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ISSN : 0750-4039 144e ANNÉE – HEBDOMADAIRE N° 3462

13 JANVIER 2021

Il n’est pas d’hiver


sans neige, de printemps
sans soleil et de joie
sans être partagée
Proverbe serbe
Nursemaids, High Bridge Park (Les Nourrices)
Le musée des Veillées George Benjamin LUKS (1867-1933)
Collection privée

CHRISTIE’S IMAGES / BRIDGEMAN IMAGES / LEEMAGE


Actualité par Hugues Berthon

OPÉRATION PIÈCES JAUNES

SHUTTERSTOCK
Opération pièces jaunes
vidons nos poches !
Comme chaque année depuis 1989, la Fondation Hôpitaux de
Paris-Hôpitaux de France organise son opération Pièces jaunes. L’argent récolté
en janvier et février permettra d’améliorer la vie des enfants hospitalisés.

A
près un quart de siècle à la adolescents à l’hôpital. » Les mis- presse jeunesse), à déposer à La
tête de la Fondation Hôpitaux sions de la Fondation en disent Poste à la fin de l’opération.
de Paris-Hôpitaux de France, long sur la tache : rapprocher les Un enseignant peut mobiliser
Bernadette Chirac en a cédé la pré- familles ; développer les activités ; sa classe, son école (dossier dis-
sidence à Brigitte Macron en 2019. améliorer accueil et confort ; lut- ponible sur le site), le personnel
La première dame lancera donc ter contre la douleur ; prendre en hospitalier entraîner ses collègues.
cette année l’opération Pièces charge des adolescents en souf- L’an dernier, la possibilité de ver-
jaunes, qui a déjà permis d’aména- france ; transition adolescents- ser 5 € par SMS a été introduite en
ger 2 824 chambres parent-enfant, jeunes adultes ; offrir du répit aux envoyant DON au 92111. On peut
d’acheter 1 175 pompes antidou- proches aidants. aussi téléphoner (01-40-27-42-62),
leur et de subventionner 60 mai- Pas question de laisser traîner faire un chèque, utiliser sa carte de
sons des parents ! ses pièces au fond d’une poche ! crédit ou Paypal (sur don.pieces-
Mais, comme le rappellent On les stocke dans les tirelires jaunes.fr). A vos porte-monnaie!
les responsables de l’opéra- (disponibles dans les bureaux de
tion, « Il reste encore beaucoup poste, boulangeries et pharmacies, Rens. : fondationhopitaux.fr/
à faire pour les enfants et les et dans de nombreux titres de la pieces-jaunes.

2
SOMMAIRE
HEBDOMADAIRE N° 3462 – 13 JANVIER 2021
Une publication du groupe

NOTRE COUVERTURE : Les glissades en luge sur la neige, l’une des Rédaction
joies de l’hiver ! 40, avenue Aristide-Briand
Photo : iStock 92220 Bagneux
Tél. 01-46-48-47-12 – Fax. 01-46-48-47-00
redaction.veillees@reworldmedia.com
2 Actualité par Hugues Berthon Directrice de la rédaction Stéphanie Pic,
assistée de Patricia Molnar
Opération pièces jaunes, vidons nos poches ! Rédactrice en chef Annie Viaud
4 Exposition par Antoine Bienvenu Chef de service Valérie Dufils
vdufils@reworldmedia.com
La beauté féminine en quelques estampes Secrétaire générale de la rédaction

8 Nouvelle
Anne Dumoulin
par Muriel Fabienne adumoulin@reworldmedia.com
Un partenaire extraordinaire Première secrétaire de rédaction
Annie Touzé
18 Patrimoine religieux par Karine Touboul atouze@reworldmedia.com
Courrier des lecteurs Ouarda Akdache
Notre-Dame de Saigon, Première rédactrice graphiste Soifia Hanami
joyau de l’architecture coloniale Rédactrice graphiste Ouarda Akdache
20 Santé pratique par Élizabeth Carrera Iconographe Christian Rousselet
Direction – Edition
Stress, anxiété, angoisse : apprenez à les différencier Editeur Germain Perinet
et à les maîtriser Editrice adjointe Charlotte Mignerey
22 Feuilleton par Ginette Briant Fabrication
Directeur des opérations industrielles
Un parfum d’éternité Bruno Matillat

28 Nos jeux de la semaine par Laurence Tournay


Directrice de la fabrication Isabel Delanoy
Chefs de fabrication
30 Toute une vie
Daniel Rougier, Agnès Châtelet
par Victor Cascales Prépresse
Agatha Christie, la « Queen » du crime Responsable de service : Sylvain Boularand
Responsable de service adjoint : Christophe Guérin
32 Vos poésies Directeur du contrôle de gestion
Pascal Rigaud
34 Métier d’autrefois par Karine Touboul Les manuscrits non insérés dans Les Veillées ne sont pas
rendus à leurs auteurs. Dans nos textes
Papetier, un artisan à la page de fiction, toute ressemblance avec des situations, des
36 Toutes vos lettres par Ouarda Akdache
personnes ou des patronymes existant
ou ayant existé serait purement fortuite.
Editeur Reworld Media Magazines
37 Feuilleton par Cécile Berthier Siège social 40, avenue Aristide-Briand
92220 Bagneux
Le quartier du Fleuve Directeur de la publication Gautier Normand
44 Une marque, une histoire par Victor Cascales
Actionnaire Reworld Media France
Imprimeur : Rotochampagne
Petit Bateau, révolutionnaire et culottée 11, rue des Frères-Garnier,
52000 Chaumont.
47 Série par Noëlle Yvrard N° ISSN : 0750-4039
Commission paritaire : 0218 K 80260
16 – Mon cœur à son passé renonce Dépôt légal : janvier 2021

52 La bonne cuisine AFFICHAGE ENVIRONNEMENTAL


Origine du papier Allemagne
Les belles salades de l’hiver Taux de fibres recyclées 80 %
56 Nos amis les animaux par Jean-Philippe Noël Certification PEFC
Impact sur l’eau Ptot 0,006 kg/tonne
Quand les bébêtes se mettent en boule !
58 Allons au jardin par Noémie Vialard Abonnements
Des couleurs en hiver grâce aux plantes fleuries Pour les abonnements et
les changements d’adresse, s’adresser
60 Le musée des Veillées à Les Veillées des Chaumières, CS 90125 27091
ÉVREUX Cedex 09. Tél. 01-46-48-48-99
Par Internet : www.kiosquemag.com
Ce numéro comporte, posé en C4, un encart Mon jardin & ma maison sur les Prix au numéro : 2,20 €
abonnés France, hors relances.
Exposition

La beauté fé
Estampes et objets révèlent
les étonnants apprêts des Japonaises
de l’époque Edo, leur art du
maquillage en trois couleurs et leurs
coiffures sophistiquées.

P
our se faire belles, les Japonaises se coloraient
les dents en noir… Les canons de beauté sont
décidément bien différents selon les époques
et les cultures. Au Japon, la coutume pour les
femmes était aussi de se blanchir le visage à l’aide
d’une poudre à base de mercure ou de plomb. À
partir de quelque 150 estampes et objets d’époque,
60 ustensiles et accessoires, l’exposition montre
les surprenants secrets de beauté à l’époque Edo,
où maquillage et coiffures sont deux marqueurs
sociaux pour les femmes des grandes villes.
Nous sommes entre 1603 et 1868. « C’est une
période de prospérité après des siècles de troubles
et de guerres entre les clans, raconte Philippe
Achermann, chargé de communication de la
Maison de la culture du Japon, à Paris. La caste des
militaires dirige le pays avec à sa tête un shogun.
Il réside à Edo, qui est à la fois le nom de Tokyo à
l’époque et celui de cette période.» La société est
alors caractérisée par une hiérarchie stricte des
classes sociales. «Tout en haut: les militaires. Puis
les paysans qui produisent le riz, élément vital.
Ensuite les artisans et, tout en bas, les commer-
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çants. Artisans et commerçants forment peu à peu


une classe de citadins, de «bourgeois» qui vont
jouir d’un pouvoir économique de plus en plus
important. Mais leur rôle politique est quasi nul.»
Estampes publicitaires
Les estampes fournissent des informations sur
cette époque. Elles sont utilisées comme publi-
cités, entre autres, de produits de beauté, notam-
ment pour les courtisanes. «Les plus connues de
ces geishas sont considérées comme des stars, au
Utagawa Toyokuni III,
même titre que les acteurs de kabuki, une forme
Cent Beautés de sites célèbres d’Edo : Kasumigaseki (1857). de théâtre japonais traditionnel, raconte Philippe

4
par Antoine Bienvenu

minine en quelques estampes

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Ichiyûsai Kuniyoshi, Sankai medetai zue : pêche à la bonite Utagawa Toyokuni III, Cent Beautés de sites
dans la province de Sagami (1852). célèbres d’Edo : Somei (1857).

Achermann. Admirées de toutes les femmes de un triste revers. «Des parents vendent leur fillette
cette époque, elles lancent certaines modes.» parce qu’ils n’ont plus les moyens de la nourrir. Ils
Dans ce pays austère, rigide, gouverné par les espèrent qu’en devenant une grande courtisane,
militaires, des quartiers des grandes villes sont elle s’élève socialement.» Une estampe montre un
réservés à la prostitution, avec des « établisse- épisode assez connu. «L’une d’elles a été rachetée
ments de plaisir». Ces courtisanes ont une éduca- par un seigneur. Elle est sur une balance. Il a payé
tion artistique de très haut niveau. «Elles excellent son poids en or à la maison où elle travaille.»
dans l’art de la danse, de la poésie, du chant, de la
Maquillage en trois couleurs
musique. Ce sont des femmes extrêmement raffi-
nées et cultivées. C’est pourquoi les côtoyer coûte Sur les estampes, les femmes semblent toutes
très cher au client. Il faut organiser deux ou trois avoir le même visage, quels que soient l’artiste,
visites avec de grands banquets.» La médaille a l’époque ou la personne représentée. «Certains

5
Exposition
traits peuvent être plus ou moins accentués, mais de riz, qu’elles trempent dans l’eau chaude et dont
les femmes ne sont pas individualisées, acquiesce elles se servent comme gant. Elles utilisent ensuite
Philippe Achermann. Même lorsqu’il s’agit de por- de la poudre de blanc de plomb ou de mercure,
traits de personnages connus, grandes courtisanes mélangée à de l’eau et s’en enduisent le visage (c’est
ou femmes de la noblesse. Elles ne le sont qu’au ce que montre l’estampe de l’affiche de l’exposi-
niveau de leur coiffure, de leurs ornements et de tion). « L’objectif est probablement d’être blanche
leur façon de s’habiller. Les artistes ne se soucient comme les aristocrates dont la peau, contraire-
pas de représenter un visage de manière réaliste. ment à celle des paysannes, est peu exposée au
De plus, leur maquillage unifie les visages. » soleil puisqu’elles n’ont pas besoin de travailler. »
Déjà, à l’époque préhistorique, les Japonaises
Dents noires et lèvres vertes
se maquillaient. On le voit sur des statuettes
anthropomorphes. À l’époque Edo, le maquillage Une autre estampe montre une femme se net-
se démocratise dans le milieu urbain. La femme toyant la langue, car elle vient de se teindre les
veut se rendre belle. Mais, surtout, il s’agit d’une dents en noir. « C’est un rite de passage et un mar-
pratique codifiée qui donne des informations sur queur social. Une femme se teint les dents en noir
son âge et son statut social. L’exposition invite à le jour de son mariage, puis toute sa vie. Elle se
regarder différemment la beauté des estampes et rase les sourcils quand elle a son premier enfant,
à s’attarder sur les détails. Comme ce petit sachet jusqu’à la fin de ses jours. « On pense que c’est
de tissu dans lequel les femmes mettent du son parce que les sourcils trahissent les émotions. Le
fait de les raser rendait le visage moins expressif.
Kôchôrô Kunisada, Rituels féminins (1847). Les jeunes femmes non mariées se dessinent les
sourcils avec du noir de suie. » Et les femmes de
l’aristocratie, quand elles atteignent un certain
âge, se redessinent les sourcils en haut du front.
PHOTOS POLA RESEARCH INSTITUTE OF BEAUTY AND CULTURE (X 3)

Déjà au IIIe siècle, dans une chronique histo-


rique chinoise, on parle des Japonais comme du
peuple aux dents noires. « Elles mélangent dans
un pot de terre du vinaigre, du saké, de l’eau de
lavage du riz et de la ferraille. Elles font chauffer ce
mélange et elles ajoutent de la noix de galle. » Ces
dernières sont des excroissances végétales provo-
quées par des parasites de plantes qui contiennent
beaucoup de tanins. Les femmes se passent tous
les jours ce liquide sur les dents.
La troisième couleur du maquillage est le rouge,
pigment obtenu à partir de la fleur de carthame.
« C’est un produit de luxe qui, dit-on, coûte aussi
cher que l’or. On l’utilise donc très peu. On le passe
essentiellement sur les lèvres pour dessiner une

Peigne en bois laqué


à motif de boîte
à coquillages, fin de
l’époque Edo.

Perruque
à chignon, époque
contemporaine.

6
petite bouche avec un pinceau. Et au coin des
yeux, un peu sur les paupières, les pommettes. »
Sur les estampes, certaines femmes ont les lèvres
vertes. « C’est un maquillage très à la mode dans
les années 1800-1830. Il est obtenu en appliquant
plusieurs couches de rouge sur la lèvre infé-
rieure. Par réaction chimique, le rouge devient
vert, comme la carapace de certains coléoptères. »
Des chignons extrêmement sophistiqués
Une estampe montre une femme à la longue che-

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velure noire en train de se peigner. « Les femmes
ne se lavent les cheveux qu’une ou deux fois par
mois, car elles ont des chignons très architecturés.
Se faire coiffer coûte cher. Elles se lavent avec un
mélange d’algues, farine de blé et eau chaude, se
peignent, se relavent. Cela peut durer des heures. »
Au début, les chignons sont simples. Puis, en
avançant dans l’époque Edo, ils deviennent com-
plexes et le métier de coiffeuse apparaît. Elles uti-
lisent beaucoup d’accessoires, peignes décoratifs et
mèches postiches. Les détails sont à décoder. « Si
une femme porte deux peignes dans ses cheveux,
c’est une courtisane. Une femme de la noblesse ou Keisai Eisen, Poudre blanche Bien Senjokô (1815-42).
de la classe des marchandes n’en portera qu’un.
Les courtisanes portent aussi une dizaine, voire
une vingtaine d’épingles à cheveux, faites dans
des matières assez précieuses comme l’écaille de
Femmes dans leur vie quotidienne
Une partie de l’exposition est consacrée à une série d’estampes
tortue. Le peigne le plus ancien retrouvé au Japon
très vivantes d’Utagawa Kunisada, dit Toyokuni III (1786-
date de l’époque préhistorique, il y a sept mille
1865). Intitulée Cent Beautés de sites célèbres d’Edo, elle
ans. C’est un peigne laqué décoratif à trois dents. »
montre comment vivaient les femmes de milieux variés :
Parmi les quatre chignons de base exposés
courtisane de haut rang, prostituée pauvre, musicienne,
dans une vitrine, trois ont été inventés par des
dame âgée, serveuse. Ces femmes prient, choisissent un tissu
courtisanes. La coiffure est en quatre parties : la
pour un kimono, fument la pipe et figurent dans des scènes
frange, le chignon, les mèches latérales et le tabo
intimes : une mère fait chauffer un brasero pour réchauffer
(la mèche derrière la nuque ressemblant à une
son enfant, d’autres se lavent les pieds, se coupent les ongles,
queue de mouette ou de bergeronnette, ou encore
ou une jeune fille prépare la cérémonie du thé.
à une fleur de mauve ou une feuille de ginkgo).
Une autre série, Le Gynécée de Chiyoda de Yōshū Chikanobu
« Elles sont extrêmement codifiées. Certaines
(1838-1912), représente la vie dans le gynécée du shogun,
sont typiques des geishas, d’autres de la femme
au centre d’Edo. Ces estampes somptueuses décrivent
mariée, d’autres encore de la jeune fille. » Pour
ce lieu à l’accès restreint, interdit aux hommes à quelques
ne pas abîmer le chignon, elles dorment avec un
exceptions près. Ces scènes réalistes sont reconstituées
oreiller qui surélève le cou. Même la nuit, il fallait
à partir du témoignage de domestiques. L’une représente
souffrir pour être belle ! n
l’épouse du shogun qui se fait coiffer ou change d’habit.
Des femmes jouent aux cartes, participent à des concours
Exposition Secrets de beauté, Maquillage de poésie ou à des cérémonies comme celle du jour de l’An
et coiffures de l’époque Edo dans les estampes ou de la visite aux fleurs entre cerisiers et chrysanthèmes.
japonaises, Maison de la culture du Japon,
75015 Paris. Jusqu’au 6 février.

7
Nouvelle

ISTOCK
Un partenaire
extraordinaire
Q
uand le téléphone sonna, Isabelle – T’inquiète. C’est Alice qui va être déçue.
émergeait à peine de son sommeil. – Je me doute ! Je lui avais promis une
Elle tâtonna pour attraper l’engin journée dans les magasins, entre filles.
de malheur qui la bipait alors qu’elle était en Isabelle imaginait déjà la scène. À douze
congé. Elle se redressa, marmonna un «allô» ans, Alice entrait dans l’âge ingrat et mon-
un peu étouffé par un bâillement. Au bout trait un caractère difficile.
du fil, un éclat de rire retentit : Elle finissait de préparer ses affaires
– Isabelle ? Ici Alexandre. Désolé de te lorsque sa fille déboula dans le salon. À son
réveiller. air, son père l’avait mise au courant du chan-
– C’est pour quoi ? grommela-t-elle. gement de programme.
– Une enfant de quatre ans, disparue dans – C’est toujours pareil avec toi, on ne peut
une forêt. Je prépare Rock, pour gagner du rien organiser. Tu ne tiens jamais tes pro-
temps. À tout de suite. messes.
Complètement réveillée, Isabelle se leva – Écoute, Alice, crois-moi, je suis aussi
d’un bond, gagna la salle de bains. Elle entendit désolée que toi d’annuler notre sortie. Mais
Valentin, son mari, qui la rejoignait, encore je te jure que ce n’est que partie remise.
à moitié endormi. Elle anticipa la question : – Tu parles, répliqua-t-elle avec insolence,
– C’était le boulot. Une gamine qui s’est il n’y a que ton boulot qui compte.
perdue. Je dois y aller. – Ce n’est pas vrai et tu le sais très bien.
Valentin hocha la tête, il avait l’habitude, Mais tu connais mon métier, je dois obéir
depuis quinze ans qu’il partageait sa vie. aux ordres. Une petite fille a besoin d’aide.

8
par Muriel Fabienne

Alice haussa les épaules et partit en cla- falloir donner le meilleur de nous deux. On
quant la porte, tout en hurlant : va faire un tour en hélico. Tu n’aimes guère
– Peut-être que je devrais moi aussi dis- cela et moi non plus, mais on n’a pas le choix.
paraître pour que tu t’occupes enfin de moi !
Isabelle poussa un soupir de désespoir

L
face à tant de mauvaise foi. Son mari la es parents de la fillette étaient
rejoignit : entourés par les gendarmes qui
– Elle se calmera et regrettera son éclat. dirigeaient les recherches. La mère,
Elle l’embrassa et sortit rapidement. Il effondrée, s’appuyait contre son mari. Un
entendit la voiture démarrer et s’éloigner. nourrisson était couché dans un couffin. Le
Alice boudait dans le salon. La journée pro- père relatait les faits d’une voix tremblante.
mettait d’être longue. La veille, la petite Manon, quatre ans, avait
profité d’une seconde d’inattention pour
s’éloigner de la maison.

I
sabelle atteignit dans un temps – Ma femme allaitait notre fils et moi je
record la caserne de la gendar- n’étais pas encore rentré du boulot. Quand
merie cynophile. Dans les chenils, Lisa, mon épouse, a voulu appeler Manon
les aboiements retentissaient, créant une pour le bain, elle n’était plus dans le salon.
certaine cacophonie. Elle but un café avec La baie vitrée était entrouverte. On l’a cher-
ses collègues tandis qu’on la mettait au cou- chée partout, mais elle n’était plus là.
rant de sa mission à venir. L’hélicoptère l’at- Un gendarme ajouta à l’attention de
tendait avec Rock, son malinois spécialisé l’équipe cynophile :
dans la recherche des personnes. Avec son – Ils nous ont contactés très vite, et avec l’aide
animal, elle formait un tandem fusionnel. des voisins, nous avons ratissé les alentours.
Elle avait foi en lui, en ses capacités, et lui Tout bas, pour que les parents n’en-
avait confiance en elle. tendent pas, Isabelle demanda sur un ton
Passionnée de chiens depuis son enfance, de reproche :
elle aimait son métier. Ses proches le savaient. – Pourquoi ne pas nous avoir appelés
Lorsqu’elle avait rencontré Valentin, elle plus tôt ? Vous avez piétiné un peu partout,
l’avait averti que son plus grand rival avait déposé vos odeurs et cela va compliquer le
des poils, quatre pattes et des oreilles en travail de mon chien.
pointe. À l’époque, elle travaillait avec un – On pensait qu’elle ne s’était guère écartée
berger allemand. Il avait accepté la concur- de la maison. On n’imaginait pas que la
rence de ce drôle de partenaire avec humour petite ait pu s’éloigner autant de son domi-
et philosophie. Il lui avait avoué qu’il préfé- cile.
rait qu’elle fasse équipe avec un compagnon La jeune maman était secouée de sanglots.
incorruptible, qui veillait sur elle avec dévo- Elle faisait peine à voir, avec ses yeux rougis
tion, plutôt qu’avec un beau gosse qui cher- et sa petite mine. La détresse de ces parents
cherait, peut-être, à la séduire. Il s’était donc la touchait, mais Isabelle devait rester pro-
habitué à côtoyer des canidés, car Andy, le fessionnelle et ne pas laisser l’émotion l’en-
berger allemand, avait goûté auprès d’eux à vahir.
une retraite bien méritée. Son départ avait – Nous allons tout faire pour retrouver
été un véritable drame pour la famille. votre petite Manon. Avez-vous un jouet ou
Le malinois l’accueillit avec un jappement un vêtement qui aurait son odeur ?
joyeux et elle le gratouilla entre les deux – Son ourson, elle l’adore et ne le quitte
oreilles, ce qu’il adorait. Il se dressa sur ses jamais.
épaules pour lécher son visage. Elle sourit : – Je vous promets d’en prendre soin.
– Tout doux, mon vieux, on n’a pas le temps Elle mit la longe à Rock et lui présenta la
de jouer. Toi et moi, on a du travail et il va peluche. Le chien huma le jouet, battit de la

9
Un partenaire extraordinaire

queue et, la truffe au ras du sol, commença Elle prit son portable et pianota sur les
à chercher la piste. touches pour annoncer à son mari que la
Le malinois avançait rapidement. Il suivit fillette était toujours portée disparue.
un sentier qui partait dans la forêt proche Rock était à ses côtés, attendant ses ordres.
du lotissement où vivaient les parents. Puis Elle s’assit près de lui et le caressa.
il hésita. Isabelle pesta. Évidemment, tous – Je sais que tu fais tout ce que tu peux,
les bénévoles et les policiers avaient par- mon chien.
couru ces lieux et le chien semblait perplexe Les gendarmes ratissaient les alentours
face à tant d’odeurs. Elle tendit à nouveau avec méthode. Rock n’avait eu aucune hésita-
le doudou à Rock qui repartit. Derrière eux tion pour les guider en ces lieux. Il était donc
marchaient les gendarmes. Mais Isabelle certain que l’enfant s’était aventurée jusque-
n’était attentive qu’à son chien qui parais- là. Peut-être était-elle tout près ? Isabelle
sait être plus sûr de lui. Il trottinait vite et espérait que ce n’était plus qu’une affaire
elle le suivait avec peine, malgré son entraî- de minutes pour la retrouver. La tempéra-
nement. Et puis, encore une fois, il stoppa ture commençait à baisser. Pour comble de
brutalement et regarda sa maîtresse avec malheur, la météo de cette fin octobre était
l’air de dire : « Je suis désolé. » maussade. D’habitude, dans cette région,
Isabelle le consola avec des caresses. l’été de la Saint-Martin prolongeait une sen-
Elle observa les environs. Le chemin était sation de beau temps, parfois jusqu’à la mi-
escarpé, la pente rude. Comment une gamine novembre.
si jeune avait-elle pu venir jusque-là ?
Elle s’adressa à Alexandre qui la rejoignait:

V
– Rock tourne en rond, il a perdu la trace. alentin avait reçu le message d’Isa-
Il y a eu trop de passage. Nos collègues belle et informa Alice que la petite
auraient dû nous faire intervenir bien plus fille restait introuvable et que sa
tôt. Bon sang, ils savent pertinemment que mère ne rentrait pas. Alice ne fit aucun com-
ce sont les premières heures qui sont les plus mentaire, mais sa colère n’était toujours pas
importantes. calmée. Elle s’étala sur le canapé et mit ses
– Ne t’énerve pas, Isa, on va la trouver. écouteurs pour ne pas entendre son père lui
Accordons une pause à Rock. reprocher d’agir en enfant gâtée et capri-
– Pas longtemps, à cette période de l’année, cieuse. Énervé par cette attitude puérile,
la nuit tombe vite. Valentin lui ôta le casque des oreilles :
Il y eut un silence, puis Isabelle reprit : – Ta maman fait un travail merveilleux et
– Je ne comprends pas que nous perdions toi tu te lamentes pour une virée dans des
la piste à cet endroit. Où cette gosse a-t-elle magasins. J’ai honte de toi, Alice. Ne peux-
pu aller ? Elle s’est comme volatilisée. Et tu pas imaginer combien les parents de cette
Rock semble inefficace. fillette doivent être affolés et mettent tous
– Ce n’est pas la faute de ton chien, Isabelle. leurs espoirs sur les gendarmes et le flair
Il a plu toute la nuit dernière, ajoute à cela des chiens ?
le passage répété des personnes venues en Sur ces derniers mots, il s’éloigna.
renfort. Il n’est guère étonnant que Rock Alice resta seule à ressasser les paroles
éprouve des difficultés avec son flair. de son père. C’était vrai qu’elle détestait le
– Je sais, je sais, mais je n’ose imaginer que boulot de sa mère, surtout lorsqu’il entravait
cette petite fille passe une deuxième nuit son petit confort personnel. Elle ressentait
dehors, surtout en cette saison. même de la gêne lorsqu’elle devait annoncer
Isabelle observa le ciel gris. La luminosité qu’un de ses parents était gendarme.
avait déjà bien baissé et elle pensa à l’in- Les mots résonnaient dans sa tête et elle
quiétude des parents qui attendaient, pleins se sentit lamentable en songeant à la petite
d’espoir. fille qui errait, perdue, blessée peut-être. Elle

10
imagina Isabelle encourageant son chien à – C’est bien, mon chien. Tu as pigé. Tu ne files
donner le meilleur de lui-même. que le parfum du jouet, tu ignores les autres.
Elle savait Rock capable de retrouver Tous deux progressaient dans le noir, seu-
l’enfant. Avec sa mère, ils formaient un duo lement éclairés de la lampe torche d’Isabelle.
exceptionnel. D’ailleurs, parfois, elle était Lorsque le malinois hésitait, elle lui tendait
jalouse du malinois, même si elle l’adorait. à nouveau le doudou et ils repartaient. Ils
Elle avait hérité du don d’Isabelle pour cheminaient lentement.
les animaux. Lorsqu’il venait à la maison,

‘‘
Rock n’avait de cesse de jouer avec elle, de
la suivre. Par contre, l’animal refusait toutes
les sollicitations de son père. Il ne montrait Elle savait Rock capable de
aucune agressivité, mais ne l’écoutait pas,
hermétique au moindre ordre de sa part, le retrouver l’enfant. Avec sa mère, ils

’’
toisait d’un air goguenard ou jouait le bel formaient un duo exceptionnel
indifférent. Si bien que Valentin, exaspéré,
hésitait, lorsque la retraite sonnerait pour le
malinois, à l’accueillir à la maison. Soudain, l’animal s’arrêta si brutalement
Cette rivalité entre ses deux hommes, qu’Isabelle, surprise, n’eut pas le temps de
comme les nommait en riant Isabelle, amu- l’imiter. Elle sentit le dénivelé sous ses pieds
sait la jeune femme. trop tard et chuta dans un cri. Sa tête heurta
une pierre et elle perdit connaissance.
Lorsqu’elle reprit conscience, Rock avait

L
a nuit n’allait pas tarder à inter- réussi à la rejoindre. Il était couché sur son
rompre les recherches. D’ailleurs, corps, la veillait et gémissait de la voir inerte.
Alexandre donnait déjà le signal, Il soufflait doucement sur sa bouche, comme
mais Isabelle ne pouvait se résoudre à laisser pour la ranimer. Elle leva sa main pour le
la petite Manon passer une nouvelle nuit à caresser. Elle avait froid et ignorait pendant
la belle étoile. L’enfant devait être terrifiée. combien de temps elle était restée évanouie.
Il était à craindre aussi qu’elle souffre de Elle voulut se redresser, mais une douleur
déshydratation et même qu’elle soit blessée. violente à la jambe lui arracha un hurlement.
Isabelle se tourna vers son collègue : Elle avait perdu sa lampe dans la descente
– Quand tout le monde aura quitté les et elle tâtonna dans la poche de sa veste
lieux, je voudrais faire sentir encore une pour trouver son portable. Évidemment, il
fois à Rock le doudou de la petite. n’y avait pas de réseau, mais elle pouvait
– Il va faire nuit, ce n’est guère prudent. constater les dégâts en s’éclairant avec son
– Laisse-moi juste un instant. Je vous téléphone. Alors qu’elle se redressait diffici-
rejoins très vite. lement, un reniflement se fit entendre. Elle
– OK, OK. De toute façon, quand tu as fouilla l’obscurité et aperçut, les joues toutes
décidé quelque chose, rien ne t’arrête ! barbouillées de larmes, la petite Manon,
Isabelle attendit que tous les participants assise par terre.
aux recherches soient suffisamment éloi- – Manon ? n’aie pas peur, je suis gendarme
gnés pour solliciter le flair de son chien. Elle et je te cherchais. Tu t’es fait mal en tom-
insista afin qu’il mémorise bien l’odeur et bant ?
qu’il distingue l’effluve sur lequel il devait se – Non, mais j’ai froid et j’ai faim, j’ai soif,
concentrer. Elle voulait éviter qu’il ne s’égare murmura la fillette, la voix pleine de san-
sur les différentes fragrances, comme durant glots. J’ai peur aussi. Je veux ma maman.
la journée. – Je sais, bientôt tu la verras et tu lui feras
Rock sembla comprendre, car il fit quelques un gros câlin. Tu n’es plus seule, je suis
mètres et redemanda à renifler le doudou. là maintenant. Approche-toi de moi, je te

11
Un partenaire extraordinaire

donnerai ma veste. Je ne peux pas bouger, exercices de respiration. Elle défit sa cein-
je crois que je me suis fait mal à la jambe. ture et se confectionna un garrot, tout en
L’enfant semblait hésiter. Isabelle comprit priant pour que ses collègues, ne la voyant
que la taille de Rock et l’aspect qu’il devait pas revenir, partent à sa recherche.
avoir dans le noir devaient la terrifier. Isabelle se traîna difficilement près de
– Ne crains rien, Rock est gentil. C’est lui l’enfant et du chien. Le malinois s’était
qui t’a retrouvée, grâce à ton doudou. couché et contre lui se blottissait Manon,
– C’est un loup ? Il est méchant ? totalement en confiance. La jeune femme se
– Non, c’est un chien très gentil. Je te pro- cala elle aussi contre son chien pour profiter
mets qu’il ne te fera rien. de sa chaleur.
Manon s’approcha doucement, sans quitter – Mon doudou ?
des yeux le malinois. Quand elle fut près Isabelle l’avait perdu dans sa chute.
d’Isabelle, cette dernière ôta sa veste et – On le trouvera lorsque le jour se lèvera,
l’enveloppa. Rapidement, elle vérifia que la je te le promets. Rock est très fort à ce jeu.
petite ne souffrait d’aucun traumatisme. Elle En attendant que mes amis viennent nous
portait quelques écorchures sur les mains et chercher, il faut dormir. Mon chien va te pro-
le visage, mais rien de grave. Constatant que téger. Tout va bien se passer.
la fillette n’était toujours pas rassurée par Manon, la tête posée sur le ventre du mali-
la présence du chien, elle lui prit la main et nois, s’endormit très vitre, son pouce dans
l’approcha du museau de Rock. Ce dernier la bouche. Isabelle était inquiète. Le garrot
renifla l’enfant et remua la queue. ne suffisait pas et elle était gelée. Elle cla-
– Regarde comme il est doux. Il aime les quait des dents. Rock, les yeux fixés sur elle,
caresses. veillait.
Enhardie, Manon toucha le chien qui entre- – Mon Rocky, tu es une vraie nounou !
prit de lécher son visage. Définitivement Heureusement que tu es là.
sécurisée, la petite fille éclata de rire et Elle sentait ses forces la quitter et pour-
passa ses bras autour du cou du malinois tant elle devait résister et ne pas somnoler.
qui se laissa faire. Isabelle put enfin s’oc- Surtout ne pas s’endormir, elle se répétait
cuper de sa blessure. Dans son désir de tran- cette phrase comme un leitmotiv… Elle trem-
quilliser l’enfant, elle avait presque oublié blait de froid. Sans sa veste, elle ne tiendrait
la douleur qui irradiait tout le long de son pas longtemps. Les larmes venaient à nou-
membre inférieur. Elle jeta un coup d’œil à veau. D’un geste rageur, elle essuya ses yeux
sa jambe qui décrivait un angle bizarre. Elle embrumés. Elle ne devait pas craquer, pas
eut un haut-le-cœur en apercevant l’os qui maintenant.
avait déchiré la peau. Elle souffrait d’une
fracture ouverte. Elle perdait beaucoup de

A
sang et elle devait juguler l’hémorragie au lexandre pestait contre sa col-
plus vite. Il ne fallait surtout pas paniquer. lègue. Elle tardait malgré sa
Elle avait suivi des cours de survie, pourtant promesse. Et cela l’inquié-
là, dans la nuit glaciale, au milieu de nulle tait. Isabelle était un bon élément et res-
part, blessée gravement, elle aurait presque pectueuse de la discipline. Il regarda une
sangloté de désespoir si elle avait été seule. nouvelle fois sa montre. Pour comble de
Mais Manon était près d’elle. Elle ne pouvait malheur, le brouillard se levait et une pluie
se permettre de montrer le moindre signe fine commençait à tomber.
de peur, sinon la petite recommencerait à De son côté, Isabelle perdait la notion du
pleurer. Or, la présence de Rock, pour l’ins- temps. Elle était de plus en plus glacée, sa
tant, semblait réconforter l’enfant. jambe saignait toujours. Elle savait qu’elle
Elle s’efforça de calmer l’affolement qui ne pourrait attendre jusqu’au matin les
montait en elle en effectuant quelques secours. Elle devait trouver une solution.

12
Sa seule chance de survie était Rock. Il sur sa longe comme un fou. Enfin, lorsqu’il
était très intelligent, voire génial, et elle fut près de la cavité, Rock freina, se posi-
était persuadée qu’il était capable de partir tionna face au groupe, montra les dents tout
chercher de l’aide. Elle voulut bouger, se rap- en émettant un grondement, comme pour
procher de son chien pour lui donner l’ordre les inciter à s’arrêter.
de rejoindre Alexandre, mais la douleur lui – Qu’est-ce qui lui prend à Rock de nous
coupa le souffle et elle défaillit sans pouvoir menacer ainsi ? demanda un gendarme.
proférer le moindre mot. Elle sombra peu à – Il a certainement une bonne raison.
peu dans l’inconscience sans avoir pu mettre Isabelle a un tel feeling avec ses chiens qu’ils
son plan à exécution. parleraient presque. Et Rock est un excellent
sujet. Je suis sûr qu’il nous avertit d’un éven-
tuel danger.

R
ock releva la tête, aux aguets. Alexandre balaya le sol du faisceau de sa
Manon dormait contre lui. Sa maî- lampe et aperçut l’ouverture béante. Tout
tresse était à nouveau inanimée. Il en flattant le malinois pour le récompenser,
se déplaça doucement, sans que l’enfant ne il appela :
s’éveille. L’animal lécha le visage, les mains – Isabelle ? Isabelle ?
d’Isabelle. Elle n’eut aucune réaction. Il la Rock gémissait. Une petite voix enfantine
poussa de son museau pour la réveiller, mais se fit entendre :
ses efforts restèrent vains et il la contempla – Le loup ? C’est toi ?
d’un air désolé. Il la renifla, émit un petit Alexandre, éclairé par ses hommes, des-
jappement. Mais Isabelle ne bougeait tou- cendit prudemment et trouva la petite
jours pas. Il l’observa encore un instant. Il Manon, engoncée dans le manteau d’Isa-
leva la tête et entreprit soudain de se jeter belle, qui se frottait les yeux.
contre la paroi pour l’escalader. Cependant, – La dame, elle est malade.
la montée était raide, le trou profond. Il Il tourna la tête et aperçut sa collègue ina-
tomba, essaya de nouveau, retomba. La pluie nimée, son pantalon plein de sang. Il comprit
rendait difficile son ascension. Son combat que le temps était compté. Heureusement, les
dura de longues minutes et enfin il parvint pompiers, prévus pour la fillette, n’étaient
après bien des échecs à s’extraire de la fosse. guère loin, et Isabelle et Manon furent rapi-
Il haletait, à bout de souffle, mais il ne prit dement transportées à l’hôpital.
pas le temps de se reposer. Il s’éloigna rapi- Alexandre s’occupa de Rock, qui voulait
dement. Dans son raisonnement canin, il ne à tout prix monter dans l’ambulance avec
pensait qu’à trouver Alexandre. sa maîtresse. Un des gendarmes s’exclama :
Rock galopait dans la nuit sans aucune – Je suis sidéré par l’attitude de ce chien !
hésitation. Sa maîtresse avait besoin de Isabelle peut en être fière.
lui, ainsi que la petite fille. Il aimait trop – Elle l’est ! Elle adore son Rock. Et vrai-
Isabelle pour la perdre. Il avait senti qu’elle ment, aujourd’hui, il a accompli une magni-
était faible. Son instinct lui dictait de se fique démonstration de tout l’amour qu’il
presser. porte à sa maîtresse.
Il arriva aux voitures où Alexandre et ses
hommes attendaient la jeune femme. Quand

L
il vit le malinois, tout crotté, débouler seul, orsque le téléphone sonna, Valentin
en aboyant de façon anormale, il comprit s’était endormi devant la télé. Il
qu’il y avait une urgence. Tandis que ses col- sursauta et décrocha, persuadé
lègues se munissaient de lampes, Alexandre qu’Isabelle annonçait que tout allait bien,
attacha Rock afin qu’il ne les sème pas et la que l’enfant était retrouvée, qu’elle rentrait.
petite troupe s’enfonça dans la nuit noire. Ils – Allô, c’est Alexandre.
marchaient au pas de course, le chien tirant Un grand froid pénétra Valentin.

13
Un partenaire extraordinaire

– Que se passe-t-il ? – Elle va se remettre ?


Il criait presque, et tandis que le collègue – Nous sommes confiants, l’intervention
de sa femme lui relatait les faits, il blêmissait s’est bien passée. Sa constitution de spor-
d’inquiétude. Il n’était pas médecin, mais tive est un atout non négligeable.
savait qu’une fracture ouverte était une bles- Valentin hocha la tête, il ne voulait que
sure sérieuse. retenir les points positifs.
Isabelle étant en soins intensifs, ils ne
purent rester à son chevet.

U
n instant plus tard, il entrait dans la – Nous devrions aller voir Rock, murmura
chambre de sa fille. Cette dernière Alice. Lorsqu’elle va se réveiller, maman
se réveilla en sursaut et, devant la demandera de ses nouvelles.
pâleur de son père, prit peur. Son père acquiesça. Il n’avait guère envie
– Papa, que se passe-t-il ? de s’éloigner de sa femme, mais sa fille avait
– C’est maman. Il y a eu un problème. Elle raison. Isa s’inquiéterait de son partenaire
est à l’hôpital. Elle est tombée dans un ravin canin dès son réveil. Le malinois avait tout
et elle a une vilaine fracture à la jambe. Son fait pour sauvegarder la vie de la jeune
état est sérieux mais, ajouta-t-il précipitam- femme et de la petite fille.
ment, voyant Alice chanceler sous le choc,
elle va s’en sortir. Les médecins sont en train

R
de l’opérer et tu connais la combativité de ock était dans son box et ses yeux,
maman, elle ne va pas baisser les bras. d’habitude espiègles et lumi-
Alice éclata en sanglots et se jeta contre neux, étaient tristes. Pourtant, il
son père. Il lui caressa les cheveux, tentant se leva à leur approche. Contrairement à
de calmer le flux de larmes qui submergeait son habitude, il ne fit pas la fête à Alice.
sa fille. Lui-même avait une boule dans la Il vint à elle doucement, quémanda une
gorge, mais pour l’adolescente, il devait caresse et se recoucha, le regard éteint, la
cacher l’angoisse qui le terrassait. tête sur ses pattes avant, comme s’il atten-
Dans la voiture qui les emmenait, le silence dait Isabelle. Il poussait de petits gémisse-
régnait. Tous deux étaient plongés dans leurs ments plaintifs. L’adolescente lui murmurait
pensées. Alice ressassait la scène qu’elle à l’oreille des mots de réconfort qu’il sem-
avait eue avec sa mère avant son départ et blait apprécier. Il n’eut pas une attention
s’en voulait terriblement de son attitude. Son pour Valentin, mais ce dernier ne s’étonna
père tentait de la rassurer, mais elle voyait pas. Cependant, aujourd’hui, il tenait à lui
bien qu’il était inquiet. montrer sa reconnaissance et à le féliciter
Le flash info à la radio locale avait annoncé pour son dévouement. Il se pencha et le
que la petite Manon avait été retrouvée saine flatta entre les oreilles. Rock se laissa faire,
et sauve et qu’elle ne souffrait que de dés- tout en l’observant les yeux mi-clos et, alors
hydratation et de quelques écorchures. Le qu’il se redressait, le chien lui lécha la main.
journaliste avait salué le travail des forces C’était la première fois et Valentin comprit
de police. Il avait aussi souligné celui de la que le malinois l’acceptait enfin. Peut-être
gendarmerie cynophile. Alice se sentit misé- que l’animal, malheureux de ne pas voir
rable en se remémorant combien elle déni- Isabelle, avait décidé de lui faire confiance.
grait le métier de sa maman. Il lui caressa à nouveau la tête et, laissant
Le médecin qui s’était occupé d’Isabelle sa fille avec le chien, il partit rejoindre les
les reçut. collègues de son épouse.
– Votre femme a été opérée dès son arrivée. Alexandre lui expliqua comment sa femme
Elle présentait une fracture ouverte à la s’était retrouvée dans une telle situation.
jambe droite et elle a perdu beaucoup de sang. – Nous avions arrêté les recherches à
Heureusement, elle a été retrouvée à temps. cause de l’obscurité. Mais Isabelle n’a pu se

14
résoudre à abandonner la fillette et elle m’a Il était inutile de lui apprendre que le mali-
dit qu’elle voulait juste faire sentir à nou- nois, déprimé, refusait la plupart du temps
veau le doudou de la gosse à Rock, en res- sa gamelle. Il grignotait, lui si goinfre d’ha-
tant seule avec lui sur la zone. bitude. Valentin ne souhaitait surtout pas
– Elle n’aurait jamais dû partir ainsi à qu’Isabelle se fasse du souci pour son chien.
l’aveuglette. Elle devait se concentrer sur sa santé et sur
– Tu sais, on fouillait depuis le matin à la rééducation qui l’attendait.
l’aube. Je comprenais sa frustration de

‘‘
n’avoir pas encore localisé Manon. Tu
connais Isabelle, elle ne pouvait accepter
un échec. Je m’en veux de ne pas lui avoir Il est devenu un véritable héros
intimé l’ordre de rentrer.
– Je me demande si elle t’aurait obéi. à la caserne, et je crois qu’il adore

’’
Quand elle a une idée derrière la tête, diffi- sa nouvelle notoriété
cile de la lui faire abandonner.

Q
uand un matin le kiné lui apporta

I
sabelle s’éveilla sans comprendre une canne, Isabelle l’observa avec
où elle se trouvait. Les souvenirs lui hostilité. Elle ne pouvait envisager
revinrent et elle voulut se redresser, de finir dans un bureau à faire de la pape-
mais une douleur fulgurante à la jambe lui rasse. Elle voulait reprendre son travail de
coupa le souffle. Elle se laissa retomber sur gendarme sur le terrain avec son chien.
l’oreiller dans un gémissement. Alors, elle serrait les dents, exécutait les
– Isabelle ? Isabelle ? exercices malgré la douleur et retenait
– Maman ? Tu es réveillée ? ses larmes lorsque les progrès étaient plus
Elle ouvrit les yeux et vit son mari et sa lents que ce qu’elle avait imaginé. C’était
fille, penchés sur elle, qui la fixaient l’air seule, dans sa chambre, qu’elle s’autori-
anxieux. sait à pleurer sur son sort. Les séances de
– Reste calme, j’appelle un médecin. Tu as rééducation n’avaient pas à ses yeux les
été blessée, ne bouge pas. résultats escomptés et Isabelle, malgré sa
– Rock, balbutia-t-elle. bonne volonté, sentait son moral chuter. De
Valentin et Alice se regardèrent, amusés plus, par une indiscrétion d’un collègue, elle
malgré eux. Ce fut la jeune fille qui ren- avait appris que son chien vivait mal son
seigna sa mère : absence. Elle avait l’impression que sa vie
– Il va bien. Nous sommes allés le voir. Il se lui échappait et qu’elle était devenue une
languit de toi et je crois que tes collègues sont simple spectatrice de son destin.
impatients que tu retournes t’en occuper, Elle l’avoua à son mari, un soir où la
tant il joue le cabotin en ton absence. journée avait été particulièrement difficile.
Isabelle esquissa un sourire et se détendit. Elle profita du fait qu’il était venu la voir
– Il nous a protégées et réchauffées, mur- seul, sans Alice, pour lui confier ses doutes.
mura-t-elle. Et il a pris l’initiative de partir – Je n’y arrive pas, ma jambe est raide
chercher du secours. comme un bout de bois. J’ai peur d’être
Sa voix était encore faible, mais sa lucidité estropiée pour le restant de mes jours.
était revenue. Les larmes pointaient à nouveau. Valentin
Valentin acquiesça : perçut la fragilité de sa femme et sa terreur
– Oui, il est devenu un véritable héros à de ne pas retrouver sa vie d’avant. Il l’en-
la caserne et je crois qu’il adore sa nouvelle laça, la serra contre lui pour la réconforter.
notoriété. Lui et moi avons fait la paix. Nous – Ne dis pas de bêtises ! C’est normal,
sommes à présent de grands amis. Isa, que tu éprouves des difficultés. Tu n’as

15
Un partenaire extraordinaire

commencé ta rééducation que depuis quelques – Si tu n’étais pas venu, j’étais décidé à
jours, il faut laisser du temps au temps… appeler Isabelle avec son chien près de
Et comme sa femme gardait un air sombre, moi. Comme tous les malinois, Rock est très
il questionna : proche de sa maîtresse et il est malheureux
– Que dit Jean, ton kiné ? et très anxieux parce qu’il ne la voit pas.
– La même chose que toi, que ma démarche – Il ne mange pas mieux ?
s’améliore, que je suis trop impatiente, mau- – Il a maigri et le véto n’est pas content. On
gréa-t-elle. Tu parles ! Je ne marche pas, je a essayé de le sortir, de le distraire, mais il
me dandine comme un canard boiteux. refuse de quitter son box. Il attend Isabelle,
– Crois-moi, si tes progrès n’étaient pas conclut Alexandre.
satisfaisants, Jean te le dirait. – Puisque tu es là, nous pouvons l’appeler
– Je ne sais pas, j’ai l’impression que beau- maintenant.
coup de monde me ment, en ce moment… – Allons voir Rock.
Valentin la regarda sans comprendre. Lorsqu’il entendit sa maîtresse, le malinois
– Que veux-tu dire ? manifesta sa joie en poussant de petits jappe-
– J’ai appris que Rock n’allait pas aussi bien ments, sa queue battant l’air comme un mou-
que toi et Alice me l’aviez affirmé. linet. L’œil soudain plus vif, il avait l’oreille
– Il est seulement triste. collée au portable, et écoutait attentivement
– Je connais mon chien. Dans sa tête, il doit les mots d’Isabelle. Tout à coup, il lécha
imaginer que j’ai disparu de la circulation. l’écran, y laissant une large trace baveuse.
Tu sais, j’ai pensé que tu pourrais aller le voir Résigné, Valentin l’essuya avant de reprendre
et lui mettre le téléphone à l’oreille. Ainsi, l’appareil, afin d’affirmer à sa femme que
il entendrait ma voix et il serait rassuré. son chien avait apprécié la conversation.
Son mari la fixa comme si elle était – Il a badigeonné mon téléphone avec sa
devenue folle. langue, se plaignit-il.
– Tu veux que j’aille à la caserne, et que Isabelle éclata de rire. Elle imaginait son
je demande à voir ton chien pour que tu mari tenant son portable d’un air dégoûté.
puisses l’appeler !? Mais tes collègues vont – Je dois te laisser, c’est l’heure de ma
me prendre pour un cinglé ! séance avec Jean. Je t’aime, Valentin. Merci
– Bien sûr que non, protesta Isabelle. Ils pour ta patience.
comprendront. – Travaille bien ma chérie et ne te fais plus
Mais un éclair de malice éclairait son regard. de souci, ton équipier me paraît bien revi-
– Je n’oublie pas que je lui dois la vie, reprit- goré depuis ton coup de fil.
elle. Et puis, c’est mon coéquipier, il faut que je De fait, le malinois semblait plus fringant.
prenne soin de lui. C’est normal que je m’in- Alexandre joua un instant avec lui, puis il
quiète pour sa santé. Lui, il mourrait pour moi! raccompagna Valentin jusqu’à sa voiture.
– Je sais, concéda son mari. Je vais voir
ce que je peux faire. J’appellerai Alexandre.

L
– Merci beaucoup. a rééducation d’Isabelle continuait.
– Heureusement que Rock est un chien, Les visites coupaient la monotonie
sinon je crois que je serais devenu jaloux de des journées. Les parents de la fil-
ce partenaire si parfait ! lette étaient venus la voir afin de la remer-
– Idiot, sourit-elle. cier.
Gênée par leur reconnaissance, elle leur
avait confié :

V
alentin soumit l’idée à Alexandre. Il – C’est surtout mon chien que vous devez
était persuadé que ce dernier allait féliciter. Il nous a sauvées toutes les deux.
se moquer de lui, mais le gendarme – Manon tenait à embrasser le loup qui
le surprit en déclarant : a dormi près d’elle. Vos collègues nous ont

16
permis de lui apporter une friandise. Nous – Mais que fais-tu là, mon grand ? Oui, tu
vous devons tellement à tous les deux ! m’as manqué aussi, mais qui t’a amené ?
– Je n’ai fait que mon devoir. C’est gentil Alors, levant la tête, elle aperçut ses col-
d’être venus me rendre visite. Embrassez lègues, Valentin et Alice, ses parents qui
Manon pour moi. applaudirent, tout en lui souhaitant un bel
Son anniversaire approchait et elle s’était anniversaire.
résignée à fêter ses quarante ans au milieu Tendrement, son mari la prit dans ses bras
d’autres éclopés qui, comme elle, bataillaient et lui murmura :
pour retrouver une certaine autonomie. Ce – Bon anniversaire, ma chérie.
n’était pas ainsi qu’elle avait pensé célébrer Sa fille lui sauta au cou.
cette nouvelle décennie. Si seulement elle – Tu sais, maman, cela a été dur de garder
pouvait abandonner cette maudite canne ! le secret.
Mais sa jambe n’était pas encore suffisam- Isabelle éclata de rire, les serra contre elle.
ment sûre pour se passer de cet appui. Son – Merci, merci pour cette merveilleuse
kiné avait beau lui seriner qu’elle avait fait surprise. Merci aussi à vos complices. Je
de gros progrès, elle trouvait que les amélio- n’imaginais pas vivre un tel moment de pur
rations n’étaient pas à la hauteur des efforts bonheur ce matin lorsque je me suis levée.
fournis. Dans un coin du jardin, sous un platane,
se dressait une table sur laquelle on avait
déposé de délicieux gâteaux et de quoi boire

E
n se réveillant, Isabelle essaya de ne à sa santé. Elle convia ses partenaires de
pas penser qu’elle avait quarante ans, rééducation, avec qui elle s’était liée, à se
et qu’au lieu de la belle fête avec ses joindre à eux. Ce fut un bel après-midi.
amis et sa famille, elle était toute seule. Rock ne la quittait pas, restant près d’elle.
Quand son mari et sa fille l’appelèrent, elle Lorsqu’il s’était aperçu qu’elle ne marchait
s’efforça de paraître enjouée alors qu’une pas très bien, il s’était fait attentif, moins
vague de cafard la submergeait. En ce début brutal dans ses démonstrations d’affection.
d’après-midi, elle rejoignit, sans trop d’en-
thousiasme, son kiné pour sa séance.

C
– Bonjour, Isabelle, si tu veux bien, nous e fut avec émotion qu’Isabelle
allons travailler dans le parc. regarda partir tous ceux qui étaient
Elle acquiesça d’une mine heureuse, car venus jusqu’à son centre de réédu-
cette initiative la coupait de la routine. Jean cation lui prouver leur amitié et leur amour.
s’effaça tout en lui tenant la porte. Même Ils lui avaient offert la plus belle fête d’anni-
si elle était plus à l’aise à présent dans sa versaire de son existence. Surtout, elle avait
démarche, elle se méfiait du sol inégal du conscience que, sans son chien, elle n’aurait
jardin. peut-être jamais vécu ce jour.
Elle était à peine sortie qu’une tornade Rock avait un peu grogné lorsqu’il avait
fauve et charbonneuse se précipita sur elle. compris qu’il repartait sans elle. Elle l’avait
Jean eut juste le temps de la retenir pour longuement caressé en lui promettant que
lui éviter la chute. Avant qu’elle ne saisisse très vite elle serait de retour près de lui.
ce qui passait, Rock, fou de joie à la vue de Elle regagna sa chambre, pleine d’une
sa maîtresse, avait bondi si soudainement nouvelle énergie pour affronter le lende-
qu’Alexandre, pris par surprise, n’avait pu main et les séances de kiné. Elle savait que
le contenir. bientôt elle retrouverait sa maison, sa famille
Le malinois lui léchait le visage, les mains, et réintégrerait ce travail qu’elle aimait tant,
les bras. Il poussait des petits cris de plaisir. assistée de son fabuleux partenaire canin.
Elle l’enlaça, moitié riant, moitié pleurant
d’émotion. FIN

17
Patrimoine religieux

Sur la place
de la Commune-de-Paris,
la basilique cathédrale
s’anime de rose.

Notre-Dame de Saigon
joyau de l’architecture coloniale
Au Viêtnam, en plein cœur de Hô Chi Minh-Ville, l’ancienne Saigon,
se dresse l’un des plus magnifiques monuments réalisés par les Français durant
la colonisation. Une cathédrale qui concentre le savoir-faire de nos régions.

A
vec sa couleur rouge orangé, ÉrigéeàlafinduXIXe siècle,Notre- les autorités vietnamiennes mul-
ses deux clochers et son Dame apparaît comme un héritage tiplient les persécutions. De nom-
immense statue de la Vierge de presque cent ans de colonisa- breux missionnaires chrétiens sont
qui semble monter la garde pour la tion de la France en Cochinchine, alors torturés et exécutés. Les
protéger, Notre-Dame de Saigon la partie sud de l’actuel Viêtnam. troupes françaises interviennent
ne passe pas inaperçue dans Dès le XVIIe siècle, des mission- pour leur venir en aide. Après la
le paysage urbain vietnamien. naires français jésuites s’implantent conquête de Saigon, en 1859, elles
Incontournable pour les touristes, au Vietnam pour évangéliser ses s’emparent de toute la Cochinchine
la basilique cathédrale constitue habitants, qui ont pour religion dès 1862. C’est le prélude à près
un lieu de culte très fréquenté par un mélange entre bouddhisme et d’un siècle de domination française
les expatriés et les quelque 6 mil- confucianisme. En 1658, le pays au Viêtnam (l’indépendance sera
lions de chrétiens locaux, soit plus compte déjà 300000 catholiques. proclamée en 1954). Soucieuses
de 6 % de la population du pays. Mais, au milieu du XIXe siècle, d’inscrire leur empreinte jusque

18
par Karine Touboul

dans la pierre, les autorités colo- et même les vis. Les tuiles, pré-
niales françaises entreprennent sentes sur la façade du bâtiment
la construction de nombreux édi- et dont la couleur évoque «la Ville
fices. Saigon se voit d’ailleurs rose» de Toulouse, sont fabriquées
surnommée «Le petit Paris de l’Ex- à Marseille. Les ateliers d’artisa-
trême-Orient ». Parmi les monu- nat d’art français les plus presti-
ments les plus emblématiques: la gieux sont mis à contribution. Une
poste centrale, qui ressemble à s’y cinquantaine de vitraux sont créés
méprendre à une gare européenne par les ateliers Lorin, à Chartres.
et dont la charpente métallique a Dès 1895, deux clochers, conçus
été conçue par Gustave Eiffel, l’Hô- par l’architecte Paul Gardès – déjà
tel de Ville, qui évoque son homo- à l’origine de l’Hôtel de Ville de

PHOTOS ISTOCK (X 2)
logue parisien ainsi que l’Opéra, Saigon – viennent orner la cathé-
dont la façade extérieure s’inspire drale. D’une hauteur de près de
de celle du Petit Palais de Paris. 60 mètres, visibles depuis la mer,
ils ont longtemps constitué le point
En 1877, pose culminant de la ville.
de la première pierre À l’intérieur se mêlent les styles
gothique et néo-roman. Ces clochers abritent 6 cloches
Le gouvernement français décide de bronze, fabriquées par la fon-
aussi de construire une église à Colombert, l’évêque de Saigon, derie Bollée, située à Saint-Jean-
Saigon. Il s’agit d’offrir un lieu de pose la première pierre du monu- de-Braye, près d’Orléans. Chacune
culte aux colons et aux convertis, ment. Moins de trois années plus porte comme nom celui de la note
dont le nombre croît. Au départ, tard, le 11 avril 1880, c’est lui qui de musique qu’elle produit: sol, la,
une petite pagode abandonnée inaugure Notre-Dame de Saigon si, do, ré, mi. Aujourd’hui, seule Do
fait office d’église. Très vite, elle à l’occasion des célébrations de sonne tous les jours. Le carillon,
se révèle trop étroite pour accueil- Pâques. L’évêque prononcera un quant à lui, est réservé aux grandes
lir l’ensemble des croyants. Le gou- discours univoque: «En établissant occasions, notamment à Noël. Un
verneur de Cochinchine décide sa domination sur ces rivages loin- émerveillement pour les oreilles,
alors d’ériger une église en bois, tains, la France ne pouvait être infi- puisqu’il se fait entendre à 10 kilo-
le long du canal Charner (comblé dèle à sa vocation, ni oublier ses mètres à la ronde!
depuis, il a laissé place à un grand traditions chrétiennes. Elle avait À l’intérieur, sur l’autel principal
boulevard). Le chantier démarre en montré à ce peuple annamite la en marbre sont gravés 6 anges.
1863 et s’achève deux ans plus puissance de ses armes et la gran- La nef contient une riche collec-
tard. Mais, au bout de quelques deur de sa civilisation. Elle devait tion de colonnes, représentant
années, l’édifice est endommagé également établir à ses yeux, par les 12 apôtres. Sur le parvis, au
par les termites. Finalement, les une preuve manifeste, la supério- centre d’un petit square, une sta-
offices se tiennent dans le salon rité de sa religion. Elle devrait l’em- tue en granit blanc de la Vierge
des invités du Palais du gouverneur. porter sur les temples de l’erreur Marie, haute de près de 5 mètres,
Une situation forcément provisoire. et notre patriotisme peut consta- semble veiller sur la ville. Elle tient
En 1876, un concours est orga- ter avec joie que, nulle part sur le entre ses mains un globe terrestre
nisé pour choisir l’architecte de la continent asiatique, le voyageur surmonté d’une croix, d’où son
future cathédrale. Parmi les 18 pro- ne rencontrera un seul temple du nom de Notre-Dame-de-la-Paix.
jets avancés, c’est celui du Français protestantisme comparable à cette Créée à Rome par le sculpteur ita-
Jules Bourard qui est retenu. Ses église catholique.» lien Giuseppe Ciocchetti, elle a été
plans se basent sur le modèle de érigée en 1959. Trois ans plus tard,
la cathédrale Notre-Dame de Paris,
Cathédrale made in France le pape Jean XXIII confère à Notre-
dans un gabarit plus modeste, et La quasi-totalité des matériaux Dame le titre de basilique. Elle
allient le gothique au néo-roman. de construction sont acheminés devient alors la basilique cathé-
Le 7 octobre 1877, Mgr Isidore de France: le ciment, l’acier, le fer drale Notre-Dame de Saigon.

19
Santé pratique par Élisabeth Carrera

Stress, anxiété, angoisse :


apprenez à les différencier et à les maîtriser
Le stress, l’angoisse, l’anxiété sont des réactions naturelles qui peuvent
créer des symptômes difficiles à vivre au quotidien lorsqu’ils se répètent trop souvent.
Nervosité, troubles de la mémoire ou du sommeil, difficulté à respirer, sautes
d’humeur… identifier ces signes permet de les apprivoiser et de retrouver la sérénité.

C
e sont trois états de peur peurs. L’une est l’instinct de sur- comme douloureux, avec la sen-
qui se manifestent à des vie, c’est celle de l’animal qui fuit sation d’un désarroi profond et
degrés différents : le stress, pour échapper à son prédateur, sans fin. Ce stade de l’angoisse
l’anxiété, puis l’angoisse vont cres- celle du piéton qui va, d’instinct, peut donner lieu à des crises.
cendo. Un stress vécu chaque jour sans réfléchir, faire un écart pour L’angoisse se manifeste notam-
devient chronique et aboutit à un éviter un véhicule qui surgit au ment dans les phobies comme
état anxieux. L’anxiété qui s’ins- coin de la rue. Face à cette situa- l’agoraphobie – la peur de sortir
talle peut aussi devenir chronique tion qui fait naître la peur, c’est le de chez soi – et la claustrophobie
et déboucher sur des angoisses qui corps qui réagit en « pilote auto- – la peur des lieux clos – qui sont
peuvent, là encore, prendre place matique ». Mais, une fois le danger des peurs intenses avec tentative
dans le quotidien, sans que la cause éloigné, une autre peur émerge et d’éviter les situations où ces pho-
ne soit forcément apparente. souvent s’installe en nous. Issue bies se manifestent. Son intensité
Ces états, dès lors qu’ils s’expri- de notre imaginaire, elle est une grimpe jusqu’à la terreur.
ment souvent, génèrent mal-être, « construction mentale » que la per-
fatigue, démotivation, épuisement, sonne conserve face à l’inconnu,
Détendez-vous !
surmenage. S’ensuivent des diffi- générant un sentiment d’insécu- L’accumulation d’épisodes de
cultés de concentration, des pertes rité : la peur de tomber malade, de stress, d’anxiété et d’angoisse ne
de mémoire et d’efficacité, des perdre un parent, un ami, son tra- permet plus à l’organisme de faire
insomnies… la liste est longue et vail ou d’être un jour bel et bien face. Pour le sortir de ces états, il
mène à des troubles de la santé et renversé par un véhicule que l’on est nécessaire « qu’une informa-
au burn out. Celui-ci est souvent n’aura pas su éviter. tion rassurante prédomine pour
décrit comme un syndrome d’épui- À force d’entretenir des pensées permettre au corps de récupé-
sement professionnel extrême, or négatives et d’anticiper les situa- rer de ses tensions et pour apai-
il concerne aussi la sphère privée. tions difficiles, un état de peur dont ser le mental », indique le médecin.
Cet engrenage commence par on ignore le plus souvent la raison Il suggère une attitude applicable
le stress, le premier degré de ces s’installe en nous : c’est le stade de par tous au quotidien : « Bien assis
manifestations psychologiques et l’anxiété. Prisonnière de cette peur au fond de votre canapé, au calme,
physiques. Le stress regroupe « un qui peut surgir à tout moment, la avec de la musique douce ou votre
ensemble de réactions d’adapta- personne est alors incapable de boisson favorite, votre cerveau per-
tion corporelle dans le but d’adap- vivre l’instant présent de manière çoit la situation détendue et vos
ter l’organisme à répondre à une sereine. L’anxiété, à ce stade, est muscles se relâchent. Il informe
situation nouvelle », explique le déjà un état d’angoisse moyenne. aussi les centres émotionnels qui
Dr Bernard Anselem (1), spécia- Sa constance peut conduire à un diffusent alors cette bonne nou-
liste en neuropsychologie. Le état d’angoisse élevée. La per- velle au reste du cerveau. Nous
stress provient de deux types de sonne ressent alors son vécu voyons alors le monde autrement,

20
Comprendre
et gérer ses émotions
permet de résister
aux situations de stress.
ISTOCK

plus calmement. Ce mécanisme va le cerveau émotionnel. Fixer ainsi acceptant tous nos ressentis sans
être favorisé et amplifié par toutes son attention sur le ressenti de son les juger, nous désamorçons cette
les techniques de relaxation » : corps permet de calmer le mental, machine à ruminer que nous met-
yoga, méditation, sophrologie… de s’ancrer dans le moment pré- tons en route chaque fois que nous
Elles ont pour point commun d’an- sent et de dissiper la peur. portons un jugement négatif».
crer la personne dans l’instant pré- Une autre astuce consiste à Le moment où l’on se sent
sent, à l’écoute de ses ressentis. se concentrer sur sa respiration détendu, sans stress ou presque,
et ressentir l’air entrer par ses sans épisode d’anxiété ni d’an-
Vivez l’instant présent
narines, puis gonfler son tho- goisse, devient le «bon» moment
Le présent est la clef pour se sor- rax et son ventre avant d’expirer pour commencer un travail sur soi,
tir des états de stress, d’angoisse, en ressentant chaque étape, en plus en profondeur. L’objectif est de
d’anxiété. Il est le seul temps sur conscience. Cette mise au pré- sortir définitivement de ce cercle
lequel nous avons prise. Se placer sent permet de « développer une infernal qui conduit du stress à
dans l’instant présent est l’unique capacité de prise de distance par l’anxiété, puis à l’angoisse. Il faut
action possible, mais la simple rapport aux pensées et aux émo- apprendre à mieux connaître ces
volonté ne suffit pas à y parvenir. tions envahissantes à l’origine du états, à identifier comment ils sur-
Pour ressentir le moment présent, stress, de l’angoisse », poursuit viennent et mettre en place, sans
une astuce qui consiste à boire ou le Dr Anselem. Cette pratique de attendre, le mécanisme qui sou-
à manger quelque chose de plai- « pleine conscience », dévelop- lage. Peu à peu, on trouve ses
sant et de prendre conscience de pée par Jon Kabat-Zinn, profes- propres solutions pour ne plus être
ses sensations corporelles: dans seur de médecine et fondateur envahi par ces symptômes.
la bouche, dans la gorge, dans de la Clinique de réduction du
le ventre, s’il y a un ressenti de stress et du Centre pour la pleine 1 – Le Dr Bernard Anselem est
chaud ou de froid. En s’habituant conscience en médecine, aux l’auteur de Ces émotions qui nous
à prendre conscience de vivre un États-Unis, permet de ne pas s’ac- dirigent, éd. Alpen, de Je rumine,
moment agréable, il sera possible à crocher à ses pensées négatives et tu rumines, nous ruminons et
co-auteur, avec Emmanuelle Joseph-
tout moment de retrouver la sensa- stressantes, de les laisser passer Dailly, des Talents cachés de votre
tion vécue, imprimée à jamais dans sans les tenir pour des vérités. «En cerveau au travail, éd. Eyrolles.

21
Feuilleton

ISTOCK
Un parfum d’éternité
3 – RÉSUMÉ : Claire Seghens était seule ce soir- illes n’avait pas fait sauter le
là quand un inconnu lui a soufflé « Méfiez-vous bouchon de champagne que,
des Siami »… Cet individu avait dû les observer hurlant quelques invectives à
au restaurant pour savoir que la princesse avait l’adresse de Christos – décidé-
partagé leur table. Et c’est donc avec une certaine ment, le majordome semblait
appréhension que Claire accompagne son mari assez mal vu de ses employeurs –, Yourgos
à la villa Sirtaki, un peu déçue tout de même que Siami fit son apparition entre les arcades.
Gilles refuse de s’arrêter au temple d’Artémis, qui C’était un homme grand, fort, au visage
se trouve justement sur leur route. Ils sont invités rubicond qu’accentuait encore une épaisse
pour vingt heures, le jeune homme ne veut pas chevelure grise coupée en brosse. Il était
faire attendre leurs hôtes. La princesse Samantha vêtu d’un pantalon de toile et d’une che-
Siami les reçoit. Alors qu’elle entraîne Gilles vers misette bleu marine, dans l’échancrure de
le patio, elle ignore ostensiblement Claire qui les laquelle brillait une croix d’or où était serti
suit. (Voir Veillées nos 3460 et 3461.) un lapis-lazuli. La colère lui déformait la
face, mais à la vue de ses hôtes, elle tomba
brusquement, et il vint à eux les mains ten-
dues, un large sourire aux lèvres.
– Votre Altesse… balbutia Gilles, impres-
sionné malgré lui par la silhouette de ce
géant.

22
par Ginette Briant

– Appelez-moi donc Yourgos, comme tout les effets des nombreux vins qu’on s’effor-
le monde, monsieur Seghens ! Ma femme çait de lui faire absorber.
aime bien qu’on la traite selon son rang, en – Vous ne buvez pas, petite amie, seriez-
revanche, je m’en moque ! Et d’ailleurs, en vous malade ?
Grèce, de nos jours, est-il de bon ton d’étaler La jeune femme assura que non. En vérité,
ses titres? Depuis l’abdication de Constantin, la tête lui tournait. Voyant qu’elle dédaignait
je ne crois guère en notre avenir… Ah ! mais son dessert, Yourgos la convia à admirer
je ne vous avais pas vue, chère madame… de plus près le paysage. L’étroite terrasse
Ne vous cachez pas derrière votre mari. courait tout autour de la rotonde vitrée et
Vous êtes plus agréable que lui à regarder ! donnait directement sur les flots. En se
Il éclata d’un rire tonitruant en saisissant penchant, Claire eut un aperçu du gouffre
d’un geste maladroit les doigts de Claire et noir sans cesse en mouvement qui semblait
en lui baisant le poignet avec ferveur. cerner la maison, un peu comme une multi-
– Du champagne, mon ami ? demanda tude de reptiles qu’aucun panier ne retien-
Samantha. drait vraiment prisonniers.
– Bien entendu ! Surprise par le vent, ce vent que deux
Il avala goulûment sa coupe et s’en servit heures plus tôt elle appelait de ses vœux,
aussitôt une autre. La sueur qui perlait à son la Française eut un brusque geste de recul.
front, il l’essuya du revers de la main, sans – Auriez-vous peur, petite madame ?
façon, comme l’aurait fait un ouvrier sur un Cette dernière s’efforça de rire en secouant
chantier. Apparemment, le prince n’était ni la tête. La poigne du milliardaire lui broyait
orgueilleux ni maniéré. Il ne manquait pas le bras, lui imposait une volonté qu’elle exé-
pour autant d’érudition. Claire, qui avait fait crait. Pas plus que Samantha, il n’avait su
de solides études, put le constater au cours toucher sa sensibilité, et elle s’était dit en
du dîner qui suivit. les observant tour à tour : « Oui, ces deux
Au premier abord, Yourgos Siami ne sem- êtres sont malfaisants. »
blait pas plus sympathique que son épouse, – Je… je préférerais rentrer, Altesse.
et encore Samantha se montrait-elle tout – Yourgos, voyons ! Yourgos…
sourire lorsqu’elle s’adressait à Gilles, dont Il paraissait contrarié qu’elle se montrât
elle avait décidé de faire la conquête, si ce tellement sur la défensive. Il l’avait prise
n’était déjà fait… par le cou et la secouait de la même manière
qu’il aurait tripoté un chaton récalcitrant. Ni
Gilles ni la princesse ne les avaient rejoints.

P
our offrir une autre tournure à Ils étaient seuls sur cette passerelle, face à
ses pensées, Claire leva les yeux. l’un des plus beaux paysages côtiers qui se
L’immense salle à manger en rotonde pût imaginer. Seuls, et déjà ennemis.
où ils avaient pris place donnait sur la baie. Sans craindre de le vexer, Claire le frappa
Cette partie de la maison s’avançait dans la à la main, réussissant à s’évader ainsi d’une
mer telle la proue d’un navire. En contrebas, position jugée inconfortable :
écumant de rage, les vagues se fracassaient – J’ai le vertige, excusez-moi.
sur les rocs rouges et pointus. Et, en effet, elle était devenue blanche
– Les jours de tempête, ce spectacle est comme une morte.
très impressionnant. – Impressionnable, hein ?
Le bruit était à la fois si violent et si lanci- Sans répondre, Claire regagna la salle de
nant que le prince se crut obligé de fermer séjour d’un pas lourd. Soudain plein de solli-
les fenêtres qu’aucun voilage n’agrémentait. citude, l’armateur la fit asseoir dans un fau-
Puis il abaissa une manette et la climatisa- teuil et s’empressa de lui servir un cognac :
tion se mit à fonctionner. À présent, le froid – Buvez, belle enfant.
tombait sur les épaules de Claire, atténuant Elle refusa, mais il insista, paternel.

23
Un parfum d’éternité
– Où est Gilles ? s’étonna-t-elle, tandis que pas sûr que le cognac ait arrangé les choses.
la douce chaleur de l’alcool lui redonnait La contemplation des vagues en perpétuel
des couleurs. mouvement lui a donné le vertige.
– Où voulez-vous qu’il soit ? Avec – Le vertige, toi ?
Samantha, quelque part dans la maison. Relevant dans cette réplique l’agacement
Ma femme peint. Elle lui aura montré ses de son époux, Claire s’entêta dans le désir
esquisses… C’est ainsi que les couples se de rentrer très vite au Vraona Bay. Rien ne
font et se défont… Un simple échange. prouvait pourtant que Samantha eût tenté
Il avait parlé si bas, tout en avalant le de séduire son hôte, rien, si ce n’étaient son
cognac qu’il s’était servi, que la Française boléro dégrafé en partie et la belle ordon-
crut avoir mal entendu. nance de sa chevelure quelque peu mal-
– Que voulez-vous dire ? menée. Quant à Gilles lui-même, il avait
Le regard qu’il lui lança alors refléta son les pommettes fiévreuses, l’attitude embar-
étonnement. rassée du coupable. Pas une phrase de com-
– Oh ! en êtes-vous encore là, clarté de passion n’avait franchi ses lèvres. Ou il ne
mon cœur ? Ma tendre compagne m’est infi- croyait pas au malaise de sa compagne, ou
dèle. Rien ne prouve que votre mari succom- il s’en moquait.
bera à son charme, ajouta-t-il, s’apercevant Claire respira largement, dans l’espoir
un peu tard de l’ambiguïté de son exposé. de garder l’aplomb dont elle faisait preuve
Claire se leva d’un bond : depuis la réapparition des jeunes gens dans
– Allez chercher mon mari, Altesse. Je suis la pièce ; elle fut presque reconnaissante à
sans doute imbue des préjugés d’un autre âge, Yourgos Siami de l’avoir tant aidée en la cir-
mais je ne me plierai pas à cette… sorte de jeu. constance. Au fond, le milliardaire n’était
Sous l’insulte, Yourgos se redressa. Son qu’un pauvre type en proie à une passion
visage déjà rouge devint écarlate. La jeune funeste.
femme y suivit sans peine la progression de « Moi, je mourrais, mais je ne suppor-
ses sentiments, la colère tout d’abord – pro- terais pas que Gilles me trompe, pensa la
bablement ne lui avait-on jamais parlé sur Française avec une détermination dont elle
ce ton –, puis un désespoir inattendu. ne se serait pas crue capable. Pas de cette
– Que voulez-vous, je l’aime! Pour la garder, façon-là. Pas sous mes yeux. Non ! jamais ! »
je suis prêt à tout accepter. Naturellement, Effrayée par les sentiments de violence
vous ne pouvez pas comprendre. L’amour qui l’animaient, Claire s’excusa :
n’est pas toujours enrichissant, ma petite – Je suis sujette depuis quelque temps à
Claire. Il vous avilit aussi. L’enfer, nous le des troubles inattendus.
vivons sur cette terre… Yourgos taquina la jeune femme en lui
prenant le menton :
– Hum ! et si la cause n’était que des plus

E
s-tu si malheureux, Yourgos ? naturelles ?
C’était la voix de Samantha, – Comment ?
moqueuse à souhait. Suivie de Le prince n’eut pas le loisir de s’expliquer,
Gilles, la princesse s’avança dans la pièce, car Christos surgit sur le seuil de la salle
inconsciente, semblait-il, du drame intime de séjour :
que leur absence momentanée avait sus- – Madame, sir Herbert Smith est arrivé.
cité. Ne retenant que les derniers mots – Mon Dieu! s’écria Samantha tout excitée.
du Grec, saisis au vol, elle frémit cepen- Mais qu’il entre ! qu’il entre !
dant sous le regard rancunier de Claire – Encore lui ! soupira Yourgos entre ses
qui la toisait avec un mépris profond. dents.
– Madame Seghens ne se sent pas bien, Et il se laissa tomber sur le canapé qu’il
enchaîna Yourgos avec habileté. Je ne suis avachit de son respectable poids.

24
L’homme qui s’encadrait dans le cham- désir de rentrer à l’hôtel. Quant à son mari,
branle de la porte lança à la ronde un joyeux il s’était visiblement résigné à subir jusqu’au
« Hello ! ». Tandis que Samantha lui sautait bout l’intrusion du romancier, plutôt que de
au cou et l’embrassait près de la bouche, devoir prendre congé de la maîtresse de
Gilles se renfrogna. maison qu’il découvrait sous son jour le plus
Il n’avait pas manqué de pressentir un aimable. Elle n’avait pas montré jusqu’alors
rival en ce bel homme suprêmement élé- un visage aussi souriant et détendu. On la
gant dans un costume de toile bistre. Notant sentait heureuse d’être le point de mire des
le sourire légèrement ironique sous la petite trois hommes qui l’entouraient.
moustache blonde à la Errol Flynn et le

‘‘
regard incisif avec lequel l’arrivant détail-
lait l’assemblée, il recula d’un pas, si bien
que Claire se trouva au premier plan. Vous connaissez Herbert
– Madame Seghens, présenta Samantha
brièvement, sans doute parce qu’elle ne Smith ? Un romancier de sa classe

’’
pouvait pas faire autrement. Puis, pre- ne passe jamais inaperçu…
nant l’Anglais par le bras : Gilles, je sup-
pose que vous connaissez Herbert Smith ?

P
Un romancier de sa classe ne passe jamais our fêter l’arrivée de l’écrivain,
inaperçu… Qu’avez-vous lu de lui? En déses- Christos fut prié de déboucher un
poir de mort ? Le Dernier Été d’Anna Gray ? second magnum de champagne.
Trois nuits avec vous ? – Pas pour moi ! protesta sir Herbert.
– Rien, dit Gilles du bout des lèvres. Je – Et pour qui, alors ? N’est-ce pas l’oc-
ne lis pas de romans. J’aurais l’impression casion rêvée ? Il y a bien un an que nous
de perdre mon temps. Or, le temps, c’est de n’avons pas eu la joie de vous recevoir à
l’argent. Sirtaki !
Son ton rogue, la façon désinvolte avec – Oh! il est venu à Athènes en janvier, rec-
laquelle il paraissait d’emblée mépriser tifia l’armateur. Nous aurions même pu nous
ce « faiseur de littérature » étonna Claire associer dans une affaire formidable, si ce
qui ne l’avait jamais vu si peu courtois en diable d’homme n’était aussi méfiant !
société. À Paris, il était considéré comme un – Ne regrettez rien ! Vous avez certaine-
convive enjoué, ne dédaignant pas les jeux ment trouvé une autre bonne poire entre-
de mots. Tous les prétextes lui étaient bons temps ! lança l’Anglais.
pour séduire vieilles dames et jeunes filles, Cette franchise désarmante eut le don de
belles ou laides, sans oublier de ménager mettre Yourgos en joie, ce qui prouvait l’hu-
également les hommes. Dans le milieu où mour dont il était capable.
il évoluait, la plupart, il est vrai, pouvaient – Vous êtes probablement très amis,
lui être utiles. constata Claire timidement.
Fabricant de pièces détachées pour avions – Pas autant que je le souhaiterais !
de tourisme, Seghens avait la réputation On avait l’impression que, pour une
d’un jeune loup aux dents longues. Avait-il fois, Samantha ne mentait pas. Gilles en
raison de craindre dès l’abord cet Anglais déduisit que si l’écrivain n’était pas devenu
que l’on disait célèbre ? Dans l’heure qui l’amant de la princesse, il lui restait une
suivit, Herbert Smith démontra qu’une chance… Aucun remords n’accompagna
conversation bien menée pouvait avoir cette pensée. Victime de l’ensorceleuse, il
maints agréments. Relatant son dernier n’avait plus qu’un but : la conquérir. Il fal-
voyage en Afrique, il sut captiver l’attention. lait dire à sa décharge que les préliminaires
Claire n’avait pas osé interrompre l’en- étaient plutôt alléchants. Dans la pièce que
thousiasme de Samantha en réitérant son la jeune femme consacrait à l’exposition de

25
Un parfum d’éternité
ses œuvres – elle avait un talent d’aquarel- doute Claire avait-elle été la seule à repérer,
liste incontestable –, c’était elle qui l’avait gravée dans la pierre d’une colonne, une
embrassé, et avec quelle fougue, quelle signature illustre : celle de Byron. Amusée
volupté ! Ce baiser laissait bien augurer de par l’idée que le poète anglais avait signalé
l’avenir, pensait le Français. Claire ? Rien son passage, dans l’unique dessein, peut-
ne serait plus facile que de la berner. Et si, être, de n’être pas complètement oublié, la
par hasard, elle apprenait ce qu’elle ne man- jeune femme se promit d’en parler à Gilles.
querait pas d’appeler une épouvantable tra- Chaque jour, elle prenait le car pour une
hison, il se faisait fort de la raisonner, en destination différente. La Grèce bâtie de
vertu du fait qu’une femme amoureuse par- chefs-d’œuvre que le temps corrodait inexo-
donne tout à l’homme qu’elle aime. rablement la consolait de la défection de son
Satisfait de ses réflexions intimes, Gilles mari, qu’elle n’avait pu décider à l’accom-
se dit que tous les espoirs lui étaient permis, pagner. En quelques mots, il s’était d’ail-
et il se cala dans son fauteuil en regardant leurs justifié :
sir Herbert Smith d’un œil moins féroce. – Moi, j’ai besoin de détente. Toute l’année,
j’ai l’œil rivé à ma montre. Mais je ne t’em-
pêche pas de rejoindre la cohorte de ceux
Chapitre 3 qui parcourent au pas de charge les lieux
où jadis souffla l’Esprit ! avait-il ajouté avec
cette ironie qui le rendait odieux. Va ! va !

C
laire Seghens chercha du regard son je ne te retiens pas…
mari qui, à cette heure-là, aimait se Claire n’ignorait rien de ce que cachait cet
rendre au bar. Constatant qu’il n’y apparent détachement. Elle se doutait que
était pas, elle éprouva un immense vide. Gilles passait son temps en compagnie de
Elle-même rentrait d’une excursion au Samantha à la villa Sirtaki. Les premiers jours,
cap Sounion, que l’on appelle aussi « cap elle s’était acharnée à le suivre, s’ingéniant
Colonne », en raison du magnifique édifice à interpréter ses moindres gestes, ses sou-
dédié à Poséidon qui s’élève sur ce promon- rires, ses paroles les plus innocentes. Seule la
toire rocheux (1). présence d’Herbert Smith la rassurait. Tant
Claire avait encore devant les yeux la qu’il serait là, il n’arriverait rien. C’était dire
petite colline que des touffes jaunâtres combien elle craignait la perverse séduction
égayaient. Le vent soufflait avec une force de la princesse et la faiblesse coupable de
peu commune. Houleux, les flots reflétaient Yourgos Siami. Déchirée, finissant par se
tous les gris d’un ciel tourmenté. Voir ce pay- convaincre qu’elle n’accordait pas à son com-
sage à une heure assez matinale pour que pagnon la confiance qu’il était en droit d’at-
le site ne fût pas envahi par un trop grand tendre, Claire avait un beau matin emprunté
nombre de touristes, quelle chance ! Il s’en le car qui partait pour Mycènes, dans le
dégageait une impression de solitude que but de parfaire son savoir. S’émerveillant
la jeune femme avait appréciée à sa juste de la tholos en forme de meule longtemps
valeur. Ici, autrefois, il y avait eu des arbres. prise pour le tombeau d’Agamemnon, elle
Il ne subsistait qu’un maigre pin parasol n’avait pas hésité à interroger le guide :
que les aquilons torturaient à loisir, à défaut – Cette salle circulaire, lui avait-il
de pouvoir abattre les vestiges du temple, répondu, est répertoriée sous le nom de
l’un des mieux conservés de l’Attique. Sans « Trésor d’Atrée ». On ne connaît pas de

1. Thésée, revenant victorieux de son combat contre le Minotaure, ne respecta pas la consigne que
son père Égée lui avait suggéré d’employer afin d’être au plus vite renseigné sur l’issue de la lutte.
En s’approchant de la côte, il oublia de remplacer les voiles noires de son navire par des voiles
blanches, symbole de victoire. Le croyant mort, Égée, désespéré, se jeta du haut du cap Sounion
dans la mer qui, depuis ce temps-là, porte son nom.

26
plus bel exemple d’architecture de l’âge du d’adresses, y découvrit le numéro de son
bronze en Grèce. Elle mesure treize mètres frère qu’elle ne savait pas par cœur. Désolée
de long. Montez sur les remparts de la cité, de ne pas avoir de téléphone portable, elle
madame. Vous découvrirez d’autres mer- redescendit à la réception.
veilles ! – Je voudrais ce numéro en France, made-
Et de fait, l’émotion qu’elle en avait retirée moiselle.
l’incitait à renouveler l’expérience. Elle en – Quelques instants…
était récompensée, car, à son retour, Gilles Instants qui lui semblèrent une éternité,
l’accueillait avec cordialité, presque heu- et, enfin :
reux, semblait-il, de la retrouver. – Cabine quatre.
Claire s’y enferma, décrocha d’un geste
tremblant :

M
adame Seghens ! – Allô ! Jeanne ? Jeanne ?
Interpellée par le réceptionniste, – Ah ! Claire…
Claire se retourna, surprise. – Oui, c’est moi. Mon Dieu, mais qu’y a-t-il?
– Nous avons reçu un coup de téléphone Elle entendit des sanglots à l’autre bout
à votre intention. La personne a demandé du fil qu’entrecoupaient des phrases sans
à ce que vous vous mettiez en rapport avec suite apparente.
elle le plus rapidement possible. Il s’agit de – Une balle, une seule balle… Pourquoi ?
mademoiselle… heu ! une minute… pourquoi ? Il n’avait aucune chance de s’en
Le jeune homme fouilla dans ses dossiers sortir… Mon pauvre Gérard… Lui qui aimait
et en retira un papier sur lequel un nom tant la vie !
avait été tracé en hâte : La jeune femme crut qu’elle s’évanouis-
– Mademoiselle Jeanne Bricaud. sait. Tout tournait autour d’elle. Sur l’an-
– Brigaud, rectifia Claire, de plus en plus nuaire du téléphone placé en évidence
étonnée. devant elle, elle ne lisait plus rien. Les
Que diable lui voulait la petite amie de son lettres grecques avec lesquelles elle com-
frère ? Elle ne l’avait rencontrée qu’une fois, mençait à se familiariser avaient l’apparence
un jour où Gérard, en mal d’affection, l’avait de signes cabalistiques, messagers de souf-
invitée à prendre l’apéritif chez lui. Il habi- france et de mort.
tait un studio dans le neuvième arrondis- – Jeanne, je vous en prie, expliquez-vous !
sement de Paris où Jeanne, depuis quelque Qu’est-il arrivé ? Gérard n’a jamais possédé
temps déjà, était venue s’installer. Claire de revolver…
n’approuvait guère cette cohabitation avant – Non. Peut-être que s’il en avait eu un…
le mariage, en admettant que cette idylle Oh ! c’est trop affreux !
se terminât de cette façon, ce qui était plus Claire ressentait les affres de l’attente
qu’incertain, quand on connaissait le carac- sans pouvoir mettre fin au chagrin de la
tère volage du jeune homme. Mais à vingt- jeune fille, un chagrin bien réel qui prou-
trois ans, pouvait-on réellement le blâmer vait du moins combien elle s’était attachée
de vivre sa vie ? à son amant.
Angoissée soudain, madame Seghens s’in- – Par pitié… Est-il blessé… grièvement ?
terrogea : Il y eut un petit silence, puis un cri déchi-
« Pour que Jeanne me téléphone, il faut rant :
que Gérard soit malade ou qu’il ait eu un – Il est mort ! Assassiné !
accident… » – Ass…
Cette dernière perspective l’effraya plus Les larmes montaient dans la gorge de
encore, puis elle tenta de se raisonner, en madame Seghens, l’empêchaient de parler.
vain d’ailleurs. Fébrilement, elle gagna Elle écouta le récit que lui fit Jeanne…
sa chambre, chercha son petit carnet (à suivre)

27
Nos jeux de
HORIZONTALEMENT
MOTS CROISÉS 1 – Nous fait avancer dans la vie. 2 – Un sacré coco ! Fait crédit. 3 – Qui
A B C D E F G H I J ne va pas tout droit. 4 – Ayant perdu une partie de son éclat. Composé
ferreux. 5 – Elle est mise au placard. 6 – Régi. Places sur le marché.
1
7 – Laisserai la vie sauve. 8 – Belle récompense. Station orbitale russe.
2 9 – Non dit. Va au lit. 10 – Coupe du monde. Fait un crochet.
3 11 – Ample vêtement oriental. Englobe tout le monde. 12 – C’est le
4 pied ! Pardonne. 13 – Grand vitrail circulaire. Aurochs. 14 – Beau-
coup. Cuits à feu vif.
5
6
VERTICALEMENT
7 A – Fromage ou yaourt ? Une touche de familiarité. B – Enjolivé. Pris
8 une moitié. C – T’accorderas avec. Prix proposé. D – Bien inséré.
9 Un régal de boxer ! E – Assortit les couleurs. Logement sordide.
F  –  Ornement architectural. Espèce d’espèce. Ria. G – Moucheté.
10
Interdit en ville. H – Relatifs à l’infanterie et l’artillerie. Hors des limites
11 du court. I – Dialecte. Fis participer. Retroussé les lèvres. J – Il lui
12 arrive d’alimenter le glacier. Poème satirique et politique chanté par
13 le troubadour.
14

La grille se compose de 81 cases réparties en 9 carrés de 3 x 3 cases. Ces carrés sont appelés
SUDOKUS « régions ». La grille doit être complétée avec tous les chiffres de 1 à 9, chacun devant être utilisé
une fois (et une seule) dans chaque ligne, chaque colonne et chaque région.
FACILE MOYEN DIFFICILE

8 7 9 6 5 6 7 9 3 9 4
5 4 1 3 8 8 5 2 3 7 3 2 9 6
7 4 5 2 8 8 1
1 6 9 2 3 2 4 9 1 6 3 7
2 5 3 6 1 3 7 5 1 8 2 5
7 9 4 5 5 9 1 4 6 3 7 4
1 6 7 1 3 5 2
4 8 3 2 6 7 5 9 2 3 2 7 4 8
2 1 9 3 5 1 6 4 4 6 7
Rayez sur la grille les mots de la liste ci-dessous, sachant qu’ils y sont inscrits
MOTS MÉLANGÉS horizontalement de gauche à droite et de droite à gauche, verticalement de
haut en bas et de bas en haut (mais jamais en diagonale), chaque lettre ne
Des cours d’eau italiens servant qu’une fois. Le mot rayé vous indique la façon de procéder. Il restera
un mot sur la grille, correspondant à la définition suivante :
O N O N R A D I F O D R A N E T Ce qui se rapporte à lui est padan(e).
N A I L A I O C I U M L E O L A … ARNO … IMAGNA … RUBICON
U R E G I C L A T T E N A O L G … BRENTA … LAMBRO … SAN LEONARDO
R U G A R S L O D I T A S L A R
… CANDELARO … MALONE …
O B I N P E A L I F U E E T B E
… DOIRE BALTÉE … NURE … UFITA
R O C O L A M O N G I A N R E V
E P O R B M E N O A N C O I … ELLERO … ONGINA … VERGATELLO
L O R A L E R E N Z A N D O … FIUMETTA … ZANCONA
… PESCIA DI
L E C A N D B A T A N G A M I … GARIGLIANO COLLODI

28
la semaine
MOTS FLÉCHÉS Autour de la cheminée
PARTIE VAUT DES TANTES LÂCHE PRISE TROTTE SOUVENT
MOBILE AJOUTA DES
LE BUG ENFANTINES ET TOMBE MORCEAUX EN CHINE UNE PLAQUE
DU FOYER DE MARBRE
UN HOMME IL EST REFUGE DE TISSU LÉGER
TOUT POUR À LA ROBE
LA MUSIQUE DU SUD EN SAILLIE DE TYRAN ENNUI DÉCRET
SE PLIA EN
QUATRE (SE)
PEUPLE
D’AFRIQUE
REJETAIS FLUIDE
LE VOTE GLACIAL
POÈME POUR
LYRIQUE MONTRER
PRÉNOM POIL
FÉMININ AUX YEUX!
SOUTIENT
BOUCHE LA MAÇON-
CORNÉE NERIE
DIPLÔME À LA BASE
SA LIGNE DE LA SE BALADER
EST UN PREND CHEMINÉE SANS BUT
OBJECTIF DANS LIEU DE PRÉCIS
LE NEZ FOUILLES
SE TRANS- PERMET DE
METTENT IL SE DIRE PLUS
DE PÈRES HÂTE AVEC
LENTEUR PARLER DE
EN FILS TROUVÈRE
FAIRE
LE TOUR SUR-ERDRE
EN LOIRE-
OPÉRATION ATLANTIQUE
DE CHOIX
VAUT BIEN
RENDUES UNE CAISSE
EN CESSANT
LE COMBAT UN PEU
PIQUÉ

FAIT PESER PREMIER ROULA SE SERVIR


UNE LOURDE SOUS SOL DANS SANS
CHARGE PERDUE LA FARINE MODÉRATION
FINANCIÈRE PAR LE FOU
LA PREMIÈRE BOUILLON
NÉCESSITE MAIGRE
UN APPRO-
FONDISSE- MONTRE
MENT L’EMBARRAS
POUSSÉ ÉLÉMENT
RESSOR- EN AVANT
ISTOCK

TISSANT DU GROUPE
D’UN ÉTAT RENFORT DES TERRES
VERTICAL RARES

CHARBON VIEIL INDIEN


DE HOUILLE REPRÉSEN- AUTREFOIS D’AMÉRIQUE
TE UNE NOTE USAGE
REFUS MOYENNE ÉTABLI PARFOIS
BOUDEUR AVANT APRÈS
BIEN DRAME ON Y RANGE
FATIGUÉ LE BOIS
PAS CELLE
CRÊPE DU PÈRE STOCKE
FOURRÉE NOËL! L’ÉNERGIE
CHANT LA CLÉ
MAORI DES RÊVES RETIRÉE ON Y MET
DES LE FEU
LE PAYS EXCLAMATIF AFFAIRES
DU CAVIAR INDIGNÉ
GARNIT LIGUE
FONT FAUTES C’EST L’HAMEÇON DE BASKET
S’ILS SONT TOUT
DE LANGAGE NATUREL! MANCHE OU MÉDECIN
NAPPERON FAMILIER
POUR
LA FUMÉE
CŒUR
DIFFICILE
À PRENDRE
ON Y POSE IL EST LE CENTRE
LES BÛCHES PARFOIS DE LA
DANS LA BABA CHEMINÉE
CHEMINÉE

VA SOUVENT PERSONNEL
AVEC RÉFLÉCHI
UNE NANA

Jeux réalisés par Laurence Tournay. Solutions page 43. 29


Toute une vie

Agatha Christie
la « Queen » du crime
Elle voulait devenir chanteuse lyrique… Mais c’est avec le roman policier que
la Britannique deviendra une diva célèbre, lue dans le monde entier. Grand témoin
de son talent, Hercule Poirot fêtait ses cent ans en octobre dernier.

L
a Première Guerre mondiale
fait rage. Blessé, le capitaine
Arthur Hastings est démobi-
lisé et rapatrié en Angleterre.
Il est accueilli au manoir d’Emily
Cavendish, riche veuve remariée à Les romans de cette
écrivaine prolifique
Alfred Inglethorp. Une nuit de juillet, maintiennent les lecteurs
les résidents du manoir, dont le nar- en haleine depuis
rateur Hastings, sont réveillés par un siècle.
des cris s’échappant de la chambre
de Miss Emily. En proie à de vio-
lentes convulsions, elle décède.
A-t-elle été empoisonnée? Chargé
de l’enquête, le détective Hercule
Poirot entre en scène. Un baptême
du feu pour le Belge, antihéros aux
cheveux lissés à la brillantine et aux
moustaches cirées. Agatha Mary
Clarissa Miller, devenue madame
Christie trois ans plus tôt, a 27 ans
quand elle lui donne vie sur papier.
Nous sommes en 1917. Fille d’un
Américain et d’une Britannique,
Agatha est laborantine dans la
pharmacie de l’hôpital militaire de
Torquay, dans le sud de l’Angle-
terre, où sa famille est installée.
Pour sa première intrigue, elle choi-
sit naturellement une histoire d’em-
poisonnement. Restait à inventer
son héros, un enquêteur privé.
Très vite, elle l’imagine Belge,
parce que de nombreux réfu-
SSPL / LEEMAGE

giés du Plat Pays se sont instal-


lés à Torquay. C’est un policier à la
retraite. Agatha le dote de solides

30
par Victor Cascales

connaissances en matière crimi- de tout, qui fut au départ envisagée ne le reconnaît pas. La version
nelle, d’une méticulosité maladive pour l’enquête de Mort sur le Nil officielle conclut à une amnésie.
et d’un patronyme francophone. (1937), finalement confiée à Poirot. Agatha Christie n’évoquera jamais
Réminiscence de ses séjours Elle fut l’héroïne de 12 romans et cet épisode rocambolesque, même
en France ? Dès l’âge de 7 ans, 20 nouvelles, entre 1930 et 1976. dans son autobiographie publiée à
elle se rend en famille à Pau, où titre posthume.
Un mari volage…
elle apprend le français, puis à
Avant de devenir Agatha Christie,
Du suspense
Cauterets, Paris et Dinard.
romancière à succès et femme
jusqu’au bout
Des milliards de livres !
indépendante, Agatha a reçu une Durant le demi-siècle qui suit,
L’écrivaine en herbe propose le éducation victorienne, mais lais- Agatha va dévorer la vie à belles
manuscrit de La Mystérieuse Affaire sant libre cours à son sens artis- dents. En septembre 1930, elle
de Styles à six maisons d’édition. tique. C’est sa sœur qui lui fait épouse en secondes noces l’ar-
En vain. Elle devra attendre trois découvrir les énigmes de Sherlock chéologue Max Mallowan, qu’elle
ans pour qu’il soit publié aux États- Holmes et Arsène Lupin et la met accompagnera sur de nombreux
Unis, en 1920, puis en Angleterre. au défi d’écrire un roman policier. sites de fouilles. C’est dans cette
Il ne sortira en France qu’en 1932! Agatha cherche un époux conve- décennie qu’elle rédige ses plus
La première aventure d’Hercule nable. Ce sera le séduisant aviateur grands chefs-d’œuvre : Le Crime
Poirot lance la carrière d’Agatha Archibald Christie, rencontré en de l’Orient-Express, Mort sur le
Christie. « La reine du crime » va 1912. Ils se marient deux ans plus Nil, Dix Petits Nègres, tous adap-
écrire 66 romans, plus de 150 nou- tard, puis le lieutenant est mobi- tés au cinéma. Sous le pseudo de
velles, 20 pièces de théâtre et une lisé. À la fin de la Grande Guerre, Mary Westmacott, elle écrit aussi
autobiographie, édités en 100 lan- le couple accueille son seul enfant, six romans sentimentaux. En 1941,
gues et publiés dans 153 pays. Il Rosalind, née en 1919. Archibald sa fille Rosalind épouse le major
s’en est vendu, selon les estima- fait face à des difficultés finan- Hubert Prichard, puis naît Mathew,
tions, entre 2 et 4 milliards d’exem- cières. Le talent d’écriture de son son unique petit-enfant, en 1943.
plaires. Seule la Bible fait mieux! épouse devient alors un moyen La romancière se consacre encore
Hercule Poirot apparaît dans d’augmenter les revenus de la au théâtre où elle triomphe notam-
33 romans et 51 nouvelles jusqu’en famille. La Mystérieuse Affaire de ment avec Témoin à charge.
1975, un an avant la mort de sa Styles ne rencontre qu’un succès Elle transforme sa fortune en
créatrice. Il est devenu héros de d’estime, tout comme les nouvelles parc immobilier, collectionnant les
cinéma, puis de télévision. Dans qui suivent. Mais, en 1926, la publi- demeures. C’est dans l’une d’elles,
l’œuvre de la romancière, il par- cation de son 7e roman, Le Meurtre à Wallingford, près d’Oxford, que
tage la vedette avec Miss Marple, la de Roger Ackroyd, l’installe comme l’Anglaise la plus célèbre après la
«détective à domicile» curieuse l’une des figures majeures du reine meurt, le 12 janvier 1976. Une
polar. Désormais, elle va publier disparition précédée par la mort
un ou deux romans par an. préméditée de Poirot et suivie de la
1926 est un autre tournant dans dernière aventure de Marple. Dès
(X 2)

la vie d’Agatha, qui perd sa mère les années 1940, à l’apogée de son
ES / LEEMAGE

adorée. Puis son mari la trompe. succès, la romancière avait écrit,


Alors elle organise sa propre dis- puis mis au coffre, Hercule Poirot
parition. On découvre sa voiture quitte la scène. Elle autorisera sa
GEMAN IMAG

abandonnée près d’un étang. publication quelques mois avant de


L’affaire fait la une des journaux et mourir. En revanche, La Dernière
15000 bénévoles aident la police Énigme, avec Miss Marple, écrite à
/ BRID

durant de gigantesques bat- la même époque, sera publiée de


ING ARCHIVES

tues. Elle est retrouvée dans un façon posthume, fin 1976. Agatha
hôtel de la région mais, quand Christie aura mérité jusqu’au bout
son mari vient la chercher, elle son titre de reine du suspense. •
THE ADVERTIS

31
Vos poésies

Nuit hivernale
Dans le jour faiblissant sous l’horizon éteint,
Un vol bas de corbeaux se perd vers le lointain,
Et la neige blanchit la terre en son sillon.

L’angélus résonne sous la cloche d’airain,


Emporté par le vent dans son froid tourbillon ;
L’hiver s’est installé en maître souverain.

La nuit bleue et glacée enveloppe la ville,


Éclairée en son ciel d’une lune d’opale.
La péniche s’endort le long du quai tranquille,
Noyant son reflet dans l’eau sombre du canal.

Et les volets sont clos sous les toits des chaumières.


Dans la chambre feutrée filtre un rayon de lune.
Les bambins fatigués ont fermé les paupières,
Mêlant sur l’oreiller cheveux blonds, boucles brunes.

Michèle DELABAUT,
ISTOCK

Aulnoy-lez-Valenciennes (Nord)

32
Nature
La nature assoupie
Le ruisseau alangui
Un air de pureté
Sous un ciel étoilé
La nature en émoi
Et les feuilles sous nos pas
Le contour des chemins
Perdus dans le matin.
Les hurlements du vent
La nature se défend

Jour de neige
La mer est démontée
Éviter les jetées.
Déchaînement des flots
Amarrer les bateaux
Se mettre vite à l’abri
Pour les intempéries. Ô toi neige immaculée
Qui recouvre le sol d’un blanc manteau,
L’hiver s’est invité À l’aube d’un matin frissonné
Son froid et ses gelées Nous resserrons le fourneau ;
Le brin d’herbe givré
Neige si pure, si blanche
La neige va arriver.
Qu’à peine, nous distinguons
Un monde de silence Dans un halo qui tranche
Mur de flocons intenses Tu te confonds aux blancs bouleaux
Le blanc nous éblouit Dont l’écorce reste blanche
Les enfants sont réjouis.
Les sapins gardent leurs manteaux
De gros nuages noirs Les saules laissent tomber leurs hanches
Surgissent dès le soir Hélas, c’est l’hiver
Pour donner dans la nuit Point de jours très clairs
Des averses de pluie. Mais ta blancheur
Des éclairs dans le ciel Illumine de blanc tout l’univers.
Orage exceptionnel
Le retour du beau temps Bernadette ROBINET,
On attend le printemps. Minaucourt (Marne)
Danièle PIGOT,
Mouroux (Seine-et-Marne)
33
Métier d’autrefois

Papetier, un artisan à la page


S’il ne reste aujourd’hui qu’une poignée d’artisans
papetiers en France, certains d’entre eux rivalisent d’ingéniosité pour
remettre au goût du jour ce métier séculaire. C’est le cas de
Bruno Pasdeloup, l’expert qui nous a ouvert les portes de son atelier.

A
près avoir haché menu la fibre végé-
tale à l’aide d’une pile hollandaise (une
grande machine composée d’une cuve
d’eau, d’un cylindre avec des lames cou-
pantes et d’une planche garnie de clous), Bruno
Pasdeloup ajoute un zeste de colle pour obtenir
une pâte, qu’il verse ensuite dans des cuves. Puis
il y plonge un tamis. D’un mouvement qui res-
semble à une danse magique et permet à l’eau de
s’écouler, le liquide va donner naissance, sous nos
yeux, à des feuilles de papier, que l’artisan extrait
une par une. Pourtant, Bruno n’est pas prestidi-
gitateur. Il est artisan papetier et fabrique, à la
main, des feuilles de papier. Un savoir-faire inscrit,
depuis 2019, à l’inventaire du patrimoine culturel
immatériel de France.
L’apprenti sorcier
Il y a sept ans, après avoir exercé une multitude
de métiers (bassiste, comédien-cascadeur, croque-
mort), Bruno, alors âgé de 30 ans, décide de quitter
son emploi stable de responsable de communica-
tion pour se lancer dans cette profession. «C’est
mon amour pour la littérature, les livres anciens et
la reliure qui m’ont conduit vers le papier. À l’occa-
sion des Journées européennes du patrimoine, j’ai
participé à un atelier découverte sur le métier d’ar-
tisan papetier. Ça a été le coup de foudre. Comme
il s’agissait d’une profession méconnue, en voie
de disparition, marginale, ça a satisfait mon goût
pour l’originalité. Avec ma femme, Laurence, nous
avons voulu relever le défi.»
Comme il n’existe, en France, aucun cursus ni
diplôme pour valider le métier, Bruno effectue
P. PÉDELMAS

deux ans d’apprentissage auprès d’un artisan


papetier. Puis il sollicite les derniers profession-
nels encore en activité dans l’Hexagone pour
Laurence Pasdeloup relève avec son mari le défi
de la renaissance de l’artisanat de la papeterie.
par Karine Touboul

l’Italie. Il faudra attendre 1338 pour qu’un moulin


à papier soit construit en France.

PAPIERS PASDELOUP
Du XIIIe au XIXe siècle, le papier est fabriqué
avec de vieux vêtements et de vieux draps, à base
de lin et chanvre, que les chiffonniers récupèrent
et vendent aux papetiers. Mais, vers 1830, avec la
Du papier contemporain en fibres
révolution industrielle, les premières machines à
végétales fabriqué à la main. papier apparaissent. L’industrie papetière, capable
de produire d’importantes quantités, provoque la
apprendre d’autres techniques. En 2015, il fonde, disparition des artisans papetiers, qui fabriquent à
avec son épouse, la papeterie Pasdeloup. Après la main. Le bois, nettement plus économique, rem-
avoir travaillé cinq ans dans le village touristique place le lin et le chanvre – aujourd’hui encore, la
de Pérouges, dans l’Ain, en octobre 2020 le couple quasi-totalité du papier industriel est produite à
installe son atelier dans un corps de ferme, dans le base de bois. Petit à petit, les machines s’électrifient.
hameau de Puybéraud, entre Guéret et Aubusson, Dans les années 1950, grâce des passionnés,
sur une petite colline qui surplombe la Creuse. le savoir-faire papetier renaît peu à peu de ses
La plupart des artisans papetiers fabriquent cendres. Des marchés se créent dans les domaines
leur papier à base de lin, de chanvre ou de coton. du luxe et des arts graphiques. Un vrai retour en
Spécialisés dans la fabrication de fac-similés de force s’opère après mai 1968. Des jeunes se for-
papiers anciens destinés à restaurer des manus- ment et relancent doucement le métier.
crits, dont certains datent du XVIe ou XVIIe siècle, Hormis ce bref retour en grâce, le métier ne
ils travaillent pour des relieurs ainsi que des connaît pas de réel renouveau. Aujourd’hui, seuls
bibliophiles. Bruno, lui, a choisi de concevoir des six artisans papetiers – la plupart, septuagénaires –
papiers d’art contemporains, en expérimentant sont encore en activité en France. Les clients sont
des fibres végétales peu utilisées en papeterie rares pour ce savoir-faire de niche. Le métier est
– cocotier, eucalyptus, roseau, maïs, ortie, paille en train de disparaître. Pour survivre, les artisans
de riz ou coque de cacao. «Je suis constamment à organisent des visites guidées de leurs ateliers.
la recherche de nouveaux matériaux pour fabri- L’approche innovante de Bruno et Laurence
quer mes feuilles de papier.» Un magicien, peut- Pasdeloup est tournée vers l’avenir. Un pari
être pas, mais un apprenti sorcier, sans doute. gagnant puisque leur entreprise, très florissante,
Parmi ses clients, des artistes : peintres, gra- fabrique plus de 700 kilos de papier par an. Dès le
veurs, sculpteurs de papier, origamistes, écri- printemps prochain, le couple ajoutera une nou-
vains ainsi que des entreprises qui conçoivent, velle corde à son arc, en exploitant ses terres pour
fabriquent et vendent des produits de luxe, à cultiver des plantes papetières. Un moyen de par-
l’instar d’Hermès et Kenzo – «Nous mélangeons venir à l’autonomie et de maîtriser, de A à Z, la
leurs matériaux avec la matière papier, pour que fabrication des papiers. Et l’artisan de conclure:
les designers puissent créer de nouveaux objets.» «De prime abord, je pratique un métier ancien et
Des restaurateurs qui veulent une carte ou un contribue humblement à faire perdurer un savoir-
menu haut de gamme, unique et original, ainsi que faire vieux de sept siècles en Occident, aujourd’hui
des particuliers, pour des faire-part de mariage, sauvegardé par moins de dix paires de mains en
font également appel à la papeterie Pasdeloup. France, souvent bien ridées… Mais, surtout, je me
plais à fabriquer des papiers contemporains et pro-
Victimes de la révolution industrielle fondément modernes. Je travaille pour des entre-
Une approche novatrice pour un métier qui a prises très techniques. Mes papiers sont parfois
près de 2000 ans. Les Chinois inventent le papier, collés sur les moteurs Airbus et Boeing, certains
en 105 après J-C. Leur savoir-faire traverse l’Asie ont été embarqués sur les fusées Ariane, d’autres
et le monde arabe, puis arrive en Europe dès le sont le support de l’imaginaire d’artistes.» n
XIIIe siècle. Le premier moulin à papier d’Occi-
dent voit le jour en 1264, à Fabriano, au centre de Rens. : www.papier-artisanal.com

35
Toutes vos lettres

Merci de lui adresser des vœux toute les Veilleuses qui m’en ont expé-
Avis à nos lectrices de santé pour sa 91e année. Elle a dié. Je suis toujours une fidèle lectrice
Pour vos annonces, 21 arrière-petits-enfants qu’elle ne voit des Veillées, que je félicite, c’est un
il faut écrire à : pas tous, alors des frimouses dans sa magazine intéressant malgré la men-
Les Veillées des Chaumières, boîte à lettres la rempliraient de bon- sualisation des histoires de Fernande
Toutes vos lettres, heur ! Belles fêtes de Noël à tous et HUC (pensez à les réunir pour en
40, avenue Aristide-Briand à toutes, malgré les circonstances. faire un livre !). Mes bonnes amitiés à
92220 Bagneux Merci. Mme Anne Le Borgne, 18, rue toutes les Veilleuses. Mme Jacqueline
de Rozavot, 29780 Plouhinec. RONDEAU, Le Moulin Milon, 49380
Pour les anniversaires, Chavagnes-Terranjou.
nous vous prions ● J’arrive un peu tard, je l’avoue, mais
d’envoyer vos messages
le 15 décembre 2019, j’ai eu 80 ans,
2 mois avant parution.
je n’avais pas pu vous joindre à ce
Cousinade
moment-là. Cette année, avec un an ● Je recherche la famille Demilecamps.
de plus, j’aimerais recevoir pour mon Si vous êtes de la famille de Louis
Timbres anniversaire, même s’il est déjà passé, Demilecamps et de Geneviève
Merci d’avoir la gentillesse de pas- quelques cartes de gentils minous, Defontaine d’Odenez, ou l’un de leurs
ser mon annonce. Je recherche des car je les aime beaucoup. Ma der- trois fils (Louis, Pierre et Claude), merci
timbres des États-Unis. En échange, nière minette avait 15 ans lorsqu’elle de me contacter, éventuellement pour
je peux offrir des timbres de France et est partie, elle était tricolore et s’appe- une cousinade. Je suis la fille de Julie
d’autres pays, des petits calendriers et lait Sophie… Adorable ! J’aime aussi Demillecamps (avec 2 « l ») et la petite-
des cartes postales. Je vous remercie les oiseaux, enfin tout ce qui touche fille de Julie Demillecamps et d’Adolphe
d’avance. Mme Annick LESCEU, 13, à la nature. J’adore écrire, c’est un Joseph Demillecamps et d’Irma Bruyère.
rue Louis-Gallouedec, 458OO Saint- passe-temps pour m’évader. Je suis Les retrouvailles feraient aussi un
Jean-de-Braye. abonnée aux Veillées depuis près immense plaisir à André, le vieil oncle de
de quarante ans, c’est ma maman Louis, Pierre et Claude. Mme Yolande
qui m’avait offert l’abonnement, à CAUFRIEZ, 8, place Hautchamps, 7322
Anniversaires l’époque.J’ai eu pendant dix ans une Pommerœul, Belgique.
● Mme Martin a fêté ses 98 ans le correspondante par l’intermédiaire
24 novembre dernier. Pour égayer les des Veillées. Nous avions les mêmes
journées de cette lectrice des Veillées goûts et l’amour des chats, elle habitait Ménisque
des Chaumières, sa fille Mireille aime- à Nantes, région de ma famille, mais ● Je suis àgée de 72 ans et je souffre
rait que la grande communauté des elle est décédée. J’ai eu beaucoup de de plus en plus du genou droit, à la
Veilleuses et des Veilleurs lui envoie chagrin. Mme Jeannette GAILLARD, suite d’une chute faite à l’âge de 17 ans,
des cartes postales d’anniversaire et 83, rue d’Arnage, 72100 Le Mans. qui a causé une déchirure du ménisque.
de bons vœux qui lui feront très plaisir, Plusieurs orthopédistes m’ont recom-
même avec du retard ! Mme MARTIN, mandé une opération chirurgicale,
Ehpad de la Belle Étoile, 33, rue
Remerciements mais je la crains beaucoup, sur-
Jacques-Prévert, 76290 Montvilliers. ● En février de cette année, j’ai fait tout en cette période de Covid. Une
paraître une annonce pour recevoir amie de 49 ans, mère de famille nom-
● Ma maman est une fidèle lectrice de la laine. J’en ai reçu au-delà de breuse, a été soignée d’une autre
des Veillées des Chaumières et elle ce que je pouvais espérer. Ce matin, façon, grâce à un traitement par pla-
répond parfois aux demandes des le facteur m’a remis un carton de la quettes. J’aimerais échanger avec des
tricoteuses et des collectionneurs de part de Mme Catherine FEYDEL, de Veilleuses qui se seraient fait opérer, ou
timbres, cartes ou autres sujets de La Palisse, que je remercie bien vive- qui connaîtraient l’autre traitement ou
voyage. Aujourd’hui, je viens sollici- ment. Maintenant, j’ai suffisamment de en auraient bénéficié. Mme Yolande
ter les lectrices et les lecteurs pour laine pour tricoter de nombreux pull, ne CAUFRIEZ, 8,  place Hautchamps,
les 90 ans de maman le 28 décembre. m’en envoyez donc plus. Je remercie 7322 Pommerœul, Belgique.

36
par Cécile Berthier Feuilleton

ISTOCK
Le quartier du Fleuve
16– RÉSUMÉ : Comme promis, Marguerite a elon un rite bien établi, Marguerite
appelé Jessica mais celle-ci, exaspérée, a écourté dessert, Gabriel lave la vaisselle et
la conversation. De quoi se mêle-t-elle, cette la range. Le soir c’est le contraire. Il
grand-mère d’un autre siècle ? Marguerite est a revêtu son survêtement et le voilà
fatiguée, d’autant que Gabriel est retombé dans prêt pour courir un moment le long
ses mauvais travers et déprime. Hugo de son côté, des berges du Rhône. Elle est contente qu’il
devrait avoir le cœur léger, Rébecca lui a avoué s’y soit remis. Elle bouge beaucoup elle
qu’elle l’aimait et était d’accord pour l’épouser dès aussi. Elle laisse la voiture et continue à
qu’il le lui demanderait. Mais Hugo est préoccupé. pied quand elle a un rendez-vous dans le
Il se sent responsable de son petit frère Sacha. Il centre ou ailleurs.
se rend aux Cabanes, qui sont en cours de démo- – Nous irons marcher en Ardèche, un de
lition, et rencontre Graziella et Jorge, mais évite ces jours, dit-elle comme il s’apprête à partir.
de devoir affronter son père, ce serait au-delà – C’est vrai ?
de ses forces. (Voir Veillées nos 3447 et suivants.) – Bien sûr. J’aime autant l’Ardèche que toi.
Enfin, presque autant, rectifie-t-elle, car toi
ce n’est plus de l’amour c’est de la rage.
Elle a voulu le faire rire, pourtant il ne rit
pas. Il lui dit : « À plus tard ! »

37
Le quartier du Fleuve
Quand elle rejoint Hugo dans l’après- – Décidément, je ne peux pas, avoue Hugo
midi, elle a le sentiment qu’elle commet une accablé. Rien que l’idée de rencontrer cet
erreur. Pourtant elle ne peut pas lui faire homme me donne la nausée.
faux bond. Elle le trouve pâle et nerveux. – Alors je vais y aller à votre place.
Abandonnant sa petite Panda, elle monte Marguerite frappe résolument à la porte
dans la belle voiture d’Hugo. Ils roulent le basse. Une créature aux cheveux teints en
long du chantier en pleine activité. Le temps rouge paraît et, la toisant sans lui laisser le
est lourd pour la saison, et le ciel est d’un temps de prononcer une parole, siffle d’une
bleu insensé. voix de mégère :
Ils laissent la voiture et parcourent à pied – Vous êtes la nouvelle assistante sociale ?
ce qui reste du lieu-dit des Cabanes. Les J’espère que vous allez nous débarrasser de
engins se rapprochent en grondant de la ce vaurien de Sacha. Vous voulez le voir ?
maison que Jorge et sa grand-mère vont Il n’est pas ici. C’est à peine s’il rentre pour
quitter bientôt. dormir. Débrouillez-vous pour le trouver. Et
– Je dois parler à Sacha, je dois absolument quand vous l’aurez trouvé, gardez-le !
le voir, soupire le jeune architecte. Sur ces mots, elle lui claque la porte au
– Eh bien, allons-y ! nez. Marguerite rejoint Hugo. Ils retournent
vers la voiture et regagnent le centre-ville.
À la mairie où le service social tient sa per-

D
ans les jardinets, des femmes sus- manence, ils demandent à être reçus par
pendent sur les fils de fer une les- Mme Martinon. L’assistante sociale leur
sive multicolore et disparate, qui fait apprend qu’elle va prendre sa retraite plus
penser à une mosaïque. La population des tôt que prévu, à cause de sa santé et d’une
Cabanes est composée surtout d’émigrés ita- intervention chirurgicale qu’elle doit subir.
liens, espagnols, polonais, arabes et turcs. Elle est soucieuse. Sacha semble ingérable.
Ces femmes, certaines voilées, se retournent La très jeune travailleuse sociale qui va lui
à leur passage. Tout de blanc vêtu, avec ses succéder saura-t-elle apprivoiser ce gamin
boucles blondes, Hugo, plus que jamais, farouche ? Il devient urgent de prendre une
semble être un prince égaré dans ce quar- décision avant que le juge des enfants ne
tier de pauvres gens. s’en mêle. Franck Moritz l’a signifié claire-
– Cette nuit j’ai rêvé de ma mère et de ma ment : il ne veut plus avoir la responsabilité
sœur, dit-il. de ce dernier rejeton qui ne lui attire que
– Parlez-moi de votre maman, Hugo. des ennuis.
– Ce que je peux dire… Meryl était belle et Hugo et Marguerite décident de retourner
fragile. Faible aussi. Elle a certainement été aux Cabanes. La grand-mère de Jorge, bou-
subjuguée et soumise à mon père, au début, clant ses dernières valises, leur déclare que
avant de se révolter. Malheureusement les jeunes se trouvent sur le coteau.
ça n’a servi à rien, il n’y avait pas comme
aujourd’hui des associations pour les

L
femmes en détresse. Elle s’est laissée glisser es genêts ont défleuri depuis long-
dans une sorte de dépression. Moi, je crois temps, mais ils forment encore de
qu’elle est morte de chagrin et de déception. grands buissons vivaces au milieu de
Après sa mort, Jenny est venue vivre avec la végétation roussie d’où s’élève la chaude
notre père. Et l’enfer a commencé. Poupée respiration de la terre. Marguerite et Hugo
est devenue le souffre-douleur de cette ont laissé la voiture vers les dernières
garce. Ma petite sœur, si jolie, si sensible… vignes. Le ciel du soir rougit derrière les
quelle enfance elle aura eue ! pylônes. Et ces corps de métal, incandes-
Ils sont arrivés devant le dépotoir de cents, proposent aux regards un spectacle
Franck. digne d’un film de science-fiction.

38
C’est un spectacle réellement halluci- mes parents, ils sont beaucoup trop faibles.
nant qu’offre cette multitude de carcasses Jorge qui l’écoutait, attentif, blêmit et serre
d’acier en enfilade, comme encordées, qui les poings. Il s’avance d’un pas, toise Hugo,
montent à l’assaut du soleil, en grondant leur puis Marguerite.
mélopée sauvage. Les plus grands, surtout, – Vous lui avez fourré des idées dans la
se révèlent impressionnants. Fantastiques tête. Vous, comme madame Martinon, l’as-
siamois aux quatre jambes, deux thorax, une sistance sociale. Graziella ne doit pas partir!
seule paire de bras agressivement écartés, – Je partirai si je veux, lui crie la fille. Ce
des cornes et des antennes enflammées par n’est pas toi qui pourras m’en empêcher.
le feu du soir, ils paraissent commander au D’abord tu n’es rien pour moi, tu n’as jamais
reste de la cohorte, les plus petits et les plus voulu qu’on sorte ensemble !
trapus, avec leur abdomen en forme de U – Je n’ai pas voulu, parce que je…
barré. Le garçon n’achève pas. Sa pâleur est
Les trois jeunes se trouvent là, assis entre impressionnante, comme si le hâle de sa
les jambes du plus haut des géants de fer. peau s’était retiré d’un coup.
Le chien roux est là aussi, et il aboie, pour – Parle, Jorge, explique, l’encourage Hugo.
la forme. – Si j’avais eu des parents, si je n’avais pas
grandi aux Cabanes, si j’avais disposé d’un
peu de thune ou même si simplement j’avais

G
raziella, la première, a aperçu Hugo eu du boulot, j’aurais pu dire à Graziella :
et Marguerite. Elle accourt. « Si on sort ensemble, c’est pour le bon
– Bonjour ! Je suis contente de vous motif, pour parler comme ma grand-mère.
voir ! s’exclame-t-elle. Et puis on ne se quittera plus. Moi, je ne
Au-dessus de leurs têtes, dans le réseau suis pas contre le mariage, au contraire. Je
serré des câbles, la musique barbare qui, cherchais une solution, et puis vous êtes
paradoxalement, loue la civilisation, fait arrivée. Qu’est-ce que je peux faire à pré-
frissonner Marguerite. Et la femme épouse sent que vous l’avez éblouie ? Que vous lui
l’angoisse d’Hugo, visiblement impres- avez démontré qu’il existe autre chose, un
sionnée par le décor. autre monde où tout est plus facile ?
Imitant Graziella, à leur tour, les deux Marguerite ne peut s’empêcher d’éta-
garçons se sont levés. Jorge porte une che- blir un parallèle entre Jessica et Graziella,
mise rouge ouverte sur son torse musclé. Miguel et Jorge.
Près de lui, Sacha semble encore plus menu, Que de drames dans ces jeunes vies, que
malingre, perdu dans son grand pull-over de misère! Jessica, Miguel, Jorge, des orphe-
sale et troué. Ce n’est pas lui qui revendi- lins de père et de mère. Jessica, Baby et
quera les « marques » chères aux adoles- Jorge ont eu la chance, encore, d’avoir une
cents de cet âge ! grand-mère qui les prenne en charge. Ses
Le drôle de chien ne le quitte pas des yeux. réflexions la ramènent à son compagnon,
Le regard de l’animal est chargé d’un amour Gabriel, ballotté de foyer en foyer jusqu’au
fou. jour où les Plantier se sont vraiment chargés
– Marguerite, je voulais justement vous de lui. On les a payés, c’est vrai, pourtant ils
parler, s’écrie Graziella. J’aurais dû partir ont fait bien mieux que des parents adop-
avec vous cet été en Haute-Savoie quand tants, ces parents nourriciers.
notre cousin Calogero a emmené Angelo. À – Jorge !
présent mon frère est peinard, il va devenir Elle revient au moment présent. Jorge
quelqu’un de bien, étudier, et moi, je ne fiche s’est détourné. Sous leurs regards sidérés,
rien, je ne sais pas comment ça se passera si il s’élance vers le transformateur. Il agrippe
je reste ici. J’ai bien réfléchi. Je veux qu’on l’un des pieds du géant et commence à esca-
m’aide, moi aussi. Je ne veux plus vivre avec lader le flanc lisse, dédaignant parfois les

39
Le quartier du Fleuve
crampons pour se hisser à même l’arête de rattraper l’insensé, le ramener sur terre et
métal. à la raison.
– Jorge ! crie Graziella. Ne fais pas l’idiot ! D’en haut, Jorge lui crie d’arrêter, que c’est
Reviens ! inutile.
Le chien aboie, comme pour lui demander – Écoutez-le, Hugo, supplie Marguerite.
de redescendre, lui aussi. Jorge grimpe tou- Vous n’êtes pas fait pour de telles acroba-
jours avec une agilité surprenante. Il jette ties. Et je crois que votre intervention risque
les bras en avant, ses mains encerclent d’empirer les choses. Jorge sait ce qu’il
les barres de métal, et quand il les lâche, risque. Il ne plaisante pas. Si vous pour-
c’est pour exécuter de prodigieux rétablis- suivez votre escalade, il montera plus haut.
sements. Au tiers de sa folle ascension, le Revenez !
garçon s’immobilise, il arrache sa chemise Hugo obtempère. À peine est-il redes-
rouge et la lance. Elle tourbillonne dans les cendu que Graziella, à son tour, se rue à l’as-
airs comme un grand coquelicot fripé, avant saut du pylône. Marguerite voit le dessous
d’être happée par les broussailles. usé de ses baskets, les bords retroussés de
Le chien aboie, gémit, comme s’il avait son jean sur ses chevilles minces. Le corps
compris que quelque chose ne tournait pas frêle de la fille s’arc-boute entre les mon-
rond. tants métalliques, un corps si menu, si léger,
Le torse nu de Jorge, dans le feu du ciel, qu’on dirait qu’elle va s’envoler comme un
a pris la couleur du sang. fétu vers les nuages.
– J’aime mieux crever, si Graziella s’en va ! En bas, Sacha crie. Alerté, Jorge regarde
Jorge renverse la tête. Il fixe la cime du à ses pieds.
transformateur. Il évalue la distance qui – Non ! Pas toi, Graziella ! Tu vas tomber !
reste encore entre lui et les câbles énormes, La fille tend une main vers lui, qui sup-
alliés du progrès, de la vie, et porteurs de plie. Elle se tient à quelques mètres du sol.
mort, aussi. Soudain, déséquilibrée par son geste, elle
glisse. Oui, on pourrait croire qu’elle va s’en-
voler, mais la loi de la pesanteur accomplit

L
e soleil s’est déplacé, il se trouve juste son office, et elle tombe comme une pierre
derrière le transformateur. Jorge au milieu des broussailles, à quelques pas
semble évoluer à l’intérieur d’un globe de la chemise rouge de Jorge.
de feu. – Graziella, Graziella !
– Merde, se désespère Sacha. Il est presque Jorge redescend encore plus vite qu’il
arrivé à la zone dangereuse. Il va griller, ou n’est monté. Marguerite et Hugo, atterrés,
il sera foudroyé et précipité dans le vide. se penchent sur la fille griffée par les ronces.
Et puis il hausse les épaules et poursuit : Sacha pleure, agenouillé près de la forme
– Au fond, crever de bonne heure, pour gracile. Le chien Ti-con lèche les mains de
des jeunes comme nous, c’est la meilleure Graziella.
solution. On débarrasse la société. C’est sûr, – Graziella, tu m’entends ! réponds ! sup-
Poupée est plus heureuse là où elle se trouve plie Marguerite.
que dans cette chienne de vie. La fille ouvre les yeux, ses grands yeux
Hugo est hébété, choqué, d’entendre son sombres, un peu cernés.
jeune frère lancer si tranquillement des – Jorge, je veux Jorge.
mots terribles. – Je suis là, ma puce, je suis là.
Il réagit enfin. Tout cela s’est passé si vite ! En sanglotant, il s’est agenouillé près de
Soudain, il vient de comprendre que si le Graziella. En sanglotant elle aussi, elle a
garçon grimpe un peu plus haut, il se pro- tendu les bras, a entouré le cou de Jorge.
duira un arc électrique. Jorge est en danger – Comment tu te sens, ma puce ? Ne bouge
de mort. Hugo s’élance à son tour. Il doit pas, surtout.

40
– Bouger… Oh, je ne pourrai pas, j’ai mal ! la tombe. Ses sentiments sont si difficiles
Si elle a mal, c’est bon signe, se dit à exprimer. Rien n’est simple dans sa vie
Marguerite qui redoutait des lésions irré- et il complique tout à plaisir. Il a enlevé les
versibles. Elle s’aperçoit alors que la jambe fleurs fanées et les herbes folles, il a fait de
droite de la fille, repliée sous elle, forme un son mieux en attendant que le monument
angle curieux. Elle sort son portable. funéraire soit posé.
– J’appelle les pompiers. Il demeure un instant prostré. Il ne fera
Hugo est pétrifié. Marguerite a l’impres- jamais son deuil. Pourquoi ? Pourquoi ces
sion de vivre un cauchemar, une scène vies fauchées à leur début ? Mais il pour-
irréelle. Que fait-elle là, elle, une grand- rait bien interroger tout à tour la terre qui
mère respectable, avec ces gamins et le couvre la dépouille mortelle de Meryl et de
jeune architecte du projet ? Elle regarde Poupée et le ciel où courent les nuages, il
Jorge, qui s’est emparé des petites mains n’aura pas de réponse.
de Graziella et les serre, elle remarque les

‘‘
ongles rongés.
De grosses larmes roulent sur le visage de
ce garçon qui se fait passer pour un « dur ». Que de drames dans ces
– Grazie, ne meurs pas, je t’aime tant! Pars jeunes vies, que de misère ! songe

’’
si tu veux, quitte-moi, mais ne meurs pas !
Un léger sourire illumine fugitivement le tristement Marguerite
visage blanc de la fille.
– Je ne mourrai pas, Jorge, et je ne par-
tirai pas, puisque tu m’aimes pour de vrai. Il a été nécessaire de faire une déposi-
Le soleil a disparu quand la sirène des tion au commissariat, Marguerite, comme
pompiers retentit. Sacha et Jorge à présent Hugo, a été interrogée sur les circonstances
tiennent chacun une main de Graziella, qui de l’accident. Jorge a dit la vérité, il est
se laisse emporter sans se plaindre. devenu fou tout à coup à l’idée que Graziella
C’est Marguerite qui prend place dans puisse vouloir quitter le quartier comme son
l’ambulance, pour accompagner Graziella frère Angelo. Marguerite Berthet est bien
à l’hôpital, au service des urgences. ennuyée d’être mêlée à cette histoire, Hugo
l’a compris.
Il est passé à l’hôpital, chargé de fleurs et

H
ugo Moritz a rendu visite au mar- de friandises. Graziella s’en est bien tirée,
brier et commandé pour sa mère compte tenu de la gravité de la chute : égra-
et sa sœur un beau monument de tignures – les broussailles – contusions et
marbre. En attendant que leurs noms soient une fracture, nette, qui se consolidera sans
gravés dans la pierre rose, la plus belle, la problème, voilà le bilan de ses acrobaties.
plus chère qui vient peut-être de Carrare, Jorge a affirmé aux parents de Graziella
il a placé sur la tombe un ex-voto où il a fait et à l’assistante sociale, qu’il veut vivre avec
graver ces mots : « Pour ma mère adorée, la jeune fille dès qu’elle aura dix-huit ans,
pour ma petite sœur, lumière de mon et pourquoi pas, se marier avec elle si elle
enfance, qui restera à jamais présente dans le souhaite. Lui, il est déjà majeur. Graziella
mon cœur ». est d’accord, les Di Falco ne sont pas contre,
Le marbrier, après avoir tracé la fin de alors, le mieux serait de les aider, tout en
la longue épitaphe, l’a regardé comme s’il souhaitant que cette union juvénile tienne
était anormal. le coup. Après tout, pourquoi pas ?
Hugo est allé au cimetière. Hugo a décidé finalement d’avancer de
« Anormal, je le suis peut-être », a sou- l’argent à Jorge pour qu’il puisse s’établir
piré le jeune homme en se penchant sur à son compte dans quelque temps, car les

41
Le quartier du Fleuve
banques ne lui font pas confiance. En atten- Surpris, il se retourne. Sacha, vêtu d’un
dant, un grand magasin, spécialisé dans la jean déchiré et d’un chandail sale, se tient
production de meubles de qualité, a accepté près de lui, un bouquet de bruyères à la
d’engager le jeune homme au service ébé- main.
nisterie. Une chance, qui s’est présentée au – C’est toi qui fleurissais la tombe, n’est-
bon moment, un véritable miracle. Quand ce-pas, dit Hugo.
Graziella sera rétablie, elle entreprendra – Oui. Il y a des marguerites sur le coteau,
une formation d’aide-soignante. Madame au printemps, avec les genêts, c’est gratuit.
Martinon s’occupe des démarches, elle a fini Et l’automne, on trouve de la bruyère.
par admettre que les études supérieures et Il dépose son bouquet dans un pot de
Graziella, ça n’est pas compatible. La jeune confiture vide, chipé sur une des conces-
fille n’est pas douée comme son frère Angelo, sions voisines.
en revanche elle a d’autres qualités qui ne – Il ne faut pas avoir de la peine, dit-il sou-
demandent qu’à s’épanouir. dain. Poupée est heureuse à présent.
Un appartement en rez-de-chaussée a été Pour la première fois Hugo ne le sent pas
libéré au Rhodanien et attribué à Jorge et hostile et il se confie au jeune garçon comme
à sa grand-mère. Il a néanmoins fait une s’il pouvait comprendre.
demande pour un pavillon, quand le nou- – Je m’adresse tellement de reproches,
veau quartier des Cabanes sera reconstruit. Sacha, si tu savais ! J’aurais dû revenir plus
tôt. Mais j’attendais la majorité de Poupée.
Notre père ne l’aurait pas laissée partir,

M
arguerite, que Hugo a revue le autrement. Et elle a eu quatorze ans et elle
jour même à l’hôpital au chevet est morte, et je ne l’ai jamais revue.
de Graziella, est heureuse d’ap- – Quatorze ans, comme moi aujourd’hui.
prendre ces nouvelles. C’est sa collègue – Pour toi il n’est pas trop tard, Sacha. Tu
qui a concocté un papier succinct sur l’ac- me crois ?
cident de Graziella, ne mentionnant pas, Son frère ne dit rien, il a repris son masque
charitablement, la présence sur les lieux d’impassibilité. Hugo imagine sans peine le
de Marguerite et d’Hugo. destin qui attend le garçon, s’il reste avec
Avec Sacha, malheureusement, rien n’est Franck et sa concubine.
résolu. Franck ne veut plus se charger de son Alors il s’écrie, véhément :
dernier fils. Et Sacha ne veut pas être placé – Sacha, tu sais que je m’en vais
par l’aide sociale. Il souhaite rester chez son aujourd’hui. Tu n’as rien à me dire ?
père, allez savoir pourquoi. Le gamin hausse les épaules. La lumière
– Peut-être parce qu’il est libre d’y com- de ce jour automnal se reflète dans ses yeux.
mettre toutes les bêtises possibles, a sou- – Tu veux toujours m’emmener ? Tu ne
piré Hugo. plaisantes pas ?
À présent, Hugo s’incline sur l’étroite – Ce n’est pas mon genre.
tombe où reposent Meryl et Poupée. – Si tu le dis…
– Toi, ma petite sœur, que serais-tu Hugo hésite à comprendre. Il attend, il
devenue si tu avais vécu ? Aurais-tu attendu comprend que son jeune frère l’étudie, qu’il
sagement que je vienne te chercher ? est prêt à lui faire confiance, enfin. Mais
Il regarde le ciel, essaie de prier. Comme il suffirait d’un mot maladroit pour que le
il s’est éloigné de la foi que leur mère leur gamin fuie.
avait inculquée! Peu à peu, auprès d’Élias et Enfin, Sacha sourit.
de Rébecca, Hugo a repris confiance, même – O.K., mec, je veux bien tenter le coup.
si parfois il doute, il a peur. Même d’être Seulement, il faudra que t’acceptes mon
heureux. chien. Ti-con, il est à moi, il vit chez Jorge,
– Hugo… parce que mon père ne l’aurait pas accepté,

42
mais il sait que je suis son maître, pas vrai, que la première strophe, et ça résume tout
Ti-con ? ce qu’il y a dans mon cœur. Est-ce que tu
Le chien lance un bref aboiement, il a l’air veux l’entendre ?
d’approuver. – Bien sûr, je t’en prie, Sacha
– Je connais son histoire, Graziella m’a Lentement le gosse récite :
raconté. Tu l’as sauvé d’une mort atroce. « Je veux partir, je veux prendre la porte,
Tu t’es montré bien courageux. Oh, Sacha, je veux aller là où le vent n’a plus de feuilles
mon petit frangin ! Bien sûr, que je veux mortes, à râteler »
t’emmener et m’occuper de toi ! Et ton chien Hugo a les larmes aux yeux. Il n’a rien
viendra aussi. pu faire pour leur sœur, il peut beaucoup
– Ça ne sera pas toujours facile, je suis de pour celui-là, un être de son sang, qui lui est
la mauvaise herbe, notre père le dit. devenu infiniment cher et précieux.
– La mauvaise herbe, ça n’existe pas. Tout Sacha a posé sa main sur son bras.
ce qui est sur terre à son utilité et son rôle – Hugo, j’aimerais devenir un poète. Parce
à jouer. qu’on peut habiller la mocheté de l’existence
Ils sortent ensemble du cimetière, le chien avec des mots en couleur, des mots de bon-
entre eux. Sacha à présent se dégèle. heur.
– Au collège j’ai appris un poème que j’ai- Hugo sourit.
merais avoir écrit. Je ne suis pas aussi nul – On naît poète, on ne le devient pas. Et
que la Jenny le dit. Il est d’Henri Pourrat. tu l’es. Comme Poupée l’était.
Le titre, c’est « Je veux partir », je n’ai retenu (à suivre)

SOLUTIONS DES JEUX DES PAGES 28-29

MOTS CROISÉS SUDOKU MOTS FLÉCHÉS


A B C D E F G H I J 8 7 2 5 9 6 1 3 4
C B T D A L T
9 5 4 1 3 8 6 2 7
1 L O C O M O T I O N 6 1 3 7 4 2 5 8 9 M E L O M A N E P O I L A
1 6 9 3 5 4 8 7 2
2 A R A A V A N C E 2 4 5 8 7 9 3 1 6 N E G A T I V A I S O B
3 I N D I R E C T V 7 3 8 6 2 1 9 4 5
O D E N A D I N E C I L
3 2 1 9 6 7 4 5 8
4 T E R N I H E M E 5 9 7 4 8 3 2 6 1 R B T S S O C L E E
4 8 6 2 1 5 7 9 3
5 A E T A G E R E V I S E E U S A I E T
6 G E R E E T A L S 5 3 8 6 7 9 1 4 2 E N C A D R E R N O R T
7 E P A R G N E R A I 1 6 4 8 5 2 3 7 9
T R I U T I R E
2 9 7 1 3 4 6 8 5
8 O S C A R M I R 3 8 2 4 6 5 9 1 7 F A F E L E
6 4 1 3 9 7 5 2 8
9 T U A L E S E V 7 5 9 2 8 1 4 3 6 O B E R E A R U
10 I S O L E E S S E 9 1 6 7 4 8 2 5 3
O M U V U E S
4 7 5 9 2 3 8 6 1
11 C A F E T A N O N 8 2 3 5 1 6 7 9 4 S U J E T C A U T E
12 K I F A B S O U T L A S N O B U C H E R
7 2 6 3 9 1 8 4 5
13 E R O S E U R E 3 5 1 8 4 2 7 9 6 N E M H A K A S I R
9 8 4 5 7 6 1 3 2
14 T R E S R O T I S 4 9 2 6 5 8 3 7 1 B I O E C H A N B A
6 1 8 7 3 9 2 5 4
E C A R T S C O N D U I T
MOTS MÉLANGÉS 5 3 7 1 2 4 6 8 9
Le mot qui répond à l’énigme est : 1 6 5 9 8 3 4 2 7 G A T E A U C O E U R
2 7 3 4 1 5 9 6 8
Pô. 8 4 9 2 6 7 5 1 3 C H E N E T S M E C M E

43
Une marque, une histoire

Petit Bateau
révolutionnaire et culottée
Née à Troyes il y a cent vingt-sept ans,
l’enseigne a réinventé le sous-vêtement sous l’impulsion
de la famille de bonnetiers Valton. Elle a ensuite
imposé nombre d’innovations pour rendre
le vêtement plus pratique et confortable. Libérant par
là même les corps d’enfants, puis d’adultes.

C
’est l’histoire d’un coup sous-vêtements, au confort aléa-
de ciseaux génial, qui toire, par du coton blanc lavable,
coupa court aux culottes plus agréable et plus hygiénique.
des gueux et des princes Le plus jeune des Valton, Étienne,
e
du XIX siècle. Jusqu’aux Années visionnaire et attentif aux besoins
folles, en effet, la culotte avait des de la clientèle – elle se tourne de
jambes, courtes ou longues, n’en plus en plus vers le confortable et
déplaise aux petits bateaux de la le pratique – empoigne ses ciseaux
comptine. Des jambes de laine. un jour de 1918. Fini le caleçon long
C’est un certain Étienne Valton, et irritant, place à la petite culotte,
qui donne ce coup au sortir de la symbole de confort et de qualité, Cette invention géniale, pratique et
Grande Guerre, changeant pour grâce à son dessin et à la nouvelle
toujours la face (et la longueur) des maille de coton hydrophile gainante chemises, traditionnellement lon-
sous-vêtements. Lui et ses deux dans laquelle elle est tricotée, dite gues et fendues sur les côtés, et
frères, André et Xavier, étaient 2x2 (2 mailles à l’envers, 2 mailles concourt à la transformation du
à bonne école puisque, chez à l’endroit), qui lui assure une sou- caleçon en slip, puis à la création
les Valton, on était bonnetier de plesse incomparable. Sa forme, du tee-shirt. L’invention d’Étienne
père en fils, à Troyes. Pierre, leur alors, est toute simple, presque Valton vaut révolution ! Selon la
père, entra au mitan du XIXe siècle carrée, taille haute et échancrures légende, plus de 30 millions d’éti-
comme commis à la bonneterie plus marquées que sur ses devan- quettes Petit Bateau ont été fabri-
Quinquarlet. Doué et appliqué, il cières. Elle libère les mouvements quées entre 1921 et 1930. Et, en
se fit remarquer, grimpa dans la des bébés avant de grandir avec 1937, à Paris, la géniale invention de
hiérarchie et épousa Noémie, la eux. D’abord référencée comme Valton sera récompensée du Grand
fille Quinquarlet, qui lui donna un la « 400 », elle va prendre le nom Prix de l’innovation lors de l’Exposi-
premier héritier, André. de Petit Bateau, en référence à la tion internationale «des arts et des
En 1893, père et fils fondent comptine des bateaux sans jambes techniques dans la vie moderne».
la société Valton & ses fils, et ils que la femme d’Étienne fredonne à
fabriquent dessous et chaussettes leurs enfants. La marque sera offi-
Marinette la mascotte
en laine. Entrepreneurs nova- ciellement déposée en 1920. Au fil des années, la petite culotte
teurs, ils ont d’abord l’idée, dès Cette nouvelle forme de culotte s’offre une ceinture en Bateaulastic
1912, de remplacer la laine des entraîne le raccourcissement des résistante aux lavages, des

44
par Victor Cascales

en bout de chaîne. Soit 2,4 kilo- sur la qualité et la durabilité. Les


mètres de fil de coton extra pur, petits s’éclatent en Petit Bateau,
800 points de couture et deux et leurs mamans sont aux anges!
minutes et vingt-huit secondes de Les publicitaires, eux aussi,
confection par petite culotte. Cette s’en donnent à cœur joie, avec
star habille chaque année 4,7 mil- des slogans qu’on n’oublie pas :
lions de fessiers dans le monde. «Beau dessus comme dessous»
Habiles pour vanter les atouts de en 1933, «À quoi ça sert d’imagi-
leur géniale création, les Valton ont ner des vêtements si on peut rien
l’idée de faire dessiner par l’illustra- faire dedans?» en 2002, «Jamais
trice anglaise Béatrice Mallet une vieux pour toujours » en 2014.
mascotte publicitaire, qu’ils pré- Marinette laisse la place, dans les
nomment Marinette. La fillette aux années 1960, à de vrais enfants,
trois couettes brunes, espiègle et espiègles et turbulents, qui mettent
potelée, porte et incarne avec suc- les vêtements Petit Bateau à rude
cès la culotte Petit Bateau jusque épreuve. Intemporel, Petit Bateau
dans les années 1950, dans Le Petit traverse les époques, impose ses
Écho de la mode, Le Pèlerin, ou quatre «icônes», la culotte, le tee-
Le Jardin des modes. La maison shirt, le ciré et la marinière, installe
troyenne impose très vite le style une première boutique en région
et le confort de ses vêtements «de parisienne en 1978 (aujourd’hui la
bonne tenue». Ces sous-vêtements marque compte environ 200 points
«populaires de qualité» ne sont pas de vente en France).
donnés, mais restent accessibles En 1988, Yves Rocher rachète
au plus grand nombre et s’avèrent l’entreprise qui débarque sur les
PETIT BATEAU

très solides dans le temps. podiums de la haute couture en


1995. Cette année-là, Karl Lagerfeld
Phénomène de pub fait défiler Claudia Schiffer en tee-
confortable, traverse les époques. Fidèle à son esprit d’entreprise et shirt Petit Bateau taille enfant sous
d’innovation, la famille Valton lance, son tailleur Chanel. Une petite révo-
échancrures encore plus hautes et dès 1950, les premiers bodys pour lution! La marque devient instan-
une nouvelle côte, la 1x1, encore bébés dotés d’une emmanchure tanément à la mode, les jeunes
plus souple et confortable. Son américaine et de boutons-pres- femmes filiformes s’arrachent par
nuancier s’enrichit aussi, au gré sions s’inspirant des GI’s, qui millions les débardeurs ou tee-
des trouvailles du laboratoire des enfilaient leurs sous-vêtements shirts en coton et 500 coloris diffé-
couleurs (on compte aujourd’hui sans enlever leur casque de sol- rents, taille 16 ou 18 ans. Au début
2 300 nuances différentes, parmi dats. Dix ans plus tard, la marque des années 2000, Petit Bateau
lesquelles lait, bleu smoking, car- invente les bouclettes velours et conquiert Londres, puis New York.
min, rose fleur, rouge mars ou jaune éponge, pour des pyjamas plus À 127 ans, la marque se porte
shine). Mais le blanc originel reste doux et plus chauds. Et, au début toujours confortablement et ne
la couleur culte de Petit Bateau. des années 1970, c’est le lance- cesse de se réinventer. Ainsi, en
Les six étapes de fabrication ment du tricot « milleraies », soit septembre dernier, elle a lancé
d’une culotte sont immuables: les 1000 rayures au mètre, avant l’ar- sa première collection de linge
couturières posent le fond, puis rivée de couleurs, puis de motifs. de maison réservée aux enfants
une bande de tricot prédécoupée Tous ces vêtements, plus souples – draps, taies, tours de lits, cous-
sur les ouvertures de jambes (col- et mieux adaptés à leurs morpho- sins au tissu garanti sans produits
letage), cousent le devant par un logies et à leurs mouvements, chimiques. Toujours en tête, Petit
côté, posent la ceinture, cousent le habillent presque sur mesure les Bateau vogue désormais sur la
dernier côté et contrôlent la qualité enfants. Sans faire de concession vague écolo! •

45
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Série
ISTOCK

Mon cœur
à son passé renonce
15–RÉSUMÉ: Pour l’équipage et les passagers du ans la nuit, le vapeur essuya
Louqsor, l’escale à Malte est la bienvenue. Pierre un grain aussi violent qu’inat-
et sa cousine Agnès sympathisent avec Félicité, tendu. Au large des côtes
la fille du marquis de Lassalle. Pour ces jeunes libyennes, la mer grossit et le
gens, la visite de La Valette en compagnie de vent se mit à souffler du nord-
l’ambassadeur et de son petit-fils est aussi l’occa- ouest. Le capitaine, s’étant relevé précipi-
sion de faire plus ample connaissance. Mais c’est tamment, assistait son officier de quart à la
bientôt le moment de reprendre la mer en direc- barre, il avait fait réduire la vitesse et don-
tion de l’Égypte. (Voir Veillées nos 3448 et suivants.) nait ses ordres au moyen d’un transmetteur
au mécanicien en chef, depuis la passerelle
de commandement. Des paquets d’eau de
mer et de pluie se déversaient par à-coups
sur le navire, qui malgré son tonnage tan-
guait dans la tempête.
Agnès, réveillée en sursaut, se redressa
sur sa couchette, le cœur battant. Une peur
incontrôlable la saisit. Ce déchaînement
infernal où le ciel et la mer semblaient
s’être ligués pour les anéantir terrorisait
la jeune fille autrefois séparée brutale-
ment de ses parents. Un long cri traversa les

47
Mon cœur à son passé renonce

minces parois et se répercuta dans les autres Comme pour contredire ses bonnes inten-
cabines. Le comte de Cléry, qui avait compris, tions, une violente secousse déstabilisa les
se précipita, suivi de Pierre. La chambre tables de jeu autour d’eux et plusieurs d’entre
n’était pas verrouillée, heureusement. elles glissèrent contre le mur. Tous trois se
Il prit sa nièce dans ses bras, caressant la levèrent d’un seul mouvement.
tête de la jeune fille de sa large main. – Ne restons pas ici, intervint le mar-
– Ce n’est rien, mon petit, tout va bien, tout quis, regagnons nos cabines. Même si nous
va bien… en mourons d’envie, notre présence sur le
Il répétait ces mots en serrant contre lui pont ne serait pas appréciée. Le capitaine
le pauvre corps tétanisé. Pierre les regar- et ses hommes font certainement tout ce
dait, muet, tandis que la femme de chambre qu’ils peuvent, nous ne pouvons que nous
accourue mouilla un linge et entreprit d’en en remettre à eux… et au Ciel.
bassiner les tempes de la jeune fille. Elle Passant devant la cabine de sa cousine,
était en sueur, livide, presque inconsciente. Pierre gratta discrètement à la porte avant
– Faites venir le médecin de bord, vite ! d’y pénétrer. Son père n’avait pas bougé, il
tenait toujours dans ses mains les doigts
d’Agnès qui s’étaient refermés sur sa paume.

P
ensant pouvoir être utile, le docteur – Elle s’est endormie. Tu devrais en faire
Veuillot faisait partie des passagers autant, dit-il à l’adresse de son fils, sans
qui s’étaient spontanément mis à la quitter des yeux la jeune fille.
disposition du capitaine et de ses officiers. – Vous ne voulez pas que je vous relaie ?
Il arriva sans délai. Le comte en quelques – Non, je te remercie, mais je préfère être
mots le mit au courant de la situation. Agnès, ici. De toute façon, il ne me sera pas possible
les yeux dans le vide, était à présent secouée de fermer l’œil. Morphée attendra ! ajouta-
de sanglots… Il lui prit la main. t-il dans un sourire, ce qui rassura le jeune
– Le pouls est rapide mais régulier. Je vais homme. Il avait vu son père si inquiet tout
lui administrer un calmant, elle devrait se à l’heure.
rendormir, mais veillez à ce que sa femme Il se retira sans bruit et regagna sa propre
de chambre reste auprès d’elle. cabine. Une sensation bizarre le saisit comme
– Non, c’est moi qui vais rester, docteur. il s’asseyait sur son lit. Le bateau ne tanguait
Merci. plus, les sinistres craquements de la coque
Approchant un fauteuil du lit où Agnès, les au-dessous d’eux s’étaient tus. Il écouta de
yeux ouverts, reposait, il prit sa main dans longues minutes, cherchant à percevoir les
les siennes et se remit à lui chuchoter des sons de la tempête… mais rien, rien qu’un
paroles rassurantes. Le médecin et Pierre léger balancement et le murmure confus
sortirent en refermant doucement la porte. d’une mer redevenue calme.
Dehors, le marquis de Lassalle, tenant N’y tenant plus, il décida d’aller voir et
contre lui Félicité, attendait, le visage grave. gagna le pont. Quelques passagers éloignés
Le docteur Veuillot les rassura tous deux, du bastingage contemplaient la mer. L’orage
mais ce fut Pierre qui, prenant les devants, avait cessé ! Les vagues s’abaissaient et le
les entraîna dans le salon de jeu déserté à vapeur filait de nouveau sur une eau apaisée.
cette heure de la nuit et, sobrement, expliqua
la raison de la crise d’angoisse dont sa cou-

L
sine venait d’être victime. e jour se leva sur un ciel dégagé. Toute
– Mon Dieu ! murmura Félicité, ne puis-je trace de la tempête nocturne avait dis-
donc rien faire pour elle ? paru. On aurait pu croire qu’on l’avait
– Non, répondit Pierre avec émotion, mon rêvée. Seuls les traits tirés des passagers,
père est auprès d’elle, nous ne pouvons que qui peu à peu émergeaient de leur cabine
prier pour que ce maudit orage s’éloigne. et venaient aux nouvelles, trahissaient

48
l’éprouvante nuit. Le capitaine rassura tout – Veux-tu bien te taire, la gronda-t-elle
le monde : le navire n’avait pas subi d’avarie gentiment. D’abord je n’étais pas seule,
et personne, Dieu merci, n’avait été blessé. mon oncle ne m’a pas quittée un seul ins-
Félicité fut la première à demander des tant. Et j’ai dormi comme un bébé après que
nouvelles de son amie. Pierre, qui avait le docteur Veuillot m’a administré un cal-
frappé sans obtenir de réponse, s’était mant. Savoir que tu as pensé à moi me suffit,
décidé à pousser la porte. Sa cousine sem- Félicité, et je t’en remercie.
blait dormir paisiblement, de même que son – Comme vous êtes bonne, Agnès ! dit-elle
père, calé dans le fauteuil qu’il n’avait pas en l’embrassant.
quitté… La jeune fille se releva en riant.
Ce ne fut que tard dans la matinée

‘‘
qu’Agnès, précédée de Renaud de Monfort,
apparut. D’une parfaite élégance, souriante,
la jeune fille ne laissa rien paraître de sa Elles firent une entrée
nuit d’angoisse. Elle embrassa son cousin et
Félicité qui, appuyés au bastingage, bavar- remarquée dans le grand salon

’’
daient comme de vieux amis. Ils firent transformé en salle de bal
quelques pas sur le pont avant de s’asseoir
sur les fauteuils de rotin que le personnel
avait pris soin de remettre à la proue du – Puisque tu prétends être mon amie, tu
navire. Un silence s’installa que mademoi- ne vas pas continuer à me vouvoyer !
selle de Lassalle rompit en demandant : – Non, bien sûr ! excusez… excuse-moi !
– C’est la soirée du capitaine, viendrez- – Voilà qui est mieux. Et si nous allions
vous, Agnès ? choisir nos tenues pour ce soir et manger
– Mais bien sûr ! je ne voudrais pas man- un peu ? Je n’ai pas pris de petit déjeuner,
quer à cette tradition ! je meurs de faim !
Pour leur dernière nuit en mer, il était de Les deux amies, bras dessus, bras dessous,
coutume que le capitaine offrît à ses passa- rejoignirent la cabine d’Agnès que la femme
gers une soirée festive avec musique, danse de chambre avait remise en ordre et aérée,
et buffet. Chacun avait à cœur de s’y mon- commandèrent un substantiel déjeuner et se
trer sous ses plus beaux atours et l’on y pas- mirent à ouvrir les malles cabines entrepo-
sait généralement de très agréables heures. sées dans le salon attenant.
La conversation glissa sur les robes que
les jeunes filles porteraient pour l’occasion

E
et Pierre choisit de s’éclipser en riant. t le soir venu, elles firent une entrée
– Je vous abandonne à vos chiffons, mes- remarquée dans le grand salon d’ap-
demoiselles, laissez-moi la surprise de vous parat transformé en salle de bal.
découvrir métamorphosées en princesses ! Félicité portait une robe vert pâle, mous-
Et s’inclinant, il les quitta. seuse à souhait, qui mettait en valeur son
Délaissant la question des toilettes, Félicité teint de porcelaine. Ses cheveux libérés des
s’exclama : nattes qu’elle portait habituellement étaient
– Oh ! Agnès, si vous saviez ! j’aurais tel- simplement retenus au-dessus de la tête par
lement voulu… une barrette. Les belles boucles rousses
– Mais quoi donc, Félicité ? retombaient souplement sur ses épaules,
– Mais… être auprès de vous, ne suis-je pas accentuant les charmantes éphélides qui
votre amie ? Je vous ai laissée seule quand parsemaient son visage.
vous auriez eu besoin de moi ! Agnès, vêtue d’une robe en faille de soie
Elle semblait si sincèrement désolée qu’Agnès bleu roi soulignée à la taille par une large
se leva et vint s’agenouiller devant elle. ceinture de même tissu, avait relevé ses

49
Mon cœur à son passé renonce

beaux cheveux dorés. Elle portait pour seul plus là pour guider les marins, mais l’Égypte
bijou deux rangs de perles d’une délicate s’offrait déjà aux regards, l’Égypte et ses
blancheur. Elle était au bras de son oncle, promesses, l’Égypte et ses trésors…
tandis que Pierre s’était fait le chevalier ser- Cependant, la rade d’Alexandrie étant
vant de mademoiselle de Lassalle. Agnès réputée dangereuse, il fallut attendre l’ar-
avait surpris le regard de son cousin en aper- rivée à bord d’un pilote égyptien qui, fort de
cevant la jeune fille, un regard où se mêlaient sa connaissance des récifs et autres écueils,
étonnement et admiration. sut mener le bateau à bon port.
L’orchestre jouait en sourdine pour ne Les voyageurs regardaient intensément
pas interrompre les conversations. On avait la terre se rapprocher. Cette terre que le
dressé des petites tables rondes sur le pour- comte connaissait bien, mais que les jeunes
tour. Un grand buffet, artistement garni de gens abordaient pour la première fois. Une
tout ce que pouvaient désirer les convives, grande émotion les avait submergés, un
tenait un pan entier de la pièce. Le comman- peu comme celle qu’ils avaient ressentie en
dant, en grand uniforme des Messageries quittant la terre de France, l’exaltation en
maritimes, et tous les officiers qui n’étaient plus. Cette Égypte dont ils rêvaient depuis
pas requis pour la bonne marche du navire des mois était là, tout près ! Dans quelques
étaient là, discutant avec les messieurs avant heures, le temps d’accoster puis de débar-
d’inviter les dames quand le moment du bal quer, la cité d’Alexandre leur ouvrirait les
serait venu. L’ambiance était joyeuse, la tem- portes de l’Orient.
pête oubliée. Cosmopolite, Alexandrie accueillait
Le comte de Cléry fit danser sa nièce, les étrangers de toutes nations en un flot
heureux de la voir souriante et sereine. Les continu. Grecs, Juifs, Chypriotes, Italiens,
liens d’affection qui existaient depuis tou- Arabes… s’y côtoyaient dans un joyeux
jours entre eux semblaient s’être resserrés désordre. Une permanente agitation sem-
encore. Agnès savait gré à son oncle de sa blait animer la cité.
présence si rassurante. Au fil des années, À leur descente du bateau, deux hommes
il était devenu pour elle ce père aimant. attendaient Renaud de Monfort et les siens.
La nuit dernière n’en était qu’une preuve Guillaume Malartre, attaché d’ambassade
de plus. Sans avoir besoin de mots, l’un et au Caire, et Nicolas de Laval, assistant au
l’autre le savaient, et leur cœur débordait de musée de Boulaq, chargé de recueillir les
reconnaissance et d’amour. Quant à Pierre, pièces issues des fouilles françaises. Monfort
il enchaîna danse sur danse avec Félicité, connaissait ce dernier, jeune et brillant
ne laissant qu’à regret la jeune fille accepter chercheur, qui avait toute la confiance du
une valse d’un officier revenu plusieurs fois directeur. C’était avec lui qu’il devait orga-
lui demander cette faveur. La soirée se ter- niser sa campagne de fouilles et il savait déjà
mina fort tard, ou plus exactement fort tôt ! que le terrain serait bien préparé.
La fin du jour verrait les voyageurs dormir – Excellence, c’est un grand privilège et
sur la terre des pharaons… une joie immense de vous accueillir en terre
égyptienne ! déclama Nicolas de Laval, en
serrant la main que Monfort lui tendait.
Chapitre 19 – « Excellence » ! De grâce, jeune homme,
dit le comte en riant, laissons cela, voulez-
vous. Nous allons travailler côte à côte pen-

L
’île de Pharos dessinait ses contours à dant de longues semaines, « monsieur »
peine noyés de brume quand un long suffira amplement !
gémissement de sirène annonça l’ar- – Guillaume Malartre qui m’accom-
rivée prochaine du vapeur. Le phare millé- pagne va se charger des formalités d’en-
naire, septième merveille du monde, n’était trée si vous le permettez, il nous rejoindra

50
ensuite à l’hôtel où nous vous avons retenu – D’autant, précisa Nicolas, que nous
des chambres. Nous avons pensé que vous n’avons aucune preuve matérielle de son
aimeriez vous reposer… existence !
– En effet ! le voyage n’a pas été de tout – Mais vous savez bien quelle fut la cause
repos, expliqua le comte en montant dans de sa destruction? demanda Pierre qui com-
l’élégante calèche qui les attendait, nous mençait à trouver cette histoire passionnante.
avons essuyé un orage en quittant Malte, – Même pas ! reprit Laval. Guerres civiles,
une véritable tempête, devrais-je dire ! conflits politiques, incendie… les spécia-
Le trajet qui les conduisit hors de la ville listes sont partagés. Puis se tournant vers
permit aux voyageurs d’échanger avec le Renaud de Monfort : quelle est votre opi-
jeune Laval, tout en faisant plus ample nion, monsieur ?
connaissance. Ils avaient pris congé des – Ce qui est certain, c’est que la disparition
Lassalle qui devaient rejoindre Le Caire de la Grande Bibliothèque ne s’est pas faite
dans quelques jours seulement. Le mar- en un jour, ni même en un an ! Elle fut pro-
quis avait des négociants à rencontrer pour gressive et ses causes multiples. Cela reste
affaires, Alexandrie étant une place com- un mystère et un beau challenge pour les
merçante très active. archéologues !
La promenade fut des plus agréables. On – Ils ont déjà fort à faire avec les vestiges
quitta la zone portuaire, on traversa une du phare, reprit Nicolas, et là au moins nous
partie de la vieille cité, on passa près de la avons des traces, au fond de la mer je vous
citadelle de Qaitbey et on poursuivit vers la l’accorde, mais les pierres sont ici et elles
pointe nord du littoral, en longeant la côte. peuvent parler !
C’est ainsi que les voyageurs étaient
arrivés à destination. L’hôtel Olympos domi-

N
icolas de Laval se montra un guide nait la mer au milieu d’une sorte d’oasis
charmant. Faisant revivre pour ses créée de toutes pièces qui lui donnait l’as-
hôtes chaque lieu important, il savait pect d’un palais ottoman.
parsemer ses propos d’anecdotes touchantes Ils prirent possession de leurs chambres
ou cocasses qui nuançaient le ton un rien avec un plaisir non dissimulé. Les cabines du
professoral qui aurait pu ennuyer les visi- Louqsor, pour confortables qu’elles fussent,
teurs… n’égalaient en rien les spacieuses et lumi-
Clér y, qu i con na issa it l ’ h istoi re neuses pièces qui les attendaient pour la
d’Alexandre et de sa mythique cité sur le nuit. On y avait déposé les sacs de voyage
bout des doigts, le laissait parler, mais ne et autres effets indispensables. Quant aux
put s’empêcher d’intervenir lorsqu’il fut malles et aux caisses que le personnel du
question de la septième merveille du monde vapeur avait débarquées sur le quai, elles
antique qui, à ses yeux, n’était pas le phare avaient été transportées dans les locaux de
légendaire mais la Grande Bibliothèque. la compagnie de chemin de fer, qui reliait
– Sept cent mille ouvrages ! Vous rendez- quasi quotidiennement la ville au Caire.
vous compte ? Tous traduits en grec. Chemin de fer que devaient prendre dès le
L’ensemble du savoir universel rassemblé lendemain les trois voyageurs et leur guide.
en un seul lieu ! Tout ce qui comptait dans Avec sa gentillesse et sa grande érudition,
le monde méditerranéen d’érudits, d’intel- Nicolas de Laval s’était acquis presque ins-
lectuels, de savants… participa à ce travail tantanément la sympathie des deux cousins,
colossal. qui se réjouissaient de partager l’aventure
– Je suis d’accord ! acquiesça Agnès, quel égyptienne avec ce charmant compagnon.
dommage qu’une telle somme de connais- (à suivre)
sances ait disparu ! Nous ne saurons jamais
tout ce qu’elle renfermait… Noëlle YVRARD

51
La bonne cuisine par la rédaction

Les belles salades de l’hiver


Avec les températures qui chutent, on veut bien manger des salades,
mais à condition qu’elles tiennent au corps et qu’elles puissent
faire office de plat unique. C’est si facile avec nos bonnes recettes !

Salade
au reblochon
et haddock
pour 4 personnes
préparation : 10 min
pas de cuisson
congélation : 15 min

Ingrédients : 1/3 de reblochon


• 200 g de haddock cuit • quelques
noix ou noisettes • 125 g de roquette
• 3 c. à soupe d’huile d’olive • 3 c.
à soupe de vinaigre balsamique
• poivre • sel.
Réalisation
– Placez le haddock au congéla-
teur 15  min environ pour faciliter
sa découpe. Puis posez-le sur une
planche et, avec un couteau bien
aiguisé, coupez de fines lamelles.
– Hachez grossièrement les noix ou
les noisettes.
– Retirez la croûte du reblochon et
coupez-le en petits dés.
– Disposez un lit de roquette sur
4 assiettes, des lamelles de had-
dock dessus et ajoutez quelques
dés de reblochon.
– Parsemez de noix ou de noisettes
concassées.
REBLOCON DE SAVOIE

– Mélangez l’huile et le vinaigre,


assaisonnez de poivre et de sel (très
peu, le haddock est déjà salé).
– Arrosez la salade avec un peu de
cette vinaigrette.

52
SEEBERGER
Salade de fruits et légumes aux cerneaux de noix
pour 4 personnes – préparation : 20 min – cuisson : 20 min

Ingrédients : 120 g de mélange de riz sauvage – Épluchez les betteraves et coupez-les en tranches
• 2 poires • 2 betteraves rouges • 100 g de jeunes fines. Lavez les pousses d’épinards et séchez-les.
épinards • 90 g de cerneaux de noix (type Seeberger) – Faites légèrement griller les cerneaux de noix dans
• 200 g de raisins frais • 150 g de feta. Pour la vinai- une poêle. Réservez.
grette : 4 c. à soupe de jus d’orange • 1 c. à café de Préparez la vinaigrette : mélangez le jus d’orange, le
sirop d’érable • 3 c. à soupe d’huile d’olive • 1 c. à sirop d’érable, l’huile d’olive, le vinaigre balsamique
soupe de vinaigre balsamique • 1 c. à café de mou- et la moutarde. Salez et poivrez. Assaisonnez les épi-
tarde • poivre • sel. nards avec la moitié de cette vinaigrette.
– Répartissez le riz dans quatre bols, ajoutez une bonne
Réalisation poignée d’épinards, quelques tranches de poire et de
– Faites cuire le riz sauvage selon les indications du betterave ainsi que quelques grains de raisin. Versez
paquet. Égouttez-le et laissez refroidir. au goutte-à-goutte le reste de la vinaigrette.
– Ouvrez les poires, retirez les pépins, puis coupez les – Émiettez la feta sur la salade. Pour terminer, garnis-
quartiers en tranches fines. sez avec les cerneaux de noix.

53
La bonne cuisine

Salade tiède
de pois chiches et courge

MYRTILLES SAUVAGES DU CANADA


au sainte-maure de Touraine
pour 1 personne
préparation : 20 min – cuisson : 20 min

Ingrédients : 250 g de pois chiches cuits (en conserve)


• 400 g de courge butternut • 1/2 sainte-maure de
Touraine AOP • 1 c. à café de cumin • 1 c. à café
d’ail en poudre • 2 c. à soupe d’huile de tournesol
• 1/2 c. à café de piment d’Espelette • 1 poignée de
Salade de lentilles
roquette • sel. sauce myrtilles
Réalisation pour 4 personnes
– Préchauffez le four à th. 6-7 (200 °C). préparation : 35 min – cuisson : 40 min
– Rincez les pois chiches à l’eau froide et égouttez-les.
Pelez la courge butternut et coupez-la en dés. Ingrédients : 250 g de lentilles vertes • 100 g de
– Versez la courge et les pois chiches dans un grand myrtilles sauvages du Canada • 8 cl de jus de myr-
saladier ou un plat allant au four. Ajoutez le cumin, l’ail, tille • 1 citron non traité • 1,2 kg de carottes violettes
l’huile de tournesol, puis assaisonnez avec le piment (ou de carottes normales) • 100 g de poireaux • 55 cl
d’Espelette et le sel. Mélangez bien et étalez sur une de bouillon de légumes • 1 feuille de laurier • 40 g de
plaque recouverte de papier de cuisson. mâche • 40 g de sucre roux • 8 cl de vinaigre de cidre
– Faites cuire 18 à 20 min au four. • 5 cl d’huile d’olive • 60 g de beurre • 1 c. à café de
– Pendant ce temps, découpez la moitié du sainte- sucre en poudre • poivre • sel.
maure de Touraine en tranches et le reste en dés.
Réservez au réfrigérateur. Réalisation
– À la sortie du four, laissez les légumes rôtis tiédir, – Préchauffez le four à th. 5-6 (160 °C). Lavez le citron
puis répartissez-les sur les assiettes. et râpez finement le zeste. Pressez-le et réservez le jus.
– Décorez de quelques feuilles de roquette, et de dés – Lavez les carottes, épluchez-les et coupez-les en
et de tranches de sainte-maure de Touraine. deux ou en quatre dans la longueur. Mettez les mor-
ceaux dans un plat allant au four avec le beurre coupé
en dés. Arrosez de jus de citron et saupoudrez de sel
et de sucre. Couvrez de papier d’aluminium et faites
cuire au four 40 min environ.
– Pendant ce temps, lavez les poireaux, coupez-les en
petits tronçons et faites-les revenir avec l’huile d’olive
dans une casserole. Ajoutez les lentilles et laissez cuire
quelques minutes.
– Déglacez avec le bouillon et portez à ébullition avec
la feuille de laurier. Faites cuire encore 20 min.
SAINTE-MAURE DE TOURAINE

– Lavez la mâche. Faites caraméliser le sucre roux dans


une autre casserole, déglacez avec le vinaigre et le jus
de myrtille, puis faites blondir le caramel.
– Mélangez le vinaigre caramélisé avec les myrtilles,
ajoutez les lentilles égouttées. Salez, poivrez. Placez
dans un plat et décorez avec les carottes et la mâche.
ALPINA SAVOIE

Bol de crozets, potiron et champignons


pour 1 personne – préparation : 20 min – cuisson : 20 min

Ingrédients : 100 g de crozets aux châtaignes (type disparition de l’eau de végétation des champignons. En
Alpina) • 1 petite tranche de potiron • 3 champignons fin de cuisson, ajoutez le mélange ail et persil. Remuez
de Paris • 1 filet d’huile d’olive • 100 g de mâche • 15 g bien, retirez du feu et laissez refroidir.
de beurre • 1 petite gousse d’ail • 4 brins de persil frisé – Épluchez le potiron et détaillez-le en dés. Dans une
• 6 châtaignes cuites (en conserve). Pour la vinaigrette : poêle, faites chauffer l’huile d’olive. Ajoutez les dés
2 c. à soupe d’huile d’olive • 1 c. à soupe de vinaigre de potiron et couvrez. Laissez cuire 5 min environ, en
d’échalote • 1 c. à soupe de moutarde • poivre • sel. remuant de temps en temps. Réservez.
– Coupez les châtaignes en petits morceaux, sauf une.
Réalisation – Dressez joliment la salade dans un bol en commen-
– Faites cuire les crozets comme indiqué sur le paquet. çant par une couche de mâche, puis disposez les autres
Rincez-les sous l’eau froide et réservez. ingrédients dessus. Enfin, placez la châtaigne entière
– Pendant ce temps, mixez l’ail et le persil. au centre, pour décorer.
– Dans une poêle, faites fondre le beurre, puis ajou- Préparez la vinaigrette : mélangez tous les ingrédients
tez les champignons émincés. Laissez cuire jusqu’à de la vinaigrette et versez-la sur votre salade.

55
Nos amis les animaux

Quand les bébêtes


se mettent en boule !
Dans la nature, il y a celles qui se mettent
en boule lorsqu’elles sont en colère et celles qui le font
pour se cacher sous leur armure.

Gonflé
L orsqu’il est menacé, le
diodon devient tout rond.
Ce poisson dispose, dans le
prolongement de son estomac,
d’une sorte de sac qu’il remplit
d’eau à volonté. Cela provoque
un gonflement qui dresse
littéralement les épines qui
parsèment tout son corps,
transformant ce poisson à
l’allure inoffensive et piètre
nageur en une véritable boule
urticante. Ses pointes acérées
contenant du venin, il a assez
peu d’ennemis. Le poisson est
aussi capable de se remplir
d’air, flottant alors à la surface
comme un ballon.

Fermée à clef La porte close


L e plus célèbre des animaux caparaçonnés
est bien sûr la tortue. À la moindre alerte,
elle disparaît dans sa carapace. Certaines
S on nom viendrait de son
habitude de «clore sa porte».,
autrement dit de se refermer sur
tortues ont même trouvé le moyen de fermer lui-même. Le cloporte n’est pas
leur maison. On les nomme les tortues un insecte, mais un crustacé. Il est
boîtes. Le plastron de leur carapace (la le seul d’entre eux vraiment
partie ventrale) est en effet articulé. Une terrestre. Son corps est recouvert
fois la tête et les pattes mises à l’abri, les d’un véritable bouclier composé de
tortues peuvent fermer hermétiquement 7 plaques dorsales articulées entre
leur carapace et attendre que leur elles. S’il est dérangé, il peut ainsi
prédateur passe son chemin. Cette s’enrouler sur lui-même et attendre
capacité à s’enfermer n’apparaît que lorsque la fin de l’alerte. Toutes les espèces
la tortue a atteint une certaine taille, de cloportes – 160 en France et
généralement pas avant l’âge de 5 ou 6 ans. 3 000 dans le monde  –, ne se

56
par Jean-Philippe Noël

Un bonnet d’épines
E n un éclair, le hérisson dresse ses 7000 piquants.
Son armure de poils durs est montée sur un
puissant muscle en forme de bonnet. En moins d’un
centième de seconde, il se met en boule. Plus il est
inquiet, plus il referme son bonnet et plus ses
piquants s’érigent. Un muscle circulaire agit comme
la ficelle d’un sac-poubelle pour bien fermer le tout.
Il peut ainsi rester des heures sans se fatiguer. Son
Armure armure le protège aussi des bobos: s’il tombe, il se
met en boule, ses piquants lui servant d’amortisseurs.
écaillée
P ang goling
signifie en malais Tout est dans la bande
« celui qui s’enroule » ; et l’ordre
auquel appartient le pangolin, les
Pholidotes, vient du grec signifiant
P rotégeant l’animal depuis le museau jusqu’au
bout de la queue, la carapace des tatous est
constituée de plaques écailleuses couvertes d’une
«épineux». Son corps est couvert peau durcie. Sur son dos, elles forment des bandes
de grandes écailles constituées de séparées par de la peau plus souple, ce qui permet
poils agglutinés, qui tombent et à l’animal de se mouvoir et de se mettre en boule.
repoussent. Ajustées comme les Pourtant, toutes les espèces ne s’enroulent pas.
tuiles d’un toit, elles sont un bon Le tatou à trois bandes le fait, celui à neuf, jamais.
rempart contre les prédateurs,
même si les hyènes et les grands
félins parviennent à les briser. Mais Mauvaise boule
son armure est devenue son talon
d’Achille. Le pangolin fait en effet
partie des animaux les plus
L e gloméris appartient à la famille des myriapodes, les
mille-pattes, bien qu’il n’en possède qu’une vingtaine.
Grâce à ses petites plaques dorsales articulées, il est
braconnés, certaines médecines capable de former une sphère quasi parfaite. Mais son
traditionnelles utilisant ses écailles armure n’est pas son unique moyen de défense. Ennuyé,
comme remède. il sécrète un poison toxique au goût fort désagréable.
Comme le cloporte, il se nourrit de végétaux en décomposition.
Il participe donc très activement à la régénération des sols.

Dragon miniature
D errière le nom de Cordylus cataphractus se cache un lézard qui se
mord la queue! La majorité des sauriens est couverte d’écailles, mais
PHOTOS ISTOCK (X 9)

dans le style «armure», le cordyle possède la panoplie d’un chevalier


médiéval… de 20 cm! En grec, cataphractus signifie
d’ailleurs « porteur d’armure ». Sur sa tête, des
plaques forment un casque, sur son corps, ses
écailles sont épineuses et, le long de sa queue,
mettent pas en boule, mais toutes disposées en rangées, elles s’emboîtent les
sont d’inoffensifs détritivores. unes sous les autres. Menacé, notre cuirassé
Certaines espèces figurent même se mord la queue pour former une boule,
toujours dans la liste des remèdes dressant alors ses écailles comme des épines
homéopathiques. défensives. Qui s’y frotte…
Allons au jardin

Les fleurs du kalanchoe


double ressemblent à des
roses miniatures.

Des couleurs en hiver


grâce aux plantes fleuries
Si on les aime évidemment toute l’année, c’est en hiver qu’on
apprécie le plus les plantes fleuries, idéales pour avoir le moral au beau fixe.

C
lassiques ou originales, exo- Ou faites-en des vedettes à part dans une composition, où elle se
tiques ou campagnardes, entière si elles sont imposantes ou fait une place avec grâce. Les tons
les plantes d’appartement possèdent une silhouette excep- des fleurs, simples ou doubles,
ne sont pas qu’un élément tionnelle. Petit florilège de minia- sont mauve, rose, violet ou blanc.
de décor. Elles ont des exigences ! tures et de géantes, de classiques Notre secret : pour la faire refleu-
À l’achat, réfléchissez à l’endroit et de rares, sans oublier les faciles rir, ôtez 2-3 feuilles au cœur, laissez
que vous leur destinez. La lumière à vivre et les exigeantes . 3 semaines sans eau, à l’ombre,
est le critère primordial, en évitant
À caser facilement
le soleil direct. Sauf exception,
arrosez seulement lorsque la terre La violette du Cap : avec ses
sèche en surface, en évitant l’eau feuilles velues, sa floraison
calcaire. Visuellement, les plantes presque incessante et ses
souples se font remarquer si elles innombrables variétés, l’in-
sont perchées sur un meuble ou démodable saintpaulia – 7 à
une étagère. Associez-les en jouant 20 cm en tout sens –, s’installe
sur les couleurs, tailles et ports. aussi bien sur une étagère que
La violette du Cap, ou saintpaulia,
58 a une floraison presque incessante.
par Noémie Vialard

puis remettez à la lumière et repre- craquez pour ‘Copper Buddah’, aux


nez les arrosages. hampes florales garnies de fleurs
L’aeschynanthe : avec ses tiges orange, mouchetées de bourgogne
retombantes habillées de feuilles et auréolées d’un liseré couleur
coriaces et ses fleurs vermillon, elle lune, avec un labelle rose fluo. Les
mérite une place de choix. C’est en orchidées papillon – leur surnom –
suspension qu’elle donne le meil- fleurissent trois mois d’affilée.
leur d’elle-même. Elle mesure entre
25 et 30 cm de haut et retombe
Les élégants feuillages
sur 40 à 70 cm. Après la floraison, L’anthurium: on aime ses feuilles
au bout des tiges, rabattez-les sur en cœur et ses spathes vertes,
quelques centimètres. roses, rouges, blanches ou jas-
Notre secret : ne déplacez plus la pées. Avec son feuillage sombre,
plante une fois que sont nés les coriace et vernissé, et ses inflores-

PHOTOS ISTOCK (X 5)
boutons, ils risqueraient de tomber. cences composées d’une spathe
Le kalanchoe : craquez pour charnue et d’un spadice tubulaire
la forme double. Les fleurs res- qui ressemble à une langue, il Heliconia rostrata
est surnommé « pince
semblent à des roses miniatures. mesure de 40 à 70 cm en tout sens. de homard » !
Ôtez les inflorescences fanées Notre secret: en hiver, vaporisez
pour stimuler l’arrivée de nouvelles. régulièrement le feuillage, sans
Notre secret : arrosez parcimo- mouiller les spathes.
nieusement et laissez sécher Le spathiphyllum : il peut survivre
3 jours entre les arrosages. des années sans soins, poussié-
Le cyclamen des fleuristes : pour reux, oublié dans un coin. Lorsque
trois fois rien, on s’offre cette plante l’on décide de s’occuper de lui, de
aux grandes fleurs vives et au faire briller ses longues feuilles vert
ravissant feuillage. Pendant la flo- clair, il renaît en beauté, formant
raison, conservez l’humidité. En ses grandes spathes blanches
fin de printemps, la plante entre pratiquement toute l’année.
en repos. Reléguez-la au jardin, à Notre secret : passez chaque
l’ombre, jusqu’en septembre, où semaine une éponge mouillée
apparaissent de nouvelles feuilles. d’eau non calcaire sur les feuilles.
Notre secret : pour qu’il fleurisse
longtemps, faites-lui passer la nuit
Un géant !
Le cyclamen, au
dans une pièce fraîche. L’Heliconia rostrata : ses inflores- feuillage décoratif, peut
Le cactus de Noël : souvent oublié, cences sont composées de brac- fleurir longtemps.
le Schlumbergera mérite de revenir tées rouge et jaune. On adore ses
sur le devant de la scène. Il s’épa- épis très colorés qui s’épanouissent
nouit en décembre et janvier, au toute l’année. Sa croissance rapide
fil des années, sur des tiges char- (il peut dépasser 2 m de haut) et
nues, presque retombantes. On le son aspect exotique, dû à ses
trouve dans les tons de rose, mais grandes feuilles coriaces,
aussi de blanc, orange, rouge… rappellent le bananier, dont
Notre secret : une plante bien plus il est proche.
intéressante en suspension. Notre secret : l’humi-
Les orchidées : miniatures ou à dité étant impérative,
grandes fleurs, elles fascinent. On placez des humidi-
connaît surtout les Phalaenopsis. ficateurs près des
Pour sortir des sentiers battus, radiateurs. n
L’aeschynanthe sera du plus
bel effet installée en suspension.

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