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3. Travailler, est-ce souffrir ?

Mais cet idéal du travail n’est pas toujours réalisé dans les faits, loin de là. Certaines formes de
Quelle est la valeur du travail ? travail ne permettent pas cet épanouissement, cette satisfaction. Lorsque l’individu ne peut
imprimer sa marque dans ce qu’il fait, lorsqu’il n’a pas de marge de manœuvre et que son activité
est standardisée, il ne peut se reconnaître dans son activité. La division du travail, qui morcelle

1. Une notion abstraite qui recouvre de nombreuses réalités celui-ci en de multiples tâches, répétitives, indéfiniment recommencées, contribue à un

Quoi de commun entre un réparateur de motos, un électricien, un médecin, un juge, un appauvrissement de l’activité. C’est ce qui distingue l’ouvrier spécialisé de l’artisan. L’artisan est à

agriculteur, un ouvrier, une personne bénévole dans une association ? Leurs activités sont bien l’origine de son travail alors que l’ouvrier spécialisé est aliéné, dépossédé de lui-même et de son

différentes et pourtant tous travaillent. métier. Le travail se vit alors dans la pénibilité, la souffrance, la contrainte (Marx, p. 425 ; Weil, p.
426-427).

Comment alors définir le travail pour rendre compte de ces différentes réalités ? Quelle est Lorsque le travail fait souffrir, il est conçu comme une simple activité de subsistance, un

l’essence du travail ? Le travail se définit comme une action et une volonté de transformer le gagne-pain : un moyen au service d’une fin qui lui est extérieure (vivre ou se reposer pour

donné, la nature (Aristote, p. 264). Par son travail, l’homme montre qu’il n’est pas asservi à la reprendre des forces). Au contraire, lorsque le travail nous permet de prendre conscience de

nature, il crée lui-même les conditions de son existence. Il indique par là qu’il n’est pas seulement nous-mêmes, et d’accroître nos savoirs et nos savoir-faire, il est une fin en soi, et peut être aimé

un être naturel, mais aussi un être de culture. Le travail est donc par essence libérateur. pour lui-même, ou à tout le moins pour ce qu’il nous apporte.
Dans l’Antiquité, le travail est conçu comme une activité servile, qui ne convient pas aux

2. Le travail nous permet-il de prendre conscience de nous-mêmes ? hommes libres. Le travail est l’asservissement à la nécessité, c’est pourquoi on le réserve aux

Le réparateur de motos peut être fier de son travail car ses effets sont immédiatement visibles. Il esclaves. Dans une telle conception, le travail rapproche l’homme de l’animal. Les hommes libres,

prend conscience de son talent, de ses compétences. Dans le travail artisanal, comme dans le libérés de la nécessité de subvenir aux besoins de la vie, peuvent se consacrer au

travail artistique ou intellectuel, nous pouvons prendre conscience de nous-mêmes à travers nos perfectionnement de leur esprit : c’est le loisir, qui permet à l’homme d’être pleinement homme,

œuvres, et ressentir de la fierté. C’est pourquoi nous éprouvons parfois du plaisir, voire du d’atteindre son excellence (p. 40).

bonheur à travailler.
4. Faut-il travailler moins pour vivre mieux ?
On peut considérer que le travail est le propre de l’homme, car il implique toujours une part de Le travail est-il une malédiction dont il faudrait se défaire ? Si le travail nous asservit et
réflexion, de conceptualisation (Marx, p. 421). Le travail manuel est aussi un travail intellectuel : le nous aliène, il est tentant de s’en libérer, d’autant que le progrès technique semble rendre cette
réparateur doit diagnostiquer une panne et pour ce faire élaborer plusieurs hypothèses puis les perspective possible (Lafargue, p. 430, Russell,p. 432). La réduction du temps de travail a été une
éliminer une à une. conquête sociale, avec l’instauration des congés payés en 1936, elle est encore aujourd’hui un
enjeu politique (débats sur les trente-cinq heures). Faut-il partager le travail lorsque le plein-
Par son travail, l’homme prend conscience de lui-même comme sujet capable de transformer le emploi n’est plus possible ? Faut-il instaurer un revenu universel qui permettrait à chacun de
monde (Hegel, p. 420). Le travail suppose bien plus qu’une simple dépense d’énergie, il n’engage travailler, ou non ?
pas uniquement le corps mais aussi la volonté et la raison. Par les efforts qu’il induit, il nous hisse
au-dessus de nous-mêmes. Lorsque la qualité de notre travail est reconnue, lorsque nos efforts Travailler moins, pour quoi faire ? Quelles sont les autres activités qui pourraient se substituer au
sont fructueux, nous pouvons prendre plaisir à travailler. Notre métier peut nous valoriser et travail ? Et peut-on même imaginer une suppression totale du travail ? Serait-elle souhaitable
consolider notre identité (Davezies, p. 422 ; Dejours, p. 424). (Arendt, p. 433) ?

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