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Le travail philosophie

Comment définir le travail ?


Le travail vient du mot latin populaire tripaliare qui signifie « tourmenter, torturer avec le trepalium » (qui est un outil
de torture). Ca donne le ton.
Le travail est donc vraiment envisagé comme une activité de souffrance, qui tourmente l'homme, et qu'on peut
distinguer en trois phases :
 L'action de transformer un objet (ex = le travail de la pierre)
 Le résultat de cette action (ex = voilà mon travail que je viens de rendre à mon prof)
 La profession que j'exerce (ex = je suis prof)
La première distinction qu'il faut connaître est donc bien celle de la violence VS l'épanouissement. Est-ce que le travail
aliène les travailleurs ? Est-ce que le travail humain nuit à la nature (ex = agriculture intensive ?)
Ou au contraire, est-ce qu'on ne peut pas aller plus loin et se dire que le travail peut être fécond et source
d'épanouissement ? Quand je travaille, je crée souvent quelque chose. Je peux m'épanouir, user de ma capacité de
réflexion, et être productif. Je peux même « travailler » mon humanité, en développant des compétences ou encore en
alimentant mon caractère sociable.

Déjà, est-ce que le travail est une forme de punition ?


Un petit peu, du moins selon certains récits mythiques et religieux ! L'idée générale = le travail est nécessaire puisqu'il
nous permet d'expier notre condition de pécheur. C'est une forme d'injustice de l'homme mais par laquelle on doit
forcément passer pour jouer notre rôle.
C'est la punition que l'homme reçoit après avoir commis le péché originel décrit dans la Genèse (Ancien Testament) : «
C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras ton pain ». Tu vas devoir travailler la terre pour expier ton péché. Le
travail pénible n'apporte rien. Mais il faut en passer par là. Tu seras contraint par des horaires, tu perdras du temps, tu
gagneras un maigre salaire qui servira simplement à couvrir tes besoins.
Bref, joli programme. (On verra plus loin que le travail est plus positif que ça, même dans la Bible !)
Le travail serait donc une forme de malédiction - et d'ailleurs, Aristote nous invite à distinguer la vie oisive de la vie du
travailleur. Le travailleur/l'esclave ne serait pas noble, loin de là : il est juste là pour produire les éléments dont la
collectivité a besoin. Il est en bas de l'échelle.
A l'inverse, la vie oisive, contemplative, autour de l'écriture, de la lecture et des loisirs, est valorisée à cette époque.

Et comment ça se traduit, concrètement?


Je sais qu'il faut que je parle de Marx
Eh oui, c'est une des références importantes pour le travail comme aliénation !
Karl Marx - dans ses Manuscrits de 1844 - s'attaque au travail « forcé » de l'ouvrier des usines. Ce travail-là est
totalement décorrélé des volontés profondes de l'ouvrier, et ne l'aide absolument pas à se sortir de sa condition. Au
contraire même : ce travail est aliénant, l'empêche d'avoir une conscience de soi. Et pourquoi ?
 Car le travail est extérieur à l'ouvrier : il ne lui correspond pas, et donc, dans son quotidien, il ne se sent pas
à l'aise et ne s'épanouit pas, ni physiquement, ni intellectuellement
 Au travail, il ne se sent pas lui-même : ce n'est que chez lui qu'il pourra retrouver son autonomie et sa liberté
 Le travail à l'usine rend l'homme bestial : il le fait pour subvenir à des besoins animaux, uniquement dans la
fin de pouvoir manger, boire ou procréer. Plus de liberté, d'autonomie, d'initiative individuelle : l'ouvrier est
aliéné.
Dans Le Capital (1867), il va encore plus loin : il explique que les capitalistes (ceux qui possèdent les moyens de
production, donc les machines et les usines) exploitent profondément les ouvriers. Ces ouvriers louent leurs bras, leur
énergie, leur temps pour un salaire inférieur à la valeur de ce qu'ils vont produire. Pour tout cela, le travail ouvrier est
une exploitation, où l'homme est « perdant » dans son travail.

Pour autant, est-ce que le travail nous apporte quelque chose ?


En termes de salaire, oui, en général (sinon c'est davantage de l'esclavage). Mais certains pensent que le travail est
aussi formateur intellectuellement : il éduquerait l'homme pour l'aider à contrôler
ses
penchants et ses passions.
C'est la vision de Saint Paul dans Epitre aux Thessaloniens. Il explique, dans ce passage du Nouveau Testament, que le
travail a une valeur morale : nous travaillons pour ne pas être à la charge des autres
Hegel va plus loin dans sa Philosophie de l'esprit (1830) : il nous parle de la dialectique du maître et de l'esclave.
L'esclave travaille pour son maître, et donc dans l'intérêt de celui-ci. Et c'est bien le fait qu'il travaille pour quelqu'un
d'autre qui le situe plus haut que l'égoïsme du maître : il est finalement « meilleur » que lui, et c'est en prenant
conscience de cet état de fait qu'il deviendra libre. Le maître, lui, est seul et isolé. Il est enfermé dans son rôle, alors
que les esclaves sont solidaires, des formes d'alter ego qui peuvent être fiers du travail qu'ils ont accompli.
Si on ne fait pas l'expérience de cette discipline difficile et de cette soumission, selon Hegel, on ne pourra pas devenir
libres ou raisonnables.
En gros, il s'agit d'en passer par l'esclavage pour se doter d'une volonté puissante qui pourra nous aider à mettre un
terme à notre condition et à notre aliénation. C'est un mal nécessaire pour un bien, en fait !

Concrètement, je manque donc quelque chose si je ne travaille pas ?


On peut penser que oui.
Déjà, je joue un rôle dans la société en travaillant (ou je pense jouer un rôle, c'est ce que nous verrons plus tard). Un
des principaux griefs des chômeurs ou encore des parents au foyer est justement de ne pas jouer « un rôle » social,
d'avoir l'impression d'être inutile et de ne pas savoir quoi répondre quand on leur demande « ce qu'ils font dans la vie
».
Le travail est donc à plusieurs titres un aspect crucial de nos sociétés contemporaines
 Chaque personne est catégorisée par sa situation socioprofessionnelle : cadre supérieur, CSP+, ouvrier,
agriculteur ou encore fonctionnaire, nous sommes par là-même classifiés par l'administration comme étant
tout d'abord des forces actives, travaillant.
 Il permet d'occuper un rôle, d'avoir un statut social : en témoignent les publications Linkedin où chacun, sur
ce réseau social, valorise ses performances personnelles comme professionnelles
 Il nous permet d'acquérir une forme de légitimité par rapport au reste du monde : « si tu n'as pas travaillé, tu
ne sais pas ce que c'est que la vraie vie » est un reproche courant fait aux politiques, ou encore aux jeunes !

Ok, mais est-ce que ce n'est pas une illusion ?


Je tenais vraiment à vous parler de David Graeber, auteur de Bullshit Jobs, qui apporte une analyse originale que je
vous conseille de connaître ! Je vous préviens, elle est assez radicale.
Sa théorie, qui s'appuie sur des années d'enquête sur le terrain et d'entretiens avec des travailleurs :
 On assiste à une tertiairisation de l'économie = de moins en moins d'agriculteurs, d'industriels ou d'ouvriers,
mais de plus en plus de travail de bureau, occupé par des cadres.
 Et ce travail est marqué par une importante superficialité : « c'est comme si quelqu'un inventait tout un tas
d'emplois inutiles pour continuer à nous faire travailler » explique Graeber.
 Imaginons que les infirmiers ou éboueurs disparaissent : ce serait une catastrophe pour notre société. Mais
pour autant, si un marketeur, un financier ou un juriste disparaît, est-ce que c'est vraiment une catastrophe ?
 Et il apparaît que beaucoup de ces employés dits « inutiles » par Graeber sont conscients de la vacuité de
leur tâche. Ce qui peut créer un « brown-out » : le salarié ne comprend pas son travail et le but de ce qu'il fait.
Le but sous-jacent ? Faire de nous des bons petits employés, qui ne doivent pas avoir trop de temps libre, sinon on
s'engagerait politiquement et là, ce serait le désordre général.

Un peu déprimant tout ça, je veux terminer sur une note positive !
Le travail recèle de points positifs qu'il faut mettre dans vos copies aussi, si le sujet vous le permet :
 Le travail n'est pas qu'un labeur : c'est aussi un travail intellectuel parfois, un travail sur soi-même, comme
l'explique Freud quand il évoque le travail du deuil - une discipline difficile mais indispensable pour aller
mieux. C'est le travail au sens de discipline et de production féconde !
 Le travail forme l'être humain à être sociable, notamment avec la division des tâches : il demande à chacun
d'être capable de communiquer avec les autres, et donc de jouer son rôle d'être social.
C'est la conception de l'économiste Adam Smith, qui évoque la division du travail (répartition de l'ensemble
des tâches à accomplir au sein d'une société).
 Le travail comme créateur d'une oeuvre : c'est la vision d'Hannah Arendt dans Condition de l'homme
moderne. Elle distingue le labor - le fait de chaque jour, dépenser son énergie pour une activité rémunérée -
du travail de celui qui crée une oeuvre, ou un objet technique amené à durer. C'est le travail de l'artisan ou de
l'artiste, qui lui, libère l'homme.

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