Vous êtes sur la page 1sur 2

Entraînement à la dissertation, NIETZSCHE

Analyse du sujet
Son objectif, rappelons-le, est de comprendre un sujet unique ; de le délimiter et d’en saisir les
enjeux, de manière à pouvoir problématiser (à chaque sujet sa problématique spécifique).
Nietzsche : attente d’une pensée paradoxale, provocatrice, imagée. Aurore : série d’aphorismes
sur les préjugés moraux ; défaire le préjugé, c’est une bonne part de l’entreprise philosophique de
Nietzsche.
La citation est longue. Il faut donc repérer sa cohérence : 1/ son mouvement, sa logique interne,
à dégager si nécessaire ; 2/ son centre.
« Au fond, on sent aujourd’hui, à la vue du travail – on vise toujours sous ce nom le dur
labeur du matin au soir -, qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient
chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison,
des désirs, du goût de l’indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de
force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à
l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des
satisfactions faciles et régulières. »
Deux phrases. On repère vite un réseau central, et une articulation logique. On discerne donc très
facilement l’essentiel : le travail, du moins « un tel travail », nous contrôle et nous lie. En effet, il
« constitue la meilleure des polices », + « bride », « entrave ». La phrase suivante apporte une
explication : « Car ». Reste à lire la citation de près.
1ère phrase.
Prendre le temps de recevoir cette affirmation énigmatique, saisissante (!! pratiquer la vertu de
l’étonnement), qui passe par une image, une personnification. Le travail, une police ? Police XIXe :
maintien de l’ordre, par le contrôle, qui ici va jusqu’à l’enchaînement. « bride » et « entrave »
empêchent le mouvement.
On pense d’abord à la contrainte physique du « dur labeur », dans lequel on entend la peine
physique et qui épuise (labeur – labour), d’autant que Nietzsche insiste sur sa durée, « du matin
au soir ».
Mais si chacun est ainsi tenu « en bride », c’est que c’est l’esprit qui est empêché – et peut-être
par la réduction du corps ? – : raison, désir, goût de l’indépendance. Enumération de termes
disparates, voire considérés comme antagonistes. Alors, chercher la notion englobante.
Résoudre l’énumération. Comment ça se simplifie-t-elle ? = tout ce qui fait l’humanité pleine
d’un être, i.e. à la fois ce qui rassemble l’humanité (raison), mais aussi ce qui fait de lui une
personne unique, avec sa force propre (désirs et goût de l’indépendance), ce qui anime et motive
sa vie, ce qui fait qu’il est pleinement vivant. Ces trois catégories se retrouvent en fin de citation
(réflexion / passion, en deux ensembles ; expansion libre de soi).
Ainsi, le travailleur est condamné à une immobilité qui est temporelle plus que spatiale : c’est
le « développement » de la personne qui est entravé. Développer sa raison et ses passions, c’est
faire preuve de sa capacité à faire profit du temps. A l’opposé, la police du travail fige le temps
dans la répétition, « du matin au soir », et à la fin de la citation « constamment » et « régulières » :
le temps passe pour rien, le travail n’enrichit rien en soi.
2ème phrase
Après une première formulation intuitive ou empirique (« on sent »), Nietzsche avance un
argument (« Car »), formulé dans un même registre hyperbolique : le travail « consume une
extraordinaire quantité de force nerveuse », force ôtée à ce qui fait le sens et le goût de la vie.
Dit-il la même chose que dans la première phrase ? Est-ce un faux argument, une reformulation ?
Pas tout à fait ! D’une part, on comprend le détournement de la force vitale. D’autre part, Nietzsche
nous dit comment le travail s’acquiert notre complicité dans ce rôle de police. Car aux belles
choses qui motivent (réflexion etc.), le travail « substitue » leur contraire, « des satisfactions faciles
et régulières », ce dont on va se contenter. Travailler, ce serait en quelque sorte vendre sa liberté
et sa vie propre contre ces satisfactions faciles. Soumission plus que simple servitude, donc.
Aliénation. « satisfactions », tout ce dont on se satisfait ≠ passions qu’on n’assouvit pas ; régularité
des satisfactions ≠ désordre des passions. On pense évidemment, au premier rang de ces
satisfactions faciles et régulières, au salariat, avec la paie qui tombe chaque mois, satisfaction
facile et régulière ; à la possibilité de consommer, à laquelle deux de nos œuvres font la part belle.
Le verbe « consumer » exprime une destruction lente et insidieuse, qui passe inaperçue – et dont
la vertu de la citation est bien de nous faire prendre conscience. Ainsi, cette 2 ème phrase, tout en
donnant un argument réel à la servitude du travail, va plus loin que la précédente : en nous
contraignant, le travail ne bride pas seulement la vie en nous, il la détruit.
Affirmation à large portée (chacun). Toutefois, limitation du propos dans le temps :
« aujourd’hui », et une définition qui se donne pour temporaire (« un tel travail »).
Contextualisation, fin XIX° : travail de l’ouvrier ? de l’employé ? du salarié, sans doute. On peut se
demander si cela vaut plus largement pour le travail que dépeignent nos œuvres.
Problématique, qui découle de l’analyse du sujet : En nous enchaînant le corps et l’esprit, le
travail nous empêche-t-il de vivre notre humanité ?

Vous aimerez peut-être aussi