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LE TRAVAIL

I - INTRODUCTION

En 1841, la discussion de la loi sur le travail des enfants, la première "loi sociale" que nous
ayons eue en France, révéla que des enfants de six ans travaillaient jusqu'à douze heures par jour
dans les usines. Mais le scandale de l'exploitation des enfants, et d'ailleurs aussi celle des adultes
(hommes ou femmes) par le travail, n'est pas le seul problème que rencontre celui qui s'avise de
réfléchir sur le travail ; il doit aussi en venir à se demander quelle est la valeur du travail.

Avant de tenter d'éclaircir ces questions, il nous paraît nécessaire de se demander en quoi
consiste exactement le travail.

II - DÉFINITION DU TRAVAIL

Le terme travail dérive probablement du bas-latin tripalium, mot désignant à la fois un


instrument de torture composé de trois pieux et un destiné à maintenir les bœufs et les chevaux
pour les ferrer. Mais qu'est-ce qui caractérise le travail humain ? Peut-on dire qu'un animal travaille ?
Le penseur K. Marx (1818-1883) dans son ouvrage Le capital (I, 3 e section, chapitre 7) va nous
permettre d'y répondre de la manière suivante :

- Le travail est une activité contraignante par laquelle l'homme transforme la nature.

- Cette activité est spécifiquement humaine dans la mesure où elle est consciente : l'homme travaille
pour réaliser un projet qu'il a dans l'esprit et il ne peut réaliser ce projet que dans la mesure où il en
a conscience. Chez l'araignée ou l'abeille, ce n'est pas le cas et c'est en cela que le travail humain
s'oppose à ce genre d'activité animale. Le projet que l'homme veut réaliser (par exemple récolter du
blé), oblige ce dernier à s'astreindre à employer des moyens définis (outils, machines et méthodes
pour labourer, semer, récolter), mais aussi à soutenir l'effort de ses facultés psychiques (attention,
volonté) et de son corps. En cela, le travail est contraignant et donc moins attrayant que le jeu ou le
loisir auquel on l'oppose.

Maintenant que nous savons en quoi consiste le travail, nous pouvons aborder les problèmes
qui sont liés à son organisation sociale. Nous laisserons de côté celui de la division technique du
travail que nous avons déjà abordé ainsi que celui de l'aliénation pour nous concentrer sur celui de
l'exploitation.

III - LA VALEUR DU TRAVAIL

C'est un des points sur lequel les philosophes n'ont pas encore réussi à tomber d'accord.
Pour Rousseau (1712-1778) par exemple, le travail est contre nature.

« Il est inconcevable à quel point l’homme est naturellement paresseux. On dirait qu’il ne vit que
pour dormir, végéter, rester immobile ; à peine peut-il se résoudre à se donner les mouvements
nécessaires pour s’empêcher de mourir faim. » Essai sur l’origine des langues

Si l'on considère que l'homme est oisif par nature, on comprend que le travail soit considéré
comme une nécessité pénible, voire une malédiction : n'est-ce pas là d'ailleurs le sens de la punition
divine, consécutive au péché originel ? "Maudit soit le sol à cause de toi ! Dans la peine tu t'en

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nourriras tous les jours de ta vie. [...] C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain" (Genèse
chap. 3), déclare Dieu à Adam.

En prolongeant ces réflexions, on en vient à affirmer que le travail étant une triste nécessité
qui a comme seul avantage de satisfaire les besoins humains, le progrès dans ce domaine consiste à
réduire au fur et à mesure, le temps de travail, autant que le permet le machinisme, pour réaliser
idéalement une civilisation de loisir.

Cependant, cette vision des choses nous paraît fausse. Tout d'abord l'interprétation qui voit
dans le travail une malédiction est une erreur, car après avoir créé l'homme à son image, Dieu "prit
l'homme et l'installa dans le jardin d’Éden pour le cultiver et pour le garder" (Genèse chap. 2). Or, à
ce moment l'harmonie entre l'homme et Dieu n'est pas encore brisée par la désobéissance de
l'homme. Ainsi, c'est la "peine", la "sueur", inhérentes au travail qui est une malédiction et non le
travail lui-même.

Nous allons voir que pour un certain nombre d'autres philosophes, et notamment Kant
(1724-1804), le travail est une activité d'une grande valeur.

Kant affirme en effet dans ses Réflexions sur l'éducation (1776) la positivité du travail pour
trois raisons : la Providence en obligeant l'homme à travailler pour assurer sa subsistance, va par le
fait même donner à l'homme la possibilité de développer ses facultés, de progresser, chose
impossible si l'homme n'eut pas été placé devant la nécessité. La seconde raison que l'on trouve déjà
dans Le Candide de Voltaire (1694-1778), est que le travail permet à l'homme d'échapper à l'ennui.
Enfin, pour Kant le repos le meilleur et que l'homme peut goûter le plus, est celui qui suit le travail.

On peut dire qu'une majorité de philosophes ont affirmé la positivité du travail jusqu'aux
psychologues contemporains. Pierre Janet (1859-1947) déclare par exemple : "Bien des faits
psychologiques dépendent de cette notion fondamentale du travail : l'attention volontaire, bien
différente de l'attention spontanée ; la patience pour supporter l'attente, l'ennui, la fatigue ;
l'initiative, la persévérance, l'unité de la vie, la cohérence des actes et des caractères, toutes choses
qui ne sont pas seulement des vertus, mais des fonctions psychologiques supérieures". On s'explique
ainsi sans peine la valeur moralisatrice du travail : le travail a des exigences psychologiques qui sont
très proches des exigences morales et l'on ne s'étonne plus dès lors que Voltaire ait pu déclarer :
"Forcez les hommes au travail : vous les rendrez honnêtes gens". Tandis que l'oisiveté que ce soit
celle du riche oisif (fainéant) des hautes classes, ou celle du misérable clochard incapable de
s'adapter à un travail soutenu, s'accompagne souvent d'insuffisances morales et psychologiques
regrettables.

V - CONCLUSION

Notre réflexion sur la valeur du travail et ses conclusions, peuvent nous permettre de
déterminer dans quelle direction il convient de tenter de résoudre les problèmes liés à l'organisation
sociale du travail, notamment ceux de l'aliénation (que nous n'avons pu examiner) : ce n'est pas par
une robotisation à outrance qui peu à peu devrait permettre à l'homme de vivre une vie entière de
loisir que passe selon nous l'avenir de l'humanité (les mœurs des riches désœuvrés nous en
avertissent) : nous serions alors dans une société d'individus blasés, veules et égoïstes. Nous croyons
au contraire, que l'homme devra continuer à travailler ne serait-ce qu'à cause du bénéfice
psychologique qu'il retire d'une telle activité et qu'aucun loisir ne peut apporter. En revanche, il est
impératif que l'homme contemporain oriente une bonne part de son esprit d'invention vers une
harmonisation entre les capacités des travailleurs et ses conditions de travail, car de plus en plus
souvent, l'appât du gain et le machinisme privent l'homme de son métier ou alors lui fournissent un
travail qui n'en est plus un.

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