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Isild DEBIAUNE L3

Avril 2023
Texte et image

Richard Baquié, Sans titre (Le temps de rien), 1985

Dès le XVe siècle avec la création et la démocratisation de l'imprimerie, le monde de l'art se mêle à
celui littéraire sur le papier. Les « arts mécaniques » (comme disaient les Grecques anciens) ont
toujours côtoyé la création littéraire : que ce soit avec des critiques d'art à l'issue de salons lors du
XVIIIe par exemple ou comme source d'inspiration pour certains comme les gravures de Gustave
Doré à partir des Contes de Perrault, etc.
A partir de la citation « Le contenu littéraire, verbalisable devient douteux et indésirable.
L’extrémité dramatique et existentialiste de l’expressionnisme abstrait, le langage romantico-
subjectiviste et émotionnel de l’abstraction calligraphique et les rituels de destruction du matériel de
l’art informel tentent de séparer le message de l’œuvre d’art de tout contenu littéraire et thématique
possible, considérant le contenu comme soumission de l’art à une fonction pratique et utilitaire, qui
pour les contemporains est similaire à la pratique politiques des dictatures totalitaires en matière de
culture, et à la propagande d’agitation idéologique » de Lorand Hegyiv, nous allons questionner la
relation entre le discours et l'art dans l'histoire.

Dans l'Antiquité, les Grecques observaient deux catégories d'art : les arts mécaniques (la peinture,
la sculpture et l'architecture par exemple...) qui permettaient de créer des objets physiques et les arts
libéraux (la géométrie, la poésie ou encore la musique...) qui eux offraient des choses
intellectuelles. Pour les arts mécaniques, les Grecques supposaient qu'il n'y avait aucun besoin de
discours pour prouver l'existence de leurs œuvres : si les créations étaient faites pas un artisan ou un
artisan dont cela était le métier alors elles étaient des œuvres d'art. L'art et le discours étaient deux
entités séparées qui n'avaient pas besoin l'un de l'autre pour exister ou pour s'expliquer : ils étaient
autonomes. L'art était fait pour être apprécié intuitivement : par ses sens. Ainsi il n'existait pas
vraiment de critiques d'art ou d'écrits sur l'art à cette époque. Le philosophe Plotin au IIIe Siècle
après Jésus Christ suggérait alors que le discours était mis en échec lorsqu'il prenait comme sujet
l'art et qu'il n'était possible que « d'avoir une conception intuitive de l'absolu esthétique ». On
pensait alors que l'art n'était pas descriptible, que son sens profond restait caché face à l'utilisation
des mots.
Nous pouvons prendre comme exemple l'allégorie de la Caverne qu’énonçait Platon dans La
République. Ce problème philosophique expose le fait que l’accès à la vérité permet la liberté des
individus. Ce texte n'a pas eu la chance d'être représenté souvent dans l'histoire de l'art, il en existe
dans croquis et des schémas mais seuls quelques rares œuvres existent dessus. Nous pouvons citer
la gravure de Pieter Jansz Saenredam, Allégorie de la caverne, créée en 1604 ou encore la peinture
La Grotte de Platon attribuée à Michiel Coxcie et faite au milieu du XVIe siècle. Le texte original
possédait tellement de détails et d'aspects philosophiques spécifiques au langage que sa
représentation en est devenue compliquée : l'art se soumet alors au texte en essayant de représenter
le plus de choses possibles tout en s'éloignant de la vérité du texte pour créer une esthétique
plausible et intelligible par le spectateur. Cependant, ces gravures et ces œuvres issues du texte
expliquant l'allégorie de la Caverne on encore besoin du texte pour être comprises : Les images
seules ne peuvent expliquer ce problème philosophique. Le discours est trop fort pour que l'art se
suffise à l'expliquer dans ce cas-ci.

Michiel Coxcie, La Grotte de Platon, Milieu du XVIe siècle


Platon considérait que l'art n'était qu'une pâle copie de plans suggérés par notre pensées, ces plans
provenant de notre pensées profonde et ayant déjà donné lieu à des objets auparavant : l'art serait
donc une façon de retranscrire notre inconscience et le plan étant plus important que l'objet lui-
même fabriqué. Cependant nous pouvons opposer à cette idée les réflexions d'Aristote qui pensait
que l'art équivalait à l'idée dont il était issu par exemple. L'écriture était alors pensée comme étant
l'égale des arts mécaniques et dont des images ou de la statuaire.

Au fur et à mesure de l'histoire, des institutions se sont crées autour de l'art pour le réglementer et
lui découvrir des acheteurs. Lors de la création des premiers monothéismes, la majorité du peuple
occidentale était analphabète, les rares personnes pouvant écrire des textes à la main étaient des
scribes ou des moines. Par la suite, avec l'arrivée de l'imprimerie au XVe siècle la population a pu
profiter d'écrits et de savoirs beaucoup plus facilement sans avoir à compter exclusivement sur les
textes et autorités religieux. Ces textes ne parlaient alors pas de l'art car celui-ci était réservé à des
élites politiques, religieuses ou économiques et à cette époque le besoin d'écrire à partir d’œuvres
d'art n'existait pas. Les thèmes de ces œuvres étaient des scènes issues de la mythologie (grecque et
romaine) ou du quotidien : animaux, natures mortes, etc. L'art était donc aussi autonome, tout
comme les œuvres crées par les grecques anciens plusieurs centaines d'années auparavant.
Pour en revenir aux premiers monothéismes : dans le Judaïsme et l'Islam, les images étaient
prohibées. Les images crées sur le Dieu honoré par ces religions pousseraient les fidèles à se
détourner des textes sacrés qui étaient la base de ces religions. Dans ces religions, le texte avait le
plein pouvoir sur les images qui étaient pensées comme ne reflétant pas la vérité, nous pouvons
opposer cela au Grecques anciens qui considéraient qu'il était possible d'écrire sur la vie des dieux
mais aussi de la représenter dans des tableaux ou dans leur statuaire.
Au XVIIIe siècle de nombreux salons sur l'art ont vu le jour et des critiques d'art ont écrit des
articles plus ou moins émotionnels dans le journal sur ces expositions : Diderot en faisait partie.
L'écrivain a ainsi assisté à plusieurs grands changements dans le monde de l'art et de ses
mouvements : art basé sur des mythes antiques, art romantique, etc. Selon Diderot le discours
devrait s'inspirer des œuvres d'art et ne pas seulement les décrire : les textes devraient s'écrire avec
l'art et non pas sur l'art lui même. Les peintures dans ce sens valent quelque chose car elles nous
poussent à réfléchir, à penser et ressentir et non pas seulement que les regarder et voir leur aspect
esthétique. Ce qui est important est ce que fait l'art, ce qui nous pousse à être en mouvement et à
être acteur de notre regard. Ce n'est pas que ce qui le compose.
Les descriptions analytiques, esthétiques et théoriques des œuvres ne rajoutent rien à celles-ci et ne
possèdent pas l'aspect émotionnel que les spectateurs peuvent percevoir face à elles. Lors du Salon
de 1763 Diderot écrira une lettre durant laquelle il partagera sont point de vue de cette manière :
« Ah ! mon ami, quelle guirlande ! quel Amour ! quelles Grâces ! Il me semble que la jeunesse,
l’innocence, la gaieté, la légèreté, la mollesse, un peu de tendre volupté, devaient former leur
caractère ; c’est ainsi que le bon Homère les imagina et que la tradition poétique nous les a
transmises. Celles de Van Loo sont si lourdes, mais si lourdes ! » en parlant du tableau Les Grâces
enchaînées par l'Amour de Carle van Loo qui était une œuvre au sujet mythologique. Il décrira ainsi
l’œuvre en faisant appel à ses sens, sans vraiment proposer un texte purement théorique ou sans
essayer d'expliquer le sens derrière le tableau.
Dans la citation de Loran Hegyi nous pouvons ainsi attester d'un certain dédain des textes qui
essayent d'expliquer l'art abstrait et les enjeux derrière ce mouvement alors que seul le spectateur en
face de la toile peut ressentir que ce que l'artiste voulait faire voir. Le directeur du musée d'art
contemporain souhaite dans cette citation expliquer que l'art ne devrait pas être perçu seulement par
les textes écrits sur lui car ceux-ci le font devenir « pratique et utilitaire ». En assimilant l'art et le
discours au régime qu'entretient les dictatures sur la culture est aussi un point important : le texte
selon Loran Hegyi prévaudrait quelques fois à l'image et cela enlèverait notre liberté d'y voir autre
chose. L'art contemporain a poussé de nombreux artistes à créer des œuvres qui ne sont pas
autonomes face au texte et qui ont besoin du discours pour exister comme avec l'art conceptuel et
par exemple le collectif Art and Language réunissant des critiques et des artistes poursuivant une
recherche autour de l'utilisation du discours dans l'art (comme en cherchant à passer de médiums
traditionnels à une forme linguistique et théoriques).

Art & Language ( Terry Atkinson and Michael Baldwin), Map to Not Indicate, 1967
Nous pouvons ainsi parler du philosophe Jacques Derrida qui considérait que ce qui est mis en
œuvre dans l'art ne pouvait pas être définissable par des textes. Que toute théorique sur l'art relève
du « logocentrisme », du fait que ces textes se pensent supérieur à l'art et peuvent donc exprimer ce
que le spectateur ne peut comprendre ou même expliquer ce qui ne devrait pas être compris. Il
existerait alors une incompatibilité entre le discours et les arts car ce premier ne peut pas tout
expliquer des œuvres : un aspect sensible lui échappe.
Le texte doit alors se retirer face à l’œuvre, juste répondre à l'art par un geste d'écriture extérieur et
laisser les spectateurs expérience l'art selon leur propre sensibilité. Mais il est tout de même
possible d'utiliser l'art pour ensuite s'en inspirer et créer des textes innovants qui ne paraphrasent
pas les œuvres d'art. Selon Daniel Arasse, l'image excède le texte peut importe les situations car
quelque chose au delà du texte échappe pour décrire une œuvre d'art complètement. Car dans l'art,
l'oeuvre utilise un language qui lui est propre pour exprimer une pensée unique et singulière :
« chaque peinture élabore son propre sens à partir de la mise en œuvre, toujours singulière, de son
matériau iconographique. ». Ainsi il ne devrait pas y avoir besoin de créer du texte sur des œuvres
d'art car « l'interprétation de l’œuvre se fonde sur le déchiffrement […] des structures visuelles
d'élaboration et de transmission du sens ». L'image ne peut être soumise et réduite au discours car
les mots ne sont pas capables de retransmettre son véritable sens. Pour Derida il existe aussi une
temporalité différente entre l'art qu'on expérience dans le présent et le texte qui est dans le passé
(car le texte est écrit sur de l'art au présent mais lors de la lecture ce moment est relégué au passé).

Ainsi nous pouvons attester que Loran Hegyi n'a pas tout a fait tord encore aujourd'hui en 2023 :
Dans l'Art Contemporain il existe encore de nombreuses œuvres qui ne peuvent pas être
véritablement expliquées par du texte ou du discours sans perdre une partie d'elles face à l'utilisation
d'un autre langage que celui picturale. Les textes théoriques et critiques d’œuvres d'art ne peuvent
se substituer aux œuvres elles-même. Cependant, le discours peut tout de même rester intéressant
dans le domaine artistique : de nombreux artistes utilisent le discours dans leurs œuvres au lieu que
ce soit le discours qui utilise l'art comme sujet (Baquiè, Smithson, Sol Lewit...).

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