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25 OCTOBRE 2023
Des Chaumières
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SOMMAIRE
HEBDOMADAIRE N° 3607 – 25 OCTOBRE 2023
Une publication du groupe Reworld Media
M
an Ray, de son vrai nom Emmanuel office de phalanstère culturel où l’on croisait toute
Radnitsky, n’est pas le premier artiste l’avant-garde du XXe siècle : Jean Cocteau, André
que la Côte d’Azur ait fasciné. L’année de Gide, Salvador Dali, Pablo Picasso, Balthus, et tant
son installation en France, le photographe amé- d’autres venus travailler ici et se divertir, notam-
ricain accompagna Francis Picabia, au volant ment à l’occasion de grandes fêtes costumées. Au
d’un de ses bolides légendaires sur la Riviera. « Et bal des matières, organisé l’été 1929, l’invitation
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proposait de « ne pas venir en étoffe usuelle d’ha-
billement et suggérait : toiles cirées, vanneries,
végétaux, plumes, cuirs, tissus d’ameublement,
papiers et cartonnages divers ». C’est ainsi que
Man Ray apparaît vêtu d’un sac à linge en rayonne
brillante, batteur à œufs à la main et coiffé d’un
béret sur lequel il avait fixé un petit moulinet. Plus
loin, des clichés montrent le comte de Beaumont
en costume de raie et la vicomtesse de Noailles
vêtue d’une robe en peau de requin pour une
soirée sur le thème des fonds marins.
Les folles soirées de la villa Noailles
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Exposition
hédonistes. Alors que gronde déjà la menace l’origine une publicité pour une marque de mas-
d’une nouvelle guerre mondiale, les clichés de cara. À force de recadrages du cliché original
Man Ray montrent une joyeuse bande insou- – il y en a cinq versions – il va créer une image
ciante, heureuse et libre. emblématique, véritable manifeste du surréa-
C’est également à la suite de ces séjours dans lisme. Idem pour sa photographie des lèvres de
le Sud que le photographe et le poète Éluard éla- Lee Miller, à la fois sa muse, son assistante, puis
borent ensemble le recueil Les Mains libres. À la sa maîtresse, qui lui inspira quelques années plus
manière d’un cahier de vacances, Man Ray évoque tard À l’heure de l’observatoire-Les amoureux.
les balades, les repas entre amis, les siestes, les
Accidents créatifs
paysages. « Le soir avant de m’endormir, si j’ai une
idée, je fais un dessin tout de suite », écrit-il. Le Car Man Ray a soif d’expérimentation, n’hésitant
titre vient également du photographe : « Les mains pas à introduire dans ses compositions des objets
libres parce que je laissais la main faire ce qu’elle artistiques : oiseaux de Giacometti, socles blancs
voulait », comme des dessins automatiques. Avec inspirés de Brancusi… « Je prenais tout ce qui me
cet ouvrage, « le beau temps » s’achève. tombait sous la main. C’était passionnant et folle-
La guerre sépare les amis. Lorsque l ’Allemagne ment amusant. » Il s‘appropria le photogramme qu’il
nazie envahit Paris, ce fils d’immigrés juifs fuit renomma « rayogramme » (obtenu par l’application
à Hollywood et raccroche ses boîtiers pour ne d’un objet à même le papier) avant de mettre au
plus se consacrer qu’à la peinture. Il exécute une point la solarisation. Un procédé découvert par acci-
grande toile, alors qu’une nuit, au loin, il entend dent. L’histoire raconte qu’une souris se serait fau-
les canons : « Je me rendormis et rêvais que deux filée entre les jambes de Lee Miller, dans la chambre
animaux mythologiques s’égorgeaient sur mon
toit. Je fis l’esquisse de ce rêve et l’incorporai
à mon tableau de rêves, que j’intitulai Le Beau
Temps. » Au-delà du titre et d’un jeu trompeur
de couleurs, le ciel s’assombrit, du sang coule et
la violence domine le fond. Man Ray peignant
« ce qui ne peut être photographié, ce qui vient
de l’imagination ou du rêve, ou d’une pulsion
inconsciente. »
Photographies de mode et portraits
Les autres salles quittent la Méditerranée pour
présenter les œuvres les plus célèbres de l’ar-
tiste, parmi lesquelles Noire et Blanche, La Prière,
Le Violon d’Ingres, Le Baiser. Autant d’images
oniriques à la gloire de la femme. Une pièce est
dédiée aux surréalistes – mouvement auquel le
photographe n’adhéra jamais vraiment tout en
participant à presque toutes ses expositions.
Beaucoup défileront devant son objectif pour se
faire tirer le portrait : André Breton, Jean Arp,
Jean Cocteau, René Char, Giacometti…
FRÉDÉRIC BEAUCLAIR
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noire. Apeurée, Lee aurait brusquement allumé
créant une aura métallique sur les négatifs en
cours de développement. Certes, elle ne fut pas
la première à commettre la bourde. Tous les
amateurs d’argentique connaissaient le danger
Sandrine TOURNIGAND
Man Ray a réalisé beaucoup de portraits de surréalistes, mais aussi des photos de groupe,
comme La Centrale surréaliste (1924), qui recouvre tout un pan de mur dans l’exposition d’Hyères.
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De-ci, de-là par Sabine Hébert
Chambre avec vue… par les fenêtres, se laisser caresser et observer les
Dans cet hôtel du Kenya,
clients de leurs grands yeux noirs dans l’espoir de
on vit avec les girafes. recevoir de la nourriture. La demeure, aux allures
de pavillon de chasse écossais, a été construite dans
les années 1930, puis acquise dans les années 1970
par Jock Leslie-Melville et son épouse Betty. Peu
de temps après avoir emménagé, le couple apprend
qu’un terrain proche du leur est sur le point d’être
vendu. Des girafes de Rothschild y vivent librement.
SHUTTERSTOCK
Cette espèce, qui peut atteindre 6 m de hauteur, est
déjà menacée à l’époque. L’opération immobilière
implique l’expulsion, voire l’élimination de ces spé-
cimens. Les Melville acquièrent donc une partie
P
rendre votre café en compagnie d’une girafe des terres et transforment les lieux en un havre de
vous semble saugrenu ? Au Manoir des Girafes, paix pour les bêtes au long cou. Aujourd’hui, c’est
une maison d’hôtes située dans le sud du le fils de Betty, Rick Anderson, et sa femme qui
Kenya, à 22 km de la capitale, c’est un rituel quoti- gèrent cet hôtel unique. Sur les murs, des portraits
dien. Vivant depuis des années dans le parc de l’hô- de famille rendent hommage à Betty, the Giraffe
tel, ces quadrupèdes sont habitués à la présence de Lady (la dame aux girafes), et à sa détermination
l’homme, au point de ne pas hésiter à passer le cou à sauver ces étonnants animaux.
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SHUTTERSTOCK
Seul au monde
V
oici un endroit où l’on ne risque guère d’être déserte sur plus de 22 millions de km2, soit près de
dérangé. Situé en plein cœur du Pacifique 2,3 fois la surface des États-Unis et 1,3 fois celle de
Sud, il est le plus isolé de la planète. Les terres la Russie. La vie marine y est très peu développée.
émergées les plus proches, l’île Ducie au nord, l’îlot L’éloignement des terres et la faiblesse des cou-
Motu Nui au nord-est et l’île Maher au sud, IMWI - WIKIMEDIA COMMO rants expliquent la carence en nutriments
T NS
se trouvent à environ 2 680 km de dis- CC - aquatiques nécessaires à l’apparition
tance et sont, faut-il le préciser, inha- d’une faune plus conséquente. Et
bitées. Le lieu est appelé point Nemo, pour rencontrer des êtres humains,
en hommage au héros du roman de il faut espérer croiser dans les
Jules Verne Vingt Mille Lieues sous airs les passagers de vols entre la
les mers. L’origine du mot vient du Nouvelle-Zélande et le Chili. Au
grec, langue dans laquelle il veut point Nemo, le silence est presque
dire « distribuer », « partager », et du total, brisé par les seuls bruits du
latin où il signifie « personne ». Voilà vent, des vagues… et de la chute
qui convient parfaitement à cet espace. de vaisseaux spatiaux obsolètes qui
Autour du point Nemo s’étend une zone viennent finir ici leur existence.
Nemo est le point le plus
éloigné de toute humanité.
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Nouvelle
© SHUTTERSTOCK
Surprise au village
O
h ! dit Simone d’un ton désolé en – Cela faisait tout de même un certain
scrutant une page du journal, cette temps qu’on ne l’avait pas vue, répondit
fois, ça y est, cette pauvre Marguerite Joseph, son mari, en bourrant sa pipe.
Vauchelle nous a bel et bien quittés. Depuis trois ans, en fait, quand elle est
Elle venait, comme chaque jour, de par- entrée en maison de retraite. Ne te bile
courir la rubrique nécrologique dans le donc pas comme ça, ajouta-t-il en voyant
quotidien local, histoire de ne pas oublier sa femme se moucher à nouveau.
de se rendre aux obsèques de telle ou telle – Tu en as de bonnes, toi ! C’était tout de
connaissance des alentours. Et, comme même une ancienne camarade d’école ! Et
d’habitude, elle fondit en larmes. Elle n’y puis, la pauvre, elle aurait tant aimé revoir
pouvait rien, les mauvaises nouvelles, sa maison une dernière fois !
même si elles ne la touchaient pas de près, Sa maison, pensa Joseph, il valait mieux
la mettaient en émoi, qu’il s’agisse d’un chat peut-être au contraire qu’elle n’y soit pas
inconnu écrasé dans le village ou d’une revenue. Cela lui aurait laissé un bien
meurtrière guerre lointaine. piètre dernier souvenir. Depuis le temps
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par Agathe Forestelle
que plus personne n’y venait, elle s’était Déjà que c’était le dernier commerçant
bien dégradée, surtout avec la dernière tem- ambulant qui les approvisionnait !
pête qui avait emporté une bonne partie de – Tu as raison, dit Simone en se levant
la toiture. et en repliant le journal. Et puis comme
– En tout cas, ça va faire drôle à ses trois ça, je verrai peut-être Roselyne qui aura
enfants de remettre les pieds ici, reprit sans doute elle aussi lu le journal et vu le
Simone. On ne les a pas revus depuis que faire-part.
leur pauvre mère était partie. Déjà qu’on ne Ça allait encore papoter sec, pensa Joseph
les croisait pas souvent avant ! en se dirigeant vers la remise à bois. Mais
– Ah ! tu sais bien qu’ils habitent loin, et bon, il fallait bien occuper ses journées, en
ils ont leur travail, leur famille, dit Joseph cette morte-saison où le jardin ne monopo-
en soupirant. lisait plus une grande partie de leur temps.
Il déplorait la lente désertification de ce
village où il avait passé sa vie. La nouvelle
L
génération avait émigré vers les grandes a foule était nombreuse aux
villes les plus proches et il ne restait plus obsèques de Marguerite. Beaucoup
à présent qu’une dizaine de maisons habi- se souvenaient en effet de cette
tées. Et encore, par des gens de son âge. Le femme affable, qui, veuve de bonne heure,
dernier commerce, bar-tabac-épicerie, avait avait assumé seule l’éducation de ses
fermé l’année précédente, sans qu’aucun enfants en travaillant à l’ancienne poste,
repreneur ne se présente pour l’instant, et sans pour autant négliger ses voisins et
il fallait désormais prendre sa voiture, pour amis à qui elle avait rendu de nombreux
ceux qui en avaient une, pour aller faire ses services. Tous les regards étaient fixés sur
courses au bourg voisin. les premiers bancs réservés à la famille.
Les vieux époux restaient là, tous deux Haussant la tête, on tentait de reconnaître
silencieux, chacun à un bout de la table de discrètement les trois enfants de la défunte
cuisine. et leur propre progéniture. On faisait men-
– Tiens ! dit soudain Simone. Le faire-part talement des déductions, qu’on se commu-
de décès est bizarrement rédigé. niquerait à la sortie de la messe. Simone,
Joseph la regarda par-dessus ses lunettes : placée non loin d’eux, poussa discrètement
elle y était encore ! du coude son mari.
– Elle avait bien deux filles et un garçon, – Qu’est-ce que je te disais ? chuchota-
Marguerite ? t-elle. Il y a bien un monsieur à côté de
Il acquiesça. Renaud Vauchelle !
– Eh bien, écoute ! Ses enfants, Marie – Ce n’est peut-être pas lui, répondit
Lenormand et son époux, Sandrine Dupieux Joseph à voix basse. Il y a si longtemps qu’on
et son époux, Renaud Vauchelle et son ne les a pas vus ! Et il est de dos.
époux, ses petits-enfants, ont la douleur Mais Simone hocha la tête d’un air
de vous faire part, etc. entendu. Si, cette haute stature un peu
– Oui, et alors ? voûtée, ces oreilles légèrement décol-
– Tu ne m’écoutes pas ! Renaud Vauchelle lées, c’était le pauvre Louis, le mari de
et son époux ! Marguerite, tout craché, au même âge. Et,
– Bah ! sans doute une faute de frappe de quand l’homme se pencha pour parler à
la part du journal. l’oreille de son voisin, elle reconnut là clai-
Mais Simone, perplexe, dodelinait de la tête. rement le profil de Marguerite.
– Laisse donc tomber ce fichu journal. Tout le monde s’était effectivement fait
Retiens la date de l’enterrement, et ça suffit. la même réflexion et l’inconnu à côté du
Tu vas finir par rater le passage du bou- fils Vauchelle attira bien des regards. Il
langer ! répondit pourtant de manière courtoise
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Surprise au village
à tous les villageois qui lui présentèrent, n’avait été repéré. L’information fut vite
comme à tous les autres membres de la relayée de maison en maison et nombre
famille, leurs condoléances. de rideaux se soulevèrent discrètement.
Mais la maison de Marguerite était un peu
à l’écart de la route principale et il aurait
E
h bien quoi ? Où est le problème, si ce fallu aller se planter devant pour en avoir
monsieur est le mari de Renaud ? Tu le cœur net. Personne n’osa pousser l’intru-
sais bien que ce genre de mariage est sion jusque-là. Mais, comme par enchante-
autorisé à présent. Et franchement, il m’a ment, plusieurs habitants eurent subitement
l’air tout à fait comme il faut. l’envie d’utiliser leur voiture les jours sui-
Joseph s’agaçait du verbiage incessant de vants, et ainsi purent passer lentement,
son épouse depuis qu’ils étaient rentrés de comme si de rien n’était, devant la maison
l’église. Vauchelle, en y jetant un coup d’œil furtif.
– Ce qui m’inquiète plutôt, c’est que j’ai Bientôt, il fut évident que la maison était
un peu discuté au cimetière avec Sandrine. habitée et en cours de réfection, car les par-
Elle m’a dit que, pour l’instant, rien n’avait ties de toiture endommagées avaient été
été décidé pour la maison de Marguerite. sommairement bâchées. La confirmation fut
Ou bien elle va être mise en vente, et qui d’ailleurs donnée à tous les jours suivants.
viendrait s’installer dans un trou pareil ?,
ou bien elle va continuer à se dégrader len-
U
tement et, dans quelques années, ça fera n matin, on frappa timidement à
une ruine de plus dans le village. la porte de Simone et Joseph. À
Mais Simone ne l’écoutait pas vraiment, l’invitation de ce dernier, Renaud
tout à son idée que « c’était tout de même Vauchelle entra, suivi de l’homme aperçu
étrange, cette affaire ». à l’église.
On en fit des gorges chaudes pendant – Voilà, nous sommes vos nouveaux voi-
quelques semaines, puis on passa à autre sins, de pauvres citadins qui fuient l’agitation
chose, ou plutôt tout le monde revint à son urbaine. Vous vous souvenez de moi, j’es-
train-train habituel. Jusqu’à ce que, un jour père ? dit Renaud avec un sourire engageant.
du printemps suivant, Roselyne fit irruption – Oui… bredouilla Simone, mais cela fait
sans crier gare dans la cuisine de Simone. longtemps, n’est-ce pas ?
Elle venait de temps à autre « se faire Elle ne pouvait détacher ses regards du
payer le jus », comme elle disait, histoire monsieur qui l’accompagnait, lequel, l’air
de papoter un peu, entre vieilles copines. ouvert et sympathique, affichait lui aussi
Avec des airs de conspiratrice, elle annonça une expression avenante.
qu’en traversant le village, elle avait vu un – Je vous présente Simon, mon mari,
camion de déménagement stationné devant dit Renaud, d’un ton très naturel. Je sais,
la maison de cette pauvre Marguerite. ajouta-t-il aussitôt, cela peut surprendre,
– Eh bien, ce seront les enfants qui auront voire choquer. C’est pourquoi nous faisons
décidé de vider la maison de leur mère, dit la tournée de toutes les maisons pour vous
Joseph. mettre au courant de cette situation un peu
– Non ! j’ai bien vu des hommes qui en inhabituelle pour vous, nous le comprenons.
sortaient des meubles, pas le contraire ! Simon acquiesça gravement.
Tiens ! la maison aurait-elle été vendue – Ah… ! fit seulement Simone, d’un air
sans que personne ne soit au courant ? effaré qu’elle ne put retenir.
Pourtant, aucun panneau n’avait été vu – Eh bien ! bienvenue au village, dit
sur la façade décrépie et aucun mouvement Joseph, plus vite revenu de sa surprise que
suspect, qui n’aurait échappé à personne, sa femme. Ne restez pas plantés là, vous
signalant les visites d’éventuels acheteurs, prendrez bien un café ?
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Les deux hommes acceptèrent et s’as- égard, tu déchanteras peut-être bientôt
sirent sur les chaises que Joseph leur ten- quand tu auras vu ce qu’ils auront fait de
dait. la maison ! C’est bien connu, ces gens-là
– Mais ne vous inquiétez pas, nous n’al- ont des goûts bizarres. Et puis, ce sont des
lons pas défigurer votre village. Nous aussi, fêtards, à ce qu’il paraît. Ils n’ont sans doute
nous aimons les vieilles pierres ! Nous pas fini de faire des bringues à tout casser !
allons essayer de restaurer la maison de Ah ! la pauvre Marguerite doit se retourner
ma pauvre maman dans les règles de l’art, dans sa tombe !
ajouta Renaud. Nous pensons qu’elle sera Elle ne décolérait pas.
habitable dès cet été, si tout va bien, et nous
‘‘
pourrons ainsi accueillir mes sœurs qui
seront elles aussi ravies de revoir les lieux
de leur enfance. Au fond de lui, il
– Et aussi nos neveux, ajouta Simon.
« Nos ? », pensa Simone, qui restait debout n’était pas mécontent de tout
’’
à côté de l’évier, ne parvenant à dominer ce remue-ménage
son trouble. Eh oui pourtant, les enfants des
filles Vauchelle devenaient, par alliance, les
neveux du conjoint de Renaud, comme dans – Vas-tu te taire à la fin ? cria Joseph. On
toutes les familles. Parviendrait-elle à se peut peut-être leur laisser le bénéfice du
faire à cette idée ? Muette, perdue dans ses doute, non ? Et puis, tiens, s’ils font ce que
pensées confuses, elle entendit vaguement tu dis, ça mettra un peu d’animation !
son mari parler de la maison Vauchelle, qu’il Au fond de lui, il n’était pas mécontent de
connaissait bien, de la solidité du bâti et des tout ce remue-ménage.
vastes dépendances qui offraient beaucoup
de possibilités.
Q
– Mais vous allez y vivre dès à présent ? uelques jours plus tard, il décrocha
demanda-t-il, en proposant un « pousse- son ciré de la patère et s’apprêta à
café » à ses visiteurs. Parce que l’intérieur sortir.
doit être salement délabré, depuis le temps – Mais où vas-tu par ce temps ? demanda
que plus personne n’y est entré ! sa femme.
– Oui, répondit gaiement Renaud. Nous – Justement, il fera sûrement de l’orage
avons donné congé à notre propriétaire et d’ici peu. Je vais aider ces deux pauvres
nous allons, comment dire ? camper ! diables sur leur toit. Ils sont en train de
– Ce n’est plus tout à fait de notre âge, ren- poser les tuiles et s’ils n’ont pas fini avant
chérit Simon, mais bon, ce n’est pas pour la pluie…
très longtemps ! – Mais ce n’est plus de ton âge ! Et avec
Joseph songea en hochant la tête qu’il ne ton arthrose, tu…
faisait pas encore bien chaud, et avec cette Joseph avait déjà refermé la porte sur lui.
toiture éventrée… Et dire qu’il y avait dans Les deux nouveaux habitants accep-
sa maison plusieurs chambres vides, lais- tèrent son aide avec joie. Et Joseph put
sées par les enfants qui avaient quitté le nid. voir à l’occasion la tâche énorme qu’ils
Il faillit les leur proposer, mais n’osa pas. avaient déjà abattue depuis leur arrivée. Cet
après-midi-là, « ils en mirent tous un sacré
– Je les trouve bien sympathiques, ces coup », comme le dirait Joseph plus tard,
deux loustics, dit Joseph, une fois que le tout heureux de ne pas être, pour une fois,
couple eut pris congé. avachi dans son fauteuil à faire des mots
– Ah bon ! explosa Simone, qui n’avait croisés. D’autant plus qu’ils furent rejoints
pu se forcer à la moindre amabilité à leur une heure plus tard par Blaise, un autre
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Surprise au village
villageois, lui aussi inquiet de la tournure alla chercher et qui montraient son mari
que prenait le ciel et encouragé par la vision enfant ou jeune homme. On lui demanda
inattendue de Joseph sur le toit Vauchelle. alors d’où il venait, lui, et il répondit avec
Pour épargner les « deux vieux », comme simplicité à toutes les questions posées.
se surnommèrent plaisamment Joseph et « Finalement, ce sont des gens comme
Blaise, il fut convenu qu’ils resteraient au nous, tout à fait ordinaires, dit plus tard
sol et passeraient les tuiles. « Et après, dit Joseph à sa femme. Il suffit de parler avec
Blaise, je vais demander à la patronne de eux, c’est tout. » Mais Simone restait sur son
nous faire quelque chose de chaud ! Quand quant-à-soi, elle attendait de voir, disait-
je vois que vous cuisinez sur un réchaud et elle, et se montra réticente à répondre à
dormez pratiquement par terre ! » l’invitation que le couple avait formulée
Ce ne fut pas la peine. Quand les pre- pour remercier Blaise et Joseph de l’aide
mières grosses gouttes de pluie s’écra- apportée. Et elle se faisait tout un roman à
sèrent sur le toit tout juste terminé, ils virent propos des nouveaux arrivants.
s’avancer sur la route « la patronne » armée Trois mois déjà qu’ils étaient là, à passer
d’un grand parapluie, qui leur cria de loin leur temps à retaper leur maison. Sans
de venir tous se réchauffer à la maison. doute avaient-ils une fortune personnelle,
qu’elle imaginait bien sûr acquise par des
moyens louches, trafics en tous genres dans
L
es quatre hommes s’engouf- de sombres boîtes de nuit, par exemple.
frèrent, harassés mais heureux, Mais il fallait bien avouer que, peu à peu,
dans la chaude cuisine de Blaise. la maison de Marguerite prenait une tour-
Ils bavardèrent à bâtons rompus pendant nure des plus prometteuses. Et Simone
deux heures et les hôtes durent bien s’avouer accepta, de plus ou moins bonne grâce, de
que la méfiance qu’ils avaient éprouvée eux donner conseils de jardinage, boutures et
aussi à l’arrivée de ce couple hors normes plants, quand le couple l’appela un jour à
n’était pas fondée. On leur demanda « ce la rescousse, n’y connaissant strictement
qu’ils faisaient dans la vie » et ils répon- rien, avouèrent-ils piteusement, en tomates
dirent qu’ils travaillaient tous deux dans ou autres fraisiers.
l’informatique mais n’avaient qu’une envie :
changer de métier, tout comme ils venaient
P
de transformer radicalement leur mode vie. uis, un beau matin de juillet, tous
– C’est bien beau, dit Blaise, songeur. les habitants du village eurent
C’est que du boulot, par ici, y en a pas beau- la surprise de trouver dans leur
coup. C’est d’ailleurs pour ça que les jeunes boîte aux lettres une mystérieuse invita-
fichent le camp les uns après les autres. tion. Renaud et Simon les engageaient tous
– On a bien une petite idée, dit malicieu- à venir fêter leur installation définitive
sement Renaud en jetant un coup d’œil com- parmi eux. Soit, se dit Simone, mais pour-
plice à son compagnon. quoi à l’ancien bar-tabac ? Pourquoi pas chez
Mais ils n’en dirent pas davantage et la eux ? Elle prit un air pincé. Ah ! ils avaient
conversation roula sur l’enfance et l’ado- fait ami-ami avec tout le monde, mais ne
lescence de Renaud au village, avant qu’il laissaient toutefois personne franchir leur
ne le quitte pour faire ses études à Paris. seuil ! Pourtant, tout le monde brûlait de voir
Ému, il évoqua ses souvenirs, d’autant plus ce qu’ils avaient fait de l’ancienne maison
qu’il avait souvent partagé les jeux des de Marguerite. Si l’intérieur était à l’aune
propres enfants de Blaise ou de Joseph. de l’extérieur, disaient les mieux disposés,
Simon voulut tout savoir de cette période cela devait valoir le coup car, objectivement,
de la vie de Renaud, qu’il n’avait pas par- c’était une réussite. Toutes les menuise-
tagée. Il s’enchanta des photos que Blaise ries avaient été changées et arboraient le
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même rouge bordeaux que la plupart des – C’est sûr que ça va les changer de leurs
autres habitations. Les vieilles pierres des ordinateurs ! lança quelqu’un.
façades avaient été rejointoyées, le terrain – Mais l’épicerie, la boisson, ça ne s’im-
débroussaillé, et un beau potager promet- provise pas ! dit Simone à son mari. Ça va
tait une récolte abondante. Des massifs de être une belle pagaille ! Pour sûr, dans six
fleurs égayaient çà et là l’ensemble. Bref, mois, ils auront coulé la boutique !
le tout s’harmonisait parfaitement avec le – On peut peut-être encore leur faire
reste du village et on avait eu l’heureuse confiance sur ce coup-là, non ? dit Joseph.
surprise d’entendre un jour des cris d’en- Il ne faut tout de même pas sortir de
fants résonner, ceux des neveux Vauchelle Saint-Cyr pour vendre un paquet de les-
venus en visite avec leurs parents. sive, des cigarettes ou servir de la limo-
nade ! Ils ont montré qu’ils ne manquaient
pas de courage, non ? Et puis, souviens-toi,
C
urieux, au jour dit, les villageois se le vieil Eugène, paix à son âme, était aca-
pressèrent vers l’ancien commerce. riâtre, tenait mal son stock, vendait des
Mais qui donc leur en avait donné fruits avariés et essayait toujours de rouler
la clef ? Et ces petites tables rondes de bis- le client en rendant la monnaie. On a tout
trot, ces verres à pied, ces carafes en verre à y gagner, non ?
opaque, ces cendriers en métal, que tous Et il songeait, ravi, que, grâce à ces deux
les anciens habitués reconnaissaient avec curieux personnages qui n’avaient pas
émotion, qui donc les avait autorisés à les hésité à bousculer les conventions, à mon-
employer pour leur usage personnel ? On trer au grand jour leur existence qui défiait
s’interrogeait à voix basse quand Renaud, les modèles traditionnels, à s’imposer avec
frappant un verre, demanda le silence : douceur dans ce village qui se mourait len-
– Mes amis, commença-t-il, visiblement tement, les commères allaient à nouveau
ému, je sais que nous avons un peu semé pouvoir papoter devant l’antique magasin,
le trouble dans votre existence ces derniers leur panier à provisions à la main, tandis
mois. Et je crains que vous ne soyez pas au que les interminables parties de cartes avec
bout de vos surprises. les copains, arrosées de petits coups de
Ménageant le suspense devant les blanc, allaient pouvoir à nouveau enchanter
mines inquiètes, il marqua un temps ses après-midi de retraité.
d’arrêt. « Qu’est-ce qu’ils sont encore allés
inventer ? », se demanda Simone.
– En accord avec monsieur le maire, à qui FIN
nous avions demandé de garder le secret…
Tout le monde se tourna vers le premier
magistrat de la commune, qui se rengorgea.
– Nous vous annonçons, Simon et moi, que
nous allons reprendre le bar-tabac-épicerie
du village. Il sera donc exploité à nouveau et
nous espérons que cela redonnera un peu
de vie à ce village qui le mérite bien !
« C’est le pompon ! », pensa Simone.
Jusqu’où iraient ces deux originaux pour
se faire remarquer ?
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Le monde religieux
Camille de Soyécourt
La carmélite millionnaire
Véritable héroïne de roman, cette religieuse carmélite a suscité
l’admiration de Napoléon Bonaparte. Elle a restauré le Carmel et beaucoup
soutenu l’Église de France mise à mal par la Révolution.
C
’est Mademoiselle de et pourra alors prendre le voile. sont expulsées de leur demeure.
Trop ! », s’écrie l’une de Mais le futur époux décède avant Habillées en civil, elles se répar-
ses tantes, dépitée, en la noce, ce que Camille interprète tissent par petits groupes dans
apprenant la venue au monde de comme un signe. Elle annonce à différents logements de la capi-
Camille, le 25 juin 1757. Dans cette ses parents son désir de devenir tale. Malgré la proposition de ses
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par Karine Touboul
parents de les rejoindre dans son immense fortune au service appartenant à d’autres ordres reli-
leur propriété, Camille fait de la du Carmel et du catholicisme en gieux. Parallèlement, elle héberge
résistance, et s’installe avec trois France. En 1797, elle commence les prêtres en détresse, de retour
sœurs dans un appartement de par racheter les bâtiments de l’an- d’exil ou sortis de prison. Sous
la rue Mouffetard. Continuant à cien couvent des Carmes où son Napoléon Ier, elle assure la liaison
vivre selon la règle du Carmel, père a vécu ses derniers mois. Elle entre le pape et ses cardinaux.
les religieuses accueillent des restaure entièrement le lieu, qui Privés de crédits par l’Empereur
prêtres réfractaires et célèbrent était voué à la démolition. Même si et condamnés au dénuement le
clandestinement la messe. Mais la reprise de la vie contemplative plus total, les prélats reçoivent
le Vendredi saint de 1793, le n’est pas encore de mise, elle s’y d’elle une aide financière. Arrêtée
29 mars, les quatre carmélites se installe clandestinement, en com- en 1811, puis exilée dans l’Aisne,
voient arrêtées et emprisonnées. pagnie d’une douzaine de sœurs. elle parvient à rejoindre Paris et
Faute de charges, elles finissent Centre névralgique, les Carmes son couvent des Carmes.
par être libérées au bout de plu- deviennent le point de ralliement Bonaparte, qui a compris à qui
sieurs semaines. des carmélites dispersées durant il avait affaire, éprouve pour cette
Quelques mois plus tard, au la Révolution. Camille envoie héroïne une forme de respect et
plus fort de la Terreur, c’est au tour ensuite ces femmes à travers l’en- d’admiration. « Du moment que
des parents et de l’une des sœurs semble du pays pour refonder les l’Empire n’est pas en jeu, il n’est
aînées de Camille d’être incarcé- communautés disparues. pas prudent de discuter avec
rés. S’ils ne représentent aucun madame de Soyécourt. Si tous
Napoléon Ier s’incline
danger pour la République, les ceux qui sont pour moi avaient
devant sa pugnacité
envoyer à l’échafaud permettrait la fidélité de cette femme pour les
à l’État de récupérer leur immense Mais son action ne se limite pas causes qu’elle soutient, je n’aurais
fortune. Alors que la mère et la au Carmel. Elle fournit du matériel pas tant de soucis », déclare-t-il.
sœur de la jeune religieuse sont et des vêtements liturgiques, per- Cette religieuse intrépide et
retenues à Sainte-Pélagie, son mettant à de nombreuses églises, opiniâtre, très appréciée de ses
père est emprisonné aux Carmes. chapelles et cathédrales, pillées compagnes, et dont la vie fut
Sa mère meurt dans sa geôle. Son durant cette période trouble, de digne d’un roman, s’éteint le
père et sa sœur sont guillotinés reprendre du service. La paroisse 9 mai 1849, au bel âge de 91 ans.
quelques jours à peine avant la Saint-Sulpice, à Paris, revit ainsi Elle repose dans l’ancien couvent
chute de Robespierre, qui marque grâce à elle. Elle remet aussi sur des Carmes, qui abrite aujourd’hui
la fin de la Terreur. pied plusieurs dizaines d’édifices l’Institut catholique de Paris. •
Sa fortune
au service de l’Église L’ancien couvent
des Carmes
Finalement héritière d’une est devenu un
grande partie du patrimoine fami- établissement
lial, Camille, qui a fait vœu de d’études supérieures,
l’Institut catholique
pauvreté, refuse de réclamer ses de Paris.
biens. Des proches lui signalent
toutefois que l’Église a grande-
CC - CÉLETTE - WIKIMEDIA COMMONS
17
Santé pratique
L
es astuces font souvent appel fait un précieux allié pour la santé. de la consommer tout de suite. »
au vinaigre et au citron. Mais Grâce à sa concentration en acide Le citron a aussi une fonction
si ces derniers ne manquent citrique, il est réputé pour faciliter diurétique, bénéfique pour ceux
pas d’atouts, il ne faut pas tomber la digestion. « Sa richesse en fla- qui souffrent de rétention d’eau.
dans la surconsommation. vonoïdes lui confère des proprié- Concrètement, il donne envie d’uri-
tés antioxydantes intéressantes, ner plus souvent.
Les mérites du citron
remarque Juliette Teyletche, dié- « On peut le consommer le
Fruit du citronnier, arbuste ori- téticienne. C’est aussi un aliment matin à jeun, mélangé à de l’eau
ginaire d’Asie et cultivé depuis le qui renforce les défenses immu- tiède pour limiter son côté acide
Moyen Âge, il est connu pour sa nitaires, qui aide à lutter contre et abrasif. L’effet détoxifiant de ce
forte teneur en vitamine C. Cela en la fatigue physique et nerveuse, breuvage est intéressant pendant
18
par Gaëlle Guitard
les fêtes de fin d’année. Je recom- « Consommée à l’excès, la den- « Une étude a montré qu’en ava-
mande cependant une utilisation rée la plus saine a des consé- ler un peu avant le repas, l’équi-
ponctuelle ou en cure de quinze quences néfastes. Il faut veiller à valent d’une cuillerée, permettait
jours maximum. » Car le citron varier son alimentation et à piocher de faire chuter la glycémie. Mais
a aussi des inconvénients. Son dans chaque groupe d’aliments. » sur le plan médical, on ne prescrit
côté décapant en fait un allié de pas de vinaigre pour réguler la gly-
Les atouts du vinaigre
choix pour le ménage, parce qu’il cémie. » Par ailleurs, « le vinaigre
permet de nettoyer douches et Utilisé depuis des siècles pour contient de la vitamine C, du phos-
miroirs, et d’éliminer les mau- conserver les aliments, il a aussi phore, du potassium et du magné-
vaises odeurs. Mais gare aux été adopté pour ses propriétés sium, mais en si faible quantité
défauts de cette qualité quand il médicinales. Le vinaigre s’ob- qu’il n’a, selon moi, aucun intérêt
s’agit de notre corps. tient grâce à une double réaction nutritionnel. Si l’on recherche des
chimique par fermentation. Après vitamines et des minéraux, autant
Des risques la transformation d’un sucre (rai- manger directement une pomme
de contre-indication sin, pomme, riz, malt…) en alcool, ou du raisin », souligne Juliette
« Si l’on boit régulièrement de on procède à celle de cet alcool Teyletche.
l’eau citronnée, cela peut être (vin, cidre, alcool de riz, bière…) en
Attention aux irritations
abrasif pour l’émail, accentuant acide acétique. L’atout maître de
la sensibilité dentaire, et agressif ce dernier ? C’est un antiseptique. En outre, comme pour le citron,
pour les gencives. Il faut se rincer Ce qui explique que le vinaigre soit absorber trop de vinaigre peut irri-
la bouche juste après. Le citron un ingrédient phare des remèdes ter le système digestif et provo-
peut aussi décaper les muqueuses de grand-mère pour soigner les quer des brûlures. « Si consommer
de la bouche, provoquant des petits maux du quotidien. On peut du vinaigre avant un repas per-
aphtes. Sans compter les effets ainsi en vaporiser sur une piqûre met de faire chuter la teneur en
négatifs sur l’œsophage et les brû- d’insecte pour la désinfecter, ou sucre du sang, en abuser favo-
lures d’estomac. » employer du vinaigre blanc pour rise les risques de gastroparésie.
Attention aussi aux vertus diu- tuer les parasites des fruits et Ce trouble fonctionnel digestif se
rétiques du citron, qui peuvent légumes. « Il faut laisser tremper caractérise par la nausée, des
provoquer une déshydratation et [ceux-ci] cinq minutes pour que le vomissements, une satiété pré-
entraîner des problèmes rénaux. vinaigre ait le temps d’agir, mais coce. De même, avaler régulière-
Mieux vaut faire l’impasse en pas plus si l’on ne veut pas alté- ment une cuillerée de vinaigre pour
cas de reflux gastro-œsopha- rer la qualité nutritionnelle et gus- nettoyer le colon est trop décapant
giens, d’ulcères ou de hernies tative des aliments », recommande pour l’organisme. » Même les
hiatales, et s’assurer que le citron Juliette Teyletche. gargarismes contre les
n’est pas contre-indiqué en cas En cuisine, les autres vinaigres maux de l’hiver peuvent
de traitement médicamenteux. s’utilisent surtout pour donner du irriter la gorge sur la
goût, assaisonner des salades, durée. « Il faut mettre
voire, dans certaines recettes, en balance bénéfices
Font-ils maigrir ? déglacer afin d’obtenir une sauce. et risques. Consommer
On entend souvent dire que « Le vinaigre de cidre peut être du vinaigre en quantité
ces aliments sont de précieux intéressant, car il est riche en importante sur le long
alliés lorsqu’on fait un régime. pectine, une fibre qui aide à l’ab- terme comporte plus
« Consommer du vinaigre sorption des glucides, du sucre et d’inconvénients que
ou du citron ne fait pas maigrir, des lipides. Le vinaigre de vin [est d’avantages. N’abuser
insiste Juliette Teyletche. avantageux] pour les flavonoïdes. d’aucun aliment est
Pour maigrir il faut manger On choisira celui que l’on préfère, l’une des clefs pour
de tout et se recentrer sur bio si possible, avec le moins d’ad- rester en bonne
ses sensations alimentaires. » ditifs possible. » Quels sont les santé ! », conclut
bienfaits du vinaigre pour la santé ? l’experte. •
* Son site : dieteticiennenutritionniste.com
19
Série
© SHUTTERSTOCK
Une maison
au Bois d’Amour
K
4 – RÉSUMÉ : Tania et Marie-Louise ont pris la amel s’était installé sur une place du
décision de participer à des randonnées en bord vieux Rouen, en terrasse. Elle devait
de mer dans un groupe de marcheurs, Kamel s’est se trouver en un point stratégique de
découvert une vraie passion pour le jardinage et la ville, car les passants la traversaient d’un
les doutes qui tracassaient Tania sur leur choix pas déterminé, apparaissant et disparaissant
de vie se sont résolus. Les Alsaciens vont en effet tous par les deux mêmes ruelles. Ce flot de
profiter de leur retraite pour partager leur temps vies rendait Kamel songeur, il lui semblait
entre les deux régions : une partie de l’année dans voir défiler sur les pavés normands une sorte
l’appartement strasbourgeois de Kamel et l’autre de fresque symbolique des différents âges
en Bretagne, et pourquoi pas en achetant la petite qu’il avait lui-même traversés.
maison de René à Névez ? Le mois de mars arri- Ici, deux enfants trottinaient devant une
vant, c’est pour ce dernier le moment de rejoindre poussette tandis que leur maman, ou peut-
son groupe de pâtissiers dans la jolie ville nor- être leur nounou, sans s’arrêter, tirait la
mande de Rouen. (Voir Veillées nos 3604 et suivants.) couverture sur le bébé. Ce petit convoi lui
20
par Jeanne-Zoé Lecorche
rappela son jeune âge et sa voisine, Dada, sans bornes pour ces travailleurs sociaux.
qui lui demandait de se tenir au landau, pour Ce n’était pas un hasard s’ils s’étaient tous
être certaine qu’elle ne le perdrait pas dans la les deux orientés vers des métiers d’aide :
rue quand elle passait le prendre à la sortie Layla infirmière et Kamel assistant social. Il
de l’école maternelle. Comment s’appelait sa sourit : dans son cœur, Layla était restée « la
plus grande fille, avec laquelle il jouait dans petite sœur » et n’avait jamais dépassé les
le parc à Colmar, en attendant que ses parents vingt ans ! Et pourtant… elle allait bientôt
rentrent du travail ? Impossible de retrouver fêter ses soixante-deux bougies ! Que la vie
son prénom, il revoyait pourtant bien son passait vite.
visage et ses cheveux noirs bouclés, attachés Il chercha du regard une femme de l’âge de
en queue de cheval avec des élastiques pleins sa sœur. Ah ! il n’eut pas à attendre longtemps,
de perles colorées. Mais assez vite, repenser deux jeunes femmes arrivaient… Il sourit :
à l’enfance devenait douloureux pour Kamel. oui, pour lui, à la soixantaine, puisque c’était
La vie ne l’avait pas gâté, sa maman les avait l’âge de Layla, il s’agissait bien de « jeunes
quittés violemment l’année de ses quatre ans. femmes ». L’une, tout en couleurs, portait
Sa sœur Layla était encore bébé. Tous les un béret de tissu fuchsia, une étole vert
matins, Kadija partait à l’usine dans la nuit, pomme et un ensemble jaune pâle, l’autre
sur sa mobylette, pour prendre son service une tenue de sport bleue. Chacune tenait
à six heures. Une nuit d’hiver, le conduc- un tapis de gymnastique roulé sous le bras.
teur du poids lourd qui la suivait fonçait à À Marseille, Layla aussi faisait du sport,
vive allure, il n’avait pas vu le faible éclai- elle était inscrite dans un club de natation.
rage devant lui, c’est ce qu’il avait expliqué au En juillet dernier, quand Kamel lui avait
procès. On avait d’abord dit au petit garçon : rendu visite, ils étaient allés nager. Comme
« Ta maman a eu un accident sur la route, lui, elle n’avait pas eu d’enfants avec son
elle ne reviendra plus », puis plus tard, son compagnon, Éric. Et le revoilà parti dans
père lui avait raconté plus précisément l’ac- ses souvenirs, avec la « petite Layla » de
cident. Kamel renversa la tête en arrière soixante-deux ans, c’était vraiment une belle
pour tenter de chasser l’image tragique. nostalgie, cette fois-ci… Mais les deux spor-
tives venaient de s’arrêter juste devant lui et
U
levaient la main en appelant : « Nathalie ! »
n groupe de trois adolescents attira Kamel se retourna : une quadragénaire les
alors son regard : ils maniaient leur rejoignait, saluant l’une d’un « Maman ! »
cigarette avec des gestes théâtraux, enjoué. Il serra les mâchoires. Cette scène
jouant aux adultes. Lui, à cet âge-là, il vivait le contrariait terriblement. Pourquoi donc ?
déjà au foyer avec sa sœur Layla. Parce qu’un La sonnerie de son téléphone interrompit
malheur n’arrive jamais seul, leur père ne ses tourments. Le nom de René clignotait
s’était jamais remis de la perte de sa femme, sur l’écran en même temps que l’heure :
et il avait sombré dans la dépression et l’al- 16 h 05. Zut ! il était en retard. Il décrocha
cool. Kamel avait dix ans et Layla six quand en se levant précipitamment.
on était venu les chercher pour les placer.
R
Quand ils retournaient chez leur père, un
week-end sur deux, le pauvre homme fai- ené et Kamel étaient arrivés la veille
sait son possible pour les accueillir, mais à Rouen. Ils étaient venus en train,
les enfants voyaient bien que sa déchéance depuis Quimper. Un concours de cir-
s’aggravait de visite en visite. Que seraient- constances les avait réunis pour cette deu-
ils devenus sans les éducateurs qui s’étaient xième rencontre du Comité de pâtisserie : au
occupés d’eux jusqu’à leur majorité ? Les même moment, à Pont-Aven, Marie-Louise
enfants, dans leur immense chagrin, avaient et Tania animaient leur séminaire d’art-
tout de suite éprouvé une reconnaissance thérapie de printemps, avec leur amie Lise
21
Une maison au Bois d’Amour
qui s’était déplacée de Paris. René n’aurait baignée du doux soleil couchant de ce beau
plus craint de rejoindre son équipe de pâtis- mois de mars. La monumentale façade
siers seul, mais Kamel s’était spontanément jouait de mille teintes pastel, comme dans
proposé pour l’accompagner. René soupçon- les célèbres toiles que Monet avait peintes
nait qu’au-delà de leur amitié naissante, sur le motif, en installant son chevalet sur
Kamel ait aussi voulu profiter de l’occasion la place.
pour s’ouvrir à lui de quelque chose d’im- Le temps passa ainsi agréablement,
portant. Il avait même sa petite idée : Tania jusqu’au dîner. Cependant, ni pendant le
et lui cherchaient à devenir propriétaires trajet en train, ni pendant cette prome-
d’une maison en Bretagne, ils n’avaient d’en- nade, Kamel n’avait abordé de sujet impor-
fant ni l’un ni l’autre… donc tout intérêt à tant. René restait sur son intuition : quelque
officialiser leur relation et se protéger en cas chose travaillait son ami, il en était certain.
de souci. D’ailleurs, un matin, alors qu’ils Les hommes ont cette capacité à faire diver-
jardinaient ensemble chez Kamel, ce der- sion quand quelque chose les tracasse. Ainsi,
nier lui avait demandé ce qui l’avait poussé à l’un ne disant rien, l’autre ne demandant
épouser Marie-Louise, plutôt que de rester en pas davantage, ce n’est que le lendemain en
union libre. Peut-être que l’idée du mariage prenant congé après leur petit déjeuner que
avait fait son chemin ? Que Kamel allait René lança enfin une perche.
avoir besoin d’une pièce montée sous peu ? – Rendez-vous à 16 heures à la halle aux
Toiles, pour la première dégustation des
I
tartes Tatin ? Tu n’oublies pas que je t’ai ins-
ls étaient arrivés à Rouen en fin d’après- crit dans l’équipe des goûteurs aujourd’hui.
midi et avaient déposé leurs bagages Et demain : jury final !
dans leur bel hôtel. Ensuite, ils avaient Kamel ne répondit pas. René lui posa la
visité la vieille ville. Bien évidemment, main sur l’épaule :
ils avaient tout d’abord cherché à voir la – Dis-moi, tout va bien ? Tu as l’air soucieux…
fameuse cathédrale gothique. Kamel souriait, crispé. Sa voix trembla
– La cathédrale ? À gauche pour rejoindre quand il promit qu’il n’y avait aucune raison
la rue du Gros et ensuite tout droit ! leur avait de s’inquiéter. René ne pouvait pas se ras-
indiqué un passant. seoir, il devait rejoindre ses collègues. Il prit
La rue « du Gros » ? avaient-ils bien entendu ? congé le cœur lourd. Il sentit que ce que son
– C’était peut-être une blague ? Prenons ami avait à lui confier n’était peut-être pas
à gauche, on verra bien dans quelle rue on une aussi bonne nouvelle qu’un projet de
tombe, et on redemandera ! mariage.
Non, ça n’était pas une blague, c’était une
L
abréviation : la rue « du Gros » était en réalité
la « rue du Gros-Horloge », ce qui ne manqua a halle aux Toiles occupait le centre
tout de même pas de les surprendre : depuis d’une place, c’était un ancien marché
quand le mot « horloge » était-il masculin ? couvert qui accueillait des événements
De quoi s’agissait-il ? La réponse les atten- festifs et banquets de toute sorte. Pour cela,
dait quelques dizaines de mètres plus loin. l’intérieur était divisé en deux parties : une
Au-dessus d’une arche sculptée qui enjam- grande salle aux chaleureuses dimensions,
bait la rue piétonne, un magnifique cadran avec un haut plafond en ogive, et une cui-
bleu, rouge et or indiquait toutes sortes sine professionnelle qui permettait de pré-
de choses : l’heure bien sûr, mais égale- parer sur place les mets qu’on servait aux
ment le jour de la semaine et la phase de invités. Quand il aperçut le petit groupe
la lune. C’était le « Gros Horloge », hérité de des pâtissiers réunis sur le parvis du bâti-
la Renaissance. Ils passèrent sous la voûte ment, René se sentit bien : il retrouvait ses
de pierre, et aperçurent alors la cathédrale, nouveaux amis, avec qui il allait partager
22
une passion commune. Oui, la vie lui avait immergé dans l’effervescence de la journée,
réservé de belles surprises ces dernières mais il lui tardait aussi de retrouver Kamel
années, il fallait le reconnaître ! Cette fois- et de lui offrir une écoute attentive.
ci, ils n’étaient que quatre pour encadrer Il regarda sa montre : 16 heures, c’était
les apprentis : Christophe, de Strasbourg, l’heure de la dégustation ! Kamel devait être
le président du comité, le jeune Mehdi, de en train d’attendre dans la salle de récep-
Lille, Benoît, de Rouen, et René. Le petit tion. Christophe arrivait justement avec une
groupe était resté en contact par les réseaux énorme jatte de crème fraîche.
sociaux, mais ne s’était pas revu depuis la – Les jeunes, vous allez installer les tables
rencontre alsacienne de septembre. pour déguster ? Les invités nous attendent déjà !
– Prêt pour la Tatin René ? Tu as apporté tes – Je vais les accueillir, proposa René. Mon
pommes de Bretagne ? lui lança Christophe ami Kamel doit être arrivé, je vais vous le
en l’apercevant. présenter.
C ‘‘
ette première matinée fut consa-
crée à l’apprentissage théorique et à Je viens à ta rencontre.
la préparation des pâtes. Ensuite, les
formateurs déjeunèrent avec les apprentis. Prends la fameuse « rue du Gros »
’’
L’après-midi, ils s’attelèrent à la confection et on devrait se croiser…
des tartes qui devaient sortir toutes chaudes
des fours pour le goûter. Les douze apprentis
qui suivaient la formation passaient d’un Sauf que dans la grande salle, parmi le
atelier à l’autre. Les jeunes proposeraient le petit groupe de gourmands venus goûter la
lendemain leur recette personnelle. C’est en première fournée de tartes, pas de Kamel !
observant et en imitant les chefs qu’ils pour- Serait-il resté sur le perron ? Non, personne
raient peu à peu trouver leur style et créer dehors non plus. René sortit son smart-
leurs propres desserts. Chaque chef s’ins- phone : pas de message. L’écran affichait
talla à son poste avec son groupe d’apprentis. maintenant 16 h 05, ce n’était pas le genre
– La pâtisserie, ça se déguste d’abord avec de Kamel… il appela aussitôt.
les yeux et avec le nez, expliqua René aux – Je viens à ta rencontre. Prends la fameuse
jeunes, quand on goûte, on s’est déjà fait une « rue du Gros » et on devrait se croiser à mi-
idée. Si la chair de vos fruits devient trans- parcours ! Ne t’inquiète pas, on n’a pas com-
lucide en son cœur et caramélisée autour, mencé et ce n’est pas très loin.
alors les contrastes de couleurs évoqueront Quand René l’aperçut, Kamel attendait
des saveurs prononcées. On le saura avant juste sous l’arche du Gros Horloge, à vrai
même de goûter ! Pour cela, il vous faudra dire, il n’avait pas réussi à aller plus loin.
préparer un caramel foncé et pur sucre, sans Son secret lui pesait trop, et maintenant qu’il
beurre, pour lui conférer une pointe d’amer- avait décidé de se lancer et d’en parler, il ne
tume. Mais si, au contraire, vous voulez évo- pouvait plus penser à rien d’autre.
quer et créer des saveurs plus rondes, plus – Écoute, asseyons-nous ici, et prenons un
vanillées, alors on va chercher une palette verre, tu vas tout m’expliquer…
de couleurs plus douce en ajoutant une belle – Mais ? Tu dois retourner avec ton équipe
noix de beurre dans le caramel. Regardez, de pâtissiers ! Ne te mets pas dans l’embarras
sentez et analysez maintenant ma tarte en pour moi, je t’expliquerai tout ce soir…
attendant de la goûter : quel type de caramel René s’était déjà installé à la table du bistrot
ai-je préparé ? Qui se lance ? qui se trouvait dans la ruelle, à l’angle du Gros
L’odeur réconfortante du fruit caramé- Horloge. Il prévint Christophe par SMS de
lisé embaumait les cuisines. René s’était commencer sans eux, et de ne pas s’inquiéter.
23
Une maison au Bois d’Amour
R
– Eh bien voilà, ça ne va pas fort, tu l’as ené replia lentement la lettre, sans
bien vu. En réalité, Tania et moi avons prévu oser regarder Kamel. Et pour-
de nous marier… tant, il fallait relancer le dialogue.
René s’illumina : ouf ! c’était donc cela ! Comment ?
Quelle bonne nouvelle ! – Et tu as regardé la photographie ?
– Tout va bien se passer, Kamel, il ne faut – Non. Je n’ai pas osé. Tiens.
pas t’inquiéter ! Elle va accepter, enfin ! René ouvrit l’enveloppe. Un beau ciel
Comment vas-tu lui faire ta demande ? bleu, un jardin fleuri et une petite famille
– Tu ne comprends pas René, nous avons toute simple. Virginie ressemblait en effet à
déjà prévu le mariage pour l’été, un mariage Kamel. Son père adoptif lui posait les deux
en petit comité, nous allons l’annoncer à nos mains sur les épaules. Tout ce petit monde
proches, mais il va falloir annuler, il y a un semblait si équilibré et sympathique à René
sérieux problème… on ne va pas pouvoir, je qu’il se sentit complètement rassuré et prêt
ne vais pas pouvoir… à accompagner Kamel dans ce moment.
Il tendit une feuille blanche pliée en quatre – Tu savais ?
à René. C’était une lettre manuscrite. – Mais non !
– Alors, pourquoi cette nouvelle t’empê-
Bonjour, cherait-elle de te marier ? Dis-moi tout…
Je m’appelle Virginie, j’ai quarante-cinq – Comment est-ce que je pourrais annoncer
ans et je suis la fille de Catherine Filian, avec à Tania que j’ai en fait une fille et deux
qui vous aviez fait votre stage à Strasbourg. petits-enfants, alors que nous n’avons pas
Oui, vous avez bien calculé et c’est difficile de eu d’enfant tous les deux ? Elle va se sentir
l’apprendre, je l’imagine bien, mais je préfère trahie ! Et le mariage ? Avec un tel secret ? Et
aller droit au but : je suis votre fille biologique. le notaire ? L’héritage ? Je vais mentir ? Dire
Catherine m’avait donné vos coordonnées dès que je n’ai pas d’héritier ? Non, c’est impos-
mon adolescence, mais je n’avais jamais res- sible… et je ne peux pas répondre à cette
senti le besoin de vous contacter. lettre, mais je ne peux pas non plus ne pas
Mon père m’a adoptée l’année de mes trois répondre ! Je n’ai jamais su que Catherine
ans, avant la naissance de mon frère, et nous était tombée enceinte, c’était une histoire qui
avons formé une famille heureuse. Certes, mon n’a duré qu’un mois et quand je lui ai écrit
métissage ne laissait pas de doute sur mes ori- ensuite, elle ne me répondait plus…
gines. C’est d’ailleurs ce métissage qui intrigue – Elle avait probablement ses raisons, dont
beaucoup mes enfants, Théo, dix-sept ans, et tu n’es pas coupable ! Tu devrais regarder
Léa, quinze ans. la photographie, je pense que cela pourrait
Depuis que Catherine nous a quittés, mamie t’apaiser. Virginie a vraiment l’air heureuse
Kat’ comme l’appelaient les enfants, nous et bienveillante. Et dans sa lettre, elle ne te
avons tous ressenti l’envie de vous contacter. reproche absolument rien. Ni sur le passé, ni
Cela étant, nous comprendrions que cela sur la décision que tu vas prendre maintenant.
vous importune, ne vous sentez pas obligé de Kamel se décida à prendre la photo en
répondre. Léa et Théo m’ont dit : « On ne sait main, et il parut en effet rassuré. Comment
jamais, il est peut-être très sympa ! », alors je pouvait-il en être autrement face à cette
me suis lancée. famille unie ?
Je vous joins une photographie de la famille – Mais tu as vu l’adresse au dos de l’enve-
dans une enveloppe séparée : mon père, mamie loppe ? enchaîna-t-il très vite.
Kat’ (que vous reconnaîtrez peut-être), mon René regarda et resta bouche bée : Rouen !
mari et nos enfants. C’était donc la raison pour laquelle Kamel
Si vous avez envie de nous répondre, cela avait voulu l’accompagner ?
nous fera plaisir. – Pas seulement, je voulais surtout trouver
Virginie. un moment pour parler avec toi… mais cela
24
m’a paru un signe : tu crois que je devrais leur discussion et se mirent en route. René
aller la voir ? Tu viendrais avec moi ? transmit à Kamel les coordonnées de son
René ne put retenir un rire. notaire. Se découvrir père et grand-père à
– Enfin Kamel ! bien sûr que non ! C’est soixante-six ans le bouleversait affective-
prématuré. Tu n’en as même pas parlé à ment, certes, mais il avait aussi besoin de
Tania ! Pour l’instant, tu n’as qu’une seule tout à fait comprendre ce que cela impliquait
nouvelle à lui révéler, et tu as vu l’état dans légalement. Il repensa à sa petite sœur Layla :
lequel tu es ? As-tu vraiment envie d’ajouter elle allait devenir tante et grand-tante, elle
au fait que tu as une fille, la révélation que aussi. Comment allait-elle réagir ?
tu l’as déjà rencontrée, en secret, ainsi que – Ne te projette pas trop non plus, Virginie
ses enfants ? Commence par en parler à a un père, une famille. Pour l’instant, tu n’en
Tania, ne lui fais aucune cachotterie. Qui fais pas partie et tu ne sais pas non plus
te dit qu’elle ne se réjouira pas de la nou- encore de quoi Tania a envie.
velle ? Tu vois bien que Virginie a un père,
S
elle ne demande qu’à établir un contact avec
toi, rien de plus. Tania et toi, vous déciderez ur le chemin, René ne put s’empê-
de ce que vous avez envie de faire et vous le cher de repasser son passé amoureux
ferez ensemble. Et cela ne constitue pas un en revue : se pourrait-il que, lui aussi,
frein à votre mariage. apprenne qu’il a un enfant inconnu ? Il avait
eu une histoire avant son mariage, avec la
K
fille du boulanger, chez qui il avait fait son
amel reprit la photographie et la apprentissage, à Concarneau. Il avait dû
regarda à nouveau. C’est vrai qu’elle partir à l’armée peu après leur rencontre, et
inspirait le calme et la gentillesse, ils se retrouvaient pendant ses permissions.
cette petite famille. Il lui semblait qu’un Puis elle l’avait congédié pour épouser un
énorme ballon d’angoisse se dégonflait marin. Elle avait eu son premier enfant plu-
peu à peu et libérait ses poumons. Il recon- sieurs années après son mariage. De ce côté,
naissait bien Catherine, il se sentit triste de René était tranquille ! Et après, il était resté
la savoir décédée, et de n’avoir jamais eu fidèle à la mère de ses filles toute sa vie.
de nouvelles… probablement qu’elle avait À la halle aux Toiles, les collègues de René
voulu élever sa fille seule. Sans s’être jamais eurent la pudeur de ne poser aucune ques-
fâchés, ils savaient tous les deux que leur tion et accueillirent Kamel chaleureusement.
couple n’était que passager, elle avait dû Ils n’avaient pas réussi à mettre de côté la
préférer disparaître plutôt qu’imposer à moindre miette de tarte Tatin, mais les trois
tout le monde une situation familiale com- pâtissiers avaient de la ressource.
pliquée. Il ne pouvait pas lui en vouloir. Son – Kamel, vous dégusterez les tartes des
conjoint inspirait confiance et avait offert à apprentis demain pour le jury. En atten-
leur fille une situation plus stable qu’il n’au- dant, des pommes caramélisées et flambées
rait pu le faire, c’était certain. au calva, avec une bonne cuillère de crème
– Es-tu encore inquiet, dis-moi ? demanda épaisse, ça vous irait ?
René en lui posant la main sur l’avant-bras. Devant ce dessert improvisé, Kamel
– Eh bien… eh bien, à vrai dire, non, c’est s’imagina revenir à Rouen avec Tania pour
comme si je respirais à nouveau, en fait. Oui, rencontrer Virginie et sa famille. Ils pour-
évidemment, je vais en parler à Tania. Je raient se retrouver dans un salon de thé, et
suis même impatient de lui en parler en fait ! se régaler ensemble de délicieuses spécia-
– Alors on va manger de la tarte Tatin ? Et lités. En fin de compte, il se pourrait bien que
on continue à papoter en route si tu veux ? ce programme soit, comme disaient Théo et
Ils avalèrent d’un trait les cafés qu’on Léa, « très sympa » !
leur avait servis discrètement pendant (à suivre)
25
Nos jeux de
HORIZONTALEMENT
MOTS CROISÉS 1 – Relatif à une union d’États. 2 – Précède plusieurs disciplines. Dis-
A B C D E F G H I J pensa de payer. 3 – Revint sur sa parole. On le dit fort. 4 – Blessée
1 dans l’arène. 5 – Livrerait à la critique du public. 6 – Qui s’emporte
donc facilement. On l’a croisé il y a longtemps. 7 – Bonne balle ! Usa
2 de moyens détournés. 8 – Elle a pris racine au milieu des vignes.
3 9 – Avant oméga. Elle permet de nous rincer l’œil. 10 – Pierre à bâtir.
4 Avec elle. 11 – En rajoute. Petit oiseau des Indes. 12 – Admis. Sans
le moindre motif. 13 – Donner un caractère hellène au mot. 14 – Divi-
5
nité à corps d’homme, à cornes et pieds de bouc. Entortillés.
6
7
VERTICALEMENT
8 A – Du saucisson dans la salade. Ont eu leur fête en juin, cette
9 année. B – Tente le coup. Découvre sa voiture. C – Toute blanche.
10 Henri K rasucki en fut le secrétaire. D – Faux mouvement. Cabriolet
léger à deux places. E – Rendu plus intense. Faire forcément des
11
mécontents. F – Au bas de l’échelle. Moitié d’abricot dénoyauté.
12 Montre le garçon. G – Se montra pénétrant. Indolent. H – Rétablir
13 l’unité du pays. Elle assure une bonne prise. I – Agrafés ou épinglés.
14 L’entre-deux. J – Noue ses souliers. Places d’armes.
Rayez sur la grille les mots de la liste ci-dessous, sachant qu’ils y sont inscrits
MOTS MÉLANGÉS horizontalement de gauche à droite et de droite à gauche, verticalement de
haut en bas et de bas en haut (mais jamais en diagonale), chaque lettre ne
Des tissus servant qu’une fois. Le mot rayé vous indique la façon de procéder. Il restera
un mot sur la grille, correspondant à la définition suivante :
U E D E M O U E Y H C P E E Z A À ne pas confondre avec le prénom !
S D E N O U A N T E I V R C A G ANGORA JEAN SHANTUNG
E I N I M S T I T O P E N E L N
BOUTIS MOUSSELINE SUÉDINE
L N I L E S A N E P E L I L E A
COUTIL ORGANDI
L E L E B I N I F O R V O I J E TULLE
U T I N E Z G O R S G A N E D S CRETONNE OUATINE
VICHY
B A T O N C O B A H A N D C E E DENIM PERCALE
T S I T N E U O I S U T I N G L FINETTE POPELINE VOILE
E C R E L I T U T G N P R I A L GAZE PRINCE DE GALLES ZIBELINE
26
la semaine
MOTS FLÉCHÉS À toute heure
BOUTS DE C’EST QUAND C’EST TÔT
FAIT LES CHATS RESPON- CHEMISES QUAND IL
BAGUETTES TANTÔT SABLE DE
UN TRAVAIL SONT GRIS... À MANCHES EST PETIT
DÉCLIN BIEN DE LAVETTE FRITURE SUR LONGUES
COMME LA LIGNE REFUGE
DU JOUR ROULÉS CELA DOUILLET
CHAPELET
DE PERLES
SUR
LES DENTS
LIEU DE CAPUCIN REPOUSSA
FOUILLES À POILS À PLUS TARD
BON MOYEN MÛRI EN EN
POUR FILER PLEIN ÉTÉ QUEL LIEU ?
METS PLEIN
DU MALI SOLEIL
PAYSAGE L’HOMME
LUNAIRE QUI SAIT
ANCIENNE SANS
CAPITALE PRÉCIPI-
DE TATIONS
L’AUVERGNE
QUITTE AMÉLIORENT
SA MÈRE LE PLAT
DE LA MÈRE
GLUCIDE POULARD
BEAUCOUP
LANGAGE DE LUSTRES
INFORMATI-
QUE ÉVOLUÉ GENRE OU
ESPÈCE
TROTTE
IL SOIGNE EN CHINE APPELÉS
AU PIF MAIS DE
PAS À L’ŒIL UN JOUR LOIN
QUI PASSE...
AU BOUT
DE LA NUIT
PROPRE
À L’HOMME
LES DOUZE LA
COUPS MARMONNA SURPRISE-
ENTRE SES PARTIE
JOUE LES DENTS
RABATTEURS DES ADOS
IL REND VIF ET
AUTHEN- POLI RAPIDE LE
TIQUE S’IL SOIR DES
EST PUR TOUJOURS PARTIE DE POÈTES
TITRÉE CAMPAGNE
NAVIRE
MARCHAND AVANT CHALAND
UN CERTAIN À FOND
À VOIR POUR PUNCH PLAT
APPRENDRE
ELLE SE ACCÉLÉRA-
INSPIRE TROUVAIT TEUR TRÈS
LE COQ EN UN LIEU CAVALIER
LA
FEMME
D’APIA
Knock, le triomphe
de Louis Jouvet
Voilà quatre-vingt-dix ans, Louis Jouvet s’essayait au cinéma avec cette
comédie grinçante où il incarne un charlatan de haut vol. Un rôle qui devait
révéler son génie d’acteur et l’accompagner tout au long de sa carrière.
A
rriviste et sans scrupule, le docteur Knock Par la petite porte. Courant le cachet, il alterne
débarque dans un bourg de montagne pour les emplois les plus divers : régisseur, assistant,
succéder au docteur Parpalaid. Problème : les décorateur, comédien. Un statut incertain, auquel
gens du pays sont bien portants. Avec un cynisme il finit par échapper en 1922 quand un directeur
achevé, Knock va donc s’évertuer à les convaincre de théâtre, l’iconoclaste Jacques Hébertot, frappé
qu’ils sont souffrants pour faire fortune. Sa tech- par l’exigence et l’acuité du jeune homme, l’engage
nique ? Répéter à chaque patient cette maxime aux en qualité de directeur technique du Théâtre des
airs de vérité biblique : « Les gens bien portants sont Champs-Élysées. Fonction que Jouvet outrepasse,
des malades qui s’ignorent. » Imparable. assurant la direction artistique, voire la mise en
Knock ou le Triomphe de la médecine naît en 1923 scène de certaines pièces. Non sans rester à l’affût,
sous la plume de l’écrivain Jules Romains. Son en lecteur assidu, d’un texte prometteur.
ambition : brocarder les charlatans qui prospèrent
Un personnage exceptionnel
à grand renfort de publicités mensongères, mêlant
allègrement promesses médicales et allégations Il le trouve avec le Knock de Jules Romains. Cette
pseudo-scientifiques. Le texte, cocasse et grinçant, satire, il le sait, a tout pour enchanter le public : une
séduit un certain Louis Jouvet. À 36 ans, l’acteur intrigue habilement troussée, des dialogues savou-
n’est pas encore entré dans la légende. Tant s’en reux et un personnage exceptionnel… qu’il entend
faut. Malgré sa passion pour les planches, il a dû bien incarner. Après quelques essais, où Jouvet
suivre, sous la pression de ses parents, un cursus compose un Knock charismatique et inquiétant
de… pharmacien ! Ce n’est qu’une fois son diplôme à souhait, Jacques Hébertot et Jules Romains se
en poche qu’il a pu enfin s’essayer au théâtre. laissent convaincre. L’acteur se voit confier le rôle
28
LES PRODUCTIONS JACQUES ROITFELD (X5)
Jouvet réussit une composition magistrale qui met en relief la complexité du personnage de Knock.
29
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La voix du poète
Automne
À Jules Dupré
Courrières, 1875
SHUTTERSTOCK (
32
par Ginette Briant Feuilleton
SHUTTERSTOCK
33
Plutôt que d’en mourir
– Taisez-vous ! dis-je. Comment pouvez- m’inspirait autant de pitié que son malheu-
vous parler ainsi ? Je vous croyais l’ami de reux conjoint. William lui manifestait une
Soledad. sollicitude encombrante. Elle le repoussait
Smith s’arrêta de boire. Une lueur assas- avec une énergie voisine de la répulsion,
sine brilla dans ses prunelles bleues. Sous tandis que ces murs résonnaient des hur-
la moustache conquérante, sa bouche était lements et des colères subites de François.
agitée par un tic nerveux. Un an après le décès de ce dernier, ce fut
– Je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous ! pourtant William de Soler qu’elle épousa…
Croyez-vous que je n’ai pas compris votre Si les projets de Dieu sont insondables, que
manège ? Vous aimez cette femme à en doit-on dire du revirement des femmes ?
crever, comme moi, Carloni ! comme moi ! La bouche pâteuse, ses facultés amoin-
C’est en cela que nous nous ressemblons dries par l’abus d’alcool, le romancier parlait
tous ! avec difficulté. Certain de n’obtenir aucune
J’enchaînai, bien décidé à le faire parler : autre confidence, je lui conseillai d’aller se
– Vous ? Moi ? François Chambert… Jean reposer. Il m’obéit et quitta la pièce en titu-
Malouin ? bant.
Il me dévisagea : Je me laissai retomber dans mon fau-
– Ainsi, vous savez ? Puis changeant de teuil, les coudes sur le bureau, la tête entre
ton : Ah ! qu’importe ! mes mains. La migraine qui oppressait mes
– Aimait-elle William de Soler quand elle tempes s’était mystérieusement envolée. Le
l’a épousé ? sommeil me fuyait. Plutôt que de regagner
– Je serais prêt à jurer que non. ma chambre, je me remis au travail.
– Alors, pourquoi cette union ?
I
– Pourquoi ? Pourquoi ? Toujours des
questions inutiles ? Bien malin celui qui l y avait à peine un quart d’heure que
pourrait y répondre ! je me concentrais quand le galop d’un
– Comment se sont-ils connus ? cheval résonna dans la cour.
– Par mon intermédiaire. Josiane est une Mû par l’instinctive certitude que le cava-
passionnée de musique, François concré- lier mystérieux n’était autre que Soledad, je
tisait ses rêves. Elle ne ratait pas un seul me mis à courir. La porte d’entrée du châ-
de ses concerts, était toujours la première teau était encore ouverte sur la nuit. Je me
à le féliciter dans sa loge… Elle obtint peu dirigeai vers les écuries. Le box réservé à
de temps après que le maître lui donne des la jument préférée de la jeune femme était
leçons. Celui-ci était enchanté de son élève. vide. Je sellai rapidement Sélim et, à mon
Les artistes ont un défaut : ils se découragent tour, je quittai la propriété.
vite. François n’échappait pas à la règle. Une Je connaissais les goûts de Soledad. Je
simple crampe, une douleur dans le poi- savais que ses courses à travers la lande
gnet le mettaient dans un état indescriptible. la menaient toujours vers la mer. Mais où,
Soledad luttait en vain contre sa névrose… vers quel coin de la côte escarpée allait-elle
L’admiration de Josiane, cette admiration cette fois-ci ?
qu’il ne découvrait plus dans les yeux de Au pas, je longeai la falaise. L’éclairage
sa femme, le dopait. La jeune fille était l’in- fantomatique de la lune baignait le paysage.
vitée permanente du couple. Elle invita son Doux et chaud, le vent m’apportait les par-
frère au manoir… Je fus le témoin de leur fums du large. Les embruns humidifiaient
rencontre. Témoin également du désespoir mes lèvres. Le fracas de l’eau contre les
de François, quand il apprit qu’une tumeur roches troublait le silence. C’était le gron-
au cerveau risquait de lui faire perdre la vue dement d’un fauve inassouvi qui réclame sa
et l’usage de ses mains. À partir de cet ins- proie. J’imaginais l’humiliation de Soledad,
tant, la vie fut intenable à Trégoët. Soledad son désir de fuite, la haine qui l’animait…
34
« Elle n’a nullement besoin de vous… », Tandis que nous nous arrachions à l’élé-
affirmait Herbert Smith. J’étais persuadé du ment liquide, nos pieds s’encombraient de
contraire, persuadé que ma présence l’apai- boulets.
serait, qu’elle se confierait à moi, qu’elle Soledad s’ébroua comme un jeune chien,
oublierait entre mes bras la faillite de son puis elle courut vers ses vêtements. D’un
mariage. sac de toile, elle retira une longue serviette,
Au loin, la masse sombre du Cap Fréhel se s’en enveloppa. Je l’aidai à se sécher. Des
profilait, telle la proue d’un navire dirigée deux mains, elle ramena ses cheveux sur
vers l’Infini. Indécis, je finis par mettre pied son épaule gauche et les tordit. Mes lèvres
à terre. J’attachai Sélim à un arbre, et, sau- cueillirent les larmes qui, mêlées aux gouttes
tant de rocher en rocher, je suivis la côte. Je d’eau, glissaient sur son visage.
découvris une crique baignée de lune, puis – Ne pleure pas, dis-je. Ne pleure pas…
un sentier muletier, grâce auquel on pou- Impérieuses, mes mains dénudaient ses
vait accéder à la plage. Il avait dû servir aux seins, enserraient ses hanches. Je la cou-
hardis navigateurs, aux contrebandiers et vrais de baisers. Elle eut un gémissement de
aux pirates, et, plus près de nous, sans doute bête blessée. Je découvris près de sa bouche
aux membres de la Résistance. un mince filet de sang et la boursouflure de
sa chair.
D
– William ?
ans le renfoncement d’une grotte, Elle acquiesça. Ses sanglots redoublaient.
je découvris la monture de Soledad, Silencieux, ils la secouaient d’un tremble-
puis je la repérai elle-même, les ment nerveux. Le halo fade de la lune creu-
pieds nus dans le sable, toute droite, face à sait des cernes sous ses yeux.
l’immensité mouvante. Le maillot de bain – Je le tuerai, dis-je, les poings fermés,
moulait étroitement ses formes graciles. Elle implacable et dur. Je te délivrerai de lui.
avait abandonné ses vêtements sur la grève. Ses doigts cherchèrent mes doigts. Sa
Avant d’avoir pu la héler, je la vis s’enfoncer bouche chercha ma bouche.
dans la mer. Je n’hésitai pas un seul ins- Affolé, je couchai la jeune femme sur le
tant à la rejoindre. Le ressac couvrait mes sable humide, là où la vague venait de laisser
appels. Lorsqu’enfin elle m’aperçut, elle se sa trace. Elle ne se défendit pas, consen-
mit à nager en ma direction. Nous devions tante bien qu’insoumise. Un frémissement
lutter contre le flot qui nous rejetait vers parcourait ses traits. Je sentais la puissance
les rochers. La longue chevelure de Soledad de ses mains sur ma nuque. Sous le mien,
flottait au ras de l’onde. Ses bras blancs cap- son corps était glacé. Aucun soleil ne nous
taient les rayons lunaires. La réverbération séchait.
m’aveuglait. Régulièrement, le phare du Cap nous
La jeune femme me tendit une main que inondait de lumière, puis nous oubliait dans
je saisis au passage. Je l’attirai à moi. Au l’obscurité. Nous nous aimions à la face de
creux des vagues, mon corps contre son la nuit, dans la solitude d’une plage ignorée.
corps, nous nous mîmes à danser un ballet Une vague plus forte que les autres nous
fantastique. Au loin, le hennissement de la atteignait parfois. Ma volonté d’homme
jument répondit à celui de Sélim. J’aperçus n’existait qu’en fonction de son désir à elle…
ce dernier qui avait dû se détacher, lorsqu’il Nous nous aimions comme Adam et Ève au
prit le sentier pour rejoindre sa compagne… commencement du monde, et je devinais
Soledad me regardait avec des yeux tristes que, lorsque les cris des cormorans annon-
où jouaient les étoiles. ceraient le jour, nous serions toujours sur
– Viens… dis-je. la grève, côte à côte, épuisés et heureux, en
Nous nous rapprochâmes de la berge. train de regarder se lever l’aurore, au bout
Nous marchions à présent sur le sable. de l’horizon…
35
Plutôt que d’en mourir
Chapitre 8 jeune femme payait sa révolte… La mienne
se doublait de virulence. Soledad m’avoua
L
qu’elle redoutait mes emportements.
es jours qui suivirent, mes rapports – Aurais-tu peur pour « lui » ? demandai-
avec William de Soler se dégradèrent. je.
Ma froideur contenait un dédain si Elle acquiesça, et ses intonations étaient
évident que je m’attendais à tout instant à chargées de ressentiments :
un éclat de sa part. L’état de santé de l’édi- – Je prie tous les jours pour que sa vie
teur empirait. Son teint parcheminé, ses soit brève, pour que je puisse t’aimer sans
brusques oppressions, les sueurs froides qui arrière-pensée ! Si le pouvoir m’en était
l’obligeaient à ralentir son rythme de travail donné, j’anéantirais cet homme, Michel.
en témoignaient. Son médecin conseillait Armée pour le détruire comme il m’a
un séjour en clinique. Il s’y opposait for- détruite, ma main ne tremblerait pas !
mellement. Elle parlait en amazone. Je m’effrayais de
– Où serais-je mieux, disait-il, qu’ici ? Ma son expression impitoyable, en même temps
femme n’est-elle pas aux petits soins pour que je contemplais son port de tête, la pureté
moi ? de son profil, la ligne droite de ses épaules.
Un sourire narquois accompagnait ses Au plus fort de sa détresse, elle ne perdait
paroles. Nous ne savions comment les inter- rien de sa vaillance. L’orgueil naissait de son
préter. William n’ignorait rien du ressenti- humiliation et, avec lui, un esprit de lutte,
ment de son épouse. Il suivait cette dernière de vengeance que je ne partageais pas.
dans tous ses mouvements, et la dévisageait, Habitué à trancher dans le vif, j’envisa-
à l’affût de ses pensées, de ses émotions. geais un dénouement net, un recours à la
Imperturbable, la jeune femme s’acquit- loi… un divorce.
tait de ses devoirs envers lui avec la même Soledad suivait-elle une autre idée ? Je
patience qu’elle montrait autrefois pour n’osais clairement la définir…
François Chambert. À la question que je lui avais plusieurs
Je ne la comprenais pas. J’étais arrivé à fois posée : « Pour quelle raison as-tu épousé
un tel degré d’exaspération que je devais me William de Soler, alors que tu n’éprouvais
faire violence pour ne pas provoquer une pour lui que de l’aversion ? », elle répondait
explication salutaire. Tout valait mieux que invariablement : « Je t’en supplie, ne m’oblige
cette fausse situation où nous nous débat- pas à remuer des souvenirs aussi néfastes »
tions, dans l’attente de quelle solution ? et je m’en contentais.
Mon attitude n’était pas des plus élégantes. Ce jour-là, pourtant, après l’avoir vue
Je profitais de l’hospitalité d’un malade pénétrer dans la chambre de son mari, por-
pour entretenir avec sa femme des rapports teuse d’un plateau sur lequel Charles avait
condamnés par la morale. Et de ce fait, je disposé le déjeuner de l’éditeur, je me sentis
n’étais guère à l’aise dans ma peau. Soledad devenir jaloux, stupidement, incontrôlable-
apaisait mes scrupules et me suppliait de ment jaloux.
garder le silence. Disposé à me cantonner J’attendis qu’elle soit revenue à l’office
à l’auberge du village en cas de conflit, je pour l’attirer sous la véranda où, à cette
n’envisageais pas cette solution en toute heure, les hôtes de Trégoët ne songeraient
sérénité… Plus que jamais, Soledad devait pas à nous chercher. Elle me dévisagea avec
pouvoir compter sur moi. des yeux effrayés :
En plein jour, son triste visage attirait – Es-tu devenu fou, Michel ?
la compassion. Monsieur de Soler lui avait – Oui, dis-je, fou de toi. Je n’en peux plus,
donné une gifle du revers de la main. Sa Soledad. Chaque instant que tu « lui »
chevalière était venue frapper sa bouche. consacres m’est insupportable ! J’éprouve un
La trace bleuie accusait le rictus amer. La sentiment de frustration que rien ne peut
36
effacer. Je n’ai ni ta maîtrise ni ta patience, à Elle prononçait enfin le nom de son pre-
moins que l’un et l’autre ne soient l’expres- mier mari, l’enrobait de douceur. En eut-
sion de la tendresse, de la pitié – que sais- elle conscience ? Sous mon regard dépourvu
je ? —, que ce monstre a su éveiller en toi ! d’indulgence, elle tressaillit et continua :
– Michel ! – Tu es au courant. Rosario t’a parlé, je
Elle était blême. Sévère, elle s’écarta de l’en avais priée.
moi. Je sus que je venais de la blesser. Mais – Te fallait-il tant de courage pour m’an-
je ne regrettais pas de lui infliger cet affront. noncer toi-même que trois hommes s’étaient
En quoi William de Soler méritait-il tant partagé ta vie ?
d’attentions ? Je la cinglais de mon insolence. Jadis, je
– Tu sais le mépris que je lui porte. voulais la mettre en garde : « Je suis violent,
– Justement. Tu me caches quelque chose, jaloux, tyrannique… » Brutal, presque cruel,
Soledad… je ne reculais point. Maintenant, elle ne
Elle nia : renoncerait plus à s’expliquer.
– Ne sois pas ridicule !
‘‘
– Très bien, dis-je. Si tu ne me juges pas
digne de recevoir tes confidences, n’en par-
lons plus. Je ne pouvais savoir, à
Je me détournai. À quelques pas l’un de
l’autre, nous nous maintenions dans une cet instant précis, que s’ouvrait
’’
réserve hostile. Un fossé se creusait entre devant moi un abîme
nous.
D
Je la vis descendre les marches. Prête à
e ce côté du manoir, la forêt s’aven- s’engager sous le couvert des arbres, elle se
ture jusqu’au pied des marches ravisa. L’ombre de la futaie lui inspirait de
recouvertes de lichen. Sa luxuriance la méfiance. On pouvait facilement nous y
sert la pérennité de la nature. L’inutilité de surprendre, surprendre des paroles que la
nos propres existences m’apparut. jeune femme n’avait pas eu l’imprudence de
La jeune femme céda. Le geste las dont laisser échapper. La paix qui régnait dans
elle accompagna sa phrase me flagella le bois, troublée par les glissements furtifs
comme un remords. de quelque bête rampante et par les chants
– Eh bien ! que veux-tu savoir ? des oiseaux, recelait un danger : il était aisé
– Pourquoi l’as-tu épousé ? de se dissimuler derrière un arbre.
Mon obstination la déconcerta. Je la De qui Soledad craignait-elle semblable
vis pincer les lèvres. Elle hésitait encore. attitude ? d’un domestique ? du garde-
Quelques instants plus tard, quand elle se chasse ? ou bien d’Herbert Smith ? Depuis
serait dépouillée devant moi de toute hau- que celui-ci m’avait confessé son amour
teur, je comprendrais enfin son recul. Le pour elle, je le croyais capable d’indiscré-
son sourd de sa voix dénotait l’effort qu’elle tion. L’incompréhensible union de la jeune
faisait pour appeler à elle ses souvenirs. veuve et de l’éditeur le tourmentait.
Étaient-ils tellement enfouis au fond de sa De la liste des indésirables, j’étais tenté
conscience ? Il me semblait que depuis dix d’exclure Josiane et Rosario. La première
ans, elle vivait avec eux, supportait leur far- cherchait en vain une raison de vivre. Seule
deau, ployait sous leur joug. la musique possédait encore le pouvoir de
– Je te l’ai dit : William n’est mon mari que l’arracher à ses pensées morbides. Quant à
de nom. Je n’aurais pu me livrer à cet homme la seconde… Vient-il à l’idée de se méfier
qui abusa de l’amitié de François et de ma d’une sœur, d’une amie aussi tendrement
lassitude. chérie ?
37
Plutôt que d’en mourir
– Attends dix minutes, puis viens me où elle m’entraîne n’a pas d’issue, je le sais.
retrouver dans ma chambre. Prends assez Je suis prisonnier de cet amour, que pas un
de précautions pour que l’on ne te voie pas seul moment, je n’ai cessé de lui accorder,
entrer. jusqu’à la faiblesse, jusqu’à l’égarement.
La voix de Soledad était dure, cassante. Les colonnettes des hautes fenêtres en
Je m’inclinai devant sa volonté. Je n’avais ogive tailladaient le paysage, par ailleurs
jamais pénétré chez elle. Cependant, je très beau sous la lumière crue du soleil. Je
savais qu’un bureau et un boudoir sépa- découvrais avec ravissement qu’il n’était
raient son appartement de celui de son mari. point réduit, ce paysage, à la seule forêt
N’était-ce pas jouer un jeu dangereux que entourant le manoir. Une échappée sur la
de nous y réfugier ? Après tout, cette proxi- lande permettait d’entrevoir la mer et la
mité même était peut-être le garant de notre pointe du Cap.
tranquillité. – La nuit, cette pièce est éclairée par le
Lentement, Soledad remonta les marches phare. Il me sert en quelque sorte de lampe
et pénétra dans le manoir. Je ne pus m’em- de chevet…
pêcher d’envier cette parfaite maîtrise de Je sursautai. Soledad m’avait rejoint et
soi dont elle était pourvue. Une pensée me je n’avais pas perçu le moindre bruit. Elle
traversa que je rejetai avec force : pourquoi venait de la chambre de son époux. Sa main
avait-elle tant d’aisance dans les moments gauche écartait encore la porte. Dans la
les plus critiques ? droite, un verre d’eau et un flacon s’entre-
Aux questions incisives que lui posait choquèrent.
à brûle-pourpoint William de Soler, elle – Les gouttes de William, précisa-t-elle en
répondait posément. Aucun trouble ne don- réponse à mon interrogation muette. Je ne
nait prise aux soupçons. Elle agissait comme laisse jamais passer l’heure.
une femme dont la conscience est pure. Un sourd malaise m’envahit. Tandis qu’elle
L’adultère qu’elle commettait était, pour elle, gagnait la salle de bains, rinçait soigneu-
de peu d’importance. À moins que ce ne fût sement le verre et rangeait le médicament
Monsieur de Soler qui ait manqué d’intérêt dans l’armoire à pharmacie, elle ajouta :
à ses yeux au point de lui ôter tout sentiment – Il ne va pas tarder à s’endormir. Il lui
de culpabilité. faut un grand repos.
Elle revint dans la chambre, prit place sur
F
le lit capitonné de satin.
idèle à la consigne qu’elle m’avait Avait-elle occupé ce dernier avec François
donnée, j’attendis. Ces dix minutes me Chambert ?
parurent une éternité. Celles qui sui- Je passai une main sur mon front.
vraient me laisseraient une impression de Certaines images possèdent un pouvoir
vide, d’écroulement. Je n’avais pas appris à suggestif d’une puissance étonnante. Elles
juger Soledad. Il le faudrait désormais. Mais m’atteignaient comme des flèches acérées.
je ne pouvais savoir, à cet instant précis où – À quoi penses-tu ?
je poussais la porte de sa chambre, que s’ou- – À toi, à nous, à notre bain de minuit…
vrait devant moi un abîme. Je la vis battre des paupières. Je réussis-
Aujourd’hui, j’ose l’écrire, je ne souhai- sais à lui insuffler mes propres émotions.
terais pas à mon pire ennemi de subir les Pourtant, je l’aurais parié, elle avait presque
affres par lesquelles je suis passé, d’espérer honte de ses débordements, de s’être donnée
pour mieux douter le lendemain… d’aimer à moi sur cette plage déserte.
qui ? une innocente ? une coupable ? Au Soudain, je comparais sa fougue à de la
contraire de William de Soler que j’avais désespérance.
vu porteur d’un masque, Soledad m’offre – Folies ! dit-elle.
toujours son visage de sphinx. Le labyrinthe Ses yeux étaient toujours aussi attirants,
38
mais ils ne possédaient plus le reflet des Je m’exécutai. Après avoir porté la Craven
étoiles. à mes lèvres, je l’allumai et la lui tendis
– Le regretterais-tu ? ensuite.
– Non… Puis elle ajouta : Je ne regrette Elle aspira la fumée. Cette dernière la fit
rien, du même ton qu’elle affirmait : « Je ne tousser.
mens jamais. » – Me diras-tu enfin quelle mystérieuse
J’en profitai pour saisir la balle au bond. raison est venue à bout de ta résistance ?
– Pas même ton union avec William ? suppliai-je.
– Que pouvais-je faire d’autre ? Elle répliqua d’un ton sourd, avec un débit
Elle se repliait sur elle-même, distante, très rapide, car ces deux mots la répugnaient
malheureuse. et qu’elle les rejetait comme on repousse
un reptile :
J
– Le chantage.
’eus envie de capituler, de rouler ma tête Le silence pesa lourdement sur nous. Je
sur ses genoux, d’entourer sa taille de m’étais assis à côté de Soledad. Elle ne fit
mes bras croisés, de serrer son jeune pas un mouvement pour se rapprocher de
corps contre ma poitrine, et de l’aimer. moi. Elle ne voulait pas quémander ma ten-
Elle me réclama une cigarette. Je m’en dresse, mais regagner mon cœur. Est-ce
étonnai à peine. Cette femme que j’imagi- parce qu’elle se montre fière et grave que
nais forte et brave souffrait d’un mal sans je la chéris tant ?
pardon. (à suivre)
39
Un territoire, un savoir-faire
La bouillabaisse
À chacun sa recette !
Simple soupe de pêcheurs à l’origine, la bouillabaisse a gagné
ses lettres de noblesse, s’invitant même à la table des plus grands chefs
français. Un plat patrimonial, emblématique de la cuisine provençale.
A
h que c’est bon la bouillabaisse, ah mon On retrouve également ce plat
Dieu que c’est bon ! », entonnait Fernandel à Rome. Et dans la mythologie
dans les années 1950. Qui, mieux que l’in- romaine, Vénus donnait une
terprète à l’accent chantant, pour louer ce célèbre soupe de poisson à son époux,
plat de Marseille ? La cité phocéenne est en effet Vulcain, pour l’endormir afin
à jamais associée à ce ragoût de poisson. de rejoindre discrètement son
Comme le rappelle le personnage de Fanny amant, Mars.
dans le film du même nom de Marcel Pagnol, en
Un mets modeste
1932 : « Dans le monde entier, mon cher Panisse,
et économique
tout le monde croit que les Marseillais ont le
casque et la barbe à deux pointes, et qu’ils se À l’origine, la bouillabaisse
nourrissent de bouillabaisse et d’aïoli, en disant est une nourriture de pauvre.
“bagasse” toute la journée. » Il faut bien convenir Les pêcheurs marseillais fai-
que ce plat existe depuis longtemps dans la gas- saient cuire des morceaux de
tronomie locale. Dès l’Antiquité, les pêcheurs de poisson moins nobles que ceux
Marseille est le berceau
40 de cette savoureuse
recette, en France.
par Carole Bourset
qu’ils vendaient sur le marché. Afin de les rendre dénaturaient le terme de bouillabaisse en ser-
plus tendres et plus savoureux, ils les cuisaient vant des soupes de poisson très éloignées de la
dans un potage préparé avec de l’eau de mer. recette traditionnelle. Généralement, une bonne
Progressivement, le frichti évolue. Un bouillon bouillabaisse contient donc de la rascasse (qui
plus élaboré remplace l’eau de mer et des pois- donne une saveur riche au bouillon), du grondin,
sons plus appétissants sont adoptés. du saint-pierre, du congre ou de la lotte. Certains
Au XVIIIe siècle, ce mets se fait connaître dans chefs ajoutent également quelques fruits de mer
le reste du pays grâce à une fratrie originaire de (moules, crevettes, crabe, langoustines, etc.).
Marseille, qui ouvre un restaurant à Paris en 1786. Poissons et crustacés sont cuits dans un bouillon
Installés près du Palais Royal, Les Frères pro- aromatique et riche en saveurs marines, pré-
vençaux acquièrent une grande renommée, avec paré avec de l’ail, des oignons, des tomates, des
notamment quelques plats fameux : côtelettes de herbes de Provence, du fenouil et une touche de
mouton à la provençale, morue à l’ail et aux truffes safran pour colorer. On déguste cette soupe déli-
et, bien sûr, bouillabaisse. Au XIXe siècle, cette cieuse avec des croûtons de pain aillés et tartinés
spécialité régionale commence à de rouille (la mayonnaise locale) ainsi que des
se faire un nom dans la gastro- pommes de terre.
nomie française. En 1873, dans Le nom même de bouillabaisse,
son Grand Dictionnaire de cuisine, typiquement provençal, renverrait à Fernandel, bien
sûr, a chanté
l’écrivain Alexandre Dumas la la préparation du plat. Il vient du mot la bouillabaisse.
cite. Elle est aussi mentionnée « bolh » qui signifie « bouillon » et de
dans le célèbre ouvrage du chef « abaissar » qui veut dire « réduire ».
cuisinier Jean-Baptiste Reboul, S’appuyant sur l’étymologie, l’écri-
La Cuisinière provençale (1926), vain Frédéric Mistral en donna une
qui compile plus de mille recettes définition parlante : « Quand ça bout,
et cite près de quarante poissons tu baisses ! » Que vous savouriez ce
pouvant entrer dans la composi- plat emblématique dans un restau-
tion de la bouillabaisse. rant gastronomique (lire l’encadré)
ou dans un bistrot traditionnel de la
Ce qu’est TP/REWORLD MEDIA
ville, vous ne manquerez pas d’être
la vraie bouillabaisse d’accord avec l’académicien Alfred
Il n’existe pas une unique Capus : « La bouillabaisse, c’est du
recette de bouillabaisse, même poisson avec du soleil ! » •
si, en 1980, quelques chefs pho-
céens ont établi une charte. Les
signataires du texte le précisent : À la carte des chefs
« Il n’est pas possible de norma- La bouillabaisse est devenue aujourd’hui un plat
liser la cuisine. En effet, il s’agit gastronomique. Gérald Passedat, chef du restaurant
d’un art et le tour de main du Le Petit Nice (trois étoiles au Guide Michelin),
chef en fera la réussite. » Ils sti- à Marseille, y ajoute ainsi du homard. D’autres
pulent néanmoins que les pois- cuisiniers phocéens sont bien connus pour leur
sons doivent être d’une extrême réinterprétation créative du fameux plat, comme
fraîcheur (pêche du jour). Et ils Lionel Levy, du restaurant Alcyone (une étoile au Guide
précisent que le plat doit contenir Michelin) installé au sein de l’Intercontinental Hôtel
au minimum quatre espèces de Dieu. Le chef y prépare la bouillabaisse, son plat
poissons locaux, c’est-à-dire pris signature, comme un « milk-shake », selon
en Méditerranée ! le Gault & Millau : « Une couche de pommes de terre,
Cette charte fut établie en rouille et safran, puis mascarpone et morceau de loup
réaction à certains restaurants et, dessus, une émulsion de poissons de roche. »
touristiques peu scrupuleux qui
41
Vos poésies
Automne
Le bel automne prit son pinceau
Offrit au vent pour qu’il la cueille
Quiétude
Une brassée de chaque feuille
Verte ou dorée, rouille ou ponceau.
Marie-France LEFEBVRE,
Boulogne-Billancourt (Île-de-France)
42
C’est l’automne
Un tapis
Les arbres dans les bois tremblent
Les feuilles en flocons légers tournoient
© SHUTTERSTOCK (X3)
43
Cap sur…
SARTHE TOURISME
bien gardés du Loir
Au sud de la Sarthe, le Loir distille ses eaux rieuses à travers le bocage. Laissez
les habitants de ce val discret, fleurant la douceur de vivre, vous conter leurs secrets.
44
MAXIME GUILLON / SARTHE TOURISME
par Jean-Philippe Noël
NEIL WILSON
Les Paimpolaises
et le secret de la pâte à crêpes
L
9 – RÉSUMÉ : Les Paimpolaises doivent faire e jeune serveur se dépêcha de
escale à Moulins. Elles y rencontrent Catherine filer aussi loin que possible de
et Gégé qui les aident à se procurer un nouveau Babette. À sa place, Josy en aurait
GPS. Babette se prend d’affection pour Gégé fait autant. Babette était sur les
et accepte de lui montrer la fameuse recette nerfs alors qu’il n’y avait visible-
secrète… Mais le lendemain, en route pour ment plus lieu de s’inquiéter : la serveuse
Paimpol, elle réalise que le précieux papier n’est allait enfin leur rendre le papier sur lequel
plus dans la pochette qui ne la quitte jamais. Elle était inscrite cette maudite recette. Josy avait
fait une crise de panique à laquelle Josy met fin. bien envie de le brûler une bonne fois pour
D’abord persuadée que Gégé la lui a volée, elle toutes, pour qu’on n’en parle plus ! Mais,
se laisse convaincre par ses amies que la recette plutôt que de céder à sa pulsion destruc-
a peut-être été oubliée au Grand Café. Babette trice, elle s’approcha du zinc et commanda
saute sur un serveur pour lui demander s’il l’a un double expresso qu’on lui tendit immé-
retrouvée. Heureusement pour lui, l’une de ses diatement.
collègues semble savoir où est passé le trésor Pendant ce temps, Babette suivait, d’un
familial. (Voir Veillées nos 3599 et suivants.) regard rempli d’espoir, les gestes de la
46
par Anne Rondepierre
serveuse qui passait derrière le grand mais elles n’avaient plus le temps pour
comptoir rutilant. Elle ouvrit un tiroir. Le le tourisme. La cousine de Babette devait
suspense était à son comble. être complètement décatie par le chagrin,
– C’est bien ça ? à présent. Elles l’avaient laissée en lui pro-
Babette poussa un cri de joie en recon- mettant les meilleures crêpes de sa vie et,
naissant le petit papier jauni. au lieu de ça, elles étaient parties sur les
– Je vous avoue que j’y ai jeté un coup routes du pays comme de véritables globe-
d’œil, dit la serveuse, c’est très étonnant, trotteuses.
ce dernier ingrédient ! Saumur, Angers, on approchait. Elles
Encore une qui était dans le secret des mangèrent trois sandwichs sur une aire
dieux ! Décidément, le mystère était de d’autoroute. Babette examina la liste des
moins en moins bien gardé, bientôt on en ingrédients sur le sachet de plastique et
parlerait même aux informations natio- leur promit une bonne infusion de fenouil
nales. Josy mourait d’envie de savoir quel en rentrant, pour digérer tous ces mauvais
était cet ingrédient secret. Non pas qu’elle conservateurs. En attendant le fenouil, Josy
ait un désir irrépressible de préparer les avala un café et tout le monde remonta en
meilleures crêpes du monde, mais la curio- voiture.
sité la dévorait chaque fois qu’elle voyait la
R
petite feuille soigneusement pliée.
Babette rangea son trésor dans sa pochette ennes ! s’exclama Martine.
en tissu et embrassa la serveuse sur les On était en Ille-et-Vilaine, on était
deux joues en la remerciant mille fois. en Bretagne. Josy se sentit sou-
Martine joignit les mains d’un air attendri dain comme à la maison. Le paysage lui
et Josy avala son café : elle allait en avoir était de nouveau familier. Après le grand
besoin. Car Babette respirait normalement, port de La Rochelle, les forêts de Corrèze,
la recette secrète était récupérée pour de les marais camarguais et les montagnes
bon, il y avait de l’essence dans la Clio et savoyardes, elle retrouvait enfin l’air marin
un GPS en pleine maîtrise de ses capacités. de la Manche. Saint-Brieuc apparut une
On pouvait enfin rentrer à la maison et le heure plus tard.
chemin était long. – On arrive, murmura Babette.
– Allez les filles, en voiture ! Oui, elles arrivaient. Le soir tombait.
Et elles quittèrent Le Grand Café aussi vite Malgré la fatigue, Josy choisit de prendre
qu’elles y étaient entrées. la route du littoral qui passait par Plouézec,
un peu plus longue, mais qui longeait la
I
mer. Les trois amies baissèrent les vitres.
l y avait de nouveau sept heures de route Elles humèrent avec bonheur le vent plein
à avaler, on avait suffisamment perdu d’embruns et de sel, admirèrent la Manche
de temps comme ça. Josy mit toute son et ses vagues qui avaient poursuivi leur
énergie dans la conduite et ne fit de pauses va-et-vient pendant leur absence, écou-
que lorsque ses amies insistaient vraiment. tèrent les cormorans qui criaient pour les
Alors, sous le regard réprobateur de Babette, accueillir.
elle buvait un café au distributeur et on – Il n’y a pas un poème sur les gens qui
repartait. Les kilomètres défilaient, tou- rentrent chez eux après avoir fait le tour du
jours des camions partout, fichus camions monde ? demanda Josy.
qui dominaient d’au moins vingt mètres sa Tandis que la voiture entrait dans
petite Clio et qui se traînaient dans les côtes Paimpol, Martine récita :
comme des éléphants essoufflés. – Heureux qui comme Ulysse, a fait un beau
Bourges, Vierzon, Tours, les villes les plus voyage, ou comme cestuy là qui conquit la
exotiques s’affichaient sur les panneaux, toison, et puis est retourné, plein d’usage et
47
Les Paimpolaises et le secret de la pâte à crêpes
raison, vivre entre ses parents le reste de son – Babette, qu’est-ce qui se passe ?
âge ! C’est de Joachim du Bellay. Un grand éclat de rire se fit entendre à
Josy ne rentrait pas vivre entre ses parents l’autre bout du fil.
le reste de son âge, pour la bonne raison – Mais rien, je plaisantais. Tout va très
qu’elle ne les avait pas connus. Mais elle ren- bien. Georges est en train de confectionner
trait avec Martine et Babette, Yvan, Georges une tarte aux pommes pour le dessert et la
et Daniel. Elle était là, sa vraie famille. recette de Mamette n’a pas quitté mon cou.
– Vraiment très drôle. Tu feras la même
Q
blague à Josy, je suis sûre qu’elle rira beau-
uand Martine ouvrit les yeux, il lui coup.
fallut quelques secondes pour recon- – Pardon, c’est la joie d’être rentrée, ça
naître le décor. Dehors, un rire d’en- me rend taquine. Je compte inviter Godelig
fant se perdit dans celui des mouettes et demain après-midi pour lui faire enfin les
elle sut où elle était : à la maison. Fini les crêpes de Mamette. Tu viendras ?
chambres d’hôtel et les chambres d’amis, – Daniel doit revenir demain matin jus-
elle était dans sa chambre à elle ! Elle s’étira tement.
de tout son long et profita encore un peu du – Parfait, venez tous les deux !
confort de son lit retrouvé. Ainsi il fut dit, ainsi il fut fait. Daniel
Qu’on était bien à Paimpol ! Elle n’en par- rentra le lendemain et raconta par le menu
tirait plus jamais. Mais comment faisait tous les événements des derniers jours,
Daniel pour vagabonder ainsi, plusieurs depuis qu’ils s’étaient quittés à Annecy.
fois par an, en minibus sur les routes pour
L
aller chanter dans toutes les préfectures et
sous-préfectures du pays ? ’après-midi, à l’heure dite et après
Après un bon petit déjeuner dans sa cui- une sieste bien méritée, il attendait
sine (sa chère cuisine enfin retrouvée) et un Martine devant la porte, tout fringant
peu de mots croisés sur le canapé du salon et prêt à dévorer autant de crêpes qu’on vou-
(son canapé, comme il lui avait manqué !), drait bien mettre dans son assiette. Martine
elle se décida à sortir un peu. Sur le sen- sourit. C’était à lui qu’elle devait ce périple
tier qui menait à la pointe de Guilben, elle inattendu entre copines. Elle lui en avait
retrouva avec bonheur les odeurs d’algues voulu, mais, à présent, elle avait presque
sèches et d’aiguilles de pin, cette odeur envie de le remercier.
salée qu’on ne sentait nulle part ailleurs. – On y va à pied ? proposa-t-il.
Et pourtant, Dieu sait si elle en avait senti, – Oh oui ! j’ai passé suffisamment de
des odeurs, ces derniers temps ! Elle était temps en voiture pour le reste de ma vie.
une véritable aventurière. Elle glissa son bras sous le sien, heu-
En rentrant, elle se décida à passer un reuse d’avoir enfin retrouvé son chanteur
petit coup de fil à Babette, pour s’assurer que de charme, rien que pour elle.
son retour à la maison s’était bien déroulé. Après avoir traversé la place du Martray,
C’est alors que tout bascula de nouveau : pleine de vie en ce milieu d’après-midi, ils
– Martine, c’est une catastrophe ! cria son s’engagèrent dans la rue piétonne des Huit-
amie dans le téléphone. Patriotes. Les talons claquaient gaiement
Le sang de Martine quitta son visage. sur les pavés, les gens flânaient devant les
Encore une catastrophe ? Oh, mon Dieu, vitrines des magasins, une dame passa avec
est-ce que Babette avait encore perdu la un panier rempli de fromage, tandis qu’un
recette de sa grand-mère ? Est-ce qu’une jeune garçon mordait à pleines dents dans
pie s’était introduite chez elle, avait ouvert une part de kouign-amann luisant de sucre
sa petite pochette en tissu et s’était envolée et de beurre.
avec le précieux papier ? – Oh, attends… dit Martine en avisant une
48
boutique de souvenirs en tout genre, j’en ai – C’est pas grave, conclut-il enfin. Ça se
pour une petite minute. repeint, un mur !
Effectivement, il ne lui fallut pas long- Est-ce que cette métaphore était vraiment
temps pour faire son choix. Elle glissa ses pertinente ? Josy regarda son compagnon
emplettes dans son sac à main et rejoignit d’un air dubitatif, mais Martine vit clai-
Daniel. rement une lueur d’espoir passer dans les
– Qu’est-ce que tu as acheté ? demanda- yeux de la cousine assise.
t-il. – Oui, murmura-t-elle, c’est vrai que ça
– Quelque chose pour nos amis. se repeint un mur…
C ‘‘
hez Babette et Georges, la cousine
Godelig était déjà là. Pour l’occasion, L’important, ce n’est pas
elle avait fait l’effort de se changer et
portait une robe bleue à petites fleurs : une la destination, dit Babette,
’’
belle tentative pour mettre un peu de gaieté c’est le voyage
dans sa tenue. Malheureusement, son visage
de six pieds de long trahissait son humeur
mélancolique. Assise à la table de la cui- Tandis qu’elle méditait ces sages paroles,
sine (visiblement, il n’y avait qu’aux tables de Georges posa une main affectueuse sur
cuisine qu’elle se sentait à l’aise), elle avait l’épaule de Daniel :
posé son coude juste au coin et laissait pen- – Alors, tu es déjà rentré ?
douiller sa main comme une grosse limace – Comme tu vois.
morte. Quand Martine et Daniel entrèrent, – C’est drôle. Si les filles t’avaient attendu
elle leva vers eux des yeux mornes. ici, tu leur aurais ramené leur papier direc-
– Bonjour, soupira-t-elle. tement, et elles n’auraient pas eu besoin de
– Vous vous souvenez de ma cousine te courir après comme ça !
Godelig ! dit Babette avec une joie forcée. À ces mots, les trois amies échangèrent
– Euh, pas trop, avoua Daniel. des regards éberlués. Mais oui, Georges
Il semblait faire un effort monumental avait raison ! Elles étaient parties dans
pour se souvenir, puis il finit par secouer l’idée de faire un simple aller-retour jusqu’à
la tête d’un air navré. La Rochelle, mais leur périple avait duré
– J’ai pris un fameux coup de vieux, sou- aussi longtemps que celui de Daniel !
pira Godelig. C’est depuis la mort d’Ana- – C’est vrai, ajouta Yvan avec un sourire
tole. Je m’effrite. Mais si, Babette, faut dire compatissant, vous avez fait tout ça pour
ce qui est : je m’effrite comme un vieux rien finalement.
mur tout pourri. Je suis un vieux mur tout – L’important, ce n’est pas la destination,
pourri… répondit Babette, c’est le voyage.
Martine n’était pas certaine qu’une bonne Puis elle ouvrit le réfrigérateur et sortit un
tournée de crêpes suffirait à rendre le sou- grand saladier de pâte à crêpes. On entendit
rire à cette pauvre Godelig. dans la cuisine des murmures apprécia-
Georges, le mari de Babette, ne paraissait teurs et impatients. Georges expliqua alors
pas convaincu non plus. Josy et Yvan arri- à Yvan et Daniel comme il s’était découvert
vèrent peu de temps après et Godelig leur une véritable passion pour la confection de
expliqua, à eux aussi, qu’elle n’était qu’un tartes aux pommes, et comme il projetait
vieux mur tout pourri. Yvan, qui rencon- bientôt de se lancer dans d’autres fruits.
trait la cousine de Babette pour la première Les prunes et leur jus lui semblaient un
fois, se lissa la moustache, sans trop savoir peu plus complexes à gérer, mais il avait,
quoi répondre. disait-il, le goût du risque.
49
Les Paimpolaises et le secret de la pâte à crêpes
Pendant ce temps, Babette alluma le feu – C’est quoi à la fin, cet ingrédient secret ?
sous sa poêle en fonte, celle avec laquelle Les deux cousines échangèrent un regard,
sa grand-mère faisait déjà sauter les crêpes. puis Godelig hocha la tête et Babette chu-
– Et il fallait avoir des biscotos, plaisanta- chota :
t-elle. Hein, Godelig ? – Du saindoux.
La cousine hocha la tête. Toute cette vie Josy grimaça, tout comme Martine l’avait
autour d’elle lui redonnait visiblement des fait en déchiffrant pour la première fois
couleurs. Ou bien peut-être était-ce l’idée la recette de Mamette. Mais il fallait bien
qu’on pouvait repeindre un mur pourri ? reconnaître que le saindoux donnait aux
Quoi qu’il en soit, à l’instant présent, elle crêpes un petit goût de paradis.
ne pensait plus à Anatole, son poisson mort. – Au fait, dit Daniel, tu n’avais pas
Pendant que Georges sortait les assiettes acheté quelque chose pour tes amies, tout
et les confitures, Godelig se leva pour aller à l’heure ?
chercher quelque chose dans le salon : – Ah formidable, s’exclama Josy, j’adore
– J’ai fait du caramel, proposa-t-elle timi- les cadeaux !
dement. – Ce n’est pas pour toi, sourit Martine en
Les acclamations de joie qui l’accueil- se penchant vers son sac à main.
lirent lui arrachèrent un sourire. Babette Elle en sortit une liasse de cartes postales
plongea la louche dans le saladier et fit ris- de Paimpol :
soler la pâte à crêpes dans la poêle brû- – Celle-ci, pour Sylvie Moreau, à Brive-
lante. Aussitôt, une odeur gourmande vint la-Gaillarde. Celle-ci, pour Augustine, aux
chatouiller les narines. Daniel poussa un Saintes-Maries-de-la-Mer, et celle-là, pour
soupir de contentement. Adrian. Et puis la dernière pour Catherine
– Puisque la première crêpe est toujours et Gégé, à Moulins !
ratée, dit-il, je me dévoue pour la manger ! – C’est qui tous ces gens ? demanda
– Pas avec cette recette, dit Babette. La Georges en ouvrant une nouvelle bouteille
première n’est jamais ratée. de cidre.
Elle saisit le manche à deux mains et, d’un – Nos nouveaux correspondants, répondit
geste de professionnelle, fit sauter la crêpe Babette.
dans les airs. Chacun retint son souffle, Martine tendit des stylos à ses deux com-
jusqu’à ce qu’elle retombe avec grâce et plices. Les trois Paimpolaises, au milieu
légèreté dans la poêle. Yvan et Josy applau- des crêpes, des rires et des bolées de cidre,
dirent. Les festivités étaient lancées. écrivirent à leurs nouveaux amis qu’elles
étaient bien rentrées chez elles et que, si le
L
cœur leur en disait, les portes de Paimpol
es crêpes volaient, les confitures s’éta- leur étaient grandes ouvertes.
laient, les rires fusaient. Le caramel de
Godelig (celui-là même qu’elle tenait FIN DE LA TROISIÈME PARTIE
de la mère Poulard) régalait l’assemblée.
Georges ouvrit une bouteille de son cidre
le plus fin et remplit les bolées.
– C’est vrai qu’elles sont délicieuses, ces
crêpes, dit Josy. Les meilleures de ma vie !
– Ça, c’est la recette de Mamette, répondit
Godelig qui n’arrêtait plus de sourire. C’est
son ingrédient secret, ça vous met du baume
au cœur et le cœur au paradis !
Elle leva son verre et trinqua à la canto-
nade. Josy se pencha en avant :
50
Chers objets
Le retour du coupe-choux
J
’ai retrouvé récemment dans les leur métier dans le respect et l’amour des
affaires de mes grands-parents une traditions. Récemment, chez le barbier de
collection de rasoirs anciens ayant Chamonix, un véritable artiste, j’ai observé
appartenu à mon grand-père, et notam- qu’il utilisait un coupe-choux multiple à trois
ment la fameuse lame pliante communé- lames qui se déployait comme un couteau
ment dénommée « coupe-choux », que j’ai vue suisse ou un éventail grâce à une vis médiane
depuis dans des westerns américains avec lui permettant de changer lesdites lames et
Clint Eastwood et dans l’excellent film des de les utiliser alternativement.
frères Coen The Barber : l’homme qui n’était Également appelé « rasoir droit », « sabre »
pas là. ou « rasoir ouvert », il nécessite un affûtage
Le souvenir m’est revenu de papi Michel régulier sur un morceau de cuir et un aigui-
utilisant ledit coupe-choux avec soin, méti- sage bisannuel sur une pierre à aiguiser à
culeusement, le visage enduit de savon mous- huile. Extrêmement coupant, il permet tou-
seux, dans le miroir de la salle de bains. J’ai tefois un rasage très précis grâce à ses lames
rarement observé cette scène car mon grand- dites « chantantes » ou « sonnantes », en acier
père était matinal, toujours le premier de la trempé partiellement ou totalement évidées.
maison à se lever, à six heures du matin. Il Il est utilisé après l’application d’un savon à
utilisait le coupe-choux plutôt que le rasoir barbe à l’aide d’un blaireau ou directement
électrique pour ne pas réveiller le reste de sur la peau humide avec un ou deux pas-
la famille pendant qu’il s’apprêtait. sages de la lame. Apparu à la Renaissance,
Il sortait toujours impeccablement vêtu et probablement en Italie, cet outil fort utile
fraîchement rasé, sa casquette vissée sur ses aura connu quatre siècles de gloire avant
oreilles pour aller acheter le pain, les crois- de rejoindre les tiroirs ou les placards, le
sants et le journal. Puis il prenait son petit fond d’une armoire à pharmacie parfois.
déjeuner avec mamie et nous les retrouvions Contrairement au rasage manuel actuel, le
assis dans le salon en train de commenter rasage au coupe-choux était souvent effectué
les nouvelles du journal régional La Marne. par un professionnel, d’où le fait que cette
Cette habitude lui était restée de l’époque de pratique soit tombée en désuétude.
la guerre, écouter et lire les informations. Il Comme beaucoup d’objets vintage, cet
prenait avis de tous les médias pour recouper usage revient à la mode et vous trouverez
les données. Le midi et le soir, c’était la télé- certainement dans une grande ville près de
vision avec, après le déjeuner, les autres jour- chez vous un barbier qui l’utilise.
naux auxquels il était abonné qui arrivaient
par le courrier et qu’il épluchait méticuleu- Sandrine LIOCHON
sement aussi.
Je n’ai jamais connu mon père utilisant un
coupe-choux. Il avait un rasoir électrique,
peu bruyant certes, mais que j’enten-
dais parfois le matin. Je pense que rares ©S
HUT
TER
sont les jeunes qui font un usage tra- STO
CK
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La bonne cuisine
Babka et potimarron
pour 6 personnes – préparation : 35 min – repos : 2 h 30 – cuisson : 30 min
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par Caroline Alice
Tarte courgettes
et feta
pour 4 personnes
préparation : 20 min
cuisson : 40 min
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La bonne cuisine
Ingrédients : 200 g de chair de poti- laissez frémir. Versez 2 c. à soupe résorbe. Versez louche après louche
ron coupée en dés • 50 g de gor- d’huile d’olive dans une sauteuse, et jusqu’à ce que le riz soit cuit (comp-
gonzola • 4 tranches de jambon faites-y revenir l’oignon et l’ail pen- tez environ 20 min).
de Parme • 8 feuilles de sauge dant quelques minutes jusqu’à ce – Terminez en ajoutant le gorgon-
• 1 oignon • 1 gousse d’ail • 200 g qu’ils s’attendrissent. zola et mélangez jusqu’à ce qu’il soit
de riz arborio • 60 cl de bouillon de – Hachez la moitié de la sauge et fondu. Salez et poivrez si nécessaire.
légumes • 5 cl de vin blanc* • 3 c. à ajoutez-la à la préparation. – Faites revenir les feuilles de sauge
soupe d’huile d’olive • poivre • sel. – Incorporez le riz et le potiron en restantes dans un peu d’huile d’olive,
dés, faites revenir 3 min jusqu’à ce le temps qu’elles deviennent crous-
Réalisation que le riz devienne translucide, puis tillantes. Égouttez-les sur du papier
– Épluchez et émincez l’oignon. Pelez mouillez avec le vin blanc. Quand absorbant.
l’ail, dégermez-le et écrasez-le. celui-ci est complètement absorbé, – Dressez le risotto dans les assiettes,
– Mettez à chauffer le bouillon de arrosez d’une louche de bouillon. puis garnissez de sauge croustillante
légumes dans une casserole et Remuez, le temps que le liquide se et de jambon de Parme.
* L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
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Butternuts farcis à la viande hachée
pour 4 personnes – préparation : 20 min – cuisson : 55 min
Réalisation
– Préchauffez le four à th. 6/7 (200 °C). Épluchez et émi-
ncez l’oignon et l’ail. Faites-les revenir dans une poêle
huilée. Ajoutez la viande hachée. Salez, poivrez, laissez
cuire quelques minutes, puis réservez.
– Coupez les courges dans la longueur. Ôtez-en filaments
et pépins. Badigeonnez-les d’huile d’olive et enfournez-
les sur une plaque pour 40 min. Grattez la chair cuite.
Réduisez-la en purée.
– Cassez les 2 œufs. Battez-les en omelette et incorpo-
rez-les à la viande tiédie. Ajoutez la purée, remuez bien.
Garnissez les courges de ce mélange.
– Réduisez la température du four à th. 6 (180 °C). Taillez
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Cookioches
au potimarron
pour 12 portions
préparation : 5 min – cuisson : 15 min
Réalisation
– Préchauffez le four à th. 6 (180 °C).
– Fouettez la purée de potimarron et l’œuf. Ajoutez
le sucre de coco et blanchissez le mélange.
– Incorporez la farine de riz, la poudre d’amande
et la levure. Remuez bien. Versez les pépites de
chocolat et enrobez-les délicatement.
– Recouvrez une plaque allant au four de papier
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55
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Votre magazine change de périodicité!
Tous les
15 jours,
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Il sera dans votre boîte aux lettres tous les 15 jours au lieu de
toutes les semaines.
Situé dans le département de la Creuse, entre Berry et Limousin, l’arboretum s’étend sur près de 6 hectares.
L’arboretum de la Sédelle
Un bijou dans la vallée de la Creuse
Incursion dans la vallée de la Creuse, contrée chérie des impressionnistes.
Direction l’arboretum de la Sédelle, avec ses arbres du monde entier et où l’érable
règne en maître. Toutes les couleurs automnales s’y déclinent.
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Allons au jardin
les sous-bois, où vivent, en totale
harmonie, 400 espèces végétales
locales et exotiques.
Philippe et Nell respectent les
principes du jardin en mouvement
de leur ami Gilles Clément : ne
pas contraindre la nature, mais la
suivre, l’accompagner, l’imiter. Les
végétaux exotiques introduits ici
ont été choisis pour se fondre dans
ARBORETUM DE LA SEDELLE (X4)
le paysage bocager. Car Philippe
et Nell ont adopté des espèces
présentes dans l’environnement
creusois : chênes, érables, houx,
cornouillers, hêtres… Les maîtres-
mots ? Équilibre végétal et struc-
ture du paysage ! Cela permet au
Affluent de la Creuse, la Sédelle, à la faune et à la flore riches
visiteur de parcourir le monde et variées, accueille notamment de nombreuses truites sauvages.
en descendant les pentes de la
Sédelle : érable d’Himalaya, chêne chamarrés, poétiques libellules érables est remarquable. Près de
de Hongrie, orme de Sibérie, cor- s’en donnent à cœur joie. Le chant cent vingt espèces, sous-espèces
nouiller de Floride… Une façon de du chardonneret accompagne la et cultivars, originaires de tous les
réinterpréter le décor creusois. balade au cœur de la forêt, le vol continents, peuplent le vallon. Ils
de la bergeronnette des ruisseaux représentent le quart des arbres
Sous la protection passe comme un éclair jaune, tan- de l’arboretum. À chaque saison,
des érables dis qu’un pinson grignote le fruit ils offrent des scènes différentes,
De cette conception du jar- d’un hêtre. Une cinquantaine d’es- et toujours étonnantes. Les feuil-
dinage, où se mêlent tech- pèces d’oiseaux nichent à l’arbo- lages fins comme de la dentelle
nique, esthétique et philosophie, retum. Une multitude d’arbres leur ou larges comme la paume de
découle une riche biodiversité. offre gîte et couvert. la main, du vert tendre au rubis,
Petits animaux et insectes four- Si de nombreuses collections, passent par l’or, le jaune paille
millent au sein de ces mini-éco- de chênes ou cornouillers, entre ou le mandarine, en se moquant
systèmes. Vifs écureuils, papillons autres, sont riches, celle des des saisons. Les écorces ne sont
pas en reste, rouille, roses ou
vertes veinées de blanc, s’exfo-
liant par plaques bigarrées. Cette
sélection est homologuée par le
Conservatoire des collections
végétales spécialisées.
L’appel de la rivière
Et si nous descendions le val-
lon pour découvrir les surprises
qu’il nous ménage… Passé la
prairie sauvage ceinte de murets
en pierre sèche, une charmille
taillée en ondulation douce
épouse la pente. On se prend
à la suivre, curieux de savoir où
Les érables constituent le quart
des collections de l’arboretum.
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L’écosystème de la mare abrite une grande variété d’insectes, d’amphibiens,
de reptiles, d’oiseaux et de plantes d’eau telles que des iris, nénuphars, pétasites et joncs.
elle veut nous conduire. Chênes et Ruines féodales, collines arron- couleurs vives. Aujourd’hui, deux
érables, bordés de massifs d’hy- dies, roches et lande qui dévalent sentiers de découverte, à Crozant
drangéas et de rhododendrons, jusqu’aux berges des deux Creuse et à Fresselines, invitent les prome-
nous accompagnent. Plus loin, un et de la Sédelle n’ont cessé d’ins- neurs à effectuer de beaux voyages
petit kiosque en bois est perché pirer les plus grands peintres du entre nature, art et histoire. Et pour
sur une mare. Des pesses d’eau XIXe siècle. Claude Monet, Francis découvrir à quoi ressemblait la
dressent leurs tiges, semblables Picabia, Armand Guillaumin et vallée avant que la forêt ne rem-
à de jeunes conifères, entre les Paul Sérusier, entre autres, ins- place la lande, partez vite arpenter
nénuphars où se faufilent insectes tallaient leurs chevalets au cœur les chemins de l’arboretum de la
et amphibiens. Iris, joncs et péta- de ce paysage bucolique pour Sédelle. Émotion garantie !
sites bordent les rives. Quelle en saisir les formes douces,
douce atmosphère ! les lumières changeantes et les Noémie VIALARD
Un paysage retrouvé
Le bruit de l’eau se fait plus
présent au fil de la traversée En pratique
des sous-bois. Flânerie magique Situé à Crozant, dans
parmi la myriade d’arbres, tous la Creuse, l’arboretum de
plus beaux les uns que les autres. la Sédelle ouvre de début mai
Le vallon plonge dans la Sédelle à début novembre. Figurent
sertie d’iris, d’orchidées et de sali- sur le site internet : balades
caires, suivant la saison. ornithologiques, concerts
Au-dessus, la falaise sauvage, et expositions prévus, mais
avec ses genêts et ses bruyères, aussi les journées des plantes,
et la roche affleurant la rivière. Tout très réputées, au printemps
semble si naturel… Pourtant, c’est et en automne. Entrée 6 €.
un paysage entièrement recons- Rens. : 05-55-89-83-16
truit, une gageure spectaculaire. ou sur arboretumsedelle.com
Dépaysant, apaisant et empreint
de poésie.
Une plongée dans le passé
des paysages.
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Le musée des Veillées
Pour un bon garçon
Mary HAYLLAR (1862-1950)
Collection privée
BRIDGEMAN IMAGES