directions et vont occuper les moindres recoins de la
cour. Des regroupements ont lieu autour d’activités
communes et, très rapidement, des clans se forment.

Nous verrons ainsi que les petits de l’école d’Ediacara font


leur révolution dans la cour de celle de Burgess. C’est là
aussi qu’apparaissent les principaux groupes d’animaux que
nous connaissons aujourd’hui, comme les belliqueux
Vertébrés, mais aussi des plantes, avec les algues vertes.
Chapitre 7

Le Big Bang de la vie


Dans ce chapitre :
La révolution de Burgess
Les premiers Vers plats et Annélides
L’apparition des Mollusques et
Arthropodes
Les Échinodermes

« Souvent une évolution est une révolution sans en avoir


l’R. »
Pierre-Henri Cami

Pour débuter ce nouveau chapitre de la vie,


faisons rapidement le point. Vers – 570 millions
d’années, les animaux se sont dotés de deux
couches de cellules et vers – 530, ils ont appris à
fabriquer des tissus durs. On pourrait ainsi
facilement penser que la vie va vers toujours plus
de complexité.
Les faits montrent qu’il s’agit bien de la tendance
générale. Pourquoi tendance ? Tout simplement
car notre planète est capricieuse et peut
facilement transformer un parcours de santé en
un parcours du combattant. La faune d’Ediacara
(voir chapitre 5) puis la faune tommotienne (voir
chapitre 6) en ont fait les frais et ont subitement
disparu, la première vers – 541 et la deuxième
vers – 528 millions d’années. Ces brusques
apparitions d’êtres vivants, suivies de leurs
disparitions tout aussi rapides, donnent à
l’évolution de la vie un aspect en dents de scie.
Nous sommes à – 528 millions d’années et la vie
s’apprête à nous offrir l’une de ses plus belles
avancées : le Big Bang de l’évolution animale !
Des plans et des plantages à Burgess
Pass
Quittons la Sibérie et ses « petites coquilles » et
dirigeons-nous vers l’un des sites fossilifères les
plus fantastiques de la planète. Contrairement à la
précédente, cette transition devrait se passer en
douceur, car si nous avons survécu au climat
sibérien, alors les montagnes Rocheuses
canadiennes nous paraîtront bien plus clémentes.
Nous sommes maintenant à Burgess Pass, à la
frontière de la Colombie britannique, dans le Yoho
National Park.
Burgess king

C’est dans ces montagnes, à la fin du mois d’août


1909, à plus de 2 400 mètres d’altitude, que
Charles Doolittle Walcott découvre trois fossiles de
créatures étranges, ressemblant à des Crustacés.
Les animaux sont emprisonnés dans un bloc de
schistes, une roche à l’aspect feuilleté, très
abondante en ce lieu. Ils sont datés de – 530
millions d’années environ, une période que
Walcott étudie depuis de longues années. Rien
d’étonnant donc à ce que notre pionnier retourne
fouiller ce site cinq fois entre 1909 et 1917.
Il en rapportera plus de 80 000 spécimens, tous
plus étonnants les uns que les autres, qu’il
confiera au Muséum national d’histoire naturelle
de la Smithsonian Institution de Washington. Le
mythe des schistes de Burgess allait naître.
La vie est belle…
La faune de Burgess est exceptionnelle car on y
trouve tous les grands groupes d’animaux
d’aujourd’hui : les éponges, les Arthropodes, les
Vers plats, les Annélides, les Mollusques, les
Échinodermes et peut-être même les ancêtres des
Vertébrés. Comment tous ces animaux se sont-ils
retrouvés aussi bien conservés dans un même lieu
? On pense qu’ils vivaient au bord de mer, dans
des eaux peu profondes, et qu’un gigantesque
glissement de terrain les a tous engloutis. Ainsi
protégés par des tonnes de boue, ils se sont petit
à petit fossilisés.

Longtemps délaissés, les fossiles de Burgess sont


revenus au-devant de la scène en 1989, grâce au
livre, best-seller de Stephen Jay Gould, La vie est
belle. Ils nous montrent, qu’il y a 530 millions
d’années, les Arthropodes, comme Marrella,
coexistaient déjà avec des Mollusques, des
Échinodermes et des Annélides, comme Canadia.
Marrella comme Canadia se nourrissaient
probablement de petits organismes ou de restes
d’animaux morts sur le fond de la mer.
Figure 7-1 :
L’étrange bestiaire
de Burgess.

Walcott n’eut pas le temps d’analyser avec


précision les quantités vertigineuses de fossiles
qu’il ramena de Burgess Pass. Mais sa découverte
fit sensation car, d’une part elle prouvait que
l’évolution pouvait se produire de manière
explosive, et d’autre part elle montrait que les
plans d’organisation des êtres vivants actuels
avaient déjà été dessinés il y a plus de 500
millions d’années.
Plan d’organisation ! Nous ne sommes pourtant
pas dans La Mécanique pour les Nuls ! Une mise
au point s’impose.
Des plans d’épargne
On appelle plan d’organisation la disposition des
différentes parties d’un organisme les unes par
rapport aux autres. Pour s’en faire une idée, on
observe la position de la tête, de la queue,
l’existence ou non d’une symétrie bilatérale (si on
coupe l’organisme en deux, on obtient deux
parties identiques), etc. Pour les zoologistes,
toutes les espèces qui présentent le même plan
d’organisation sont réunies dans une catégorie
que l’on appelle un embranchement.
Prenons par exemple le Lion et la Baleine. À
première vue leur morphologie est nettement
différente. Pourtant si l’on y regarde de plus près,
on trouve une tête à l’avant du corps, suivie d’un
buste et d’une queue. Traçons maintenant une
ligne imaginaire (à moins que vous ne vous
sentiez le courage de la dessiner réellement !),
partant du milieu de la tête et allant jusqu’à la
queue. Vous obtenez une moitié droite et une
moitié gauche de part et d’autre de cette ligne. Ce
sont donc tous les deux des êtres à symétrie
bilatérale. Ces comparaisons vous permettent de
classer ces deux êtres dans le même
embranchement.
Le premier super-
prédateur…
Certains fossiles retrouvés à Burgess ont
été longtemps qualifiés d’inclassables. La
découverte, ces quinze dernières années,
d’autres gisements du même âge (en
Chine, en Australie et au Groenland) a
permis de nouvelles analyses utilisant des
techniques plus modernes. Par exemple,
des animaux comme Opabinia ou
Anomalocaris sont désormais classés dans
les Arthropodes, mais leur lignée n’a
donné ensuite aucun descendant.
Cela vaut mieux pour nous ! Car
Anomalocaris, dont la taille pouvait
atteindre celle d’un Homme, était le plus
grand prédateur de son temps. Grâce à ses
gros yeux pédonculés, il chassait à vue et
poursuivait rapidement ses proies en
faisant onduler son corps. Une paire
d’appendices préhenseurs, placés de
chaque côté de sa bouche, attrapait la
proie. Elle était ensuite découpée, par les
plaques tranchantes comme des rasoirs,
qui entouraient la bouche. On retrouve
ainsi, sur la coquille de certains fossiles,
une marque circulaire, qui ne laisse aucun
doute sur la cause de leur mort. Il faut
remarquer, que lors de leur première
découverte, les appendices d’Anomalocaris
furent pris pour des Crevettes primitives,
alors que sa bouche et ses plaques furent
décrites comme une méduse. Quelques
fossiles, comme Dinomischus, restent tout
de même, encore aujourd’hui, inclassables.
Burgess ne nous a pas encore livré tous
ses secrets…

Nous savons tous reconnaître un avion, une moto,


une auto ou un bateau, car leur allure est restée la
même depuis leur création. Une moto a toujours
deux roues et un guidon, une voiture quatre roues
et un volant, etc. Il n’y a que la carrosserie qui
change véritablement. C’est en quelque sorte ce
qui s’est passé pour les animaux depuis plus de
500 millions d’années. Les plans d’organisation
dessinés à l’époque des schistes de Burgess ont
été transmis sans grand changement jusqu’à nos
jours.
Les raisons pour lesquelles ces plans ont été
conservés intacts jusqu’à l’époque actuelle sont
encore mystérieuses. Mais quoi qu’il en soit,
Burgess Pass est bien le roi des gisements
fossilifères. Ouvrez grands les yeux ! La visite
commence.
Des Vers plats et des plats divers
De la faune de Burgess, nous pourrions vous faire
un inventaire à la Prévert. Avec des noms comme
Pikaia, Canadia, Ottoia, Marrella, Wiwaxia, l’effet
poétique serait garanti. Mais en science, le plaisir
des mots a ses limites et le petit sourire amusé
laisserait vite place à la grimace de
l’incompréhension.
Soyons donc méthodiques et regroupons nos
échantillons. Notre premier groupe d’animaux n’a
rien d’extraordinaire. Ils ressemblent à des tubes
aplatis dont on aurait rebouché le conduit. C’est
d’ailleurs pour cette raison qu’ils ont été nommés
Vers plats ou Plathelminthes, du grec platus,
large, et helmins, ver.
Trois couches pour un Ver plat
Observés à la loupe, les Vers plats ne semblent
pas beaucoup plus évolués que les éponges,
méduses ou Anémones étudiées dans les
chapitres précédents. Mais, si on se sert d’un
microscope, nous leur devons des excuses.
Souvenez-vous ; nous avions constaté que les
éponges et les méduses étaient constituées de
deux couches de cellules, appelées feuillets,
collées ensemble par une sorte de gelée. Avec les
Vers plats, nous passons à trois feuillets : un
ectoderme dehors, un endoderme dedans et un
mésoderme entre les deux. Ce troisième feuillet,
central, constitue une véritable révolution dans le
monde animal. Bien protégé par ses petits
camarades, il va pouvoir s’adonner à son jeu
favori : se transformer en organe. Oh, bien sûr,
ses débuts ne furent pas flatteurs. Mais avec de
l’entraînement et des centaines de millions
d’années devant soi, on peut en faire des
choses…

Lorsque l’on veut étudier ce qui anime un


véhicule, on soulève le capot. En biologie, on
pratique une dissection. Pour nos Vers plats, il faut
être méticuleux car leur taille moyenne dépasse à
peine le centimètre. Pratiquons l’incision de
l’épiderme tout autour de l’animal, et soulevons le
capot ainsi créé. Premier constat, le tube digestif
n’a qu’une seule ouverture, située en plein milieu
du ventre de l’animal. Bouche et anus sont donc
confondus. Beurk !
Autour de ce tube digestif, nous découvrons de
nombreux muscles miniatures organisés en trois
couches : une circulaire, une oblique et une
longitudinale. Elles permettent au Ver de se
déplacer en se contorsionnant. Mais, même un
moteur aussi rudimentaire doit être contrôlé, car
si on laisse les muscles se contracter comme bon
leur semble, c’est l’anarchie et l’animal a de
grandes chances de faire du surplace.

Figure 7-2 : Un
Ver plat vivant
dans les eaux
douces : la
Planaire.

Le Plathelminthe a résolu ce problème en reliant


chacun de ses muscles à un câble qui commande
sa contraction, une fibre nerveuse. Au bout de ces
câbles, une petite sphère située dans la tête de
l’animal commande l’ensemble des fibres
nerveuses. C’est un ganglion, les prémices d’un
cerveau. Alors là, Monsieur le Plathelminthe,
chapeau ! Nous vous devons de plates excuses.
Du neuf sur le plat…
Contrairement aux Cnidaires, les
Plathelminthes ont un tube digestif, qui est
ramifié dans toutes les parties du corps. Il
est cependant souvent absent chez les
espèces parasites : les éléments nutritifs
sont alors absorbés par simple diffusion à
travers l’épiderme.
Autre nouveauté des Plathelminthes : la
présence d’un système excréteur. Il est
encore très simple : c’est un réseau de
petits tubes, qui débouchent à l’extérieur
de l’animal par des pores. Chacun de ces
tubes se termine en cul-de-sac par une
cellule creuse, portant un pinceau de cils,
appelé cellule à flamme. Grâce aux
battements de ces cils, le fluide corporel
est aspiré puis filtré dans les tubes.
Dernière nouveauté et non des moindres,
les Plathelminthes renferment un système
nerveux comportant un cerveau. De celui-
ci partent de nombreux cordons nerveux,
reliés entre eux par des commissures. Des
structures sensorielles plus complexes
apparaissent aussi, comme des yeux
simples, les ocelles, qui leur permettent de
détecter la lumière, et des organes
sensibles au contact des corps solides ou
tangorécepteurs. Il faut cependant encore
souligner que chez les espèces parasites,
ces structures sensorielles sont réduites ou
absentes.
Fécondation à la hussarde
Si nous farfouillons encore un peu dans notre Ver
plat nous constatons avec stupeur que testicules
et ovaires se côtoient. Il n’y a donc ni madame ni
monsieur Plathelminthe, mais des
hermaphrodites. En fait, c’est un peu plus subtil,
car ils sont d’abord mâles avant de devenir
femelles. Ce curieux mélange des genres n’évite
pas qu’il faille un papa et une maman pour la
reproduction.
Chez certaines espèces, l’accouplement se réalise
d’une manière que nous, êtres humains,
considérons comme classique, le mâle
introduisant son pénis dans l’orifice génital de la
femelle. Chez d’autres espèces, le comportement
du mâle bouscule tous nos concepts de l’acte
amoureux. Il se sert de son pénis musculeux
comme d’une seringue et l’enfonce au hasard
dans le corps de la femelle. Il libère ainsi ses
spermatozoïdes à l’intérieur de sa partenaire.
Cette fécondation à la hussarde est qualifiée de
traumatique transépidermique par les
scientifiques. Les spermatozoïdes rejoignent
ensuite les ovaires et fécondent les ovules. Selon
les espèces, des larves ou de petits vers
miniatures sortent des œufs, pas trop pressés
certainement de devenir des femelles.
Tel le Phénix…
Chez certains Plathelminthes, comme la
Planaire, tout fragment du corps, de taille
supérieure à1/60e de l’animal, est capable
de régénérer un animal complet et bien
vivant. Chez une Planaire américaine, la
Planaire tigrinée, la reproduction classique
n’existe même plus et elle ne se reproduit
que par scissiparité. En effet, lorsqu’elle
atteint une taille limite, elle se coupe en
deux, juste en arrière du pharynx, grâce à
de puissantes contractions musculaires.
Puis chaque morceau redonne un nouvel
individu.
Ces capacités extraordinaires de
régénération sont dues à l’existence, chez
ces Plathelminthes, de cellules à caractère
embryonnaire appelées néoblastes,
capables de se multiplier rapidement, puis
de se différencier en n’importe quelles
cellules de l’animal.
Des Aliens !
Tous les Plathelminthes ne sont pas de gentils
petits Vers hantant les eaux douces. Certains se
sont dit que l’intérieur d’un Mammifère était un
lieu bien accueillant avec gîte douillet et couvert
abondant.
Mais pour parvenir à se faire avaler par l’une de
ces grosses bêtes, il faut être aussi rusé que
patient. Prenons par exemple la Grande Douve du
foie. Comme son nom l’indique, elle vit dans cet
organe et plus particulièrement dans celui du
Mouton. C’est là qu’a lieu l’accouplement entre
monsieur-madame et madame-monsieur, les deux
partenaires se fécondant mutuellement. De cette
union naissent des œufs qui tombent dans
l’intestin du Mouton et sont expulsés avec les
excréments.
Avec un peu de chance, ces œufs arrivent dans
l’eau et libèrent une larve appelée miracidium, qui
cherche activement un Escargot d’eau douce, la
Limnée. Elle pénètre dans son poumon et se
transforme en une autre larve répondant au doux
nom de rédie. S’il fait froid, la rédie reste bien
sagement dans l’Escargot d’eau douce et prend
même le temps de donner quelques rédies filles.
Lorsque la température s’élève, elle se transforme
en une autre larve au nom plus agressif, la
cercaire. Celle-ci, tel l’Alien de Ridley Scott, sort
de la Limnée en se forant une ouverture, dans les
enveloppes de la pauvre bête.
Figure 7-3 : Le
cycle vital de la
Grande Douve du
foie.

Vous devez penser que nous sommes loin du


Mouton de départ et qu’il va être très difficile d’y
retourner, mais il reste un dernier épisode. La
larve cercaire, libre dans l’eau, se fixe sur une
plante aquatique, près de la surface. Elle se
construit une coquille protectrice et, tel un usager
d’un transport en commun un jour de grève,
attend sans conviction un éventuel Mouton. Celui-
ci se contaminera en broutant l’herbe lors d’une
baisse du niveau de l’eau. Une fois dans l’intestin
de son hôte, la larve de la Grande Douve remonte
vers le foie où elle deviendra adulte.
Ouf, la boucle est enfin bouclée. Quel scénario
tordu digne d’une mauvaise série télévisée ! Mais
dans la famille Douve, on se complaît dans les
histoires compliquées. Pour s’en convaincre, voici
un résumé du cycle de vie de la petite Douve du
foie. L’adulte vit aussi dans le foie du Mouton,
l’œuf est libéré dans l’herbe avec les excréments,
il est mangé par un Escargot, il donne une larve
qui rejoint les poumons où elle se recouvre de
mucus, puis elle quitte l’Escargot, tombe dans
l’herbe et se fait avaler par une Fourmi, qui se fait
à son tour avaler par un Mouton lorsqu’il broute
l’herbe. Et c’est reparti pour un tour !
Vous êtes certainement en train de penser qu’il
s’agit d’un délire et qu’aucune espèce ne peut
survivre avec autant d’approximation, autant de
hasard de rencontre. Et pourtant, c’est la stricte
vérité, foi d’auteurs !
On en fait tout un plat…

La très grande majorité des Plathelminthes sont


des parasites. Ils attaquent tous les animaux,
aussi bien aquatiques que terrestres. Ils infectent
ainsi l’Homme et le bétail, provoquant des
perforations, des nécroses ou des bouchons dans
certains tissus. Ces infections peuvent donc être
mortelles si elles ne sont pas traitées rapidement.
Certaines, comme les bilharzioses, provoquées
par des Vers plats appelés Schistosomes qui
vivent dans les vaisseaux sanguins, favorisent la
propagation d’autres maladies infectieuses
comme le sida.
Les maladies causées par les Vers plats posent
donc d’importants problèmes de santé humaine
ou animale. Toutefois, il faut noter que pour la
plupart, ces maladies peuvent être évitées par
une amélioration des conditions sanitaires :
construction de toilettes, mise en place du tout-à-
l’égout, création d’un réseau d’eau potable.
Des anneaux peu banals

La présence de Vers plats dans la faune de


Burgess n’a jamais été clairement établie mais
des traces sous forme de terriers attestent leur
existence dans les collines d’Ediacara, 30 millions
d’années plus tôt (voir chapitre 5). Pour le groupe
suivant, aucun doute sur son existence à l’époque
de Burgess.
De nombreux fossiles présentent le même plan
d’organisation que leurs représentants actuels :
un tube creux constitué d’un assemblage
d’anneaux. Leur nom ? Les Annélides, tout
simplement.
Un jeu de construction
Pour se faire une idée de la morphologie des
Annélides, revenons quelques années en arrière,
lorsque nous jouions à la pyramide des anneaux.
Nous avions devant nous une structure verticale
en bois ou en plastique qui servait d’axe pour
emboîter des anneaux. Nous les empilions au petit
bonheur la chance et obtenions des résultats
colorés plus ou moins réussis. Le jeu pouvait se
compliquer de la mise en place d’une dernière
pièce au sommet de l’axe, bloquant l’ensemble
des anneaux. Celle-ci prenait souvent l’apparence
d’une tête animalière.

L’organisation d’un Annélide ressemble à cet


assemblage : quelques dizaines d’anneaux
coincés entre une tête et une queue appelée
pygidium (qui signifie « derrière » en grec). Le
rétrécissement entre chaque anneau donne à
l’animal un aspect grossier de saucisson sec. Et si
on s’en payait une tranche ?
Figure 7-4 : Le
saucisson de nos
jardins : le Ver de
terre.

Devant votre dégoût à peine feint, nous ne


donnerons qu’un caractère purement théorique à
cette expérience. Dans chaque anneau, que nous
appellerons désormais segment, nous trouvons
deux petits ganglions nerveux et deux organes
permettant d’expulser les déchets à l’extérieur de
l’organisme. Ils ont été nommés néphridies, ce qui
en grec signifie « petits reins ».
Ainsi le corps de l’animal ne semble être qu’une
répétition d’un même segment. Les scientifiques
ont donné le nom de métamères à chacun de ces
segments, de méta-, après et mère, élément. Les
Annélides sont ainsi des Vers polymères, une
répétition de nombreux éléments. Notre
comparaison avec un saucisson sec reste donc
valable.
Cours de dissection accéléré
Mais toute métaphore ayant ses limites, la nôtre
bute sur un obstacle important : chaque segment
ne peut vivre indépendamment des autres.
Il y a nécessairement un lien leur permettant de
fonctionner de manière harmonieuse.

Ce lien nous le découvrons en coupant l’animal


(voir figure 7-4), non pas dans le sens transversal
(en tranches de saucisson), mais dans le sens
longitudinal (de l’avant vers l’arrière). Premier
constat, les petits ganglions nerveux sont reliés
entre eux. L’ensemble forme une chaîne
nerveuse, elle-même reliée à un cerveau situé
dans la tête. Voilà pour la coordination des
segments.
Deuxième constat, deux petits tuyaux fins
traversent tous les segments, un du côté du dos,
l’autre du côté du ventre. Si on les sectionne, un
liquide rougeâtre s’en échappe ; c’est du sang
d’Annélide. Il circule dans ces deux vaisseaux qui
forment un véritable circuit. Il s’agit donc d’un
appareil circulatoire clos. Une première ! Ajoutons
également que le vaisseau dorsal propulse ce
sang en se contractant, et vous avez devant vous
le prototype archaïque du cœur. Le sang assure
l’apport en oxygène et en aliments des différentes
parties de l’organisme. Voilà pour la nutrition des
segments.
L’Annélide n’est donc pas un simple tube creux
formé de segments emboîtés. Il comporte déjà de
nombreux organes, que nous retrouverons plus
tard chez des organismes beaucoup plus évolués.
Seule la respiration ne présente encore aucun
organe spécialisé. Les échanges gazeux entre l’air
et l’intérieur de l’organisme s’effectuent au
travers de la peau qui est fine et perméable. Et
puis c’est un animal beaucoup plus présentable
que le Plathelminthe. Chez lui, au moins, la
bouche et l’anus sont séparés. Ouf, on respire !
À plumes et à poils
Les fossiles d’Annélides trouvés à Burgess étaient
nécessairement marins car la vie restait
cantonnée dans l’eau. Aujourd’hui encore, la
plupart d’entre eux vivent dans les océans du
monde entier. Ce sont souvent des Vers plus ou
moins couverts d’excroissances comme des soies,
des piquants, des plumes ou des collerettes.

Caressez délicatement un Ver de terre de l’arrière


vers l’avant ; n’ayez pas peur, il ne mord pas !
Vous sentez, sous votre doigt, de petits poils
rigides, appelés soies. Elles permettent à l’animal
de s’accrocher dans ses galeries souterraines, à
mesure qu’il avance. Les Annélides, qui comme le
Lombric ne portent que peu de soies (quatre
paires par métamère chez le Lombric), sont
regroupés sous le nom des Oligochètes, car en
grec oligo signifie peu, et caith, poil.
Certains Annélides, comme la Sangsue,
parfaitement imberbes, sont appelés Achètes car
le préfixe a- signifie « sans ».
D’autres Annélides, au contraire, couverts de
soies, sont nommés Polychètes car poly signifie
plusieurs. Loin de leur donner l’aspect d’un Yeti,
cette toison leur donne fréquemment de belles
couleurs irisées. À part quelques rares exceptions,
ils sont tous marins, comme la belle Aphrodite.
Il vous met le feu…
Hermodice carunculata est un beau
Polychète, aux couleurs irisées, abondant
dans les récifs tropicaux, appelé le Ver de
feu barbu ou barbelé, car il est recouvert
de soies blanches très urticantes en cas de
contact. C’est un prédateur pouvant
mesurer jusqu’à 70 centimètres (le plus
souvent 10 à 30 centimètres), qui se
nourrit, dans son milieu naturel,
principalement de coraux.
Lorsque ce Ver se sent menacé, il projette
ses soies dans l’eau. Elles sont creuses,
remplies de venin très irritant et pénètrent
facilement dans la chair. En cas de contact,
il est recommandé de retirer les soies en
appliquant du ruban adhésif sur la plaie
que l’on enlève ensuite très lentement.
Puis, afin de soulager en partie la douleur,
on peut frictionner la plaie à l’alcool. Si la
douleur est intense et persiste, consulter
rapidement un médecin ou un centre
antipoison.
L’art de la métamorphose
La taille des Annélides est très variable et va de
quelques millimètres à plus de 2 mètres pour une
espèce polynésienne. Bon nombre d’entre eux
pondent des œufs d’où sortent des bébés
nageurs, des larves. Celles-ci deviennent des
adultes en s’allongeant lentement, donc sans
métamorphose.

Chez les Polychètes, le développement est indirect


: les œufs libèrent des larves planctoniques en
forme de toupies, très mobiles et tournant sur
elles-mêmes. Ces mouvements très rapides sont
assurés par deux couronnes de cils, insérées de
part et d’autre de leur bouche. Elles sont appelées
larves trochophores, car, en grec, trokho signifie
disque qui tourne et pherein signifie porter.
Chaque larve s’allonge petit à petit par sa région
postérieure et parallèlement le mésoderme
s’étend et s’insinue entre l’ecto- et l’endoderme.
Puis, alors qu’il poursuit son élongation, le
mésoderme se fragmente de l’avant vers l’arrière
et se creuse ; on parle de schizocoelie. À la fin du
développement, chaque métamère contient une
ou deux cavités, limitées par le mésoderme,
appelées vésicules cœlomiques. Ainsi, les
Annélides sont des cœlomates. La larve ainsi
transformée perd ses couronnes et tombe au fond.
Chez les autres Annélides, la larve trochophore
n’est pas libre. Elle reste prisonnière d’un cocon
de ponte et l’éclosion libère un Ver de petite taille
: le développement est donc direct.

Figure 7-5 :
Développement
d’une reine à
double couronne :
la larve
trochophore.

Paradoxalement, ce sont les adultes de certaines


espèces vivant sur les fonds marins qui peuvent
subir une métamorphose. Leur transformation est
digne de certains dessins animés pour enfants,
car l’animal devient méconnaissable. Leurs yeux
deviennent énormes, leurs appendices
locomoteurs initialement prévus pour la marche
au fond de l’eau se transforment en nageoires et
leurs soies, réparties sur le corps, deviennent des
rames. Le bulldozer se transforme en sous-marin
qui remonte vers la surface, où aura lieu la
fécondation. Métamorphose !
J’ai demandé à la
lune…
Un grand nombre de Polychètes passent la
majeure partie de l’année à nager au fond
de l’eau et sous forme sexuellement
immature ; on les qualifie alors d’atoques.
À l’approche de la période de reproduction,
l’acquisition progressive de la maturité
sexuelle s’accompagne d’une véritable
métamorphose : leurs soies se
transforment en rames, leurs yeux
deviennent énormes, et ainsi modifiés, ils
nagent vers la surface ; on les appelle
alors des épitoques. Cette transformation
de la forme atoque à une forme épitoque
mature est influencée par des facteurs
externes : cycles lunaires, température et
salinité de l’eau, durée du jour et de la nuit
et par des substances fabriquées par
l’animal lui-même.
Un des exemples le plus spectaculaire est
celui des Palolos des îles Samoa en
Polynésie. La forme épitoque d’Eunice
viridis est particulière, car elle comporte
deux régions bien distinctes : une
antérieure peu modifiée et une
postérieure, complètement transformée,
pleine de produits génitaux. Le troisième
jour après le dernier quartier de lune
d’octobre, simultanément, tous les Eunice
libèrent leur partie postérieure. Elle se
détache et monte vers la surface, alors
que la partie antérieure retourne se cacher
dans le récif. Toutes ces parties
postérieures matures libèrent ensuite
progressivement leurs produits génitaux ;
elles sont si nombreuses que la mer
devient totalement blanche. Les poissons,
comme les Oiseaux se rassemblent pour
s’en gaver. Les Samoans les apprécient
eux aussi. Ils les mangent crues comme
cuites et ils les appellent Palolos. Leur
pêche et leur dégustation sont l’occasion
d’une grande fête traditionnelle.
De terre et de sang
Il serait malvenu de quitter les Annélides sans
parler des deux représentants emblématiques du
groupe : le Ver de terre et la Sangsue.

Le premier appelé également Lombric, est un


véritable laboureur de sol qui remplit un rôle
fondamental dans le recyclage des déchets
organiques. On en dénombre plus de 3 000
espèces dans le monde, dont la taille varie de
quelques centimètres à plus de 3 mètres pour une
variété sud-américaine. Ils sont constitués d’une
association de 80 à 450 anneaux, formant un
cylindre creux dans lequel on remarque surtout le
tube digestif, l’organe principal du Ver de terre.
Il n’y coupera pas…
Certains d’entre vous qui jardinent
voudraient certainement savoir si, comme
l’affirment certains jardiniers, quand on
coupe en deux un Ver de terre, les deux
moitiés survivent. En fait ce fameux
pouvoir de régénération n’est que très
relatif : lorsqu’on coupe un Ver en deux,
seule sa moitié antérieure survit. À
condition toutefois qu’elle n’ait pas été
infectée par sa blessure.
Contrairement aux Oligochètes (Ver de
terre) et aux Achètes (Sangsue), les
Polychètes ont une grande capacité de
régénération et peuvent même se
multiplier par voie asexuée. Cette
multiplication asexuée s’effectue par des
mécanismes très variés et étonnants. Chez
certains, comme Dodecaceria, quelques
métamères postérieurs, bourrés de
réserves, se détachent et chacun donne
naissance à quatre nouveaux Vers. Chez
d’autres, comme Autolytus, l’arrière de
l’animal forme de nouveaux individus, qui
ne se détachent qu’une fois totalement
formés.
Il est à peine caricatural de réduire le Ver de terre
à un tuyau avaleur et mélangeur de sol tant sa
morphologie est adaptée en ce sens. Dans les
régions tempérées, on estime entre 1 et 3 tonnes,
la masse de Lombrics par hectare de prairie,
vivant dans les 4 000 à 5 000 kilomètres de
galeries creusées par leurs soins. Une tonne de
ces tubes digestifs ambulants ingère 250 tonnes
de sol par an. Grâce à eux, le sol est aéré,
fertilisé, mélangé, humidifié… en un mot, vivant.
Sol et Ver de terre sont indissociables et lorsque
l’Homme joue à l’apprenti sorcier en maltraitant
cette association, c’est sa propre survie qu’il
remet en cause.
Le Lombric
d’appartement
Il vous faut tout d’abord fabriquer un
récipient à deux bacs de dimensions 30 x
45 x 105 centimètres (pour quatre
personnes). Percez le bac du haut de petits
trous, car le compost produit un jus qui
s’écoule dans le sol dans la nature, mais
qui doit être récupéré dans votre
composteur d’appartement. Il faut percer
ce bac de trous suffisamment petits, pour
que les Vers ne tombent pas dans le bac
inférieur. Le bac du dessous servira donc à
collecter le jus. Ajoutez ensuite un
couvercle, afin de garantir une aération,
mais d’éviter que les Vers ne sortent et
que la lumière ne les dérange. Déposez
dans le bac du haut un mélange de
terreau, de petites branches, d’herbe
desséchée, de feuilles d’arbres, de carton
ondulé et de papier journal. Humidifiez
abondamment une fois en place.
Introduisez 1 kilo de Lombrics (à acheter
dans un magasin d’articles de pêche) et
laissez-leur trois semaines pour
s’acclimater. Déposez alors les premiers
déchets : épluchures, petits morceaux de
fruits ou légumes, marc de café, coquilles
d’œuf finement broyées. Lorsque le
compost devient noir, vous pouvez le
récolter et l’utiliser comme du terreau pour
les plantes de votre balcon.

La Sangsue ne revêt pas le caractère bienfaiteur


de son cousin Lombric. Elle est même associée
dans le langage courant au parasitisme dans ce
qu’il a de plus abject. Il faut dire qu’elle a une
morphologie plutôt repoussante avec sa bouche
munie de deux ou trois mâchoires coupantes et sa
grosse ventouse postérieure lui permettant de se
fixer sur son hôte (qui ne l’a généralement pas
invitée). Non seulement, elle entaille les chairs à
la recherche de vaisseaux sanguins, mais elle
pousse le vice jusqu’à sécréter des substances
rendant le sang incoagulable. Ce n’est plus un
tube à sol mais un tube à sang.
Elle sait être
hospitalière…
Parmi les 650 espèces de Sangsues
dénombrées actuellement, seules
quelques-unes sucent le sang. Ces
dernières étaient déjà utilisées par les
médecins en Inde 1 000 ans av. J.-C.
Hyppocrate écrivait qu’elles permettaient
de « restaurer l’équilibre des quatre
humeurs » (sang, phlegme ou lymphe, bile
jaune et bile noire). Au milieu du XIXe
siècle, plus de 42 millions de Sangsues
étaient utilisées, rien qu’en France.
Après une période d’oubli, les Sangsues
sont de nouveau utilisées dans les
hôpitaux ; le plus souvent, l’espèce
employée est la Sangsue médicinale
(Hirudo medicinalis). On les retrouve dans
les unités de grands brûlés, en
microchirurgie, dans les services de
greffes, car elles pompent jusqu’à huit fois
leur poids de sang et elles y injectent des
molécules anti-inflammatoires ou
anticoagulantes, comme l’hirudine.
Ventre mou prend son pied
Nous avons déjà évoqué le groupe suivant lorsque
nous avons parlé de l’invention de la coquille (voir
chapitre 6). Pourtant leur nom va à l’encontre de
cette construction qui les symbolise le plus,
puisqu’il s’agit des Mollusques, du latin mollis,
mou.
Mais c’est bien parce que leur corps est mou que
la coquille leur va comme un gant. Et même si
l’invention de cette armure naturelle les précède
de quelques millions d’années, c’est chez eux
qu’elle prend toute sa dimension, une dimension
parfois plus artistique que fonctionnelle.
Une tête, une coquille, quel
pied !
Pour se faire une idée générale de la structure
d’un Mollusque, prenons un compagnon familier
des enfants et ennemi des jardiniers : l’Escargot.
Sa mine sympathique, il la doit à sa petite tête
munie d’yeux télescopiques et à son corps épais
sur lequel il transporte sa maison en laissant
derrière lui un filet de bave. L’Escargot se déplace
sur un organe appelé pied où il semble avoir
regroupé tous ses muscles.
Dans ce pied on trouve le tube digestif, ce qui a
valu au groupe dont il est le fier représentant de
s’appeler les Gastéropodes, autrement dit « ceux
qui ont l’estomac dans le pied ». C’est par ailleurs
la partie de l’animal appréciée par les gourmets et
qui peut facilement devenir caoutchouteuse si elle
est mal cuisinée… Mais ne nous égarons pas.
Il ondule du pied…
Au printemps, dans l’herbe encore humide
par la rosée du matin, partez à la chasse à
l’Escargot. Vous trouverez facilement
l’Escargot des haies (Cepea nemoralis)
reconnaissable à sa petite taille et à sa
coquille jaune rayée de brun. Choisissez-en
un aux formes bien rebondies. Une fois
rentré à la maison, placez-le sur une
surface vitrée. Regardez alors le dessous
de son pied lorsqu’il rampe sur la vitre. Le
pied semble onduler sous vos yeux. Cette
impression est causée par les ondes de
contraction, qui se propagent de l’arrière
vers l’avant du pied, lorsque l’animal se
déplace. Observez aussi la trace de mucus
laissée par le pied sur la vitre ; ce mucus
permet à l’animal de glisser plus
facilement. Une fois ce grand service
rendu, empressez-vous de relâcher votre
volontaire dans un coin bien à l’ombre et
aux herbes fraîches abondantes. Merci
pour lui !

Nous nous sommes tous déjà amusés à toucher


du bout d’un doigt les extrémités des tentacules
que nous appelons cornes et où nous devinions la
présence des yeux. Le résultat était la rétractation
réflexe des tentacules et leur disparition dans le
corps de l’animal. La tête est donc la partie
sensorielle de l’Escargot. Les yeux ne sont que
deux minuscules têtes d’épingles situées au
sommet de chaque tentacule postérieur. Ils sont
très simples et d’efficacité limitée. En revanche,
sous cette tête, on trouve une bouche munie
d’une langue équipée d’une véritable râpe à
fromage, nommée radula. Celle-ci est couverte de
rangées de dents dont les mouvements de va-et-
vient dilacèrent la salade du pauvre jardinier. Dès
qu’une rangée est usée à l’avant de la radula, elle
est remplacée par une autre en provenance de
l’arrière. Un véritable tapis roulant à dents.

Figure 7-6 :
Morphologie de
l’Escargot.

La coquille, comme nous pouvions nous y


attendre, protège les organes les plus vulnérables
de l’animal. Nous y trouvons un cœur miniature
comportant deux cavités : une oreillette et un
ventricule. Tout ce petit monde s’agite pour
mettre le sang en mouvement dans des vaisseaux
parcourant tous les organes et leur acheminant
oxygène et aliments. Un de ces vaisseaux est en
relation directe avec un organe permettant
d’oxygéner le sang. Pour les Mollusques
aquatiques, il s’agit de branchies et pour notre
Escargot, d’un poumon. Nous ne le décrirons pas
maintenant pour ne pas semer la confusion dans
l’esprit du lecteur. N’oublions pas que nous
étudions la faune de Burgess et que la vie y est
encore totalement aquatique.

Toujours est-il que, pour la première fois dans


l’histoire de la vie, les Mollusques ont couplé
circulation et respiration, deux fonctions qui
resteront indissociables par la suite. Le sang
acquiert ainsi la lourde charge de transporter les
gaz respiratoires, c’est-à-dire d’acheminer aux
cellules l’oxygène dont elles ont besoin et de les
débarrasser du dioxyde de carbone qui les
encombre. Pas question pour lui de mal tourner !
Pour notre Escargot, en tout cas, tourner ne lui a
pas beaucoup réussi, car pour pouvoir rentrer
dans une coquille hélicoïdale, la nature lui a placé
l’anus et l’orifice urinaire à côté de son orifice
respiratoire. Pas terrible !
Des lamelles branchées
Pour le nom du groupe suivant, on ne s’intéresse
plus au pied, mais aux branchies qui sont en
forme de lamelles d’où le nom de
Lamellibranches. Les anciens biologistes les
avaient appelés Bivalves, en relation avec la
forme de leur coquille. Qu’a-t-elle de si particulier
?
Elle est constituée de deux valves unies par une
charnière. L’exemple caractéristique est la Moule
dont nous avons déjà parlé dans le chapitre 6 (voir
figure 6-2). Les valves sont souvent symétriques
mais cette symétrie peut être altérée si l’animal
vit fixé sur un rocher par exemple. Il n’y a qu’à
regarder une Huître pour s’en convaincre.
Tout un symbole !
La Coquille Saint-Jacques (Pecten
maximus) fait le bonheur des fins
gourmets, mais c’est aussi un symbole
religieux. Elle est en effet le signe distinctif
des catholiques qui font, ou qui ont fait, le
pèlerinage jusqu’à Saint-Jacques-de-
Compostelle en Galice (Espagne). Le
pèlerinage est né de la découverte dans un
champ, vers 810, par l’ermite Pelayo, des
tombeaux de l’apôtre Jacques et de deux
de ses compagnons. Ces derniers auraient
fui Jérusalem, sur une barque (que l’on dit
en pierre) après que Jacques fut décapité
sur ordre du roi Hérode. Guidés par un
ange, ils auraient franchi le détroit de
Gibraltar, avant de s’échouer sur les côtes
de Galice. Pelayo aurait été guidé jusqu’au
champ, par une étoile dans le ciel, d’où le
nom de Compostelle, car Campus Stellae
signifie « champ de l’étoile ». Mais
revenons à notre coquille.
Pourquoi ce symbole de la Coquille Saint-
Jacques ? D’après certains, un noble
chevalier et sa monture furent sauvés
miraculeusement de la noyade et le cheval
réapparut couvert de ces coquilles. Pour
d’autres, l’origine est beaucoup plus
pragmatique. En effet, les pénitents
devaient effectuer une partie de leur
chemin de retour sur les genoux. Un petit
malin, resté inconnu, eut l’idée d’utiliser
les coquilles vides comme genouillères.
Ces coquillages étaient percés de chaque
côté, de deux trous et maintenus par des
cordelettes. De cette pratique, aujourd’hui
disparue, il ne reste à notre coquillage
qu’un rôle symbolique…

La fermeture de la coquille est assurée par des


muscles attachés aux deux valves. Chez le
Bénitier géant dont la coquille peut mesurer 1,5
mètre de long et peser 250 kilos, ces muscles
peuvent mesurer jusqu’à 20 centimètres de
diamètre. La triste histoire du plongeur qui,
n’ayant pu retirer son pied de cet étau géant,
aurait péri noyé, n’est cependant qu’une légende.
En effet, ces muscles sont puissants, mais le
mouvement de fermeture est très lent.
Les glandes reproductrices apparaissent sous
forme d’une masse au joli nom de bosse de
Polichinelle et à côté de laquelle on trouve le pied.
Contrairement aux Gastéropodes, celui-ci ne leur
sert pas à se déplacer mais leur permet de
s’enfouir dans les fonds sablonneux. Il a
généralement une forme de hache et peut être
très musculeux et développé comme chez le
Couteau. Les espèces qui ont un pied de petite
taille vivent généralement fixées sur un support.
C’est le cas de la Moule dont une petite glande
située à la base du pied sécrète une matière
visqueuse qui durcit au contact de l’eau sous
forme de filaments : le byssus. C’est à cause de lui
qu’il faut préparer les Moules une par une à l’aide
d’un couteau.
Avec ou sans filtre ?
Chez tous les Lamellibranches, un courant d’eau
traverse l’animal de l’avant vers l’arrière. Il
apporte des petites particules alimentaires et les
gaz respiratoires. L’avant est difficilement
reconnaissable, car la tête est réduite à la bouche,
petite fente entourée de deux bras jaune orangé,
les palpes labiaux. Ils assurent un tri des
particules. Lorsque la Moule est fermée, on
distingue bien, à l’avant, un bord orangé et
frangé, qui constitue le point d’entrée de l’eau.
L’eau ressort à l’opposé, en ayant au passage
traversé deux fins paravents jaunes très fragiles,
les branchies.
Ces branchies permettent la respiration ; jusque-là
rien d’extraordinaire pour un animal aquatique…
Mais, en plus, elles attrapent au passage les
petites particules alimentaires. Pour cela, elles
fabriquent un mucus collant et portent de
nombreux cils. Les particules agglomérées par le
mucus sont emportées par les mouvements des
cils jusqu’à la bouche. C’est pourquoi, la Moule et
tous les Lamellibranches sont qualifiés de
microphages, de micro, petit et phagein, manger.
À peine ébauchées chez certains Annélides, les
branchies deviennent de véritables organes chez
les Lamellibranches et la plupart des Mollusques
aquatiques. Leur secret : faire passer le sang dans
des structures très fines en contact avec l’eau de
mer. L’oxygène dissous dans l’eau peut ainsi
passer facilement dans le sang. Ce n’est plus le
corps de l’animal qui sert de surface d’échanges,
mais une structure spécialisée beaucoup plus
efficace. Des branchies en lamelles branchues
branchées sur le sang, ça vous branche ?

Figure 7-7 : Les


branchies d’une
Moule assurent sa
nutrition et sa
respiration.
Des perles !
L’intérieur de la coquille, de la plupart des
Lamellibranches et de nombreux
Gastéropodes, est tapissé de nacre. La
nacre est constituée de carbonate de
calcium (voir chapitre 6), comme le reste
de la coquille, mais celui-ci forme de
petites tuiles très fines, qui alternent avec
des couches d’eau. Comme sur les bords
d’une bulle de savon, la lumière est
diffractée, puis elle subit des interférences,
ce qui crée les belles couleurs irisées, si
particulières, de la nacre.
Si un corps étranger pénètre dans la
coquille, il est le plus souvent éliminé par
le courant d’eau qui traverse l’animal.
Mais, chez les espèces dites perlières
(Pinctada martensi et Pinctada
margarifera), l’imprudent est entouré de
fines couches de nacre, qui se déposent
lentement, année après année. Ainsi naît
une perle naturelle, dont la forme épouse
les contours de l’étranger.
Depuis 1912, pour répondre à la demande
croissante de perles, une technique mise
au point par le Japonais Mikimoto permet
de produire des perles de culture. On
introduit dans des huîtres perlières de
petites billes de nacre enveloppées d’un
morceau de chair, prélevé sur une autre
huître. Puis on les enferme, sous l’eau,
dans des cages métalliques, afin de les
protéger des prédateurs. Il n’y a plus qu’à
attendre cinq à sept ans pour récolter les
précieuses perles. Mais la mortalité est
très forte et les perles récoltées sont
toujours plus petites que les perles
naturelles.
L’estomac dans les talons
Le nom du dernier groupe de Mollusques que nous
traiterons tient à nouveau compte du pied (-pode),
mais également de la tête de l’animal (Céphalo-),
ce qui nous donne les Céphalopodes.
Mais ce nom donne une idée fausse de l’aspect
général de l’animal car ce ne sont pas de
véritables pieds qui sont reliés à la tête, mais des
bras. Il peut alors paraître aberrant de classer la
Moule ou l’Escargot avec les Pieuvres, les Seiches
et les Calmars, mais l’étude des bras montre
clairement qu’ils dérivent du pied des autres
Mollusques. Voilà pour le livret de famille.
Nageoires et entonnoir

Si les Céphalopodes utilisent leurs tentacules


comme des rames, pour avancer, ils leur servent
surtout à capturer des proies. D’autres organes
permettent leurs déplacements. Ainsi, la Seiche
porte une nageoire fine et élégante, qui fait le tour
de son corps. Ses ondulations permettent à
l’animal de nager avec aisance, mais à une
vitesse modérée. Chez le Calmar, la nageoire est
limitée à deux triangles postérieurs. Leur surface
varie selon les espèces, mais tous les Calmars
nagent activement. Ce sont de grands voyageurs,
dont les déplacements sont commandés par ceux
des bancs de poissons qu’ils chassent. Parfois,
une troisième nageoire postérieure apparaît ; ainsi
chez le Calmar de Joubin cette nageoire est en
spirale ; ce Calmar nage en tournoyant sur lui-
même, comme un hélicoptère. D’une manière
générale, les Calmars peuvent se propulser par
saccades jusqu’à près de 40 kilomètres-heure.
Tous les Céphalopodes possèdent un organe
supplémentaire, l’entonnoir (ou siphon), qui leur
assure une fuite rapide en cas de danger. C’est un
tube orientable, formé par le pied et qui est placé
sous les tentacules (donc en position ventrale). En
cas de danger, l’animal aspire de l’eau par un
petit orifice voisin, puis la chasse violemment. Elle
sort avec force par l’entonnoir, et l’animal est
alors, par réaction, propulsé vers l’arrière. Il peut
même y ajouter, en guise de camouflage, un petit
nuage d’encre… Le salut dans la fuite !
Respiration et réflexion
Les Céphalopodes respirent grâce à des branchies
dont le nombre est utilisé pour les classer. On a
ainsi des Tétrabranchiaux, à quatre branchies et
des Dibranchiaux à deux branchies. Les bras qui
entourent la bouche sont des tentacules dont le
nombre variable est utilisé pour classer les
Dibranchiaux. On obtient ainsi des Dibranchiaux
décapodes, à deux branchies et dix tentacules
(comme les Seiches ou les Calmars) et des
Dibranchiaux octopodes, à deux branchies et huit
tentacules (comme l’indique le nom de genre
d’Octopus des Poulpes ou Pieuvres). Ne vous
inquiétez pas, nous n’allons pas revisiter toute la
classification. Mais cet exemple permet
d’entrevoir la manière dont la science classe les
êtres vivants en comparant des caractères. Nous
en reparlerons ultérieurement.
Si tu sèches tu tombes
sur un os…
Excepté le Nautile, les Céphalopodes
actuels, contrairement aux autres
Mollusques, n’ont pas de coquille visible.
En effet, chez la Pieuvre, elle n’existe plus,
et la seule partie encore dure est son bec.
Ainsi, grâce à ce corps mou, elle peut se
dissimuler dans le moindre trou. Des
expériences en aquarium ont montré
qu’une Pieuvre de 2,50 mètres d’envergure
parvenait à passer par un orifice de
seulement 8 centimètres.
Chez la Seiche, la coquille existe toujours,
mais elle est limitée à une plaque rigide,
d’un beau blanc crayeux, appelée os. Cette
coquille renferme de nombreuses petites
loges remplies d’air et elle permet à
l’animal de flotter, sans efforts à n’importe
quelle profondeur, sans être obligé de
nager en permanence. Chez le Calmar, la
coquille est encore plus réduite, elle est
souple et jaune et, du fait de sa forme
effilée, on parle de plume. La plume de
Calmar est peu minéralisée, en revanche
l’os de Seiche, riche en carbonate de
calcium notamment, est souvent donné
aux Oiseaux en cage, afin de leur apporter
les minéraux dont ils ont besoin.
Le plus étonnant chez les Céphalopodes, ce sont
leurs yeux creux volumineux ressemblant
beaucoup aux nôtres. Derrière ces yeux, un
véritable cerveau. De nombreux tests effectués
sur des Pieuvres montrent qu’elles sont capables
de réfléchir, de se souvenir, d’apprendre et
d’anticiper. Certains auteurs n’hésitent pas à
parler d’une véritable intelligence cachée dans
cette tête volumineuse entourée de tentacules.
Mais de là à prédire les résultats d’une rencontre
de football…
Ils en ont dans le crâne…

Chez les Céphalopodes, contrairement aux autres


Mollusques, tous les ganglions nerveux sont
regroupés en une masse unique, un cerveau, qui
est protégé par une capsule de cartilage
comparable au crâne d’un Vertébré. Ce cerveau
reçoit toutes les informations apportées par les
neurones et élabore ensuite une réponse
réfléchie. Cette organisation inédite est à l’origine
de capacités intellectuelles surprenantes. Les
Pieuvres sont, entre autres, capables de dévisser
le couvercle d’un bocal, pour y récupérer une
Langouste appétissante.
Le cerveau leur permet aussi de changer de
couleur et d’aspect en quelques secondes. La
Pieuvre peut ainsi se fondre dans son
environnement ; son corps se colore et se déforme
pour prendre l’apparence d’un rocher ou d’un
corail. Le Calmar et la Seiche sont aussi de
véritables caméléons. Il ne leur faut que quelques
secondes pour changer de couleur. Ces
changements de couleur sont permis par les
milliers de cellules pigmentées de leur peau, les
chromatophores, qui se contractent ou se dilatent
sous le contrôle de leur cerveau. Ces
changements de couleur leur permettent de
chasser à l’affût, mais aussi d’effrayer les
prédateurs. Ils sont parfois si soudains, que
l’animal semble envoyer des flashs lumineux.
C’est le cas du Calmar de Humboldt, pour lequel
les scientifiques se demandent si ces éclairs ne
sont pas un moyen de communication entre ces
chasseurs voraces…

Ces capacités, les Céphalopodes les doivent


certainement aux 500 millions de neurones
géants qui composent leur cerveau. Si vous
ouvrez un livre sur le fonctionnement de la cellule
nerveuse, vous trouverez de très nombreuses
expériences réalisées sur le neurone géant de
Calmar. Il faut dire qu’avec son millimètre de
diamètre, il est entre 100 et 1 000 fois plus gros
qu’un neurone de Mammifère. C’est beaucoup
plus commode quand on veut y enfoncer des
électrodes pour réaliser des mesures.
Nous ne pouvons pas quitter les Céphalopodes
sans parler de leur bec de Perroquet dont la
puissance rappelle celle de l’Oiseau. À l’aide d’un
tel outil, ils peuvent mettre en pièces des animaux
aussi coriaces que des Crabes. Et pour finir, une
petite devinette : À quoi leur sert la poche du noir
? Si on ajoute qu’elle permet de faire diversion,
alors vous pensez à ce liquide noirâtre que les
Pieuvres projettent lorsqu’elles sont dérangées. Et
vous avez raison. C’est en effet un organe qui a
fait couler beaucoup d’encre.
Noir sépia…
Les Pieuvres, les Calmars et les Seiches
projettent un liquide noirâtre appelé encre
ou noir de Seiche, qui leur permet de se
dissimuler quand ils prennent la fuite.
C’est d’ailleurs, à la poche du noir qui la
fabrique que le Calmar doit son nom. En
effet, il provient de l’italien calamario, lui-
même issu du latin calamarius, l’« étui à
roseaux pour écrire », qui servait à
désigner une écritoire portative jusqu’au
XVIe siècle. Cette origine explique aussi le
nom de Calamar, utilisé plutôt dans le sud
de la France et qui désigne le même
animal.
Le noir de Seiche est naturellement
sombre, c’est pourquoi il était très utilisé
au Moyen Âge comme encre. Mais sa
teinte réelle est plutôt noir-brun, on parle
de noir sépia. Ainsi, après être tombé dans
l’oubli, le noir de Seiche connaît, depuis le
XVIIIe siècle, un vif succès dans de
nombreuses activités artistiques : dessin,
peinture, lavis, photo, cinéma.
L’encre de Seiche ou de Calmar est
également utilisée en cuisine. Vous pouvez
en ajouter à des pâtes, un risotto, ou à des
Seiches ou Calmars farcis. L’effet visuel et
gustatif est garanti !
Ventre mou cherche cuirasse
Dans la faune de Burgess, environ 120 groupes
d’animaux ont été identifiés, dont certains n’ont
pas eu de descendance et se sont éteints à tout
jamais.
D’autres au contraire, déjà bien représentés à
cette époque, ont su traverser l’épreuve du temps
et ont survécu à tous les pièges de la planète.
Leur réussite est incontestable, puisqu’ils
représentent actuellement plus de 90 % des
espèces animales vivant sur Terre. Mais de qui
s’agit-il ? Faisons durer encore un peu le suspense
en ajoutant que leur nom signifie « pieds articulés
». Cela vous fait une belle jambe ! Bon ! Et
Arthropodes ? Non plus ! Alors dernière chance :
Insectes, Crustacés, Araignées, Scorpions, Mille-
pattes. Voilà vous y êtes !
Une fois brisée la carapace
Vous avez déjà mangé du Crabe, de la Langouste
ou du Homard et vous avez certainement éprouvé
quelques difficultés à casser la carapace de
l’animal pour en extirper la chair goûteuse. Vous
avez, sans le savoir, pris conscience qu’un
Arthropode c’est dur dehors et mou dedans. Il
possède en effet une carapace appelée cuticule,
qui lui sert de squelette externe. On dit aussi
exosquelette.

Le principal constituant de cette cuirasse est la


chitine, une sorte de sucre de très grande taille.
Dans la cuticule des Arthropodes elle est
mélangée à des protéines et à du carbonate de
calcium, le calcaire, ce qui la rend rigide. Les
principales qualités de la cuticule sont sa
résistance et son imperméabilité qui ont
probablement joué un rôle important dans le
succès de ce groupe. Mais en contrepartie, elle est
très peu flexible et élastique.
Les chevaliers du Moyen Âge ont été confrontés
au même problème lors de la mise au point de
leur armure : conserver la résistance du métal
tout en permettant le mouvement. C’est en créant
des zones d’articulation entre les pièces
métalliques qu’ils ont résolu le problème. C’est
également de cette manière que les Arthropodes
se sont assurés la protection de leur carapace tout
en restant mobiles. Ils se sont munis de « pieds
articulés ».
Le crabe aux pinces
d’or
Depuis une quinzaine d’années, l’industrie
de la chitine se développe, car la chitine
est utilisée en cosmétologie. En effet, elle
est un capteur efficace d’un grand nombre
de substances allergènes et son pouvoir
hydratant est fort et prolongé. La chitine et
ses dérivés chimiques, les chitosans,
entrent aujourd’hui dans la composition de
crèmes de soin, shampoings, vernis, etc.
Chitine et chitosans sont également
utilisés dans le traitement de l’eau, dans
l’agriculture et dans les produits
alimentaires. Par exemple, on commence à
utiliser la chitine pour enrober les fruits
d’un mince film protecteur, qui est ensuite
absorbé lorsque nous les mangeons. Les
chitosans n’étant pas digérés par notre
corps, ils se comportent comme des fibres
naturelles alimentaires et facilitent le
transit. De plus, comme ils semblent
piéger efficacement les graisses dans
l’intestin, ils sont de plus en plus vendus
comme amincissants naturels.
Comme la chitine est une matière
première abondante et peu coûteuse, car
les carapaces de Crabes, Langoustines,
Langoustes, etc. sont plutôt des déchets
dont on ne sait que faire, l’industrie de la
chitine semble avoir de beaux jours devant
elle…

Le corps des Crustacés, comme tous les


Arthropodes, est recouvert d’une cuticule. Mais
cet exosquelette rigide ne les recouvre pas
totalement, car sinon tout mouvement serait
impossible. En effet, il comporte des plaques
rigides, les sclérites, qui alternent avec des zones
souples, les membranes articulaires. À leur
niveau, la cuticule est moins épaisse, appauvrie
en carbonate de calcium et enrichie en résiline,
une protéine très élastique.
Chaque segment de l’animal est protégé par une
plaque dorsale, en forme de toit, le tergite ; une
plaque ventrale convexe ou sternite, reliées de
chaque côté par de petites pièces, les pleurites.
La plupart des segments portent une paire
d’appendices articulés (pattes, pinces, antennes,
etc.) qui s’insère entre le sternite et les pleurites.
Les mouvements sont permis par des muscles, qui
sont fixés sur la face interne des sclérites, par des
agrafes appelées apodèmes.
Figure 7-8 :
Coupe transversale
montrant
l’organisation de la
carapaced’un
Crustacé.
La mue lui va si bien
Reprenons notre chevalier et imaginons qu’on lui
ait confectionné une armure lorsqu’il était encore
enfant. Impossible pour lui de garder la même
armure au cours de sa croissance. Il devra la
quitter et en retrouver une plus grande, et ce, un
certain nombre de fois jusqu’à sa taille adulte.
C’est en quelque sorte ce qui se passe pour les
Arthropodes : à chaque étape de leur croissance,
ils doivent nécessairement changer de cuticule.

Comme leur nom l’indique (crusta en latin, signifie


« croûte »), les Crustacés sont prisonniers d’une
carapace rigide, qui les oblige à muer pour
grandir. Sous l’effet d’une hormone, l’ecdysone,
l’épiderme libère des enzymes, qui digèrent la
carapace par sa base. Cette dernière se décolle
alors de l’épiderme, on parle d’apolyse. Puis,
l’épiderme modifie ses sécrétions ; il fabrique un
liquide, appelé liquide de mue, qui contient de
nouvelles enzymes, capables cette fois, de digérer
les couches les plus internes de la carapace.
Parallèlement, l’épiderme commence à en
fabriquer une nouvelle. Puis, l’animal avale une
grande quantité d’eau, ce qui le fait augmenter de
volume et déchire ce qui reste de l’ancienne
carapace. L’animal sort de son ancienne cuticule ;
il est entouré d’une nouvelle carapace encore
souple car inachevée.
Les Crustacés peuvent muer plusieurs fois après
avoir atteint l’état adulte (mues de croissance).
Par exemple, le Homard sort de son œuf sous la
forme d’une larve qui est planctonique, ballottée
par les courants. Elle subit généralement trois
mues larvaires, pendant lesquelles elle grossit,
mais ne change pas vraiment de forme, ni de
comportement. Puis elle subit une mue de
métamorphose, qui la modifie nettement et qui
s’accompagne d’un changement de mode de vie,
puisqu’elle rejoint le fond des océans où elle va
désormais vivre. À ce moment-là, l’animal est un
tout petit Homard, appelé juvénile. Il devra encore
effectuer plusieurs mues de croissance avant de
devenir un adulte capable de se reproduire, puis il
pourra encore subir plusieurs mues (de
croissance), après avoir atteint sa maturité
sexuelle.
La mue constitue généralement un moment
critique dans la vie de l’Arthropode, car la
nouvelle carapace n’apparaît ni immédiatement ni
instantanément après la perte de l’ancienne.
L’animal, vulnérable durant cette période, est
obligé de se cacher. C’est également le moment
pour lui de grandir rapidement avant que la
nouvelle cuticule ne durcisse et ne devienne
inextensible. C’est la raison pour laquelle la
courbe de croissance des Arthropodes ressemble
à un escalier.
Les Trilobites ont pris l’ère
Sur le site de Burgess ont été découverts des
restes de nombreux Arthropodes appartenant au
groupe des Trilobites. Ce nom rigolo, ils le doivent
au fait que leur corps est divisé en trois lobes.
Connus uniquement à l’état de fossiles, les
Trilobites ont tout de même peuplé les océans
durant plus de 260 millions d’années, ce qui n’est
pas rien. Ils étaient si nombreux que leurs
empreintes sont trouvées un peu partout dans le
monde.
Les Trilobites ressemblaient à un bouclier muni de
rames sur les côtés. Seule leur tête était
véritablement rigide. Leur corps était constitué
d’un assemblage d’une vingtaine de morceaux
articulés entre eux, ce qui permettait à l’animal de
se rouler en boule, comme un hérisson, en cas de
danger. Ils possédaient deux grands yeux
composés en « nid-d’abeilles », qui ressemblaient
beaucoup à ceux des Mouches actuelles, mais en
beaucoup plus gros. En bons Arthropodes, les
Trilobites muaient. Leur carapace se scindait en
deux entre la tête et le corps permettant à
l’animal de s’en extirper.
Tous les Trilobites étaient marins et nageaient ou
rampaient sur le fond. Ils étaient certainement
carnivores et devaient se nourrir principalement
des Vers enfouis dans la vase. Ils les extrayaient
de leur galerie à l’aide de leurs pattes épineuses
et les broyaient dans leur bouche avant de les
ingérer. Certains fossiles ont révélé que les
Trilobites passaient par trois stades larvaires, dont
la taille et l’aspect se rapprochaient lentement de
ceux de l’adulte. Des bébés, des enfants et des
adolescents en quelque sorte, mais n’allons pas
trop loin dans la comparaison.

Avec leurs 18 750 espèces répertoriées, les


Trilobites constituent le groupe fossile le plus
diversifié. Mais cette abondance ne les empêchera
pas de disparaître totalement à la fin de l’ère
primaire. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’ils soient
devenus les animaux emblématiques de cette ère
(voir figure A du cahier central).
La Limule refuse
d’avancer…
D’autres Arthropodes appelés Mérostomes
ont colonisé, avec les Trilobites, les océans
du Primaire. Leurs représentants actuels,
les Limules, ou Crabes des Moluques,
vivent paisiblement sur les côtes
atlantiques des États-Unis et du Mexique
et de l’océan Indien. Bien qu’ils mesurent
jusqu’à 60 centimètres de long et qu’ils
soient carnivores, ils sont totalement
inoffensifs, car ils se contentent des
Mollusques et des Vers qu’ils trouvent dans
le sable et la vase. Étonnamment, les
Limules nagent, entre deux eaux, sur le
dos, propulsées par le battement de leurs
pattes et de leurs lames branchiales. Puis
lorsqu’elles se reposent sur le fond, elles
se retournent, en prenant appui sur leur
longue queue pointue.
Les Limules sont très étudiées car leurs
ancêtres sillonnaient déjà les océans il y a
450 millions d’années, mais aussi, car leur
sang a d’extraordinaires propriétés. Ce
sang est un liquide jaune laiteux qui vire
au bleu au contact de l’air, car il renferme
de l’hémocyanine (riche en cuivre), au lieu
de l’hémoglobine (riche en fer) donnant la
couleur rouge du sang humain. Mais
surtout, il coagule en présence d’une
quantité infime d’endotoxines. Ces toxines,
très dangereuses pour l’Homme, sont
produites par certaines bactéries, comme
la Salmonelle. Ainsi, aucun médicament
injecté par intraveineuse n’atterrit chez
votre pharmacien sans avoir été testé par
le LAL. Le LAL, pour Lysat d’Amoebocytes
de Limules, est extrait du sang bleu de
Limules. Elles sont pêchées dans des
espaces contrôlés et envoyées à une
chaîne de prélèvement sanguin. On leur
prend 30 à 40 % de leur sang. Les Limules
sont ensuite marquées, pour ne pas être
prises pour de nouveaux prélèvements
sanguins, puis remises dans leur milieu
naturel.
Les Crustacés se serrent la
pince
Les trois premiers fossiles découverts par Charles
Doolittle Walcott à Burgess n’étaient pas de
véritables Crustacés, contrairement à ce qu’il
avait pensé dans un premier temps. Mais l’analyse
des milliers de spécimens ramassés a révélé
qu’un Crustacé primitif, appelé Canadapsis
perfecta, était bel et bien présent à cette époque,
et que les conditions de vie devaient lui convenir
parfaitement. Pas moins de 4 500 empreintes de
cet animal ont été répertoriées, excusez du peu !

Les Crustacés ont des formes très variées. Il suffit


de comparer un Crabe et une Langouste pour s’en
convaincre. Ce sont, comme tous les Arthropodes,
des assemblages d’éléments durs et creux
articulés entre eux et nommés métamères. La
particularité de la plupart des Crustacés est
l’absence d’une tête nettement séparée du reste
du corps. Celle-ci est soudée ou totalement
intégrée avec la partie suivante de l’animal que
l’on appelle le thorax. C’est la raison pour laquelle
on parle de céphalothorax pour désigner la partie
la plus antérieure du corps. Le Crustacé a donc la
tête dans les épaules…
Malgré son absence de liberté, cette tête fourmille
de petits gadgets aux rôles bien déterminés. On y
trouve des yeux fixés au bout de petites tiges
appelées pédoncules, bien pratiques pour voir
dans les coins. À proximité des yeux, quatre
filaments balaient l’eau en permanence. Les deux
plus grands sont les antennes et les deux plus
petits des antennules. Elles sont le siège de
l’odorat et du toucher. Quand l’animal mange, le
spectacle est fascinant ; pas moins de trois paires
d’outils s’activent pour dilacérer, triturer et faire
rentrer la nourriture dans la bouche. Leur petit
nom : mandibule, maxillule et maxille, et rien ne
semble pouvoir leur résister.
Alors, tout dans la tête et rien dans le thorax ?
Bien au contraire. Les sept paires d’appendices
qu’il porte peuvent être des organes de marche,
de fixation, de natation, de respiration, de
préhension, de défense, etc. Même l’Aston Martin
de James Bond n’a jamais présenté autant de
gadgets. Soyons honnêtes, toutes ces fonctions
n’existent pas simultanément chez un même
individu. Il s’agit d’un inventaire réalisé en
observant différents Crustacés.
La différenciation des appendices la plus
marquante (pour les doigts surtout…) reste
malgré tout la pince. Celle-ci peut être d’une taille
et d’une puissance plus que respectables, comme
chez le Homard qui peut vous sectionner un doigt.
Une arme redoutable, que de nombreux Crustacés
n’hésitent pas à brandir dans les situations
délicates. Elle met en évidence la grande dureté
de la carapace dans laquelle le Crustacé n’hésite
pas à intégrer plus de 50 % de carbonate de
calcium et entre 5 et 19 % de phosphates, de
calcium et de magnésium. Aussi dur que de la
pierre ! Alors pourquoi se faire la carapate ?
Ils cachent bien leur jeu

Certains Crustacés de nos côtes sont souvent


confondus avec des Mollusques. En effet, au
premier coup d’œil, l’Anatife et le Pouce-pied
ressemblent à des Moules de couleur blanche et,
leur cousine, la Balane, ressemble à un Chapeau
chinois (la Patelle ou Bernique). La confusion est
aisée, car leur carapace, formée de quelques
plaques aplaties, les enferme, soit totalement en
formant une pyramide (chez la Balane), soit en
formant deux valves (l’Anatife et le Pouce-pied).

Figure 7-9 : Des


Crustacés aux
formes
trompeuses.
Dans les deux cas, l’écartement des plaques
permet à six paires d’appendices thoraciques de
se déployer. Ces appendices sont transformés en
fouets allongés, multiarticulés, qui portent de
nombreuses soies, appelées cirres. Comme des
peignes très fins, ils piègent le plancton, dont
l’animal se nourrit. L’Anatife et le Pouce-pied sont
fixés grâce à un pédoncule sur différents supports
(rochers, morceaux de bois, coques de bateaux,
bouées, Baleine, etc.). Sans pédoncule, la Balane
est directement fixée sur un support. Comment,
avec ces allures très différentes d’un Homard ou
d’un Crabe, est-on certain que nous avons bien
affaire à des Crustacés ?
La présence d’appendices articulés, même très
modifiés, en est une première preuve. De plus,
leur larve est identique à celle des autres
Crustacés. Mais, après avoir mené une vie libre
planctonique, elle se fixe définitivement. Chez
l’Anatife et le Pouce-pied, la fécondation est
croisée, c’est-à-dire que chaque individu échange
ses spermatozoïdes avec un voisin. Pour cela, le
pénis est si extensible, qu’il peut féconder les
individus avoisinants, jusqu’à 11 centimètres de
distance. Il semblerait ainsi qu’ils soient les
animaux ayant le plus gros pénis
proportionnellement à leur corps… une analyse
peut-être exagérée…
Le club des cinq
Si vous coupez en deux, dans le sens de la
longueur, tous les animaux décrits
précédemment, vous obtenez deux moitiés à peu
près identiques. Ils sont donc, comme nous
l’avons vu en début de ce chapitre, à symétrie
bilatérale. Jouons ensemble. Cherchons dans notre
mémoire des animaux qui ne présentent pas un
côté droit et un côté gauche. Pensez à la plage…,
aux rochers…, à des bras…, au nombre de cinq.
Nous parlons bien entendu de l’Étoile de mer, cet
être constitué de cinq parties, la plupart du temps
de taille égale. Les petits malins nous diront : « Si
on coupe un des bras en deux dans le sens de la
longueur et que l’on passe par le centre de
l’animal, on obtient en fin de compte deux bras et
demi par moitié, ce qui est une belle symétrie. »
Oui, mais il est plus facile de séparer cet animal
en cinq parties identiques. On parle dans ce cas
de symétrie pentaradiée car penta- signifie « cinq
» et -radiée, « qui part d’un centre ».
Les biologistes n’ont pas utilisé cette symétrie
originale pour nommer ce groupe. Ils se sont
fondés sur l’aspect général de ses représentants.
C’est pourquoi, vous ne trouverez pas le terme de
« Pentaradiens », ou de « Pentaradiaires », mais
d’Échinodermes, du grec echino, hérisson, et
derme, la peau. Il faut dire qu’avec les Oursins
comme représentants, on ne pouvait guère
trouver mieux !
Représentés par au moins quatre espèces dans les
schistes de Burgess, les Échinodermes sont le
résultat des expérimentations tous azimuts de
cette période. Mais contrairement à de nombreux
essais non transformés et définitivement disparus,
les Échinodermes ont su se faire une place sur
notre planète.
Il ne manque pas de piquant
Tout le monde connaît l’Oursin et son moyen de
défense efficace. Mais comment cette Châtaigne
de mer fait-elle pour manger, se déplacer, se
reproduire avec un tel hérissement ?
Mais d’abord, pourquoi l’a-t-on classé dans le
même groupe que l’Étoile de mer ? Pour le savoir,
mieux vaut se munir de gants, car il faut retirer
toutes les épines. Sous cette couche protectrice,
on distingue des plaques soudées entre elles et
ornementées. Leur nombre ? Cinq, voilà la
réponse à notre question ! Ces plaques forment le
squelette externe de l’Oursin, appelé test, percé
en bas par la bouche et en haut par l’anus. C’est
du propre !

Pour se nourrir, notre Hérisson de mer possède


une bouche armée d’un appareil masticateur très
puissant, en forme de pyramide. Il a été nommé
poétiquement la lanterne d’Aristote, du nom du
célèbre Grec ancien, qui les avait étudiés en
Méditerranée. Grâce à lui, il peut « brouter » les
algues sur les rochers. Derrière la bouche, un tube
digestif peu développé traverse l’animal de part
en part. Autour de ce tube digestif, des organes
génitaux parfois de très grande taille, qui
occupent tout le reste du volume du test. Ce sont
eux qui sont appréciés par les gourmets, chez
certaines espèces d’Oursins comestibles.
Pour se déplacer, l’Oursin utilise des piquants
mobiles, articulés à leur base et surtout, des
organes appelés pieds ambulacraires. Ces
derniers ressemblent à des tuyaux munis d’une
ventouse à l’une de leurs extrémités. Il s’agit en
fait d’un système hydraulique, que l’animal peut
contrôler en le gonflant ou en le dégonflant avec
de l’eau de mer. Ces pieds dépassent à peine des
piquants sur la face ventrale de l’animal, ce qui
donne l’illusion que l’Oursin glisse sur son
support.
Une étoile vorace à s’en
estomaquer
Revenons à notre symbole de la symétrie
pentaradiée, les Étoiles de mer, appelées
également Astéries, du grec aster signifiant «
étoile ». Elles sont également formées de plaques
jointives formant un test, ce qui explique qu’on
puisse les conserver pratiquement intactes en les
faisant sécher. Mais il y a fort à parier que ce n’est
pas pour cette raison qu’elles s’échinent à les
fabriquer. Si vous mettez une Étoile de mer sur le
dos, vous verrez que ses bras sont en forme de
gouttière sur toute leur longueur, et si l’animal
que vous manipulez est vivant, vous y trouverez
deux rangées de pieds ambulacraires. Ceux-ci
sont en relation avec l’appareil aquifère, le
système hydraulique déjà rencontré chez son
cousin l’Oursin.

Figure 7-10 : Le
shérif des
Échinodermes :
l’Étoile de mer.
Une Astérie peut ainsi se déplacer sur le fond, ou
sur les rochers, à la recherche de proies. L’Étoile
de mer est en effet un prédateur vorace, qui
s’attaque principalement aux Mollusques bivalves
comme les Moules ou les Huîtres. Pour ouvrir la
coquille de ses proies, elle utilise ses bras pour la
caler et ses pieds ambulacraires munis de
ventouses, pour écarter progressivement les deux
valves. Vient ensuite la partie la plus appétissante
de cette description. Les Astéries sont, en effet,
capables d’évaginer leur estomac, c’est-à-dire
d’envoyer cet organe dans la coquille de leurs
proies. Une fois sur place, les sucs digestifs qu’il
libère liquéfient leur victime dans sa propre
demeure. Il n’y a plus ensuite qu’à ramener
l’estomac, accompagné de sa bouillie de
Mollusque. Il faut avoir l’estomac bien accroché !
L’Étoile de mer peut se reproduire de manière
sexuée, c’est-à-dire par fécondation. La scène est
assez cocasse car la femelle prend appui sur ses
cinq bras et donne ainsi l’impression d’être
debout. Elle est en fait en train de libérer dans
l’eau, plus de 2 millions d’ovules. Pendant ce
temps, le mâle lâche plusieurs dizaines de millions
de spermatozoïdes, qui pourront rencontrer au
hasard les cellules sexuelles femelles et les
féconder.

Mais l’Étoile de mer peut également se reproduire


sans fécondation. Elle se casse alors en deux
parties plus ou moins égales, capables de
redonner un individu complet. Il faut dire que cet
animal fait preuve d’une puissante faculté
régénératrice, car un bras est capable à lui tout
seul de régénérer un individu entier s’il possède
une partie suffisante du disque central. Ainsi notre
magicienne peut, sans vergogne, s’automutiler
pour échapper à un prédateur. L’histoire raconte
que des ostréiculteurs, qui voulaient se
débarrasser des Astéries qui ruinaient leurs
élevages, eurent comme bonne idée de les couper
en deux à la machette. Vous imaginez la suite…
Ils multiplièrent par deux le nombre de leurs
ennemis.
Les Serpents à cinq
bras
Les Échinodermes regroupent
principalement les Oursins, les Astéries, les
Holothuries et les Ophiures. Ces dernières
étant plus menues et plus discrètes que les
Astéries, elles nous sont moins familières,
bien qu’elles soient également très
actives. Elles se faufilent avec élégance
dans les fissures des rochers et dans les
algues. Leur corps a la forme d’un disque,
sur lequel se raccordent cinq bras grêles et
épineux. Ils sont peu épais et formés de
pièces squelettiques, ou ossicules, ne
permettant, le plus souvent, des
mouvements des bras que dans le plan du
disque. Ces bras longs et flexibles font
penser à des queues de Serpent et ils sont
à l’origine de leur nom, car, en grec, ophis
signifie « serpent », et ura, « queue ». Elles
n’ont pas d’anus et se nourrissent des
minuscules organismes qui se déposent au
fond de la mer. Elles se déplacent, grâce à
des pieds ambulacraires, la bouche au
contact du fond. La plupart mesurent
quelques centimètres de diamètre, mais
les plus grosses, comme l’Ophiure texturée
de Méditerranée, ont un disque de 3,5
centimètres et des bras de 15 centimètres
de long.
Un concombre immergé
Finissons ce panorama des Échinodermes par des
animaux que vous n’auriez jamais eu l’idée de
classer avec les Oursins et les Étoiles de mer. Leur
forme est celle d’un cornichon pour les plus petits
ou d’un concombre pour les plus gros. Ce sont les
Holothuries. Ils sont d’ailleurs nommés
couramment « Concombres de mer ». Alors
pourquoi les avoir classés dans ce groupe ?

Figure 7-11 : Un
Concombre de mer.

Une observation minutieuse de l’animal montre


qu’il possède cinq rangées de pieds
ambulacraires. Cinq, cela ne vous rappelle rien ?
Là, vous vous dites que les spécialistes sont des
gens un peu gonflés de ranger un animal en forme
de concombre avec des animaux à piquants et
des animaux en forme d’étoile, sous prétexte que
le chiffre 5 touche une partie de son corps. Mais,
rassurez-vous, il y a d’autres arguments. Ainsi,
seuls les Échinodermes ont des pieds
ambulacraires actionnés par un système
hydraulique. De plus, on retrouve dans les
Holothuries les plaques rigides décrites dans les
deux groupes précédents, même si elles sont
réduites à l’état de petites épines. Ajoutons, pour
finir de vous convaincre, que le système nerveux
comprend un anneau central et… cinq cordons
radiaires comme dans tous les autres
Échinodermes.
Pour se nourrir, notre Concombre de mer rampe
lentement sur les fonds marins. À l’aide des
tentacules couverts de mucus collant qui
entourent sa bouche, il capture des particules
alimentaires de très petite taille, qu’il envoie vers
sa bouche. Comme celle-ci n’est pas munie d’une
structure coriace comme chez ses cousins, il en
est réduit à sucer lentement ses tentacules
comme le ferait un enfant avec un doigt couvert
de confiture.
Les éboueurs des
profondeurs…
Les Holothuries nettoient le fond des mers
depuis 500 millions d’années, car on
estime qu’elles consomment 90 % des
restes des plantes et des animaux qui, à
leur mort, tombent au fond ; elles sont
donc d’une grande importance écologique.
Contrairement aux autres Échinodermes,
leur bouche et leur anus sont disposés à
chaque extrémité du corps, mais l’anus
permet, en plus, à l’animal de respirer. En
effet, l’eau pénètre par l’anus jusqu’au
système respiratoire, appelé poumons à
eau, puis elle est rejetée avec un peu
d’excréments. Un petit poisson, appelé
l’Aurin (Fierasfer acus) ou poisson-
thermomètre, à la forme très effilée et
dépourvu d’écailles, s’introduit à reculons,
par l’anus, dans une Holothurie. Grâce aux
courants provoqués par les poumons à
eau, il est baigné par de l’eau fraîche ; il
n’en sort, la tête la première, qu’en fin de
journée, pour se nourrir, principalement de
petits Crustacés. Il ne faudrait pas croire
pour autant que, si les Holothuries tolèrent
l’Aurin, c’est parce qu’elles n’ont aucun
moyen de défense.
En effet, si elles sont menacées ou
stressées, elles émettent, par l’anus, de
longs filaments collants, qui font office de
filet immobilisant plusieurs heures
l’adversaire. Elles peuvent même expulser
une partie de leurs organes internes
(intestins, testicules, ovaires, etc.), qu’elles
régénèrent en un mois environ. Le
Concombre de mer, vidé puis séché,
appelé alors « trépang », est très apprécié
en Asie, en potage ou sous forme de petits
dés gélatineux. Son commerce mondial a
atteint 4 milliards d’euros (en 2009) et
pourrait fragiliser sa population et ainsi
compromettre son rôle écologique. Pour
l’éviter, l’élevage de Concombres de mer
semble prendre de plus en plus
d’importance.
La vie se déchaîne
Nous n’avons pu, dans ce chapitre, aborder tous
les groupes d’êtres vivants présents dans les
schistes de Burgess. Et pourtant, quel catalogue !
Les spécialistes préfèrent parler de disparité
plutôt que de diversité pour qualifier ce site
extraordinaire. En effet, le terme « diversité » est
généralement utilisé pour qualifier un grand
nombre d’espèces dans un même groupe. Alors
que « disparité » s’emploie pour qualifier de
nombreux plans d’organisation différents. À
Burgess, la diversité est faible mais la disparité
très forte. Pourquoi une telle explosion de plans ?

Sur la Terre, née il y a 4,55 milliards d’années (à


0h 00), il a fallu attendre 2h 45 (il y a environ 3,5
milliards d’années) pour qu’apparaisse la vie.
Après une domination sans partage des êtres
vivants solitaires, la vie a résisté aux turbulences
et aux sautes d’humeur de notre planète, en
s’associant en colonies, puis en êtres vivants
pluricellulaires. Certains se sont protégés en
développant des squelettes ou des armures.
Situons l’événement majeur de ce chapitre sur
l’horloge de la vie (voir figure C du cahier central)
:

10h36 : Apparition de la faune de


Burgess : les premiers Vers plats, Annélides,
Mollusques, Arthropodes et Échinodermes.
La vie semblait solidement établie, mais la faune
d’Ediacara, puis la faune tommotienne ont
rapidement disparu. Toute la planète était à
reconquérir par les êtres pluricellulaires. Dans un
cas comme celui-ci, les contraintes sont faibles et
tout est permis. Ce sont des époques propices à
l’expérimentation, et a priori, les êtres de Burgess
s’en sont donné à cœur joie ! C’est au cours de
cette euphorie inventive que de nombreux plans
d’organisation seraient apparus.
Après viennent les lendemains difficiles, comme
après une nuit de débauche. Il faut faire les
comptes. Seuls les êtres les mieux adaptés, ceux
dont le plan d’organisation est une réussite,
passeront le cap difficile de la compétition. C’est
la dure loi de la sélection naturelle…
Chapitre 8

Les algues s’imposent


Dans ce chapitre :
Les grandes algues vertes, rouges et
brunes
Une évolution endiablée
Une sexualité débridée !
La colonisation par les algues

« Sais-tu qu’aucun parfum de femme


ne surpasse en qualité l’odeur des algues ? »
Jacques Herman
Dans le chapitre précédent, les animaux étaient à
l’honneur. Serait-ce à dire que les plantes sont
restées à l’état de simples cellules jusqu’à
l’époque des schistes de Burgess ? Que nenni !
Rappelez-vous, nous avions utilisé l’exemple des
algues dans le chapitre 5 pour élucider
l’apparition des êtres pluricellulaires. Les algues
non plus ne se sont pas arrêtées à des colonies
cellulaires disciplinées (voir chapitre 5). Elles ont
développé une sorte de corps, appelé thalle.
Chez une plante, ce corps porte le nom d’appareil
végétatif, ce qui peut porter à confusion lorsque
l’on connaît le sens du verbe végéter. En effet,
chez la plupart des algues, l’appareil végétatif est,
bien au contraire, toujours en pleine activité, en
pleine croissance.
Des algues aux rythmes endiablés
De nombreuses traces d’algues fossilisées ont été
découvertes dans les schistes de Burgess (voir
chapitre 7), montrant qu’à cette époque elles
avaient déjà bien évolué et qu’elles s’étaient
même diversifiées. Parmi elles, une algue
répondant au joli nom de Marpolia va nous
permettre d’y voir un peu plus clair dans cette
évolution.
Le thalle s’étale
La Marpolia est une petite algue buissonnante et
filamenteuse. Son aspect ramifié fait penser à un
petit arbre miniature. Mais il ne s’agit que d’une
coïncidence, car chez Marpolia, ni tiges, ni racines,
ni feuilles. Une étude plus attentive nous montre
qu’elle est constituée d’un ensemble de filaments
savamment assemblés. Le tout est fixé à un
support par des filaments spécialisés appelés
rhizoïdes, du grec rhiza, racine. Mais remarquez
bien le suffixe -oïde qui signifie « qui à la forme de
», car il ne s’agit absolument pas d’une vraie
racine mais uniquement d’un filament fixateur.
Ainsi, tout n’est que filaments chez Marpolia. Ces
éléments resteront l’unité de base de tous les
thalles des algues jusqu’à nos jours avec, tout de
même, quelques améliorations chez les algues les
plus évoluées.
Pourtant les algues que vous trouvez, chez votre
poissonnier ou dans la bourriche d’huîtres de Noël,
n’ont rien de filamenteux. Elles sont généralement
plates et peuvent porter quelques nodosités qui
leur servent de flotteurs. Elles ne semblent pas
constituées de filaments, pourtant une
observation au microscope vous prouve le
contraire. Elles apparaissent alors toutes
constituées d’un tressage plus ou moins ramifié
de structures filamenteuses. Tressage ? On
pourrait même parler de dentelles dans certains
cas, tant ces filaments sont organisés en réseaux
d’un haut degré de précision.
Une évolution en dentelles

C’est en partant de ces différents degrés de


tressage des filaments que l’évolution des algues
a été retracée. Les plus primitives, appelées
archéthalles, ce qui signifie thalles archaïques,
n’étaient formées que de simples filaments bien
distincts et non ramifiés. C’est certainement sous
cette forme qu’ont évolué les premières algues à
partir des colonies dont nous avons déjà parlé
dans le chapitre 5. On trouve ce type d’algues
dans les mares et les aquariums où elles peuvent
apporter des nuisances en raison de leur capacité
à envahir rapidement un milieu.
Les filaments se sont ensuite ramifiés, donnant
naissance à des formes plus complexes. Ce sont
les nématothalles, car nema signifie fil. En se
collant les uns aux autres, ces filaments peuvent
donner des structures plates et très fines appelées
lames et dont l’aspect rappelle celui d’une feuille.
C’est le cas par exemple de l’Ulve, une algue aux
lames larges, minces et vertes appelée pour cette
raison, Laitue de mer.
La dernière étape est celle des cladothalles, ce qui
signifie « thalles ramifiés ». En effet, chez ces
algues, des filaments dont la croissance ne
s’arrête jamais forment des axes sur lesquels
naissent d’autres filaments. Il s’agit donc de
ramifications. De ces filaments, que l’on peut
qualifier de secondaires, peuvent partir encore
d’autres filaments, d’autres ramifications.
En se collant les uns aux autres, ces filaments
ramifiés peuvent parfois dessiner des structures
ressemblant étrangement à des feuilles. On
pourrait même y entrevoir des nervures quand les
filaments dessinant les axes sont plus épais que
les autres. Mais attention, il ne s’agit absolument
pas d’un organe aussi sophistiqué que la véritable
feuille. Vous pourrez vous en rendre compte dans
le chapitre 14. L’exemple que vous connaissez
certainement est celui du Fucus qui orne souvent
les plats d’huîtres. C’est un cladothalle, car son
aspect en feuille découpée est lié aux
ramifications filamenteuses de premier et second
ordre décrites ci-dessus.
Ainsi, à l’image de fils de dentelles, qui finissent
par donner une étoffe, les algues ont débuté leur
existence sous forme de filaments et ont évolué
vers des structures plus complexes, en gardant le
filament comme élément de base.
La tothalle !

On distingue, chez les algues, trois types de


thalles :

Les archéthalles sont les plus simples.


Ils sont unicellulaires, coloniaux
(Scenedesmus ou Volvox – voir chapitre 5)
ou filamenteux (Spirogyra). Il n’y a pas de
communication entre les cellules, mais un
début de spécialisation du travail, par
exemple dans la reproduction. Ainsi,
Spirogyra est constituée d’une simple file
de cellules ; elle n’est pas ramifiée et doit
son nom à son chloroplaste enroulé en
spirale ;
Les nématothalles sont des filaments
plus ou moins ramifiés, constitués de
nombreuses cellules communiquant entre
elles. On distingue une partie rampante et
une partie dressée. Parfois, seul le thalle
rampant existe et ses filaments se soudent
pour former un disque aplati (Coleochaete).
Le plus souvent, c’est le thalle dressé qui
domine, et ses filaments se soudent dans
un plan, formant un thalle lamellaire (Ulva),
ou tubulaire (Enteromorpha) ;
Les cladothalles sont des nématothalles
ayant perdu totalement la partie rampante.
La partie dressée est très organisée, on y
distingue des axes à croissance illimitée,
souvent ramifiés, appelés cladomes, où
naissent des axes latéraux courts, à
croissance limitée, appelés pleuridies.
Parfois ces différents filaments sont bien
visibles et l’algue ressemble à un « arbre de
Noël » (Polysiphonia ou Antithamnion).

Le plus souvent, les filaments voisins, entrelacés,


s’agglutinent grâce à une colle insoluble, ou
mucilage, et ils fusionnent plus ou moins
complètement. Le thalle prend alors des formes
très variées, plus ou moins découpées, par
exemple en lanières rubanées (Fucus) ou en
feuille gaufrée (Laminaria saccharina).

Figure 8-1 : Les


algues peuvent
être classées en
fonction de leur
morphologie.
Les algues nous
laissent agar…
En 1658, Daimyo, un seigneur japonais en
visite sur ses terres, est pris par la neige. Il
se réfugie pour la nuit dans une auberge,
où on lui prépare un tokoroten (bouillon
d’algues). L’ayant mis à refroidir à
l’extérieur, l’aubergiste le retrouve
congelé. Il le réchauffe et le tokoroten se
transforme en gel solide et translucide. Le
kanten, appelé aussi agar, était ainsi
découvert.
L’agar est un sucre complexe, présent
dans la paroi des algues rouges. Il a
actuellement de nombreuses utilisations
industrielles. C’est un additif alimentaire
(E406) utilisé comme gélifiant (nappages,
confiseries, produits laitiers). C’est aussi
un outil de laboratoire (milieu de culture en
microbiologie) et il entre dans la
composition des pâtes à empreintes
dentaires et c’est un bon laxatif.
La paroi des algues rouges contient aussi
des carraghénanes. Ils sont également
utilisés comme additifs alimentaires
(E407), car leur pouvoir gélifiant est très
élevé. Ils sont ainsi ajoutés dans les
préparations lactées (crèmes desserts,
glaces, desserts allégés), les conserves
(alimentation pour animaux), mais aussi
dans les dentifrices et les suppositoires.
La paroi des algues brunes renferme,
quant à elle, des alginates. Ils sont
également utilisés comme additifs
alimentaires (E400 à 405) dans les crèmes
desserts, glaces, potages, confitures et
biscuits. Ils sont aussi employés comme
excipient de nombreuses pommades,
suppositoires, pilules, pastilles…
Ainsi les algues nous accompagnent à
longueur de journée en des lieux parfois
inattendus.
Vertes, brunes ou rouges, les
couleurs ont de la profondeur
Souvenez-vous quand vous étiez enfant, vous
classiez les objets selon leur couleur. Tous les
rouges ensemble, tous les bleus ensemble, etc.
Peu vous importait leur forme. Pour les adultes qui
ont gardé leur âme d’enfant, ainsi que pour tous
les néophytes, la classification des algues est
sympathique, car elle repose avant tout sur leur
couleur. On a ainsi les algues vertes, les algues
brunes et les algues rouges.

Ces colorations sont liées à des pigmentations


différentes de leurs cellules et plus
particulièrement de petites structures situées à
l’intérieur de ces cellules et nommées
chloroplastes.
Nous avons déjà rencontré les chloroplastes
lorsque nous avons traité de la photosynthèse
dans le chapitre 3. Nous avons alors vu qu’ils
comportaient au moins un pigment vert appelé
chlorophylle, capable de capter l’énergie solaire.
Chez les algues vertes, nous trouvons deux
chlorophylles bien vertes, nommées a et b. Chez
les algues rouges, on retrouve la chlorophylle a,
mais celle-ci est associée à la chlorophylle d et à
la phycoérythrine, majoritaire et de couleur rouge.
Chez les algues brunes, on trouve, en plus de la
chlorophylle a, de la chlorophylle c et un pigment
brun, la fucoxanthine.
Des couleurs
trompeuses…
La couleur des algues change souvent en
fonction de leur environnement. Ainsi, les
algues brunes (Fucus, Pelvetia, etc.) sont
plus ou moins colorées en fonction de leur
hydratation, car elles renferment en plus
des phlorotanins, qui noircissent lorsqu’ils
sont oxydés à l’air. Si la majorité des
algues rouges nous apparaissent bien
rouges, certaines sont presque noires
(Ahnfeltia plicata), d’autres brunes
(Osmundea pinnatifida) ou bleuâtres
(Batracospermum). Des algues vertes
peuvent nous apparaître roses
(Haematococcus, Chlamydomonas nivalis
qui colore en rose la neige) ou rouge
(Dunaliella salina qui colore en rouge les
marais salants). Pour résister à la forte
exposition à la lumière
et au sel, cette dernière algue verte
protège ses chlorophylles par un pigment
rouge : l’astaxanthine. Elle prend alors une
couleur rouge sang et colore en rouge
sombre l’eau, en cas de forte
concentration. Dunaliella salina est le
repas préféré de tout petits Crustacés
(proches des Crevettes) : Artemia salina.
Or ces minuscules Crevettes constituent
l’ordinaire des Flamants roses. En effet,
ces Oiseaux, en filtrant l’eau des marais
grâce aux fanons qui équipent leur bec (un
peu comme les Baleines), les avalent en
grand nombre. Les Flamants sont donc
roses grâce à une Crevette rose qui mange
une algue verte… c’est trompeur !

Ainsi, chaque groupe d’algues possède sa propre


palette de pigments avec laquelle il n’hésite pas à
repeindre les bordures côtières. Et, un peu à la
manière de nos peintres qui appartiennent à un
courant bien défini, chaque type d’algues vit dans
une zone bien particulière. On ne mélange pas les
expressionnistes et les réalistes que diable ! Cette
répartition, elles la doivent à la nature de leurs
pigments et aux propriétés de la lumière
lorsqu’elle pénètre dans l’eau.
Lumière, s’il vous plaît !

En effet, la lumière blanche du soleil, composée


des différentes couleurs de l’arc-en-ciel, pénètre
difficilement dans l’eau des océans. L’eau se
comporte comme un filtre absorbant les couleurs
les unes après les autres. Ainsi le rouge disparaît
dès les premiers mètres, puis c’est le tour de
l’orange et du jaune. Le violet tient jusqu’à 30
mètres, le vert jusqu’à 50 mètres et l’indigo
décroche peu après. Pour finir, il ne reste que le
bleu, qui demeurera la seule couleur de la lumière
jusqu’à sa disparition complète.
N’ayons pas peur des
spectres…
Cette expérience n’est réalisable qu’avec
une algue ayant un thalle mince, comme
Ulva (algue verte) ou Palmaria palmata et
Dilesseria sanguinea (algues rouges). Sur
un rétroprojecteur, empilez, dans l’ordre :
un cache noir percé d’un rectangle de la
taille d’un prisme. Posez-y un transparent
de projection puis placez-y l’algue, bien
étalée. Ajoutez un nouveau transparent et
posez le prisme de façon à parfaitement
recouvrir la fenêtre du cache noir. Il n’y a
plus qu’à observer l’image projetée sur un
écran ou un mur bien blanc.
Le prisme décompose la lumière blanche
en ses différentes couleurs, on parle de
spectre de la lumière blanche. En présence
de l’algue, vous observez sur l’écran que
certaines couleurs du spectre disparaissent
: ce sont celles absorbées
par l’algue. Avec Ulva le spectre projeté
montre uniquement de l’orange, du jaune,
du vert et un peu de bleu et de violet (le
rouge et le bleu indigo ont disparu car ces
couleurs sont absorbées par l’algue verte).
Avec chaque algue rouge, le spectre est
différent, il montre du rouge, de l’orange et
un peu d’indigo et de violet (cette fois, le
jaune, le vert et le bleu ont disparu). La
lecture de ces spectres nous explique
pourquoi les algues rouges vivent jusqu’à
des profondeurs de – 50 mètres, où seules
les radiations vertes persistent. Les algues
vertes ne possédant pas les mêmes
pigments sont incapables d’absorber la
lumière indispensable à leur
photosynthèse ; elles ne peuvent donc pas
vivre à ces grandes profondeurs.

Les algues vertes ont des pigments qui


nécessitent une lumière abondante pour
fonctionner. Ce seront surtout des algues de
surface, qu’elles soient marines, terrestres ou
d’eau douce. Les pigments des algues brunes ne
leur permettent pas de descendre plus bas que 10
mètres dans les océans. Elles vivent ainsi en
bordure de côte, surtout en climat froid et
tempéré, où elles constituent la majeure partie
des algues. Quant aux algues rouges, leurs
pigments leur permettent de vivre à plus de 10
mètres de profondeur dans les mers et les océans,
là où elles ne souffrent d’aucune concurrence. Des
thalles étalés étagés en quelque sorte.
Les algues ont la côte…

Les côtes de la Manche et de l’Atlantique sont


soumises à des marées. Les algues, comme tous
les êtres vivants du littoral, subissent donc
quotidiennement une alternance de moments
d’immersion et d’émersion. On appelle estran, ou
zone de balancement des marées, la zone du
littoral située entre les limites extrêmes des plus
hautes marées (ou PMVE pour pleine mer de vive-
eau) et des plus basses marées (ou BMVE pour
basse mer de vive-eau). On observe que les
différentes espèces d’algues sont présentes à des
niveaux différents de l’estran. Au-dessus du PMVE,
c’est-à-dire à l’étage supralittoral, les rochers sont
colonisés, non pas par les algues, mais par des
lichens (comme Lichina pygmaea) – entre le PMVE
et le BMVE, l’étage médiolittoral est surtout
occupé par les algues brunes (principalement des
Fucus) et par quelques algues vertes (Ulva) et de
rares algues rouges (Chondrus crispus ou Cc). En
dessous du BMVE, l’étage infralittoral est colonisé
par des grandes algues brunes (Laminaires), par
des algues rouges (Polysiphonia) et de rares
algues vertes (Codium tomentosum ou Ct).
Du fait des marées, l’épaisseur d’eau dans l’estran
varie régulièrement. La répartition observée des
algues ne s’explique plus en fonction de leur
couleur, mais par leur capacité à résister à
l’émersion à marée basse (résistance à la
dessiccation, au fort éclairement, aux fortes
variations de température et de salinité) et par
leur capacité à photosynthétiser malgré l’ombre
des espèces sus-jacentes. Il faut aussi souligner
que cette répartition est modifiée, si les rochers
sont battus par les vagues ou non, ou s’ils sont
remplacés par du sable.

Figure 8-2 :
Étagement des
algues dans un
estran rocheux de
la Manche ou de
l’Atlantique(PMVE :
pleine mer de vive-
eau, BMVE : basse
mer de vive-eau,
Cc : Chondrus
crispus, Ct :
Codium
tomentosum).
Une pollution verte…
L’abondance des algues sur les côtes
bretonnes a depuis longtemps été
exploitée par l’Homme. Ainsi, le maërl
(Lithothamnium calcareum) est une algue
rouge au thalle enrichi en calcium. Il est
ramassé (par dragage) pour être utilisé
comme amendement des terres acides
bretonnes. Les algues brunes (Fucus,
Laminaires) sont aussi récoltées (60 000
tonnes par an). Elles forment le goémon et
elles sont utilisées comme engrais
naturels, comparables à du fumier. Le
ramassage était encore plus important au
XIXe siècle, car le goémon permettait la
fabrication d’un « pain de soude », servant
ensuite à faire de la teinture d’iode.
Mais depuis les années cinquante, on
observe une abondance anormale d’algues
vertes (surtout Ulva) dans certaines baies
de Bretagne (Lannion, Saint-Brieuc,
Douarnenez, Morlaix…). Ces algues flottent
au large puis viennent s’échouer sur la
côte, formant de véritables marées vertes.
Elles s’y entassent et leur accumulation
dégrade les paysages. Surtout, leur
décomposition est nauséabonde et libère
de l’hydrogène sulfuré, dont l’inhalation en
très forte quantité peut être fatale. Leur
ramassage régulier, dans cette région très
touristique, est nécessaire mais il
représente un coût élevé pour les
collectivités locales. Les baies les plus
touchées sont des baies abritées. Les
courants marins y sont trop faibles pour
emporter vers le large les nitrates, en
fortes concentrations, apportés par les
rivières. En effet, il faut souligner que la
Bretagne ne représente que 7 % de la
superficie française, et qu’elle concentre
50 % des élevages porcins. Mais le
phénomène des marées vertes ne se limite
pas à la Bretagne, il est aussi préoccupant
dans le bassin d’Arcachon ou dans la
lagune de Venise.
Une sexualité un poil compliquée
La reproduction des algues est l’une des plus
complexes qui soient. Elles donnent l’impression
d’avoir exploré un peu toutes les possibilités sans
avoir pu choisir celle qui leur convenait le mieux.

De nombreuses algues sont capables de se


reproduire sans passer par la fécondation,
autrement dit sans les petites graines du papa et
de la maman. Dans certains cas, c’est un morceau
du thalle qui se détache et redonne une algue
complète. Parfois ce sont des petits amas de
cellules, spécialement fabriqués par l’algue, qui
sont capables, une fois fixés, de redonner un
individu complet. On leur donne le joli nom de
propagules pour signifier qu’ils participent à la
propagation de la plante. Ces deux modes de
reproduction sont qualifiés de végétatifs, ce qui
permet d’insister sur le fait que ce sont des
parties du végétal qui sont utilisées pour
perpétuer l’espèce.
Certaines espèces fabriquent des cellules
spécialisées, appelées spores, qui germeront pour
donner directement de nouveaux individus. Ce
mode de reproduction est qualifié d’asexué, le
préfixe a- signifiant « sans ». Ce n’est pas une
partie de la plante mais une seule cellule qui est
utilisée. En revanche, celle-ci ne résulte pas d’une
fécondation et n’a donc aucun lien avec le sexe.
Comme vous pouvez le constater, les algues ont
mis au point de nombreux stratagèmes pour
survivre. Pour ceux qui se disent que c’est déjà
bien compliqué, il y a fort à parier que la suite
vous donnera quelques vertiges car question
reproduction sexuée, les algues sont proches du
délire. Sceptique ? Lisez donc la suite !
Avec Spirogyre et Fucus, rien
de superflu
Chez la Spirogyre (Spirogyra), une petite algue
verte filamenteuse, le cycle de reproduction est
très court. Deux filaments s’accolent ensemble
dans le sens de la longueur. L’un des deux profite
de cette promiscuité pour refiler un par un les
noyaux de chacune de ses cellules aux cellules de
l’autre filament. On se retrouve ainsi avec deux
noyaux par cellule qui fusionnent en formant une
sorte de bébé appelé zygote. Celui-ci sort de
l’enveloppe cellulaire et part se fixer pour donner
naissance à un nouvel individu filamenteux. C’est
le cycle le plus simple.
Figure 8-3 : Le
cycle de
développementde
la Spirogyre
(*phase haploïde
du cycle).

Chez le Fucus, les sexes sont séparés et on trouve


des thalles mâles et des thalles femelles. Les
thalles mâles fabriquent des gamètes mâles, les
spermatozoïdes, et les thalles femelles des
gamètes femelles appelés oosphères. Les deux
types de gamètes sont libérés dans l’eau, charge
à eux de se rencontrer. De leur union naît une
cellule appelée zygote, qui part se fixer, et devient
après de nombreuses multiplications cellulaires un
individu mâle ou femelle. Ce cycle de vie n’a rien
d’étonnant car, mis à part l’expulsion dans l’eau
des gamètes femelles, il est proche du nôtre.
Figure 8-4 : Le
cycle de
développement du
Fucus (*phase
haploïde du cycle).
La preuve par le
Fucus…
Aussi curieux que cela puisse vous
paraître, l’existence de la fécondation des
algues n’a été totalement validée qu’au
milieu du XIXe siècle. La preuve irréfutable
a été apportée en 1854 par l’algologue
français Gustave Thuret qui travaillait sur
le Fucus. Ses travaux ont montré, que sans
spermatozoïdes, les ovules (ou oosphères
chez le Fucus) n’évoluent pas et meurent.
Il a aussi prouvé que les spermatozoïdes
nagent activement vers l’ovule, et bien
qu’il n’ait pu l’observer directement, il a
conclu que le spermatozoïde devait
pénétrer dans le gamète femelle pour
qu’un bébé Fucus voie le jour. Le bain de
mer est aussi le bain du père…
Avec la Laitue de mer, ça
tourne au vinaigre
Avec la Laitue de mer (ou Ulva), les choses se
compliquent avec l’arrivée d’un nouvel individu
dans le cycle : le sporophyte. Au départ tout
commence de manière classique avec un pied
mâle et un pied femelle libérant leurs gamètes
dans l’eau. Chez la Laitue de mer, ces gamètes ne
sont pas très différenciés et portent tous les deux
des flagelles leur permettant de nager l’un vers
l’autre. Le plus petit des deux est le gamète mâle
et par conséquent le plus gros, le gamète femelle.
Ces deux cellules fusionnent et donnent naissance
à une Laitue de mer, rigoureusement identique
aux individus de départ. À ceci près qu’elle ne
donne pas naissance à des gamètes mais à des
cellules qui donneront directement des individus,
sans fécondation. On appelle ces cellules des
sporocystes et ce pied de Laitue de mer, un
sporophyte. Quelle salade !
Figure 8-5 : Le
cycle de
développementde
la Laitue de mer
(Ulva) (*phase
haploïde du cycle).

Il existe ainsi deux types d’individus d’importance


égale dans le cycle de reproduction de la Laitue
de mer : des gamétophytes, qui donnent
naissance aux gamètes et un sporophyte, qui
donne naissance aux spores. Pour bien
comprendre le sens de ce cycle, imaginons qu’il
s’applique à l’être humain. De l’union d’un homme
et d’une femme naîtrait un individu qui une fois
adulte redonnerait directement, sans fécondation,
des hommes et des femmes. Ça fait réfléchir !
Antithamnion nous ouvre les
portes du Panthéon
Chez l’Antithamnion, ce ne sont plus deux mais
trois générations qui se succèdent. Au départ, on
retrouve un pied mâle, le gamétophyte mâle et un
pied femelle, le gamétophyte femelle. Le premier
libère des gamètes de forme arrondie et nommés
spermaties (sans flagelle, pas question de les
nommer spermatozoïdes). Le deuxième garde son
gamète sur lui et le protège dans une enveloppe
munie d’un long poil. C’est sur ce poil que vient se
fixer la spermatie au moment de la fécondation.
Figure 8-6 : Le
cycle de
développement
d’Antithamnion(*ph
ase haploïde du
cycle).

De cette union naît un individu nommé


carposporophyte, de carpo, fruit en grec, et c’est
vrai qu’il ressemble à un fruit porté par une tige.
Mais ne vous y trompez pas, il s’agit bien d’un
individu à part entière qui, en fils indigne, parasite
sa maman. Ce carposporophyte grossit et libère
dans l’eau des spores appelées tout bêtement
carpospores. Une fois sur le fond, celles-ci
germent et donnent une algue rigoureusement
identique au pied de départ. Mais comme pour la
Laitue de mer, il s’agit d’un sporophyte, qui
donnera naissance à des vraies spores d’où
sortiront les individus mâles et femelles, les
gamétophytes. Ouf ! Ce n’est plus une salade
mais une ratatouille. Ne cherchons pas à faire le
lien avec l’Homme, cela risquerait de mal
tourner…
Faux frères… fausses sœurs

Toutes les algues ont un appareil végétatif


organisé en thalle. Elles sont photosynthétiques et
majoritairement aquatiques. Mais nous avons vu
que leur reproduction et leur thalle sont différents.
Et les différences ne s’arrêtent pas là. En effet, les
chloroplastes des algues vertes et rouges sont
entourés par deux membranes (comme les
plantes vertes), mais ceux des algues vertes
renferment des chlorophylles a et b, alors que
ceux des algues rouges contiennent des
chlorophylles a et d, et des phycoérythrines. Les
chloroplastes des algues brunes sont, quant à
eux, limités par quatre membranes (mises en
place par une double endosymbiose – voir
chapitre 5) et renferment des chlorophylles a et c,
et de la fucoxanthine.
Durant leur cycle de vie, les algues rouges,
contrairement aux autres algues, ne forment
jamais de cellules flagellées. En revanche, les
algues vertes libèrent des cellules portant au
moins deux flagelles de même taille. Chez les
algues brunes, les cellules flagellées existent
aussi, mais les flagelles sont au nombre de deux
et si l’un est court, l’autre est long.

Ces nombreuses différences montrent que toutes


les algues ne peuvent pas être regroupées dans
une même famille. Ainsi, le mot « algues » n’a pas
de valeur de classification (de systématique), car
toutes les algues n’ont pas le même ancêtre
commun exclusif, à partir duquel elles auraient
évolué. Les spécialistes disent que les algues
constituent un groupe paraphylétique. Les algues
constituent donc un fourre-tout.
Leur morphologie en thalle n’est qu’une
adaptation convergente aux conditions imposées
par leur milieu de vie, le milieu aquatique. Ainsi,
biologiquement, le groupe des algues n’existe
plus, mais pour des raisons d’utilisation pratique
et du fait de leurs ressemblances morphologiques,
ce terme perdure et il est très utile en écologie.
Les algues à la conquête des océans
Nos filamenteuses colorées aux mœurs
compliquées vont traverser toutes les époques
jusqu’à nos jours. Leurs capacités d’adaptation
vont leur permettre de coloniser tous les milieux
convenablement éclairés. Les plus téméraires
d’entre elles tenteront même leur chance, avec
succès, sur la terre ferme.
Grâce à elles, lorsque les animaux décideront à
leur tour de se lancer à l’aventure hors de l’eau, le
décor sera déjà planté !

Situons l’événement majeur de ce chapitre sur


l’horloge de la vie (voir figure C du cahier central)
:

10h36 : L’apparition des premières


grandes algues accompagne l’apparition de
la faune de Burgess. Les algues rouges ont
certainement précédé les autres algues.
Chapitre 9

Les Vertébrés s’installent


Dans ce chapitre :
Les premiers Chordés
Les Vertébrés sans mâchoire
Les poissons apparaissent et se
diversifient

« Que celui qui n’a jamais péché jette


au poisson la première pierre. »
Francis Blanche
Revenons aux enfants de l’école de Burgess.
Parvenus dans la cour des moyens, ils y
inventèrent de nombreux jeux mais décidèrent de
tous jouer à la marelle et là, le palet de certains
n’atteignit jamais le paradis. Ils furent très
logiquement mais méchamment éliminés du jeu
et durent même parfois quitter la cour. Les
enfants sont parfois cruels entre eux !
Mais la marelle est un jeu trompeur car même si
on a atteint le premier le paradis, les perdants
veulent recommencer une nouvelle partie. Cent
fois sur le métier remettre son ouvrage ! Plus les
enfants sont nombreux et plus la concurrence est
sévère. Il peut même arriver que certains enfants
plus forts que les autres perturbent le jeu en
transgressant ses règles. Ces caïds de la cour
d’école sont craints et chacun fuit devant eux.
Nous avons ainsi vu que, dans la cour de l’école
de Burgess, étaient apparus les principaux
groupes d’animaux que nous connaissons
aujourd’hui ainsi que d’autres qui ne jouaient pas
très bien à la marelle. Nous avons vu, au chapitre
précédent, que les plantes, elles aussi, ont pris
d’assaut ce nouvel espace et sont venues
répandre une odeur d’algue dans tous les recoins
éclairés de la cour. À présent, nous allons assister
à l’arrivée d’un groupe très envahissant, très
belliqueux et… très arrogant. Pourtant quand on a
une limace comme ancêtre, il n’y a pas de quoi
pavoiser. Ce groupe, c’est celui des Vertébrés et
leur histoire, la nôtre, a failli finir en queue de
poisson !
Premier de Chordés : Pikaia

Dans le laboratoire de Burgess, il y a environ 530


millions d’années, au cours d’une euphorie
expérimentale, naissaient les grands groupes
d’êtres vivants que nous connaissons
actuellement (voir chapitre 7).
Parmi eux, une Anguille miniature, de 5 à 10
centimètres, munie de petits tentacules. Cet
animal appartenant à un groupe très minoritaire a
été découvert sur le site de Burgess en 1911.
Pikaia gracilens, appelé ainsi en l’honneur du
mont Pika (Canada), est de taille très modeste,
mais il est d’une grande importance pour nous
tous. En effet, c’est le plus ancien fossile connu de
Chordé. Il pourrait donc être notre arrière, arrière,
arrière… grand-père. Les chances de survie de
Pikaia étaient minces et, par voie de
conséquence, l’apparition de l’Homme ne relève
pas d’un processus d’évolution logique et
inéluctable, mais bien plutôt de l’improbable…
Parole de Pikaia : « Quand j’vois la tête de mes
descendants, j’me dis que j’aurais mieux fait
d’disparaître ! »
Figure 9-1 : Le
plus ancien des
Chordés : Pikaia.

Ce petit animal aurait pu rejoindre le bestiaire des


expériences ratées, s’il n’avait eu une particularité
qui a attiré l’attention des scientifiques. Outre des
muscles en chevron et une nageoire caudale
soutenue par de fines baguettes, Pikaia présente
une tige élastique qui parcourt tout son corps.
Celle-ci est appelée chorde, ce qui fait de lui un
Chordé. Là, vous vous dites que ça vous fait une
belle jambe ! Que de toute manière on dit une
cordée et que vous voyez mal Pikaia faire de
l’alpinisme ! Une petite explication est donc
nécessaire.
Nous possédons nous aussi une chorde, mais
celle-ci n’est présente que lorsque nous sommes
encore un embryon. Elle disparaît ensuite après
avoir donné naissance à la colonne vertébrale, le
symbole même des Vertébrés. Vous saisissez
maintenant l’importance de cette Anguille
vermiforme : elle pourrait être le précurseur de la
branche des Vertébrés, l’ancêtre de tous ceux qui
portent une colonne vertébrale sur cette planète !
Ses premiers descendants deviendront les maîtres
incontestés de l’eau, qu’elle soit douce ou salée.
Ainsi ils symbolisent l’adaptation de la vie à
l’élément liquide. Si on vous demande le nom d’un
animal vivant dans l’eau, il y a 99 chances sur 100
pour que vous répondiez : un poisson. D’ailleurs
ne dit-on pas « Comme un poisson dans l’eau ! » ?
Le saut à la chorde
Avant d’aborder l’origine probable des poissons
ainsi que leur évolution, penchons-nous sur cette
fameuse chorde dont la genèse remonterait à
l’époque de Burgess. Lorsque l’on cherche à
découvrir l’origine d’un organe, on commence par
faire l’inventaire des espèces qui le possèdent,
histoire de bien cerner le problème. Dans le cas
de la chorde, cet inventaire a apporté quelques
surprises.
Quelles larves, ces Tuniciers !
Le premier animal que nous rencontrons dans
notre recensement a de quoi étonner. Il ressemble
à un sac avec une ouverture principale en haut et
une autre moins grande sur le côté. L’intérieur du
sac est occupé par une sorte de filet au travers
duquel circule l’eau aspirée par l’orifice supérieur
et refoulée par l’orifice latéral. Ce filet sert à la
respiration de l’animal, en assurant l’absorption
de l’oxygène contenu dans l’eau, et à sa nutrition
en piégeant les fines particules en suspension. Le
tout est entouré par une tunique épaisse et solide,
à qui l’animal doit le nom de Tunicier. Et ma
chorde alors ?
Tuniciers, au microscope !

Les Tuniciers adultes vivent généralement fixés et


se servent de leur larve mobile pour coloniser
d’autres lieux. C’est dans cette petite larve, à
l’allure de têtard, que réside tout le secret de
cette outre à eau. Pour notre étude, nous
travaillerons sur une larve d’Ascidie, le groupe de
Tuniciers le plus commun. Question taille, elle n’a
rien d’un têtard et se rapprocherait plutôt d’un
spermatozoïde de Mammifère avec son 1,1
millimètre de long. C’est donc au microscope que
se fait son étude.

Figure 9-2 : Un
Tunicier et sa larve.
Premier constat, une ligne parcourt tout le
corps, de l’avant vers l’arrière. C’est un
tube nerveux qui met en relation des
cellules sensibles à la lumière situées à
l’avant du corps et les muscles de la queue.
Grâce à ce lien, la larve peut se déplacer en
fonction de la luminosité.
Deuxième constat, elle possède juste
derrière la tête une cavité lui permettant de
respirer, nommée de ce fait pharynx. Celui-
ci est percé de fentes qui font penser aux
branchies des poissons, les fentes
branchiales.
Troisième constat, et pas des moindres,
une deuxième ligne, parallèle au tube
nerveux, débutant juste derrière la tête
assure la rigidité de la queue. Voilà la
fameuse chorde que nous cherchions. C’est
donc chez le bébé d’Ascidie qu’il fallait
chercher !
Une précieuse
tunique…
La tunique des Tuniciers est surtout
constituée d’eau (75 à 90 %), mais elle est
très résistante, car elle renferme aussi des
protéines et un sucre particulier : la
tunicine. Cette dernière est un polymère
très voisin de la cellulose (le sucre le plus
abondant dans la paroi des végétaux). Or,
si on ajoute de la tunicine à du latex ou à
du caoutchouc, leur résistance à
l’étirement est renforcée. Ainsi, les
Tuniciers sont ramassés, depuis une
quinzaine d’années, dans toutes les mers
du globe, pour extraire la tunicine, mais
aussi parce qu’on y a découvert d’autres
molécules intéressantes.
En effet, ces animaux fabriquent des
composés chimiques qui repoussent leurs
prédateurs (comme les Étoiles de mer). Or,
on a démontré que certains de ces
composés ont des propriétés
anticancéreuses. L’ecteinascidine, par
exemple, a été testée efficacement chez
l’Homme, mais les doses maximales
tolérées et les éventuels effets secondaires
restent encore à déterminer. L’extraction
et la purification d’anticancéreux et de
tunicine nécessitent de collecter
d’énormes quantités de Tuniciers dans leur
milieu naturel. Afin d’éviter un
appauvrissement de cette source, on tente
de synthétiser industriellement ces
substances, soit chimiquement, soit grâce
à des bactéries.
Certains Tuniciers semblent même
renfermer des substances étonnantes. En
effet, le Violet est une Ascidie de
Méditerranée (Microcosmus sabatieri) qui
est dégustée crue, accompagnée de jus de
citron ou de vinaigre à l’échalote. Il est
aussi appelé figue de mer, patate de mer
par les Toulonnais, biju ou bijut dans le
Languedoc. Il est très prisé par les
Marseillais, qui le surnomment le « Viagra
» de Marseille… Ils exagèrent toujours !
Vous avez dit néoténie ?
Cette découverte fit beaucoup réfléchir, car une
larve n’est pas un adulte et ce n’est pas elle qui
constitue l’individu principal du cycle de vie de
l’animal. Autrement dit, comment cette minuscule
bestiole de la taille d’un spermatozoïde a pu
transmettre sa chorde à tous les êtres qui la
possèdent actuellement ? Pour certains
scientifiques, la larve devint, petit à petit, le stade
dominant chez certains Tuniciers et put ainsi
transmettre ses propres caractères à ses
descendants.
On observe ce phénomène chez certains animaux
comme l’Axolotl, une sorte de Salamandre à
branchies externes qui parfois passe toute sa vie
à l’état de larve, et se reproduit sans passer par le
stade adulte. Ce phénomène est appelé néoténie,
du grec neos, nouveau, et teinen, allonger.
On peut donc imaginer que certaines larves de
Tuniciers auraient pu se reproduire sans devenir
des adultes. Ils auraient transmis les caractères
qui font l’unité des Chordés : une chorde, un tube
nerveux dorsal et des fentes pharyngiennes. Le
microfilm des Chordés caché dans une larve aux
allures de spermatozoïde, il fallait y penser !

La larve des Tuniciers détiendrait donc le secret


des Chordés. Ce scénario n’est pas si loufoque,
car il s’appuie sur le fait que la néoténie n’est pas
un événement si exceptionnel. En effet, cette
prolongation de l’état larvaire est observée chez
de nombreux Amphibiens et il est souvent
provoqué par des températures froides.
Parfois cette prolongation de l’état larvaire
s’accompagne de l’acquisition de la maturité
sexuelle. C’est donc la larve qui assure la
reproduction, il n’y a plus de métamorphose.
Ainsi, dans certains lacs alpins, les larves de
Tritons palmés assurent la reproduction de
l’espèce si efficacement, que de « vrais » adultes
n’apparaissent quasiment plus. Si ces lacs
connaissent de meilleures conditions climatiques
(températures plus clémentes et luminosité
élevée), la métamorphose réapparaît et les
adultes formés se chargent de la reproduction.
Chez ces Amphibiens, la néoténie est accidentelle
et liée aux conditions climatiques.
Plus rarement, la néoténie est permanente, et les
animaux gardent perpétuellement leur
organisation larvaire et se reproduisent
uniquement sous cette forme. C’est le cas du
Necture, qui vit dans les Grands Lacs nord-
américains, et du Protée, qui vit dans des grottes
en Slovénie.
Certains auteurs pensent que les conditions
climatiques régnant il y a un peu plus de 500
millions d’années ont pu provoquer la néoténie de
larves de Tuniciers. La chorde a alors été
transmise aux générations suivantes.
Des poissons sans mordant

La véritable histoire des poissons semble débuter


très tôt après l’apparition de Pikaia. Une
découverte récente, faite dans la province
chinoise de Tunnan, semble indiquer qu’aux
alentours de – 525 millions d’années existait déjà
un être dont la morphologie rappelle celle des
poissons primitifs. Ne cherchez pas à retenir son
nom scientifique (Haikouichthys ercaicunensis) ni
d’ailleurs le groupe dans lequel il a été classé
(Myllokunmingiiformes), vous ne pourriez même
pas les replacer dans une partie de Scrabble® !
Les spécialistes supposent que cet animal était un
charognard qui s’infiltrait grâce à sa petite taille
dans le corps d’un animal blessé. Une fois à
l’intérieur, il pouvait en toute tranquillité le
dévorer lentement. Sympathique !
Avant les vers à pied,
les vers à dents…
Les Conodontes sont de minuscules
fossiles translucides ou opaques, noirs ou
de couleur ambrée, en forme de dents, de
crochets ou de peignes. Connus depuis
1856, les paléontologues les ont
longtemps interprétés comme des
mâchoires d’Annélides (voir chapitre 7).
Mais les découvertes récentes de
nombreuses empreintes d’animaux
porteurs de ces Conodontes, ont démontré
qu’il s’agissait de petites dents très
acérées qui appartenaient à des Vertébrés
primitifs. Ceux-ci n’avaient pas de
branchies, mais possédaient de gros yeux
et une nageoire caudale. Ils étaient
carnivores ou, comme Haikouichthys,
charognards. Ces minuscules « piranhas »
vermiformes pullulaient dans les océans de
l’ère primaire, puis ont tous disparu à la fin
du Trias. Ils sont, pour cette raison, utilisés
par les paléontologues comme des
marqueurs stratigraphiques, c’est-à-dire
qu’ils servent à dater précisément les
terrains géologiques dans lesquels ils se
situent (entre – 500 et – 200 millions
d’années).
Dans la famille des Crâniates, je voudrais la
Lamproie
Lorsque l’on regarde les représentations de
Haikouichthys, on a beaucoup de mal à imaginer
que les poissons actuels descendraient de cet être
aux mœurs répugnantes. Pourtant un poisson
vivant encore actuellement lui ressemble
beaucoup : la Lamproie. Pour faire simple, la
Lamproie est un tube finissant par une énorme
ventouse à l’aide de laquelle l’animal se fixe sur
ses victimes.

Figure 9-3 : La
Lamproie.

La Lamproie ne possède que deux nageoires, une


dorsale et une caudale, qu’elle utilise en faisant
onduler son corps. Elle nage peu car elle profite
de ses hôtes pour se faire balader. Grâce à son
disque buccal, appelé communément ventouse et
armé de pointes cornées tranchantes, elle perce la
peau de ses victimes en la raclant. Il ne lui reste
plus alors qu’à sucer le sang et autres liquides
suintant par cette plaie. Un auto-stoppeur
racketteur en quelque sorte !
La grande nouveauté de la Lamproie par rapport
aux Tuniciers est la présence d’une tête. Tout bon
cuisinier vous dira que c’est par cet organe qu’il
faut suspendre l’animal afin de lui couper la queue
à vif pour le saigner. Miam ! La Lamproie fait ainsi
partie du groupe des Crâniates, les animaux qui
possèdent un crâne.
Ils tirent sur la chorde
Les Amphioxus (ou Branchiostoma) sont
des Chordés marins ressemblant à de
petits poissons sans écailles (4 à 8
centimètres), presque incolores. Leur
forme rappelle un petit scalpel à double
tranchant, ce qui leur vaut le nom commun
de Lancelets. Ils nagent rarement, et ils
sont, le plus souvent, aux trois quarts
enfoncés dans les fonds sableux peu
profonds. L’eau est filtrée par le pharynx
qui, comme chez les Tuniciers, assure la
respiration et la nutrition.
Comme tous les Chordés, ils possèdent
une chorde, mais comme les Tuniciers et
contrairement à tous les autres, ils n’ont ni
crâne ni vertèbres. En revanche, si chez les
Tuniciers la chorde n’existe que dans la
queue de la larve, chez les Amphioxus elle
persiste chez l’adulte et elle se prolonge
en avant de la bouche. C’est pourquoi, on
appelle aussi les Tuniciers les Urochordés
(« chorde dans la queue »), alors que les
Amphioxus sont regroupés dans les
Céphalochordés (« chorde dans la tête »).
Une interrogation se pose alors : les
Céphalochordés sont-ils les ancêtres des
premiers Chordés ? Ou, inversement, sont-
ils des poissons dont l’organisation se
serait simplifiée au cours du temps ? Les
études moléculaires récentes d’hormones,
de protéines et de gènes montrent que,
même s’ils ne possèdent pas de crâne, les
Céphalochordés sont un groupe frère des
Crâniates. Ainsi, de tous les Chordés
actuels, les Amphioxus ressembleraient
certainement le plus à l’ancêtre commun
aux Céphalochordés, aux premiers
Crâniates et aux premiers Vertébrés.

Dans cette tête, un peu immonde il faut l’avouer,


on trouve un organe qui participera au succès des
Vertébrés sur la planète : le cerveau. Bien
entendu, celui de la Lamproie est minuscule mais
il est déjà composé de cinq parties, appelées
vésicules en raison de leur forme arrondie et
partiellement creuse. Ce cerveau est déjà capable
de commander l’ensemble de l’organisme comme
le montrent des expériences récentes. Ainsi, un
robot est capable de se comporter de manière
autonome, lorsqu’il est piloté par un cerveau de
Lamproie, greffé sur ses circuits.
Même si elle laisse songeur, cette expérience
apporte la preuve que la Lamproie a une tête
munie d’un cerveau organisé. Mais celle-ci est
encore dépourvue de mâchoire, ce qui lui a valu
d’être classée dans le groupe des Agnathes car
gnathos signifie mâchoire et -a veut dire sans.
Pour une crâneuse, elle manque cruellement de
mordant !
Une mixeuse de chair
La Lamproie n’est pas le seul « poisson »
agnathe existant actuellement. On trouve
aussi les Myxines. Comme la Lamproie,
elles ont une forme de tube allongé
terminé par une bouche circulaire, mais
dépourvue de cirres. Elles ne portent pas
deux, mais une unique nageoire, qui
s’étend du dos au ventre en contournant la
queue. Elles sont quasiment aveugles, car
les yeux sont sous la peau, mais leur
sensibilité chimique est très développée.
Certaines se nourrissent de poissons morts
qu’elles écorchent par succion, mais pour
la plupart, ce sont des prédateurs
redoutables. Elles s’introduisent dans les
poissons en passant par les ouïes. Elles y
produisent une telle quantité de mucus
que la proie est progressivement
asphyxiée. Elles passent alors dans le tube
digestif et dévorent la victime de
l’intérieur.
Comme la Lamproie, les Myxines ont un
crâne, ce sont des Crâniates, mais elles ne
possèdent pas de vertèbres et leur
squelette cartilagineux leur procure une
grande flexibilité.
Des poissons cuirassés
Si l’on vous propose de vous équiper avec une
corde et un casque, vous vous dites que nous
sommes partis pour faire de la spéléologie.
Pourtant, c’est ce dont disposaient les premiers
poissons avec leurs vertèbres primitives et leur
crâne à peine ébauché. Sans mâchoire, il est
difficile de se défendre. C’est sans doute la raison
pour laquelle nos premiers de Chordés se sont
recouverts rapidement de plaques osseuses ou
d’écailles. Si tu n’as pas la dent dure, prends-toi
une armure !

Ces premiers poissons cuirassés ont été nommés


Ostracodermes, du terme ostracodermi qui
signifie « peau en coquille ». Les fossiles les plus
anciens de ce groupe datent de – 500 millions
d’années et les plus récents de – 350 millions
d’années. Nos cuirassés ont donc tenu plus de
150 millions d’années ! Le Potemkine peut
s’accrocher. Mais n’allez pas imaginer des
monstres marins couverts d’armures guerrières ;
la plupart d’entre eux mesuraient moins de 30
centimètres de long.
Figure 9-4 : Un
Ostracoderme du
Dévonien (410-360
millions d’années) :
Pteraspis.

La grande innovation des Ostracodermes est la


séparation nette entre la respiration et la
nutrition. En effet, avant eux, les premières
branchies servaient à la fois de filtres à oxygène
et de filtres à particules. La dualité est souvent un
gain de place mais rarement un gain d’efficacité.
Avec les Ostracodermes, elles seront désormais
consacrées exclusivement aux échanges
respiratoires.
Mais il reste une question que vous devez
certainement vous poser : comment fait-on entrer
de la nourriture dans son tube digestif lorsqu’on
est dépourvu de mâchoire ? Tout simplement en
jouant l’aspirateur. On suppose que les
Ostracodermes étaient capables de contracter
certains muscles associés à leurs branchies pour
créer une aspiration d’eau. Celle-ci devait être
suffisante pour faire entrer dans leur bouche des
proies lentes et de petite taille. On est encore loin
des dents de la mer !
Du poisson sans arêtes

À partir de – 430 millions d’années, la mâchoire va


faire son apparition. Les êtres qui s’en équiperont
seront plus performants dans leur recherche de
nourriture. Ils pourront attraper des proies plus
grandes et plus rapides… comme des Agnathes
par exemple. C’est ainsi que les effectifs des
Ostracodermes vont lentement baisser, jusqu’à
leur disparition pure et simple. Il ne reste
désormais que quelques groupes d’Agnathes,
comme les Myxines ou les Lamproies dont nous
avons déjà parlé. Leur pérennité est certainement
liée à leur mode de vie qu’aucun autre être n’est
venu leur disputer.
Ainsi, après la chorde et le crâne, c’est au tour de
la mâchoire d’entrer dans la liste d’équipement
des Vertébrés. Les premiers à l’adopter seront les
poissons et, de simple accessoire nourricier,
certains groupes la transformeront en une arme
redoutable. C’est qu’on a les dents longues dans
les océans !
Figure 9-5 :
Apparition
progressive de la
mâchoire à partir
des arcs
branchiaux
antérieurs des
poissons agnathes
il y a environ 430
millions d’années.
Les dents de la mer sont des
grands mous
S’il y a un groupe qui symbolise la mâchoire, c’est
bien celui des Requins. Si on vous parle
gastronomie, vous pensez tout de suite aux
ailerons, dont la préparation en soupe menace
grandement certaines espèces. Mais il y a fort à
parier que vous avez consommé de la chair de
Requin, peut-être à la cantine car elle y est
fréquemment proposée. Son nom : la Roussette
appelée parfois saumonette ou « chien de mer ».
Vous n’avez peut-être pas aimé sa chair blanche
et maigre. Mais en revanche vous avez
certainement apprécié l’absence d’arêtes. La
Roussette est le poisson idéal pour les enfants.
Le Requin possède bien un squelette mais celui-ci
est cartilagineux. Autrement dit, il est plutôt mou
et si vous observez de près une tranche de
Roussette, vous découvrirez des petits morceaux
de cartilage jouant le même rôle de soutien que
des arêtes.
C’est fin, le Requin !
Les Requins font ainsi partie du groupe des
Chondrichtyens, du grec chondros, cartilage et
ichthys, poisson. Malgré ce cartilage qui rend leur
squelette trois fois moins lourd, les
Chondrichtyens ont une flottabilité négative, c’est-
à-dire qu’ils coulent s’ils ne nagent pas. Couler
lorsqu’on est un Requin, c’est un coup à vous
rendre marteau !

Pour faire face à cet excès de densité, les Requins,


comme beaucoup d’animaux aquatiques
confrontés au même problème, utilisent les corps
gras. En effet, ceux-ci ont comme propriété d’être
moins denses que l’eau. Il suffit donc de les
stocker dans l’organisme pour se sentir plus léger.
Les Requins les accumulent dans leur foie qui
prend ainsi des proportions étonnantes : de 1/20e
du poids du corps chez les poissons osseux, il
passe à 1/5e du poids du corps chez les poissons
cartilagineux. Avec le foie, on peut soulever un
Requin.
Œil pour œil, dent pour
dent ?
Sur les 350 espèces de Requins, seule une
poignée est susceptible de s’attaquer à
l’homme. Les Requins attaquent en
moyenne et par an, dans toutes les mers
et océans de la planète, une soixantaine
de personnes, provoquant la mort de cinq
d’entre elles. Par comparaison, les Guêpes
tuent autant de personnes en France et les
méduses en tuent dix fois plus dans les
mers tropicales. Chaque année, les
Alligators tuent plus de personnes que les
Requins aux États-Unis, et seulement à
New York, 1 500 personnes en mordent
une autre…
En revanche, ce sont en moyenne 70
millions de Requins qui sont tués
annuellement par l’Homme, par la « pêche
sportive » ou pour son alimentation. Leur
chair est consommée en steak ou
transformée en farine et leurs nageoires
(ou ailerons) sont appréciées dans la
gastronomie chinoise. Leur foie fournit une
huile très riche en vitamine A, recherchée
pour la fabrication des peintures et pour
des vertus cosmétiques ou médicales très
discutables.
La plupart des espèces de Requins sont en
voie d’extinction. Leur disparition serait
une véritable catastrophe pour l’équilibre
de l’écosystème marin, car les Requins
étant quasiment au sommet de la chaîne
alimentaire, ils sont indispensables à la
régulation des populations marines.
Des écailles ou des dents ?
Si tout est mou chez le Requin, alors d’où
viennent les dents ? Premier constat, elles ne sont
pas soudées à la mâchoire et sont remplacées
continuellement. Deuxième constat, elles ont la
même forme que les écailles qui recouvrent le
corps de l’animal. Troisième constat, on trouve sur
la bouche de certains Requins les étapes d’un
passage progressif de l’écaille à la dent. Dents et
écailles seraient donc liées.
Observons de plus près la peau d’un Requin. Elle
est qualifiée de « peau de chagrin » et est utilisée
comme abrasif en maroquinerie de luxe car elle
est couverte de nombreux denticules. L’analyse
d’une de ces écailles montre qu’elle est formée
d’ivoire recouvert d’émail. Cela ne vous rappelle
rien ? L’écaille a donc la même composition que la
dent, ou plutôt la dent a la même composition que
l’écaille, car c’est cette dernière qui est apparue
en premier. Ce constat est valable pour
l’ensemble des Vertébrés, dont nous faisons partie
: nos dents sont d’anciennes écailles modifiées.
Pas facile dans ces conditions de conserver une
haleine fraîche !
Les dents de la mer…
Si les Requins se trouvent actuellement au
sommet de la chaîne alimentaire chez les
poissons, cette place a été occupée, entre
– 430 et – 355 millions d’années, par
d’autres poissons à mâchoire, les
Placodermes (voir figure G du cahier
central). Comme les Ostracodermes, ils
étaient recouverts en partie de plaques
osseuses et comme les Requins, leur corps
était musculeux et hydrodynamique. Ils
possédaient des mâchoires puissantes
articulées, mais sans dents. La plupart
étaient de petits charognards d’une
quarantaine de centimètres. Mais, même
dépourvus de dents, certains, comme
Dunkleosteus qui mesurait plus de 10
mètres, étaient des chasseurs redoutables
de leurs contemporains : les Trilobites (voir
chapitre 7), les poissons sans mâchoire et
les premiers Requins. Ils les
pourchassaient grâce à leurs pointes de
vitesse élevées et les tuaient avec leurs
puissantes mâchoires, avant de les avaler
par gros morceaux. Dépassés par la
concurrence des Requins, plus habiles, les
Placodermes disparurent après avoir semé
la terreur dans les océans pendant 75
millions d’années…
Le Requin bouché
Tout le monde a déjà vu dans des reportages ou
des films à sensation, l’œil noir et tout rond du
Requin. Celui-ci reste toujours ouvert car le Requin
ne possède pas de paupières. N’essayez pas de
calmer les ardeurs d’un Requin en lui parlant
gentiment, car il ne possède ni oreille externe ni
oreille moyenne et est donc sourd. En revanche, il
est très sensible aux vibrations du milieu
aquatique grâce à des récepteurs situés sur un
axe allant de l’avant à l’arrière de l’animal et
nommé ligne latérale. Grâce à cet organe, aucune
onde sonore ne lui échappe et il peut très
facilement repérer une proie à des kilomètres.
Mais l’équipement sensoriel d’un Requin ne
s’arrête pas à ces détecteurs de mouvements. Il
est également capable de repérer des proies
immobiles grâce au champ électrique que produit
tout être vivant doté d’un système nerveux. Il
possède pour cela une série d’organes
électrorécepteurs, situés sur le museau, et
nommés ampoules de Lorenzini. Des expériences
ont montré qu’elles étaient sensibles à des
variations de champ électrique très inférieures à
la moindre tension produite dans le système
nerveux de tout animal. Avec le Requin, mieux
vaut avoir ses batteries à plat !
Il y a de l’électricité
dans l’eau…
Les Requins sont dotés d’un équipement
sensoriel sophistiqué, commandé par un
réseau de fibres nerveuses ramifiées très
efficaces, grâce à l’existence, autour des
fibres, d’une gaine de myéline. La myéline,
qui n’existait pas chez les Vertébrés
antérieurs aux Chondrichtyens, est un
isolant qui assure une propagation plus
rapide du message nerveux. Une plus
grande nervosité en quelque sorte.
Du fait de l’activité de son système
nerveux et de ses muscles, tout animal
plongé dans l’eau crée autour de lui un
faible champ électrique. Certains poissons,
comme les Requins, les Raies, les
Esturgeons et les Silures (« poissons-chats
»), sont qualifiés d’électrosensibles car ils
sont capables de percevoir ce champ. Ils
peuvent donc détecter les proies enfouies
ou dissimulées, invisibles pour les autres,
ce qui en fait de redoutables prédateurs.
Parmi les poissons électrosensibles,
certains sont aussi électrogènes, car ils
sont capables d’émettre des décharges
électriques. Ces décharges sont produites
par un organe spécialisé, l’organe
électrogène, qui dérive des muscles. Il est
formé de nombreuses cellules aplaties
baignant dans une gelée, qui sont
associées comme des piles montées en
série. Chaque poisson électrogène émet un
signal électrique particulier défini par sa
tension, son intensité et sa fréquence.
Remarquant que ce signal variait en
fonction de la qualité de l’eau, des
scientifiques ont eu l’idée d’utiliser un
poisson électrogène, le poisson-couteau
américain, pour détecter la présence
éventuelle d’un polluant. C’est ainsi que de
véritables kits de biodétection sont
commercialisés sous la marque «
Gymnotox », du nom de la famille de ce
poisson.
Les Raies ne sont pas des
Chimères…
Les Chondrichtyens ne regroupent pas seulement
les Requins ; on y trouve aussi les Raies et les
Chimères. Les Raies ressemblent à des Requins
aplatis dorso-ventralement, leurs nageoires
pectorales sont développées en forme d’ailes et
les fentes branchiales entourent la bouche du côté
ventral. Comme les Requins, ce sont de bons
nageurs et la plupart sont carnivores, mais elles
se nourrissent surtout de petites proies (poissons,
coquillages, Crustacés) qu’elles chassent sur le
fond. Quelques-unes, comme la Raie Manta
(Manta birostris) se nourrissent exclusivement de
plancton. C’est aussi le cas du plus gros des
poissons actuels : le Requin-baleine, qui peut
atteindre 20 mètres de long et peser 10 tonnes.
Les Chimères sont des Chondrichtyens particuliers
par leur tête conique, qui porte de gros yeux et
des nageoires pectorales démesurées. Certaines
Raies (comme la Mourine) et quelques Chimères
(comme la Chimère monstrueuse) portent un
aiguillon érectile venimeux. Il est situé à
l’extrémité de la queue chez les Raies et des
nageoires pectorales chez la Chimère. Bien qu’il
nage comme un Requin en utilisant sa nageoire
caudale et qu’il leur ressemble énormément, le
poisson-scie (Pristis) a des fentes branchiales sur
la face ventrale, c’est donc une Raie. Le rostre
denté qui prolonge son museau lui permet de
fouiller le fond sableux pour y déloger les petits
poissons ou Mollusques dont il se nourrit. Lorsqu’il
rencontre un banc de poissons, la scie se
transforme alors en marteau, car en l’agitant de
droite à gauche, il assomme ses futures proies.
Y a pas d’arêtes dans le bifteck,
mais…
Cette expression de cours d’école résume à elle
seule le groupe de poissons suivant : les poissons
à arêtes. Ils ont été nommés Téléostéens, du grec
ancien teleios, achevé, et osteon, os. Les arêtes
seraient donc les os de ces poissons. Pour s’en
convaincre, il suffit d’observer l’évolution du
squelette d’un Téléostéen au cours de sa
croissance. Le squelette initial est constitué de
cartilage, comme dans le groupe des Requins.
Mais alors que chez ces derniers le cartilage
persiste toute la vie de l’individu, chez nos
Téléostéens, des points d’ossification
apparaissent. Ce sont des lieux où le cartilage est
remplacé par du tissu osseux. De cette manière,
pièce après pièce, notre maquette cartilagineuse
devient osseuse. Les arêtes remplacent ainsi le
cartilage à l’endroit même où il s’était formé. Le
Téléostéen est donc un Vertébré en chair et en os.
Disséquons le Gardon
Arrêtons-nous quelques instants sur l’anatomie de
ce poisson osseux car son plan de construction
servira de support à tous les autres Vertébrés,
notamment ceux qui quitteront l’eau, dans le
chapitre 12. Prenons un Gardon par exemple, et
explorons-le en le disséquant.

Dans un premier temps, plaçons-le sur le ventre,


de manière à pouvoir lui inciser le dos. Nous
voyons alors apparaître la colonne vertébrale,
formée d’un assemblage de vertèbres dans le
creux desquelles cheminent la moelle épinière et
la chorde dorsale. De chacune de ces vertèbres
partent deux côtes, l’une à droite, l’autre à
gauche. Voilà pour le squelette formant l’axe de
l’animal, son squelette axial.
Figure 9-6 :
L’organisation d’un
poisson téléostéen.

Si nous faisons remonter notre incision jusqu’à


l’extrémité de la tête, nous mettons au jour une
structure osseuse très solide. C’est le crâne, formé
d’un assemblage de nombreux os soudés entre
eux. En faisant glisser délicatement la pointe
d’une paire de ciseaux fins sous la calotte
crânienne, nous pouvons soulever la partie
supérieure du crâne. Cette opération, qui
ressemble à l’ouverture d’une boîte de conserve,
permet de faire apparaître le cerveau du poisson.
C’est un organe complexe, aussi nous
contenterons-nous d’une description rapide afin
de pouvoir suivre son évolution dans les groupes
suivants.
Sorti de sa boîte crânienne, le cerveau du poisson
ressemble à une limace avec ses deux antennes à
l’avant. Ce sont en fait les deux nerfs olfactifs,
ceux qui sont reliés aux narines, les organes de
l’olfaction. À la base de ces deux nerfs, deux
petites bosses appelées lobes olfactifs. C’est là
que les informations apportées par les nerfs
olfactifs sont traitées. Juste derrière eux, on trouve
deux demi-sphères associées, les hémisphères
cérébraux. Retenez bien leur nom car leur taille ne
cessera de croître par la suite pour devenir des
éléments majeurs du cerveau (voir figure J du
cahier central). Encore derrière, viennent deux
sphères jumelles, les lobes optiques suivis du
cervelet et du bulbe rachidien. Ce dernier fait le
lien entre le cerveau et la moelle épinière. Que de
sphères ! Une limace tout en rondeur.
La farce du poisson

Plaçons maintenant notre Gardon sur le dos et


pratiquons une incision ventrale. Nous mettons au
jour tous les organes de la cavité abdominale,
tous les boyaux, diraient les enfants. Pour se
repérer, prenons le tuyau venant de la bouche et
allant vers l’arrière du corps. C’est le tube digestif.
Il est formé d’un tube appelé œsophage, suivi
d’une grosse poche, l’estomac et d’un tube plus
étroit vers l’arrière, l’intestin, qui s’ouvre sur
l’extérieur par l’anus. Une grosse masse rougeâtre
est associée au tube digestif, le foie. En le
retournant, on peut découvrir une petite poche qui
lui est associée, la vésicule biliaire.
Précisons dès à présent le rôle de chacun de ces
organes. L’œsophage est un simple conduit qui
amène la nourriture vers l’estomac. Les aliments y
sont alors stockés et la première partie de la
digestion débute. Des liquides appelés sucs
digestifs sont libérés sur les aliments, notamment
la bile sécrétée par la vésicule biliaire et fabriquée
par le foie. Ceux-ci contiennent des enzymes, ces
protéines dont nous avons déjà parlé et qui
peuvent jouer le rôle de paires de ciseaux
moléculaires. Des aliments sont ainsi transformés
en une bouillie qui passe dans l’intestin. Dans ce
long tube se déroule la fin de la digestion. La
plupart des aliments qui avaient résisté aux
attaques des enzymes de l’estomac sont à leur
tour transformés en bouillie. Celle-ci traverse la
paroi de l’intestin et passe dans le sang, c’est
l’absorption intestinale. Tout ce qui a résisté aux
enzymes est expulsé par l’anus lors de la
défécation. Voilà pour l’alimentation du Gardon.
Tout au fond de la cavité abdominale, le long de la
colonne vertébrale, on peut apercevoir un drôle de
ballon rempli de gaz. C’est la vessie natatoire.
Celle-ci est reliée par un petit tuyau avec
l’œsophage. Tous les organes cités précédemment
vous étaient certainement connus car ils sont
présents dans votre organisme. En revanche, la
vessie natatoire… Alors, jouons ensemble à
découvrir son rôle chez le poisson. Rappelons que
c’est un sac rempli de gaz et que la chair et les os
sont plus denses que l’eau. Alors ? Ajoutons que le
poisson peut à volonté jouer sur la quantité de gaz
emprisonnée dans cet organe. Vous avez
certainement deviné qu’il s’agit d’un flotteur que
le poisson utilise pour se maintenir à une
profondeur désirée sans effort. L’Homme s’en est
inspiré lors de la conception des sous-marins. Cet
organe n’existe pas chez les Requins, d’où leur
flottabilité négative.
Figure 9-7 : Les
entrailles du
Gardon : l’animal
est posé sur le dos
et ouvert par le
ventre ; les organes
ont été déplacés
sur le côté.

Continuons notre visite des entrailles du Gardon.


Au-dessus de la vessie natatoire, nous découvrons
deux organes rougeâtres allongés. Ce sont les
reins. Vous savez certainement qu’ils
interviennent dans la production d’urine. Celle-ci
contient les résultats de l’épuration du sang par
ces organes. À côté des reins, nous découvrons
des masses allongées, soit rosâtres, granuleuses
et effilées, soit blanchâtres, lisses et difformes.
Pourquoi ces deux possibilités ? Tout simplement
car il s’agit des glandes sexuelles, les gonades.
Dans le premier cas, c’est la description des
ovaires ; dans le deuxième cas, celle des
testicules.
Appareil urinaire et appareil génital sont déjà
voisins chez les poissons. Ils le resteront chez tous
les Vertébrés, avec même parfois des voies
communes comme chez les Mammifères mâles.
Une fécondation sans étreinte
amoureuse
Puisque nous venons de rencontrer les appareils
génitaux, parlons de la reproduction chez les
Téléostéens. Celle-ci se déroule sans
accouplement ; il faut dire que les nageoires ne
sont pas trop adaptées aux étreintes amoureuses.
La fécondation est externe et se déroule dans
l’eau, au hasard. Pour faciliter la rencontre des
gamètes, les poissons se rassemblent en bancs
plus ou moins importants. Certains mâles
changent de robe et arborent une parure de
noces, souvent brillamment colorée, pour attirer
au mieux les femelles. L’embryon se développe
dans un œuf grâce à des réserves accumulées par
l’ovule lorsqu’il se trouvait dans l’ovaire de la
femelle. De cet œuf sort une larve appelée alevin,
très proche de l’adulte.
On n’est jamais mieux
servi que par soi-
même…
L’autofécondation, c’est-à-dire la
fécondation d’un gamète femelle par un
gamète mâle, produits tous les deux par le
même individu, est très exceptionnelle
chez les animaux. En effet, elle est
supposée, mais non totalement avérée,
chez quelques rares Invertébrés comme
les Vers solitaires et quelques Tuniciers.
L’autofécondation est encore plus rare
chez les Vertébrés. Chez les Perches de
mer, pour lesquelles on ne trouve jamais
de mâles, elle est supposée. Mais, elle est
parfaitement avérée chez un poisson : le
Killi des mangroves. Il mesure environ 5
centimètres et vit dans les marais
saumâtres de Floride, des Caraïbes
jusqu’en Amérique du Sud. En laboratoire,
on a pu obtenir 27 générations successives
par autofécondation. Il est actuellement le
seul Vertébré au monde capable de la
pratiquer…
Le poisson a du cœur et de
l’ouïe
Que nous reste-t-il encore à visiter dans notre
Gardon ? Sa respiration et sa circulation. Il est
d’ailleurs plus commode de faire une visite
groupée de ces deux grandes fonctions car elles
sont intimement liées.

Côté respiration, le poisson téléostéen possède


des branchies très performantes (voir figure 9-6).
Il faut dire que plus de 250 millions d’années
d’existence, ça laisse du temps pour perfectionner
ses outils ! Contrairement aux Requins, chez
lesquels les branchies étaient derrière de simples
fentes, chez les Téléostéens, elles sont cachées
par des opercules. Ceux-ci ressemblent à deux
grandes oreilles que le poisson peut écarter ou
rapprocher du corps. Il peut ainsi ouvrir ou fermer
les cavités qui se trouvent juste derrière et que
l’on appelle des ouïes. Mais attention, ce terme
est trompeur car ces ouïes-là n’ont rien à voir
avec l’audition. Si un poisson a l’ouïe fine c’est
pour éviter d’être attrapé par là.
Derrière chaque opercule nous trouvons quatre
branchies, soit huit en tout. Chaque branchie est
constituée de deux rangées de lamelles aplaties
fixées sur une pièce osseuse qui leur sert de
support solide. À l’intérieur de chaque lamelle
circule du sang et comme la membrane qui
l’entoure est très fine, les gaz respiratoires
peuvent facilement voyager entre le sang et l’eau.
Pour respirer, le Téléostéen crée un courant d’eau
entre sa bouche et ses ouïes. Dans un premier
temps, il ferme ses ouïes au moyen de ses
opercules et ouvre la bouche. Puis, dans un
second temps, il ferme sa bouche, écarte ses
opercules et chasse l’eau par ses ouïes. Ces
mouvements respiratoires saccadés s’observent
très facilement dans n’importe quel aquarium.
Le sang d’un poisson téléostéen circule dans une
simple boucle. Il est mis en mouvement par un
cœur très rudimentaire. Les quatre cavités qui le
composent étant en enfilade, ce cœur peut être
assimilé à une simple pompe aspirante/refoulante.
Il aspire le sang qui a traversé les organes et qui
est donc riche en dioxyde de carbone. Il le
propulse vers les branchies au sein desquelles il
se débarrasse de son dioxyde de carbone et se
charge en dioxygène, avant de retraverser les
organes. Ainsi, bien que totalement isolée de
l’eau, chaque cellule de l’organisme peut respirer
correctement.

On distingue deux types de vaisseaux sanguins


chez les Téléostéens comme chez tous les
Vertébrés :

Les artères qui résistent à de fortes


pressions et se situent après le cœur ;
Les veines peu résistantes et situées
avant le cœur.

Le circuit sanguin des poissons osseux peut donc


se résumer ainsi : Cœur → Artères → Branchies →
Artères → Organes → Veines → Cœur. Ce n’est pas
l’anneau d’Indianapolis mais ça fonctionne depuis
au moins 250 millions d’années !
Du poisson au menu

Les poissons regroupent des animaux avec ou


sans mâchoire. Chez les poissons avec mâchoire,
certains sont cartilagineux et d’autres osseux. Au
sein des poissons osseux, on distingue deux
groupes, les Actinoptérygiens et les
Sarcoptérygiens, selon l’organisation de leurs
nageoires.
Les poissons constituent donc un vaste fourre-tout
! Le mot « poisson », même s’il nous est
indispensable chez notre poissonnier ou lorsque
nous avons en main notre canne à pêche, n’a pas
de valeur de classification (systématique). En
effet, tous les animaux que nous appelons les
poissons n’ont pas le même ancêtre commun
exclusif, à partir duquel ils auraient évolué. Les
spécialistes disent que les poissons constituent un
groupe paraphylétique (comme les algues – voir
chapitre 8. Ou les reptiles – voir chapitre 12 et
figure H du cahier central).
Même s’il n’est plus employé par les
systématiciens, on admet actuellement que le
groupe des poissons désigne l’ensemble des
Vertébrés non tétrapodes, possédant des
mâchoires, vivant dans l’eau, qu’ils soient actuels
ou fossiles. En sont donc exclus les Lamproies, les
Myxines et les Ostracodermes que nous avons
décrits au début de ce chapitre (voir figure G du
cahier central).
Situons les événements majeurs de ce chapitre
sur l’horloge de la vie (voir figure C du cahier
central) :

10h36 : Apparition des premiers Chordés


dans la faune de Burgess.
10h38 : Apparition des Vertébrés sans
mâchoire ou Agnathes.
10h42 : Apparition des Ostracodermes
aujourd’hui éteints.
10h52 : Apparition des Placodermes
aujourd’hui éteints.
10h54 : Apparition des Ostéichtyens
(poissons osseux).
10h55 : Apparition des Chondrichtyens
(poissons cartilagineux comme les Requins,
Raies et Chimères actuels).
11h20 : Apparition des Téléostéens
(majorité des poissons actuels, osseux à
nageoires rayonnées : Truite, Gardon,
Saumon, Bar…).

La naissance des Vertébrés s’est faite autour


d’une chorde, à la suite peut-être d’une erreur de
croissance. Soumis régulièrement à l’épreuve des
caprices de notre planète, ils se relèveront chaque
fois, démontrant ainsi des capacités d’adaptation
hors pair.
Rien d’étonnant donc à ce que certains d’entre
eux se laissent un jour tenter par la terre ferme…
Quatrième partie

À la conquête de la
planète

Dans cette partie…

Lassées du ballottement des vagues, des algues vont se


glisser lentement hors de leur bain nourricier et se lancer à
l’aventure sur la terre ferme. Aussi sec, les Insectes vont les
suivre, accompagnés de quelques créatures échappées du
musée des horreurs. Les terres émergées se couvriront alors
d’étranges forêts dont la fossilisation nous offrira le
charbon.

Les Vertébrés, plus prudents, détacheront quelques


éclaireurs patauds visiter cette étrange verdure. Ces timides
Amphibiens laisseront rapidement leur place à de terribles
reptiles au règne hégémonique qui feront trembler la Terre
sous leur masse colossale durant des dizaines de millions
d’années. Mais une météorite mettra fin au temps des
Dinosaures, pour laisser la place aux êtres à poils et à
plumes de toutes sortes.

Finalement, plantes et animaux, las de se combattre,


inventeront bien avant nous le concept de l’entente
cordiale.
Chapitre 10

Les plantes se mettent au


sec
Dans ce chapitre :
La colonisation de la terre ferme par les
plantes
L’apparition et la diversification des
mousses
Le petit monde des fougères et la
formation du charbon
Le règne des champignons

« Donnez-moi un bain sans eau,


je n’ai pas le temps de me sécher. »
Marcel Celmas
Dans les épisodes précédents de l’histoire de la
vie, nous avons vu des océans se peupler et se
dépeupler au gré des caprices planétaires. Nous
avons également pu observer des faunes entières
s’imposer par la force ou jouer aux chaises
musicales, attendant qu’une place soit libre pour
s’y précipiter.

Nous sommes maintenant à – 440 millions


d’années, dans une période nommée Silurien, du
nom d’un peuple breton, les Silures, de la région
du Shropshire, en Angleterre (voir figure A du
cahier central). Sous l’eau, qu’elle soit douce ou
salée, chacun vaque à ses occupations. La vie y
est bien organisée et rares sont les places
disponibles pour les nouveaux arrivants. Mais sur
la terre ferme, pas une petite touche verte de
plantes, même pas une petite mousse ou un petit
lichen ; bref, un désert parfait !
Il faut dire aussi que notre planète n’avait pas
prévu qu’un être vivant tenterait l’aventure hors
de l’eau. Son atmosphère primitive ne contenant
ni oxygène et donc ni ozone (voir chapitre 2),
certains rayonnements solaires mortels touchaient
le sol et foudroyaient tout être à l’humeur
vagabonde. Appliquant le vieil adage : « On n’est
jamais si bien servi que par soi-même », la vie –
de manière tout à fait involontaire bien sûr – a
produit grâce à la photosynthèse suffisamment de
dioxygène pour que celui-ci monte dans les
hautes couches atmosphériques et se transforme
en ozone. Plus besoin de masque anti-UV avec la
présence de ce véritable bouclier.

Au Silurien, on estime que la quantité d’oxygène


dans l’atmosphère était suffisante pour qu’une
couche d’ozone digne de ce nom soit présente.
Voilà pour la crème solaire ! Mais qu’en était-il du
climat ? De nombreuses études montrent qu’il
s’agit d’une période de stabilité climatique assez
chaude. Les calottes glaciaires ont disparu et l’eau
qu’elles contenaient, en se déversant dans les
océans, a entraîné une augmentation de leur
niveau sur l’ensemble de la planète. Une invasion
maritime dans les terres qui porte le nom de
transgression marine. Elle donne naissance à de
nombreux milieux marécageux dont les exemples
actuels sont le Marais poitevin ou la Camargue en
France et les bayous de Louisiane.
Nous sommes donc dans un contexte climatique
chaud et humide où l’eau et la terre s’entrelacent.
On ne peut rêver mieux comme décor pour attirer
la vie hors des océans.
Une mise au sec en cinq sec ?
Pour une plante, vivre dans l’eau est idyllique :
pas de risque de vous déshydrater ; inutile de
pomper l’eau et de la faire circuler dans votre
organisme puisqu’elle est tout autour de vous ;
inutile de vous fabriquer un squelette puisque
l’eau vous porte ; inutile de vous adapter aux
changements brutaux de températures puisque
l’inertie de l’eau vous en protège, etc. Pour les
algues, c’est le paradis ! Il n’est pas étonnant que
la plupart d’entre elles soient restées
rudimentaires. À quoi bon s’activer quand tout est
calme ?
Pourtant, certaines d’entre elles ont eu les idées
plus larges et ont développé des structures qui
seront bien utiles pour tenter une sortie vers
l’enfer. Mais quelle plante a été assez masochiste
pour quitter son douillet cocon aquatique ?
Des algues en cale sèche
L’histoire de la conquête des terres émergées par
les plantes est difficile à reconstituer car il existe
trop peu de fossiles de cette période et ceux dont
nous disposons manquent cruellement d’indices.
Pour les scientifiques, le point de départ serait
certainement des algues vertes vivant près des
côtes. Celles-ci devaient se trouver dans la zone
de balancement des marées, c’est-à-dire les
parties du littoral couvertes d’eau à marée haute
et exondées à marée basse (voir chapitre 8). Ainsi,
cet ancêtre des plantes terrestres était
régulièrement soumis à l’assèchement et a
survécu en s’adaptant. Mais quelles adaptations
fallait-il développer pour sortir de l’eau ?
Il fallait avant tout se fournir en eau car cet
élément est vital. Sur la terre ferme, l’eau est
présente de manière assez régulière dans les
profondeurs du sol. Il faut donc aller la chercher.
Nos exploratrices ont ainsi développé des
structures pour aller la puiser : les futures racines.
Ensuite, cette eau, il fallait l’acheminer vers
toutes les parties de la plante qui ne sont pas
dans le sol et donc développer un système de «
tuyauterie » partant des racines et allant jusque
dans les parties aériennes les plus hautes. C’est
l’origine de la sève et des vaisseaux qui la
conduisent. Mais l’eau ne va pas monter toute
seule ; il fallait également inventer une « pompe à
eau », un système aspirant ou propulsant. Nous
verrons que l’évaporation de l’eau par les feuilles
a réglé ce problème (voir chapitre 14).
Les plantes jouent les dures…
Mais une algue, c’est flasque et ça ne tient pas
debout. Comment faire tenir droit ce morceau de
gélatine ? Nos pionnières n’ont pas inventé la
cellulose car celle-ci était déjà présente chez leurs
ancêtres. Mais elles l’ont synthétisée de manière
plus abondante et plus ordonnée. En revanche,
elles ont inventé la lignine, une molécule qui
transforme les tissus végétaux en bois et qui a
donc permis aux plantes pionnières de se
redresser et d’accéder à la lumière.

De plus, sur la terre ferme, l’humidité de l’air est


très variable et la dessiccation par transpiration
peut être très rapidement fatale. Les plantes
pionnières ont limité ces pertes en recouvrant leur
épiderme d’une substance imperméable : la
cutine. Mais cette substance est également
étanche au gaz carbonique et à l’oxygène, or
comme tout organisme vivant, la plante doit
respirer. La solution a consisté à interrompre
régulièrement cette couche, par des pores
complexes, les stomates.
Les plantes pionnières se reproduisaient en
libérant des spores, qui une fois au sol, germaient
et redonnaient une nouvelle plante. Avant leur
germination, ces spores étaient soumises à la
dessiccation de l’air. Leur protection a été assurée
par l’incorporation dans leur paroi d’un polymère
particulier, le plus résistant connu dans le monde
vivant, la sporopollénine.
La lignine, la cutine et la sporopollénine entourant
les spores se retrouvent chez quasiment toutes les
plantes terrestres actuelles. C’est pourquoi elles
sont recherchées dans les fossiles, pour nous
indiquer l’âge des premières plantes terrestres.
Ainsi, les spores entourées de sporopollénine les
plus anciennes ont été identifiées au sultanat
d’Oman et datées d’environ 410 millions
d’années. Les plantes pionnières du Silurien ont
donc inventé les spores de plein air…
Les plantes se font entuber

La plus ancienne trace de plante montrant des


adaptations à la vie aérienne date d’environ – 412
millions d’années. Elle a été découverte par W.
Lang, un paléobotaniste, autrement dit un
spécialiste des plantes fossiles, et a été nommée
Cooksonia en l’honneur de sa collaboratrice Isabel
Clifton Cookson. Le fragment découvert ne
mesure que 6,5 centimètres de long, mais Lang a
pu observer dans son axe un tube à structure
annelée : un groupe de vaisseaux conducteurs de
sève. Un tel dispositif devait permettre à
Cooksonia d’alimenter des parties aériennes ; elle
était donc, au moins partiellement, hors de l’eau.
Une autre de ces pionnières a été découverte près
du village de Rhynie, en Écosse, et a été pour
cette raison nommée Rhynia. Comme Cooksonia,
elle montre des traces de vaisseaux conducteurs
de sève. Mais son étude a révélé une autre
surprise : elle présente de petites ouvertures sur
la tige, appelées stomates, lui permettant
d’effectuer des échanges gazeux avec l’air. Le
doute n’est plus permis, Rhynia était bien
aérienne. Un peu plus jeune que Cooksonia,
Rhynia permet d’affirmer que les plantes vertes
ont conquis la terre ferme vers – 410 millions
d’années.
Si ces deux plantes sont considérées comme
terrestres, c’est surtout grâce à leurs vaisseaux
conducteurs de sève. Mais ne faites pas l’erreur
de penser que « c’est parce qu’elles voulaient
sortir de l’eau qu’elles ont développé ces
structures ». L’évolution ne fonctionne pas de
cette manière. Elle utilise des éléments déjà
inventés et les perfectionne. Ainsi, les vaisseaux
conducteurs existaient déjà chez les algues
ancestrales dont elles sont issues et n’avaient
alors qu’une fonction secondaire dans le transport
de substances. On trouve de telles structures chez
certaines algues actuelles, comme les Fucus
rencontrés dans le chapitre 8.
En sortant de l’eau, ces vaisseaux ont
immédiatement trouvé une fonctionnalité déjà
ébauchée chez leurs ancêtres algues. Le vilain
drain est devenu un joli tube. Chez Dame Nature,
on fait du neuf avec du vieux !
Quand le Céleri voit
rouge…
Remplissez, à moitié, un grand verre
d’encre rouge pure. Plongez-y une branche
de Céleri que vous aurez auparavant
coupée proprement à la base. Attendez
une à deux heures. Vous pouvez alors
facilement observer de fines lignes
colorées en rouge, qui matérialisent les
vaisseaux conducteurs, depuis la base
jusqu’aux feuilles. Si vous renouvelez
l’expérience avec une nouvelle branche de
Céleri et en agitant délicatement un sèche-
cheveux à proximité des feuilles, vous
constaterez que la vitesse de propagation
de l’encre rouge dans la tige augmente. La
vitesse de la montée de la sève brute
augmente donc avec la transpiration des
feuilles. Sans pour autant mettre le Céleri
dans le rouge…
Chez les plantes, les tubes conducteurs de
sève sont accolés côte à côte. Ils sont bien
visibles dans les feuilles, car ils y forment
les nervures. En revanche, pour les
observer dans les tiges, il faut les colorer.
Vous pouvez aussi réaliser cette
expérience avec une rose blanche, dont
vous plongerez la tige dans de l’encre
bleue ou rouge. Une expérience
scientifique, poétique et esthétique !
La Terre se met au vert

Vers – 410 millions d’années, les marécages du


Silurien ont donné naissance à des plantes
dressées, adaptées au milieu aérien. La période
suivante porte le nom de Dévonien (voir figure A
du cahier central) car elle a été décrite dans le
comté de Devon en Angleterre.
Seules sur d’immenses surfaces vierges, nos
pionnières vont se multiplier et se diversifier avec
une telle intensité que le Dévonien deviendra
synonyme d’explosion des plantes terrestres.
Faisons un bond de 400 millions d’années dans le
passé et allongeons-nous sur la mousse pour
contempler le spectacle… (Voir le paysage du
Dévonien inférieur, figure K du cahier central.)
Vous prendrez bien une petite
mousse !
Les mousses sont des plantes très simples qui
semblent faire le lien entre les algues et les
plantes terrestres. Elles ne possèdent pas de
véritables vaisseaux conducteurs de sève et ne
présentent pas de vraies racines. On trouve à la
place de ces dernières une sorte de crampon,
formé de rhizoïdes, comme chez les algues (voir
chapitre 8). Pas étonnant donc que les mousses
aient été considérées pendant très longtemps
comme les ancêtres des plantes terrestres. Mais
depuis les découvertes de Cooksonia et Rhynia,
elles ont été déchues de leur statut. De quoi vous
rendre verte de rage !
La mousse : ça
conserve !
Les mousses les plus courantes vivent
dans des endroits humides comme les
forêts. Certaines, les Sphaignes,
recouvrent 3 % des continents et forment
des tourbières. Elles y sont associées à
quelques Graminées (appelées désormais
Poacées), roseaux, plantes carnivores et
une faune très spécifique.
Dans les tourbières, les Sphaignes forment
de véritables radeaux flottants, où seuls
les premiers centimètres réalisent la
photosynthèse. La base n’est constituée
que des restes des plantes plus anciennes.
En effet, à leur mort, ces plantes se
décomposent très lentement à cause des
températures basses et de la très faible
teneur en oxygène.
La décomposition très lente forme un sol,
riche en matière organique, appelé la
tourbe. On estime ainsi que 15 à 30 % du
carbone stocké dans les sols de la planète
le seraient dans les
tourbières. Du fait de cette très grande
teneur en matière organique, la tourbe est
utilisée en horticulture, comme terreau, et
comme combustible en Irlande et dans
certains pays nordiques. Ainsi, 20 % des
Irlandais l’utilisent pour se chauffer.
L’extraction industrielle de la tourbe doit
être limitée car les tourbières, en stockant
une grande partie du carbone de
l’atmosphère, limitent l’effet de serre.
L’exploitation des tourbières a permis de
dégager des fossiles dans des états de
conservation remarquables, car les
Sphaignes libèrent des acides tanniques et
des composés antiseptiques. Ainsi,
l’Homme de Tollund, découvert en 1950 au
Danemark, était naturellement momifié.
Outre son visage et ses mains
parfaitement conservés, il portait autour
du cou, la corde avec laquelle il avait été
pendu…

Si vous vous promenez dans des forêts au sol


humide, vous avez certainement aperçu de
petites touffes d’un vert assez foncé. Il s’agit du
Polytric, une mousse commune que nous allons
prendre comme exemple pour l’étude de son
groupe. Si vous tirez sur une tige de la touffe,
vous en détachez un pied, un individu. Celui-ci est
constitué d’une tige portant de nombreuses
feuilles insérées en hélice et fixée au sol par de
minces filaments bruns, les rhizoïdes, dont nous
avons déjà parlé.
Figure 10-1 : Une
mousse de nos
forêts : le Polytric.

Coupons une tige transversalement et observons.


Le centre de la tige est occupé par des cellules de
petite taille, formant un cercle. On pourrait croire
que l’on a affaire à un vaisseau mais une
observation plus précise montre qu’il n’en est rien
et qu’il ne s’agit que de simples cellules de
soutien, qui rigidifient la tige. Autour de ce
cylindre central nous trouvons de grosses cellules
vertes à parois fines, qui renferment de la
chlorophylle et réalisent donc la photosynthèse.
Ce sont des cellules nourricières de la plante.
L’ensemble est entouré par une couche unique de
cellules épaisses, non chlorophylliennes. Elles ont
un rôle de protection et de soutien.
Les feuilles sont étroites et pointues et
comportent de nombreuses cellules
chlorophylliennes, donc nourricières également.
On pourrait croire qu’elles comportent une
nervure, mais il ne s’agit que d’un ensemble de
cellules étroites et allongées raccordées au
cylindre central de la tige. Sur leur face
supérieure, on trouve une cinquantaine
d’empilements cellulaires formant des lamelles
chlorophylliennes perpendiculaires à la feuille. Ces
structures augmentent considérablement la
surface de réception du rayonnement solaire.
Cette description du Polytric nous montre qu’il
possède une organisation simple, sans organe,
sans cellules réellement spécialisées. Les termes
de tige et de feuille doivent d’ailleurs être utilisés
avec précaution car elles ne sont en rien
comparables à ce que seront ces organes chez les
plantes plus évoluées. Mais c’est certainement
mieux ainsi car il y a fort à parier que de vraies
tiges et de vraies feuilles lui ôteraient ses plus
belles qualités : sa douceur et son moelleux qui
font les délices des randonneurs fatigués.
Les survivants de
l’extrême…
De nombreuses mousses survivent à une
forte déshydratation puisque leur teneur
en eau peut descendre à moins de 20 %.
C’est le cas de la Tortula ruralis qui se
développe sur le toit des maisons. Elle y
forme de petits coussins, qui après
plusieurs semaines d’été caniculaire
semblent desséchés et morts. Cependant,
quelques minutes de pluie suffisent à les
réhydrater et à leur redonner leur belle
couleur verte.
Cette capacité de survie extrême semble
avoir deux origines. On observe tout
d’abord, qu’au fur et à mesure que la
déshydratation s’installe, les feuilles
s’enroulent autour de la tige en se repliant
sur elles-mêmes, formant ainsi un abri
pour les lamelles chlorophylliennes.
Parallèlement, chaque cellule de Tortula
ruralis fabrique une grande quantité de
protéines capables de réparer les
dommages cellulaires causés par cette
dessiccation. Les scientifiques
envisageraient même d’intégrer les gènes
codant pour ces protéines dans des
plantes cultivées, afin d’améliorer leur
résistance à la sécheresse.
Un bain moussant

Le cycle de développement des mousses


ressemble à ceux de certaines algues que nous
avons entrevus dans le chapitre 8. Chez le
Polytric, les organes mâles et femelles sont portés
par des tiges appartenant à des touffes
différentes. Les organes mâles sont appelés
anthéridies. Ils donnent naissance à des
spermatozoïdes dont la particularité est de
posséder deux flagelles. Ils sont dits biflagellés.
De leur côté, les organes femelles, appelés
archégones, sont formés d’un ventre surmonté
d’un col allongé. Le ventre contient le gamète
femelle, appelé oosphère.
Lorsque l’humidité le permet, les spermatozoïdes
quittent le pied mâle et nagent à la recherche
d’un pied femelle. Ils sont attirés par des
substances sécrétées par le pied femelle. Une fois
au pied de celui-ci, ils le gravissent et pénètrent
par le col de l’archégone. Ils n’ont plus alors qu’à
se laisser glisser vers l’oosphère qui les attend. La
fécondation donne naissance à un œuf qui grandit
directement sur le pied femelle. Celui-ci devient
un embryon qui développe en direction de la tige
un suçoir, afin de se nourrir aux dépens de sa
mère. Belle mentalité !
Arrivé à terme, cet embryon est devenu un
individu de forme allongée, toujours fixé sur le
pied maternel. Il porte tout en haut une sorte de
chapeau, appelé coiffe et sous lequel s’est
développée une capsule de forme arrondie.
Lorsque celle-ci est arrivée à maturité, elle se
dessèche et s’ouvre par le dessus. Il en sort alors
des centaines de minuscules grains noirs, les
spores, suffisamment légères pour être
disséminées par le vent. Lorsqu’une de ces spores
tombe sur le sol, elle germe, si les conditions du
milieu le permettent. Il en résulte soit un pied
mâle, soit un pied femelle…

Figure 10-2 : Le
cycle de vie d’une
mousse : le Polytric
(*phase haploïde
du cycle. Dans la
capsule, des
méioses donnent
des spores
haploïdes : on parle
de méiospores).
Le cycle de développement du Polytric comporte
donc deux types d’individus : le gamétophyte qui
fabrique les gamètes, et le sporophyte qui
fabrique les spores. Le gamétophyte est une
véritable plante alors que le sporophyte est une
sorte de fruit poussant sur le gamétophyte
femelle. On dit que le gamétophyte l’emporte sur
le sporophyte. Nous verrons que cette tendance
s’inversera par la suite. Une autre particularité de
ce cycle est que la fécondation est aquatique, ce
qui oblige les mousses à vivre dans des milieux
très humides au moins une partie de l’année.
Ainsi, bien que terrestres, les mousses sont encore
tributaires de l’eau. Eh oui ! Le randonneur fatigué
repart souvent les fesses mouillées.
La fronde des fougères contre
les terres émergées
L’étude des fossiles de Rhynia a montré qu’elle
ressemblait beaucoup aux fougères, que l’on
nomme Ptéridophytes, du grec pteris, fougère, et
phuton, plante. Ainsi les fougères auraient été les
premiers grands végétaux aériens. Nous leur
devons donc une fière chandelle d’avoir osé sortir
du bain à une époque où celui-ci était bien chaud
et accueillant.
Dans nos contrées, la plupart des fougères sont
présentes dans les sous-bois et doivent se
contenter des reliquats lumineux laissés par les
arbres qui les surplombent. Mais elles n’ont pas
toujours mené cette existence en retrait ! Il fut un
temps où elles étaient les maîtres des forêts et
elles étaient si nombreuses qu’elles nous ont
fourni nos gisements de charbon. Cette période a
pris très logiquement le nom de Carbonifère (voir
figure A du cahier central).

Avant d’aborder cette période faste, intéressons-


nous à la morphologie de ces plantes en prenant
un exemple. Le Ptéridophyte, classiquement
étudié, est le Polypode vulgaire, une fougère de
petite taille, que l’on rencontre souvent fixée dans
les vieux murs. En tirant délicatement sur les
feuilles, il est souvent possible de dégager la
totalité de la plante de son support. On découvre
ainsi qu’elle est formée de deux parties bien
distinctes, une aérienne appelée fronde, et une
souterraine formée d’une sorte de cylindre
sombre entouré de racines.

Figure 10-3 : Une


fougère de petite
taille : le Polypode
vulgaire.

Ce cylindre est en fait une tige souterraine


appelée rhizome qui se développe parallèlement à
la surface du sol, à peine enfouie. Les frondes qui
partent perpendiculairement au rhizome sont des
feuilles de grande taille et très découpées. La
fougère possède donc de véritables organes, ce
qui la différencie des mousses vues
précédemment.
Des coupes effectuées dans la tige souterraine, la
fronde et la racine montrent qu’elles sont toutes
parcourues par des vaisseaux conduisant la sève,
regroupés en tissus conducteurs. En y regardant
de plus près, on découvre qu’il en existe deux
types : l’un est spécialisé dans la conduction de
bas en haut et l’autre, de haut en bas. Leur nom a
été défini chez les végétaux supérieurs et ne
présente donc qu’une relation lointaine avec la
structure de la fougère. Il s’agit du xylème pour la
conduction montante, du grec xulon, bois, et du
phloème pour la conduction descendante, du grec
phloios, écorce, car le phloème constitue un tissu
situé à proximité de l’écorce chez les végétaux
supérieurs. Avec le xylème et le phloème, c’est
tout un poème.
Les fougères ont du cœur
Vous avez certainement observé des centaines de
petits points jaunes collés sous les feuilles d’une
fougère et vous vous êtes dit qu’il s’agissait de
graines ou de pollen. Ce sont en fait des
sporanges et, si vous les écrasez entre deux
doigts lorsqu’ils sont secs, vous verrez qu’ils
contiennent de minuscules poussières, les spores.
Les spores ne sont ni des grains de pollen (des
gamètes mâles), ni des graines (des embryons
prêts à redonner une plante complète).
Lorsqu’une spore tombe au sol, elle germe et, par
de multiples divisions cellulaires, donne naissance
à un organisme en forme de cœur, appelé
prothalle. Celui-ci est de couleur verte, ce qui
signifie qu’il contient de la chlorophylle et réalise
donc la photosynthèse. Il présente de petites
racines, des rhizoïdes, lui permettant de se fixer.
Un cœur bien accroché en quelque sorte.

Le centre du prothalle est épais et porte le joli


nom de coussinet. Au dos de celui-ci, donc au
contact du sol, on peut observer des organes
reproducteurs appelés, comme chez les mousses,
anthéridies pour les mâles et archégones pour les
femelles. Lors d’une forte pluie, les premiers
libèrent des spermatozoïdes qui, attirés par des
substances libérées par l’archégone, nagent pour
rejoindre l’oosphère, le gamète femelle, situé
également au fond d’un col allongé. De l’union
des deux gamètes naît un embryon qui se nourrira
quelque temps à partir du prothalle avant de
devenir un individu totalement autonome, une
fougère enracinée dans le cœur du prothalle.

Figure 10-4 : Le
cycle de vie d’une
fougère : le
Polypode vulgaire
(*phase haploïde
du cycle. Dans le
sporange, des
méioses donnent
des spores
haploïdes : on parle
de méiospores).

Chez la fougère comme chez la mousse, il y a


donc deux générations d’individus par cycle de
développement. Le sporophyte fabriquant les
spores, ici l’individu feuillé, et le gamétophyte
fabriquant les gamètes, ici le prothalle. Nous
pouvons constater que, contrairement à la
mousse, le gamétophyte est devenu minuscule et
ne représente plus l’individu principal. C’est une
tendance qui s’amplifiera par la suite.
Ajoutons également que, chez certaines fougères,
les anthéridies sont mûres bien avant les
archégones, sur un même prothalle. Ceci oblige
les spermatozoïdes à partir à la recherche d’un
autre prothalle sur lequel les archégones sont déjà
mûrs. Il peut sembler cruel d’obliger de frêles
gamètes à partir à l’aventure loin de leur maison,
mais les fougères évitent ainsi l’autofécondation
et favorisent le mélange de leurs gènes, source de
diversité et d’évolution. Et puis, ne dit-on pas, à
cœur vaillant rien d’impossible !
La conquête de
nouvelles terres : c’est
de la spore !
Chez le Polypode, comme chez les
mousses, chaque sporange libère 64
spores protégées par une paroi interne
cellulosique, l’intine, et une paroi externe
riche en sporopollénine, l’exine. Entourées
de cette enveloppe résistante et
imperméable, elles attendent, en vie
ralentie, que des conditions favorables à
leur germination arrivent. Chez le
Polypode, les spores sont toutes
identiques, on parle d’homosporie.
Les fougères aquatiques, comme les
Salvinia ou les Azolla, produisent deux
types de spores, on parle d’hétérosporie.
De petites spores, ou microspores, qui
donnent des gamétophytes mâles, et des
spores de plus grand diamètre, qui
donnent des gamétophytes femelles.
L’hétérosporie est apparue plusieurs fois
au cours de l’évolution, mais le groupe des
fougères et leurs cousines, les
Sélaginelles, semblent être les premiers
groupes à l’avoir présenté, il y a environ
360 millions d’années.
Cette nouveauté évolutive deviendra
progressivement un trait caractéristique et
persistant de toutes les plantes vivant sur
la terre ferme. Parallèlement à cette
évolution, il y aura réduction de la taille et
de la complexité des gamétophytes et, à
l’inverse, construction d’un grand
sporophyte ramifié, produisant deux types
de spores. Ces dernières permettront la
dissémination jusqu’à l’invention de la
graine et du fruit par les premières plantes
à fleurs, il y a environ 150 millions
d’années.
Quand les fougères allaient au
charbon
L’étude de la reproduction de la fougère nous a
montré qu’elle ne pouvait s’effectuer sans eau
liquide. Les Ptéridophytes restent donc tributaires
de cet élément. Pourtant, cela ne les a pas
empêchés, il y a environ 360 millions d’années, de
devenir de véritables arbres et de donner des
forêts aussi denses, aussi touffues et aussi
majestueuses que nos plus belles forêts
équatoriales actuelles.

Il faut dire que le début du Carbonifère est une


période bénie pour ces végétaux, car le climat y
est calme et tiède. C’est aussi à cette époque que
se forment de vastes chaînes de montagnes, qui
deviendront nos massifs vosgien, armoricain et
central.
Il est difficile d’imaginer aujourd’hui ces vieux
massifs rabotés aussi hauts et arrogants que
l’Himalaya, mais c’était pourtant le cas. Leurs
hauts sommets bloquaient les nuages qui
déversaient leur contenu sur les flancs
montagneux donnant naissance à de
gigantesques bassins sédimentaires très riches en
cours d’eau, qui s’ouvraient sur la mer sous forme
de deltas. Le bassin amazonien est un bon
exemple du décor qui devait exister à cette
époque sur une bonne partie des côtes.
Le climat tropical et l’atmosphère saturée de
vapeur d’eau permettent l’installation d’une
végétation luxuriante composée en grande partie
de fougères. Certaines d’entre elles possèdent des
tiges dressées de plus de 30 à 40 mètres de haut
et de longues feuilles de plus de 10 mètres.
L’exemple type de ces fougères géantes est le
Lépidodendron, dont l’abondance de fossiles a
permis une reconstitution d’une grande précision.
Si vous avez la chance de visiter un jardin
botanique qui vous propose une maquette
grandeur nature, vous serez surpris de sa forme
en palmier. Même son tronc semble recouvert de
la même écorce écailleuse. Il s’agit en fait des
empreintes laissées par les feuilles disparues et
appelées coussinets foliaires. Elles sont à l’origine
du nom de la plante, lepidos signifiant écaille et
dendron arbre (voir figure L du cahier central).
Houille !
La forêt du Carbonifère, à l’origine des
bassins houillers, était peuplée de grands
arbres de 30 à 50 mètres de hauteur, très
différents de nos arbres actuels. En effet,
ils ressemblaient davantage à nos
fougères arborescentes, à nos Palmiers ou
à nos Araucarias. Les Ptéridophytes sont, à
cette période, à leur apogée et, à aucun
autre moment dans l’histoire de la vie, ils
ne seront plus nombreux, plus hauts et
plus diversifiés.
On y trouvait des fougères arborescentes
et des fougères herbacées, des
Sélaginelles, des Sigillaires, des
Lépidodendrons et des Prêles géantes, les
Calamites (voir figure L du cahier central).
Comme ces plantes vivaient les pieds dans
l’eau, les arbres étaient fixés dans la vase
par de longs rhizomes, de gros diamètre, à
la ramification simple souvent en forme de
croix.

À l’époque de ces forêts luxuriantes, la formation


d’un grand continent unique, appelé Pangée,
provoque des changements réguliers du niveau
des océans. Quand l’eau envahit les terres, on
parle de transgression et quand elle se retire,
c’est une régression. Ainsi de nombreuses
transgressions ont eu lieu au début du
Carbonifère, inondant chaque fois de grandes
étendues forestières. Nous avons vu que les
fougères aiment l’humidité mais il ne faut pas trop
abuser et lorsqu’elles sont recouvertes d’eau,
elles finissent par mourir. Normalement, tout être
mort est totalement décomposé par les bactéries.
Mais dans les eaux boueuses des marécages du
Carbonifère, les bactéries ne trouvent pas
suffisamment de dioxygène pour faire
convenablement leur travail. Des forêts entières
vont ainsi être mises à l’abri de la décomposition,
sous des couches de boue et de sable, et se
retrouver pétrifiées. Que vont-elles devenir ?
Pour bien comprendre le phénomène suivant, il
faut faire un peu de géologie. Les cuvettes où les
fragments minéraux arrachés aux montagnes
viennent s’accumuler s’appellent des bassins
sédimentaires. Sans entrer dans les détails des
mécanismes impliqués, il faut savoir que ces
bassins sont susceptibles de s’enfoncer,
notamment sous le poids des sédiments qui les
remplissent. Ainsi nos forêts englouties
accompagnent le mouvement du bassin où elles
avaient poussé et s’enfoncent également. Notre
planète est très chaude en profondeur et donc,
plus on descend, plus la température augmente
ainsi que la pression. Nos forêts pétrifiées vont
ainsi se retrouver à des températures et à des
pressions élevées qui vont, un peu à la manière
d’une cuisson à l’étouffée, les transformer
lentement en charbon.
Les gueules noires
Les gueules noires désignaient les mineurs
de charbon, car ce dernier leur collait à la
peau, comme aux poumons. La France
grâce aux gisements du Carbonifère a eu
un grand passé charbonnier. Les grands
bassins côtiers de la Pangée, dans le Nord -
Pas-de-Calais ou en Lorraine, et les plus
petits bassins lacustres en Midi-Pyrénées,
Languedoc, ou Massif central ont été
exploités. Ainsi, en 1958 l’année record de
production, les mines françaises
produisaient 58,9 millions de tonnes de
charbon.
Le charbon n’a pas résisté à la concurrence
du pétrole et du gaz. Le 21 décembre
1990, le dernier puits en activité dans le
Nord - Pas-de-Calais arrête sa production. Il
aura fonctionné 270 années et aura
produit 2,4 milliards de tonnes de
combustible. Le 24 avril 2004, c’est la
toute dernière mine de charbon de France
qui ferme, à La Houve en Lorraine.
Cependant, le charbon a peut-être encore
un grand avenir énergétique devant lui,
car ses réserves prouvées (en Chine,
Australie, Russie…) sont environ quinze
fois plus importantes, en quantité
d’énergie contenue, que les réserves
mondiales de pétrole.
Lorsque la mer se retire, la forêt reprend ses droits
et redevient rapidement luxuriante. Lorsque l’eau
remonte, le même enchaînement d’événements
se reproduit. C’est la raison pour laquelle les
gisements de charbon se présentent, la plupart du
temps, sous forme de couches appelées veines,
correspondant chacune à une forêt fossilisée.

Actuellement les fougères géantes ne survivent


que dans les régions tropicales. Elles sont
également observables dans certaines serres de
jardins botaniques. Alors n’hésitez pas à leur
rendre visite et à vous plonger dans un passé
vieux de plus de 350 millions d’années.
La ronde du carbone…
L’ensemble des échanges de carbone sur
notre planète forme un cycle : le cycle du
carbone. Celui-ci est complexe, car il
résulte d’échanges entre l’hydrosphère (les
mers et océans surtout), la lithosphère (les
roches et les sédiments), l’atmosphère et
la biosphère (plantes et animaux vivants
ou morts). Ce cycle ayant fini par
s’équilibrer au cours des temps
géologiques, le taux de CO2
atmosphérique était devenu relativement
stable.
Mais la déforestation diminue le stockage
du carbone par la photosynthèse des
plantes.
De plus, la combustion des roches
carbonées (charbon, pétrole, gaz) rejette
énormément de dioxyde de carbone. Ces
deux processus déséquilibrent le cycle et
le carbone s’accumule dans l’atmosphère,
sous forme de deux gaz : le dioxyde de
carbone et le méthane. Ces deux gaz à
effet de serre sont à l’origine du
réchauffement climatique anormal,
observé depuis le début du XIXe siècle et
même brutal depuis une trentaine
d’années.
Ils poussent comme des champignons
!
Dès leurs premiers pas sur la terre ferme, les
plantes y ont laissé des feuilles, des tiges et des
cadavres complets. Tous ces débris ont permis à
de nouvelles espèces d’apparaître et de se
spécialiser dans la dégradation, à l’air libre, de la
matière organique.
À côté de nombreuses bactéries ayant quitté le
milieu aquatique pour suivre les plantes, on
trouve un groupe important, ayant fait du
recyclage de la matière organique une spécialité :
les champignons. Visitons ce monde où chapeau
et collerette ne sont pas passés de mode.
Sous le règne du champignon
Si on vous parle de champignons, vous pensez à
un être formé d’un pied et d’un chapeau
appartenant soit à une espèce comestible,
succulente en omelette ou en salade, soit à une
espèce vénéneuse parfois mortelle. En réalité ce
que vous ramassez n’est qu’une fructification. Le
véritable individu est souterrain et se présente
sous forme de filaments appelés mycéliums. Mais
il est très difficile d’arriver chez soi avec un panier
de champignons en affirmant qu’on a cueilli des
fruits.
Si l’on observe l’individu, c’est-à-dire le mycélium,
on voit qu’il est formé de cellules entourées d’une
paroi. Celle-ci étant absente chez les animaux, les
champignons ont été classés longtemps comme
végétaux, dans le groupe des cryptogames, ceux
dont la reproduction était cachée. Mais quelque
chose clochait dans ce regroupement et de
nombreuses questions restaient sans réponses.
Comment expliquer que la paroi des cellules des
champignons ne soit pas formée de cellulose
comme celle de leurs cousins, mais de chitine
comme la carapace des Insectes ? Comment
expliquer qu’ils se nourrissent de matière
organique déjà fabriquée, comme les animaux,
alors que leurs cousins fabriquent eux-mêmes la
matière dont ils se nourrissent ? Comment
expliquer leur reproduction par spores alors que
leurs cousins évolués utilisent la graine ? Face à
ces incertitudes, il a été décidé de créer un règne
spécifique aux champignons, celui des Fungi,
champignons en latin, appelés également
Mycètes, champignons en grec.
Des champignons au
service des hommes…
Sans les champignons, le pain ne
gonflerait pas, la bière serait sans alcool et
sans mousse et les fromages bleus,
comme le roquefort, seraient d’un blanc
peu goûteux. En effet, la levure de bière,
appelée aussi la levure de boulanger, est
un champignon qui transforme les sucres
en alcool et en dioxyde de carbone. Elle
est donc indispensable à la fermentation
du jus de raisin ou de pomme, en vin ou en
cidre. Le dioxyde de carbone qu’elle libère
crée les bulles du champagne et de la
bière et fait monter la pâte lors de la
panification.
D’autres champignons donnent les saveurs
et les arômes qui caractérisent un
fromage, comme Penicillium roqueforti
dans le roquefort.
De nombreux champignons sont
consommés par l’Homme (Truffes,
Morilles), dont certains, comme le
champignon de Paris (Agaricus
brunnescens) et le Lentin du chêne ou
Shiitaké (Lentinus edodes) sont cultivés
industriellement.
Le premier antibiotique, la pénicilline,
découvert par Alexander Fleming en 1928,
est extrait d’un champignon Penicillium.
Depuis, de nombreuses autres substances
utilisées en médecine proviennent de ces
Fungi ; c’est le cas des cyclosporines qui
permettent de limiter très efficacement les
rejets à la suite d’une greffe d’organe.

Mi-animaux, mi-végétaux, les champignons se


retrouvent ainsi élevés au même rang qu’eux.
Alors là, chapeau !
Des champignons, du sol au
plafond
Nous venons de voir que les champignons étaient
dépourvus de chlorophylle et qu’ils devaient donc
s’alimenter à partir de matière organique déjà
fabriquée. Il est fort probable qu’ils aient débuté
leur existence dans le sol, comme décomposeurs
de matières organiques mortes. Ils remplissent
encore ce rôle et sont omniprésents dans tous les
sols naturels comme ceux des forêts. Pour s’en
persuader, il suffit de prélever un peu d’humus et
de l’observer à la loupe : une multitude de petits
filaments majoritairement blanchâtres, appelés
hyphes, se faufilent dans tous les recoins de
l’échantillon, ce sont les mycéliums des
champignons. Ainsi 10 centimètres cubes de sol
fertile peuvent contenir 1 kilomètre de filaments
mycéliens. Il faut dire qu’avec un diamètre de 10
micromètres, il est facile de se pelotonner dans un
petit volume.
Pour s’alimenter, le mycélium dispose d’une arme
chimique très efficace : des enzymes tellement
puissantes, qu’elles sont capables de décomposer
des matières aussi résistantes que le bois. Il ne lui
reste plus ensuite qu’à absorber les fragments
obtenus pour se nourrir. Jamais rassasié, le
mycélium grandit en permanence. Son pouvoir de
pénétration dans le sol permet à un seul
champignon de s’étendre sur des distances qui
dépassent l’imaginaire. Ainsi, aux États-Unis, on a
découvert un mycélium âgé de plus de 1 500 ans.
Il pesait en tout plus de 100 tonnes et occupait à
lui tout seul une surface de 15 hectares !
Fourmi, fourmi, fourmi,
formidable !
Certains champignons s’associent, non pas
avec des végétaux, mais avec des
Insectes. Les Fourmis du genre Atta, sont
ainsi qualifiées de champignonnistes, car
elles cultivent des champignons proches
des Lépiotes, dans des chambres
spécialisées, d’une trentaine de
centimètres de diamètre. Ces Fourmis
vivent en colonies de plusieurs millions
d’individus, dans des nids souterrains, qui
renferment plusieurs centaines de ces
chambres. Leurs habitantes y déposent
des morceaux de végétaux préalablement
mastiqués, qu’elles mélangent avec un
peu de leurs excréments. Cette bouillie
sert de meules sur lesquelles le mycélium
du champignon se développe rapidement.
Ces gourmandes cultivent tellement de
champignons qu’elles sont considérées
comme les principaux agents défoliateurs
des zones tropicales. Elles s’attaquent
aussi bien aux forêts qu’aux plantes
cultivées et détruisent jusqu’à 10 % des
récoltes.
Ces chambres de culture sont entretenues
par les Fourmis, qui s’assurent que la
meule reste pure en la débarrassant des
hôtes indésirables (végétaux ou autres
champignons). En jardinières attentives,
elles effectuent un désherbage minutieux
et elles sécrètent même un fongicide
sélectif. En échange, les Fourmis se
nourrissent du champignon, en mangeant
certaines extrémités de ses hyphes.
Fourmidable non ?

En transformant la matière organique morte en


humus, les champignons se sont ainsi rendus
indispensables à la formation et à la survie des
sols naturels. Mais tout ceci ne peut se réaliser
que dans des milieux humides car les filaments
mycéliens ne se développent que s’ils sont gorgés
d’eau. N’avez-vous jamais remarqué que les sous-
bois humides de l’automne exhalaient une forte
odeur de champignon ?
Au cours de leur cycle de reproduction, les
champignons répandent dans l’air des milliards de
spores. Ils pénètrent par milliers dans nos
poumons à chaque inspiration, ils tombent sur nos
vêtements, sur nos aliments. Bref, ils sont partout.
Tant que les endroits où ils tombent demeurent
secs, aucun problème. Mais dès qu’il y a un peu
d’humidité, un ou plusieurs représentants du
règne des Fungi se développent à grande vitesse.
Faites l’essai en mettant un morceau de pain bien
sec et un morceau de pain humide dans le même
lieu. En quelques jours le morceau humide sera
recouvert de moisissures, nos compagnons
fongiques les plus envahissants.
Les champignons se nourrissant de matière
organique morte sont qualifiés de saprophytes, du
grec sapro, pourri et phyte, plante. Mais, au cours
de leur évolution, certains, les plus angéliques,
vont apprendre à vivre en association avec des
organismes alors que d’autres, trouvant la matière
vivante meilleure que la matière morte,
deviendront des parasites.
Un coup de chapeau !
Choisissez un bon gros champignon de
Paris et un verre de diamètre inférieur à
celui du chapeau. Prenez une feuille
cartonnée, type bristol, bien blanche et de
dimension supérieure au chapeau.
Découpez le centre de la feuille d’un trou
égal au diamètre du pied du champignon.
Versez ensuite de l’eau dans le verre,
posez la feuille cartonnée dessus, puis
passez le pied du champignon par le trou,
de telle manière qu’il soit en contact avec
l’eau. Placez l’ensemble à l’abri des
courants d’air.
Au bout de 24 heures, retirez délicatement
le champignon et admirez le résultat sur la
feuille cartonnée. Vous observez de
nombreux rayons brunâtres. Chaque rayon
est formé des nombreuses spores tombées
des lamelles du chapeau, on parle de
sporée. Chez le champignon de Paris,
comme chez les Girolles, les Amanites ou
les Lépiotes, les spores se forment à partir
de cellules, appelées basides, disposées en
lamelles. Chez les Bolets, les Cèpes et les
Polypores, les basides sont portées par des
tubes allongés ; alors que chez le Pied-de-
mouton, elles sont portées par des
aiguillons.
Mi-anges…
La flore de Rhynie, que nous avons rencontrée au
début de ce chapitre, est un site extraordinaire. En
effet, en s’imprégnant de silice, une des
substances les plus dures sur Terre, les fossiles se
sont à peine déformés au cours des 400 millions
d’années écoulées. Cet état de conservation
remarquable a permis de découvrir la présence
d’hyphes et de structures appelées arbuscules et
vésicules dans les tiges rampantes de certaines
habitantes de cette flore. Il s’agit de traces de
champignons qui vivaient déjà en relation avec
ces végétaux primitifs. Ainsi ces derniers auraient
accompagné les végétaux dans leur sortie des
eaux. Mais quels liens ont bien pu tisser ces êtres
si différents ?

Les traces trouvées sur les plantes fossiles sont en


tout point identiques à celles que produisent des
champignons, appelés Glomales, lorsqu’ils sont en
contact avec une racine. Ces derniers sont en
effet capables de pénétrer à l’intérieur des
cellules racinaires et d’entraîner la formation de
structures ramifiées, ressemblant à des arbres
miniatures, et nommées pour cette raison
arbuscules. Ils provoquent également la formation
de renflements disgracieux appelés vésicules.
Pauvre plante, la voilà bien mal en point !
Ne vous avisez surtout pas de sectionner toutes
ses parties atteintes et de stériliser le sol qui
contient ce vilain champignon pour la sauver. Vous
provoqueriez inexorablement sa mort car ce
champignon est indispensable à sa nutrition. Il vit
en symbiose avec elle et leur association est
appelée mycorhize, du grec mycos, champignon,
et rhiza, racine.
Les Glomales sont plus précisément des
endomycorhizes, du grec endo, dedans, car ils
pénètrent à l’intérieur des cellules. On les trouve
actuellement associés à des espèces de tous les
groupes de végétaux terrestres comme les Pins,
les fougères, les plantes ligneuses et même les
mousses. À côté de ces endomycorhizes, on
trouve des ectomycorhizes, du grec ecto, dessus,
car formées par des champignons moins
envahissants qui ne colonisent que l’extérieur de
la racine. Les études montrent que 95 % des
plantes ont leurs racines associées à des
champignons. Mais enfin, que leur trouvent-elles
de si intéressant ?
Un ménage à trois…
Sous les Pins ou sous les Hêtres de nos
régions tempérées, on trouve parfois une
plante totalement décolorée, en forme de
crosse, qui porte des fleurs en cloches
blanc-ivoire. Cette plante étonnante,
dépourvue de chlorophylle, a longtemps
été considérée comme un parasite des
arbres au pied desquels elle vit, c’est
pourquoi on l’a appelée le Sucepin. En fait,
cette plante, Monotropa hypopitys n’est
pas fixée sur les racines de l’arbre, mais
elle forme une endomycorhize avec un
champignon de la famille des Bolets, qui
lui-même forme une ectomycorhize avec
l’arbre. Le Sucepin fait l’économie de la
photosynthèse, car il récupère les produits
de la photosynthèse de l’arbre, par
l’intermédiaire du champignon.
Ces ménages à trois existent sous toutes
les latitudes ; ainsi une Orchidée
d’Australie, Rhizanthella gardneri, est
totalement souterraine, y compris sa fleur,
et elle se nourrit de la photosynthèse d’un
arbuste de la famille des Myrtacées (celle
de l’Eucalyptus), par l’intermédiaire d’un
champignon mycorhizien.
Si l’on supprime les champignons
ectomycorhiziens d’un sol, par chauffage par
exemple, les plantes qui y poussent souffrent de
carences nutritives. Leurs compagnons les aident
donc à se nourrir. Ils utilisent pour cela leur réseau
de filaments qui, nous l’avons vu, peut couvrir des
surfaces gigantesques et absorbent pour elles des
minéraux. Ils leur permettent également
d’absorber des substances organiques qu’ils sont
les seuls à pouvoir couper en morceaux grâce à
leurs équipements enzymatiques si particuliers.
Pour la majorité des végétaux, la vie ne tient donc
qu’à un fil !
Qui dit symbiose dit obligatoirement bénéfice
réciproque. Que reçoit donc notre champignon en
échange ? Étant non chlorophyllien, il est
incapable de fabriquer des molécules
énergétiques par photosynthèse. Vous avez
compris : sa copine symbiotique les lui fournit.
Nourriture contre énergie ; nous n’avons rien
inventé !
Des algophiles…
Les champignons sont des algophiles car
certains s’associent avec une algue. Il se
forme alors une symbiose appelée lichen.
Les champignons fournissent l’eau et les
sels minéraux et, en échange, l’algue
l’approvisionne en molécules organiques.
Les lichens se développent très lentement
et résistent aux conditions climatiques
extrêmes. Ils sont capables d’accumuler
des réserves et de capter la moindre
goutte de pluie. Ils se développent
aujourd’hui sur tous les supports, des
rochers de bords de mer, aux toits,
écorces, coulées de lave juste refroidie et
toundra de l’Arctique. Pourtant ils sont très
sensibles à la pollution, et leur absence en
un lieu est mauvais signe. Même si les
premiers fossiles de lichens actuels ne
datent que de 45 millions d’années, on
pense qu’ils ont pu faire partie, il y a
environ 400 millions d’années, des
végétaux colonisateurs des continents.
Beaucoup servent de nourriture aux
animaux, ainsi pendant l’hiver, les
Mousses des rennes (Cladonia) constituent
50 % de l’alimentation des Rennes ou des
Caribous. Avant l’invention des colorants
chimiques, certains étaient utilisés pour
fabriquer des teintures naturelles. Ainsi, le
tweed des kilts écossais ou les tapis des
Indiens Navajos avaient de beaux verts,
violets, pourpres grâce à des macérations
à base de Xanthoria et de Roccella.
Les lichens sont encore récoltés
aujourd’hui (environ 9 000 tonnes par an),
pour la parfumerie. La Mousse des arbres
(Pseudevernia furfuracea) apporte des
notes boisées, qui varient en fonction de
son arbre support et elle est recherchée
pour les parfums masculins. La Mousse de
chêne (Evernia prunastri) est utilisée dans
les parfums féminins, pour son apport en
notes marines. Les extraits de lichens
apportent à la fois leurs propres arômes,
mais ils prolongent aussi la vie du parfum.
… mi-démons
Les champignons ne sont pas toujours des
compagnons amicaux des plantes. Certains
d’entre eux, au cours de l’évolution, se sont dit
que quitte à être dans une plante, autant en
profiter au maximum. Ils sont passés ainsi de
symbiotes à parasites. Il faut dire que la barrière
entre les deux est très facile à franchir ; il suffit
d’enfoncer un peu plus loin ses filaments dans son
hôte. De nombreux champignons sont ainsi
devenus de redoutables profiteurs. Vous n’avez
qu’à visiter les rayons jardinage pour vous en
convaincre. Les produits phytosanitaires portant
l’appellation antifongique occupent de
nombreuses étagères.
Des noms comme la rouille, le mildiou, la tavelure,
l’oïdium ou la moniliose vous sont certainement
familiers. Ils correspondent à des maladies dites
cryptogamiques, de cryptogame, l’ancien nom
donné au groupe des champignons. Elles se
développent lorsque les conditions climatiques
sont chaudes et… humides. On retrouve bien ici la
signature du champignon. Pour comprendre
comment ces maladies peuvent apparaître,
étudions le cycle de développement du mildiou de
la Vigne.

Le champignon, répondant au joli nom de


Plasmopara viticola, passe l’hiver sous forme d’un
œuf, appelé oospore, caché dans les feuilles
mortes de Vigne tombées à terre. Au printemps,
lorsque la température atteint 11 °C et que
l’humidité le permet, cet œuf germe et donne
naissance à une structure en forme de ballon de
baudruche au bout d’une ficelle, le sporange.
Celui-ci libère des spores munies de deux petits
flagelles que l’on qualifie de zoospores car elles
ont un air bougrement animal lorsqu’elles se
déplacent.

Figure 10-5 : Le
cycle de
Plasmopara viticola
responsable du
mildiou de la Vigne.

Ces zoospores sont capables de nager et de


rejoindre les feuilles basses de la Vigne, en
contact avec l’eau. Elles germent et donnent
naissance à des filaments mycéliens, qui
envahissent le tissu foliaire. C’est la
contamination primaire. Au bout de quelques jours
apparaît un feutrage blanc sur la face inférieure
des feuilles. Il est formé par les fructifications du
champignon, des sortes de petites grappes,
invisibles à l’œil nu, et qui libèrent des spores. Ces
dernières peuvent propager la maladie sur le
même cep ou des ceps voisins.
Lorsque les conditions le permettent ces spores
germent à leur tour. C’est la contamination
secondaire. Durant toute la belle saison ce cycle
peut se répéter un très grand nombre de fois,
jusqu’à ce que la baisse des températures indique
au champignon qu’il est temps pour lui de se
transformer en œuf d’hiver.
Tout ceci pourrait être une belle histoire si ces
cycles à répétition ne finissaient par fragiliser la
plante et ruiner la production. Les maladies liées à
un champignon, ou maladies cryptogamiques,
constituent une réelle menace pour les récoltes
mondiales. Un champignon comme le Botrytis
cinerea, responsable de la pourriture grise et
pouvant parasiter plus de 225 plantes, est en
mesure, à lui tout seul, de provoquer une perte de
20 % des récoltes mondiales des cultures
concernées. Mais n’allez pas croire que seuls les
végétaux sont concernés. Bon nombre de
maladies humaines portent le nom de mycoses…
Juste un p’tit ver !
Certains champignons ne sont ni
saprophytes, ni parasites, ni symbiotiques,
mais sont de redoutables prédateurs. Ainsi,
les hyphes d’Arthrobotrys anchonia
forment régulièrement une boucle. Si un
petit animal vivant dans le sol, le plus
souvent un petit Ver, se frotte à une de ces
boucles, celle-ci gonfle très rapidement et
se referme comme un nœud coulant. Le
Ver ainsi piégé, est ensuite envahi par les
hyphes qui le digèrent. D’autres
champignons prédateurs attrapent leurs
proies en les engluant, grâce à une
substance collante sécrétée par leurs
hyphes. Chez le Pleurote (Pleurotus
ostreatus), qui vit sur le bois en
décomposition, les hyphes sécrètent une
substance anesthésiante. Les petits
animaux vivants dans le bois (Vers et
petits Insectes) sont endormis, puis les
hyphes pénètrent dans leur corps et les
digèrent. Au moins, ils ne souffrent pas !
Des forêts fascinantes

Situons les événements majeurs de ce chapitre


sur l’horloge de la vie (voir figure C du cahier
central) :

10h49 : Colonisation de la terre ferme


par les premiers végétaux.
10h55 : Apparition et diversification des
mousses.
10h57 : Apparition et diversification des
premiers Ptéridophytes. Apparition et
diversification des premiers champignons et
lichens.
11h00 : Diversification des champignons.
11h03 : Apogée des fougères, Sigillaires
et Calamites.
11h53 : Apparition et diversification des
lichens actuels.

Au Silurien puis au Dévonien, il y a plus de 450


millions d’années, les végétaux se sont aventurés
sur la terre ferme. Leurs premiers représentants
restent encore très proches du milieu aquatique,
notamment pour leur reproduction. Ils vont
profiter du climat chaud et humide du Carbonifère
pour s’étendre et transformer une partie des
continents en forêts luxuriantes.
Les animaux qui commencent à sortir la tête de
l’eau ne pourront pas résister longtemps à l’envie
d’aller visiter ce décor majestueux.
Chapitre 11

Six pattes et plus pour


découvrir le monde
Dans ce chapitre :
La colonisation de la terre ferme par les
Arthropodes
Mille-pattes, Scorpions, Araignées et
Acariens
L’apparition et la diversification des
Insectes

« Les insectes sont des invertébrés de l’embranchement


des articulés.
Il n’y a pas de quoi se vanter. »
Pierre Desproges

Nous sommes maintenant sur la terre ferme il y a


environ 360 millions d’années. Les forêts
luxuriantes du Carbonifère (voir figure L du cahier
central) vont produire de grandes quantités
d’oxygène grâce à la photosynthèse. Son taux
dans l’atmosphère atteindra alors des records
qu’il n’égalera plus jamais. Certains scientifiques
n’hésitent pas à avancer le chiffre de 35 % de
dioxygène dans l’atmosphère au plus fort du
Carbonifère, alors que sa valeur actuelle n’est que
de 21 %. Tout bon chimiste vous dira que lorsqu’il
y a trop d’oxygène, une simple étincelle suffit
pour que tout ce qui peut brûler s’enflamme
instantanément. C’est certainement ce qui se
produisait régulièrement au Carbonifère : un
simple éclair d’orage suffisait à déclencher des
incendies gigantesques, ruinant des forêts
entières !
Mais ce taux élevé d’oxygène va avoir un impact
des plus remarquables sur un groupe d’êtres
vivants présents très tôt dans les forêts du
Carbonifère : les Arthropodes. Dopés par ce gaz
surabondant, ils vont atteindre des tailles
gigantesques. Imaginez des Araignées et des
Blattes géantes, des Libellules de 70 centimètres
d’envergure, des Mille-pattes de 2 à 3 mètres de
long, des Scorpions de 75 centimètres de la tête à
la queue. Un paradis pour tous ceux qui ont en
aversion tout ce qui rampe ou grouille sur le sol…
Fallait pas l’énerver !
Si les premiers Arthropodes terrestres ne
mesuraient que quelques millimètres, dès
le milieu du Carbonifère, les forêts
grouillaient d’Insectes rampants,
fouisseurs, sauteurs et volants. Les plus
nombreux de ces Insectes volants étaient
les Libellules. Si certaines se nourrissaient
de fruits, la plupart étaient prédatrices, et
la plus redoutable était Meganeura. Avec
ses ailes de 75 centimètres d’envergure,
cette Libellule est certainement le plus
grand des Insectes volant de tous les
temps. Ces ailes gigantesques, soutenues
par de longues nervures rigides, d’où son
nom, lui permettaient de chasser en vol
d’autres Insectes, y compris d’autres
Libellules, ou d’attraper des animaux au
sol, en fondant sur eux, les pattes en
avant, tel un Aigle sur sa proie. Sa larve,
longue de 30 centimètres, était aussi une
prédatrice vorace. Elle vivait dans un
terrier, creusé verticalement dans les
marécages du Carbonifère, d’où elle ne
sortait que pour capturer de petits
animaux, qu’elle dévorait ensuite, bien à
l’abri dans son terrier.
Le changement climatique que la Terre a
connu il y a environ 290 millions d’années
a, heureusement pour nous, provoqué la
disparition de ces Insectes géants. Mais si
les Insectes ont diminué en taille, ils n’ont
pas diminué en nombre, car on estime
qu’ils représentent 75 % des animaux
actuels. Malgré le nombre de Mouches
s’écrasant sur notre pare-brise, un milliard
de milliards (1018) d’Insectes seraient
vivants à tout instant…

Nous avions quitté les Arthropodes avec les


Trilobites au fond des océans (voir chapitre 7).
Nous les retrouvons, quelques millions d’années
plus tard, sur la terre ferme. Leur sortie du milieu
aquatique reste un mystère car aucun fossile n’a,
jusqu’à ce jour, permis d’écrire un scénario
plausible. Quoi qu’il en soit, ce sont les premiers
animaux à quitter l’eau après les plantes. Une
flore déjà bien installée leur offre un décor de rêve
pour se développer. Les trois grands groupes
d’Arthropodes terrestres vont très rapidement voir
le jour : les Myriapodes, les Arachnides et surtout
les Insectes. Bienvenue dans un monde de
phobies !
Des Vers à pieds
Lorsque nous avions rencontré les Arthropodes
marins, dans le chapitre 7, nous ne nous étions
pas penchés sur leur probable origine. L’étude de
leurs cousins terrestres nous fournit une bonne
occasion de le faire car, parmi eux, certains
groupes ont conservé des caractères très primitifs.
En effectuant des comparaisons avec des groupes
plus anciens, il est alors possible d’échafauder des
scénarios qui tiennent la route.
Jouons à un petit jeu : imaginez un Mille-pattes qui
perdrait toutes ses pattes. À quoi ressemblerait-il
? Il est fort probable que vous le compariez à un
Ver et plus précisément à un Ver annelé, un
Annélide. De nombreuses données abondent en
ce sens. Par exemple, on observe une organisation
pratiquement identique du système nerveux dans
ces deux groupes. Les Arthropodes seraient ainsi
des Vers dont l’épiderme se serait endurci avec
l’incorporation massive de chitine dans la
carapace et dont chaque segment se serait muni
d’au moins une paire de pattes. Sortir de l’eau,
d’accord, mais à pied sec !
Mille pattes, vraiment ?
Nous nous sommes tous un jour demandé si un
Mille-pattes avait bien mille pattes. Pour le
vérifier, capturons les quelques représentants du
groupe que nous trouvons dans notre jardin. Ce
qui saute aux yeux lorsque nous tenons l’animal,
c’est qu’il est formé d’une tête, suivie d’un certain
nombre d’anneaux appelés segments, tous
identiques. Chaque segment porte un certain
nombre de pattes. Chez la Scolopendre, un Mille-
pattes de couleur brun-rouge, vif comme l’éclair,
et qui cherche à vous mordre lorsque vous
l’attrapez, on trouve une paire de longues pattes
par segment. Avec 21 segments, cela ne fait que
42 pattes. On est loin du compte !
Alors attrapons une Iule, un Mille-pattes lent au
corps noir arrondi et qui s’enroule en spirale
lorsqu’on le dérange. Lui au moins porte deux
paires de courtes pattes par segment. Ces
derniers sont un peu difficiles à dénombrer, car ils
sont de très petite taille, mais on finit par en
trouver 52. Faisons le calcul : 4 x 52 = 208. C’est
mieux mais encore insuffisant. Une observation
rapide de tous les autres spécimens nous porte à
croire que nous n’atteindrons pas le millier
escompté, et les livres portant sur la faune
exotique annoncent, quant à eux, le chiffre
maximum de 500 pattes. Encore une croyance
enfantine qui s’écroule : le Mille-pattes est une
légende comme le père Noël. Les Anglais sont
plus réalistes que nous en nommant ce groupe les
Centipèdes. Les scientifiques, au contraire, ont
totalement manqué de modération et les ont
nommés Myriapodes, du grec murios, dix mille, et
podos, pieds.
Un trésor sous vos
pieds…
Coupez une bouteille en plastique en deux.
La partie supérieure vous servira
d’entonnoir, alors que la partie inférieure
sera un réservoir. Versez dans la partie
inférieure 5 centilitres d’alcool à 90° ou à
brûler. Entourez la partie supérieure de
papier noir, et placez-y un grillage à
mailles fines, de manière à ce que le
goulot serve de passoire. Enfoncez alors
cette partie supérieure, tête en bas, dans
la partie inférieure, sans que le goulot ne
trempe dans l’alcool.
Au pied d’un arbre, dans votre jardin, dans
un pré, dans la cour d’école, récoltez, à
l’aide d’un sac plastique et d’une petite
pelle, les dix premiers centimètres de
terre. Sans trop attendre, versez votre
précieux échantillon dans l’entonnoir et
placez-le sous une lampe de bureau
allumée. N’arrêtez l’expérience que
lorsque la terre est bien sèche et ajoutez
de l’alcool s’il vient à en manquer. Au bout
de quelques jours, vous observerez de
nombreux petits animaux qui flottent dans
l’alcool. Approchez-vous et prenez une
loupe pour mieux les étudier, vous ne
risquez rien, ils sont morts quasi
instantanément en tombant dans l’alcool.
Sous l’effet conjugué de la lampe et du
papier noir, la terre s’est desséchée et les
animaux sont descendus de plus en plus
en profondeur, à la recherche d’humidité,
jusqu’à tomber dans l’alcool, qui les a tués
et conservés.
Tous ces animaux, à part peut-être un Ver
de terre ou deux, sont des Arthropodes.
Repérez-les sur la figure 11-1 : les plus
nombreux ont huit pattes, ce sont des
Acariens (1), d’autres n’en ont que six ce
sont des Insectes, les Collemboles (2),
reconnaissables à leur fourche postérieure.
Avec un peu de chance, vous trouverez
aussi d’autres Arthropodes : des Mille-
pattes (Iule) (3), Scolopendres (4), des
Araignées, et même des Crustacés : les
Cloportes (5).

Chez les Myriapodes, la tête porte une paire


d’antennes, parfois de grande taille, comme chez
la Scolopendre. Sous cette tête on trouve des
mandibules leur servant à couper, dilacérer, et
broyer leurs aliments. Si certains sont leur servant
à couper, dilacérer, et broyer leurs aliments. Si
certains sont d’inoffensifs mangeurs de
champignons et débris végétaux, d’autres sont de
redoutables chasseurs. Vous avez peut-être déjà
été mordu par une Scolopendre car celle-ci
dispose à l’avant de son corps de crochets
venimeux, issus de la transformation de la
première paire de pattes. Même si le venin injecté
ne présente aucun danger, sa morsure reste une
expérience douloureuse.
Figure 11-1 : Un
trésor
d’Arthropodesdans
le sol.
Une VMC incorporée

Bien que très primitifs, les Myriapodes sont déjà


bien adaptés au milieu aérien, en respirant grâce
à des trachées. Celles-ci sont des prolongements
de leur carapace, la cuticule, vers l’intérieur de
leur corps. Elles ressemblent à de petits tuyaux,
rigides, qui acheminent l’air dans toutes les
parties du corps de l’animal et communiquent
avec l’extérieur par des ouvertures appelées
stigmates. Chez les Myriapodes, les stigmates
sont proches de la base des pattes et ne sont
présents que sur certains segments. Les trachées
forment un réseau très dense appelé système
trachéen, que nous retrouverons chez la majorité
des Arthropodes terrestres.
Chaque trachée se termine par de très petites
ramifications, les trachéoles, qui apportent
directement le dioxygène indispensable aux
cellules. L’air pénètre dans les trachées par les
stigmates, qui peuvent être plus ou moins
ouverts, grâce à des valves. L’air est ainsi
acheminé directement aux cellules, sans
intermédiaire, sans liquide comme le sang pour le
transporter. Le principal avantage est la rapidité
des échanges, qui permet aux Arthropodes de
pouvoir réaliser des prouesses en termes de force
et de vitesse. Mais le prix à payer est d’avoir une
taille limitée à quelques centimètres ou dizaines
de centimètres, sauf si le taux d’oxygène dans
l’air est très important, comme au Carbonifère…
Figure 11-2 :
Trachées et
trachéoles chez le
Criquet.

Chez les Myriapodes, le développement est


qualifié de direct car ils ne subissent pas de
métamorphose. Dès l’éclosion, le jeune ressemble
déjà à l’adulte, mais n’a pas encore tous ses
segments. Il les verra apparaître lentement, en
muant. En effet, comme leurs homologues marins
(voir chapitre 7), les Arthropodes terrestres ne
dérogent pas à la règle et doivent quitter, à un
intervalle régulier, une armure devenue trop
petite, pour s’en fabriquer une nouvelle à leur
taille. Mais muer lorsqu’on possède des trachées
n’est pas une sinécure, car celles-ci étant des
prolongements de la carapace, elles doivent
également être renouvelées. Imaginez-vous en
train d’enlever un vêtement épais pénétrant de
nombreuses fois en profondeur dans votre corps.
Pas facile, hein !

Le groupe des Myriapodes compte, sous les


tropiques, quelques espèces géantes pouvant
atteindre 30 centimètres de long. Et pourtant,
même un Mille-pattes de cette taille ne fera
jamais aussi peur à certaines personnes qu’une
petite Araignée. Allez comprendre !
Le groupe des méchants : les
Arachnides
Le groupe suivant est certainement le plus craint
et le plus détesté de tous les Arthropodes. Son
nom vient de ses plus illustres représentantes, du
grec arach, Araignée. Ce sont, bien sûr, les
Arachnides. Le point commun à tous ses
représentants est d’avoir huit pattes et des
appendices buccaux connus sous le nom de
chélicères. Ceux-ci peuvent prendre la forme de
crochets à venin chez les Araignées, de pinces
chez les Scorpions ou de couteaux sur le rostre
des Tiques. De telles armes leur interdisant d’être
pacifiques, ils se sont spécialisés dans l’attaque,
la mise à mort ou, pour les moins méchants, le
pompage de sang. On n’a jamais confié une épée
à un chevalier pour qu’il aille cueillir des fraises !

Le groupe des Arachnides est très ancien, les


premiers Scorpions étant apparus sur la terre
ferme au Silurien, il y a environ 420 millions
d’années. Ils dériveraient des Euryptéridés, des
sortes de Scorpions aquatiques géants pouvant
atteindre plus de 2 mètres et qui faisaient régner
la terreur dans les océans de l’Ordovicien. Dès le
Silurien, c’est-à-dire quelques millions d’années
plus tard, les Scorpions mais également les
Araignées avaient déjà acquis l’aspect qu’ils nous
proposent actuellement. Ce groupe est donc une
réussite, même si de nombreuses personnes ne
partagent pas cet avis… pour d’autres raisons.
Il file dard dard, le Scorpion
Les Scorpions sont des Arthropodes aériens
remarquables par leur respiration. Leurs huit
stigmates qui s’ouvrent sous l’abdomen
conduisent l’air vers des sacs où s’effectuent les
échanges respiratoires. Considérés par certains
comme des poumons rudimentaires, il s’agit en
réalité de branchies modifiées. Quoi qu’il en soit,
ces quatre paires de sacs pulmonaires permettent
au Scorpion de respirer dans des conditions très
déshydratantes.

Si nous observons de près un Scorpion, nous


découvrons deux paires de pinces. La plus grande
des deux est l’équivalent des mandibules chez les
Crustacés et est nommée pédipalpe, ce qui
signifie « palpe en forme de pied ». Une petite
précision s’impose : chez les Invertébrés, les
palpes sont des pièces buccales qui servent
généralement à capter des informations,
notamment sur la qualité de la nourriture se
présentant devant la bouche. Chez certains
Arthropodes, ils peuvent remplir d’autres
fonctions, en changeant notamment de forme.
C’est le cas pour les Scorpions, chez lesquels ils
servent à attraper, se défendre ou combattre. Ils
ont néanmoins conservé un rôle tactile, car ils
sont recouverts de soies sensorielles.
Figure 11-3 : Un
Scorpion porte
toujoursdeux paires
de pinces.

La deuxième paire de pinces, minuscules par


comparaison avec la précédente, correspond aux
chélicères dont nous avons déjà parlé. Le Scorpion
les utilise surtout pour déchiqueter les proies et
acheminer les morceaux arrachés vers sa bouche.
Deux paires de pinces, on pourrait déjà trouver
cela suffisamment respectable. Mais le Scorpion
ne s’arrête pas là, car il possède une arme
redoutable à l’opposé de ses pinces : un dard
venimeux.
Tout le monde connaît l’allure du Scorpion lorsqu’il
se défend : les pinces écartées et la queue levée.
Il est prêt à lancer une attaque foudroyante en
enfonçant son dard recourbé dans son adversaire.
Son appareil venimeux est composé de deux
glandes situées dans le dernier segment de sa
queue, celui qui porte le dard. La piqûre du
Scorpion est mortelle pour la plupart des Insectes
qu’il attaque pour se nourrir. Seuls quelques
venins sont dangereux pour l’Homme et
concernent des Scorpions d’Afrique du Nord ou du
Mexique.
Allez, crache ton venin !

Le Scorpion ne crache pas, mais il injecte son


venin. Grâce à un système de muscles complexes,
il peut même vous piquer sans envoyer de venin.
Sur les 1 500 espèces de Scorpions actuels, seules
25 sont dangereuses pour l’homme. En fonction
de cette dangerosité, les Scorpions sont classés
selon quatre indices.

La piqûre par une espèce non


dangereuse, indice 1 sur 4, est sans
danger, mais comme une réaction
allergique est possible, mieux vaut
consulter un médecin. C’est le cas d’un
Scorpion présent dans le sud de la France :
le Scorpion noir à queue jaune. Il ne mesure
que 5 centimètres et on le rencontre caché
sous les pierres, dans les vieux murs, en
Espagne, Italie et jusqu’en Angleterre.
La piqûre par une espèce
relativement dangereuse, indices 2 ou 3
sur 4, provoque une forte douleur et elle
engendre des maux de tête, fièvres,
vomissements, ainsi qu’un
engourdissement temporaire du membre
piqué. Une personne âgée ou un adulte
malade sera beaucoup plus sensible. C’est
le cas d’un second Scorpion présent dans le
sud de la France : le Scorpion languedocien.
On le trouve aussi en Espagne et au
Portugal et, bien qu’il soit moins dangereux
que ses cousins tunisiens ou marocains, sa
piqûre peut être mortelle pour les enfants ;
il faut donc se rendre rapidement dans un
centre antipoison.
La piqûre par une espèce très
dangereuse, indice 4 sur 4, agit sur le
système nerveux et musculaire, ce qui
provoque des œdèmes respiratoires, une
hyperthermie… et parfois un décès. En
Algérie, durant l’année 2000, il y a eu 37
168 piqués, dont 87 décès, soit 0,23 %. Les
statistiques montrent aussi que la plupart
de ces décès auraient pu être évités, par
une prise en charge médicale moins de
deux heures après la piqûre.
Des noces funèbres
Nous ne pouvons quitter le Scorpion sans parler
de sa reproduction. Contre toute attente, cette
machine à tuer, pratiquant le cannibalisme à ses
heures, peut se transformer en danseur mondain
pour le mâle et en mère poule pour la femelle.
Parfois le premier contact peut être fatal au mâle,
car une femelle réticente est capable de lui
injecter une dose mortelle de venin. Le mâle, en
revanche, est plus posé, et s’il pique la femelle,
c’est juste pour la calmer, car il sait doser son
amour (et surtout la quantité de venin injectée).
Lorsqu’enfin les deux partenaires se font face,
généralement à la tombée de la nuit, le mâle
saisit la femelle par ses pinces et l’entraîne dans
une danse surnommée « promenade à deux ».
Cette danse nuptiale peut durer presque une
heure, entrecoupée de haltes. Elle permet au mâle
de rechercher une surface plate sur laquelle il
dépose un bâtonnet rempli de spermatozoïdes,
appelé spermatophore. Ensuite le mâle guide la
femelle vers cette offrande, afin qu’elle place son
orifice génital, juste au-dessus de l’extrémité du
bâtonnet. Grâce à un mécanisme ingénieux, les
spermatozoïdes sont injectés sous pression dans
la femelle. La fécondation est terminée. Le mâle
desserre son étreinte et a plutôt intérêt à se
sauver rapidement, car dans 40 % des cas, la
femelle dévore le mâle pour se remettre de ses
émotions.
Les petits Scorpions, appelés pullus, naissent
directement formés et grimpent immédiatement
sur le dos de leur mère, qui les protège contre les
prédateurs. Au bout d’une vingtaine de jours en
moyenne, ils s’enhardissent et partent à
l’aventure. Mais attention à ne pas repasser trop
près de maman par la suite, car une fois l’instinct
maternel évanoui, c’est la faim qui reprend ses
droits…
Elle file comme une fusée,
l’Araignée
Le groupe d’Arachnides suivant occupe les
cauchemars de bon nombre de personnes et
déclenche parfois des angoisses telles que nous
avons fini par définir une phobie rien que pour lui :
l’arachnophobie. Les Araignées sont présentes sur
Terre depuis près de 400 millions d’années. Avec
leurs 50 000 espèces réparties tout autour du
globe et dans tous les milieux, il est impossible de
ne pas croiser leur chemin. Ce groupe est
caractérisé par des chélicères se terminant par
des crochets. Ces derniers ont un double rôle :
injecter le venin lors de la morsure de la proie et
récupérer le résultat de la digestion. En effet, les
Araignées n’ont pas de véritable bouche et la
seule entrée possible pour les aliments est un fin
canal traversant chaque chélicère.

Les Araignées ne prennent donc que des aliments


liquides, ce qui les oblige à pratiquer la digestion
extracorporelle, à l’extérieur de leur corps. Pour
cela elles disposent d’une salive contenant des
enzymes assez puissantes pour liquéfier les
muscles et les viscères de leur victime. Elles en
recouvrent la proie ou l’injectent à l’intérieur de
celle-ci jusqu’à ce que tout l’organisme, ou
simplement son contenu s’il s’agit d’un
Arthropode, soit transformé en une bouillie
immonde. Il ne lui reste plus ensuite qu’à l’aspirer
pour se nourrir. On ne l’aimait déjà pas, mais là,
c’est le bouquet !
Ce que les ménagères détestent le plus dans
l’Araignée, ce sont ses productions : les toiles.
Celles-ci constituent des pièges très efficaces
dans lesquels de nombreux Insectes viennent
s’empêtrer avant d’être consommés. Ces toiles
sont constituées de fils de soie d’une résistance
extraordinaire puisqu’elle est supérieure à celle de
l’acier. Ce sont des glandes dites séricigènes qui
produisent ce fil. Les orifices de sortie, appelés
filières, sont situés sur la face ventrale de
l’animal, en avant de l’anus. L’Araignée peut faire
varier l’épaisseur du fil de soie en contractant plus
ou moins ses filières. Elle peut également en
modifier la qualité en la rendant par exemple plus
ou moins gluante ou plus ou moins collante.
Chaque espèce produit une toile dont le plan lui
est propre. Une soie, soit, mais bien à soi.
Ça va de soie !
La soie naturelle est fabriquée à partir du
cocon de la chenille d’un Papillon de nuit,
chaque cocon est constitué d’un seul brin
enroulé de soie long de 900 mètres. Ce
Papillon est appelé le Sphinx du mûrier, car
cette chenille se nourrit exclusivement des
feuilles du Mûrier. La soie des Araignées,
dont la structure est très proche, est aussi
convoitée par l’Homme.
La tentative la plus aboutie est l’utilisation
de la soie des Néphiles, qui sont
considérées comme les plus grandes
tisseuses, car elles peuvent fabriquer
jusqu’à 300 mètres de fil par jour. La
Néphile de Madagascar produit même un
fil naturellement doré, qui fait rêver les
plus grands couturiers. Au début du XIXe
siècle, la production industrielle de soie de
Néphiles a été tentée. Mais en entraînant
la quasi-extermination des Néphiles, elle a
causé la recrudescence du paludisme sur
l’île, car ces Araignées sont friandes
d’Anophèles, les moustiques qui
transmettent la maladie.
On essaie depuis une vingtaine d’années
d’imiter la soie des Néphiles, car elle est
proportionnellement beaucoup plus
résistante que l’acier ou le Kevlar, tout en
étant plus extensible que le nylon. On
cherche ainsi à fabriquer des gilets pare-
balles, des valves cardiaques ou des
veines artificielles.
Anatomie d’une criminelle
Si vous regardez déambuler une Araignée, vous
verrez que son corps est constitué de deux
parties. L’avant du corps comprend la tête et le
thorax fusionnés, ce qui lui a valu le nom de
céphalothorax. De forme plutôt aplatie et d’aspect
rigide, il porte les pattes et une bonne partie des
organes sensoriels. Derrière, on trouve l’abdomen,
d’aspect mou et gonflé. Il contient une bonne
partie du système digestif, les organes génitaux et
des sacs pulmonaires équivalents à ceux des
Scorpions. Céphalothorax et abdomen sont reliés
par un fin conduit appelé pédoncule. Malgré son
grand âge, l’Araignée a su conserver une taille de
Guêpe !

Si vous demandez à un enfant de dénombrer les


pattes d’une Araignée, il en comptera dix. Chez
elle, en effet, les pédipalpes, de longueur variable,
ressemblent beaucoup à des pattes. Elle s’en sert
comme organe du toucher pour découvrir son
environnement proche ou pour manipuler la proie
et la rapprocher des chélicères. Chez les mâles de
certaines espèces, les pédipalpes sont terminés
par une protubérance appelée bulbe copulateur.
La forme des bulbes copulateurs est très variable
selon les espèces et constitue un critère fiable
d’identification.
Figure 11-4 : Une
Araignée vue face
ventrale.

En période de reproduction, le mâle les remplit de


sperme et, avec précaution, les introduit dans
l’orifice génital de la femelle, situé sous son
abdomen. La belle est aussi capricieuse que la
femelle Scorpion et ne s’approche qu’à grand
renfort de danses et d’offrandes. Elle peut
également dévorer le mâle avant ou après la
fécondation, soit accidentellement, soit
volontairement. Chez les Araignées la veuve n’est
pas toujours noire.
Les Acariens nous font tiquer
Le groupe suivant est d’une grande discrétion. Il
en a d’ailleurs fait sa spécialité. Nous redoutons
ses représentants se nourrissant de sang, les
hématophages, car, outre des démangeaisons
plus ou moins importantes qu’elle provoque, leur
piqûre peut nous inoculer de nombreux germes
pathogènes. Tout le monde connaît et redoute les
Tiques, mais ces êtres repoussants appartiennent
à un groupe comprenant également des espèces
végétariennes et détritivores : les Acariens.
La taille des Acariens varie de 0,2 à 12
millimètres. Ils ont huit pattes comme tous les
Arachnides. Leur corps a une forme grossièrement
ovale et seule la tête dépasse un peu. Sur celle-ci,
on trouve une armature buccale, formée
principalement par les chélicères et les pédipalpes
modifiés, qui permettent à l’animal de pouvoir
mordre, râper ou piquer en fonction de son
alimentation.
En se spécialisant dans le parasitisme, les
Acariens ont évolué en perdant certaines
caractéristiques de leur groupe. Ainsi bon nombre
d’entre eux n’ont plus de stigmates ni de
trachées, d’appareil circulatoire, d’appareil
excréteur, etc. Cette simplification fonctionnelle
du parasite est un phénomène généralisé, que
l’on retrouve chez tous les groupes animaux et
même végétaux qui le pratiquent. L’évolution a
tendance à faire disparaître les organes devenus
inutiles.
Si on vous parle d’Acariens, vous pensez
également aux allergies qu’ils peuvent
déclencher. Dans ce cas, ce n’est pas l’animal lui-
même qui en est responsable, mais ses
excréments. Lui n’est qu’un paisible dévoreur de
peaux mortes qui vit dans les matelas, les tapis et
la moquette. Ses excréments tourbillonnent avec
les autres poussières et pénètrent dans nos voies
respiratoires où ils peuvent déclencher des
réactions allergiques. La prévention reste le
moyen le plus efficace pour éviter ces
désagréments, en aérant par exemple, car ces
Acariens adorent l’humidité.
Tique a tique a tique ! Aïe ! Aïe ! Aïe !
Les Acariens ont des aspects et des mœurs très
variés, mais la plupart sont des parasites
d’animaux ou de végétaux. Certains se
nourrissent de sang : les Tiques.
La femelle Tique pond ses œufs sur le sol. Les
larves qui en éclosent sont minuscules (moins de
1 millimètre) et n’ont que six pattes. Après un
premier repas de sang, qui se déroule sur le dos
d’un petit Mammifère (Souris, Hérisson), elles se
transforment en nymphes à huit pattes. Cette
nymphe, deux fois plus grande qu’une larve,
préfère aussi prendre son repas sur de petits
animaux, mais parfois l’Homme fait l’affaire ; ce
sont d’ailleurs elles qui nous infestent le plus
fréquemment. Quelques semaines après ce
second repas, la nymphe mue en adulte et est
sexuellement mature.
Les femelles sont deux fois plus grandes que les
mâles. Tandis que ces derniers se contentent d’un
repas frugal, la femelle est beaucoup plus vorace,
car elle doit prendre des forces pour pondre ses 3
000 œufs. Mâle et femelle s’accouplent sur un
nouvel animal cette fois de grande taille (un
Chevreuil, une Vache ou un Chien). Après
l’accouplement, le mâle meurt tandis que la
femelle tombe à terre pour pondre ses œufs,
avant de mourir également.
Au gré de leurs repas sanguinolents, les Tiques
transmettent de nombreuses maladies comme la
piroplasmose et la maladie de Lyme. Ces
maladies, parfois fatales, sont provoquées par
l’agent pathogène qu’elles transmettent
(bactéries, virus et protozoaires) et par les toxines
qu’elles injectent avec leur salive. D’autres
Acariens se délectent des sécrétions de la peau.
Ils y creusent des galeries, surtout dans les zones
où l’épiderme est mince, comme les articulations
ou les poignets. Ils provoquent des maladies de
peau bénignes mais désagréables, les gales.

Même si la plupart des Acariens sont des


parasites, les Arachnides sont dans leur très
grande majorité des carnivores. Mais pour nourrir
les 1 500 espèces de Scorpions et les 50 000
espèces d’Araignées recensées, il faut des proies
en bien plus grand nombre. Où trouvent-ils autant
de nourriture ?
Dans le groupe le plus important de tout le règne
animal comptant plus d’un million d’espèces
recensées et certainement dix fois plus, qui
restent à découvrir. Dans le groupe qui a su
profiter au maximum de tous les milieux terrestres
pour se développer. En un mot, dans le groupe de
tous les records : les Insectes.
Les Insectes : des Arthropodes très
z’ailés
Dans la revue Nature datée du 12 février 2004,
David A. Grimaldi de l’American Museum of
Natural History relate une découverte au
caractère exceptionnel : une mâchoire attribuée à
un Insecte ailé, datée d’entre 408 et 438 millions
d’années. Jusque-là, les restes d’Insectes ailés les
plus anciens dataient de 385 millions d’années.
Ainsi, non seulement cette découverte prouve que
les ailes ont été inventées beaucoup plus tôt
qu’on ne le pensait, mais elle prouve également
que les Insectes faisaient partie des tout premiers
animaux terrestres.

Les premiers Insectes étaient certainement


aquatiques et dépourvus d’ailes. L’étude de ces
dernières montre qu’elles ne sont pas de
véritables organes comme les pattes, mais de
simples expansions de la carapace. Pour certains
auteurs, elles devaient dans un premier temps
servir aussi bien à la nage qu’au vol plané, un peu
à la manière des poissons volants actuels. Puis,
quand l’animal a quitté l’eau, elles sont devenues
de véritables ailes permettant le vol battu. Tout
ceci n’est qu’une théorie car aucun fossile ne
porte les traces de ce passage. Mais nous avons
déjà vu dans un chapitre précédent que les
chaînons manquants n’existent pas et que
l’évolution avance souvent par bonds, parfois
prodigieux.

Voilà donc près de 400 millions d’années que les


Insectes déambulent sur la planète. Ce sont aussi
les premiers à avoir conquis les airs et il faudra
attendre plusieurs dizaines de millions d’années
pour que les reptiles volants viennent leur faire
concurrence. Qui n’a jamais rêvé d’avoir le ciel
pour lui tout seul ? Leur capacité d’adaptation
hors norme va leur permettre de s’adapter à tous
les milieux, même les plus hostiles, exception
faite des océans qu’ils vont laisser à leurs cousins
Crustacés. De mutation en mutation, d’adaptation
en adaptation, ils vont devenir le groupe le plus
important de la planète. Deux animaux sur trois
sont des Insectes ; de quoi nourrir correctement
toutes les Araignées du monde !
Tout dans la tête
Décrire un Insecte est très simple : c’est un
Arthropode à six pattes et deux antennes, qui a
souvent des ailes, qui respire par des trachées et
dont le corps est composé de trois parties : tête,
thorax et abdomen.
La tête porte des antennes de taille et de forme
très variables. Ce sont des organes sensoriels que
l’Insecte utilise pour toucher, et sentir. Chez
certaines espèces de Papillons nocturnes, les
antennes du mâle ressemblent à s’y méprendre à
nos anciens râteaux reliés à nos postes de
télévision. Cette structure sophistiquée lui permet
d’être sensible à des molécules, appelées
phéromones, émises par une femelle située à
plusieurs kilomètres et de remonter la piste
odorante pour la rencontrer. C’est tout de même
un peu plus poétique que la réception d’un match
de football.

De part et d’autre de la tête on trouve les yeux.


Ceux-ci sont qualifiés de composés car ils sont
constitués d’un ensemble d’yeux élémentaires
appelés ommatidies. On a pu dénombrer plus de
30 000 ommatidies dans un seul œil. Une
ommatidie ressemble à un tube creux fermé d’un
côté par une face transparente et relié par sa base
au système nerveux de l’animal. On y trouve un
cristallin minuscule servant de loupe et des
pigments qualifiés de photorécepteurs car ils
convertissent l’information lumineuse en message
nerveux. Chaque ommatidie est donc une caméra
miniature.
Les informations captées par les ommatidies sont
décodées par le cerveau. Chez les Insectes une
partie importante du cerveau est reliée aux yeux
composés et aux antennes, ce qui explique leur
grande sensibilité. Le reste du système nerveux
est constitué d’une chaîne nerveuse. Celle-ci a
grossièrement l’aspect d’un collier de perles car
elle porte à intervalles réguliers des petites
sphères appelées ganglions. Ces derniers servent
de relais au cerveau lors de la transmission
d’ordres en direction de la partie postérieure de
l’animal et montrent une certaine autonomie vis-
à-vis du cerveau. Ainsi une Blatte peut vivre
plusieurs jours sans sa tête, ce qui démontre que
les ganglions contrôlent une partie des activités
de l’animal…

Bien que le cerveau d’une Abeille fasse la taille


d’une tête d’épingle avec son millimètre cube, il
maîtrise la communication, la navigation et
l’apprentissage de l’animal. Il peut être, de ce fait,
considéré comme le plus perfectionné chez les
Invertébrés.
À l’avant de la tête se trouvent les pièces
buccales, autrement dit, les outils qui permettent
à l’Insecte de se nourrir. Celles-ci ont pris
différentes formes, adaptées au régime
alimentaire de l’animal. Certaines permettent de
broyer, lécher, piquer ou sucer. Certains Insectes
combinent deux fonctions comme par exemple les
Abeilles, Guêpes et Fourmis qui possèdent un
appareil buccal de type broyeur-lécheur avec deux
mandibules et une langue velue. Certaines
adaptations sont d’une précision digne d’un
horloger suisse, comme la trompe du Papillon
capable de rester béante quelle que soit sa
courbure et qui au repos est enroulée en spirale
comme un ressort de montre.
Des travailleurs
sociaux
Les Insectes sociaux construisent sans
plan déterminé des structures très
sophistiquées. Ainsi, les ruches, les
fourmilières, les termitières sont des nids
d’une remarquable architecture. Chez les
Insectes sociaux, les interactions entre
individus aident à résoudre collectivement
des problèmes comme celui de construire
un nid ou de trouver le chemin le plus
court pour atteindre une source de
nourriture. On dit qu’il y a auto-
organisation, car les actions de chaque
individu mènent au comportement
coordonné de la colonie. Chacun fait ce
qu’il a à faire et la société d’Insectes
accomplit alors une tâche complexe sans
contrôle central, ni externe. Ainsi, ils ne
dirigent pas leur travail mais ils sont
guidés par lui.
Les Insectes sociaux ont donc un mode de
vie très élaboré. Ils vivent en communauté
et adoptent des comportements de
coopération. Le travail est divisé entre
individus reproducteurs et des individus
généralement stériles qui assurent
l’essentiel des tâches de la société.
Par rapport à la vie en solitaire, la vie en
société apporte une meilleure protection
des adultes et des jeunes contre les
prédateurs et une plus grande efficacité
dans l’alimentation. Ainsi, si seulement 2
% des Insectes vivent en société, ils
représentent 50 % de la masse totale des
Insectes actuels.
Ailes et pattes
Après la tête, vient le thorax. Celui-ci ne présente
pas un grand intérêt, si ce n’est qu’il porte les
organes locomoteurs : pattes et ailes. Les pattes
sont toujours au nombre de six. Les Insectes sont
ainsi appelés hexapodes, hexa signifiant six et
podes, pied. Leur forme montre également une
très forte adaptation au milieu dans lequel évolue
l’animal. On trouve ainsi des pattes longues et
fines pour la course, des pattes courtes et trapues
pour creuser, des pattes en forme de rame pour
nager, des pattes munies de crochets pour
attraper, etc. Les Insectes sont les seuls à
proposer dans leur catalogue un si grand choix
d’articles de sport.
Au-dessus de ce thorax on trouve généralement
deux paires d’ailes. Mais là encore, l’évolution a
entraîné des modifications profondes du plan de
construction ancestral. Chez les Mouches et les
Moustiques par exemple, on ne trouve plus qu’une
seule paire d’ailes, l’autre ayant été remplacée
par des balanciers utilisés comme stabilisateurs
durant le vol. Chez les Scarabées, les ailes
antérieures se sont endurcies et servent d’étuis
protecteurs aux ailes postérieures restées souples
et fragiles. Ce sont les élytres. Chez les Guêpes,
les quatre ailes sont souples et translucides.
Les ailes du désir…
Les ailes permettent à de nombreux
Insectes mâles de courtiser les femelles.
Chez les Mouches, le battement des ailes
émet un chant alaire, à peine perceptible à
l’oreille humaine, mais parfaitement
compris par les femelles, grâce à leurs
antennes.
Le chant des Criquets ou des Grillons est
quant à lui parfaitement audible. On dit
que ces Insectes stridulent. Cette
stridulation est produite par les Grillons en
frottant l’élytre gauche, qui porte l’archet,
sur l’élytre droit qui porte le grattoir. Les
élytres jouent aussi le rôle de caisse de
résonance en modulant les vibrations,
grâce à deux zones membraneuses, la
harpe et le miroir. Chez les Criquets, la
stridulation est produite par le frottement
des élytres et des fémurs de la dernière
paire de pattes. En effet, chaque fémur est
bordé de petites dents, qui servent de
grattoir.
Le chant des Cigales est de loin le plus
bruyant. Il s’entend à plus d’un kilomètre
de distance et certaines espèces, comme
la Cigale australienne, atteignent 150
décibels (c’est comme être au premier
rang d’un concert d’AC/ DC). Ni les ailes ni
les pattes n’y participent, mais les Cigales
mâles possèdent une paire de tambours,
dont ils peuvent déformer la membrane
grâce à un muscle puissant, ce qui produit
un son. Un peu comme si on appuie sur le
fond bombé d’une boîte de conserve ; on
entend un premier « clic » à l’enfoncement
puis un second « clic » lorsqu’il se remet
en place. Le muscle de chaque tambour
pouvant se contracter 120 fois par
seconde, les fréquences du son émis
peuvent être très élevées. D’autant plus
que tout l’abdomen participe à son
amplification et à sa modulation.
Ces vibrations alaires favoriseraient aussi
la rencontre des partenaires en ventilant
les phéromones. Le chant est ainsi
accompagné d’effluves amoureux…

En fait, chaque groupe d’Insectes porte des ailes


caractéristiques. C’est la raison pour laquelle on a
utilisé principalement ce critère pour les classer.
Ainsi, les Mouches sont des Diptères car di signifie
deux et ptère, aile. Les Scarabées sont des
Coléoptères, du grec koleos, étui. Les Papillons
sont des Lépidoptères car lepido signifie écaille.
Les Guêpes sont des Hyménoptères car hymeno
signifie membrane. Etc. Chez les Insectes on ne
vole que de ses propres ailes !
Dans leur plus simple appareil
Finissons par l’abdomen. Celui-ci est la partie la
plus importante de l’animal par la taille. Il peut
être long et très visible comme chez les Libellules
ou plus trapu et caché sous les élytres comme
chez les Scarabées. On y trouve la majeure partie
des organes assurant les fonctions de base de
l’animal. On qualifie d’appareil l’ensemble des
organes assurant une fonction. On parle ainsi
d’appareil digestif, d’appareil respiratoire, etc. Les
organes peuvent être ainsi comparés à différentes
pièces dont l’assemblage fait fonctionner une
partie du moteur de l’animal.

L’appareil respiratoire est constitué de trachées


comme celui des Myriapodes. Celles-ci
débouchent sur l’extérieur par des orifices,
appelés stigmates, dont l’ouverture est
généralement contrôlée. Les trachées se ramifient
de nombreuses fois et finissent sur des trachéoles
qui pénètrent à l’intérieur des cellules. Si vous
observez un Criquet (voir figure 11-2), vous
remarquez que son abdomen est animé de
mouvements plus ou moins réguliers. Ce sont des
mouvements respiratoires. En contractant certains
muscles de son abdomen, que l’on nomme
également abdominaux, il chasse l’air de ses
trachées. Lorsqu’il les relâche, l’air entre
passivement. Ainsi, contrairement à nous, c’est
l’expiration qui est active chez les Insectes. De
cette manière, ils ne manquent pas d’air !
L’appareil circulatoire des Insectes est d’une très
grande simplicité et constitué simplement d’un
gros vaisseau courant le long du dos de l’animal. Il
faut dire que son sang, appelé hémolymphe,
baigne tout son corps, autrement dit, il n’est pas
comme le nôtre, enfermé dans un système de
tuyauterie perfectionné. Le gros vaisseau dorsal
possède une partie contractile que l’on appelle le
cœur. On devrait plutôt dire les cœurs car ce sont
de multiples petites dilatations du vaisseau, en
enfilade, qui se contractent et provoquent des
mouvements de l’hémolymphe dans l’organisme.
Lorsque l’Insecte se déplace ou tout simplement
respire, les contractions de ses muscles
participent également à la mise en mouvement du
sang. Chez nous aussi, les gestes du quotidien ou
mieux, une activité sportive, participent au
mouvement du sang en favorisant le retour
veineux vers le cœur.

Figure 11-5 :
L’organisation d’un
Insecte : le Criquet.
L’appareil digestif est organisé autour d’un gros
tuyau central, l’intestin, composé de trois parties :
antérieure, moyenne et postérieure. Les deux
premières ne participent pas directement à la
digestion. Elles ont pour rôle de conduire et de
malaxer les aliments. Des glandes salivaires
déversent dans ce tube, comme chez nous, un suc
digestif appelé salive, contenant des enzymes
capables de transformer les aliments en bouillie.
La digestion se déroule donc principalement dans
l’intestin postérieur.
Les Insectes disposent comme tous les
Arthropodes d’un appareil excréteur, autrement
dit d’un système qui permet de se débarrasser
des déchets liés au fonctionnement de
l’organisme. Chez les Vertébrés il s’agit des reins
et des organes qui leur sont associés. Chez les
Insectes on parle également de reins, mais ceux-ci
n’ont rien à voir avec les organes en forme de
haricot que nous avons dans le bas du dos. Il
s’agit de tubules appelés tubes de Malpighi, du
nom d’un médecin italien pionnier dans
l’utilisation du microscope. Ces tubes baignent
dans le sang, d’où ils extraient les déchets comme
l’urée. Ces derniers sont ensuite libérés dans le
tube digestif et seront éliminés avec les
excréments. Les Insectes pratiquent ainsi le tout-
à-l’égout.
Les faits Papillons
La croissance des Insectes nous donne l’occasion
de parler de substances que l’on pourrait croire
réservées aux Vertébrés : les hormones. Celles-ci
sont sécrétées en petites quantités par des
glandes qualifiées d’endocrines (endo signifie
dedans et crine, qui vient du grec krinein,
sécréter). Ces substances sont véhiculées par le
sang et agissent à distance sur des organes
précis, leurs cibles.

Chez les Insectes, la mue, c’est-à-dire le


changement de carapace, est contrôlée par une
hormone appelée ecdysone. Une autre, appelée
hormone juvénile, empêche la larve de se
métamorphoser en adulte. En jouant sur les
quantités sécrétées de ces deux hormones,
l’Insecte contrôle son développement. Un peu
d’ecdysone pour muer, de l’hormone juvénile pour
rester une larve, plus du tout d’hormone juvénile
pour devenir adulte. Chacun prépare sa potion à
son rythme.
Chez les Insectes, le jeune peut ressembler à
l’adulte ou en différer totalement. Dans le premier
cas, il suffira de quelques mues pour atteindre le
stade adulte. Dans le deuxième cas, il faudra une
métamorphose. Celle-ci se déroule au sein d’une
nymphe issue de la transformation de la larve.
Chez le Papillon, l’emblème de la métamorphose,
elle porte le joli nom de chrysalide et reste
immobile durant toute la transformation.
Figure 11-6 : La
double vie d’un
Papillon passe par
une
métamorphose.

Si vous incisiez une nymphe, vous seriez


certainement étonné d’y découvrir une véritable
bouillie d’organes. C’est que l’Insecte n’hésite pas
à tout remanier pour passer au stade adulte. Les
organes larvaires devenus inutiles sont liquéfiés,
l’intestin est retravaillé et de nouveaux organes
font leur apparition. Ceux-ci prennent naissance à
partir de petits amas de cellules que l’on appelle
disques imaginaux car l’imago est le nom donné à
l’Insecte adulte. Durant toute la vie larvaire, ces
disques restent au repos. Ils ne s’activent qu’au
moment de la métamorphose. Chacun est
spécialisé dans la construction d’un organe. Par
exemple, les disques alaires seront à l’origine des
ailes.
Un grand nombre d’Insectes pratiquent cette vie
en deux épisodes. Larves et adultes vivent parfois
dans des milieux différents comme la Libellule
dont la larve est aquatique. Elle permet aux
adultes de ne pas entrer en concurrence pour la
nourriture avec leur progéniture. À chacun son
garde-manger ! Certains adultes par ailleurs ne se
nourrissent pas et ne vivent que quelques heures,
le temps de se reproduire et de pondre pour la
femelle. Le rôle des adultes s’est ainsi
considérablement restreint. Les Insectes misent
tout sur la jeunesse. Prenons-en de la graine !
Un accouchement
douloureux…
La Glossine ou Mouche tsé-tsé est la
mouche responsable de la maladie du
sommeil. Son mode de reproduction est
particulier, puisque les femelles sont
vivipares. En effet, elles n’expulsent pas
leurs œufs, mais elles les conservent dans
deux poches extensibles qui débouchent
dans l’utérus. L’œuf fécondé y poursuit ses
trois stades larvaires et la femelle donne
naissance, après un véritable
accouchement, à des larves au dernier
stade, prêtes à se transformer en pupe
(l’équivalent de la chrysalide des
Papillons).
La larve se développe donc entièrement
dans l’abdomen de la Glossine femelle, où
elle est nourrie par les sécrétions d’une
glande utérine, appelée glande lactée. La
durée du cycle biologique fait qu’une
femelle ne donne naissance qu’à six à huit
larves au cours de toute sa vie, qui dure
environ trois mois. Cette fécondité est très
faible, en comparaison aux autres
Mouches, mais la mortalité des larves est
limitée du fait qu’elles s’enfouissent dans
le sol aussitôt nées. La larve s’y transforme
en pupe d’où un nouvel adulte émerge 20
à 80 jours plus tard en fonction des
conditions de température et d’humidité.
Des forêts grouillantes

Situons les événements majeurs de ce chapitre


sur l’horloge de la vie (voir figure C du cahier
central) :

10h55 : Colonisation de la terre ferme


par les Arthropodes.
10h56 : Apparition et diversification des
Myriapodes, Scorpions, Araignées et
Acariens.
10h57 : Apparition et diversification des
Insectes.
10h59 : Apparition et diversification des
Insectes ailés.

Sortis les premiers de l’eau, juste après les


plantes, les Arthropodes vont s’installer
confortablement dans la forêt primitive et couler
des jours heureux dans une débauche de
nourriture et de dioxygène.
Mais le danger les guette car certains poissons se
sentent irrésistiblement attirés par ce qui, vu de
l’eau, semble être un paradis…
Chapitre 12

À quatre pattes sur le sol


Dans ce chapitre :
La colonisation de la terre ferme par les
Vertébrés
Les Amphibiens sortent de l’eau
Les reptiles sortent de l’œuf
Les Dinosaures entament un règne sans
partage

« Ils ont du bol les poissons rouges, parce qu’eux, au moins,


on ne leur demande pas de sortir du bain… »
Parole d’enfant

Il y a 375 millions d’années, au début d’une


période appelée Dévonien supérieur (voir figures
A et K du cahier central), apparaissent des êtres
qui, si on caricature un peu, nous ont apporté nos
bras et nos jambes, nos quatre membres.
Jusque-là, le squelette des Vertébrés était sans
appendice, c’est-à-dire uniquement constitué
d’une colonne vertébrale et d’un crâne. De
nombreuses découvertes permettent d’affirmer
que c’est dans l’eau que ces futurs bras et jambes
ont été inventés par certains poissons. Ce n’est
que quelques millions d’années plus tard, en
prenant appui sur ces quatre pattes primitives,
qu’un être s’est hissé sur la terre ferme. L’ère des
Tétrapodes, des êtres à quatre pieds, venait de
débuter.
Il faut dire que le décor s’y prêtait admirablement
bien car le climat chaud et humide qui régnait à
l’époque avait permis aux plantes de couvrir une
bonne partie des terres émergées de forêts
luxuriantes.
Sous ces forêts, les nombreux débris végétaux
tombés à terre ont donné des sols épais et riches
dans et sur lesquels toute une faune
d’Arthropodes a pu se développer : de véritables
écosystèmes 100 % Invertébrés qui fonctionnaient
à merveille. C’était trop beau ! Il a fallu que des
êtres à quatre pattes viennent répandre une forte
odeur de poisson dans ces sous-bois
paradisiaques !
I will survive !
En 1938, un bateau pêchant dans les eaux
de la côte Est d’Afrique du Sud, remonte
dans son chalut un bien curieux poisson, le
Cœlacanthe. Jusqu’à cette pêche
miraculeuse, on ne connaissait cette
espèce que fossilisée et on la croyait
même disparue depuis 70 millions
d’années… Ce poisson gris bleuté à taches
blanches peut atteindre 2 mètres de long
et vit à des profondeurs comprises entre
100 et 400 mètres. Il se laisse dériver dans
le courant pour chasser les autres
poissons, surtout des poissons-lanternes.
En plus de ses branchies, il possède des
poumons non fonctionnels qui sont remplis
de graisse, ses nageoires paires sont très
mobiles, alors que sa nageoire dorsale
porte des gros rayons épineux et creux,
d’où son nom, qui signifie nageoire creuse.
Le Cœlacanthe est le seul représentant
actuel des Actinistiens (voir figure G du
cahier central). Ces derniers sont les
descendants d’un groupe de poissons, très
hétérogène, les Crossoptérygiens, donton
retrouve de nombreux fossiles dans les
terrains du Dévonien au Trias. Mais bien
que le Cœlacanthe ressemble beaucoup à
ces fossiles, il n’est pas primitif et ne
fonctionne pas de la même manière que
ses ancêtres qui vivaient il y a 400 millions
d’années. C’est un animal hautement
spécialisé, qui a évolué, et qui a trouvé des
solutions uniques lui permettant de
survivre à des conditions de vie extrêmes.
Il n’y a donc aucune raison pour le traiter
de « fossile vivant », comme certains
l’avaient fait au moment de sa découverte.
Des os pour la sortie des eaux
Dans les mers du Dévonien supérieur, il y a 375
millions d’années, vivait un poisson nommé
Eusthénoptéron. Il utilisait, comme tous ses
congénères, différentes nageoires pour se
déplacer, notamment deux pectorales situées à
l’avant du corps, juste derrière les ouïes et deux
pelviennes à l’arrière, juste avant la queue. Vous
me direz qu’il n’y a rien d’extraordinaire à tout
cela. Oui mais l’Eusthénoptéron a un secret : ses
quatre nageoires ne sont plus de simples éventails
plats comme chez la plupart des poissons de son
époque, mais des membres charnus soutenus par
des os.
En analysant l’organisation des os se trouvant à
l’intérieur des nageoires pectorales, les
scientifiques ont fait une fabuleuse découverte.
Ces membres étaient constitués de trois parties.
Trois parties ! Cela ne vous évoque rien ?
Regardez bien votre membre supérieur, il est
constitué du bras, de l’avant-bras et de la main…

Les scientifiques ont vu dans ces nageoires les


prémices des membres et ont même pu repérer
les futurs humérus, radius et cubitus. Ne pouvant
considérer l’Eusthénoptéron comme un véritable
Tétrapode, ses membres n’étant que des
nageoires, on a créé le groupe des
Tétrapodomorphes, ceux qui ont l’apparence des
Tétrapodes. Était-il l’ancêtre des Tétrapodes ?
Certainement pas, mais il a permis d’affirmer que
nos quatre membres ont été inventés par des
poissons, en pleine mer, et non sur la terre ferme
comme on l’a longtemps cru.
Ce qui est certain, c’est qu’un beau jour, un
Tétrapode primitif en a eu plein les pattes de vivre
dans l’eau.
Il était une fois des poissons-
grenouilles, très très
moches…
L’Eusthénoptéron n’est pas le seul
Tétrapodomorphe à avoir vécu au début du
Dévonien supérieur. Régulièrement, de nouvelles
découvertes viennent compléter l’album de
famille de ces poissons pas comme les autres.
Lequel d’entre eux est à l’origine des Tétrapodes ?
Nous ne le saurons certainement jamais. Mais
l’ossification des nageoires pectorales et
pelviennes s’est poursuivie jusqu’à ce qu’un être
puisse réellement se hisser sur ses membres.

Dans les années vingt-trente, des missions de


prospection menées dans le Groenland ont permis
de mettre au jour deux fossiles dont on parle
encore dans les livres d’école, tant leur impact a
été important. Le premier avait une forme très
étrange car il comportait des caractères le
rapprochant des poissons, comme des branchies
et une nageoire caudale, et des caractères le
rapprochant des Amphibiens, dont nous parlerons
par la suite. Il fut nommé Ichtyostéga car ichthyos
signifie poisson et stegos la plaque, car les
premiers Amphibiens avaient la tête recouverte
de plaques osseuses. Pour ses découvreurs,
Ichtyostéga était à la croisée entre les poissons et
les Amphibiens. Ils tenaient un « chaînon
manquant », théorie encore très en vogue à
l’époque.

Pour expliquer l’apparition de cet organisme, on


avait alors inventé une belle histoire, facile à
raconter, même aux enfants : « Il était une fois un
gros poisson carnivore qui vivait dans une grande
mare où il se la coulait douce. Jusqu’au jour où la
sécheresse survint et fit baisser le niveau de l’eau.
Il lui fallut gagner une autre mare en se hissant
sur les berges. Et c’est ainsi que, de mare en
mare, de génération en génération, il acquit des
pattes. » On sait maintenant que tout ceci est
faux, car suite à la découverte de nombreux
autres fossiles proches d’Ichtyostéga, c’est une
tout autre histoire qui s’écrit.
On est actuellement certain que les pattes sont
apparues chez des êtres franchement aquatiques
qui n’avaient rien à faire près des berges. Ils s’en
sont servis dans un premier temps pour nager en
pagayant puis certains sont descendus et ont pris
appui sur ces excroissances pour déambuler sur
les fonds, entre les plantes aquatiques. Ce n’est
que plus tard que ces pattes ont été suffisamment
efficaces pour se déplacer sur la terre ferme. De
toute façon, la morphologie d’Ichtyostéga semble
indiquer qu’il se serait déplacé sur la terre ferme à
la manière d’un Phoque. Avec une telle allure, il
valait mieux rester dans l’eau.
Histoire d’Hox…
Les gènes Hox sont des gènes qui nous
permettent d’avoir la tête sur les épaules
et les doigts au bout des mains et non
l’inverse, ce sont les gènes architectes du
corps. On les appelle aussi les gènes
homéotiques, du grec homoios qui signifie
semblables, car leurs mutations font
apparaître sur une partie du corps des
organes appartenant à une autre partie.
Par exemple, chez la Mouche, leurs
mutations peuvent entraîner la formation
d’une patte à la place d’une antenne.
La Souris, comme les poissons, possède
une quarantaine de gènes Hox, qui sont
répartis en quatre groupes (Hoxa à Hoxd)
localisés sur quatre chromosomes
différents. Le modelage d’une patte chez la
Souris ou d’une nageoire chez le poisson
est régulé par les gènes Hoxa et Hoxd. Si
les gènes Hoxa13 et Hoxd13 sont
inactivés, les os de la main ou les rayons
de la nageoire sont absents. Si ce sont les
gènes Hoxa11 et Hoxd11 qui sont
inactivés, c’est alors l’avant-bras ou la
base de la nageoire qui n’existent pas.
Les poissons possèdent donc tous les
gènes pour fabriquer une patte de
Tétrapode. Il n’y a pas de gène des pattes,
comme il n’existe pas de gène spécifique à
n’importe quel autre organe, seul le
moment et l’intensité de l’expression des
gènes Hox semblent varier selon les
animaux. Si les gènes Hox ont apporté des
réponses à l’évolution des Tétrapodes, il ne
faut pas oublier que les généticiens
travaillent sur des espèces actuelles, très
éloignées de celles qui vivaient il y a plus
de 300 millions d’années. Les résultats
obtenus avec un poisson ou une Grenouille
d’aujourd’hui ne sont pas forcément
applicables à Ichtyostéga. Les mécanismes
de l’évolution des Tétrapodes sont encore
très loin de nous avoir livré tous leurs
secrets…

Le deuxième fossile, également très médiatisé,


vient aussi du Groenland. Il a été nommé
Acanthostéga du grec acantho qui signifie épine.
Des découvertes récentes montrent qu’il serait
plus ancien qu’Ichtyostéga…, jusqu’à une
prochaine fouille, qui remettra tout en cause. Quoi
qu’il en soit, il ressemble lui aussi à un curieux
mélange entre un poisson et une Salamandre et
est aujourd’hui considéré comme le plus ancien
des Tétrapodes. Seule ombre au tableau, il porte
huit doigts aux membres postérieurs. Alors que
l’on considérait jusqu’à cette découverte que les
plus vieux Tétrapodes devaient nécessairement
posséder cinq doigts, comme tous leurs
descendants, Acanthostéga remettait tout en
cause. Mais n’est-ce pas là l’un des charmes de la
biologie que de revoir régulièrement sa copie ?
Figure 12-1 :
Deux célèbres
Tétrapodes du
Dévonien.

Si Ichtyostéga sortait parfois de l’eau, il se


déplaçait en se traînant sur le sol, comme un
Phoque ou une Otarie. En revanche, Acanthostéga
était incapable de se déplacer sur la terre ferme
et vivait exclusivement dans l’eau.
Nous venons de le voir, l’histoire de la vie s’écrit
lentement, au fur et à mesure des découvertes.
Ainsi les exhumations récentes d’un très grand
nombre de restes de Tétrapodes du Dévonien
supérieur, déjà bien spécialisés et répartis un peu
partout autour du globe, laissent un doute sur leur
date d’apparition. Comment ont-ils pu se
diversifier en si peu de temps ? Leur apparition ne
se serait-elle pas déroulée quelques millions
d’années plus tôt ? Encore une théorie balayée
par de nouvelles découvertes, qui donnera
naissance à une nouvelle théorie, qui sera
certainement balayée par de nouvelles
découvertes. Seule certitude : au cours du
Carbonifère, des Vertébrés munis de quatre pattes
foulaient le sol des forêts chaudes et humides. Ouf
! On peut poursuivre notre récit.
Prendre sa vessie pour un
poumon
Pour passer de l’eau à l’air, il ne suffit pas d’avoir
des pattes. De nombreuses autres adaptations
doivent faire partie de l’équipement de survie de
nos explorateurs. S’il y en a une qui vient
logiquement à l’esprit, c’est bien la respiration.
Nous savons depuis le chapitre 9 que les poissons
respirent grâce à des branchies. Or, ce sont des
organes inefficaces dans l’air. Il n’y a qu’à
regarder les convulsions d’un poisson sorti de
l’eau pour s’en persuader. Actuellement, tous les
Vertébrés aériens et même certains aquatiques
utilisent des poumons pour effectuer leurs
échanges gazeux. La sortie des eaux s’est
certainement accompagnée de la naissance de
poumons. D’où viennent-ils ?

La logique voudrait qu’un appareil en donne un


autre, c’est-à-dire que les branchies se
transforment en poumons. Ce n’est absolument
pas le cas. Les branchies ont disparu en donnant
d’autres organes situés principalement à la base
de la tête. Mais alors d’où viennent ces sacs à air
? D’un autre sac, qui sert de flotteur au poisson :
la vessie natatoire. Certains poissons actuels nous
permettent de nous faire une idée de la manière
dont cette vessie a pu se transformer en poumon :
les Dipneustes. Ce sont des créatures assez rares,
ressemblant à des Anguilles et munies de
branchies. Ils vivent en eau douce, généralement
dans des mares ou des cours d’eau s’asséchant
une partie de l’année.
Pour n’importe quel poisson, cette habitude serait
suicidaire et l’adulte disparaîtrait chaque année,
mais pas chez le Dipneuste. Quand le niveau de
l’eau est dangereusement bas, il se construit, en
profondeur dans la terre, un cocon fait de boue et
de mucus qu’il sécrète. Il y séjourne parfois
plusieurs mois en attendant les prochaines pluies.
Comment résiste-t-il sans eau pour ses branchies
et sans nourriture durant une si longue période ?
Pour ses besoins énergétiques, il a résolu le
problème en entrant en léthargie, une sorte de
sommeil profond durant lequel toutes ses
fonctions tournent au ralenti. Pour le manque
d’eau et donc l’impossibilité de respirer grâce à
ses branchies, il dispose d’un organe inédit chez
le poisson : un poumon.
Celui-ci remplace la vessie natatoire et présente
une structure très proche d’un poumon de
Tétrapode. Le Dipneuste dispose également de
narines qui s’ouvrent dans la bouche, ce qui lui
permet, en l’entrouvrant, de respirer durant toute
la saison sèche par l’intermédiaire de petits trous
creusés dans son terrier. Ce poumon fonctionne
tellement bien que bon nombre de Dipneustes
l’utilisent même quand ils sont dans l’eau et
remontent à la surface pour respirer.
La découverte de fossiles de Dipneustes datant de
380 millions d’années leur a valu d’être longtemps
considérés comme des ancêtres possibles des
Tétrapodes. Or, dans ce domaine, ce sont
désormais les quatre pattes qui comptent, et
notre Dipneuste avec ses jolis petits poumons
mais des nageoires filiformes peut aller se
rhabiller. Il avait pourtant l’air inspiré, notre
poisson pulmoné !
Pas question de grenouiller
Nous venons de voir que l’acquisition des
membres a été un préalable à la sortie des eaux
des Vertébrés. Mais qu’entend-on par « sortie » ?
En effet, les premiers Tétrapodes à s’être
aventurés n’ont jamais vécu loin de l’eau. Tout au
plus, se hissaient-ils sur les berges pour ensuite
replonger lorsque le besoin ou l’envie s’en
faisaient sentir. Les avis restent très partagés sur
la limite entre un organisme aquatique et un
organisme terrestre. Pour certains auteurs, dès
qu’un Vertébré est capable de se hisser
momentanément sur la terre ferme, alors on peut
considérer qu’il est sorti des eaux. Pour d’autres, il
faut que son indépendance soit totale et qu’il n’ait
jamais à y retourner, même pour sa reproduction.
Pour ces derniers, les Amphibiens ne sont jamais
sortis de l’eau. Nous allons voir pourquoi.
Ils sont plus vieux qu’on ne le
crôa

Le terme d’Amphibien vient du grec ancien


amphis, les deux, et bios, vie. Ce nom leur a été
donné en raison de leur mode de vie à la fois
aquatique et terrestre. Selon certains critères de
classification, l’Ichtyostéga et ses cousins peuvent
être considérés comme les plus vieux Amphibiens
ayant vécu sur Terre. L’apparition de ce groupe
est donc très ancienne et remonte à environ 350
millions d’années.
Actuellement, il existe deux grands groupes
d’Amphibiens, les Urodèles, représentés par les
Tritons et les Salamandres, des Amphibiens munis
d’une queue, et les Anoures représentés par les
Grenouilles et les Crapauds, dépourvus de queue.
Figure 12-2 : Un
Triton (Amphibien
urodèle) et une
Grenouille
(Amphibien
anoure).

L’origine des Amphibiens modernes est très


incertaine et nombreux sont les prétendants au
sein des fossiles retrouvés. On peut juste estimer
que c’est vers – 285 millions d’années que se
situe la transition entre les Tétrapodes amphibies
et les premiers vrais Amphibiens tels que nous les
connaissons.
Une pièce unique !
Le plus ancien Anoure connu est
Triadobatrachus, découvert à Madagascar
en 1936, et daté de 250 millions d’années.
Bien que ce fossile possède déjà de
nombreux caractères d’une Grenouille
d’aujourd’hui, il possède encore une petite
queue et des pattes postérieures bien
courtes, ce qui indique que l’adaptation au
saut n’était qu’ébauchée. Ce fossile est
également le plus vieil Amphibien moderne
au monde, et est d’autant plus
exceptionnel qu’il en existe un seul et
unique exemplaire. Il s’agit d’un galet dans
lequel les os de l’animal non conservés ont
laissé leurs empreintes complètes. Il est
précieusement conservé dans un coffre-
fort du Muséum d’histoire naturelle de
Paris.
Nus et humides
La caractéristique principale des Amphibiens est
d’avoir une peau nue, sans écailles, ni plumes, ni
poils. Mais il serait faux de croire qu’il s’agit d’un
caractère primitif car les écailles existaient chez
leurs ancêtres. On en trouve d’ailleurs encore des
traces chez les Apodes, un groupe d’Amphibiens
sans pattes, vivant en Amérique du Sud. Les
Amphibiens ont donc perdu leurs écailles au cours
de l’évolution. Mais celles-ci ont un rôle protecteur
chez les animaux qui les possèdent. Par quoi les
ont-ils remplacées ?
Nous avons tous pu constater que la peau des
Grenouilles et des Tritons était toujours humide.
Une étude plus minutieuse de celle-ci montre
qu’elle comporte de nombreuses glandes
sécrétant un mucus à rôle protecteur. On trouve
souvent dans celui-ci des substances
improprement appelées venins car elles ne sont
pas injectées par l’animal. Elles assurent pour
certaines espèces une relative tranquillité vis-à-vis
de leurs prédateurs. L’exemple le plus marquant
est certainement celui des Dendrobates, de
minuscules Grenouilles vivement colorées et dont
le venin est l’un des plus dangereux de tout le
règne animal. Chez les espèces nommées Kokoï, il
contient la batrachotoxine dont un quart de
milligramme suffit à tuer un homme !

Mais cette humidité permanente de la peau a un


rôle vital pour une grande majorité d’Amphibiens.
Si une Grenouille ou une Salamandre se dessèche,
c’est la mort assurée. La raison en est simple : la
peau est un organe respiratoire. Certains diront
que chez nous aussi, il faut que la peau respire !
Mais il s’agit là d’un abus de langage car chez
nous la peau n’est absolument pas le lieu
d’échanges gazeux. Cette expression signifie
simplement que nous devons laisser de l’air
passer sur notre peau afin que celle-ci puisse
laisser échapper la chaleur corporelle.
C’est pas le pied !
Les Apodes, appelés aussi Cécilies ou
Gymnophiones, forment un petit groupe
d’Amphibiens tropicaux très spécialisé.
Bien que quelques-uns nagent dans les
marais, la plupart d’entre eux mènent une
vie fouisseuse, à la manière des Vers de
terre. Leur corps cylindrique et allongé ne
porte pas de pattes. Chez certains le
derme renferme des écailles minéralisées
dessinant des anneaux. Malgré leur taille
modeste (entre 6 centimètres et 1,4
mètre) les autres animaux les évitent car
ce sont des carnivores efficaces et leur
peau produit des sécrétions toxiques et
nauséabondes.
Contrairement aux Anoures et aux
Urodèles, leurs yeux sont atrophiés et
parfois dissimulés sous la peau. Ils n’ont
pas de tympan. La fécondation est interne
et ils ne pondent pas dans l’eau, mais le
plus souvent dans des terriers humides.
Entre l’œil et la narine, ils possèdent un
organe particulier, l’organe tentaculaire, à
sensibilité tactile et chimique.
Ces particularités font qu’ils sont souvent
séparés des autres Amphibiens, les
Anoures et les Urodèles, que l’on regroupe
sous le nom de Batraciens. Il faut signaler
que les Orvets, abondants dans les jardins
et prairies ombragées d’Europe, sont aussi
dépourvus de pattes. Ce ne sont pas des
Amphibiens, mais des Lézards apodes,
donc des reptiles. De même leurs cousins,
les Amphisbènes ou lézards-vers, sont
aussi des reptiles apodes. Ils sont peu
connus en Europe car on ne les rencontre
que dans la péninsule Ibérique où ils vivent
cachés dans l’humus frais et humide, où ils
sont souvent confondus avec de gros Vers
de terre. N’est pas Apode qui veut !
La Grenouille à grande bouche
L’observation au microscope d’une coupe de peau
de Grenouille montre qu’elle est extrêmement fine
et parcourue par un réseau dense de vaisseaux
très fins appelés capillaires, car ils font la taille
d’un cheveu. La limite entre l’air et le sang est
ainsi très inférieure à 1 millimètre, ce qui permet
au dioxygène de l’air de pénétrer facilement dans
le sang et au dioxyde de carbone du sang de
s’échapper vers l’air. On parle de respiration
cutanée. Pourtant la Grenouille possède des
poumons, alors pourquoi cette double respiration
?

La raison en est simple, la respiration pulmonaire


n’est pas suffisante chez les Amphibiens. La
dissection d’une Grenouille révèle que son thorax
contient deux sacs translucides, ses poumons.
Sans vouloir paraître trop moqueurs, disons que
ces poumons n’ont pas que l’aspect d’un sac, ils
sont aussi d’une grande médiocrité question
échanges gazeux air-sang. De plus, si vous
regardez une Grenouille au repos, vous ne
distinguez pas de mouvements de la cage
thoracique. Ceux-ci sont remplacés par un
abaissement régulier du plancher buccal, la partie
basse de leur grande bouche. La Grenouille
semble avaler chaque fois qu’elle respire. On parle
de respiration par déglutition, ce qui, à l’évidence,
n’est pas le meilleur moyen de brasser de l’air.
L’habit ne fait pas le
moine…
La Grenouille la plus venimeuse du monde
est la Kokoï (Phyllobates terribilis), car rien
que la tenir dans ses mains peut être
mortel. Les Indiens de Colombie frottent la
pointe de leurs flèches de sarbacane sur
son dos pour les enduire de poison. La
deuxième Grenouille la plus venimeuse est
Phyllobates bicolor, elle ne vit aussi qu’en
Colombie et, comme la championne, elle
est très colorée. La Kokoï est jaune à vert
menthe, alors que la seconde est orange
vif avec des jambes bleu marine. Ces
couleurs vives préviennent leurs
prédateurs éventuels de leur toxicité, ils
savent à qui ils ont affaire et ils les évitent.
C’est ce que l’on appelle l’aposématisme,
qui signifie en grec « avertissement ».
De nombreuses autres Grenouilles
d’Amérique du Sud sont très colorées,
mais toutes ne sont pas toxiques. C’est le
cas par exemple de la Grenouille aux yeux
rouges, verte avec des bandes bleues et
jaunes, aux pieds orange, qui est
totalement inoffensive. On parle de
mimétisme batésien, en l’honneur du
biologiste anglais du XIXe siècle Henry
Walter Bates. Le mime, c’est-à-dire
l’espèce inoffensive, adopte l’apparence
physique (ici les couleurs) d’une espèce
toxique. Il bénéficie alors de la protection
contre les prédateurs, sans avoir à
dépenser de l’énergie pour produire la
toxine. L’espèce imitée, au contraire, en
souffre, car les prédateurs risquent de
comprendre que dans de nombreux cas, le
signal d’avertissement n’est pas valable.
Du cœur au ventre
Le cœur d’une Grenouille montre une certaine
évolution par rapport à celui du poisson (voir
chapitre 9). On commence à y discerner la forme
du cœur telle que nous la retrouverons chez les
Vertébrés supérieurs : un cœur en forme de…
cœur. Mais celui-ci n’est formé que de trois cavités
: deux oreillettes et un ventricule. Le sang en
provenance des organes, donc pauvre en
oxygène, arrive dans l’oreillette droite et le sang
en provenance des poumons, donc riche en
oxygène, arrive dans l’oreillette gauche. Ces deux
sangs devraient en théorie se mélanger dans
l’unique ventricule, ce qui serait néfaste au bon
fonctionnement des organes. La Grenouille s’en
tire en contractant ses oreillettes de manière
décalée et en contractant son ventricule un peu
plus à droite ou un peu plus à gauche. Le mélange
des sangs est ainsi peu important. À cœur vaillant
rien d’impossible !

Le système digestif de la Grenouille est très


proche de celui des poissons. Elle est carnassière
lorsqu’elle est adulte et cherche à gober tout ce
qui passe à sa portée. Elle est heureusement
capable de jauger de la taille de l’animal avant de
passer à l’action… La proie est saisie à l’aide
d’une langue très longue dont la partie
postérieure, libre, peut être projetée à l’extérieur
de la bouche. Mais cette arme n’est pas commune
à l’ensemble des Amphibiens. Il vous est peut-être
arrivé d’observer un étrange comportement au
moment de la déglutition d’une proie par un
Crapaud par exemple. L’animal ferme ses yeux et
donne l’impression de les faire rentrer en
profondeur dans leurs orbites. En effet, ne
possédant ni dent ni salive, l’animal s’aide de ses
globes oculaires pour pousser la proie vers son
œsophage. Une façon pour lui de manger à l’œil.
L’œuf qui voulait se faire aussi
gros qu’une Grenouille
Le cycle de vie des Amphibiens est l’un des plus
curieux et des plus complexes du monde des
Vertébrés. Nous avons vu que la larve est un
stade très courant chez les Invertébrés, que ce
soit chez les Échinodermes, les Crustacés ou les
Insectes. En revanche, chez les Vertébrés elle
constitue une singularité et même une curiosité.
Alors, même si cette dernière est un vilain défaut,
jouons les entêtés et allons vers la mare voir si le
têtard est têtu.
La recette de la « queue de poêlon »
Les Rana esculenta, malgré leur nom à
consonance ibérique, sont des grenouilles vertes
bien de chez nous, de véritables froggys diraient
nos amis anglais. Leur vie de couple est plus
qu’épisodique puisqu’ils ne se rencontrent qu’au
moment des amours et se délaissent ensuite pour
toute une année. Pour attirer les femelles, les
mâles utilisent leurs sacs vocaux pour coasser à
tue-tête du matin au soir dès que les
températures redeviennent printanières. Ils
bondissent sans vergogne sur les femelles attirées
par leur chant et les saisissent sous les aisselles.
Commence alors un accouplement dont la notion
de plaisir nous échappe quelque peu. En effet,
privé de pénis, le mâle ne peut qu’arroser de
sperme les ovules que la femelle a libérés dans
l’eau sous l’étreinte amoureuse de son preux
chevalier, ou plutôt cavalier. Il s’agit donc d’une
fécondation externe.
Une fois qu’un spermatozoïde est entré dans
l’ovule, le développement de l’œuf proprement dit
peut avoir lieu. Celui-ci a été étudié sous toutes
ses coutures, et tout particulièrement chez la
grenouille Xénope, car c’est un matériel de rêve
pour les embryologistes : il se développe à
l’extérieur du corps de la femelle et présente des
enveloppes transparentes, ce qui permet de
l’observer facilement ; il est de grande taille, ce
qui permet d’imaginer toutes sortes d’expériences
à pratiquer sur lui ; le développement est rapide,
ce qui permet d’obtenir des résultats à court
terme. On connaît de cette manière tous ses
stades de développement ainsi que leurs durées.
L’étude du Xénope a permis de faire de grandes
avancées dans le domaine de l’embryogenèse et
par extrapolation dans la compréhension du
développement de l’Homme.

Les divisions cellulaires se succèdent rapidement


chez l’embryon de Xénope. Ainsi le stade deux
cellules est atteint après une heure et demie, le
stade quatre cellules après deux heures et quart,
le stade huit cellules après trois heures. Sept
heures après la fécondation, l’embryon est un
paquet de cellules de petite taille et ressemble à
une petite mûre, d’où son nom de morula. À 36
heures, la future colonne vertébrale est visible
sous forme d’un tube appelé tube neural. À 90
heures, l’embryon a acquis la forme d’un têtard et
à 96 heures, c’est l’éclosion. Il n’aura donc fallu
que quatre jours pour passer d’un œuf à un
organisme autonome surnommé « queue de
poêlon » au Québec.
Du têtard à la Grenouille
Le têtard de Grenouille est un curieux mélange
entre le poisson et l’Amphibien. Sa forme
hydrodynamique, sa locomotion ainsi que la
localisation des organes évoquent le premier. Mais
l’apparition précoce des pattes postérieures
rappelle que nous avons affaire à un Tétrapode. Le
têtard est un être imparfait, un gros embryon qui
n’a pas achevé son développement. Dans la
plupart des cas, il est végétarien et broute des
algues microscopiques dès que sa bouche est
formée. Mais des expériences en laboratoire
montrent qu’il n’est pas contre un petit morceau
de viande de temps en temps. D’ailleurs, il
n’hésite pas à brouter ses camarades affaiblis
lorsque la nourriture se fait rare dans la mare.
Sympa !
La transformation du têtard en Grenouille est un
phénomène appelé métamorphose. Chez les
Papillons, celle-ci se déroule au cours d’un stade
inerte appelé nymphe et au sein de laquelle tout
est refondu avant d’être reconstruit (voir chapitre
11). Le têtard, au contraire, reste actif durant
toute sa métamorphose et il n’est bien sûr pas
question de le transformer en bouillie avant
reconstruction. Le passage du poisson à la
Grenouille se fait lentement, par petites touches.
On voit dans un premier temps apparaître les
pattes postérieures, puis les antérieures.
Parallèlement, les poumons apparaissent et
prennent le relais des branchies qui s’effacent. Sa
bouche se perfectionne et s’accompagne d’un
changement d’alimentation avec de plus en plus
de proies et de moins en moins d’algues. Le tube
digestif long, typique du régime végétarien, se
raccourcit, ce qui caractérise le régime carnivore.
Lentement la queue se résorbe et lorsqu’elle
disparaît, la jeune Grenouille entreprend sa vie
d’adulte.

Figure 12-3 :
Quelques stades de
la métamorphose
du têtard chez la
Grenouille (Rana
pipens).

De nombreuses études ont permis de montrer que


ces transformations s’effectuaient par un jeu
subtil de multiplications et de destructions
cellulaires. Mais tout ceci ne peut se réaliser sans
un ou plusieurs chefs d’orchestre. Qui donne
l’ordre de bâtir ou de détruire sans mettre en péril
la vie de l’animal ? C’est le biologiste allemand
Friedrich Gudernatsch qui découvrit le secret de la
métamorphose des Amphibiens en 1912.
Nourrissant des têtards avec divers morceaux de
viande (muscle, foie, poumon, cervelle, thyroïde,
thymus, graisse), il constata avec stupeur que
ceux qui avaient grignoté de la thyroïde arrêtaient
de se nourrir et se transformaient précipitamment
en adulte. Il obtint ainsi quelques Grenouilles
miniatures et beaucoup de monstruosités non
viables.
En greffant à des têtards des morceaux de
glandes thyroïdes en provenance de Grenouille,
de Mouton ou de Bœuf, il obtenait le même
résultat. Il en a conclu que la thyroïde contenait
un principe actif capable d’activer la
métamorphose. Celui-ci a été identifié ; il s’agit de
la thyroxine, une substance appelée hormone car
elle est sécrétée en petite quantité dans le sang,
qui la véhicule jusqu’à des organes cibles, sur
lesquels elle agit. Ainsi, au cours du
développement du têtard, la glande thyroïde de
ce dernier sécrète des quantités appropriées de
thyroxine permettant d’orchestrer les
transformations nécessaires au passage de la
larve à l’adulte chez la Grenouille. Rester trop
longtemps têtard, ça vous met les glandes !
Mieux vaut têtard que
jamais !
Chez certaines Grenouilles, les œufs
fécondés ne sont pas abandonnés, mais ils
sont protégés jusqu’à la métamorphose
complète des têtards. Chez la Grenouille
australienne Rheobatrachus silus, l’animal
avale ses œufs fécondés. Les premiers
sont digérés et les produits de leur
digestion stoppent l’activité de l’estomac.
La grenouille ne se nourrit plus pendant
près de trois semaines jusqu’à la fin de la
métamorphose. Elle « accouche » alors de
petites grenouilles et les régurgite en
hoquetant. Chez Rhinoderma darwinii, ce
sont les têtards à peine éclos qui sont
avalés par le mâle qui les stocke dans ses
énormes sacs vocaux. Ils y sont abrités
jusqu’à l’achèvement de la métamorphose.
Les mâles Crapauds australiens Assa
darlingtoni abritent leurs œufs dans des
poches formées par des plis de leur peau,
alors que chez les Crapauds américains
Pipa pipa, ces poches cutanées sont
portées par les femelles. Le mâle récupère
les œufs fécondés, puis il les dépose
délicatement sur le dos de la femelle.
La Rainette marsupiale d’Amérique du Sud
est encore plus surprenante. En période de
reproduction, les femelles développent une
poche dorsale incubatrice, qui renferme
des replis richement vascularisés. Dès leur
éclosion quatre à six têtards vont y
appuyer leurs branchies, ce qui permet des
échanges respiratoires et nutritifs avec la
mère. Ainsi alimentés et protégés, ils
achèvent en toute sécurité leur
métamorphose.
Les reptiles sortent de l’œuf

Les Amphibiens, galvanisés par le taux de


dioxygène élevé de l’atmosphère du Carbonifère
eurent quelques géants qui s’imposèrent dans les
forêts de l’époque. Mais cette domination fut de
courte durée car dès – 310 millions d’années, un
nouveau groupe a émergé qui donnera les plus
grands et les plus terribles animaux que la Terre
ait portés : les reptiles. Ironiquement, c’est au sein
même des Amphibiens qu’il faut chercher leur
origine. Il semblerait que ce soit l’Hylonomus, en
grec « la souris de la forêt », qui soit le plus vieux
représentant reptilien. On peut même qualifier ce
minuscule Lézard de premier traître à son groupe,
car les nouveautés apportées par les reptiles vont
sonner le glas des premiers Tétrapodes.
Nous avons vu que les Amphibiens passent la
première partie de leur vie dans l’eau. Ils ne
peuvent donc s’éloigner longtemps de l’élément
liquide, et même les plus terrestres d’entre eux
rejoignent une fois par an la mare la plus proche
pour se reproduire. Ils restent donc tributaires de
l’eau, ce qui les a empêchés, et les empêche
encore, de coloniser les milieux trop secs.
L’arrivée des reptiles va combler cette lacune car,
parmi toutes les nouveautés qu’ils apportent,
certaines vont leur permettre de vivre dans les
déserts les plus torrides et les plus secs. Leur
secret : un œuf et une écaille révolutionnaires !
Les œufs interdits
Chez les Amphibiens, les embryons sont protégés
par des gangues, au nombre de cinq en général,
qui donnent à l’œuf un aspect gélatineux. Ces
protections sont gorgées d’eau et fonctionnent
comme des coussins protecteurs. Mais si les œufs
sont mis à l’air libre trop longtemps, lorsqu’une
mare se dessèche par exemple, les gangues se
flétrissent et l’embryon meurt. On peut observer
ce phénomène au printemps, lorsque des femelles
Amphibiens ont pondu dans des mares
temporaires qui disparaissent avant la fin de la
transformation en têtard. Les pauvres amas
d’œufs ressemblent alors à des gâteaux au
tapioca abandonnés depuis quelques jours.

C’est au Carbonifère supérieur qu’un œuf d’une


conception tout à fait nouvelle va révolutionner la
vie terrestre. Plus que la coquille, qui devait
certainement être très souple à ses débuts, c’est
une membrane qui va tout chambouler. Son nom :
l’amnios. Cela ne vous dit rien ? Vous connaissez
le liquide amniotique dans lequel baigne
l’embryon, puis le fœtus humain. Ce que vous ne
savez peut-être pas, c’est que c’est dans un œuf
que ce liquide a fait son apparition et plus
particulièrement dans un œuf reptilien.
Cela peut paraître très secondaire comme
invention, mais grâce à cette membrane appelée
amnios, l’embryon baigne dans un liquide durant
tout son développement. L’œuf peut ainsi être
pondu hors de l’eau. Les adultes n’ont plus à se
retrouver près d’une mare ou d’un ruisseau pour
se reproduire ce qui facilite grandement leurs
escapades dans de nouveaux territoires, même
très secs. Cette nouvelle acquisition marque un
tournant décisif dans l’évolution des Vertébrés et
tous les groupes apparus ensuite l’ont gardée
précieusement. Ainsi tous les reptiles, tous les
Oiseaux, tous les Mammifères et bien entendu
l’Homme, sont des Amniotes.

Figure 12-4 :
L’œuf
révolutionnaire des
Amniotes.

Nous n’avons pas tout à fait coupé les ponts avec


l’eau puisque l’amnios délimite un liquide dans
lequel baigne l’embryon. Nous nous développons
ainsi dans une sorte de mer intérieure, un
souvenir du passé… Mais pour qu’un embryon se
développe, il ne suffit pas de le faire flotter dans
l’eau, fût-elle marine. Il lui faut aussi de la
nourriture pour grandir et du dioxygène pour
respirer. Question respiration, l’œuf a résolu le
problème en créant un amnios et une coquille
perméables aux gaz respiratoires. Les échanges
s’effectuent ainsi au travers de ces membranes et
du liquide amniotique. Pour alimenter l’embryon, il
a fallu transformer quelque peu la maman afin
qu’elle puisse préparer quelques boîtes de
conserve pour ses nourrissons.
Les réserves contenues dans l’œuf portent le nom
de vitellus. Sa composition est variable mais
toujours très riche en protéines. L’embryon se
nourrit à partir de lui grâce à des vaisseaux
sanguins qui le parcourent et qui se rassemblent
en un seul vaisseau avant d’entrer en contact
avec l’abdomen de l’embryon en formation. Ce
lien unique deviendra le cordon ombilical chez les
Mammifères. Ces réserves sont fabriquées par les
ovaires de la femelle, tout en haut des voies
génitales. Elles constituent la partie centrale de
l’œuf autour de laquelle les différentes
membranes se forment au fur et à mesure qu’il
descend et se rapproche de la sortie. Ponte et
excrétion se font par un orifice commun, appelé
cloaque, qui existait déjà chez les Amphibiens. Il a
juste fallu en augmenter un peu la taille pour que
tout ce petit monde enveloppé puisse sortir.

Contrairement à ce que nous verrons chez les


Oiseaux, la plupart des reptiles actuels
abandonnent leurs œufs à leur sort. Tout au plus
montent-ils la garde près des lieux de pontes
comme certaines femelles Crocodiles. Ces œufs
laissés à l’abandon vont donner des idées à
certains chapardeurs qui vont se faire une
spécialité du pillage de nids. Face à cette issue
incertaine, le nombre d’œufs pondus par les
reptiles restera très important afin de sauvegarder
l’espèce. Il n’est pas rare par ailleurs d’observer
du cannibalisme intergénérationnel. On cultive
peu l’amour de son prochain chez les reptiles…
La mode des écailles revient
en force
Dans les anciennes classifications, le groupe des
reptiles correspondait à tous les Tétrapodes
couverts d’écailles. On y avait ainsi regroupé les
Tortues, les Lézards, les Crocodiles et les
Serpents. Cette manière de voir les choses a été
très malmenée ces derniers temps et le groupe
des reptiles a tout bonnement éclaté. Quoi qu’il en
soit, l’écaille reste une de leurs inventions qui leur
a permis de s’adapter à tous les climats et qu’il
convient donc d’étudier.
Souffler le chaud et le
froid…
Chez la plupart des Crocodiles et des
Tortues et chez quelques Lézards, le sexe
des nouveau-nés dépend de la
température d’incubation des œufs.
Généralement ceux incubés à basses
températures (22 à 27 °C) produisent un
des sexes, tandis que ceux incubés à des
températures plus élevées (plus de 30 °C)
produisent l’autre.
Ainsi chez la Tortue alligator, les œufs
incubés à une température inférieure à 22
°C (généralement ceux au fond du nid)
donnent tous naissance à des Tortues
femelles, alors que ceux incubés à une
température supérieure à 28 °C
(généralement ceux du sommet du nid)
donnent tous naissance à des mâles, et
entre 22 et 28 °C, les deux sexes naissent
mais les mâles prédominent. Parfois,
comme chez la Tortue slider, ce sont les
mâles qui naissent à basses températures,
et les femelles aux températures plus
élevées. La température agirait en faisant
varier la quantité d’hormones sexuelles,
les œstrogènes.
Cette détermination du sexe par la
température ambiante a l’avantage de
pouvoir donner naissance, comme chez
certains Crocodiles, à dix femelles pour un
seul mâle, ce qui augmente fortement les
chances de reproduction du mâle. Mais en
cas de réchauffement ou de
refroidissement climatique, l’espèce, faute
de mâle ou de femelle, serait rapidement
menacée d’extinction.
C’est d’ailleurs une des hypothèses de la
disparition des Dinosaures. Si leur sexe
dépendait, comme chez les Crocodiles ou
Tortues actuelles, de la température
ambiante (ce qui n’est pas prouvé), le
changement climatique à la fin du
Mésozoïque a pu conduire à des
populations de Dinosaures tous mâles ou,
selon les espèces, tous femelles. Ne
pouvant se reproduire, ils auraient
progressivement disparu…

Nous avons vu que les poissons aussi étaient


couverts d’écailles ainsi que quelques rares
Amphibiens. Chez eux, elles ne sont pas soudées
entre elles et sont produites par une couche
profonde de la peau, appelée derme. Chez les
reptiles, les écailles sont produites par la partie
superficielle de la peau, appelée épiderme, et sont
souvent soudées entre elles. Pour bien voir la
différence, faites l’expérience suivante. Munissez-
vous d’une Carpe et d’une Vipère et grattez-leur la
peau avec un couteau. Si les écailles partent une
par une, c’est qu’elles sont non soudées et si vous
vous faites mordre, c’est qu’elles sont soudées.
Plus sérieusement, la soudure des écailles chez
des reptiles oblige un certain nombre d’entre eux
à muer, de manière régulière, tout au long de leur
vie. Chez les autres, comme les Crocodiles et les
Tortues, les écailles sont remplacées au fur et à
mesure de leur usure.
Vipère ou Couleuvre ?
En France, seules les Vipères et la
Couleuvre de Montpellier possèdent des
crochets à venin. Mais chez cette dernière
les crochets sont tellement en arrière de la
bouche qu’il faudrait enfoncer son doigt
dans sa gueule pour être mordu. En
revanche, chez les Vipères, les crochets
sont très en avant et ils forment deux
pointes creuses qui assurent une injection
efficace du venin.
Vipères comme Couleuvres sont le plus
souvent inoffensives, elles ne sont pas
agressives et préfèrent s’enfuir, si bien que
le plus souvent, vous ne les remarquez
même pas. Les morsures sont dues soit à
l’inconscience (si vous essayez d’attraper
une Vipère sans précautions), soit à la
malchance (si vous marchez ou posez les
mains sur une Vipère bien cachée). De plus
dans 50 % des cas, les morsures sont «
sèches » c’est-à-dire sans injection de
venin.
Pour les reconnaître, abandonnez le critère
de la « tête triangulaire », car la plupart
des Serpents donnent cette impression.
Chez les Couleuvres, l’œil a une pupille
bien ronde, alors qu’elle est verticale chez
les Vipères. La tête des Couleuvres porte
neuf grandes écailles aplaties et la région
entre la bouche et l’œil ne comporte
qu’une seule rangée d’écailles. Chez les
Vipères, cette région comporte deux à trois
rangées d’écailles et toute la tête est
ornée de nombreuses petites plaques.
La kératine : une molécule magique
Alors que les écailles de poissons sont constituées
de dentine et d’émail, celles des reptiles sont
faites de kératine. Cette molécule n’a pas été
inventée par eux et existait depuis longtemps.
Certains poissons primitifs sans mâchoire comme
les Myxines la produisent déjà. On la rencontre
également dans la peau des Amphibiens et les
pièces buccales de leurs têtards. La particularité
des reptiles est d’avoir généralisé sa production,
au point d’en faire la molécule incontournable de
leur épiderme.

La kératine est une protéine très résistante et


surtout imperméable. En recouvrant l’ensemble
du corps des reptiles, elle limite leur perte d’eau.
Il existe en fait deux types de kératine : une
kératine molle qui s’accumule dans les cellules et
une kératine dure qui formera les écailles. La
kératine molle est produite par des cellules
spécialisées qui progressent lentement vers la
surface. Au cours de cette ascension, la quantité
de kératine augmente jusqu’à asphyxier la cellule
et la tuer. C’est donc une cellule morte, bourrée
de kératine qui arrive en surface, en
remplacement d’une cellule perdue. C’est ce
phénomène qui se déroule dans notre propre
épiderme.
La kératine dure est produite également par des
cellules spécialisées qui meurent en se chargeant
en cette molécule. Mais celles-ci se regroupent et,
en se collant les unes aux autres, donnent des
éléments solides que l’on appelle phanères. C’est
de cette manière que se forment les écailles des
reptiles mais également les griffes, les ongles, les
poils, les becs et les plumes que nous trouverons
chez les groupes suivants.
Le remplacement des écailles perdues est assez
variable selon les reptiles. Chez les Serpents, la
mue concerne la totalité de l’épiderme, en une
seule fois. Chez les Lézards, la mue se fait par
morceaux parfois de taille importante. Chez les
Crocodiles et les Tortues, elle s’effectue par
petites touches, ce qui la rend difficile à repérer.
La kératine est un bon exemple d’une invention
ancienne peu exploitée qui, en lien avec un
changement de milieu, est devenue indispensable
à certains êtres vivants. Cette présence de
kératine en surface du corps va permettre aux
reptiles de conserver le bien le plus précieux de la
vie, l’eau. Mais les applications de cette molécule
ne s’arrêteront pas là, car elle deviendra l’élément
indispensable au vol des Oiseaux et une
protection thermique efficace des Mammifères.
Mais il est difficile d’imaginer que les écailles des
reptiles se transformeraient un jour en poils et en
plumes. Ce fut pourtant le cas (voir chapitre 13).
Le troisième œil…
Les Tuataras ou Sphénodons sont des
reptiles que l’on peut rencontrer
uniquement sur de petites îles de
Nouvelle-Zélande. Ce ne sont ni des
Crocodiles, ni des Serpents, ni des Tortues,
et bien qu’ils ressemblent à un Iguane
hirsute, d’où leur nom, car en maori
tuatara signifie « dos épineux », ce ne sont
pas non plus des Lézards (voir figure H du
cahier central).
Contrairement à ceux-ci, ils n’ont pas de
tympan et le mâle n’a pas de pénis. Ils se
reproduisent en accolant leur cloaque,
comme les Oiseaux et probablement les
Dinosaures. En revanche, ils possèdent au
milieu du front, un troisième œil de 5
millimètres de diamètre. C’est un œil
complet avec une cornée, une rétine et un
nerf optique. Bien que les écailles qui le
recouvrent s’opacifient avec l’âge, il
pourrait apporter à l’animal une sensibilité
à la lumière et à la température.
Les Tuataras sont les Vertébrés à sang froid
qui ont le moins besoin de chaleur, leur
température préférée est de 12 °C et ils
peuvent rester actifs jusqu’à 7 °C, alors
que dans ces conditions leurs cousins
reptiles rentrent en totale hibernation ou
meurent. Cette faculté est due à leur
métabolisme extrêmement lent, qui en
contrepartie ralentit leur croissance. Ainsi
ils n’atteignent leur maturité sexuelle qu’à
20 ans, grandissent jusqu’à 50 ans et
peuvent vivre plus de cent ans… Bon pied,
bon œil !
Les Dinosaures : un règne
sans partage
Il est impossible de quitter le monde des reptiles
sans parler d’un groupe dont le nom évoque à lui
seul tous les superlatifs. Les plus grands, les plus
gros, les plus dangereux de tous les animaux
ayant vécu sur Terre. Il s’agit bien entendu des
Dinosaures.
Des Dinosaures chez les reptiles

Mais attention, de nombreuses espèces sont


souvent rangées à tort dans ce groupe. Ainsi, les
formes marines comme les Ichtyosaures,
Plésiosaures ou Mosasaures n’en sont pas ainsi
que les Ptérosaures qui occupaient le ciel. On
entend encore trop souvent parler de Dinosaures
aquatiques ou Dinosaures volants. À cette époque
tous les Dinosaures sont des reptiles mais tous les
reptiles ne sont pas des Dinosaures.
Ce qui caractérise un Dinosaure, c’est sa capacité
à marcher ou courir avec facilité en raison de ses
membres maintenus dans le plan vertical, sous le
corps. Chez les autres reptiles primitifs, les
membres sont écartés du corps, ce qui ne leur
permet pas de soulever facilement leur poids au-
dessus du sol. Grâce à leur architecture, les
Dinosaures vont pouvoir atteindre des tailles
colossales tout en restant terrestres. Certains vont
même se spécialiser dans la course sur les pattes
postérieures et atteindre des vitesses estimées à
plus de 40 kilomètres-heure. Difficile dans ces
conditions de leur échapper.

Les reptiles regroupent, dans le langage courant,


tous des Vertébrés tétrapodes, Amniotes, à peau
sèche et écailleuse, qui se déplacent plus ou
moins par reptation. Même si tous ces reptiles
présentent de nombreux caractères communs, ce
groupe n’a pas de valeur systématique (de
classification) car il associe des animaux éloignés
les uns des autres. Tous les animaux que nous
regroupons sous le nom de reptiles, n’ont pas le
même ancêtre commun exclusif, à partir duquel
ils auraient évolué. Les spécialistes disent que les
reptiles constituent un groupe paraphylétique
(comme les algues – voir chapitre 8 – ou les
poissons – voir chapitre 9). De plus, si tous les
reptiles actuels ont leur température corporelle
variable (ils sont hétérothermes), ce n’était pas le
cas de certains reptiles du passé
(voir figure H du cahier central).

Contrairement à une idée reçue, les Dinosaures ne


sont pas les premiers reptiles à avoir foulé le sol
de notre planète. Ils n’apparaissent véritablement
que vers – 230 millions d’années, soit 80 millions
d’années après l’apparition du premier Amniote.
Leur développement considérable à la surface du
globe s’accompagne de la disparition de
pratiquement tous les autres reptiles.
Pendant de nombreuses années, on a supposé
que les Dinosaures s’étaient imposés grâce à des
caractéristiques qui les rendaient supérieurs aux
autres groupes reptiliens. Mais depuis peu, un
certain nombre d’observations remettent en
question cette théorie. Il semble que les
Dinosaures aient eu beaucoup de chance et que
leur règne se soit établi grâce à l’extinction des
autres groupes. Ce seraient donc des
opportunistes. Mais gardons-nous d’éventuelles
remarques car les Mammifères en feront tout
autant.
Des études récentes montrent que les Dinosaures
seraient tous issus d’un ancêtre commun, un petit
prédateur marchant sur ses deux pattes
postérieures et donc qualifié de bipède. Cet être
insignifiant va être à l’origine du règne le plus
hégémonique que la vie animale ait eu à subir
durant près de 160 millions d’années, jusqu’à ce
qu’un ensemble de catastrophes naturelles
débarrasse la Terre de ces monstres.
Les premiers et les derniers Dinos
Les reptiles, et tout particulièrement les
Dinosaures ont dominé le monde animal pendant
plus de 160 millions d’années. Que ce soit sur
terre, dans l’air ou dans l’eau, des reptiles
carnivores de grande taille décimaient tout être
vivant qui avait eu la mauvaise idée d’être assez
gros pour les intéresser et pas assez rapide pour
leur échapper. L’ère secondaire fut une période
terrible pour tout ce qui ne possédait pas
d’écailles, et même pour ceux qui en possédaient,
car la compétition est rude dans un univers de
terreur. Ce n’est pas pour rien que le mot
Dinosaure vient du grec deinos, terrible, et sauros,
lézard !
Un monde où chacun peut devenir la proie de
l’autre peut engendrer la démesure. C’est ainsi
qu’au Jurassique, une période mondialement
connue grâce à Steven Spielberg, des Dinosaures
herbivores vont atteindre des tailles colossales.
Tout le monde a déjà entendu parler du
Diplodocus dont la taille avoisinait les 35 mètres
et le poids les 16 tonnes. Mais il semble bien fluet
à côté d’un Amphicoelias de 60 mètres de long, 8
mètres de haut et 110 tonnes. Face à ces masses
colossales de bifteck ambulant, les carnivores ont
également suivi la tendance avec l’Allosaurus de
13 mètres de long, 5 mètres de haut et de 2
tonnes.
Les herbosaures
Les premiers Dinosaures ont vécu dans un
univers végétal très différent d’aujourd’hui.
En effet, les paysages du Trias et du
Jurassique étaient dominés par les
fougères, les Cycas et les Conifères.
L’herbe, telle que nous la connaissons,
n’existait pas encore. Les Dinosaures
étaient donc des phytophages, ou «
mangeurs de plantes », mais pas encore
des herbivores.
À la fin du Crétacé, la végétation a pris une
apparence plus familière, avec l’apparition
des plantes à fleurs. Depuis la découverte
en 2005, dans des excréments fossilisés de
Dinosaures, de restes de Graminées, on
pense qu’il y a environ 70 millions
d’années, ils broutaient, en plus des
Fougères et des Palmiers, de l’herbe
proche de celle de nos prairies.
Les premiers Dinosaures mangeaient le
feuillage de la cyme des végétaux. En
revanche, leurs successeurs étaient plutôt
des brouteurs, arasant tout au ras du sol.
On sait que les Bisons peuvent modifier le
paysage, en faisant reculer la forêt au
profit de la prairie. De la même manière,
les gros Dinosaures herbivores de la fin du
Crétacé ont pu aider les plantes à fleurs à
coloniser la planète, car les plantes sans
fleurs se régénèrent beaucoup moins vite
qu’elles.
Mais les plantes à fleurs sont riches en
composés répulsifs et parfois toxiques pour
les herbivores, comme les tanins et le
cyanure. Or les reptiles herbivores actuels
repèrent beaucoup moins efficacement ces
composés que les Mammifères. Si les
Dinosaures avaient la même faiblesse, les
herbes que les Dinosaures ont favorisées
les auraient petit à petit empoisonnés.
Mais ce n’est là qu’une cause de plus à
leur disparition.
Des pattes aux œufs

Situons les événements majeurs de ce chapitre


sur l’horloge de la vie (voir figure C du cahier
central) :

11h00 : Apparition des premiers


Tétrapodes.
11h05 : Apparition et diversification des
Amphibiens.
11h10 : Apparition des premiers
Tétrapodes amniotes : invention de l’œuf.
11h19 : Apparition et diversification des
Dinosaures.
11h20 : Apparition des Amphibiens
modernes : Anoures, Urodèles et Cécilies.
11h24 : Apparition et diversification des
Tortues.
11h26 : Apparition et diversification des
Crocodiliens : Crocodiles, Caïmans,
Alligators et Gavials.
11h35 : Apparition et diversification des
Squamates : Serpents et Lézards (Iguanes,
Caméléons, Varans, etc.) et des Tuataras.

La sortie des eaux des Vertébrés s’est


accompagnée d’innovations dont nous profitons
encore des centaines de millions d’années plus
tard. L’histoire de ces premiers explorateurs nous
montre une nouvelle fois que la vie évolue
souvent en détournant de leur utilisation première
des éléments préexistants. Ainsi, les pattes des
Tétrapodes étaient au départ des nageoires
allongées, les poumons un organe de l’équilibre,
la kératine une molécule peu utilisée, etc.
L’apparition des reptiles, et plus particulièrement
des Dinosaures, a réduit les Amphibiens au
silence, notamment avec l’invention de l’œuf.
Mais durant tout leur règne, un petit groupe de
reptiles s’est lentement transformé et a su
attendre patiemment son heure de gloire. On peut
même lui décerner le titre de champion de la
patience car son attente a duré 160 millions
d’années. Son nom : les Mammifères et son
histoire est en partie la nôtre.
Chapitre 13

Des êtres à poils et à


plumes
Dans ce chapitre :
La disparition des Dinosaures, ou
presque…
L’ère des Mammifères
L’apparition et la diversification des
Oiseaux

« Si un dinosaure peut éventuellement devenir un oiseau-


mouche,
alors tous les espoirs sont permis. »
Ronald Wright

Durant toute l’ère secondaire, aucun autre groupe


n’a pu émerger, tant la pression exercée par les
Dinosaures était grande. Il aura fallu attendre 65
millions d’années pour que leur fin tragique libère
enfin de leur carcan des êtres dont la devise fut
durant des dizaines de millions d’années : « Pour
vivre heureux, vivons cachés. »
C’est ainsi que l’ère tertiaire sera celle des
Mammifères et des Oiseaux. L’écaille a été
l’emblème de l’ère secondaire. Le poil et la plume
seront les emblèmes de cette nouvelle ère.
Une météorite méritée ?

On entend très souvent dire que les Mammifères


sont apparus après les Dinosaures. Il n’y a rien de
plus faux, car non seulement les Mammifères
étaient présents durant tout le règne de ces
reptiles, mais leur origine remonte bien avant
l’apogée de ce groupe.
Peu de temps après l’apparition des premiers
Amniotes, deux groupes de reptiles sont apparus
(voir figure H du cahier central) :

Les Sauropsidés, qui donneront nos


Tortues, Lézards, Serpents et Crocodiles et
Oiseaux (faussement considérés comme les
seuls survivants du groupe des Dinosaures)
;
Les Synapsides, anciennement qualifiés
de reptiles mammaliens. Mammaliens ?
Certains reptiles avaient donc des mamelles
? Eh oui, aussi étrange que cela puisse
paraître, il fut un temps où certains reptiles
possédaient ce qui est actuellement une
propriété privée des Mammifères. On
imagine mal une maman Crocodile donner
la tétée à ses rejetons.

Ces reptiles Mammaliens furent en compétition


avec les premiers Dinosaures et, bien que
semblant mieux adaptés pour remporter la
bataille, ils disparurent au début de l’ère
secondaire, laissant le champ libre à ces futurs
géants. Un des animaux les plus connus de ce
groupe est certainement le Dimétrodon, que l’on
prend fréquemment pour un Dinosaure. C’était un
animal puissant de 3,5 mètres de long et pouvant
atteindre 250 kilos. Vous l’avez certainement déjà
vu représenté, avec son immense voile dorsale
dont le rôle est encore incertain. Son nom signifie
« deux tailles de dents » car cet animal possédait
sur le devant des dents longues et pointues lui
permettant de transpercer et dilacérer, et des
petites dents sur l’arrière, qu’il utilisait pour
mastiquer. C’est une caractéristique qui le
distingue des Dinosaures. Ce terrible carnivore a
disparu vers – 265 millions d’années. Il est parfois
dangereux d’avancer toutes voiles dehors.

Figure 13-1 : Le
Dimétrodon n’était
pas un Dinosaure.
Les derniers reptiles mammaliens ont disparu à la
fin du Trias, il y a – 210 millions d’années. Mais
pour quelques auteurs, il ne s’agit pas d’une
véritable disparition car certains d’entre eux se
sont transformés en Mammifères.
Quand les Dinosaures ne sont
plus…
Les premiers Mammifères véritables étaient de la
taille d’une Souris. Il s’agissait de Mammifères
marsupiaux et d’Insectivores. Ils apparurent à peu
près en même temps que les Dinosaures, mais
furent obligés de rester dans leur ombre pendant
140 millions d’années. Ils vivaient la plupart du
temps dans des terriers et ne sortaient que la
nuit, quand les monstres dormaient. Difficile
d’évoluer dans ces conditions. Ils auraient
certainement conservé longtemps ce mode de vie
et cet aspect, si la chance ne leur avait souri, sous
la forme d’une crise biologique majeure.

L’étude des traces laissées dans les roches datées


de – 65 millions d’années montre clairement qu’un
épisode volcanique de grande ampleur a
bouleversé les climats mondiaux et mis à rude
épreuve les êtres vivants durant des dizaines de
milliers d’années. Certains Dinosaures plus
résistants que les autres auraient survécu si un
autre phénomène, beaucoup plus soudain, n’était
venu leur donner le coup de grâce. Il s’agit d’une
météorite estimée à 10 kilomètres de diamètre
qui s’est écrasée au nord de la péninsule du
Yucatán, plus précisément à Chicxulub, au
Mexique. Le cratère de 180 kilomètres de
diamètre laisse penser que la puissance du choc
équivalait à plusieurs milliards de fois celle d’une
bombe atomique.
À l’aide d’ordinateurs, les scientifiques ont pu
modéliser les conséquences d’un tel cataclysme.
Après l’onde de choc, la pluie de débris
incandescents met le feu aux forêts. Les quantités
importantes de poussières propulsées dans
l’atmosphère plongent la Terre dans l’obscurité. La
photosynthèse ne peut plus avoir lieu, privant les
chaînes alimentaires de leur premier maillon : les
plantes. Très rapidement s’installe la famine, puis
la mort.
Cette crise marque les esprits car tous les
Dinosaures y ont trouvé la mort. Mais en
définitive, ce sont environ 80 % des espèces
animales et végétales qui ont disparu à la fin de
l’ère secondaire. Parmi elles, citons les
Ammonites, des animaux marins de la famille des
Céphalopodes dont nous trouvons d’innombrables
fossiles dans le monde entier. C’était un groupe
très florissant qui occupait toutes les mers de l’ère
secondaire. Rien ne semblait pouvoir les faire
disparaître, et pourtant… Cela devrait nous
amener à réfléchir sur notre propre existence.
The Big Five !
La crise de la fin du Crétacé, ou crise K-T,
marque les esprits par la disparition totale
des Dinosaures, mais elle n’arrive qu’en
quatrième ou cinquième position dans le
hit-parade des crises biologiques. Mais
qu’appelle-t-on crise ? C’est une période
de l’histoire de la vie où 75 % des espèces
disparaissent simultanément en un temps
relativement court, 2 à 3 millions
d’années. Cette définition arbitraire, mais
acceptée par tous, permet de dégager cinq
grandes crises depuis le début de l’ère
primaire (voir figure C du cahier central).
Cependant, il ne faut pas oublier qu’une
multitude de « mini » crises ont eu lieu,
mais elles n’ont touché que certains
groupes d’êtres vivants ou des milieux de
vie particuliers.
La plus grande extinction qu’ait connue la
Terre est celle qui marque la limite entre le
Permien et le Trias, il y a environ 250
millions d’années. Ses causes sont
multiples et encore beaucoup discutées,
des éruptions volcaniques massives en
Sibérie et/ou un changement climatique
et/ou une baisse généralisée du niveau des
océans et/ou la collision d’une météorite
au large de l’Australie, dans l’océan Indien.
L’évolution de la vie n’a donc pas été
régulière au cours des temps géologiques.
Il y a des phases de diversification (comme
durant le Cambrien-Ordovicien ou
Jurassique-Crétacé) où le nombre
d’espèces qui apparaissent est supérieur
au nombre d’espèces qui disparaissent. On
observe aussi des phases de stabilité
(Carbonifère-Permien) avec un équilibre
entre apparition et disparition. Ces phases
sont entrecoupées de cinq crises
biologiques où le nombre d’espèces
disparaissant est bien supérieur à leur
renouvellement.
… les Souris dansent
Le groupe des Mammifères a également été
secoué par cette crise biologique et de
nombreuses espèces ont disparu. Mais grâce à
leur petite taille, leur sang chaud, leurs mœurs
nocturnes, leur vie dans des terriers et leur
habitude de se contenter des miettes laissées par
leurs terribles voisins, certains d’entre eux refirent
surface après l’apocalypse.
Une planète entière s’offrait à eux. Quel cadeau !
Ils partirent dare-dare à sa conquête, et en
quelques millions d’années, occupèrent tous les
milieux abandonnés précipitamment par les
Dinosaures. Les spécialistes utilisent plutôt
l’expression de niches écologiques laissées
vacantes. Rassurez-vous, ce terme ne signifie pas
que leur seul centre d’intérêt est leur chien, mais
par niche écologique il faut entendre un espace
occupé par une espèce. Cet espace comprend son
lieu de vie ainsi que son rôle dans la nature. Par
exemple la niche écologique du Tyrannosaure,
grand prédateur de la fin du Crétacé, est occupée
actuellement par le Lion dans les savanes
africaines.
Cette reconquête, ou radiation des Mammifères,
les a conduits dans pratiquement tous les milieux
terrestres. Certains vont même retourner dans
l’élément originel, l’eau, et donner des monstres
marins dont la taille n’a rien à envier à celle des
plus gros Dinosaures. La conquête du milieu
aérien leur sera interdite par la montée en
puissance des Oiseaux, dont nous reparlerons. Il y
aura néanmoins un groupe, celui des Chauve-
souris, qui tentera l’expérience mais devra surtout
vivre la nuit, pour ne pas risquer de déranger ses
voisins plumeux.
Au sol, l’ère tertiaire va devenir l’ère des
Mammifères. La vie n’hésite pas à quitter son
manteau d’écailles pour se retrouver… à poils.
Quelle impudeur !
Avec les Mammifères, les mamelles,
c’est aux poils !
Durant le règne des Dinosaures, les trois groupes
de Mammifères actuels existaient déjà : les
Marsupiaux et leur pochette-surprise, les
Placentaires très nombrilistes et les Monotrèmes
aux mœurs incertaines. La crise de la fin du
Crétacé a surtout été fatale à bon nombre de
Marsupiaux ; les Placentaires s’en sortirent un peu
mieux et on dénombre actuellement environ 4
000 espèces de Mammifères placentaires pour
seulement 270 de Marsupiaux. Quant aux
Monotrèmes, ils ne comptent plus que deux
familles : des Canards à fourrure, les
Ornithorynques, et des Hérissons qui pondent des
œufs, les Échidnés.
Avec les Marsupiaux, l’affaire
est dans la poche
Nous connaissons tous la poche des Kangourous
et a fortiori de tous les Marsupiaux. Mais pourquoi
la nature a-t-elle privé les Mammifères
placentaires d’un tel ustensile, au demeurant bien
utile pour transporter sa progéniture ?
Tout simplement car les femelles de ce groupe
gardent leurs petits dans leurs voies génitales
jusqu’à la fin de leur développement. Il est vrai
que maman Kangourou n’est pas très
sympathique avec sa progéniture. Elle l’oblige à
quitter son utérus à l’état d’embryon ; on pourrait
même dire à l’état larvaire, tant l’aspect de cette
minuscule bestiole rosâtre est loin de faire penser
au Kangourou adulte. Avec ses 2 centimètres de
long pour un poids de 1 gramme, il ne semble
absolument pas bâti pour affronter le monde.
C’est la raison pour laquelle il doit atteindre la
poche marsupiale, ou marsupium, très
rapidement. La femelle l’aide en lui traçant un
chemin baveux au milieu de sa pilosité. Une fois
dans la poche, l’embryon découvre une mamelle
et s’y accroche. Il tétera durant tout le reste de
son développement jusqu’à ce qu’il soit capable
de se nourrir seul. Le développement des petits
Marsupiaux se déroule ainsi en deux parties : une
première très courte au sein des voies génitales et
une seconde beaucoup plus longue au sein de la
poche. Il est intéressant de noter que le jeune
Kangourou tète pendant environ un an, donc
même après avoir quitté la demeure maternelle.
Si la maman a des mamelles à mamelons, c’est
un Mammifère !

Les Mammifères marsupiaux supportent


difficilement la concurrence des Mammifères
placentaires. Ainsi, lorsque l’Australie s’est
séparée du reste des continents, il y a environ 70
millions d’années, les Mammifères qui la
peuplaient n’étaient que des Marsupiaux. Ceux-ci
s’étaient diversifiés et occupaient des niches
écologiques semblables à celles qu’occupent les
Mammifères placentaires. On a ainsi décrit des
Loups marsupiaux, des Souris marsupiales, des
Chats marsupiaux, etc.
Lorsque les premiers colons débarquèrent, ils
amenèrent avec eux de nombreux Mammifères
placentaires, comme des Chèvres, des Lapins, des
Moutons, des Chats, des Chiens, et,
involontairement, des Rats. Très rapidement, ces
nouveaux venus se multiplièrent et prirent le
dessus sur les Marsupiaux autochtones,
provoquant la disparition de nombreuses espèces.
C’est ce qui s’est certainement produit sur tous
les autres continents il y a plusieurs dizaines de
millions d’années, lorsque les Mammifères
placentaires colonisèrent l’ensemble des terres
émergées. Ils décimèrent lentement le groupe
déjà restreint des Marsupiaux.
En dehors de l’Australie, les Marsupiaux ne sont
présents qu’en Océanie, Amérique du Sud,
Amérique centrale et Amérique du Nord. Le
nombre d’espèces y est chaque fois très restreint.
Seul l’Opossum a vraiment su se faire sa place au
soleil. Son secret ? Ne pas jouer la difficile
question nourriture et faire jusqu’à 21 petits par
portée, une à trois fois par an. C’est fatigant mais
le succès est à ce prix !
Docteur ès Eucalyptus
!
Le célèbre Koala, symbole de l’Australie,
est avant tout un Marsupial. Son nom
scientifique, Phascolarctos cinereus signifie
« ours à poche de couleur de cendre », car
ses petites oreilles rondes bordées de
longs poils et son pelage gris et soyeux lui
donnent une allure d’ours en peluche, et
comme ses cousins les Kangourous, les
femelles accueillent les jeunes dans leur
poche ventrale.
Il vit dans les forêts d’Eucalyptus car il se
nourrit exclusivement de leurs feuilles.
Cela peut étonner car ces feuilles
renferment des composés toxiques pour
tous les autres herbivores. Mais l’intestin
du Koala résiste parfaitement à ces toxines
et il ne se nourrit que de 30 des 600
espèces d’Eucalyptus australiennes. Il ne
mange que des feuilles âgées d’environ
une année, car si elles sont trop jeunes,
elles n’ont aucune valeur nutritive, et si
elles sont trop vieilles, elles contiennent de
l’acide cyanhydrique toxique même pour
un Koala.
Le Koala détermine l’âge d’une feuille
d’Eucalyptus à l’odeur et il en mange 600
grammes chaque jour. Ces feuilles sont
peu énergétiques car elles contiennent
plus de 50 % d’eau, c’est pourquoi le Koala
passe vingt heures par jour à dormir et le
reste de sa journée à manger… Mais elles
lui apportent toute son eau. Le Koala ne
boit quasiment jamais, d’où son nom qui
signifie dans la langue des Aborigènes «
qui ne boit pas ».
Les Eucalyptus empêchent les autres
plantes de pousser. Les autres herbivores
doivent donc partir pour se nourrir et leurs
prédateurs suivent. Le Koala est donc à
l’abri, même s’il a tout de même quelques
ennemis : certains Oiseaux et les Chiens
sauvages d’Australie, les Dingos. Ils
s’attaquent généralement aux Koalas âgés
ou malades. Son plus grand prédateur a
été longtemps l’Homme, qui le tuait pour
sa fourrure. Heureusement, il est
maintenant protégé.
Les Placentaires se regardent
le nombril
Qu’est-ce qui rend les Mammifères placentaires
plus compétitifs que les Marsupiaux ? Il semble
que ce soit le développement complet du bébé au
sein de la mère. En effet, chez la majorité des
Mammifères actuels, les petits ne sortent du
ventre de la mère qu’une fois formés, c’est-à-dire
ayant déjà acquis une certaine autonomie.
Oublions l’Homme, chez qui les joies du
pouponnage se transforment rapidement en
labeurs, et pensons aux poulains par exemple.
Dès la naissance, ils sont capables de se tenir sur
leurs pattes et galopent peu de temps après. On
est loin de la larve dénudée du Marsupial tout
juste capable de se fixer à une mamelle par la
bouche.
Pour en arriver là, les Mammifères placentaires
ont développé un organe permettant de mettre en
relation la mère et le fœtus durant toute la
gestation : le placenta.
Le petit sait se faire
attendre
Le temps de gestation est la période
durant laquelle la femelle des Mammifères
placentaires porte son ou ses petits dans
son utérus. Cette période est donc
comprise entre le moment où l’œuf
s’implante dans la paroi utérine, ou
nidation, et la mise bas ou parturition. La
femelle en gestation est dite gravide, et
chez l’Homme on parle plutôt de
grossesse, ou de femme enceinte, et non
pas de parturition, mais d’accouchement.
La durée de la gestation est très variable
selon les espèces de Placentaires. Elle est
de 15 à 20 jours chez les Souris, les Rats et
les Hamsters, 30 jours chez les Lapins, 42
jours chez les Furets, 65 jours chez les
Chats, 72 jours chez les Cochons d’Inde,
115 jours (3 mois, 3 semaines et 3 jours)
chez les Cochons, 150 jours (5 mois)
chez les Brebis et les Chèvres, 227 jours
chez les Chimpanzés, 257 jours chez les
Gorilles, 266 jours (un peu moins de 9
mois) chez la Femme, 280 jours chez les
Vaches, 336 jours (11 mois) chez les
Chevaux, 365 jours (1 an) chez les Ânes
comme les Dauphins, 450 jours (15 mois)
chez le Cachalot et 645 jours (22 mois)
chez les Éléphants.
La durée de gestation est d’autant plus
longue que l’animal est de grande taille,
mais le degré de développement du jeune
à la naissance intervient aussi. Par
exemple les jeunes Lapins naissent nus et
aveugles après 30 jours de gestation, alors
que les petits Lièvres, couverts de poils et
à l’œil ouvert, ont une gestation qui se
prolonge pendant 40 jours.

Étymologiquement, le nom de placenta signifie


galette, gâteau. Rassurez-vous, ce n’est pas en
raison d’une ancienne coutume qui voulait qu’il
soit consommé après la naissance. Beurk ! C’est
tout simplement en raison de sa forme ronde et
plate. Le placenta est fabriqué conjointement par
la mère et par le fœtus. Il constitue une barrière
qui permet des échanges entre le sang de la mère
et celui du fœtus sans qu’il y ait contact entre les
deux. Il assure ainsi la respiration, la nutrition et la
protection du fœtus.
Le fœtus est associé au placenta par le cordon
ombilical. Celui-ci n’est qu’un simple tuyau dans
lequel passent des vaisseaux sanguins assurant
les transferts entre le fœtus et le placenta. C’est
ce conduit qui sera sectionné à la naissance et qui
donnera le nombril. Cette cicatrice située au
niveau de l’abdomen est ainsi la marque de
fabrique de tous les Mammifères placentaires. De
là à se prendre pour le nombril du monde…
On s’est cassé les
dents sur les Édentés !
Jusqu’à très récemment, le groupe des
Édentés rassemblait des Mammifères tous
très particuliers, vivant sur des continents
différents, les Fourmiliers, les Tatous, les
Pangolins, les Oryctéropes et les
Paresseux.
Les quatre premiers se nourrissent grâce à
leur longue langue gluante de Fourmis et
de Termites. Les Paresseux préfèrent les
feuilles, qu’ils mastiquent très lentement.
Ils passent leur vie suspendus aux
branches, le ventre en l’air. Ce sont les
plus lents des Mammifères, ils dépassent
rarement la vitesse de 2 mètres à la
minute et peuvent rester durant plusieurs
mois sur le même arbre.
Les Fourmiliers sont caractérisés par leur
long museau en forme de tube, leur petite
bouche sans dents abritant leur longue
langue. Les Oryctéropes sont encore plus
curieux avec leur queue de Kangourou,
leur groin et leurs oreilles de Lapin. Les
Pangolins ont le corps recouvert de larges
écailles qui forment une véritable
cuirasse. En cas de danger, ils se roulent
en boule ou ils s’enfuient en agitant leur
queue aux écailles tranchantes. Pour se
nourrir, ils s’allongent sur une fourmilière,
l’éventrent avec leurs griffes et ouvrent
leurs écailles. Les Insectes paniqués se
glissent entre leurs écailles qu’ils plaquent
violemment, le piège est refermé ! Puis ils
les ouvrent au-dessus d’une mare et ils
n’ont plus qu’à aspirer les Fourmis noyées
à la surface. Les Tatous sont aussi
recouverts d’écailles articulées. En cas de
danger, ils se roulent en boule, présentant
à l’ennemi leur carapace rigide tandis que
leur ventre est protégé.
Malgré leurs grandes différences, on les
regroupait car leurs dents sont absentes
ou très réduites et sans émail. On sait
maintenant, grâce aux analyses
moléculaires, qu’ils appartiennent tous à
des sous-groupes bien différents de
Mammifères placentaires.
Les Monotrèmes, c’est le
cloaque
L’Ornithorynque et les Échidnés sont les deux
représentants actuels des Monotrèmes. Ils doivent
ce nom, qui signifie « à un trou », au fait que
comme les reptiles et les Oiseaux, les voies
génitales, urinaires et digestives débouchent dans
un orifice unique, le cloaque.
Les Échidnés ressemblent à de gros Hérissons, car
leur petit corps compact est recouvert d’un
mélange de fourrure et de piquants, mais comme
les Marsupiaux, la plupart possèdent une poche
ventrale. Comme les reptiles, ils pondent des
œufs à coquille souple. La femelle pond
généralement un œuf unique, de la taille d’un
grain de raisin, qu’elle transfère depuis le cloaque
jusque dans sa poche. Après une vingtaine de
jours d’incubation, le jeune éclôt mais reste à
l’intérieur de la poche pendant encore huit
semaines. Il s’y nourrit en léchant le lait qui
s’écoule le long des poils entourant les glandes
mammaires, car les Échidnés ont des glandes
mammaires mais pas de mamelles. Le jeune est
alors transféré dans le terrier de la mère et cette
dernière voit sa poche ventrale disparaître.
Il n’existe actuellement que trois espèces
d’Échidnés qui se rencontrent en Australie,
Nouvelle-Guinée ou Tasmanie. Ils sont très
placides et en cas de danger, ils ont deux
stratégies. Soit ils se roulent en une boule
épineuse, soit ils creusent le sol et s’y enfoncent
jusqu’à ce que seules leurs épines dépassent.
Cela semble efficace contre la plupart des
prédateurs car ils peuvent vivre plus de cinquante
ans.
Un cœur en quatre quarts
Nous avions arrêté l’histoire du cœur à celui de la
Grenouille et de ses trois cavités difficiles à
combiner (voir chapitre 12). Il est grand temps de
la reprendre puisque nous voilà arrivés au terme
actuel de l’histoire de cet organe, le cœur des
Mammifères.
Chez les reptiles, le cœur a vu une cloison
apparaître et s’allonger lentement en séparant le
ventricule unique en deux ventricules. Ainsi, la
Tortue a encore un cœur à trois cavités alors que
celui du Crocodile est arrivé à quatre. Mais chez
celui-ci, il reste une communication entre le
ventricule droit et le ventricule gauche, ce qui
permet un léger mélange des sangs oxygéné et
désoxygéné.

C’est avec les Oiseaux et les Mammifères que le


cœur se cloisonne totalement au niveau des
ventricules. On a ainsi un demi-cœur droit et un
demi-cœur gauche formés chacun d’une oreillette
et d’un ventricule. Le demi-cœur droit reçoit le
sang désoxygéné en provenance des organes et le
propulse vers les poumons. Le sang revient des
poumons, bien oxygéné, vers le demi-cœur
gauche, qui le propulse vers les organes. Ainsi,
non seulement le sang oxygéné et le sang
désoxygéné ne se mélangent plus, mais en plus il
y a création de deux circulations bien séparées :
une petite circulation qui suit le chemin cœur →
poumons → cœur, et une grande circulation dont
le trajet est cœur → organes → cœur. Un double
anneau que le sang connaît par cœur.

Figure 13-2 : Le
cœur, la grande et
la petite circulation
des Mammifères.

Entre une oreillette et un ventricule, de même


qu’aux deux sorties du cœur, on trouve des
valves. Elles fonctionnent comme des clapets anti-
retour, c’est-à-dire qu’elles empêchent le sang de
revenir dans l’espace qu’il vient de quitter. Leur
rôle est primordial car sans elles, le sang ne
pourrait pas circuler sous pression dans les
vaisseaux. On peut se faire une idée de leur
existence tout simplement par les deux bruits que
produit le cœur des Mammifères, le fameux Poum
Tac – Poum Tac – Poum Tac…
Le premier bruit, Poum, est produit par la
fermeture des valves se trouvant entre les
oreillettes et les ventricules. Le deuxième, Tac, est
produit par la fermeture des valves se trouvant à
l’entrée des artères. Si au stéthoscope on entend
Poum Tac Schhh, c’est qu’il existe certainement
une fuite au niveau des valves. Le son est amplifié
par la cage thoracique car la pointe du cœur vient
taper entre deux côtes. Ces bruits sont donc
indissociables de l’activité cardiaque. Pour le cœur
il n’est plus question de fermer son clapet.
Les Mammifères brassent de
l’air
Nous venons de voir que cœur et poumons sont
intimement liés par la petite circulation chez les
Mammifères. Avec son cloisonnement complet, le
cœur des Mammifères est devenu un organe
performant. Mais tout ingénieur motoriste vous
dira qu’augmenter l’alimentation en essence ne
sert à rien si vous n’améliorez pas l’arrivée d’air.
Est-ce le cas des poumons des Mammifères ?
Nous avions également laissé l’histoire des
poumons à l’étape de la Grenouille, donc des
Amphibiens. Nous avions alors constaté qu’ils
ressemblaient à de simples sacs assurant assez
mal les transferts de gaz entre l’air et le sang. Une
grande majorité d’Amphibiens étaient contraints
de compléter leur respiration pulmonaire par une
respiration tégumentaire, autrement dit, par la
peau. Avec les reptiles et leur peau kératinisée,
plus question de faire des échanges gazeux au
travers des téguments. Les poumons devaient
donc devenir plus performants.
L’observation de poumons de Lézard semble
contredire cette affirmation. Ils ne présentent
encore qu’une seule cavité comme ceux de la
Grenouille. Il faut chercher chez la Tortue, puis
chez le Varan et le Caïman pour trouver des
poumons plus perfectionnés. Chez ces derniers,
en effet, de nombreuses cloisons séparent la
cavité unique des Lézards en de multiples cavités.
On passe ainsi d’un poumon unicavitaire à un
poumon multicavitaire. Parallèlement, les petits
sacs qui tapissaient le fond des poumons chez les
Amphibiens se transforment en structures
beaucoup plus plissées : les alvéoles. De
sacculaire, le poumon devient alvéolaire.
L’intérêt des alvéoles est l’augmentation
importante de la surface d’échanges gazeux. Vous
en faites régulièrement la démonstration lorsque
vous pliez une serviette pour la ranger dans un
tiroir. Vous faites en sorte qu’elle occupe un
volume plus faible, mais vous n’en modifiez pas la
surface totale. En pliant convenablement toutes
les serviettes, vous réussissez à faire tenir une
grande surface de tissu dans le volume réduit du
tiroir. Il en est de même pour les poumons
alvéolaires où chaque alvéole augmente
considérablement la surface totale d’échanges
entre l’air et le sang. Chez l’Homme par exemple,
avec ses 3 millions d’alvéoles par poumon, on
obtient une surface d’échanges d’une centaine de
mètres carrés dans un simple volume de 4 litres.
Grâce aux alvéoles, les Mammifères ne manquent
pas d’air !

Si on observe au microscope les parois des


alvéoles, on découvre des cellules particulières qui
ont fait leur apparition avec les reptiles : les
pneumocytes. Ceux-ci sont de deux types,
facilement repérables par la taille.

Les pneumocytes de type I sont des


cellules de petite taille tapissant les zones
d’échanges gazeux. Leur rôle est purement
respiratoire car c’est à travers eux que
passent le dioxygène vers le sang et le
dioxyde de carbone vers les poumons.
Les pneumocytes de type II sont de
grande taille et de forme cubique ou
arrondie. Leur rôle n’est pas respiratoire
mais ils sécrètent une substance appelée
surfactant. Ce dernier forme un film très
mince recouvrant les alvéoles pulmonaires.
Son rôle est de faciliter les échanges
gazeux en maintenant ces surfaces
humides et d’empêcher les alvéoles de se
replier sur elles-mêmes grâce à des
propriétés tensioactives. L’arrivée de ce
surfactant va de pair avec la conquête des
milieux secs, déshydratants. Une
adaptation de plus au milieu aérien.

Mais de bons échanges respiratoires nécessitent


un renouvellement régulier de l’air contenu dans
les poumons. Nous avions vu que la Grenouille
utilise pour cela son plancher buccal, ce qui n’est
pas très performant. Avec les reptiles, c’est la
cage thoracique qui va être mise en mouvement.
En effet, contrairement à une idée reçue, nos
poumons ne se gonflent pas d’eux-mêmes. Ils en
sont totalement incapables car ils ne contiennent
pas une seule fibre musculaire. Ce ne sont que
deux gros sacs à air sur le volume desquels on
peut jouer grâce aux muscles respiratoires qui
entourent la cage thoracique.
Dans un premier temps, ce seront les muscles
intercostaux qui mettront en mouvement cette
cage thoracique. Leur nom ne leur vient pas du
fait qu’ils soient doués d’une grande force, mais
parce qu’ils sont situés entre les côtes. En se
contractant, ces muscles augmentent le volume
de la cage thoracique, ce qui crée une aspiration
d’air par les voies respiratoires et ainsi un
gonflement des poumons. On trouve ce type de
structure chez les Lézards. Avec les Crocodiles et
les Mammifères, un nouveau muscle fait son
apparition : le diaphragme. Il vient se placer à la
base de la cage thoracique, entre le thorax et
l’abdomen et se substitue à la simple membrane
qui existait chez les Amphibiens et les Lézards.
L’intérêt du diaphragme, c’est qu’il s’agit d’un
muscle puissant dont la contraction crée une forte
dépression dans la cage thoracique ce qui
entraîne l’entrée d’air dans les poumons et donc
leur gonflement. Les muscles intercostaux restent
bien présents et permettent d’améliorer
l’efficacité de la respiration en augmentant encore
le volume de la cage thoracique. Faites
l’expérience sur vous-même : votre respiration
normale est à peine perceptible car votre cage
thoracique bouge peu. C’est le diaphragme qui
assure seul les mouvements. Maintenant prenez
une grande inspiration. Vous voyez votre cage
thoracique se gonfler grâce à des contractions
musculaires que vous ressentez.

L’arrivée du diaphragme a considérablement


augmenté l’efficacité des mouvements
respiratoires, ce qui permettra à certains
Mammifères de pouvoir compter sur une entrée
d’air massive afin d’accomplir des prouesses de
vitesse ou d’endurance.
Figure 13-3 : Les
mouvements de la
cage thoracique et
du diaphragme lors
de la respiration.
Comme un ballon en
cage…
Récupérez une grande bouteille de soda
vide en plastique relativement rigide et
coupez-la en deux, à 5 centimètres au-
dessus du fond. Vous pouvez jeter, dans
votre bac à recyclage, la partie inférieure
de la bouteille, car nous n’allons utiliser
que la partie supérieure.
Munissez-vous d’un tuyau en plastique
d’une vingtaine de centimètres de long et
percez le bouchon de la bouteille. Placez le
tuyau dans le trou du bouchon de telle
manière, qu’il en sorte de chaque côté.
Fermez ensuite la bouteille, en replaçant le
bouchon sur son goulot. Reliez un ballon
de baudruche à l’extrémité du tuyau qui
est dans la bouteille et attachez-le avec un
élastique. Avec de la pâte à modeler ou de
la cire, rendez hermétique le bouchon.
Fermez un second ballon de baudruche
(sans le gonfler) puis découpez-en l’autre
extrémité. Étirez ce ballon sur toute
l’ouverture de la bouteille pour former une
surface plane. Assurez la fermeture avec
un élastique.
Quand on tire sur la peau du deuxième
ballon, on observe le gonflement du ballon
à l’intérieur de la bouteille. Le ballon tendu
sur la bouteille reproduit l’effet du
diaphragme sur les poumons lorsque l’on
inspire. Quand on relâche le ballon tendu
sur la bouteille, l’air du ballon à l’intérieur
de la bouteille est expulsé, comme lorsque
l’on expire. La paroi de la bouteille mime
approximativement la cage thoracique, car
cette dernière peut changer aussi de
volume grâce aux mouvements des côtes,
lorsque vous prenez une grande inspiration
ou expiration.
Ils ont le sang chaud !
Une des particularités des Mammifères, qu’ils
partagent avec les Oiseaux, est leur capacité à
maintenir constante leur température corporelle,
indépendamment de celle du milieu extérieur. On
parle dans ce cas d’homéothermie. Nous
dépensons énormément d’énergie pour y parvenir.
Lorsqu’il fait trop froid, nous activons de
nombreux petits muscles pour libérer de la
chaleur. C’est le grand frisson ! Lorsqu’il fait trop
chaud, nous n’hésitons pas à sacrifier de grandes
quantités d’eau chaude pour nous refroidir, ce qui
nous fait bien suer.
Mais avant cela, nous faisons passer plus ou
moins de sang dans des petits vaisseaux appelés
capillaires qui serpentent juste sous notre peau.
Lorsqu’il fait froid, nous empêchons le sang d’y
passer. Notre peau blanchit. Lorsqu’il fait trop
chaud, nous gorgeons ces capillaires de sang afin
qu’ils diffusent de la chaleur à travers la peau.
Nous rougissons. Chez les animaux couverts de
poils, donc trop bien isolés, c’est par la bouche
que s’effectue l’élimination de la chaleur
corporelle. Il n’y a qu’à regarder un Chien haletant
pour s’en convaincre.

Le chef d’orchestre de toutes ces réactions habite


dans une petite structure nerveuse située à la
base du cerveau, appelée hypothalamus car il se
trouve sous le thalamus, une autre structure
cérébrale importante. C’est lui qui contient le
centre thermorégulateur qui compare à tout
moment la température qu’il enregistre à celle qui
lui est imposée et que l’on nomme valeur de
consigne. Cette valeur est quelque peu différente
d’un Mammifère à l’autre. Chez l’Homme elle est
de 37 °C, chez le Chien, entre 38,5 et 39 °C et
chez la Souris, de 36,5 °C.
Le maintien d’une température constante est un
avantage évolutif indéniable car l’activité de
l’animal ne dépend plus de la température
extérieure. Il est par exemple très facile d’attraper
un Lézard imprudent le matin de bonne heure car
son corps étant froid, ses muscles sont peu actifs.
En revanche, une Souris est difficile à capturer, du
matin au soir, quelle que soit la température
extérieure. De même, les Mammifères ne sont
plus tributaires des saisons et peuvent traverser
l’hiver, à condition bien entendu qu’ils aient de la
nourriture à leur disposition. Certains ont acquis la
capacité de faire baisser leur valeur de consigne
thermique au début de l’hiver. Leur température
chute alors lentement et de manière contrôlée.
Leur respiration et circulation ralentissent parfois
de manière importante et l’animal entre en
léthargie. C’est l’hibernation, le seul moment où
vous pouvez vous approcher d’un Ours pour le
caresser.
De sang froid ?
Les poissons et les reptiles actuels
régulent leur température corporelle en
utilisant le milieu ambiant, ce sont des
ectothermes. Les ectothermes sont
appelés animaux « à sang froid », et les
homéothermes, animaux à « sang chaud ».
Ces appellations doivent être abandonnées
car la température corporelle d’un
ectotherme peut parfois dépasser celle
d’un endotherme. Puisque les reptiles
d’aujourd’hui sont des ectothermes, était-
ce aussi le cas des Dinosaures du
Secondaire ?
Durant toute cette période, le climat était
chaud et homogène, il n’existait pas de
calotte glaciaire. C’est pourquoi on a
longtemps pensé que les Dinosaures
étaient des ectothermes. Mais si les
calottes de glace n’existaient pas, les
régions polaires connaissaient des hivers
très rigoureux. En outre, dans les années
soixante puis quatre-vingt-dix, de petits
Dinosaures polaires ont été découverts en
Alaska et en Antarctique. Pour les partisans
de l’endothermie, ces Dinosaures étaient
des endothermes pour supporter des
basses températures sur de longues
périodes. Certains d’entre eux, peut-être,
hibernaient ou pratiquaient la
thermorégulation sociale, comme des
Manchots. La découverte d’un duvet
protecteur de plumes sur des fossiles de
Dinosaures non volants renforce ces
partisans, car cette couverture
épidermique, en limitant la perte de
chaleur, favorise l’endothermie.
Les adversaires de l’endothermie font
remarquer que l’absence de glace prouve
que les hivers n’étaient pas si rigoureux, et
que ces Dinosaures polaires pouvaient,
comme les Rennes, migrer vers des
régions plus clémentes.
Si l’on coupe en rondelles un os de
Dinosaure, certaines présentent des cernes
et d’autres non. Or ces cernes sont
typiques des ectothermes. Les deux
théories sont peut-être fondées, certains
Dinosaures ont été des ectothermes et
d’autres des homéothermes…
Ils ont attrapé la grosse tête
Il est impossible de quitter les Mammifères sans
parler de leur cerveau, leur meilleur outil
d’adaptation certainement. Lorsque l’on observe
des moulages de cerveaux des différents groupes
de Vertébrés, on constate qu’au cours de
l’évolution, la taille de celui-ci n’a cessé
d’augmenter (voir figure J du cahier central).
Sa forme en limace décrite chez le poisson, se
transforme lentement en escargot de plus en plus
arrondi, de plus en plus volumineux. Chez les
Mammifères, notre escargot n’a plus de corps et
donne l’impression de rentrer lentement ses
cornes jusqu’à leur disparition complète chez les
Primates.
Mais si vous retournez ces moulages, vous
constatez que la limace du poisson est encore
partiellement présente en profondeur et fait la
jonction avec la moelle épinière. Quelle est la
partie du cerveau qui a pris suffisamment
d’embonpoint pour recouvrir toutes les autres ?
Rappelez-vous, dans le chapitre 9, lors de l’étude
du cerveau du poisson, nous avions vu qu’il fallait
garder un œil sur les hémisphères cérébraux. Ce
sont, en effet, principalement eux qui vont se
développer de manière importante lors de
l’évolution des Vertébrés. Vous pourriez dire qu’ils
étaient à l’avant du cerveau et qu’on les retrouve
désormais au-dessus et même derrière. En effet,
leur croissance s’est nécessairement
accompagnée d’une augmentation de la taille du
crâne.
Or, la tête doit être en harmonie avec le reste du
squelette ; elle doit surtout garder un certain
équilibre et ne pas trop peser sur les autres
structures. Une croissance des hémisphères
cérébraux vers l’avant aurait très rapidement
bouleversé cette harmonie. Si certains êtres s’y
sont risqués, ils ont dû acquérir une protubérance
sur l’avant de la tête qui les obligeait à la relever
constamment à l’aide de muscles puissants, à
l’image d’une casquette dont la visière serait très
lourde. Ainsi c’est vers le haut et vers l’arrière que
les hémisphères se sont développés, recouvrant
lentement toutes les autres structures cérébrales.
Mais que contiennent donc de si particulier les
hémisphères cérébraux pour que leur
développement soit synonyme d’évolution ?

Si l’on coupe transversalement le cerveau, à la


manière d’un saucisson, on voit que les
hémisphères sont très plissés et recouverts d’une
couche sombre, appelée cortex cérébral car elle
se présente comme une écorce autour du
cerveau. De nombreuses expériences montrent
que ce dernier est organisé en zones. Certaines
sont responsables du mouvement ; c’est le cortex
moteur. D’autres reçoivent des informations en
provenance des capteurs sensoriels ; c’est le
cortex sensitif. D’autres enfin font le lien entre les
deux ; c’est le cortex d’association.
Il faudrait tout un livre pour décrire le
fonctionnement de cette partie du cerveau, aussi
nous nous contenterons d’affirmer que plus le
cortex est développé, plus l’animal fait preuve
d’intelligence. Mais alors qu’est-ce que
l’intelligence ? La réponse n’est pas évidente mais
elle peut être associée à la capacité d’adaptation,
c’est-à-dire au pouvoir de faire face à toutes les
situations nouvelles. Elle s’oppose ainsi en partie
à l’activité réflexe où tout est préprogrammé et se
déroule selon une séquence prédéfinie. Disons, en
étant un poil dans la caricature, que les
hémisphères sont le siège de la pensée, les
intellectuels de la maison, et que les autres
structures du cerveau, ainsi que la moelle
épinière, contrôlent les activités vitales basiques,
les basses tâches ménagères. Ils pensent donc
j’essuie en quelque sorte !

Figure 13-4 : Le
cerveau est
organisé en zones
spécialisées (vue
côté gauche).
La plume est dans le vent
Le groupe des Oiseaux, à l’instar de celui des
Mammifères, n’explose vraiment qu’après la chute
des Dinosaures. Il faut dire que la présence dans
le ciel de Ptérosauriens géants de 15 mètres
d’envergure, ça ne donne pas vraiment des ailes.
Contrairement à une idée reçue, les Oiseaux ne
descendent pas de ces reptiles volants mais tout
semble indiquer que ce sont bien d’anciens
reptiles.

Cette théorie est très ancienne et remonte à la fin


du XIXe siècle lorsque l’on découvrit en
Allemagne, un squelette que l’on attribua dans un
premier temps à un Dinosaure avant de
s’apercevoir qu’il portait des plumes. On le
nomma Archéoptéryx car arché signifie
commencement et ptère, l’aile. La taille de ses
ailes ainsi que la forme de ses plumes montrent
qu’il était apte au vol. Il devait voler d’arbre en
arbre, sous le couvert des feuillages, à l’abri des
monstres qui hantaient le ciel il y a 150 millions
d’années. Ses mâchoires armées de petites dents
lui servant à attraper des proies de taille réduite
comme de gros Insectes. Il faut dire qu’avec ses
60 centimètres et ses 300 grammes, il n’était pas
plus gros qu’une Poule. Eh oui, il fut un temps où
les Poules avaient des dents ! L’Archéoptéryx
défraya la chronique car à cette époque on
baignait dans le mythe du chaînon manquant.
Quel bon candidat ! On échafauda même un
scénario racontant qu’un Dinosaure bipède qui
courait en battant des bras aurait acquis des ailes
et que ses écailles en s’allongeant seraient
devenues des plumes. Il aurait découvert le vol
par hasard en bondissant… En un mot, il se serait
senti pousser des ailes !

Figure 13-5 :
L’organisation
d’une plume.

Mais des découvertes récentes semblent prouver


que les Oiseaux seraient issus de petits Lézards
dont les écailles se seraient transformées
lentement en plumes. Celles-ci ne devaient avoir
qu’un rôle purement protecteur dans un premier
temps. Elles seraient ensuite devenues
ornementales par le jeu de la sélection sexuelle.
Et le vol alors ? Certains auteurs pensent que ces
Lézards sont devenus de plus en plus bipèdes à
force de courir sur leurs pattes de derrière,
comme on peut l’observer actuellement chez
certaines espèces. Leurs membres antérieurs
devenus inutiles auraient régressé, donnant aux
plumes des bras la possibilité de s’allonger sans
s’abîmer. Ainsi l’aile serait apparue chez ces petits
Lézards plumeux, dont la faible masse permettait
un décollage facile.
À tire-d’ailes
Les airs du Secondaire étaient dominés par
des reptiles ailés, les Ptérosaures. Leurs
ailes étaient formées par un repli de peau
tendu entre le membre postérieur, le corps
et le quatrième doigt hypertrophié du
membre antérieur. Leur squelette était
allégé car formé d’os creux remplis d’air.
Leur cervelet et leurs lobes optiques
étaient très développés, ils étaient donc
plutôt actifs et avaient une bonne vision.
Certains de leurs fossiles portent des
traces de poils, ce qui laisse penser qu’ils
étaient capables de réguler, au moins
partiellement, leur température corporelle.
Leur musculature limitée fait supposer que
leur vol était essentiellement plané. Ils
s’envolaient à partir du sommet d’un arbre
ou d’un relief et profitaient des courants
atmosphériques. Leur envergure était très
variable : 1 mètre chez le Ptérodactyle, 6
mètres chez le Ptéranodon et 15 mètres
pour le Quetzalcoatlus.
Le premier Vertébré volant est un reptile
plus ancien que les Ptérosaures. Il se
nomme Coelurosauravus et il a été
découvert dans les terrains du Permien,
donc datant de 250 millions d’années, en
Europe et à Madagascar. Il mesurait 60
centimètres et portait de longues ailes
membraneuses soutenues par des
baguettes osseuses, un type d’ailes unique
dans le monde animal.
D’autres Vertébrés, en dehors des Oiseaux,
volent aussi aujourd’hui. Mais leurs ailes
ne ressemblent en rien à celles de
Coelurosauravus. Certaines sont des
hypertrophies des palmures interdigitales,
comme chez la Grenouille volante
(Rhacophorus nigropalamatus) ou le Gecko
volant (Ptychozoon kuhli) ; d’autres des
côtes comme chez le Draco volant (Draco
volans) ; ou de la peau comme l’Écureuil
volant (Glaucomys volans).
Quand les Oiseaux
volaient en 4L…
On a découvert en Chine des Dinosaures
possédant quatre ailes. Leurs membres
inférieurs étaient recouverts de plumes
suffisamment importantes pour permettre
un vol plané et peut-être même un vol
battu.
Ces trouvailles ont poussé les biologistes à
réexaminer les fossiles d’Archéoptéryx. Il
semble ainsi que celui-ci portait aussi des
plumes sur ses membres postérieurs. Elles
ont pu lui permettre de voler plus
lentement en cas de besoin et d’effectuer
des virages plus serrés. Archéoptéryx
pouvait ainsi plus facilement manœuvrer
en poursuivant ses
proies, échapper à ses prédateurs et voler
à travers le branchage épais des arbres ou
des buissons. En ralentissant, il évitait plus
facilement les obstacles et atterrissait de
manière plus sûre.
Un nouveau problème se pose, à quel
moment les Oiseaux sont-ils passés de
quatre à deux ailes ? On ne le sait pas
encore, mais on pense que les ailes des
membres postérieurs ont été éliminées
afin de libérer les pattes pour d’autres
fonctions, comme la saisie des proies, la
nage ou la course.
Un air léger
La description des Oiseaux rejoint en de
nombreux points celle des Mammifères. Ce sont
ainsi des êtres vivants à sang chaud, avec un
cœur formé de quatre cavités et dont le cerveau
est d’une assez bonne taille. À ce propos, de
nombreux tests pratiqués sur différentes espèces
montrent qu’ils sont loin d’avoir une « cervelle
d’oiseau » et certains auteurs n’hésitent pas à
leur attribuer une intelligence proche de celle des
Primates.

Ce qui caractérise l’Oiseau, c’est bien entendu sa


capacité à voler. Pour cela, il a fallu qu’il
développe un certain nombre d’adaptations dont
nous allons parler. Vous avez peut-être déjà été
étonné par le poids ridicule d’un Oiseau comparé
à sa taille. Lorsque l’on regarde un Cygne
tuberculé, l’un des plus gros Oiseaux volants, on
lui attribuerait volontiers un poids d’une
quarantaine de kilos. Pourtant, il n’en pèse pas
plus de 23. Que dire alors de la femelle de l’Aigle
royal dont l’envergure est proche de celle du
Cygne et qui ne pèse que 4 à 6,5 kilos.
Ce poids plume, ils l’obtiennent grâce à des os
creux, peu épais, dans lesquels on trouve des sacs
aériens, prolongement du système respiratoire. En
fait, un Oiseau est plus proche du matelas
pneumatique que du hamburger. Tout son corps
est parcouru par un système de « tuyauterie »
acheminant de l’air dans presque toutes les
parties du corps, même les parties molles, et
jusqu’à la racine des plumes. Les poumons, de
taille modeste, forment un système de tubes
communiquant entre eux et assurant une
utilisation très efficace de l’oxygène. Alors que
chez les autres Vertébrés, les bronches
débouchent dans les poumons, chez les Oiseaux,
elles en sortent et acheminent de l’air vers les
nombreux sacs aériens disséminés dans leur
organisme. Ainsi l’Oiseau fait d’une pierre deux
coups : il allège son corps et augmente l’efficacité
de ses échanges gazeux.
Si nous restons dans le squelette, les Oiseaux ont
trouvé un moyen très efficace d’alléger leur crâne.
Nous avons vu que ce n’était pas en perdant une
partie de leur cerveau puisqu’ils sont doués d’une
certaine intelligence. Alors comment ? En
remplaçant leurs mâchoires par un bec ;
autrement dit, en remplaçant de l’os par de la
corne. Mais cette transformation a eu des
conséquences importantes car l’Oiseau ne peut
plus mâcher sa nourriture. Lors de leur prise de
bec, les Oiseaux y ont laissé les dents.
Une autre adaptation, dont vous avez pu
constater les dégâts sur la carrosserie de votre
voiture, concerne son excrétion. Chez les
Mammifères, cette fonction est assurée par les
reins qui filtrent le sang et éliminent les déchets
comme l’urée, accompagnés d’une quantité plus
ou moins importante d’eau. Les Mammifères
doivent donc toujours contenir une certaine
quantité d’eau pour se débarrasser de leurs
déchets.
L’Oiseau ne s’embarrasse pas de ce surpoids
hydrique car il rejette ses déchets sous une forme
pratiquement solide : l’acide urique. Celui-ci est
propulsé dans un orifice appelé cloaque où il est
associé aux restes de la digestion, les fèces. Le
tout est projeté hors du nid ou en vol. Tous les
propriétaires de reptiles le savent, cette fonction
leur vient directement de leur ancêtre reptilien car
Lézards et Serpents font de même et peuvent
ainsi conserver un maximum d’eau même en plein
désert. Quand on sait que la Poule utilise le
cloaque également pour pondre, ça ne donne pas
envie de consommer des œufs.
Ils en ont dans le ventre
Si vous êtes un gastronome averti, vous avez
certainement dégusté une salade de gésiers de
Volaille. C’est un plat impossible à réaliser avec du
Lapin par exemple car chez les Mammifères le
gésier n’existe pas. Il en va de même pour le
jabot. Ces deux organes sont en fait deux poches
que l’Oiseau présente dans son tube digestif. Le
jabot fait suite à l’œsophage, et le gésier fait suite
au jabot. Le jabot est une sorte de sac dans lequel
les Oiseaux stockent de la nourriture destinée la
plupart du temps à leurs poussins. Ils sont
capables de le contracter et ainsi de régurgiter
son contenu. On ne regrette pas d’avoir tété sa
mère.
Le gésier est une poche musculeuse que de
nombreux Oiseaux, notamment les granivores,
utilisent pour broyer leur nourriture, car ne
l’oublions pas, les Oiseaux ont troqué leurs
mâchoires dentées contre un bec. On y trouve
fréquemment de petits cailloux que l’Oiseau a
avalés intentionnellement afin de faciliter son
activité mécanique. Les Oiseaux ont
généralement une digestion rapide qui leur
permet d’avoir peu d’aliments dans le ventre
lorsqu’ils volent.
Il rumine !
Le jabot de l’Hoazin huppé est 50 fois plus
gros que son estomac et représente 1/3 de
son poids. Il est si encombrant, que les
muscles du vol ont régressé, si bien que
l’Hoazin vole très mal. Il passe la plupart
de son temps accroché aux branches des
arbres, dans les marécages bordant
l’Amazone et l’Orénoque. Il est appelé
Sassa en Guyane. Cet Oiseau ressemble à
une Poule, aux plumes rousses, blanches
et marron clair, avec un long cou portant
une petite tête bleue aux yeux rouges
chapeautée d’une crête hirsute.
Comme dans l’estomac d’une Vache, le
jabot de l’Hoazin abrite des colonies
bactériennes et d’autres micro-organismes
qui digèrent la cellulose des feuilles des
plantes consommées par l’Oiseau, comme
les Palétuviers. Ce jabot particulier
fonctionne donc comme le rumen des
Ruminants, c’est pourquoi on le surnomme
parfois « la vache volante ». Les bactéries
et les micro-organismes du jabot
dégradent la cellulose par fermentation en
acides gras volatils assimilables par
l’intestin grêle. Or qui dit fermentation, dit
gaz et mauvaises odeurs. Par conséquent,
l’Hoazin sent le fumier et on lui donne
aussi le petit nom « d’oiseau puant »… Ce
petit inconvénient se transforme en
avantage car il n’a pas de véritable
prédateur.
De vrais papa et maman
poules

La reproduction des Oiseaux est remarquable par


de nombreux aspects, surtout comportementaux.
La recherche du sexe opposé est souvent
accompagnée d’une parade nuptiale qui peut
prendre la forme d’une danse ou d’une offrande.
La séduction a amené les mâles de nombreuses
espèces à arborer des plumages multicolores qui
tranchent avec le plumage plus terne de la
femelle. L’exemple le plus flagrant étant celui du
Paon avec la fameuse roue du mâle pour séduire
la femelle.
La parade a aussi comme objectif de délimiter un
territoire dans lequel le couple nidifiera et devrait
trouver de la nourriture en quantité suffisante.
Au cours de l’accouplement, le mâle n’a rien d’un
don Juan car, d’une part, il est dépourvu de pénis,
et d’autre part, il ne met que quelques secondes à
faire passer ses spermatozoïdes de cloaque à
cloaque. Certainement par peur d’une nouvelle
déception, certaines femelles sont capables de
conserver les spermatozoïdes vivants pendant
une semaine à plusieurs années dans des
structures appelées tubules spermatiques. Elles
peuvent ainsi féconder elles-mêmes leurs œufs au
fur et à mesure de leur ponte et n’ont ainsi plus
besoin de se faire courtiser. Surtout quand on voit
le résultat !
Contrairement à la plupart des reptiles qui
abandonnent lâchement leurs œufs aux pillards,
les Oiseaux restent à leurs côtés, d’une part pour
les surveiller mais surtout pour les couver. En
effet, en bon homéotherme, l’embryon d’Oiseau
ne peut se développer sans chaleur. Qui plus est,
la température doit être maintenue constante
sous peine de mort. Pour se faciliter le travail, la
plupart des Oiseaux fabriquent un nid douillet
qu’ils remplissent de duvet qu’ils s’arrachent ou
qu’ils trouvent. La plupart des Oiseaux restent en
couple après la fécondation et c’est souvent à
madame que revient le rôle important de la
couvaison.
Dans de nombreuses espèces, le mâle vient
nourrir la femelle ou la relaie de temps en temps.
Parfois il y a un partage équitable des tâches. Mais
c’est après l’éclosion que les problèmes
commencent car les nouveau-nés ont
continuellement faim et doivent être surveillés. On
assiste alors à un véritable ballet des parents,
passant leur journée entière à rechercher de la
nourriture et n’hésitant pas à se passer de
manger pour le bien-être de leur progéniture.
Quelle abnégation !

Le comportement des Oiseaux est exemplaire


dans le monde animal car même si la nourriture
manque, le cannibalisme est extrêmement rare. Il
arrive fréquemment que le plus faible de la portée
soit sacrifié, une belle démonstration de sélection
naturelle.
Coucou !
Certains Oiseaux confient à une autre
espèce la charge de couver et d’élever
leurs petits, on dit qu’ils ont adopté une
stratégie de parasitisme reproducteur.
Chez la Buse variable cette stratégie est
occasionnelle, elle dépose l’un de ses œufs
dans un autre nid de Rapace. Cette
stratégie est obligatoire chez plusieurs
espèces de Coucous comme le Coucou gris
et le Coucou geai. La femelle pond le plus
souvent un seul œuf dans le nid de
l’espèce parasitée. La ponte a lieu dans un
nid qui contient déjà quelques œufs mais
dont la couvaison ne fait que commencer
et à un moment où les deux parents sont
absents. Les couleurs de l’œuf déposé sont
très ressemblantes à celles des œufs de
l’hôte et elle prend soin de détruire un œuf
du parasité. Aussitôt après l’éclosion, le
jeune Coucou, encore nu et aveugle,
expulse les autres œufs ou les poussins
déjà nés. Le plus souvent il n’est entouré
que d’œufs car la durée d’incubation des
Coucous est très courte. Le jeune Coucou
ne manque de rien, car ses parents
adoptifs sont stimulés par son bec grand
ouvert et par ses piaillements incessants.
Le comportement de tous les Oiseaux
parasites obligatoires est toujours très
perfectionné, car les comportements
imparfaits sont immédiatement
sanctionnés par l’espèce parasitée et la
reproduction du parasite est un échec.
Confrontés à la riposte de leur hôte, les
parasites améliorent en permanence leurs
stratagèmes. On parle de modèle de la
Reine rouge, car chaque espèce exerce
une pression évolutive sur l’autre dans une
fuite en avant, sans fin. Comme la course
stationnaire de la Reine rouge et d’Alice
dans le livre de Lewis Carroll De l’autre
côté du miroir (suite de Alice aux pays des
merveilles). Dans ce conte, Alice demande
à la Reine : « Reine Rouge, c’est étrange,
nous courons vite et le paysage autour de
nous ne change pas ? » Et la Reine répond
: « Nous courons pour rester à la même
place. »
Entre ciel et terre

Situons les événements majeurs de ce chapitre


sur l’horloge de la vie (voir figure C du cahier
central) :

11h28 : Apparition et diversification des


Mammifères.
11h35 : Apparition et diversification des
Oiseaux.
11h43 : Diversification des Oiseaux «
modernes ».
11h49 : Disparition des Dinosaures, ou
presque…
11h56 : Diversification maximale des
Mammifères.

La dernière grande crise biologique connue sous


le nom de crise Crétacé-Tertiaire a eu comme
principale conséquence de débarrasser la Terre de
ses monstres à écailles qui semaient la terreur.
Les Mammifères qui ont survécu à la crise
Crétacé-Tertiaire se sont rapidement diversifiés en
reprenant les nombreuses niches occupées
jusqu’à présent par les Dinosaures et autres
grands reptiles. Ils ont atteint leur diversité
maximale à la fin de l’Oligocène, il y a environ 25
millions d’années.
La diversification toucha dans un premier temps
les Mammifères carnivores. Les herbivores
évoluèrent plus lentement. Ils acquirent
progressivement des dents plates pour mâcher,
des systèmes digestifs complexes et pour
beaucoup des sabots permettant une fuite rapide.
Ainsi des groupes comme les Oiseaux et les
Mammifères, jusque-là cantonnés dans des rôles
secondaires, ont pu monter sur la grande scène et
jouer les acteurs principaux. Le monde s’est
couvert, sur terre et dans l’air, de poils et de
plumes. Parmi les poilus, certains êtres au pouce
opposable et aux gros yeux vont évoluer
lentement au sein des forêts : ce sont les Primates
et notre aventure va bientôt débuter…
Chapitre 14

Le langage des fleurs


Dans ce chapitre :
Les Conifères et autres Gymnospermes
Les plantes à fleurs, les Angiospermes

« La botanique c’est l’art de sécher les plantes entre des


feuilles
de papier et de les injurier en grec et en latin. »
Alphonse Karr
Nous avions laissé l’histoire des plantes au début
du Carbonifère où de grandes forêts de fougères
géantes s’étaient installées, servant de décor aux
premiers animaux terrestres (voir figure L du
cahier central). Ces paradis tropicaux humides ne
vont pas durer car une glaciation de grande
ampleur va décimer de nombreuses espèces,
remettant à plat l’ordre établi. Il semble que,
ironiquement, ce soient les plantes elles-mêmes
qui ont été à l’origine de cette crise.

Nous avons vu dans le chapitre 2 que la


photosynthèse consommait du dioxyde de
carbone atmosphérique, le CO2. Donc, plus les
forêts sont denses et plus il y a de CO2 soustrait à
l’atmosphère. Les conditions climatiques et
géologiques du Carbonifère ont été propices à la
formation d’un stock considérable de charbon. Le
CO2 s’est ainsi retrouvé piégé sur le long terme.
Or, tout le monde sait que le CO2 est un gaz à
effet de serre ; donc moins il y a de CO2 dans l’air
et plus il fait froid.
C’est ainsi que, durant quelques millions
d’années, notre planète est entrée dans une
phase froide avec formation de calottes glaciaires.
De nombreuses plantes de l’ère primaire n’y ont
pas résisté. En se développant de manière
exubérante, les plantes du Carbonifère ont creusé
leur tombe de leurs propres racines.
Les Gymnospermes sentent le sapin

La fin de cette période glaciaire marque le


passage à l’ère secondaire. Nous sommes à – 230
millions d’années et un nouveau chapitre s’ouvre
dans l’histoire de la végétation terrestre. Le temps
est devenu plus chaud et plus sec. Les fougères
arborescentes ont disparu et un nouveau groupe
fait son apparition : les plantes à ovules nus. Elles
ont été nommées Gymnospermes, gymnos
signifiant nu et sperma, la semence, en grec.
Ainsi, certaines plantes osent nous montrer leurs
ovules. Quel manque de pudeur !

Nous avons vu dans le chapitre 10 que la


reproduction des fougères se déroulait sur un
prothalle ou gamétophyte, sorte de plante
miniature en forme de cœur. Le nouvel individu,
ou sporophyte, issu de l’union d’un gamète mâle
et d’un gamète femelle, s’y développait
immédiatement. Certaines plantes fossiles
trouvées dans les gisements de charbon montrent
que ce mode de reproduction a été rapidement
amélioré par certaines fougères, dès le
Carbonifère. En effet, chez elles, les ovules étaient
sur les feuilles et non plus à terre, sur le prothalle.
Les gamètes mâles étaient contenus dans des
grains de pollen, eux-mêmes regroupés dans des
sacs dits polliniques. Ceux-ci étaient situés sur des
parties allongées de la plante que les scientifiques
n’ont pas hésité à appeler étamines. Tout porte à
croire que ces grains de pollen étaient déjà
acheminés par le vent ou les Insectes vers l’ovule.
Un grand pas venait d’être franchi par les plantes
: elles n’avaient plus besoin de l’eau pour leur
reproduction.
Mais leurs avancées ne s’arrêtaient pas là car, sur
les frondes fossilisées de certaines de ces
fougères évoluées, on a pu observer des formes
de graines, de véritables semences, comme nous
le verrons par la suite. Les paléobotanistes
créèrent un groupe spécialement pour elles ; celui
des Ptéridospermées, pteris signifiant fougère et
sperma, semence. Les Gymnospermes ont hérité
de ces inventions et les ont améliorées, obéissant
ainsi à la devise de leurs grands-mères : « Prenez-
en de la graine ! »
Des spermatozoïdes à la
recherche de l’ovaire
Si vous lisez des ouvrages de botanique, vous y
trouverez certainement le terme de «
Gymnospermes vraies ». Y aurait-il de fausses
Gymnospermes, des contrefaçons ? Ce terme peut
en effet porter à confusion, mais il est utilisé pour
marquer le fait que certaines plantes classées
dans les Gymnospermes, bien que n’ayant pas
tous les attributs de ce groupe, s’en rapprochent.
Ces plantes permettent de comprendre la
transition entre les Ptéridospermées et les
Gymnospermes vraies, entre les fougères à
graines et les Conifères.
Certaines ont des allures très exotiques et sont
souvent vendues dans les jardineries avec les
Palmiers, ce sont les Cycadales. Bien qu’ils soient
le second groupe en nombre d’espèces des
Gymnospermes actuels, on a parfois du mal à les
ranger avec les Pins ou les Sapins. En effet, ils
ressemblent davantage à des fougères
arborescentes ou à des Palmiers. La plupart
d’entre elles mesurent plusieurs mètres, mais
celles que vous trouvez dans les jardineries, les
Cycas, ont une croissance extrêmement lente et
dépassent rarement 1 mètre malgré la présence
dans leur tronc d’un cambium. Leurs racines
renferment quant à elles des Cyanobactéries qui
les aident à fixer l’azote. D’autres sont des arbres
de grande taille pouvant vivre plusieurs milliers
d’années. Ils sont connus sous le nom d’arbres
aux quarante écus en référence au prix payé par
un botaniste français pour se les procurer, ou
d’arbres aux mille écus car leur feuillage est jaune
doré en automne. Ce sont les Ginkgoales, dont la
seule espèce encore présente actuellement, le
Ginkgo, va nous servir d’exemple.
Le Ginkgo, entre Anciens et Modernes
Le Ginkgo a des feuilles bilobées, d’où son nom
scientifique de Ginkgo biloba. C’est une espèce
dioïque, c’est-à-dire que les sexes sont séparés.
Certains arbres sont 100 % mâles et d’autres, 100
% femelles. Les pieds mâles, plus élancés que les
pieds femelles, portent sur des rameaux courts de
nombreuses étamines constituées d’un axe
appelé filet et de deux sacs polliniques. Certains
auteurs n’hésitent pas à parler de fleurs mâles
pour les qualifier, mais on est encore loin de la
véritable fleur que nous verrons en deuxième
partie de ce chapitre. L’appareil reproducteur
femelle est constitué d’ovules regroupés par
paires sur des rameaux courts.

Les grains de pollen des pieds mâles sont


entraînés par le vent et tombent par hasard sur
les ovules du pied femelle. Ces derniers possèdent
à leur sommet un canal par où passent les grains
de pollen au moment de la fécondation. Leur
passage est suivi de la fermeture du canal et de la
formation d’une petite cavité remplie de liquide,
appelée chambre pollinique. Les grains de pollen
s’ouvrent alors et libèrent deux spermatozoïdes
ciliés qui nagent activement dans cette piscine de
fécondation à la recherche des gamètes femelles.
Ceux-ci, de grande taille, sont appelés oosphère,
de oon, œuf en grec, et sphère, terme qui renvoie
à leur forme. Seule leur extrémité apicale est en
contact avec la chambre pollinique car ils sont
entièrement inclus dans un tissu de réserve
appelé nucelle. Il s’agit en quelque sorte d’une
réserve alimentaire qui servira à la jeune plante
pour son développement. Dans les régions
chaudes, les ovules tombent au sol une fois la
fécondation achevée. Mais dans les régions
froides, cette chute peut avoir lieu avant même la
fécondation. Si les conditions sont favorables,
l’ovule fécondé germe immédiatement et donne
un nouvel individu.

Figure 14-1 : Le
Ginkgo biloba.
Contes et légendes
Le Ginkgo a toujours fasciné les hommes,
son nom signifierait en chinois « arbre aux
abricots d’argent » et les raisons de cette
fascination sont nombreuses. Pour
certains, l’existence de sexes séparés
évoquerait le yin et le yang. Pour d’autres,
les excroissances en forme de seins
présentes sur les vieux troncs seraient un
gage de fertilité pour ses propriétaires. La
légende du Ginkgo est amplifiée par sa
grande longévité, le plus vieux vit en Chine
et aurait plus de 3 000 ans, son étonnante
résistance au feu, et par le fait qu’il a été
la première plante à repousser à
Hiroshima, un an après la bombe.
Les dernières Ginkgoales ont disparu de
l’Europe au Pliocène, il y a 2 millions
d’années. Le Ginkgo a été réintroduit
depuis le Japon en Hollande vers 1730 puis
en Angleterre. Le premier exemplaire
français fut planté en 1778 au jardin
botanique de Montpellier où il vit encore.
Le Ginkgo a connu un très fort succès au
début du XXe siècle, auprès des jardiniers,
poètes et artistes. Ainsi ses feuilles et ses
fruits se retrouvent comme motifs de
décoration sur de nombreux vases,
meubles, vitraux et lampes en pâte de
verre des artistes de l’école de Nancy,
comme Gallet, Majorelle, Gruber ou Daum.
Ces dernières années, il connaît aussi un
franc succès en cosmétique et en
parapharmacie, sa légende n’est pas près
de s’éteindre…

C’est cette dernière partie de la reproduction qui


fait du Ginkgo un pré-Gymnosperme, car son cycle
de vie ne comporte pas de graine. En effet, pour
mériter de s’appeler graine, il faut contenir un
embryon développé et marquer une période de
vie ralentie avant de germer. Deux conditions que
ne remplit pas l’ovule fécondé de notre antique
Ginkgo. Autre caractère archaïque : les
spermatozoïdes nagent encore un peu avant la
fécondation, et même si c’est dans une piscine
privée, il faut encore de l’eau pour sa
reproduction.
Un dernier détail : si votre but n’est pas la
reproduction des Ginkgos, choisissez un pied
mâle, car les ovules ressemblant à des Mirabelles
dégagent une odeur fétide lorsqu’ils sont mûrs.
Cela leur évite d’être consommés avant que la
fécondation n’ait eu lieu. Le seul problème est que
le sexe est très difficile à déterminer lorsque
l’arbre est jeune, alors bonne chance !
Les Gymnospermes
résolument modernes

Les Ginkgoales sont apparues avant le début de


l’ère secondaire et ont connu leur apogée au Trias
puis au Jurassique. Elles ont ensuite subi un déclin
pouvant s’expliquer par la concurrence de
végétaux plus perfectionnés, notamment dans la
reproduction, avec l’arrivée d’une véritable graine.
Alors que le jeune Ginkgo doit se développer
quelles que soient les conditions du milieu
extérieur, l’embryon, protégé dans une graine,
pourra attendre tranquillement un contexte
propice à son épanouissement. Rien ne sert de
pourrir, il faut germer à temps !
Avec le groupe suivant, nous pourrions jouer au
jeu de la vérité, car tout est vrai chez eux. Leurs
organes reproducteurs sont vraiment apparents,
leurs ovules sont vraiment nus et ils fabriquent de
vraies graines embryonnées à vie ralentie. Tout
ceci fait d’eux, respectivement, des
Phanérogames, Gymnospermes, Spermaphytes.
Ne cherchez pas à retenir ces termes, ils vous
sont juste donnés pour que vous remarquiez que
dans chacun de ces mots, il y a un lien avec la
reproduction : -game pour gamète et sperm- qui
se passe de commentaire.
En effet, lorsque le médecin botaniste suédois Carl
von Linné chercha le moyen de classer les
végétaux, il se fonda sur leur système de
reproduction. Cette méthode de classification a
été conservée car elle reste très pertinente. Il ne
faut donc pas être étonné de trouver le mot «
sperme » un peu partout dans le règne végétal.
Ce n’est absolument pas la conséquence d’une
obsession scientifique.
Les Conifères sont apparus peu après les fougères
à graines. Leur nom leur vient de la présence sur
leurs branches d’organes reproducteurs de forme
généralement conique. On les appelle également
« résineux », en lien avec leurs sécrétions
épaisses et collantes. Sur la plupart des Conifères,
comme le Pin sylvestre, on trouve deux types de
cônes : des mâles, généralement de petite taille
et de couleur jaunâtre, et des femelles, plus
grands et brun verdâtre. Il s’agit donc d’une
espèce monoïque.
Avec ou sans cônes
On distingue quatre groupes de Conifères.
Le plus courant est celui des Pinacées :
Pins, Sapins, Épicéas et Mélèzes, que tout
le monde connaît. Celui des Taxacées
comme les Ifs est facilement
reconnaissable car les ovules ne se
regroupent pas en cônes mais sont
entourés d’une coupe charnue, l’arille. Sa
couleur rouge à maturité attire les Oiseaux
qui les mangent et dispersent les graines.
Mais attention, tout le reste de l’If est
toxique, le bois, l’écorce, les feuilles et les
graines.
Les Cupressacées regroupent les
Genévriers, les Thuyas, les Séquoias et les
Cyprès. Les cônes femelles du Genévrier
commun sont utilisés pour parfumer le gin
et la choucroute. Les Séquoias sont
célèbres pour leur taille. Les plus hauts
sont les Séquoias littoraux qui poussent
essentiellement en Californie et dans
l’Oregon (ouest des États-Unis). Le record
est tenu par « l’Hypérion » qui mesure
115,50 mètres de haut.
Le dernier groupe, les Araucariacées, est
beaucoup moins populaire car il est
originaire de l’hémisphère Sud, mais il est
aussi spectaculaire. Par exemple
l’Araucaria du Chili a des feuilles
triangulaires, rigides et pointues,
imbriquées les unes dans les autres qui
entourent totalement la tige et les
branches. Vous le trouverez chez nous en
jardineries sous le nom du « Désespoir du
Singe », on voit pourquoi… Tous les
Araucarias ne sont pas aussi piquants et
certains comme les Pins de Norfolk et de
Panamá sont cultivés pour leur bois
jaunâtre de très bonne qualité.
Si la plupart des Conifères ont des feuilles
persistantes, quelques-uns comme le
Mélèze, lorsqu’il vit en altitude, et le
Cyprès chauve, ont des feuilles caduques.
Ce dernier vit dans les marécages du sud-
est des États-Unis et perd ses feuilles à
chaque fin de croissance saisonnière.

Il vous est peut-être arrivé de vous promener au


printemps dans des forêts de résineux et de voir
un nuage jaune jaillir d’un arbre lors d’un coup de
vent. Il s’agit en fait de millions de grains de
pollen produits par les cônes mâles dans l’objectif
d’une éventuelle fécondation. Le sol et les plans
d’eau en sont recouverts. Tout ceci ressemble à un
immense gâchis mais c’est le seul moyen pour ces
plantes d’assurer leur pérennité. Les cônes
femelles sont constitués d’un assemblage
d’écailles portant le gamète femelle appelé ovule.
Certains grains de pollen pénètrent entre ces
écailles et entrent en contact avec les ovules.
Contrairement au Ginkgo, ils ne libèrent pas de
spermatozoïdes dans un liquide fabriqué par le
gamète femelle. Ils germent et forment un conduit
appelé tube pollinique qui s’enfonce dans l’ovule
en direction de l’oosphère. Sur les deux
spermatozoïdes contenus dans ce tube, l’un
avorte subitement et l’autre est acheminé
jusqu’au gamète femelle. Il ne voyage plus dans
l’eau et n’a plus besoin d’être cilié ou flagellé.
Avec les Gymnospermes, la reproduction des
végétaux s’est totalement affranchie du lieu
hydrique. On passe ainsi de la zoïdogamie, l’union
par l’intermédiaire d’un gamète mobile, à la
siphonogamie, l’union par l’intermédiaire d’un
tube.

Figure 14-2 : Le
cycle de vie du Pin
(*phase haploïde
du cycle).
La cellule-œuf issue de la fécondation se
transforme en une plantule appelée embryon,
entourée de réserves nutritives, protégées par
une enveloppe coriace appelée tégument.
L’ensemble subit une déshydratation poussée qui
lui permettra, d’une part de diminuer
considérablement son volume, et ainsi de se
détacher du cône femelle en passant entre les
écailles écartées, et d’autre part de faire entrer
l’embryon en vie ralentie.
C’est donc une véritable graine qui se forme chez
les Conifères. L’embryon en vie ralentie peut
attendre sagement pendant quelques mois de
bonnes conditions pour sa germination. Certaines
graines de Conifères sont consommables. C’est le
cas des pignons de Pin, qui sont en fait les graines
du Pin parasol ou Pin pinier.
Chez les Conifères l’embryon n’a qu’à casser la
graine pour se développer.
Avec les fleurs, c’est le bouquet

Les Gymnospermes connurent leur heure de gloire


au milieu de l’ère secondaire avec plus de 20 000
espèces différentes au Jurassique. Mais dès le
Crétacé, le climat chaud et sec va mettre à mal ce
groupe et de très nombreuses espèces vont
disparaître. Seuls les Conifères ont assez bien
résisté et sont devenus les principaux
Gymnospermes. Ces derniers ont également bien
traversé la crise Crétacé-Tertiaire qui a mis fin au
règne des Dinosaures. Ils auraient donc pu à
nouveau se diversifier lorsque le climat est
redevenu plus doux et plus humide.
Mais le problème est qu’entre-temps, un nouveau
groupe venait de faire son apparition, celui des
plantes à fleurs. Plus prolifique et mieux adapté, il
a très rapidement pris le dessus au lendemain de
la crise et entravé le retour des Gymnospermes.
Actuellement, on ne dénombre pas plus de 1 000
espèces de Gymnospermes mais cela ne signifie
pas qu’elles sont en voie de disparition. Bien au
contraire, la grande résistance des Conifères leur
permet de couvrir des étendues gigantesques
dans les zones de climats froids et humides, là où
leurs adversaires se gèlent la fleur.
C’est pas très Gnètes…
Certaines plantes rassemblent des
caractères d’Angiospermes et de
Gymnospermes. On les appelle les
Gnétophytes. Elles sont réparties en trois
genres : Gnetum, Welwitschia et Ephedra.
Elles portent des inflorescences, possèdent
des vaisseaux vrais et réalisent une double
fécondation comme chez les
Angiospermes. En revanche, même si leur
graine est entourée par des enveloppes,
ces dernières ne la protègent pas
entièrement.
Les Ephedra sont de petits arbustes très
ramifiés à minuscules feuilles écailleuses
qui vivent dans les dunes de Méditerranée
ou les régions arides. Les colons de l’Ouest
américain en consommaient dans une
boisson énergisante appelée « le thé
Mormon ». Aujourd’hui, on en extrait
l’éphédrine. C’est un médicament efficace
à faible dose comme décongestionnant,
mais il est toxique à haute dose et il est
utilisé pour fabriquer une drogue
dangereuse : la méthamphétamine.
Les Gnetum sont des arbustes et des
lianes tropicales aux feuilles coriaces qui
ressemblent à celles des Citronniers.
Les Gnétophytes forment donc un
ensemble hétérogène et leur position dans
l’évolution des Végétaux est encore
controversée. Certains biologistes
préféreraient ainsi séparer le groupe et
rapprocher Welwitschia des
Monocotylédones, Gnetum des
Dicotylédones et créer un groupe à part
pour Ephedra.

Il arrive parfois que le mot « fleur » soit utilisé


pour qualifier les organes reproducteurs des
Gymnospermes. Cela peut paraître étonnant mais
tout dépend de la définition qu’on applique à ce
mot. Ainsi, si l’on considère que la fleur est
l’organe reproducteur des végétaux supérieurs,
alors les Gymnospermes en produisent. Dans la
suite de ce chapitre, nous traiterons des véritables
plantes à fleurs, appelées Angiospermes, aggeion
désignant en grec l’urne ou tout récipient
susceptible de contenir de la matière et sperma,
la semence.
Amis poètes, voici le temps béni des fleurs
épanouies !
Les enfants d’Hermaphrodite
La dissection d’une fleur est un exercice que les
élèves adorent car, simple à réaliser, elle leur
révèle les secrets de cet organe reproducteur
qu’ils ont vu mille fois sans jamais en comprendre
la signification. Bien qu’il existe des milliers de
fleurs différentes, certains éléments sont
retrouvés dans une grande majorité d’entre elles.

Si nous partons de la périphérie vers le centre de


la fleur, nous trouvons deux cercles de pièces
dites stériles car elles ne participent pas à la
reproduction. Il s’agit du calice formé par les
sépales généralement de couleur verte, et la
corolle formée par les pétales vivement colorés.
Puis viennent les pièces fertiles, celles qui sont
impliquées dans la reproduction, avec d’abord les
organes mâles : les étamines. Elles sont
constituées d’une tige appelée filet portant des
sacs à pollen appelés anthères. Pour finir, nous
arrivons au centre de la fleur avec la partie
femelle, le pistil, comportant un ou plusieurs
ovaires. Chacun d’entre eux est surmonté par une
tige appelée style au bout de laquelle se trouve
une sorte de petite boursouflure, le stigmate.
La fleur ressemble ainsi à un puzzle comportant
de nombreuses pièces, fertiles ou non. Il n’est pas
besoin d’être un grand scientifique pour savoir
qu’il existe de très nombreux types de fleurs
différents. Chaque type caractérise une famille et
c’est donc par la fleur et non par la forme des
branches ou des tiges que l’on classe les
Angiospermes. Par exemple, dans la famille des
Rosacées, on trouve aussi bien des arbres comme
le Prunier ou l’Abricotier, que des buissons
épineux comme les Rosiers ou des plantes
rampantes comme les Fraisiers. Qui aurait l’idée
de ranger dans un même tiroir des plantes
d’allures si différentes ? Les botanistes bien sûr
car pour eux, l’important, c’est la rose !

Figure 14-3 :
Organisation
décomposée d’une
fleur.
La fable de la fleur et de
l’Abeille
On ne peut penser à la fleur sans penser à
l’Abeille et au pollen. Il faut dire que même si le
vent joue encore un rôle chez certaines familles,
les Angiospermes se sont spécialisées dans la
pollinisation par les Insectes. On parle même de
coévolution plante-insecte car si la plante a fait
évoluer sa fleur pour mieux accueillir son
pollinisateur, ce dernier a subi également
quelques remaniements. Nombreuses sont les
personnes qui pensent que plus la fleur est
colorée, et plus elle doit attirer les Insectes
pollinisateurs. C’est faux pour la simple et bonne
raison que les Insectes, et notamment l’Abeille, ne
perçoivent pas les couleurs de la même manière
que nous.
La vision de l’Abeille va du jaune à l’ultraviolet,
que l’Homme ne voit pas. Elle ne perçoit donc pas
le rouge qui est pourtant une couleur
prédominante chez les fleurs. En fait, les fleurs qui
attirent les Abeilles ont souvent des taches qui, en
rejetant ou absorbant les ultraviolets, tracent un
véritable chemin balisé pour l’Insecte. Mais que
vient chercher l’Insecte ? Là encore de
nombreuses personnes pensent que l’Abeille vient
chercher du pollen afin de féconder une autre
fleur. C’est également faux !
Atchoum ! Atchoum !
Atchoum !
Environ 20 % des habitants des régions
tempérées de l’hémisphère Nord sont
touchés par le rhume des foins. Leur nez
coule, leurs yeux piquent, ils pleurent et
éternuent à longueur de journée. Les
responsables sont les grains de pollen,
plus précisément des protéines de la paroi
des grains de pollen. Elles sont libérées
immédiatement lors d’un contact avec une
surface humide et agissent comme des
allergènes puissants, provoquant une forte
réaction de leur système immunitaire.
Tous les pollens ne sont pas allergisants et
les plus terribles sont les pollens
transportés par le vent, comme celui des
Graminées, des Bouleaux, de l’Ambroisie
et du Cyprès. Ces pollens sont produits en
grande quantité et leur très petite taille
leur permet un transport sur de grandes
distances.
Le rhume des foins est souvent associé au
printemps, mais les allergies peuvent durer
toute l’année, car trois saisons polliniques
se succèdent. Dès la fin de l’hiver et le tout
début du printemps, c’est la saison des
arbres : Bouleau, Cyprès, Frêne, Aulne,
Noisetier, Olivier, Peuplier… Au cœur du
printemps et au début de l’été, c’est la
saison des Graminées dans les prairies et
les jardins. En plein été et en automne,
c’est la saison des herbacées comme
l’Ambroisie et de nouvelles Graminées.
La nature et la quantité des pollens variant
selon les régions, le RNSA (Réseau national
de surveillance aérobiologique) émet
chaque semaine un bulletin pollinique ainsi
que des informations sur les risques dans
les grandes villes de France. Il permet aux
allergiques d’adapter leur mode de vie
(sorties, activités sportives…) ainsi que
leurs traitements. Vous pouvez retrouver
toutes ces informations sur le site :
www.pollens.fr

L’Insecte vient avant tout pour le nectar, une


substance odorante et sucrée, fabriquée par des
glandes nectarifères, et dont l’unique objectif est
de faire pénétrer l’animal en profondeur dans la
corolle. Afin de pouvoir plonger sa langue dans ce
délice sucré, l’Insecte passe devant les étamines
qui déposent sur lui leur pollen. Généralement le
pollinisateur est velu, ce qui favorise l’accrochage
des grains. Ayant vidé le contenu des nectaires,
les chopes de nectar, celui-ci sort de la fleur et
part à la recherche d’une autre fleur,
généralement identique car il l’a mémorisée. En
replongeant sa tête dans cette nouvelle corolle, il
dépose sur le stigmate, la partie supérieure de
l’organe sexuel femelle, quelques grains de
pollen.
Mais que ce soit bien clair, l’Abeille n’a
aucunement conscience de ce qu’elle fait. C’est
juste une écumeuse de bars qui ne rentre à la
maison que lorsque son jabot est plein. Belle
mentalité !
Des promesses, des
promesses…
La fleur offre parfois aux pollinisateurs
d’autres récompenses que le nectar. Il peut
s’agir du pollen qui fait le régal de certains
Insectes comme les Cétoines. Ainsi
certaines fleurs, comme le Coquelicot, ne
produisent pas de nectar mais portent de
très nombreuses étamines qui libèrent de
grandes quantités de pollen. Plus
rarement, d’autres Insectes, comme les
Guêpes, sont attirés par des huiles
nutritives sécrétées par des poils
spécialisés. Les pollinisateurs les récoltent
grâce à de longues soies portées par leurs
tibias afin de nourrir leurs larves.
Parfois la récompense n’est qu’un leurre.
C’est le cas chez de nombreuses Orchidées
dont le pétale inférieur, appelé labelle,
imite parfaitement la forme et les dessins
de l’abdomen de la femelle de l’Insecte
pollinisateur, accompagnés parfois de la
même odeur, ou phéromone, que la
femelle. Le mâle confondant la fleur avec
l’abdomen d’une femelle tente de
s’accoupler. Mais la maligne a profité de
cette promiscuité pour coller sur le corps
du frustré, des sacs remplis de pollen, les
pollinies.
Certaines fleurs vont jusqu’à piéger leurs
pollinisateurs le temps d’assurer la prise
en charge du pollen et leur fécondation.
C’est le cas des Arums, dont les fleurs sont
regroupées en une massue. Cette dernière
est entourée d’une grande feuille verdâtre
en forme d’urne ouverte, la spathe. La
massue émet de la chaleur et une odeur
nauséabonde qui attirent de petits
Insectes, qui, glissant le long de la spathe,
tombent au fond de l’urne. Dans un
premier temps, ils ne peuvent ressortir à
cause du groupe de fleurs stériles qui
obstruent le passage. Durant cette
période, ceux qui ont été auparavant en
contact avec du pollen d’Arum pollinisent
les fleurs femelles. Dans un second temps,
les fleurs stériles fanent et permettent la
sortie de l’Insecte, qui pourra tomber dans
le piège d’un autre Arum.
La graine au bois dormant

La surface du stigmate étant légèrement humide,


le grain de pollen germe en forant un tube,
qualifié de pollinique, en direction du gamète
femelle. Ce tube peut être très long car parfois le
stigmate est situé au bout d’un style de plusieurs
centimètres. Contrairement aux Gymnospermes,
les deux spermatozoïdes restent vivants et vont
réaliser deux fécondations séparées. La première
donnera naissance à l’embryon, la deuxième sera
à l’origine de la formation des réserves destinées
à l’embryon. On parle ainsi de double fécondation
chez les Angiospermes.
Figure 14-4 : Le
cycle de vie d’une
plante à fleurs
(Angiospermes)
(*phase haploïde
du cycle).

Il se forme ainsi rapidement une véritable graine


avec un embryon et des réserves. Ces dernières
sont de nature variable et peuvent être riches en
amidon, en lipides ou en protéines. Elles revêtent
une importance considérable pour l’Homme car
elles sont la base de son alimentation et ont
donné naissance à l’agriculture. C’est en effet la
graine de blé qui donne la farine pour le pain. On
tire de l’huile de la noix, du pépin de raisin, de la
graine de tournesol, de la graine de colza. Que
serait un cassoulet sans ses haricots, un petit salé
sans ses lentilles ou une paella sans son riz ?
La graine des Angiospermes est généralement
très résistante et peut survivre de nombreuses
années dans le sol en attendant des conditions
favorables à sa germination. Dans nos contrées,
soumises à l’hiver, la graine ne peut germer sans
être passée par une période de froid, voire de gel.
On parle de dormance. Cela lui évite de germer
juste après sa formation, en automne, lors d’un
été indien par exemple, et de se retrouver toute
frêle face aux rigueurs hivernales. On dit que le
froid lève la dormance de la graine. Bien entendu,
sous un climat tropical, cette dormance n’existe
pas et d’autres phénomènes contrôlent la
germination.
Pépins, levez-vous !
Si vous semez en été ou à l’automne des
pépins de Pomme dans un sol fertile et
bien arrosé, malgré tous vos efforts ces
graines refuseront de germer. La
responsable de cette bouderie est la
dormance, qui les empêche, dans la
nature, de germer trop tôt avant l’arrivée
du froid.
Si vous voulez faire germer des pépins de
Pomme en toute saison, placez-les
pendant un bon mois dans votre
réfrigérateur, autour de 5 °C. Le froid étant
très déshydratant, il vous faut
impérativement conserver les pépins dans
de la terre humide ou du sable dans un
récipient étanche.
Passé ce mois, sortez les pépins du
récipient et laissez-les quelques jours à
température ambiante, entre 15 et 20 °C.
Semez-les ensuite dans un terreau fertile
et toujours bien humide. Vous devriez
apercevoir rapidement de jeunes
plantules.
Si vous croquez la Pomme régulièrement,
vous êtes certainement tombé sur des
pépins déjà germés à l’intérieur de votre
fruit. Cette germination s’explique par sa
conservation pendant de longues périodes
au froid, dans des réfrigérateurs ventilés,
afin de nous permettre de manger notre
fruit préféré quasiment pendant toute
l’année. Ces conditions de stockage
peuvent parfois lever la dormance des
pépins.
De l’ovaire, c’est le fruit qu’on
fit
Nous venons de voir que certaines Angiospermes
comptaient beaucoup sur les Insectes pour leur
fécondation. Dans d’autres contrées, certains
Colibris et Chauve-souris sont également mis à
contribution. Pour disséminer leurs graines, c’est-
à-dire leurs nourrissons, certaines espèces vont
faire appel aux gourmands en utilisant comme
appât le fruit. Celui-ci est formé à partir de
l’ovaire, une fois que la fécondation a eu lieu. La
plante accumule dans cet organe des composés
généralement sucrés qui attireront les Oiseaux,
les Mammifères ou les Chauves-souris frugivores.

Figure 14-5 :
Comparaison de la
fécondation chez
une plante à fleurs
(Angiospermes) et
chez un Pin
(Gymnospermes)
(*tissu haploïde du
cycle).
En les consommant, ces animaux ingèrent la ou
les graines que le fruit contient. Celles-ci
possèdent généralement une coque résistant aux
enzymes digestives. Elles sont ainsi retrouvées
intactes dans les excréments et peuvent même
profiter de cet engrais naturel pour se développer.
Pour certaines graines, le passage dans un tube
digestif est même une obligation car elles ne
peuvent germer que si leur carapace a été
partiellement digérée. Mais ce n’est pas toujours
l’ovaire qui devient le fruit ; ainsi chez le fraisier,
c’est le réceptacle floral, le support des pièces de
la fleur, qui devient charnu. Les fruits sont en fait
les petits grains que l’on trouve en surface de la
fraise et qui se coincent entre les dents. Par
vengeance, les botanistes l’ont appelé faux fruit. Il
fallait bien qu’ils ramènent leur fraise !
Il vous est certainement arrivé de revenir d’une
promenade dans la nature avec des graines
accrochées à vos vêtements. Il s’agit là aussi
d’une adaptation morphologique. Dans ce cas, ce
n’est plus un fruit charnu qui a été produit, mais
un fruit sec avec des excroissances. Ces fruits
peuvent être munis de petits crochets qui leur
permettent de se fixer dans les poils des
Mammifères lorsqu’ils se frottent à la plante. Ils
finiront par se décrocher et auront ainsi été
disséminés loin de la plante mère.
Le vent est également utilisé comme moyen de
transport pour les graines. Dans ce cas, elles sont
très légères et peuvent posséder des
excroissances leur permettant de prendre appui
sur l’air. Chez le Pissenlit, la graine minuscule joue
les Mary Poppins accrochée à une ombrelle. Chez
les Peupliers, les poils sont si nombreux, si longs
et si emmêlés qu’elle ressemble à du coton
lorsqu’elle est emportée par le vent. Chez l’Érable,
la graine est associée à une excroissance longue
et plate appelée aile. L’ensemble forme un fruit
sec appelé samare qui tournoie dans l’air lorsqu’il
se détache de l’arbre. Nous avons tous joué à
l’hélicoptère avec lui dans notre jeunesse.

À l’aide de tous ces moyens de transport, les


Angiospermes peuvent coloniser de nouveaux
milieux, même très éloignés. Par exemple, à votre
avis, comment des îles du Pacifique, perdues au
milieu de l’océan, peuvent être couvertes de
Palmiers ? Les petits malins nous diront que c’est
grâce aux Oiseaux qui ont apporté les premières
graines. Oui mais voilà, le fruit, c’est la Noix de
coco. On imagine mal un Oiseau s’en emparer et
la balader sur de longues distances et encore
moins la transporter dans son tube digestif. En
fait, les Noix de coco flottent très bien, et comme
leurs géniteurs poussent sur le bord des océans,
elles tombent dans l’eau et peuvent ainsi être
portées par les courants marins jusque sur des
plages d’îles paradisiaques.
Vous êtes plutôt fruits
ou légumes ?
Lorsque vous faites vos courses au
marché, vous savez distinguer un fruit d’un
légume. L’un est sucré et se consomme au
dessert, l’autre ne l’est pas et se mange en
entrée ou en accompagnement de viandes
ou de poissons.
Pour un botaniste, cette distinction est
artificielle. En effet, si la partie de la plante
consommée correspond aux feuilles
(Salades, Choux), à la racine (Carotte) ou
aux bourgeons (Choux de Bruxelles,
Artichaut), il ne s’agit ni d’un fruit ni d’un
légume, mais d’un fragment de plante. Si
cette partie est le résultat de la
fécondation d’une fleur, alors il n’y a
aucune différence : tout est fruit.
Ainsi, Tomates, Concombres ou Aubergines
comme Oranges, Cerises ou Pommes sont
des fruits. Les trois premiers peuvent être
éventuellement qualifiés de « légumes
fruits ». Ils ne sont pas sucrés et sont
riches en fibres, vitamines et sels
minéraux. Mais cette appellation
gastronomique est toute relative, car
Oranges, Cerises ou Pommes se
consomment aussi bien en dessert qu’en
accompagnement d’une viande (canard,
gibier, boudin…). Alors légumes ou fruits ?
Le terme légume existe tout de même en
botanique, mais il correspond à la gousse,
legumen en latin, des Légumineuses
comme les Haricots et les Petits Pois. Au fil
du temps ce terme est passé dans le
langage courant pour désigner l’ensemble
des légumes que nous consommons.

Ce petit survol de la reproduction des


Angiospermes nous a permis d’apercevoir la
richesse de ce groupe qui a su s’imposer sur notre
planète en utilisant des stratagèmes souvent
ingénieux. La fleur a apporté une plus grande
sécurité dans la reproduction, surtout lorsque les
Insectes y participent. Le fruit assure quant à lui
une large dissémination des graines et permet
aux rejetons de ne pas vivre dans l’ombre de leurs
parents.
Elles sortent du bois
Il serait faux de croire que les Angiospermes ont
tout misé sur leur reproduction et n’ont apporté
aucune amélioration dans leurs organes
végétatifs. C’est grâce à eux que nous avons du
bois de chauffage performant qui se consume
lentement en produisant des braises. En effet,
vous savez très bien qu’il ne faut pas mettre de
Conifères dans une cheminée ou un insert car non
seulement vous risquez d’encrasser le conduit à
cause des résines qu’ils contiennent, mais en plus
vous risquez de mettre le feu à votre cheminée
car leur combustion est violente. La raison en est
simple : le bois dont ils sont constitués est
différent.
Chez les Conifères, le bois est constitué d’un seul
type d’élément conducteur appelé trachéide qui
assure à la fois le soutien et la conduction de la
sève.
Son bois est dit homoxylé, du grec ancien homos,
semblable, et xylon, bois. Tous ceux qui ont déjà
manipulé du lambris savent bien que le Sapin a un
bois fibreux qui laisse facilement des échardes
dans les doigts. Ces fibres sont les trachéides
desséchées du bois.
Chez les Angiospermes, le bois contient trois
types d’éléments verticaux : des fibres qui
assurent le soutien, des cellules et des vaisseaux
qui assurent la conduction de la sève. Leur bois
est ainsi qualifié d’hétéroxylé, de hétéro, différent.
L’assemblage de ces trois éléments confère au
bois des Angiospermes une plus grande résistance
au feu, aux contraintes mécaniques et à la
putréfaction. Bref, du bois dont on fait les héros.

Le point commun entre le bois homoxylé et le bois


hétéroxylé est la présence en quantité importante
de cellulose et de lignine. La cellulose représente
environ 65 à 80 % du bois et la lignine 20 à 35 %.
La cellulose constitue les fibres du bois orientées
dans l’axe de l’arbre. Elle a des propriétés
mécaniques exceptionnelles dans le sens de la
traction ou de la compression. En revanche, elle
n’assure aucune cohérence transversale. La
lignine est une molécule complexe qui imprègne
les parois des fibres de cellulose. Elle apporte une
grande rigidité en compression transversale et
une bonne durabilité au bois. Sans elle, le bois se
décomposerait en fibres allongées. D’ailleurs
lignine vient du latin lignum qui signifie « bois ».
Cette association cellulose-lignine permet aux
arbres d’atteindre des dimensions gigantesques et
de résister à des vents violents. Elle a également
apporté à l’Homme un matériau de construction
et une source d’énergie qui a grandement
contribué à son évolution. C’est gravé dans le bois
!
L’histoire de Floc ou le cycle
de l’eau
Vous avez certainement remarqué qu’il régnait
une certaine humidité dans une pièce contenant
de nombreuses plantes. La raison en est simple :
la plante perd continuellement de l’eau par ses
feuilles. Une petite visite des canalisations de la
plante s’impose. Suivons l’histoire de Floc la petite
goutte d’eau.
Floc n’était pas tombée de la dernière pluie et
vivait depuis quelques semaines déjà dans le sol.
Elle circulait tranquillement entre sable et limon
lorsqu’elle fut aspirée par un filament très fin,
formé d’une seule cellule. C’était un poil
absorbant. Elle était entrée dans une racine
d’arbre. Elle se faufila entre les cellules d’un tissu
appelé parenchyme, traversa plus difficilement
deux cercles de cellules à paroi épaisse,
l’endoderme puis le péricycle, et gagna un
vaisseau. Celui-ci conduisait la sève et s’appelait
vaisseau du xylème. Il était regroupé avec
d’autres vaisseaux de tailles différentes et formait
un manchon au centre de la racine.
Figure 14-6 : La
localisation des
vaisseaux
transportant la
sève dans une
racine.

Au sein de ce vaisseau, Floc fut entraînée


lentement mais irrésistiblement vers la tige de la
plante. Elle était mélangée avec des millions de
ses congénères et des individus de taille modeste
à la mine patibulaire, les sels minéraux.
L’ensemble formait un liquide appelé sève brute.
Le manchon de vaisseaux dans lequel elle se
trouvait rencontrait à chaque bifurcation un autre
manchon. Les deux s’associaient en formant un
faisceau de plus en plus gros. Arrivée à la limite
de la racine et de la tige, dans une zone appelée
collet, Floc fut à la fois propulsée et attirée. Elle
sentait bien que la racine exerçait sur elle une
poussée mais qu’en même temps, une aspiration
des parties hautes de la plante commençait à se
faire sentir.
Quand les feuilles ont
la goutte au nez…
On peut observer la présence de petites
gouttelettes d’eau aux extrémités ou sur
les bords des feuilles de certaines plantes
comme le Fraisier, l’Alchémille et les
Graminées.
Ce phénomène ne s’observe qu’au lever
du jour et n’a rien à voir avec la rosée, qui
provient de la condensation de l’eau
atmosphérique sur la plante. Il est appelé
la guttation, du latin gutta qui signifie «
goutte », et il est dû à l’évacuation d’eau
liquide par des stomates particuliers,
toujours ouverts, les hydathodes. La
guttation est provoquée par la poussée
racinaire qui est prépondérante au petit
matin car l’aspiration foliaire est encore
très faible. Elle n’existe pas chez toutes les
plantes à fleurs et ne se rencontre jamais
chez les Conifères.

Dans son vaisseau du xylème, Floc quitta le


paquet central et se dirigea vers la périphérie de
la tige. Sans l’épiderme, Floc aurait pu voir qu’elle
n’était plus sous la terre mais dans l’air et qu’elle
commençait une ascension. Son vaisseau faisait
partie d’un ensemble appelé faisceau dans lequel
on trouvait non seulement des vaisseaux du
xylème, comme le sien, mais également des
vaisseaux d’un autre type, de diamètre plus étroit,
appelés vaisseaux du phloème. Ces deux types de
vaisseaux n’étaient pas mélangés et formaient
chacun un groupe bien distinct. Floc était à la fois
pressée mais anxieuse de savoir où ce voyage la
mènerait car l’ascension était lente et irrégulière.
Une lumière intense et une sensation de chaleur
la sortirent de sa torpeur. Elle venait d’arriver
dans une feuille. Certaines de ses voisines furent
aspirées hors du vaisseau et Floc les vit se
vaporiser et quitter la feuille par des petits trous
appelés stomates. Ceux-ci en s’ouvrant et en se
fermant semblaient régler les pertes d’eau de la
feuille. Floc comprit alors ce qui l’avait fait monter
tout en haut de la plante. C’était l’évaporation au
niveau des feuilles, la transpiration foliaire. Floc
eut la chance de ne pas passer par l’un de ces
horribles trous et continua de circuler dans la
feuille. Au fur et à mesure de sa progression, de
nouveaux compagnons de voyage faisaient leur
apparition au sein de son vaisseau. Ils étaient de
grosse taille et certains d’entre eux s’appelaient
saccharose. Ils lui dirent qu’ils étaient des sucres
et qu’ils venaient d’être synthétisés grâce à la
lumière dans des petites structures vivant dans
les cellules de la feuille, les chloroplastes. Leur
arrivée dans la sève rendait celle-ci de plus en
plus épaisse et sucrée. Ce n’était plus de la sève
brute, mais de la sève élaborée. Floc passa dans
un vaisseau d’un autre type, plus étroit, qu’elle
reconnut. C’était un vaisseau du phloème qui
accompagnait le sien lors de sa progression dans
la tige. Elle allait enfin savoir où celui-ci menait.
Son vaisseau quitta la feuille et replongea dans
l’obscurité. Il était accompagné d’autres
vaisseaux lui ressemblant, et à chaque
bifurcation, leur nombre augmentait.
Il ne faut pas buller !
Il arrive parfois qu’une bulle d’air se forme
dans un vaisseau du xylème ou du
phloème, on dit qu’il y a embolie. La
circulation de la sève est stoppée et si cela
se propage à tous les vaisseaux, la plante
peut en mourir. L’embolie est souvent la
conséquence du gel/dégel de la sève, car
la solubilité des gaz diminue quand la
température augmente. Des blessures, des
parasites ou une longue période de
sécheresse peuvent aussi la favoriser.
Les Conifères se protègent de l’embolie
grâce à un système de valves qui équipent
toutes les ponctuations qui font
communiquer les trachéides entre elles. En
cas d’embolie, ces valves, ou torus, se
ferment ce qui empêche la bulle d’air de
passer dans les vaisseaux voisins, la
propagation de l’embolie est ainsi évitée.
Chez les Angiospermes, la propagation de
l’embolie est limitée par trois mécanismes.
Des cellules au contact des vaisseaux
forment des excroissances en forme de
hernie, des thylles, qui jouent le rôle de
bouchon. Parfois d’autres cellules
spécialisées forment un bouchon
gommeux à base de sucres et certaines
sont même capables d’aspirer les bulles
d’air.
Floc redescendit par la tige en direction des
racines par le même regroupement de vaisseaux
qu’à l’aller. Au fur et à mesure de sa progression,
des saccharoses disparaissaient, absorbés par les
cellules entourant les vaisseaux. Floc apprit qu’ils
étaient utilisés comme source d’énergie par ces
cellules qui ne pouvaient pas réaliser la
photosynthèse, faute de lumière. Déjà en haut de
la plante, une grande quantité d’entre eux était
partie en direction des bourgeons, ces bébés
rameaux qui ont toujours faim. Floc arriva enfin
dans la racine accompagnée par quelques
molécules de saccharose téméraires.
Elle fut à nouveau attirée par un vaisseau du
xylème et repartit faire un tour jusqu’aux feuilles.
Mais maintenant qu’elle connaissait tous les
secrets de la plante, elle se jura de tout faire pour
se volatiliser dans une feuille. Elle rejoindrait ainsi
ses camarades qui l’attendaient impatiemment
dans un nuage, prêtes pour une aventure
autrement plus périlleuse, celle du cycle de l’eau.
Le temps des sucres
Le temps des sucres désigne pour nos
amis québécois le début du printemps, car
c’est le moment où ils récoltent l’eau
d’Érable, qui est ensuite transformée en
sirop. Pour cela il faut la chauffer
délicatement afin d’en faire évaporer une
partie de l’eau. Environ 40 litres d’eau sont
nécessaires pour produire un litre de sirop
d’Érable.
Même si elle est riche en sucres, l’eau
d’Érable ne circule pas dans les vaisseaux
de la sève élaborée, le phloème, mais dans
ceux de la sève brute, le xylème. Cette
montée de sève sucrée est permise par la
poussée racinaire et par la libération de
sucres stockés pendant tout l’hiver dans
des cellules spécialisées du bois. Cette
poussée ne dure pas et permet, alors que
l’arbre n’a pas encore de feuilles, de
nourrir les bourgeons.
Au Québec, le temps des sucres est aussi
le moment d’aller faire un repas, en famille
ou entre amis, dans une cabane à sucre.
On y déguste des oreilles de crisse (lard
grillé), soupe de pois, jambon fumé à
l’érable, fèves au lard, pommes de terre
pilées (traduisez purée), ragoût de
boulette, tourtière, tarte au sucre et
crêpes, le tout bien sûr généreusement
arrosé du précieux sirop et « à volonté ». À
éviter en période de régime…

Cette petite histoire, très simplifiée, de la


circulation de l’eau dans la plante nous montre
que si la reproduction des Angiospermes s’est
totalement affranchie du milieu aquatique, sa
survie en est encore tributaire. En transformant
leurs aiguilles en épines, en prenant une forme
arrondie, en transformant leur tige en réserve
d’eau et en développant leurs racines, certaines
plantes ont réussi à s’adapter aux conditions
difficiles des déserts. Mais cela ne leur évite pas
d’être obligées de rechercher en permanence le
précieux liquide.
Le pouvoir des fleurs

Situons les événements majeurs de ce chapitre


sur l’horloge de la vie (voir figure C du cahier
central) :

11h04 : Apparition et diversification des


fougères à graines, les Ptéridospermées.
11h11 : Apparition et diversification des
Ginkgoales et des Cycadales.
11h13 : Apparition et diversification des
Gnétophytes.
11h14 : Apparition et diversification des
Conifères.
11h28 : Apparition des plantes à fleurs,
les Angiospermes (preuves indirectes).
11h36 : Plus ancien fossile de fleur
connu.

Lorsqu’elles conquirent la terre ferme, les plantes


étaient seules et n’avaient à lutter qu’entre elles
pour la possession d’un espace de sol ou de
lumière. Puis les premiers animaux arrivèrent sous
la forme d’Invertébrés et se tournèrent
logiquement vers les plantes pour subvenir à leurs
besoins en énergie. Celles-ci ne se laissèrent pas
faire et se défendirent à grand renfort de
substances toxiques ou de moyens de protection.
Puis, ce fut le tour des Vertébrés, plus gros, plus
gourmands, qui poussèrent le vice jusqu’à devenir
gigantesques. Des forêts complètes ont ainsi été
décimées par des troupeaux de Dinosaures de
plusieurs dizaines de tonnes.
Mais la lutte pour la survie est un très bon
stimulant évolutif. Ainsi, les paléobotanistes
estiment que, sans la pression sélective des
animaux, les plantes n’auraient pas suivi
l’évolution explosive que l’on constate
actuellement. Dans certains cas, les ennemis jurés
sont devenus des complices inséparables. La
coévolution Angiospermes-Insectes en est un bon
exemple. Elle est certainement pour une bonne
part à l’origine de la réussite incroyable de ces
deux groupes d’êtres vivants. Construire
ensemble est plus avantageux que se faire une
guerre permanente. À méditer…
Cinquième partie

Que vient faire l’Homme


dans tout ça ?

Dans cette partie…

Nous verrons que, si notre passé simiesque ne fait aucun


doute, notre origine, elle, reste incertaine. Notre histoire
ressemble beaucoup à une chambre d’adolescent dans
laquelle une chatte ne retrouverait pas ses petits. Et ceux
qui comptent sur les découvertes récentes pour éclaircir ce
mystère en seront pour leurs frais. Plus on fouille et plus
c’est l’embrouille !

L’histoire de la biologie s’est écrite dans la douleur. Nous


verrons de quelle manière un voyage autour du monde
révéla à Darwin sa théorie de l’évolution et comment celle-
ci ébranla les certitudes de l’époque.

Nous verrons enfin qu’étudier des Petits Pois ou des


Mouches peut se révéler fructueux en découvertes.
Chapitre 15

Un Quaternaire pour lui


tout seul
Dans ce chapitre :
Le temps des Primates, des premiers
Singes à Lucy
L’ère des Homininés
L’apparition de l’Homme moderne

« Ceux que nous appelions des brutes eurent leur revanche


quand Darwin nous prouva qu’ils étaient nos cousins. »
George Bernard Shaw

Durant la majeure partie de l’ère tertiaire, le


climat était stable et tropical sur quasiment toute
la planète, mais au cours des 25 derniers millions
d’années, le climat a connu de nombreux
soubresauts. Cette détérioration du climat a
provoqué petit à petit la disparition d’un grand
nombre de Mammifères. La période la plus
critique s’étend de – 2 millions d’années à – 10
000 ans, c’est le Pléistocène. Cette première
partie du Quaternaire est marquée par une
succession rapide d’épisodes glaciaires et
interglaciaires. Elle a provoqué la plus grande
vague d’extinction jamais connue par les
Mammifères. Elle a surtout touché les espèces de
grande taille. Parmi les disparus les plus célèbres,
on peut citer le Tigre à dents de sabre, les
Mammouths et le Mégalocéros qui était un Cerf
aux bois de 3,60 mètres d’envergure.
Nous voilà aux environs de – 7 millions d’années,
dans la dernière ligne droite de notre récit, celle
qui va mener à l’émergence de notre espèce. La
Pangée, ce grand continent unique, n’existe plus
et les continents nés de sa fracturation sont à peu
près à la place qu’ils occupent actuellement. Les
climats régnant sur les continents sont ainsi
grossièrement les mêmes que maintenant et
l’Afrique est déjà une étendue chaude avec des
régions désertiques, des savanes et des forêts
humides.
C’est a priori dans ce décor africain que certains
grands Singes vont, dans un premier temps, se
redresser sur leurs pattes arrière avant de
déambuler sur un chemin qui les mènera à nous.
Mais ce parcours n’a rien d’une ligne droite et les
scientifiques doivent réécrire régulièrement le
scénario de cette épopée au gré des nouvelles
découvertes. L’histoire de l’Homme est aussi
difficile à écrire qu’elle ne l’a été à s’écrire.
Un nouveau crâne, un nouveau tibia, une nouvelle
mâchoire découverte et c’est toute la préhistoire
de l’humanité qu’il faut remodeler ou parfois
même révolutionner. C’est la raison pour laquelle
nous allons nous contenter d’exposer un certain
nombre de faits indiscutables, sans chercher
nécessairement à les relier. Et puis, si ces faits
eux-mêmes s’avèrent erronés, cela nous donnera
l’occasion d’écrire une version corrigée de La
Biologie pour les Nuls !
Les singeries de l’Homme
L’histoire de l’Homme est avant tout celle des
Primates. Leur nom vient du latin primas, qui
signifie « celui qui occupe la première place ». Il a
été inventé au XVIIIe siècle par le biologiste
suédois Carl von Linné qui estimait qu’il s’agissait
des Mammifères les plus évolués.
Un Primate, c’est poilu et ça nourrit ses petits à la
mamelle ; c’est donc un Mammifère. Grâce au
développement de la clavicule qui améliore la
mobilité du membre antérieur, il vit généralement
dans les arbres. Il s’accroche aux branches grâce
à des mains dont le pouce est situé en face des
autres doigts. On dit de ce pouce qu’il est
opposable. La présence d’un gros cerveau n’est
pas une obligation ainsi que celle des ongles plats
à la place de griffes. Mais si ces deux derniers
éléments sont présents, c’est que l’animal fait
partie du groupe.
Le Primate a préféré une vision performante à un
flair de qualité. Ses deux grands yeux situés sur la
même face lui assurent une vision binoculaire,
dite aussi stéréoscopique. Celle-ci lui permet de
détecter des objets faiblement lumineux et
d’apprécier convenablement les distances. De
prime abord, c’est la vue qui prime chez le
Primate.
Entre l’enfer et le paradis

L’origine des Primates est incertaine. Pour certains


auteurs, ce groupe dériverait d’un animal appelé
Purgatorius dont les fossiles les plus anciens
datent de la fin du Crétacé, il y a – 65 millions
d’années. On pense qu’il ressemblait à un Rat ou
à un Écureuil mais qu’il était omnivore et pouvait
ainsi se nourrir de tout ce qu’il rencontrait. C’est
peut-être parce qu’il ne jouait pas la fine bouche
qu’il a pu traverser la crise Crétacé-Tertiaire qui
mit fin aux Dinosaures. Le nom de Purgatorius ne
lui a pas été attribué parce qu’il avait vécu à
proximité des Enfers mais parce que le lieu où il a
été découvert était infesté de Moustiques, ce qui
transforma les fouilles en un véritable purgatoire.
Des modèles statistiques ont également été
utilisés pour déterminer la date d’apparition des
Primates. Ils avancent le chiffre de – 81,5 millions
d’années, soit plus de 15 millions d’années avant
Purgatorius. Aucun fossile datant de cette époque
n’a encore été découvert mais comme le modèle
proposé prévoit également que seulement 7 %
des Primates ayant existé soient connus sous
forme fossile, alors il est encore possible
d’espérer.

Quoi qu’il en soit, les premiers Primates sont


contemporains des derniers Dinosaures et se sont
développés dans des forêts, à l’abri des
compétiteurs dangereux. Mieux valait avoir bonne
main bon œil pour se déplacer dans ces milieux
peu lumineux !
Ils font les Singes
Il existe actuellement de nombreux Primates. On
les divise classiquement en deux groupes : ceux
qui ont une truffe, façon toutou, et ceux qui en
sont dépourvus :

Les premiers sont les Lémuriens qui


vivent sur l’île de Madagascar. Chez eux le
flair est encore un sens développé.
Les autres, en perdant la truffe, ont vu
leur sens olfactif se restreindre au profit de
celui de la vision. Ils sont appelés
Haplorhiniens, du grec aploos, simple, et
rhinos, le nez. Ce sont donc les Primates qui
ont du pif. Dans ce groupe, on trouve les
Tarsiens, des sortes de petits Singes à
grands yeux et bondissants, et puis les
Simiens.

Figure 15-1 : Un
Lémurien : le Maki
catta ou Lemur
catta.
Figure 15-2 : Un
Tarsien : le Tarsier
de Horsfield.

Le nom de Simiens, venant du latin simius, singe,


nous indique que nous nous rapprochons du
groupe qui nous intéresse. Pour y voir clair dans le
groupe des Simiens, il faut avoir du flair, car c’est
à la forme des narines que l’on sépare les
Platyrhiniens des Catarhiniens.

Les Platyrhiniens ont les narines


dirigées latéralement et ont donc un nez
plat, d’où le préfixe platy-. Ils ont 36 dents
et une longue queue souvent préhensile. Ils
sont nommés Singes du Nouveau Monde
car on les rencontre en Amérique.
Les Catarhiniens ont des narines
dirigées vers le bas d’où le préfixe cata- qui
signifie vers le bas. Ils n’ont plus que 32
dents (tiens, tiens !) et une queue non
préhensile ou absente. Ils sont également
nommés Singes de l’Ancien Monde car ils
sont trouvés en Afrique, Asie et Indonésie.
Rassurez-vous nous ne sommes plus très
loin du but !

Figure 15-3 : Un
Platyrhinien ou
Singe du Nouveau
Monde ; le hurleur
roux.

Chez les Catarhiniens, il y a des Singes munis


d’une queue, les Cercopithidés, du grec cercos,
queue et pithecos, singe. On en trouve également
qui en sont démunis comme les Pongidés dont le
nom appartient à la langue mpongwe parlée sur
les deux rives du Gabon. Ce groupe comprend
Gibbons, Orangs-outans, Gorilles et Chimpanzés.
Et pour finir, toujours sans queue, les Hominidés.
Ouf, nous y sommes arrivés !
Du signalement au portrait-
robot
Le lien entre les Singes et l’Homme n’est plus un
secret et tout un chacun a pu constater de visu la
forte ressemblance entre ces deux groupes. C’est
avec les grands Singes que la ressemblance est la
plus forte. Nous formons ainsi avec l’Orang-outan,
le Gorille et le Chimpanzé un groupe à part
nommé Hominoïdés.
Parmi ces trois grands Singes, c’est avec le
Chimpanzé que nos liens sont les plus étroits.
Mais au fait, qu’est-ce qui nous différencie du
Chimpanzé ?

Morphologiquement, nous sommes très proches,


ce qui explique que nous soyons des voisins de
classification. Nous partageons donc de très
nombreux caractères. Nous avons vu dans le
chapitre 3 que les chromosomes permettaient de
distinguer deux espèces par leur nombre et leur
aspect. Le Chimpanzé possède 24 paires de
chromosomes et nous 23 paires. Nous tenons là
un bon moyen de nous différencier.
Hélas, une observation plus attentive des
chromosomes de chaque espèce révèle que ces
différences sont minimes et qu’un certain nombre
d’accidents chromosomiques permet d’expliquer
les variations constatées. Ainsi, le passage de 24
à 23 paires serait le résultat d’une fusion des
chromosomes 2 et 3 du Chimpanzé qui aurait
donné le grand chromosome 2 de l’Homme. On
retrouve, en effet, dans ce chromosome 2 humain
les mêmes alternances de bandes claires et
sombres que dans les chromosomes 2 et 3 du
Chimpanzé. Toutes les autres différences
s’expliquent par des inversions, insertions ou des
suppressions de fragments chromosomiques. Ce
n’est donc pas le caryotype qui fait l’Homme.
La bande à Bonobos,
précurseur du
mouvement hippie
Les Bonobos ont été découverts
récemment et ce n’est que depuis 1975
qu’ils sont étudiés sur le terrain. Ces
Chimpanzés miniatures sont étonnants car
ils présentent des comportements inédits
dans le monde des Singes. Ainsi ils ne
manifestent jamais d’agressivité et se
montrent même aimables les uns envers
les autres. Des traits psychologiques
comme la compassion, l’altruisme, la
sensibilité, la patience et l’empathie
peuvent être discernés chez eux.
Pratiquant l’accouplement face à face, leur
comportement sexuel est indissociable du
comportement social. Les rapports sexuels
sont très nombreux au sein du groupe et
interviennent même quand la femelle n’est
pas réceptive. Cela ne vous rappelle rien ?
Les Bonobos utilisent l’acte sexuel pour
apaiser les tensions et maintenir la paix.
Lorsque deux communautés de Bonobos
se rencontrent, les femelles de chaque
clan s’accouplent avec les mâles de l’autre
clan, ce qui évite des batailles sanglantes.
Chez eux une seule devise : « Faites
l’amour pas la guerre » !
Les études génétiques récentes sont encore plus
formelles. Nous partageons plus de 96 % de nos
gènes avec le Chimpanzé. Mais bon sang de
bonsoir, où sont les Hommes ? Certains diraient
que nous sommes les seuls à confectionner des
outils. C’est totalement faux car dans de
nombreuses occasions le Chimpanzé est capable
de modifier un objet en vue d’une action précise.
C’est la base de l’outil. La deuxième idée qui vient
généralement à l’esprit est notre organisation
sociale, notre grande fierté. Patatras, là aussi nous
tombons de haut car les Chimpanzés vivent aussi
en communautés hiérarchisées, partagent leurs
aliments et s’affrontent entre groupes.
Nous pouvons alors invoquer la bipédie, cette
faculté que nous avons à nous déplacer sur nos
deux pattes arrière. C’était compter sans le
Bonobo, ce Chimpanzé de petite taille dont les
mœurs évoluées nous laissent songeurs et qui
n’hésite pas à se déplacer verticalement lorsqu’il
est sur le sol. Il ne nous reste plus alors que la
culture : nous sommes les seuls à peindre et à
sculpter. Ouf ! Tout compte fait, séparer l’Homme
du Singe est bien plus compliqué qu’on ne
l’imaginait.
Une telle proximité ne peut s’expliquer que par
l’existence d’un ancêtre commun récent à
l’Homme et au Chimpanzé. Des estimations lui
donnent environ 7 millions d’années et si l’on tient
compte des caractères partagés par nos deux
espèces, il est possible de dresser son portrait-
robot. Nous recherchons ainsi un individu d’origine
africaine, pesant 30 à 40 kilos pour une taille d’1
mètre, ayant un cerveau d’environ 350
centimètres cubes, évoluant dans les arbres mais
descendant au sol régulièrement et ayant une vie
communautaire hiérarchisée.
La description est sommaire et le portrait un peu
flou. Il ne sera pas facile de retrouver l’individu en
question. Quoi qu’il en soit c’est en Afrique que
l’enquête doit débuter.
Enquête sur un canular
paléontologique
Le 18 décembre 1912, C. Dawson, avocat
et géologue amateur, accompagné de A. S.
Woodward, président de la Société
géologique de Londres, présentent au
monde entier leur découverte fracassante :
le crâne du plus vieil homme du monde, le
« chaînon manquant » entre le Singe et
l’Homme. Immédiatement, les touristes et
les plus grands chercheurs affluent au petit
village de Piltdown, lieu de cette
découverte. Même Sir Arthur Conan Doyle,
le père de Sherlock Holmes, vient féliciter
Dawson.
Le fossile se compose d’un crâne et d’une
mâchoire à deux dents qui présentent une
usure plate, caractéristique de l’Homme.
La datation a été réalisée grâce à deux
autres fossiles trouvés à proximité. Une
dent d’Hippopotame et une d’Éléphant qui
prouvent que « l’Homme de Piltdown » a
400 000 ans de plus que l’Homme de
Neandertal.
Mais en 1950, le docteur K. Oakley,
membre du British Museum, montre que le
crâne est très récent et se rend compte
que les os ont été teintés grâce à du
colorant. De plus les dents ont été limées,
pour faire croire à une usure humaine, et la
mâchoire appartient à un Orang-outan. Le
21 novembre 1953, le Muséum d’histoire
naturelle de Grande-Bretagne annonce
officiellement que l’Homme de Piltdown est
une imposture.
Mais une question demeure : Qui est
l’auteur de ce canular ? Dawson lui-même
? Mais pourquoi aurait-il monté cette
imposture ? Et comment a-t-il pu obtenir
les dents d’Hippopotame et d’Éléphant.
Woodward semble aussi être hors de cause
car son rôle s’est limité à valider les
découvertes de Dawson. Certains pensent
à W. R. Butterfield, le conservateur du
musée de Hastings qui aurait voulu se
venger de Dawson ou à Teilhard de
Chardin, jeune jésuite à l’époque. Ce
dernier aurait voulu faire une blague à son
ami Dawson, et voyant l’ampleur de
l’affaire, n’aurait pas osé faire machine
arrière.
À la recherche de nos ancêtres
Nous venons de voir que l’Homme et le Singe
possédaient de très nombreux caractères
communs. Le problème, lors de la découverte
d’ossements fossiles est de savoir à quelle lignée
les attribuer : à la lignée menant aux Singes
actuels ou à celle menant à l’Homme. Il faut donc
définir des critères fiables. Pour ce faire,
comparons leur squelette.
Le squelette : le jeu des
différences
Chez l’Homme, la station debout permanente a
provoqué des modifications de certaines parties
du squelette. Ainsi nos bras se sont raccourcis par
rapport à ceux des grands Singes. À leur
extrémité on trouve une main très évoluée avec
un pouce très mobile. L’extrémité de nos
membres inférieurs s’est transformée en pied,
alors que celle des Singes est encore une main,
faisant de lui un être quadrumane.
Si nous restons dans les membres inférieurs, la
partie du fémur qui s’emboîte dans le bassin,
appelée col du fémur, est plus allongée chez
l’Homme que chez le Singe. Ce prolongement du
col permet d’orienter le fémur sous l’axe de notre
corps. C’est donc grâce à lui que nous avons les
membres inférieurs dans le prolongement du
bassin et que nous ne marchons pas les jambes
écartées, façon cow-boy.
Figure 15-4 :
Comparaison du
squelette d’un
grand Singe et d’un
squelette humain.

Notre bassin est court et en forme de vase, ce qui


lui permet d’accueillir les viscères, comme un
récipient. Celui du Singe est long et étroit
permettant l’insertion des muscles abdominaux
retenant les viscères qui pendent lorsque l’animal
est à quatre pattes. Si nous remontons jusqu’au
crâne, nous pouvons remarquer que le contact
entre le crâne et la colonne vertébrale, appelé
trou occipital, est plus avancé chez l’Homme. En
effet, la station verticale oblige notre tête à être
en équilibre sur le sommet de notre colonne, alors
que chez le Singe, la position horizontale oblige la
tête à être dans le prolongement de la colonne.
Le deuxième critère, et non des moindres, touche
la capacité cérébrale. Chez le Chimpanzé, le
cerveau atteint difficilement les 400 centimètres
cubes alors que chez l’Homme on atteint assez
facilement les 1 400 centimètres cubes. Cette
augmentation du volume du cerveau s’est
accompagnée de modifications importantes de la
tête en général. Alors que le Singe a un museau,
notre face à nous est plate et pratiquement
verticale. La régression des mâchoires n’a pas été
uniforme et il nous reste une petite excroissance,
le menton. Les arcades sourcilières bombées et
proéminentes chez le Singe ont disparu avec la
naissance du front dans lequel elles se sont
fondues.
Espèce de larve de
Singe !
En regardant un documentaire sur les
Chimpanzés à la télévision, vous avez
peut-être été troublé par la forme du crâne
d’un tout jeune bébé. Il ressemble
beaucoup à celui d’un Homme adulte.
Le premier à effectuer ce constat fut Louis
Bolk, un anatomiste néerlandais. Pour lui,
le crâne de l’Homme est un crâne de bébé
Chimpanzé qui n’a pas évolué. C’est la
théorie de la fœtalisation.
La comparaison de l’évolution des crânes
d’un bébé humain et d’un bébé Chimpanzé
semble le prouver. Alors que chez le Singe,
le crâne devient de moins en moins
globuleux et la face de plus en plus
saillante avec l’apparition du museau, chez
l’Homme, la forme juvénile est conservée :
le front reste bombé, la face reste petite et
placée sous le crâne et l’arrière du crâne
reste rond.
Pour expliquer ce phénomène, on suppose
que la croissance du crâne humain s’est
ralentie par rapport à celle de ses
ancêtres, suite à des mutations génétiques
touchant la durée et le rythme de la
croissance. On parle d’hétérochronie pour
qualifier ce type de processus. Le crâne
humain aurait ainsi acquis sa taille et sa
forme au cours de l’évolution par
ralentissement ou rallongement des
différentes périodes de sa croissance. Le
maintien de caractères juvéniles chez
l’adulte porte le nom de néoténie. Cette
conservation du crâne nous amène à
penser que l’Homme lui-même serait en
définitive un Singe mutant chez qui la tête
n’a pas évolué.
Se faire traiter de « tête de fœtus » ne
serait donc pas une insulte !

En résumé, pour classer un fossile dans la lignée


humaine, il faut au moins un caractère montrant
qu’il est à tendance bipède, ou que son volume
cérébral a dépassé celui du Singe. On accepte
également toute trace fossile d’une activité
culturelle. Tout individu répondant à ce
signalement sera classé dans les Homininés, la
famille de l’Homme. Voilà, tout est prêt pour aller
sur le terrain réaliser quelques fouilles.
Toumaï et Orrorin

Toumaï signifie « l’espoir de vie » et Orrorin «


l’homme originel ». Jusqu’à leur découverte, les
plus vieux Homininés étaient datés de – 5 millions
d’années environ. Découvert en octobre et
novembre 2000, Orrorin a abaissé l’âge à – 6
millions d’années, avant d’être détrôné en 2002
par Toumaï et ses – 7 millions d’années.
L’acceptation de Toumaï dans la famille des
Homininés est subtile car nous ne possédons de
lui qu’un crâne déformé. Mais grâce à l’ordinateur,
il a été possible de lui redonner l’aspect qu’il avait
avant déformation. Il apparaît alors que le trou
occipital, le passage du cerveau à la moelle
épinière, est plus avancé que chez le Chimpanzé.
D’après son découvreur, Michel Brunet, tout porte
à croire que Toumaï était bipède. Ainsi, il y a 7
millions d’années, un être se tenait partiellement
debout ; mais il ressemblait encore bougrement à
un singe avec son cerveau de 360 centimètres
cubes.
Figure 15-5 : La
place de l’Homme
dans la
classification des
Primates (*pour
certains ,les
Homininés
regroupent la
lignée humaine et
les Chimpanzés).
Des Éléphants pour ne
pas se tromper
Pour dater un fossile, il existe deux
méthodes : la datation relative et la
datation absolue. Dans le premier cas, on
cherche des indices pour pouvoir affirmer
que ce fossile a vécu avant ou après un
événement. Dans le deuxième cas, on
donne un âge, le plus exact possible. Les
scientifiques disposent pour cela de la
radioactivité naturelle de certains atomes
qui, avec le temps, se désintègrent en
formant d’autres éléments. La
désintégration se produisant de manière
régulière, il suffit de mesurer les quantités
respectives des atomes radioactifs et des
produits de leur désintégration pour
déterminer l’âge exact d’un objet.
Les méthodes de datations absolues ne
sont pas toujours applicables, car elles
sont souvent destructrices. On préfère
alors dater les éléments qui entourent
l’objet plutôt que l’objet lui-même.
Ainsi, pour dater Toumaï on a utilisé la
biochronologie. On sait que chaque époque
de l’histoire de la Terre présente des
espèces animales et végétales qui lui sont
propres. On peut ainsi dater un fossile par
rapport à la faune et à la flore qui
l’entourent. C’est ainsi que l’âge de Toumaï
a été évalué à partir de restes fossiles de
Proboscidiens (de la famille des Éléphants)
et de Suiformes (de la famille des
Hippopotames et des Cochons), trouvés
sur le même site que lui.
Le degré évolutif de ces Mammifères
découverts à côté de Toumaï a été
comparé à celui d’autres sites africains
dont l’âge absolu est connu. On arrive ainsi
à une estimation de 7 millions d’années.

D’Orrorin, nous ne possédons que trois fragments


de fémur, un morceau d’humérus, deux fragments
de mandibules, une phalange et six dents.
Comment a-t-on démontré qu’il était bipède avec
si peu d’os ? Les paléontologistes se sont
concentrés sur le fémur et plus particulièrement
sur le col dont nous avons parlé.
Lorsqu’un être est bipède, la partie inférieure du
col du fémur présente un épaississement
important qui permet de faire face aux contraintes
mécaniques imposées par la marche. En
revanche, la partie supérieure est plus fine car
moins sollicitée mécaniquement. En réalisant une
coupe dans le col du fémur d’Orrorin, on a
découvert qu’il présentait une partie inférieure
épaissie et une partie supérieure fine. Il devait
donc être bipède. Cependant, la taille de ses
phalanges et de son humérus montre qu’il vivait
encore un peu dans les arbres.
Le petit cerveau de Toumaï et d’Orrorin ne laisse
aucun doute sur leur comportement encore très
simiesque. Mais ils se sont redressés et nous ont
montré la marche à suivre.
Le ciel de Lucy est rempli de
diamants
Nous en sommes en 1974 lorsque la chanson des
Beatles : « Lucy in the Sky with Diamonds » est un
tube planétaire qu’une équipe de chercheurs, à
laquelle appartient Yves Coppens, écoute le soir
en triant les ossements qu’ils ont découverts.
Ceux-ci se révèlent être ceux d’une petite femelle
Australopithèque qu’ils surnomment… Lucy. Le
mythe venait de naître.
Lucy ou Lucien ?
Lucy avait la taille d’une enfant de 4 ans
mais le bassin aussi large que celui d’une
femme adulte. Pour ses découvreurs, il
semblait normal d’en faire une femelle et
de lui attribuer un prénom féminin.
Mais un anthropologue suisse a émis des
doutes quant au sexe de la star des
Australopithèques. Après avoir étudié un
bassin étroit d’un Australopithecus
afarensis, dont la forme ne semblait pas
entraver l’accouchement, il le compara à
celui, plus large, de Lucy. Paradoxalement,
ce dernier devait rendre les
accouchements très difficiles malgré sa
taille. Il en conclut que le bassin de Lucy
devait être une spécificité de son espèce
et qu’il pouvait de ce fait appartenir plutôt
à un mâle. Il aurait ainsi existé des
Australopithèques mâles et femelles à
bassin étroit et des Australopithèques
mâles et femelles à bassin large.
Cette théorie est loin de faire l’unanimité,
mais elle a quelque peu émoussé notre
affection pour ce symbole de l’humanité.
Lucien, ça sonne quand même moins bien
que Lucy !
Lucy n’est pas la plus ancienne Australopithèque
découverte ; elle n’a que 3,2 millions d’années
alors que certains datent de – 4,2 millions
d’années. Mais elle a fait couler beaucoup d’encre
car 52 os, soit 40 % environ de son squelette, ont
été exhumés, ce qui est exceptionnel. Son bassin
évasé, son trou occipital avancé et son col du
fémur allongé ne laissent aucun doute sur sa
bipédie. Cependant, une étude poussée de son
genou montre que sa démarche devait être
chaloupée, avec un roulement des hanches digne
de certaines danses actuelles. Lucy pratiquait la
salsa.

Le nom d’Australopithèques vient du latin


australis car les premiers ont été trouvés en
Afrique du Sud (australe), et du grec ancien
pithekos, qui signifie « singe ». Cette dernière
partie du nom montre qu’ils sont encore
considérés comme proches du Singe. Il est vrai
que leur cerveau de 450 centimètres cubes n’est
pas bien gros et que leur face est encore très
allongée. Mais ils se tiennent debout. Ce sont
donc bien des Homininés.
De très nombreux fossiles d’Australopithèques ont
été découverts, notamment dans l’Est africain. Le
23 janvier 1995, Michel Brunet découvre un fossile
d’Australopithèque au Tchad, dans le lit d’une
ancienne rivière. Il le nomme Abel, en hommage à
son ami Abel Brillanceau, paléontologue disparu
tragiquement au cours d’une mission au
Cameroun. Cette découverte fit sensation car
c’était la première fois que l’on trouvait un
Australopithèque si loin vers l’ouest, ce qui remit
en cause certaines théories sur l’origine de ce
groupe.
Un site empreint de
souvenirs du passé
Il y a 3,6 millions d’années, le volcan
Sadiman, situé dans un lieu d’Afrique qui
deviendra la Tanzanie, rejetait des
quantités importantes de cendres riches
en carbonatite. Celle-ci se comporte
comme du ciment lorsqu’elle est imbibée
d’eau. Elle garde ainsi en mémoire toutes
les traces qui lui ont été imprimées avant
son durcissement. C’est ainsi que dans la
fin des années soixante-dix, Paul Abell, un
membre de l’équipe de Marie Leakey, fit
une découverte sensationnelle à Laetoli :
deux pistes parallèles d’empreintes de pas
d’Homininés, longues de 27 mètres.
Des observations plus poussées ont
montré que les 54 empreintes n’avaient
pas été faites par deux, mais par trois
individus. Les plus petites de ces
empreintes qui sont également les plus
nettes ont certainement été faites par un
jeune ou une femelle. Les traces les plus
grandes ont été imprimées par deux
individus, l’un marchant dans les traces de
celui qui le précédait.
Ces empreintes ont permis d’affirmer que
la bipédie était déjà le mode de
déplacement couramment utilisé il y a 3,6
millions d’années. Leur étude a permis
également de se faire une idée précise de
la structure du pied à cette époque
reculée. Il semble ainsi que cette extrémité
du membre inférieur de ces bipèdes soit
un curieux mélange entre le pied du
Chimpanzé et celui de l’Homme. Il existe
une voûte plantaire comme chez l’Homme,
mais moins prononcée. Le pouce, en
revanche, est déporté vers l’intérieur de la
piste, à la manière des Chimpanzés. Une
progression vers l’Homme à pas feutrés.

Les différents spécimens trouvés appartiennent à


des espèces nombreuses et variées. On assiste
ainsi à une véritable explosion des
Australopithèques qui n’est pas sans rappeler ce
que nous avons déjà vu pour de nombreux
groupes venant d’apparaître. Le monde entier
s’ouvre à eux et ils partent à sa conquête dans
toutes les directions, en évoluant vers différentes
formes. On utilise l’expression de radiation
évolutive pour qualifier ce phénomène. Yves
Coppens qualifie même de buissonnante cette
évolution des préhumains.

Les derniers Australopithèques se sont éteints il y


a environ 1 million d’années et ont donc vécu près
de 4 millions d’années. Paradoxalement, ce n’est
pas le plus récent qui montre des caractères
proches de ceux des Homininés qui vont suivre. Il
semble que le groupe des Homo, c’est-à-dire le
nôtre, dérive de l’espèce anamensis qui a vécu il y
a environ 4 millions d’années. Les
Australopithèques qui viennent après n’ont donc
plus rien à voir avec nous. Impossible dans ces
conditions de les appeler « vieilles branches » !
East Side Story
Non, il n’y a pas de faute d’orthographe, il
s’agit bien de East et non de West ; mais
c’est bien entendu par allusion au film
musical de Jerome Robbins et Robert Wise
que ce nom a été donné à une théorie
d’Yves Coppens.
Nous sommes en 1981. De nombreux
fossiles d’Australopithèques ont déjà été
découverts, tous localisés à l’est d’une
vallée immense, la Rift Valley. Yves
Coppens élabore alors une théorie qui sera
une référence pendant plus de vingt ans.
Celle-ci stipule qu’il y a 8 millions
d’années, des grands Singes hominoïdes
vivent sur l’est du continent africain, dans
de grandes forêts. Ils sont alors arboricoles
et pratiquent de temps à autre la bipédie.
Mais cette région est géologiquement très
instable et une immense fracture se forme,
partageant nos grands Singes en deux
populations, de part et d’autre de cet
obstacle. Véritable barrière naturelle
infranchissable, la Rift Valley modifie
également le climat local. À l’ouest, la
pluie est abondante et les forêts tropicales
restent présentes. La végétation luxuriante
apporte de la nourriture en abondance.
C’est un lieu idéal pour l’évolution vers les
grands Singes arboricoles.
À l’est en revanche, les nuages peu
nombreux n’apportent plus suffisamment
de pluie. La forêt laisse sa place à la
savane. La nourriture y est rare et il faut
effectuer de grands déplacements pour la
trouver. Les grands Singes restés dans ce
milieu hostile vont alors utiliser la bipédie
pour se déplacer. C’est le départ de
l’hominisation, la longue route vers l’être
humain.
Cette théorie séduisante stipulait qu’aucun
Homininé ne pouvait être trouvé à l’ouest
de la Rift Valley. Il y eut d’abord Abel, puis
Toumaï à plus de 2 500 kilomètres… à
l’ouest. L’Est Side Story n’y a pas résisté.
Les Australopithèques cèdent la
place aux Homo

Vers – 2,5 millions d’années, apparaissent en


Afrique de l’Est de nouveaux Homininés avec une
face plus aplatie, mais surtout un cerveau plus
gros. C’est grâce à cet organe, atteignant 600
centimètres cubes, que ces nouveaux venus ont
été classés dans le groupe des Homo. Après
l’acquisition de la bipédie, la nouvelle tendance
sera l’augmentation du volume cérébral.
Les « Homo habilis » ont la
grosse tête

Ils ont été nommés Homo habilis, littéralement «


l’Homme habile », car on a retrouvé à côté de lui
des outils en pierre taillée, les premiers de
l’histoire de l’Homme. D’aspect rudimentaire, ils
étaient obtenus en percutant un galet sur une
face, de manière à obtenir un tranchant. Ces
outils, appelés choppers, servaient certainement à
briser les os durs et les crânes. Les éclats obtenus
lors des percussions devaient être utilisés pour
couper la viande. Il a donc fallu attraper la grosse
tête pour pouvoir fabriquer des outils.
Homo habilis vivait dans un paysage de savane
avec peu d’arbres pour se réfugier. Il devait
maîtriser la bipédie aussi bien que nous, ce qui lui
permettait de fuir lorsqu’il apercevait un grand
fauve. Il partageait son habitat avec des
Australopithèques et nul ne sait ce qui se passait
lorsque ces deux groupes se rencontraient. Se
combattaient-ils ? S’évitaient-ils ? Se
nourrissaient-ils de l’autre ? Certainement un peu
des trois.
L’« Homo erectus » quitte le
nid

L’Homme habile disparaît vers – 1,5 million


d’années, sans descendance semble-t-il car pour
beaucoup d’auteurs, il ne peut être notre ancêtre
direct. Quoi qu’il en soit, il a cohabité avec une
espèce plus évoluée qui est apparue il y a environ
2 millions d’années, Homo erectus.
Ce nom signifie « l’Homme droit » car il possède
une morphologie de coureur à pied. Ses longues
jambes associées à une taille de 1,70 mètre lui
permettent de parcourir de très longues distances
sans trop se fatiguer. Pas étonnant donc qu’il soit
le premier à quitter l’Afrique et à essaimer
jusqu’en Asie. Son cerveau, pouvant atteindre 1
200 centimètres cubes, lui permet de
confectionner un outil perfectionné, le biface.
Véritable couteau suisse de l’époque, ce galet
travaillé de manière symétrique sur deux faces
est utilisé pour couper, tailler, racler, voire percer
ou broyer.

Des traces de campements lui sont associées ainsi


que celles des premiers foyers. C’est donc à lui
que l’on doit la maîtrise du feu, une avancée
considérable qui va révolutionner la vie des
premiers Hommes. Avec le feu on peut se
défendre efficacement contre les fauves, on peut
s’éclairer le soir et organiser des veillées au cours
desquelles on transmet son savoir. Mais surtout,
on peut cuire les aliments, ce qui les rend plus
tendres et plus goûteux. De nombreuses graines,
tiges ou racines jusque-là indigestes vont pouvoir
être intégrées dans l’alimentation. Finis les
longues mâchouilles de feuilles et les efforts
désespérés pour arracher un morceau de chair à
un bout de viande coriace.
Allumez un feu façon
préhominiens
Contrairement à une idée reçue, les
Hommes préhistoriques n’allumaient pas
leurs feux à l’aide de deux silex, tout
simplement car c’est impossible : deux
silex frottés l’un contre l’autre ne
produisent que des étincelles dites froides,
incapables d’enflammer quoi que ce soit.
Tentez l’expérience et vous verrez bien !
En revanche, si vous tapez de la pyrite
contre un silex, alors vous pourrez voir
jaillir des étincelles chaudes. Le nom pyrite
vient d’ailleurs du grec pyros qui signifie «
feu ». Ce sont des éclats de sulfure de fer
échauffés par le choc qui s’échappent de
la roche.
Faire des étincelles c’est bien beau, mais il
faut les transformer en flamme. Pour cela
les Hommes préhistoriques utilisaient
l’Amadou, un champignon en forme de
sabot de cheval qui pousse le long des
troncs d’arbres. Vous
pouvez vous en procurer facilement au
cours d’une promenade. Ce champignon a
la particularité de donner rapidement des
braises lorsqu’il est bombardé d’étincelles.
Il suffit alors de le couvrir d’herbes sèches
et de souffler légèrement. Les flammes
devraient jaillir !
Si vous voulez épater vos amis un jour de
barbecue et que le coup de l’étincelle ne
marche pas, essayez avec du bois frotté.
C’était la mode au Néolithique. Munissez-
vous d’une tige et d’une planchette,
préférentiellement en bois fibreux. Placez
la tige verticalement et faites-la rouler
entre vos deux mains très rapidement, en
frottant la planchette. Si les frottements
sont suffisamment importants, une fumée
se dégage au contact entre la tige et la
planchette. C’est le moment d’y mettre de
l’herbe sèche et de souffler !

L’attendrissement de la nourriture va entraîner


une baisse sensible de la taille des dents et une
réduction des mâchoires. L’évolution joue parfois
des tours et chez l’Homme, il semble que la
réduction des mâchoires est allée plus vite que
celle des dents. Chez de nombreuses personnes,
les 32 dents ne tiennent plus sur les mâchoires et
il faut en supprimer mécaniquement quatre, dites
de sagesse. Mais le processus évolutif se poursuit
car chez bien des gens, elles n’arrivent plus à
percer la gencive. Aussi se peut-il fort bien que le
Terrien du futur ne possède que 28 dents. La
blague « Trente dedans et deux dehors »
deviendra alors un bide total.

L’Homo erectus était chasseur de bovidés et c’est


peut-être en suivant des troupeaux qu’il a migré
dans notre direction. Il devient ainsi le premier
Européen, vers – 1,8 million d’années, le premier
Espagnol vers – 800 000 ans et le premier
Français il y a 450 000 ans environ. Il s’était alors
installé dans les Corbières et plus précisément à
Tautavel. On y a retrouvé de nombreux restes
d’animaux comme des Bisons, des Rhinocéros et
des Mouflons, ce qui semble démontrer que c’était
un excellent chasseur. Mais on a également
retrouvé dans son garde-manger des restes
d’Homininés… laissant supposer du cannibalisme.
Roy Lewis a donc eu raison d’intituler son
ouvrage, « Pourquoi j’ai mangé mon père ? ».
Neandertal : le gentil Homme
des cavernes
Les fossiles d’Homo erectus trouvés en Europe de
l’Est, ainsi que l’Homme de Tautavel, présentent
des traits particuliers. Leur arcade sourcilière est
très marquée et leur mâchoire est légèrement
avancée. Ces caractères semblent annoncer
l’arrivée imminente d’un petit nouveau dans la
famille : l’Homme de Neandertal.
Il est à l’origine du mythe de l’Homme des
cavernes car sa morphologie trapue, son crâne
étiré vers l’arrière, son absence de menton et ses
arcades sourcilières bien marquées lui donnent un
air de brute épaisse. C’est lui, le héros poilu des
dessins animés qui porte une massue sur l’épaule
et qui traîne son épouse sur le sol en la tirant par
les cheveux. Mais tenez-vous bien, il se pourrait
que son volume crânien soit plus important que le
vôtre. En effet avec 1 600 à 1 700 centimètres
cubes, la plupart des Néandertaliens avaient un
plus gros cerveau que l’Homme moderne. Son
aspect trapu serait une adaptation au froid auquel
il a dû faire face lors des dernières périodes
glaciaires. D’ailleurs, selon certains spécialistes, il
serait le descendant direct d’Homo erectus isolés
en Eurasie à cause des glaciations.
Les tribus des Aglaglas
Au cours des 900 000 dernières années,
neuf périodes glaciaires ont alterné avec
neuf périodes interglaciaires. Il existe ainsi
de véritables cycles climatiques d’environ
100 000 ans découpés en 90 000 ans de
période froide et 10 000 de période plus
chaude. Âgé d’au moins 100 000 ans sous
nos latitudes, l’Homme de Neandertal a
obligatoirement connu le dernier (et peut-
être même l’avant-dernier) grand épisode
glaciaire de notre planète : la glaciation de
Würm.
L’apogée de cette dernière glaciation
remonte à environ 20 000 ans. Elle a laissé
de nombreuses traces dans les roches et le
paysage et a ainsi pu être étudiée avec
précision. Des calculs ont montré que
l’épaisseur des glaces continentales,
appelées inlandsis, pouvait atteindre
plusieurs kilomètres en certains endroits.
Une telle masse de glace soustrait
d’énormes quantités d’eau aux océans.
Ainsi le niveau des mers était très bas
durant cette période (120 à 150 mètres
plus bas) et de nouvelles terres émergées
ont fait leur apparition. Des ponts entre
continents ont vu le jour, permettant à des
animaux terrestres de conquérir de
nouveaux territoires.
L’exemple le plus intéressant est celui de
la Béringie, une région aujourd’hui
disparue mais qui permettait il y a encore
20 000 ans de traverser le détroit de
Béring à sec, c’est-à-dire de passer de la
Sibérie à l’Alaska. Les scientifiques
pensent que c’est en suivant des
troupeaux de ruminants dont ils se
nourrissaient, que les premiers Hommes
modernes sont arrivés par là sur le
continent américain.
De nombreuses populations humaines ont
certainement péri lors de ces périodes
difficiles, mais a contrario, leurs effets ont
permis à l’espèce humaine de se répandre
sur l’ensemble de la planète.

Les Néandertaliens réalisaient des bifaces d’une


grande finesse et utilisaient les éclats pour faire
des pointes et des racloirs. Ils apprirent même,
peu de temps avant de disparaître, à travailler l’os
et l’ivoire afin de réaliser des parures. Ils
enterraient leurs morts en leur confectionnant une
sépulture dans laquelle étaient déposées des
offrandes. Ces rites funéraires révèlent chez eux
une évolution spirituelle. Nous sommes loin de la
brute sanguinaire qui avait été décrite au tout
début de leur découverte et qu’il a été bien
difficile d’effacer dans la mémoire collective.

L’Homme de Neandertal s’est éteint vers – 30 000


ans pour des raisons mystérieuses qui ont fait
l’objet de très nombreuses hypothèses, parfois
farfelues. Quoi qu’il en soit, ils ont cohabité durant
plus de 50 000 ans avec l’Homme moderne,
comme l’attestent les traces de même âge
laissées par ces deux groupes dans des sites très
proches. Sommes-nous pour quelque chose dans
la disparition de notre voisin de chambrée ou
était-il déjà moribond ?

Figure 15-6 :
Comparaison de
l’Homme de
Neandertal avec
l’Homme moderne.
Une hypothèse
ensoleillée
Neandertal a-t-il disparu, irradié par les
ultraviolets du Soleil ? Cette nouvelle
hypothèse s’appuie sur l’étude du champ
magnétique terrestre enregistré dans des
coulées volcaniques de Laschamps, dans
le Puy-de-Dôme, et du lac Mono en
Californie.
Ces coulées datées de – 40 000 ans
montrent que le champ magnétique
terrestre a alors fortement diminué. Or ce
dernier protège la Terre des particules de
haute énergie émises par le Soleil, formant
ce que l’on appelle les Ceintures de Van
Allen. Ce défaut de protection magnétique
a permis aux particules solaires de rentrer
dans les basses couches de l’atmosphère
et de détruire la couche d’ozone. Or cette
dernière nous protège des rayonnements
ultraviolets. Cette irradiation ultraviolette
anormalement élevée aurait affaibli
Neandertal au profit d’Homo sapiens…

Des analyses génétiques récentes relancent le


débat sur l’interfécondité entre l’Homme de
Neandertal et l’Homme moderne, mais elles ne
semblent pas convaincre la communauté
scientifique. Si c’est le cas, il faudra peut-être à
nouveau considérer ces deux groupes comme
deux sous-espèces et revenir à l’appellation :
Homo sapiens neandertalensis pour le premier et
Homo sapiens sapiens pour le deuxième. Nous
pourrons alors ressortir des ouvrages datant d’une
vingtaine d’années…
J’ai les crocs, magnons…
Des analyses génétiques semblent montrer qu’il y
a environ – 400 000 ans, la dernière branche de
l’arbre des Homininés donnait naissance à deux
rameaux dont l’un conduit à l’Homme de
Neandertal et l’autre, à l’Homo sapiens, notre
ancêtre direct.

L’origine de l’Homo sapiens, l’Homme qui pense,


est vraisemblablement africaine. Les analyses
génétiques ainsi que les découvertes
paléontologiques convergent en ce sens. Apparu il
y a plus de 100 000 ans, il est présent vers – 92
000 ans au Proche-Orient, comme l’atteste la
découverte d’une vingtaine de squelettes à
Qafzeh, en Galilée. Parmi ces individus, dont
l’exceptionnel état de conservation est lié à leur
inhumation, certains présentent des
caractéristiques semblables à celles de la branche
européenne de l’Homo sapiens, l’Homme de Cro-
Magnon.
L’Homme de Cro-Magnon a été découvert en 1868
dans la commune des Eyzies-de-Tayac dans le
Périgord. Son nom a été composé à partir de cro
ou cros qui signifie « l’abri » en patois périgourdin
et de Magnon qui est un patronyme courant dans
la région. Découvert dix ans après l’Homme de
Neander, il est devenu tellement célèbre que la
qualification de Cro-Magnon s’est ensuite étendue
à tous les Hommes du Paléolithique supérieur.
Apparu en Europe vers – 35 000 ans, l’Homme de
Cro-Magnon est un Homininé de grande taille,
certains fossiles prouvant qu’il pouvait atteindre 2
mètres ! Son physique, très proche du nôtre, a fait
dire à certains que la seule différence entre Cro-
Magnon et vous ou moi, c’est qu’il vivait il y a 30
000 ans…
Il avait, semble-t-il, des os épais et un cerveau
plus important de 15 à 20 % que celui des
Hommes modernes. C’est avec lui que naît l’art
rupestre dont nous trouvons de très nombreuses
traces en France dans des sites devenus célèbres :
Lascaux, Chauvet… Il fabriquait des outils d’une
grande finesse dans du bois de cervidés et des os
d’animaux. Il inventa, il y a environ 20 000 ans le
propulseur qui lui permettait de doubler la
distance de jet de sa sagaie. Il devint ainsi un
chasseur redoutable. Ce n’était qu’un début…
Figure 15-7 : La
lignée humaine : un
buisson d’espèces.
Investir dans la pierre
Les premiers outils de la lignée humaine
ont été fabriqués à partir de pierres et ont
considérablement évolué au cours de la
préhistoire. Les spécialistes préfèrent
parler de cultures auxquelles ils associent
un ou plusieurs types d’outils.
La culture de l’Oldowayen, définie à
Oldoway en Tanzanie, est considérée
comme la première vraie industrie. C’est
en effet la première fois que des pierres
sont intentionnellement brisées pour en
faire des outils. Il s’agit des galets
aménagés ou choppers fabriqués par
Homo habilis. Elle est connue depuis – 2,5
MA.
La culture de l’Acheuléen, définie à Saint-
Acheul près d’Amiens dans la Somme, est
connue depuis – 1,3 MA. Il s’agit des
fameux bifaces fabriqués par Homo
erectus. D’abord grossiers et taillés au
hasard, ils évoluent considérablement vers
– 300 000 ans.
La culture du Moustérien, définie au
Moustier en Dordogne, débute vers – 300
000 ans. Elle correspond aux techniques
utilisées par les Néandertaliens pour
obtenir des outils très diversifiés, lourds ou
légers. Les roches utilisées étaient très
variées et pouvaient avoir été récoltées à
des dizaines de kilomètres du camp.
La culture du Paléolithique supérieur date
de l’arrivée de l’Homme moderne en
Europe. Les outils sont obtenus à partir de
la technique du débitage en lame. Ils sont
de plus en plus précis et de plus en plus
variés. Mais ils commencent à être
concurrencés par l’os, plus facile à
travailler.
Suivra le Néolithique et ses pierres polies
qui marquera l’apogée de l’utilisation de la
pierre. La découverte du métal et la
maîtrise de sa fusion sonneront le glas de
l’« âge de pierre » ; des savoir-faire
ingénieux ont ainsi disparu. Le
modernisme sévissait déjà !
Un Mammifère crée l’événement

Situons les événements majeurs de ce chapitre


sur l’horloge de la vie (voir figure C du cahier
central) :

11h47 : Apparition des Primates.


11h49 : Plus ancien fossile de Primate
connu.
11h58min 50s : Apparition et
diversification des Homininés.
11h58min 59s : Apparition des
Australopithèques.
11h59 min 20 s : Apparition d’Homo
habilis.
11h59 min 30 s : Apparition d’Homo
erectus.
11h59min 32s : Colonisation de l’Europe
occidentale par Homo erectus.
11h59min 36s : Disparition d’Homo
habilis.
11h59min 42s : Disparition des
Australopithèques.
11h59min 57s : Apparition de l’Homme
de Neandertal.
11h59 min 59,6 secondes : Apparition
d’Homo sapiens.
11h59 min 59,8 secondes :
Colonisation de l’Europe occidentale par
l’Homme de Cro-Magnon.
11h59 min 59,9 secondes : Disparition
de l’Homme de Neandertal.

L’histoire de notre apparition sur cette planète


n’est toujours pas écrite et ne le sera
certainement jamais, car au fur et à mesure des
découvertes, c’est un casse-tête qui s’étoffe. Si
parfois l’arbre cache la forêt, c’est la forêt tout
entière qui cache l’arbre généalogique de
l’Homme.

On préfère actuellement parler du caractère


buissonnant de la lignée humaine pour expliquer
cette foule d’ancêtres se bousculant au portillon
de notre histoire. Mais une chose est certaine : si,
au cours de l’histoire des Homininés, de très
nombreuses espèces ont cohabité, nous sommes
désormais les seuls et derniers représentants de
ce groupe de Primates. Lorsque nous nous
éteindrons, l’histoire des Homininés prendra fin.
Certains pensent que ce sera un bien pour la
planète. Nous leur laissons l’entière responsabilité
de leur propos.
Chapitre 16

Un chef d’orchestre sans


partition
Dans ce chapitre :
La genèse de la théorie de l’évolution
Les arguments de Buffon, Lamarck et
Darwin
La naissance et les lois de la génétique
Les travaux de Mendel, Cuénot, Sutton et
Morgan
Les espoirs et les interrogations de la
génétique actuelle

« Si la théorie de l’évolution est vraie, comment se fait-il


que les mères de famille n’aient toujours que deux mains ?
»
E. Dussault
Pour débuter ce dernier chapitre, nous pourrions
écrire : depuis l’apparition de la première cellule
jusqu’à celle de l’Homme, que de chemin
parcouru !
Mais si nous avons décidé de finir notre panorama
de la biologie par l’espèce humaine, c’est surtout
par commodité et par conformisme. Placer
l’Homme au sommet de l’évolution est une
conception… humaine. Nous ne pouvons vivre
sans oxygène ni lumière et il nous faut un petit
confort thermique pour prospérer. Notre capacité
d’adaptation est ridiculement réduite à côté de
celle des bactéries.

La notion d’être primitif ou évolué n’est ainsi


qu’un jugement de valeur, car si nous y
réfléchissons bien, tous les êtres qui sont présents
actuellement sur Terre ont la même durée
d’évolution puisque nous descendons tous de la
même cellule ancestrale nommée LUCA, pour Last
Universal Common Ancestor, c’est-à-dire le
dernier ancêtre commun à toutes les formes de
vie connues actuellement. Ce qui diffère entre
nous et les autres êtres vivants, ce sont les voies
évolutives empruntées, rien de plus.

Figure 16-1 :
L’arbre universel
du vivant et LUCA
(*voir chapitre 1 ;
**voir chapitre 3).
La communauté scientifique, dans sa grande
majorité, est en accord avec cette conception de
l’évolution de la vie. Mais pour qu’une telle idée
finisse par s’imposer, plus qu’une évolution, c’est
une véritable révolution des mentalités qu’il a
fallu opérer. Nombreuses sont les personnes qui
ont laissé des plumes dans cette croisade contre
l’obscurantisme. Rendons un vibrant hommage à
ces héros qui ont osé défier les certitudes de
l’humanité.
Transformation vs sélection
Lorsque le naturaliste suédois Carl von Linné jette
les bases de la classification moderne en 1735,
c’est dans le but de démontrer la grandeur de la
création divine. Linné est un fixiste, comme le
veut la pensée unique de l’époque. Pour lui
comme pour les autres, les espèces ont été créées
par Dieu lors de la Genèse et n’ont pas varié
depuis. Pourtant, dès 1747, le mathématicien
Maupertuis, biologiste à ses heures perdues, n’est
pas de cet avis. Pour lui, les espèces se
transforment par suite de variations individuelles
qui se perpétuent grâce à la reproduction. L’idée
de transformation est née.
Cette idée de transformisme sera reprise par le
philosophe Diderot, puis par le naturaliste Buffon.
Mais ce dernier est prudent et ne l’exprime pas de
manière explicite. Il se contente de citer des
ressemblances entre animaux et d’exprimer l’idée
que celles-ci pourraient faire penser à des liens de
parenté. Il a déjà assez à faire avec sa proposition
d’âge de la Terre que les députés et syndics de la
Faculté de théologie considèrent comme «
contraire à la croyance de l’Église ». Il finira par se
rétracter en justifiant qu’il « valait mieux être plat
que pendu ».
Mais, malgré leur prudence, les écrits de Buffon
vont propager l’idée de la transformation des
êtres vivants auprès de jeunes naturalistes
comme Lamarck, et un certain Darwin. La bataille
entre transformisme et fixisme a débuté.
Le cou de la Girafe vu par un
transformiste
Le premier à exprimer clairement la notion de
transformisme fut le naturaliste français, Jean-
Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, chevalier de
Lamarck, que vous pouvez appeler Lamarck,
comme tout le monde. En partant d’observations
sur les variations des individus au sein d’une
même espèce, il a exprimé l’idée que ceux-ci
s’adaptaient à leur milieu. Ainsi, si les conditions
climatiques ou géologiques changent de manière
durable, alors les êtres vivants transforment leur
corps pour s’y adapter. Cette transformation, non
contrôlée par l’individu lui-même, est
transmissible à la descendance. C’est l’hérédité
des caractères acquis.
Pour Lamarck, ces modifications sont lentes et
graduelles, et donc imperceptibles à l’échelle
humaine. L’exemple qu’il utilise pour étayer sa
thèse est celui du cou de la Girafe. Selon lui, si la
Girafe est affublée d’un si long cou, c’est qu’elle a
dû l’allonger pour atteindre des branches hautes
des arbres, lorsque la concurrence pour les
branches basses était forte en période sèche. Ce
principe est surtout connu par la phrase : « La
fonction crée l’organe. » Si un organe est sollicité
fréquemment, alors il s’accroît. En contrepartie,
un organe inemployé est amené à régresser, voire
disparaître. Nous savons maintenant que tout ceci
est faux.
Lamarck, n’ayant jamais pu prouver sa théorie par
l’expérimentation, ne fut pas difficile à combattre.
Parmi ses principaux détracteurs on trouve un
certain Cuvier, qui permit au fixisme de perdurer
un demi-siècle de plus, jusqu’à l’arrivée d’un
naturaliste fin observateur, répondant au nom de
Charles Darwin.
Du pauvre Lamarck, on ne retiendra que sa
théorie erronée. Pourtant il fut l’un des premiers à
défendre l’idée d’évolution.
La sélection naturelle :
marche ou crève !

En 1859, parut l’ouvrage L’Origine des espèces


par la sélection naturelle, qui allait révolutionner
l’idée que l’on se faisait du monde vivant. Son
auteur, Charles Darwin, alors âgé de 50 ans, avait
réalisé un voyage autour du monde à bord du HMS
Beagle, au cours duquel il avait été intrigué par de
nombreuses observations.
Il s’était également intéressé à la manière dont les
éleveurs pratiquaient la sélection dans leurs
troupeaux. Et enfin, il avait lu les travaux du
célèbre économiste Malthus dont il retint un
principe important : lorsqu’il y a un déséquilibre
entre les populations et les ressources dont elles
disposent, on assiste à une lutte pour la vie dont
ne sortent vainqueurs que les plus aptes.
C’est ainsi qu’est né le concept de la sélection
naturelle, véritable clé de voûte de la théorie de
Darwin. Pour lui, l’adaptation est le fruit d’une
sélection qu’il a qualifiée de naturelle par analogie
avec la sélection artificielle pratiquée par les
humains depuis des millénaires.
Le cou de la Girafe vu par Darwin
Pour bien comprendre la théorie de l’évolution
selon Darwin, reprenons l’exemple de la Girafe de
Lamarck. Au lieu d’affirmer comme son infortuné
prédécesseur que c’est en s’étirant pour atteindre
les feuilles des arbres que leur cou s’est allongé,
Darwin l’explique en affirmant qu’au départ toutes
les Girafes n’avaient pas la même longueur de
cou. Lorsque la nourriture se faisait rare, seules
celles qui avaient le cou plus long pouvaient
atteindre les feuilles des grands arbres et avaient
donc plus de chances de survivre et de
transmettre leurs caractéristiques à leurs
descendants. On y voit très clairement l’influence
malthusienne.

Figure 16-2 : Le
cou de la Girafe…
Darwin et ses Pinsons
C’est au cours du second voyage du HMS
Beagle, aux environs des années 1830,
que Darwin découvre les îles Galápagos.
Situées sur l’équateur, à 900 kilomètres
des côtes ouest de l’Amérique du Sud, les
îles Galápagos sont nées récemment
d’éruptions volcaniques. Vierges de tout
être vivant à leur naissance, elles ont été
colonisées par des flores et des faunes
venues d’ailleurs.
En bon naturaliste, Darwin décrit avec
détails les plantes, les animaux et les
fossiles qu’il y découvre. C’est ainsi qu’un
groupe d’Oiseaux attire son attention : les
Pinsons. Ceux-ci sont d’aspects très variés
d’une île à l’autre ; certaines espèces
vivent sur le sol, d’autres sont arboricoles,
d’autres encore peuplent les Cactus.
Darwin observe un lien étroit entre la
forme de leur bec et leur nourriture : des
becs épais pour casser la graine, des becs
fins pour picorer les Insectes, etc.
Malgré ces différences morphologiques,
tous ces Pinsons ont un air de famille.
C’est ce qui poussa Darwin à imaginer
qu’une forme ancestrale de Pinson,
certainement granivore était venue du
continent sud-américain et avait colonisé
en premier lieu les îles du centre de
l’archipel. Seuls sur ce territoire et à l’abri
de toute concurrence étant donné
l’éloignement géographique, les
descendants de ce colon s’étaient attribué
toutes les niches écologiques disponibles
et avaient fini par se diversifier en
plusieurs espèces.
On a donné le nom de spéciation à ce
processus évolutif par lequel de nouvelles
espèces vivantes apparaissent. Les Pinsons
des Galápagos sont un bon exemple de
spéciation d’origine essentiellement
géographique car c’est en s’isolant sur
différentes îles que la population
ancestrale s’est scindée en différentes
espèces.

Il ne faut pas non plus tout opposer entre Lamarck


et Darwin, car ce dernier admet également l’idée
de transformations lentes et graduelles des
espèces. Mais, pour lui, les changements opérés
chez les individus d’une espèce ne sont pas des
réponses à l’action du milieu. Ils sont liés au
hasard et peuvent être favorables ou non. Ce sont
les exigences du milieu qui feront le tri parmi les
êtres les plus adaptés, les plus en accord avec
elles. Pour simplifier, disons que la Nature fait des
essais et que la sélection naturelle fait le tri parmi
eux. Si tu es adapté tu restes, sinon, tu disparais.
Comme diraient nos amis romains « Dura lex, sed
lex », la loi est dure mais c’est la loi.
Les exemples illustrant la notion de sélection
naturelle ne manquent pas. Parmi les facteurs
sélectifs, nous retrouvons ceux que nous avons
rencontrés dans les chapitres précédents : les
changements climatiques, l’apparition de
nouvelles niches écologiques, la concurrence
entre espèces et la prédation. Cette dernière est
souvent qualifiée de prédation différentielle car
certains individus sont plus touchés que d’autres.
Ce peut être les moins rapides, les plus visibles,
les plus gros, les plus petits, etc. Tout dépend du
prédateur et de sa technique de chasse.
On cite souvent le cas des Loups qui, en
s’attaquant préférentiellement aux animaux
malades, rendent le troupeau de Cervidés plus
fort. L’Homme a fort heureusement mis fin à ces
pratiques en protégeant les plus faibles. On ne
peut que s’en féliciter.
Entre Pois et Souris : les débuts de la
génétique
La théorie de Darwin déchaîna les passions mais
finit par s’imposer car elle s’appuyait sur des
données scientifiques contrairement à celle de
Lamarck. Darwin profita également d’un contexte
favorable avec la découverte, en 1856, de
l’Homme fossile de Neandertal et la réfutation de
la génération spontanée par Pasteur en 1860.
L’histoire de la théorie de l’évolution montre à
quel point il est difficile de faire passer de
nouvelles idées lorsque le contexte ne s’y prête
pas. L’histoire de la génétique est là pour nous le
confirmer.
Mendel et ses Petits Pois
Pendant que Darwin écrit son ouvrage sur l’origine
des espèces, Frère Gregor, alias Johann Mendel,
cultive des Petits Pois au monastère de Brno, à
Vienne. Son but n’est pas d’en faire un
accompagnement pour pigeon rôti, mais d’étudier
la transmission des caractères. À cette époque, le
mot
« génétique » n’est pas encore connu et le monde
scientifique croit à la théorie de l’hérédité par
mélange : chacun des parents contribuant à parts
égales à la formation d’un individu, leurs
caractères se mélangent et le descendant est un
intermédiaire entre ces deux parents. On trouve
encore ce type de conception dans l’opinion
publique avec l’exemple des cheveux roux que
beaucoup de gens pensent être un heureux
mélange entre les cheveux bruns et les cheveux
blonds des parents. Tout ceci est totalement faux
car cette teinte de cheveux est un caractère à
part entière qui peut, pour des raisons que nous
allons aborder, sauter des générations.
Figure 16-3 : Les
cheveux roux : un
caractère bien
spécifique !
L’expérience de Mendel
Mendel est un besogneux qui met au point un
protocole méthodique, carré diraient les matheux.
Il a choisi de travailler sur le Pois par commodité,
car trier des Petits Pois lisses ou ridés, verts ou
jaunes, ce n’est pas très compliqué. Mais pour
obliger un plant de Petits Pois jaunes et lisses à se
reproduire avec un plant de Petits Pois verts et
ridés, il faut être patient. Il faut sectionner les
étamines des fleurs que l’on veut féconder pour
éviter qu’elles ne se fécondent par leur propre
pollen, prélever du pollen dans les fleurs des pieds
que l’on veut croiser à l’aide d’un pinceau et le
déposer sur le pistil de la fleur privée d’étamine.
Enfin, il faut emballer cette fleur fécondée dans un
petit sac en papier ou un tissu fin afin de la
protéger des pollens volant dans le jardin du
monastère. Un vrai travail de bénédictin !
Méthodiquement, Mendel va réaliser des
croisements entre ces deux variétés de Petits Pois
: lisse et jaune pour l’une, et verte et ridée pour
l’autre. La première génération est étonnante,
tous les Pois sont jaunes et lisses. Où sont passés
les caractères verts et ridés ? Mendel croise ces
jaunes et lisses entre eux et obtient des résultats
encore plus étonnants : sur les 556 Pois obtenus,
315 sont jaunes et lisses, 101 jaunes et ridés, 108
verts et lisses et 32 verts et ridés. Non seulement
les caractères verts et ridés sont réapparus, mais
en plus ils se sont mélangés aux deux autres.
Figure 16-4 : Les
Petits Pois de
Mendel.

En analysant mathématiquement ses résultats,


Mendel est persuadé d’une chose : la transmission
des caractères obéit à des règles. Il en établira
trois principales, connues sous le nom de « lois de
Mendel ». À cette époque, les chromosomes, et a
fortiori les gènes, sont bien entendu totalement
inconnus et Mendel propose le terme de «
particules de l’hérédité » pour désigner les
éléments qui supportent les caractères.

La loi de l’uniformité des hybrides de


première génération, appelés F1.
Lorsque vous achetez des sachets de
graines portant la mention F1, vous avez
entre les mains le résultat d’un croisement
qui vous donnera des plantes toutes
identiques.
La loi de ségrégation des caractères.
Lors de la formation des gamètes, les
caractères qui étaient regroupés chez
l’hybride F1 se séparent et peuvent donc se
mélanger dans la génération suivante. C’est
pourquoi, si vous semez les graines issues
de la génération F1, vous aurez la mauvaise
surprise d’obtenir des plantations
hétérogènes.
La loi d’indépendance des couples de
caractères. Pour Mendel, les différents
couples de caractères sont indépendants
les uns des autres et peuvent donc être
redistribués de manière aléatoire dans la
descendance. C’est la raison pour laquelle
si vous ressemiez des graines issues d’un
croisement de F1, vous observeriez une
séparation des caractères que vous aimiez
voir regroupés chez ces hybrides.

Des trois lois de Mendel, seule la deuxième est


toujours vérifiée. Les deux autres comportent de
très nombreuses exceptions.
En 1865, lors de deux conférences à la Société de
sciences naturelles de Brünn, Mendel présente ses
conclusions, mais son auditoire ne saisit pas la
portée de ses résultats. En 1866, Mendel envoie
son travail aux plus grands spécialistes ; seul l’un
d’eux lui répond. Ses lois de l’hérédité furent ainsi
accueillies dans l’indifférence générale. Ce n’est
qu’au début du XXe siècle que de nombreux
travaux confirment les observations de Mendel.
Nombreux furent les visionnaires morts dans
l’oubli. Mendel eut la chance que les «
redécouvreurs » de ses lois eurent l’honnêteté de
lui en attribuer la paternité. Mais combien n’ont
pas eu cette chance ? Une autre leçon que nous
pourrions tirer de cette histoire est que la vérité
n’appartient pas toujours à la majorité, fût-elle
constituée d’éminents spécialistes. À bon
entendeur…
Cuénot et ses Souris
En 1900, trois biologistes, Hugo de Vries, Erich
Tschermak et Carl Correns, publient séparément
des résultats de croisements chez les végétaux et
constatent avec stupeur qu’ils sont comparables à
ceux obtenus, trente-cinq ans plus tôt, par un
dénommé Mendel. Les Petits Pois furent ainsi
déterrés.
En ce début de siècle, une certaine euphorie
gagne les milieux scientifiques et les découvertes
se succèdent à un rythme effréné. En France, un
certain Cuénot travaille sur l’hérédité de la
pigmentation du pelage chez la Souris de maison.
Son étude illustre encore tous les livres scolaires
parlant de génétique.

Figure 16-5 : Les


Souris de Cuénot.
Sutton et ses Sauterelles
En 1903, Walter S. Sutton publie un article dont le
titre est « The Chromosoms in Heredity ». Il n’est
pas besoin d’avoir beaucoup pratiqué la langue de
Shakespeare pour comprendre qu’il y met en
relation les chromosomes et l’hérédité. En ce
début de XXe siècle, Sutton s’intéresse à la
spermatogenèse chez une Sauterelle et plus
particulièrement au comportement des
chromosomes lors de la division cellulaire appelée
méiose (voir chapitre 4). Il faut dire que les
chromosomes viennent à peine d’être découverts
et que l’on ne sait encore rien d’eux.
La Sauterelle en question possède 23
chromosomes et Sutton s’aperçoit qu’il peut les
classer selon leur taille en 11 paires, plus un
solitaire, le chromosome X. Il note que chaque
gamète ne reçoit qu’un chromosome de chaque
paire au cours de la méiose. Ce ballet des
chromosomes lui rappelle étrangement les
résultats obtenus par Mendel. Et si la séparation
des chromosomes de chaque paire illustrait la
séparation des caractères décrite par le défunt
moine ? La théorie chromosomique de l’hérédité
vient de naître : les chromosomes sont les
supports des caractères.

Une nouvelle science prend son essor ; mais elle


n’a pas encore de nom. C’est le zoologiste William
Bateson qui propose en 1905 de la nommer «
génétique ». En 1909, Wilhelm Johannsen, un
botaniste danois, introduit le mot « gène », qui
signifie en grec « donner naissance », pour
nommer les particules de l’hérédité proposées par
Mendel.
C’est ainsi que près de vingt ans après sa
disparition, les biologistes ressuscitèrent ce
botaniste. Qui a dit que la vie ne fait pas le moine
?
Et Morgan découvrit les X-
Mouches
En 1908, Thomas H. Morgan, qui travaille sur une
petite Mouche appelée Drosophile, remarque
qu’un mâle a les yeux blancs, alors que tous les
autres ont les yeux rouges depuis de nombreuses
générations. Il s’agit certainement d’une
mutation. Celle-ci l’intrigue et il entreprend d’en
étudier la transmission. Lui et son équipe vont
alors se consacrer totalement à l’étude de
l’hérédité en élevant un nombre astronomique de
Drosophiles. Le mythe des « droso » de Morgan
allait naître.
La petite Mouche à
ventre noir qui aime la
rosée
Non, ce n’est pas le début d’un poème,
mais la traduction grecque du nom
scientifique (Drosophila melanogaster) de
la Drosophile. Vous l’avez obligatoirement
croisée dans la nature ou dans votre
cuisine, posée sur des fruits trop mûrs. Elle
fit ses débuts dans les laboratoires à
l’université de Harvard au début du siècle
dernier et ne les quitta plus. C’est, à vrai
dire, un véritable prodige et les généticiens
vont de surprise en surprise avec elle.
Jugez vous-même.
Elle est minuscule, très facile à élever au
laboratoire et supporte bien les
expériences de croisements et de
mutations. Elle se reproduit toute l’année
sans interruption, avec une nouvelle
génération tous les dix jours, ce qui nous
donne plus de 30 générations par an. La
femelle est très prolifique et peut pondre
plusieurs centaines d’œufs. Les mâles sont
sexuellement mûrs six heures après la
naissance. Mâles et femelles sont faciles à
distinguer et n’ont que quatre paires de
chromosomes dont deux chromosomes
sexuels identiques chez la femelle (XX) et
deux différents chez le mâle (XY).
Pour finir cet éloge, disons que la
Drosophile est toujours une petite bête de
choix pour les généticiens. Les recherches
récentes continuent à lui dérouler le tapis
rouge et elle sert de modèle animal pour
de nombreuses recherches comme l’étude
de maladies neuro-dégénératives
humaines, par exemple la chorée de
Huntington.
Cerise sur le gâteau, notre petite Mouche
est utilisée pour étudier le rôle de certains
gènes dans le développement
embryonnaire ou l’identification de gènes
impliqués dans le cancer. Pourquoi l’avoir
choisie, elle ? Tout simplement car elle
possède certains gènes très proches des
nôtres et notamment responsables des
cancers humains.
Quand on est généticien, on prend la
mouche facilement.

Grâce à la prolificité exceptionnelle de sa petite


protégée (une seule femelle peut pondre des
centaines d’œufs), Morgan va pouvoir réaliser des
études statistiques de l’hérédité. En effet, vous
avez certainement entendu ou lu que les
sondages étaient réalisés sur un panel de près de
1 000 individus. Ce chiffre constitue pour les
statisticiens un minimum pour que le sondage ait
une valeur, et il en va de même pour les études
statistiques de l’hérédité. Morgan va ainsi obtenir
des proportions d’une grande précision qui lui
permettront de faire des découvertes étonnantes.
Prix Nobel pour le rôle du chromosome

La première de ces découvertes est l’hérédité liée


au sexe. En effet, Morgan découvre que pour
certains caractères comme la couleur des yeux,
croiser une femelle aux yeux blancs avec un mâle
aux yeux rouges donne des résultats différents
que le croisement d’un mâle aux yeux rouges
avec une femelle aux yeux blancs. C’est une de
ses élèves, N. Stevens qui apporte la solution : les
femelles ont deux chromosomes X et les mâles un
chromosome X et un chromosome Y. Le gène de la
couleur des yeux étant sur le chromosome X,
l’inversion des croisements donne des résultats
différents.

Figure 16-6 : Les


croisements de
Morgan.
La deuxième découverte importante est la
capacité des chromosomes à s’échanger des
gènes au cours de la méiose. Morgan travaillait
alors sur des Mouches doublement mutantes. Non
seulement elles avaient les yeux blancs, mais
elles avaient en plus des ailes ridiculement
petites, qu’il nomma vestigiales, pour vestiges. Il
croisa des Mouches aux yeux rouges et aux ailes
longues avec des Mouches aux yeux blancs et aux
ailes de vestigiales. Il obtint une majorité de
Mouches identiques aux parents et quelques
Mouches présentant deux nouvelles combinaisons
: des Mouches aux yeux rouges et aux ailes
vestigiales, et des Mouches aux yeux blancs et
aux ailes longues.
À première vue, tout ceci peut vous sembler
normal car Mendel avait déjà obtenu ce type de
résultats avec ses Petits Pois dont les caractères
couleur de la graine et forme de la graine
s’étaient mélangés. Mais ici il y avait un hic. En
effet, Morgan savait que ces deux caractères
étaient sur le même chromosome ; il n’y avait
donc aucune raison de voir le blanc quitter le
vestigial et le rouge quitter les ailes longues. C’est
en reprenant une observation du cytologiste
Janssen que Morgan trouva la solution.
En effet, Janssen avait observé qu’au cours de la
méiose, les chromosomes d’une même paire,
après s’être accolés sur toute leur longueur,
pouvaient montrer des structures en croix
appelées chiasmas. Il avait alors pensé que les
chromosomes pouvaient se casser et se recoller
au niveau de ces figures en croix. Morgan reprit
cette idée et suggéra que les recombinaisons
observées chez certaines Mouches filles
s’expliquaient par des échanges de gènes au
cours de ces chiasmas. Il inventa le terme de «
crossing-over » traduit en français par «
enjambement ».

Les expériences de Morgan apportèrent la preuve


que les chromosomes étaient le support des
gènes. Avec ses Drosophiles, Morgan moucha tous
les détracteurs de la théorie chromosomique de
l’hérédité et obtint le prix Nobel de biologie en
1933.
La génétique d’hier à demain
À la suite des travaux de Morgan, les découvertes
en génétique vont s’accélérer. Un de ses
étudiants, A. Sturtevant, met au point un
protocole permettant de déterminer la position
relative des gènes sur les chromosomes,
inventant ainsi la première carte génétique. Un
autre de ses élèves, H. J. Muller, trouvant qu’il
fallait attendre trop longtemps pour qu’une
nouvelle mutation apparaisse chez les
Drosophiles, eut l’idée de les bombarder aux
rayons X. Les résultats dépassèrent toutes ses
espérances au point qu’il décida d’orienter ses
recherches sur la génération de mutations par
l’irradiation aux rayons X. Il reçut le prix Nobel de
physiologie et de médecine en 1946 pour ses
travaux.
À la fin du premier quart du XXe siècle, les
immenses progrès faits dans tous les domaines
scientifiques apportaient des regards nouveaux
sur le monde vivant. La théorie évolutive de
Darwin pouvait-elle résister à ces nouveaux
concepts ? Était-il possible de l’adapter ? Ces
questions animèrent des débats qui eurent lieu
entre 1930 et 1940. De nombreux scientifiques de
tous bords – généticiens, biologistes et
paléontologues – y participèrent. La réponse fut
claire : non seulement la théorie de Darwin restait
valable, mais les connaissances acquises depuis
son élaboration ne faisaient que la confirmer. Il
fallait juste l’adapter un peu.
C’est ainsi que prit naissance la théorie
synthétique de l’évolution, intégrant à la théorie
darwinienne, celle de l’hérédité mendélienne.
Appelée également néodarwinisme ou synthèse
néodarwinienne, cette théorie n’est en réalité
qu’une extension de la théorie originale du grand
maître, Charles Darwin, qui ignorait l’existence
des gènes. Un concept nouveau a ainsi vu le jour
entre 1920 et 1940 : la génétique des populations.
Selon ses auteurs, la génétique mendélienne ne
s’applique pas uniquement à l’individu mais à un
groupe d’individus. Pour faire simple, disons que
lorsqu’une forme d’un gène se répand dans une
population c’est que le caractère qui en découle
apporte un avantage sélectif aux individus qui le
possèdent. Le lien entre les deux théories est ainsi
évident.
La colle et les ciseaux
Si vous voulez travailler sur l’ADN, il vous
faut deux outils : une paire de ciseaux
moléculaires pour couper différents ADN et
un tube de colle moléculaire pour
assembler les morceaux choisis. Le
premier est nommé enzyme de restriction
et vous permet de couper l’ADN avec une
grande précision. Le deuxième s’appelle
ligase et est capable de souder des
morceaux d’ADN entre eux. Muni de ces
deux outils, vous pouvez, en théorie,
modifier n’importe quel être vivant en
utilisant les gènes de votre choix.
Loin de toute controverse, certains OGM
(organismes génétiquement modifiés)
remplissent un rôle très important depuis
de nombreuses années, dans le domaine
de la santé humaine. Prenons l’exemple de
l’insuline. Cette hormone fait défaut chez
les diabétiques de type I et ils doivent se
l’injecter régulièrement. Jusqu’à une
époque récente, l’insuline utilisée était
celle du cochon, ce qui n’allait pas sans
poser de nombreux problèmes de pureté
et de tolérance par l’organisme.
Les scientifiques ont eu l’idée de la faire
fabriquer par des bactéries. Pour cela ils
ont localisé le gène humain responsable de
la synthèse de cette hormone, l’ont
soigneusement prélevé et l’ont intégré
dans l’ADN d’une bactérie, à l’aide des
outils précités. Cette bactérie s’est mise à
produire de l’insuline humaine. En la
faisant se multiplier dans des réservoirs
adaptés, on obtient des quantités très
importantes de cette hormone, pure et
donc très bien tolérée.
On a pratiqué de la même manière avec
l’hormone de croissance humaine. Pensez-
y, s’il y a plus de vingt ans, on avait
disposé de cette hormone pure fabriquée
par des bactéries, on n’aurait pas eu
besoin de la prélever sur des cadavres. De
pauvres enfants ne seraient pas morts de
la maladie de Creutzfeld-Jakob et le procès
de l’hormone de croissance n’aurait jamais
eu lieu…

Les progrès incroyables faits dans le domaine de


la génétique depuis les années cinquante, en lien
étroit avec l’évolution des technologies,
permettent à l’heure actuelle de manipuler les
gènes. Espoir pour certains, frayeur pour d’autres,
ces nouvelles perspectives présentent leurs lots
d’avantages et d’inconvénients. Alors comportons-
nous comme des chevaliers Jedi et faisons gagner
le côté clair de cette nouvelle force !
Et l’histoire continue… avec ou sans
nous
Une fois n’est pas coutume, dit-on. Alors finissons
ce chapitre de manière beaucoup plus solennelle
que les autres par une pensée hautement
philosophique : « La théorie de l’évolution traite
d’événements très anciens, détruit la position
privilégiée de l’espèce humaine non seulement
comme couronnement mais aussi comme finalité
de la création, et foule aux pieds la moitié des
religions de la planète. » Cette citation de Ian
Stewart est on ne peut plus d’actualité tant
l’œuvre de Darwin est actuellement décriée par
les créationnistes de tout poil.
L’obscurantisme a toujours été un frein au
développement des connaissances et même si la
science dérape de temps à autre, ce n’est pas une
raison pour rejeter en bloc tous les progrès
accomplis. On ne jette pas le bébé avec l’eau du
bain !
Sixième partie

La partie des Dix

Dans cette partie…

Savez-vous quel est l’animal le plus lourd de la planète ? et


le plus grand ? Et quel est le plus vieil arbre ? Vous
trouverez les réponses à toutes ces questions dans les
chapitres des dix records animaux et des dix records chez
les plantes.
Enfin, pour clôturer cette belle histoire de la vie, nous vous
raconterons dix histoires de partage équitable, dix
associations chez les animaux et les plantes, dignes de
fables de La Fontaine et qui prouvent une fois encore que
partager est plus enrichissant que guerroyer…
Chapitre 17

Dix records animaux


Dans ce chapitre :
Qui est le plus grand, le plus gros, le plus
long, le plus rapide ?
Les animaux les plus imposants sur terre,
sur mer et dans le ciel

« J’ai toujours été surpris qu’un record battu


ne se soit jamais plaint. »
Pierre Dac
Débutons cette partie des Dix par les questions
que se posent les enfants, qu’ils posent à leurs
parents ou leurs grands-parents, mettant souvent
ces derniers dans l’embarras : « Dis grand-père,
c’est qui l’animal qui court le plus vite ? Dis
maman, c’est qui le plus gros poisson ? Dis grand-
mère, combien ça mesure le cou d’une girafe ? Dis
papa, ça pèse combien la plus grosse baleine ?…
»
Mesdames et Messieurs, voici quelques bouées de
sauvetage pour ne pas décevoir votre progéniture
ou arrière-progéniture ! Et puis, avouons-le, nous
aimons tous nous extasier devant les records ;
nous avons tous gardé une âme d’enfant enfouie
au plus profond de nous.
L’animal le plus lourd de la planète
Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas
les monstres de Jurassic Park qui détiennent les
records de poids, mais un animal actuel et paisible
de nos océans : la Baleine bleue. Appelée
également Rorqual bleu, elle peut avoisiner les 30
mètres de long et peser plus de 180 tonnes. Ce
chiffre est une estimation car il est difficile de faire
monter une Baleine bleue sur une balance, même
sur un pèse-camion. C’est, hélas, par l’addition
des morceaux obtenus après découpage par les
baleiniers que ce poids est avancé.
Chez un tel animal, les organes sont bien entendu
proportionnels à sa masse. Ainsi sa langue peut
peser 2,7 tonnes et sa gueule est en mesure de
contenir 90 tonnes d’eau ; de quoi avaler Jonas et
son bateau. Le cœur d’une Baleine bleue peut
atteindre les 700 kilos et ne se contracte que huit
fois par minute, en surface, et quatre fois par
minute en plongée. Cela semble suffisant pour
mettre en mouvement les 10 000 litres de sang de
l’animal. Son aorte, c’est-à-dire le tuyau à la sortie
du cœur atteint les 23 centimètres de diamètre,
soit trois fois la taille d’un tuyau de récupération
d’eau de gouttière classique. À chaque inspiration,
c’est presque 5 000 litres d’air qui pénètrent dans
les poumons de l’animal. Si le foie de porc ou de
génisse vous répugne, alors que diriez-vous d’une
tranche de foie de Baleine de plus d’une tonne !
Le pauvre animal fut pourchassé durant des
siècles pour sa chair, mais surtout pour sa graisse
qui alimentait les lampes à huile. Il faut dire
qu’avec un enrobage de 5 à 30 centimètres, la
capture d’une seule Baleine bleue pouvait fournir
50 tonnes de graisse. Une manne pour les
armateurs. Pour fabriquer un tel animal, vous vous
dites qu’il faut qu’elle ingurgite une masse
colossale de poissons. Mais la Baleine bleue n’est
pas une chasseuse ; elle laisse cette activité à son
cousin le Cachalot. Elle ne possède pas de dents
mais des fanons, sortes de grandes lames cornées
munies de poils qui jouent le rôle de filtre. Grâce à
ce dispositif, elle capture son plat préféré : de
minuscules Crevettes connues sous le nom de
krill. Et comme il lui en faut tout de même 4
tonnes par jour en moyenne, la filtration est l’une
de ses principales activités.
Pour compléter ce petit panorama du gigantisme,
ajoutons que le baleineau pèse 2,5 tonnes à la
naissance pour une taille de 7 mètres, qu’il boit
environ 500 litres de lait par jour et qu’il prend 3,5
kilos par heure. Mais quand on a été fabriqué à
l’aide d’un pénis de plus de 2 mètres, il ne faut
pas s’étonner…
L’animal le plus rapide au sol
Le record de vitesse au sol est détenu par un
Mammifère quadrupède : le Guépard. Son corps
mince et musclé ainsi que ses longues jambes lui
permettent d’atteindre une vitesse de pointe de
110 kilomètres-heure. À titre de comparaison, un
Homme champion de sprint atteint difficilement
les 40 kilomètres-heure. La longue queue du
Guépard lui sert de gouvernail et ses griffes semi-
rétractiles l’aident à prendre des virages serrés.
Mais ce félin se fatigue vite et ne peut pas assurer
sa vitesse de pointe sur plus de 300 mètres. Il doit
donc attraper très rapidement ses proies sous
peine de les voir continuer la course seules. Afin
d’optimiser ses chances, le Guépard s’approche le
plus possible de celles-ci (à environ 30 mètres), en
se glissant silencieusement entre les hautes
herbes. Il bondit ensuite comme un diable et se
jette à corps perdu dans la course.
Si la proie n’est pas attrapée dans les secondes
qui suivent, le Guépard préfère abandonner car
ces attaques éclairs lui coûtent très cher en
énergie. Une fois la proie attrapée, le Guépard doit
la manger très rapidement car il n’est pas très
baraqué et ne fait pas le poids face au Lion. Il est
également incapable de hisser sa proie dans un
arbre à la manière du Léopard. Bref, belle
carrosserie, moteur puissant mais fragile ; que de
la frime !
Le Mammifère marin le plus rapide
Avec ses 10 mètres de long et ses 10 tonnes,
l’Orque est le plus grand représentant de la
famille des Dauphins. Cela ne l’empêche pas
d’atteindre la vitesse de 55, voire de 65
kilomètres-heure en vitesse de pointe sur de
courtes distances. Il existe deux catégories
d’Orques, les résidentes et les nomades. Ces
dernières sont les plus imposantes et s’attaquent
aux Phoques, aux Éléphants de mer, aux
Dauphins et même à la Baleine bleue et au
Cachalot. Attaquant en groupe, elles usent de
stratégies sophistiquées fondées à la fois sur la
surprise et la terreur, qui semblent tétaniser leurs
proies.
Avec sa livrée blanche et noire, l’Orque est
facilement reconnaissable. Ces teintes jouent
d’ailleurs un rôle non négligeable dans la chasse
de l’animal. La partie noire du corps,
majoritairement sur le dos, lui permet de passer
inaperçue dans les profondeurs marines, là où elle
prépare son attaque. Le blanc, colorant le dessous
du corps et deux « faux yeux » sur les côtés de la
tête auraient pour objectif d’effrayer la proie et de
véritablement la tétaniser lorsque l’Orque est en
phase d’attaque. Cétacé, dit la Baleine…
Le plus grand Oiseau
Tout le monde a deviné que nous allions parler de
l’Autruche. Il est vrai qu’avec ses 2,75 mètres de
haut et ses 150 kilos, c’est un Oiseau respectable.
Mais l’Autruche nous réserve également quelques
autres surprises. Car elle détient d’autres records
que celui de grandeur : non seulement l’autruche
pond les plus gros œufs du monde, mais elle
possède également les plus gros yeux de tous les
animaux terrestres.
Avec ses 13 centimètres de large, ses 16
centimètres de haut et son poids de 1,4 kilo, l’œuf
d’Autruche est légendaire. Un seul de ses œufs en
omelette équivaut à casser 20 œufs de Poule
environ. Mais bébé Autruche a besoin de place car
il fait déjà la taille d’un Coq à la naissance.
Cinq centimètres de diamètre, c’est la taille des
yeux de l’Autruche qui lui assurent ainsi une vue
perçante lui permettant d’anticiper en cas
d’attaque. Et lorsqu’elle se met à courir, notre
belle emplumée nous oblige à rouvrir le Guinness
Book et à y inscrire le record de l’animal bipède le
plus rapide de la planète. Avec des pas de 1,80
mètre en marchant et des bonds de 5 mètres en
courant, l’Autruche peut atteindre les 70
kilomètres-heure, sur de longues distances. Pas
étonnant donc que l’Homme ait eu la bonne idée
d’organiser des courses montées avec ce volatile.
Quoi qu’il en soit, si faire l’Autruche consiste à
réunir d’aussi nombreuses qualités, alors nous
sommes nombreux à vouloir l’imiter.
L’Oiseau le plus rapide dans les airs
Vous observez depuis quelques instants le vol,
plané et circulaire, d’un Aigle, lorsque celui-ci
semble se décrocher du ciel, et tombe comme une
masse. Serait-il mort subitement, foudroyé par
une force invisible ? Absolument pas, vous venez
d’assister au départ d’un vol en piqué, en
direction d’une proie. Silencieuse et élégante,
cette attaque surprise s’exécute à plus de 120
kilomètres-heure. Ce chiffre vous paraît incroyable
? Alors lisez la suite.
Dans le domaine du piqué, c’est le Faucon pèlerin
qui détient le record de vitesse, avec 250
kilomètres-heure, réellement mesurés. Nous
disons bien « réellement mesurés » car, par le
calcul on aboutit à 400 kilomètres-heure pour un
piqué vertical partant d’une altitude 1 000 mètres.
Or, le piqué est toujours oblique, ce qui ralentit
l’Oiseau, et de plus il démarre généralement
d’une altitude de 300 à 500 mètres. Mais bon, 250
kilomètres-heure, même en oblique, on ne va pas
faire la fine bouche ; c’est absolument
extraordinaire pour un organisme. Des
scientifiques ont calculé que le Faucon pèlerin
pouvait atteindre une vitesse équivalente à 200
fois sa longueur par seconde, la même valeur
qu’un avion de chasse !
Avant de passer à l’attaque, le Faucon pèlerin ne
plane pas dans les airs comme ses cousins Buses
ou Aigles. Il monte en vol battu, appelé vol de
placement, puis plonge sur sa proie. Ce vol piqué
est effectué avec les ailes fermées, plus ou moins
repliées le long du corps, lui permettant de régler
sa vitesse et de corriger sa trajectoire. Grâce à
son corps allongé et ses ailes en forme de pointe,
le Faucon pèlerin possède un coefficient
aérodynamique extrêmement faible : 0,05 à 0,08
alors qu’il n’est que de 0,12 pour une Buse par
exemple. De quoi pénétrer dans l’air sans faire de
remous et donc de bruit. La surprise est totale.
Le Serpent le plus long
Si on vous demande le nom du plus gros des
Serpents, vous citerez certainement l’Anaconda.
Et vous auriez raison car ce seigneur de
l’Amazonie pèse plus de 250 kilos. Mais ce n’est
pas le plus long ! Ce record appartient au Python
réticulé, qui peut atteindre plus de 10 mètres. Plus
filiforme que l’Anaconda, il ne dépasse pas les 150
kilos, ce qui constitue tout de même un poids très
respectable, surtout lorsqu’il s’enroule autour de
sa proie pour l’étouffer.
Comme la grande majorité des Serpents de cette
taille, il chasse à l’affût, attendant patiemment
qu’une proie passe à sa portée. Si les individus de
3 à 4 mètres s’en prennent principalement aux
rongeurs, les plus imposants n’hésitent pas à
s’attaquer à des Singes, des Cochons sauvages,
voire même des Cervidés. Tout le monde connaît
la lenteur de la digestion du Serpent, surtout
lorsqu’il a avalé une proie qui le dilate
exagérément. Il lui faut parfois plus de quatre
mois pour en venir à bout, à grand renfort de sucs
digestifs.
Même si l’être humain n’est pas sur la carte de
son menu, ne vous avisez pas de le déranger car
sa mâchoire est puissante et sa détente très
rapide. Ne vous jetez pas non plus à l’eau pour lui
échapper car c’est un excellent nageur qui a déjà
été observé en pleine mer, loin des côtes. Le
mythe du serpent de mer ? !
L’animal terrestre le plus grand
Sophie la Girafe est l’incontournable jouet de bain
pour les jeunes enfants. Ce succès planétaire
intemporel ressemble beaucoup à son modèle de
la savane africaine, ce qui tendrait à démontrer
que c’est l’animal lui-même qui plaît aux enfants.
Il est vrai qu’il se dégage de cette grande dame
au long cou une certaine tranquillité qui nous la
rend immédiatement sympathique.
C’est surtout grâce à son cou gigantesque, de
près de 2,50 mètres que la Girafe atteint la taille
respectable de 5,8 mètres. On pourrait se dire
que, pour obtenir un cou pareil, il a fallu multiplier
le nombre de vertèbres cervicales. Il n’en est rien,
car celui-ci est de sept, comme chez les autres
Mammifères ; c’est juste leur taille qui a
passablement augmenté (40 centimètres chacune
!). Malgré sa forme élancée, cette brave dame
peut atteindre 1,5 tonne, surtout si madame est
un mâle.
Si votre enfant vous demande si la Girafe
s’allonge pour dormir, vous lui répondrez que cela
est tout à fait impossible et que celle-ci ne dort
que deux heures par jour. Et encore, elle ne fait
que somnoler car il faut qu’elle reste vigilante
dans une savane pleine de dangers. Pourtant, la
Girafe est le seul animal qui ne bâille pas, allez
comprendre.
Avec une tête à près de 6 mètres du sol, envoyer
du sang sous pression jusqu’au cerveau est une
véritable prouesse. Son cœur de 11 kilos est
capable de produire une pression artérielle deux
fois plus importante que la nôtre, mais surtout,
tout un système de muscles aide le sang à
progresser jusqu’au sommet de l’animal. Cette
capacité à lutter contre les effets de la gravité a
donné l’idée aux chercheurs de la NASA d’étudier
la Girafe pour mettre au point une combinaison
anti-G.
Dernière curiosité : la langue de la Girafe est l’une
des plus longues, des plus coriaces et des plus
puissantes qui soient. Avec ses 55 centimètres de
long, c’est un ustensile bien utile lorsqu’on se
nourrit de feuilles d’acacia qu’il faut aller prélever
au milieu des épines. C’est d’ailleurs le seul
animal qui peut atteindre ses oreilles avec sa
langue. La Girafe a bonne ouïe !
Le battement d’ailes le plus rapide
Sans transition, nous passons de l’animal terrestre
le plus grand à l’un des plus petits. Ce n’est pas
pour sa minuscule taille que nous allons étudier le
Colibri, mais pour sa capacité à faire du vol
stationnaire à la manière d’un hélicoptère. Mais
l’Oiseau n’est pas en mesure de produire une
rotation comme la machine. C’est par un
mouvement de va-et-vient développant une force
de poussée vers l’avant et vers l’arrière que notre
minuscule Oiseau semble suspendu dans les airs.
Pour réaliser un tel exploit, il faut surtout battre
des ailes très rapidement. C’est ce que fait le
Colibri avec 80 battements par seconde pour un
déplacement d’avant en arrière, et jusqu’à 200
battements par seconde pour un vol en plongée.
C’est le record incontesté de la vitesse de
battements d’ailes chez les Oiseaux. Pour se
maintenir sur place, le Colibri effectue avec ses
ailes des mouvements en forme de 8, grâce à une
épaule étonnamment flexible. C’est également le
roi de la cabriole avec des vols d’avant en arrière.
Le Colibri d’Anna est même le champion
incontesté du rapport vitesse/taille, car lors du
piqué nuptial, le mâle de cette espèce est capable
d’atteindre une vitesse équivalente à 383 fois la
longueur de son corps. C’est près du double de
notre Faucon pèlerin. Mais avec ses 10
centimètres de long, cela ne donne qu’une vitesse
maximale de 90 kilomètres-heure. Pour réaliser de
telles prouesses, le Colibri a deux secrets : un
muscle pectoral représentant plus de 25 % de son
poids et un cœur énorme. Ce dernier représente
2,4 % de sa masse corporelle alors que chez un
Oiseau quelconque, il dépasse à peine le 1 %. Le
Colibri a ainsi le plus gros cœur de tous les
Oiseaux, comparativement à sa taille.
L’animal terrestre le plus gros
Babar n’est pas roi pour rien ; c’est le plus gros
animal de la savane et également le plus gros
animal terrestre actuel. Pouvant atteindre 4
mètres au garrot et 7,7 tonnes, l’Éléphant impose
le respect et ne risque pas de se faire attaquer,
même par un groupe de fauves, lorsqu’il est
devenu adulte. Pour supporter une telle masse, le
squelette de l’Éléphant est particulièrement
robuste. Il représente en moyenne 16 % de sa
masse et pèse ainsi environ 1,5 tonne pour un
Éléphant de 7 tonnes.
Des millions d’Éléphants ont été tués pour une
seule raison : l’ivoire de leurs défenses. Ce sont
en fait des incisives supérieures très allongées qui
grandissent tout au long de sa vie. Elles peuvent
ainsi atteindre 1,5 mètre de long chez un Éléphant
âgé et peser chacune plus de 40 kilos. Il s’en sert
pour combattre, gratter l’écorce des arbres ou
creuser pour trouver de l’eau. Entre ces deux
défenses, on trouve la fameuse trompe découlant
de la fusion de la lèvre supérieure et du nez. C’est
un organe préhensile comportant plus de 100 000
muscles, pesant plus de 100 kilos et dont tout le
monde connaît les multiples utilisations.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’Éléphant
marche sur le bout de ses doigts. Les orteils sont
en fait inclus dans une structure de forme arrondie
à l’avant et de forme ovale à l’arrière, que l’on
appelle communément pied. On y trouve une
grande quantité de tissu adipeux jouant le rôle
d’amortisseur, car même si l’Éléphant est
incapable de sauter, une course sur le sol met ses
extrémités à rude épreuve. D’ailleurs, course est
un terme mal adapté car l’Éléphant ne court pas
en réalité ; il accélère sa marche. Cela ne
l’empêche pas d’atteindre une vitesse de pointe
de plus de 20 kilomètres-heure. Gare à la charge !
Le poisson le plus grand
Contrairement à ce que beaucoup de gens
pensent, le plus gros poisson n’est pas la Baleine,
pour la simple raison que celle-ci n’est pas un
poisson mais un Mammifère. Le plus gros poisson
est en fait un Requin, un gentil gros Requin-
baleine de 14 mètres de long et de 12 tonnes.
Pourquoi gentil, tout simplement parce que,
heureusement pour nous, il ne se nourrit que de
plancton et de krill. Il utilise pour cela une bouche
immense de 2 mètres de large, lui permettant de
filtrer jusqu’à 2 000 litres d’eau par heure. Cette
eau ressort par les fentes branchiales qui la
filtrent pour en récupérer les fines particules
organiques constituées d’animaux et de plantes
pour la plupart microscopiques. Des poissons et
des Calmars peuvent parfois être trouvés dans
son tube digestif, mais il ne les a pas chassés
délibérément. Ils ont été capturés lorsque le
Requin a ouvert sa bouche en grand, créant ainsi
un très fort courant d’aspiration.
S’il est totalement inoffensif, sa taille respectable
le met à l’abri de la plupart des prédateurs, mis à
part l’Orque et… l’Homme, qui consomme surtout
ses ailerons. Vendus presque 650 euros au marché
noir, ceux-ci excitent toutes les convoitises. Il
n’est pas rare que seuls les ailerons soient
prélevés sur l’animal et les 12 tonnes de chair
délaissées. Cet immense gâchis nous fait réfléchir
sur la bêtise humaine ainsi que sur sa cruauté, car
les ailerons sont souvent prélevés sur l’animal
vivant, voué ainsi à une lente agonie.
Chapitre 18

Dix records chez les


plantes
Dans ce chapitre :
Dix végétaux extraordinaires
Quel est l’arbre le plus vieux, et le plus
haut ?
Quelle est la plante la plus rapide, celle
qui croît le plus vite et celle qui est la plus
meurtrière ?

« N’allez jamais chez un docteur dont les plantes de la salle


d’attente sont mortes. »
Erma Bombeck
Le monde des plantes regorge également de
multiples records. Ce sont bien entendu les plus
grandes, les plus vieilles, les plus grosses qui
intéressent majoritairement. Mais à côté de ces
grands classiques, il y a des records plus
pittoresques, qui, tout en étant plaisants à
connaître, n’en montrent pas moins l’ingéniosité
de ce monde considéré, à tort, comme figé.
Alors, après avoir rassasié votre curiosité sur le
conventionnel, laissez-vous tenter par une petite
promenade dans le monde des végétaux
extraordinaires.
L’arbre le plus vieux
Les informations concernant les plus vieux arbres
du monde sont souvent contradictoires. Pour
certains auteurs, ce serait un Cèdre japonais qui
détiendrait le record avec 5 200 ans, pour
d’autres, c’est le Pin de Bristlecone Mathusalem,
en Californie avec 4 842 ans. Nous pouvons donc
affirmer que le plus vieil arbre atteint l’âge
canonique de 5 000 ans environ. Mais ce record
appartient à un individu isolé, car si l’on
s’intéresse à des clones, c’est-à-dire à des arbres
dérivant d’un seul et même individu, par
l’intermédiaire de racines souterraines dans la
plupart des cas, nous atteignons des chiffres qui
dépassent notre imagination.
C’est ainsi qu’une souche de Créosotier
surnommée King Clone en Californie a vu son âge
estimé à 11 700 ans. Toujours en Californie, une
racine unique d’où émergent des pousses de
Chêne de Palmer atteint l’âge respectable de 13
000 ans. Et enfin, une colonie de Peupliers faux-
trembles, tous issus du même système racinaire
et vivant dans l’État de l’Utah, atteindrait quant à
elle les 80 000 ans. À l’époque de sa naissance,
nos ancêtres croisaient encore des
Néandertaliens.
L’arbre le plus large
L’arbre le plus large du monde est un Cyprès des
marais vieux de 1 500 ans environ et vivant à
Tule, au Mexique. Longtemps suspecté d’être le
résultat de la fusion de plusieurs individus
accolés, cet arbre a été étudié génétiquement.
Les tests sont formels : c’est un seul et même
arbre qui entre ainsi dans le livre des records avec
ses 58 mètres de circonférence. Il détrône ainsi le
« Châtaignier aux 100 chevaux » de Sicile dont la
circonférence, mesurée en 1780, était de 57,9
mètres. Il s’est depuis fendu en trois parties à
cause des intempéries et ne mesure désormais «
plus » que 51 mètres de diamètre.
L’arbre le plus haut
L’arbre le plus haut du monde est un Séquoia :
l’Hypérion avec 115,5 mètres, vivant dans le
Redwood National and State Parks en Californie.
Grâce à leur tronc gigantesque, de forme
pyramidale, se prolongeant jusqu’à leur cime, les
Séquoias détiennent également le record de
l’arbre le plus volumineux de tous les temps. Il
s’agit de l’arbre de Lindsey Creek (toujours en
Californie), déraciné par une tempête en 1905, et
dont le volume a été estimé à 2 549 mètres
cubes, pour un poids de 3 300 tonnes. Avec 2 549
stères de bois, il y a de quoi passer quelques
hivers au chaud !
Les feuilles les plus vieilles
Les Welwitschias sont des dures de la feuille qui
ne restent pas sourdes à l’appel du désert de
Namibie. Elles se développent à partir d’un tronc
court et épais ne portant que deux feuilles. La
croissance de ces dernières est indéfinie, ce qui
signifie qu’elles grandissent en permanence. Or,
certaines Welwitschias atteignent l’âge
respectable de 2 000 ans, ce qui signifie que leurs
deux feuilles ont également cet âge. Des calculs
ont montré que si ces feuilles ne se dilacéraient
pas à leur extrémité, suite à leur dessèchement,
elles atteindraient 200 mètres de long.
La plus grande fleur
Les mensurations de cette fleur ont de quoi
étonner. Imaginez une corolle de 90 centimètres
de diamètre, formée de cinq gros lobes charnus et
pesant en tout 11 kilos. Elle a été découverte en
1818 à Sumatra par deux botanistes anglais, dont
Sir Stamford Raffles à qui l’on doit le nom de
genre de cette plante : Rafflesia arnoldii. Il s’agit
en fait d’un parasite de lianes dont la taille se
résume à celle de sa fleur. Bien qu’appartenant à
la même famille, celle des Malpighiacées, cette
fleur est loin de sentir la Violette ; bien au
contraire, elle émet une odeur nauséabonde
difficilement soutenable mais qui attire à coup sûr
ses pollinisatrices : des Mouches charognardes.
Il faut croire que des fleurs géantes ont peu de
chances d’attirer des Abeilles car l’Arum titanum,
également de Sumatra, émet une odeur
pestilentielle qui oblige à se mettre un mouchoir
sur le nez pour ne pas vomir lorsque l’on se
rapproche de sa fleur démesurée. Cet Arum,
formé d’une pointe gigantesque au centre d’une
corolle fripée, peut mesurer jusqu’à 2,74 mètres
de haut. Pas étonnant donc qu’il soit surnommé «
pénis de titan ». Mais malgré son gigantisme,
notre Arum ne détrône pas Rafflesia pour la
simple et bonne raison qu’il ne s’agit pas d’une
fleur, mais d’une inflorescence, c’est-à-dire d’un
bouquet de fleurs. En effet, la pointe centrale est
un spadice, un organe portant de nombreuses
petites fleurs, soit mâles, soit femelles. Il est
entouré par une spathe, une enveloppe aux
allures de pétale. Il s’agit donc d’une fausse fleur
qui ne se développe que tous les quatre à dix ans,
le temps d’emmagasiner suffisamment d’énergie
pour fabriquer cet organe reproducteur
phénoménal.
La plante à la croissance la plus
rapide
Contrairement à une grande majorité de plantes,
le Bambou ne grandit pas tout au long de sa vie.
Dans la fable du Lièvre et de la Tortue, il se
rapprocherait du premier. En effet, certaines
espèces peuvent s’allonger de plus d’un mètre par
jour, ce qui correspond en gros à du 4
centimètres-heure. Les Bambous atteignent ainsi
leur maturité vers l’âge de 3 ans, ce qui ne les
empêche pas de vivre plus de cent ans.
Mais le Bambou est un tricheur, car ce n’est pas
un arbre mais une herbe, plus précisément une
graminée. Une bambouseraie est en fait une
pelouse pour géants. Tout le monde sait qu’il faut
tondre très (trop) souvent dès qu’il fait chaud et
humide. Ce sont ces conditions que le Bambou
adore ; il n’est donc pas étonnant de le trouver
dans des régions tropicales ou semi-tropicales,
principalement en Asie et en Afrique.
Ces dernières années, le Bambou a fait l’objet
d’un regain d’intérêt pour de très nombreuses
raisons. Sa culture est peu exigeante et il se
montrerait même plutôt envahissant. Ses fibres
sont six fois plus solides que celles utilisées
traditionnellement dans la construction. Sa
résistance et sa légèreté en font un matériau de
choix pour les charpentes, les cloisons et même
les échafaudages des gratte-ciel.
L’enchevêtrement de ses rhizomes associé à sa
croissance rapide permet de lutter contre les
glissements de terrain et le lessivage des terres
cultivables. Il intervient notamment dans la
protection des berges des rivières, l’entrave aux
inondations, la création de zones ombragées et
sert aussi de brise-vent.
On le trouve également dans l’alimentation sous
forme de jeunes pousses, dans les vêtements par
l’intermédiaire de ses fibres, dans la médecine
traditionnelle, dans la pâte à papier, dans
l’ameublement, dans la marqueterie, dans les
canalisations et dans la décoration. Pas étonnant
donc que certains voient en lui une très bonne
alternative à l’abattage d’arbres dans les forêts
tropicales.
La plante la plus meurtrière
Tout le monde connaît l’huile de Ricin, et peut-être
qu’étant enfant, on vous en a fait ingurgiter en
prétextant qu’elle vous ferait un bien fou.
Pourtant, son goût infâme vous laissait perplexe
quant à ses vertus et vous pensiez qu’il s’agissait
certainement d’un poison. Vous n’aviez pas tout à
fait tort car le Ricin contient de la ricine, l’un des
poisons naturels les plus puissants du monde. Elle
est 6 000 fois plus toxique que le cyanure, 12 000
fois plus que le venin de Crotale et son inhalation
est 1 000 fois plus toxique que son ingestion.
Heureusement qu’un passage en autoclave
pendant quinze minutes, à 125 °C, détruit ce
poison.
C’est principalement dans ses graines que le Ricin
cache ce poison. Ingéré, il entraîne la mort des
cellules en bloquant la synthèse des protéines.
Pourtant, l’Homme utilise l’huile de Ricin depuis
au moins 4 000 ans pour la brûler dans des
lampes, fabriquer du savon ou soigner des
infections. De nombreux accidents ont émaillé
cette histoire commune car ses effets sont
irréversibles au-delà d’une certaine dose.
L’ingestion accidentelle de graines par un enfant
peut provoquer une intoxication grave. On estime
que trois graines sont fatales à un enfant et six à
huit graines à un adulte.
Dans les années quatre-vingt, la ricine a fait parler
d’elle lors de son utilisation dans l’affaire du «
parapluie bulgare ». Il arrive aussi qu’elle soit
employée pour des suicides. Actuellement, on
craint qu’elle ne puisse servir à des fins
terroristes.
Le fruit qui sent le plus mauvais
Si un jour vous prenez le métro à Singapour, vous
ne manquerez pas d’être étonné par des
panneaux inédits chez nous. En effet, à côté des
interdictions de fumer, de manger ou de boire,
apparaît un fruit barré sous lequel on peut lire : «
no durians ». Pourquoi interdit-on de transporter
ce fruit dans le métro ? Tout simplement car il sent
horriblement mauvais et que voyager dans un lieu
clos à côté d’un propriétaire de ce fruit est un
supplice. Certains auteurs n’hésitent pas à
comparer son odeur à un mélange d’excréments
de porc, d’oignons, de térébenthine, le tout réuni
dans une vieille chaussette…
Vous me direz, alors pourquoi vouloir le
transporter ? Parce que le Durian est un régal, si
on arrive à faire abstraction de l’odeur. Il est très
apprécié en Indonésie, en Thaïlande, en Malaisie
et plus généralement en Asie. Il se consomme
généralement frais mais peut être utilisé pour
confectionner des glaces, des pâtisseries et des
confiseries.
Dans la nature sa forte odeur lui permet d’être
repéré par des animaux à plus d’un kilomètre à la
ronde. Ainsi, Orangs-outans, Cochons, Écureuils,
Éléphants accourent sous l’arbre pour se goinfrer.
Certains avalent des graines qui seront rejetées
plus loin avec les excréments, assurant ainsi la
dispersion du Durian.
Le Durian nous montre à quel point le goût et
l’odeur peuvent être dissociés. Mais vous le saviez
déjà car si nous devions nous fier au parfum d’un
aliment pour le consommer, nous ne mangerions
jamais de munster, de reblochon, d’époisses, de
livarot ou de camembert ! Mais eux, on a le droit
de les transporter dans le métro parisien.
La plante la plus rapide
La Dionée est une plante insectivore dont le piège
spectaculaire a toujours captivé les Hommes.
Celui-ci, formé de deux lobes en forme de rein
reliés par une nervure centrale, évoque un « piège
à loup ». Comme ce dernier, il possède des dents,
au nombre de 15 à 20 qui s’entrecroisent lors de
la fermeture en formant une véritable cage pour
la proie.
Pour attirer ses victimes, la Dionée sécrète des
substances sucrées grâce à des glandes
nectarifères situées à la base des dents. Une fois
emprisonné, l’Insecte est digéré par des sucs
sécrétés par des glandes de couleur rougeâtre ou
jaunâtre se trouvant au centre des deux lobes.
Mais les éléments les plus intéressants sont les
trois poils disposés en triangle isocèle sur chaque
lobe, au milieu des glandes digestives : les poils
détecteurs.
Un simple effleurement de ces poils et le piège se
referme en une fraction de seconde ; en 1/30e de
seconde plus précisément. Le record est détenu
par l’Aldrovanda ou Dionée aquatique avec un
temps de fermeture estimé à 1/50e de seconde,
ce qui en fait la réaction la plus rapide du monde
végétal. Les mécanismes de ce phénomène
commencent à être élucidés et seraient liés à des
dégonflements rapides de cellules.
L’observation d’une Dionée juste après la
fermeture mécanique du piège montre que celui-ci
n’est pas vraiment fermé et qu’il reste encore
beaucoup d’espace autour de l’Insecte. Ce dernier
ne reste emprisonné que grâce aux dents
bloquant la sortie. Quelques heures après, les
dents ne sont plus entrecroisées, mais parallèles
entre elles. Le piège est devenu étanche et la
digestion a débuté. Il est difficile d’imaginer tant
de cruauté dans une plante aussi frêle !
La plante la plus sobre
La Rose de Jéricho n’a absolument rien à voir avec
la fleur éponyme ; il s’agit d’une sélaginelle,
autrement dit d’une sorte de fougère.
Parfaitement adaptée au milieu désertique, elle
est capable de se passer d’eau durant plusieurs
années en se desséchant et en perdant ainsi plus
de 96 % de sa masse. Dans un premier temps, la
sève se retire des feuilles, ce qui provoque leur
brunissement et leur repliement. La plante prend
alors un aspect en boule caractéristique. Ses
fonctions métaboliques s’éteignent l’une après
l’autre et la plante entre en dormance. En cas de
sécheresse importante, les racines peuvent lâcher
; la Rose de Jéricho est alors emportée par le vent
et peut ainsi être disséminée.
Son aspect mort est trompeur car dès les
premières gouttes de pluie, elle s’ouvre et reprend
une couleur verdâtre. Pour elle, rien ne presse car
elle n’a pas obligation comme de nombreuses
plantes du désert de fleurir rapidement afin de
donner naissance à une nouvelle génération,
avant l’arrivée de la sécheresse. C’est une
Ptéridophyte et elle se reproduit donc par spores.
Il vous est désormais facile de comprendre
l’origine de son nom, car la ville biblique de
Jéricho renaissait sans cesse de ses cendres.
Parfois commercialisé sous l’appellation de «
plante de la résurrection », ce végétal étonnant
fut autrefois un porte-bonheur que l’on se
transmettait de génération en génération.
Chapitre 19

Dix associations intimes et


durables
Dans ce chapitre :
Dix symbioses naturelles et sages
L’Oiseau et le Crocodile, le champignon et
l’Orchidée, la Guêpe et le Figuier… des
histoires de partage équitable

« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des


frères,
sinon nous allons mourir comme des idiots. »
Martin Luther King
Pour un écologiste, l’écosystème est sa plus
grande unité de travail, car non seulement ce
système comprend un milieu et les êtres vivants
qui s’y trouvent, mais il prend également en
considération toutes les interactions qui peuvent
exister en son sein. Plus modeste, ce qu’on
appelle la biocénose comprend un ensemble
d’êtres vivants évoluant dans un lieu de vie bien
précis appelé biotope.
Les relations sont nombreuses et variées au sein
d’une biocénose. Parmi celles-ci, certaines sont
non agressives et à bénéfices réciproques. Ce sont
des symbioses. Il en existe de très nombreux
exemples dans la nature et nous en avons déjà
abordé quelques-uns dans les chapitres
précédents.
Voici donc dix associations dont le caractère
intime et durable nous révèle des voies de la
sagesse. Mais sommes-nous capables d’en faire
autant ?
Pension complète pour Fourmis
Le Barteria fistulosa est un arbuste de la forêt
équatoriale du Gabon dont les branches creuses
abritent des Fourmis de grande taille du genre
Tetraponera. À première vue, nous pourrions
penser que la pauvre plante a subi les assauts de
ses hôtes qui ont foré des galeries dans son bois.
Il n’en est rien !
Les branches sont naturellement creuses et la
reine Fourmi, à l’origine de la colonie, n’a eu qu’à
se ménager un petit trou pour atteindre ses
appartements. De plus, une fois installées, les
Fourmis peuvent se délecter de sécrétions sucrées
émises par des glandes à nectar situées sur les
bords des feuilles de la plante. Le gîte et le
couvert : que rêver de mieux ?
Mais jusque-là, la Fourmi est la seule bénéficiaire
de cette association. Que peut bien proposer notre
Fourmi en échange ? Une protection contre les
mangeurs de feuilles, les pires ennemis des
plantes tropicales, qui peuvent en un clin d’œil
vous déshabiller un arbre entier. Les Tetraponera
sont très agressives et chassent sans pitié tout
intrus osant s’approcher de leur confortable hôtel.
Elles s’occupent également de l’entretien
extérieur en le débarrassant des lichens ou des
lianes qui osent ternir sa façade.
Le Barteria fistulosa est loin d’être la seule plante
vivant en symbiose avec les Fourmis. On estime
que, sur les 300 000 espèces de plantes à fleurs,
environ 500 sont myrmécophiles, autrement dit,
qui aiment les Fourmis. Les relations sont
généralement les mêmes que celles de notre
exemple : la plante offre le gîte et/ou le couvert et
reçoit en échange une protection contre les
herbivores et même parfois d’autres plantes. On
trouve des plantes myrmécophiles sur tous les
continents mais c’est surtout sous les tropiques
que les exemples sont les plus nombreux. En
général, chaque espèce de plante concernée est
en relation avec une espèce précise de Fourmis.
À côté des arbres myrmécophiles, on trouve des
Orchidées, des Palmiers, des Aracées (la famille
des Arums) et même des fougères. Cette
coopération n’est donc pas un phénomène isolé et
s’est produite de nombreuses fois au cours de
l’évolution. Mais les Fourmis, innombrables, sont
d’infatigables exploratrices à qui rien n’échappe. Il
n’est donc pas étonnant de les retrouver dans de
si nombreuses associations.
La Termite est un gîte
Tout le monde connaît le goût prononcé des
Termites pour le bois et craint de voir un jour une
colonie s’approprier sa charpente. Pourtant, une
Termite en elle-même est incapable de digérer la
cellulose. Elle ne possède pas l’enzyme appelée
cellulase qui pourrait lui permettre de venir à bout
de cette molécule résistante. Le secret de la
Termite se trouve dans son intestin ; en effet, une
étude minutieuse de cet organe révèle la
présence de bactéries et de protozoaires (des
Protistes) qui, eux, possèdent cette précieuse
enzyme.
Vous l’aurez compris, c’est grâce à ces êtres
microscopiques qu’elle héberge dans son tube
digestif que la Termite ouvrière, la seule habitante
de la termitière à se nourrir de bois, digère la
cellulose. En fait, il s’agit d’un véritable travail à la
chaîne où chacun joue un rôle précis. Dans un
premier temps, l’ouvrière réduit le bois en
minuscules fragments que les protozoaires
peuvent absorber. Ceux-ci dégradent la cellulose
en un sucre simple, le glucose. Le glucose est
ensuite transformé par des bactéries en acides
gras, source de nourriture pour la Termite.
Bactéries et protozoaires reçoivent en échange un
abri et du bois bien fragmenté, facile à assimiler.
De très nombreux herbivores sont dans le même
cas que les Termites et hébergent des micro-
organismes sécrétant de la cellulase. L’Escargot
est l’un des rares animaux à être capable de la
sécréter. Nous hébergeons nous aussi une flore
bactérienne qui nous aide à digérer mais nous
sommes incapables de maintenir en vie des
bactéries ou des protozoaires synthétisant de la
cellulase. Nous sommes donc incapables de
digérer la cellulose, mais bien qu’indigeste, cette
molécule nous est nécessaire car elle assure une
fonction indispensable à notre bien-être : le transit
intestinal.
La brosse à dents du Crocodile
Dans le monde des Crocodiles, celui du Nil est
certainement l’un des plus dangereux qui soient
et lorsqu’il ouvre sa gueule, c’est généralement
pour engloutir une malheureuse victime. Pourtant,
un petit Oiseau n’hésite pas à rentrer dans la
gueule béante du monstre et, fait encore plus
étonnant, il en ressort vivant et rassasié. Quel
pacte unit ces deux créatures ?
Le Pluvian d’Égypte ou Pluvian fluviatile vit dans
les zones humides d’Afrique centrale dans les
marécages et sur les berges des fleuves. Il se
reconnaît facilement à ses ailes grises, son thorax
jaune et ses joues noires. Nichant sur les berges, à
même le sable, ses œufs et ses poussins sont en
danger permanent. Comment les protéger
efficacement contre les prédateurs ? La réponse
est venue d’une rencontre entre l’Oiseau et le
maître incontesté des lieux, le Crocodile.
La manière dont s’est produit le premier contact
reste un mystère et certains y ont assurément
laissé des plumes. Mais un Pluvian plus courageux
ou plus fou que les autres s’est introduit un jour,
peut-être par mégarde, dans la gueule du
monstre. Comme il cherchait de la nourriture, il a
picoré les Sangsues et autres parasites présents
sur les mâchoires du Crocodile. Sentant que cela
lui faisait grand bien, ce dernier l’a laissé faire et
n’a pas hésité à ouvrir régulièrement sa gueule
afin d’en faciliter l’accès. Un des partenariats les
plus improbables venait de naître : protection des
nids contre brossage des dents.
Le champignon et l’Orchidée
Les Orchidées sont des plantes fascinantes, dont
la beauté et la diversité des fleurs ont toujours
suscité beaucoup d’intérêt et de passions. Or,
jusqu’à la fin du XIXe siècle, il semblait impossible
de cultiver leurs graines. Elles refusaient
obstinément de germer ailleurs que dans leur
terre natale. Pitoyable chauvinisme !
C’est un botaniste français, Noël Bernard, qui leva
le voile sur ce mystère, en nous livrant le nom du
coupable. Matricule : Rhizoctonia – Nature :
champignon – Mission : détruire les enveloppes
résistantes de la graine d’Orchidée, permettre sa
germination et son développement en nourrissant
l’embryon. Ainsi, les pauvres graines étaient
toutes de bonne volonté mais leur entourage
refusait de les voir s’émanciper.
Rhizoctonia est un champignon très affectueux qui
entretient avec son Orchidée des liens intimes.
Témoin des premiers cris de l’embryon, il vivra en
symbiose avec l’adulte durant toute sa vie, en
association avec ses racines. Il lui améliorera ainsi
son alimentation en eau et en sels minéraux et la
protégera contre des agents pathogènes. En
récompense pour ces bons et loyaux services, il
recevra des sucres et autres substances nutritives
que sa dulcinée synthétise par photosynthèse. Le
chevalier et la princesse : un vrai conte de fées.
Un Bernard pas si ermite que cela
Tout le monde connaît le Bernard-l’ermite, ce
curieux Crustacé qui a eu la mauvaise idée de
s’affubler d’un abdomen mou. Il passe sa vie dans
des coquilles de Gastéropodes marins, changeant
de « maison » chaque fois que celle-ci est
devenue trop exiguë. Mais il arrive fréquemment
que notre squatteur se fasse squatter sa demeure
par une Anémone de mer. Celle-ci se place en
haut de la coquille, laissant flotter ses tentacules
bien à l’abri des pinces du Crustacé. Est-elle là
uniquement pour le plaisir de se faire trimballer
par l’infortuné Bernard ?
Le Bernard-l’ermite mange comme un Cochon et
projette des débris tout autour de lui lorsqu’il
dépèce sa nourriture. Loin d’être dégoûtée par les
mœurs alimentaires de son chauffeur, l’Anémone
profite de ses festins pour attraper les débris
d’aliments qui passent à sa portée. Elle se fait
donc nourrir à l’œil. De plus, elle profite de la
protection des pinces du Crustacé.
Justement, puisque le Bernard-l’ermite est muni
de pinces, pourquoi ne sort-il pas rapidement de
sa coquille pour se débarrasser de sa squatteuse ?
Tout simplement car il tire également bénéfice de
cette association. Premièrement, les tentacules
urticants de l’Anémone de mer lui assurent une
bonne protection contre certains poissons
voraces. Deuxièmement, des scientifiques ont
observé qu’un Bernard-l’ermite vivant en
compagnie d’une Anémone déménage moins
souvent, alors qu’il grandit aussi bien que les
autres. Aussi incroyable que cela puisse paraître :
la coquille semble grossir en même temps que lui.
Ce n’est pourtant pas la sienne !
En étudiant la base du pied de ces Anémones, les
spécialistes ont découvert que celles-ci émettent
une substance permettant à la coquille de
s’agrandir. Ainsi, le mystère est éclairci : le
Bernard-l’ermite supporte cette surcharge
pondérale en échange d’un confort de vie.
N’oublions pas que le changement de coquille
rend l’animal vulnérable et que c’est la cause
majeure de mortalité chez ces Crustacés à corps
mou. Et si la coquille devient vraiment trop
exiguë, Bernard n’hésite pas à détacher les
Anémones de son ancienne demeure pour les fixer
sur la nouvelle.
La Guêpe et le Figuier
Le Figuier est un arbre curieux avec des pieds se
comportant comme des mâles, en fournissant du
pollen, et d’autres comme des femelles, en
accueillant le pollen pour transformer les fleurs en
fruits. Mais le plus étonnant reste la Figue, sorte
de boursouflure de la tige contenant un bon millier
de fleurs femelles, tapissant le fond de la bourse
et seulement quelques fleurs mâles, situées vers
l’entrée. Un minuscule orifice, appelé œil, met en
relation l’intérieur de la Figue et le milieu
extérieur. Autant vous dire que les grains de
pollen peuvent difficilement en sortir et encore
moins y entrer, et de plus, les butineurs classiques
comme l’Abeille sont trop corpulents pour s’y
glisser. Mais alors, qui peut féconder la Figue ?
C’est à une petite Guêpe, nommée Blastophage,
que revient le mérite d’oser pénétrer dans cet
antre obscur. L’histoire débute au printemps sur
un pied mâle appelé caprifiguier, qui porte alors
deux sortes de Figues. Certaines sont déjà mûres
et si vous les ouvrez, vous découvrez deux
insectes : des jaunes dépourvus d’ailes, et des
noirs ailés. Les premiers sont les Blastophages
mâles qui se reproduisent avec les seconds, les
Blastophages femelles.
Une fois fécondées, celles-ci quittent cette Figue «
lit d’amour », pour en rejoindre une autre, verte et
odorante. Elle y pond ses œufs, un à un, au
contact des ovules de la fleur. Cette deuxième
Figue est une véritable « couveuse », car dès la
ponte effectuée, sa température interne
augmente, favorisant le développement des œufs
puis des larves qui se nourrissent de l’intérieur du
fruit. Ces minuscules Guêpes se comportent donc
en parasites ; où est la symbiose dans tout cela ?
Patience, l’histoire n’est pas terminée !
Nous sommes encore sur le pied mâle et ces
secondes Figues, pleines de gales et non
comestibles arrivent à maturité vers le début de
l’été. La nouvelle génération de Blastophages est
alors prête à s’envoler. Mais pour cela, ils doivent
se glisser entre les fleurs mâles qui entourent l’œil
de la Figue. Contrairement à celles du fruit « lit
d’amour » qui étaient stériles, ces fleurs mâles
sont fertiles et produisent du pollen en
abondance. En se faufilant entre les étamines, les
minuscules Guêpes se couvrent ainsi de semence
mâle.
C’est maintenant que toute la subtilité de cette
symbiose apparaît enfin. En effet, lorsque les
Blastophages fraîchement écloses partent à la
recherche d’un Figuier pour pondre leurs œufs,
seuls les pieds femelles, appelés également
Figuiers domestiques, portent alors des Figues
dignes de ce nom. Les caprifiguiers n’ont
désormais plus rien à proposer, ni gîte ni couvert.
Attirées par l’odeur de ces pieds femelles sur plus
de 3 kilomètres de distance, les petites Guêpes
pénètrent dans un de ses fruits et cherchent à y
déposer leurs œufs. Elles filent tout droit vers le
fond de l’urne, là où se trouvent les fleurs
femelles, qu’elles fécondent sans le savoir à l’aide
des grains de pollen qui recouvraient leur corps.
Si vous avez bien suivi l’histoire, vous avez
compris que si la petite Guêpe pond dans le fruit,
ses larves vont se nourrir des fleurs femelles. La
Figue serait alors inutilisable pour perpétuer
l’espèce. Mais cette Figue-là est une maligne et,
pour être sûre que la Guêpe ne ponde pas d’œufs
sur ses fleurs femelles, elle les a dotées de petites
protubérances appelées styles, plus longs que
l’ovipositeur de la Guêpe. Les Figues ainsi sauvées
seront mûres en septembre. Et la Guêpe dupée
par la plante, me direz-vous ? Eh bien, elle
trouvera fin août de nouvelles Figues stériles sur
le pied mâle où elle pourra déposer ses œufs.
Ceux-ci y seront protégés tout l’hiver et au mois
de mai le cycle reprendra…
Ainsi le Figuier n’hésite pas à sacrifier deux
générations de Figues pour le bien-être de sa
pollinisatrice. Oscillant entre parasitisme et
symbiose, cette relation complexe rend ces deux
êtres interdépendants. Si l’un disparaît, l’autre le
suivra rapidement. À la vie, à la mort !
La lumière des grands fonds
Les poissons abyssaux vivent en permanence
dans l’obscurité. Afin de se reconnaître entre eux
ou d’appâter une proie, quelques espèces sont
capables de produire de la lumière. Celle-ci peut
avoir une origine enzymatique avec l’utilisation de
la luciférine, la substance qu’utilise le Ver luisant
pour égayer nos soirs d’été. Mais certains
poissons ont fait le choix d’utiliser des bactéries
luminescentes, Photobacterium phosphoreum,
qui, cultivées en laboratoire, peuvent éclairer
jusqu’à 2 mètres !
Pour accueillir leurs hôtes, ces poissons disposent
de petites vésicules situées à différents endroits
du corps et appelées photophores. Ceux-ci sont en
relation avec l’appareil digestif, ce qui semble
prouver que les bactéries sont issues de la flore
intestinale. Ce sont donc des hôtes symbiotiques
qui reçoivent de la part du poisson gîte et
protection. Certaines espèces de poissons
abyssaux sont par ailleurs capables de moduler
l’émission lumineuse, ou même de la neutraliser
au moyen de leur système nerveux.
Le photophore le plus connu est certainement
celui de la Baudroie abyssale, immortalisée dans
le dessin animé Nemo. Il est situé au bout d’une
sorte de canne à pêche flexible, appelée illicium,
et ressemble à une minuscule lanterne. Le poisson
l’agite devant sa bouche, comme un lampion.
Attirés inexorablement par cette étrange lumière,
de petits poissons s’en approchent. La Baudroie
ouvre alors brutalement son immense bouche,
produisant ainsi une aspiration d’eau soudaine qui
entraîne la victime vers le gosier de la vorace.
La traite des Pucerons
Si vous vous êtes déjà intéressé aux Pucerons,
autrement qu’en les aspergeant d’insecticide,
vous avez peut-être été étonné de découvrir de
nombreuses Fourmis au milieu de cette colonie
grouillante. Celles-ci ne semblent pas venues dans
le but de les dévorer un à un mais, tout au
contraire, elles les tapotent de leurs antennes, à
la manière d’un entraîneur sportif cherchant à
obtenir le meilleur de ses joueurs.
Le Puceron est un insecte pouvant se résumer en
deux parties : une seringue hypodermique qui
pique la plante jusqu’à la sève élaborée (sucrée)
et un concentrateur de sucre disposé dans
l’abdomen. C’est ce dernier élément qui nous
intéresse et qui intéresse surtout la Fourmi. En
effet, lorsque le Puceron reçoit la sève élaborée
dans son tube digestif, celle-ci est très diluée. Il
arrive à y prélever une grande quantité de sucre
lorsqu’elle traverse son intestin, mais il doit
également rejeter le liquide ingurgité. C’est ainsi
qu’à l’anus de l’animal apparaît une petite
gouttelette d’eau encore un peu sucrée, appelée
miellat.
Le miellat fait les délices de la Fourmi et c’est
dans le but de s’en procurer de manière régulière
que celle-ci a mis au point une véritable technique
d’élevage de Pucerons. Ainsi, le troupeau est
passé régulièrement en revue et protégé des
carnivores éventuels, comme les Coccinelles qui
sont inlassablement repoussées.
C’est pour obtenir une gouttelette du précieux
breuvage que la Fourmi tapote le Puceron à l’aide
de ses antennes. Eh oui, l’élevage et la traite ont
été inventés bien avant l’arrivée de l’Homme.
Luzerne, Trèfle et bactéries
L’expression « engrais vert » est régulièrement
employée ces derniers temps. Vous savez
certainement que cela correspond à l’utilisation,
entre autres, de la Luzerne ou du Trèfle pour
enrichir un champ. Mais pour l’enrichir en quoi ?
Et comment ?
La réponse se trouve dans les racines de ces
plantes. Celles-ci sont couvertes de petites boules,
appelées nodosités, facilement observables à l’œil
nu. Observée au microscope, chaque nodosité
contient une monstrueuse colonie de bactéries. La
plante serait-elle infectée ? La réponse est oui,
mais il ne s’agit pas d’une infection au vrai sens
du terme car la plante n’est absolument pas
malade. Bien au contraire, des expériences ont
montré que la Luzerne ainsi que toutes les plantes
de la famille des Légumineuses à laquelle elle
appartient se développaient très mal dans un sol
stérile, dépourvu de bactéries.
La bactérie incriminée, appelée Rhizobium, vit
dans le sol et présente l’étonnante capacité de
fixer l’azote de l’air pour la transformer en
matières organiques azotées, comme l’ammoniac.
Ces substances sont fondamentales pour la
nutrition de toutes les plantes. Les Légumineuses
sont des malignes, car en offrant le gîte et le
couvert à ces bactéries, elles s’assurent un apport
continu et suffisant en ces matières nutritives.
Ainsi dans chaque nodosité s’effectuent des
échanges entre la Légumineuse et les bactéries
qui vont permettre une croissance rapide des
végétaux. En plantant des Légumineuses, on
enrichit naturellement son champ en azote. C’est
donc bien un engrais vert.
Le Clown et son Anémone
Finissons ce chapitre par une note colorée. Nous
sommes, sous quelques mètres d’eau, dans les
récifs coralliens où poissons et Invertébrés
rivalisent d’élégance dans des robes longues ou
courtes, bariolées ou immaculées. De nombreuses
Anémones de grande taille exhibent leurs
tentacules urticants contre lesquels il ne fait pas
bon se frotter. Pourtant, de petits poissons aux
couleurs vives, appelés « poissons-clowns »
virevoltent entre les dards mortels. Pourquoi ne
meurent-ils pas au contact de l’Anémone ?
Le mucus qui recouvre les écailles du poisson-
clown est plutôt constitué de sucre alors que celui
des autres poissons est à base de protéines.
Grâce à cette composition, il n’est pas identifié
comme « nourriture » par l’Anémone. Mais si on
sépare un poisson-clown de son Anémone un
certain temps et qu’on le replace ensuite en
contact, il est paralysé comme les autres. Il n’est
donc pas naturellement immunisé contre le venin.
Pour cela, il doit se frotter régulièrement sur les
tentacules urticants, pour adapter la composition
de son mucus.
Le lien entre les deux individus est durable, et une
fois adoptée, le poisson-clown défend
vigoureusement son Anémone contre tout intrus,
notamment le poisson-papillon qui broute ses
tentacules. De son côté, le poisson-clown profite
également d’une protection efficace contre ses
nombreux prédateurs qui savent d’instinct qu’un
seul contact avec l’Anémone peut être mortel.
Ajoutons que l’Anémone sert de surface de ponte
au poisson-clown, et que ce dernier lui enlève ses
parasites et lui apporte régulièrement des débris
de nourriture. Il s’agit donc d’une superbe
symbiose entre deux individus que tout séparait.
La biologie regorge de surprises !
Figure A : Échelle
des temps
géologiques.

Figure B : Échelle
des temps
géologiques et
évolution des
règnes vivants.
Figure C :
L’horloge de la vie.
Figure D :
Chromosome, ADN
et gènes.
Figure E : Schéma
d’une cellule
animale.
Figure F : Schéma
d’une cellule
végétale.
Figure G : La
place des Poissons
dans les Vertébrés
et les principales
caractéristiques de
leur évolution.
Figure H : Les
relations
évolutionnaires des
reptiles entre eux
et avec les Oiseaux
et Mammifères.
Figure I : Taille des
cellules, de leurs
composants et des
êtres vivants.

Figure J :
L’évolution du
cerveau chez les
Vertébrés.
Figure K : Paysage
du Dévonien
inférieur.
Figure L : La forêt
houillère du
carbonifère (1.
Cordaites, 2.
Psaronius, 3.
Calamites, 4.
Lepidodendron, 5.
Sigillaria).
Index

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A
abdomen
Abel
absorption intestinale
Acanthostéga
Acarien
acaryote
accouchement
Achète
Acheuléen
acide
aminé
tannique
urique

Actinoptérygiens
activité
cardiaque
culturelle

adaptation
ADN (acide désoxyribonucléique)
ADNmt
agar
Agaricus brunnescens
agent mutagène
Agnathe
Aigle royal
aiguille
aile
alcool
alevin
algue
bleue
brune
rouge
verte

allèle
Allosaurus
alvéolaire
alvéole
Amadou
amibe
amidon
ammoniac
Ammonite
amnios
Amniote
amniotique
Amphibien
Amphicoelias
Amphioxus
amphiphile
ampoule de Lorenzini
Anaconda
anaérobie
analyse génétique
anamensis
anaphase
Anatife
Anémone de mer
Angiosperme
anhydrase carbonique
Annélide
Anomalocaris
Anoure
antenne
antennule
anthère
anthéridie
antibiotique
Antithamnion
anus
aorte
Aphrodite
Apode
apodème
apolyse
aposématisme
appareil
aquifer
buccal
de Golgi
digestif
excréteur
genital
respiratoire
urinaire
vegetative

appendice articulé
Arachnide
Araignée
Araucariacée
arbre aux quarante écus
arcades sourcilières
Archaeocyathes
archégone
archéocyte
Archéoptéryx
archéthalle
argile
arille
ARN (acide ribonucléique)
ARNm (ARN messager)
ARNr (ARN ribosomial)
ARNt (ARN de transfert)
artère
aorte
pulmonaire

Arthrobotrys anchonia
Arthropode
Arum
titanium

Ascidie
asexué
aspiration foliaire
astaxanthine
aster
Astérie
atmosphère primitive
atoll
atome
d’hydrogène
d’oxygène

atoque
ATP (adénosine triphosphate)
ATP synthase
atrium
Atta
Australopithecus afarensis
Australopithèque
autofécondation
autotrophe
Autruche
avantage sélectif
Axolotl
Azolla
B
bactérie
lactique
luminescente
primitive
sulfureuse
thermophile

bactériophage
balancier
Balane
Baleine bleue
Bambou
bandes claires et sombres
Barteria fistulosa
bassin
houiller
sédimentaire

Bates (Henry Walter)


Bateson (William)
batrachotoxine
Baudroie abyssale
Beagle
bec
de Perroquet

bénitier
Bernard (Noël)
Bernard-l’ermite
Bernique
BIF (Banded Iron Formations)
biface
bile
bilharziose
biocénose
biochronologie
biohermes
biomolécule
biosphère
biotope
bipède
Bivalve
Blastophage
bois
Bolk (Louis)
Bonobo
bosse de Polichinelle
Botrytis cinerea
bourgeon
branchies
Branchiostoma
bras
brassage chromosomique
brin d’AND
bronche
Brunet (Michel)
Buffon
bulbe
copulateur
rachidien

Burgess Pass
byssus
C
cage thoracique
Caïman
Calamite
calcaire
calice
Calmar
calotte
crânienne
glaciaire

cambium
capacité cérébrale
capillaire
capsule
capteur sensorial
carbonate
carbonate de calcium
Carbonifère
carpospore
carposporophyte
carte génétique
cartilage
caryotype
Catarhinien
cavité
abdominal
gastrique

Cèdre japonais
Céleri
cellulase
cellule
à flamme
nerveuse
sexuelle

cellule-œuf
cellulose
Centipède
centre thermorégulateur
centromère
Cepea nemoralis
Céphalochordé
Céphalopode
céphalothorax
cercaire
Cercopithidé
cerveau
cervelet
Cétoine
chaîne
nerveuse
respiratoire

chaînon manquant
chambre pollinique
champignon
chant
Chapeau chinois
charbon
Châtaigne de mer
Chauve-souris
Chauvet
chélicère
Chêne de Palmer
Chicxulub
Chimère
Chimpanzé
chitine
chitosans
Chlamydomonas
chlorophylle
chlorophylle a
chlorophylle b
chlorophylle c
chlorophylle d
chloroplaste
choanocyte
Chondrichtyen
choppers
chorde
Chordé
chromatide
chromatine
chromatophore
chromosome
circulaire
homologue
sexuel

chrysalide
Cigale
cil
circulation
cirres
Cladonia
cladothalle
classification
clavicule
cloaque
cloison
clone
Cloporte
Cnidaire
cnidocil
cnidocyste
cnidocyte
CO2
coacervat
code génétique
codon
initiateur
stop

Cœlacanthe
Coelurosauravus
cœur
coévolution plante-insecte
coiffe
col de l’archégone
col du femur
Coleochaete
Coléoptère
Colibri
collencyte
collet
colonne vertébrale
commissure
Concombre de mer
cône
femelle
male

Conifère
Conodonte
Cooksonia
Coppens (Yves)
coquille
Coquille Saint-Jacques
corail
cordon
nerveux
ombilical
radiaire

corolle
corps
gras
ionique

Correns (Carl)
cortex
cerebral
moteur
sensitive

côte
coton
couche d’ozone
Coucou geai
Coucou gris
Couleuvre de Montpellier
coussinet
Couteau
couvaison
Crabe
crâne
Crâniate
Crapaud
créationnistes
Créosotier
Crétacé
Crick (Francis)
Criquet
crise
biologique
Crétacé-Tertiaire
K-T

cristallin
crochet
Crocodile
Cro-Magnon
crossing-over
Crustacé
cryptogame
cubitus
Cuénot
culture
Cupressacée
cuticule
cutine
cyanobactéries
Cycadale
cycle
cellulaire
de Calvin
de Krebs
de vie
du carbone

cyclosporine
Cygne tuberculé
cylindre central
Cyprès
Cyprès des marais
cytoplasme
D
danse nuptial
dard venimeux
Darwin (Charles)
datation absolue
datation relative
de Vries (Hugo)
débitage en lame
Décapodes
décomposeur
demi-cœur
droit
gauche

Dendrobate
dent
dentine
derme
deuxième division méiotique
développement
direct
indirect

Dévonien
supérieur

diaphragme
diazote
Dibranchiaux
Dicotylédone
Diderot
digestion
extracorporelle
Dimétrodon
dimorphisme sexuel
Dinosaure
dioïque
Dionée
dioxyde de carbone
dioxygène (O2)
Diplodocus
diploïde
Dipneuste
Diptère
disque buccal
disques imaginaux
division
binaire
équationnelle
réductionnelle

doigt
dormance
double
fecondation
hélice

Douve du foie
Drosophila melanogaster
Drosophile
Dunaliella salina
Dunkleosteus
duplication
Durian
duvet
E
écaille
ecdysone
Échinidé
Échinoderme
éclosion
ectoderme
ectomycorhize
ectotherme
Écureuil Volant
Édenté
Ediacara
effet de serre
électron
électronégativité
électrosensible
Éléphant
élytre
émail
embolie
embranchement
embryogenèse
endocrine
endoderme
endomembrane
endomycorhize
endothermie
endotoxine
engrais vert
enjambement
Enteromorpha
enveloppe nucléaire
enzyme
de restriction

Ephedra
éphédrine
Épicéa
épiderme
épine
épitoque
éponge
Érable
ère
primaire
secondaire
tertiaire
quaternaire

Escargot
estomac
estran
Esturgeon
étamine
Étoile de mer
Eucalyptus
eucaryote
Euryptéridé
Eusthénoptéron
évolution
exine
exogenèse
exosquelette
Eyzies-de-Tayac
F
Faucon pelerine
faune de Burgess
faux fruit
fécondation
externe

félin
femelle
fémur
fente branchiale
fer
ferrique
oxydé

fermentation
feuille
fibre nerveuse
Figuier
filet
filière
fixisme
flagelle
Flamant rose
Fleming (Alexander)
fleur
flore
bactérienne
de Rhynie

fœtalisation
fœtus
foie
fossile
fossile vivant
fougère
fougère géante
Fourmi
Fourmilier
fourmilière
fraisier
Franklin (Rosalind)
fronde
front
fructose
fruit
fucoxanthine
Fucus
fumeur noir
Fungi
fuseau de division
fusion des chromosomes
G
G1
G2
gaine de myéline
galathée
galet
gamète
gamétophyte
ganglion
ganglions nerveux
gangue
Gardon
Gavial
gemmule
gène
gènes Hox
généticien
génétique
des populations

Genévrier
germination
gésier
gestation
Gibbon
Ginkgo biloba
Ginkgoale
Girafe
glaciation
de Würm

glande
mammaire
salivaire
séricigène
thyroïde

globe oculaire
Glomales
glucose
glycolyse
Gnétophyte
Gnetum
goémon
Golgi (Camillo)
gonade
Gorille
Gould (Stephen Jay)
grain de pollen
graine
Graminée
grande circulation
granivore
gravide
griffe
Grillon
grossesse
Gudernatsch (Friedrich)
Guépard
Guêpe
Gurdon (John)
guttation
Gymnosperme
H
Haeckel
Haikouichthys ercaicunensis
Haldane (John)
haploïde
Haplorhinien
hématophage
hémisphère cerebral
hémocyanine
hémoglobine
hémolymphe
herbivore
hérédité
Hérisson de mer
hermaphrodite
hétérochronie
hétérosporie
hétérotrophe
hétéroxylé
Hexacoralliaires
hexapode
hibernation
hirudine
Holothurie
Homard
homéotherme
homéothermie
Hominidé
Homininé
hominisation
Hominoïdé
Homme
de Neandertal
modern

Homo
erectus
habilis
sapiens

homosporie
homoxylé
hormone
hormone juvenile
Huître
humérus
humus
hydathode
Hydre
hydrocarbure
hydrophile
hydrophobe
hydrosphère
Hylonomus
Hyménoptère
hyphes
hypothalamus
I
Ichtyosaures
Ichtyostéga
illicium
imago
inflorescence
information génétique
inlandsis
Insecte
Insectes sociaux
insuline
intelligence
interphase
intestin
grêle
postérieur

intine
Invertébré
Iule
ivoire
J
jabot
Johannsen (Wilhelm)
Jurassique
K
Kangourou
kératine
dure
molle

kérosène
Killi des mangroves
Koala
krill
L
labelle
Laetoli
lagon
lait
Laitue de mer
Lamarck
lamelle
chlorophyllienne

Lamellibranches
Laminaire
Laminaria saccharina
Lamproie 1893
Lancelet
Lang (W.)
Langouste
lanterne d’Aristote
La Rodinia
larve
Lascaux
Leakey (Marie)
légume
Légumineuse
Lémurien
Lépidodendron
Lépidoptère
Lépiotes
levure de bière
Lézard
liaison
covalente
faible
hydrogène
polarisée

Lichen
ligase
ligne latérale
lignée humaine
lignine
Limnée
Limule
Linné (Carl von)
lipide
liposome
liquide
amniotique
de mue

lithosphère
lobe
olfactif
optique

lois de Mendel
Lombric
LUCA (Last Universal Common Ancestor)
luciférine
Lucy
Luzerne
lysosome
M
mâchoire
macromolécule
maërl
magnésium
magnétite
mains
mâle
mamelle
mamelon
Mammifère marsupial
Mammouths
mandibule
manubrium
Marpolia
marqueur stratigraphique
Marsupial
matériel génétique
matière
minérale
organique

matrice
maturité sexuelle
Maupertuis
maxille
maxillule
méduse
Mégalocéros
Meganeura
méiose
Mélèze
membre
Mendel (Johann)
Mérostome
Meselson (Matthew)
mésoderme
mésoglée
Mésozoïque
métabolisme
métamère
métamorphose
métaphase
météorite
méthamphétamine
méthane
méthanol
méthionine
micelle
micro-organisme
microphage
microtubule
miellat
mildiou de la Vigne
Mille-pattes
Miller (Stanley)
mimétisme batésien
minerai de fer
miracidium
mise bas
mitochondrie
mitose
modèle de la Reine rouge
modèle semi-conservatif
moelle épinière
moisissure
molécule
d’eau
organique
polaire

Mollusque
monoïque
Monotrème
Monotropa hypopitys
Morgan (Thomas H.)
Morilles
morula
Mosasaures
motus
Mouche
Moule
mousse
Moustérien
Moustique
mucilage
mue
de metamorphose
larvaire

Muller (H. J.)


multiplication asexuée
muscle intercostaux
museau
mutation
ponctuelle

mycélium
Mycète
mycorhize
myéline
Myllokunmingiiforme
myocyte
Myriapode
myrmécophile
Myxine
N
nacre
nageoire
caudale
pectoral

narine
Nautile
Néandertaliens
nectaire
nectar
Necture
néoblaste
néodarwinisme
Néolithique
néoténie
Néphile
néphridie
nerf olfactif
nervure
neurone
géant

niche écologique
nidation
nitrate
d’argent

nodosité
Noix de coco
nombril
noyau
nucelle
nucléotide
nymphe
O
océan primitif
ocelle
Octopodes
Octopus
œil de replication
œsophage
Œstrogène
OGM
Oiseau
Oldowayen
Oligocène
Oligochète
ombrelle
ommatidie
omnivore
ongle
ongles plats
oosphère
Opabinia
Oparin (Alexandre)
opercule
Ophiure
Opossum
Orang-outan
orbite
Orchidée
oreillette
organe vegetative
organes génitaux
organite
orifice urinaire
Ornithorynque
Orque
Orrorin
Orvet
Oryctérope
os
de Seiche

oscule
Ostracoderme
ouïe
Ours
Oursin
outil
ovaire
ovipositeur
ovule
oxydation
ozone
P
Paléolithique supérieur
Palétuvier
palpes labiaux
Pandorina
Pangée
Pangolin
panification
panspermie
Papillon
parade nuptial
Paramécie
paraphylétique
parasite
parenchyme
Paresseux
paroi
uterine

parturition
parures
Patelle
patte
pédipalpe
pédoncule
Penicillium roqueforti
pénis
pépin
Perche de mer
péricycle
périostracum
perle
Permien
pétale
petite circulation
Petits Pois
pétrole
Peuplier faux-tremble
phagocytose
phalange
phanère
Phanérogame
pharynx
phase
chimique
claire
photochimique
sombre

phéromone
phloème
phlorotanin
photolyse de l’eau
photophore
photosynthèse
phycoérythrine
pièce buccale
pièce fertile
pied ambulacraire
Pieuvre
Pikaia
gracilens

Pin
parasol
pinier
sylvestre

Pinacée
pinacocyte
pince
Pinson
piquant
Pissenlit
pistil
placenta
Placentaire
Placoderme
plan d’organisation
Planaire
plancher buccal
plante
carnivore
ligneuse

plantule
planula
plaque équatoriale
Plasmopara viticola
Plathelminthe
Platyrhinien
Pléistocène
Plésiosaures
pleuridie
pleurite
Pleurotus ostreatus
plume
de Calmar

pluricellulaire
Pluvian d’Égypte
pneumocyte
de type I
de type II
Poacée
poche
du noir

poil
absorbant
détecteur

pointe
poisson
poisson-clown
poisson pulmoné
pollen
pollinie
pollinisation
Polychète
polype
Polypode vulgaire
Polysiphonia
Polytric
Pongidé
pore
inhalant
nucléaire

porocyte
pouce opposable
Pouce-pied
poumon
multicavitaire
unicavitaire

pourriture grise
poussin
Précambrien
prédation
préhistoire
préhumain
Prêle géante
première division méiotique
Primate
principe de l’actualisme
Proboscidien
procaryote
propagule
prophase
protéine
prothalle
protiste
proton
protozoaire
pseudopode
Ptéranodon
Pteraspis
Ptéridophyte
Ptéridospermée
Ptérodactyle
Ptérosaurien
Puceron
pullus
Purgatorius
pygidium
pyrite
pyruvate
Python réticulé
Q
quadrumane
queue
R
racine
racloir
radiation évolutive
radioactivité naturelle
radius
radula
Rafflesia arnoldii
Raie
réceptacle floral
récif
corallien
frangeant

Red Beds (lits rouges)


rédie
réflexe
régime carnivore
rein
réplication
reproduction conforme
reptile mammalien
Requin
résiline
respiration
respiration
cellulaire
cutanée

réticulum
Rhizobium
Rhizoctonia
rhizoïde
rhizome
rhume des foins
Rhynia
ribonucléotide
ribosome
Ricin
ricine
Rift Valley
rites funéraires
Rorqual bleu
Rosacée
Rose de Jéricho
rosée
Roussette
ruche
Rudistes
S
sabots
sac
aérien
pollinique
pulmonaire

saccharose
sacculaire
Salamandre
Salvinia
samare
sang
désoxygéné
oxygéné

Sangsue
Sapin
saprophyte
Sarcoptérygiens
Sauropsidé
Scarabée
Scenedesmus
schistes de Burgess
Schistosome
schizocoelie
scissiparité
sclérite
scléroblaste
Scolopendre
Scorpion
Scorpion languedocien
segment
Seiche
Sélaginelle
sélection
naturelle

sels minéraux
sépale
septum
sépulture
Séquoia
Serpent
sève
brute
élaborée

sexe
sida
Sigillaires
silice
Silure
Silurien
Simien
Singe
siphonogamie
soie
naturelle
sensorielle

sol
Soleil
soupe
prébiotique
primitive

spadice
spathe
spéciation
Spermaphyte
spermatie
spermatogenèse
spermatophore
spermatozoïde
Sphaigne
Sphinx du mûrier
spicule
Spirogyra
sporange
sporocyste
sporophyte
sporopollénine
Sprigg (Reg)
squelette axial
Stahl (Franklin)
stigmate
stomate
stridulation
stromatolithes
Sturtevant (A.)
style
substance organique
suc digestif
Suiforme
sulfate
sulfure
d’hydrogène (H2S)

surfactant
Sutton (Walter S.)
symbiose
symétrie bilateral
symétrie pentaradiée
Synapside
synthèse néodarwinienne
systématique
système
digestif
hydraulique

système
nerveux
respiratoire
solaire
T
tambour
tangorécepteur
Tarsien
Tatou
Tautavel
Taxacées
Téléostéen
télophase
tension superficielle
tentacule
Termite
termitière
test
testicule
têtard
Tétrabranchiaux
Tétrapode
Tétrapodomorphe
Tetraponera
TH (transporteur d’hydrogène)
thalamus
thalle
théorie
de Darwin
endosymbiotique
synthétique de l’évolution

thorax
Thuret (Gustave)
Thuya
thyroxine
tige
Tigre à dents de sabre
Tique
tissu conducteur
toile
Tommot
Tortue
Tortula ruralis
torus
Toumaï
tourbe
toxine
trachée
trachéide
trachéole
traduction
transformisme
transgression
transpiration foliaire
Trèfle
Triadobatrachus
Trias
Tridacne
Trilobite
triplet
Triton
palmé

trochophore
trompe
trou occipital
truffe
Truffes
Tschermak (Erich)
Tuataras
tube
digestif
nerveux
neural
pollinique

tubes de Malpighi
tubules spermatiques
Tunicier
tunicine
type broyeur-lécheur
Tyrannosaure
U
Ulva
Ulve
unicellulaire
urine
urne
Urochordé
Urodèle
utérus
UV (ultraviolet)
V
vaisseau
du phloème
du xylème
sanguin

valeur de consigne
valve
vapeur d’eau
végétaux supérieurs
veine
venin
ventricule
droit
gauche

Ver de feu
Ver de terre
Ver plat
vertèbre
Vertébré
vésicule
biliaire

vessie natatoire
vie ralentie
Vipère
virus
viscères
vision binoculaire
vitellus
vol battu
Volvox
W
Walcott (Charles Doolittle)
Watson (Jim)
Welwitschia
X
Xénope
XX
XY
xylème
Y
yeux composées
Yucatán
Z
zoïdogamie
zone de balancement des marées
Zoophyte
zooplancton
zoospore
Zooxanthelle
zygote

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