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Français-philosophie Méthodologie

CPGE scientifiques
Lycées Turgot et Léonard Limosin
année scolaire 2022-2023

Méthodologie de la dissertation

Sujet : « [le] travail constitue la meilleure des polices, [il] tient chacun en bride et s'entend
vigoureusement à entraver le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance. »

Friedrich NIETZSCHE, Aurore

Analyse du sujet :
- Cette affirmation péremptoire présente deux parties complémentaires, chacune s’attachant à
définir le travail de manière négative
- La première proposition crée l’analogie entre le travail et une « police » : il aurait ainsi un rôle
social, il garantirait le maintien de l’ordre, très efficacement, comme on peut le voir grâce au
superlatif
- La suite de la phrase explicite ce propos : pour maintenir l’ordre social, il faut d’abord priver
« chacun » de ce qui pourrait lui permettre de sortir du rang : sa « raison », ses « désirs », son
« goût de l’indépendance »
- Autrement dit, le travail semble privation, aliénation, contrainte, « entrav[e] » - et même
déshumanisation, comme on peut le supposer à travers la métaphore animale « il tient chacun
en bride »
Reformulation de la thèse : le travail est une contrainte, qui dépersonnalise voire déshumanise. Il est
suppresseur : de liberté, d’esprit, de passions, d’autonomie. En ce sens, la définition que donne
Nietzsche du travail rejoint celle de l’esclavage.
Analyse des limites : toutefois, il apparaît bientôt que le parti pris de Nietzsche contre le travail entre
en contradiction avec le constat que l’on peut faire : chacun recherche avidement le travail, certes
pour ce qu’il peut apporter de réponses à la nécessité, mais aussi pour ce qu’apporte d’autre ; les
travailleurs sont prêts à mettre dans leur travail beaucoup d’enthousiasme et d’efforts, et ne trouvent
pas paradoxal de rechercher le bonheur dans le travail et par le travail.
Problématique : si le travail n’est qu’esclavage, pourquoi agirait-il comme un moteur pour l’Homme ?

Annonce du plan :
I. Certes, le travail s’assimile à un esclavage
II. Néanmoins, il peut déclencher une véritable passion et agir comme un puissant moteur
III. Dans cette perspective, le travail n’est pas esclavage s’il est une mise à l’épreuve dans
laquelle le travailleur n’est pas seulement le sujet, mais l’objet d’une lutte. Travailler, c’est
avant tout travailler sur soi.

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I. Certes, le travail s’assimile à un esclavage

1) Le travail constitue un effort douloureux, il est « entrave »

Ex 1 : Virgile, « Les Arbres et la vigne », pp. 96-97, de « Il y a encore » à « pour les raisins mûrs »
Commentaire :
- Un travail difficile : « dur labeur », « pénibles peines », verbes qui impliquent des actions rudes
(« fendre », « briser », « creuser », « couper […] les branches »
- Un travail continu : il ne s’arrête pas (« n’est jamais épuisé »), recommence d’une année sur
l’autre (« le travail des laboureurs revient toujours en un cercle, et l’année en se déroulant le
ramène avec elle sur ses traces »), si bien qu’il faut toujours anticiper la suite (« l’actif vigneron
étend ses soins à l’année qui vient »), qu’il ne peut jamais y avoir de repos complet
(« maintenant le vigneron […] chante la fin de ses peines. Pourtant il lui faut encore tourmenter
la terre »)
- Un travail potentiellement vain : même en déployant continûment les plus grands efforts, le
vigneron pourrait ne pas récolter les fruits de son travail si Jupiter envoyait la pluie ou la grêle

Ex 2 : Simone Weil, « Lettre à Albertine Thévenon, janvier 1935 », p.53, de « Pour moi, cette vie est
assez dure » à « grande tentation »
Commentaire :

- Des douleurs physiques :


o Au travail : des maux de tête continuels, accentués par le bruit des machines
o Au repos : tentation de vivre « dans une demi-somnolence », de ne plus rien sentir
- Des douleurs morales :
o Au travail : impossibilité de se révolter face aux chefs de peur d’être renvoyé, donc
étouffement de tout sentiment de révolte au profit d’un sentiment de tristesse
o Au repos : seul moment où SW peut encore assembler ses idées, mais il est tentant de
renoncer : « on sent si bien que c’est le seul moyen de ne plus souffrir ! »

2) Cette entrave est soumission du travailleur, privation de liberté : le travailleur est « tenu en
bride », prisonnier de son travail, par la nécessité

Ex 1 : Virgile, « Le labourage », pp. 45-47, de « Et cependant » à « en de dures circonstances »

Commentaire :
- Rappel de la légende : Jupiter trouve qu’il n’y a pas assez de différences entre les hommes et
les dieux, et décide de fonder l’Olympe. Lors du dernier banquet partagé par les dieux et les
hommes, Jupiter charge Prométhée de faire deux parts d’un bœuf immolé, une pour les dieux,
l’autre pour les hommes. Prométhée le trompe en cachant les meilleurs morceaux dans une
panse peu ragoûtante, et au contraire cache les os sous une graisse appétissante. Lorsque

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Jupiter s’en rend compte, il punit l’humanité : désormais elle deviendra pleinement mortelle
(jusqu’alors elle ne se distinguait des dieux que par le fait qu’un jour Hypnos emmenait chacun
aux Champs-Elysées) et devra se nourrir, et travailler pour obtenir sa nourriture. Jupiter cache
alors le blé et le feu. C’est la fin de l’âge d’or. On ne peut que souligner les rapprochements
avec le mythe biblique !
- L’âge d’or : sous le règne de Saturne, la nature se donnait d’elle-même ; sous le règne de
Jupiter, il faut la dompter / il n’y avait pas non plus de notion de propriété privée : « il n’était
même pas permis de borner ou de partager les champs par une bordure : les récoltes étaient
mises en commun »
- Objectifs : d’après ce texte, Jupiter a voulu favoriser le perfectionnement de l’humanité. Le
besoin est un puissant moteur : c’est pour y répondre que les hommes :
o Fournissent de grands efforts, produisent « un travail acharné »
o Font preuve de créativité et développent la navigation, l’astronomie, la chasse, la
pêche et la fabrique des outils
o Ne sombrent pas dans la mollesse, l’ « indolence »

- Rattachement à la sous-partie : l’homme apparaît alors condamné au travail, mais pas de son
plein gré : il est le jouet d’un dieu omnipotent, puis il est soumis à la nécessité, au besoin

Ex 2 : Simone Weil, « Condition première d’un travail non servile », pp. 418-419, de « il y a dans le
travail des mains » à « « on perdrait ce qu’on a »
Commentaire :
- « un élément irréductible de servitude » : on aura beau améliorer les conditions de travail,
lorsqu’il s’agit d’exécuter ce qui a été conçu par d’autres (« dans le travail des mains et en
général dans le travail d’exécution »), on est toujours soumis, privé de sa liberté par un point
essentiel, que l’on a déjà vu dans le texte de Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne
- Celui-ci est déterminé par la nécessité : on a besoin de gagner de l’argent pour survivre, si bien
qu’en réalité, le travail fait qu’on ne gagne rien ; simplement on ne perd pas ce qu’on a déjà

Ex 3 : Michel Vinaver, cinquième mouvement, pp. 217-219, de « Bien alors je vous dis adieu » à
« qu’allez-vous devenir ? »
Commentaire :
- Cet exemple est un moins net que les précédents, mais il faut bien parler aussi de Vinaver !
- ce qui peut nous intéresser ici c’est le fait que Lubin « quitte la maison », donc il quitte
volontairement son travail, dans une entreprise qui s’est dégradée (on voit d’ailleurs son
amertume à son langage : « le bâtard s’est entouré d’une bande de fumiers » - ainsi qu’à sa
loquacité)
- mais il reconnaît que c’est un choix impulsif, de vexation. Par deux fois, il semble le regretter :
« on ne prend pas toujours le temps de réfléchir ». Le problème est que, comme Madame
Lépine le souligne, sa femme est malade, si bien qu’il est le seul à gagner de l’argent, et qu’il
faut en outre payer les soins.

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3) Mais aussi à travers la hiérarchie

Ex 1 : Simone Weil, « Lettre à Victor Bernard de mars 1936 », pp.232-234, de « « Je me demande » à


« si vous l’utilisez »
Commentaire :
- La formule est à mémoriser : la hiérarchie exerce « une puissance de dieu plutôt que
d’homme », parce qu’elle est le relais de la nécessité
- Pour ceux qui se font renvoyer : SW s’adresse à un patron qu’elle veut convaincre de sa
position dominante, c’est pourquoi le propos est extrême, quand elle dépeint la vaine
recherche d’emploi après renvoi, la « mort lente » et la « déchéance sans fond » de celui qui a
été renvoyé, et qui ne peut compter sur aucune de ses qualités morales pour s’en sortir (« sans
qu’aucune fierté, aucun courage, aucune intelligence puisse l’en défendre »)
- Pour ceux qui demeurent à l’usine : le tout est de ne pas se faire renvoyer, donc « obéir, obéir
encore et toujours »
- Dans l’ensemble, ce qui apparaît, c’est que les ouvriers sont dépossédés de toute sorte de
libre-arbitre et de pouvoir sur eux-mêmes : leur coopérative ne leur appartient pas, les
éventuelles décisions d’amélioration de leur vie au travail sont prises par la hiérarchie, ce qui
crée une nouvelle forme de subordination : « ils sont perpétuellement vos obligés »
- Ils ne peuvent qu’espérer gagner un peu plus d’argent en augmentant leur production, mais
ils ne gagnent pas davantage d’estime

Ex 2 : Michel Vinaver, deuxième mouvement, p. 72, de « mettez vos scrupules dans votre poche » à
« faites ce que je vous dis »
Commentaire : un extrait très court, marqué en deux répliques par :
- trois impératifs du supérieur hiérarchique à son inférieur
- on y lit du mépris :
o pas d’emploi de « Monsieur »
o déconsidération de tout sens moral (« mettez vos scrupules dans votre poche ») et de
toute loyauté (puisqu’il s’agit de prendre la direction de l’usine à la place d’Olivier et à
l’encontre de la volonté de Fernand Dehaze, alors mourant)
o condescendance (« j’aime bien discuter avec vous »)
- bref, dans le regard et le dialogue avec la hiérarchie, l’employé est à peine regardé comme un
homme

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II. Néanmoins, le travail peut déclencher une véritable passion et agir comme un
puissant moteur

1) Les travailleurs sont capables de déployer beaucoup d’efforts pour leur travail

Ex 1 : Virgile, « Le labourage », pp.44-45, de « Que dirai-je de celui » à « une tiède vapeur ? »


Commentaire : envolée lyrique de Virgile qui chante le courage des valeureux laboureurs qui mettent
en place l’irrigation de leurs champs !

- Registre épique :
o Anaphore et questions rhétoriques pour susciter l’admiration
o Vocabulaire guerrier (« engage la lutte », « brise les mottes »)
- Impression que par ses efforts il est capable de vaincre les éléments naturels (la sécheresse)
qui deviennent dans ses mains « dociles »

Ex 2 : Simone Weil, « Lettre à Boris Souvarine du 12 avril 1935 », pp. 73-74, de « Hier » à « un peu plus
de 650 »
Commentaire : augmenter la cadence
- Même en étant payée à l’heure, Simone Weil fait de son mieux pour augmenter le nombre de
pièces fabriquées
- Elle le fait pour avoir le droit de revenir travailler le lendemain
- On lit deux sentiments :
o La tension vers davantage d’efforts déployés : « le sentiment que je travaillais dur » /
« j’ai tendu toutes mes forces » / « en me tendant encore un peu plus » - même quand
elle pense être à son maximum, elle progresse encore
o L’amertume de devoir dire merci à celui qui lui permet de venir « se crever » encore
plus

2) Ils recherchent même le bonheur dans le travail et par le travail

Ex 1 : Virgile, « Les abeilles », pp.152-153, de « je me souviens ainsi » à « traiter le sujet »


Commentaire : le travail peut rendre heureux

- Le vieillard de Tarente a une terre qui n’est propice ni au labour, ni à l’élevage, ni à la vigne
- Pourtant il déploie courageusement ses efforts, toute l’année, même la nuit
- Ses efforts sont récompensés :
o D’une part il a de quoi subvenir à ses besoins
o D’autre part il a la satisfaction de s’auto-suffire, de produire

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- Tout cela le rend heureux, malgré la simplicité de son existence : « avec ces richesses, il
s’égalait, dans son âme, aux rois » - il est son propre maître et, n’excédant pas dans le désir la
satisfaction de ses besoins, il ne manque de rien

Ex 2 : Simone Weil, « Expérience de la vie d’usine » p. 329, de « L’usine pourrait combler l’âme » à « de
l’homme en ouvrier »
Commentaire : magnifique extrait sous forme d’hypotypose métaphorique
- en nous faisant entendre les bruits de l’usine, Simone Weil nous donne à entendre un
orchestre, dans lequel chacun joue sa partition, individuellement, mais dans un but collectif.
Chacun, individuellement, y a sa part, mais qui ne prend sens que dans le grand œuvre
commun. Cette hypotypose est renforcée par une synesthésie, car il devient possible de
« boire par les yeux cette unité de rythme que tout le corps ressent par les bruits et par la
légère vibration de toutes choses », mêlant la vue, l’ouïe, le toucher et le goût.
- En outre ce travail commun fait partie de la grandeur de l’homme, qui domine la matière :
« des bruits qui ne parlent pas de nature ni de vie, mais de l’activité sérieuse, soutenue,
ininterrompue de l’homme sur les choses » ; « un univers où rien ne rappelle la nature, où rien
n’est gratuit, où tout est heurt, heurt dur et en même temps conquérant, de l’homme avec la
matière »
- Ces éléments font que le bonheur ne semble pas incompatible avec le travail d’usine : « l’usine
pourrait combler l’âme » - parce que l’homme y est, finalement, plus qu’un homme : il devient
« ouvrier », il se transfigure, et ici la figure de l’ouvrier est éminemment valorisée

Ex 3 : Michel Vinaver, quatrième mouvement, pp. 151-153, de « Quel plaisir » à « oh montrez »


Commentaire :
- Chez Vinaver, il existe des personnages très enthousiasmés par leur travail, pour diverses
raisons. Certains sont même assez exaltés
- Ici j’ai choisi l’exemple de l’antiquaire Toppfer : il ne fait pas que « gagner sa vie », il a plaisir à
partager sa passion, et à la retrouver chez Margerie
- Son travail n’est pas extérieur, il répond à ce qu’il ressent de façon positive, ce qu’on voit à la
prépondérance du vocabulaire du sentiment (« plaisir », « belle passion », « frisson »,
« intimement », « émotion »

3) Le travail peut même engager l’existence entière, s’assimiler à la vie même

Ex 1 : Simone Weil, « lettre à Victor Bernard du 3 mars 1936 », p.229, de « Je vous ai dit » à « garantie
de sérieux »
Commentaire :

- le travail qui engage tant Simone Weil n’est évidemment pas, ici, le travail d’usine, mais son
travail philosophique, son expérience

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- mais elle est prête, pour poursuivre son travail, à s’y « soumettre de nouveau corps et âme »
et elle s’assimile ainsi à Victor Bernard lui-même, capable d’un tel engagement
- c’est donc que leur vie même se trouve dans leur travail – que c’est donc possible
- dans son propos, l’engagement de Simone Weil prend vraiment la valeur d’un éventuel
sacrifice, puisque pour remplir la tâche qu’elle s’est assignée librement, il lui faut se soumettre
à une force qui la dépasse :
o celle de la hiérarchie dans l’usine, son interlocuteur même (« je ne puis que me mettre
à votre disposition »
o celle aussi de l’usine elle-même, le « monstrueux engrenage de la production
industrielle »

Ex 2 : Michel Vinaver, cinquième mouvement, p. 208, de « on dit que le taux de mortalité » à « d’une
façon vertigineuse », et p. 232, « elle a fait une hémiplégie deux mois après alors qu’elle était en
parfaite santé »
Commentaire :
- dans ces deux répliques, le même constat est fait à propos de Madame Bachewski qui a été
mise à la retraite par Benoît sans préavis et sans explication. Elle se voit privée de son travail
et, en même temps, de ce qui constituait sa vie.
- Passemar énonce une généralité : le travail tiendrait en vie, puisque la mise à la retraite fait
augmenter le taux de mortalité.
- La réplique anonyme applique ce fait à Mme Bachevski elle-même : alors que le travail
semblait la maintenir « en parfaite santé », la mise à la retraite l’a rendue malade

III. Dans cette perspective, le travail n’est pas esclavage s’il est une mise à l’épreuve
dans laquelle le travailleur n’est pas seulement le sujet, mais l’objet d’une lutte.
Travailler, c’est avant tout travailler sur soi.

1) Le travail est une lutte nécessaire, pour la vie et la conservation de l’espèce – une réponse à la
nécessité qui peut être libération
Ex 1 : Virgile, « Le labourage », pp. 49-50, de « j’ai vu bien des gens traiter » à « à la dérive »
Commentaire :
- Le travail est présenté comme une nécessité pour l’homme – il ne s’agit pas ici de gagner sa
vie pour pouvoir acheter quelque chose, mais de répondre à une injonction naturelle, dans
deux cas de figure
- « c’est une loi du destin que tout périclite et aille rétrogradant » : le travail acharné du
laboureur est d’abord combat contre le chaos

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- Le travail est ce qui nos maintient en place, voire qui nous fait avancer dans la direction que
l’on choisit. Il serait le moyen de se prendre en main, de ne pas se laisser emporter par le destin
comme le bateau serait entraîné par le courant
- Donc, travailler, ici, c’est lutter pour vivre

Ex 2 : Simone Weil, « Lettre à Jacques Lafitte », p. 257, de « voici sur quels points » à « n’est-ce pas ? »
Commentaire :
- Le travailleur doit pouvoir être « créateur », sans pour autant se départir de l’outil-machine
- L’homme n’est pas voué au loisir, qui « ne satisferait aucune [de ses] hautes aspirations »
- Au contraire, il doit travailler, pour :
o Dominer la matière
o Se socialiser (« fraterniser avec ses semblables sur un pied d’égalité »
- Pour cela (donc pour que le travail réponde à ce qu’est l’homme, à ses besoins essentiels) le
travail doit être assorti :
o De liberté
o De l’idée que l’homme ne va pas remplacer la nature par la machine, mais que sa
machine va lui permettre d’ « entrer en contact avec la nature ». Il ne s’agit donc pas
par le travail de dénaturer la nature et l’homme, mais de fusionner avec la nature
même de l’homme
o De la possibilité « d’accéder quotidiennement au sentiment du beau dans toute sa
plénitude »

2) Le travail est aussi un moyen de se dépasser, de se libérer de son état initial – dans une
perspective humaniste, chaque homme est perfectible par son travail, chacun est capable de
se libérer de sa condition particulière qui n’est pas une fatalité

Ex 1 : Virgile, « Les arbres et la vigne », pp. 102-104, de « Heureux qui » à « la palestre champêtre »

Commentaire : le bonheur du cultivateur vaut celui du philosophe : « heureux qui a pu connaître les
causes des choses et qui a mis sous ses pieds toutes les craintes, et l’inexorable destin, et le bruit de
l’avare Achéron ! mais fortuné aussi celui qui connaît les dieux champêtres » :
o il est sage : intouché par les désirs de gloire ou de pouvoir
o il vit pour soi : intouché par la politique, la guerre, la comparaison avec de plus
pauvres à plaindre ou de plus riches à envier, les procès
o idée que l’oisiveté est mère de tous les vices : pour le laboureur, « point de
relâche ». Lui est vertueux et son foyer en est récompensé :
▪ amour filial, câlins des enfants
▪ « sa chaste demeure observe la pudicité »

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- Cet exemple peut être mis en parallèle avec l’extrait des « troupeaux », p. 146, à propos des
Scythes (de « ces barbares mènent une vie tranquille » à « peaux fauves de bêtes ») : le travail
y apparaît comme une définition de la civilisation, avec l’idée que celui qui travaille apprend la
tempérance – et est donc, en quelque sorte, philosophe

Ex 2 : Simone Weil, « Lettre à Albertine Thévenon de mars 1935 », p.56, de « j’aurais voulu te parler
un peu de moi » à « « en quel sens je dis ça »

Commentaire :
- Si le travail à l’usine est qualifié d’ « esclavage », le travail que Simone Weil a fait sur elle-même
semble avoir été bénéfique
- Elle en sort changée, améliorée : « bien différente de ce que j’étais », « moralement
endurcie », « ils m’ont permis de m’éprouver moi-même »
- Donc le travail, si aliénant soit-il, peut aussi être un bienfait s’il permet à l’homme de travailler
sur soi-même

Ex 3 : Michel Vinaver, sixième mouvement, pp. 239-241, de « et tous nos vœux de bonheur » à « la
beauté est débitée à la chaîne »
Commentaire : un travail sur soi, une évolution personnelle peut aussi être une libération qui, par la
suite, mène à changer son rapport au travail.
- Ici Olivier, sous l’influence de Margerie, ose la nouveauté. Lui qui était l’héritier Dehaze dans
tous les sens du termes quitte l’entreprise / la famille / le pays.
- L’Amérique, « par-delà les mers », est la métaphore de l’émancipation
- L’entreprise qu’ils envisagent de créer est aussi symbolique : il s’agit d’y promouvoir la beauté
plus que le profit
- Olivier et Margerie semblent donc avoir évolué

3) Le travail de l’écriture apparaît comme le degré ultime de la possibilité de libération et de


bonheur par le travail

Ex 1 : Virgile, « Les arbres et la vigne », p. 75, de « au travail, donc ! » à « de longs exordes »


Commentaire :

- Le lyrisme de l’extrait traduit l’enthousiasme du poète pour sa mission


- Car il s’agit bien d’une mission :
o Dégagée des « fictions de poète » (donc de mensonges) et de « vains ambages » (donc
de l’art pour l’art)
o Il demande pour cela l’aide de Mécène, qui l’aidera à libérer les cultivateurs par ses
conseils (« au travail donc, ô cultivateurs ! »)

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- Grâce donc grâce à son travail d’écriture qu’il espère libérer les cultivateurs de la fatalité
naturelle, leur donner des armes pour combattre les éléments – et l’arme première, c’est le
savoir (« apprenez »)

Ex 2 : Simone Weil, « Un appel aux ouvriers de Rosières », pp. 207-209, de « Voici ce que je vous
demande » à « déjà un grand bien »
Commentaire :
- Foi dans le travail d’écriture :
o espère par son appel susciter des réponses
o espère que celles-ci libéreront les ouvriers
- elle veut ainsi décomplexer l’écriture :
o inciter à l’expression de cette souffrance dans le journal
o Ne pas chercher à faire de jolies phrases
o Dire aussi les joies, la fierté du travail accompli
o Dire aussi si le temps semble long ou court
o Dire aussi s’ils sont contents d’y aller le matin ou juste hâte de sortir
o Dire enfin s’ils se sentent seuls ou s’il y a un réconfort avec les copains
- Son but est aussi de rassurer sur les conséquences :
o Ne pas signer
o Elle va remanier les articles de façon à ce qu’on n’en reconnaisse pas les auteurs
o Elle veut seulement leur bien, ne cherche pas à leur nuire
o Il faut seulement être sincère
- Enfin, elle suppose qu’il y aura un gain de camaraderie :
o Ecrire peut permettre de donner la parole à ceux qui ne sauraient pas le faire, s’ils
pensent comme vous, ou les inciter à écrire à leur tour, s’ils ne sont pas d’accord
o De toutes façons la camaraderie ne pourra qu’y gagner – l’écriture permet de sortir de
soi, de communiquer, de créer du lien

Ex 3 : Michel Vinaver, préface, « Dialogue avec moi-même », en entier

Commentaire : Dialogue entre un curieux et un « jeune cadre » de Gillette, futur responsable de la


firme. Très vite on sort du dialogue avec le curieux pour entrer dans un monologue autobiographique :
évolution de la carrière chez Gillette jusqu’à consécration, son installation à la tête de Gillette France,
avec femme et enfants.
- Le problème posé est celui d’double vie de l’usine et de l’écriture, qui commence à fuiter chez
les employés. Le patron présente une image brouillée : il est temps d’une œuvre radicale, qui
jette « par-dessus bord les convenances » :
o Par-dessus bord la distinction vie de l’écrivain / vie du patron
o Par-dessus bord l’écriture traditionnelle : faire de la pièce un « laboratoire de
recherche » ; fin de la continuité, de la ponctuation, de la distinction de genres
- Vinaver considère cette pièce comme sa « pièce matricielle », en ce qu’elle est libération d’un
tabou, celui par lequel il s’obligeait à ne pas considérer le travail (à l’usine) comme un sujet de
pièce, en opérant ainsi une distinction entre sa vie de cadre et sa vie d’écrivain.

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