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8,20€ - SUISSE 12,20 CHF - DOM 8,20 € - TOM 1040 XPF - MAROC 78 MAD - TUNISIE 12,80 TND - CANADA 12,50 $CAD
DR
H
istoria service abonnements : 45, avenue du Général-Leclerc,
60643 Chantilly Cedex. E-mail : abo.historia@groupe-gli.com
Tarifs France : 1 an, 10 nos + 1 no double Historia : 60 € ;
1 an, 10 nos + 1 no double Historia (mensuel)
+ 4 Historia Grand Angle (trimestriel) : 88 €.
LE CRIME ÉTAIT
Belgique : Edigroup. Tél. : 070 233 304.
Suisse : Edigroup. Tél. : 022 860 84 01.
Tarifs autres pays : nous consulter.
V
C
laude Perdriel.
Directeur général : P hilippe Menat.
Directeur éditorial : M
aurice Szafran.
oilà ce qui conduit les services judiciaires à classer
Directeur éditorial adjoint : G
uillaume Malaurie. sans suite ces affaires criminelles sur lesquelles les
RÉDACTION
enquêteurs se cassent les dents. Ces cold cases, litté-
Rédacteur en chef : É ric Pincas (19 39). ralement « affaires froides », ont pourtant tendance à
Rédacteur en chef adjoint chargé du Grand Angle :
se réchauffer depuis la création, en France, le 1er mars
Victor Battaggion (19 40). A ssistante : F lorence Jaccot (19 23).
Premier secrétaire de rédaction :Xavier Donzelli (19 45). 2022, d’un pôle judiciaire rattaché au parquet de Nan-
Secrétaires de rédaction :Alexis Charniguet (19 46) ; terre, spécialement consacré aux affaires non élucidées et aux crimes en
Nathalie-Anne Soumaire (19 47).
Directeur artistique : S téphane Ravaux (19 44). série. Une bonne nouvelle pour les familles des victimes pour qui « ces
Rédacteur graphiste : N icolas Cox (19 43). vieux dossiers sont des souffrances toujours vives », dixit le garde des
Rédactrices photo : G hislaine Bras (19 42),
Anne-Laure Schneider (19 07).
Sceaux. Le 10 mai dernier, Interpol lançait l’opération « Identify Me », sol-
Conception graphique : D ominique Pasquet. licitant le grand public dans l’espoir de progresser dans les enquêtes visant
Comité éditorial : J ean-Yves Boriaud, Olivier Coquard,
Bruno Dumézil, Jean-Yves Le Naour,
à identifier les corps de 22 femmes retrouvées mortes en Allemagne, en
Catherine Salles, Thierry Sarmant, Laurent Vissière. Belgique et aux Pays-Bas entre 1976 et 2019.
La rédaction est responsable des titres, intertitres, Sur le web, des entreprises américaines comme Othram, spécialisées
textes de présentation, illustrations et légendes.
Responsable administratif et financier : Jaye Reig. dans les analyses ADN, organisent même des campagnes de crowdfun-
Directeur des ventes et promotion : ding pour financer des enquêtes participatives. Côté réseaux sociaux, le
V
aléry-Sébastien Sourieau (19 11) ;
Ventes messageries : F rédéric Vinot – 01 42 36 80 52. groupe Facebook DNA Detectives regroupe 175 000 membres. Grâce no-
Agrément postal Belgique n° P207 231. tamment aux progrès de la génétique, les
Diffusion librairies : P ollen/Dif’pop’.
Tél. : 01 43 62 08 07 ; fax : 01 72 71 84 51.
enquêteurs de la police scientifique dis- CHACUN DE CES
Responsable marketing direct : A rmelle Behelo (19 14). posent désormais d’une arme révolution- COLD CASES NOUS
Responsable de la gestion des abonnements : M agali Viette (19 12).
naire pour remonter la piste des affaires
jugées perdues. Depuis le Néolithique, RACONTE UNE
Fabrication : S arah Rabbah.
Rédactrice Web : V éronique Dumas (vdumas@historia.fr).
Cellule numérique : S hady Menard, Rim Saffar. l’Histoire fourmille de ces crimes énig- ÉPOQUE, SES MŒURS,
Activités numériques : E rwan Treyz (19 08).
matiques. Des affaires qui, chacune à leur SON CONTEXTE
RÉGIE PUBLICITAIRE manière, nous racontent une époque, ses
mœurs, son contexte politique ou social. POLITIQUE OU SOCIAL
Mediaobs : 44, rue Notre-Dame-des-Victoires, 75002 Paris.
Directeur général : C
orinne Rougé (01 44 88 93 70,
crouge@mediaobs.com). É quipe commerciale : R omain Provost Nos auteurs – historiens, journalistes et
(01 44 88 8927, rprovost@mediaobs.com) ; Antoine Kodio
(01 44 88 97 79, akodio@mediaobs.com). E xécution : C édric Aubry
même un ancien commissaire divisionnaire – ont accepté de rouvrir cer-
(01 44 88 89 05, caubry@mediaobs.com). tains de ces dossiers. Ils rassemblent minutieusement les pièces à convic-
Impression : B
LG (Toul). Imprimé en France/Printed in France.
tion, détaillent les scènes de crime et exposent les hypothèses, des plus
Dépôt légal : juillet 2023.
© Les Éditions Croque Futur. Commission paritaire : fantaisistes aux plus crédibles. Un décryptage magistral !
n° 1026 K 80413. ISSN : 1270-0835. Historia est édité Ce numéro estival est le dernier sous la direction éditoriale de Guillaume
par Les Éditions Croque Futur.
Malaurie. La rédaction et le comité éditorial du magazine lui adressent
PHOTOS DE COUVERTURE : toute leur gratitude pour ces huit années de travail acharné guidé par
Bridgeman/Tallandier (3), DR, MAXPPP (3), South Tyrol Museum
of Archaeology, Robert clark/National Geographic, Shutterstock,
la seule passion de l’Histoire. Merci d’avoir participé à cette formidable
IPA Agency/Starface. aventure. Historia continue son chemin. u
Origine du papier : Autriche - Taux de fibres recyclées : 0% - Eutrophisation :
PTot = +0,008kg/tonne de papier.
FR
8
MÉMENTO
8 L’actualité de l’Histoire
16 La chronique d’Emmanuel de Waresquiel
20
DOSSIER
COLD CASES
22 Ö tzi : meurtre au Néolithique
Thomas Laurent
26 Brunehaut a-t-elle fait éliminer
le roi Chilpéric ? Bruno Dumézil
30 Scandale Saltarelli : une ombre au tableau
de Léonard de Vinci J ean-Yves Boriaud
32 L ’étrange mort du dernier des Condés
B runo Fuligni
34 Louis Le Prince, première victime
du cinéma policier ! Yvonnick Denoël
38 L’honneur toujours perdu du
20
lieutenant Chapelant J ean-Yves Le Naour
42 Mais qui donc a « suicidé » Stavisky ?
LOÏC DERRIEN
Bruno Fuligni
46 L e conseiller Prince sur un train d’enfer
Bruno Fuligni
50 Terminus Porte-Dorée : le crime de la ligne 8
En juillet-août sur www. historia.fr M
atthieu Frachon
LES 80 ANS DE LA 14 JUILLET 1790 l’invincible Armada. 54 L e fantôme des lettres françaises
MORT DE JEAN MOULIN Premier anniversaire de la
25 AOÛT 1944 Matthieu Frachon
Interview de Bénédicte prise de la Bastille.
Vergez-Chaignon, auteure Libération de Paris. 58 Affaire Dominici : le doute jamais dissipé
de Jean Moulin l’affranchi 6 AOÛT 1945Hiroshima. Jean-Louis Vincent
ET NOS CHRONIQUES
(Flammarion). EXCLUSIVES
8 AOÛT 1588Défaite de 64 Un juge abattu à Chicago-sur-Rhône
Matthieu Frachon
CONTRIBUTEURS
Gil Lefauconnier
Julien Laurent
DR
DR
DR
THOMAS LAURENT JEAN-YVES BORIAUD BRUNO FULIGNI JEAN-YVES LE NAOUR MATTHIEU FRACHON
Il publie son premier roman Professeur émérite de langue Enseignant à Sciences Po, Spécialiste de la Première Ancien grand reporter
à 21 ans. Et obtient le prix du et littérature latine à il a signé Secrets d’État. Les Guerre mondiale et spécialiste de l’histoire
jury du meilleur youtubeur l’université de Nantes, grands dossiers du ministère et du XXe siècle, il a publié de la police, il est l’auteur
d’histoire, en 2021, pour son il est l’auteur de Léonard de l’Intérieur (1870-1945) notamment 1919-1921, de plusieurs ouvrages
documentaire sur Ötzi. de Vinci (Perrin, 2019). (L’Iconoclaste, 2014). Sortir de la guerre (2020). sur le monde du crime.
68 R
obert Boulin, mort en eaux troubles
92
Bernard Nicolas
74 A vis de recherche au Vatican
G
uillaume Malaurie
78 A
ffaire Grégory : un pays retient son souffle
Laurence Lacour
84 V ieille recette et serial-cuivreurs
G
uillaume Malaurie
88 Cold cases, un genre foisonnant
Laurent Lemire
92
RÉCITS
92 ALBERT LONDRES ET LE PEINTRE BAGNARD
A
ndré Bendjebbar
98 LA MARIANNE DE LA FRANCE LIBRE
X
avier Donzelli
104 SARAH BERNHARDT L’INDOMPTABLE
Jean-Pierre Guéno
, nt-Martin-de-Ré.
Charles Giol
112
CULTURE
112 EXPOS J oëlle Chevé
118 Jean Auguste Dominique Ingres,
portraitiste des altesses
Élisabeth Couturier
108 112
Christophe RAIMBAULT/CD37/SP
Arnaud Robin/Divergence
120 LIVRES
La sélection polar, essai, BD et jeunesse.
128 MOTS CROISÉS
130 L a chronique d e Guillaume Malaurie
CONTRIBUTEURS
Philippe MATSAS/Opale/Leemage
DR
DR
DR
DR
LAURENCE LACOUR BERNARD NICOLAS ANDRÉ BENDJEBBAR JEAN-PIERRE GUENO JEAN LOUIS VINCENT Ancien
Journaliste, auteure et éditrice, J ournaliste, il a réalisé, en Historien spécialiste Écrivain, éditeur et passionné commissaire de police, il a
elle a publié une enquête 2017, une minutieuse du bagne, il vient de publier d’histoire, il a, entre autres, publié Affaire Dominici, la
au long cours sur l’affaire contre-enquête sur l’affaire Armand le Bagnard, créé la collection « Paroles contre-enquête (2016), après
Grégory : Le Bûcher des Boulin, diffusée dans l’éternel évadé de… » avec notamment des années de reconstitution
innocents (Les Arènes, 2016). Compléments d’enquête. (Le Cherche Midi). Paroles de poilus (1998). minutieuse de ce fait divers.
6-H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Mémento RUBRIQUE COORDONNÉE PAR VÉRONIQUE DUMAS
TOURISME
D
ans un pays qui ne
compte pas moins
de 3 000 musées et
plus de 40 000 châteaux,
il n’est pas toujours
facile, quand on n’est pas
le Louvre, Versailles ou
Notre-Dame de Paris, d’at-
tirer les visiteurs. De plus
en plus de propriétaires de
sites historiques et cultu-
rels sont ainsi tentés d’en
confier la gestion à des
spécialistes de la valorisa-
Caro/Pries/SIPA
tion du patrimoine.
Parmi les leaders français
du secteur, l’entreprise ÉCRINLes Baux-de-Provence font revivre pour des touristes enthousiastes le temps des guerres de siège médiévales.
Kléber Rossillon, du nom
de son fondateur, a vu le de Tours, contre une rede- la construction et l’exploi- en vogue de l’immersion
jour dans les années 1990 vance fixe ainsi qu’une part tation de la réplique de la digitale et numérique. »
lorsque le château de Cas- de ses bénéfices. Suivra grotte Cosquer, inaugurée Une référence à son prin-
telnaud, propriété familiale notamment la concession il y a un an au cœur de la cipal concurrent, Cultures-
au bord de la Dordogne, a du musée de Montmartre. cité phocéenne. paces, 70 millions d’euros
ouvert ses portes au public. « Dans chaque lieu, nous de CA en 2022. Créée en
Rossillon a alors l’idée d’or-
Du vrai ou de la 3D réalisons du sur-mesure, 1990, l’entreprise s’est fait
ganiser des démonstrations Depuis 2017, la croissance assure Geneviève Ros- connaître en exploitant le
de tir par des machines de de l’entreprise s’est accé- sillon, fille de Kléber, et palais des Papes d’Avignon
siège reconstituées à taille lérée : trois nouveaux châ- présidente depuis 2017 ou le château des Baux-
réelle. Le public est au ren- teaux sont tombés dans d’un groupe qui a attiré de-Provence ( photo). En
dez-vous, et cet ingénieur son escarcelle mais aussi, en 2022 plus de deux mil- 2012, dans des carrières
de formation propose bien- en Belgique, le champ de lions de visiteurs sur ses proches de ce dernier, elle
tôt ses services à d’autres bataille de Waterloo, où ont douze sites, pour un chiffre organise une exposition
sites en tant que gestion- été mis en place des ate- d’affaires de 32 millions virtuelle consacrée à Gau-
naire : en 2005, l’Institut de liers de tir au canon et de d’euros. L’objectif est de guin et Van Gogh en proje-
France lui concède l’ex- « chirurgie d’époque ». Klé- plonger le visiteur dans une tant leurs tableaux sur les
ploitation touristique du ber Rossillon s’est aussi vu aventure réelle, plutôt que parois. Une formule décli-
château de Langeais, près confier par la région PACA de recourir aux méthodes née avec succès à Paris
8-H
istoria n° 919-920 / Juillet 2023
Confidentiel L’acteur Simon Abkarian interprétera Charles de Gaulledans une production en deux parties réalisée
par Antonin Baudry (Le Chant du loup, 2019). Ces deux films exploreront la période 1940-1945 et le rôle du Général durant
la Seconde Guerre mondiale. Le tournage doit avoir lieu en partie en septembre 2023 dans le Cotentin. MATHILDE SAMBRE
D.R.
du transport des œuvres la Défense la Cité de l’His-
et des assurances, les
expositions virtuelles sur
toire, inaugurée en janvier
dernier : entre projections
LES VENTS DIVINS
À
les maîtres de la peinture numériques et reconstitu- la mention du mot « religion », vous
sont plus rentables que tions d’une salle de classe aurez sans doute en tête le triptyque
les expositions tradition- de la IIIe République ou christianisme, judaïsme et islam. Dans
nelles », explique Foulques d’un boyau de mine époque ces religions dites « transcendantes », le sacré
d’Aboville, directeur des G erminal, l’histoire de est séparé du monde matériel. Autrement dit,
opérations du groupe. France s’y explore en mode il va falloir fermer les yeux très fort pour y voir
immersif. Idées et moyens plus clair. Dans la plupart des autres religions, ce
Vocations en série ne manquent donc pas rapport au sacré est dit « immanent », c’est-à-dire
Autre entreprise forte chez ces spécialistes de la qu’il fait partie du monde matériel. Et autant
d’un solide savoir-faire valorisation du patrimoine, vous dire que, là, on est sur du concret ! Chez
en matière de projection dont la réussite crée des les Inuits par exemple, la divinité Matshishkapeu
numérique, Amaclio Pro- vocations : le groupe Edeis, n’est ni plus ni moins que l’esprit de l’anus en
ductions s’attache pour qui exploite depuis 2021 lien avec les pets. Certains sont même chargés
sa part, depuis 2012 avec les monuments romains de d’interpréter les vents douteux et, quand l’esprit
la création du spectacle Nîmes et le théâtre antique est courroucé, il peut aller jusqu’à provoquer
La Nuit aux Invalides, à d’Orange, s’est invité dans de la constipation. Chez les Grecs, Dionysos,
moderniser le spectacle ce secteur alors qu’il a pour dieu de la Vigne, est souvent représenté en pleine
son et lumière. L’entre- spécialité… la gestion des fiesta. Son homologue chez les Aztèques s’appelle
prise, qui illumine aussi aérodromes de province ! u Tezcatzoncatl. Ces derniers, réputés avoir un fort
l’abbaye de Fontevraud CHARLES GIOL penchant pour la boisson, ont autant de divinités
que de breuvages différents, à savoir plus de 400.
Et, chaque année, les 303 prêtres du maître
de la picole se réunissent pour jouer à… la courte
paille ! Seul le vainqueur est alors autorisé
à s’enivrer. Tout cela peut nous paraître étrange
et exotique, mais, même dans des panthéons
familiers, se nichent d’étranges avatars divins.
Chez les Romains, la déesse Vénus se décline
en Vénus Cloacina, déesse des égouts de Rome.
Une fonction qui lui est en réalité attribuée par
des auteurs chrétiens. Que cette chronique vous
Patrick Aventurier/Andia
D
epuis quand la pyro- diaire ». C’est le D r Marc acte impulsif, avec tension que dans le supérieur. En
manie est-elle consi- qui utilise pour la première interne et agitation, sans effet, le parti de Modi, le
dérée comme une fois le mot « pyromanie », raison objective. En 1980, Bharatiya Janata Party
maladie mentale ? Jusqu’à la en 1833, dans les Annales l’Association américaine de (BJP), au pouvoir depuis
fin du XVIIIe siècle, les incen- d’hygiène publique et de psychiatrie classe la pyro- 2014, souhaite « réécrire
diaires sont assimilés à des médecine légale. « La pro- manie parmi les troubles l’histoire de manière
criminels. Il faut attendre pension à l’embrasement, au du contrôle des impulsions glorieuse dans le but
les travaux de l’aliéniste brûlement, que nous expri- puis la retire en 2013 en la d’inspirer les générations
Jean-Étienne Esquirol pour merons dorénavant par le reléguant dans la pratique futures ». Sous l’égide
que l’on détecte chez ces mot “pyromanie” » permet criminelle. La pyromanie du Conseil national de
allumeurs de feu un trouble de dissocier ce trouble de est toujours un fléau, mais la recherche et de la
du comportement qualifié la malveillance. En 1856, le plus vraiment une maladie. u formation pédagogique,
de « monomanie incen- psychiatre Henri Legrand de LAURENT LEMIRE les ouvrages scolaires
sont ainsi révisés,
édulcorant les violences
LYON D
es Arêtes qui n’arrêtent pas la recherche des nationalistes hindous
envers Gandhi et les
Seize puits et 1,4 kilomètre de galeries : Les hypothèses sont nombreuses quant émeutes anti-musulmans
voilà les dimensions du vaste réseau à sa fonction. Des études récentes le relient de 2002, supprimant
de souterrains enfoui à Lyon, à 20 mètres à un autre réseau situé sur les rives du des pans de l’histoire
sous la colline de la Croix-Rousse, dit « arêtes Rhône, les galeries des Sarrasinières, mais des Moghols – dynastie
de poisson » en raison de son tracé sinueux. une chose est sûre : il est unique au monde. musulmane qui régna sur
Redécouvert au XVIIIe siècle par l’architecte Aujourd’hui, ce site, dont l’accès est interdit l’Inde pendant plus de
Jacques Germain Soufflot, il est exploré pour des raisons de sécurité, pourrait faire trois siècles –, occultant
par les archéologues depuis les années 1960. l’objet d’une visite virtuelle réalisée par ainsi le pluralisme et
Cet ensemble aurait été construit entre le service archéologique municipal, ce qui le multiculturalisme de
le IVe siècle av. J.-C. et le début du Ier siècle permettrait de mieux découvrir un lieu cette grande nation.
apr. J.-C., au moment où Lugdunum était qui suscite de nombreuses interrogations. NATHALIE-ANNE
considérée comme la capitale des Gaules. VÉRONIQUE DUMAS SOUMAIRE
10 - H
istoria n° 919-920 / Juillet 2023
Mémento
Confidentiel Le cinéaste italien Gianluca Jodicea terminé le tournage d’un nouveau long-métrage sur la Révolution
française : Guillaume Canet et Mélanie Laurent tiendront respectivement les rôles de Louis XVI et de Marie-Antoinette dans ce
film d’époque intitulé Le Déluge et consacré aux derniers jours du couple royal. M. S.
INSOLITE
de Frédérick
Gersal mmes dormant
DR
de la forme du nez de
Neandertal, disparu il y a
39 000 ans. Physiquement,
nous étions assez éloignés. LES PÉPITES DE LA BNF-GALLICA https://gallica.bnf.fr/
Sapiens possédait un visage
droit, avec un front et La canicule, un nom à coucher dehors
un menton bien marqués,
L
tandis que Neandertal était ’été 1911 fut l’un des étés les plus Le Matin préfère atténuer les angoisses
doté d’une mâchoire plus meurtriers en France : les tempéra- des Parisiens face à une possible pénurie
avancée et d’un front plus tures oscillèrent entre 30 et 40 °C d’eau ; aussi affirme-t-il, le 15 juillet 1912 :
fuyant. Ces deux espèces et entraînèrent, en quelques semaines, « Paris aura de l’eau ! » En août, Le Gau-
ont cohabité durant des une forte mortalité, notamment chez lois observe l’opportunité qu’offrent les
millénaires et ont croisé les nourrissons. L’année suivante, les fortes chaleurs pour les toiletteurs de
leurs gênes. Nous avons populations se préparèrent à une éven- chiens appartenant à des maîtres atten-
ainsi hérité de l’homme tuelle récidive. À Paris, afin de fuir les tifs à leur bien-être.
de Neandertal un nez plus appartements surchauffés et exigus, Les journalistes ne sont pas les seuls à
long, plus large et plus les hommes s’échappèrent sur les toits être inspirés par l’épisode caniculaire :
saillant que celui de nos pour trouver la brise favorable à l’endor- les théâtres vantent la température
ancêtres Sapiens avant missement, pendant que les épouses et modérée de leur salle de spectacle, tan-
hybridation. Cet appendice mères surveillaient les enfants d’une dis que les réclames pour les ventilateurs
aurait joué un rôle de éventuelle déshydratation. électriques fleurissent. Les étés secs et
régulateur thermique et Si l’agence Rol, en mai 1912, a su immor- brûlants du XXIe siècle surpassent les
favorisé l’adaptation des taliser le repos des braves sur les toits fortes canicules du passé. À cette diffé-
Sapiens sortis d’Afrique au de Paris, les journaux n’hésitèrent pas rence près que les dormeurs des toits de
climat de l’Europe glaciaire. à s’emparer du sujet tous azimuts. La Paris se réfugient désormais dans leur
Cette conclusion est un vrai canicule est un « temps de chien », foyer climatisé. SOPHIE BERTRAND *
pied de nez lancé par ces comme aime à le rappeler Le Figaro, * Cheffe du service de la coopération numérique et de Gallica
chercheurs londoniens ! en s’appuyant sur l’étymologie du mot. au département de la Coopération.
12 - H
istoria n° 919-920 / Juillet 2023
Mémento
Rafle du Vél’ d’Hiv « Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 4 50 policiers et gendarmes français […] répondaient
aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de 10 000 hommes, femmes et enfants juifs
furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police. » Jacques Chirac, le 16-7-1995
V
oici quatre-vingts ans, le 12 juillet 1943, se livrait,
dans le secteur de Koursk, à Prokhorovka, l’en-
gagement qui passe pour la « plus grande bataille
de chars de l’Histoire ». Quelques mois après Stalingrad,
akg-images
Hitler entendait reprendre l’avantage par une ultime
offensive, qui déboucha sur un échec. Côté soviétique,
pourquoi l’URSS a-t-elle célébré l’étrillage du 5e corps JUILLET 1223 La mort de Philippe Auguste
blindé soviétique à Prokhorovka (50 % de chars perdus en
dix heures) et, plus étonnant encore, comment son com- « Auguste » comme l’empereur capitale. Création en outre
mandant, le général Rotmistrov, échappa-t-il au peloton romain… C’est dire la renommée des Halles, de l’Université
d’exécution ? Depuis 2011, Valeriy Zamulin, professeur à de ce roi de France. Son long de Paris et de plusieurs
l’université de Koursk, démêle la propagande officielle : le règne – quarante-deux ans – hôpitaux.
terrain de Prokhorovka, très raviné, ne se prêtait pas aux a changé Paris et le royaume. • 1204 : naissance du Trésor
mouvements des blindés ; le nombre de chars allemands • 1200 : l’enceinte qui protège des chartes, ancêtre
fut grossièrement surestimé par Rotmistrov pour justi- Paris, longue de plus de 5 km, des Archives nationales.
fier des pertes dues à l’efficacité des panzers et au faible commencée en 1190, est Modernisation
professionnalisme des équipages de T34, qui foncèrent achevée et renforcée par la et centralisation de
dans leurs propres fossés antichars. Après la bataille, la construction du château du l’administration (baillis,
propagande soviétique forgea la légende d’un 5e corps Louvre (1190-1202), modèle sénéchaux et prévôts).
sacrifié pour stopper un millier de chars SS, marquant des châteaux « philippiens » • 1214 : une coalition anglo-
le tournant de la Grande Guerre patriotique. Et, jusqu’en qui seront bâtis dans tout germanique est vaincue.
1993, on conserva secret le rapport officiel d’une bataille le domaine royal. On prête • 1216 : Louis, le fils de
« comme les autres », qui n’engagea que quelques cen- aussi au roi la décision de Philippe, s’empare de…
taines de blindés. u CÉLINE BELMOND faire paver les rues de la Londres. u C. B.
V
oici une fabuleuse histoire de la Préhistoire qui
nous vient d’une étude menée par Matthias Meyer,
du département de génétique évolutive de l’Insti-
tut Max-Planck de Leipzig, et Marie Soressi, archéologue
française à l’université de Leyde. Ils ont réussi l’exploit
d’extraire de l’ADN d’une canine de cerf percée d’un trou,
trouvée dans une grotte de l’Altaï, sans le détériorer.
L’ADN tiré de la sueur laissée sur ce pendentif a parlé.
Et il est même très bavard. Il dit qu’il a été porté par une
akg-images
14 - H
istoria n° 919-920 / Juillet 2023
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à l’ordre de Éditions Croque Futur à : Historia VPC - 8 rue d’Aboukir - 75002 Paris. commandes@historia.fr - 01 70 98 19 24.
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La chronique D’EMMANUEL DE WARESQUIEL
L
’historien est à la tortue ce que le poète est au Bref, sourit Eco, « dans l’idéal », aucun lecteur ne devrait
faon. Il porte ses livres sur son dos et n’a pas la pouvoir entrer dans une bibliothèque. Il savait bien que ce
démarche légère. Nos bibliothèques sont à notre n’est pas vrai. Les bibliothèques ont pour moi longtemps
image. Elles disent nos goûts et nos passions, nos senti l’encre et la poussière. Après tout, des générations
tics, nos tocs et nos travers d’érudits. La mienne d’érudits ont vieilli à la lumière de leurs lampes, une loupe
est en désordre permanent. Elle n’est pas clas- à la main, entourés de leurs livres. Peut-être les pattes
sée par auteurs, époques ou pays, mais selon l’usage tem- de mouche de la dernière lettre que mes prédécesseurs
poraire que j’en fais. Je m’y promène comme en apnée, eurent à déchiffrer étaient-elles pour eux les signes mys-
j’y reconnais mes livres à la couleur de leur dos, à leur térieux de leur destin, les lignes de leur vie.
épaisseur ou à la grosseur de leur titre. Je suis le seul à ne Il n’y a pas d’histoire sans archives. La bibliothèque est le
pas m’y perdre. Un autre n’y comprendrait rien. C’est une sanctuaire de l’historien, comme l’est le laboratoire pour
bibliothèque de fonds marins, qui change le chercheur, ou les montagnes pour
sans cesse selon les courants ou la clarté l’alpiniste. Je me souviens de la grande
de l’eau. Les livres que je découvre dans salle de la Bibliothèque nationale de la
mes propres rayonnages sont toujours rue de Richelieu, aux trésors ignorés. J’y
ceux que je préfère. On les oublie, on ne IL N’Y A PAS D’HISTOIRE ai passé une bonne partie de mes jeunes
se souvient plus de leurs auteurs, on les années d’historien avant que celle-ci ne
SANS ARCHIVES.
retrouve et c’est comme si on les lisait ferme pour les escaliers roulants et les
pour la première fois. Ce sont les bons LA BIBLIOTHÈQUE couloirs interminables des quatre tours
livres dont on ne connaît pas les auteurs EST LE SANCTUAIRE de la bibliothèque François-Mitterrand.
qui changent vraiment nos vies. J’ai tou- On n’y entendait que le bruissement léger
DE L’HISTORIEN, COMME
jours eu une affection particulière, dans du papier, lorsqu’un lecteur tournait les
les inventaires de bibliothèques, pour la L’EST LE LABORATOIRE pages de son livre. L’air y était saturé de
section des « Anonymes ». POUR LE CHERCHEUR, vies secrètes : romans d’aventures, cor-
À chacun sa bibliothèque idéale. Jorge respondances amoureuses, journaux lit-
OU LES MONTAGNES
Luis Borges en invente une dans ses téraires – qui circulaient entre eux. Nous
Fictions, où tous les livres « possibles », POUR L’ALPINISTE étions là, envahis par le silence, dans
écrits par combinaison aléatoire des une forêt de poutrelles, sous les voûtes
lettres de l’alphabet et disposés dans des pièces hexa- en coupoles de verre et d’acier tout droit sorties de l’ima-
gonales et identiques, ont le même nombre de pages et gination fiévreuse de l’architecte Henri Labrouste, qui me
de signes. Je ne sais pourquoi les plus grands écrivains faisaient irrésistiblement penser à l’intérieur du Nautilus
ont souvent imaginé leur bibliothèque comme le lieu de de Jules Verne – vingt mille lieues sous les mers, loin de
tous leurs cauchemars. Des bibliothèques si parfaites et si la rumeur du monde. Les encriers de porcelaine marqués
universelles qu’elles en deviennent hors de portée. Après « E. F. » (Empire français) avaient disparu, mais les lon-
tout, chaque bibliothèque a son « enfer ». Souvenez-vous gues tables de bois héritées de la IIIe République et les
de celle imaginée par Umberto Eco dans Le Nom de la lampes aux abat-jour d’opaline verte y étaient toujours, qui
rose. Elle est labyrinthique, insondable et trompeuse, donnaient à l’ensemble des airs de cloître et de couvent.
comme la vérité qu’elle nous cache. Dans De bibliotheca, Je ne connais pas d’autres lieux au monde où l’on échappe
Eco s’amuse à rendre les bibliothèques publiques inac- si bien au temps. S’il est des endroits qui ne sont pas faits
cessibles à leurs lecteurs. Les cotes des livres sont si pour le dieu des heures et des horloges, l’épouvantable
compliquées que personne ne peut les retranscrire. On Chronos, ce sont bien les bibliothèques. On s’y installe,
ne prêtera jamais plus d’un livre à la fois et l’on attendra et on part en voyage. Ce n’est pas d’encre et de poussière
des heures avant de l’obtenir. Le lecteur, c’est l’ennemi ! qu’il faut dire, c’est d’encre et de lumière. u
16 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
DOSSIER
COLD CASES
Nos experts rou v re n t le s d os s ie r s
atiques,
di sparitions énigm
ts su sp ec te s, de s
Des mor t à la police, des famille
s
s qu i éc h ap pe n
des coupable ui s la P ré histoire, le crime
ic e… D ep
qui réclament just ci quelques affaires de
s
de s h om m es . V oi
hante la vie t, im pu nies ou mal jugées.
bi en so uv en
plus étranges et,
DOSSIER COLD CASES
ReconstitutionLe portrait
d’Ötzi s’appuie sur des images
infrarouges et tomographiques
en 3D du crâne de la momie.
Ötzi : meurtre
au Néolithique
Quand le corps de cet hibernatus vieux de plus de 5 000
ans, victime d’une mort violente, est retrouvé dans les
Alpes en 1991, les scientifiques se lancent dans une
enquête un peu particulière. Trente ans plus tard,
la plus célèbre scène de crime de la Préhistoire n’a pas
fini de révéler tous ses secrets.
22 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
La
L
e 19 septembre 1991, Erika
scène
et Helmut Simon se lancent du
à l’assaut des Alpes de crime
l’Ötztal. Ils y font une sinistre
découverte : sur un glacier à
3 210 mètres d’altitude gît un
cadavre desséché. Les Simon pensent
immédiatement à un alpiniste. Il n’en
est rien : la fonte des glaces vient de
recracher une scène de crime vieille
de 5 300 ans. Ötzi est un homme de
45 ans. Il a vécu à l’extrême fin de la
Préhistoire, autour de 3300 avant notre
ère. En témoignent les datations au car-
Paul HANNY/GAMMA-RAPHO
Décès en altitude
Depuis trente ans, ce cold case préhis-
torique fascine. Plusieurs rebondisse-
ments ont émaillé la recherche. En 2010,
niversité d'Innsbruck
24 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
National Geographic Magazine/Kazuhiko Sano/DR
1
Probable. Ötzi aura été mêlé en 2018 – pour tenir le froid et prendre
à de violents événements dans des forces. Hélas, il est cueilli d’une
les jours précédant sa mort. flèche dans le dos.
Pour échapper à de mystérieux
poursuivants, il aura pris la route de la
haute montagne… avant d’être abattu
Un mobile mystérieux
d’une flèche dans le dos, à 3 210 mètres Il se cogne la tête en s’effondrant – à
d’altitude. Ce scénario est développé moins qu’on ne soit venu l’achever
en détail dans le récit. d’un coup de hache. En tout cas, il est
Le crime Plus de trente-trois heures
avant sa mort, Ötzi semble avoir été mêlé laissé pour mort : très vite la neige le
2
à une échauffourée. On ignore tout des Peu probable. Ötzi n’aurait pas recouvre, amorçant un processus de
de
motifs de l’affrontement et du nombre été un paria en fuite et, bien momification naturelle. Ce scénario,
tes. En tout cas, Ötzi y a reçu une
protagonis
profonde entaille à la main droite, à la
suite que tué par un tir de flèche dans bien que plausible, comporte de nom
de quoi il semble avoir pris la fuite. des circonstances troubles, il ne serait breux points d’incertitude. Il est par
pas mort sur le glacier. Il y aurait été exemple envisageable qu’Ötzi ait subi
transporté lors de ses funérailles. Ainsi, le tir de flèche bien avant d’arriver sur
nous ne serions pas en présence d’une le glacier. Tenu par l’adrénaline, il aura
La flèche La plupart des scène de crime mais d’une sépulture : réussi à semer ses poursuivants et à
ler
Tyrol du Sud/Harald Wistha
flèches qu’Ötzi conservait Ötzi aurait tout simplement été monter son campement sur le glacier.
dans son carquois ne sont déposé avec son équipement sur une C’est après son repas, loin de ses pour
que
des ébauches. Il ne posséd
ait plateforme rocheuse, en plein air. Des suivants, qu’il aura fini par s’écrouler,
que deux flèches terminée
s,
dont celle photographiée
ci- épisodes de fonte des glaces auraient seul et exsangue. Ce scénario – avec
Musée d'archéologie du
contre. La pointe en silex est dispersé la fragile mise en scène une mort solitaire sur le glacier – expli
à la fois nouée à la hampe
à funéraire au cours des siècles. querait pourquoi sa hache en cuivre n’a
l’aide de fibres végétales
et collée avec du pas été dérobée…
3
goudron de bouleau. Fantaisiste. L’Américain Johan Mais la plus grande zone d’ombre de
Reinhard a posé l’idée d’un meure le mobile et l’identité des assail
sacrifice humain : Ötzi aurait lants : Ötzi a-t-il été renversé par des
été mis à mort sur la montagne en élites rivales ? A-t-il été victime d’un
l’honneur d’entités surnaturelles. L’un règlement de compte ? S’était-il rendu
des problèmes de cette hypothèse coupable d’une transgression ? Il faut
est sa plasticité : il suffit d’invoquer se rendre à l’évidence : la réponse nous
de prétendus rituels inconnus pour la échappera à jamais. D’ailleurs, elle n’a
Musée d'archéologie du Tyrol du Sud/Hopital régional de Bolzano
rendre compatible avec n’importe quel pas de réel intérêt scientifique. Ötzi ne
fait ! Ötzi s’est battu un ou deux jours représente que l’une des nombreuses
avant sa mort ? C’était dans le cadre victimes de violence interpersonnelle
d’un rituel. Il a été abattu d’une flèche recensées au cours du Néolithique.
dans le dos ? Là encore, un rituel… Son équipement, son état de santé, ses
En réalité, l’idée d’un sacrifice n’est tatouages sont autant d’éléments bien
soutenue par aucun élément matériel. plus précieux pour améliorer notre
connaissance de la fin de la Préhis
toire. Ötzi repose aujourd’hui au musée
archéologique de Bolzano (Italie), dans
Le corps La flèche qui a tué Ötzi, révélée une chambre froide saturée d’humidi
par radiographie, a dû entraîner une paralysie
du bras gauche puis une hémorragie interne.
té. Il continue à y être étudié : peut-être
nous réserve-t-il encore quelques sur
prises à l’avenir… u
N
ous voici à l’orée de la
forêt de Chelles, à l’est de
a-t-elle fait
il prend appui sur l’un de
ses serviteurs pour descendre de che-
val. Mais le valet sort un couteau et
poignarde son souverain : une première
le roi
dade. Chilpéric était roi de Neustrie,
c’est-à-dire de tout l’ouest du monde
franc ; personne ne sait ce qu’il va adve-
nir de ce vaste royaume. Les Grands
26 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
ad
oc
-photos
-photos E S
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FR
DÉ
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GO H A
NDE GONTRAN BRU NE
Histoires de famillesFrédégonde (v. 545-597) devient la concubine puis l’épouse du roi Chilpéric
de Neustrie (v. 525-584)… après avoir fait étrangler Galeswinthe, la femme de ce dernier. Devenue reine de
Neustrie, elle fait ensuite assassiner Sigebert d’Austrasie, mari de Brunehaut (v. 547-613)… elle-même sœur
de Galeswinthe. Voilà, pour Brunehaut, une bonne raison de se venger. Mais Gontran, demi-frère de Chilpéric
qui règne sur la Bourgogne, aurait lui aussi de bonnes raisons de faire disparaître le roi Chilpéric, d’autant
plus que ce dernier ne laissait qu’un fragile nourrisson comme héritier…
akg-images
SAXE
Tournai
CHILPÉRIC IER
Neustrie
Paris Metz
BRUNEHAUT
Austrasie
GONTRAN
Bourgogne
Chalon
L’USUPATEUR
GUNDOVALD
Aquitaine
ROYAUME
DES LOMBARDS
CARTOGRAPHIE : HUGUES PIOLET
ANIE
ROYAUME PTIM
E
200 km
S
DES WISIGOTHS
27 - Historia n° 919-920 / Juillet-août 2023
DOSSIER COLD CASES
British Library/Aurimages
péric aurait pu menacer de la répudier.
Pour ne rien arranger, les mauvaises
langues racontaient que la reine avait eu
une liaison avec l’évêque de Bordeaux.
En pisteEn 613, Clotaire II, fils de Frédégonde, condamne à mort la vieille reine Brunehaut, alors âgée
Voilà bien des raisons de se débarrasser d’une soixantaine d’années. Son supplice – attachée à la queue d’un cheval lancé au galop – est suffisamment
d’un mari gênant ! atypique et cruel pour avoir inspiré les artistes, du Moyen Âge au XIXe siècle. •
Miniature du XIVe s.
Un enfant roi et
nat, Gontran entre dans Paris. Là, il re- s’était réfugié. Rapidement, l’affaire se
un bouc émissaire connaît, du bout des lèvres, que le nou- tasse. Seul Grégoire de Tours continue
Doit-on plutôt soupçonner un des veau-né qu’on lui présente sous le nom de raconter que Frédégonde arme ses
clercs qui avaient eu maille à partir de Clotaire II est bien le fils de Frédé- hommes de main avec des couteaux
avec le roi ? Celui-ci se piquait de théo- gonde et qu’il est aussi, peut-être, celui et que toutes les victimes ont été re-
logie et flirtait avec l’hérésie. Ou un de Chilpéric ; il offre ainsi aux Grands trouvées avec une blessure à l’aisselle.
membre de la communauté juive de Pa- de maintenir une Neustrie autonome Peu à peu, les acteurs du drame dispa-
ris, dont il s’était attiré la haine ? Reste pour peu que l’enfant roi Clotaire II de- raissent : Gontran en 592, Frédégonde
que, pour le chroniqueur Grégoire de vienne son protégé. Ne reste plus qu’à en 597. Chez les survivants, une récon-
Tours, c’est Dieu lui-même qui a tué trouver un bouc émissaire pour endos- ciliation semble en marche : dans les
Chilpéric : le roi avait tenté de faire dé- ser le régicide : en 585, Gontran lance années 600, Clotaire II devient le par-
poser Grégoire en 580, ce qui justifiait une procédure contre le chambrier de rain d’un héritier de Brunehaut. Mais en
pleinement le châtiment du Ciel ! feu Chilpéric, Éberulf : il aurait tué le 613, une nouvelle guerre civile survient.
Ajoutons au nombre des suspects le roi pour dissimuler des détournements Clotaire II capture Brunehaut et, pour
vieux souverain de Burgondie, Gon- d’argent public. Une perquisition est or- justifier son élimination, l’accuse du
tran, demi-frère de Chilpéric. Lui aus- donnée et des trésors ayant appartenu « meurtre de dix rois », dont Chilpéric.
si entendait récupérer le royaume de à Chilpéric sont effectivement retrou- Un procès expéditif s’achève sur l’exé-
Neustrie s’il tombait en déshérence. De vés chez lui. L’ancien chambrier finit cution de la vieille reine, traînée par un
fait, quelques semaines après l’assassi- par être mis à mort dans l’église où il cheval lancé au galop. u
28 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Des dossiers siques, mais aussi à des archéologues
ou des anthropologues judiciaires.
à jamais vivants
Dans leur communiqué sur le bilan de
cette première année d’exercice, Ben-
jamin Deparis, président du tribunal de
Nanterre, et Pascal Prache, procureur
Un millier de cold cases restent à résoudre dans notre pays. de Nanterre, ont estimé qu’« en l’état
La création, en 2022, d’un pôle judiciaire vise à élucider ces des moyens alloués, le pôle ne pourra
affaires. La plus ancienne encore en cours remonte à 1972. absorber plus d’une centaine de dos-
siers ». Parmi eux, les quatre-vingt-dix
volumes de l’instruction du quadruple
meurtre de Chevaline (2012), dans les-
par Laurent Lemire quels il faut replonger avec un œil nou-
veau. C’est également le cas pour l’af-
faire Tatiana Andujar, une jeune femme
B
ientôt une centaine d’affaires cer le parquet, trois greffiers, un assis- de 17 ans qui s’évapore à sa descente
non résolues à gérer, soit un tant, un juriste et deux officiers de po- de train en gare de Perpignan en 1995.
niveau proche de la saturation. lice judiciaire. « Il est difficile de traiter L’affaire la plus ancienne traitée par le
La situation montre la nécessité un dossier cold case en solitaire, ex- PCSNE remonte à 1972. Elle concerne
de la création du pôle judiciaire natio- plique Sabine Kheris dans les Cahiers la disparition de la famille Méchinaud,
nal consacré « aux crimes en série et de la sécurité et de la justice (*).C’est Jacques, Pierrette et leurs deux fils
non élucidés », le (PCSNE), le 1er mars la somme des expériences du juge et âgés de 4 et 7 ans, le soir de Noël à Bou-
2022 à la suite du rapport du magistrat des enquêteurs qui permet la résolu- tiers-Saint-Trojan, près de Cognac, en
Jacques Dallest (lire l’entretien p. 57), tion de ces enquêtes ». Charente, dans leur Simca 1100. Ni les
ancien procureur général près la Cour corps ni la voiture n’ont été retrouvés.
d’appel de Grenoble. Lors du colloque pour la première an-
Depuis son installation au tribunal
Équipes pluridisciplinaires née du PCSNE, Sabine Kheris a estimé
de Nanterre, cette nouvelle structure C’est pourquoi cette équipe réduite qu’il y aurait un millier de cold cases
judiciaire a examiné 222 affaires afin de fait appel à des experts, psychologues en France. u
déterminer si elle pouvait apporter une criminologues, les fameux « profilers » * Revue de l’Institut des hautes études du ministère de
« plus-value » : 77 ont été retenues, dont rarement utilisés dans les affaires clas- l’Intérieur, n° 52, août 2021.
67 informations judiciaires, réparties
entre trois cabinets d’instruction et dix
enquêtes préliminaires dirigées par le
parquet. Parmi ces dossiers rouverts,
47 concernent des meurtres, 16 des
enlèvements ou séquestrations et cinq
des viols. Lors de la présentation du
PCSNE, le ministre de la Justice, Éric
Dupond-Moretti, a indiqué que « ce pôle
doit permettre à ces dossiers de rester
vivants judiciairement et d’offrir une
réponse aux victimes ». Après dix-huit
mois d’investigations infructueuses, ces
dernières ou leurs familles peuvent sol-
liciter l’avis du parquet pour que leurs
affaires soient transmises à ce pôle.
Cyril Zannettacci/Agence VU
La
Avril victime :
1476, un Jacopo
corbeau à Saltarelli
Florence
Le lieu
du viol :
la tour
Saltarelli ?
Scandale Saltarelli :
une ombre au tableau
de Léonard de Vinci
Une accusation de viol collectif aurait pu coûter la vie à de jeunes artisans, dont
Léonard, encore apprenti. L’affaire est classée, faute de preuves, par deux fois…
D
ans la Florence renaissante, ils ont la surprise de découvrir, dans le Les accusés sont tous des apprentis
l’ordre moral est, en prin- tamburo de la place della Signoria, la chez des artisans du centre de la cité,
cipe, garanti par une insti- dénonciation d’un prétendu viol homo- à l’exception, plus que notable, de Lio-
tution, entièrement fondée sexuel collectif. La législation florentine nardo de Tornabuoni, membre d’une
sur la délation, les tam- est très précise : la « sodomie active » famille prestigieuse fortement engagée
buri, des boîtes disposées est punie de mort. La victime est nom- dans la vie politique locale, dominée
partout dans la ville par les « officiers mément désignée : Jacopo Saltarelli, depuis 1434 par les Médicis.
de la nuit et des monastères », et où né en 1459, apprenti orfèvre vivant et
l’on peut glisser – de nuit – un feuillet travaillant chez son frère Giovanni, via
dénonçant nominalement les auteurs de Vacchereccia. Comme aussi les auteurs
Coup porté aux Médicis
méfaits que la morale locale réprouve. présumés du viol : Bartolomeo di Pas- Le tribunal civil convoque les « mis en
Au matin, ces fonctionnaires viennent quino, orfèvre via Vacchereccia ; Bacino, cause ». Mais, sans preuves formelles,
en prélever le contenu et déterminer tailleur à Orto San Michele ; Lionardo de les jeunes gens sont relaxés. Une
quelles dénonciations valent la peine Tornabuoni, dit Teri, et enfin Lionardo étrange clause est ajoutée au jugement :
d’être communiquées au tribunal appro- di Ser Piero da Vinci, demeurant chez on ne doit plus glisser à l’avenir, dans les
prié. Or, à l’aube d’un jour d’avril 1476, Andrea del Verrocchio, orfèvre. tamburi, la moindre accusation de ce
30 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Les
auteurs
présumés
Un
procès,
un non-
lieu
genre à leur sujet. Or, le 7 juin, la dénon cette accusation de « sodomie active » ? par l’assassinat de Laurent et Julien de
ciation se répète, avec la même victime Le prétendre, c’est oublier un peu vite Médicis. Seul le second n’en réchappe-
et les mêmes accusés. Nouvelle réunion qu’il n’est encore qu’un apprenti, et que ra pas. On n’en est pas là au printemps
du tribunal civil et… même sentence, monter toute une affaire contre cet ano- 1476, mais faire tomber un Tornabuoni
malgré la clause particulière. Entre- nyme ne présente aucun intérêt. En re- dans une affaire sordide comme celle-
temps, l’enquête a montré que Saltarelli vanche, parmi tous les accusés figure ci, c’est indirectement saboter, auprès
est connu comme un prostitué notoire. le fils d’une lignée très liée au clan Mé- de l’opinion, l’autorité des Médicis. Rien
La double accusation tombe donc à dicis, celle des Tornabuoni (la mère de n’empêche donc de voir, à l’origine du
l’eau, faute de preuves. Preuves que les Laurent le Magnifique n’est autre que complot, une famille frustrée du pou-
dénonciateurs anonymes ont été inca- Lucrezia Tornabuoni). Or, l’heure est, voir politique, comme les Albizzi ou,
pables de produire – ou même de fabri- dans Florence, à la contestation de la déjà, ces fameux Pazzi. Auquel cas, la
quer, dans une ville où tout se sait. On domination des Médicis sur une vie po- seule vraie victime de cette accusation
inclinerait donc à voir dans toute cette litique cadenassée par eux et leurs al- – victime parfaitement collatérale – se-
histoire un coup – mal – monté. Mais liés : nous ne sommes qu’à deux années rait « notre » Léonard, à la peau de qui
contre qui ? Contre le malheureux Léo- de la tragique – et malheureuse – tenta- elle colle encore, cinq cent cinquante
nard, sur qui va peser pour des siècles tive des Pazzi pour en « libérer » la ville, ans après les faits. u
L’étrange mort du
dernier des Condés
En 1830, le vieux Louis-Henri-Joseph de Bourbon-Condé est retrouvé sans vie,
pendu. Victime de pratiques sexuelles douteuses ou d’héritiers impatients ?
L
e 27 août 1830, quand il se pré-
sente devant les appartements
de son maître, au château de
Saint-Leu (aujourd’hui détruit),
le valet de chambre Lecomte
trouve l’alcôve verrouillée. Une
fois la porte enfoncée, l’on fait alors
une macabre découverte : Louis-Hen-
ri-Joseph, duc de Bourbon, prince de
Condé, est pendu par deux mouchoirs à
l’espagnolette d’une fenêtre. Le prince
était âgé de 74 ans. Son fils, le fameux
duc d’Enghien, a été fusillé sur ordre
de Bonaparte en 1804. Las de vivre,
a-t-il voulu le rejoindre et hâter la fin
de sa dynastie ? Pourtant, le défunt ne
laisse aucune lettre et on sait qu’en bon
chrétien, il réprouvait le suicide.
Le prince, par ailleurs, n’était pas seul
et vivait avec la baronne de Feuchères,
suscitant bien des commentaires. De
trente-quatre ans plus jeune que lui,
la baronne est née Sophie Dawes, en
Angleterre. Condé l’a rencontrée pen-
dant l’émigration et, peu à peu, cette
insinuante maîtresse a su se rendre in-
dispensable. De retour en France après
1815, le prince lui obtient un rang et un
titre. Rentré en possession du palais
Bourbon, qu’il loue à la « Chambre des
députés des départements », le prince
loge la baronne au Petit-Hôtel, en face
de l’hôtel de Lassay. Elle le suit aussi à
Chantilly et à Saint-Leu dont il est pro-
priétaire. Car Condé est à la tête de la
MP/Leemage
32 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Musée Condé, Chantilly /Bridgeman Images
Wikimedia common
Fortune de FranceLe lieu du crime,
le château de Saint-Leu, n’est que l’une des
nombreuses possessions de l’ultime descendant
1 de la famille la plus riche du royaume.
Photo Josse/Bridgeman Images
3
PHOTO JOSSE/LA COLLECTION 2 pas trouvé la preuve permettant de
clore le dossier », constate en 2022 Em-
Parmi les suspects manuel Maury, biographe du prince 1. La
baronne de Feuchères ne sera jamais in-
LA BARONNE DE FEUCHÈRES, née Sophie Dawes, maîtresse du prince (1) ; quiétée : signe de son innocence ou prix
LOUIS-PHILIPPE Ier, roi des Français (2) ; de son silence ? L’enquête, il est vrai,
LE DUC D’AUMALE, fils de Louis-Philippe (3). tourna court. Ce fut le maire de Saint-
Leu qui mena les premières investiga-
tions, puis l’enquête passa au juge d’ins-
Aussi sa mort, en l’absence d’héritier premières semaines de la nouvelle mo- truction de Pontoise. Mais le chancelier
direct, fait-elle des heureux. Mort sus- narchie constitutionnelle, Louis-Phi- Pasquier, président de la Chambre des
pecte, car le prince a beau être accro- lippe venant d’accéder à la dignité de pairs, écrivit au roi pour tenter de
ché par le cou, ses pieds touchent le « roi des Français ». prendre la main : « Les circonstances de
sol, ce qui fait une bien curieuse pen- la mort sont trop extraordinaires pour
daison. En outre, sa chambre était fer- qu’elles ne motivent pas une instruction
mée de l’intérieur, mais la baronne n’en
Un cas bien étouffé… très approfondie », jugea-t-il. Le tribunal
avait-elle pas les clefs ? Il apparaît que Républicains et légitimistes, pour une de Pontoise ayant repris l’enquête, il fut
le prince et elle pratiquaient des jeux fois, s’entendent pour s’interroger sur dessaisi du dossier par la Cour royale
érotiques, dans lesquels un début de les circonstances du décès, quand le de Paris qui désigna M. de La Huproie.
strangulation permettait de ranimer duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe, Mais, quand s’annoncèrent les assises,
la vigueur du septuagénaire. Le jeu au- est désigné l’héritier principal de l’im- ce magistrat instructeur fut mis à la re-
rait-il duré trop longtemps ? Pis, la ba- mense fortune des Condés : c’est donc traite d’office et son remplaçant conclut
ronne l’aurait-elle prolongé à dessein ? à la famille royale que profite le crime à un non-lieu. Raison d’État ! u
Cette embarrassante affaire est aussi – si crime il y a eu… « Malgré la consul- 1
Le dernier des Condé. La vie romanesque d’un prince de
politique, puisqu’elle survient dans les tation de nombreuses archives, on n’a France, par Emmanuel Maury (Tallandier, 2019).
Louis Le Prince,
première victime
du cinéma policier !
En 1890, l’inventeur d’un procédé révolutionnaire d’images animées – qui doit lui
assurer gloire et fortune – disparaît à Paris. Le début d’un film à suspense…
P
our les Français, ce sont portant barbe blanche, moustache et frère Albert, qui réside à Dijon. Il pré-
les frères Louis et Auguste favoris, d’un naturel calme et patient, voit de retrouver les Wilson trois jours
Lumière qui ont inventé le Louis décide le 14 octobre 1888 de sor- plus tard, le 16, à Paris, gare du Nord,
cinéma en 1895, avec la pre- tir pour la première fois de son atelier d’où ils doivent repartir pour l’Angle-
mière projection publique une énorme caméra à lentille unique de terre. Ce jour-là, Le Prince n’est pas
d’images animées : L’Arri- son invention et il fait jouer devant elle au rendez-vous et les Wilson, pensant
vée d’un train en gare de La Ciotat. des acteurs amateurs : son fils et ses qu’il prolonge son séjour, partent sans
Pour les Américains, c’est Thomas beaux-parents. La très brève Scène du l’attendre. Mais les jours passent et ils
Edison, inventeur du télégraphe et du jardin de Roundhay capturée ce jour- restent sans nouvelle. De leur côté, la
phonographe, qui a permis de visionner là devient le premier film de l’Histoire ! femme et les enfants de Louis scrutent
des images animées dans un appareil Mais il lui reste à trouver comment la les arrivées de transatlantiques en pro-
nommé Kinétoscope en 1894. Seulement, projeter sur un écran : la solution vien- venance d’Angleterre. Leur inquiétude
avant eux, il y a eu Louis Aimé Auguste dra du film Celluloïd. grandit. Lizzie envoie un câble à son
Le Prince, qui, dès 1888, a produit le beau-frère, qui répond que Louis a bien
premier film animé de l’Histoire… sans quitté Dijon pour Paris le mardi 16 par
être jamais reconnu pour cela.
Une guerre des brevets ? le train de 14 h 37, ayant raté celui du
Dans sa jeunesse, Le Prince a fréquen- Le Prince n’est pas le seul inventeur matin. Il l’a accompagné et vu monter
té un pionnier de la photographie, à travailler sur un tel procédé : dans dans le train. Qu’est-il devenu ?
ami de la famille, Louis Daguerre, qui plusieurs pays, une compétition fé- Quelques mois plus tard, le 28 mai, The
l’a initié à la photographie. Le Prince roce s’est engagée. Jusqu’à ce que Sun (New York) fait sa manchette sur
s’est installé dans le Yorkshire pour son invention soit dévoilée au public, « Le Kinétographe, la dernière inven-
travailler avec un ami industriel, John il lui faut garder le plus grand secret. tion d’Edison qui va reproduire des
Whitley, dont il a épousé la sœur, Eli- En 1890, Le Prince estime que son images animées ! ». Le sang de Lizzie se
zabeth (« Lizzie »). Ensemble, Louis et système de projection est au point et glace à la lecture. « C’était l’invention
Lizzie ont créé une école d’art et sont décide de faire breveter son appareil. de mon mari ! » écrira-t-elle. De fait, les
devenus célèbres pour leurs photos en Il écrit à son épouse qu’il la rejoindra détails des deux machines sont très
couleurs de célébrités, dont celle de la en septembre et lui demande de pré- similaires. Le brevet Edison, déposé
reine Victoria. Ils ont ensuite séjour- parer les premières projections pu- quelques semaines après la disparition
né aux États-Unis, où Lizzie est res- bliques. De passage en France avec un de Louis, est très différent des précé-
tée tandis que Louis revenait à Leeds, couple d’amis, les Wilson, il les quitte le dents qu’il a signés jusque-là. Dans
chez ses beaux-parents. Âgé de 47 ans, 13 septembre pour rendre visite à son sa correspondance de l’époque,
34 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
LE DISPARU
HYPOTHÈSE 1
UK Science Museum
Photo12/Alamy/The History Collection
La « photographie mobile »,
le mobile du crime ?
Louis Le Prince (1841-1890) dépose un premier
brevet aux États-Unis. Lorsque celui-ci
est approuvé, Le Prince demande à sa femme
et à son fils, alors à New York, de préparer
la démonstration de son invention – qui n’aura
jamais lieu… Plusieurs mois après la disparition
de Le Prince, Thomas Edison fait la démonstration
de son Kinétoscope. La famille en est sûre,
c’est lui qui a éliminé Louis Le Prince pour lui
voler son invention ! Quelques années après que
le père s’est volatilisé, c’est le fils, Adolphe, qui
est retrouvé mort. Suicide, accident ou meurtre ?
La famille pointe à nouveau Edison du doigt.
36 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
ENTRETIEN
Philippe Charlier*
« Les morts enseignent
aux vivants »
Marat sur un exemplaire de L’Ami du
peuple et dans sa baignoire nous a livré
son « dossier médical » !
Peut-on avoir une idée de la voix
d’un personnage historique à travers
l’examen de son larynx ?
Nous y travaillons. Nous possédons la
totalité de l’arbre respiratoire supérieur
d’Henri IV. Scientifiquement, il apparaît
désormais possible de reconstituer ce
qu’avait pu être sa voix. Mais là aussi,
l’appui des historiens se révèle indis-
Franck CRUSIAUX/GAMMA-RAPHO
pensable. Il faut que le résultat soit en
phase avec les témoignages de l’époque.
Les musées vont-ils se transformer
en centres de recherche médicale ?
Les musées d’ethnologie certainement,
HISTORIA – D
ans Autopsie des Ne risque-t-on pas alors une en collaboration avec les archéologues.
cœurs célèbres*, vous présentez surinterprétation des restes ? Au musée du quai Branly-Jacques-Chi-
des enquêtes à la fois historiques et Bien sûr, c’est l’écueil du diagnostic rac, nos travaux sur les embouts de
médicales. Qu’est-ce que la science par excès. Mais nous ne sommes pas pipes africaines pourront peut-être
apporte à l’histoire ? des Knock et tout reste humain qui ne mettre en évidence les plantes fumées
PHILIPPE CHARLIER – Beaucoup, mais présenterait aucune pathologie ne se- et ceux sur les étuis péniens de Pa-
lorsqu’elle reste au service de l’histoire, rait pas forcément celui d’un malade pouasie-Nouvelle-Guinée permettre
à la place qui est la sienne : la science qui s’est ignoré… d’identifier certaines pathologies de
ne supplante pas le travail des histo- La police scientifique utilise l’ADN. cette population masculine. Mais n’ou-
riens, elle leur permet de résoudre des Et vous ? blions jamais la dimension éthique
énigmes, comme ce fut le cas récem- Nous aussi, évidemment. L’ADN per- dans notre approche du passé. C’est
ment avec les lettres cryptées de Marie met d’établir une identité, de compa- le sens de l’expression latine Mortui
Stuart ou de Marie-Antoinette à Fersen. rer les individus d’une même famille. Il vivos docent, « les morts enseignent
En quoi la paléopathologie nous aide- est donc précieux, mais il a un inconvé- aux vivants ». C’est pour cela qu’il faut
t-elle à comprendre le passé ? nient, il se conserve très mal. On l’a vu les respecter.
Elle nous renseigne sur les vies biolo- lors des nouvelles investigations dans PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT LEMIRE
giques des personnages du passé. Elle l’affaire Grégory. C’est pourquoi nous * Autopsie des cœurs célèbres, de Philippe Charlier
les observe au scanner, pratique sur eux utilisons en complément l’examen et David Alliot (Tallandier, 240 p., 21,90 euros).
des examens sanguins, toxicologiques, protéomique. L’identification des pro-
génétiques… Mon patient le plus ré- téines nous permet de comprendre les
*Philippe Charlier, médecin légiste,
cent est mort en 1973, il s’appelle Picas- maladies ou les régimes alimentaires.
archéologue et anthropologue,
so. Grâce à des cheveux et des ongles, Les traces du cœur de Louis XIV sur est le directeur de la recherche
nous avons obtenu des renseignements un tableau ont confirmé la gangrène et de l’enseignement au musée
sur sa vie et son processus de création. infectieuse du roi et l’étude du sang de du quai-Branly-Jacques-Chirac.
L’honneur
toujours
perdu
du lieutenant
Chapelant
Accusé d’avoir poussé ses troupes à se rendre, ce
militaire est passé par les armes en 1914. Au fil des
procès en révision se dévoile la sinistre réalité des
« fusillés pour l’exemple », pas forcément coupables.
Q
ue s’est-il passé au Bois- sortent de la tranchée en levant les
des-Loges (Somme) le mains, le pensent aussi. Un officier
7 octobre 1914 ? Ce jour-là, allemand oblige alors Chapelant, sous
les Allemands mènent la menace d’une arme, à encourager
des attaques furieuses, les Français à se rendre. Ce dernier
certaines vagues sont s’exécute et agite un mouchoir blanc.
arrêtées à seulement quelques mètres Il est à ce moment atteint par une balle
des tranchées françaises. Et voilà que française, qui lui perfore la jambe.
les balles viennent aussi en enfilade,
du côté du hameau des Loges. La situa-
tion est catastrophique : les hommes se
Un exemple nécessaire
croient encerclés, les munitions sont Abandonné sur le champ de bataille,
en voie d’épuisement. Dans la tranchée le sous-lieutenant est retrouvé par des
voisine du sous-lieutenant Chapelant, brancardiers deux jours plus tard, le
un sergent-major panique et réclame la 9 octobre, blessé, fiévreux, mais vi-
reddition. Le code de justice militaire vant. Aussitôt, le colonel Didier, qui
prévoit parfaitement cette éventualité. commande le régiment, envisage de le
La reddition n’est pas déshonorante faire fusiller en le traitant de « lâche ».
quand toute possibilité de résistance Pour éviter de perdre du temps, il lui Une histoire de FranceBlessé
au combat par une balle française, Chapelant
a été épuisée. Tout est donc question tend même son revolver. Mais Chape-
est exécuté par un peloton français !
d’interprétation. Chapelant a-t-il épuisé lant refuse de se tuer et estime qu’il Partiellement réhabilité en 2012, il demeure
toute possibilité de résistance ? Il le n’a rien fait de répréhensible. Tout au officiellement condamné pour désertion.
croit, en tout cas, et les hommes, qui contraire, il affirme avoir fait son
38 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Archives départementales du Puy de Dôme
Le chanoine
Lestrade,
témoin de
l’exécution
« J’allais me coucher lorsqu’arrive
l’ordre d’aller aux Loges pour la 1ère
heure car on doit fusiller le lieutenant
Chapelant. Je pars immédiatement
[…]. Je passe à Conchy chercher le
Saint-Sacrement. […] Nous arrivons
vers 1 h 30, l’ordre d’exécution arrive
quelques instants après. […] Il faut
attendre, il semble que toutes les pièces
ne sont pas prêtes. J’attends donc, je
téléphone au général de brigade, il n’y
a rien à faire, ainsi qu’à l’état-major
[…]. Enfin, Chapelant arrive à 9 h 20.
On le dépose sur un brancard, à terre,
sous un arbre. Je le vois, lui donne le
Saint-Sacrement. Il demande à écrire
à sa famille, à voir son défenseur. On
lui refuse tout. Il fait son sacrifice pour
Dieu et pour la France. On lui prononce
la sentence, on lui bande les yeux, on
l’attache à son brancard et on le porte
au lieu d’exécution dans le champ
voisin de la 1ère maison des Loges à
gauche. On appuie le brancard contre
un arbre desséché et on fait feu […],
on l’achève d’un coup de revolver à la
tempe […]. Son dernier baiser avait
été pour le crucifix ! Je pars, éclatant en
sanglots, […] après avoir béni le corps
dans la fosse. »
BNF/GALLICA
Le donneur
La victime d’ordres L’avocat
Julien Chapelant Colonel Didier Henri Guernut
Né le 4 juin 1891 à Ampuis Triste personnage que ce colonel, Secrétaire de la Ligue
(Rhône), fils d’un charron et d’une commandant le 98e RI… Il est des droits de l’homme durant
ménagère, il choisit la carrière haï de ses hommes, qu’il menace vingt ans, de 1912 à 1932,
des armes. Engagé volontaire en en permanence de son pistolet. l’avocat Henri Guernut prend
1909, le jour même de ses 18 ans, Il lui est arrivé d’en exécuter le dossier Chapelant en main
il devient caporal quatre mois plus sommairement. Mal noté, relevé à partir de mai 1920. Il joue la
tard et sergent l’année suivante. de son commandement pour carte de la médiatisation en
Il devait passer un examen pour abandon de poste puis envoyé publiant une brochure, L’Affaire
devenir officier quand la guerre dans les Balkans, cet alcoolique Chapelant, en 1925. Élu député
éclate. En août 1914, il est nommé a même menacé du poteau trois ans plus tard, il lutte contre
sous-lieutenant et prend d’exécution un soldat gardant les l’incroyable lenteur de la justice
le commandement d’une section ânes car il ne supportait pas d’être à coups d’interpellations et de
de mitrailleurs. réveillé la nuit par leurs braiments. questions écrites.
40 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
après la guerre, de nombreux soldats tard. Entre-temps, la presse s’est empa- du sous-lieutenant Chapelant est exa-
écrivent au père de Chapelant, charron rée de l’affaire Chapelant : La Tribune miné par ce tribunal spécial, le 6 juillet
à Ampuis (Rhône), pour lui raconter républicaine de Saint-Étienne, Le Pro- 1934, le rejet est acté par 4 voix contre
leur version des faits et s’en prendre grès de Lyon et bientôt toute la presse 2. Cette fois-ci, il n’y a plus aucun re-
à la sauvagerie du colonel Didier. Le des anciens combattants. La Cour de cours judiciaire…
dossier administratif de ce dernier est cassation rejette pourtant la réhabili- L’affaire Chapelant rebondit bien tar-
affligeant : cet alcoolique, sortant son tation en août 1923. Le scandale est si divement. En 2012, le secrétaire d’État
pistolet à tout bout de champ, est li- grand dans le pays que le dossier re- aux Anciens Combattants, Kader Arif,
mogé en septembre 1915 pour avoir vient à nouveau devant la Cour de cas- accorde à Julien Chapelant le statut
abandonné son poste au cours d’une sation en 1927, avec le même insuccès. de « Mort pour la France ». À l’époque,
attaque – mais personne n’a songé à le L’opinion est révoltée. on pouvait penser que le nouveau pré-
juger. Il retrouve un commandement sident François Hollande allait réha-
dans l’armée d’Orient où son supé- biliter les fusillés de 14-18. Il s’y était
rieur, en octobre 1916, préconise de
Réhabilitation incomplète engagé quand il était candidat. Mais les
le remplacer à cause de sa nervosité. D’autres histoires atroces de fusillés, promesses n’engagent que ceux qui y
Didier deviendra cependant général en comme celle de Flirey ou des quatre croient… Réhabilitation symbolique
avril 1917. Muni des témoignages des caporaux de Souain connaissent le car, sur le plan judiciaire, Chapelant
camarades de Chapelant, le père du même rejet. Les parlementaires in- demeure officiellement condamné
fusillé dépose officiellement une de- ventent alors une nouvelle cour de jus- pour désertion. Au-delà des circons-
mande de réhabilitation en mars 1919. tice, composée de trois magistrats et tances terribles de son exécution,
Le ministère de la Guerre ne se presse de trois anciens combattants, statuant le doute nous prend à la lecture des
pas et n’adresse les pièces du dossier au-dessus de la Cour de cassation qui, pièces du dossier. Chapelant est un des
à la direction des Affaires criminelles rappelons-le, se prononce sur la forme cold cases de la Grande Guerre. Il y en
du ministère de la Justice qu’un an plus et non sur le fond. Mais, quand le cas a bien d’autres. u
Archives départementales du Puy de Dôme
L’autre combat des poilus Après-guerre, le cas Chapelant devient le cheval de bataille de la Ligue des droits de l’homme, emblématique des excès de la
« justice » militaire des premiers mois de guerre. La presse, notamment celle des anciens combattants, pousse à la révision de la condamnation du militaire.
S
« tavisky s’est suicidé d’une résolus à forcer le cordon de sécurité reçu par le préfet des Basses-Pyrénées
balle tirée à trois mètres. pour prendre d’assaut le Palais-Bour- (Pyrénées-Atlantiques). Ce qu’il révèle
Voilà ce que c’est que d’avoir bon, de l’autre côté du pont. Au moins est accablant : avec la complicité pas-
le bras long », commente Le 18 morts, des centaines de blessés : ce sive du député, il a émis de faux bons
Canard enchaîné… Au len- soir-là, la République a vacillé. de caisse et truqué sa comptabilité !
demain du 8 janvier 1934, la À la Chambre des députés, en effet,
mort mystérieuse de l’homme d’affaires ils sont quelques-uns à avoir fréquen-
et financier véreux suscite une grave té Stavisky, le magicien des finances,
Escroc puis indic
crise politique qui culmine le mois le personnage plein d’entregent qui D’habitude, les opérations de Sta-
suivant avec l’émeute du 6 février. « À résidait au Claridge et offrait des dî- visky comblaient les trous créés par
bas les voleurs ! » crient les anciens ners somptueux. Le député-maire de ce genre d’opérations illégales, mais
combattants, très remontés contre Bayonne, Garat, lui a même confié une nouvelle manipulation sur les
les radicaux et les francs-maçons au l’établissement de crédit municipal de « bons hongrois » a manqué et voici
pouvoir. Après la manifestation, une sa ville, en acceptant d’en nommer di- qu’il n’est plus possible de dissimuler
foule se masse place de la Concorde ; recteur un homme de paille, Gustave l’abîme… Triste Noël en perspective
les activistes de l’Action française et Tissier. Or ce dernier, le samedi 23 dé- pour Tissier : « Que va dire mon fils ?
des Jeunesses patriotes incitent les plus cembre 1933, craque et demande à être Je suis mûr pour le bagne ! » Quant à
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
La
scène
Tallandier/Bridgeman Images
du
crime
La
victime
le chalet de Chamonix
croqueries et abus de confiance ; son où s’est tragiquement
père, déshonoré, se suicide. achevée la cavale
de Stavisky, Lit
En 1926, Alexandre, dit Sacha, connaît
le 8 janvier 1934.
les rigueurs de la prison et jure de n’y
jamais retourner. Interdit de séjour à Porte vitrée
Paris, il obtient un « condé », autre-
ment dit une tolérance de la police TERRASSE
43 - Historia n° 919-920 / Juillet-août 2023
DOSSIER COLD CASES
René Dazy/Bridgeman Images
Discorde à la ConcordeDans un contexte de crise économique et institutionnelle, l’affaire Stavisky met le feu aux poudres. Une manifestation, qui tourne à
l’émeute, est organisée, le 6 février 1934, par des groupes de droite et d’extrême droite devant l’Assemblée nationale. Au moins une vingtaine de morts sont à déplorer.
en échange d’informations ; cet indi- palaces parisiens. A-t-il voulu passer dans la pièce et après un long moment
cateur achète aussi la complaisance de en Italie ou en Suisse ? S’est-il terré le d’attente, le commissaire Charpentier
plusieurs parlementaires et ministres, temps que l’affaire se tasse ? Le 8 jan- entra dans la maison. Il était accompa-
qui garantissent l’enlisement des dos- vier 1934, on le retrouve en Haute-Sa- gné du propriétaire de la villa, M. Cha-
siers le concernant. Sous le nom de voie, au Vieux Logis, un chalet de Cha- tou, de l’inspecteur Le Gall, du service
« Monsieur Alexandre », il mène la monix. Mais Stavisky ne parlera pas : il du Contrôle des recherches judiciaires,
grande vie, et la belle Arlette Simon, s’est suicidé, explique la police. et du gendarme Brun, de la brigade de
ancien mannequin, devient sa com- Chamonix. »
pagne. Le couple tient table ouverte à Le commissaire Charpentier aurait par
L’Auberge du père Jean, rue des Volon-
Les ragots de la Chambre deux fois frappé à la porte. Selon le
taires, dont le patron dira : « Il n’était « Invoquant le prétexte d’une loca- rapport du préfet, une voix aurait de-
pas rare d’entendre Stavisky appeler tion éventuelle de la villa et sous la mandé : « Qui est là ? » Stavisky, retran-
ses hôtes ‘‘Mon général’’, ‘‘Cher maître’’, conduite du propriétaire M. Chatou, ché mais vivant, entend le commissaire
‘‘Cher docteur’’. » les commissaires et inspecteurs vi- s’impatienter, puis essayer de forcer la
Durant le dîner du 20 décembre 1933, sitèrent alors la maison, rapporte le porte. « À ce moment, un coup de feu
Monsieur Alexandre a paru contrarié. préfet. Ils constatèrent qu’une pièce retentit. Le commissaire et les per-
Il a demandé deux communications demeurait fermée. Supposant à juste sonnes l’accompagnant sortirent alors
avec Bayonne et Biarritz. Trois jours titre que Stavisky s’y trouvait, ils télé- de la villa et, ayant appelé les deux gen-
plus tard, il disparaît sans laisser de phonèrent à la direction de la Sûreté darmes de la brigade de Chamonix, Au-
traces et sa présence charismatique générale pour demander des instruc- gueux et Devaux, qu’il avait postés aux
manque aux fêtes de fin d’année des tions. L’ordre […] donné de pénétrer abords de la maison, il ouvrit les volets
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
de la porte-fenêtre qui accédait dans la
pièce où se trouvait Stavisky et, ayant
brisé les carreaux, pénétra dans cette
pièce. Stavisky se trouvait étendu et
tenait dans sa main crispée un revol-
ver ; il portait une blessure profonde à
la tempe droite, mais vivait encore. Le
corps ne fut pas déplacé afin de per-
mettre les constatations d’usage. »
C’est alors qu’interviennent de trou-
blantes manipulations : l’inspecteur
Le Gall retire le pistolet de la main
de Stavisky ; celui-ci est transporté à
l’hôpital, tandis que le matelas où il se
trouvait allongé disparaît. Trépané sur
la table d’opération, Stavisky s’éteint,
emportant avec lui ses secrets.
Le conseiller Prince
sur un train d’enfer
En 1934, ce haut magistrat qui avait enquêté sur l’affaire Stavisky est
retrouvé déchiqueté, ficelé sur une voie ferrée : suicide ou « suicidé » ?
D
chemin de fer près de Dijon est retrouvé le corps
Mauvaise voie Sur une voie decada vre est attaché à la voie par une cord
elette,
Le
eux semaines après d’Albert Prince, le 20 février 1934. médico-légal
res sont dispersées au sol. L’examen
ce qui n’est pas ordinaire. Ses affai au pass age du train.
l’émeute du 6 février 1934, révèle sur le corps plusieurs ecch ymos es anté rieur es
un drame vient ajouter à
la confusion ambiante. Le
Archives Nationales
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Courtesy of Service Régional d'Identité Judiciaire de Paris
Les
accusés À la manœuvreGaëtan de Lussats (1888-1962), François Spirito (1900-1967) et Paul Carbone (1894-1943), un trio de truands
chevronnés, au profil de coupables idéaux (lire ci-contre, p. 49). Accusés du meurtre d’Albert Prince, ils seront rapidement disculpés.
été attaché par les pieds au rail ; […] celui-ci sous l’Occupation, au sein de dispositions nécessaires à cette fin. »
l’ensemble des constatations s’oppose la « Gestapo française ». Arrêté à la Li- Que valent ces aveux sans témoin, rap-
d’une façon matérielle à l’hypothèse du bération, il revoit son fils une dernière portés plus de douze ans plus tard par
suicide. » Or le conseiller Prince, avant fois et laisse entendre qu’il connaît le un tiers ?
d’être nommé à la Cour de cassation, fin mot de l’affaire. Subterfuge pour re- Locard, comme Paul, sont des hommes
avait été le chef de la section financière tarder son exécution ? Celle-ci a lieu le sérieux et respectés. Dans le livre qu’il
du parquet de Paris entre 1928 et 1931 : 27 décembre 1944. Ce jour-là, Bonny se consacre à son père 2, Jacques Bonny re-
à ce titre, il aurait eu accès à un dossier confie au Dr Paul, médecin légiste. En prend donc cette confession de l’inspec-
lié aux tripotages de Stavisky. 1957, dans Le Parisien libéré, le Dr Lo- teur déchu : « Je suis arrivé sur les lieux,
Le conseiller risquait-il de dévoiler que card, pionnier de la criminalistique, dès qu’on m’a prévenu que le corps ve-
ses avertissements avaient été ignorés rapporte l’entretien que Bonny aurait nait d’être découvert, ce qui a permis
ensuite, naturellement, le classement
de l’histoire. C’est moi, également, qui ai
Prince connaissait les dessous de l’affaire alimenté de ragots certains journaux de
chantage et accrédité, dans une partie
Stavisky. Risquait-il de faire sauter de l’opinion, certaines rumeurs qui ont
la République avec ses révélations ? Pour couru à ce moment-là sur ce magistrat,
notamment sur ses mœurs spéciales. »
la presse d’opposition, la chose est entendue Bonny fils écrit même qu’il connaît les
noms des hommes de main mandés
par son père : « Certains sont toujours
par le procureur Fressard ? Celui-ci eu avec son confrère : « Vous avez été vivants. On comprendra que je taise
n’est autre que le beau-frère de Chau- très chic avec moi et je tiens à vous en leur identité. » Ces éléments, sans être
temps… La presse d’opposition évoque prouver ma reconnaissance en vous décisifs, fragilisent la thèse du suicide,
un crime d’État, voire un complot ma- révélant un secret d’État. Je n’ai pas à laquelle n’a jamais cru Gisèle Des-
çonnique 1. À la Chambre, une com- à vous rappeler la mort du conseiller saux-Prince, la fille de la victime : en
mission d’enquête cherche, en vain, à Prince. Mais ce que je peux vous ap- 1995, elle publiait un livre au titre sans
faire la lumière sur la double affaire prendre – et si vous l’avez supposé de équivoque, Ils ont tué mon père. u
Stavisky-Prince. Elle s’intéresse à l’ins- vous-même à l’époque, alors je vous le
pecteur Pierre Bonny, chassé de la po- confirme –, c’est qu’il ne s’est pas sui- 1. Un scandale d’État. L’affaire Prince, par Pierre Cornut-
Gentille (Perrin, 2010).
lice pour corruption en 1935, sans pou- cidé, non, il a été exécuté. Et c’est moi 2. Mon père l’inspecteur Bonny, par Jacques Bonny
voir établir son rôle. Mais on retrouve qui ai, sur demande d’en haut, pris les (Robert Laffont, 1975).
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
N’est pas Maigret qui veut…
Fort de ses connaissances du milieu, Simenon, le père littéraire du commissaire, reprend
l’affaire Prince. Un fiasco total, dans lequel l’écrivain se fait plumer comme un cave.
A
u moment où éclate l’affaire avec le fameux romancier qui créa le chait avec son précepteur, un prêtre, et
Prince, Georges Simenon commissaire Maigret, vont tenter, pour n’hésitait pas à le droguer pour avoir la
est âgé de 31 ans et les pre- notre journal, de percer le mystère du paix. Il fugua et, à Nice, aux États-Unis
mières aventures de Maigret kilomètre 311,850 », cote de La Combe- puis à Londres, fit l’apprentissage de
connaissent un certain succès : la dèche aux-Fées. la délinquance. Tenancier de boîtes de
s’éloigne, mais le romancier continue « Si les assassins du magistrat appar- nuit à Pigalle, où Simenon l’a rencon-
d’écrire pour la presse. L’enquête offi- tiennent à une bande internationale, tré, l’aristocrate de la pègre est aussi
cielle sur la mort du conseiller Prince c’est aux policiers les plus au courant un escroc et un faussaire, prêt à inven-
tendant à s’enliser, Pierre Lazareff, de leurs méthodes qu’ils auront affaire ter n’importe quoi pour « engourdir la
rédacteur en chef de Paris-Soir, a désormais », avertit la rédaction. Ain- fraîche » : en l’occurrence, les sommes
une idée sensationnelle : confier la si, « l’assassin » recherché devient « les en liquide que Paris-Soir a confiées à
contre-enquête de l’affaire à Simenon ! assassins », un groupe lié au bandi- son enquêteur pour délier les langues.
Celui-ci accepte, d’autant que le quo- tisme international : autrement dit, des Simenon s’en mord les doigts. Le ba-
tidien, ne lésinant pas sur la dépense, gangsters, thème à la mode en 1934, ron de Lussats, lui, tire encore profit de
lui donne les moyens de reprendre quand le public voit les mœurs cri- l’affaire en publiant, en 1935, L’Énigme
les investigations à zéro. Le 30 mars minelles américaines s’acclimater en de La Combe-aux-Fées, de Stavisky à
1934, les crieurs de journaux ont des France. C’est l’apparition du « milieu », Prince, un livre édité à compte d’au-
titres fantastiques à clamer dans les que Simenon se fait fort de connaître, teur. En 1937, il retourne à Monaco, où
rues : « Paris-Soir à la recherche de grâce à ses connexions montmar- il implantera les premières machines
l’assassin du conseiller Prince. […]. troises. Oui, affirme-t-il sur la foi d’un à sous ; il s’éteindra en sa principauté
Les plus célèbres détectives anglais, indicateur, « c’est un crime du milieu », natale, le 30 mars 1954. u
Terminus Porte-Dorée :
le crime de la ligne 8
16 mai 1937, 18 h 30 : un wagon de la première classe du métro parisien entre
en station. Une jeune femme seule, affaissée sur son siège, semble endormie.
Mais elle a un couteau planté dans la nuque. La rame est vide, personne n’en
est descendu. Un scénario digne d’Agatha Christie ou de Gaston Leroux.
A
« u secours ! À l’assas- d’un certain Jules Toureaux, artisan
sin » : c’est par ces cris potier emporté par la tuberculose deux
que sur le quai de la sta- ans auparavant. Elle vit seule dans le
tion commence l’affaire 20e arrondissement de Paris, travaille
Toureaux. Deux hommes comme ouvrière aux établissements
viennent de découvrir le Maxi, une petite usine de cirage de
corps d’une jeune femme. L’un des deux Saint-Ouen.
affirme être médecin militaire 1, le pouls
de la victime est si faible qu’il ne reste
aucun espoir. Le chef de quai alerte les
L’œuvre d’un professionnel
secours. Un gardien de la paix arrive Une vie sans histoire, simple en appa-
le premier, il retire le couteau, geste rence, elle aime aller danser en ban-
fatal : le sang gicle par saccades, la jeune lieue, elle n’est pas fichée par la Mon-
femme meurt sans un mot, en se vidant daine. Ses voisins la décrivent comme
de son sang. La police judiciaire arrive sérieuse, laborieuse, discrète… Ma-
sur les lieux, les limiers de cette division dame Tout-le-monde… Les inspecteurs
font place nette, recueillent les indices de la Criminelle lancent leurs filets
Tallandier/Bridgeman Images
50 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Récapitulatif des faits
18:23
Mme Toureaux 1 1 1 1
descend du bus
18:25
Elle franchit
le portillon
de la station.
18:27 58 secondes
s’écoulent entre
18:28
Départ de la rame. les deux stations Découverte du
de métro. crime à l’arrivée
de la rame.
1.
2.
3.
KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-RAPHO
BNF/Gallica
52 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
ENTRETIEN
Sue Black *
« Nos os nous renseignent sur
ce que nous étions dans la vie »
HISTORIA – Q
ue disent nos os ? transposées dans le monde historique.
SUE BLACK – N otre squelette peut Ainsi, le corps de Lord Lovat, exécuté
nous en apprendre beaucoup sur notre en 1747 par le gouvernement britan-
vie ainsi que sur notre mort. Outre la nique pour trahison, aurait été enterré
cause du décès, l’anthropologie médi- sous la Tour de Londres, comme tous
co-légale essaie d’identifier le défunt. les traîtres à la Couronne. Cependant,
À partir des os, nous pouvons dégager dans un mausolée près d’Inverness,
quatre critères d’identification : homme dans les Highlands d’Écosse, un cer-
ou femme, âge au moment de la mort, cueil portait son nom. Il y avait donc
taille et origine ethnique probable. Nous des doutes sur l’endroit où il reposait
cherchons ensuite les informations den- et sur l’identité de la personne qui se
taires. Enfin, nous traquons les trauma- The Royal Society of Edinburgh trouvait dans le cercueil. Celui-ci était
tismes antérieurs qui ont pu être guéris en mauvais état de conservation et
– ce qui signifie qu’il existe des dossiers avait été percé. Il nous a semblé impor-
hospitaliers. Chaque cas est différent tant, dans un souci de dignité et de dé-
et, plus les restes sont complets, plus cence, de réinhumer les restes conte-
nous avons de chances de parvenir à nus dans le cercueil dans un nouveau
une conclusion satisfaisante. qu’ils effectuent une partie du travail réceptacle, ce qui nous a donné l’occa-
Jusqu’à quand est-il raisonnable qui était auparavant celui des experts. sion de vérifier si les restes étaient bien
de pouvoir les interroger ? Dans le cas d’abus sexuels, sur des en- ceux de Lord Lovat, qui mesurait près
Les os survivent très longtemps et nos fants en particulier, l’auteur peut en- de 1,80 m et était âgé d’environ 80 ans
compétences peuvent être utilisées registrer numériquement son crime et lorsqu’il a été décapité. Nous avons pu
pour interroger des vestiges très an- il arrive que des parties de son corps démontrer que les restes dans le cer-
ciens. Il y a cependant un point limite apparaissent sur les images – le plus cueil étaient ceux d’une jeune femme
à la pratique médico-légale. Si un indi- souvent le dos de la main. Ces images et qu’il ne pouvait donc pas s’agir de
vidu est décédé plus de soixante-dix sont bouleversantes et nous formons Lovat ! Nous soupçonnons qu’il est bel
ans avant la date actuelle, il est peu pro- donc des ordinateurs capables d’iden- et bien enterré sous la Tour de Londres
bable que nous arrivions à traduire l’au- tifier des caractéristiques anatomiques et qu’un cercueil vide a été utilisé pour
teur en justice et les restes deviennent – comme le réseau de veines visible sur recueillir les restes de la jeune femme,
alors « archéologiques ». Le mot « mé- le dos de la main. Si l’on ajoute à l’algo- qui n’a pas été identifiée.
dico-légal » vient du latin forensis, qui rithme d’autres données biométriques, PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT LEMIRE
signifie « relatif au tribunal ». Ainsi, pour par exemple les motifs des plis cutanés
que les restes soient médico-légaux, il des articulations, les cicatrices, etc.,
faut que quelqu’un puisse être accusé l’ordinateur est capable de faire cela * Anthropologue judiciaire, anatomiste,
du décès et soit entendu par un tribunal. rapidement et avec précision. universitaire écossaise de renommée
internationale, elle a dirigé la série à
L’intelligence artificielle contribue- Quel est l’apport de votre expertise
succès History Cold Case sur BBC 2 . Un
t‑elle à vos enquêtes ? pour la recherche historique ? volume de ses enquêtes, Gravé dans l’os.
Mon dernier travail avec l’IA a consis- Les techniques que nous développons Les enquêtes étonnantes d’une médecin
té à programmer des ordinateurs pour dans le cadre médico-légal peuvent être légiste, vient de paraître chez Actes Sud.
BNF/Gallica
Le fantôme
des lettres
françaises
En 1945, Robert Denöel, éditeur d’Aragon mais
aussi de Céline, prépare la défense de sa maison
d’édition, accusée de collaboration. Sa mort,
soudaine, semble alors profiter à beaucoup.
D
écembre 1945 : on n’en ou Rebatet. Il a aussi fait paraître les
finit plus de solder les pamphlets antisémites de Céline…
bassesses de la collabora- En juin 1940, Paris est occupée, les Al-
tion. La vie intellectuelle lemands tombent sur le monde des arts
est passée au crible – Bra- et lettres, en exigeant censure et col-
sillach est fusillé ; Céline, laboration. Vichy adhère à cette mise
en fuite. Le monde de l’édition se au pas de l’oie de la littérature. Pas un
trouve aussi en ligne de mire : parmi éditeur ne se saborde, pas un ne refuse.
les éditeurs qui doivent répondre de De Gallimard à Denoël en passant par
leurs actes, Robert Denoël (1902-1945) Grasset, tous poursuivent leur activité.
s’apprête à assurer sa défense. Il n’en On publie à tour de bras en ce temps-là,
aura pas le loisir. on intrigue pour obtenir le cher papier,
L’ancien marchand d’art belge fonde on accepte les capitaux allemands. saurait condamner un homme défen-
en 1928 les éditions Denoël & Steele Avec la Libération, les vestes se re- du par le couple iconique du PC ! De
avec l’Américain Bernard Steele. De- tournent, les certificats de résistance, plus, le premier prix Goncourt d’après-
noël possède un véritable don pour re- plus ou moins avérés, sortent des cha- guerre est attribué, le même mois, à
pérer les talents. Il va révéler Aragon, peaux tels des lapins de foire. Elsa Triolet.
Genet, Artaud ou Nathalie Sarraute. En Sauvé, Denoël ? Non, une lettre ano-
une nuit, il dévore le manuscrit d’un nyme parvient au Comité d’épuration
médecin inconnu et se précipite au
Une vie mise en ordre de l’édition et accuse les éditions De-
matin pour lui faire signer un contrat. Robert Denoël est inquiété en juil- noël de collaboration. Un deuxième
Le livre s’appelle Voyage au bout de la let 1945, accusé de « collusion avec procès est prévu en décembre, Denoël
nuit et son auteur, Louis-Fernand Des- l’ennemi ». Mais lors du procès, il re- a été relaxé à titre personnel mais la
touches, préfère signer L. F. Céline. En çoit le soutien de Louis Aragon et d’El- personne morale, sa maison d’édition,
1937, Steele retourne aux États-Unis, la sa Triolet, qui affirment que Denoël les est au banc des accusés. Le 2 décembre
montée de l’antisémitisme le poussant a cachés pendant l’Occupation et leur a 1945, avant de vivre sa dernière soirée,
à mettre l’Atlantique entre l’Europe et remis de l’argent – il ne pouvait ignorer Denoël a organisé sa défense et mis
lui. Denoël publie des auteurs proches que ces sommes étaient destinées à la en ordre ses affaires. Il a converti ses
des thèses nazies, comme Brasillach résistance communiste. Un tribunal ne avoirs en lingots d’or, a préparé un do-
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LLLLLLLLLL
LLLL
LLL
L LLL
LLL
LL
LLL
LL
LL
LE VÉHICULE
PEUGEOT 302 NOIRE
DD
LA MAÎTRESSE
JEANNE LOVITON
COMMISSARIAT
aa
aa
aa
aa
3
a
aa
LA VICTIME
ROBERT DENOËL
2 1
Du plomb et beaucoup d’orPour la police, Denoël a été abattu dans la soirée du 2 décembre 1945
DD
par un rôdeur, rue de Grenelle, dans le 7e arrondissement. Néanmoins, on constatera la disparition d’une valise
L’ARME de lingots et de documents d’importance, qui font notamment de sa maîtresse – qui l’accompagnait cette nuit-
PISTOLET CALIBRE 11,43 là, mais qui bénéficie d’un alibi – l’héritière de la maison d’édition.
cument pour une cession éventuelle de d’un commissariat pour user de son Denoël, contenant 12 000 francs, est
sa maison d’édition si le procès devait bon de réquisition pour un taxi. La toujours sur lui. Mais la valise chargée
mal tourner. Le papier est signé mais le Peugeot 302 est immobilisée à la hau- des lingots a disparu des bureaux de
nom de l’acquéreur reste en blanc ! teur du 127, rue de Grenelle. Jeanne l’éditeur, or il avait fait un crochet par
Ce soir-là, Robert s’apprête à se rendre s’éloigne, cinq minutes plus tard, à ses bureaux avant de se diriger vers
au théâtre avec sa maîtresse, Jeanne 21 h 20, un coup de feu claque et Ro- le théâtre… Plus étrange encore, le
Loviton. Il vient de divorcer de Cécile bert Denoël s’effondre, atteint d’une dossier consacré à sa défense lors du
et a le projet d’épouser la flamboyante balle dans le dos. Il avait 43 ans. prochain procès est aussi introuvable,
Jeanne, qui signe de son nom de plume L’enquête policière tourne court : les affaires personnelles de l’éditeur se
Jean Voilier et qui fut la maîtresse de Jeanne a un alibi, elle était au commis- sont également envolées. Les enquê-
Paul Valéry. Le couple se rend au sariat lorsque le meurtre a été signalé. teurs concluent au crime d’un rôdeur :
théâtre en voiture mais, soudain, un Il n’y a aucun témoin, pas d’indices. Denoël se trouvait au mauvais endroit
pneu crève. Jeanne pousse la porte Meurtre crapuleux ? Le portefeuille de au mauvais moment.
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
ENTRETIEN
Jacques Dallest *
« Il faudrait une
mémoire criminelle
dans les parquets »
des traces génétiques d’un individu sur vérité qui s’enfuit », disait le grand cri-
un lieu de crime ne fait pas de lui le minologue Edmond Locard. Plus nous
coupable. Depuis Bertillon, la police irons vite dans l’investigation et la re-
scientifique a fait des progrès consi- cherche de preuves, moins il y aura de
dérables. Dans l’avenir, l’intelligence cold cases. Un crime ne naît pas cold
artificielle pourra aider le juge dans case, il le devient.
son instruction. Irons-nous jusqu’à la Que nous apprennent ces affaires très
disparition des cold cases ? C’est peu symboliques sur nos sociétés ?
probable, mais on peut espérer qu’il y Le cold case est une sorte de fil rouge
en ait de moins en moins. de nos sociétés, c’est pourquoi les mé-
Benoit Pavan/Hans Lucas
Vous écrivez qu’il y avait en France dias s’en emparent et aident parfois à
273 cold cases en 2022… leur résolution. L’histoire de France
Ce n’est qu’une estimation, la réalité est parsemée de crimes de sang, mais
est sans doute bien supérieure. Il faut seuls quelques-uns d’entre eux re-
HISTORIA – Q
uel était votre but en effet ajouter à ce chiffre celui des tiennent notre attention, suscitent des
en écrivant Cold cases ? disparitions, c’est-à-dire les situations débats et des interrogations. C’est le
JACQUES DALLEST – P
orter à la où l’on n’a pas de corps. Nous man- cas des affaires de Bruay-en-Artois,
connaissance du grand public, mais quons encore d’un outil statistique Fontanet, Grégory ou Chevaline. À
aussi des étudiants et des futurs pro- fiable dans ce domaine. l’étranger, je pourrais citer celles de
fessionnels les éléments concernant Que faudrait-il faire pour améliorer Jack l’Éventreur en Angleterre, de Zo-
les crimes irrésolus et leur évolution la situation ? diac aux États-Unis, du dépeceur de
dans le temps. Car il y a toujours eu Les procureurs devraient tenir une Mons en Belgique ou du tueur de Flo-
des cold cases. On peut remonter à mémoire criminelle dans les parquets, rence en Italie. La justice est le miroir
la mort d’Ötzi, tué par une flèche il y un état des affaires, ce qui permettrait de nos angoisses et le cold case est le
a plus de cinq mille ans, ou évoquer le d’en réactiver certaines plus facile- plus redoutable.
massacre de Bois-le-Roi en 1795. Dé- ment. Il y a aussi la question de la ges- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT LEMIRE
sormais, les techniques scientifiques tion spécifique des scellés. La loi fixe à
nous permettent de mieux traiter ces six mois après la clôture d’une affaire
* Jacques Dallest, magistrat
affaires, notamment au nom des vic- le délai autorisant la destruction des honoraire, a été juge
times et pour répondre aux demandes scellés. On a détruit des scellés par le d’instruction, procureur
légitimes des familles. passé car on ne connaissait pas l’ADN. de la République et procureur
L’ADN est-il devenu la preuve Aujourd’hui, c’est impossible. Il faut général. Dans Cold cases
(Mareuil éditions, 2023, 380 p.,
suprême ? veiller à leur récolement, à leur traçabi-
22 euros), il livre le fruit
Non, mais c’est un élément détermi- lité et à leur stockage tant que l’affaire de son enseignement
nant qui a fait basculer bien des af- à laquelle ils se rapportent n’est pas et de son expérience sur
faires. Pour autant, le fait de retrouver résolue. « Le temps qui passe, c’est la les affaires irrésolues.
Affaire Dominici : le
doute jamais dissipé
Soixante-dix ans après l’assassinat des Drummond, l’énigme n’est
toujours pas résolue, même si de forts soupçons planent encore sur le patriarche
et les fils, aujourd’hui tous disparus, du clan Dominici.
A
oût 1952 : Jack Drum-
Les victimes mond, scientifique de
renom en Angleterre, a
décidé avec sa femme,
Anne, et leur fille, Eliza-
beth (10 ans), de passer
des vacances en France, sur la Côte
d’Azur. La traversée de la Manche se
fait à bord d’un ferry. La petite famille
parcourt l’Hexagone par étapes et arrive
KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-RAPHO
KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-RAPHO
KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-RAPHO
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
REPORTERS ASSOCIES/GAMMA
man. Dans la nuit du 4 au 5 août, vers ciers de la PJ de Marseille, magistrats, Et ici, il faut dire un mot d’un éboule-
1 h 10 du matin, plusieurs coups de feu badauds… s’activent durant la journée ment qui s’est produit la veille, en fin
claquent. Ils seront même entendus autour de la scène de crime, qui est mal d’après-midi, alors que Gustave avait
par des témoins habitant de l’autre protégée. Jack et Anne Drummond ont oublié de fermer la martelière permet-
côté de la Durance. été tués par balles. Le corps de la jeune tant à l’eau du canal de Manosque d’ir-
Elizabeth est à 77 mètres de là, au flanc riguer un champ de luzerne. La terre
Père, fils et petit-fils d’un talus qui descend vers la Durance a couvert les rails. Après les avoir dé-
et auquel on accède par un chemin blayés, Gustave part à moto au village
se renvoient la balle perpendiculaire à la route, après être de Peyruis prévenir le responsable
Mais aucune intervention de gendar- passé sur un pont qui enjambe la voie local de la SNCF. Une immobilisation
merie ne se produit. Silence total dans ferrée. L’enfant a reçu au moins deux du train, au petit matin, pouvait coû-
le secteur, y compris de la part des Do- coups très violents, sur le front, qui ont ter cher à son responsable. Et c’est en
minici, qui sont les seules personnes disloqué sa boîte crânienne. allant vérifier l’état de cet éboulement,
résidant à proximité. Tout de même, au Bien entendu, les premières personnes au lever du jour, que le fils Dominici a
matin, vers 6 heures, Gustave Domini- interrogées sont les Dominici, seuls découvert le corps d’Elizabeth. Alors
ci interpelle un jeune motocycliste qui habitants proches. Le commissaire que le commissaire assiste aux autop-
rentre de son travail, lui révèle avoir Sébeille, qui mène l’enquête, va très sies, ses hommes trouvent, dans l’eau
découvert un cadavre et le charge d’in- vite s’intéresser aux faits et gestes de de la Durance, une carabine US M1 qui
former la gendarmerie. C’est le début Gustave, dont les explications ne sont équipait des soldats de l’armée améri-
de l’affaire judiciaire. Gendarmes, poli- pas satisfaisantes sur plusieurs points. caine, à la fin de la Seconde Guerre
Les suspects
Anne Drummond a stationné le véhicule Hillman sur le bas-côté de la RN 96,
à contresens de la circulation, l’avant en direction de La Brillanne. Les cadavres
sont disséminés sur la scène de crime. Jack Drummond a traversé la route après
avoir été blessé. Il s’est écroulé dans le fossé. Le corps d’Anne, d’abord parallèle
à la voiture, s’est retrouvé à la perpendiculaire après le passage de Gustave.
La petite Elizabeth, vêtue de son seul pyjama, a été certainement transportée,
GASTON DOMINICI N
é en 1877 à Digne, inanimée, au lieu de son exécution. La plante de ses pieds nus était exempte
de père inconnu, de toute écorchure, comme l’a constaté le commissaire Sébeille. La voiture du
Gaston Dominici a policier, immatriculée 953 AG 13, et les ombres sur la route démontrent qu’il est
connu une vie rude présent avec son équipe vers 14 h 30. Le camion sur lequel seront chargés les
dans sa jeunesse. corps attend un peu plus loin. Sébeille a donc bien vu les cadavres sur la scène
Après son mariage de crime, contrairement à ce qui a pu être avancé par certains.
REPORTERS ASSOCIES/GAMMA-Rapho
et à force de travail,
il finit par s’installer
à la Grand’Terre,
où il était réputé
faire trembler son
La scène du crime
ILLUSTRATION LOÏC DERRIEN
60 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
nal La Provence
archives du jour
PJ/DR
Découverte dans la Durance, la L’arme
carabine US M1 a été cassée en du
deux, la crosse flottant d’un côté, crime
la partie métallique de l’autre. On
établit que cette arme a été employée
pour fracasser le crâne de la fillette. Au
moment où le corps a été enlevé, les
cantonniers de Forcalquier ont découvert
un bout de bois près de la tête. Cette
brisure s’adapte parfaitement à un éclat
visible sur la crosse. On déterminera aussi
PJ/DR
BN/Gallica
Identifier son propriétaire devient une
priorité. Mais l’enquête, qui avait pour-
tant bien débuté, s’enlise. Personne ne
connaît cette carabine. missaire Sébeille, lance l’offensive lation sexuelle sous les étoiles lorsque
Un habitant du secteur, Paul Maillet, judiciaire. Face à plusieurs éléments Jack est intervenu. Et « ça a bardé ».
révèle une confidence de Gustave Do- recueillis durant l’enquête, Gustave Ensuite, il a poursuivi la jeune Eliza-
minici. Lorsque le jeune paysan a dé- craque. Il admet que la tuerie a été com- beth, qui venait de s’enfuir, pieds nus,
couvert le corps d’Elizabeth, celle-ci mise par un homme de la Grand’Terre. et l’a tuée d’un coup de crosse. Le vieil
était encore vivante ! Gustave est placé homme est incarcéré à Digne. À par-
en garde à vue et fera deux mois de pri- tir de là va débuter le festival du men-
son pour non-assistance à personne en
Condamné à mort songe dominicien. Gaston se rétracte.
péril. Alors que l’agitation est tombée Mais ce n’est pas lui, c’est son père, Lorsqu’il a avoué, il avait menti. Bien
autour de cette histoire criminelle, Sé- le vieux Gaston, qui est le criminel ! que n’ayant rien vu, car il était cou-
beille poursuit son travail. Il va établir Clovis, frère de Gustave, confirme. ché, il met en cause son fils Gustave
qu’entre 7 heures et 7 h 30, juste avant Son père lui a confié être le meur- et peut-être aussi son petit-fils, Roger
l’arrivée des gendarmes au matin du trier. Gaston Dominici est arrêté, nie Perrin, qui aurait pu être présent dans
5 août, le corps d’Anne Drummond a les faits qui lui sont reprochés puis fi- la nuit. Gustave et Clovis maintiennent
été déplacé de quelques mètres. Par nit par avouer à un gardien de la paix leurs accusations puis, confronté à son
qui ? Et pourquoi ? De lourds soupçons qui assurait sa surveillance. Le lundi père, Gustave revient en arrière. Il ne
s’amoncellent au-dessus de la tête de 16 novembre, une reconstitution a lieu. sait rien, il a accusé Gaston… sous la
Gustave Dominici. Gaston confirme être le tueur de la fa- pression de la police. Devant le juge
Le 12 novembre 1953, le juge d’ins- mille Drummond. Il venait de séduire Periès, il change encore, réitère ses
truction Roger Periès, assisté du com- Anne, avec laquelle il entamait une re- accusations et finira par les rétracter
62 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
définitivement. Clovis, de son côté, va judiciaire, Chenevier et Gillard, vont crimes aient été commis par un ou des
les maintenir jusqu’au bout. Il est le reprendre l’enquête durant plusieurs tueurs inconnus. Ils auraient trouvé
seul dans cette position. Le reste de la mois, vont « gratter », éplucher, mais le moyen, plus tard, de s’entr’accuser,
nombreuse famille du patriarche fait ne parviendront à aucun résultat. La père contre fils, fils contre père, Clovis
bloc autour de lui. Le vieux Dominici version d’un Gustave ayant tué les pa- venant se joindre à son frère Gustave ?
est jugé à Digne, au mois de novembre rents, suivie de l’assassinat d’Elizabeth Nous serions dans une maison de fous !
1954. De brillantes personnalités sont par Gaston, ne convainc pas Mais alors qui a fait quoi ?
présentes, dont Jean Giono, venu de le juge d’instruction Carrias,
Manosque. Gaston nie toujours. À qui clôt l’affaire par une or-
la barre se déroulent des scènes poi- donnance de non-lieu en
Plusieurs tueurs ?
gnantes, notamment celle où l’accusé 1956. Depuis, de multiples Difficile de répondre à cette
demande à Gustave de dire ce qu’il fai- livres, reportages et articles question. Pour s’approcher
sait « dehors dans la luzerne » et avec de presse ont raconté cette de la vérité, il faut aller au
qui il était durant la nuit tragique. histoire faite de personnages cœur de l’affaire Domini-
hauts en couleur, à commen- ci, dans sa partie la plus
cer par Gaston Dominici, odieuse : la mort de la jeune
Duel à la barre cet homme du XIXe siècle,
Affaire Dominici,
Elizabeth. Elle n’a pu être
la contre-enquête,
Tout le monde comprend que le pa- autoritaire, dépeint comme de Jean-Louis tuée par balles parce que
triarche Dominici met ici en cause violent mais aussi rusé, et Vincent le chargeur de la carabine
son fils et Roger Perrin, son petit-fils. même capable d’humour. (Vendémiaire, ne contenait plus de car-
Mais il n’apporte pas d’autre précision. Gracié par René Coty, il est 670 p., 25 euros) touches. Elle a été certaine-
Tout en prétendant que le père est in- libéré en 1960 par de Gaulle. ment transportée, inanimée,
nocent, Gustave rejette la moindre Gaston Dominici était-il innocent, jusqu’au lieu de son sacrifice, où elle a
participation à l’affaire. Gaston est comme veulent nous le faire croire été frappée, au moins à deux reprises
condamné à mort. Lui qui croyait s’en Jean Gabin ou Michel Serrault ? Je ne et avec application, par « un homme
tirer par un acquittement se trouve le pense pas. Ce dont je suis certain, très robuste ».
face à la guillotine. Il décide de faire c’est que le ou les criminels sont venus Je crois surtout qu’elle est morte pour
des révélations, d’ailleurs imprécises, de la Grand’Terre. Imaginez, cher lec- une raison évidente : il fallait l’empê-
mettant à nouveau en cause son fils teur, que la famille Dominici au com- cher de parler, de dire ce qu’elle avait
et son petit-fils. Deux as de la police plet soit étrangère à l’affaire et que les vu, qui elle avait vu, lorsque Jack et
Anne ont été abattus. Plusieurs élé-
ments me convainquent du fait que la
mort d’Elizabeth n’est pas l’œuvre d’un
tueur isolé mais que deux hommes au
moins, et peut-être trois, ont partici-
pé à cette horrible besogne. Si de tels
faits avaient été retenus par la justice,
on peut être certain que « la Veuve » se
serait dressée au bout du chemin pour
tous les participants. Perspective de
nature à empêcher les différents pro-
tagonistes d’aller au bout de leurs ac-
cusations réciproques, tous se canton-
nant dans une prudente réserve et en
« embrouillant » la justice. Aujourd’hui,
une personne connaît la vérité : Yvette
Dominici, qui était à la Grand’Terre du-
Jacques LANGE/PARISMATCH/SCOOP
Un juge abattu à
Chicago-sur-Rhône
Assassiner un juge ! Depuis la période trouble de la Libération, personne
n’avait osé. Le 3 juillet 1975, à Lyon, le plus atypique des magistrats français
tombe sous les balles d’un commando venu lui régler son compte. François
Renaud voulait mettre les hors-la-loi à l’ombre, ils l’ont mis hors la vie.
C
ette nuit-là, François
Renaud traverse Lyon au
volant de sa BMW 2002
beige, il roule vite, comme
à son habitude. Il est 2 h 30
du matin, la conduite « à la
lyonnaise » est de rigueur. À ses côtés
se trouve Geneviève, sa compagne.
Ils ont dîné chez des amis, la soirée
était gaie, la conversation enjouée
dans un bel appartement sur les quais
du Rhône. C’est jeudi, il arrivera au
Palais un peu plus tard, voilà tout. La
montée de l’Observance est là, dans le
9e arrondissement de Lyon, à proximité
de la basilique de Fourvière. À moins de
100 mètres de son immeuble, François
Renaud trouve une place. Les portières
MaxPPP
64 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
MaxPPP
La
scène
du
crime
AFP
MystèreEn pleine nuit, le magistrat et sa compagne
Alain VOLOCH/GAMMA-Rapho
lance du territoire ont été abattus par le travail obligatoire le requiert en 1943, il nant la personnalité de cet homme. Au
terroriste Carlos ; le 28 février, une fu- file aussitôt dans le maquis. Résistant, physique il porte une belle moustache
sillade a opposé l’Antigang et la bande puis engagé dans l’armée d’Alsace, il en croc, aime les vestes à carreaux
des Zemmour dans le bar Le Thélème, reçoit la médaille militaire et la croix anglaises et fume des cigares qui em-
à Paris ; en janvier s’est déroulée une de guerre. pestent son bureau. François Renaud
prise d’otages à Roissy… Terrifiantes est engagé dans le Syndicat de la magis-
années 1970, années de feu, de terreur trature, classé à gauche. Il a une haute
où tous les « ismes » sont en roue libre :
Voilà « le Shérif » ! idée de son métier, déteste les voyous et
grand banditisme, terrorisme, extré- Le démon du judiciaire le conduit à la la corruption. Ses méthodes lui valent le
misme… Mais qui est ce juge que l’on magistrature en 1953. Il devient juge aux surnom de « Shérif ». Il sort le soir, fré-
vient d’exécuter ? François Renaud est affaires coloniales et parcourt l’Afrique quente les établissements de nuit aux
né le 5 mars 1923 au Tonkin, son père durant dix ans. En 1966, lorsqu’il revient heures où Lyon tombe le masque de
est médecin colonial, la famille est ori- à Lyon, François Renaud est nommé la ville froide. La capitale des Gaules,
ginaire de Bourgogne. Il a 20 ans et fait juge d’instruction en 1971. Voilà pour le autre élément central de cette affaire,
ses études à Lyon lorsque le Service du dossier administratif. Abordons mainte- mérite quelques phrases. C’est la
DNA
Bande désorganiséeDe 1967 à 1977, la bande des Lyonnais multiplie les hold-up audacieux dans toute la France. Le juge Renaud a la charge de résoudre celui
de Strasbourg (butin : 11 millions de francs). Mission qu’il mène rondement, par des méthodes parfois peu orthodoxes qui lui valent de sérieuses inimitiés dans le milieu.
cité des deux collines et des places. – Salut, François. Je suis devenu le plus de 1,8 million d’euros) ! Le dossier est
À Lyon, il y a la « colline qui prie », grand truand de Lyon. Et toi ? confié au juge Renaud, qui va resser-
Fourvière, « celle qui travaille », le quar- – Je suis le plus grand juge de Lyon. » rer l’étau autour de Vidal. Le juge est
tier ouvrier de la Croix-Rousse et les Schnaebélé serre les dents et tourne le détesté par les voyous pour son in-
« places qui encaissent », où vivent les dos. À Lyon tout se croise, on fait des flexibilité et ses méthodes. Pour faire
grands bourgeois. Mais Lyon, dans ces affaires et puis chacun chez soi, pas pression sur les caïds, il n’hésite pas à
années-là, est surnommée « Chicago ». de mélange. L’ombre du SAC (Service faire incarcérer leurs femmes. Lorsque
Le grand banditisme en a fait un bas- d’action civique) plane au-dessus de l’avocat du SAC lui rend visite pour le
tion. Les bandes se forment au gré des la ville. Le SAC, cette police parallèle mettre en garde, il le met dehors. Car
coups, les Gitans sédentarisés frayent dont les membres arborent une carte le juge pense que l’argent du hold-up
avec les Arméniens. Les aînés, les pa- tricolore, au service du pouvoir gaul- de Strasbourg a atterri dans la caisse
trons sont issus de la Résistance, ils liste, du parti majoritaire, l’UDR. Ses d’un parti politique : l’UDR [qui devien-
fréquentent les clubs chics de la ville membres rendent des services : pro- dra le RPR un an plus tard]. Le gang
et font des affaires avec les grandes tections, intimidations, coups tordus, des Lyonnais tombe, Monmon et ses
fortunes et les politiques. Mais tout se recherches de renseignements. En complices sont arrêtés. Lors d’une mu-
passe dans le feutré, le discret. échange, ils sont protégés. tinerie, les détenus montent sur le toit
Pour les voyous, la ville de Lyon est de la prison Saint-Paul et hurlent « Re-
idéale : un carrefour autoroutier, la naud, salaud, on aura ta peau ! » Alors,
proximité des frontières suisse et ita-
« On aura ta peau ! » lorsque Renaud est abattu, la surprise
lienne, la montagne pour se mettre au C’est dans ce contexte qu’intervient le n’est pas de mise. Le dossier s’enlise,
vert et un solide réseau de voyoucrates gang des Lyonnais. Sous la direction les juges se succèdent, les rumeurs
de haut vol. d’Edmond Vidal, le groupe commet aussi. Le SAC aurait-il commandité
L’une des figures du milieu lyonnais plusieurs hold-up selon une technique l’assassinat au nom du parti gaulliste
s’appelle Jean Schnaebélé, un ancien bien rodée. Des coups loin de Lyon, parce que le juge avait fait du hold-up
résistant qui a connu le juge Renaud un retour discret, une mise au vert de Strasbourg un dossier prioritaire ?
dans les années d’occupation. Les avant de repartir pour un nouveau vol. De sa cellule, Vidal a-t-il ordonné l’exé-
deux hommes se croisent lorsque le Le 30 juin 1971, l’hôtel des Postes de cution du magistrat par vengeance ? En
magistrat revient à Lyon : Strasbourg est braqué. Le butin s’élève 1992, le juge Georges Fenech classe
« Salut, Jean. Que deviens-tu ? à 11 millions de francs (l’équivalent l’affaire et prononce un non-lieu… u
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
LES FILMS D’ICI – SÉBASTIEN ONOMO
PRÉSENTENT
La victime
KEYSTONE-FRANCE/GAMMA RAPHO
L
e nom de Robert Boulin Boulin est découvert à 8 h 40, flottant cette thèse du suicide, la presse fait état
(1920-1979) reste associé à dans les 60 centimètres d’eau d’un de plusieurs courriers identiques que
la période la plus noire de étang à quelques kilomètres de Mont- Robert Boulin a adressés à des person-
la Ve République, celle où se fort-l’Amaury. Sur la berge, la voiture nalités, dans lesquels il dit vouloir se
côtoient hommes politiques et du ministre, un bristol posé sur le ta- donner la mort. Avant même l’autopsie,
truands. Quarante-quatre ans bleau de bord, sur lequel est écrit un cette version du suicide est reprise par
plus tard, on ne connaît toujours pas mot d’adieu. tous les médias. Les premiers doutes
les conditions exactes de la mort du sont cependant exprimés par les dépu-
ministre du Travail de Valéry Giscard tés socialistes, qui interpellent le gouver-
d’Estaing : alors que la justice est restée
Barbituriques nement par la voix de Laurent Fabius :
arc-boutée sur la thèse du suicide, de et silence politique « Êtes-vous prêts à faire la vérité sur
nombreux éléments permettent d’affir- Alors que le corps est toujours sur place, cette affaire ? Qui nous garantit qu’elle
mer que Robert Boulin a été tué. la version du suicide est diffusée dans ne sera pas encore une fois étouffée ?
C’est à 9 h 34, le 30 octobre 1979, que les médias. Le journal de 13 heures d’An- – Le gouvernement veut et souhaite la
tombe sur les téléscripteurs l’infor- tenne 2 fait part des informations gla- vérité, et elle apparaîtra », lui répond
mation suivante : « Robert Boulin est nées : « Monsieur Boulin se serait bourré le Premier ministre, Raymond Barre.
mort. » Au sein du monde politique, de barbituriques, il aurait pénétré dans Interrogé à son tour, le président Gis-
la nouvelle du décès du ministre pro- l’eau, avant de tomber, asphyxié, dans card d’Estaing est tout aussi affir
voque la stupeur. Le corps de Robert 60 centimètres d’eau. » Pour appuyer matif : « Je tiens à vous dire que les
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
LA
m otif ?
Le
Les su spects
OFF/AFP
1Ministre du Travail, Robert Boulin semble promis 3Le Service d’action civique, association de soutien
au poste de Premier ministre. L’ascension de ce au Général, s’occupe secrètement des actions
membre du RPR pourrait cependant fragiliser les violentes. Il aurait pu, pour le compte du RPR, tremper
ambitions politiques de Jacques Chirac (lire p. 70). dans la disparition de Boulin (lire l’encadré p. 72).
RPR
2Le politique est découvert noyé dans un étang de 4Des lettres signées par le ministre, le jour de son
la forêt de Rambouillet, quelques jours après qu’un décès, semblent accréditer la thèse du suicide,
scandale immobilier l’a mis en cause. Mais l’enquête lié au scandale de Ramatuelle. Le problème ?
sur place prend une étrange tournure. Toutes semblent avoir été « retravaillées ».
Arnold Jerocki/Divergence
crâne, à la demande du procureur de la République ; la famille
l’aurait exigé… ce qui est réfuté par Colette, la veuve de
Robert Boulin, ainsi que par sa fille et son fils. Contrairement
à l’usage, un substitut du procureur fait le déplacement dans
la salle d’autopsie, et intervient : « Non, pas la tête, la famille Convaincue de l’assassinat de son père, Fabienne Boulin-Burgeat (ici avec
s’y oppose ! » En réalité, c’est Marcel Cats, chef de cabinet son mari en 2015) exhibe les photos de l’autopsie du corps de la victime,
de Robert Boulin, affirmant parler au nom de la famille, qui qui témoignent d’incohérences et fragilisent la thèse du suicide.
interdit que l’on touche au crâne.
Une autre vérification, indispensable pour prouver la noyade, Lorsque le cœur cesse de battre, le sang afflue vers les parties
eût été de vérifier si l’eau de l’étang Rompu était entrée basses du corps et se fixe, après quelques heures, sous
dans les poumons du ministre. La recherche des diatomées, forme de marbrures. Dans le cas de Robert Boulin, les lividités
ces algues microscopiques que l’on trouve dans les milieux cadavériques sont fixées dans le dos selon les légistes.
aquatiques, n’aura pas lieu, et de toute façon les viscères Or il est retrouvé le ventre positionné vers le sol. Ce qui
prélevés sur le corps du ministre puis placés dans des prouve bien que le corps a été déplacé. Robert Boulin n’est
bocaux… vont disparaître ! Mais il reste un élément essentiel donc pas mort dans cet étang : il a été assassiné. Ce fait,
pour démontrer que Robert Boulin n’est pas mort par noyade incontestable, ne sera pourtant pas pris en compte et la thèse
dans cet étang : il s’agit des lividités cadavériques. du suicide pourra perdurer. B. N.
Q
uelques semaines, avant la mort
de Robert Boulin, des articles
de presse évoquant l’achat pré-
tendument « frauduleux » d’un
terrain à Ramatuelle (Var) par le ministre
sont publiés dans Le Canard enchaîné,
Le Monde et dans le journal d’extrême
droite Minute. Robert Boulin a acheté
ce terrain pour y construire une rési-
dence secondaire, alors qu’il avait déjà
été vendu à une autre personne. Attaqué
de toute part, le ministre aurait décidé
de mettre fin à ses jours. Un courrier
qu’il a envoyé à diverses personnes en
serait la preuve. En réalité, plusieurs
témoins affirment que Robert Boulin
n’était pas prêt à se laisser faire et que
Richard Melloul/Sygma/CORBIS/Sygma via Getty Images
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Français connaîtront la vérité. » Les
promesses n’engageant que ceux qui
y croient, elles ne seront pas tenues :
aujourd’hui encore, la justice n’a pas
varié et reste sur la version d’un sui-
cide, auquel plus personne ne donne le
moindre crédit !
À l’Assemblée nationale, devant des
députés debout en hommage à Robert
Boulin, Jacques Chaban-Delmas, ami
du ministre, prononce le mot « assas
sinat ». Mais, dans la classe politique,
doute que cet homme ne s’est pas gendarmes sont capables de découvrir tures à la face qui, d’après les légistes
noyé, mais qu’il a été frappé à mort. la vérité.” » Quant aux pompiers, leur de l’hôpital Pellegrin de Bordeaux, se
Un pompier-plongeur fera également hiérarchie leur demande de garder le sont produites du « vivant de Robert
part de ses réserves quant à la version silence sur ce qu’ils ont vu ce matin-là. Boulin ». Les trois experts qui ont pro-
officielle de la noyade : « Quand on l’a cédé à cette autopsie sont unanimes :
sorti, on l’a mis sur la berge et on a re- Robert Boulin ne s’est pas suicidé ! Lar-
marqué que ses chaussures n’étaient
L’État assigné gement discrédités, les policiers de la
pas pleines de boue. Alors que le fond pour « faute lourde » PJ de Versailles expliquent depuis qua-
de l’étang est plein de vase, et que les La famille du ministre prendra rante-quatre ans que la tête de Robert
chaussons des plongeurs en étaient conscience du mensonge d’État quatre Boulin a heurté un rocher lorsque les
couverts. Quand on a fait la remarque, ans après la découverte du corps. Des pompiers ont sorti le corps de l’étang
un type en civil nous a dit : “Vous n’en photos en couleurs prises durant l’au- Rompu. Version oiseuse : il n’y a aucun
tenez pas compte. Ça ne vous regarde topsie, et qui étaient restées cachées, rocher dans l’étang ou autour !
pas.” » Un autre témoin, le colonel de montrent un visage tuméfié. Avec des Depuis 1979, la famille de Robert Bou-
gendarmerie Jean Pépin, arrivé l’un des traces de coups, incompatibles avec lin attend que la justice reconnaisse
premiers sur les lieux, remarque des une noyade : « Comme un boxeur qui l’assassinat du ministre. Fabienne
traces de pas qui vont vers l’étang et aurait perdu son combat », ajoute un Boulin-Burgeat, la fille de Robert Bou-
qui en reviennent. Mais la gendarmerie ami du ministre qui a pu consulter lin a déposé une nouvelle plainte en
va être dessaisie très rapidement par les clichés. En 1983, la famille Boulin 2015 pour « arrestation, enlèvement
le procureur général de la cour d’appel dépose plainte pour homicide volon- et séquestration suivis de mort ou as-
de Versailles. Quand le colonel Pépin taire. Interrogée pour savoir si cette sassinat ». En 2021, elle a assigné l’État
évoque ces traces de pas avec les po- démarche n’est pas un peu trop tardive français pour « faute lourde ». Une ins-
liciers du SRPJ, il a l’impression que et dérisoire, Colette Boulin, la veuve truction est en cours au tribunal de
ça ne les intéresse pas. Pourquoi les du ministre, répond : « Je pense qu’il Versailles. L’avocate de la famille a fait
gendarmes ont-ils été dessaisis ? C’est dormira en paix le jour où je dormirai des demandes d’actes, mais il semble
la question que nous avons posée au en paix. » Le corps de Robert Boulin bien que la justice n’ait toujours pas
colonel, et celui-ci nous a répondu du est exhumé et une nouvelle autopsie, l’intention de faire la lumière sur la
tac au tac : « Ils se sont dit “Ces cons de ordonnée. Elle va révéler deux frac- mort de Robert Boulin… u
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
DOSSIER COLD CASES
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
la reverra plus. Le lendemain, le père
d’Emanuela, Ercole Orlandi, et son
recherche au
plus ? Il faut savoir qu’à l’époque, dans
la seule Rome, et sur un an et demi, 321
jeunes ont disparu, dont 177 jeunes
filles ! La police travaille alors sur la
E
Jean-Paul II trop bien
manuela Orlandi a 15 ans lors-
qu’elle se volatilise le 22 juin
renseigné ?
1983 en plein cœur de Rome. Ce qui est sûr, c’est que le véritable
L’affaire devient instantané- coup d’envoi de l’affaire Emmanuela
ment un feuilleton politico- Orlandi a été donné par Jean-Paul II,
financier. Au bout du compte : le 3 juillet 1983. Du balcon de Saint-
zéro cadavre, trop de suspects et deux Pierre, il présidait à la prière de l’An-
ou trois scénarios pour partie crédibles, gélus et, à la surprise générale, lança
mais dont aucun n’est concluant. Tous un appel à « ceux qui sont responsables
ont cependant un tronc commun : le de la disparition d’Emanuela Orlandi ».
Roma/Giacomino/ROPI-REA
qui assuraient, grâce à l’absence de tout l’État du Vatican pour les activités liées
contrôle fiscal au Vatican, le blanchiment à la citoyenne Emanuela Orlandi » pen-
de l’argent sale apporté par la mafia ro- dant quatorze ans, jusqu’à sa mort en
maine. Des sommes gigantesques, dont 1997. Où ? Dans une institution catho-
une grande partie – de 300 lique, à Londres…
à 500 millions de dollars – Alors où donc serait enter-
aurait été détournée par le rée Emanuela après le ra-
truchement de Mgr Marcin patriement de son corps ?
kus (1922-2006), le fi- Dans une tombe « dési- Été 2018, l’avocat des Orlandi
nancier du Vatican, et du gnée par un ange », sug- reçoit une lettre anonyme, qui
« banquier de Dieu », Ro- gère une lettre anonyme suggère de « chercher Emanuela
berto Calvi, « suicidé » en en 2019. Direction le cime- là où indique l’ange ». Le site est
1982. Objectif : alimenter, tière Teutonique, à Rome. identifié : le cimetière Teutonique
dans l’intérêt supérieur de On retrouve la statue de (des Allemands et des Flamands),
l’Église, le syndicat polo- l’ange. On suit son bras. On situé en territoire italien mais
nais Solidarnosc… Mais creuse, devant les équipes dont l’entrée est dans l’enceinte
aux dépens de la mafia, qui de télé du monde entier… vaticane. Un ange désigne deux
réclamerait donc son butin. Vatican GirlLa mini- Chou blanc. Forcément, tombes où furent enterrées deux
À sa manière : forte ! Il est série de Netflix, conçue lâche le pape François à princesses : Sophie de Hohenlohe,
même possible que ce ne comme un thriller haletant, la famille en 2013 après la morte en 1836, et Carlotta
formule une nouvelle
soit pas Emanuela qui ait messe : « Emanuela est au Federica de Mecklembourg,
hypothèse : des abus sexuels
été visée, mais une autre commis par des prélats. ciel ! » Comment le sait-il ? décédée en 1840. Les restes
jeune fille qui lui ressem- Silence. Il le répète une se- d’Emanuela s’y trouvent-ils ? Non !
blait et habitait le même conde fois à Pietro Orlandi. Les tombes sont vides : il n’y a ni
immeuble : Rafaëlla Gugel, dont le père Souhaitons bon courage au procureur princesses ni Emmanuela…
était l’assistant personnel de Jean Paul II Diddi pour avoir confirmation du Très-
et auparavant collaborateur proche de Haut et quelques lumières sur le mode
Marcinkus. Une certitude : la mafia ro- opératoire de l’ascension… u
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
F
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LA VICTIME
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LE PAPE
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FRANÇOIS
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LE JUGE
FERDINANDO IMPOSIMATO
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CITÉ DU
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LE BANQUIER DU VATICAN 5.5 17 h 15
17 h :
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CARDINAL MARCINKUS arrive en retard
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en retard à son cours
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Place Conservatoire
Saint- de musique
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6.6 Elle quitte le
18 h 45 :
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ROME Le Tibre le cours en avance,
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17 h : Emanuela
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Itinéraire emprunté BU
le 22 juin 1983 64 S
par Emanuela
CARTOGRAPHIEHUGUES PIOLET
3
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Saint-Andr
l’égliseSaint-A
Affaire Grégory : un
pays retient son souffle
Morts, suspects et faux pas judiciaires se succèdent tandis que la vérité se dérobe
encore aujourd’hui. Mais ce sordide infanticide parle surtout d’une époque…
Rivalités politiques
Il en résulta ce que l’on sait, le crime
dans le crime quand le père de l’enfant,
Jean-Marie Villemin, tua le premier in-
culpé, son cousin, désigné sans ména-
PHOTOPQR/L_EST REPUBLICAIN/MAXPPP
U
deux ans, fut mise sur pied la police
n enfant tué. Des cor- forte empreinte dans le tissu politique, scientifique à la fois de la Police judi-
beaux assassins. La folle social et économique de la France des ciaire et de la Gendarmerie nationale.
vengeance d’un père. années 1980. Des laboratoires nés de ce fiasco et qui,
Une mère accablée par Ce drame, en 1984, frappa un bastion quarante ans plus tard, s’efforcent de
la rumeur. D’invraisem- de la mémoire nationale, la Lorraine, faire parler les ADN relevés alors sur
blables rebondissements. plus précisément les Vosges et le can- les pièces à conviction.
Une société hystérique… Si, en qua- ton de Bruyères, épicentre de ce fait 1984 vit aussi l’amorce d’un grand ren-
rante ans, le dossier Grégory Villemin divers. C’est aussi là qu’en juin 1940 versement politique. En juin, le Front
a généré tout et n’importe quoi, sauf François Mitterrand fut fait prisonnier national emportait 10,5 % des voix aux
la clé de l’énigme, il a aussi laissé une par les Allemands. Devenu président élections européennes tandis qu’en
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Les suspects
juge Lambert, qui fait interpeller à un examen approfondi et la mise en examen pour complicité présence aux côtés de Laroche
cet ouvrier du textile et l’inculpe collecte des cordelettes fera même d’assassinat, non-dénonciation de lors de l’enlèvement de Grégory.
d’assassinat. Le lendemain, elle se l’objet d’une grave suspicion. crime et non-assistance à personne Une plainte pour subornation de
rétracte et accuse les gendarmes Christine Villemin défendra avec en danger. Aux 298 questions témoin contre les gendarmes a
de pressions. Le magistrat libérera vigueur son innocence, qui sera que lui posent les enquêteurs, également établi qu’elle s’était
l’inculpé trois mois plus tard, finalement établie. On apprendra Jacqueline Jacob, désignée comme exprimée librement. Un recours
sans vraiment expurger cette piste. plus tard qu’elle a pâti, entre corbeau oral et écrit, consent une au Conseil constitutionnel a aussi
Menacé mais non protégé, autres, du silence et des mensonges seule réponse : « droit au silence ». permis d’annuler le procès-verbal
Bernard Laroche est bientôt tué de ses voisins ayant croisé Bernard Ces mises en examen seront de sa garde à vue en 1984. Acte
par le père de Grégory, convaincu Laroche, et craignant à la fois des cependant annulées pour fautes sans conséquence, ses aveux étant
de sa culpabilité. représailles et les médias. de procédure. intervenus avant cette rétention.
juillet les communistes quittaient le ciation Légitime Défense, partisan de ou occultes – gangrenèrent de manière
gouvernement. Or, par un étonnant la peine de mort, avocat des syndicats irrationnelle cette enquête, poussant
concours de circonstances, ces idéolo- de police, et de l’autre Me Paul Prompt, les journalistes à soutenir l’une ou
gies en pleine mutation se sont impo- communiste encarté, ancien résistant, l’autre partie avec un impact évident
sées dans le dossier Grégory avec l’en- avocat du premier inculpé Bernard La- sur la nature de l’information. Le tout
trée en lice de deux blocs d’avocats aux roche, lui-même membre de la CGT. Il dans un contexte envenimé par une sé-
positions politiques irréductibles. C’est eut également pour avocat Me Gérard rie de crimes, faisant craindre une ré-
pourtant le hasard qui assigna aux cô- Welzer, futur député socialiste et di- surgence du débat sur la peine de mort.
tés des Villemin et des Laroche, d’une recteur de cabinet de Pierre Mauroy Après avoir été un champ de bataille,
part Me Henri-René Garaud, de l’asso- au PS. Ces rivalités politiques – visibles les Vosges et la Lorraine sont deve-
La victime
Le corps de Grégory Villemin, masqué par son
bonnet et ligoté, flotte sur la Vologne, au cœur
du village de Docelles (Vosges), retenu par un
petit barrage après avoir semble-t-il dérivé.
Aucun gel des lieux n’est organisé, l’endroit
de sa découverte n’étant sans doute pas celui
du crime. L’image de l’enfant reposant dans
les bras d’un pompier volontaire provoquera
axPPP
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Les juges
Jean-Michel Lambert
Seul juge d’instruction en poste à Épinal, il travaille, alors
âgé de 32 ans, sous la pression constante des médias.
D’emblée, ses violations du secret de l’instruction et fautes
de procédure ont gravement nui à Bernard Laroche, premier
inculpé, livré à la vindicte populaire puis tué par le père de
Grégory. Lâché par sa hiérarchie, Lambert laissera l’image
d’un homme ballotté par les convictions des uns et des
autres, enquêteurs, avocats, journalistes… Une violente
campagne de presse le conduira à inculper Christine Villemin,
PHOTOPQR/L'EST REPUBLICAIN/MaxPPP
la mère de l’enfant, puis il mènera une instruction chaotique,
invalidée in fine par la Cour de cassation. En 2017, ébranlé
par les rebondissements de l’enquête et les critiques le
visant, il se donnera la mort, signant ainsi sa propre tragédie.
Maurice Simon
À la veille de sa retraite, ce président de la chambre
d’accusation de Dijon est désigné en 1987 pour reprendre
l’instruction d’un dossier en lambeaux. Son expérience, sa
discrétion, sa fermeté sont autant d’atouts pour stopper
le naufrage judiciaire et endiguer l’assaut médiatique.
Il y parvient au terme d’un travail colossal, établissant
l’innocence de Christine Villemin. Mais deux entretiens
maladroits avec deux journalistes suffisent à ruiner son
crédit. Encensé pour son silence, il est vilipendé pour avoir
Charles Caratini/Sygma via Getty Images
Jean-Paul Martin
Après le retrait de Maurice Simon, son prédécesseur, en
1990, Jean-Paul Martin, nouveau président de la chambre
d’accusation de Dijon, poursuit cette interminable
instruction. Demeuré méconnu du grand public, lassé
de trop de rebondissements, il a pourtant engrangé des
éléments nouveaux et capitaux mettant en cause Bernard
Laroche, le premier suspect. Il rédigera également le
non-lieu, rendu en 1993, en faveur de Christine Villemin, la
mère de Grégory, soulignant qu’« il n’y a pas de charges »
Armel Brucelle/Sygma via Getty Images
DR
Christine Villemin : « Christine Ville-
min est devenue la femme la plus haïe première faute en invitant la sexualité bambin ordinaire. Son portrait, réalisé
de France », titrait le Sunday Times, dans l’histoire. Sa grossesse lui valut pour ses 4 ans, semble avoir été conçu
deux ans après la mort de son enfant. l’opprobre général et entacha la sin- pour la postérité. Sa mort mythifiée
Une rage qui laissa souvent perplexe la cérité de son deuil, ouvrant la voie au s’inscrit dans un temps précis. Il est né
presse étrangère, accourue pour obser- doute puis à la conviction de sa culpa- dans un monde en apparence homo-
ver ce psychodrame national. bilité, de l’aveu même du juge gène, majoritairement blanc à l’heure
Il est vrai que la femme et la Lambert. Sa seconde faute fut où les villes se couvraient des publici-
famille ont occupé une place d’être solidaire du geste meur- tés United Colors of Benetton vantant la
centrale. À l’heure où la trier de son mari. Dès lors, diversité des origines. Les enfants d’im-
science parvenait à dissocier en quelques semaines, cette migrés, eux, réclamaient leur place en
sexualité et reproduction avec jeune femme de 24 ans devint chantant Douce France du groupe Carte
la procréation artificielle, les un personnage central et dé- de séjour, dont le chanteur Rachid Taha
bébés-éprouvette, les mères moniaque, qui « a d’abord sali a grandi à… Lépanges-sur-Vologne. En
porteuses, montait une « pa- l’image maternelle », comme miroir, Grégory offrait son visage de
nique morale », selon l’expres- le lui reprocha Ménie Gré- bébé Cadum : ses mèches sur le front,
Le Bûcher
sion du philosophe Ruwen goire, célèbre animatrice de ses joues rebondies, sa tendre inclinai-
des innocents,
Ogien. Exploitée par les mé- RTL. Il ne manquait que la son du visage, autant de symboles d’un
de Laurence Lacour
dias et les courants conserva- (Les Arènes, 2016, touche d’une intellectuelle de XXe siècle ayant recouvré santé, pros-
teurs, cette peur irrationnelle 880 p., 15 euros) gauche telle Marguerite Duras périté et bonheur. En 1984, le constat
de la sexualité s’embrasait pour en faire le portrait d’une était sans appel : on a tué le bébé Cadum
avec l’apparition du sida. Tout ce qui féministe avant l’heure, pour avoir et sa mort a ébranlé la population de la
menaçait la famille traditionnelle se rompu, sans raison, le maillon patriar- vallée de la Vologne. Un monde où, sur
voyait rejeté. Or, en révélant être en- cal l’attachant à son mari. les cendres des Trente Glorieuses, s’est
ceinte trois mois après la mort de Gré- Pour atteindre de tels excès, il fallait finalement jouée une histoire intime de
gory, Christine Villemin commit une que Grégory lui-même ne soit pas un la mondialisation naissante. u
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
ENTRETIEN
Patricia Tourancheau *
« Ces dossiers questionnent
aussi l’époque »
D’où vous vient cette appétence groupe sanguin. On savait qu’il avait de
pour les cold cases ? grosses mains et possédait une Vol-
Comme pour les crimes élucidés, c’est vo 340 blanche. Et, le 30 septembre
le côté humain qui m’attire. Je m’inté- 2021, je reçois un coup de fil de la
resse aux victimes, aux assassins et Crim’ : ils l’avaient retrouvé ! L’homme
aux petits ratages de l’enquête qui font qui s’était suicidé plutôt que de se sou-
que l’on passe à côté d’un détail qui au- mettre à un test ADN était bien celui
rait changé radicalement la vision de que nous recherchions depuis tant
l’affaire. Reconstituer tout cela me pas- d’années… et c’était un flic. François
sionne aussi parce que ces dossiers Vérove avait tué le Grêlé !
questionnent l’époque avec des vic- C’est pour cela que vous avez intitulé
times, des témoins et des enquêteurs votre documentaire Insoupçonnable ?
qui ne cessent d’évoluer au fil de l’his- Oui, parce que les enquêteurs n’ont pas
toire. Je l’ai fait dans mes livres sur pensé qu’un policier était capable de
Grégory, sur Guy Georges, sur « le Grê- commettre ces crimes. Cela en dit long
Eric Garault/Pasco
Vieille recette
et serial-cuivreurs
Depuis des siècles, on tuerait en silence avec du cuivre. Grâce à des analyses
poussées, un cas dans l’Est dévoile le mode opératoire, à défaut des coupables.
C
1.
’était l’hiver 2012. Journa-
JOHANNA LEGUERRE/AFP
84 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Mélanie-Jane FREY/saif images
2.
Les
MaxPPP
victimes
3.
L’arme
du
crime 1. Rêve en AlsaceLicenciée en droit,
Anne-Marie Singer a dirigé une PME près
de Nanterre. En 1987, elle décide d’acquérir
une somptueuse propriété située dans la
commune de Bourbach-le-Haut (Haut-Rhin).
Un bien immobilier semble-t-il très convoité…
2. Long cauchemarLes 800 moutons
vont mourir à partir de 1998. Une hécatombe.
Anne Marie Singer comme son commis
tomberont malades – et sont toujours
sous traitement. Sa mère mourra en 1997.
3. Réveil pénibleL’arme du crime
serait du sulfate de cuivre dissous dans un
acide, comme on en trouve dans les fongicides
utilisés en viticulture, puis déversé au pied
d’une source. Des voisins voulaient-ils
récupérer la ferme pour développer
Pascal Bastien/Divergence
été exposés « à des doses de cuivre Cet empoisonnement à petit feu s’avère
six à douze fois supérieures aux deux
cas d’intoxication chronique réperto- extrêmement difficile à diagnostiquer.
riés dans la littérature scientifique ».
Le rapport remis, à l’été 2012, par le Même après une autopsie, il est très
toxicologue Jean-François Narbonne,
expert à l’Agence française de sécurité difficile de lui attribuer la cause du décès
sanitaire, au juge d’instruction de Mul-
house ne laisse guère de doute : « An-
ne-Marie Singer est affectée par une ou la soupe. Dans les statistiques judi- 800 moutons et sans doute de la mère
surdose de cuivre qui provoque une in- ciaires du XIXe siècle, le « vitriol bleu » d’Anne-Marie Singer. « Cet empoison-
flammation du foie, la stéatose. » « Voi- ou « de Chypre » est d’ailleurs le poison nement à petit feu, expliquait Picot, est
là encore quinze ou vingt ans, ajoute le plus utilisé après l’arsenic… formidablement difficile à diagnosti-
Narbonne, l’état des connaissances ne quer. Le cuivre est en effet vital, à un
m’aurait pas permis d’être aussi affir- niveau minimal, pour l’organisme. Et
matif sur la toxicité à faible dose du
« Remède » de grand-mère dès qu’il y a un surplus, la plus grande
sulfate de cuivre. » Ce qu’on savait très mal en revanche, partie est expulsée principalement vers
Il y aurait donc un avant et un après c’est que, « sur un temps long et à des le foie. Du coup, les analyses de sang
Singer. Jusque-là, les médecins lé- doses quotidiennes légèrement exces- ont peu de chance de le détecter. Et à
gistes savaient bien que ce sulfate – du sives, il puisse dérégler si puissamment l’autopsie, s’il y en a une, on diagnosti-
cuivre dissous avec un acide très utili- les échanges enzymatiques et la ma- quera le plus souvent une cirrhose et
sé comme fongicide – était un poison chinerie cellulaire en affectant tous les un… penchant pour l’alcool. »
fatal administré à forte dose dans le vin organes ». Jusqu’à la mort. Celles des Le crime invisible et parfait ? Il sem-
blerait bien puisque, malgré cette mise
en évidence toxico-chimique des pro-
priétés létales de l’oxyde de cuivre, la
plainte contre X déposée au tribunal
de Mulhouse par Anne-Marie n’a pas
abouti. Pareil pour d’autres cas simi-
laires dans la région. À la vérité, c’est
à se demander si, depuis le Moyen
Âge, cette technique criminelle empi-
rique ne se transmet pas comme une
recette de grand-mère. Comme les
plantes abortives. Si l’on étudiait les
morts suspectes dans tous les terroirs
de France et d’Europe, pas impossible
qu’on trouve souvent une présence
anormale de cuivre !
Anne-Marie Singer, 81 ans, très mal en
point, continue donc le combat. Elle
s’est pourvue en cassation. Et elle in-
terpellait encore récemment Élisa-
beth Borne sur l’utilisation quasi sys-
tématique du sulfate de cuivre dans
PHOTOPQR/L'ALSACE/Thierry Gachon/MAXPPP
86 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
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Fascinants Étrusques ! Ils ont laissé leurs élégantes empreintes partout, de la plaine padane
aux environs de Naples en passant par l’actuelle Toscane. Une « culture de la paix » qui
rayonne au VIe siècle av. J.-C., donne ses trois derniers rois à Rome, mais qui se fait absor-
ber par cette même Rome et sa « culture de la guerre » autour du IIIe siècle av. J.-C. L’Italie
leur doit tant. À commencer par Rome : le Forum, le premier égout, les prêtres devins, les
insignes du pouvoir… Contrairement aux idées reçues, les Étrusques ne disparaissent pas.
Leur aristocratie et leurs lignages ont prospéré sous la République et sous l’Empire.
DOSSIER COLD CASES
Meurtre
Plaidoiries pour Famille, je vous hais en coulisses
les délaissés La journaliste Patricia Tou- Le 25 septembre 1933, Oscar
Spécialisés dans les vieilles rancheau revient sur cette af- Dufrenne, patron du Palace
affaires criminelles non faire devenue le cold case le et conseiller municipal ra-
résolues, les deux avocats plus retentissant de la seconde dical-socialiste, est retrouvé dans son
révèlent les coulisses de leur métier à moitié du XXe siècle avec, en toile de fond, bureau, le crâne fracassé et le pantalon
travers les grands dossiers judiciaires une haine familiale souterraine qui a baissé. L’historienne Florence Tamagne
auxquels ils ont participé. échappé aux magistrats et aux enquêteurs. raconte cette affaire non élucidée.
Nous, avocats des oubliés,de Corinne Herrmann n Grégory. La machination familiale, d e Patricia
n n Le Crime du Palace, d e Florence Tamagne
et Didier Seban (JC Lattès, 270 p., 19 euros). Tourancheau (Seuil-Les Jours, 256 p., 18 euros). (Payot, 280 p., 22 euros).
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Triple assassinat
Une étude sur les meurtres
Un classique ciselé
Le meurtre non élucidé Et aussi
d’une fillette, d’une dame d’Elizabeth Short, le 15 jan-
de compagnie et d’une demi- vier 1947, est l’occasion Revue
mondaine retrouvées pour l’auteur de faire le por- Ce dossier très complet coordon-
la tête presque détachée du tronc dans trait inouï et violent du Los Angeles né par Jacques Dallest explore les
un appartement parisien en mars 1887. hors norme de l’après-guerre. différentes facettes des crimes
n L’Affaire Pranzini, d e Frédéric Chauvaud n Le Dahlia noir, d e James Ellroy complexes : les temps de l’enquête
(Georg éditeur, 230 p., 15 euros). (Rivages noir, 560 p., 11,20 euros).
et de l’instruction, les techniques
de la police scientifique, l’accom-
Mary, John et la CIA pagnement des familles, le rap-
Contre-enquête sur le Mort à distance port à l’opinion et aux médias.
meurtre non élucidé, à L’inspecteur Jacob Lev est intri-
n Cahiers de la sécurité et de la justice,
Georgetown, en 1964, de gué par un double meurtre non no 52, août 2022,Institut des hautes études
Mary Meyer, maîtresse ca- résolu qui l’amène à enquêter du ministère de l’Intérieur. www.vie-publique.fr/
à Paris sur un cas similaire : les catalogue/280816-les-crimes-complexes-cold-
chée de John Kennedy, dans lequel la
case-meurtres-seriels-disparitions-non-elucidees
CIA aurait joué un rôle décisif. corps d’une mère et de son fils retrouvés
n Un meurtre à Georgetown, d e Jean Lesieur dans le bois de Boulogne.
(Éditions du Toucan, 200 p., 18 euros). n Que la bête s’échappe,de Jonathan et Jesse
Kellerman (Seuil, 480 p., 21,90 euros). Série
Diffusée entre 2003 et 2008 aux
L’enfant martyre États-Unis puis sur Canal+ en
Retour sur le meurtre d’une pe- Crimino-dépendant France, c’est « la » série consa-
tite fille qui gisait aux abords Maura Muray, une jeune in- crée aux affaires classées. Pen-
d’une autoroute en Loir-et-Cher, firmière américaine sur le dant 156 épisodes, on suit Lilly
le 11 août 1987. La fillette sans point de se marier, disparaît Rush, seule femme inspectrice
nom et sans famille restera pendant plus en 2004. Sa voiture est loca- de la police criminelle de Phila-
de trente ans une énigme. lisée à des centaines de kilomètres de delphie, dans ses enquêtes sur les
n L’Inconnue de l’A 10 : l’enquête, d e Georges chez elle. L’auteur enquête et livre son vieux dossiers.
Brenier et Adrien Cadorel (La Manufacture de livres, addiction pour les cold cases. n Cold Case : affaires classées.
200 p., 16,90 euros). n Addict, de James Renner
(Sonatine éditions, 310 p., 20 euros).
Code pénal
Californie, années 1970 : un Cadavre en sous-sol
Jeu
tueur en série s’en prend à En se rendant sur les lieux d’un Une femme restauratrice d’ob-
des couples en revendiquant crime datant de 1961, le lieute- jets d’art est retrouvée pendue
ses crimes par des messages nant Riley, de la brigade des dans son atelier. Mais s’est-elle
codés qui résistent au FBI. En 2020, un affaires non résolues de Mia- suicidée ? Une enquête à partir
jeune polytechnicien les décrypte et ré- mi, tombe sur un cadavre dans la cave. de 16 ans pour 1 à 5 joueurs.
vèle l’identité du Zodiac dans un livre. n Le Sommeil des innocents, d ’Edna Buchanan n Les Couleurs de l’oubli
n L’Affaire Zodiac, d e Fayçal Ziraoui (Payot, 310 p., 18,80 euros). (Éditions Culinario Mortale, 23 euros).
(Pocket, 300 p., 8,30 euros).
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Albert Londres
et le peintre
bagnard
Il y a cent ans paraissait le premier livre d’Albert
Londres : Au bagne. Une sélection de reportages
parus dans la presse sur l’enfer de la prison
guyanaise, illustrés de caricatures d’un prisonnier
de « l’île du diable » connu, jusqu’à il y a peu,
Henri Martinie/Roger-Viollet
L
es écrits d’Albert Londres rigueur professionnelle. Pour donner sorte de chargé de mission dans la terre
(1884-1932) ont la force des à l’auteur toute l’autorité nécessaire, de « la grande punition ». Les autorités
choses vues et entendues, la rédaction prévenait que ce qui était politiques et judiciaires lui avaient per-
mais ils ont aussi la fragilité écrit avait été vérifié de la plus scru- mis de franchir les portes grillagées et
des articles de presse : ils puleuse façon. d’ouvrir grand ses yeux et ses oreilles.
taisent leur source. Le 8 août Le journal affirmait que « la bonne vo-
1923, à Paris, les Français se lonté des autorités intéressées, à Paris
ruèrent sur l’édition du soir
« L’enfer des réprouvés » comme là-bas, a permis à notre collabo-
du P etit Parisien, vendu 15 centimes. L’enquête d’Albert Londres en Guyane rateur de pénétrer partout, de voir tout,
Deux millions de lecteurs dévorèrent résultait de la volonté du journal, et d’interroger librement quelconque. Il
la première page du grand quotidien l’aboutissement en était « une enquête dira, avec une égale liberté, ce qu’il a
français, qui se targuait alors d’avoir passionnante, accomplie patiemment vu, entendu et pensé ».
le plus fort tirage au monde. Ce 8 août, et consciencieusement dans le monde Les archives d’Albert Londres n’in-
donc, sur trois colonnes à la une, un des bagnards ». L’intention était de don- diquent pas quand et comment les ar-
article d’Albert Londres attira l’atten- ner au bagne de Guyane « sa véritable ticles sur le bagne de Guyane parvinrent
tion. Il se présentait comme un carnet physionomie, pitoyable et horrible », à la rédaction du Petit Parisien. La
de voyage, et avait pour titre : « Notre en pénétrant dans « l’enfer des réprou- maîtrise rédactionnelle de Londres se
enquête au bagne. » Le chapeau intro- vés ». L’auteur n’agissait pas comme un distinguait par un style alerte, fluide,
ductif attribuait à l’article une grande enquêteur masqué, mais comme une ironique, clair et imagé. Ce voyageur
92 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Collection Musée Ernest Cognacq, Saint-Martin-de-Ré.
2 3
1 Lueur de désespoir
Des forçats jouant à la marseillaise,
un jeu de hasard qu’Albert Londres
qualifie d’« espèce de baccara
dégénéré ».• Collection particulière.
2 Billot en tête
Hespel-le-Chacal, matricule 13174,
sert avec zèle comme bourreau.
Il finira guillotiné à son tour.
• Coll. part.
3 Un fil à la patte
E x-vaisseau de marine accusé
de trahison, Ullmo occupe la case
de Dreyfus à l’île du Diable. Huit
ans à l’isolement puis évasion de
Cayenne en 1926. Gracié, il revient
en France, mais préfère finalement
la Guyane.• Coll. part.
94 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Collection particulière Le Petit Parisien
4 5
4 Effet papillon
E ugène Dieudonné, accusé de
crime avec la bande à Bonnot,
s’évade en 1926 et se réfugie
au Brésil, où Londres le
retrouve en 1927. • Coll. part.
6 Manchettes Selon la
règle du doublage, libérés, les
détenus restaient prisonniers
de l’île, comme ces vendeurs
de journaux à la criée.
• Coll. part.
Collection particulière
Le Petit Parisien
parut la première caricature, de forçats œuvres Isidore Hespel, qui fut guilloti-
« jouant à la marseillaise, la nuit » (1). né à son tour le 22 décembre 1923.
Des bagnards, effarés et hurlant, en
livrée de proscrits, se disputent une
mise d’argent à la lueur d’un lumignon.
Prison sans barreaux Guyane est aussi une prison sans bar-
Des cartes et des sous sont répandus Le 14 août 1923, Albert Londres insé- reaux. Le 29 août furent insérées cinq
sur le plancher, et tandis qu’un bagnard ra une nouvelle caricature : celle du nouvelles caricatures, toutes plus évo-
montre ses poches vides de joueur rin- déporté Ullmo (3). Cet ex-officier de catrices les unes que les autres, de
cé, deux autres s’apprêtent en venir marine avait été condamné en 1908 cinq criminels qui avaient défrayé la
aux mains sous le regard des teneurs pour avoir voulu vendre des secrets chronique judiciaire avant le début de
de banque. militaires à l’Allemagne. Accusé d’in- la Grande Guerre : Brengues, Agostini,
Le 11 août, toujours à la une et sur telligence avec l’ennemi, condamné à Levêque, de La Braudière, Boucon. La
deux colonnes, une autre caricature fut la déportation sur l’île du Diable, Ull- caricature du docteur Brengues montre
publiée, qui avait pour légende : « Les mo avait fini par gagner la Grande Terre un médecin bagnard éventrant un ca-
petits métiers de forçats sans travail au bout de quinze ans de détention. Il davre pour récupérer un « plan », cet
à leur libération. » Cette catégorie de vivait des jours tranquilles à Cayenne. étui que les bagnards dissimulaient dans
bagnards, des transportés, après avoir Le 18 août, une cinquième caricature l’anus pour cacher leur richesse (5). Les
accompli leur temps de peine, étaient apparue, du célèbre Dieudonné, pré- avant-dernières caricatures portèrent
pourtant obligés de rester en Guyane tendument anarchiste, qui fumait sous sur deux criminels célèbres : Andrieux
en raison de la règle du doublage. Ils l’ombrage d’un arbre (4). Dieudonné et Menars de Couvrigny. Enfin, les der-
étaient libérés, mais pas libres. Ils er- était un de ceux qu’on croyait avoir ap- nières traitèrent de deux scènes de la
raient dans Cayenne, pieds nus, en hail- partenu à la bande à Bonnot, ce qu’il vie quotidienne des condamnés : Une
lons, maigres et dépenaillés. Vendeurs nia toujours. De retour à Paris, Albert séance de la commission discipli-
de journaux, ils criaient les nouvelles Londres allait se pencher sur le destin naire, La Cour des miracles au mar-
(6). Le 12 août, une troisième carica- singulier de cet homme qui finit par être ché de Cayenne(8).
ture représentait le bourreau Isidore rapatrié. Dieudonné ne fut en rien re- Désormais, il ne pouvait y avoir de
Hespel, longtemps chargé des exécu- connaissant de l’action du journaliste, doute : un peintre bagnard, caricatu-
tions capitales (2). Le caricaturiste qu’il accusa de travestir la vérité. riste, avait illustré les articles d’Albert
savait que la guillotine fonctionnait au Le 21 août parut la sixième caricature : Londres. L’inconnu était venu à sa ren-
petit jour, aux derniers rayons de lune Les Surprises de l’évasion(7). Des contre. Le matin du 10 août 1923, troi-
et à la lueur pâlissante de l’étoile ma- évadés par voie de terre se retrouvent sième jour de son arrivée en Guyane,
tutinale. Aucune mention de l’auteur prisonniers de la forêt amazonienne. Albert Londres, reçut un mot d’un
n’était indiquée. Mais la précision du Le journaliste fait comprendre que la confrère : « Donc ce premier matin, je
96 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
qui reprit en 1923 les articles du Petit
Parisien, indique un changement de
lettre : la lettre B était transformée en V.
L’artiste devait avoir un nom de famille
commençant par V.
En fouillant dans les collections des mu-
sées et des particuliers, on pouvait es-
pérer trouver le nom de ce caricaturiste
que les collectionneurs et conserva-
teurs désignent sous les initiales de L. K.
L’artiste anonyme connaissait le nom
des magistrats en place à Cayenne, ceux
de leurs épouses, des officiers de gen-
darmerie, des notables, et toute la vie
du bagne était traitée avec exactitude
et mordant. Nous conservons de lui
plus de 100 caricatures sur le bagne, et
nul n’en décrivit mieux les réalités que
L. K. Nos recherches nous ont conduit à
l’identifier. Il s’appelait Émile Voillard. Il
7 fut décrit et photographié par le docteur
Collin, qui le rencontra vers 1909 : « Voil-
lard, cet ancien étudiant en droit et jour-
7 Les dents de l’amertume naliste à Chaumont, qui fut condamné
Les Surprises de l’évasion, ou les infortunes à quinze ans de travaux forcés, pour
vécues par les évadés qui ont fait le choix propagande anarchiste et vol. Garçon
de fuir à travers les marais. Coll. part. intelligent, caricaturiste, dessinateur et
8 Drôles d’oiseux La Cour aquarelliste de quelque talent… » Émile
Voillard était l’ancien chef de bande,
des miracles au marché de Cayenne :
surnommé « Papa ». Dans la nuit du 30
les détenus ayant purgé leur peine errent
sans le sou et sans emploi. Coll. part.
au 31 octobre 1897, il perpétra son der-
nier méfait à Chaumont.
Le 3 octobre 1898, les assises de la
Haute-Marne le condamnèrent à
nue parmi nous… Dites-moi quand je quinze ans de travaux forcés pour vol
pourrai vous voir. Je suis porte-clefs qualifié et meurtre par recel. Son che-
et dispose de mon temps. [Signé] B. min vers le bagne suivit le processus
transporté au camp de Cayenne, ma- habituel : rejet du pourvoi en cassation
tricule 35150. » le 4 novembre 1898 ; avis des autorités
judiciaires du 1er février 1899, qui déci-
dèrent de l’envoyer en Guyane ; trans-
Sous les initiales L. K. fert au pénitencier de Saint-Martin de
Collection particulière
BEAUX-ARTS
La Marianne
de la France libre
Quelle destinée que celle de la Déchirée ! Une statue de René Iché offerte
par l’artiste au général de Gaulle en 1943, disparue à la Libération, resurgie par
hasard en 2007… L’œuvre, exposée à Roubaix, n’a pas livré tous ses secrets.
par Xavier Donzelli
C
’est une statuette en Deux œuvres de René Iché exposées contre l’occupant et la tragédie, vécue
bronze de 48 centi- à La Piscine, à Roubaix, racontent une jusque dans sa chair, de la répression
mètres de haut, repré- tout autre histoire : une étude de 1937, contre l’armée des ombres.
sentant une femme pour laquelle l’artiste fit poser sa fille Fondue en 1942 dans l’atelier parisien
debout, drapée dans Laurence (née en 1921), et un modelage de l’artiste (55, rue du Cherche-Midi), la
une étoffe de fortune, réalisé à partir de cette étude fin 1940 statuette rate son premier départ pour
la poitrine et le buste – en présence de Germaine Tillion, alors l’Angleterre, en décembre 1942. Elle est
découverts. Son bras membre (avec Iché) de l’un des premiers alors confiée à Lucie Aubrac et Jean Ca-
gauche est replié sur son visage. Son réseaux de résistance : le Musée vaillès, le chef de Cohors, atten-
bras droit, levé vers le ciel, se termine de l’Homme. Les deux du à Londres. Le 24 février
par une main dessinant un timide V de œuvres empruntent COHORS : LA 1943, celui-ci la remet
la victoire… La symbolique de l’œuvre, indéniablement ses COHORTE DES BRAVES en main propre au
dans la France coupée en deux de l’Oc- traits à Laurence. général de Gaulle,
Réseau de renseignement créé par le
cupation, résignée ou combattante, saute Un choix pré- qui l’installe aus-
BCRA en avril 1942, il se divise en deux en-
aux yeux. Mais qui se cache derrière les monitoire : en tités : au sud, Phalanx (dirigé par Christian Pi- sitôt sur son bu-
traits de cette Déchirée ? La question juin 1941, celle- neau) ; au nord, Cohors (Jean Cavaillès). Selon reau de Carlton
a rebondi après la parution, en janvier ci épouse l’écri- Patrick Rotman (réalisateur de Résistances), il Gardens. Dès
dernier, du dernier roman de Christophe v a i n R o b e r t compte 992 agents immatriculés en 1943, lors, la Déchi-
Donner, au titre évocateur : Comment Rius, l’un des avant les coups de filet à l’été : 331 agents rée va assister,
ma grand-mère s’est retrouvée à moi- fondateurs du arrêtés, 16 fusillés, 15 morts sous la tor- témoin muet,
tié nue sur le bureau du Général. La groupe surréaliste ture, 268 déportés. Repris par Jean aux tractations
grand-mère en question, épouse du grand La Main à plume, qui Gosset, Cohors renaît fin 1943 fiévreuses avec
résistant Jean Gosset (le recruteur de édite notamment Li- sous le nom Asturies. les Alliés et le gou-
X. D.
René Iché au réseau de renseignement berté, d’Éluard, en 1942. À vernement d’Alger, à la
Cohors – lire ci-contre), a posé pour l’été 1944, Rius rejoint un maquis naissance dans la douleur au
l’artiste dans les années 1930. Et ensuite ? à Fontainebleau ; trahi, il est fusillé par Conseil national de la Résistance, porté
Hélas, Amin, morte en 1994, a « emport[é] les Allemands le 21 juillet. Ainsi Lau- par Jean Moulin et auquel s’opposent,
au Père-Lachaise le secret de sa présence rence, muse martyre de la Résistance, jusqu’à Londres, les chefs de la Résis-
dévêtue sur le bureau du Général »… incarne-t-elle à la fois l’espoir de la lutte tance intérieure. Et Moulin, justement,
98 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Mémoires d’espoir C réée
en 1942, la Déchirée incarne
une France pillée par l’occupant
qui refuse de périr à petit feu.
ROUBAIX
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1897-1954
L’art en lutte
24 JUIN
3 SEPT.
2023
LA PISCINE
23 rue de l’Espérance
59100 Roubaix
roubaix-lapiscine.com
René Iché (1897-1954), Étude de lutteurs à terre ou Étude pour Jacob et l’Ange, vers 1945. Bronze. Paris, Centre Pompidou - musée national d'Art moderne Centre de création industrielle. Photo : Xavier Grandsart © ADAGP, Paris, 2023. Design graphique : Studio Corpus
2 3
1 Ciel et terre
Guernica, de Jean Amblard
(1911-1989). Musée de
Denain (Belgique).
2 Mort et vif
Guernica, plâtre que René
Iché commence le jour du
raid, le 26 avril 1937.
Musée Fabre, Montpellier.
3 Des vers
pour les cadavres
« Visages bons à tout,
voici le vide qui vous
fixe », écrit Éluard
dans « La victoire de
Guernica », publié en
1937 et repris en 1944
dans Au rendez-vous
allemand. (Manuscrit
Musée Fabre, Montpellier
t-Denis
100 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023 e Paul Eluard de Sain
sée d’art et d’histoir
Irène Andréani/Mu
Roubaix, La Piscine/Alain Leprince/Jean-Bernard Sandler
4
5
4 Le fruit
de ses entrailles
Guernica, de Jean Lasne
(1911-1940). Huile sur toile,
musée d’Art et d’Industrie André-
Diligent - La Piscine.
5 Apocalypse avant
la lettre
Étonnante toile que La Guerre
aérienne, d’Édouard Goerg
(1893-1969) : l’année
précédant le massacre de la
population de Guernica par
l’aviation italo-allemande,
l’artiste, dans un style
fantasmagorique rappelant
les triptyques de Jérôme
Bosch (v. 1410-1516), évoque
Julien Vidal/Musée d'Art Moderne/RMN-GP
102 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Service historique de la Défense, Vincennes
Sarah Bernhardt
l’indomptable
104 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
« Voix d’or », « Divine », « Scandaleuse » : les surnoms
se sont multipliés pour la belle Sarah, star mondiale
du théâtre, qui était aussi une femme engagée et une
sculptrice de génie. Autant de visages redécouverts
en 2023 à l’occasion du centenaire de sa mort.
par Jean-Pierre Guéno
Q
uand même : c’est sur les planches. Elle est donc fichée
sa devise, choisie à à une époque où les danseuses étoiles
l’âge de 9 ans, qui sont des prostituées, les petits rats de
marque l’engagement l’Opéra des recrues de riches protec-
de Sarah dans la vie, teurs de « ballets roses », les buveuses
dans le théâtre, dans d’absinthe des racoleuses, les dames
ses amours, dans son du monde des demi-mondaines, les
mysticisme, dans ses actrices, les cantatrices et les domp-
foucades, dans ses excentricités, dans teuses des « grandes horizontales ».
ses audaces, dans ses transgressions, À l’époque des frères Goncourt, les
dans la sculpture, dans l’écriture et théâtres sont des bordels, leurs direc-
dans la peinture, dans la politique et teurs des souteneurs, à commencer par
dans le cinéma dès son apparition. On celui de la Comédie-Française. Il vaut
ne compte plus le nombre des rôles mieux ne pas évoquer le prix pharao-
qu’elle a interprétés, on ne compte nique des passes de Sarah Bernhardt
plus le nombre de ses amants. Sarah au cœur des années 1860.
Bernhardt, c’est la convergence de la
vie et du trépas, de la vitalité et de la
morbidité, d’une vie intensive et exubé-
Courage et générosité
rante où elle ne cesse de jouer la mort L’autre engagement de Sarah, c’est la
sur les planches, ce qui est une façon de scène. Elle y a exercé tous les métiers :
la défier. La tragédienne excelle dans doublure, faire-valoir, vedette, metteuse
le jeu de l’agonie. Elle meurt à chaque en scène, auteure, créatrice, directrice
représentation, et le beau monde est de théâtre ou de compagnie théâtrale.
ébloui par sa capacité à mimer le der- Mais ses engagements les plus coura-
Luxe, calme et volupté
nier soupir avec une justesse terrible. geux sont ses démarches humanitaires
L ’artiste photographiée dans son
Le tout premier engagement de Sarah et patriotiques, tout comme ses bonnes
intérieur par Nadar (1820-1910),
vers 1900. Rarement auparavant Bernhardt, après avoir renoncé à celui œuvres pour les pauvres, révélatrices
une tragédienne n’avait été à ce de la religion qui l’aurait conduite à se d’un courage et d’une générosité qui lui
point la coqueluche des peintres cloîtrer dans un carmel, c’est son enga- valurent la Légion d’honneur, en parti-
et photographes de son temps. gement au service d’elle-même, de son culier pendant les guerres de 1870 et de
• Petit Palais, Paris. indépendance et de sa liberté. Mais cet 1914-1918, et aussi ses prises de posi-
engagement a un prix. Il faut coucher tion politiques en faveur de Dreyfus et
pour réussir et pour briller. Très b or- de Louise Michel. Elle était aussi contre
derline dans les années 1860, Sarah la peine de mort.
est recensée dans le registre BB1 de Pendant le siège de Paris, Sarah Bern-
la Préfecture de police de Paris parmi hardt modifie le théâtre de l’Odéon
les 136 femmes galantes qui opèrent pour en faire un hôpital militaire
Tallandier/Bridgeman Images
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
à l’Australie en passant par l’Argen-
Photo12/Alamy/Alpha Stock
tine, de théâtres de fortune en salles
grandioses. Aux États-Unis, en 1881,
elle affrète un train Pullman pour sa
troupe et ses huit tonnes de malles.
Elle voyage avec 250 paires de chaus-
sures, 75 malles d’effets personnels et
45 malles de costumes. Au Pérou en
1886, tous les billets pour ses repré-
sentations se vendent en l’espace de
quarante-huit heures. Son lyrisme et
sa diction emphatique enthousiasment
tous les publics. Elle dépense large-
ment quand elle a de l’argent et peine à
joindre les deux bouts quand elle n’en a
pas. Afin de promouvoir son spectacle,
elle rencontre Thomas Edison à New
Théâtre York et y enregistre sur cylindre une
d’opérations lecture de Phèdre. Elle devient l’un des
Les feux de la rampe très rares artistes français à avoir son
ne lui font pas oublier étoile sur le H ollywood Walk of Fame,
la guerre. Depuis 1911, à Los Angeles.
elle se rend presque tous Celle qui prend la direction du théâtre
les ans aux États-Unis,
de la Renaissance, fondé en 1838 par
où sa première tournée
Victor Hugo et Alexandre Dumas, puis
remonte à 1880, plaidant
pour une intervention
du théâtre des Nations en 1898 qu’elle
américaine dans le conflit. renomme de son nom, celle qui écrit
• Dans un train pour Dallas elle-même quelques pièces, celle qui
(de face), en 1906. incarne à plus de 50 ans, grâce à son
corps svelte et malgré sa féminité,
Roger-Viollet
beaucoup de rôles de jeunes hommes
– dans L orenzacciod’Alfred de Musset,
propre compagnie, avec laquelle elle est un événement : 256 représentations Hamlet de Shakespeare ou L’Aiglon
part jouer et faire fortune à l’étranger données dans 50 villes. De nouveau les d’Edmond Rostand –, celle qui person-
jusqu’en 1917. Elle ne paiera jamais sa États-Unis en 1882, avec la Russie et nifie le théâtre d’Hugo, de Dumas, de
dette à la Comédie-Française, étant ve- l’Europe, puis l’Amérique du Sud pen- Sardou, de Rostand, celle qui importe
nue à son secours après l’incendie qui a dant les treize mois suivants. Une autre en France l’art de la réclame, celle qui
ravagé la salle Richelieu en 1900. tournée mondiale incluant l’Australie influence la mode, les peintres, la litté-
entre 1891 et 1893, et les États-Unis rature, les arts décoratifs, les maîtres
Tournées triomphales presque chaque année entre 1911 et de l’affiche, les joailliers, les céra-
1917. En Amérique, dès 1880, et bien mistes, Mucha, Lalique, Gallé, qui ins-
sur les cinq continents qu’elle ne parle pas anglais, sa gestuelle pire Gustave Moreau, Edward Burne-
En 1881, à l’occasion d’une tournée en et sa voix lui permettent de se faire Jones, Dante Gabriel Rossetti et toute
Russie, Anton Tchekhov, alors chroni- comprendre du public. Ses représen- l’école préraphaélite, mais encore les
queur au journal moscovite Le Specta- tations ont beaucoup de succès à New essayistes, écrivains et poètes – Robert
teur, la décrit comme « celle qui a visité York, mais elle n’est pas reçue dans la de Montesquiou, les frères Goncourt,
les deux pôles, qui de sa traîne a balayé haute société à cause de son mode de Oscar Wilde, Jean Lorrain, Joris-Karl
de long en large les cinq continents, qui vie sulfureux. Son image ne s’améliore Huysmans, Francis James et Marcel
a traversé les océans, qui plus d’une pas lorsqu’elle pose pour des photos sur Proust –, celle qui est aussi bien actrice
fois s’est élevée jusqu’aux cieux ». À le dos d’une baleine morte, à Boston. que militante, féministe avant l’heure,
partir de 1880, elle enchaîne les tour- Pendant ses tournées, Sarah Bern- femme d’affaires, amoureuse ou mère,
nées triomphales dans le monde. Sa hardt fait feu de tout bois : elle voyage demeure bel et bien la lumière de la
première aux États-Unis en 1880-1881 en train privé, en bateau, de l’Amérique Belle Époque. u
Le cabinet
de curiosités de
Stéphane Bern
Expert et protecteur du patrimoine national, le célèbre journaliste a craqué,
il y a quelques années, pour un ancien collège royal dans le Perche. C’est là
qu’il a reçu Historia pour évoquer les coups de cœur de son musée personnel.
par Charles Giol – photos : Arnaud Robin
L
e plus médiatique des pas- Une héroïne : Charlotte de Luxembourg
seurs d’histoire conserve
encore quelques secrets. Il « Mes grands-parents maternels habi- parents et, depuis cette époque, je
a accepté de nous en dévoiler taient au Luxembourg et, dans mon suis resté profondément attaché au
quelques-uns, qui éclairent enfance, je passais toutes mes va- grand-duché, qui est intimement asso-
notamment l’origine de cances chez eux. L’atmosphère était cié pour moi à ces souvenirs merveil-
son goût pour le passé et le beaucoup plus légère que chez mes leux – je suis ainsi particulièrement
patrimoine. Une passion qui fier d’être devenu citoyen luxem-
l’a conduit il y a une dizaine d’années bourgeois il y a quelques années,
à acquérir un ancien collège royal du pour des raisons sentimentales et
XVIIIe siècle, niché au cœur du village non fiscales, car je continue de payer
percheron de Thiron-Gardais. Après mes impôts en France ! Connaissant
l’avoir patiemment restauré, le Lyon- mon goût naissant pour l’Histoire,
nais de naissance a quitté Paris il y a mes grands-parents m’avaient offert
quelques années pour s’y installer. Mais, un manuel particulièrement patrio-
fidèle à son engagement en faveur de tique sur l’histoire du Luxembourg.
la transmission du savoir historique, Et ils m’ont élevé dans le culte de la
Stéphane Bern a également fait de sa grande-duchesse Charlotte, qui a ré-
thébaïde d’Eure-et-Loir un musée ouvert gné sur le pays de 1919 à 1964. En
Collecctions de la Cour grand-ducale
108 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
La bio
mais elle a toujours repoussé les invi- mement populaire jusqu’à sa mort en vôtre sur Europe 1. Depuis 2017,
tations du Reich, qui avait annexé le 1985. Le jour de son décès, j’avais ren- il dirige la Mission Stéphane Bern,
grand-duché, à rentrer au Luxembourg. dez-vous avec la directrice de Madame consacrée à la sauvegarde
Une fois installée à Londres, en 1943, Figaro. Je lui ai dit que je connaissais du patrimoine français. Auteur
Charlotte s’adressait régulièrement à très bien la vie de Charlotte de Luxem- d’une cinquantaine d’ouvrages,
ses compatriotes via la BBC, encou- bourg et elle m’a demandé d’écrire une il vient de publier un cahier
rageant les actes de désobéissance à nécrologie : ça a été mon premier ar- de vacances spécial Histoire (Plon).
l’envahisseur. Incarnant la résistance ticle publié. »
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Une peinture :
le portrait d’Henri
de Bourbon-Verneuil
« Je l’ai acheté aux enchères il y a
quelques années et il est depuis expo-
sé dans le musée du collège. Outre que
j’aime beaucoup cette toile, réalisée au
sein de l’école de Pierre Mignard (1612-
1695), c’était une évidence de l’acquérir
pour rendre ainsi hommage au fondateur
du collège. Henri de Bourbon-Verneuil a
connu le destin complexe des bâtards
royaux. Il aurait pu avoir une destinée
royale, car Henri IV, juste avant sa nais-
sance, a promis le mariage à sa mère,
Henriette d’Entragues. Mais les mau-
vaises finances du royaume ont finale-
ment imposé au roi d’épouser Marie de
Arnaud Robin/Divergence
Commémorations en Val-de-
Loire du sixième centenaire de
la naissance de Louis XI
L
ouis XI est le
moins aimé des
souverains Valois.
Sa légende noire,
forgée par l’évêque de Lisieux,
Thomas Basin, et son conseil-
ler, Philippe de Commynes,
puis reprise par les roman-
tiques, est celle d’un roi cruel
et dévot. Énigmatique, éner-
gique et avant tout réaliste,
ce négociateur est soucieux
d’économie, car il s’agit de
reconstruire le pays à l’issue
de la guerre de Cent Ans.
C’est ce roi-là que l’on
retrouve au fil de ses
résidences, dans ce Val- REVENANT L e souverain reprend vie au château de Loches, où il passa son enfance. Ensuite, ce furent ceux de
de-Loire dont il fit le Plessis-lès-Tours, de Langeais (qu’il fit édifier) et d’Amboise, où il créa l’ordre de chevalerie de Saint-Michel (à g.).
centre du pouvoir royal.
Le périple commence à houettes grandeur Dauphiné, son règne à partir lique aux ordres de la Jarre-
Bourges, où il naît en nature (photo) de 1461 et le souvenir laissé tière des souverains anglais et
1423 dans le palais de très expressives à la postérité. de la Toison d’Or des ducs de
son fastueux arrière- du dessinateur Bourgogne.
grand-oncle, Jean de Patrick Dal- Le cœur du royaume Le château de Plessis-lès-
Berry. Il y passe son lanegra. Au C’est à Amboise qu’il passe une Tours, dont ne subsiste guère
enfance, loin de ses fil des salles, partie de sa jeunesse et ins- qu’un dixième du bâtiment
parents, Charles VII on découvre tallera son épouse, Charlotte originel, a tenu une place
et Marie d’Anjou, son enfance de Savoie, et leurs enfants. particulière dans sa vie. Pre-
sous la houlette solitaire, sa Une passionnante exposi- mière construction royale de
d’un précepteur, Jean rencontre (sup- tion revient sur la création brique et de pierre, elle fut le
Majoris, très sensible aux posée) avec Jeanne de l’ordre de Saint-Michel, à cœur du pouvoir pendant
<Sans lien d'intersection>
préceptes de l’humanisme. d’Arc en 1429, la haine Amboise en 1469, ordre qu’il près de vingt ans. Tours est
Une exposition vivante et de son père et de sa confère à tous ceux dont il alors la capitale du royaume
pédagogique lui est consa- favorite Agnès Sorel, ses veut s’assurer la fidélité. Une et le laboratoire des projets
crée, illustrée par les sil- révoltes et son exil en réponse politique et symbo- du roi pour développer les
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Histoire vivante
PAR ÉRIC TEYSSIER
SP/DR
et sans l’apparat du monarque
Un air de Renaissance souverain qu’il avait été pour-
Le magnifique château de tant si efficacement… u UN DRAGON NOMMÉ LARA
L
Langeais, où une exposition ara est étudiante en master 2 d’histoire. En
évoque le roi bâtisseur, est n Du dauphin au roi,donjon de master 1, elle découvre la reconstitution
aussi une création de Louis XI. Loches (37), jusqu’au 5 novembre. historique grâce à l’intervention, en tenue,
Une allure de forteresse côté n L’ordre de Saint-Michel et l’essor d’un de ses camarades de promotion (lire Historia
ville, un logis presque renais- du pouvoir royal, château n° 886). À cette époque, Lara consacre son mémoire
sant côté jardin. Tout un sym- d’Amboise (37), jusqu’au 28 août. de recherche au parcours de Napoléon Duffié. Ce
bole pour ce roi Janus. Reste n Louis XI bâtisseur, c hâteau et parc sous-officier du 6e régiment de dragons a déserté
sa dernière demeure. Louis XI, de Langeais (37), jusqu’au 12 novembre. l’armée de Napoléon III après la Crimée pour
terrorisé par l’idée de la mort, n Louis XI en son jardin : du ver à la combattre aux États-Unis. Lara décide alors de
fait venir d’Italie à Plessis-lès- soie, c hâteau de Plessis-lès-Tours (37). reconstituer la tenue de dragon de son personnage
Tours le futur saint François Conférences, démonstrations de tissage, – une unité de cavalerie lourde créée le 15 avril 1806.
de Paul pour l’assister dans concerts…, les 16 et 17 septembre. La tâche n’est pas aisée, car le thème du Second
son agonie. Et, dernière n Colloque international « Louis XI, Empire est très peu exploré par les reconstituteurs.
manifestation de sa liberté les dialogues d’un prince. Échanges Mais il en faut plus pour décourager l’étudiante.
de pensée, seul souverain de et confrontations », h ôtel de ville de Pratiquant avec talent l’art du portrait, elle réalise
sa dynastie à ne pas reposer à Tours (37), du 12 au 14 octobre. des toiles sur le thème de l’histoire militaire et la
vente de ses œuvres lui permet d’économiser
suffisamment pour s’offrir un casque modèle 1845
et un sabre d’époque. Après avoir fait réaliser son
Un Silex qui continue d’étinceler uniforme par une couturière, Lara peut s’enorgueillir
Surnommé Dr Silex, ce médecin d’être la première à avoir reconstitué un dragon de
intriguait ses patients par sa passion des cette période. Grâce à cela, elle peut participer aux
l a
vieux cailloux. L’archéologie n’en est qu’à
f a b u l e u s e
a r c h é o l o g i q u e
manifestations historiques de Compiègne et à celles
ses balbutiements, mais le Dr Bailleau, 4 fé
vrier organisées au mois de juin à Vichy pour le
bre
Bailleau des Fées à Châtelperron, qui donnera la rigueur jusqu’au bout, Lara porte aussi moustaches
d u d o c t e u r
ins
Moul
u
auje
de be
C
heveux courts ou longs ? décoiffante, voire poilante, entre volonté
Dénoués ou domptés ? Per- PELAGES Teint blond vénitien ou velu façon Aviron de « dompter l’animal qui est en nous » et
ruque ou voile ? Barbe ou bayonnais, le poil en a vu de toutes les couleurs, entre tentations transgressives d’y revenir, de
phénomènes de mode et tabous socioreligieux.
moustache ? Depuis l’An- l’hirsutisme adolescent aux performances
tiquité, l’Occident est fasciné, parfois Chaque époque sécrète ses goûts, ses pré- expérimentales des grands coiffeurs
jusqu’au fétichisme, par les questions liées jugés, ses normes de classe et de genre, contemporains. u
à la pilosité. Phénomène de mode, tabou tandis que les métiers de la coiffure et de n Cheveux et poils, musée des Arts décoratifs,
religieux, fantasme érotique, marqueur la couture, le commerce, l’industrie, la Paris (1er), jusqu’au 17 septembre.
social et identitaire ? publicité et, plus récemment, les influen- Rens. : 01 44 55 57 50 et www.madparis.fr
114 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Mont et (mille ans de) merveilles
Depuis plus de mille ans, l’esprit réalisée au XIXe siècle par le sculpteur
saint souffle sur le Mont. Le premier Emmanuel Frémiet et perchée à 150 m
sanctuaire, fondé par saint Aubert au-dessus de la mer sur la flèche
d’Avranches, date de 708, mais c’est néogothique de l’architecte Petitgrand,
à l’abbé Hildebert II qu’est attribuée elle a été restaurée à plusieurs reprises.
la fondation de l’abbaye bénédictine Autant de combats contre le temps
en 1023. Le Grand Degré intérieur, et la négligence des hommes que
au fil d’une ascension de 90 marches saint Michel remporte vaillamment,
accompagnée d’une frise chronologique documents, tableaux et vidéos à l’appui.
imagée, égrène les grandes étapes de sa Avec la multiplication des pèlerinages
construction et de ses reconstructions au XIXe siècle, il reçoit même les
et restaurations. Dans l’église, la honneurs inédits d’un couronnement
présentation du chantier médiéval, par Pie IX en 1875. Clou final, la
Pascal Biomez/CMN/SP
entre nef romane, chœur gothique et fabuleuse parure réalisée pour la
chapelles rayonnantes, illustre le défi statue par les célèbres frères Mellerio,
architectural lancé au fil des siècles dits Meller, joailliers des grandes
par l’archange. Haut lieu de spiritualité cours européennes : une couronne, PROTECTION Cet extraordinaire reliquaire (XIXe s.)
pendant le Moyen Âge, puis confiée deux colliers, une épée et un bouclier conserve le crâne du fondateur de l’abbaye, saint Aubert.
à des abbés commendataires favoris constituent le cœur flamboyant de
royaux pendant l’époque moderne, l’exposition. Pèlerinages, conférences, n La demeure de l’archange. Mille ans d’histoire
l’abbaye perd de son rayonnement jeux de lumière, concerts et animations et de création à l’abbatiale du Mont-Saint-Michel,
jusqu’à la réforme engagée par complètent l’extraordinaire portrait de a bbaye du Mont-Saint-Michel,
des moines mauristes. Survient la l’archange en sa demeure favorite, fin Le Mont-Saint-Michel (50), jusqu’au 5 novembre.
Révolution et sa reconversion en prêt pour un décollage triomphal dans Rens. : 02 33 89 80 00 et www.montsaintmichel.gouv.fr/
prison. Quant à la statue de l’archange, son deuxième millénaire. u programme-du-millenaire
les techniques guident l’usage du scalpel. Les rapports entre gigantesque, qui sera commémoré pour la deuxième fois, les
ses recherches anatomiques et son œuvre peint constituent 23 et 24 septembre, par une manifestation sportive créée en
l’un des thèmes les plus originaux de cette splendide présen- 2018 par la Fédération des clubs de la défense. 200 équipes
tation. Le tableau La Cène, modélisé en 3D, révèle à travers de trois concurrents prendront le départ à Verdun. Au
la gestuelle des squelettes la parfaite adéquation de leurs programme : trail-running, swimrun et VTT, trois parcours de
mouvements avec les lois de la biomécanique. u 50 et 140 km et, le plus exigeant, de 250 km, jusqu’à Paris. Une
n Léonard de Vinci et l’anatomie, la mécanique de la vie, épreuve extrême, entre devoir de mémoire, dépassement de
château du Clos Lucé, Amboise (37), jusqu’au 17 septembre. soi et préparatoire à l’Olympiade de 2024. u
Rens. : 02 47 57 00 73 et www.vinci-closluce.com n Raid de la Voie sacrée, les 23 et 24 septembre. Rens. : www.raidvoiesacree.fr
ET AUSSI
Sur les pas d’Atget
Parc du domaine de Sceaux
(92),jusqu’au 9 juillet.
n
Suzanne Valadon.
Un monde à soi
Centre Pompidou / Metz (57),
jusqu’au 11 septembre.
n
Victoires
Musée national du Sport,
Nice (06),
jusqu’au 17 septembre.
n
O. Rahard/SP
Ingres l’artiste
et ses princes
Château de Chantilly et
Sacrées Vendéennes ! pour l’héroïsme des Vendéennes, qui ren- musée Condé, Chantilly (60),
jusqu’au 1er octobre.
voyèrent leurs hommes au combat, tandis
n
Le site tourmenté de la Pierre Tour- que Charette s’écriait : « Qui m’aime me Agatha Christie
nisse offre un terrain idéal à la reconstitution suive ! » On suivra donc les 70 acteurs pour en quête
de la bataille de Torfou, qui opposa, le 19 sep- un spectacle tissé d’émotion et de drôlerie d’archéologie
tembre 1793, les troupes royalistes conduites et un déluge de feu final. u Vesunna, musée gallo-romain,
Périgueux (24),
par le général Charette à celles, républicaines, n Torfou la bataille,reconstitution de la bataille de Torfou,
jusqu’au 31 décembre.
commandées par Kléber. Un grand moment la Pierre Tournisse, Sevremoine (49), les 21 et 22 juillet.
dans l’impitoyable guerre de Vendée, célèbre Rens. : 02 41 72 62 32 et contact@osezmauges.fr
4, 5, 6 & 7
invitée par ses amis, le comte de Chabrillan et la cantatrice AOÛT l’ancien château des vicomtes
2 0 2 3
Henriette Baréty, elle y répète L’Aiglon qu’Edmond Rostand d’Aubusson forment un gran-
vient d’écrire pour elle. Des salons aux communs, une DE PASSION ET DE GLOIRE diose théâtre à ciel ouvert,
bordé de gradins naturels. Pour
1916°1936
centaine d’acteurs et de figurants rejouent pour le visiteur, Fresque historique
500 bénévoles
comme sur un plateau de cinéma, les plaisirs et les jours d’une et acteurs
sa 17e édition, l’association
Belle Époque se délassant en déclamant aux champs. u La Fresque, entre effets spé-
La Souterraine
Creuse
116 - H
istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Expos
I
« ngres était tellement INGRES, L’ARTISTE ET relations privilégiées avec la suis retourné à Paris. » Néan-
perfectionniste qu’il lui SES PRINCES famille d’Orléans dont il réa- moins, comment résister aux
est arrivé de racheter CHÂTEAU DE CHANTILLY, lisera des portraits iconiques, commandes royales ? La récep-
l’un de ses tableaux MUSÉE CONDÉ, SALLE DU JEU tels ceux de Ferdinand Phi- tion enthousiaste d’Antiochus
pour y apporter des modifi- DE PAUME lippe d’Orléans (1842) et de et Stratonice par Ferdinand
cations ! », raconte Mathieu D
u 3 juin au 1er octobre 2023 Louise de Broglie (1845). Philippe d’Orléans conduit ce
Deldicque, commissaire dernier à demander à Ingres
de l’exposition qui se tient Précision maniaque de le portraiturer.
actuellement au château de est indéfinissable, toujours Cependant, après son deu- Cette œuvre, commencée à
Chantilly. À la lumière de en recherche de formes nou- xième retour d’Italie en 1841, Rome, est achevée à Paris
récentes analyses scienti- velles. Il peut prendre d’in- Ingres souhaite prioritaire- quelques mois avant la mort
fiques et de rapprochements croyables libertés avec l’idée ment réaliser de grandes pein- accidentelle de l’héritier
inédits entre dessins prépara- du beau harmonieux selon tures d’Histoire, se plaignant à au trône. Après quoi, son
toires et peintures célèbres, la tradition antique. » Grâce son ami Gilibert : « Parce que frère cadet, le duc d’Au-
cette présentation dévoile, à des prêts exceptionnels, j’ai peint le portrait de Bertin male, reprend le flambeau et
avec subtilité, la manière de l’exposition se focalise sur la et Molé, tout le monde en veut, devient le principal mécène
travailler du maître de Mon- production de l’artiste durant en voilà six que je refuse ou de l’artiste. D’où la présence
tauban. Deldicque ajoute : « On la monarchie de Juillet, entre que j’élude car je ne puis les de plusieurs chefs-d’œuvre au
a trop souvent réduit Ingres 1830 et 1848, correspondant à souffrir, et ce n’est pas pour musée Condé. Bénéficiant de
au néoclassicisme alors qu’il l’apogée de sa carrière et à ses peindre des portraits que je contrats allant dans le sens de
son désir historiciste, Ingres
devra pourtant déroger à la
règle qu’il s’était fixée et accep-
LE LONG FLEUVE TRANQUILLE ter d’autres face-à-face avec
Chantilly, musee Conde/H. Brejat/RMN-Grand Palais/SP
118 - H
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2
LA
VICOMTESSE
4 D’HAUSSON-
VILLE (1845),
huile sur toile, 132 x 92 cm
The Frick collection, New York
Louise, princesse
de Broglie, épouse
Joseph de Clairon
d’Haussonville en
New York, The Frick Collection/Michael Bodycomb/SP
La robe bleue. La robe de tourne son visage vers nous et nous également une bague en or avec une
1 la vicomtesse remplit le centre regarde, en face mais avec douceur. pierre bleue assortie à celle du
du tableau et une grande partie de la Cette rotation dynamise la pose. Le bracelet. Rien d’ostentatoire.
composition. Elle capte la lumière et modèle n’en devient que plus vivant.
attire l’attention. Sa douce couleur Le rosé de ses joues et la couleur claire Le reflet dans le
bleue est assortie aux yeux du modèle. de sa peau soulignent la fraîcheur de
4 miroir. Derrière la jeune
Son étoffe satinée, parfaitement son teint, son jeune âge et sa femme, il nous dévoile avec une
rendue par Ingres, donne envie de la distinction sociale. certaine impudeur sa nuque et son
toucher. Ingres soigne les plis et replis chignon. Ses cheveux sont retenus par
du tissu, fort de sa connaissance du Les mains. La main gauche un peigne et agrémentés d’un ruban
drapé antique, exercice technique qu’il
3 de la vicomtesse, à laquelle on selon la mode de l’époque. La touche
maîtrise parfaitement. aperçoit son alliance, soutient rouge apportée par ce colifichet
délicatement sa tête ce qui lui donne contrebalance le bleu qui domine la
La pose. La vicomtesse est un air pensif. Cela dévoile sa gestuelle composition. Le décor très cosy
2 peinte de trois quarts, appuyée gracieuse et sa bonne éducation. La correspond alors à l’embourgeoisement
sur le rebord de la cheminée. Elle main droite posée sur la taille montre des intérieurs, même princiers. É. C.
H
istorien médiatisé a rapportée de Damas, afin de
– on peut le voir la cultiver sur les coteaux du
régulièrement Châtel et ainsi l’offrir à la reine
Laurent Gapaillard/SP
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Quand la Chine cauchemarde Peintures rouge sang
Le maître Un train peut en cacher un conservation. » Il finira conserva-
du thriller historique autre. C’est ce qui arrive en 1940 teur au département des peintures
frappe un grand coup lorsque les autorités mettent à l’abri avant que la sombre affaire ne soit
avec ce nouvel opus de les chefs-d’œuvre du Louvre. On révélée au moment où Mitterrand
la saga Tomás Noronha. avait oublié qu’il en fut de même inaugure le Grand Louvre.
Le cryptologue portugais en 1870. Enfin pas tout le monde. Sur fond de spoliation d’œuvres
recherche son épouse, Le marquis de Peyricars, en son d’art, Nicolas Chaudun brode
enlevée en Inde. Chapitres château de Chaource, un polar d’une noir-
courts, haletants, alternant connaît bien l’histoire ceur exemplaire. On
entre la progression de et pour cause… C’est y retrouve tous les
l’enquête et le destin effarant de Madina, jeune donc avec la réappa- ingrédients du genre,
Ouïghoure, condamnée, malgré son adhésion au rition d’un bouquet les petits meurtres
Parti, au camp de concentration. Elle réussira de tulipes signé du entre amis, le cluedo
à s’enfuir avec une clef USB contenant le peintre Ambrosius à rebondissement, la
protocole Dragon rouge, programme menant à Bosschaert que Pierre révélation sur le thème
la domination universelle du Parti communiste Fauvellière entre en du héros pas si relui-
chinois. Inspiré par les témoignages et scène aux côtés de sant que cela. Nous
documents officiels (et confidentiels) personnages bien voici immergés dans
démontrant le régime dictatorial et réels comme Jacques un monde en appa-
l’expansionnisme de la Chine, ce roman s’inscrit Jaujard, directeur des rence feutré mais ter-
dans le sillage d’un George Orwell dépassé par Musées nationaux, ou Rose Valland riblement assassin que
ses prophéties. Sinon que l’on est, au-delà du qui sauva de nombreux tableaux de Nicolas Chaudun connaît bien,
roman, face à un tragique retournement de la convoitise nazie. « J’avais pen- celui des spécialistes de l’art.
l’Histoire… JOËLLE CHEVÉ dant toute l’Occupation effectué LAURENT LEMIRE
n La Femme au Dragon rouge, d
e J. R. Dos Santos de longs stages au Louvre. J’avais n Mortel bouquet, d
e Nicolas Chaudun
(éditions Hervé Chopin, 624 p., 22,50 euros). espéré un poste d’adjoint à la (Presses de la Cité, 190 p., 20 euros).
Roger-Viollet
DE IOULIA IAKOVLEVA lectivisation, sont devenues
(Actes Sud, 464 p., 24,50 euros) des bâtisses décrépites et sor-
ENNEMI PUBLIC Le « monstre du capitalisme » défile à Leningrad en 1929. dides, la nourriture est ration-
née, les vêtements sont rapié-
L
eningrad, 1929. La des collections du musée de conformes ou déviants. Heu- cés et seuls les caciques béné-
brigade n°2 de la l’Ermitage. Quel message l’as- reusement pour lui, il semble ficient du confort de l’ennemi
police criminelle sassin veut-il faire passer à tra- être le seul capable d’y voir capitaliste occidental, à grand
a fort à faire avec vers ces actes odieux ? clair dans cet écheveau com- renfort d’opportunisme et de
une série de meurtres qui plexe, raison pour laquelle ses corruption. Inspirée de faits
défient l’entendement. Les Tous suspects supérieurs le tirent de la pri- réels, l’intrigue est une magis-
cadavres sont mis en scène de L’affaire obsède l’inspec- son où il croupissait. Dans une trale plongée dans le totalita-
manière à former des tableaux teur Zaïtsev, lui-même aux atmosphère de suspicion géné- risme soviétique, à l’aube des
macabres, reproductions gla- prises avec la Guépéou, l’om- ralisée, où le collègue ou l’être grandes purges staliniennes
çantes de toiles de maîtres niprésente police politique aimé sont des dénonciateurs des années 1930. Un coup de
mystérieusement disparues qui traque les profils non potentiels, l’enquête piétine. maître ! u ISABELLE MITY
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Essais
désert du Nouveau-Mexique. Il
y côtoie Richard Feynman, un
autre génie de la physique, lui
aussi pacifiste, qui se retrouve
dans cette République idéale
où l’on prépare le pire.
Cette biographie alerte et
dense nous plonge dans le
monde des grands esprits
capables de grandes choses
Robert Oppenheimer : et de grandes catastrophes.
le destructeur de monde Mi-Faust, mi-Folamour,
E KAI BIRD ET MARTIN J. Oppenheimer est victime du
akg-images
D
SHERWIN (CHERCHE MIDI, maccarthysme et poussé à la
750 P., 28 EUROS) FUSION NUCLÉAIRE Einstein (à g.) et Oppenheimer, les penseurs de l’atome. démission de la commission
de l’énergie atomique. Il n’aura
O
n comprend que Ce récit-fleuve qui a reçu le destructrice de l’histoire ? pas de Nobel. Ses seules
cette fresque, Pulitzer de la biographie en C’est ce que nous raconte médailles ont explosé sur le
car c’en est une, 2006 gravite autour d’une ce livre fascinant. On y voit sol japonais en tuant plus de
ait inspiré le réa- personnalité exceptionnelle l’apparition d’une nouvelle 140 000 personnes. « Essayer
lisateur Christopher Nolan et complexe : Robert Oppen- physique subatomique et de d’être heureux, c’est essayer
pour son film annoncé pour heimer (1904-1967). personnalités comme Dirac, de construire une machine
la mi-juillet. Tout y est : la Born, Heisenberg, Schrödin- sans autre spécification que
guerre, l’espionnage, le projet Faust et Folamour ger et Einstein. de tourner sans bruit. » C’est
Manhattan et l’explosion des Comment ce Juif, pacifiste et Génial et perturbé, Oppen- raté, mais cet échec a toujours
deux bombes, à Hiroshima et communiste, s’est-il retrouvé heimer se retrouve à la tête beaucoup à nous apprendre.
Nagasaki les 6 et 9 août 1945. à la tête de l’initiative la plus d’une armée de savants dans le LAURENT LEMIRE
Un tour de cochon !
UN EMPIRE TROP LOURD
POUR UNE PRINCESSE Accusée d’avoir provoqué la
chute (et la mort) d’un jeune noble,
une truie se retrouve devant un
Charlotte tente de pallier tribunal, menacée d’être pendue.
la nullité de son empereur de mari tout Mais elle reçoit l’appui inattendu
d’un avocat, aussi brillant que
en découvrant la beauté du Mexique… misérable, qui va prendre sa
défense et bouleverser le cours d’un procès qu’on croyait
L
’aventure mexicaine de la princesse Charlotte joué d’avance. Le scénariste a fait montre d’une grande
n’a guère duré et touche désormais à sa fin. En originalité, mais la reconstitution historique, simplifiée
1864, elle a accompagné son époux, Maximilien à l’extrême, n’est pas très convaincante. L. V.
de Habsbourg, dans ce pays dont la France lui a n La Truie, le juge et l’avocat, d e Laurent Galandon et Damien Vidal
donné la couronne. Avec le soutien armé de Napoléon III, le (Delcourt, 112 p., 17,50 euros).
couple s’installe tant bien que mal à Mexico, mais les répu-
blicains mexicains tiennent la majeure partie du pays. Dès
1865, Maximilien a perdu la partie, sans avoir rien pu faire.
Sans doute était-il trop médiocre : c’est la thèse que déve-
Gueule cassée,
loppe la BD. On le voit en effet se nourrir de chimères et mémoire intacte
courir les filles, à la grande humiliation de son épouse. De Pour son premier album, Julien
toute évidence, cet archiduc Langlais propose un récit intimiste
autrichien marié à une prin- consacré à la descente aux enfers
cesse belge n’était pas l’homme d’un poilu, défiguré par un obus.
le mieux préparé à gouverner Graphiquement, l’album est très soigné
le Mexique, déchiré par des avec ses teintes pastel qui, loin d’adoucir
années de guerre civile ! le récit, en soulignent toute l’horreur. Le scénario pèche
Plus forte sans doute que son cependant par manque d’originalité, car le thème si douloureux
mari, Charlotte essaie réelle- des « gueules cassées » a largement été exploité depuis Marc
ment de prendre les choses Dugain et toujours (si l’on peut dire) sous le même angle.
en main : durant les absences, C’est d’autant plus frappant ici que plusieurs dialogues ont
parfois fort longues, de son été directement repris de La Chambre des officiers – ce que
époux, elle dirige le Conseil l’auteur ne juge apparemment pas nécessaire de signaler… L. V.
des ministres et bâtit une véritable politique… que les n Rappelle-toi ces belles années, d e Julien Langlais (Soleil, 60 p., 15,95 euros).
finances défaillantes de l’État et la révolte ne permettent
cependant pas de mettre en œuvre. L’album illustre aussi
le voyage qu’elle entreprend au sud, dans le Yucatan plus
pacifique, et sa découverte émerveillée du monde maya.
Dans le ventre de la bête
Plus elle pénètre au cœur de ce nouveau monde, plus elle Dans le troisième opus de cette
l’aime, mais cet amour n’est jamais payé en retour. Dans belle série consacrée aux Warbirds,
un pays arriéré et, aussi, foncièrement machiste, il est de on redécouvre l’un des avions les plus
toute façon inconcevable qu’une femme puisse gouverner. remarquables de la Seconde Guerre
Les auteurs proposent une fable saisissante sur le pouvoir. mondiale : le bimoteur B-25. À peine mis
Plus exactement sur le pouvoir d’une femme à qui l’on a en service, il entre dans la légende. C’est
offert un empire et qui se retrouve seule à le gouverner. en effet à la tête d’une escadrille de B-25
Trahie par son mari, elle l’est aussi par ses ministres, ses que le colonel Doolittle organise le premier raid américain
familiers, et même par son propre confesseur – ce qui est contre le Japon (avril 1942). Une attaque symbolique,
inconcevable pour une aristocrate aussi pieuse. Charlotte destinée à commémorer Pearl Harbor et à montrer que
va ainsi d’échec en désillusion, et sa raison en finira ébran- l’archipel nippon n’est pas un sanctuaire. Une attaque qui
lée. n LAURENT VISSIÈRE annonce déjà le redressement militaire des États-Unis. L. V.
n Charlotte impératrice, tome 3 : « Adios Carlotta », de Fabien Nury n Warbirds, tome 3 : « B-25 Mitchell - Tonnerre sur Tokyo », de Richard Nolane
et Matthieu Bonhomme (Dargaud, 90 p., 17 euros). et Vladimir Aleksic (Soleil, 56 p., 15,50 euros).
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Wagner rentre Une vie à quitte Enlèvement sous X Lancelot, la
en scène ou double charrette de trop
Buck Danny élucide
Le festival de Jonathan Lassiter ici l’un des plus grands Ayant à peu près épuisé
Bayreuth est, depuis sa mène une vie médiocre mystères de la guerre la mythologie grecque en
création en 1876, entre les dans une ville du Nebraska, froide : la disparition, en une quarantaine d’albums,
mains de la famille Wagner. et, le même jour, il perd 1951, d’un appareil de Luc Ferry s’attaque à
Un héritage lourd à porter, son emploi, sa petite amie l’US Air Force et de ses 54 d’autres imaginaires,
car l’œuvre du maître, et toutes ses illusions, passagers, dont un général. et notamment l’univers
nationaliste et antisémite, mais il rencontre aussi un À la suite d’un incendie, arthurien. Dans ce premier
fut récupérée sans peine personnage improbable, l’avion avait pu amerrir volume d’une tétralogie,
par le parti nazi. Le festival, riche et cynique, qui l’associe dans l’Atlantique, mais c’est un célèbre roman de
longtemps interdit par à une étrange vendetta. les naufragés ne furent Chrétien de Troyes qui est
les Alliés, rouvre en 1951. Jonathan, qui n’a plus rien jamais repêchés. Ont-ils été mis en images. Un roman
À sa tête, le petit-fils du à perdre, accepte de jouer enlevés par un sous-marin de la transgression où le
compositeur, Wieland son jeu – un jeu des plus soviétique ? Le récit est meilleur des chevaliers
Wagner (1917-1966), qui dangereux… Nourri des heureusement plus original accepte d’affronter le
rêve d’abolir un passé romans et des films noirs de que le titre (car la série déshonneur par amour. Mais
sinistre, reçoit le soutien l’époque, l’album est mené comporte déjà un NC 22654 le scénario a du mal à rendre
d’Anja, une cantatrice aussi sur un tempo très rapide et ne répond plus et un Vostok les subtilités du roman… L. V.
belle que profondément nous plonge dans l’Amérique ne répond plus) ! L. V. n Lancelot, le chevalier de la
délurée… L. V. des sixties. L. V. n Buck Danny, « Classic », charrette de Clotilde Bruneau
n L’héritage Wagner, d e Stephen n 13 h 17 dans la vie de Jonathan tome 10 : « Molotok-41 ne répond plus », et Carlos Rafael Duarte (Glénat, coll. « La
Desberg et Emilio van der Zuiden Lassiter, d’Éric Stalner (Grand Angle, de Frédéric Zumbiehl et Frédéric Sagesse des mythes, contes et légendes »,
(Grand Angle, 80 p., 17,90 euros). 104 p., 19,90 euros). Marniquet (Dupuis, 48 p., 15,50 euros). de Luc Ferry, 56 p., 14,95 euros).
À déguster avec
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L’INCROYABLE
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Par l’auteur du best-seller
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
Jeunesse
de Sophie Marvaud (Magellan & Cie, 288 p., 16 euros). d’Anne-Marie Desplat-Duc (Flammarion jeunesse, 256 p., 14,50 euros).
Bridgeman Images
rannie. Bugeaud y vainquit les troupes maro-
caines en 1844.– I.Prélat français qu’on a sur-
N n n
nommé le Cygne de Cambrai. A des militaires O n n n
ou des militants. Sur la route de Dijon.– J.Pré-
curseur des sciences. Lac du Soudan. Oui ouï qui nous a laissé ses Histoires contre les mité de salut public en Algérie en mai 1958.
en Picardie.– K.Ça nous fait hésiter. Victoire païens. – O.Académie de peinture. Tyran de – 13.République gaélique. Père d’Agamem-
franco-britannique de la guerre de Crimée. Syracuse. Morgue dans une nouvelle d’Edgar non. – 14.Il fut le ministre de l’Intérieur de
Grand lac de Russie. – L.Physicien français Poe. Col des Alpes. Louis-Napoléon Bonaparte en 1851. Il fut pré-
qui montra la possibilité de transformer la VERTICALEMENT : 1.Homme politique améri- sident de la république de Turquie de 1938 à
fonte en acier en 1722. Peuple de la Gaule bel- cain dont l’effigie est reproduite à côté de ce 1950. – 15.Cardinal d’Alsace. Archevêque de
gique issu des Cimbres et des Teutons. – M. personnage sur le mont Rushmore. – 2.Elle Canterbury qui, en conflit avec Henri III d’An-
Furent parmi les premiers colons en Amérique. obtint la tête de Jean-Baptiste par l’intermé- gleterre, se réfugia en Bourgogne. Place de
Ordre religieux. Le strontium des chimistes. diaire de sa fille Salomé. L’Europe pour la plu- l’état-major. – 16.Bossa ou bûcha. Dieu grec
Au bout du doigt. Tantale.– N.Lieu de la mort part des Européens. La reine Victoria y fut in- personnifiant la richesse.– 17.Roi des Ostro-
d’Héraclès. Révolutionnaire chinois qui fonda vitée deux fois par Louis-Philippe. – 3. goths. Devenu quelqu’un. Terre de Saint-Mar-
le Kuomintang. Prêtre et apologiste chrétien L’Irlande des bardes. Reine des Francs suppli- tin.– 18.Leur bal tourna à la tragédie en 1393.
ciée par Clotaire II. – 4.Rivière d’Éthiopie Roi de Pylos qui fut le plus âgé et le plus sage
SUDOKU connue pour ses gisements paléontologiques. des héros de la guerre de Troie.– 19. Marine
Cette année-là, le mildiou de la pomme Soumises à la romaine. État américain où les sur la plage ? Capitale du Timor oriental. Roi de
de terre fait son apparition en Irlande mormons s’installèrent dès 1847.– 5.Capitale Juda. – 20.Île grecque qui fut longtemps une
provoquant la mort de faim de plus d’un du Colorado. Nuit noire. Des poètes pour grande rivale d’Athènes. Ville de Finlande où
million de personnes et l’émigration de deux Charles Trenet.– 6.Pépin bref. Viking qui au- fut signé en 1721 le traité qui mit fin à la grande
autres millions d’Irlandais. rait découvert l’Amérique près de cinq cents guerre du Nord. Avant la date indiquée. u
ans avant Christophe Colomb. Charles Per-
4
6 5 1 7 rault se serait inspiré de ce château pour La
SOLUTION DU No 918
7 9 4 6 Belle au bois dormant. – 7.Opéra de
Monteverdi. Journaliste français tué d’un coup
2 6 1 9 de pistolet par le prince Pierre-Napoléon Bo- A
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R E S A C A B
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sonnage de science-fiction. Accord de Madrid.
6 3 5 4 Fille d’Harmonie. – 9.Capitale de l’Arabie
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4 2 6 9 saoudite. Des milliers d’officiers polonais y
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5 9 3 4 furent assassinés par le NKVD au printemps H n P
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1940.– 10.En chère et en noce. Ville du Came-
4 7 5 6 roun.– 11.Fut placé dans la tombe par Victor
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8 1 4 2 9 Hugo. Amour naissant. Départ du train. – 12. L n C n L E V I n M U
M S A U L n E S U S n
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A N On T nO Cn
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Homme de division. Romains ou chinois. Gé- N P I R O N n I L nN E R E I D E Sn I O
SOLUTION DU N° 918 : 1675 néral français qui fut nommé président du Co- O A N n N U R E M B E R Gn S En T A F T
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istoria n° 919-920 / Juillet-août 2023
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La chronique DE GUILLAUME MALAURIE
DR
VULGARISER L’HISTOIRE,
C’EST UNE ASCÈSE !
C
hères lectrices, chers lecteurs, cette rubrique et ses cathédrales cathodiques ou Fernand Braudel et ses
est la dernière d’une longue série publiée Mémoires de la Méditerranée à la télévision. Aujourd’hui,
chaque mois dans Historia. S’arrête aussi le multimédia (à commencer par le livre, celui formidable
l’édito « Le sel de l’Histoire », que je signais sur Fouché, de notre chroniqueur Emmanuel de Waresquiel,
chaque semaine dans la newsletter. Historia, les documentaires d’Éric Pincas, rédacteur en chef du
vous le savez, appartenait au groupe de presse magazine, sur la Préhistoire…) est amplifié par des récits
de Claude Perdriel. Il passe aujourd’hui à 100 % sous le multisupports. Sur Internet, ce sont les blogueurs et les
contrôle du groupe Le Parisien-Les Échos. C’est une bonne youtubeurs, dont Historia est fier d’accueillir dans ses
nouvelle pour ce titre d’histoire populaire, le plus ancien colonnes le plus populaire : Nota Bene. Ont surgi aussi
(1909) et aujourd’hui encore le plus diffusé, qui va ainsi les auteurs de BD et de romans graphiques, les recons-
pouvoir bénéficier de puissants outils de développement titueurs de châteaux ou de batailles. À l’heure des fake
numériques. Le nouvel actionnaire n’a pas renouvelé ma news, des récits complotistes ou de l’exaltation de mythes
collaboration : je le regrette, mais c’est ainsi. fondateurs par Vladimir Poutine pour justifier la guerre,
Ce que je voudrais rappeler, c’est que l’ambition ces relais de croissance de l’Histoire populaire dite
d’une histoire grand public est en France consti- aussi « Histoire publique » sont salutaires. Encore
tutive de notre intelligence du monde. Et depuis convient-il de rappeler que vulgariser l’Histoire,
longtemps. Depuis Dumas et ses mousquetaires, c’est une ascèse. Ce n’est pas seulement vulgariser
depuis Hugo et son époustouflant Quatrevingt-treize la vulgarisation d’hier. C’est rendre accessible et
Retrouvez
sur la Révolution française et plus près de nous, la chronique séduisante l’Histoire vivante, petite et grande, celle
depuis Henri Guillemin, le républicain ombrageux. podcast de la nation et du monde, celle du genre et des
de Guillaume
Depuis Alain Decaux, bien sûr, qui tenait son bagou minorités, telle que produite par les chercheurs
Malaurie
du saltimbanque Sacha Guitry et avait été surnommé, en vous abon- et les universitaires d’aujourd’hui. C’est un art et
pour ses émissions et ses dossiers rigoureux dans nant à la news- c’est un sacerdoce. Le contrat de confiance qui
letter gratuite
Historia, « l’instituteur de la République » par son nous lie aux lecteurs, c’est cette ambition-là. Cette
d’Historia.
ami Pierre Nora. Sans oublier le grand Georges Duby exigence-là. Le respect que l’on vous doit. u