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Existe une possibilité de penser un progrès ne culminant pas dans le destin d’un peuple.

Mais
comment admettre que l’universalisme juridique ou politique est la marque d’un progrès sans le
penser via un finalisme destinal et mystificateur ?
Penser l’histoire comme progrès revient à penser le fait de finalité que représente le progrès de la
raison dans l’histoire, tant de la connaissance que du droit, sans reconduire la catégorie même de
finalité à titre de concept de la connaissance. Il ne peut y avoir pensée du progrès qu’à la condition
qu’il ne résulte ni d’un miracle, ni d’une providence, comme chez Hegel. Mais alors, s’interroger
sur la manière d’aborder le fait de finalité, fait dont seule la notion de finalité peut permettre de
dégager le sens, quoique seules des causes mécaniques puissent être mobilisées pour rendre compte
de son avènement historique : ressaisie transcendantale de la catégorie de finalité.

Ce problème est celui que rencontre Kant dans la troisième critique : comment penser la légitimité
du concept de finalité alors qu’elle n’est pas un concept de la connaissance ?

Arriver à l’idée d’un progrès historique comme tâche et comme espérance légitime.
Cf. Alain Renaut, Le système du droit, et son analyse de l’Idée d’une histoire universelle et des §§
83 et 84 de la Critique de la faculté de juger (chapitre . « De l’esthétique au droit », §§ 1-2).
Les réflexions kantiennes sur l’histoire prennent racine dans la question de l’unité des deux
premières critiques, de la raison théorique et de la raison pratique, et qui n’est autre que la
possibilité d’un système de la raison pure. C’est ce système qui est au centre du projet de la
troisième critique. Question de la possibilité de la liberté au sein du monde phénoménal. Pour que
l’impératif catégorique ait un sens, il faut qu’il soit susceptible d’un effet dans le monde des
phénomènes. Mais ce dernier est strictement régi par la causalité mécanique, y compris le
comportement humain. La question est de conserver un sens à la morale, qui exige que la liberté
nouménale puisse avoir un effet dans les phénomènes, sans déroger à la déduction transcendantale,
qui a établi l’universalité de la causalité mécanique. L’enjeu est une possibilité qui ne peut être elle-
même phénoménalisée, qui ne dépend que du sujet nouménal. La conséquence en est l’impossibilité
de savoir si une seule action juste, pour la seule loi morale, a jamais eu lieu dans ce monde. Je suis à
moi-même comme sujet nouménal aussi obscur que peut l’être une conscience étrangère, tant un
homme peut se duper lui-même sur ses propres raisons d’agir. Pourtant la raison pratique m’enjoint
de considérer qu’une telle action de la liberté dans le monde est possible, puisque l’impératif
catégorique lui-même se trouverait dans l’absurdité, en tant qu’il commande d’agir en vertu de la
seule universalité de la loi morale.
Le problème est donc de la possibilité de subordonner les actions humaines à l’idée pratique d’un
règne des fins, communauté entièrement déterminée par le respect de la loi morale, quoiqu’une telle
pensée ne puisse avoir le statut d’une connaissance par concepts revient précisément à penser le
progrès dans l’histoire, savoir comment subsumer les actions humaines données dans l’expérience
sous une idée générale de la raison référant et évaluant l’expérience historique à l’aune de
l’exigence idéale de la liberté. Si une telle pensée subordonnant les actions particulières sensibles ne
peut être une connaissance par concepts, c’est pour la raison précise de la nature du jugement
déterminant engagé dans toute connaissance. Un jugement n’est une connaissance que s’il peut
subsumer le particulier sous une catégorie, ce qui exige un critère de jugement, que Kant nomme
principe dans la Critique de la raison pure, et qui est un critère phénoménale par lequel on reconnaît
dans l’expérience si un phénomène peut légitimement être soumis à une catégorie de l’entendement.
Par exemple, le critère phénoménal de la catégorie universelle de la causalité est l’irréversibilité
dans le temps. Cette temporalisation des catégories de l’entendement qui permet d’en dégager le
critère d’application est ce que Kant nomme le schématisme : permet d’appliquer les catégories aux
phénomènes. Mais, dans le cas d’une subsomption d’une action à une idée, en particulier celle de
liberté, le schématisme est impossible. Une idée ne peut être schématisée, ne peut jamais apparaître
dans l’expérience ou dégager un critère phénoménal d’application dans l’expérience. Je ne peux
faire connaissance d’une idée : une idée n’est pas phénoménalisable ou schématisable : quand je
tente donc de penser le progrès, en particulier comme progrès moral ou pratique, je ne peux en faire
un concept, et je ne peux l’envisager à titre de connaissance. Reste à montrer en quoi cette idée peut
conserver une légitimité sans pour autant constituer un savoir. La subsomption du particulier sous
l’universel, lorsque la connaissance de l’universel n’existe pas, pas encore, ou est impossible, est
une opération non du jugement déterminant mais du jugement réfléchissant ; la subsomption par
réflexion revient toujours à soumettre une diversité de concepts selon un ordre total que la nature ou
l’histoire ne peuvent me garantir, mais que ma raison exige, et non mon entendement. Cette
exigence d’un ordre systématique total correspond donc à une attente subjective i.e. non déterminée
par une connaissance d’objet, sans être pour autant arbitraire, puisqu’elle gouverne le principe
même de toute recherche rationnelle. L’historien, comme le physicien ou le botaniste, vise toujours
à l’unité totale de son objet, en particulier il va tenter d’ordonner les diverses lois que son
entendement lui permet de connaître, selon l’ordre le plus simple et le plus cohérent possible,
quoiqu’il ne puisse tirer de l’expérience que son objet d’étude correspondra effectivement à son
attente. Les sciences de la nature sont toujours orientée par l’exigence de la plus haute unité. Le
désir d’unifier la nature n’est pas donné comme une connaissance. Idem pour l’histoire, que
l’historien tente d’unifier via un certain nombre d’orientations, de lois : soumet le monde à une
attente subjective mais rationnelle, indispensable au titre de fil conducteur de toute recherche et
c’est en tant que fil conducteur que la finalité est indispensable à l’investigation rationnelle, y
compris dans les sciences de la nature ; le monde correspond à une intention rationnelle quoique
celle-ci ne corresponde à aucune expérience effective de l’objet. La subsomption des lois
particulières sous l’idée théorique de système, et celle sous l’idée pratique de règne des fins est
donc le fait du jugement réfléchissant, qui permet de dégager les limites et la légitimité
transcendantale d’un certain usage de la finalité.
Il intervient soit quand le concept n’est pas encore donné dans l’expérience, soit parce qu’il ne peut
pas être donné (concept non schématisable). Le progrès historique doit donc être pensé sur le
modèle de la pensée du vivant et de la beauté, notamment la beauté naturelle du paysage.
Dans le cas du vivant, la finalité renvoie à un usage logique, qui vise à la compréhension de l’objet
lui-même ; elle est nécessaire à l’élaboration du concept même d’organisme. Je suis obligé, pour
comprendre l’objet, de le penser sur le modèle de la finalité. Dans le cas de l’esthétique, la finalité
renvoie à la subjectivité du spectateur face à un phénomène qui de façon contingente correspond à
son attente, produisant un plaisir dont la source est formelle, liée à l’ordre apparent du phénomène,
non à sa matérialité. Tout se passe comme si le monde avait été constitué en vue d’une totalité
rationnelle, harmonieuse : effet de finalité sans fin (dont on ne peut dire exactement ce qu’elle vise).
Surcroît de beauté par rapport à l’exigence mécanique, qui me ravit (idem pour l’unité systématique
de l’objet de la science du vivant, en excès par rapport aux exigences des catégories). Renaut aborde
l’idée de finalité historique selon une perspective esthétique : s’en réfère au passage du Conflit des
Facultés, II, 6 (sympathie pour la Révolution française qui manifeste une tendance de l’espèce
humaine au progrès ; parallèle établi par R avec le plaisir esthétique que produit une belle œuvre).
Le texte auquel R fait allusion est complexe : Kant affirme qu’il n’y a pas de possibilité de
connaître l’existence des actions libres dans l’histoire ; on ne peut donc mesurer phénoménalement
le progrès de la liberté dans l’histoire. En revanche on peut connaître celui des actions conformes à
l’universel, i.e. conformes à un droit universel : on peut donc au moins juger du progrès de la
rationalité du droit, qui n’est pas une preuve mais une trace possible de la liberté. L’idée d’une
histoire universelle est précisément une idée, et non pas une connaissance. En ce sens, la Révolution
française est une trace possible d’un progrès du droit rationnel dans l’histoire. Mais dans le Conflit
des Facultés, reconnaît aussi que c’est aussi une succession d’horreurs ; ce qui lui paraît la trace la
plus intéressante de l’universel dans l’histoire, c’est qu’elle a été pour le monde entier sujet de
ravissement. Et l’universalité de ce ravissement fait signe, plus encore que la Révolution elle-même,
vers la présence de la rationalité dans l’histoire : présence d’un intérêt désintéressé. Des hommes
extérieurs à la Révolution ont pourtant manifesté un enthousiasme extrême et donc désintéressé :
trace la plus conséquente de la liberté dans l’histoire.
La perspective esthétique consiste à comparer la République comme belle œuvre, introduction
d’une certaine beauté dans l’histoire que rien ne nécessitait au regard du calcul mécanique des
intérêts.

Autre ligne interprétative, suivie cette fois par Meillassoux : finalité logique, objective. Kant dans la
Critique de la faculté de juger opère un parallèle explicite entre le vivant et l’organisation sociale et
politique produite par la Révolution. L’antinomie du jugement téléologique vise à légitimer sous
certaines conditions l’usage logique de la finalité, sans déroger pour autant à la validité universelle
du mécanisme. Cette antinomie s’appuie donc sur l’opposition de certains faits de finalité avec la
prescription d’un mécanisme universel. Pour lever l’antinomie, considérer mécanisme et finalisme
comme méthodes de recherche, et non comme propriétés effectives des choses mêmes. Ne pas
réifier ces concepts en ontologies exclusives, mais les concilier à titre de points de vue dont il s’agit
de préciser les conditions d’usage. La thèse de Kant consiste à cet égard à maintenir l’universelle
validité du mécanisme, démontrée par la Critique de la raison pure, mais à ajouter à ce point de vue
de la connaissance celui de la réflexion, que légitime notamment l’existence de certains faits qui ne
peuvent être entièrement compris par le seul mécanisme, dont la compréhension exige également la
notion de finalité, aussi bien le vivant que le progrès historique. Or le vivant nous présente dans
l’expérience un fait qui à la fois ne peut être connu qu’à l’aide de la causalité mécanique, et en
même temps paraît relever d’une organisation, i.e. subordination des parties à une totalité qui
semble être le principe de l’agencement. Relève donc d’une finalité qui n’est que point de vue du
sujet sur l’objet, réflexion et non pas connaissance. Je ne peux étudier l’œil s’il n’est pas étudié au
regard de sa fonction ; c’est seulement s’il est fait pour voir que je le soumettrai aux théories
physiques adéquates, i.e. celles qui relèvent de l’optique. Je ne peux comprendre un organisme sans
référer ces organes à leur fonction, et pourtant je ne peux absolument pas via les concepts de la
connaissance (causalité mécanique) introduire quelque chose comme une fonction. Elle n’est qu’un
point de vue, non une propriété ontologique, voire même phénoménale en général. Cette finalité
interdit non seulement de penser le vivant par rapport à la causalité mécanique, mais fait également
échouer la pensée de la causalité intentionnelle ; paradoxalement le mécaniste soumet le vivant à
une causalité intentionnelle, i.e. comme une machine qui suppose nécessairement un auteur. Mais
dans un être vivant, au contraire d’une machine, les parties n’existent pas seulement pour les autres,
mais aussi par les autres. C’est pourquoi un vivant peut se réparer ou croître par lui-même car dans
l’expérience une subordination des parties à une totalité, ce qui n’est rien d’autre que la définition
même de l’idée de système. Cet analogon sensible du système se donne sous la forme d’un produit
organisé dans lequel tout est à la fois fin et moyen, tout se passant comme si le donné se
subordonnait effectivement de lui-même à une finalité interne. Or la subordination dans l’histoire
des actions humaines à un progrès de la liberté peut être comprise de façon analogue. S’agissait
d’abord de se donner une trace possible de l’idée de liberté dans le phénomène. De même que la
nature ne peut être connue que par une causalité mécanique, l’histoire n’offre que des actions
réductible à l’intérêt des individus selon une causalité psychologique : forme d’un champ de bataille
réductible aux motifs sensibles de chacun, et dénué de toute finalité morale. Si des lois peuvent être
proposée elles se bornent à la sensibilité et à l’égoïsme des animaux humains : elles sont inhérentes
à leur nature. Reste à déterminer si rien d’autre ne peut être réfléchi par l’historien. La trace d’une
telle intention, sa représentation partielle, son symbole, peut du moins nous être offerte par le biais
d’actions conformes à l’universel, les actions que Kant nomme « légales ». Le droit est la trace
possible de la liberté dans le phénomène, et le progrès du droit dans l’histoire est le signe d’une
subordination des actions humaines à l’idée pratique de règne des fins. Le droit se réfère en effet à
une systématicité qui peut être donnée dans l’expérience, régime républicain : organisation d’une
communauté, donc d’une multiplicité donnée, selon l’idée d’une totalité organisée via un principe
rationnel. On peut donc dire que le progrès des nations républicaines (≠ démocratiques) dans
l’histoire et celui de leur organisation commune dans une société des nations non régie par la guerre
offre ainsi l’idée d’un symbole possible de la liberté dans l’histoire phénoménale.
Or la révolution française offre précisément la représentation sensible d’un fait de finalité analogue
au vivant : peuple qui s’organise sous l’idée d’un État dans lequel chacun doit être considéré à la
fois comme fin et comme moyen. D’où note du § 65 de la Critique de la faculté de juger, où Kant
qui rejette l’analogie vivant/machine, légitime celle du vivant et du peuple français venant
d’accéder à l’idée républicaine d’organisation. Même s’il ne peut être considéré comme
manifestation réelle de la liberté, il est cependant manifestation sensible, trace possible de l’idée
pratique du règne des fins : systématicité qui n’est pas machinique. Les individus ne sont pas les
rouages d’une totalité, dans une république, mais la liberté de chacun est assurée par l’existence de
cette organisation sociale rationnelle.
C’est la finalité objective, plutôt que la finalité esthétique, qui régit le rapport de Kant à la
Révolution française (d’ailleurs la seconde option engagerait un plaisir seulement désintéressé ; or
c’est l’existence même de la révolution, pas une fiction, qui émeut les peuples).
Certains faits échappent simplement à l’idée d’une conjonction de calculs ou d’intérêts (de même
pour l’organisme) : on a affaire à une totalité, à un système. Mais encore une fois, la totalité n’est
pas machinique. Il en résulte la nécessité d’une conception de l’histoire capable d’orienter la nature
vers l’avènement d’une liberté en l’homme. Concilier la nature et le fait de finalité de la Révolution
ou du progrès du droit, va passer par la tentative de penser la nature même comme susceptible de
favoriser en l’homme sa disposition à la liberté. Qu’est-ce qui dans la nature a pu favoriser la
discipline des penchants et le raffinement des mœurs, ce qui a pu conduire le progrès à une culture
capable à son tour de favoriser l’accès à une volonté libre. C’est ce que Kant entreprend aux §§ 83
et 84 de la Critique de la faculté de juger, paragraphes qui sont l’enchâssement de deux jugements
réfléchissants : le premier, mené dans le § 83, « De la fin dernière de la nature », montre qu’on peut
penser une ruse de la nature consistant dans le processus suivant : le conflit des intérêts pousse les
hommes à une guerre permanente dont ils ne peuvent s’échapper que par la constitution d’une
société civile, règne d’une contrainte légale par laquelle les hommes en viennent à développer leur
intelligence et dominer leurs penchants. Permet de penser l’homme comme s’il était la fin dernière
de la nature, i.e. la créature destinée par celle-ci à accroître indéfiniment la maîtrise de cette même
nature, maîtrise extérieure (technique) et intérieure (penchant). Premier jugement réfléchissant, pas
une connaissance : je ne connais pas la nature ainsi, mais je peux en penser l’unité, et en particulier
avec la liberté.
Mais le § 84, « Du but final de l’existence d’un monde, c’est-à-dire de la création elle-même »
articule à ce premier jugement réfléchissant un second jugement, « ruse de la liberté » selon Renaut.
Car le progrès naturel de la légalité en l’homme, parce que pensable comme simple effet des
penchants égoïstes de l’homme, favorise la capacité de l’homme de résister à ses penchants naturels
en général, en sorte d’accéder à une volonté réellement libre, i.e. déterminée par le seul universel de
la loi, le seul impératif catégorique. Nature pensée sur une double réflexion, donc. Il est alors
possible de penser la nature comme gouvernée non plus seulement par un projet naturel mais
providentiel, suprasensible, excédant le domaine d’une nature livrée à elle-même. D’où la légitimité
théorique d’une pensée de l’histoire selon un ordre finalisé par le progrès du droit et de la liberté, et
la légitimité pratique d’un espoir, actif, cette fois, engageant ma responsabilité d’acteur moral,
d’une continuation possible de l’émancipation politique et juridique.

Toute la difficulté sur cette notion était de prendre le progrès comme un problème majeur inhérent à
toute tentative de rationalisation historique. Antinomie entre d’une part une finalité à rejeter et
d’autre part l’impossibilité de nous dispenser de ce concept pour opérer cette même critique. Kant
s’arrête à une conception du progrès qui peut être pensé mais non pas connu, conception
problématique qui n’est pas garantie par la réalité.
Von Brücke, physiologiste du XIXe, cité dans Le cristal et la fumée : « La téléologie est comme une
femme sans qui le biologiste ne peut pas vivre mais dont il a honte d’être vu avec elle en public »
(mais on pourrait dire la même chose des hommes). Ce dont on ne peut se passer mais que l’on a
honte de théoriser comme condition même de théorisation de la notion, et en ce sens Kant est celui
qui est allé le plus loin dans la tentative de tenir ensemble la légitimité nécessaire de la notion et son
incapacité à produire une connaissance.
La recherche kantienne d'une éthique universelle, d'une morale pure débouche sur la nécessité de
donner sens à l'exercice de la liberté pratique, nom de la liberté considérée sous l'angle du seul agir.
Cette nécessité trouve son origine dans le "paradoxe de la méthode ", renversement copernicien au
niveau de la pratique. Dans les écrits pratiques Kant cherche à faire droit à une raison pure pratique
universellement méconnue et montre qu'avant lui il n'y a jamais eu de philosophie morale car jamais
n'a été cherché un Bien universellement valide. Les sagesses pratiques de l'antiquité, des morales
utilitaristes sont à considérées à la même enseigne que la métaphysique dogmatique, au sens où
elles sont toutes des morales eudémonismes faisant de la recherche du bonheur la fin et la vertu.
Or , dit Kant, définir le bien comme le but de nos désirs n' a rien à voir avec la moralité, ce bien-être
n'est toujours que le bon, relatif et particulier à chacun, dépendant de circonstances économiques et
culturelles. Pour que l'action soit bonne il faut que ma volonté obéisse à une règle objective
d'action, à un principe et non qu'elle soit orientée en vue de l'obtention de tel ou tel bénéfice ou
avantage. La nature conflictuelle de l'homme fait qu'il n'y a de moralité que par contrainte et
obligation, sous la forme d’un devoir contrariant l’ensemble de nos inclinations sensibles. Ce qui
garantit la bonté de l'acte, c'est l'obéissance à la loi morale par seul intérêt de la loi morale, le devoir
fait par devoir quoiqu'il nous en compte. Kant opère à un divorce entre vertu et bonheur.
L'obéissance à la loi morale peut me conduire au malheur. En fait, explique Kant, nous ne
souhaitons pas être heureux, nous demandons à être heureux proportionnellement à notre vertu.
C'est pourquoi, Kant définit la vertu comme ce qui nous rend digne du bonheur. Cette proportion
entre vertu et bonheur suppose un double postulat, Dieu et l'immortalité , c'est-à-dire, un au delà
dans lequel serait résolue la conflictualité du sein et du sollen.

Dans un monde moral, purement intelligible, un tel système du bonheur rendrait celui-ci
proportionnel à la moralité de chacun. Or comme nous devons espérer qu’un tel monde est le
résultat de notre conduite et que le monde sensible ne nous présente rien de tel, nous devons
admettre le monde intelligible comme celui d’une discussion, au titre des effets qu'il permet sur le
monde sensible. Il y a là une construction proprement philosophique malgré la dimension de
religiosité de la question « que m'est-il permis d'espérer ». En effet Kant ne nous invite pas à
contempler cet au-delà, pas plus qu'il ne cherche à nous délivrer de notre sensibilité. C'est
précisément parce que nous ne sommes pas doués d'une volonté sainte que le progrès moral a un
sens. L'idée d'un monde moral nous force à l'effort méritant et continu en vue d’approcher toujours
plus de l’accomplissement parfait de celui-ci. C'est parce que le monde moral est une idée que le
progrès moral peut être indéfini. C'est ce primat de la raison pratique qui préside à la résolution du
concept théorique et pratique de l'histoire et qui permet à Kant de passer d'un histoire entendue
comme expérience mutilée, discipline empirique à une Histoire, une histoire en soi ou histoire
universelle.

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