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Problème II : L’homme, être de désir peut-il être heureux ?

Contenus : Travail – Art – Imagination – Technique – Désir – Bonheur

Introduction

Si l’homme aujourd’hui peut se vanter d’être un être moderne, cela s’explique


par le fait que depuis l’homme primitif, les hommes ont progressé et évolué de
façon très notable. Mais toute marche vers le bien être c'est-à-dire vers le
bonheur ne peut se faire sans efforts. Ce sont donc les activités humaines
pratiques et intellectuelles qui ont permis à l’humanité de se rapprocher
véritablement du bonheur. Cependant, ces activités ont aussi et surtout leurs
côtés néfastes d’où leur ambivalence. Ce qui nous conduit à l’interrogation
suivante : L’homme être de désir peut-il être heureux ?

I. Le rapport du désir aux activités humaines

En tant que force de conquête et de plénitude, le désir motive l’homme à aller


toujours de l’avant. En effet, si le désir est manque, il est aussi production des
phantasmes et c’est ce qui fait aux yeux des contemporains une valeur et une
source de progrès. Cette soif perpétuelle de la possession nous prouve que
l’homme est toujours en quête avec l’idée d’obtenir mieux que ce qu’il a en sa
possession.

Le désir entretient donc des rapports avec les activités humaines. Ainsi au
niveau de l’imagination, soulignons que le désir s’accompagne souvent de toute
une construction imaginaire qui cristallise autour de la représentation de l’objet
désiré toutes sortes d’avantages ou de plaisirs espérés. De la sorte, le désir
stimule notre imagination créatrice et devient ainsi source de connaissance et de
progrès.

Loin de le considérer seulement comme une tension irrationnelle, le désir est un


élan productif et créateur. Il s’agit d’une puissance positive et dynamique qui
oriente notre marche vers une existence pleinement humaine. On peut alors dire
que le désir justement parce qu’il est vécu sous le mode de manque et
d’insatiabilité confère à l’homme l’activité et la production du réel en le rendant
imaginatif. Et le sujet qui désire emploie toute son énergie à la satisfaction de
son désir. C’est à comprendre que le désir n’est pas purement négatif. On a donc
raison de croire que l’insatiabilité liée au désir est souvent source de motivation,
un stimulus qui nous pousse au travail.

II. Rapport technique-travail


II.1 Approches définitionnelles

a) Le travail

Le travail est une activité physique et / ou intellectuelle exercée par l’homme en


vue de satisfaire ses besoins. La particularité de cette activité est qu’elle est
surtout pénible. En effet, selon son étymologie latine tripalium qui désigne un
instrument de torture et de souffrance, le travail renvoie à l’idée de peine et
d’efforts à fournir.

b) La technique

Du grec techné, la technique désignait à l’origine l’action de fabriquer de


produire de construire. La technique désigne donc un savoir faire pratique c'est-
à-dire acquis par l’apprentissage. Aujourd’hui, la technique désigne un ensemble
de procédés permettant de réaliser un but ou des fins utiles. Elle peut se définir
aussi comme l’application pratique des données de la science.

II.2 La technique, facteur de perfectionnement du travail

En fournissant de puissants moyens pour agir sur la nature, la technique rend le


travail humain plus efficace. L’homme par sa technique transforme efficacement
la nature pour satisfaire ses besoins. Il s’affranchit ou se libère ainsi des
déterminismes naturels. Par ailleurs grâce aux moyens techniques notamment
l’utilisation des machines, le temps de travail et la fatigue de l’homme se
trouvent réduits. Il peut ainsi bénéficier de temps de plus en plus long de loisir.

En créant l’outil simple puis la machine, l’homme perfectionne et augmente sa


puissance d’action sur la nature. En revanche le travail conditionne le
développement ou le progrès technique en ce sens que c’est par le travail que
toutes les facultés créatrices, imaginatives se développent permettant à l’homme
d’inventer tous les moyens matériels qui améliorent sans cesse son existence.

Comme on le voit, le travail et la technique sont très liés. Sans activité il ne


saurait y avoir technique et sans technique il ne saurait y avoir progrès,
amélioration dans une activité.

III. Procès du travail et de la technique

III.1 Le travail comme source d’aliénation


Le travail est une activité pénible et contraignant parce qu’il exige de nous des
efforts. D’ailleurs, selon l’étymologie, le travail renvoie à un instrument à trois
pieds qui sert à immobiliser les animaux afin de pratiquer sur eux certaines
opérations. C’est pourquoi originairement, travailler signifie faire souffrir,
tourmenter, torturer.

Le travail apparait donc comme une contrainte et une entrave à la liberté


humaine. C’est ce qui explique dans l’antiquité le mépris des grecs pour cette
activité. Ils considéraient le travail comme une activité pénible qui assujettit
l’homme à la nature. A ce niveau Platon écrit que « Tout ce qui est artisanal et
manœuvrier porte honte et déforme le corps en même temps que l’âme ». Le
travail est donc perçu comme le signe d’une punition voire une malédiction.

Cette même conception du travail se retrouve dans la tradition judéo-chrétienne


qui considère le travail comme une malédiction divine suite au péché originel.
En effet, dans la Bible Dieu dit à Eve « Je rendrai difficile tes grossesses et tu
enfanteras dans la douleur », et à Adam « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton
front ».

Le travail a aussi un facteur déshumanisant. Etre déshumanisé, c’est perdre un


tant soit peu sa qualité d’homme en travaillant dans des conditions inhumaines,
dégradantes et avilissantes pour l’être humain. C’est le cas par exemple de
l’esclavage, du travail forcé et de la prostitution. Un autre aspect aliénant du
travail se perçoit dans l’avènement du machinisme qui n’a fait qu’accroitre la
souffrance de l’homme dans le monde du travail.

Selon Karl Marx, le travail se retrouve dans un univers mécanique où il est


entièrement sacrifié à la machine. Il est obligé de se comporter au rythme de la
machine. Cette robotisation va entrainer à la longue l’érosion de l’intelligence de
l’ouvrier puisqu’il est contraint d’accomplir une tâche pour laquelle il n’a pas
besoin de réfléchir. C’est ce qui amène Marx à blâmer cette forme de travail
c'est-à-dire la spécialisation des tâches qu’il appelle la division du travail. Il
écrit alors que « Le travail aliéné est sacrifice de soi, mortification ».

Enfin, les moyens techniques associés au travail sont à l’origine d’énormes


problèmes qui menacent l’humanité. D’abord, nous sommes confrontés à des
problèmes d’ordre écologique qui risquent à long terme la disparition totale du
milieu naturel, condition de toute vie humaine. Ensuite, nous avons des
problèmes d’ordre éthique en ce sens que les moyens techno-scientifiques mis
en œuvre détournent de plus en plus l’homme de toute vie spirituelle et morale.
Le couple travail-technique engendre donc la disparition des valeurs morales et
spirituelles que sont le sens du bien, de la vérité, de la justice, de la vertu, etc.
Valeurs sans lesquelles l’homme perd toute trace d’humanité. C’est dans ce
contexte qu’il faut comprendre cette pensée de Gandhi « Les chemins de fer ont
accentué les mauvais côtés de la nature humaine. Les méchants peuvent
accomplir leurs mauvais desseins avec plus de rapidité ».

En somme, le couple technique-travail apparait comme un facteur d’aliénation


pour l’homme. Cependant, le travail ne peut-il pas contribuer au bonheur de
l’homme ?

III.2 Le travail comme facteur de liberté

Contrairement à ce que pensaient les anciens grecs, le travail est loin d’être un
facteur d’aliénation et d’assujettissement. Le travail est plutôt un facteur
d’épanouissement en ce sens qu’il nous libère à la fois des contraintes naturelles
et sociales. En effet, au début de son histoire, l’homme était confronté aux
phénomènes naturels dont il ignorait tout. Mais par le canal du travail l’homme
va progressivement dompter la nature et jouir de ses fruits.

Le travail libère également des contraintes sociales parce que travailler est une
condition permettant à l’homme d’acquérir son indépendance socio matérielle et
financière. Le travail est donc un puissant moyen d’équilibre moral et
psychologique. A cet égard Voltaire nous apprend que : « Le travail nous
éloigne de trois grand maux : l’ennui, le vice et le besoin ».

Cet aspect libérateur du travail trouve un écho favorable dans la philosophie


hégélienne. Ainsi, dans sa célèbre dialectique du maitre et de l’esclave, Hegel
révèle le caractère essentiellement libérateur du travail. En effet, c’est par le
travail que l’esclave retrouve sa liberté et devient maitre du maitre tandis que le
maitre perd sa liberté et devient esclave par mépris du travail.

Il faut noter que par le travail, l’homme humanise le moi parce qu’il participe à
travers son activité à la construction de son pays et à l’épanouissement de sa
famille. Par ailleurs grâce aux moyens techno-scientifiques, le temps de travail
et la fatigue de l’homme se trouvent réduits. Il peut ainsi bénéficier de temps de
plus en plus long de loisir. Ce perfectionnement du travail contribue à l’édifice
de la société globale et à son épanouissement matériel.

Enfin, Freud dans une approche psychanalytique a révélé la valeur thérapeutique


du travail en montrant que le choix des métiers et des professions dans la société
n’est pas neutre. Ce choix en effet, obéit à une logique de sublimation. C’est en
ce sens qu’il écrit que : « La possibilité de transformer les composantes
narcissiques, agressives voire érotiques de la libido dans le travail donne à ce
dernier une valeur ».

Au total nous retiendrons qu’en dépit de son caractère pénible et harassant, force
est de reconnaitre que le travail est une condition nécessaire de notre
épanouissement. Qu’en est-il de l’art ?

IV. L’art dans la quête du bonheur

IV.1) Qu’est-ce que l’art ?

L’art, selon Lalande, peut se définir comme  « Toute production de la beauté par


les œuvres d’un être conscient ». A ce titre, l’art peut être appréhendé à plusieurs
niveaux : la cuisine, l’architecture, la danse, le cinéma, la littérature, la peinture,
la musique, le dessin, la couture, le sport, etc. Mais l’art peut aussi se définir
comme un savoir faire ou une habileté technique.

IV.2) L’inutilité de l’art

L’œuvre d’art n’est rien d’autre qu’une représentation des phénomènes naturels.
C’est dire que l’artiste n’invente rien, ne crée rien. Autrement dit, tout l’effort de
l’artiste ne consiste qu’à reproduire habilement ce qui existe déjà dans la nature.
Son travail ne manifeste ainsi aucun signe de génie et ne sert qu’à amuser les
foules ou à encourager l’exhibitionnisme des riches.

Ces préjugés à l’égard de l’art remontent à la philosophie antique où Platon ne


cache nullement son mépris pour les artistes. Il considère l’œuvre d’art comme
une pale copie des réalités sensibles. C’est en ce sens qu’il affirme que « L’art
d’imiter est donc bien éloigné du vrai, il ne touche qu’une partie des choses et
cette partie n’est que fantôme ». Ainsi, pour Platon, l’artiste en nous charmant
par de simples apparences sensibles, sacrifie la vérité au profit du mensonge et
du plaisir sensuel car l’œuvre d’art vient au troisième rang dans l’ordre des
réalités. C’est pourquoi Platon considère les artistes comme des hommes
dangereux et demande qu’ils soient chassés de la cité.

Ainsi l’œuvre d’art apparait comme un objet de divertissement, une entreprise


ludique ayant une fonction purement décorative.

IV.3) La valeur de l’art


Un regard profond sur l’activité de l’artiste nous révèle que l’art participe au
progrès socio-économique des populations. Aussi il est un instrument non
négligeable d’éveil des consciences. En effet, à travers ses œuvres (littérature,
danse, musique, peinture, etc.) l’artiste dénonce les tares de la société et propose
ders solution susceptibles de produire des changements de mentalité.

De même l’artiste qui travail avec sérieux vit de son art. Ce faisant, il participe
au progrès économique de son pays. N’oublions pas que dans la perspective
psychanalytique l’art est un moyen qu’utilise l’artiste pour satisfaire ses désirs
interdits par la société. Ainsi,  à travers l’art, l’artiste sublime ses désirs inavoués
et inavouables.

Nous pouvons retenir que loin d’être une activité futile, l’art participe au progrès
de la société et à l’épanouissement de l’individu.

V. L’imagination et la question du bonheur humain

V.1) Définition de l’imagination

Le mot imagination vient du latin imago qui signifie vision, représentation et


deimitare qui veut dire imiter. L’imagination est donc une imitation de la réalité
par images interposées ou plus précisément la représentation en image des
choses en leur absence. C’est pourquoi Kant définit l’imagination comme « Le
pouvoir de se représenter par intuition un objet même à son absence ».

A ce niveau on distingue deux types d’imagination : -l’imagination


reproductrice : elle est la faculté de se représenter le passé sous ses formes
concrètes analogues à la sensation. Elle est donc provoquée par une donnée
perceptible. Autrement dit, pour imaginer il faut antérieurement avoir perçu un
objet que par la suite on se représente sous forme abstraite.

-l’imagination créatrice : elle est la faculté de combiner des images de la


réalité pour produire des réalités nouvelles ou qui dépassent même la réalité.
Elle est donc fondamentalement invention et création.

V.2) Condamnation de l’imagination

L’imagination est rejetée par certains philosophes parce qu’elle éloigne


l’homme du réel, du monde concret. En effet, pour Platon, l’imagination relève
de l’opinion, de la doxa. En ce sens elle est très loin de la raison qui seule peut
nous permettre de connaitre la vérité.
Pour Descartes également l’imagination relève du corps et par conséquent des
préjugés, des désirs et passions. Des lors pour les philosophes rationalistes,
l’imagination est une entrave à la connaissance objective des choses. C’est
pourquoi Blaise Pascal écrit que « L’imagination est maîtresse d’erreur et de
fausseté ».

V.3) La valorisation de l’imagination

Chez les romanciers et les littéraires en général, l’imagination est un puissant


instrument au service du rêve et de l’idéal. En effet, l’homme exerce à partir de
son imagination sa liberté de créativité et de penser. C’est dire que rien ne peut
s’opposer à la faculté d’imaginer c’est à  dire de créer un monde propre à travers
lequel il surmonte les difficultés existentielles : l’injustice, la mort, l’espace et le
temps, etc.

De même la fécondité de l’imagination se retrouve dans l’élaboration des


concepts scientifiques. En effet, le savant après avoir observé le fait scientifique
imagine l’hypothèse susceptible d’en donner une explication. C’est donc grâce à
l’imagination que le savant passe du réel au possible, de l’hypothèse à sa
vérification en établissant des rapports nécessaires entre les phénomènes.

Au niveau psychologique, l’imagination apparait comme une véritable puissance


dynamique, créatrice et organisatrice. Grace à elle, l’homme n’est plus
prisonnier du monde et il peut échapper à l’angoisse existentielle. C’est par
exemple le cas du rêve en tant que moment absolu de liberté et de jouissance.
C’est en ce sens que Davide Hume affirme que « Rien n’est plus libre que
l’imagination humain ». Nous pouvons donc en déduire que l’imagination
participe amplement au bonheur de l’homme.

Conclusion partielle

A bien des égards, le bonheur tant recherché par l’homme apparait come une
illusion tant le désir qui caractérise l’homme lui est incompatible et le travail qui
devrait le rendre effectif est lui-même source de souffrance, voire d’aliénation.
Pouvons-nous en déduire que l’homme ne sera jamais heureux ? Une telle
attitude n’est-elle pas pessimiste voire défaitiste ?

Conclusion générale

L’histoire de l’humanité s’inscrit dans une dynamique de progrès qui implique


le développement et une amélioration de la condition humaine à tous les
niveaux. Cependant, nous remarquons que le progrès n’est pas toujours
compatible avec le bonheur. Il existe donc un paradoxe entre la nature désireuse
de l’homme et son aspiration au bonheur. Il appartient donc à l’homme en tant
qu’un être de conscience de savoir raison garder afin de faire la différence entre
ce qui est nécessaire pour sa vie et ce qui ne l’est pas. La réflexion sur le sens de
la vérité ne peut elle pas nous aider dans cette tâche ?

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