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Cette affirmation de Jerrold Levinson, est extraite d’un article au cours duquel, l’auteur fait
l’apologie du contextualisme esthétique en l’opposant à plusieurs autres approches philosophiques de
l’esthétique. Ce qui distingue l’Art d’une création de la nature, c’est l’acte par lequel un homme a
transformé une matière en lui donnant une forme. Il se crée alors une relation tripartite formée par
l’Artiste, l’Observateur et l’œuvre. L’œuvre est composée de formes. Mais de quelles formes s’agit-
il ? Serait-ce la forme que Platon nomme Eidos comme étant hypothèse de réalités intelligibles,
archétypes de toutes choses (Platon, le Timée). S’agit-il de la conception Aristotélicienne de la Forme ? La
forme faisant partie des « quatre causes » qui définissent l’existence d’un objet, qui est ce qui ordonne
la matière dont est fait cet objet et définit son essence, et son unité. (Aristote, Physique, II, 3-9). Ainsi, s’agit-
il de la forme comme contenu sémantique ? Ou selon l’approche «formaliste», de la forme morphè, au
sens de simple figuration spatiale ? Dans son affirmation, Levinson semble opposer cette dernière
conception de la forme, la forme « morphè » organisée en « ensemble de formes » à autre chose qu’il
définit par «beaucoup plus» est qui constituerait l’Art. En quoi l’Art dépasserait il donc l’ensemble des
formes qui le composent ? Cette affirmation semble manifester l’opposition existant entre deux
conceptions radicalement opposées de l’Art. D’une part, l’Art comme porteur d’un contenu
sémantique, vecteur de transmission, s’opposant à l’Art-pour-l’Art, où l’Art serait sa propre finalité.
Mais si l’Art dépasse les formes qui le composent, atteint-il des dimensions lui permettant d’assumer
des fonctions particulières pour l’Homme ? Serait-ce cela, ce « beaucoup plus » ? Mais se pourrait-il
qu’il en soit autrement ? Dans la mesure où, dans l’approche contextualiste, l’Eidos ne semble pas
vraiment défini et stable, l’œuvre, pourrait-elle se limiter à sa simple morphè ? Seul élément de
permanence apparente.
1ére partie : En quoi l’Art dépasser ait il l’ensemble des formes qui le composent ?
L’Art est donc à la fois Signifiant par l’ensemble des formes qui le composent et Signifié par
l’ensemble des contenus sémantiques qu’il agrège. L’art est donc beaucoup plus qu’un ensemble de
formes.
Cependant, si nous reprenons l’approche contextualiste, qui nous amène à penser que
l’Eidos, n’est pas figé, qu’il est mouvant, qu’il s’adapte au contexte et varie d’un observateur à un
autre, d’un contexte à un autre, constitue-t-il une réalité aussi tangible que la morphè, qui elle, une fois
créée par l’artiste est figée, ne varie pas dans le temps ? Peut-on dire que ce « beaucoup plus » ait une
réalité dans la mesure où il n’est pas reproductible et change sans cesse ? Est-ce cette limite de l’Eidos
qui constitue le point de départ du projet des artistes « formalistes » ? Dans la mesure où l’Art ne
permettrait pas à l’Observateur de trouver l’Unité, ce qui est permanent en Soi et dans le Monde, peut-
on toujours dire qu’il est beaucoup plus qu’un ensemble de formes dans la mesure où seule la forme en
tant que morphè semble permanente ? Si, on pose que la perception de la totalité du contenu
sémantique d’une œuvre, son Eidos, implique obligatoirement une approche subjective et plurielle car
elle dépend d’un grand nombre de facteurs. Et Si, on admet que la morphè, au contraire, est
permanente, comme un carré ne peut devenir un cercle une fois tracé sur une toile. Alors, la
permanence se manifeste par la morphè et non par l’Eidos qui est alors sans cesse dans un mouvement
imprévisible. Nous ne pouvons être sûrs que d’une chose : l’élément en équilibre qui s’offre à nous.
Cet ensemble des formes statiques constituant l’Œuvre, débarrassé de ce qui est « non statique » est
un ensemble cohérent en équilibre à l’instar de la matière apparente, dans le domaine de la physique
nucléaire, qui est l’état d’équilibre des particules en mouvement qui la constitue. On pourra décrire
avec certitude la forme d’un objet mais on ne pourra pas déterminer à tout moment la position des
éléments mouvants qui le constituent autrement que par une approche probabiliste, qui n’est jamais la
réalité mais son simulacre. Si, nous retirons ce qui n’est pas stable, ce contenu sémantique, reste-t-il
suffisamment d’éléments pour constituer l’Art ? Pour Aristote, " Un être ou une chose composée de
parties diverses ne peut avoir de beauté qu'autant que ses parties sont disposées dans un certain ordre
et qu'elles ont en outre une dimension qui ne peut pas être arbitraire, car le beau consiste dans l'ordre
et la grandeur " (Aristote, Poétique, Chapitre VII). Ce passage de la poétique ayant pour objet
principal la tragédie possède un message à vocation universelle. La Beauté, réside dans l’agencement,
et cet ordre s’exprime dans l’ensemble de formes en équilibre qui compose l’œuvre d’Art. Bien que
cet ordre soit produit par l’ensemble des formes qui compose l’œuvre, l’ordre ainsi créé renvoie
automatiquement, à l’ordre en tant que principe, en tant que manifestation de quelque chose de plus
vaste que l’œuvre elle-même. Pour Saint Thomas, cet ordre ainsi exprimé par la Beauté de l’Œuvre,
serait la manifestation de l’Ordre Divin, l’expression du Dessein Divin. Et c’est parce que l’œuvre a
une certaine forme, manifestation de l’ordre voulu par Dieu qu’elle est en mesure d’instruire
l’Homme. Et cette instruction, est par nature, un contenu dépassant l’ensemble des formes qui
compose l’œuvre, tout comme la Beauté résulte de l’Ordre.
Conclusion :
Parce qu’il agrège un ensemble complexe de contenus sémantiques liés à ses différentes
composantes lorsqu’il est envisagé comme « relation tripartite » d’une part, et lié au contexte dans
lequel cette relation s’établit d’autre part, l’Art ne peut qu’être que « beaucoup plus » qu’un ensemble
de formes. Et beaucoup plus, il l’est, car il assure des fonctions révélatrices de vérités intimes et
profondes pour l’Homme, et qu’il possède de ce fait, une dimension spirituelle. Toutes les tentatives
de réduction de l’Art à la morphè dépourvue de l’Eidos, sont vaines, car la forme possède
ontologiquement un contenu sémantique. Même si la forme est la seule partie stable et permanente, sa
« mise en ordre » ne peut se limiter à la simple expression de la morphè car elle est la manifestation
d’un Ordre plus vaste la dépassant. Aussitôt que l’Œuvre est créée, il y a cette relation tripartite, qui
est Art, et il y a simultanément ce « beaucoup plus ». Revenir à la « pure forme » ne peut se faire
qu’au moyen de la destruction de cette relation en supprimant l’une au moins de ses composantes.
Mais alors, s’agit-il toujours d’Art ?