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28/02/2015 Loge Franc-Maçonnique Mixte du Droit Humain

Le transhumanisme :
un progrès pour l’humanité ?

Intervenant : Jean-Michel Besnier, agrégé de philosophie et docteur en


sciences politiques, enseignant à la Sorbonne, auteur de plusieurs livres sur la
politique, le progrès et les mouvements trans- et post-humanistes.

Définition de transhumanisme : étape entre l’humanité actuelle et le posthuma-


nisme, humanité en transition. Alliance médico-technologique visant à la modi-
fication illimitée des corps, grâce au progrès illimité des sciences et des tech -
niques.

Aujourd’hui, l’humanité : l’homme réparé.


Demain, la transhumanité : l’homme augmenté.
Après demain, la posthumanité : autre chose.

Humanisme / Transhumanisme, quelle différence ?

Condorcet, les Lumières, St Simon voyaient eux aussi la technique comme un


facteur d’émancipation de l’être humain, et donc les progrès techniques se tra-
duiraient en progrès sociaux et humains. Pourtant pour ces penseurs le pro-
grès, c’est-à-dire l’accumulation des innovations, se concevait en continuité
avec l’histoire humaine, alors que pour les transhumanistes, le progrès s’envi-
sage en rupture : l’effet de la technique sur l’homme le rend autre qu’humain.
Le terme de progrès, favorisé par les humanistes, est d’ailleurs remplacé par
l’idée de “renaissance” chez les transhumanistes. Elle est parfois décrite
comme une “folie” qui construit sur l’oubli du passé.

Une critique du progrès

Le progrès, notamment technique, a subi de forts revers au 20e siècle en tant


qu’il était conçu comme moyen de résoudre tous les problèmes humains. L’ap-
plication guerrière de nombreux progrès scientifiques, et l’application finan-
cière de nombreux progrès du numérique ont découragé le grand public de voir
dans le progrès technique une solution.

Or le Transhumanisme n’est pas concerné par le discrédit qui touche l’idée de


progrès technique, même s’il s’appuie dessus, parce qu’il ne repose pas sur une
idéologie du progrès. Il s’agit plutôt d’une idéologie gnostique, où l’oeuvre de
création de l’univers et de l’humanité est incomplète, donc à terminer.

Nous sommes passés d’une société chrétienne qui espérait en l’au-delà à une
société technicisée qui espère en un au-delà de l’humain. C’est, en quelques
sortes, le “point Oméga” qu’évoque Teilhard de Chardin 1. Le transhumanisme
accable l’humain de tous les maux et place son espoir dans la technique.

La “renaissance” selon les technoprophètes

Les hérauts du tout-technique justifient le besoin d’une renaissance par les hor-
reurs humaines perpétrées au 20e siècle. Il s’agit, au sens de Theillard de Char-
din, d’une espérance “totalement inhumaine”.

Les transhumanistes sont ainsi dans l’attente d’une renaissance de l’humanité,


d’un nouveau départ, d’un “re-boot” de l’espèce. Dans le rapport intitulé NBIC
(2003), dont l’introduction se rapproche d’un manifeste transhumaniste, nous li-
sons :

Nous sommes à l’aube d’une nouvelle re-


naissance (…) basée sur une compréhen-
sion exhaustive [de l’infiniment petit et
l’infiniment grand grâce à la compréhen-
sion du cerveau humain].

Deus Est Machina

On entre dans une logique de performance humaine et de productivité, la pers-


pective est résolument utilitariste : par exemple, des fantasmes de télépathie
font dire à certains qu’à terme le langage en viendrait à disparaître.

Les phénomènes contemporains, comme l’impératif d’être “connecté”, du soi


quantifié, et de l’intelligence collective au travail, révèlent une tendance à la
virtualisation, à l’obsession de la mesure, à une vision de la société comme un
cerveau et de l’homme comme un neurone, à un “eugénisme libéral” (comme le
dit Habermas).

A son image

Il s’agit à proprement parler d’une machinisation de l’humain, c’est l’effet-retour


de la technologie sur l’homme. Des gens à la pointe de cette technologie du

1 Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), jésuite, paléontologue et philosophe, dont le


concept de «noosphère» préfigure, d’après certains transhumanistes, celui de singular-
ité.
quotidien le savent bien : Steve Jobs et les élites de la Silicon Valley ne
laissent pas leurs enfants toucher à un ordinateur avant leur majorité, et leur
font apprendre le Grec et le Latin à l’école. Ils savent que l’humanité “augmen-
tée” est une humanité appauvrie de ses capacités propres, et dépendante de la
technologie pour agir, donc pour “valoir” et “être” dans la société.

L’invasion de la technique dans nos sociétés impose à l’homme de s’adapter à


ce nouvel environnement. Là où un dialogue entre deux humains implique l’at-
tente mutuelle d’un message, le dialogue entre homme et machine implique
d’un côté l’attente d’un message, d’un autre côté l’attente d’un comportement.
C’est le “syndrome de la touche étoile” : la technique, notre servante, est bien
bête et il faut simplifier son comportement pour qu’elle nous serve. L’homme,
être émetteur et récepteur de signes (messages signifiants) est lentement
transformé en êtres émetteur et récepteur de signaux.
Tout à perdre

Nous risquons effectivement de perdre tout ce qui nous identifie comme hu-
mains dans ce changement : conscience 2, réflexion, langues de cultures (vs
langues de service), vulnérabilité, incertitude (recherche et espoir), incomplé-
tude (qui permet l’amour de l’autre)…

Nous échangerions notre reproduction hasardeuse contre une duplication


contrôlée, notre réflexion contre une réactivité, nos freins à l’évolution contre
une accélération survoltée.

Ce changement est motivé par une désaffection pour l’humain tel qu’il est.
Dans un société conflictuelle, on observe une augmentation des névroses, mais
dans une société technologique, c’est la dépression qui domine. Cela vient d’un
sentiment d’impuissance, d’une incapacité à approfondir, d’une hyperactivité.
L’immortalité, que la technologie nous promet, est d’ailleurs souvent envisagée
sous l’ange de la solitude, de l’ennui, du désespoir.

Ethique et religiosité

Peut-on ne pas vouloir ce qu’on peut réaliser ? Comment résister aux technolo -
gies ambigües ?

L’autisme d’Asperger est très recherché dans le milieu de l’InfoCom, où l’essen-


tiel du travail consiste en des taches répétitives et minutieuses, ce pourquoi
les gens atteints de cette forme d’autisme sont particulièrement adaptés. Aussi
certains parlent d’eux comme des “variants humains”, c’est-à-dire un véritable
prélude darwinien à une mutation vers une nouvelle espèce.

Contre la 2nde loi de la thermodynamique (le principe d’entropie), selon lequel


tout système fermé évolue inexorablement vers le désordre, certains transhu-
manistes prônent une véritable entreprises de lutte contre ce désordre à
l’échelle de l’univers (“extropianisme”).

Les caractéristiques principales de la technique (l’impermanence, l’intercon-


nection de toute chose, et la vacuité du soi notamment) correspondent particu-
lièrement à la religion bouddhiste. L’Internaute vit, comme le proclamait Sid-
dhartha Gautama, dans une illusion.

Le transhumanisme se rapproche non pas d’une défiance de Dieu, comme le


disent certains, mais plutôt d’un remplacement de Dieu. Ici, Dieu n’est pas

2 En effet, selon James Hugh, la conscience de soi n’est qu’un avantage sélectif qui est
peut-être devenu aujourd’hui un handicap pour survivre et évoluer.
l’Autre, il est Tout - dès lors, l’Autre, c’est ce qui empêche le Tout d’être Tout,
c’est donc le mal. Supprimer l’Autre revient donc à supprimer le mal - comme
ont cherché à le faire tous les totalitarismes.

Lutte et espoir

Il nous faudrait faire preuve d’une certaine “sobriété technologique”, et refuser


le fatalisme sous toutes ses formes (mondialisation, technologie, etc.). pour es-
pérer nous sortir de cette philosophie transhumanistes envahissante. Imagi-
nons notre utopie, non pas sur la base d’une rupture catastrophique et meur-
trière, d’une “apocalypse”, mais sur la base d’un progrès continu, certes ralenti
mais qui justement laisse une place à l’humain.

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